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SELF 2015 1 50 ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française. Archivé électroniquement et disponible en ligne sur : www. ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. Quand la qualité engage la santé : relation entre qualité et santé dans une activité de nettoyage en milieu aéroportuaire Sofiane DAHAK 1 , Gérard VALLERY 2 , François HUBAULT 3 et Christophe BENAZET 4 1 ACNA Orly 1 rue du pont de pierre 91320 Wissous. [email protected] / [email protected] 2 Université de Picardie Jules Verne. [email protected] 3 Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. [email protected] 4 ACNA Orly 1 rue du pont de pierre 91320 Wissous. [email protected] Résumé. Le présent article développe une partie de notre recherche doctorale qui étudie la question de la «qualité du travail» dans une approche multidimensionnelle. La recherche s’appuie sur l’analyse ergonomique de l’activité du nettoyage dans une entreprise spécialisée dans le nettoyage des avions située à l’aéroport d’Orly. Cet article illustre dans une première partie, la problématique et la méthodologie qui nous ont permis d’appréhender les différentes dimensions de la qualité : qualité prescrite, qualité du point de vue individuel, qualité définie par le collectif et qualité attendue par le bénéficiaire. Dans une seconde partie, des exemples issus de notre recherche permettent d’examiner comment ces différentes dimensions de la qualité entrent en tension ; et comment les opérateurs y répondent. Ce document se termine par des pistes de réflexion sur la relation qui existe entre la qualité réelle et la santé des opérateurs. Mots-clés : Management, Performance et évaluation du système, Organisation du travail, Qualité de vie au travail When quality engages health: The relationship between quality and health in a service industry activity Abstract. This article develops a part of our doctoral research focusing on the issue of "real quality of work" in a multidimensional approach. The research is based on the ergonomic analysis of cleaning activities, in a company specialized in the cleaning of aircrafts, located at the Parisian Orly Airport. This article first exposes the research question and the methodology used to grasp the different dimensions of quality: prescribed quality, quality from the individual’s point of view, quality defined collectively and quality expected by the beneficiaries. Then, some examples from our research lead to examine the state of tension between these different quality criteria, and how the operators react to this tension. The paper concludes with thoughts on the potential relationship between real quality and operator’s health. Key words: Management, System performance and evaluation, Work organization, Quality of working life *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 23 au 25 septembre 2015. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Dahak, S., Vallery, G., Hubault, F & Benazet, C. (2015). Quand la qualité engage la santé :" relation entre qualité et santé dans une activité de nettoyage en milieu aéroportuaire». Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. 50ème Congrès de la SELF, Page 389

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SELF 2015 1

50ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française.

Archivé électroniquement et disponible en ligne sur :

www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs

Texte original*.

Quand la qualité engage la santé : relation entre qualité et santé dans une

activité de nettoyage en milieu aéroportuaire Sofiane DAHAK1, Gérard VALLERY2, François HUBAULT3 et Christophe BENAZET4

1 ACNA Orly 1 rue du pont de pierre 91320 Wissous. [email protected] / [email protected] 2Université de Picardie Jules Verne. [email protected] 3Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. [email protected]

4ACNA Orly 1 rue du pont de pierre 91320 Wissous. [email protected]

Résumé. Le présent article développe une partie de notre recherche doctorale qui étudie la question de la «qualité du travail» dans une approche multidimensionnelle. La recherche s’appuie sur l’analyse ergonomique de l’activité du nettoyage dans une entreprise spécialisée dans le nettoyage des avions située à l’aéroport d’Orly. Cet article illustre dans une première partie, la problématique et la méthodologie qui nous ont permis d’appréhender les différentes dimensions de la qualité : qualité prescrite, qualité du point de vue individuel, qualité définie par le collectif et qualité attendue par le bénéficiaire. Dans une seconde partie, des exemples issus de notre recherche permettent d’examiner comment ces différentes dimensions de la qualité entrent en tension ; et comment les opérateurs y répondent. Ce document se termine par des pistes de réflexion sur la relation qui existe entre la qualité réelle et la santé des opérateurs.

Mots-clés : Management, Performance et évaluation du système, Organisation du travail, Qualité de vie au travail

When quality engages health: The relationship between quality and health in a service industry activity

Abstract. This article develops a part of our doctoral research focusing on the issue of "real quality of work" in a multidimensional approach. The research is based on the ergonomic analysis of cleaning activities, in a company specialized in the cleaning of aircrafts, located at the Parisian Orly Airport. This article first exposes the research question and the methodology used to grasp the different dimensions of quality: prescribed quality, quality from the individual’s point of view, quality defined collectively and quality expected by the beneficiaries. Then, some examples from our research lead to examine the state of tension between these different quality criteria, and how the operators react to this tension. The paper concludes with thoughts on the potential relationship between real quality and operator’s health.

