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Une sélection de textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée - Médecine Traditionnelle énergétique Chinoise
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Wu shen 1
LES ESPRITS1
LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LA PENSÉE CHINOISE CLASSIQUE
La notion de shen 神 , habituellement traduite par “esprits”, est complexe et multivalente. Elle revêtdes significations différentes selon son évolution au cours du temps comme selon les contextes oùelle se trouve employée. Ainsi les nuances seront importantes entre l’emploi de shen 神 en philoso-phie, dans les textes religieux, dans la théorie de la médecine, dans les usages populaires ...
Si l’on remonte à l’origine, on trouve le caractère shen 神 employé dans les inscriptions sur bronze,comme dans les textes les plus anciens, avec le sens des esprits des ancêtres : les puissances qui sont“au Ciel” et qui exercent un pouvoir “en bas” sur leurs descendants. D’où l’usage du caractère shen神 pour les esprits du Ciel, par opposition par ex. aux esprits de la Terre (gui 鬼 ). On a donc shen 神, les esprits, des “divinités”, des êtres dotés d’une puissance divine, exerçant leur influences sur leshommes et la nature entière. Leur pouvoir est merveilleux, prodigieux, miraculeux, subtil et imper-ceptible. On constate le résultat de la présence des esprits; mais on ne peut pas expliquer comment ilsopèrent, puisque la nature même de leur pouvoir est céleste, vient d’un ordre “supérieur”. On ne peutdonc pas expliquer leurs opérations par la logique des raisonnements humains; on ne peut pas inté-grer leur puissance à l’expression duelle qui est celle du monde sous le Ciel. D’où leur définition
dans le Xici2 : “Ce que le Yin/Yang ne peut sonder, ce sont les esprits.”
Leur action ne peut être qu’excellente et parfaite, puisque céleste. Elle est donc toujours et par défi-nition expression de l’ordre de l’avènement et du déroulement de la vie dans le monde, de l’ordrenaturel qu’on appelle aussi le Ciel (tian 天 ).
Les esprits sont donc l’animation céleste en tout être. Ils sont l’ordre sacré de la vie dans chaque phé-nomène naturel comme dans les affaires humaines. On a ainsi des esprits pour tous les lieux ouforces naturels comme pour les parties de la maison, pour les maladies ou le bonheur; il y a ceux quiprésident aux naissances ou aux mariages, ceux qui patronnent tous les corps de métiers, qui pro-tègent les Lettrés ou les prisonniers ... Ils président à toutes les activités de la nature et de l’homme.
Les esprits dans la nature
Les esprits sont partout : divinité de la montagne ou de la rivière, du feu ou du bois, des céréales oudes nouvelles pousses, du tonnerre ou des nuages, de la peste ou de la sécheresse, de la scarlatine oude la variole, du bonheur ou de la richesse, des portes ou de l’âtre, des puits de sel ou des digues, dela tuile du toit ou des latrines, du Foie ou des yeux, de l’Estomac ou du cerveau, ....
On peut regarder les esprits comme des fonctionnaires divins, des serviteurs du Ciel, des garants del’ordre naturel. Ce n’est pas dépréciatif que d’être les employées de la vie, d’avoir pour charge degarder les souffles dans le courant de la vie, d’en diriger les manifestations, de telle sorte qu’elles ne
dévient pas de ce qu’elles doivent être, mais suivent leur nature conférée à l’origine.3
1.Cette présentation est loin d’épuiser le sujet et d’étudier toutes les facettes de la notion de shen 神 . Elle explore sim-plement quelques aspects qui éclairent son usage dans les grands textes de la théoies médicale.
2.Ou Grand Commentaire du Livre des Mutations, rédigé vers les IV, IIIè siècles avant l’ère chrétienne.
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Le génie du fleuve fait couler le fleuve vers la mer; l’esprit d’un élément, comme le Feu, fait que lefeu monte et flambe, réchauffe et diffuse; la divinité de la sécheresse la fait arriver quand les circons-tances la provoquent, l’esprit des portes contrôle ce qui passe par elles ... Chaque esprit fait en sorteque tout fonctionne selon sa nature propre.
Les esprits en l’homme
Les esprits descendent du Ciel et peuplent le monde qui entoure l’homme; mais ils pénètrent aussidans les êtres et contrôlent en l’homme tous les mouvements de sa psychologie comme de sa physio-
logie. Dès le Zuozhuan1, on trouve, pour shen 神 , le sens de très intelligent;un homme “spirituel” estéclairé, de l’intérieur, par ces puissances célestes; c’est un être inspiré et merveilleusement sage.
Les esprits sont donc des puissances extérieures, qui existent en elles-mêmes comme agents du Ciel,capables de protéger les humains, ou de leur nuire. Mais ils peuvent aussi pénétrer leur corps et êtreprésents dans le centre de la personne et de la personnalité qu’est le Cœur, ainsi que dans tous lesorganes et toutes les parties de l’organisme. La question se pose alors de savoir si ces esprits des-cendent en un être par une sorte de volonté du Ciel ou bien si leur présence en un homme est le résul-tat d’un travail d’intériorisation qu’il effectue de son propre chef. Le travail intérieur par lequel onsuscite en soi les esprits est déjà le sujet central d’un texte de la fin du IVè siècle avant J..C., le cha-pitre Neiye du Guanzi. On peut même en arriver à se demande si les esprits propres d’un homme ontune existence réelle en dehors du corps de cet homme et des essences qui le composent.
L’expression “essences-esprits” jingshen 精神 désigne l’esprit vital de l’homme, où les esprits sontindissociables de ses essences. Les esprits animent les essences, si elles sont assez pures et subtilespour se laisser pénétrer par eux. La puissance qu’ils peuvent déployer en un humain est fonction dela qualité des essences que celui-ci est capable de maintenir et renouveler en lui; c’est dire que la pré-sence des esprits dans un humain et la capacité à contrôler les opérations de la vie est fonction de laconduite de cet homme : s’il sait ou non se rapprocher de l’ordre naturel dans ses activités physiquescomme dans son équilibre mental et affectif. Se rapprocher de l’ordre naturel, c’est se laisser habiterpar les esprits pour se conformer au Ciel. Ainsi, il dépend de l’homme de se mettre sur la voie del’intériorisation des esprits; cette orientation intérieure le conforte de plus en plus dans l’ordre natu-rel qui est le déploiement optimal de sa propre vie; on dit alors que les esprits, qu’il a su attirer et gar-der, le gardent de tout mal, tant qu’il maintient, par le calme intérieur, la qualité nécessaire desessences. Cependant il n’y a aucun déterminisme absolu; les esprits sont volatiles; l’homme ne peutque se conformer, dans la mesure de ses possibilités, à l’ordre naturel; mais comme il ne peut lepénétrer entièrement, à moins d’être parvenu au stade ultime où il ne fait qu’un avec cet ordre, où ilest devenu céleste, où il s’est incorporé à la Voie, il y a toujours de bonnes chances pour que des fluc-tuations existent dans sa conduite. Les esprits ne se gardent pas comme si l’on pouvait les tenir ou lesenfermer; ils vont et viennent, c’est leur mouvement caractéristique. L’homme ne peut garder que savigilance à ne pas commettre d’erreurs qui sèmeraient en lui l’agitation et troubleraient la limpiditéde ses essences.
3.Il peut certes y avoir des conflits d’autorité. Par exemple quand telle divinité est condamnée ou bannie par un hautfonctionnaire, comme représentant un culte illicite. Mais, en ce cas, deux ordres du monde s’opposent, tous deuxnaturels : l’ancien, dont la divinité condamnée se prévaut, et le nouveau instauré par le Fils du Ciel, l’Empereur dequi le haut fonctionnaire tire son autorité.
1.Commentaire de la Chronique des Printemps et Automne (Chunqiu), sans doute rédigé vers les V-IVè siècles avantl’ère chrétienne, et remanié autour de l’ère chrétienne.
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“Les esprits prennent vie de Ce qui n’a pas (de forme wu 無 ) et les formes (les corps, xing 形 ) sont
achevées par Ce qui a (forme you 有 )1 . ... Ainsi dit-on : les esprits envoient (activent) les souffles(shen shi qi 神使氣 ) et les souffles déterminent les formes. Ces formes ont des principes d’organisa-tion (li 理 ) qui déterminent leur espèce, et par les espèces on les classe. ... Le Sage se fonde sur lesesprits pour les rendre présents (en lui). Bien qu’il ait en lui le merveilleux, il doit accomplir ses dis-
positions propres (qing 情 )2 . Celui qui va au cœur de la Voie glorieuse (de splendeur) a l’illumina-tion (ming 明 ) . Celui qui n’a pas le cœur d’un Sage pour accèder à l’intelligence (cong ming 聰明 ),comment pourrait-il rendre présents en lui les esprits du Ciel Terre et accomplir les dispositions natu-relles attachées à sa forme ? Les esprits : les êtres les reçoivent, mais sans en avoir conscience (zhi 知); ils vont et viennent (qu lai 去來). C’est pourquoi le Sage est dans la crainte et désire les rendre pré-sents en lui. Son seul désir étant de garder leur présence, les esprits se rendent présents en lui. S’il
désire ainsi leur présence, c’est que rien n’est plus précieux.” (Shiji, fin du ch.25)3
On peut comprendre ces allées et venues comme l’arrivée et le départ de puissances extérieures; cer-taines situations sont clairement liées à des pratiques de type shamaniste et il y a des phénomènes depossession par la divinité, de transe. Mais, dans les textes philosophiques et dans ceux de la théoriemédicale, il s’agit plutôt d’état de conscience : on expérimente ou on n’expérimente plus, ou moinsintensément, l’état où l’on se sent un, unifié, inspiré, en accord avec les grands mouvements de lavie en soi, autour de soi, dans la nature et le cosmos. La vision que l’on a des évènements et des êtresest plus ou moins claire, va plus ou moins “de soi”.
Les esprits, la présence des esprits est alors un “état d’esprit” qui induit un “état de corps”; car la pré-sence des esprits est intelligence et sagesse, mais elle est aussi splendeur du corps, éclat de la santé.
Les esprits ne sont pas quantifiable (nous verrons plus loin la question de leur nombre); ils ne sontpas non plus altérables. Ce sont des agents à qui l’on donne ou non puissance d’action et de contrôle.
Les esprits, shen 神 , n’appartiennent pas à la personne qu’ils habitent, et cependant ils font partied’elle par l’esprit vital (jing shen 精神 ); ils sont sa lumière intérieure, sa perception, son intelligence,sa conscience et son savoir-faire. Ils sont ce par quoi un être humain a une conscience et un savoird’homme, une intelligence qui n’est pas seule habileté mais pénétration de la réalité vivante. Sans lesesprits, un homme n’est pas vraiment un être humain; il est fou ou inhumain. Son corps ne connaîtque l’épanouissement animal de la substance travaillée par les souffles. Le fou peut ainsi jouir d’unesanté quasi parfaite; mais on ne le considèrera pas comme vraiment “sain” et son manque d’intelli-gence le mettra en danger. Quant à celui qui se livre à ses passions, gâtant ses essences, générantl’agitation et l’affairement, il rend inopérant les esprits et en subit les conséquences dans son mentalet dans son corps.
“L'homme pris par la démence, s'il ne peut éviter de tomber dans l'eau ou le feu, s'il choît dans lefossé ou le canal, croyez-vous que ce soit par manque de corps (xing 形 ), d'esprits (shen 神 ), desouffles (qi 氣 ) ou de vouloir (zhi 志 ) ? Non. C'est qu'il en fait un usage aberrant. Ils ont désertésleurs postes de garde (shou 守 ), ils ont abandonné leurs demeures, celles de l'extérieur (wai 外 ) et
1.Pour dire que les esprits proviennent du mystère originel, là où s’enracine le déploiement de la vie. Quand Ciel et Terrese constituent, que les souffes Yin et Yang s’entrecroisent, les esprits sont là pour diriger toutesles opérations. “Lemystère profond (qui est originel, xuan 玄 ) produit le esprits.” (Suwen 5)
2.L’homme a, par nature, ce qui lui donne accès au mystère originel, au Ciel. Mais il doit suivre la voie qui y mène - ouramène - en fonction des caractéristiques de sa nature propre.
3.Mémoires Historiques de Sima Qian, ouvrage composé un siècle avant l’ère chrétienne.
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celles de l'interne (nei 內 ). C'est une situation où le mouvement et l'arrêt ne reposent plus sur rien, oùl'activité et le repos ne sont plus centrés (zhong 中 ). Sa vie durant, il déplacera un corps (xing 形 )handicapé par des chemins tortueux et des voies raboteuses, trébuchant au milieu de trous pleins defange et d'ordure. Venu au monde équipé comme tout un chacun, il n'en est pas moins moqué etméprisé par les gens. Pourquoi donc ? Parce que le rapport de son corps (xing 形 ) aux esprits (shen神 ) est perdu.Or donc, quand les esprits règnent en maîtres (zhu 主), le corps suit et l'on prospère; et quand le corpsimpose sa loi (zhi 制 ), les esprits suivent et l'on se dégrade. Les hommes aux appétits voraces et auxpassions dévorantes couvent la puissance d'un regard plein d'envie; fascinés qu'ils sont par les titreset les positions; ils n'ont qu'une ambition : dépasser les autres par leur habileté et s'installer sur leshauteurs de la société. Avec ce résultat que leurs essences et leurs esprits (esprit vital, jing shen 精神 ) diminuent tous les jours un peu plus, s'égarent toujours plus loin. C'est un débordement prolongésans espoir de retour; le corps fermé et le centre inaccessible, les esprits ne trouvent plus par où péné-trer. Alors les gens éprouvent, à tout instant, les effets désastreux de leur aveuglement et de leurextravagance.” (Huainan zi, ch.1)
On pourrai dire que shen 神 c’est ce qui fait que l’on a conscience. Qu’est-ce “avoir conscience” ?sinon de se voir à sa place dans l’univers et de voir l’univers dans sa réalité. Cependant, la penséechinoise, principalement sous l’influence du Taoïsme, préfera dire ÊTRE à sa place dans l’univers etpercevoir l’univers dans sa réalité, car le but ultime de la vie n’est pas de regarder mais d’appartenir.La contemplation est une immersion, où l’on ne voit plus rien, ne sait plus rien, où toutes les distinc-tion s’abolissent. Cela seul permet de rester dans le mouvement de la vie, par incorporation, qui estun abandon de la conscience claire et de la pensée discursive, mais une plénitude d’esprit.
LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LES TEXTES MÉDICAUX
L’usage de la notion de shen 神 , esprits, dans la théorie médicale s’appuie principalement sur savision dans les textes philosophiques. Ainsi ils sont présentés comme la vie même d’un homme, cequi le rend sain de corps et d’esprit.
“Posséder les esprits, c’est le resplendissement (de la vie). Perdre les esprits, c’est l’anéantissement.”(Suwen 13)
C’est ainsi qu’on peut dire que les esprits sont le Ciel (le naturel) en moi, ils sont les guides de la viequi se déroule en conformité avec sa nature propre, originelle, conférée par le Ciel.
Quand une vie est bien réglée, quand tous les souffles accomplisssent parfaitement leurs activitéspropres, au bon endroit, au bon moment, selon le rythme juste - ce qui est la même chose que de direque les Cinq zang accomplissent parfaitement leurs fonctions - alors c’est la vie spirituelle.
“Les Cinq saveurs pénètrent par la bouche et sont thésaurisées par les intestins et l'estomac; lessaveurs sont thésaurisées dans les zang, pour en entretenir les Cinq souffles. L'harmonieuse compo-sition de ces souffles fait vivre; les liquides corporels denses et légers (jin ye 津液 ) se complètentparfaitement, et les esprits (shen 神 ) alors font vivre, naturellement.” (Suwen 9)
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La lumière des esprits
Les esprits qui guident la vie ne sont pas un simple mécanisme, mais une lumière. Cette lumière estun éclairage qui permet la connaissance, la compréhension de ce qui seul importe, c’est-à-dire de cequi fait vivre. Comme le seul savoir faire qui compte est de “savoir vivre” et savoir comment entre-
tenir sa vie1, la seule connaissance qui vaille est celle qui éclaire sur l’ordre naturel de la vie et quipermet d’y adhérer de tout son être; ce n’est pas la connaissance qui vient d’un savoir accumulé,d’une pensée discursive, d’une analyse, mais celle qui est l’adhésion au mouvement vital jusqu’à ladernière fibre de son être.
“Le Yin/Yang est la Voie du Ciel/Terre, corde maitresse et mailles des Dix mille êtres, père et mèredes changements et transformations, enracinement et commencement de la vie et de la mort,demeure pour le resplendissement des esprits (shen ming 神明 )” (Suwen 5)
Quand les esprits sont au contrôle, ils activent les souffles en fonction de l’origine, de la naturepropre de chacun et de l’ordre sacré de la vie. La réaction à toutes les circonstances est alors parfaite-ment appropriée et juste; rien ne perturbe le déroulement de la vie.
“La Voie est dans l’unité et les esprits impriment un mouvement de rotation sans jamais revenir enarrière. S’ils revenaient en arrière, ils n’assumeraient plus les rotations, ce serait la perte du méca-nisme (subtil de la vie, ji 機 ).” (Suwen 15)
“Le corps abrite la vie, les souffles en sont l'abondance, les esprits la dirigent. Une des entités perd-elle sa position, les trois en pâtissent.” (Huainan zi, ch.1)
Quand, chaque organe, chaque sens, chaque instance fonctionne parfaitement, rien ne s’oppose à laprésence des esprits; ce qui renforce la perfection du fonctionnement procurant force et santé et cequi, en même temps, donne l’acuité et l’adéquation convenables, appropriées au fontionnement desorganes des sens et du mental. C’est l’illumination, l’état spirituel, tel qu’il est présenté en Huainanzi ch.7 :
“Sang-et-souffles (xue qi 血氣 ) peuvent-ils se concentrer dans les Cinq viscères (zang) au lieu de serépandre au dehors, poitrine et ventre se remplissent alors en totalité, les désirs et les convoitisesperdent alors toute leur force. Poitrine et ventre étant entièrement pleins, désirs et convoitises étantréduits à rien, l'œil et l'oreille sont clairs, la vision et l'audition pénétrantes. Une telle perfection dansl'atteinte de leur objet par les sens, c'est cela l'Illumination (ming 明 ). Les Cinq viscères peuvent-ilsse placer dans la dépendance du cœur et ne pas s'en écarter, quelle que soit l'exhaltation du vouloir(zhi 志 ), la conduite ne dévie pas. Ainsi, les esprits vitaux (jing shen 精神 ) surabondent et rien ne sedissipe des souffles. Abondance d'esprits, plénitude de souffles, tout est ordonné, équilibré, compé-nétré : C'est l'Etat spirituel (shen 神 ). L'Etat spirituel rend parfaite la vision, parfaite l'audition, parfait l'accomplissement : Les tristesses etles soucis ne peuvent plus nous assaillir, les souffles pernicieux (xie qi 邪氣 ) fondre sur nous àl'improviste.”
1.cf Lingshu 8, Les Mouvements du cœur : “Le savoir-faire c’est l’entretien de la vie”.
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Accueillir et garder les esprits
Comment attirer les esprits du Ciel ? Comment les garder afin qu’ils nous gardent ? En réglant sa vieà l’aide des esprits qui sont déjà présents en soi, afin de renouveler des essences de la qualité propreà l’espèce humaine.
“Les souffles grossiers (fan qi 煩氣 ) forment les animaux; les souffles légers et subtils (jing qi 精氣), les hommes.” (Huainan zi, ch.7)
Il y a plus d’esprits célestes dans un humain qu’en n’importe quel autre être, à cause de la qualité deses essences. Mais l’humain doit maintenir cette qualité, sinon, il perd les esprits en les rendant ino-pérants, et alors il perd sa vie. En maintenant la qualité des essences, les esprits continuent d’être atti-rés; et parce qu’ils sont plus nombreux ou plus présents, les essences sont riches et pures. C’est doncbien les essences qui permettent la présence des esprits.
“Que des vivants (sheng 生 ) surviennent dénote les essences (jing 精 ). Que les deux essencess’étreignent dénote les esprits (shen 神 ).” (Lingshu 8)
Ces “deux essences” sont les essences des deux humains géniteurs, mâle et femelle, père et mère,racine des essences dite du Ciel antérieur pour le nouvel être. Mais c’est aussi les esssences du Cielpostérieur se renouvelant sur le modèle originel des essences du Ciel antérieur.
Comment renouveler les essences du Ciel postérieur en gardant la qualité innée du Ciel antérieur ?1
En évitant tout ce qui dérange et trouble l’activité régulière des souffles, qui travaillent en perma-nence sur les essences; c’est-à-dire en évitant les émotions et passions, les désirs inappropriés, lesexcès de chaud ou de froid, de fatigue ou de relations sexuelles .... En travaillant, dans son corps etson mental, tout ce qui préserve le rythme normal des souffles, leur permettant d’assimiler et detransformer les essences de façon à ce qu’elles soutiennent la présence des esprits.
“Intestins et estomac étant alternativement vides et pleins, les souffles montent et descendent (qi deshang xia 氣得上下 ), les Cinq zang sont stables et paisibles, sang et souffles (xue qi 血氣 ) sont har-monieusement composés et circulent aisément (he li 和利 ) et l’esprit vital (jing shen 精神 ) alorsreste à demeure. Ainsi donc, les esprits (shen 神 ) ce sont les essences-souffles (jing qi 精氣 ) prove-nant des aliments solides et liquides.” (Lingshu 32)
Toutes les techniques sont bonnes : diététique, gymnastique, respiration, méditation ... à conditionqu’elles n’aient d’autre visée que l’adhésion au mouvement de la vie pour lui-même et qu’elles pré-servent et confortent le calme intérieur.
L’essentiel dans l’usage des aiguilles ( 用鍼之要 ) réside dans la connaissance de la régulation du yinet du yang ( 知調陰與陽 ); quand on régule yin et yang (l’un par rapport à l’autre), alors les essenceset les souffles resplendissent ( 精氣乃光 ), on unit le corps et les souffles ( 合形與氣 ) et on fait ensorte que les esprits soient thésaurisés à l’interne ( 使神內藏 ). (Lingshu ch.5)
1.On appelle “Ciel antérieur” ou “Avant le Cie”l l’aspect théorique et constitutif de la réalité et de chaque être; les forcesqui président à l’apparition d’un être et qui demeurent activent tout au long de son existence en tant que fonde-ment et modèle. On appelle “Ciel postérieur” ou “Après le Ciel”, l’aspect expérimental et fonctionnel de la mêmeréalité; les forces vives renouvelées par l’individu (respiration , alimentation), tout l’acquis.
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Les essences
Au sens premier, jing 精 désigne les grains de riz décortiqués, la partie affinée du riz; par extensionquelque chose d’épuré, choisi, subtil, exquis, raffiné.
Les essences, pures et subtiles, sont les modèles de chaque vie (essences du Ciel antérieur) et la basede son entretien (essences du Ciel postérieur). Les essences rendent particulière une vie au sein de lavitalité universelle. Elles règlent les conditions de la vie pour chacun, de la naissance à la mort, del’apparition à la disparition. Un être reste lui-même au travers de toutes les mutations qu’il subit aulong de sa vie, car les essences assurent fidèlement cette continuité.
Leur relation à l’origine et à la continuité, ainsi que leur nature yin, les lient aux Reins :
“Les Reins …. sont le logis des essences. [...] “Les Reins thésaurisent les essences (jing 精 ).”(Lingshu 8)
Elles sont le matériau plein de vitalité qui tisse les vivants. Elles permettent aux substances de restervivantes, c’est-à-dire d’être transformées continuellement par les souffles.
Les essences de la dotation originelle (essences du Ciel antérieur) déterminent la qualité spécifiquede la substance humaine. Les essences du Ciel postérieur permettent l’élaboration, le développementet le maintien d’un être, par renouvellement selon les normes originelles de la nature propre.
“Homme et femme unissent leurs essences : les Dix mille êtres sont produits par transformations(hua sheng 化生 )”. (Yijing ou Livre des mutations – Xici)
“Les Essences sont l’enracinement (ben 本 ) d’un corps vivant (shen 身 )” (Suwen 4)
“Ce qui vient en premier (xian 先 ) dans la vie d’un être (dans une vie personnelle exprimé dans uncorps, shen sheng 身生 ), est appelé Essences.” (Lingshu 30)
Les essences passent d’un être à l’autre (par ex. l’alimentation); par décomposition de la matière quiles contient, elles sont assimilées dans un nouvel organisme (essences du Ciel postérieur); elles ygagnent, selon des affinités, les zang qu’elles régénèrent et où elles permettent la présence et lecontrôle des esprits. Elles sont travaillées et transformées en permanence par les souffles. En seconsumant, elles dégagent des souffles aux activités spécifiques; par assimilation, elles vitalisent lessubstances corporelles.
Les essences ne sont pas visibles en elles mêmes, mais rien de substantiel n’existe, ne prend forme etvie sans elles; on perçoit leurs qualités, leur abondance ou leur pénurie, dans chaque être vivant.Alors que le corps relève de la Terre, les essences relèvent du Ciel, car les essences sont alors l’initia-tive et le contrôle de l’expression vitale représentée par la forme corporelle.
“le Ciel par les essences (jing 精) et la Terre par les formes (xing 形), Le Ciel par les Huit régulateurs(du temps) et la Terre par les Cinq organisateurs (que sont les Cinq éléments), peuvent se comporteren père et mère des Dix mille êtres.” (Suwen ch.5)
Dans toute forme les essences sont donc ce qui donne la vie, ce qui manifeste le naturel, ce qui per-met aux souffles d’animer les corps et les substances. Tout l’entretien de la vie et l’accomplissementcorporel reposent sur les essences.
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“Les Essences (jing 精 ), dans tous les êtres, c’est ce qui en fait des vivants (sheng 生 ). En bas, ellesproduisent les Cinq céréales; en haut, elles font les étoiles bien rangées; s’écoulant (liu 流 ) à l’inter-valle entre Ciel et Terre, ce sont les esprits de la Terre et ceux du Ciel (gui shen); thésaurisées (cang藏 ) au centre de la poitrine, c’est l’homme saint (sheng ren 聖人 ). Et ainsi, voilà les souffles …. “(Guanzi – Nei Ye)
“Que des vivants surviennent dénote les essences” (Lingshu ch.8)
Il faut donc garder précieusement et activement les essences, ne pas les gaspiller, les perdre, lesdétèriorer, car alors on détruit la qualité des substances vitales : liquides corporels et graisses consti-tutives, sang et sperme, et même moelle et cerveau, os et chairs; on affaiblit et dénature la produc-tion en soi des souffles; on obscurcit la pensée et s’oppose à la présence des esprits.
L’esprit vital (jing shen 精神 )
L’association des essences subtiles et des esprits représente le plus haut niveau de la vie humain,l’humanité d’un homme. C’est la source de la connaissance, réflexion, pensée, moral, conduitemorale, droiture intérieure qui est aussi rectitude des mouvements du souffle...
Les Cinq zang qui forment le centre de la personne sont en charge de l’esprit vital, par oppositionaux Six fu, davantage tournés vers le côté matériel de la vie :
“L’homme recoit la vie par son sang-et-souffle (xue qi 血氣), ses essences-et-esprits (jing shen 精神 ,esprit vital), pour accomplir sa destinée en fonction de sa nature propre. [….]. Les Cinq zang sontpour thésauriser essences-et-esprits (jing shen 精神 ), sang-et-souffles (xue qi 血氣 ), Hun et Po ( 魂魄 ). Les Six fu sont pour transformer (hua 化 ) les liquides et céréales et faire circuler les liquidescorporels (jin ye 津液 ).” (Lingshu 47)
L’espirt vital (jing shen 精神 ) d’un homme, qui représente ses esprits propres, survit à sa dispari-tion, à la dissolution de la personne.
“Ainsi, les esprits légers et subtils (l’esprit vital, jing shen 精神 ) sont propriété du Ciel et l'ossaturecorporelle (gu hai 骨骸 ), propriété de la Terre. Les esprits légers et subtils (l’esprit vital, jing shen 精神 ) repasseront leur porte, les ossements retourneront à leur racine. Mais alors comment "moi" sub-sisterai-je à jamais ?” (Huainan zi, ch.7)
Cet esprit vital est personnel, spécifique à un être, car les essences sont les siennes et dépendent, pourleur qualité, de la conduite de sa vie. C’est ainsi que certains textes parleront de l’altération desesprits en un être. Cependant, on peut aussi considérer que, si les essences sont propres et sous la res-ponsabilité de l’homme qu’elles vitalisent, les esprits, en tant que messagers du Ciel, ne lui appar-tiennent pas. Ils sont sa vie, mais ne sont pas à lui. Il ne peut donc pas les altérer (contrairement auxHun et aux Po). Les esprits sont la puissance efficace, la “vertu” du Ciel, de l’ordre naturel de la vie.Ils sont attirés par la conduite de la vie, qui détermine la qualité des essences. Plus les esprits sontprésents, plus la conduite est naturellement correcte, et plus on accepte et désire leur présence. Ilssont les conducteurs du char de la vie. Le Cœur étant plein d’eux peut diriger la vie avec puissance etefficacité et tous les replis de l’être, tant physique que mental ou moral, sont pleins de leur présence.
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Les esprits ne sont pas l’âme, ou un principe de vie personnelle qui survivrait à la mort. Shen est dif-férent de Hun ou Po qui sont personnels. Les esprits sont partout là où est la vie, la Voie du Ciel, et ilsinspirent en fonction de la qualité des essences, en l’homme l’esprit vital (essences esprits, jingshen精神 ), par la subtilité et le raffinement des essences, donne accès à la conscience (zhi 知 ) qui est unsavoir faire/savoir vivre (zhi 智 ).
LES CINQ ESPRITS
Le nombre des esprits
Combien y -a-til d’esprits ? Un ? Cinq ? Cent ? 18 000 ? Les nombres qui leur sont attribués ne sontpas quantitatifs mais qualitatifs. Ils donnent une indication sur les esprits dont il est question.
Par exemple, les Deux esprits (er shen 二神) pourront être le Yin et le Yang, sous leur aspect de puis-sances productrices de la vie; les Trois esprits (san shen 三神 ) seront ceux du Ciel, de la Terre et del’homme ou des Pics sacrés, ou encore les esprits qui, dans le corps, habitent les trois champs decinabre; les Quatre esprits (si shen 四神 ) seront les divinités qui donnent leur qualité propre auxQuatre directions de l’espace. Les Six esprits (liu shen 六神 ) pourront être six catégories d’esprits àqui l’on offre des sacrifices (Quatre saisons, froid et chaud, soleil, lune, étoiles, sécheresse et inonda-tion) ou encore six esprits qui, dans le corps, animent Cœur, Poumon, Foie, Reins, Rate et VésiculeBiliaire. Cent esprits (bai shen 百神 ) sont une troupe d’esprits. Mais l’essentiel est exprimé par leproverbe : “Les myriades d’esprits ne font qu’un esprit” (qian shen wan shen dou shi yi shen 千神萬
神都是一神 ).
Cinq esprits (wu shen 五神 ) indique que les esprits sont à considérer au niveau de Cinq, distribués etparticularisés en chacun des Cinq zang, si l’on est dans un contexte corporel; dans un contexte plusgénéral, ce sont les esprits des Cinq éléments, des Quatre directions et du centre; ou encore les Cinqsouverains mythiques divinisés.
Cinq est le niveau de l’organisation de la vie, de la répartition des toutes les qualités et mouvementsde souffles qui font et maintiennent la vie. C’est une organisation qui est faite dans la conscience; un
essai pour gérer le multiple en gardant présent l’unité, qui est seule réelle.1
1.Il est normal que l’on ait des analogies entre les Cinq shen, l’expression des esprits par cinq, et les Cinq éléments. Il neserait cependant pas licite d’appliquer mécaniquement aux Cinq shen toutes les règles et cycles conçus pour les Cinq élé-ments (ainsi les cycles de domination ou d’engendrement). On ne peut appliquer mécaniquement toutes les règles desCinq éléments que quand on prend chaque notion, répartie en Cinq, comme représentant la qualité et le mouvement desouffles propres aux Cinq éléments; mais on renonce alors aux caractéritiques propres de ces notions. Il en va ainsi nonseulement pour les Cinq esprits, mais pour les Cinq saveurs, Cinq souffles atmosphériques... Il est stupide de dire que lesec domine le vent, sinon quand sec et vent représente le Métal et le Bois, comme il est faux de dire que l’humiditéengendre la sécheresse ou domine le froid, sinon quand ils représentent la Terre, le Métal et l’Eau. Quand on traite de cessouffles atmosphériques, on regarde leurs relations non seulement en fonction des Cinq éléments qui permettent de lesclassifier mais aussi en fonction de leurs interactions propres. Ou encore, la colère n’engendre pas l’allégresse et la tris-tesse ne domine pas toujours la colère. Ainsi on ne peut pas dire, en parlant des qualités spécifiques des Cinq esprits, quele Vouloir engendre les Hun ou que les Po dominent les Hun, autrement que pour dire que les Reins-Eau engendre leFoie-Bois ou que le Poumon-Métal domine le Foie-Bois.
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Le Cœur et les Cinq zang
“Quand mon Cœur règle bien (zhi 治), les charges (organes des sens, guan 官) sont aussi bien réglées(zhi 治 ). Quand mon Cœur est en paix (an 安 ), les charges (organes des sens) sont aussi en paix. Cequi règle, c’est le Cœur. Ce qui confère la paix, c’est le Cœur.
Le Cœur cache un Cœur. Au centre de ce Cœur, il y a encore un Cœur. Au cœur de ce Cœur, la dis-position intérieure (propos) précède les paroles, de la disposition intérieure procède la forme (xing形 ), de la forme procèdent les paroles, des paroles procède la mise en œuvre (shi 使 ), de la mise enœuvre procède la régulation (zhi 治 ). Sans régulation, on n’échappe pas au désordre (luan 亂 ), undésordre qui mène à la mort.