Key words: Management, System performance and evaluation, Work organization, Quality of working life

*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 23 au 25 septembre 2015. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Dahak, S., Vallery, G., Hubault, F & Benazet, C. (2015). Quand la qualité engage la santé :" relation entre qualité et santé dans une activité de nettoyage en milieu aéroportuaire». Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page.

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INTRODUCTION L’histoire de la qualité est très ancienne et s’inscrit

dans celle du management et de la gestion ; elle a accompagné leurs évolutions. La qualité a subi plusieurs mutations dans le temps, plus particulièrement en 1916, Henri Fayol (1841-1925) considéré comme le pionnier du management, expliquait les principes de la gestion globale d’entreprise : « administrer, c’est prévoir, organiser, coordonner et contrôler… cela devait assurer une production économique, tout en éliminant les gaspillages et en optimisant les ressources ». On constate déjà l’émergence des notions de contrôle et d’efficience dans les principes évoqués dans son ouvrage (Fayol, 1916). En 1926, l’Association française de normalisation (Afnor1) et la Fédération internationale des associations nationales de normalisation sont créées, renforçant ainsi cette notion de contrôle par un processus de normalisation. En France, le déploiement de la démarche qualité a été tardif (initié en 1990). Dans un premier temps, l'exigence de description des procédures semblait ne devoir s'appliquer qu'à l'industrie. La démarche a été perçue comme trop procédurière et l'importance de l'implication de la direction a été sous-estimée. Une version simplifiée de la démarche qualité a alors été élaborée et diffusée sous le nom de l’entreprise Assurance qualité, définie dans les normes ISO2 9001, ISO 9002 et ISO 9003 versions 1986, 1994 et 2000.

Ainsi, globalement, nous entendons que la gestion

de la qualité a évolué dans le temps au même titre que l’évolution du marché économique. La révolution industrielle et la consommation de masse ont laissé place à de nouvelles interrogations relatives à l'organisation et au management, et plus spécifiquement à des problématiques associées à la gestion de la qualité. La qualité dans le monde aéroportuaire est considérée principalement sous sa forme technique (qualité des procédures de fabrication des avions, la qualité de la maintenance…). Dans ce contexte, notre recherche se développe dans l’entreprise ACNA (Armement Cabine Nettoyage Avion) faisant partie d’un groupe aéronautique qui prend en charge le nettoyage et les servitudes des avions. ACNA est certifiée selon la norme ISO 9001 version 2000 depuis 2006.

CONTEXTE ET TERRAIN DE RECHERCHE

Comme pour la plupart des entreprises aériennes, le secteur du nettoyage des avions n’échappe pas au contexte économique très instable. Il doit faire face à des restructurations internes pour répondre aux exigences des compagnies aériennes dans un contexte fortement concurrentiel. Ces dernières cherchent à

1AFNOR : Association française de normalisation est l'organisme officiel français de normalisation. 2 ISO : Organisation internationale de normalisation.

réduire leurs coûts par un mode de gestion de type « low-cost », notamment par la réduction du temps des prestations. Cela laisse un temps de plus en plus réduit pour le nettoyage des avions, avec de plus en plus de prescriptions et d’exigences qualité.

La population de l’entreprise ACNA est vieillissante. La moyenne d’âge est de 50 ans. La plupart des opérateurs ont plus de 20 ans d’expérience dans le nettoyage. Ces activités sont connues comme très contraignantes physiquement et provoquent beaucoup d’inaptitudes et de restrictions médicales chez les salariés. Face à cette situation, ACNA est mise en concurrence avec des sociétés dont le personnel est plus jeune et qui offrent des conditions salariales moins favorables. L’asymétrie est réelle entre ACNA et ses concurrents. Les compagnies aériennes, aujourd’hui en crise, sont particulièrement attentives aux coûts des prestations qu’elles achètent. Face à cela, ACNA se retrouve dans une situation où la recherche de gains de productivité ne peut pas jouer des mêmes leviers que ses concurrents.

Ainsi, la qualité de la prestation de nettoyage des avions devient un enjeu majeur pour développer et maintenir des parts de marché (client) dans un secteur fortement compétitif. Dans ce contexte, une demande de recherche/action3 a été formulée par l’entreprise afin de comprendre, améliorer et produire des connaissances sur la qualité du métier de nettoyage des avions.

Avant de nous centrer sur la problématique de recherche, nous décrivons brièvement l’activité de nettoyage dans un objectif de compréhension et d’illustration.

DESCRIPTION DU NETTOYAGE Le nettoyage des avions combine plusieurs tâches

dont les caractéristiques et les exigences sont définies par les cahiers des charges des compagnies aériennes. A titre d’exemple, pour illustrer cette activité, nous présentons ci-après les principales tâches :

Nettoyage des sièges : dans un premier temps,

l’agent de nettoyage jette les miettes des « assises » par terre avec ses bras. Dans un second temps, il se penche à plus de 90° pour vider/ramasser les journaux et les déchets qui se trouvent au fond des pochettes, puis il conditionne ces déchets dans un sac en plastique. Enfin, les ceintures sont croisées sur l’assise des sièges

Cet enchainement de tâches est répété pour chaque siège de l’avion. Une fois le sac de déchets rempli, il sera fermé, porté manuellement et déposé dans la voiture.

3 Réalisée dans le cadre d’un Doctorat en Ergonomie en cours de

développement et soutenue par une convention CIFRE réunissant ACNA et le laboratoire CRP-CPO de l’Université de Picardie-Amiens et impliquant l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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Nettoyage des toilettes : l’agent ramasse les déchets, vide la poubelle, nettoie les surfaces des toilettes (cuvette, lunette, abattant), puis le lavabo, les équipements sanitaires (robinet…) et il termine par le miroir.

Aspirer la moquette : l’agent fait monter l’aspirateur de la voiture, branche le câble dans la prise arrière de l’avion. Il se place à l’arrière de l’appareil et avance vers l’avant en aspirant l’allée centrale et/ou sous les sièges. LE PROJET DE RECHERCHE

La qualité est mise en œuvre à partir de règles, modes opératoires et procédures définis par avance et transmis à l’opérateur pour organiser, réaliser et régler son propre travail, dont le résultat est soumis à un système d'évaluation et de contrôle. Pour autant la qualité « dictée » « déborde » inévitablement du cadre prescrit et convoque d’autres dimensions opérationnelles relatives aux réalités du travail : règles du métier, sens du travail, règles collectives et de l’ordre du bénéficiaire : exigence, attente, représentation d’une qualité attendue.

Comme le souligne Dominique Lhuilier dans son

introduction du livre ‘‘qualité du travail, qualité au travail’’ : « la qualité est un concept relationnel : son appréciation dépend toujours de qui la formule, à propos de quoi concernant quelle dimension du travail. La qualité est un jugement porté en fonction des critères ». (In Lhuilier, 2014). C’est dans cette approche d’une qualité multidimensionnelle que s’inscrit notre recherche. Nous définissions ci-dessous les principales dimensions de la qualité qui constituent notre cadre de réflexion :

Qualité prescrite par l’organisation : C’est la

qualité contractuelle qui lie la compagnie aérienne à ACNA. Cette qualité se décline sous forme de règles, modes opératoires et procédures définis par avance et transmis à l’opérateur pour organiser son travail. Qualité du point de vue individuel : c’est un

ensemble d’exigences de la qualité que l’opérateur s’impose individuellement à lui-même pour réaliser un travail de qualité. Qualité définie par le collectif : une

représentation de la qualité partagée par un collectif de métier ; c’est un ensemble de règles et de références qui se rapportent à une pratique, auxquelles chaque praticien peut se référer pour caractériser un travail bien fait. Qualité attendue par le bénéficiaire : celle ci

se caractérise par la qualité attendue par le personnel de la compagnie aérienne (client), principalement le personnel navigant. Cette qualité est le résultat de sa propre représentation des « choses » qu’il construit à partir des éléments qu’il a en sa possession (le cahier des charges, le passager, son histoire...)

Dans cette approche d’une qualité multidimensionnelle, des premières hypothèses ont été formalisées :

La « qualité réelle » produite dans un service s’expose en termes de débat de normes entre la qualité du service prescrite par l’organisation, la qualité du point de vue individuel, la qualité définie par le collectif et la qualité attendue par le bénéficiaire.

L’impossibilité (ou la difficulté) de tenir ensemble

tous les critères et dimensions sur lesquels se règle la « qualité réelle » dans l’activité «explique » aussi bien les problèmes de non qualité, que les problèmes de santé (type les TMS et les RPS…).

Le schéma ci-dessous résume la relation, telle que

nous la concevons entre l’activité, les différentes dimensions de la qualité et l’effet éventuel sur la santé.

METHODOLOGIE DE RECHERCHE Pour conduire nos études sur le terrain, nous avons

mis conjointement en œuvre différentes méthodes : une analyse documentaire, des observations « papier crayon », des recueils filmiques, des entretiens et des groupes de travail. Le dispositif méthodologique a été élaboré en sept étapes, inspiré de la démarche d’intervention ergonomique (Guérin & al, 2001 et Noulin, 2002)

Etape 1 : Analyse documentaire La première phase de la méthodologie ergonomique

consiste à comprendre ce qui est demandé aux salariés et dans quel contexte. Il s’agit de s’approprier les demandes faites par la hiérarchie, pour comprendre ce qui est prescrit, et sa traduction sur le terrain : à quelles exigences les agents et les régulateurs doivent-ils répondre ? De quels moyens disposent-ils pour le faire ? … Cette première phase consiste donc à : Rencontrer les membres de l’équipe de

nettoyage, les régulateurs et les responsables… Obtenir les données existantes en termes de

population, organisation, santé, performance… Prendre connaissance de toutes les fiches de

postes, les procédures et les modes opératoires du service nettoyage.