Quand, par la présence des essences, la vie se développe naturellement, l’extérieur (wai 外 ) montreune tranquille splendeur et à l’intime (nei 內 ) est précieusement gardé (cang 藏 ) ce qui procureune fontaine jaillissante, ainsi qu’un débordement harmonisé et équilibré qui procure une sourceabyssale de souffles. Source abyssale qui ne tarit pas et qui donne leur fermeté aux Quatre membres.Fontaine qui ne s’assèche pas et qui donne aux Neuf orifices leurs communications convenables,rendant capable d’aller au bout de ce nous présente le Ciel/Terre, de s’étendre aux Quatre mers. Aucentre (zhong 中 ), aucun désarroi dans le propos (la dsposition intérieure, yi 意 ); à l’extérieur (wai外), aucun pervers (xie 邪 ) portant nuisance.” (Guanzi, Neiye)
Le Cœur est un, l’Un, l’unité des Cinq zang. Les esprits du Cœur, puisqu’ils sont aussi l’Un, s’expri-ment à travers chacun des Cinq zang d’une manière spécifique. Les esprits étant le mouvement natu-rel propre à chacun des Cinq zang, vont avoir un expression spécifique qui va prendre un nomparticulier en chacun. Ce sont les Cinq expressions, manifestations des esprits ou les manfestationsdes esprits par et dans les Cinq zang.
“Oui, le Cœur est le maître des Cinq viscères (zang), il règle l'usage des Quatre membres, il fait cou-ler et circuler le sang et les souffles, il galope sur la frontière du oui et du non, il va et vient par lesportes et les ouvertures des Cent affaires.” (Huainan zi, ch.1)
Les Cinq esprits sont donc l’ordre naturel derrière le fonctionnement de chacun des Cinq zang. Onles répartit comme suit :
“Le Cœur thésaurise les Esprits (shen 神 )Le Poumon thésaurise les Po ( 魄 )Le Foie thésaurise les Hun ( 魂 )La Rate thésaurise le Propos (yi 意 )Les Reins thésaurisent le Vouloir (zhi 志 ) “ (Suwen 23)
La présentation la plus complète, dans les textes médicaux, se trouve en Lingshu 8 :
“Le Ciel en moi est vertu; la Terre en moi est souffles. La Vertu s'écoule, les souffles se répandent etc'est la vie.
Que des vivants surviennent dénote les essences et que les deux essences s'étreignent dénote lesesprits.
Ce qui suit fidèlement les esprits dans leurs allées et venues dénote les Hun et ce qui s'associe auxessences dans leurs sorties et rentrées dénote les Po.
Pour ce qui prend en charge les êtres on parlera du cœur. Que le cœur s'applique on parlera de proposet que le propos soit permanent on parlera de vouloir.” (Lingshu 8)
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Les esprits du Cœur
Esprits et Cœur ont une relation spécifique. Le Cœur, souverain et maître de la vie, est le “lieu” parexcellence de la présence des esprits, puisque mon Cœur est moi et que les esprits me permettentd’être moi.
“Le Cœur est l’enracinement de la vie (sheng zhi ben 生之本 ); changements et transformations desesprits (shen 神 ).” (Suwen 9)
Le Cœur est l’unité, le centre, l’harmonie du centre. Il n’a pas de forme en tant que centre; il est lalumière des esprits qui éclaire la conscience et la conduite, qui donne la joie de vivre, la joie du Ciel.Il se répand partout, est présent partout. Le liquide rouge, bien visible et tangible, du sang abritel’invisible présence des esprits, ls propagent partout, assurant la cohésion de l’être, perceptions etsensations, la sensibilité et la connaissance.
“Le Cœur (xin 心 ) a la charge du Seigneur et du maître (jun zhu 君主 ); le resplendissement desesprits (shen ming 神明 ) en procède. [...] Quand le maître répand sa lumière (zhu ming 主明 ), lesinférieurs sont paisibles; un tel entretien de la vie (yang sheng 養生 ) procure la longévité (shou 壽 ),de génération en génération, et l'Empire sous le Ciel resplendit d'un grand éclat. Mais si le maître nerépand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque fermeture et blocage desvoies, l'arrêt des communications; et le corps (xing 形 ) en est gravement atteint. Une telle façond'entretenir la vie est catastrophique.” (Suwen 8)
“Le Cœur est le grand maître (da zhu 大主 ) des Cinq zang et des Six fu; c'est là que demeurent lesessences/esprits (esprit vital, jing shen 精神 ). Quand ce zang est solide et ferme, les pervers (xie 邪) ne peuvent s'y mettre. Mais s'ils y sont, le Cœur est atteint; si le Cœur est atteint, les esprits s'envont et quand les esprits s'en sont allés, c'est la mort.” (Lingshu 71)
Quand tout fonctionne pafaitement, que tout se fait à la lumière des esprits, la conscience est éclai-rée, l’intelligence profonde, le jugement sain, le calme parfait, les perceptions exactes; le corps estrobuste, l’apparence splendide, la santé excellente ... C’est le resplendissement qui vient des esprits :shen ming 神明 .
Hun et Po, double expression du céleste et du terrestre
Il n’est pas possible de parler de ce qui fonde la conscience humaine, l’esprit humain, le mental ...sans parler, comme constituants, de ces deux sortes d’âmes, d’anima, d’animation.
Hun ( 魂 ) et Po ( 魄 ) sont liés à la Terre; ils portent les divinités de la Terre, gui 鬼 , dans leur carac-tère. Les gui 鬼 sont attachés à la Terre comme les forces animatrices qui en dépendent; ils sont par-fois dangereux ou même malveillants; ils peuvent aussi être dangereux parce qu’ils manquent de lalumière qui éclaire la conscience et la connaissance, puisqu’elles viennent du Ciel.
Hun et Po vivent en couple : leur union, c'est la vie; leur séparation, notre mort. Ils sont les deuxfacettes de la vie sur Terre; ils sont la dualité propre à toute expression de la vie. Dans un êtrehumain, une partie appartient, depuis le premier commencement, au Ciel, et une partie est définitive-ment liée à la Terre. Leur étreinte est la vie sur Terre :
“Les souffles célestes forment l’âme spirituelle (Hun), les souffles terrestres, l’âme corporelle (Po).Qu’ils fassent retour à leur demeure primordiale et chacune gardera son logis. Qui sait les retenir
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sans qu’elles s’échappent, s’identifiera au Grand Un dont l’essences fait corps avec le dao céleste.”(Huainanzi, IX, 23a, trad. Jean Levi, Pléiade, p.368)
“L'être humain est la vertu (combinée) du Ciel/Terre, L'entrelacement du Yin/Yang ( 陰陽 ), l'assem-blage des esprits de la Terre et du Ciel (gui shen 鬼神 ), le meilleur des souffles des Cinq éléments(wu xing 五行 ).” (Liji, Livre des Rites, ch. Liyun)
La part terrestre fixe l’humain dans un corps, une forme; ce sont les Po. La part céleste, qui s’élèvevers ce qui est subtil et clair, ce sont les Hun; mais les Hun doivent être inspirés par le Ciel, lesesprits, l’ordre naturel, pour ne pas devenir mauvais, nuisibles, car la clarté se sera retirée d’eux.Pour la même raison, les Hun doivent toujours dominer les Po.
Les Hun et les Po , au cours de la vie, se chargent de vitalité. La qualité de ce qui est absorbé par lesuns et par les autres crée une animation concrète dont la puissance n'est pas éteinte par la dissociationque la mort opère.
À la séparation, à la mort, chaque partenaire reprend son mouvement naturel : les Hun gagnent leshauteurs des cieux et les Po sortent par les orifices (en particulier inférieurs) et retombent vers le solet dans la terre. Les Hun resplendiront dans les hauteurs et les Po chercheront à s'assouvir dans lesprofondeurs. Puis Hun et Po auront disparu, refondus dans la puissance universelle où se modèlentles êtres.
Ainsi Hun et Po, qui, entre conception et mort, se conjoignent pour composer une existence, ont unesurvie.
Les Hun
Les Hun, mouvement yang, auront tendance à s'élever dans les hauteurs. Ils voyagent librement, per-mettent l’imagination et les rêves ou encore la randonnée extatique, le voyage hors du corps. Ils sontsans forme et ne sont donc pas prisonniers de la forme corporelle. Ils sont associés aux souffles, eux-mêmes sans forme, liés au Yang et au Ciel.
A la mort, on tente rituellement de rappeler les Hun du défunt. Après la mort, ils deviennent, au Ciel,les mânes glorieux, les ling hun 靈魂 , vénérés dans le culte des ancêtres.
Durant la vie, ils s'élèvent en intelligence, connnaissance, sensibilité, spiritualité, imagination, rêveset songerie, contemplation... Mais, pour ce faire, il leur faut un enracinement dans le Yin, qui lestienne fermement, empêchant l'accomplissement prématuré de leur élan vers le Ciel. Ils ont doncbesoin des Po pour rester présents en un être. Leur jonction les équilibre et les fait habiter l'être qu'ilscomposent, stabilisés par les souffles et le sang; ils se retiennent les Hun aux Po et les Po aux Hun,en se compénétrant.
A partir des Han, on parle de Trois Hun. Trois évoque les souffles, dont c’est le nombre par excel-lence. Certaines pratiques taoïstes utiliseront ces trois Hun pour représenter trois niveaux de la vieintérieure : spirituelle, mentale, émotionnelle.
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Les Po
Les Po, dont le mouvement est yin, auront tendance à s'enfoncer dans les profondeurs. Ils sont liés àce qui a une forme, au corps, au sang.
A la mort, ils retournent à la Terre, dont ils vont, du reste, en se décomposant et en disparaissant len-tement, renouveler la puissance :
"Les chairs et les ossements sont enfouis et deviennent comme la terre de champs." (Liji, Livre desRites, trad. Couvreur, II p.289)
Si ce retour ne peut pas s’accomplir, parce que les rites n’ont pas été respectés, parce que la mort aété violente et injuste ..., les Po deviennent des revenants qui hantent les vivants, en quête d’assou-vissement.
Durant la vie, les Po sont responsables de nos mouvents vitaux, des sensations, des réactions, despoussées instinctives. Le sensitif, le "végétatif", le corporel sont de leur obédience. L'enracinementsolide au Yang, qui les soutient, les complète, les harmonise, leur est nécessaire. Il empêche leurretour fatal à la Terre, en terre.
A partir des Han, le nombre traditionnel des Po est Sept, nombre des orifices supérieurs (sensoriels),des émotions, évocateur des désordre potentiels qui agitent la force vitale quand elle n’est pluscontrôlée, par ex. par le Yin/Yang et les Cinq éléments (dont le total est aussi Sept).
Hun et Po en médecine
En médecine, Hun et Po sont liés au Foie et au Poumon et habitent ces organes. Cette association secomprend à un premier niveau comme les grands mouvements opposés de montée et de descente,comme le soleil qui se lève à l’est (à gauche, correspondant au Foie) et se couche à l’ouest (à droite,correspondant au Poumon); ils sont donc l’expression du Yin/Yang en tant que dualité : haut et bas,subtil et compact, Ciel et Terre ...
Les associations aux organes revêtent d’autres aspects plus spécifiques à la médecine :
Le Foie, gorgé de sang, est le logis des Hun car le Yin fixe leur tendance volatile et le sang renforcele contact avec les esprits. Mental, imaginaire, rêves, pensée, émotions ... se trouveront donc associéfacilement aux Hun, au Foie, sous l’inspiration du Cœur habité des esprits.
C'est ainsi que le Foie les thésaurise. Le Foie est un zang mâle, exprimant la véhémence des effets duYang, mais qui s'origine dans les Reins (essences et moelles, "eau" des Reins); le Foie a une natureprofonde yin; il est le grand thésaurisateur, gardien du sang. Ce sang, qui porte déjà la marque ducœur et de ses esprits, fera, pour les Hun, un logis idéal, leur permettant un lieu de fixation, commeon propose un nid ou un perchoir aux oiseaux du Ciel. Réciproquement, les Hun participent à la qua-lité spirituelle du sang.
Les Hun sont, par analogie naturelle, liés à ce qui n’est pas substantiel dans le sang. Mais la subs-tance du sang les retient, agissant comme un Yin qui fixe le Yang.
Le Poumon, plein de souffles, offre une possibilité aux Po de ne pas tomber en terre; les souffles sontaussi les activités instinctives, les rythmes de la vie, la respiration ... qui ne se font pas parce qu’onen a conscience mais qui occupe tout le corps.
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C'est ainsi que le Poumon les thésaurise. Le Poumon est un zang femelle; il recueille, à la manière del'automne; mais il est également le maître des souffles, de leur distribution avec ses régulationscycliques, des rythmes instinctifs de la vie. Les souffles sont l'appui des Po, leur permettant des'exprimer en animant l'être.
Les Po ne sont pas liés aux souffles en tant que Yang céleste, puisqu’ils sont liés par affinité natu-relle à la substance, à la forme, donc au liquide sanguin. Mais les souffles sont le Yang qui les équi-libre.
Le couple indissociable des Hun et des Po établissent la possiblité d’une vie individuelle, personnali-sée, par leur tension/opposition ainsi que par leur complémentarité (Yin/Yang).
Hun et Po ne sont pas exactement mon mental, ma conscience, mon esprit, puisqu’ils “précèdent”
mon cœur et qu’ils font partie1 de ce qui permet la constitution du Cœur, du soi, de la personne avecsa conscience et la conscience de soi. Ils expriment les esprits, shen, agents du Ciel et de l’ordrenaturel, dans la dualité qui me permet d’avoir un corps terrestre et un esprit céleste mais de les avoirl’un dans l’autre, l’un par l’autre, l’un pour l’autre (comme tout couple Yin/Yang); leur séparation estmortelle; les disharmonie est dommageable. Pas de Hun sans Po, pas de Po sans Hun, pas de corpssans l’esprit qui le compénètre, pas d’esprit humain sans un corps à habiter. Sinon, c’est la mort, cen’est pas la vie présente dans son expression toujours double, ou plutôt duelle, sur Terre et vers leCiel.
Vouloir et propos (zhi yi 志意 )
Vouloir et propos sont dépendant du Cœur, du soi, de la durée de ma vie, de ma personne (faite del’étreinte des Hun et des Po). Ils expriment le Cœur, déjà constitué, avec une conscience, des percep-tions et une capacité à réagir, des tendances, désirs, pensées, idées, intention, propension ... et lafaculté de les diriger et de les soumettre ou de s’y soumettre. L’image du cœur ( 心 ) entre dans lacomposition des caractères qui les désignent.
Vouloir et propos sont un couple employés aussi couramment en dehors du contexte médical, commezhi yi 志意 ou comme yi zhi 意志. Mais le couple n’est pas aussi nettement Yin/Yang, Ciel/Terre quepour Hun et Po.
zhi yi 志意 : Pensée, esprit. Volonté, propos, dessein, détermination. On insiste davantage sur l’idéeque l’on garde à l’esprit, sur le dessein que l’on construit et la détermination qui commence.
yi zhi 意志 : Volonté, intention. Volontaire; Résolu, déterminé. On insiste davantage sur la fermetédu propos, la détermination, la résolution, la force de volonté.
Vouloir et propos sont liés aux Reins et à la Rate; ils sont donc liés aux représentants, dans l’être, duCiel antérieur et du Ciel postérieur Le Ciel antérieur est la racine, l’origine, l’enracinement dansl’origine, le naturel; le Ciel postérieur est l’expression sans cesse actualisée de cette origine.
Le propos
“Que le Cœur s’applique, on parlera de propos” (Lingshu 8)
1.Cf Lingshu 8, Les Mouvements du Cœur.
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Quand le Cœur “s’applique”, une pensée lui vient, une image surgit, un souvenir, une impression,une sensation est là; et le Cœur applique dessus sa capacité de conscience. Appliquant cette capacitéde conscience, le Cœur est responsable de la manière dont il considère ce qui lui vient : accepter ourefuser, regarder avec calme et objectivité ou selon les préjugés et désirs sous-jacents ...
Le propos n’est pas simplement la représentation consciente d’une idée, c’est ce qu’on a dans leCœur et qui forme le fond de notre être, sur quoi se fondent toutes nos réactions, nos humeurs, nostendances, attraits et aversions ... C’est notre disposition intérieure qui va sélectionner et interpréterce qui envahit le champ de la conscience.
La Rate présente au Cœur ce qu’elle puise dans la richesse alimentaire pour le nourrir d’un sangabondant et bien composé; par le même mouvement, elle présente au Cœur ce qu’elle tire du terreaude la mémoire, ce à quoi elle donne une ébauche de forme dans la pensée : les idées, des propositionssur lesquelles, si elles se maintiennent dans la conscience, la pensée va travailler. Le propos est cequi vient à l’esprit et qui va l’occuper. Qu’une pensée en chasse une autre n’est pas vraiment le videdu Cœur; c’est une instabilité qui n’est pas profitable. Mais qu’une idée se fixe dans la conscienceprésente le danger de fermer le Cœur à tout autre chose; c’est l’idée fixe qui tourne à l’obsession. Ceque l’on a dans le cœur c’est aussi souvent l’objet des désirs; le propos se pervertit alors en désirs quirongent ou qui brûlent et, dans l’un et l’autre cas, consument les essences, détruisent le sang, rendentle Cœur de plus en plus incapable de règner à la lumière des esprits. En fait, le propos est comme lesang : il doit circuler, sans stagnation, constamment, pour nourrir la vie sans partialité. Que le Cœursoit “vide”, n’implique pas que rien n’y passe ou ne s’y passe; mais tout y est fluide et rien n’estdésiré, préféré, en dehors de l’adhésion au mouvement naturel de la vie.
Le propos est au-delà de la conscience, puisque c’est la disposition qui va donner son orientation à laconscience et au jugement. Le propos est déjà une intention, une orientation.
Le vouloir
“Que le propos soit permanent, on parlera de vouloir” (Lingshu 8)
Des dispositions ou intentions, qui n’étaient pas encore ancrées, perdurent dans l’être, deviennentune détermination. A présent, les forces vives sont orientées par le Cœur, la conscience, vers un but.Ce but doit toujours être fondamentalement un “vouloir-vivre”, celui qui pousse vers la vie depuisl’origine et qui maintient en vie parce qu’il reste dans la bonne direction. Ainsi un arbre ne grandit etne resplendit que parce que la sève est pulsée, de toutes les forces de l’arbre, de la racine vers le haut.Le vouloir est cette tension orientée de tout ce qui fait ma vie. Il a de multiples expressions, quidevront toujours, quelques soient leur intensité ou leur objet, demeurer fidèles à cette orientation pre-mière. Sinon, elles se tournent contre la vie qui les supportent.
Le vouloir est lié à la continuité de l'être; maintenir une idée, tendre vers un objectif, fournit la ten-sion générale et cohérente du mouvement vital. La vie est sous tension, comme tout ce qui est orga-nique. mais il est préférable que cette tension s’exerce dans la bonne direction. Ainsi le “vouloir”d’un fleuve, depuis sa source, est de gagner la mer. L’eau du fleuve n’arrivera à la mer que si elle suitson cours naturel, c’est-à-dire qu’elle reste fidèle à sa nature propre. La nature propre de l’Eau est dedescendre, d’aller vers le bas. Comme la mer est plus basse que tous le fleuves, l’eau qui reste fidèleà sa nature arrivera toujours à la mer. Les détours et sinuosités qui auront parsemés son cours necomptent pas, ne sont que des résultats des circonstances de la vie; il importe seulement que l’eausoit fidèle à son origine qui détermine sa nature; elle accomplit alors parfaitement son destin en sefondant finalement dans la mer.
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Il en va de même de l’homme : fidèle à sa nature propre originelle, contenue et exprimée par lesReins, il mène sa vie en fonction des circonstances, mais en restant fidèle à sa nature propre; sonvouloir est ainsi parfaitement juste et parfaitement puissant. Un vouloir qui dévie de la nature origi-nelle devient nocif; quand le Cœur accepte de garder des idées, des propos qui ne conviennent pas àl’entretein de sa vie, le vouloir n’est plus droit. Le vouloir est fondamentalement un vouloir vivre;mais un propos qui est un désir, une idée inapproprié peut le désorienter et même le déraciner.
Les Reins sont l’origine et l’assise de vie, le fondement riche et solide permettant l’élan et le déploie-ment; leur puissance s’exprime dans les os, leur qualité dans les essences. Ils offrent un logis appro-prié au vouloir.
Le vouloir s’exprime aussi en Cinq; son unité de vouloir vivre, enraciné dans les essences et la conti-nuité des Reins, se détaille en cinq pulsions fondamentales, qui animent les cinq zang et forment laracine des émotions et sentiments, mais aussi la racine du mouvement fondamental de chaqueorgane.
La disposition et l’orientation intérieures
Vouloir et propos étant antérieur à toute pensée construite, ne se ramènent pas entièrement à lavolonté réfléchie, la conscience active et claire. Ils sont des “esprits”, des puissances qui sont der-rière l’avènement de la pensée humaine, de tous les sentiments qui animent le cœur de l’homme, detout ce qui se formule dans la vie intérieure. Ils ne sont ni ce que la pyschologie occidentale appelle
la cosncience, ni ce qu’elle appelle l’inconscient1.
Vouloir et propos sont l’orientation intérieure qui détermine la manière dont on perçoit, comprend,réagit à tout ce qui se présente. Propos et vouloir permettent le développement d’une pensée, qui sedéroulera en fonction de ce qui est déjà en moi comme impression, mémoire, tendances, sentiments,et même préjugés ou préconception.
Vouloir et propos représentent l’orientation de toute animation à partir d’un mental bien construit etinspiré. Ils sont le pivot de la distribution de tous les éléments de la vie psychique, physique, spiri-tuelle ... sous la responsabilité du Cœur :
“- La défaillance du corps et l’anémie complète où l’on n’a aucun résultat, à quoi cela tient-il ?- Les esprits n’opèrent plus (shen bu shi 神不使 ).- Que veut-on dire par « les esprits n’opèrent plus » ?- Les aiguilles de métal et de pierre représentent la Voie (dao 道 , le moyen d’opérer). Mais que lesessences et esprits (jing shen 精神 , l’esprit vital) ne puissent pas pénétrer, que vouloir et propos(zhi yi 志意 ) ne puissent diriger convenablement (zhi 治 ) et le mal ne peut pas être guéri. Quandles essences sont inexistantes et les esprits en allés, ni la reconstruction (nutritive, ying 營 ), ni ladéfense (wei 衛 ) ne peuvent revenir et être récupérées. Comment cela ? C’est que désirs et convoi-tises indéfiniment renouvelés, avec en plus une crainte pusillanime qui ne peut être arrêtée, essenceset souffles (jing qi 精氣 ) se relâchent jusqu’à la ruine, la reconstruction se fige et la défense est arra-chée. Alors les esprits nous quittent et la maladie n’est pas guérissable.” (Suwen 14)
1. Cf René Girard et la “méconnaissance”.
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L’orientation juste permet d’éviter le désordre dans la pensée et les sentiments, de faire bon usagedes perceptions et connaissances, de prendre pleinement et fructueusement les traitements donnéspar l’acupuncteur. On examine toujours ces dispositions intérieures du patient avant tout traitement :
“Pour tout traitement, il faut observer l’en-bas, se conformer aux pouls (mai 脈 ), examiner l’orienta-tion intérieure (zhi yi 志意 ) ainsi que les caractéristiques de la maladie.” (Suwen 11)
Dans certains cas où le patient n’est pas bien disposés, on conseille de s’abstenir de puncturer :
“Cela étant, celui qui voudra utiliser les aiguilles, qu’il examine donc attentivement comment se pré-sente le malade, pour percevoir le maintien ou la disparition des essences et des esprits (jing shen 精神 , l’esprit vital), des Hun et des Po, et sa disposition (yi 意 ), si elle est favorable ou défavorable. Sices cinq-là sont atteints, l’aiguille ne peut pas traiter.” (Lingshu 8)
Ce même acupuncteur, quand il traite, tourne son vouloir et son propos vers le patient :
“Quand vous puncturez, [...] le vouloir (zhi 志 ) paisible, considérez votre patient, sans tourner vosregards à gauche ou à droite. ” (Suwen 54)
Par la pratique quotidienne, le thérapeute se rectifie chaque jour afin de présenter au patient la recti-tude de ses propres souffles, sa rectitude intérieure. Un vouloir paisible n’est pas une volonté molle;c’est ne rien vouloir d’autre que d’être le plus correct possible, d’être dans le mouvement juste de lavie en soi. Le thérapeute peut certes avoir en tête les réminiscences nécessaires de ses connaissances,les informations par lesquelles il les appelle et les relient, les idées qui lui viennent. Mais il faudraaussi que rien de cela ne vienne le troubler quand il agit, car sa propre concentration, non pas sur uneidée ou une volonté, mais sur la situation telle qu’elle se présente, avec la capacité à accueillir tout cequi vient, fait partie du traitement.
“Que l’on se tienne dans un lieu tranquille et retiré ; que l’on regarde les présages de l’en allée et dela venue des esprits. Ayant fermé hermétiquement portes et fenêtres, les Hun (hun 魂 ) et les Po (po魄 ) ne se dissipent pas ; la concentration des pensées (yi 意 ) unifie (yi 一 ) le pouvoir spirituel (shen神 ), de sorte que essences et souffles (jing qi 精氣 ) se répartissent comme il faut. Quand aucun bruitvenant des hommes ne touche les oreilles, le recueillement des essences propres s’effectue et lesesprits étant Un, le vouloir (zhi 志 ) passe dans l’aiguille avec son message impératif.” (Lingshu 9)
ZHI article 1
LE VOULOIR UN ET MULTIPLE
Quand on parle du vouloir (
zhi � ) en médecine chinoise, on pense immédiatement à celui des Cinqesprits (
wu shen�� ) lié aux Reins, c’est-à-dire à la participation des souffles de l’Eau dans l’élabo-
ration et le fonctionnement de la conscience et du mental.
Cependant, on parle aussi des Cinq vouloirs (
wu zhi�� ), dont on se demande comment ils différentdes émotions, s’ils sont normaux ou pathologiques.
En regardant soigneusement comment la notion de
zhi
� , vouloir, se présente dans les textes classi- ques, on comprend mieux son usage dans les textes médicaux, ayant une meilleure connaissance dece qui est à sa base.
1. L’ORIENTATION DE LA VIE
Le caractère
zhi
� se compose du cœur � surmonté de ㄓ c’est-à-dire une jeune pousse � qui sortde terre (figurée par la ligne inférieure __ ). A partir d’une base solide, la plante va croître et grandir,tirant continuellement de ses racines de quoi développer tronc et branches.
Dans les texte classiques d’avant l’ère chrétienne, le caractère
zhi
� signifie l’intention qui se déve- loppe en soi, son sentiment, sa détermination, sa fin; c’est aspirer à un idéal, à un désir, tendre versun but, une ambition. C’est aussi perpétuer la mémoire de quelque chose, par exemple par des écrits,des “mémoires”, car l’inscription dans la durée est implicite dans la notion : on ne peut pas parlerd’un vouloir sans une certaine constance, sans persistance; il faut bien retenir dans son esprit uneidée, un désir, une pensée pour qu’advienne un vouloir qui pousse à sa manifstation et à son accom-plissement.
C’est du reste la définition que le Lingshu ch.8
1
donne du vouloir :
“Que le propos (
yi � ) 2 soit permanent on parlera de vouloir.”
Prenons
zhi
� comme le vouloir, la détermination que l’on a dans le cœur, ce qui fait agir et agirdans une certaine direction, en vue d’un but.
Il s’agit de tendre vers un objectif, de se fixer solidement dans une visée, de se disposer entièrementen vue d’un but à attendre, d’aspirer profondément et sincèrement, de tout son être, à quelque chose.
1. Voir Les mouvements du Cœur, DDB.
2. Les liens entre le ”propos” (
yi � - qui est aussi intention, pensée, dessein et désir) et le vouloir ( zhi � ) sontétroits. A tel point que leurs emplois et leurs sens se mêlent souvent. Ils forment ensemble les expres-sions
zhi yi
(�� ) et yi zhi (�� ) qui désignent la disposition intérieure. Nous excluons artificelle- ment cette relation du cadre limité de cet article. Mais l’étude de
zhi
� ne peut pas être complète sans
celle de
yi
� .
ZHI article 2
Le lien à l’origine
Vers quoi tendre d’abord et avant tout, si ce n’est, comme la jeune pousse, vers le développement desa vie. Le vouloir-vivre est naturel, premier et définitif. Il est aussi spécifique.
L’impulsion première, qui permet le début d’une vie et en donne les caractéristiques, vient du Ciel.Elle prend forme sur Terre, dans les contraintes et déterminations imposées par les formes terrestres,par exemple celles des essences mêlées des parents d’un nouvel être, qui reçoivent le don céleste etl’exprime spécifiquement en fonction des lignées et des personnes. C’est la nature propre, la naturepremière qui définit une vie particulière et la qualifie pour un devenir en fonction des capacités dépo-sées en elle à l’origine.
Si ce à quoi on aspire fait partie du déroulement naturel, le vouloir met sa puissance au service dudéveloppement en continue de la vie. Si ce à quoi on aspire est contraire à l’ordre naturel tel qu’ils’exprime en un être, le vouloir tourne sa puissance contre la vie, épuise la vitalité par les passions, lapervertie par les désirs inappropriés.
Ce qui revient à dire que si ce à quoi on aspire est conforme à sa nature originelle, le vouloir nous faittendre vers la réalisation de notre destinée propre et nous fait participer à l’harmonie cosmique. Maiss’il n’est qu’ambitions personnelles, il nous dévoie en de multiples désirs qui ne cessent d’accroîtreleurs exigences.
La relation à l’origine est fondamentale dans le vouloir. Comme la tension qui habite un arbre vientde ses racines et pousse la sève en haut et jusqu’à l’extrémité de la dernière branche pour permettresa croissance normale, le vouloir, en un être, est la source de ses pensées, de ses sentiments et de sesconduites; il détermine son devenir, mais doit le faire en restant fidèle à sa racine, la source de vie, lanature première de cet être.
Le vouloir des Reins
L’association du vouloir avec l’Eau et les Reins, en médecine
1
, rend bien compte de ce lien à l’ori-gine ainsi qu’à la continuité dans le déroulement de la vie en fonction de cette origine.
Les Reins sont le rapport constant à l’origine, le Ciel antérieur; ils sont aussi le fondement de toutesles manifestations yin et yang dans les différents organes, ces dernières dépendant des Reins pourleur force et leur durée.
Les Reins sont la mémoire de l’origine, permettant ainsi la perpétuation de la vie et le maintien del’identité, ainsi que le passage à la postérité et au Ciel postérieur.
De même, l’identité d’une rivière lui vient de la source et lui donne l’orientation de son trajet vers lamer, même si elle reçoit en abondance d’ailleurs (pluie, afflluents) l’eau qu’elle fait sienne.
D’où l’importance de l’idéal que l’on se choisit, de l’idée qu’on laisse pénétrer son esprit, du propos(
yi � ) qui sert de base au fonctionnement mental et aux états affectifs, puisque le propos qui restedans le Cœur devient le vouloir, comme nous l’avons déjà rappelé (cf Lingshu, ch.8).
1. Dans les textes médicaux, en vertu de cette association, le vouloir (
zhi � ) peut parfois être employé pourindiquer le fonctionnement des Reins. Ainsi par ex., en Suwen ch.62, l’excès ou l’insuffisance du vou-loir est à comprendre comme l’excès ou l’insuffisance du fonctionnement de l’organe Reins.
ZHI article 3
Cependant, chez l’homme, le vouloir n’est pas simplement le vouloir-vivre de l’instinct animal ou dela croissance végétale; il doit se combiner avec l’humain, et l’humain doit dominer et ordonner. Cequi est fondamental et spécifique en l’homme, c’est le discernement qui fait voir comment vivre enhomme et non pas simplement comment survivre; comment accomplir sa destinée d’homme en pre-nant conscience des qualités déposés originellement en soi par le Ciel. Le Ciel qualifie ainsi chaqueêtre en vue d’un certain développement de vie, fixant ce à quoi chacun est destiné (
ming� ).
Le vouloir du Ciel
Connaître le vouloir du Ciel, c’est connaître sa destinée, prendre conscience de ce à quoi le Ciel nousdestine. Cela est fondamental, en particulier pour les confucianistes.
Comment Confucius pensait-il arriver à connaître ce qu’est le vouloir du Ciel ? En orientant correc-tement son propre vouloir, en tournant son esprit dans la bonne direction :
“
Concentre ta volonté (
zhi � ) sur la Voie, prends appui sur la Vertu, modèle tes actions sur le ren
( ) 1 , et prends ton plaisir dans les arts. (Lunyu, VII, 6. Trad. A. Cheng)
“
Le Maître dit : à 15 ans, je résolus (
zhi � ) d’apprendre. À 30 ans, je m’affermis dans la Voie. À 40
ans, je n’éprouvais plus aucun doute. À 50 ans, je connaissais les décrets du Ciel (
tian ming � ) 2 .
À 60 ans, j’avais un discernement parfait. À 70 ans, j’agissais en toute liberté
3
, sans pour autanttransgresser aucune règle. (Lunyu, II, 4. Trad. Anne Cheng p.33)
Ainsi pour connaître ce à quoi le Ciel nous destine, ce qui n’est rien d’autre que la volonté du Cielen ce qui me concerne, il faut commencer par un acte de volonté personnel, la détermination d’aller
vers le Ciel, ici, pour Confucius, par l’étude
4
.
Pourquoi certains posent-ils cet acte de volonté et d’autres pas ? Certains pensent qu’il s’agit d’unedifférence de qualité dans les natures propres; certains êtres sont faits de souffles plus riches que
d’autres
5
, leurs souffles sont plus forts et peuvent donc mieux maintenir leur résolution.D’autres penchent plutôt pour une question de circonstances. Tous les hommes ont la capacité, innée,
de fixer ainsi leur volonté, mais tous n’en ont pas la possibilité
6
dans la pratique et dans les faits.
Si le Ciel a une “volonté” comment l’a-t-il ? Quelle idée se fait-on de lui ? Est-ce simplement unefaçon de parler de l’ordre naturel ou bien est-ce une façon d’évoquer une sorte de divinité omnipo-tente et omnisciente ?
1.
Ren
: aussi traduit par Bienveillance, Humanité ou Sens de l’humain. C’est la grande vertu confucéenne.
2. C’est-à-dire ce à quoi le Ciel me destine, ma destinée.
3. C’est-à-dire selon les désirs de mon Cœur.
4.Il en ira de même pour les Taoïstes plus tard : l’abolition de la volonté propre se fait au cours d’un processusdans lequel on s’engage et se maintient par une ferme détermination, un acte personnel de volonté.
5. Cf par ex. Lunheng ch.4.
6. Cf par ex. Xunzi ch.23.
ZHI article 4
Mozi
1 parle du Ciel2 plutôt comme d’une puissance capable d’avoir ses sentiments et dispositionspropres, ses idées, pensées et sa volonté; capable aussi de récompenser ceux qui se conforme à sondessein et de punir ceux qui y contreviennent.
Dong Zhongshu3 le ramène davantage vers l’ordre naturel. Les sentiments du Ciel sont le yin yang,et la volonté du Ciel se manifeste dans les phénomènes naturels : présages de prospérité et paixquand tout est bien réglé ou bien de calamités et malheurs dans le cas contraire.Si le souverain comprend et applique la volonté du Ciel, le peuple le suit et tout est en ordre dans lanature comme dans la société. Le souverain comprend et applique la volonté du Ciel, car il a le cœurd’un sage, car il a cultivé en lui les vertus qui permettent d’être un avec le Ciel, d’être en accord avecl’ordre naturel. Il est remonté à l’origine des choses, pour en connaître la nature; c’est dans le Cielqu’il comprend et connaît l’origine des choses et des êtres, des phénomènes et des manifestations.
Même un sceptique comme Wang Chong4, qui réfute tout “sentiment” du Ciel, reconnaît une“volonté du Ciel” (� ) que le sage perçoit en son Cœur :“Le Cœur du Ciel très haut réside dans la poitrine du Sage.” (Lunheng, ch. 42)
Pour avoir le Cœur d’un sage, ou pour percevoir la volonté du Ciel en son Cœur, il faut que ce der-nier soit libre de toute attache et de tout préjugé.
La relation avec l’accomplissement de ce à quoi le Ciel (ou l’ordre naturel) nous destine est ainsifondamentale, puisqu’on réalise sa destinée (
ming� ) en orientant notre Cœur avec fermeté et cons- tance dans la Voie du Ciel.
Le vouloir du cœur
Le Cœur humain reçoit le Ciel. Il a, par nature, la faculté de connaître et de discerner; il est ce quipermet de prendre conscience du vouloir du Ciel, de l’accepter et de le suivre; ou bien de manquer deforce pour le faire; ou encore de se laisser séduire par des appétits et des plaisirs, en apparence plusintenses et plus réels.
“Comment un homme peut-il connaître la Voie ? Par le Cœur. Comment le Cœur peut-il connaître ?Par le vide, la pure attention qui unifie l'être et la quiétude. [……]L'homme vit et possède la connaissance; il connaît et, par là, possède le vouloir. Le vouloir, c'est lathésaurisation (garder précieusement et activement à l'intime). Mais cependant, on dit que le Cœurest vide; car le vide ne porte pas sur les impressions déjà thésaurisées, mais sur ce qui est à recevoir.Le Cœur est vivant (est vie) et il possède la connaissance; il connaît et, par là, fait des distinctions.”(Xunzi, ch.21)
Le Cœur est le maître de tout le mental, intelligence, mémoire et volonté. Il fait ses choix et peutplier le corps et les sens à ses choix; nul ni rien ne peut le faire changer, s’il est assez fort. Ses choixsont fait à la lumière de l’intelligence, et l’intelligence doit s’offrir à la lumière des esprits (
shenming�� ) pour être intelligence spirituelle, intelligence du Cœur.
1. Mozi ou Mo Di (c.468 - c.376 AC), penseur qui prôna une société fondée sur l’entraide et le dévouement aubien commun.
2. Cf ch. 26, Tian zhi.
3. Dong Zhongshu (179-104 AC), auteur du Chunqiu Fanlu, où il intègre la morale confucéenne dans la cos-mologie fondée sur le yin yang et les Cinq éléments.
4. Wang Chong (27-97), auteur du Lunheng où il critique toutes les croyances non fondées.
ZHI article 5
Le Cœur est ainsi le maître de la vie, le souverain du corps, de la vie mentale, affective, sensorielle.Tout obéit à ses choix, reçoit ses ordres; mais lui n’en reçoit pas d’autres que de sa propre vision. Savision dépend de la lumière qu’il a en lui-même, de la présence des esprits.
Nul n’est sans vouloir; chacun a ses convinctions, ses désirs, ses orientations, dont il ne démord pas.C’est ce qui détermine ses pensées et ses actes, ce qui forge sa conscience; c’est ce qui guide doncses souffles et toutes leurs activités. Tout ce qui affecte le vouloir, affecte aussi les souffles et toute lavitalité dont ils sont le support.
Que le Cœur soit affecté, son contenu et son expression s’altèrent : “Les sons (
sheng � ), les couleurs ( se ), les cinq saveurs ( wu wei �� ), les pays lointains, le pré- cieux et l’étrange, l’extraordinaire et le différent, les objets extravagants suffisent à changer le cœur(
bian xin �� ), à modifier la volonté ( yi zhi �� ), à agiter et à ébranler les esprits essentiels ( jingshen �� ), à faire réagir aux incitations le sang et les souffles ( xue qi �� ) d’innombrables fois.”(Huainan zi, ch.8 - Remi Mathieu - Pléiade)
Le vide du Cœur
Le Cœur doit surveiller ce qui vient le remplir; il ne doit jamais se laisser prendre ou obstruer par unepensée, une idée, un désir, un sentiment, une volonté … On doit vider continuellement son Cœur dece qui s’attache à lui; à quoi, en retour, il s’attache; et qui finalement s’impose à lui comme ce quil’occupe et le façonne et devient bientôt ce vers quoi il tend et aspire, ce que l’on veut, l’objet duvouloir.
C’est pourquoi seul un Cœur vide, impassible, peut garder l’être dans la direction de son développe-ment naturel.
Ainsi ce qui veut, ce qui décide du vouloir, c’est le Cœur. On pourrait dire que le vouloir est l’expres-sion, dans le Cœur, c’est-à-dire en moi-même, du mouvement des Reins : l’enracinement dans l’ori-gine, qui permet d’aller droit dans la vie, d’être authentique (
zhen� ).
Quand on parle ainsi du Cœur, on ne parle pas de son aspect comme l’un des Cinq zang, en chargedes souffles du Feu, responsable du sang et de son écoulement dans l’organisme. On parle du Cœurimpalpable, de ma conscience, mon esprit, mon mental, mon intelligence, ma réflexion, mes pensées,mes dispositions, mes émotions… Tout ce qui se passe dans ce Cœur, passe dans l’organisme par lacirculation du sang. L’écoulement du sang informe tous les lieux du corps, qui se trouvent éclairéspar la lumière spirituelle du Cœur, dans la mesure où ce dernier est capable de l’accueillir et de lapropager.
“Quand le maître (le Cœur) répand sa lumière (
ming � ), les inférieurs sont paisibles; un tel entretiende la vie (
yang sheng
�� ) procure la longévité, de génération en génération, et l'Empire sous le
Ciel resplendit d'un grand éclat.Mais si le maître ne répand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque ferme-ture et blocage des voies, l'arrêt des communications; et le corps en est gravement atteint. Une tellefaçon d'entretenir la vie est catastrophique.” (Suwen, ch.8)
Le Cœur qui est le grand maître des Cinq zang et des Six fu est plus que l’un des Cinq zang; il estleur combinaison, leur assemblage, leur compénétration, leur unité. Ce qui est en moi conscience etesprit est l’amalgame toujours renouvelé des Cinq éléments sous la forme des Cinq organes zang.
ZHI article 6
Ainsi, le vouloir qui est lié aux Reins quand on est dans les Cinq esprits (
wu shen �� ), est en fait levouloir du Cœur, qui est le brassage et la fusion des Cinq esprits pour former mon être, ma cons-cience et ce qui dirige les modulations de ma vie intérieure. C’est pourquoi il est pratiquementimpossible de parler du vouloir sans parler du propos (
yi� ), car c’est leur association qui suscite laqualité et la force de l’orientation prise pas un être. On pourrait dire que le vouloir (
zhi
) est la force
avec laquelle on se maintient dans la direction que le propos (
yi
) a initié.
Il est aussi pratiquement impossible de parler du vouloir sans parler de l’ouverture du Cœur auxesprits, puisque c’est leur lumière qui permet le discernement sur ce qui est à garder dans l’esprit,afin que l’esprit se fixe dessus et le veuille. On associe esprits et vouloir pour former l’expression
shen zhi �� , qui désigne l’esprit, la conscience, la faculté de connaître et de réfléchir sur ce qu’onconnaît.
On pourrait se demander si la Vésicule Biliaire joue un rôle vis à vis du vouloir, elle qui est responsa-ble de la rectitude et de la décision, elle qui est remplie d’essences et donc en rapport avec les Reins,le yin authentique, mais aussi remplie de souffles yang, et donc en rapport avec le yang authentique,le feu de la Porte de la destinée personnelle (Mingmen).
Un lien existe, par la nature même de ses souffles, entre la Vésicule Biliaire et le vouloir. Par leurvaillance et leur droiture, par leur relation aux Reins et à Mingmen, ces souffles aident le vouloirdans le Cœur. Mais ce n’est pas le mouvement du Bois qui est au fondement du vouloir. C’est celuide l’Eau, qui a plus de sagesse et moins d’impétuosité, qui est l’enracinement dans l’origine et labase permanente de toutes ses activités vitales. C’est aussi la lumière du Cœur qui permet la droiturede la Vésicule Biliaire.
2. LE VOULOIR ET LES SOUFFLES
Les souffles, soutien du vouloir
Le vouloir est une force qui s’apuie sur les souffles. Sans les souffles, le mental ne fonctionne pas,l’esprit ne s’exprime pas, le vouloir est impuissant.
“Les saveurs (c.à.d. la nourriture,
wei � ) activent les souffles ( qi � ); les souffles affermissent levouloir (
zhi� ); le vouloir fixe la parole; la parole donne des ordres”. (Chunqiu zuozhuan, 7è année
du duc Zhao)
La même chose se retrouve en médecine, puisque les souffles et leur bon renouvellement, permettentle bon fonctionnement de toutes les instances psychiques, mentales et spirituelles, aussi bien qu’ilspermettent la force physique et l’entretien des substances du corps.
Ainsi, en Lingshu ch.32, les esprits (
shen � ) sont également placés en dépendance de l’alimentationpour le maintien de leur présence et de leur force d’expression grâce au bon état des Cinq zang :“Ainsi donc, les Esprits (
shen � ) ce sont les essences-souffles ( jing qi �� ) provenant des alimentssolides et liquides.”
ZHI article 7
Le vouloir, perturbateur des souffles
De plus, vouloir et souffles doivent s’accorder, en ce sens que le vouloir du Cœur et la force vitalen’agissent pas l’un contre l’autre, c’est-à-dire que les désirs et intentions qui émanent du Cœur nesèment pas le trouble dans la régulation des souffles, amenant ainsi leur dissipation.
Le Lüshi Chunqiu décrit ainsi le mauvais professeur :“Son intention (
zhi � ) et ses souffles ( qi � ) ne sont pas en harmonie ( he � ); il prend (une idée)puis la délaisse, changeant sans cesse, sans aucune contance en son Cœur.”(Lüshi Chunqiu, livre 4)
Alors que chez un être humain bien équilibré :“Les mouvements musculaires et les os doivent être bien fermes; le Cœur (
xin � ) et le vouloir ( zhi� ) doivent être en harmonie ( he � ), les essences ( jing � ) et les souffles ( qi � ) doivent biencirculer.” (Lüshi Chunqiu, livre 20)
Car l’homme assez parfait pour mettre son Cœur en union avec le Ciel a un vouloir droit et des souf-fles en abondance :“Quand il est ainsi en lui-même pur et lumineux (éclairé,
ming � ), ses souffles et ses intentions ( qizhi � � ) sont semblables à ceux des esprits ( shen � ).” Alors sa volonté et ses souffles (ou savolonté soutenue et exprimée par ses souffles,
zhi qi �� ) emplissent le Ciel Terre.” (Liji, ch.
Kongzi xianju)
Le vouloir, guide des souffles
“Le vouloir est le maître des souffles (son guide,
shi � ) alors que les soufles donnent au corps sapleine puissance (
chong � ). Ainsi le vouloir est supérieur alors que les souffles ne viennent qu’en
second. C’est pourquoi je dis : tenez fermement votre vouloir et ne laissez pas les souffles se déchaî-ner.” (Mencius, ch.2)
L’attention est attirée par quelque chose, dans le corps où à l’extérieur : une douleur, une chaleur oubien un bel objet, une chose répugnante ... Cette attention, si elle est soutenue, se transforme en unesorte de finalité, un but. Le vouloir qui naît ainsi dans le cœur guide les souffles et les fait affluer làoù l’attention est fixée. Les mouvements du corps, les gestes, les attitudes, les réactions… sont ainsiguidés par le vouloir. Je tends la main vers l’objet du désir; je mets mes forces en œuvre pour obtenirce à quoi j’aspire.
La maîtrise de soi n’est pas une contrainte (même si une certaine contrainte peut être nécessaire àcertains moments), mais la possession de soi, c’est-à-dire conscience de la réalité de la vie en soi etde sa régulation naturelle. On retient les souffles déchainés de la colère, on maîtrise les souffles affo-lés de la peur, on entretient des aspirations et désirs justes et convenables, on a le geste juste et sûr,…par l’acquisition progressive de la sérénité, par le rapprochement de l’état spirituel, ou, en d’autrestermes, en gardant les esprits en son Cœur.
Le Huainanzi, vers la fin chapitre 1
1
, traite du rapport des esprits au vouloir. Parce que les soufflessont abondants, tout peut fonctionner. Parce que les esprits sont présents dans le Cœur tout peut fonc-tionner correctement et partout. Parce que les esprits permettent le vide du Cœur, l’attention n’estretenue par rien et peut donc être présente partout, diffuse mais réelle. Les esprits dirigent alors le
1. Cf Les Grands traités du Huainanzi, Le Cerf, Patrimoine.
ZHI article 8
vouloir sur l’objet ou l’endroit de l’attention présente, mais sans mobiliser l’attention exclusiveentsur cet objet, restant ainsi disponible à ce qui peut se présenter. Le vouloir guide alors les souffles, lesfaisant affluer vers un lieu particulier en cas de besoin, mais sans les faire déserter les autres activités.La conscience est alors présente comme latente partout où elle n’est pas activée; rien ne lui échappe.
“Eh bien alors ! Ce qui donne à un homme vue claire et ouïe fine, pour bien distinguer, un organismerésistant et capable, par cent jointures, de flexion et d'extension, ce qui rend capable de discerner àl'oeil le blanc et le noir, le beau et le laid, de séparer le semblable et le différent, de distinguer le vraidu faux, qu'est-ce donc ? sinon que les souffles rendus abondants, les Esprits sont capables de don-ner le branle (
shi � ).Comment savoir qu'il en va bien ainsi ? Le vouloir (
zhi
� ) en chacun ayant une place où se tenir; les
Esprits ont, eux, leurs attaches (
xi
� ). On marche, le pied vient à buter, on tombe, la tête donne con- tre un poteau, on perd connaissance; on nous fait des signes que nous ne pouvons pas percevoir; desappels que nous ne pouvons entendre. Ni les yeux ni les oreilles ne nous ont quitté. Mais alors qu'est-ce qui fait que nous ne puissions pas répondre ? C'est que les Esprits (
shen
� ) n'assurent plus leurgarde (
shou
� ).
Ainsi, présents dans ce qui est petit, ils sont absents de ce qui est grand; s'ils sont au centre, ils sontabsents de l'extérieur; s'ils sont en haut, ils sont absents du bas; s'ils sont sur la gauche, ils sontabsents de la droite. Mais s'il y a partout abondance, partout aussi ils seront présents. Qui estime leVide, de la fine pointe d'un poil fera sa résidence.L'homme pris par la démence, s'il ne peut éviter de tomber dans l'eau ou le feu, s'il choît dans le fosséou le canal, croyez-vous que ce soit par manque de corps (
xing� ), d'esprits ( shen� ), de souffles ( qi� ) ou de vouloir ( zhi� ) ? Non. C'est qu'il en fait un usage aberrant. Ils ont désertés leurs postes degarde (
shou � ), ils ont abandonné leurs demeures, celles de l'extérieur ( wai � ) et celles de l'interne
(
nei � ).” (Huainanzi, ch.1 - Trad. C. Larre & E. Rochat 1 )
Les textes médicaux se préoccupent plus particulièrement de l’effet sur le mouvement des souffles etde l’incidence sur le fonctionnement organique. Quand les vouloirs dégénèrent en désirs, émotions et
passions, la peturbation des souffles est celle propre à chaque émotion
2
. Ils considèrent égalementcomme l’attention portée à une douleur, par exemple, dirige les souffles vers l’endroit douloureux.
Le Lingshu, chapitre 27, décrit des douleurs dues au froid, qui condensent les liquides corporels quifont alors pression sur les chairs. Puis il ajoute :“Quand il y a douleur, les esprits s’y portent (
shen gui� ); les esprits s’y portant, il y a réchauffe- ment; et le réchauffement dissipe la douleur.”
Le même principe se retrouve dans les exercices corporels, où l’on guide le souffle dans le corpsautant par le mental que par des mouvements physiques; et encore plus dans les pratiques où le souf-fle est guidé intérieurement par le seul mental.
Si les esprits dirigent la vie, leur lumière éclaire l’intellligence et le choix des finalités, les buts,idéaux, désirs, vouloir. Si les souffles sont abondants, ils mettent leur force au service des espritss’exprimant dans le ou les vouloirs. Le corps abrite ce jeu déterminé d’esprits et de souffles ce quipermet l’élaboration d’une vie personnelle.
1. Les Grand taités du Huai nan zi, LeCerf.
2. Cf Les Mouvements du Cœur DDB et Les émotions en médecine chinoise Fascicule de l’E.E.A.
ZHI article 9
Le vide (du Cœur) donne accès à la vraie plénitude. Si l’on ne veut rien pour soi, on peut accueillir laplénitude de la vie.
Il en va de même dans les arts martiaux. Le vouloir n’est ni un désir de battre l’adversaire, ni uneattention limitée aux détails pour comprendre le sens d’un mouvement, deviner la signification del’esquisse d’un mouvement. Le vouloir est la plénitude de souffles au service d’une intelligence spi-rituelle. Quand on ne veut rien, on est prêt à tout. Mais ne rien vouloir, être sans désir, est l’aboutis-sement d’un long cheminement, dans lequel on ne peut pas s’engager ni persévérer sans un fermevouloir, une solide détermination.
3. LES CINQ VOULOIRS
Quand on considère le vouloir comme l’expression des Reins dans l’esprit, il est l’orientation vitalegénérale, ce qui dirige tous les souffles.
Considérons les souffles des Cinq éléments, qui sont le fonctionnement des Cinq organes zang, etregardons leurs effets au niveau émotionnel. On a alors Cinq directions prises naurellement par cessouffles, Cinq vouloirs, qui sont normaux quand il s’harmonisent et pathologiques quand l’excès enfait des facteurs de déséquilibre.
Prenon un exemple plus en détail. Les souffles du Bois, représentés en l’homme par le Foie, ont unetendance naturelle à projeter vers le haut et l’extérieur, à donner une impulsion forte aux circulations,à dégager les chemins. Dans la normalité, ce mouvement trouve son équilibre en s’harmonisant avecles quatre autres. Dans la pathologie, il devient souvent excessif et déséquilibre l’organisme. Dans lavie intérieure, fonctionnement du mental et état émotionel, ce même mouvement de souffles estappelé
nu! , habituellement traduit par “colère”, mais qui signifie aussi : ardeur, impétuosité, grandeffort.
Nu ! est une colère pathologique, voire une fureur, en cas d’excès; mais c’est aussi l’élan
nécessaire à un bon fonctionnement mental et affectif. Sans lui, rien qui porte en avant, permet de seprojeter dans l’avenir, donne le courage de traverser les obstacles de la vie.
nu! est donc le vouloirpropre des souffles du Foie-Bois.
On peut, d’une façon générale, parler des Sept émotions, usant de la valeur symbolique du nombresept pour dire que les émotions sont puissantes, mais qu’elles sont un danger permanent, un désordrepotentiel.
On peut, sur d’anciens modèles, parler des Six émotions qui sont, en l’homme, analogues aux Sixsouffles du Ciel dans la nature. Ces Six émotions sont alors appelés les Six vouloirs (
liu qi
"� ) etl’homme est invité à les réguler en s’inspirant de la régulation naturelle du froid et de la chaleur, duvent et de la pluie, du jour et de la nuit, qui sont les Six souffles du Ciel.«En l’homme, amour et haine, allégresse et colère, affliction et joie, sont produits par les Six souffles(
liu qi
"� ) (du Ciel). C’est pourquoi les connaître à fond permet de régler convenablement les Sixvouloirs (
liu zhi
"� ), par analogie.» (Chunqiu zuozhuan, 25è année du duc Zhao)
On peut parler de Cinq vouloirs, quand on considère l’organisation du souffle vital, sur Terre, enCinq qualités ou modalités d’opérer.
C’est ce que l’on trouve dans le Suwen ch.5, où un vouloir correspond, dans la normalité, à chaquezang; mais où ce vouloir porte aussi atteinte à ce même zang :“Au Ciel, c'est le vent. Sur Terre, c'est le bois. Dans les parties du corps, c'est les mouvements mus-
ZHI article 10
culaires. Dans les zang, c'est le Foie. [……] Dans les vouloirs, c'est la colère (
nu ! ). La colère porteatteinte au Foie …”
Et de même pour chacun des quatre autres organes. L’allégresse est associé au Cœur, la penséeobsessive à la Rate, le chagrin au Poumon et la peur aux Reins.
Des listes un peu différentes de ces Cinq vouloirs peuvent être dressées. Des variations apparaissentnon seulement dans le même ouvrage, mais parfois dans le même chapitre. Leur signification reste lamême : un orientation particulière du mouvement des souffles à travers chaque organe, en fonctionde l’élément qu’il représente dans l’être humain.
Le vouloir, en chaque organe, guide ses souffles; il garde la rectitude de leur mouvement et de leursacivités; ou bien il s’enfle indûment, se dérègle, et désorganise leurs activités.
Quand les Cinq zang peuvent se mettre dans la lumière du Cœur d’une personne qui s’efforce d’êtrede plus en plus semblable aux esprits et fidèle à la Voie du Ciel, alors leurs vouloirs manifestent surCinq la puissance et la droiture du vouloir.
“Les Cinq viscères peuvent-ils se placer dans la dépendance du Cœur et ne pas s'en écarter, quelleque soit l'exhaltation du vouloir (
zhi � ), la conduite ne dévie pas. Ainsi, les Esprits vitaux ( jing shen�� ) surabondent et rien ne se dissipe des souffles ( qi � ). Abondance d'Esprits, plénitude de souf- fles, tout est ordonné, équilibré, compénétré : C'est l'Etat spirituel (
shen � ).” (Huainanzi ch.7 - Trad.
Claude Larre)
4. LES VARIATIONS SAISONNIÈRES DU VOULOIR
L’homme authentique ne varie pas dans sa détermination; il reste fixé sur son idéal de vertu et prendtous les moyens d’y parvenir. Cependant, il s’adapte infiniment et indéfiniment à toutes les situa-tions, pliant son vouloir aux circonstances, changeant ses dispositions intérieures et sa conduite, sansaltérer l’orientation profonde de sa vie, qui est d’être un avec la Voie du Ciel.
“De tels hommes ont l’esprit volontaire (
xin zhi �� ), le visage paisible, le front serein. Tristes, ilss’identifient à l’automne, gais au printemps, leurs mouvements d’humeur (mot-à-mot : allégresse etcolère,
xi nu #! ) s’accordent à la ronde des saisons ( tong si shi $%& ). Ils se trouvent en confor- mité avec les choses si bien que nul ne peut circonscrire leurs limites.” (Zhuangzi ch.6 - Trad. JeanLévi, les Œuvres de Maître Tchouang)
Le Suwen ch 2 présente les Quatre saisons. Pour chacune il indique les dispositions appropriés duvouloir. Ainsi, au printemps, “on exerce le vouloir pour la poussée de la vie : Faire vivre et ne pastuer, donner, ne pas ôter, récompenser, ne pas punir”, alors qu’en automne, “on exerce le vouloir dansla paix et la tranquillité, pour adoucir l'effet repressif de l'automne”. En été, “on exerce le vouloir,mais sans violence : Secondant l'éclat de la beauté et de la force, qui accomplissent alors leur pro-messes; secondant l'évacuation des souffles qui aiment alors aller s'extérioriser” alors qu’en hiver“on exerce le vouloir comme enfoui, comme caché, comme tourné seulement vers soi, commeoccupé à se posséder”.
ZHI article 11
Ainsi le vouloir, la tension intérieure, varie selon les saisons, les différents moment du temps, lesâges de la vie, les étapes d’un processus, la qualité de l’environnement, les spécificités de ce avecquoi on interagit …
Ce qui est à faire, et donc à vouloir, change avec les circonstances. La fermété n’est pas la rigidité.L’adaptibilité permet l’efficacité et l’économie des forces. L’opportunisme, quand il n’est pas utilisa-tion et manipulation des autres et des circonstances pour un profit personnel, est un devoir sacré, unsynchronisme qui est concordance avec le mouvement de la vie. Ce qui demeure constant est la cor-respondance à la réalité de la vie.
Car ces variation ne sont possibles que si l’enracinement est solide; comme lors d’une entreprise lacohésion d’ensemble tient à un idéal, à une but général, une certaine finalité qu’on se fixe et qui sous-tend les multiples décisions et orientations prises au gré de l’activité et de ses développements.
Pour commencer une affaire, il faut avoir une idée et un idéal, vouloir réaliser quelque chose et dansune certaine voie. Dans le processus de développement, on va créer des départements, qui ne doiventpas être des “divisions”, mais des secteurs complémentaires par leurs différences; chacun aura un butparticulier, mais qui ne sera correct que s’il répond à l’exigence du département en même temps qu’ilparticipe à l’harmonie et la progression de l’ensemble. Au niveau de la direction générale comme auniveau des départements, les stratégies changent selon les circonstances; mais sans jamais être con-traires aux buts et idéaux de l’entreprise tels qu’ils ont été compris au départ et ont permis sa créa-tion. Chaque orientation particulière est prise en fonction de l’inspiration générale et initiale; nul nedoit la perdre de vue, sous peine de se dénaturer, de perdre l’esprit qui anime l’entreprise; ces déter-minations peuvent être de tous ordres et parfois apparaître comme opposées, parce qu’elles serontcommandées par les circonstances; mais elles ne doivent pas quitter ce qui fait l’enracinement, ce quiest à la source et à la base du projet.
Ainsi, la rivière, à partir de sa source, ne change jamais sa destination, qui reste toujours la mer.Cependant, aucun fleuve n’est rectiligne; il parvient à la mer par de multiples détours. Mais à aucunmoment l’eau n’abondonne sa nature propre, qui est de descendre, de s’écouler vers le bas. Le fleuveatteint donc toujours la mer, qui, elle, est au plus bas. Il a ainsi rempli sa destinée, en gardant sadirection générale, son vouloir, mais en l’adaptant selon la nature et les configurations du terrain,quiite à parfois prendre des directions qui ne sont pas celles de la mer.
5. LES CHANGEMENTS DU VOULOIR CONSTANT
L’adaptation permanente, dans le respect de sa nature originelle, est l’œuvre de la pensée. La penséehumaine se dirige là où un vouloir éclairé la porte; elle reconnaît les situations pour ce qu’elles sontet pour ce qu’elles réclament et elle trouve comment s’y conformer sans se dénaturer.
Le Lingshu 8 définit la pensée comme changements dans le vouloir :“Que le vouloir qui se maintient change on parlera de pensée.”
Le vouloir, qui change avec les saisons et les moments, avec l’âge et les circonstances, se maintientcependant comme orientation et direction générales.
Dans un être, un vouloir unique émerge de l’origine; chez l’homme, il passe par son Cœur, sa cons-cience, pour être fixé. Ce vouloir guide sa vie jusqu’à la fin et il doit s’orienter vers la destination de
ZHI article 12
la vie, qui pour l’homme est avant tout céleste et spirituelle. Le vouloir doit donc orienter l’être versles lumières spirituelles (
shen ming �� ) et vers le Ciel ou la Voie.
Ainsi les souffles sont guidés correctement, par le Cœur d’une façon générale et unifiée, et par lesCinq zang dans les mouvements particuliers des souffles et les divers secteurs de l’activité vitale.
Fermement ancré, l’homme sage peut alors changer indéfiniment. Comme la girouette. La girouettene change pas, dit-on; c’est le vent qui change. En effet, une bonne girouette ne change jamais parelle-même, mais toujourrs en fonction du vent. Elle indique la direction du vent parce qu’elle estéquilibrée, qu’elle ne penche dans aucune direction, qu’elle n’en préfère aucune; et aussi parcequ’elle est solidement plantée, bien droite et bien souple.
APPROCHE DE LA SAGESSE TAOÏSTE recherche de l'harmonie avec le cosmos
La Chine a produit le Taoïsme au cours d'une longue maturation. Attitude devant la vie, ce qu'on appelle le Taoïsme peut être une religion, une éthique, un système du monde. Il s'insinue dans toute l'activité de ceux qui en acceptent l'imprégnation. La rectitude intérieure est l'expression en soi de l'ordre du monde, qui n'est rien d'autre que l'universelle spontanéité, c'est-à-dire la Voie, le Tao (dao). En s'ordonnant soi-même selon ce modèle cosmique, que l'on aperçoit dans toutes les manifestations de la vie naturelle, tout se règle. Par l'initiation et la pratique, on s'unit aux grandes forces du monde, telles le Yin Yang; on parvient ainsi à la Longévité, une vie d'une durée indéfinie au sein de l'univers. L'agir se confond avec l'intégration cosmique : ne faire qu'un souffle avec le souffle cosmique, dans la spontanéité absolue. N'interférant aucunement avec l'ordre naturel, il est un non-agir, un agir sans agir, qui est cependant plus efficace que les activités volontaires habituelles des hommes.
Les textes fondateurs
Ce sont les textes sue lesquels repose le taoïsme dans son esprit profond; c'est à eux que l'on revient régulièrement pour fonder théories et conduites, même si bien d'autres textes, écrits par un maître ou "révélés", enrichissent et précisent, au cours des siècles, l'approche et les pratiques taoïstes. Ils servent de base à cet exposé, qui ne prétend pas traiter de tout le Taoïsme, mais simplement de donner un éclairage sur quelques aspects essentiels.
Nous citerons souvent, pour illustrer notre propos, le Livre de la Voie et de la Vertu (Daodejing)1, attribué à Laozi, car ce texte court contient l'essentiel de la doctrine. Il est de plus facilement accessible à tous en de nombreuses traductions dans pratiquement toutes les langues occidentales.
Ce texte, vraisemblablement rédigé durant la deuxième moitié du 3è siècle avant J.C., fut attribué légendaire à Laozi, "le vieux maître", sorte de personnage composite qui prend quelques traits d'un archiviste contemporain de Confucius, et s'enrichit de détails et de légendes à significations philosophique, politique et idéologique. Celui qui a compilé ce livre - sans doute un ancien ministre ou général - a repris des éléments de textes et de réflexion prééxistant; mais il a cependant fait ?uvre personnelle par la puissance et la beauté à la fois du style et de la pensée.
Le Zhuangzi, ouvrage beaucoup plus long et parsemé d'anecdotes, est composé de 33 chapitres, écrits entre le 4è et le 1er siècle avant J.C. Il offre une communauté de pensée avec le Laozi, tout en présentant des approches et des sensibilités variées.
Le Liezi, attribué au sage du même nom qui aurait vécu aux environs de 400 av.J.C., est souvent associé aux deux précédents dans une sorte de trilogie de textes fondateurs. Il est en fait de rédaction beaucoup plus tardive (4è siècle après J.C.), bien qu'il intègre des éléments contemporains du Laozi et du Zhuangzi.
Approche du Taoïsme ! 1
Formation du Taoïsme
La sensibilité et la pensée taoïstes sont redevables à de nombreuses sources : l'antique fonds chamaniste et animiste de la Chine, la religion populaire, les techniques physiologiques, mi-exorcistes, mi médicales, voire magiques, les spéculations cosmologiques qui tiennent à la fois de la divination et de l'observation des astres et des phénomènes naturels, l'attitude d'ermites retirés du monde ou encore celle d'artisans experts en leur art ... Dans les siècles qui précèdent l'ère chrétienne, des penseurs puisent à ces diverses sources, mais se caractérisent par une référence grandissante à un absolu qui sous-tend toute vie et qui fonde toute cosmologie.
Quand le caractère " Dao " ou " Tao "2 est utilisé pour désigner cet absolu innommable, les textes réunis autour de cette sensibilité sont dits de l'école taoïste ( dao jia 道家). Le caractère " dao 道" signifie voie, cheminement; c'est une manière de procéder, une méthode. Chacun chemine, suit une voie, une règle de vie personnelle, reflet de l'ordre du monde. Il progresse ainsi dans l'existence, remplissant au mieux son rôle familiale et social. Dans le Taoïsme, la Voie est au-delà de tous les cheminements personnels, mais les sous-tend et les fonde tous :
"La voie qu'on peut énoncer n'est déjà plus la Voie" (Daodejing 1)
Au-delà de toute perception sensible ou connaissance intellectuelle, la Voie est présence ineffable, source de toutes les manifestations de la vie :
"Profondeur d'abîme, on dirait une présence. Nous ignorons de qui elle procède, préssentant qu'elle précède le Souverain lui-même" (Daodejing 4)
"La Grande Voie ..... les Dix mille êtres3 en dépendent pour vivre" (Daodejing 34)
Un peu plus tard, dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, la religion taoiste ( dao jiao 道教) apparaît, avec clergé et rites. Le Taoïsme religieux ne sera cependant jamais soumis à une autorité centrale, décidant du licite et de l'illicite, édictant un dogme. De nombreuses branches ou sectes fleuriront, exprimant la vitalité toujours renouvelé du Taoïsme.
Le Taoïsme est toujours une pratique
Même s'il faut faire une différence entre un Taoïsme philosophique et un Taoïsme religieux, il ne faut pas pousser cette différence jusqu'à séparer l'un de l'autre. La pratique doit être l'aboutissement de la pensée et la pensée, le fondement de la pratique. Le Taoïsme religieux s'inspirera toujours des grands textes dits philosophiques. Ces textes eux-mêmes ne prennent tout leur sens que s'ils inspirent une condutie de vie et mènent à ce qui les dépassent.
Il s'agit toujours, par des moyens variés, de s'intégrer à la Voie, principe de vie, constant, inaltérable, qui soutient l'ordre du monde dans sa régularité, sa fiabilité et sa spontanéïte.