Etape 2 : Observations exploratoires La deuxième phase de la recherche est destinée à la

familiarisation avec le métier du nettoyage. Pour cette

Figure 1 : Une représentation schématique inspirée du schéma des 5 carrés selon Leplat et Cuny (1974)

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approche, la technique d’observation « papier crayon » a été adoptée, permettant de décrire l’ensemble du processus de nettoyage.

L’objectif de ces observations est de comprendre la relation existante entre les régulateurs4, le service du nettoyage, les autres services (dimensionnement, ressources humaines…) ainsi qu’avec les clients de l’entreprise.

Des observations ouvertes ont été réalisées pendant six semaines sur les postes de nettoyage. Les observations concernent: Le nettoyage de jour (transit) Le nettoyage de nuit (approfondi) Toutes les compagnies clientes d’ACNA (Air

France, Air Algérie, Aigle Azur, HOP…). Ces observations permettent de formaliser « noir sur

blanc » les processus globaux d’une part, et de décrire l’organisation, l’ensemble des tâches du nettoyage, la composition des postes et les outils utilisés, d’autre part.

Etape 3: Observation ciblée/participante Ensuite, nous avons mis en place une deuxième

campagne d’observations plus ciblées et spécifiquement orientées pour l’activité du nettoyage. Concrètement, nous avons effectué des observations participantes (Soulé, 2007) en intégrant une équipe de nettoyage (remplacement d’un agent de nettoyage). Les observations participantes ont duré dix semaines (une semaine par équipe). L’objectif est de cerner et analyser de manière la plus fine possible l’activité des agents dans le but d’améliorer notre compréhension de chaque geste (manière de faire) mais aussi de pouvoir relever les différentes astuces/stratégies mises en œuvre en situation réelle.

Etape 4 : Observations filmiques Une des limites de l’observation « papier crayon »

est qu’elle ne permet pas d’avoir une traçabilité dynamique de la répartition des agents lors du nettoyage d’un avion. Ainsi, afin de pouvoir visualiser, exploiter et conserver une trace de l’activité collective des agents de nettoyage, nous avons choisi de les filmer. L’objectif est d’identifier les différentes manières de se répartir les tâches à l’intérieur d’un avion. De plus, ces supports filmiques peuvent servir de support d’échange avec les équipes durant les groupes de travail.

Nous avons filmé différents types de nettoyage avec des vacations de jour et d’après-midi

Etape 5 : Les entretiens individuels En complément, à l’appui des observations, nous

avons mené des entretiens semi-directifs enregistrés auprès des opérateurs. Notre guide d’entretien comporte les six thèmes suivants : Description du travail

4 Le métier des régulateurs consiste à attribuer en temps réel les avions aux équipes de nettoyage.

La qualité du travail du point de vue de l’opérateur La qualité attendue par les clients selon les

agents de nettoyage Les aléas que peuvent rencontrer les agents Le sens donné au travail Les stratégies individuelles et collectives des

agents de nettoyage Les entretiens sont analysés de manière spécifique et

transversale, en relevant les verbalisations correspondantes à chaque thème.

Etape 6 : Groupes de travail

Les différents critères qui déterminent la « qualité réelle », et les raisons amenant les agents à arbitrer pour une manière spécifique de travailler sont très difficiles à appréhender. Pour y répondre, nous avons fait le choix de confronter les agents à la réalité de leur travail (telle que saisie en situation ou reconstruite/simulée). Concrètement, nous avons effectué quatre groupes de travail, chaque groupe étant constitué de quatre agents différents appartenant à la même équipe. Pour chaque groupe de travail nous avons utilisé :

La méthode de l’auto confrontation : nous avons projeté des séquences de film réalisées précédemment. Sur cette base, nous avons questionné les agents pour déterminer les raisons qui ont induit leur comportement, une action particulière.

Une maquette : nous avons construit un modèle réduit d’un avion pour offrir un support concret permettant aux agents de se réinvestir dans leur activité réelle, dans le but de raconter les raisons de leur comportement et de leur action en situation.

Figures 2 et 3 : photographies d’une maquette réalisée lors d’un groupe de travail

La combinaison des deux méthodes nous a permis,

d’une part d’identifier les raisons des différents modes de répartition des équipes à l’intérieur des avions et d’autre part, de déterminer certains critères d’arbitrage des opérateurs face aux situations réelles.

Etape 7:Recueil des aléas d’exploitation En parallèle à ces approches, nos premières

observations montrent que l’activité de nettoyage est fortement dépendante d’une part des aléas d’exploitation qui sont spécifiques au secteur aéroportuaire (les retards d’arrivées et de départs et types d’avions, …) et d’autre part, de la diversité des

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bénéficiaires (compagnies, passagers, personnel navigant…).

Afin de mieux comprendre ces aléas et leurs impacts sur l’exploitation, nous les avons quantifié jour par jour durant toute l’année 2014. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur la lecture rétrospective des planches de nettoyage (730 planches analysées).

Concrètement, nous avons quantifié le temps de nettoyage « perdu » à cause des aléas, schématisé sur la planche (voir exemple ci-dessous)

Figure 4 : Exemple d’une planche de régulation

Chaque mot entouré en rouge correspond à un aléa d’exploitation. Pour déterminer le temps de l’aléa, il faut compter le nombre de carrés qu’il contient. Chaque carré correspond à un temps « perdu » de cinq minutes. A titre d’exemple le premier aléa, intitulé « DEB » signifie une attente débarquement d’une durée de 15 minutes (3 carrés).

LES PREMIERS RÉSULTATS L’analyse de données issues de ce dispositif

méthodologique n’est pas terminée. Toutefois, nous proposons dans cette communication de présenter les premiers résultats de notre recherche autour des différentes dimensions de la qualité.

Les critères de qualité du point de vue de l’organisation

Pour l’organisation, la qualité du nettoyage est déterminée en fonction du temps de transit de l’appareil dans l’aéroport. Temps de transit inférieur à 75 minutes :

Nettoyage express5, Temps de transit supérieur à 75 minutes :

Nettoyage de jour6. Chaque type de nettoyage est qualifié par un

ensemble de critères de qualité de nettoyage stables, dont les tâches et les temps d’intervention sont mentionnés dans les cahiers des charges des compagnies aériennes. Le contrôle porte sur la conformité de l’ensemble des tâches de nettoyage. Les contrôles des prestations sont effectués par les compagnies aériennes de manière aléatoire, selon un échantillonnage à l’aide des grilles. Les critères de qualité du point de vue du bénéficiaire

5  C’est un nettoyage qui n’exige pas l’utilisation d’aspirateur. Son temps varie de 6 à 9 minutes en fonction du type d’avion. 6 C’est un nettoyage qui se différencie du nettoyage express par l’aspiration de la moquette et le nettoyage de l’ensemble des tablettes. Son temps varie de 15 à 25 minutes en fonction du type d’avion.

L’activité de nettoyage semble se réaliser en dehors de la présence des clients, mais la réalité montre le contraire. Ainsi, le service de nettoyage rencontre plusieurs bénéficiaires lors de sa réalisation :

Le personnel navigant « bénéficiaire indirect » : le bénéficiaire direct d’ACNA est la compagnie aérienne représentée par son service d’exploitation (le prescripteur du cahier des charges). En revanche, lors de la réalisation de l’activité de nettoyage, nous remarquons la présence du personnel navigant, porteur d’exigences de qualité et de demandes spécifiques. Ces demandes spécifiques ont également été recensées lors de nos observations et des entretiens. Nous illustrons quelques-unes de ces exigences ci-dessous :

Demande d’aspirer la moquette dans un nettoyage

express, c’est une demande très fréquente, où le personnel navigant demande « de faire un coup d’aspi». « bahhh comme la dernière fois, la dame (en faisant référence à l’hôtesse de l’air) me demande de passer l’aspirateur sous les sièges… mais … moi je n’avais pas monté l’aspirateur … c’est un nettoyage express…pour moi pas besoin d’aspi juste bissel7….)

Enlever les sacs poubelle « des fois… ehh… ouii…

ils nous demandent de prendre avec nous les sacs poubelle… moi je suis agent nettoyage… non logistique ce n’est pas à moi de prendre les sacs poubelle… » (Contractuellement, les sacs poubelle sont récupérés par un autre prestataire logistique).

Le CDO (centre des opérations) : l’activité de nettoyage obéit à des exigences temporelles imposées dans les cahiers des charges et contrôlées par le CDO. Ce dernier dispose de caméras et de jalons (indicateur de temps) afin de surveiller l’arrivée des équipes de nettoyage, le début et la fin du nettoyage. Le critère de qualité principal qui ressort du CDO c’est le respect strict des temps d’intervention imposés dans le cahier des charges. Un agent du CDO nous dit « un nettoyage de qualité pour moi c’est de libérer l’avion à temps afin que je puisse lancer l’embarquement derrière … ACNA est soumis aux conditions de résultats ….». Un autre agent du CDO nous déclare suite à une conversation téléphonique « je vous impute le retard du vol… puisque vous avez fait 9 minutes au lieu de 6 minutes prévues… ».