"Une chose faire d'un mélange est là avant le Ciel Terre4; silencieuse, ah oui ! Illimitée assurément ! Reposant sur soi, inaltérable, tournant sans faute et sans usure. On peut y voir la Mère de ce qui est sous le Ciel. Nous ne connaissons pas son Nom; son appelation est : la Voie." `Daodejing 25)
Approche du Taoïsme ! 2
Le retour
La quête de chacun est de faire retour. Faire retour, c'est d'abord opérer un retournement. Retourner les valeurs habituellement reconnues par les hommes, la société :
"Retournement, mouvement de la Voie. Faiblesse, son usage." (Daodejing 40)
C'est revenir au mouvement cosmique de la vie, qui retourne le froid et chaud et le chaud en froid au long des Quatre saisons de l'année; qui, de même, contient tous les opposés, tous les contraires (incluant la vie et la mort) et les laissent s'exprimer en alternance, en harmonie, pour manifester les innombrables formes que revêt la vie.
C'est retourner à l'origine de ma vie, source de toute vie, telle qu'elle est en elle-même. Même si ces images sont métaphoriquement employées, il ne s'agit pas de régresser jusqu'à l'état d'enfançon ou d'embryon, mais de retrouver en soi - par l'ascèse, la méditation, les pratiques - la pure réalité, la Voie. Cela nécessite abnégation et désintéresement, qui vont jusqu'à l'abolition du moi ou même de la personne en tant qu'être particulier. Le taoïste en quête de la vraie vie, de l'immortalité, de la Voie qui est au-delà de la vie et de la mort, renonce à tout désir et volition, aux émotions et attachements, à toute possession personnelle qu'elle soit physique, intellectuelle ou mentale. C'est à ce prix qu'il se renouvelle et se retrouve intégré au mouvement de la vie.
"Parvenus à l'extrême du Vide, fermement ancrès dans la Quiétude, tandis que Dix mille êtres d'un seul élan éclosent, nous contemplons le Retour.
Les êtres prospèrent à l'envie, mais chacun fait retour à sa racine. Revenir à sa racine, c'est la Quiétude, c'est accomplir son destin. Accomplir son destin, c'est cela le Constant. Atteindre le Constant, c'est l'illumination; ne pas le connaître, c'est courir follement au désastre.
Atteindre le Constant donne accès à l'Infini; par l'Infini, à l'Universel; par l'Universel, au pouvoir royal; par la Royauté, au Ciel et par le Ciel à la Voie; la Voie à la vie qui demeure et la fin de votre vie ne sera pas la destruction." (Daodejing 16)
Le Vide et le Rien (xu wu 虛無)
Tout commence par la diminution des préjugés, désirs, intentions; la renonciation au savoir qui croit qu'il sait, aux connaissances qui empêchent souvent de saisir la vie à sa source tout en multipliant des informations, exactes certes, mais qui nous détournent de l'essentiel quand leur recherche et leur acquisition remplacent le retour à soi et à la Voie.
"Pour l'étude, tous les jours un peu plus. Pour la Voie, tous les jours un peu moins." (Daodejing 48)
Car la Voie n'est ni définissable, ni pensable. Exercer sa pensée et son intelligence pour saisir la Voie, c'est commettre un contre-sens. Mais tenter d'éradiquer chaque détermination ou qualité propre, rapproche d'elle en éliminant les premiers obstacles.
"On regarde mais sans voir : on l'appelle Invisible. On écoute sans entendre : on l'appelle Inaudible. On cherche à le toucher : on l'appelle Impalpable. Voilà trois choses ineffables, qui, confondues, font l'Unité." (Daodejing 14)
Approche du Taoïsme ! 3
Faire le vide n'est pas n'être rien; c'est développer la force de vie et se laisser emmener où elle s'accomplit. Le Vide n'est pas un manque, c'est ce qui permet l'adaptibilité, la souplesse; par lui on est enraciné au plus profond, car on se débarrasse continuellement du superficiel et de l'inutile.
"L'homme de caractère choisit la subsatnce et ne se fie pas à ce qui est superficiel. Il est pour le fruit, ne se fie pas à la fleur. Il rejetait l'extérieur et s'en tenait à soi;" (Daodejing 38)
Le maître en arts martiaux ne fait pas autrement : tranquillement, il attend son adversaire, sans rien anticiper, sans rien imaginer, mais en étant, par là même, prêt à tout. Sa réaction sera instantanée, juste et puissante. Rien ne sera gaspillé de ses potentialités par une idée qui, même correcte, est inutile et même nuisible, puisqu'elle lui encombre l'esprit.
Alors on peut être rempli d'une sensation authentique de vie, bien au-delà de la pensée et de la conscience claire, une expérience de la réalité qui permet de surmonter les angoisses et les peurs de la condition humaine.
Le non-agir (wu wei 無為)
N'ayant plus ni désir ni volonté propre, l'agir du sage taoïste n'est pas dirigé par une intention ou un jugement; il est simple réaction aux situations d'un être qui a retrouvé en lui l'ordre naturel de la vie. Ce qu'il fait n'interfère jamais avec le cours des choses et le mouvement naturel des êtres. Le Non agir c'est, mû par une nécessité intérieure, faire ce qui est demandé, à un moment et dans un lieu précis, par la nature des choses. Alors il n'est rien qui ne soit réalisé, puisque la Voie est l'universelle spontanéité présente au cœur de chacun.
"La Voie constante est Sans agir et rien pourtant qui ne soit fait." (Daodejing 37)
Toute intervention dans le cours des choses suscite des réactions que nul ne maîtrise et qui peuvent aboutir à tout autre chose que l'intention première. Opposition, sous une forme ou sous une autre, au mouvement naturel, l'intervention c'est agir par sa propre décision au lieu de s'en remettre au déroulement de la Voie dans les êtres et les situations. L'affairement et ses conséquences néfastes ne manqueront pas de faire payer leur tribut :
"L'intervention, c'est l'échec; la possession, c'est la perte. Les Saints, n'intervenant pas, évitaient l'échec; ne possédant pas, évitaient la perte." (Daodejing 64)
La vertu du sage
L'efficacité du sage n'est pas liée à son action, mais à sa vertu. Par "vertu" ( de 德), plutôt que des qualités morales, on entend l'efficacité puissante que procure l'agir naturel. Un homme possédé par la Vertu suit, parfaitement et spontanément, les mouvements de la vie; il est remplit de la puissance qui appartient à la vie quand nul désir ou volonté ne vient la contrarier ou la détourner. Alors émane de lui comme une force qui touche les autres, sans même qu'ils en aient vraiment conscience; cette force les touche là où eux-mêmes sont en contact avec la réalité qui les fait vivre; elle peut donc les rendre à eux mêmes, à plus d'authenticité.
Approche du Taoïsme ! 4
"Les Saints s'appliquaient à secourir les humains sans rejeter personne, s'appliquaient à secourir les êtres sans en rejeter aucun. C'est ce qu'on appelle : répandre à son tour la Lumière. L'homme bon est le maître du méchant, le méchant sert de matière à l'homme bon." (Daodejing 27)
Le sage n'utilise pas cette force, car la manipuler serait la détruire; il la laisse émaner de lui, tout en cultivant sa participation active et mystique à la vie du monde, mais en prenant bien soin de rester caché et ignoré. Il est mieux que nul ne se rende compte de l'action secrète du sage, car la conscience risque non seulement de nuire au sage "découvert", mais aussi de pervertir le processus même par lequel les êtres sont pris par son influence bénéfique.
C'est ainsi que le gouvernement de l'État n'est qu'un effet du travail sur soi et que l'enseignement sans parole seul transmet l'essentiel.
Le modèle de l'eau
Le sage se compare à l'eau : comme la pluie qui tombe sur tous les champs, il laisse son influence se répandre sur les bons et les méchants, simple effet de ce qu'il est.
"Un homme haut placé, faisant le Bien, agira comme l'eau." (Daodejing 8)
Comme l'eau, le sage se laisse aller avec toutes les apparences de la faiblesse, mais sans se laisser détourner. L'eau de la rivière, suivant sa seule nature qui est d'aller vers le bas, arrive toujours à la mer, indifférente à tous les tours et détours que les circonstances lui imposent. Le sage suit aussi sa nature et la nature des choses, indifférent à ce que lui commande les circonstances; il ne résiste pas, ne s'oppose à rien, ne se dispute avec personne, non pas pour éviter de combattre, mais parce qu'il est mû par sa rencontre avec la Voie. La Voie, union des contraires, coexistence harmonieuse des innombrables vivants, est l'infinie adaptabilité du sage qui ne tient qu'à elle et que par elle. Le sage possède alors la vie qui ne tarit pas.
"Rien au monde comme l'eau, de plus souple, de plus faible. Pour attaquer le solide et le fort, qui sera comme l'eau ? Le Non avoir en elle la fait changeante." (Daodejing 78)
Mystique et transcendance
Le sage taoïste est un mystique en ce sens qu'il recherche la fusion avec la Voie, l'intégration totale avec le principe cosmique de vie. Il n'y a pas de relation avec ce principe de vie, puisqu'il n'est pas autre chose que ce qui existe, n'est pas extérieur à soi ou au monde. On ne cherche pas non plus à avoir conscience de ce principe, ca en avoir conscience serait faire deux avec lui, être distinct, séparé. On ne peut que tenter de se fondre en lui, faire un avec lui, car l'unité est la réalité la plus profonde de chacun, la seule permanente. Notre existence actuelle n'est qu'une phase, qui nous fait vivre la distinction et la dualité; mais cette existence exprimée par et dans la dualité ne doit pas perdre sa racine, sous peine de se perdre à jamais. L'union à la Voie se fait donc dans une abolition de soi, qui n'est cependant pas perçue comme une disparition.
"Se contenter de peu, c'est la richesse. Agir puissamment, c'est s'accomplir. Conserver ses moyens est durer. Mourir sans périr, c'est la Longévité."(Daodejing 33)
Approche du Taoïsme ! 5
Le sage taoïste, dans la montagne, contemple les nuages et médite sur l'éphémère qu'ils évoquent. Au-delà des nuages, il y a le ciel; et au-delà du bleu du ciel, n'y a-t-il pas l'azur infini ?
Seul demeure ce qui est au-delà de l'éphémère et dont chaque être fait partie avant même de commencer d'exister.
Cette fusion indicible, si elle n'est pas une illusion, doit être active, perceptible, dans le monde présent, au travers de notre existence prise dans ses multiples tensions. On l'expérimente à des niveaux variés dans la vie quotidienne. Ainsi l'artiste, par exemple un pianiste, ne se représente pas, dans le moment où il joue, l'intégration totale de tous les éléments de son être pour produire la musique; il ne sait même pas vraiment comment cet état arrive; et quand il est dedans, il ne peut pas s'en détacher, le penser, encore moins l'expliquer. Mais il ne peut vraiment jouer, bien jouer, que dans cet état. "Revenu sur terre", à la fin du récital, il peut parler, tout en sachant qu'il ne pourra jamais exprimer par les mots ce qu'il vit quand il ne peut même plus penser. Il s'exprimera cependant, car il appartient aussi au monde de la dualité, de la multiplicité, avec sa personne, son corps, ses qualités, ses relations aux autres êtres ... Mais l'état expérimenté quand il joue ne lui apparaît-il pas comme encore plus réel ?
Les artisans, ou chacun de nous, concentrés sur ce que nous savons faire, vivons la même expérience, qui donne accès à la réalité de l'Un. Il ne s'agit pas d'être ailleurs, d'être autre, mais de passer par delà les déterminations et spécificités qui maintiennent dans la multiplicité, dans la dualité, pour ne faire qu'un avec la Voie du Ciel, dans un abandon total, y compris de sa propre activité mentale. La mort alors n'est que le retour à cet état que j'expérimente déjà comme plus constant, plus réel que les autres aspects de ma vie. Finalement, on doit aller jusqu'à affirmer que vie et mort ne sont qu'un, car si elles étaient vraiment différentes, l'Unité sur laquelle on s'appuie ne serait qu'un leurre.
"Ainsi le toujours sans attraits invite à contempler le mystère, et le toujours plein d'attraits à considérer ses aspects manifestes. Ces deux-là, nés ensemble sous des noms différents, sont en fait ensemble l'Origine. Et d'origines en Origine, la porte du mystère merveilleux." (Daodejing 1)
Peut-on parle de transcendance ? Sans doute pas dans le sens donné par le Christianisme; mais on ne peut pas plus parler d'immanence. La Voie du sage taoïste le mène à la racine de l'existence, là où il n'y a plus rien de déterminé ou de déterminable, d'exprimé ou d'exprimable, de pensé ou de pensable, mais sur quoi repose la totalité des êtres qui ont chacun leurs déterminations, leurs expressions et capacités spécifiques.
"Les Dix mille êtres du monde sont le produit de ce qui a; mais ce qui a est produit de ce qui n'a pas." (Daodejing 40)
1. Dans la traduction de Claude LARRE, nouvelle édition, DDB, Paris, 2003.
2. Selon les translitérations utilisés. La prononciation et le caractère sont les mêmes; la façon de rendre cette prononciation en lettres romaine seule varie.
3. Tous les êtres qui peuplent l'univers.
4. L'Univers.
Approche du Taoïsme ! 6
LE MÉRIDIEN DU CŒUR -‐ SHAOYIN DE MAIN
LES POINTS DU MERIDIEN DU CŒUR
SHAOYIN DE MAIN (SHOU SHAO YIN 手少陰)
J I QUAN 极泉 FONTAINE SUPREME
C.1 -‐ Point situé à hauteur du 4e espace intercostal, dans le prolongement horizontal de la pointe du mamelon. Jiquan est le point le plus profond de la cavité axillaire (creux de l'aisselle). On cherche le point le bras levé à la verticale. Au niveau de Jiquan, on sent battre l’artère axillaire en dehors. On peut aussi prendre le point le bras étendu horizontalement en avant, en se laissant guider pour le détecter par le bord inférieur du muscle grand pectoral. On le puncture perpendiculairement ou en oblique, à une profondeur de 0,3 à 0,5 distance. On y applique 3 moxas; on le chauffe durant 15 minutes.
QING LING 青靈 (青灵) ESPRIT VERT (associé à l 'Est et à Jupiter) C.2 -‐ Point situé sur la face antéro-‐interne du bras, à 3 distances au-‐dessus du point Shaohai 少海 (C.3), sur la ligne qui conduit du point Jiquan 極泉 (C.1) au point C.3 (gouttière interne du biceps brachial). Autre nom : Qinglingquan 青靈泉. On le puncture perpendiculairement, à une profondeur de 0,5 à 0,8 distance. On y applique 1 à 3 moxas; on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
SHAO HAI 少海 MER DU SHAO [YIN]
C.3 -‐ Point situé à l’extrémité interne du pli de flexion du coude, légèrement au-‐dessus et en avant de l’épitrochlée. Le point se prend en mettant le sujet la main derrière la tête et en empaumant le coude avec la main qui palpe. Le point est entre la saillie de l’épitrochlée et l’angle que forment les bords internes de la coronoïde et de l’olécrâne. On le situe aussi parfois en arrière de l’épithrochlée. Point de jonction (he 合), correspondant à l’élément Eau. Autre nom : Qujie 曲節. On le puncture perpendiculairement, à une profondeur de 0,2 à 1 distance. On y applique 1 à 3 moxas; on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
LING DAO 靈道 (灵道) VOIE DES ESPRITS C.4 -‐ Point situé sur l'avant-‐bras, à 1,5 distance au-‐dessus du pli du poignet, le long du bord externe du tendon du cubital antérieur. Point jing (jing 經), correspondant à l’élément Métal. On le puncture perpendiculairement, à une profondeur de 0,3 à 0,5 distance. On y applique 3 à 5 moxas; on le chauffe durant 15 à 20 minutes.
TONG LI 通里 DEBLOQUE L'INTERNE
C.5 -‐ Point situé sur l'avant-‐bras, à 1 distance au-‐dessus du pli du poignet, le long du bord externe du tendon du cubital antérieur, dans la gouttière cubitale, à 1 distance au-‐dessus du point Shenmen 神門 (C.7). C’est le point luo 絡. C’est l’un des 12 points de Ma Danyang. Autre nom : Tongli 通理. On le puncture perpendiculairement, à une profondeur de 0,3 à 0,5 distance. On y applique 3 à 5 moxas; on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
YIN XI 陰郄 (阴郄) INTERSTICE SUR LE YIN C.6 -‐ Point situé sur la face antéro-‐interne de l'avant-‐bras, à 0,5distance au-‐dessus du pli du poignet, le long du bord externe du tendon du cubital antérieur, et à 0,5 distance au-‐dessus du point Shenmen 神門 (C.7). On sent déjà à son niveau le pouls de l’artère cubitale. C’est le point d’accès à la réserve (point xi 郄) de ce méridien. Autres noms : Shigong 石宮, Shaoyinxi 少陰郄, Shoushaoyinxi 手少陰郄, Shouyinxi 手陰郄. On puncture perpendiculairement, à une profondeur de 0,3 à 0,5 distance. On y applique 3 moxas; on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
SHEN MEN 神門 (神门) PORTE DE L'AME
C.7 -‐ Point situé au niveau du pli antérieur du poignet, dans l’insertion du muscle cubital, sur la face supérieure du pisiforme, sous l’apophyse styloïde du cubitus. On peut se laisser guider, pour trouver le point, par le pouls de l’artère cubitale. Le point est entre l’artère et le pisiforme, là où s’insère le bord interne du muscle cubital antérieur. Point shu (shu ), correspondant à l’élément Terre et donc point source (yuan 原). Autres noms : Zhongdu 中都, Duichong 兌衝, Duigu 兌骨, Duizhong 兌中, Ruizhong 中. On le puncture : -‐ soit perpendiculairement, à une profondeur de 0,3 à 0,5 distance; -‐ soit en glissant l’aiguille sous le pisiforme depuis le bord interne jusqu’à atteindre le méridien (1 distance). On y applique 3 moxas; on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
SHAO FU 少府 ADMINISTRATEUR DU PALAIS
C.8 -‐ Point situé à l’extrêmité distale du bord externe du 5e métacarpien, entre les 4 e et 5e métacarpiens. Pour trouver le point, on replie les doigts dans la paume de la main; le point est là où va se placer la pulpe digitale de l’auriculaire, sous la ligne de tête. Point ying (ying 滎), correspondant à l’élément Feu. Autre nom : Duigu 兌骨. On le puncture perpendiculairement, à une profondeur de 0,3 à 0,5 distance. On y applique1 à 3 moxas; on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
SHAO CHONG 少衝 (少衝) JAILLISSEMENT DU SHAO [YIN] C.9 -‐ Point situé au niveau de l’angle supéro-‐externe de la matrice de l’ongle de l’auriculaire, du côté de l'annulaire. On le situe aussi à l’angle inféro-‐externe de l’ongle de l’auriculaire. Point puits (jing 井), correspondant à l’élément Bois. Autres noms : Jingshi 經始, Shaochong 少沖. On le puncture perpendiculairement, en superficie, à une profondeur de 0,1 à 0,3 distance, ou on le saigne. On y applique 1 à 3 moxas, on le chauffe durant 5 à 10 minutes.
LE SEIGNEUR ET SON ACOLYTE
Le Cœur souverain
"Le Cœur ( xin 心 ) a la charge du Seigneur et du maître ( jun zhu 君主 ); le resplendissement des Esprits (shen ming 神明) en procède." (Suwen 8)
La double face du Cœur, comme celle de tout souverain, est ici montrée :
-‐ Il est le seigneur ( jun 君 ), sur lequel nul n'ose lever les yeux. Caché au fond de son palais, au centre du monde, sa présence et son autorité se font pourtant partout sentir et déterminent, en profondeur, la bonne ou la mauvaise fortune de tout le pays.
Le même caractère jun (君 ) est utilisé dans l'expression désignant le Feu empereur, ou Feu seigneur ( jun huo 君火 ).
-‐ Il est le maître ( zhu 主 ), capable de faire sentir le poids de sa présence et de son autorité par quelques manifestations choisies. Le fait qu'il soit le souverain, caché dans l'invisible communication avec le Ciel et ses Esprits, ne l'empêche pas d'exercer le pouvoir. Il n'y a pas de grand pontife à côté d'un roi temporel; c'est le même individu qui assure cette charge unique; c'est l'Empereur dans l'Empire centralisé et unifié; c'est le Cœur dans un organisme humain.
Le même caractère zhu est utilisé dans l'expression désignant le Cœur-‐maître (xin zhu 心主). Cette expression est l'appellation normale du méridien Jueyin de main1; c'est aussi le Cœur agissant comme un maître, exerçant une maîtrise particulière, telle celle de commander le sang ( xin zhu xue 心主血), de commander les circulations vitales ( xin zhu mai 心主脈), ou encore de commander la circulation régulière du sang (xin zhu xue mai 心主血脈), trois variations de la même fonction.
Les mai (ou mo 脈) sont les circulations vitales et ce sont les pouls. C'est la pulsation; la force et la régularité avec lesquelles le Cœur est capable de pulser le sang dans tout le corps par ses voies de circulations. Ce rythme
1. Méridien correspondant au Xinbaoluo (protections et connexions du Cœur), parfois improprement traduit par "péricarde".
vital2 est présent partout, jusque dans les plus fins des capillaires, qui sont aussi des mai3. Il se perçoit là où la quantité de sang est suffisante, sur les artères quand elles sont assez superficielles, et ce sont les pouls. Mais la vie ne s'arrête pas où l'œil s'arrête; quand on ne perçoit plus la pulsation, elle reste présente; quand on ne voit plus le sang, il circule encore.
Le sang n'est pas simplement un liquide4 qui nourrit et réchauffe; mais le vecteur porteur des esprits qui rendent capable de sensibilité, de perception, de connaissance.
Une autre façon de parler de la présence en tous lieux de l'influence des esprits est de parler de leur rayonnement ou de leur lumière.
On associe alors les esprits ( shen 神 ) au caractère ming ( 明 ), qui signifie lumière et splendeur, intelligence et clairvoyance, faire briller et éclairer, distinguer et comprendre.
Ming ( 明 ), c'est la splendeur qui résulte de l'activité spirituelle, c'est-‐à-‐dire quand les esprits du Ciel mènent les activités selon l'ordre naturel. C'est la lumière qui se répand partout dans le corps et le mental, qui inonde les dispositions intérieures qui me font agir et réagir, comme l'influence d'un bon souverain touche ses sujets au tréfonds, au-‐delà des lois justes ou de la paix et de la prospérité maintenues. C'est l'illumination, quand le Cœur de l'homme est entièrement ouvert à ce qui lui vient du Ciel, du Naturel.
La lumière des esprits ( shen ming 神明 ) montre comment l'opération subtile et secrète qui met en contact avec les esprits est assumée par un maître -‐ qui est le Cœur dans le corps et le souverain dans l'empire. Ce
2. Le rythme des battements du Cœur fait écho, ou plutôt exprime et réalise, le rythme originel, le battement yin/yang qui déclenche le processus de formation de mon être à l'origine. Le même caractère (dong 動 ) est utilisé pour les battements du Cœur et pour les battements, imperceptibles, des souffles qui font mon origine : "Les souffles qui battent ( dong qi 動氣 ) entre les Reins, sous le nombril, c'est la destinée vitale de l'homme, l'enracinement des Douze méridiens. On les appelle donc : source (origine, yuan 原 )." (Nanjing 66) On a là un des exemples de la relation entre le Cœur et l'origine, où le Cœur manifeste authentiquement la potentialité originelle. 3. Tous les luo ( 絡 ), connexions, circulations qui tissent le réseau de relations entre un méridien et les lieux et fonctions qu'il règle ou qu'il sert, sont des mai. Ce sont des luomai, qu'il s'agissent des grands luo ou des circulations les plus superficielles (fu luo 浮絡 ), les plus fines (sun luo 孫絡 ). 4. Le sang ne fait jamais partie des "liquides corporels" (jin ye 津液 ). Il est unique en son genre, comme en atteste sa couleur rouge.
contact illumine la vie intérieure dans l'invisible, et fait resplendir superbement tous les aspects visibles de cette vie : teint sain et superbe (procuré par une juste circulation d'un sang de qualité à la face), œil vif et clair (où transparaissent les Esprits du Cœur), beauté de l'apparence comme acuité de l'intelligence... "Quand le maître répand sa lumière ( zhu ming 主明 ), les inférieurs sont paisibles. Un tel entretien de la vie (yang sheng 養生 ) procure la longévité, de génération en génération, et l'Empire sous le Ciel resplendit d'un grand éclat. Mais si le maître ne répand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque fermeture et blocage des voies, l'arrêt des communications, et le corps en est gravement atteint. Une telle façon d'entretenir la vie est catastrophique, et dans l'Empire sous le Ciel les lignées ancestrales5 elles-‐mêmes sont en grand péril. Prenez-‐y garde; prenez-‐y bien garde!" (Suwen 8)
Du Cœur, premier nommé dans la hiérarchie des Douze charges, dépendent, en dernier ressort, la bonne ou la mauvaise santé, la longévité ou la mort prématurée. De la même manière, le souverain mène son royaume à la prospérité ou à la perte. Si la radiance des esprits, qui est lumière de la Vertu, est voilée, plus aucun des fonctionnaires n'a de cœur à l'ouvrage, ne sait où il va, ne coopère avec les autres. C'est la désorganisation.
Les agents du Cœur
"Le Milieu de la Poitrine (dan zhong 膻中 ) a la charge des agents sur place et en missions ( chen shi 臣使 ); l'allégresse et la joie ( xi le 喜樂 ) en procèdent. " (Suwen 8)
Pour allégresse et joie, consulter plus loin le ch. : Les émotions du Cœur.
Danzhong ( 膻中 ) est le milieu de la poitrine, là où est habituellement située la mer des souffles de la poitrine. Cette mer des souffles, lieu d'accumulation des souffles ancestraux ( zong qi 宗氣 ), dirige les souffles de tout le corps à partir des régions hautes du tronc, où trône le Cœur avec
5. Les lignées ancestrales (zong 宗 ) sont la base de la société et la fondation de l'Empire; elles pourraient être, dans l'organisme, les principes directeurs qui maintiennent la continuité, la cohérence dans le travail des souffles (souffles ancestraux, zong qi 宗氣 ), dans la force musculaire (muscle ancestral, zong jin 宗筋 )... etc. Leur affaiblissement désorganise l'être.
son ministre d'Etat, le Poumon6.
"Danzhong ( 膻中 ) est la mer des souffles ( qi hai 氣海 )." (Lingshu 33)
La mer des souffles est l'union des souffles qui viennent directement du Ciel par la respiration et ceux qui viennent de la Terre par la transformation des aliments. Une compénétration yin/yang se réalise donc constamment en cette mer, qui donne aux souffles leur qualité et leur rythme. L'harmonieuse composition réalisée dans la mer des souffles représente le yin/yang à l'œuvre dans le corps et l'équilibre des couples : sang et souffles, nutrition et défense ...
Le rythme correct qui en émane se perçoit à la régularité de la respiration du Poumon et à celle des battements du Cœur. Il y a donc un effet sur place, dans la poitrine, sur le Poumon et le Cœur, et un effet à distance dans toutes les circulations, commandées depuis la poitrine et parcourant le corps. L'harmonie de la composition des souffles, mettant la vie dans son rythme naturel, est aussi la meilleur façon de servir le Cœur, de lui permettre de commander la vie telle qu'elle doit se dérouler et de le protéger de tout mal.
La différence de fonction entre la mer des souffles et le Poumon7 n'est pas facile à faire; souvent elle ne s'impose pas. Poumon comme Danzhong sont des assistants, hauts placés, du Cœur. L'un comme l'autre servent le Cœur en assurant l'équilibre yin/yang des souffles qui s'accumulent dans la poitrine et en régulant les mouvements qu'ils impulsent à la respiration, au Cœur et à toutes les circulations. Les méridiens, qui règlent les mouvements de sang et souffles, commencent avec le méridien du Poumon et dépendent de la mer des souffles de la poitrine; les pulsations qui font circuler sang et souffles sont régulés à chaque aube par le Poumon8, mais sont aussi la manifestation du bon (ou mauvais) fonctionnement de la mer des souffles.
De toute façon, sang et souffles ne sont pas séparables, que le sang dépende du Cœur et les souffles du Poumon, ou que sang et souffles se retrouvent ensemble dans la poitrine sous l'autorité du Cœur et de son assistant. On peut simplement remarquer que le Poumon n'intervient pas directement sur le sang; il n'agit que sur les souffles qui le conduisent.
6. Le même caractère (xiang 相) est utilisé pour le Feu ministre ( xiang huo 相火 ) et pour le Poumon, ministre et chancelier (xiang fu 相傅 ) du Cœur. 7. "Le Poumon a la charge du ministre et chancelier; le contrôle des rythmes en procède." (Suwen ch.8) 8. "les souffles des mai (脈) s'écoulent aux méridiens ( jing 經); les souffles des méridiens se reportent au Poumon; le Poumon reçoit en audience les Cent mai." (Suwen 21)
Par contre les protections et connexions du Cœur ( xinbaoluo, cf plus loin) sont une fonction agissant directement sur le sang. On pourrait alors dire que Danzhong, mer des souffles sur le Renmai9, représente la convergence du yin et du yang en mouvement dans le corps, tant il est vrai qu'il n'y a pas de souffles actifs en un corps sans des substances qui leur permettent de s'activer, et que ces mêmes substances ne sont plus "incorporées", fructueusement présentes dans l'organisme, si elles ne se laissent plus compénétrées, animées et transformées sans cesse par les souffles.
En Suwen 8, on insiste davantage, pour le Poumon, sur la rythmique des souffles, et on donne à Danzhong le rôle de propager partout la présence mystérieuse et vivificatrice du Cœur et de ses Esprits, à travers toutes les circulations qui se commandent au Réchauffeur supérieur : yin et yang, sang et souffles, nutrition et défense.
Agents sur place et en mission convient donc bien au double aspect du rôle de Danzhong :
-‐ D'un côté, ses souffles sont là pour aider le Cœur à battre et à pulser, pour conduire vers lui les sucs dont il se nourrit et fait le sang.
-‐ D'autre part, ses souffles servent aussi à toutes les circulations qui investissent le corps et ses organes; ils insufflent et soutiennent le mouvement. Mais leur relation au Cœur leur permet également d'inspirer une orientation ou un sentiment de vie qui prend naissance au tréfonds du Cœur, là où se tiennent les Esprits. Ce qui sort du Cœur, ce n'est pas seulement le sang, c'est l'allégresse et la joie, c'est ce qui éclaire la vie et permet à la conscience de fonctionner.
On voit que les analogies avec les enveloppes protectrices et connexions du Cœur ( xin bao luo ) sont fortes. Danzhong est même parfois explicitement doté d'un rôle de protection :
"Poitrine et ventre ( xiong fu 胸 腑 ) sont les remparts des zang et des fu. Danzhong est le palais impérial ( gong cheng 宮城 )10 du Cœur-‐ maître ( xin zhu 心主 )." (Lingshu 35)
9. Danzhong est aussi le nom et l'emplacement du point RM 17. La mer des souffles se trouve très naturellement sur le méridien extraordinaire responsable du yin, car le yang toujours se renouvelle grâce au yin et en provient. 10. Terme qui sera employé pour désigner la "Cité interdite", résidence des Empereurs, à Pékin.
La meilleure défense du Cœur n'est-‐elle pas de continuer à battre, régulièrement, car tout l'organisme coopère harmonieusement à la formation équilibrée des souffles de la poitrine. Le rayonnement du Cœur, en retour, fera que chaque organe se comporte encore mieux.
Danzhong et Xinbaoluo
Dans l'expression "enveloppes protectrices et connexions propres au Cœur" ( xin bao luo 心包絡 ), qui tient habituellement la place du douzième viscère, au lieu de Danzhong, on retrouve le même double aspect : les enveloppes sont pour la protection sur place, et les connexions pour la communication, la circulation, la propagation au loin.
"A l'extérieur du Cœur il y a des graisses qui enveloppent (bao guo 包裹 ) le Cœur; on les nomme: protections du Cœur (xin bao 心胞 )." (Taisu)
"Le Maître-‐Cœur (xin zhu) est en relation avers/revers (biao li 表裡 ) avec le Triple Réchauffeur; ils ont un nom (ming 名 ) mais pas de forme (wu xing 無形 )." (Nanjing 25)
Forme (Taisu) ou non forme (Nanjing) ? Ou fausse question. Il y a la fonction, le mouvement de souffles qui pulse le sang et c'est l'essentiel; mais il y a des manifestations sensibles de ce fonctionnement comme les vaisseaux sanguins. Les vaisseaux sanguins font partie de la circulation du sang et souffles, mais on ne peut réduire le sang et souffles, ni les méridiens qui les guident, à ces vaisseaux. De même, les graisses qui enveloppent le Cœur peuvent protéger le Cœur anatomique. Mais l'important se trouve dans la relation fonctionnelle du Cœur-‐souverain, maître de la conscience et de la vie, avec ses moyens d'expression.
Les vaisseaux sanguins font partie de la circulation du sang et souffles, mais on ne peut réduire le sang et souffles, ni les méridiens qui les guident, à ces vaisseaux. De même, les graisses qui enveloppent le Cœur peuvent protéger le Cœur anatomique. Mais l'important se trouve dans la relation fonctionnelle du Cœur-‐souverain, maître de la conscience et de la vie, avec ses moyens d'expression.
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LA PEUR - 恐 - KONG
LA PEUR ET LES REINS
La peur correspond aux Reins. Le mouvement de souffles caractéristique de la peur est analogue à celui de l'élément Eau, quand celui-ci n'est plus équilibré.
Peur et crainte, on les éprouve très normalement : sage crainte et prudence bienvenue, qui font mesurer les conséquences d'une action. C'est le mouvement de l'Eau qui retient à l'interne, tire vers le bas pour maintenir solidement les assises de la vie. Mais si ce mouvement n'est pas correctement équilibré par les autres, s'il est trop intense, alors c'est l'affaissement sans retenue, la descente sans contrôle. Ce n'est plus la saine immobilité qui contient tout, mais l'absence de réaction et de rétention. On ne sait plus où donner de la tête, tout s'écroule et s'affaisse; on ne sait pas où ni quand donner le moindre coup d'arrêt; l'initiative est devenue comme impossible et tout se dérobe, tout semble irrémédiable et perdu d'avance. La peur est une émotion qui ronge petit à petit la joie de vivre, le sentiment d'appartenir avec confiance à la vie. Elle sape la base, attaquant les Reins qui sont la fondation, le fondement de la vie.
Ainsi, la peur qui nous saisit brutalement déséquilibre en nous le mouvement normal de l'eau, des Reins. Inversement, une détèrioration lente des Reins peut mener à un état psychologique de crainte, de peur :
“La peur (kong 恐) porte atteinte aux Reins” (Suwen 5)
“Quand les souffles du Shaoyin de pied, Reins, sont en insuffisance, on est enclin à la peur (shan kong 善恐), le Cœur est craintif (xin ti ti 心惕惕) comme un homme sur le point d'être appréhendé.” (Lingshu 10)
L'insufisance du méridien des Reins conduit à une diminution des essences et des souffles des Reins. Les souffles ne peuvent plus soutenir le travail sur les essences; les essences ne peuvent plus soutenir le renouvellement des souffles et la richesse du sang et des liquides. Les Reins perdent leur esprit, le vouloir; ils ne donnent plus de fondement et de sécurité. En même temps, le manque consécutif de sang dans le Foie entraîne une agitation nerveuse, une anxiété permanente. On retrouve là une caractéristique de la pathologie du Shaoyin pied : le yin se dérègle générant froid ou immobilité; et en même temps apparaissent une instabilité, une impossibité à s'arrêter ou se reposer. C'est la personne exténuée, mais incapable de “se poser” cinq minutes sur une chaise; son esprit ne sait plus se fixer, ni son corps se tenir tranquille.
Les effets de la peur
La peur soudaine fait palpiter le Cœur, qui bat fortement dans la poitrine. C'est ce que montre le caractère pour la peur, kong 恐 : avoir le Cœur 心 qui bat, soumis à des coups répétés, comme quand on construit un ouvrage 工 par attouchement réitérés, par petits coups 丮 .
Le déséquilibre de souffles qui résulte de la peur est bien décrit dans le Suwen :
“Quand il y a peur, les souffles descendent. [......] Quand il y a peur, les essences se replient; se repliant, alors le Réchauffeur Supérieur se ferme; se fermant, alors les souffles s'en retournent; s'en retournant, alors le Réchauffeur Supérieur est gonflé. C'est ainsi que les souffles ne circulent pas.” (Suwen 39)
La peur soudaine, inattendue, est comme un coup porté en plein ventre qui dissocie les souffles et les essences, perturbant ainsi l'alliance harmonieuse du yin et du yang. Les souffles, qui ne sont plus fixés par les essences, se précipitent vers le haut et encombrent le Réchauffeur Supérieur; leur contre-courant ascendant bloque les descentes, gêne la distribution des souffles, empêche leur circulation; ce qui fait que le Réchauffeur Supérieur est congestionné, fermé et gonflé. Le désordre dans les souffles au niveau de la poitrine, là où s'élabore la conscience, résulte en palpitations, en agitation et panique. De leur côté, les essences - c'est-à-dire l'expression corporel du yin : liquides, substances ...etc. - ne sont plus tenues par les souffles et s'affaissent vers le bas. Le manque de souffles dans le Réchauffeur Inférieur est analogue à une faiblesse du yang des Reins; les ouvertures et fermetures des orifices inférieurs ne sont plus maîtrisées, les matières ne sont plus retenues; ce qui explique les relâchements des sphincters que l'on observe en cas de grande peur.
En bas, dans le domaine des Reins, il n'y a plus de souffles, il y a un vide de yang. En haut, dans le domaine du Cœur, il n'y a plus d'essences, il y a un vide de yin.
Ainsi, le mouvement des souffles est perturbé par la peur de telle sorte que les souffles n'assurent plus l'équilibre entre la montée et la descente. En conséquence, la relation entre le Cœur et les Reins, le Feu et l'Eau n'est plus assurée. Le grand axe de la vie, entre origine et expression concience de la vie personnelle, est perturbé.
Un yin sans yang
On pourrait aussi dire que la peur vide le yin du yang qui doit normalement toujours demeurer en son sein. De même que le trigramme de l'eau, kan ☵, se compose d'une ligne yang (continue) entre deux lignes yin (brisées), l'élément Eau, représenté par les Reins, est normalement une eau animée d'un courant, des essences travaillées par des souffles; ce que nous trouvons dans l'alliance du yin et du yang des Reins. La peur déracine le yang, pulse les souffles vers le haut, les rendant incapables de continuer à habiter le bas et les essences des Reins.
A l'inverse, le trigramme du feu, li ☲, se compose d'une ligne yin (brisée) entre deux lignes yang (continues). Le Feu, représenté par le Cœur, est normalement une puissance de circulation et de réchauffement, mais exprimée dans la substance du sang. L'allégresse (xi 喜) détruit la présence du yin, la possibilité de garder à l'interne; vide de yin qui entraîne finalement un vide de souffles.
Rupture des communications entre Cœur et Reins
La peur est donc rupture des communications bénéfiques entre haut et bas, entre Cœur et Reins. Les essences, privées de dynamisme, ne s'élèvent plus. Les Esprits du Cœur, ne jouissant plus du support des essences des Reins, s'égarent, s'affolent et la conduite est
insensée. Il n'y a plus d'accès à la mémoire, de retour possible à une pensée construite à travers la Rate; il n'y a plus d'analyse correcte de la situation grâce au Foie, mais juste une urgence de fuir. Surtout, il n'y a plus de quoi soutenir les esprits vitaux, cette subtile alliance, sans cesse renouvelée, d'essences et d'esprits (jing shen 精神). Quand les essences ne peuvent plus rendre présents les esprits, alors c'est la clarté et la pertinence de la conscience et de la pensée, des réactions, des jugements et des conduites qui s'égarent.
Les mouvements du corps ne sont plus commandés par la conscience : si les souffles sont faibles, les jambes - et même tout le corps - ne peuvent plus se mouvoir. Il ne peut pas y avoir de vouloir réel de bouger, un vouloir maîtrisé et puissant ne peut plus exister puisque les Reins sont faibles et qu'ils ne communiquent plus avec le Cœur; il n'y a pas assez de circulations de souffles pour effectuer le mouvement. Il est souvent impossible de déterminer la part de faiblesse du vouloir et celle de faiblesse des souffles, car c'est tout un, c'est la même faiblesse des Reins qui s'exprime. Si les souffles sont forts, ou pulsés vers l'extérieur, ils agitent les membres comme ils font palpiter le Cœur; on fuit, on court, mais n'importe où, car la conscience n'éclaire pas la conduite.
On oppose la crainte qui fait trembler et la paix qui réjouit le Cœur. Peur et crainte, c'est l'insécurité, l'absence de tranquillité, la disparition de la joie de vivre.
Cette rupture peut venir d'une émotion violente, causée par un choc extérieur. Elle peut aussi venir d'une dégradation lente mains inexorable d'un état psychologique. Elle est parfois le résultat d'un état physiologique de faiblesse.
“En cas de blocage (bi 痹) au Cœur, les mai ne circulent plus aisément; s'il y a malaise, sous le Cœur cela fait comme un tambour; il y a brutale remontée des souffles et dyspnée; la gorge est sèche et on a tendance à éructer; quand les souffles en fléchissement (jue qi 厥氣) remontent, il y a peur.” (Suwen 43)
Les souffles en fléchissement sont les souffles qui n'atteignent plus les endroits où ils devraient fonctionner. S'il y a contre-courant ascendant du Cœur, cela signifie que ce qui devrait descendre, à partir du Cœur, est empêché de le faire. L'échange entre Cœur et Reins se trouve donc compromis. Les Reins ne recevant plus l'impulsion du feu du Cœur perdent de leur force et ne dominent plus leur vouloir propre : la peur s'empare d'un Cœur devenu incapable de se conduire en maître.
On peut également y voir un vide : le Feu du Cœur va user jusqu'aux souffles, les “dévorer”, causer un vide, qui laissera le froid et l'Eau des Reins gagner tout les étages du tronc; la peur s'installe alors dans un Cœur qui est comme glacé.
Les effets d'un peur violente
“Paroles pleines de fureur (kuang yan 狂言), tressauts convulsifs (jing 驚), tendance à rire, on aime bien chanter gaiment, on fait n'importe quoi ( wang xing 妄行), sans trêve : cela se contracte par une grande peur (da kong 大恐). On traite en prenant les Yangming, Taiyang et Taiyin de main.” (Lingshu 22)
Une peur violente et soudaine bloque les souffles dans le Réchauffeur Supérieur, où un yang trop fort trouble le Cœur et perturbe son fonctionnement : les paroles ne sont plus sereines et justes, le rire n'est plus sain; la maladie des Reins s'est transmise au Cœur. Le blocage ressenti dans la poitrine et au diaphragme pousse à chanter pour déployer les souffles; on chante avec une sorte d'excitation joyeuse due à l'excès de yang du Cœur. Pour la même raison, le mental est agité et incertain; on est poussé à des activités incessantes, mais désordonnées, irraisonnables. Le traitement indiqué dans le Lingshu vise à disperser la plénitude pathologique dans la poitrine et à clarifier la chaleur résultant du blocage de souffles, mais aussi à soutenir les Reins.
La peur qui s'élabore petit à petit
Un sentiment, une tendance peut facilement dégénérer et conduire à une véritable pathologie. Le Lingshu, ch.8, décrit comment une telle évolution mène à une peur qui s'intalle dans les moindres fibres de l'être :
“Quand le Cœur est en proie à l'appréhension et l'anxiété, soucieux et préoccupé, alors se produit une atteinte aux esprits. Les esprits atteints, sous l'effet de la peur et de la crainte (kong ju 恐懼), on perd possession de soi-même, les formes rebondies se décharnent et la masse des chairs et ravagée.”
Etre méticuleux et consciencieux, craindre de mal faire, de n'être pas à la hauteur, de commettre une erreur n'est pas en soi pathologique, si cela ne devient pas obsessif. Mais si, petit à petit, toute la pensée est occupée par l'appréhension de faillir, on redoute constamment qu'il n'arrive quelque chose de fâcheux ou de dangereux; alors c'est tout le fonctionnement du mental qui est perturbé. Il n'y a plus de liberté dans la pensée puisqu'on ne peut pas se détacher de ses soucis, qu'on est toujours aux aguets. La Rate est incapable de fonctionner correctement, bloquée par les préoccupations anxieuses; elle ne permet plus les glissements et mutations de la pensée, elle ne distribue plus les liquides et nutriments qui nourrissent les chairs et la forme corporelle.
Mais l'atteinte est plus profonde; l’épuisement de la Rate s’enfonce dans les Reins qui sont affaiblis par cette peur grandissante. Les Reins atteints, les essences perdent leur qualité et les esprits ne peuvent plus être présents. Alors on perd possession de soi-même, on n'est plus soi-même. La peur rend incapable de faire retour à soi, à sa base et à son origine. Elle appauvrit la source de vie et rend impotentes les essences commandées par les Reins. Les esprits n'ont plus de demeure et de repos; ils ne peuvent plus, par leur présence, susciter les esprits vitaux (jing shen 精神) qui sont l'expression d'une vie personnelle réelle, authentique. Les esprits du Cœur ne peuvent plus rayonner; conséquence de ces affaiblissements successifs, de ce recroquevillement sur le bas : on se terre, on ne se montre plus à la lumière et la lumière ne se montre plus.
La crainte, ju 懼, est le sentiment intérieur 忄 (= 心 le cœur) semblable à celui des petits oiseaux 隹 ouvrant de grands yeux craintifs 目 pour maintenir la vigilance nécessaire à leur conservation : crainte, inquiétude, redouter.
“Sous l'effet d'une peur et d'une crainte (kong ju 恐懼) dont on n'arrive pas à se libérer, alors se produit une atteinte aux essences. Les essences atteintes, les os sont courbatus, l'impotence va jusqu'au fléchissement. Par moment, les essences descendent toutes seules.” (Lingshu 8)
La peur s'enracine, l'atteinte persiste; les essences des Reins sont détèriorées; elles ne donnent plus robustesse et richesse aux os et à la moelle; elles ne soutiennent plus les liquides et le sang qui nourrissent les mouvements musculaires, d'où les impotences - qui englobent toutes sortes de paralysies flasques, mais aussi l'impuissance sexuelle; elles ne permettent plus le renouvellement des souffles des Reins (fléchissement)1, laissant les substances vitales se perdre, comme dans la spermatorrhée.
La peur devient une peur de vivre, car le vouloir-vivre lui-même est miné.
LA PEUR ET FOIE/VÉSICULE
La peur envahit le Foie-Bois, qui ne trouve plus de quoi prendre son élan sur une base (Reins-Eau) déficiente. Elle s'oppose alors à l'ardeur impétueuse du Foie, au mâle courage de la Vésicule biliaire.
“Quand les souffles du Foie sont en vide, il y a peur (kong 恐).” (Lingshu 8)
“Quand le Foie est malade : douleur sous les côtes des deux côtés, irradiant au bas-ventre; tendance à se mettre en colère. En cas de vide, la vue se trouble, l'œil ne voit plus, l'oreille n'entend plus. On a facilement peur (shan kong 善恐), comme un homme sur le point d'être appréhendé (ren jiang bu zhi 人將捕之). On prend aux méridiens Jueyin et Shaoyang.” (Suwen 22)
Le Foie et la Vésicule ne sont plus nourris par le yin des Reins; ils perdent leur force, mais succombent à une agitation très profonde qui vient de l'absence des essences des Reins; comme le mal vient de la faiblesse des Reins, cette agitation se manifeste comme une inquiétude constante, le sentiment permanent d'être poursuivi, signe d'une déficience grave de la Vésicule, en proie à la lâcheté et la couardise.
La peur fait partie des symptômes de la pathologie par vide de la Vésicule Biliaire :
“Maladie de la Vésicule Biliaire : on a tendance à prendre de grandes respirations; la bouche est amère, on vomit des sucs, angoisses sous le Cœur (xin xia dan dan 心下澹澹), on a peur comme un homme sur le point d'être appréhendé (kong ren jiang bu zhi 恐人將捕之); il y a des obstacles et des bruits rauques dans la gorge et on crache fréquemment.” (Lingshu 4)
1 On appelle "fléchissement" ou "reflux" jue 厥 une faiblesse, un vide à l'interne qui fait que ce qui devrait être distribué, à partir de cet interne, ne peut pas atteindre tous les territoires à parcourir. La carence ainsi créée, laisse libre le terrain à l'intrusion de pervers. Ici, ce fléchissement peut être un refroidissement, commençant aux extrémités des Quatre membres.
L'incapacité des Reins à soutenir l'élan vital du Bois se traduit par une faiblesse de ces souffles, et plus particulièrement dans leur aspect yang : la Vésicule Biliaire. Ce qui manque alors c'est l'ardeur généreuse, le courage d'aller de l'avant, la capacité à “foncer”; quand elle est gravement absente, l'équilibre du mental n'a plus d'allant et n'ose plus rien. La pathologie de l'élément mère (Eau) se transmet ainsi au fils (Bois).
Une atteinte sur le Jueyin de pied, méridien du Foie, peut aussi entraîner des états mentaux plein de peur et de crainte, signe de l'insuffisance des souffles du Foie et de la faiblesse des Hun2.
LA PEUR ET ESTOMAC/RATE
“L'Estomac fait les souffles en contre-courant (qi ni 氣逆), les éructations (yue 噦) et les peurs (kong 恐).” (Suwen 23)
Si la chaleur s'installe dans l'Estomac, un effet possible du contre-courant ainsi induit est de vider le bas pour congestionner le haut, et donc de créer une situation analogue à celle de la peur.
“Quand la Rate est annexée (occupée indûment), on s’inquiète (wei 畏). (Suwen 23)
“Quand il y a peur (kong 恐), les souffles de la Rate chevauchent (cheng 乘, empiètent sur les Reins).” (Suwen 19)
Quand le centre, l'élément Terre correspondant à Rate/Estomac, est vide, il ne joue plus correctement son rôle d'intermédiaire entre le haut et le bas, de plaque tournante des échanges entre les organes. Si le froid s'installe, il ne peut pas résister à l'envahissement par les pervers de l'eau, c'est-à-dire au mouvement des Reins qui attire trop fortement les essences vers le bas, faisant refluer les souffles vers le haut. C’est le cycle de mépris, dans lequel la Rate est attaquée par ce qu'elle devrait dominer : les Reins. L'Eau déséquilibre la Terre, élément qui devait normalement la contrôler.
LA PEUR PROTEIFORME
La peur peut venir de multiples causes et affaiblir différents organes. Le Suwen 21 en donne un aperçu, qui nous servira de conclusion :
“Chez l'homme, l'effroi et la peur (jing kong 驚恐), l'irritation et la fatigue (hui lao 恚勞), l'agitation ou la tranquillité (dong jing動靜), provoquent tous des altéra-tions. Ainsi donc, si l'on s'active de nuit, la dyspnée (chuan 喘) sort des Reins, les souffles déréglés (yin qi 淫氣) rendent malade le Poumon.
2 Cf par ex. Suwen 36.
Si la peur (kong 恐) est due à une chute, la dyspnée sort du Foie, les souffles déréglés endommagent la Rate. Si la peur est due à l'effroi, la dyspnée sort du Poumon, les souffle déréglés portent atteinte au Cœur. Si l'on passe à gué et qu'on tombe, la dyspnée sort des Reins et des os. C'est pourquoi tout dépend des circonstances : si l'on est courageux (yong 勇), les souffles circulent et c'est tout; mais si l'on est lâche, ils s'attardent, ce qui entraîne des maladies. Ainsi dit-on : La méthode (dao道) pour diagnostiquer les maladies consiste à observer le courage ou la lâcheté du patient, les os et les chairs, les couches de la peau, afin de pouvoir connaître ses dispositions intimes (qing 情). Voilà la règle du diagnostic.” (Suwen 21)
Le Foie maîtrise l’activité musculaire et les Reins, les os. Une chute lèse musculaire et os. La peur fait s'effondrer les souffles des Reins. L'Eau ne peut plus engendrer le Bois; le yang du Foie n'est plus équilibré et il monte en contre-courant, troublant le Poumon sur son passage. La dyspnée, exprimée au Poumon, a son origine au Foie, doublement atteint au yin par la chute : dans le sang des muscles et dans l'appauvrissement du yin qui lui vient des Reins. Le contre-courant du Foie endommage la Rate, selon le processus habituel.
Le Cœur thésaurise les esprits. Selon le Suwen ch.39, en cas de frayeur, d'effroi (jing 驚), les esprits n'ont plus où se reporter, le désordre s'installe dans les souffles de la poitrine. Le Poumon est le maître des souffles; ses souffles se mettent en contre-courant, ce qui occasionne la dyspnée. La peur porte atteinte aux Reins et, en contre-coup, au Cœur, car il y a montée en puissance perverse du froid de l'Eau des Reins.
Si l'on est courageux, brave, les souffles circulent et il n'y a pas de développement de symptômes ou de maladies. On n'est pas “touché au centre”. Mais si l'on est lâche, que les souffles de la Vésicule sont trop faibles pour donner l'orientation juste, il y a moins de forces correctes pour s'opposer au mouvement pervers des souffles.
Dnas le diagnostic, connaître les dispositions intimes, les sentiments du patient est fondamental. Cela permet de savoir non seulement quels sont les mouvements de souffles perturbés, mais aussi comment les souffles, que l’on touchent par le traitement, vont réagir.
I. LES HUN ET LES PO DANS LA CULTURE CHINOISE
1. L'ÂME UNIQUE ET LES ÂMES DU CIEL ET DE LA TERRE
Hun et Po sont les noms donnés traditionnellement en Chine aux âmes de l'homme. L'homme aurait donc deux « âmes » et même plus exactement deux groupes d'âmes car ni Hun ni Po ne réfère à une entité unique, mais plutôt à un ensemble. On parle en effet des Trois Hun et des Sept Po. Nous reviendrons sur la valeur symbolique de ces nombres, mais il est évident que les âmes sont non seulement différentes mais multiples en l'homme.
Cela n’entre pas dans les habitudes de penser occidentales. En effet, quand nous parlons d’« âme », nous avons l’idée d’un principe unique, certes difficile à définir, mais que nous sentons cependant au centre de ce que nous sommes : mon âme, c’est moi, ce que je suis, ma vie et ma survie.
En Occident, la notion d’âme est d’abord religieuse. C’est le principe spirituel de l’homme, conçu comme séparable du corps, immortel et jugé par Dieu. Le corps meurt et l'âme survit; je survis à la disparition du corps qui n'était que le vaisseau ou la prison de mon âme pendant le temps de la vie sur terre.
La philosophie s’approprie la notion en en faisant l’un des deux principes composant l’homme : principe de la sensibilité et de la pensée, opposé au corps et pourtant ne s’exprimant que par lui.
« Nous sommes composées de deux natures opposées, d’âme et de corps. »
L’âme peut alors être aussi comprise comme le principe de la vie morale, la conscience morale. Et plus récemment, au XXe siècle, comme l’ensemble des fonctions psychiques et des états de conscience.
De nombreuses expressions du langage nous rapelle les différentes facettes de l'emploi de ce mot : « la force d’âme », « mon âme est triste ce soir », « rendre l'âme», « en mon âme et conscience »; on parle d'une belle âme ou d'une âme noire ou encore d'une âme damnée, de l'âme d'un pays ou d'une entreprise, etc.
L'âme est donc étroitement liée à la sensibilité, aux sentiments (états d’âme), à la connaissance, à la perception juste et au jugement correct (loi morale), à l’ensemble de la personne et de ses forces vives (de toute mon âme), à l’identité d’une personne (une belle âme, avoir l’âme d’un roi ou d’un valet) telle qu’elle est et se forge, telle qu’elle va se présenter pour l’éternité.
Si l'âme détermine ma vie présente, qui se termine quand je rends l'âme, elle est également ce qui survit après la mort; les âmes des morts1 sont vécues par beaucoup comme une réalité, sans parler bien sûr des âmes errantes et des fantômes des contes et légendes de notre enfance.
Aucun caractère -‐ ou expression -‐ chinoise ne rend exactement cette notion d’âme.
Cependant, si l'on traduit couramment le termes chinois de Hun et Po par « âmes »2, c'est qu'on y a trouvé assez de concordances avec le sens du mot français; et il y a effectivement des convergences; mais qui ne gomment pas les différence qui subsistent dans l'approche de cette notion et qui tiennent fondamentalement à la vision et à l'interprétation du monde propres à chacune de deux civilisations.
Du côté des convergences, on touve la notion d'animation, racine du mot français âme (anima en latin). L'âme est ce qui anime ma vie. Les Hun et le Po sont ce qui, ensemble, permettent aussi l'animation de ma vie. L'âme est liée à ce qui permet de vivre et de survivre. Les Hun et les Po sont aussi ce qui subsistent après la mort comme esprits lumineux du Ciel, mânes des ancêtres, comme âme errantes ou même démons redoutables.
Les âmes Hun et Po sont donc très importantes durant la vie mais plus encore après la mort. La mort est précisément la séparation des âmes Hun et des âmes Po, les unes et les autres retournant à leur lieu d’appartenance.
Du côté des différences, on trouve en premier cette pluralité d'âmes et, fondamentalement, leur dualité. Dans la vision chinoise, la vie se forme au croisement du Ciel et de la Terre; l'homme est constitué d'une part céleste et d'une part terrestre.
On peut certes concevoir la part céleste comme son esprit vital, ses facultés mentales, sa conscience, et la part terrestre comme le corps. Ce que l'on trouve par ex. dans le Huainanzi ch.7 :
« Or, les Esprits vitaux (jingshen 精神) sont un don du Ciel tandis que la forme corporelle (xing ti 形體) est fournie par la Terre. »
Cependant, on peut parler en terme d'âme non seulement de l'esprit vital mais aussi de la forme corporelle. Il y a ce qui permet l'animation spirituelle -‐ et ce sont les âmes Hun, célestes -‐ et ce qui permet l'animation corporelle -‐ et ce sont les âmes Po, terrestres. Ce que dit fort bien un autre passage du même Huainanzi :
1 Voir par ex. l'expression «all souls» en anglais pour parler des défunts, de ceux dont on se souvient le «jour des morts» (2 novembre). 2 Nous verrons plus loin comment cette traduction se précise selon que l'on parle des Hun «âmes spirituelles» ou des Po «âmes corporelles». Signalons également que plusieurs autres caractères chinois peuvent aussi être traduits en français par le mot âme lorsque le contexte le demande; par exemple, shen (esprits, 神), qi (souffles, 氣), xin (cœur, 心), ling (靈), etc. De même, si l'on veut traduire le mot âme en chinois, plusieurs options s'offriront à l'interprète contemporain.
« Les souffles célestes (tian qi 天氣) forment l’âme spirituelle (hun 魂�); les souffles Terrestres (di qi 地氣), l’âme corporelle (po 魄). Qu’ils fassent retour à leur demeure primordiale et chacune gardera son logis. » (Huainanzi ch.9)
Qu’est-‐ce qu’une âme corporelle ? Un oxymoron en français selon notre conception. Mais une évidence et une nécessité selon la conception chinoise ancienne.
La seconde phrase indique que la mort est le moment de séparation des âmes, quand chacune doit trouver son chemin vers l'au-‐delà.
Si les deux sorte d'âmes sont la double animation céleste et terrestre en l'homme, on voit qu’elles constituent exactement le reflet de ce qu’est un être : un croisement ou un noeud de souffles entre Ciel et Terre : « souffles du Ciel, souffles de la Terre ».
Le couple Hun et Po reflète deux autres couples : Ciel Terre et Yin Yang.
Le Shuowen jiezi3 définit les Hun comme des souffles yang (yang qi 陽氣) et les Po comme des esprits yin (yin shen 陰神 ). Le même ouvrage présente les shen (神) comme les esprits du Ciel et parle de souffles yin (yin qi 陰氣 ) à propos des gui (鬼), esprits de la Terre ou revenants.
Dans un premier temps, nous pouvons différencier ainsi les Hun et les Po :
HUN
âmes spirituelles, intelligentes, raisonnables
PO âmes corporelles, animales, sensitives,
végétatives Ciel Terre Yang Yin
Il va s’agir de conserver l’équilibre et l’harmonie des souffles yin yang, les échanges des deux partenaires, avec la préséance des Hun, liés à l’intelligence spirituelle, car, dans le Ciel Terre, il y a toujours un ordre hiérarchique, une préséance du Ciel par rapport à la Terre. Si la hiérachie s’inverse, cela produit une désorganisation, parce que la vie de l’homme se met à contre-‐courant de l’ordre naturel.
Il s’ensuit deux conséquences :
-‐ Durant la vie, il faut prendre soin de nos âmes, qui constituent le fond de la vitalité, qui nous animent, et empêcher leur séparation, leur départ.
-‐ À la mort, il y a séparation des âmes : chacune prend son chemin, les Hun vers le Ciel et les Po vers la Terre.
3 Dictionnaire étymologique explicatif, paru en 121 ap. JC.
Il y a une façon de pouvoir joindre le mouvement de la vie en les gardant dans une harmonie parfaite.
« La vitalité (jing 精) et la clarté (shuang 爽) du Cœur (xin 心) sont ce qu'on nomme Hun et Po. Si Hun et Po nous quittent, comment peut-‐on survivre ? » (Chunqiu zuozhuan, 25e année du duc Zhao)
« La vie de l’homme, entre Ciel et Terre, ressemble au saut d’un poulain blanc par dessus une ravine; un saut et, en un éclair, c’est fini. Déversement soudain, et rien qui n’apparaisse (chu 出) Glissement silencieux, et rien qui, finalement, ne disparaisse (ru 入). Une transformation (hua 化) mène à la vie (sheng 生), mais une transformation aussi mène à la mort; les êtres vivant en pleurent; les humains s’en désolent. Mais c’est se libérer (jie 解) du fourreau dont le Ciel nous a doté, abandonner l’enveloppe donnée par le Ciel. Un emmêlement, une ondulation, et les Hun et les Po s’en vont, la vie (la personne et son corps, shen 身) à leur suite, pour accomplir le Grand retour (da gui 大 歸 ). (Zhuang zi ch.22)
2. ANALYSE DES CARACTÈRES HUN ET PO
LA PARTIE COMMUNE DES CARACTÈRES HUN ET PO
Les caractères de Hun et de Po comprennent une partie commune, gui 鬼�, qui représente une grosse tête sur un corps, avec un crochet ou un petit tourbillon de poussière évoquant quelque chose passant sur le chemin, comme le fantôme (la grosse tête et une forme qui flotte font penser aux fantômes de nos châteux hantés).
Gui 鬼 désigne les esprits de la Terre, les forces qui animent sur Terre. L’expression ancienne gui shen 鬼 神, qui unit les esprits de la Terre (gui) et ceux du Ciel (shen), désigne toute l'animation du Ciel Terre, tout ce qui permet l'apparition des vivants entre Ciel et Terre, les forces présentes derrière les phénomènes et les êtres.
Très probablement, les gui et les shen renvoyaient anciennement aux esprits des ancêtres (les shen montaient au Ciel, ceux qui restaient dans la Terre étaient des esprits gui, qui éventuellement devenaient des revenants). Nous reviendrons sur le culte des ancêtres et sur les revenants.
S'il apparaît normal de trouver le caractère des esprits de la Terre dans les âmes qui émanent des souffles de la Terre et qui sont destinées à y retourner, on pourrait s’étonner que le caractère pour les Hun, émanation des souffles du Ciel et destinés à gagner les hauteurs subtiles, portent également les espris de la Terre.
Plusieurs hypothèses sont possibles :
a) On ne peut pas juger de l’origine d’un caractère par rapport aux sens qu’il prendra par la suite; l’évolution d'une notion n'est pas connue à l'avance. Le caractère hun n'était peut-‐être pas fortement lié au Ciel à l'origine et c'est ensuite qu'il s'est spécialisé comme l'âme céleste.
b) Les Hun et les Po sont l'animation d'une vie qui prend forme sur Terre. Même si les Hun sont, en moi, ce qui relève du Ciel, malgré tout, ils s’expriment dans être qui vit sur Terre. Mais cela est plutôt une explication a posteriori.
c) Comme le culte des ancêtres consistait à faire revenir dans le lieu du sacrifice les esprits des ancêtres, aussi bien de leur séjour au Ciel que des profondeurs de la Terre, on a associé le terme désignant les esprits de la Terre, gui 鬼, avec un autre terme homophone, gui 歸, qui signifie revenir, retour et revenants (fantômes). Mais il est très peu probable que ce jeu de mot, bien qu'ancien, explique l'origine de l'écriture du caractère hun.
d) Le caractère gui 鬼 remonte aux inscriptions oraculaires; il y signifie les âmes ou esprits d'un mort d'une façon sans doute assez générale. Il ne sera associé au caractère shen, dans l'espression gui shen 鬼神 esprits du Ciel et de la Terre, que plus tardivement. Il se pourrait donc bien qu'il ait été pris en ce sens pour désigner les différentes sortes d'esprits ou d'âmes des morts, en particulier quand ils reviennent hanter les vivants. Les caractères hun et po se seraient développés et précisés par la suite.
LA PARTIE SPÉCIFIQUE DES CARACTÈRES HUN ET PO
C'est la partie gauche dans l'un et l'autre caractère.
Dans le cas de hun 魂, la partie spécifique est le caractère yun 云, qui signifie les nuages; elle montre comment, du sol, une vapeur s’élève et s’amoncelle en haut pour former les nuages. Ce caractère sert de phonétique, c'est-‐à-‐dire donne une indication sur la prononciation, mais il évoque aussi un mouvement ascendant vers le Ciel, qui correspond au Yang, à un développement, une montée.
Les nuages voyagent dans l'immensité du Ciel. Ils deviendront aisément une image pour les âmes Hun, randonnant librement dans l'espace infini.
Plusieurs textes, rédigés après l'ère chrétienne, utilisent des associations graphiques et sonores pour expliquer la nature des âmes Hun. Ils reprennent l'image des nuages pour montrer que ces âmes voyagent et s'activent sans cesse et sans limite. Ils font jouer l'homophonie entre le caractère pour nuage, yun 云, et le caractère yun 運4, qui signifie
4 Noter que la graphie simplifiée de 運 est 运.
mouvoir, transporter, se déplacer. De nature yang, les Hun sont caractérisés par le mouvement et l'activité, comme le sont les souffles5.
La liberté de mouvement, la légèreté et la mouvance caractérisent les Hun; ils s'échappent facilement du corps, pour un temps ou pour toujours.
Dans le cas de po 魄, la partie spécifique est le caractère 白 qui se prononce bai ou bo, et qui signifie blanc. Là aussi, cette partie spécifique sert d'indication pour la prononciation (entre bo et po il n'y a la différence que d'une aspiration) et en même temps est porteuse de sens qui vont bien avec la notion de Po.
Sans doute une des premières associations faites avec les Po fut celle des os, dont la couleur est blanche et qui évoque les morts. Mais, durant la vie, ces os sont aussi le réceptacle de la moelle, quintessence de substance vitale. Les Po sont étroitement associés, comme nous le verrons plus loin, à la vitalité corporelle et aux essences.
Le caractère bai 白, blanc, a lui-‐même plusieurs possibilités d’interprétation :
a) la blancheur radieuse de la lumière, l’irradiation de la lumière qui rayonne dans toutes les directions, la pureté et l'éclat.
b) le mouvement du déclin, du retour à la Terre. Le blanc n'est plus alors éblouissement ou illumination; c'est la couleur de l'arrivée du yin dans les saisons quand les gelées blanches de l'automne précèdent la neige de l'hiver, ou dans les âges de la vie, quand les cheveux blanchissent, ou encore la couleur de ce qui reste quand tout ce qui a été confié à la terre a disparu, c'est-‐à-‐dire les os blanchis. C'est encore l'éclat du métal qui fauche les épis ou fait tomber les têtes à l’automne.
Le blanc représente alors un mouvement de retour à la Terre, de descente, d'enfoncement, de resserrement comme quand un vieillard se ratatine ou que la végétation se recroqueville.
Les même textes qui lient les Hun à l'activité et au mouvement, associent les Po à l'immobilisation, à la prise qui immobilise, comme dans une prise de catch, quand un corps en étreint un autre, se colle à lui, fait pression sur lui, le tient et le retient. Le jeu de mot le plus courant se fait alors avec le caractère homophone, po 迫 , qui signifie serrer de près, pression, contraindre, retenir6.
5 Le Baihutong, ch.8, dit : «Les Hun voyagent sans trève (yun yun 伝伝); ils vont sans cesse (xing bu xiu 行不休). Ce sont les souffles du Shaoyang; c’est pourquoi ils bougent sans arrêt (dong bu xi 動不息); pour l’homme, ils sont (le mouvement vers) l’extérieur.» Et le Wuxing dayi : «Le Foie thésaurise les Hun : les Hun tirent leur nom du mouvement, de l’activité (yun dong 運動). Le Foie, c’est le Shaoyang; la nature du yang est de remuer et de s’activer.» 6 Le Baihutong, ch.8, dit : «Les Po sont comme ce qui s’attache aux hommes de façon pressante (po ran zhu ren 迫然著人). Ce sont les souffles du Shaoyin, à l’image du métal et des pierres; ils s’attachent aux hommes sans aller ailleurs.»