Cette exigence temporelle « fixe » malgré la

variabilité de l’état de propreté de l’avion et des demandes spécifiques du personnel navigant, reste très problématique pour les agents de nettoyage. Cette problématique est double surtout lorsque la demande n’est pas dans le cahier des charges et quand elle nécessite du temps supplémentaire pour la réaliser, comme le cas d’une demande de passer l’aspirateur dans un nettoyage express. Passer l’aspirateur nécessite de descendre de l’avion, rejoindre le

7 Bissel est un balai mécanique utilisé dans le nettoyage express.

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véhicule, récupérer l’aspirateur, remonter dans l’avion, brancher l’aspirateur à la prise électrique et ensuite aspirer la moquette. Tout cela sans dépasser le temps prescrit par le type de nettoyage express qui est entre 6 et 9 minutes.

Les critères de qualité du point de vue individuel

Le nettoyage des avions ne tient pas uniquement dans le respect des temps d’intervention et l’application du cahier des charges, mais l’opérateur s’impose individuellement à lui-même des critères de qualité. Ci-dessous quelques exemples de critères recensés durant nos-entretiens :

Répondre aux représentations du client final (le passager) : l’ensemble des agents font part d’une «sensibilité particulière » à satisfaire le passager. Les agents se représentent le passager en faisant leur travail de nettoyage, ils essayent de faire de son siège un endroit propre avec un niveau de qualité satisfaisant quitte à faire plus que ce que prescrit le cahier des charges. Pour illustrer nos propos, ci-dessous un exemple : «…mon métier exige de moi de nettoyer tous les sièges de la même manière, tout le monde paye son billet au même prix…moi je ne comprends pas on nous demande de passer l’aspirateur dans l’allée centrale uniquement… ben vous avez déjà vu un passager manger dans l’allée centrale !!!! Là où c’est sale c’est sous le siège pas dans l’allée centrale… moi je ne comprends pas… moi en tout cas, je passe l’aspirateur sous le siège en sachant que je ne devrais pas mais… voilà tu ne peux pas le laisser comme ça…»

Une belle cabine : le nettoyage dépasse de loin les

tâches du cahier des charges. Le métier du nettoyage glisse d’une prestation « d’enlever la saleté » vers une « présentation » de la cabine de l’avion. La qualité du nettoyage convoque chez les agents de nettoyage une volonté de mettre en harmonie les composants de la cabine de l’avion afin d’offrir un « beau » paysage. A titre d’exemple, une « belle cabine » passe par un croisement des ceintures d’une manière droite vers l’avant. Cette pratique n’est pas prescrite, mais elle est adoptée par tous les agents. Ainsi, une belle cabine passe par le « paysage » des ceintures croisées dans le même sens formant une ligne droite. « Un nettoyage de qualité…c’est beau… c’est quand tu la regardes (la cabine de l’avion) tout est droit, tout est à sa place, les ceintures bien tirées, bien droites toutes dans la même ligne… ».

Ces tentatives de correction de la qualité entrent en

contradiction avec la qualité prescrite et les temps imposés. Par conséquent, cette situation laisse les agents de nettoyage dans des conflits d’arbitrage entre ces différents critères qui « apparaissent comme contradictoires ».

Les critères de qualité du point de vue du collectif

Nous avons constaté dans le métier du nettoyage une activité collective qui convoque des règles collectives (Caroly, 2010). Ci-dessous quelques exemples qui illustrent ce point :

Terminer tous en même temps : les équipes s’imposent à elles-mêmes une disposition à l’intérieur de l’avion qui leur permet de terminer leurs tâches au même moment. « … dans mon équipe on doit tous terminer en même temps, on se répartit les sièges d’une manière à terminer en même temps … Par exemple l’aspirateur, tu ne peux pas le passer si tu n’as pas nettoyé les sièges… (Il jette les miettes des assises par terre) … Celui qui va faire l’aspirateur fait un peu les sièges pour avancer ses collègues et il ne doit pas gêner … Puis il décroche pour aller faire l’aspirateur et terminer tout en même temps. »

Tourner (rotation) : plusieurs équipes s’imposent

d’elles-mêmes la règle de « tourner à l’intérieur du vol ». Cela veut dire que l’agent qui a fait l’aspirateur sur le vol précédent fera les toilettes sur le suivant, et sur le prochain il fera les sièges, et ainsi de suite. "S’il y a un nouveau qui intègre l’équipe avant de monter dans l’avion j’explique les règles. Mes règles sont faites de manière qu’il n’y ait pas de discrimination, tout le monde soit traité de la même façon et on travaille vraiment en équipe !" (La chef d'équipe insiste sur le terme « équipe »… « Chacun tourne dans l’avion comme ça tout le monde fera les mêmes choses… » Les aléas d’exploitation

En plus des exigences de qualité organisationnelle et des critères des bénéficiaires, les agents de nettoyage doivent répondre aux aléas rencontrés durant leur vacation. Les moyennes du temps « perdu » par jour à cause des aléas sont représentées ci-dessous:

Figure 5 : une représentation graphique des moyennes du

temps « perdu » par jour Ci-dessous les explications des aléas les plus

significatifs : Attente débarquement : la présence de

personnes qui nécessitent une assistance ou une civière prolonge le temps de débarquement. Cela oblige les agents de nettoyage à rester au pied de l’avion en attente de la fin du débarquement.