L'attachement au corps caractérisent les Po; ils ne peuvent pas s'échapper des substances corporelles auxquelles ils sont intimement liés.
La graphie des caractères hun et po renforce l'impression d'un couple dont un des membres est destiné à s'élever vers le Ciel et l'autre à s'enfoncer dans la Terre.
Dans les textes anciens, Hun et Po apparaissent souvent en couple; mais Hun comme Po peut également se trouver en couple avec un autre caractère (ou une expression à deux caractères) qui devient alors sa contrepartie, son opposé complémentaire. Nous verrons au fur et à mesure des textes quelles sont ces associations et ce qu'elles nous apprennent sur la signification des Hun et les Po.
Et le Wuxing dayi : «Le Poumon thésaurise les Po : les Po tirent leur nom de l’adhérence mutuelle (xiang zhu 相著). Le Poumon, c’est le Shaoyin; la nature du yin est d’être calme et tranquille (tian jing 恬靜).»
M.C.1 TIANCHI (天池) T'IEN CH'IH - TIENN-TCHRE
TIAN 天 Ricci n°4938 - Grand Ricci n°10917 - Wieger n°1 C, 60 C - Mathews n°6361
Firmament, Ciel. Le Naturel. Le Souverain du Ciel. Temps, saison. Auguste.
CHI 池 Ricci n°0893 - Grand Ricci n°1878 - Wieger cf. n°107 B - Mathews n°1032
Pièce d'eau, étang, bassin, réservoir, citerne, piscine. Douve, fossé de rempart plein d'eau.
DESCRIPTION DANS LES TEXTES MÉDICAUX
« Tianchi a pour autre nom Tianhui (天會); il se situe un pouce à l'arrière du sein1, à trois pouces sous l'aisselle, à l'attache des côtes, juste à l'aisselle là où la côte fait saillie (jue 橛); c'est un rassemblement du Jueyin de main2 et du Shaoyang de pied3. On le puncture en pénétrant à 7 dixièmes de pouce4; on y applique 3 fois la moxibustion » (Jiayijing III, 18)
Ce point figure dans le Lingshu chapitre 2, qui énumère les points remarquables qui commandent le passage vers la tête, sur le grand cercle qui va de la base du cou à la base de la nuque, de Tiantu (R.M.22) à Fengfu (D.M.16) en passant par Renying (E.9), Futu (G.I.18), Tianchuang (I.G.16), Tianrong (I.G.17), Tianyou (T.R.16) et Tianzhu (V.10). Après la présentation de ces 8 points, tous sur des méridiens yang, à l'exception du premier (Renmai), le texte en rajoute deux : Tianfu (P.3) à l'interne de l'aisselle (ye nei 腋內), en dépendance du Taiyin de main, et Tianchi (M.C.1), sous l'aisselle (ye xia 腋下), en dépendance du Maître-Cœur (Xinzhu) de main. Ces points sont couramment appelés « fenêtres du Ciel », car la plupart comportent le caractère Ciel (tian 天) dans leur nom et ils ouvrent vers la tête, qui représente le Ciel dans le corps humain.
1. Le commentaire du Qifu lun, SW 59, par Wang Bing, dit : « à deux pouces ». Il est intéressant de regarder tous les points dits à 3 distances de l'aisselle : V.B.22 - Rt.21 - M.C.1. 2. Selon une autre version : rassemblement du Cœur (xin 心 pour Maître-Cœur) de main et du Shaoyang de pied. 3. D'après le Juying : rassemblement des Jueyin de mai et de pied avec le(s) Shaoyang. D'après le Jingxuejie : rassemblement des Jueyin de pied et de main avec les Shaoyang de pied et de main. 4. Commentaire au Qifu lun, SW 59 : « on le puncture à 3 dixièmes de pouce ».
Cependant, la précision concernant l'appartenance de Tianchi au Maître-Cœur (Xinzhu) de main pourrait être une correction ou une addition tardive. En effet, le point est simplement présenté dans le Jiayijing comme un point de la région de l'aisselle (ye 腋). Sun Simiao le présente de même, ou bien comme un point de la région des côtes. Quand au Waitai biyao, il en fait, explicitement, un point du Shaoyang de pied, Vésicule Biliaire.
Il faut attendre l'Homme de Bronze (Tongren) pour que Tianchi soit officiellement et définitivement le premier point à la poitrine du Maître-Cœur (en fait le dernier dans la présentation centripète de cet ouvrage).
Cependant, ce point est toujours présenté comme un rassemblement des souffles Jueyin et Shaoyang; il fédère donc les qualités de souffles du Foie, de la Vésicule Biliaire, du Triple Réchauffeur avec celle du Maître-Cœur. C'est ce rassemblement, dû à sa localisation, qui détermine les symptômes du point.
La relation avec les Shaoyang est particulièrement forte. On notera que, sur les 3 autres points où apparaît le caractère chi 池, deux appartiennent au Shaoyang : V.B.20, Fengchi (風池) et T.R.4, Yangchi (陽池) et un au Yangming : G.I.11, Quchi (曲池). On notera que, sur les Shaoyang, la réserve liquide, l'étang chi 池, est associé soit au vent (feng 風), soit au yang (陽), comme en M.C.1 il est associé au Ciel (tian 天).
De plus, Tianchi est le nœud charnière entre le deuxième et le troisième fuseau du musculaire (cf. trajet du musculaire); ce qui explique certains symptômes de douleur au bras ou de difficultés à le bouger.
EMPLOIS CLASSIQUES
Le Ciel Le Ciel (tian 天) indique la position du point dans la partie haute du corps, mais surtout qu'il a quelque chose à voir avec une région corporelle qualifiée de céleste. Au Ciel, s'élèvent des nuées claires, des vapeurs essentielles. La poitrine, le Réchauffeur Supérieur (Poumon, Cœur) reçoivent le clair et le pur, les essences raffinées de l'organisme.
Le caractère Ciel, céleste (tian 天) dans le nom de M.C.1 indique que se joue là une des commandes du mécanisme qui entretient la pureté de la région. C'est un point fenêtre du Ciel.
L'étang L'étymologie de chi 池, étang, montre un réservoir (也), un vase pour contenir du liquide, qui est peut-être aussi une matrice, un abri pour la germination; on lui adjoint le radical de l'eau. Si l'on remplace le radical de l'eau par celui la terre (土), on obtient le caractère pour la Terre (di 地), puissance couplée au Ciel.
L'étang, le lac (chi 池) indique un réservoir vital. Ce réservoir est assez vaste pour accueillir les souffles du Shaoyin de pied, méridien des Reins, qui lui arrivent de la partie plus centrale et plus haute de la poitrine, donc du « Ciel ».
Des rapprochements avec les mécanismes de la lactation et de la mise en réserve du lait, ou du pouvoir de le distiller, à partir de sucs purs et riches sont également possibles.
Pour certains textes (en particulier référés à l'Alchimie intérieure), l'étang peut désigner le Cœur, qui, dans l'homme, est le centre de vie, sa lumière ultime, son souffle réel, et le maître des transformations à leur niveau le plus élevé5. Le Cœur est assez volontiers alors appelé l'étang central (zhong chi 中池). Mais la Vésicule Biliaire est également ainsi dénommée6.
l'étang céleste Le nom du point unit un côté céleste, yang, feu (le Ciel et la position haute et claire) et un côté terrestre avec l'étang, l'eau, l'analogie avec la Terre, la dépression où se situe le point.
De même que dans la circulation du sang (xue mai 血脈) - dont le méridien a la responsabilité - l'aspect yang de circulation, de souffles se marie à l'aspect yin de liquides, de sang.
Sur Terre, ou dans la substance corporelle, la vie commence dans et par l'eau; le Ciel peut se manifester d'abord par l'Eau, par le liquide de vie : le Ciel, Un, produit l'eau et la déverse puissamment. L'eau descend d'en haut et se recueille dans les creux et réceptacles. À l'échelle grandiose de la Terre (di 地), les réceptacles sont des bassins, des lacs (chi 池) pour le maximum de manifestation de la puissance céleste lançant la vie sur Terre. Dans le corps, c'est peut-être le liquide nourricier par excellence, celui qui « offre la vie à l'être »7, c'est-à-dire le sang, qui se répand dans le corps sous la maîtrise du Cœur, fonction qui s'exprime dans le Maître-Cœur.
On aurait alors une très belle notion de Maître Cœur, comme la descente sur Terre du Ciel. Et même si l'attribution exclusive et définitive du point au Jueyin de main est tardive, la localisation et la fonction déterminée par cette localisation sont, elles, anciennes.
On aurait le même rapport entre le Cœur et le Maître-Cœur qu'entre le Ciel mystérieux qui cache sa puissance et le Ciel qui se répand largement sur la Terre pour la féconder, par l'eau et la pluie. C'est le Ciel, ou les Esprits qui le représentent dans le Cœur, qui donne au liquide sa puissance de vie; c'est le Ciel qui donne sa vertu au lait et qui lui permet de nourrir l'enfançon. C'est aussi pourquoi l'alchimie intérieure utilise ce vocabulaire.
5. Cf. SW 9, qui présente le Cœur comme le lieu des transformations opérées par les Esprits (shen zhi bian 神之變). 6. « Pour Liangqiuzi, le Lac Central (zhongchi 中池) est le Cœur et le « gentilhomme vêtu de rouge » est chizi (赤子), le dieu du Cœur. Pour Wuchengzi, le Lac Central est le « dedans du gosier ». Enfin, suivant le Commentaire du Neijing attribué à Liangqiuzi, le Lac Central est la vésicule biliaire (dan 膽). Tout ce que je connais de la tradition taoïste est en faveur de cette dernière opinion : les trois lacs sont en effet le Lac de Jade (yu chi 玉池), qui est la bouche, le Lac Médian (zhong chi 中池), qui est la vésicule biliaire, et le Lac Mystérieux (xuan chi 玄池), qui est la vessie. » (H. Maspéro, Le Taoïsme et les religions chinoises, Gallimard, p.529) On notera que, pour le Waitai, Tianchi est un point de Vésicule Biliaire; que la Vésicule Biliaire a une relation spécifique avec le gosier (cf. SW 47); que l'on trouve le caractère zhong (中), centre, dans la plupart des surnoms de la Vésicule Biliaire; qu'enfin il existe une relation spécifique entre Vésicule Biliaire et Cœur dans leur rapport au yang, au feu, la Vésicule Biliaire étant parfois considérée comme manifestation du feu ministre de Mingmen. 7. Cf. LS 18 « Par transformation, cela fait du sang, pour apporter la vie à l'être; rien de plus précieux. »
Ce premier point de Maître-Cœur est visible, et même en évidence, alors que le premier point du Cœur (C.1, Jiquan 極泉) se cache, demeure invisible, non manifesté. Cependant, le liquide n'est pas visible au niveau de ce point. Il le sera beaucoup plus au niveau de M.C.2, Tianquan (天泉).
On notera aussi que le Ciel (tian 天) apparaît dans le nom des deux premiers points du Maître-Cœur : Tianchi et Tianquan; mais qu'il ne figure dans aucun des noms des points du méridien du Cœur8.
M.C.1, Tianchi, va travailler sur les circulations, les écoulements liquides : dégagement des encombrements et contre-courant de souffles, stimulation de la lactation ... Les indications sont d'un autre ordre sur les points du Shaoyin de main.
Tianchi est situé sur le mamelon, qui est une réserve de vie par le liquide nourricier qui s'y emmagasine. Il reviendra à d'autres points de traiter le côté plus matérialisé de la lactation. Il y a, dans Tianchi, une fonction de lactation, mais en ce sens qu'elle touche le liquide de vie, qui vient d'en-haut, de ce qui donne la vie, de la mère, pour nourrir l'enfant, le fruit. La proximité de ce point avec le tétin renforce ce sens. Si l'on excepte le point qui est juste en plein sur le mamelon, Ruzhong, E.17 (interdit de puncture), Tianchi est celui qui en est le plus proche. La manière dont se point se situe également sur le Cœur - à gauche - montre que de là provient ce qui fait vital le lait, comme de là aussi provient le sang qui fait vivre.
Ce point est à même hauteur que la mer des souffles, le Milieu de la poitrine (dan zhong 膻中), qui est un réceptacle (fu 府) central de souffles et d'essences9. Il répercute donc, latéralement, la maîtrise sur la circulation des souffles et sur les liquides que véhiculent ces souffles, tout spécialement la circulation du sang (xue mai 血脈), qui est sous la responsabilité directe du Maître-Cœur. Pour cette raison, certains considèrent Tianchi comme le point mu (hérault, alarme, recrutement, 募) des protections et liaisons du Cœur (xin bao luo 心包絡); c'est dire qu'il prend alors la place de Danzhong (R.M.17), point mu officiel du Xinbaoluo.
L'étang céleste dans le Zhuangzi
« Dans l'abîme qui s'étend au Nord se tient un poisson. Devenu oiseau, se portant au-‐dessus de la mer, Il se dirige vers l'abîme qui s'étend au Sud. L'abîme du Sud, c'est l'Océan céleste (tian chi 天池). Au nord des terres chauves s'étend une mer abyssale. C'est le lac céleste (tian chi 天池). Un poisson est là ... » (Zhuangzi 1)10
8. En ne considérant que les noms principaux. 9. Peut-être celui vers qui Yufu, le dernier point du méridien des Reins, dirige ses influx. 10. Cf. Le Vol inutile, C.Larre et E.Rochat de la Vallée, DDB.
L'étang céleste, (tian chi 天池) est donc une mer abyssale aux extrémités Sud et Nord du monde. Du Nord au Sud, on a l'axe de vie - celui que l'on retrouve entre l'eau et le feu, les Reins et le Cœur -, la verticalité, le devenir vital ... C'est donc le réservoir insondable et mystérieux de la puissance de vie, la matrice protectrice qui précède et permet l'apparition des êtres.
Dans le chapitre 1 du Zhuangzi, l'expression « étang céleste » (tian chi) marque l'aboutissement (Abîme du Sud), ou bien le départ (Abîme du Nord), du mouvement céleste qui fait la vie au travers des transformations. C'est la matrice céleste, réservoir de la fermentation des germes de vie pour une échappée, qui se passe en un grand souffle et se dirige vers son accomplissement lumineux.
L'étang universel L'étang universel (xian chi 咸池) est une étape du soleil11 dans le Huai Nan zi, chapitre 3.
C'est également le nom de l'hymne dynastique de l'Empereur Jaune (Huangdi), air qui remplit de terreur et d'admiration le disciple Beimen Cheng12.
Par cette expression, on entend une réserve de puissance qui va pouvoir s'étendre sur toute la Terre, sous la lumière du soleil ou sous celle de l'Empereur, et vivifier tous les êtres. L'étang (chi 池) est donc un réservoir inépuisable de vertu.
AUTRES NOMS
Le seul vraiment classiquement attesté est Tianhui 天會 (Jiayijing). Ce rassemblement (hui 會) de puissance en haut ou céleste (tian 天) est sans doute la conjonction des divers courants qui parcourent la région (Shaoyang et Jueyin en particulier). C'est l'aboutissement du méridien du Foie, comme l'épanouissement de ses branches; c'est le relais en montée du méridien de la Vésicule Biliaire, entre Yuanye, V.B.22 (lui aussi à 3 pouces sous l'aisselle, mais en fait un peu plus bas et latéral) et Jianjing, V.B.21 (carrément à la base de la nuque, latéralement).
Le nom Tianhui 天會 est également un nom secondaire du point Renying (E.9), qui est lui aussi un rassemblement dans la région haute, mais sur les souffles du Yangming. (cf étude de Renying).
11. Il semble alors équivalent au Gouffre Doux (gan yuan 甘淵), douce source abyssale où la mère du soleil le baigne, chaque matin, à son lever. 12. En Zhuangzi 14.
INDICATIONS
Jiayijing « Frissons et fièvre (han re 寒熱) avec poitrine encombrée, maux de tête13, les Quatre membres ne se lèvent plus, enflures (zhong 腫) sous l'aisselle, remontée des souffles (shang qi 上氣), bruits (sheng 聲) dans la poitrine, gargouillis (ming 鳴) dans la gorge : sous l'autorité de Tianchi. » (VIII, 1 xia)
L'accent est mis sur la poitrine et sur le mouvement pathologique des souffles (remontée intempestive qui crée un contre-courant dans les souffles du Poumon) et leurs conséquences : bruits divers en haut (dénotant une présence de glaires). Il y a enflure là où la réserve demeure, sous l'aisselle; il y a perte du mouvement, ce qui s'explique assez bien pour les bras, moins pour les jambes, sauf si l'on considère qu'il s'agit de la non-propagation, par brûlage, des souffles nourriciers à partir du Poumon14, car il y a à l'évidence, dans cette description, une chaleur et un blocage dans la poitrine.
M.C.1 est bien dans son rôle de fenêtre du Ciel. Il est aussi dans son rôle de point dans la région duquel se détache le distinct (jing bie 經別) de Maître-Cœur. Dans les deux cas, il dégage ce qui pourrait montrer troubler la tête.
M.C.1 figure également dans une liste de points pour l'alternance de frisson de froid et d'accès de fièvre :
« Pour froid et chaud (frissons et fièvre), on prend Wuchu (V.5), Tianchi (M.C.1), Fengchi (V.B.20) ... » (VIII, 1)
On remarque que Tianchi et Fengchi - deux étangs - sont cités l'un à la suite de l'autre.
Zhenjiu dacheng . « Bruits (sheng 聲) dans la poitrine. . Poitrine et diaphragme gênés et encombrés (fan man 煩滿). . Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas. . Maux de tête. . Les quatre membres ne se lèvent (bougent) plus. . Enflures sous l'aisselle (sans doute avec douleur). . Remontée des souffles (shang qi 上氣). . Fièvres intermittentes avec frissons et fièvre (froid et chaud, han re 寒熱). . Douleur à l'avant-bras. . Troubles oculaires où l'on ne voit plus clairement. »
Tout le trajet du méridien dans la poitrine est impliqué dans ces symptômes où les pathologies du Poumon sont particulièrement présentes.
13. Dans d'autres textes (Qianjin, Waitai...) : douleur à la nuque. 14. Cf. l'étude des syndromes wei, dans Pathologie Wei, par E.Rochat de la Vallée, fascicules de l’E.E.A. (à paraître).
On disperse donc ce point pour mettre à l'aise la poitrine, encombrée de souffles ou liquides non clarifiés ou s'étant perturbés, pour dissiper la chaleur perverse qui fait blocage, qui gêne la poitrine et, analogiquement, qui empêche la sueur de sortir, pour dégager les zones plus hautes, plus célestes du corps, telles le cou, la nuque ou la tête qui reçoivent ce qui vient de la poitrine et qui pâtissent donc de son manque de clarté et pureté. Le point remplit son rôle de fenêtre du Ciel.
Certains symptômes, liés au Poumon, touchent tout le corps : le froid et chaud, alternance de frissons de froid et de fièvres, lié à l'irrégularité du Poumon (cf. contre-courant ascendant des souffles qui perturbent le rythme, la régulation des circulations et de la température, par l'excitation du yang, la perturbation de la défense); ou encore l'immobilisation des Quatre membres.
La relation avers/revers (biao li 表裡) du méridien avec le Shaoyang de main renforce les effets de ses points sur la régulation des souffles et surtout les alternances de froid et chaud.
Nombre de symptômes : gêne au thorax, maux de tête, enflure sous l'aisselle, remontée des souffles, fièvres intermittentes, troubles oculaires, se relient facilement à la Vésicule Biliaire et à son méridien, Shaoyang de pied.
Tianchi a alors la possibilité de dégager la poitrine, comme d'autres points de Vésicule Biliaire, au pied, car il débloque les passages et circulations, disperse le feu excitant de la Vésicule Biliaire, met à l'aise les régions sous l'autorité du méridien de Vésicule Biliaire : les côtes, le diaphragme (latéral) et la poitrine (latéral). Ce qui explique bien également les symptômes à la nuque.
Les troubles oculaires, qui ne s'expliquent pas directement par le trajet du méridien, pourraient s'expliquer par la solidarité avec le Cœur et son méridien ou encore avec les méridiens de Foie et de Vésicule Biliaire; ou encore par le simple effet de la chaleur et du feu qui montent et s'élèvent jusqu'à l'orifice le plus haut et le plus clair.
Ce point est alors à disperser dans la visée générale d'abaisser le feu, et donc de rétablir la pureté qui convient à l'entretien de la vision et le maintien de la clarté dans les régions hautes, célestes de l'organisme.
Leijing tuyi . « Troubles oculaires où l'on ne voit plus clairement. . Maux de tête. . Poitrine et côtes gênées et encombrées (fan man 煩滿). . Toux avec contre-courant (ke ni 咳逆). . Enflures et douleurs à l'avant-bras et à l'aisselle. . Les Quatre membres ne se lèvent (bougent) plus. . Remontée des souffles. . Fièvres intermittentes avec frissons et fièvres alternés (malaria). . Maladie d'échauffement (de chaleur) où la sueur ne sort pas. »
Autres symptômes . Scrofules (Qianjin). . Abcès du sein. . Dyspnée.
. Grande abondance de glaires (tan 痰).
. Toux.
. Malaise au Cœur (xin fan 心煩).
Symptômes dans les livres chinois contemporains . Angine de poitrine. . Myocardite. . Mastite. . Insuffisance de la lactation. . Bronchite. . Ganglions. . Nodules cervicaux tuberculaires.
FONCTIONS
Mettre à l'aise la poitrine et réordonner les souffles (en abaissant les contre-courants pour arrêter la toux, kuan xiong li qi 寬胸理氣)15. Stopper la douleur et réduire les enflures (zhi tong xiao zhong 止痛消腫). Clarifier la chaleur et disperser les nodosités (qing re san jie 清熱散結).
Il s'agit donc de purifier le Poumon, de débarrasser la poitrine de ce qui y bloque les circulations et, éventuellement, d'aider à calmer ainsi l'état mental du Cœur.
ASSOCIATIONS
Avec Weiyang (V.39), Shenmai (V.62), Diwuhui (V.B.42), Yangfu (V.B.38) et Zu Lingqi (V.B.41) pour les enflures à l'aisselle. (Qianjinfang) Avec Tiantu (R.M.22), Danzhong (R.M.17), Jiexi (E.41), Jianzhongshu (I.G.15) pour la toux avec contre-courants. (Zisheng) Avec Shaohai (C.3), Zhangmen (F.13), Zu Linqi (V.B.41), Shou Sanli (G.I.10) pour les scrofules. (Dacheng) Avec Weiyang (V.39) pour les enflures à l'aisselle. (Baizhengfu)
15. Kuan (寬) : Elargir, mettre à l'aise, au large, en débarrassant de ce qui gêne (c'est-à-dire ici des glaires).
AINSI DONC QUAND LE POUMON EST CHAUD ET SES FEUILLES BRÛLÉES, PEAU ET POILS SE VIDENT ET S'AFFAIBLISSENT, SE RESSERRENT ET S'APPAUVRISSENT; PAR PERSISTANCE, CELA DONNE DES IMPOTENCES OU L'ON BOÎTE.
故 肺熱 葉 焦. 則皮 毛 虛 弱.急 薄 著 則 生 痿 躄 也.
Gù fèi rè yè jia ̄o.Zé pí máo xu ̄ ruò.Jí bó zhù zé she ̄ng we ̌i bì ye.̌
CHALEUR DU POUMON
LE POUMON VIENT EN TÊTE
Plusieurs raisons expliquent que l'exposé des impotences commence par la présentation du Poumon.1
Le Poumon est le maître des souffles pour tout l'organisme. Or les impotences sont liées, dans leur étiologie, aux souffles, lésés par un excès de yang. Le Poumon sera sensible, en premier, "en chef", à une perturbation des souffles.
L'excitation du yang dérègle les souffles; le Poumon devient incapable de maintenir le rythme normal des allées et venues des souffles dans l'organisme (dont la respiration est l'aspect le plus immédiatement perceptible), inapte à régler les Cent mai qu'il reçoit en audience matinale (cf Suwen 21).
Le Poumon est particulièrement sensible à la chaleur desséchante qui, détruisant les vapeurs humides dont il est en permanence imprégné et réimprégné, le rend incapable de garder son équilibre yin/yang, liquides/souffles. N'étant plus fixés et équilibrés par la présence humide dans les feuilles du Poumon, les souffles s'emballent, se désaccordent et le Poumon s'affaiblit par perte de son bon fonctionnement.
Le Poumon, en contact direct avec l'extérieur par la respiration, est facilement affecté par un environnement sec et chaud.
Le Poumon étant le plus haut placé des Cinq zang reçoit, tout naturellement, les effets pervers de la montée en inflammation d'une chaleur interne excessive.
Tous les zang étant redevables au Poumon pour la qualité de leurs souffles, de leur rythmique qui est fonction de l'équilibre réchauffement/refroidissement2, la perturbation du Poumon est
1 On notera que, très normalement, les impotences étant d'origine interne, on expose d'abord la pathologie des zang, alors que dans les blocages de fonction (bi 痹), l'ordre de l'exposé était rythmé par les saisons. 2 la fonction qing su (清肅) du Poumon rend compte de cet équilibre : il y a un rafraîchissement (qing 清) constant dans les feuilles du Poumon, qui permet d'éviter les excès de chaleur et de se garder clair-et-pur (qing). Du même coup, les vapeurs liquides sont bien renouvelées et le rythme des souffle conservé; la propagation des éléments essentiels comme l'abaissement des liquides dans le tronc sont assurés.
ressenti dans les différents zang, dont les souffles vont eux aussi s'affoler, s'emballer, surchauffer.
LES SIGNES DE L'ATTEINTE PULMONAIRE SE VOIENT À LA PEAU
La peau est désséchée, sans onctuosité; les poils sont secs et cassants. Il y a affaiblissement des mouvements et des circulations qui véhiculent l'irrigation et l'humidification; il y a appauvrissement de la nutrition sur place. Peau-et-poils manquent des choses nécessaires à leur entretien, sont dans la gêne, se resserrent, misérablement (ji bo 急薄).
Le mécanisme est facilement explicable :
“Le Poumon est en dépendance du métal. Quand donc le Poumon est chaud, le métal est sec (zao 燥) et ses feuille brûlent. Le Poumon a maîtrise sur peau-‐et-‐poils. Ainsi, quand le Poumon est chaud et ses feuilles brûlées, peau-‐et-‐poils sont vides, affaiblis, appauvris. Quand les aliments solides entrent à l'Estomac, les humeurs chargées d'essences (qui s'en dégagent, jing ye 精液) sont transmises (zhuan 傳) au Poumon. Le Poumon reçoit en audience matinale les Cent mai, transmet et transporte les essences à la peau et aux poils; poils et mai conjoignent leurs essences, font circuler les souffles aux zang et aux fu3. Les essences et les Esprits (esprits vitaux, jing shen 精神), les souffles et le sang (qi xue 氣血) qui sont produits (sheng 生) par les Cinq zang, la peau, les chairs, les musuclaires et les os qui sont sous la maîtrise des Cinq zang, tout cela est entretenu et fourni (en matériaux de base pour la reconstruction) par les humeurs chargées d'essences (j ing ye 精液) qui sont transmises et propagées par le Poumon. Ainsi quand les couches de la peau sont appauvries, c'est que les humeurs chargées d'essences n'y sont plus transportées.” (Zhang Zhicong)
Quand la chaleur a investi le Poumon, les liquides sont atteints. A l'interne, perte du qing su (清肅) et à l'extérieur, perte de la propagation qui permet l'humidification et la lubrification.
Sensible à la domination excessive du métal par le feu, on dira que le feu vient che-vaucher le métal. L'expansion, propre au mouvement du feu, fait fuser vers l'extérieur des jets de chaleur désséchante, que le métal est incapable de retenir ou de contrôler.
L'ATTEINTE PROGRESSE ET SE COMPLIQUE AUX JAMBES
Le Poumon ne se débarrassant pas de sa chaleur perverse, le mal va progresser et atteindre les jambes.
Le mécanisme joue toujours sur l'appauvrissement des liquides corporels riches en es-sences par la chaleur intense, ainsi que sur l'incapacité grandissante du Poumon à préserver les liquides et à les abaisser vers le bas (perte du qing su 清肅).
3 Cf Suwen 21. "Les souffles des aliments solides pénètrent à l'Estomac; les souffles troubles (c.à.d. d'origine alimentaire) se reportent au Cœur, il y a imprégnation des essences aux circulations vitales (mai). Les souffles des mai s'écoulent aux méridiens (jing 經); les souffles des méridiens se reportent au Poumon. Le Poumon reçoit en audience matinale les Cent mai; il transporte les essences à la peau et aux poils; pouls et mai joignent leurs essences; il y a circulation des souffles à l'entrepôt...".
Si sécheresse et chaleur s'accrochent au Poumon et y demeurent, sans être délogées, alors le yin du Poumon est atteint et, à l'interne, il y a perte du qingsu (清肅), ce qui fait que les liquides corporels (jin ye 津液) ne sont plus produits par transformation. Les articulations (guan jie 關節) et les réseaux d'animation responsables de la force musculaire (jin mai 筋脈) sont privés de ce qui les irrigue, humidifie, entretient et nourrit. D'où les wei bi (痿躄) où les membres inférieurs se trouvent hors d'usage.
Articulations et muscles ne reçoivent plus l'imbibition liquide nécessaire à leur fonctionnement. L'atteinte se perçoit en premier dans le bas du corps, aux extrémités des membres inférieurs, car le contre-courant ascendant de la chaleur fait que ce sont ces zones qui sont les premières désertées par le renouvellement en esences liquides.
La transmission de la maladie ne se fait plus à la périphérie, dans le secteur de la peau et des poils, mais dans la partie inférieure du corps, le domaine de l'eau et des Reins. On pourra dire que la maladie de la mère (métal, Poumon) se transmet au fils (eau, Reins). Les Reins deviennent incapables de fournir en moelle et en essences les os et les articulations, particulièrement des membres inférieurs4. Le Poumon n'abaisse plus de liquides vers le réchauffeur inférieur. C’est bien la perversion du cycle d'engendrement. Ainsi les os des jambes ne peuvent plus soutenir le corps, les muscles des jambes ne peuvent plus se tendre et se mouvoir : c'est l'impotence dans les jambes (wei 痿), caractérisée par le boitillement et la difficulté à marcher (bi 躄)
“Le Poumon est la mère et les Reins sont le fils. Si les Reins reçoivent les souffles chauds, les membres inférieurs se crispent et ne peuvent plus se mettre en extension; d'où les impotences dans les jambes (wei bi 痿躄).” (Ma Shi)
Mais c'est l'ensemble des zang qui, selon certains, peut être affecté de la chaleur du Poumon :
“Quand les couches de la peau sont appauvries et que cela dure, alors les humeurs chargées d'essences (j ing ye 精液) ne sont plus transmises et transportées et les Cinq zang ont de la chaleur; d'où l'apparition de ces impotences où l'on ne peut plus marcher (wei bi).” (Zhang Zhicong)
On pourrait (suivant certaines interprétations) considérer que ces impotences (wei bi) ne concernent pas seulement les jambes, mais peuvent englober les Quatre membres. On comprend alors que les zang, dans leur ensemble, ont reçu les effets pervers de la chaleur du Poumon et sont donc incapables de collaborer pour l'entretien de la mobilité des membres.
Il s'agit là d'une extension du sens, le caractère bi (躄) signifiant normalement une incapacité à marcher correctement avec ses deux jambes5. Ou encore d'une interprétation qui réserve, dans cette expression wei bi (痿躄), l'impotence (wei 痿) à l'incapacité des membres supérieurs et le boitillement (bi 躄) à celle des membres inférieurs6.
Signalons les variantes du Taisu :
4 Cf Lingshu 36 .. etc. 5 Cf Shiji, Liji, Chunqiu ... 6 C'est l'interprétation de Wu : shou wei zu bi 手痿足躄.
- A la place de la "chaleur du Poumon" (fei re 肺熱), il met : "Les souffles du Poumon chauffent, sont chauds" (fei qi re 肺氣熱), créant ainsi un parallélisme absolu avec la présentation des quatre autres zang (variante déjà présente dans le Jiayijing). Il supprime la rupture du parallélisme qu'il y a en Suwen 44.
En évitant l'expression "souffles du Poumon" (fei re 肺熱), le Traité des Impotences marque que les souffles du Poumon sont en fait les souffles de la mer des souffles de la poitrine et, plus largement, de l'organisme tout entier.
- A la place des impotences déclanchant des boîtillements (wei bi 痿躄), le Taisu met : les impotences qui vous mettent au supplice, ou encore les impotences qui vous mettent à l'écart (wei bi 痿 ou pi 辟); le sens des deux expressions est cependant le même.
……………………………………
G.I.1 SHANGYANG (商陽) SHANGYANG - CHANG-YANG
SHANG 商 Ricci n° 4270 - Grand Ricci n° 9556 - Wieger n° 15 D et n° 73 C - Mathews n° 5670 - Giles n° 9738.
Délibérer; discuter. Marchand, commerce. Nom de la seconde note de la gamme pentatonique. Cf. P.11, Shaoshang (少商).
YANG 陽 Ricci n° 5650 - Grand Ricci n° 12487 - Wieger n° 101 B - Mathews n° 7265 - Giles n° 12883.
Yang, adret, lumière, soleil...
DESCRIPTION DANS LES TEXTES MÉDICAUX
"Le Gros Intestin se réunit (he 合)1 au Yangming de main et sort (chu 出) à Shangyang. Shangyang, c'est le métal. Un autre nom est : Jueyang (絕陽). Il se situe sur le bord interne de l'index, à une feuille de poireau de l'ongle; là sort (chu 出) la circulation (mai 脈) du Yangming de main; c'est le (point) puits (jing 井). On le puncture en pénétrant à un dixième de pouce et en y restant une expiration; on y applique 3 fois la moxibustion." (Jiayijing, III, 27)
"Le Gros Intestin se réunit en haut (shang he 上合)2 au Yangming de main et sort à Shangyang. Shangyang est à l'extrémité de l'index, c'est le (point) puits (jing) et le métal." (LS 2)
Le point se situe au niveau de l'angle postéro-externe3 de l'ongle de l'index, à hauteur de la matrice de cet ongle, là où la chair change de couleur quand on appuie sur l'ongle.
C'est le premier point du méridien du Yangming, que l'on considère la formation du courant à partir de l'extérieur ou l'ordre qui fait du Yangming de main le continuateur du Taiyin de main. Ainsi, le Lingshu ch. 5 considère ce point comme les racines du méridien :
1. Le Taisu, et bien d'autres textes, ajoutent shang 上 : "fait sa réunion d'en haut", comme en LS 2. 2. La présentation est analogue pour les fu correspondant aux trois yang de main : Triple Réchauffeur, Intestin Grêle et Gros Intestin. Ils ne font qu'un souffle, en haut, avec le méridien yang de main qui les concerne (shang he 上合), et, parallèlement, ils ne font qu'un souffle, en bas (xia he 下合), avec un méridien yang de pied, particulièrement en un secteur de ce méridien où se trouve le point qui est leur réunion d'en-bas : E.37 (Juxu Shanglian) pour le Gros Intestin, E.39 (Juxu Xialian) pour l'Intestin Grêle et V.39 (Weiyang) pour le Triple Réchauffeur. 3. Avec la variante usuelle pour les points puits, sur le bord interne de l'ongle. Cf. P.11 (Shaoshang).
"...Le Yangming de main a ses racines (gen 根) à Shangyang..."
La reprise du même caractère shang (商) dans le nom des deux points d'extrémité du méridien du Poumon et de celui de Gros Intestin, marque le passage entre le courant de souffles du Taiyin et celui du Yangming. Ces deux qualités de souffles expriment les deux faces de l'élément métal : le yin tourné vers l'interne, le revers (li 裡) et le yang tourné vers la manifestation à l'extérieur, l'avers (biao 表).
Ainsi, si l'on prend shang (商) dans son sens premier de manifestation à l'extérieur, on voit qu'elle s'amorce au niveau de Shaoshang (P.11), qui, sur le méridien yin, conserve l'attirance vers le revers pour les échanges subtils avec l'interne, mais qui, arrivant à son extrémité, amorce le mouvement vers l'avers, vers la manifestation. À Shangyang, sur le méridien yang, le mouvement vers l'avers pour les échanges avec l'extérieur devient prédominant; la présence du caractère yang (陽) le montre assez.
On passe d'un courant qui parcourt la face interne, qu'il a formée, à celui qui s'occupe de la face externe du bras.
Pourquoi l'insistance sur l'apparentement avec le métal, par la mention de shang (note du métal, de l'Automne), sinon parce que le point d'ancrage du Yangming de main est également le point de son élément propre, puisque, pour le Yangming, le point puits est le point correspondant au métal.
On peut aussi penser que le métal est l'élément "sonore" par excellence. Dans le métal, on fond les cloches qui donnent les carillons et qui émettent des sons vibrants. Dans le Nanjing 40, le Poumon (qui est le zang représentant l'élément métal) commande les sons (sheng 聲). Le Poumon et le Gros Intestin sont les organes du corps qui résonnent, produisent des sons audibles.
On peut enfin constater que le pouce et l'index forment une pince et déterminent entre eux une ouverture et une fermeture, qui ressemble à la rythmique qui caractérise l'élément métal.
Shang (商) peut être employé en équivalent à ke (刻), marquant l'écoulement du temps mesuré à la clepsydre4. Y a-t-il, dans le fait que les deux premiers méridiens des cycles de distribution des souffles aient en leur extrémité un point avec le caractère shang, une allusion à l'écoulement du temps, qui est aussi l'écoulement des souffles selon les méridiens ?
"Ainsi les souffles, à partir du Taiyin sortent et se déversent dans le Yangming de main, montent se déverser au Yangming de pied ..." (LS 16)
"Le Réchauffeur Supérieur sort à la bouche de l'Estomac (cardia); il s'associe avec le pharynx pour monter en traversant le diaphragme et se diffuser au milieu de la poitrine (xiong zhong 胸中). Il se rend à l'aisselle et progresse suivant la division du secteur du Taiyin; s'en retournant, il parvient au Yangming, monte et atteint la langue, descend au Yangming de pied. Sa circulation normale est avec la reconstitution (ying 營) : 25 fois au yang, 25 fois au yin, ce qui fait un tour. C'est ainsi
4. Un ke (刻) équivaut environ à un quart d'heure (soit un huitième de l'heure double, la division par excellence au niveau du temps). Le LS 76 mesure le temps en fonction de l'écoulement des souffles défensifs.
que toutes les 50 fois, il y a retour au grand rassemblement (da hui 大會) au Taiyin de main." (LS 18)
Ce "grand rassemblement" n'est pas sans rappeler les points Taiyuan (P.9) (rassemblement des mai) et Yuji (P.10) sur le Taiyin de main.
EMPLOIS CLASSIQUES
On trouve parfois l'expression Shangyang 商陽 comme nom de montagne. Une montagne sort de terre et se manifeste à la vue de tous; elle offre son versant au soleil.
AUTRES NOMS
L'autre dénomination proposée par le Jiayijing est Jueyang (絕陽). S'agit-il d'un yang qui s'interrompt ou d'une séparation, par épuisement, qui transforme un courant yin en un courant yang ? Le yin cesse et disparaît pour donner place au yang qui s'affirme.
INDICATIONS
Neijing et Jiayijing
"Maladie de chaleur commençant à la main et au bras : on prend d'abord le Yangming de main, puis le Taiyin (de main), et la sueur sort." (LS 21, Jiayijing VII, 1 zhong)
Pour le Taisu, il s'agit de Shangyang et de Kongzui (P.6). On associe le point puits du méridien yang et le point xi (郄, pertuis favorable) du méridien yin, pour provoquer la sudation qui éliminera la chaleur excessive, quand cette dernière débute dans les membres supérieurs5.
Wang Bing, quant à lui, associe, dans le même but, point puits et point luo : Shangyang et Lieque (P.7).
"Pour des douleurs à la mâchoire inférieure, on puncture sur le Yangming ainsi que sur la puissante (sheng 盛) circulation vitale (mai 脈) à la mâchoire inférieure; on fait une saignée." (LS 26, Jiayijing IX, 1)
5. Cf. P.6 et les rapports de Kongzui avec les orifices et ouvertures.
On interprète habituellement ce texte comme désignant les points Shangyang et Jiache (E.6).
"Fièvres intermittentes évoluant vers le froid : on puncture les Yangming et Taiyin de main, ainsi que les Yangming de Taiyin de pied." (SW 36, Jiayijing VII, 5)
Les 4 points puits des méridiens cités apparaissent régulièrement chez les commentateurs. On leur associe souvent les points shu (俞). On distingue parfois deux modalités d'action : une dispersion de la chaleur sur les méridiens yang et une tonification du yin sur les méridiens yin.
En tant que point puits, Shangyang est présent à plusieurs reprises dans l'étude des différents cas types de piqûre miu (繆), en SW 63 :
"Quand les pervers se sont logés dans les liaisons (luo 絡) du Yangming de main, le patient a un encombrement de souffles dans la poitrine, une dyspnée avec une pression (zhi 支)6 dans la région sous-‐axillaire, de la chaleur au milieu de la poitrine (xiong zhong 胸中). On puncture à l'index, en haut de l'ongle, à une feuille de poireau de son extrémité, en portant à chaque fois un coup7. Pour la gauche, on prend à droite et pour la droite, à gauche8. Le temps de manger un peu, et c'est fini."
"Quand les pervers se sont logés dans les liaisons (luo 絡) du Yangming de main, le patient a une diminution de l'acuité auditive9 allant parfois jusqu'à la surdité totale : on punture l'index, en haut de l'ongle, à une feuille de poireau de son extrémité, en portant à chaque fois un coup; et, aussitôt, on entend10."
Il ne faut pas appliquer ce traitement en cas de surdité ininterrompue, car le mal étant alors plus profond, installé sur un vide, il ne relèverait pas de ce genre de puncture miu.
La fin du paragraphe précise qu'on puncture, là aussi, à l'opposé.
On applique le même traitement pour des vents dans l'oreille. (cf. Jiayijing XII, 5, infra)
"Quand (les pervers) se propagent insinueusement (miu 繆) et irradient aux dents supérieures, dents et lèvres sont froides et douloureuses. On examine alors les réseaux sanguins (capillaires, mai xue 脈血) sur le dos de la main et l'on évacue11. On puncture le Yangming de pied, à l'orteil du milieu, en haut de l'ongle (E.45), en portant à chaque fois un coup. On puncture le Yangming de main, à l'index, en haut de l'ongle (G.I.1), en portant à chaque fois un coup. Ça se termine immédiatement. Pour la gauche, on prend à droite et pour la droite, à gauche." (SW 63)
6 Une compression, comme une gêne qui serait due à des liquides pathologiques. 7. Une puncture à chaque traitement; sans doute un geste assez violent, qui va jusqu'au sang. 8. Quand les symptômes se manifestent à gauche, on traite à droite; et vice-versa. 9. Er long (耳聾), évoluant vers la surdité. 10. Si l'on n'obtient pas le résultat escompté, on puncture Zhongchong (M.C.9) ou Shaochong (C.9). 11. On observe les stases sanguines superficielles dans le secteur du Yangming de main et on les évacue.
"Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas : sous l'autorité de Tianzhu (V.10) ainsi que Fengchi (V.B.20), Shangyang (G.I.1), Guanchong (T.R.1), Yemen (T.R.2)." (Jiayijing, VII, 1, zhong)
"Fièvres intermittentes relevant de la chaleur (re nüe 熱瘧), accompagnée de sècheresse de la bouche : sous l'autorité de Shangyang." (Jiayijing, VII, 5)
"Une contracture au bras irradie jusqu'à la bouche, froid au centre (zhong han 中寒) et œdème (zhong 腫) de la région sous-‐orbitaire, œdème12 à l'épaule qui irradie jusqu'à Quepen (E.12) : sous l'autorité de Shangyang." (Jiayijing, X, 5)
"Glaucome (qing mang 青盲) : sous l'autorité de Shangyang." (Jiayijing, XII, 4)
"Bruits dans l'oreille comme des vents, bourdonnements, diminution de l'acuité auditive allant parfois jusqu'à la surdité complète : sous l'autorité de Shangyang." (Jiayijing, XII, 5)
"Bouche sèche13 et douleur aux dents inférieures, frilosité et région sous-‐orbitaire œdématiée : sous l'autorité de Shangyang." (Jiayijing, XII, 6)
Shangyang figure également dans une liste de points pour les blocages des passages qui se font par la gorge (hou bi 喉痹); il s'y trouve en compagnie de Chize (P.5), Hegu (G.I.4), ainsi que Tianding (G.I.17). (Jiayijing, XII, 8)
On remarque que les symptômes placés sous l'autorité du point concernent : - soit des lieux de passage du méridien (par exemple les dents). - soit des affections de la gorge, de l'œil et de l'oreille, sans doute par solidarité avec le Yangming de pied; mais ces affections conviennent bien aussi à un point puits. - soit des affections pulmonaires (où la relation avers/revers, biao/li, des deux méridiens va jouer à plein).
Zhenjiu dacheng
". Encombrement de souffles dans la poitrine. . Dyspnée, toux et pression de liquides pathologiques générant des œdèmes (zhi zhong 支腫). . Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas. . Bourdonnement d'oreille et surdité (diminution de l'acuité auditive). . Chaud et froid (alternance de frissons et fièvre), fièvres intermittentes. . Bouche sèche. . Enflure (œdème, zhong 腫) au menton et aux côtés du visage (yi han 頤頷). . Mal aux dents. . Crainte du froid. . Crispation à l'épaule et en (haut du) dos, avec irradiation douloureuse en plein Quepen.
12. Habituellement corrigé en : douleur à l'épaule..., d'après Waitai et autres. 13. En corrigeant, d'après le Waitai, "dans la bouche" (kou zhong 口中) en "bouche sèche" (kou gan 口乾).
. Glaucome (qing mang 青盲).
On moxe trois fois (à trois reprises); pour la gauche on prend à droite et pour la droite on prend à gauche; le temps d'un repas et c'est fini."
Beaucoup de symptômes s’expliquent par le trajet du méridien. Au point puits, on peut dégager à distance, par exemple à l’épaule, aux dents, au visage.
Certains symptômes concernent plus particulièrement l’œil et l’oreille. Le méridien ne pénètre pas se connecter (luo 絡) à l'oreille, donc les surdités ne peuvent pas, en fait, être traitées à ce point. C'est le luo qui a un rapport avec l'oreille. Les glaucomes s’expliquent par une chaleur dans le Gros Intestin. Une méthode de moxibustion pour les glaucomes peut être pratiquée en ce point : on moxe à trois reprises, en prenant à gauche pour la droite et inversement.
D’autres symptômes concernent le Poumon et sont liés à la relation avers/revers des méridiens de Gros Intestin et de Poumon. Le point puits du Gros Intestin. est donc tout indiqué.
Autres symptômes
. Maux de dents et plus particulièrement des dents du bas.
. Enflures et douleur de la gorge.
. Surdité - bourdonnements (acouphènes).
. Enflure du menton.
. Atrophie du nerf optique.
. Paralysie de l'index.
. Maladie de chaleur.
. Coma - syncope - coma apoplectique.
. Inflammation de la cavité buccale (stomatite).
. Inflammation de la gorge (angine laryngée, laryngite).
. Amygdalite.
. Oreillons.
FONCTIONS
Faire s'écouler la chaleur et réduire les enflures (xie re xiao zhong 泄熱消腫). Ouvrir les orifices et ranimer les Esprits (kai qiao xing shen 開竅醒神). Clarifier la chaleur et délivrer l'avers (qing re jie biao 清熱解表). Faire bien descendre par la gorge (li yan 利咽).
ASSOCIATIONS
Avec Gongsun (Rt.4) et Sanli (E.36) pour les diarrhées.
Avec Hegu (G.I.4) et Xiangu (E.43) pour les fièvres intermittentes où la chaleur monte en puissance (en dispersion). Par ces trois points, on fait s'écouler la chaleur et on rafraîchit-clarifie les Yangming.
"Fièvres intermittentes de froid : par expérience Shangyang (G.I.1) et Taixi (R.3)." (Baizhengfu)
"Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas : Shangyang (G.I.1), Hegu (G.I.4), Yanggu (I.G.5), Xiaxi (V.B.43), Lidui (E.45), Laogong (M.C.8), Wangu (V.B.12)." (Dacheng)
"Shangyang (G.I.1), Shanglian (E.37), Sanli (E.36), Qihu (E.13), Zhourong (Rt.20), Shangguan (=R.M.13), Laogong (M.C.8), Yongquan (R.1), Yanglingquan (V.B.34) commandent les encombrements avec sensation de pression (zhi man 支滿) à la poitrine et aux côtes." (Qianjinfang)
"Douleur en plein Quepen : Taiyuan (P.9), Shangyang (G.I.1), Linqi de pied (V.B.41)." (Dacheng)
Avec Shaoshang (P.11) et Hegu (G.I.4) pour les enflures et douleurs de la gorge.
"Shangyang (G.I.1), Juliao (E.3), Shangguan (V.B.3), Chengguang (V.6), Tongziliao (V.B.1), Luoque (V.8) commandent les glaucomes (qingmang) menant à la cécité (atrophie terminale du nerf optique)." (Qianjin)
IV. LA FORME CORPORELLE - XING 形
C'est le corps sous l'angle de la forme corporelle, de sa forme différenciée.
“Par FORME CORPORELLE, il faut entendre ce par quoi diffèrent les êtres qui ont forme et image.” (Shiming)
形 幼 形 象 之 異 xing you xing xiang zhi yi
Le Shuowen, dans sa définition de xing 形 , reprend également le terme de xiang 象 , images:
« La forme corporelle, c'est l'image. » (Shuowen Jiezi)
形 象 也 xing xiang ye
et le commentateur Tuan Yucai précise :
« Images (xiang 象) est mis pour représentation (xiang 像). Cela veut dire que c'est une forme ressemblante et que l'on peut donc voir. »
象 當 作 像 謂 像 似 可 見 者 也 xiang dang zuo xiang wei xiang si ke jian zhe ye
Regardons de plus près la signification de xiang 象 ou 像 .
Le premier sens de xiang 象 est celui d'éléphant (le caractère représenterait la trompe, les défenses, les pattes et la queue de l'animal).
Le second sens, qui s'ensuit naturellement, est celui d'ivoire. Mais la suite des autres sens pose un problème. On arrive sur les notions de formes, figures, ressemblances, symboles, représentations, apparences, corps célestes... Certains disent que ces sens dériveraient de celui d'éléphant, car cet animal aurait disparu assez tôt des régions de Chine où l'écriture s'est élaborée. Ainsi xiang 象, l'éléphant, ne serait plus resté que comme un mot, une image, une représentation figurée, gravée ou peinte d'un animal disparu. De là les sens d'images, représentations...
Quand on ajoute le radical « homme », 人, on obtient xiang 像; ce caractère qui tire vers le sens de formes, images, portraits, voire statues, représentations en général; mais aussi ressemblance, empreinte laissée par quelque chose.
Quoiqu'il en soit, xiang 象 évoque une image, une forme laissée ou créée par une réalité sans forme. Les phénomènes, xiang 象 , se présentent à notre observation comme à notre action. Ils proviennent de l'indicible réalité du Dao ou Chaos.
« Le grand symbole est sans contour ». (Laozi, ch.41) 大 象 無 形 da xiang wu xin
Le grand symbole, le symbole absolu, est sans contour car aucune forme ne s'adapte à lui. Ce qui justement est « sans contour », « sans forme » ( wu xing 無形 ), c'est, non pas les
représentations phénoménales particulières, mais le Grand Symbole, da xiang 大象 , qui est de l'ordre de l'absolu, du Dao, au-delà du monde sensible.
Avec la forme, xing 形, nous sommes introduits dans le monde sensible, diversifié, où les formes, issues du sans forme, sont multiples et revêtues chacune de caractéristiques propres.
La décomposition de le caractère xing 形 fait apparaître deux parties :
- la phonétique 幷 qui est, étymologiquement, l'image de deux plateaux de balance en équilibre ( 并 ) : il y a quelque chose de bien bâti et solidement équilibré, pour servir de base, d'assise.
- le radical 彡 : ce sont les poils, les plumes, les cheveux; quelque chose de léger et de flottant qui vient revêtir et orner l'assise, la désignant au regard en manifestant la vie par le mouvement de flotter au vent. C'est le drapeau, la bannière, le signe de reconnaissance.
Prendre une forme normale des êtres sensibles, c'est prendre place parmi tous les êtres différents qui vivent entre Ciel et Terre. Les Dix mille êtres sont autant de formes différenciées :
« Produits par la Voie, nourris par la Vertu, figurés par l'Espèce, achevés par l'Entour, les Dix mille êtres ». (Laozi, ch.51; trad. Claude Larre)
道 生 之 德 畜 之 物 形 之 勢 成 之 是 以 萬 物 dao sheng zhi de xu zhi wu xing zhi shi cheng zhi shi yi wan wu
Quand Yu le Grand parcourait l'Empire, arrivant au pays des hommes nus, il ôtait son vêtement, quittant ce pays, il reprenait son vêtement. De même, les êtres revêtent puis quittent un aspect sensible; ils entrent, par la naissance, dans le monde des formes, des espèces; ils le quittent, par la mort, pour retourner au « sans forme » (wu xing 無形), à l'invisible, à l'informe, qui est l'inépuisable réservoir de vie et de potentialités. Ainsi
« Le Sans Forme, c'est l'ancêtre premier des êtres » (Huainanzi, ch.1)
夫 無 形 者 物 之 大 祖 也 fu wu xing zhe wu zhi da zu ye
ou encore un peu plus loin :
« On sort, c'est la vie. On rentre, c'est la mort. Du Sans Forme, on passe à ce qui en a une et de ce qui a une forme, on passe à ce qui n'en n'a pas. »
出 生 入 死 自 無 蹠 有 自 有 蹠 無 chu sheng ru si zi wu zhi you zi you zhi wu
La même idée se trouve dans le Zhuangzi :
« Au grand commencement, c'est le Sans Forme, c'est le Sans Nom. L'Un qui surgit est Un sans forme corporelle ; et que des êtres soient produits, c'est la Vertu. Du Sans Forme, se produit la distinction et de là continûment ce qu'on appelle les destins (particuliers). D'eux, entre le repos et le mouvement, naissent les êtres
vivants. La disposition naturelle de naissance et d'achèvement des êtres, c'est ce qu'on appelle la forme corporelle. La forme corporelle et la constitution abritent les esprits, faisant de chaque être un être propre, et cela on l'appelle sa nature (propre). » (Zhuangzi, chapitre12)
泰 初 有 無 有 無 名 一 之 所 起 有 一 而 未 形 物 得 以 生 謂 之 德 tai chu you wu you wu ming yi zhi suo qi you yi er wei xing wu de yi sheng wei zhi de
未 形 者 有 分 且 然 無 間 謂 之 命 留 動 而 生 物 wei xing zhe you fen qie ran wu jian wei zhi ming liu dong er sheng wu
物 成 生 理 謂 之 形 形 體 保 神 各 有 儀 則 謂 之 性 wu cheng sheng li wei zhi xing xing ti bao shen ge you yi ze wei zhi xing
Les formes différenciées surgissent de ce qui est sans forme, et c'est là l'origine de chaque être, de chaque forme figurée dans son originalité propre ; c'est ce qui lui permet de s'individualiser à la fois par une apparence, une forme corporelle et par la présence de shen 神 , d'esprits spécifiques, et de s'accomplir dans une destinée.
La formation et la structuration de l'être humain procèdent ainsi. Voici un passage du début d'une compilation médicale :
« Le Dao du corps (humain, représentation et structure), c'est du Non Avoir à l'Avoir (des formes). Le Non Avoir (le Sans Forme), ce sont les souffles du Ciel Antérieur. L'Avoir (des formes), ce sont les forme du Ciel Postérieur. » (Leijing Tuyi)
體 象 之 道 自 無 而 有 者 也 無 者 先 天 之 氣 有 者 後 天 之 形 ti xiang zhi dao zi wu er you zhe ye wu zhe xian tian zhi qi you zhe hou tian zhi xing
Le principe qui gouverne un corps structuré et présentant une apparence en fonction des lignes de force de sa structure interne est que « çà » commence dans le Sans Forme pour aller aux formes. Et le texte continue :
« Maître Shao disait : le Ciel s'appuie sur des formes : la Terre sert les souffles. Les souffles pour créer les formes ; les formes pour loger les souffles. »
邵 子 曰 天 依 形 地 附 氣 氣 以 造 形 形 以 寓 氣 Shao zi yue tian yi xing di fu qi qi yi zao xing xing yi yu qi
La forme corporelle, xing 形, se présente immédiatement à notre perception : ce qui se voit, se touche, s'entend, se sent.... (mais également, ce qui voit, touche, entend, sent... exerce l'activité sensorielle, sensible qui lui correspond).
La forme corporelle exprime sensiblement la structure profonde, non visible ; et c'est le lieu de circulation des souffles propres de l'individu, animateurs et producteurs à la fois de la structure (les lignes de force) et de la forme.
Une forme, xing 形, n'est pas un trompe-l’œil, une apparence fallacieuse, un leurre, une illusion, une image imaginaire. La forme est ce qu'elle montre, l'expression fiable d'une réalité sous-jacente. Une personne se révélera par le corps, par son corps, qui dépend, par exemple,
de la forme et de la grandeur de ses os, de son hérédité, mais aussi de son état général et, sans doute plus profondément, de son état mental et spirituel.
Le corps, la forme corporelle, xing 形, est le lieu où s'opère l'agression des pervers (agents des maladies) et celui des interventions qui rétabliront la normalité. Il est le médium de la guérison. Forme corporelle et pervers se trouvent au même niveau de réalité, de sensibilité, car le corps est actif par les sens et subit l'action des sens des autres. La forme corporelle est le terrain des actions sensibles et repérables. La véritable action, notamment thérapeutique, se situant, bien entendu, au niveau, plus subtil, des souffles et des esprits. Mais ceux-là ne sont pas directement perceptibles. On ne voit jamais le vent, seulement les branches et les feuilles qui remuent ; on sait alors qu'il y a du vent. On sait même, en observant bien, dans quel sens il souffle, avec quelle force, comment s'en protéger, ou en protéger sa maison.
La dialectique Sans Forme/Ayant une forme ou encore souffles/forme sensible, c'est la vie. Le Shiming, dans sa première section, consacrée au Ciel, donne la définition suivante pour les souffles, qi 氣 :
« C'est ce qu'on perçoit (qu'on entend), mais qui n'a pas de forme. » (Shiming)
有 聲 而 無 形 you sheng er wu xing
La forme, xing 形, est le terrain où se jouent les diverses actions de la vie, telles qu'on peut les voir se manifester. Les formes varient avec les moments et les lieux.
On voit par exemple couramment la géographie expliquer la complexion physique, c'est-à-dire la forme corporelle : les hommes qui naissent dans les régions du Sud sont caractérisés de telle ou telle manière, par différence avec ceux du Nord ou de l'Est...
Des textes du Huainanzi et plus encore du Shanhaijing (classique des Monts et des Mers) nous renseignent sur la façon dont l'Orient, le lieu de naissance, détermine certaines caractéristiques physiques, ou même morales, de l'individu. Les textes médicaux, tels le Huangdi Neijing, insisteront naturellement sur les propensions aux maladies en fonction du lieu de naissance ou d'habitation.
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LES CINQ ZANG ET LES SIX FU PROVOQUENT TOUS LA TOUX CHEZ L'HOMME La toux est, fondamentalement, symptôme d'une atteinte au Poumon. Cependant le Poumon peut subir une altération de son fonctionnement normal du fait du dérèglement dans un autre viscère. Le Poumon est le maître des souffles; il en assure la propagation et la diffusion dans tout l'organisme; il en relance le mouvement chaque matin, à l'aube, en l'équilibrant; il donne et maintient le rythme normal des circulations des souffles ... (cf. Suwen 8, 21 ...). Les souffles lui parviennent de l'ensemble des zang et des fu; ils se dégagent du travail que chaque zang fait sur les essences qui le composent et l'imprègnent. Chaque zang dégage une qualité particulière de souffles qui permet, en un individu, de recomposer à tout moment et en chaque endroit les Cinq aspects du mouvement vital unifié. Les fu œuvrent pour extraire les essences contenues dans l'alimentation; ces essences, modulées en Cinq saveurs, sont captées par les zang en fonction d'affinités naturelles. Ainsi l'acide va au Foie, l'amer au Cœur...
On conçoit donc qu'une altération pathologique de l'un des zang ou fu puissent se répercuter sur le Poumon; en effet la qualité des souffles qui lui parviennent ne sera plus parfaite et le Poumon, maître des souffles, reflètera cette disharmonie par une toux. Cette toux revêtira un aspect spécifique suivant le viscère atteint. Les symptômes d'accompagnement permettent donc de déterminer le zang ou le fu touché puisque c'est la qualité des souffles qui en émane, l'aspect du mouvement vital qu'il représente et donc ses fonctions dans l'organisme, qui se trouveront altérés ou affaiblis.
"Le Poumon est le maître des souffles et il occupe la position la plus élevée; il rassemble à son audience matinale les Cent circulations (bai mai 百脈). Ainsi, bien que la toux soit un symptôme du Poumon, les pervers qui affectent les Cinq zang et les Six fu peuvent aussi, les uns comme les autres, monter se reporter sur le Poumon, provoquant des toux." (Zhang Zhicong)
PEAU ET POILS, JONCTION DU POUMON Les souffles pervers dont il est ici question sont ceux qui pénètrent l'interne à partir de l'extérieur; ils sont représentés par excellence par un froid accompagné et redoublé de vent, comme le signalent Zhang Jiebin et nombre d'autres commentateurs.
La progression la plus habituelle des pervers agressant les zones externes du corps est celle qui pénètre graduellement dans la profondeur. Les pervers passent de la peau et des poils aux réseaux d'animation les plus superficiels et jusqu'aux plus profonds; de là, aux fu et aux zang (cf. Suwen 5, 56, 62 et autres).
Nous ne sommes pas ici dans ce cas de figure. Les pervers passent directement de la peau et des poils au Poumon. Ils sont appelés la jonction (he 合) du Poumon (cf. Suwen 5, 10). La signification est qu'à ce niveau de la structure corporelle se trouve le même aspect du mouvement vital que celui qui, à l'interne de l'être, dans l'intimité des fondements de sa vie, est la base du Poumon. Cet aspect est celui du rythme, de la régulation, de la limitation d'une expansion; c'est celui que l'on observe, dans les saisons à l'automne et dans les orients à l'Ouest (cf. Suwen 5).
La peau et les poils sont les limites du corps et les lieux ultimes de l'expansion du mouvement des souffles; ils assurent les communications avec l'extérieur du corps par les ouvertures et fermetures, bien régulées, des pores. Le Poumon, quant à lui, maître des souffles, de leur propagation, circulation, rythmique, est aussi le zang directement en communication avec l'extérieur par la respiration. Poumon et peau-et-poils entrent en résonance; quand l'un est
troublé ses fonctions se dégradent et, comme les mêmes fonctions sont assurées à un autre niveau par la "jonction", celle-ci se dégrade par réaction, par sympathie.
Ainsi, une atteinte venue de l'extérieur qui bloque les mouvements et circulations au niveau de la peau et des poils peut se répercuter sur les fonctions pulmonaires. Le Poumon est déstabilisé, sa situation est précaire.
FROID DE L'ESTOMAC ET FROID DU POUMON Les communications entre l'Estomac et le Poumon sont nombreuses et bien établies :
"Le mai du Taiyin de main, Poumon, surgit au Réchauffeur moyen, descend se connecter (luo 絡) au Gros Intestin, s'en retourne en suivant la bouche de l'Estomac, monte au diaphragme et prend une relation de dépendance avec le Poumon." (Lingshu 10)
"Le grand luo de l'Estomac a pour dénomination xuli 虛里 ... Il passe au travers du diaphragme, prend le Poumon dans un réseau de liaison, sort sous le sein gauche ... " (Suwen 18)
De plus la Rate (couplée à l'Estomac) est le Taiyin du pied, en affinité et en continuité avec le méridien du Poumon, Taiyin de main. C'est perpétuellement que les essences très raffinées et les souffles très purs qui se dégagent du Réchauffeur moyen s'élèvent au Réchauffeur supérieur.
Si la douce chaleur nécessaire à l'Estomac pour l'accomplissement de son rôle digestif se dégrade, les répercutions atteignent immédiatement le Réchauffeur supérieur où siège le Poumon. Ainsi un excès de froid dans l'alimentation fait apparaître un refroidissement dans l'Estomac. Le froid envahit le Réchauffeur moyen, lieu d'origination du méridien du Poumon, de ses souffles; il monte au Poumon, lui portant des atteintes qui sont de gel, d'immobilisation et qui vont gêner les mouvements de distribution et d'expansion des souffles du Poumon.
LE FROID AU POUMON DÉCLENCHE LA TOUX PULMONAIRE Les pervers du froid reçus par la peau et les poils, de l'extérieur, joignent au niveau de Poumon leur nuisance au froid qui arrive de l'interne par l'Estomac. Le froid est alors assez fort pour s'installer au Poumon, s'y loger en parasite. L'impossibilité pour le Poumon de faire circuler les souffles provoque un contre-courant qui déclenche la toux.
"Quand le corps est froid et que l'on boit froid, on porte atteinte au Poumon. Ces deux froids s'excitent l'un l'autre; le centre comme l'extérieur sont atteints et c'est pourquoi les souffles se mettent en contre-courant et remontent en haut." (Lingshu 4)
LES CINQ ZANG, CHACUN EN SA SAISON, REÇOIVENT LA MALADIE Chacun des Cinq zang domine une saison et c'est pendant cette saison qu'il reçoit le plus facilement un mal. Il y a une résonance particulière de chaque zang avec la qualité de souffles qui s'expriment à l'extérieur dans chacune des saisons. Ainsi le Foie, qui est le Bois, est plus réceptif et sensible au vent du printemps que n'importe quel autre zang. C'est ce qui fait à la fois sa puissance et sa fragilité durant le printemps. Ce n'est là, bien sûr, qu'un aspect de la chronobiopathologie; les maladies du Foie, même au printemps, peuvent venir d'autres causes, comme une insuffisance des conduites propres à l'hiver (cf. Suwen 2).
Si un zang, par exemple le Foie, reçoit les pervers en sa saison, en l'occurrence le printemps, il s'en suivra une maladie spécifique du zang : on sera malade du Foie. Mais un zang qui
reçoit les pervers en dehors de sa saison transmet l'atteinte au Poumon qui, par réaction, déclenche la toux :
"Dans les zang, c'est le Poumon ... Dans les mouvements réactionnels à une altération, c'est la toux." (Suwen 5)
La toux est la réaction du Poumon quand il subit une altération pathologique, d'où qu'elle vienne. C'est ainsi qu'un déséquilibre transmis au Poumon, par l'intermédiaire des souffles, par tel ou tel zang, pourra déclencher des toux. Toutes sortes de pervers extérieurs pourront donc entraîner une toux : humidité, vent, froid, sécheresse, chaleur ... puisque ce sont les souffles à l'œuvre dans les diverses saisons. Selon la saison du déclenchement de la toux et les symptômes qui apparaissent en même temps, on a des indications sur les causes, la nature de la toux, ses incidences sur le fonctionnement de l'organisme et donc sur le traitement approprié.
Notons la formule "L'homme fait triade avec le Ciel et la Terre" qui exprime l'idéologie dominante de la période Qin-Han. La vie de l'homme et celle de l'univers se faisant sur les mêmes modèles, les mêmes structures, les zang en l'homme sont exactement les saisons dans le déroulement du temps, les éléments (xing 行) dans les conditions de la vie sur Terre, les orients dans la répartition de l'espace en quadrants ... Si le Foie qui est en nous le déclencheur des mouvements, celui qui lance haut et loin les circulations, n'est pas en parfaite résonance avec le printemps à l'extérieur, par la suite d'une faiblesse du Foie lui-même ou d'un temps printanier détraqué, les maladies seront une altération, en nous, de ces déclenchements et lancers, ce qu'on appelle une atteinte du Foie.
TOUX – DIARRHÉES ET DOULEURS Si l'on est affecté faiblement, c'est que les pervers sont relativement en superficie. Étant à la peau et aux poils, ils investissent le Poumon et ses souffles, provoquant le contre-courant de souffles qui entraîne la toux.
Si l'on est affecté plus sérieusement, les pervers ont pénétré plus profondément; ils se sont enfoncés dans les fu, Intestins et Estomac. Peut-être ont-ils également investi la Rate, Taiyin de pied, dont les relations avec l'Estomac sont intimes et qui est le paravent de tous les yin. C'est alors la perturbation de la digestion et des acheminements corrects du bol alimentaire; le transit intestinal ne fonctionne plus correctement, le froid gêne les fonctions de la Rate et gèle les circulations dans le ventre. D'où les diarrhées et douleurs.