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Tractage : l’avion est tracté en plein milieu du nettoyage ce qui oblige les équipes à arrêter le nettoyage, à redescendre et à suivre l’avion avant de pouvoir continuer le nettoyage. Pas de lumière à bord de l’avion : en plus de la

non-visibilité au niveau de la cabine de l’avion, les agents ne peuvent pas brancher l’aspirateur. Des stratégies pour répondre aux différents critères de qualité

Les agents de nettoyage se trouvent confrontés à une triple pression : une pression relative aux aléas d’exploitation, aux demandes spécifiques du personnel navigant et au mode d’évaluation de la qualité de leur travail. En fonction de ces conditions, les agents de nettoyage réélaborent les règles de fonctionnement et développent des stratégies : Des stratégies de négociation avec le

personnel navigant : afin de tenir l’ensemble des exigences, les agents de nettoyage essaient de négocier la prestation à effectuer (exemple : aspirer l’allée centrale mais ne pas nettoyer le galley8). Des stratégies de négociation avec le

régulateur : les agents de nettoyage essaient de négocier des temps supplémentaires afin de répondre aux différents critères. Prendre sur soi : les agents changent leur

manière de faire afin de tenir l’ensemble des exigences et des critères de qualité. A titre d’exemple, le nombre de sièges à traiter est un moyen de régulation pour les agents de nettoyage. Les agents les plus jeunes et les plus rapides nettoient plus de sièges qu’un agent dont la santé est moins favorable DISCUSSION

En l’état actuel de nos réflexions, notre discussion s’articule autour de trois points : la définition de la qualité réelle, le lien entre la qualité réelle et la santé, pour terminer par le lien entre la qualité réelle et l’organisation. La qualité réelle

Un nettoyage de qualité dépend de la capacité à intégrer les critères mentionnés ci-dessus. Ces critères prennent une forme « de sensibilité particulière » spécifique à chaque agent de nettoyage. En fonction des situations et des aléas aéroportuaires, le choix de ces critères se trouve modifié, afin de répondre au mieux à la situation. Les agents de nettoyage passent d’un nettoyage basé sur des critères considérés comme stables vers un nettoyage basé sur un arbitrage entre de nombreux critères : certains sont liés à la prescription (cahier des charges), d’autres sont ajoutés par eux-mêmes, d’autres encore sont imposés par les différents bénéficiaires, tout en prenant en compte les aléas de la situation de travail.

8 Le galley dans un avion est l'endroit où l'on réchauffe les plats

servis aux passagers.

Cela étant dit, la qualité réelle est déterminée par l’ensemble des critères de qualité que nous avons identifiés lors de notre étude à savoir : qualité prescrite, qualité du point de vue individuel, qualité définie par le collectif et qualité attendue par le bénéficiaire. Ainsi, le résultat de la qualité réelle n’est pas connu d’avance, mais dépend étroitement de l’arbitrage réalisé par l’opérateur dans l’activité réelle (les conditions de travail, les aléas, l’état de santé dans lequel se trouve l’opérateur…).

La qualité réelle et la santé

Nous définissons la santé dans le sens d’un processus dynamique, la santé comme la «capacité d’agir» (Hubault, 2009). « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité, de porter des choses à l’existence et de créer entre des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi » (Canguilhem, 1966 et Clot, 1999), Dans cette conception de la santé, l’activité devient le moyen de développer sa santé et donc de s’épanouir. C’est ce que Hubault appelle l'approche «constructiviste» du travail : « est « saine », l’activité, la situation, l’organisation… qui «fait du bien », à soi, aux autres, au monde, au système que tout cela compose dans et par l’action du travail » (Hubault, 2009). L’activité devient le carrefour, le chemin pour atteindre un travail de qualité, et le développement de sa santé.

De ce fait, la santé des opérateurs dépend de leur

capacité à tenir l’ensemble des dimensions de la qualité afin de se reconnaitre dans ce qu’ils font et de répondre à leur sensibilité au monde. Ainsi, l’impossibilité (ou la difficulté) de tenir l’ensemble des critères et dimensions sur lesquels se règlent la «qualité réelle» dans l’activité «explique en partie» les problèmes de santé. Ci-dessous deux exemples : Une souffrance dans l’arbitrage : le processus

d’arbitrage tel qu’il est illustré durant notre recherche est multicritère (critère individuel, collectif et le client). Or, le plus souvent, les salariés sont confrontés à une forme d’isolement, portant seuls la responsabilité de la décision et de sa conséquence. Ce ne sont pas les arbitrages qui pèsent en tant que tels sur la subjectivité des salariés (Du tertre & Blandin, 2001), mais les situations de solitude (les critères de qualité mal définis) dans lesquels se trouvent les salariés pour effectuer les arbitrages et le fait d’en porter la responsabilité. La non reconnaissance : la production d’une

qualité réelle met en jeu des dimensions subjectives, qui ne peuvent pas être mesurées par les outils d'évaluation actuels. Le mode de contrôle « conforme – non-conforme » reste un mode d’évaluation éloigné de la réalité, il ne prend en aucun cas compte du contexte dans lequel l’avion était nettoyé. Cette situation laisse les agents dans une sensation de non-reconnaissance de leur travail réel (Dejours, 2003). En parallèle les agents se trouvent dans la sensation

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d’être entre « le marteau et l’enclume ». En effet, les différentes exigences peuvent être dans certain cas contradictoires : faut-il privilégier la qualité ou la rapidité ? Autrement dit, faut-il prendre le temps de faire un nettoyage de qualité ou bâcler le travail pour terminer dans les temps ?

La qualité réelle et l’organisation

Améliorer la qualité réelle dépend de la capacité de l’organisation à prendre en compte l’ensemble des dimensions de la qualité « réelle » qui sollicite explicitement la subjectivité individuelle et collective des agents et des clients. Autrement dit, développer la qualité réelle dépend : De la prise de conscience des organisations de

l’existence d’une hétérogénéité au sein même de la qualité. Cela suppose de s’éloigner de la vision de l’ingénieur qui tend à une forme d’homogénéisation des critères de la qualité. De la flexibilité de l’organisation, qui dépend

elle-même principalement des stratégies collectives et de leur capacité à anticiper les aléas. Des marges de manœuvre offertes aux

opérateurs afin de faciliter l’arbitrage entre les différents critères de qualité. Des espaces de débat mis en place afin de se

mettre d’accord sur la définition d’ : « un nettoyage de qualité ». De la capacité des procédures d’évaluation à

prendre en compte les raisons qui ont conduit à la « qualité réelle ». Autrement dit, l’évaluation nécessite de chercher à comprendre les conditions réelles dans lesquelles s’inscrit l’arbitrage.

La réflexion portée sur la qualité réelle invite les

organisations à redéfinir le périmètre du travail réel des opérateurs. De fait, travailler c’est s’inquiéter de toutes les formes du réel qui se cachent dans la réalité, pour les exploiter. Et s’inquiéter donc des occasions (positives ou négatives) que porte l’événement qui les fait émerger (Hubault, 2013). CONCLUSION

Nous avons vu que la qualité réelle du travail demeure « doublement instable » dans une activité de service. La première déstabilisation de la qualité réelle résulte du débat de normes qui existe entre la qualité prescrite par l’organisation (cahier des charges, labellisation, norme…), la qualité du point de vue individuel et la qualité du point de vue du collectif. La deuxième déstabilisation est due à la place du bénéficiaire avec des attentes et une représentation d’une qualité qui lui sont spécifique. La présence du bénéficiaire conduit l’activité de nettoyage vers une relation de service, dans laquelle le travail repose fortement sur ces dimensions communicationnelles (Valléry et Leduc, 2005).

Le management de la qualité tel qu’il est fondé actuellement est basé sur des normes de prescription définies par avance et données à l’opérateur pour

réaliser son propre travail. Puis, le résultat du travail est soumis à un système d'évaluation et de contrôle « conforme / non-conforme » qui ferme toute possibilité de débat, d’échange sur la qualité réelle du travail. Une telle organisation de la qualité ignore l’existence d’une hétérogénéité des approches au sein même de la qualité.

La qualité « doit » se rapprocher davantage d’une

approche qui aide à nommer les tensions et cherche les confrontations et les débats comme autant de ressources pour la co-constuction, la coopération des critères de qualité communs. Autrement dit, la qualité a besoin d’espaces dans lesquels l’ensemble des critères de qualité font l’objet de débat, voire de « disputes » (Clot, 2010) dans le but de stabiliser les critères de qualité en prenant en compte le sens qu’ils ont pour chaque acteur. L’objectif est que chacun se reconnaisse dans ce qu’il fait et par conséquent, trouve des ressources dans l’activité pour développer sa santé.

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Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris P.U.F.

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