LA TOUX DU POUMON Maître des souffles, le Poumon fait fonctionner la respiration. L'investissement du Poumon par des pervers perturbe ces fonctions, d'où la toux et la dyspnée. Les obstructions dans le mouvement des souffles expliquent le bruit que l'on fait en respirant. Il peut y avoir présence de phlegme, qui renforce les blocages et les bruits respiratoires.
Les crachements de sang s'expliquent par l'atteinte portée sur les réseaux d'animation du Poumon plus superficiels que les méridiens, les luo (絡). Ils sont gorgés de sang, qu'ils sont chargés de faire circuler, comme dans les capillaires par exemple. L'irritation par une toux persistante de ce système – sans doute aidée par la pression d'une chaleur apparue à la suite des obstructions et blocages – fait sortir le sang de ces capillaires et, quand on tousse, les crachats sont imprégnés de sang.
LA TOUX DU CŒUR Le Cœur atteint, ses souffles à travers son méridien s'en ressentent et deviennent incapables de remplir leurs fonctions. Or :
"Le mai du Shaoyin de main, Cœur, ... à partir du système de connexion du Cœur, monte en encadrant le pharynx" (Lingshu 10) "Les souffles ancestraux (zong qi 宗氣 ) s'accumulent au milieu de la poitrine; ils sortent au larynx en passant par le mai du Cœur pour actionner la respiration." (Lingshu 71)
Donc les agents pathogènes gênant les mouvements et circulations, en particulier du sang dont le Cœur est responsable, il y a cardialgie. Les souffles du Cœur ne pouvant plus assurer les mouvements de la respiration et du pharynx, on a des obstacles dans la gorge. Cela va jusqu'à des enflures du pharynx et un blocage des fonctions de la gorge (hou bi 喉痹). On peut, comme toujours, supposer qu'une chaleur réactive aux blocages aggrave l'état.
LA TOUX DU FOIE Le méridien du Foie traverse la région des côtes ainsi que la région sous-costale; il se diffuse au niveau des côtes. Le blocage de ces souffles qui sont empêchés de s'étendre et de circuler librement, explique la douleur et sa localisation. Dans les cas graves la douleur et l'encombrement sont tels qu'on ne peut plus se tourner de côté sous peine d'intensifier le contre-courant des souffles qui atteint alors les régions sous les aisselles.
LA TOUX DE LA RATE La Rate commande la région centrale;, mais son atteinte se répercute sur le Poumon avec qui elle est en affinité naturelle de souffles (Taiyin). La Rate, commandant à l'élévation, fait monter vers le Poumon les essences et les souffles. Si les agents pathogènes font des obstructions et blocages à ce niveau, la Rate, non seulement ne peut plus entretenir le Poumon, mais elle gêne l'abaissement dont sont responsables les souffles du Poumon. D'où la douleur à droite, car le Poumon commande par la droite : les souffles s'élèvent par la gauche (Est, soleil levant ...) et s'abaissent par la droite (Ouest, soleil couchant ...). Les douleurs sont profondes et sourdes car c'est la région centrale qui est atteinte; elles irradient à l'épaule et au dos parce que l'atteinte de la Rate a contaminé le Poumon et que toute cette région des épaules et du haut du dos, sous l'obédience du Poumon et des Taiyin, souffre de malaise.
Les mouvements font cesser les rémissions de la toux, relancent ou augmentent le contre-courant des souffles, mettent l'agitation dans les souffles du Poumon, d'où l'intensification de la toux. Notons que la tranquillité est la caractéristique de l'élément Terre qui, en l'homme, est la Rate; toute attitude contrariant ce calme fera empirer la situation de la Rate.
LA TOUX DES REINS "Les lombes sont le fu (府) des Reins." (Suwen 17) "Le mai du Shaoyin de pied, Reins, ... passe à travers l'épine dorsale." (Lingshu 10)
L'atteinte aux Reins provoque des douleurs irradiant, par tiraillement, aux lombes et au dos. Ces relations avec les lombes et l'épine dorsale sont renforcées par le luo (絡) et par le musculaire (jing jin 經筋) liés aux Reins.
La relation des Reins avec le Poumon est directe; elle passe par le méridien des Reins :
"Le mai du Shaoyin de pied, Reins, ... passe à travers le Foie et le diaphragme, pénètre dans le Poumon, longe le larynx ... " (Lingshu 10)
Reins et Poumon sont deux zang qui travaillent en symbiose pour assurer la juste quantité et la bonne répartition des liquides dans le corps : les Reins, aidés de la Vessie, récupèrent les liquides utilisables et éliminent les autres, par le bas. Le Poumon, par son action sur les souffles, participe à la distribution des liquides en tout endroit; de plus il exerce une pression sur les vapeurs chargées d'humidité qui arrivent à son niveau, de façon à les faire redescendre sous une forme liquide dans le tronc (cf. Suwen 21...).
Les atteintes de Reins et Poumon se manifestent souvent par une perte de la régulation des liquides du corps. En tant que zang correspondant à l'Eau, les Reins maîtrisent l'Eau, les liquides. Le Suwen l'exprime en détail au chapitre 81. Son méridien encadre la racine de la langue et a une relation particulière avec les orifices des glandes salivaires situées à ce niveau (là où se trouve le point Lianquan, D.M.23). Ces relations sont attestées dans les chapitres 52 et 69 du Lingshu. Un affaiblissement des Reins les rend incapables de retenir les liquides dont ils ont la charge; ils laissent donc quantité de salive sortir sous forme de crachats. Ces liquides sont pulsés en haut par le contre-courant qui s'est instauré dans les souffles du Poumon par suite de l'atteinte aux Reins. On rejoint alors les assertions du chapitre 23 du Suwen et du chapitre 78 du Lingshu, qui mettent en relation privilégiée les Reins et les crachats (tuo 唾).
Si la toux s'intensifie, une chaleur réactive aide à l'expulsion des liquides. D'autre part si l'atteinte des Reins (Réchauffeur inférieur) se répercute sur le Poumon (Réchauffeur supérieur), la Rate (Réchauffeur moyen) doit normalement être entraînée dans le contre-courant : elle perd sa maîtrise sur les liquides (ye 液) du corps et sur les transformations correctes de l'humidité, ce qui participe à la formation anormale de crachats. La Rate est, par ailleurs (Suwen 23), liée à la salive (xian 涎).
ÉPLACEMENT DE LA TOUX D'UN ZANG SUR LE FU CORRESPONDANT Pourquoi la toux se transmet-elle des zang vers les fu et non pas le contraire ? C'est qu'il ne s'agit pas d'une pénétration graduelle de l'extérieur vers la profondeur, mais d'une transmission directe, par la jonction à la peau et aux poils, des pervers extérieurs au Poumon.
Quand le déclenchement de la toux est lié à des causes internes qui atteignent les zang (fatigues, sentiments...), ce sont les zang les premiers touchés puisque c'est leur travail et leur identité qui sont troublés par un dérèglement dans les sentiments ou dans la conduite de la vie.
Quand le déclenchement de la toux est lié à des causes extérieures, ce sont encore les zang les premiers touchés puisque leur atteinte est la conséquence de l'affinité qu'ils entretiennent chacun avec une saison, cette saison étant d'une qualité de souffles analogue au zang, représentant le même aspect du mouvement vital.
C'est donc la persistance de la toux d'un zang qui provoque le déséquilibre et l'affaiblissement des fonctions du fu qui lui est couplé. On aura alors une toux accompagnée de symptômes marquant que tel fu n'est plus capable d'assurer son rôle.
TOUX DE L'ESTOMAC L'Estomac reçoit les aliments et les transmet à l'Intestin Grêle; ses souffles sont chargés de diriger vers le bas, d'abaisser. Si l'Estomac est atteint, ses souffles se mettent en contre-eourant, ce qui provoque les vomissements. Quand la situation s'aggrave, plus rien ne reste tranquille dans l'Estomac et des ascarides peuvent sortir avec les vomissements. ……………
LE DOUBLE ASPECT DE LA VÉSICULE BILIAIRE
CARACTÈRES POUR LA VÉSICULE BILIAIRE
Le caractère classique pour la Vésicule Biliaire est dan 膽 , composé à gauche du radical de la chair 月 et à droite de la phonétique zhan 詹. Le radical indique l'appartenance à un corps de chair.
La phonétique est traditionnellement expliquée comme composée de la parole 言 , de la dissimination 八 et du danger 危, avec réduction et disparition de la partie inférieure 厃; le tout donnant le sens de parler beaucoup, beaucoup trop. Bavarder à tort et à travers, c'est être incapable de se régler ou de parler droit, incapable de se retenir de déverser un flot de paroles. Celui qui parle trop parle rarement juste; il dit une chose et son contraire, se noie dans un flots de considérations qui n'aboutissent généralement pas à une mise en acte efficace; la faiblesse de son tempérament se montre dans le manque de retenue et la nécessité d'émettre des paroles à l'extérieur. Il ferait mieux de se taire, de garder son calme et sa lucidité pour prendre la décision qui s'impose en face du danger et aller dans la bonne direction.
En gardant la même partie phonétique 詹 , mais en changeant le radical, on obtient des caractères qui, par leur parenté graphique avec la Vésicule Biliaire, nous livrent des informations sur ce qu'elle représente dans la langue et la pensée chinoise.
En mettant le radical de la main à la place de celui de la chair, on obtient dan 擔 : porter sur ses épaules, se charger d'un poids très physique ou assumer une lourde responsabilité, une fonction importante. La Vésicule Biliaire a la force nécessaire pour endosser la décision, être responsable pour la rectitude des souffles.
Avec le radical du cœur, on obtient dan 憺 : soit un calme paisible, soit un ébranlement de l'être qui mène à l'angoisse. La Vésicule Biliaire soutient le calme des esprits ou sème la perturbation. Le caractère avec le radical de l'eau 澹 a les mêmes sens.
Avec le radical de la parole, c'est zhan 譫 : bavarder, tenir des propos incohérent, divaguer, délirer. Quand la Vésicule Biliaire et le Foie ne poeuvent plus garder l'esprit clair et les paroles sensées, on tombe dans la folie et le délire, la rectitude devient égarement.
Un autre caractère, plus simple, peut également être utilisé : dan 膽 . Il a exactement la même prononciation et il a aussi, naturellement, le même radical de la chair 月 ; mais la partie phonétique 旦 représente le soleil 日 qui se lève au-‐dessus de l'horrizon 一 : l'aurore. C'est la claire et pure lumière du petit matin, quand un nouveau jour commence, plein de ses promesses et potentialités à réaliser si l'on ne disperse pas ses forces et si l'on ne se laisse détourner ou dévier par rien. La puissance des commencements est ainsi évoquée dans ce caractère dan 旦 , qui peut également désigner le premier jour du mois. On y retrouve l'association de la Vésicule Biliaire avec le début du printemps, l'émergence de la vie, le premier des Dix troncs célestes.
1. UN FU ORDINAIRE
La Vésicule Biliaire est ordinairement présentée comme l'un des Six fu qui forment les organes yang de l'homme et qui sont associés aux Cinq zang, qui sont les organes yin.
"Parlant du yin/yang de l'homme : L'extérieur est yang, l'interne est yin. Pour le yin/yang du corps de l'homme : Le dos est yang, le ventre est yin. Pour le yin/yang des viscères : Les zang sont yin, les fu sont yang. Foie, Cœur, Rate, Poumon, Reins, qui sont les Cinq zang, sont yin, tandis que Vésicule Biliaire, Estomac, Gros Intestin, Intestin Grêle, Vessie, Triple Réchauffeur, qui sont les Six fu, sont yang." (Suwen 4)
La Vésicule Biliaire fait très habaituellement partie des Six fu; elle est associée, comme eux, à un méridien yang, le Shaoyang de pied, et couplée à un organe zang, le Foie.
2. UN FU INTIME AVEC SON ZANG
Lié au Foie, la Vésicule Biliaire partage avec lui la tâche d'exprimer les activités et qualités propres aux souffles de l'élement Bois. Mais sa proximité avec le Foie est particulièrement intense.
"La Vésicule Biliaire se trouve entre les feuilles courtes du Foie." (Nanjing 42)
Sur le plan anatomique, la Vésicule Biliaire est dans les replis des feuilles du Foie, atttachée à lui de telle sorte que des expressions communes du langage utilisent la relation entre le Foie et la Vésicule comme métaphore d'une relation d'étroite intimité. L'expression gan dan ( 肝膽), Foie et Vésicule siginifie une amitié sincère, une grande intimité. Elle peut aussi signifier bravoure, courage, associant leurs souffles à une mâle assurance, à un tempérament martial et audacieux.
En médecine, l'intimité du Foie et de la Vésicule est aussi exceptionnelle; rien d'équivalent dans les autres couples zang/fu, où le zang et le fu se trouvent souvent séparés. Quand ils sont proches, comme la Rate et l'Estomac, la relation n'est cependant pas de même nature; même s'ils forment ensemble le Réchauffeur Médian (ou Moyen) et, à ce titre, travaillent de conserve, ils se partagent les tâches et gardent chacun sa spécificité propre. Ainsi l'Estomac est en charge de l'abaissement et la Rate en charge de l'élévation. Alors que dans le couple Foie/Vésicule, il s'agit d'un même mouvement, d'une continuité; la Vésicule se présente souvent, en particulier dans la pathologie, comme la poussée du yang du Foie, ce qui ne peut pas réellement se dire d'un autre fu par rapport à son zang.
Foie et Vésicule se trouvent souvent associés dans les textes du Neijing et la pathologie du Foie se transmet facilement à la Vésicule : la chaleur du Foie provoque l'écoulement des sucs biliaires (Suwen 44); le déclin du Foie amène la diminution des sucs biliaires (LS 54): la toux du Foie se transmet à la Vésicule Biliaire (Suwen 38) … etc.
Cette intimité va jusqu'à des partages de nom. Ainsi, dans le Suwen 47, le Foie est appelé le Général du Centre, empruntant la notion de centre, juste (zhong 中 ) à la fonction de la Vésicule Biliaire telle que présentée dans le Suwen 8 (cf plus loin). La Vésicule Biliaire
sera elle présentée par certains auteurs (Sun Simiao, Zhongzangjing) comme "le général en chef" (jiang jun 將軍), prenant la fonction du Foie telle que présentée dans le Suwen au chapitre 8.
UN FU PROCHE DES ZANG
Cette intimité avec son zang dénote que la Vésicule n'est pas un fu ordinaire. Puisqu'elle peut être si proche du Foie, n'est-‐elle pas aussi proche des zang ?
Ainsi, quand tous les viscères, zang et fu, sont présentés dans le Suwen 8, la Vésicule se trouve placée juste après le Foie et avant les autres fu1.
Rappelons l'ordre hiérarchique donné en ce chapitre : en tête le Cœur, dans sa position de souverain, suivi du Poumon, son ministre; vient ensuite le Foie, son général en chef, et immédiatement après la Vésicule Biliaire, qui précède le Milieu de la poitrine ou Danzhong. En sixième position, c'est-‐à-‐dire en position centrale, on trouve ensemble la Rate et l'Estomac, puis viennent tous les autres fu, avec les Reins au milieu d'eux : Gros Intestin, Intestin Grêle, Reins, Triple Réchauffeur, Vessie.
Si l'on prend Rate et Estomac comme pivot et centre, au-‐dessus (ou avant) on a les organes qui s'occupent du clair et du pur, du subtil et du mental et au-‐dessous (ou après) ceux qui s'occupent du trouble et de l'impur, des matières à éliminer. Les Reins sont une exception; ils sont la présence de l'origine en position fondamentale.
Si la Vésicule Biliaire est nommée juste après le Foie, cela marque non seulement sa grande intimité avec lui mais aussi la possibilité qu'elle a de se trouver parmi les organes en charge du clair et du pur et non pas parmi ceux occupés à séparer le clair du trouble, à permettre l'assimilation des essences en évacuant les déchets, c'est-‐à-‐dire les fu liés à la digestion, les fu en charge de transporter et transformer (zhuan hua zhi fu 傳化之府 ) :
"La Vésicule Biliaire est le fu du clair et du pur (qing jing zhi fu 清淨之府) : tous les fu transmettent le trouble et impur (hui zhuo 穢濁); seule la Vésicule Biliaire n'est pas impliquée dans ce transit (chuan dao 傳道); c'est pourquoi on la dit claire et pure (qing jing 清淨)." (Zhenjiu Dacheng)
"L'Estomac, le Gros Intestin, l'Intestin Grèle, le Triple Réchauffeur et la Vessie, ces Cinq-‐là sont produits des souffles du Ciel; leurs souffles renvoient à l'image du Ciel; c'est pourquoi ils font s'écouler (vers l'extérieur, xie 瀉) et ne thésaurisent (cang 藏) pas; eux, reçoivent les souffles troubles (zhuo qi 濁氣 ) des Cinq zang; leur nom est : Fu pour les transmissions et transformations (zhuan hua zhi fu 傳化之府) . Ils ne peuvent pas longtemps garder sans transférer, pour finalement faire s'écouler (à l'extérieur)." (Suwen 11)
Ils sont ainsi les parfaits opposés complémentaires des zang : 1 Cf La vie, la médecine et la sagesse (les Onze premiers chapitres du Suwen), Le Cerf.
"les Cinq zang (wu zang 五藏 ) sont ce qui thésaurisent (cang 藏 ) les essences et les souffles (jing qi 精氣 ) sans les laisser s'écouler (à l'extérieur, xie 瀉)." (Suwen 11)
Il appartient donc aux Cinq zang de thésauriser les essences, de s'engorger en permanence, dans la mesure où elles peuvent être correctement fournies par la Rate. De là découle leur spécificité d'être en charge de ce qu'il y a de plus subtil, de la vitalité dans la substance, davantage que des substances elle-‐mêmes, qui sont traitées dans l'appareil digestif. De ce fait, la grande caractéristique des zang, qui les diffère radicalement des fu, c'est d'être responsables de ce qui commande l'animation et dirige la vie à partir des esprits et du mental et de leur expression dans l'ensemble sang et souffles (xue qi 血氣 ) :
"Les Cinq zang (五藏) sont pour thésauriser (cang 藏) les esprits vitaux (essences et esprits, jing shen 精神), le sang-‐et-‐souffles (xue qi 血氣), les âmes Hun et les âmes Po. Les Six fu sont pour transformer (hua 化) les liquides et céréales ainsi que pour faire circuler les liquides corporels (jin ye 津液)." (Lingshu 47)
"Les Cinq zang (五藏) sont les thésaurisateurs (cang 藏) des esprits vitaux (jing shen 精神), des Hun et des Po. Les Six fu sont les réceptacles des liquides et des céréales, pour faire circuler les matières et opérer leurs transformations (xing hua wu 行化物 )." (Lingshu 52)
Les particularités anatomiques des ces deux sortes d'organes correspondent à leur fonction.
Les zang sont des masses compactes, ce qui leur vaut leur nom d'organes pleins; ils n'offrent pas d'ouvertures ou de creux perceptibles. Ainsi le Foie est gorgé de sang, mais ne le contient pas à la manière d'un vase. C'est pourquoi seules les essences subtiles et fines peuvent les imprégner.2
Au contraire, les fu sont vides, ce qui leur vaut leur nom d'organes creux; ils ont des ouvertures pour le passage des matières, qui se transmettent de l'un à l'autre; ils reçoivent ces matières dans l'espace vide qui est le leur; ils contiennent les matières à la manière d'un vase.
La Vésicule Biliaire se présente comme un fu en ce qu'elle est creuse, vide; elle contient la bile comme un vase le ferait. Cependant, comme le remarque entre autres le Yixue Rumen, elle ne présente pas d'ouverture pour l'entrée ou la sortie de ses sucs. On pourrait ajouter qu'elle n'est pas dans une chaîne de transmission, comme les autres fu, qui se passent les matières de l'un à l'autre, de l'ingestion à la déjection3. Elle n'est pas dans la transmission, mais dans la garde, la thésaurisation. La Vésicule Biliaire ne peut donc être pénétrée que parce qui est raffiné et subtil et n'a pas besoin de larges ouvertures, par ce qui doit être gardé à l'interne pour profiter à la vitalité, c'est-‐à-‐dire des essences.
2 Comme l'’Eau pénètre tout, même là où il n'y a aucun passage, aucun interstice de perceptible (cf Laozi 43) 3 Le Triple Réchauffeur ne présente pas non plus d'ouvertures, puisqu'il n'a pas vraiment de forme. Ce n'est pas par hasard qu'il est l'autre fu lié à la qualité Shaoyang des souffles.
La Vésicule Biliaire reflète ainsi dans sa configuration anatomique un aspect de zang et un aspect de fu. Sa forme physique donne déjà une indication sur sa nature propre.
Elle occupe une place que les autres fu n'ont pas. Elle devient vitale par ses essences.
Ainsi en Suwen 52 on signale les punctures entraînant la mort et on commence par la puncture en plein dans un organe avant de parler de punctures en des endroits vitaux qui ne sont pas des organes (artères, cerveau ...). Si les Cinq zang sont bien cités, aucun fu, à l'exception de la Vésicule Biliaire, n'est signalé comme entraînant la mort quand on leur plante une aiguille en plein centre. Une puncture au Cœur occasionne la mort en une journée, au Foie en cinq jours, aux Reins en six, au Poumon en trois, à la Rate en dix et à Vésicule Biliaire en une journée et demi. Même s'il y a une valeur symbolique de ces nombres, on remarque la rapidité de la mort causée par une puncture en plein dans la Vésicule Biliaire, moins rapide que le Cœur, mais plus rapide que les autres zang.
UN FU REMPLI D'ESSENCES
La Vésicule est régulièrement présentée comme s'occupant des essences, c'est-‐à-‐dire de ce qui est clair et pur4, ferment de vie et Cœur de vitalité.
"La Vésicule Biliaire est la résidence (fu 府) du clair et pur (qing jing 清淨)" (Nanjing 35)
La Vésicule est donc du côté de ce qui garde les essences à l'interne :
"La Vésicule Biliaire ... contient des sucs essentiels (jing zhi 精汁)." (Nanjing 42)
Le caractère employé pour désigner la bile zhi 汁 est composé à droite de dix 十 et à gauche de l'eau 跆 . Il évoque un fluide très riche, un liquide parfait et complet, capable, par sa richesse een essences, de régénérer le sang ou de former la bile.
On trouve parfois, pour parler de la bile, le caractère ye ( 液 ) qui désigne les liquides corporels denses, particulièrement riches en essences; ceux qui, au contraire des liquides plus légers (jin 津 ), ne sont pas supposés quitter le corps.
Le Lingshu est parfaitement explicite :
"La Vésicule Biliaire est le fu des essences internes (zhong jing zhi fu 中精之府)" (Lingshu 2)
Les conséquences sont importantes. C'est parce qu'ils thésaurisent les essences que les Cinq zang peuvent dégager les souffles qui sont toutes les activités vitales, tant sur le plan physiologiques que mental. Mais c'est parce que ces essences sont claires et pures, parfaitement en accord avec la nature propre d'un humain, que les souffles dégagés spécifiquement par chacun des Cinq zang suivent l'ordre naturel et ne créent pas de désordre. En effet, la pureté et la subtilité des essences permet aux esprits du Ciel (shen 神 ) de les habiter. Les Cinq zang sont donc habités par les esprits, sous une forme 4 On pourra penser, si l'on veut, au rôle d'épuration que la Vésicule Biliaire joue en médecine occidentale vis à vis du sang et du plasma.
spécifique pour chacun; ce sont les Cinq expressions des esprits : Shen, Hun, Po, Yi (propos) et Zhi (vouloir)5. Etant habités par les esprits, ce qui émane d'eux exprime l'ordre naturel ou Voie du Ciel, la santé est parfaite et la psychologie équilibrée, l'intelligence pénétrante et éclairée.
Dans les textes médicaux, il n'y a pas d'esprit associé à la Vésicule Biliaire. Mais elle montre des capacités qui sont de l'ordre du mental et le mental est toujours guidé par l'intelligence spirituelle (shen ming 神明 ).
La Vésicule Biliaire développe une importance dans l'ordre du subtil, de l'essentiel et donc dans ce qui relève de la clarté du mental. Comme sa nature exprime le yang de l'élément Bois, elle donne aussi force et puissance aux dispositions intérieures, aux facultés du mental. C'est ainsi qu'elle est liée à la capacité à décider et trancher.
LE CENSEUR
"La Vésicule Biliaire (dan 膽) a la charge du juste et de l'exact (zhong zheng 中正 ); détermination et décision ( jue duan 決斷 ) en procèdent." (Suwen 8)
"Juste et exact" (zhong zheng 中正) est un titre de fonctionnaires militaires que l'on trouve dans le chapitre 48 des Mémoires Historiques (Shiji). Il est couplé avec un autre titre : l'officier en charge des excès (si guo 司過). Ces deux fonctionnaires sont directement nommés par le roi pour surveiller tous les officiers, en particulier les officiers supérieurs, les généraux, afin de contrôler qu'ils ont scrupuleusement obéi aux ordres donnés par le roi et pour les punir en cas de désobéissance ou d'abus. Ce sont des sortes de censeurs.
La relation avec le monde militaire renforce le lien avec le Foie, général en chef6; elle exprime surtout l'analogie entre les souffles du Bois et les souffles qui font d'un homme un bon général, capable d'aller de l'avant, vaillamment et jusqu'au bout, mais avec intelligence et calcul, sans jamais céder mais en fléchissant si les circonstances l'exigent. Il est à l'image du Bois qui se courbe et se redresse, dont la véritable force est à la mesure de la flexibilité et provient de la richesse de la sève qui monte du sol. Un bon Foie est fort, capable de stimuler toutes les circulations, de leur donner assez d'impulsion pour qu'elles arrivent au bout de leur course, au plus haut du corps (vertex), à l'émission vers l'extérieur (menstruations, miction ...), capable de libérer le sang qui permet les mouvements musculaires, souples et forts, également capable de libérer l'esprit en évitant les blocages qui l'encombrent, soucis et ruminations, ressentiments et anxiété. Mais un bon Foie est aussi celui qui pense, cogite, analyse, planifie, prévoit, s'appuyant sur sa richesse en sang et l'esprit qui l'anime, les âmes Hun, qui incluent l'intelligence et les facultés mentales.
La Vésicule Biliaire, aspect yang du Bois, continue la lancée du Foie; elle tranche dans les diverses considérations et propositions résultant de l'analyse; ce qui était projets devient décision. 5 Cf les Mouvements du Cœur. DDB. 6 Cf Suwen ch.8 :"Le Foie a la charge de commandant des armées (général en chef, jiang jun 將軍 ); analyse de conjoncture et conception des plans ( mou lü 謀慮 ) en procèdent."
Mais plus que cela, la Vésicule semble avoir un contrôle sur la rectitude de la décision. Ou plus exactement on pourrait dire que si le Foie fonctionne bien, s'il garde sa richesse en sang comme base de ses stimulations et poussées, alors le résultat de cet harmonieux équilibre se voit dans les activités physiologiques du Foie, mais aussi dans le mental; la pensée se déploie sans rumination excessive, la vision est pénétrante et rien n'encombre la compréhension et l'analyse. Rien ne troublant la pureté des essences et le bon fonctionnement de la Vésicule Biliaire, la détermination est forte et la décision est juste.
Comment la justesse, l'exactitude font-‐elles partie des fonctions de la Vésicule Biliaire ? Parce que cette dernière est remplie d'essences, d'essences pures et claires, qui permettent la présence des esprits et donc de la lumière qu'ils apportent; l'intelligence est éclairée, l'esprit est ferme et droit.
C'est ainsi que la Vésicule Biliaire donne la rectitude aux souffles, assure la justesse du mouvement général de la vie en l'être :
"Finalement, les Onze organes prennent décision de la Vésicule Biliaire." (Suwen 11)
………………………………………
LA TRISTESSE - 悲 - BEI
LA TRISTESSE NORMALEMENT ÉPROUVÉE
Tristesse et affliction, avant d'être pathologiques, sont des réactions, des sentiments, normaux et souhaitables. À la mort d'un parent, la tristesse dévore intérieurement. Il ne faut pas la nier, ni l'empêcher; mais l'exprimer :
“Lorsqu'on enlevait le cercueil (pour préparer l'enterrement) le fils pleurait, se lamentait et bondissait un nombre de fois indéterminé. Sous le poids de la douleur et du chagrin de son Cœur, dans la pénible agitation de son esprit (yi 意), dans les étreintes de la tristesse et de l'affliction (bei ai 悲哀), il se dénudait le bras gauche et bondissait, afin de calmer son Cœur (an xin 安心) et de faire descendre ses souffles (xia qi 下氣), en mettant ses membres en mouvement.” (Liji, Mémoires sur les bienséances et cérémonies, S. Couvreur, traduction révisée)
On remarque que la mise en mouvement du corps empêche les souffles de se bloquer dans la poitrine, ce qui facilitera le retour à la normale.
On peut aussi dire que les manifestations extérieures de la tristesse associe cette dernière avec des mouvements et des cris rituels. La diminution de ces manifestation, toujours selon les prescriptions rituelles, amène aussi la diminution de la tristesse, à la fois parce qu'on s'autorise à être moins triste et parce que le lien établi entre la tristesse et ses manifestations incite naturellement à une réduction commune.
Si le deuil et la tristesse sont normaux, ils ne doivent pas durer. Au bout de trois ans (en fait souvent 25 mois, un mois de la troisième année comptant pour l'année entière), on doit reprendre sa vie normale :
“Un fils, à la mort de son père, pleurait sans interruption trois jours durant; de trois mois, il ne quittait ni le bandeau ni la ceinture de chanvre; pendant un an (il pleurait matin et soir) avec un profond sentiment de tristesse (bei ai 悲哀); son chagrin (oppressant, you 憂) durait trois ans. Les témoignages d'affection allaient ainsi en décroissant. La douleur décroissant avec le temps, les anciens sages avaient déterminé comment sa manifestation devait diminuer graduellement. Voilà pourquoi la durée du deuil a été fixé à trois ans, et la liberté n'a pas été laissée aux plus sages de la prolonger, ni aux moins sages de la diminuer.” (Liji, Bienséances et cérémonies, Couvreur II, p.704, traduction révisée)
La tristesse allant jusqu'à l'affliction est donc le sentiment propre que l'on éprouve devant la mort, celui que doit éprouver le “fils pieux” à la mort d'un parent, et d'abord de son père. C'est le deuil mené, le sentiment qui accompagne le départ définitif du vivant qui vous a transmis la vie. Le Livre des Rites abonde en considérations sur la tristesse et l'affliction; il en décrit les manifestations physiques, les altérations de l'apparence, les attitudes du deuil de l'âme; il montre comment cris, pleurs, bondissements de douleurs ... sont des façons de rendre la tristesse supportable, de diminuer l'affliction intense par le mouvement donné ainsi au corps, et comment tout le processus doit, sur Trois années, ramener la paix dans le Cœur de l'affligé.
Déjà, on remarque combien la tristesse et l'affliction portent des coups répétés au sentiment profond d'exister, à la vivacité cherchant à s'exprimer et à surgir, à se dégager continûment. On prend le deuil d'un père; mais pas pour toujours, pour trois années. Poursuivre le deuil, le temps révolu, serait un excès; le refus de la réalité, fut-elle douloureuse, envenime la souffrance et détruit la santé. Porter le deuil de soi-même, éprouver le sentiment de perte de la vie, alors qu'on vit encore est une perversion grave. La vie se venge et la mort s'engendre du deuil même, car on a ébranlé l'interne, attaqué le centre de la vitalité, tourné le dos à la raison.
LA TRISTESSE, SENTIMENT DU POUMON
La tristesse 悲 bei : le Cœur 心 qui (se) refuse 非 : le dos à dos de la personne à elle-même dans son Cœur, en proie à la contradiction, à la négation, voire la négativité. L'épuisement qui résulte de cette lutte stérile détruit les souffles dans la région du Cœur et du Poumon. L'opposition se fait rupture des communications qui émanent du Cœur et coupe de la joie de la vie; le blocage devient faiblesse, la douleur, désolation.
“Quand les essences et les souffles annexent le Poumon, il y a tristesse (bei 悲).” (Suwen 23)
La tristesse correspond au Poumon et est la perversion du mouvement du métal. Ce dernier a le tranchant des épées et des faulx qui coupent les têtes ou moissonnent les céréales. Il est ainsi le rythme qui marque la fin de l'expansion yang et le début du retour au yin. Le Métal est condensation et concentration, afin de ramener les richesses de la vie à l'interne. Dans la tristesse, il devient compression qui broye le Cœur, gênant aussi bien la circulation d'un sang dont la qualité diminue, que l'expansion des Esprits; cette obstruction anéantit également liquides et souffles du Poumon.
“Quand il y a tristesse, les souffles sont détruits ( xiao 消). [.........] Quand il y a tristesse, le système relationnel propre au Cœur (xin xi 心繫) est serré, le Poumon se dilate et ses feuilles se lèvent; le Réchauffeur Supérieur n'assure plus ses communications; reconstruction (nutrition) et défense (ying wei 營衛) ne se diffusent plus; les souffles chauds sont au centre. C'est ainsi que les souffles sont détruits.” (Suwen 39)
C'est l'opposé de l'allégresse, qui permettait à la reconstruction ainsi qu'à la défense de se propager aisément. Au contraire, la tristesse serre le Cœur; ce qui n'est pas une métaphore, car l’éxagérataion de la concentration propre au Métal resserre les voies par lesquelles le Cœur communique. Le système relationnel propre au Cœur c'est d'abord le lien du Cœur avec les autres organes, lien immatériel et spirituel, mais qui se rend visible par les circulations sanguines, en particulier les artères qui partent du Cœur. Les souffles du Poumon, saisis par la tristesse, bloquent les passages et les circulations de sang et souffles, alors qu'ils devraient assurer leur propagation jusqu'aux confins du corps. Les souffles bloqués dans la poitrine génèrent de la chaleur; chaleur qui détruit les souffles.
On peut ajouter que le Cœur ne pouvant plus communiquer par le sang et les souffles, ne peut plus répandre la lumière de sa raison, donner l'inspiration des esprits, maintenir dans la réalité de l'existence.
TRISTESSE ET PLEURS
La même situation que précédemment décrite explique aussi l'écoulement de larmes, éventuellement accompagnées de morve, qui accompagne la tristesse.
“Les liquides corporels (jin ye 津液) des Cinq zang et des Six fu montent tous infiltrer l'oeil; si le Cœur est saisi par la tristesse et que donc les souffles l'ont annexé (l'occupe indûment tous ensembles, bing 并), le système relationnel propre au Cœur ( xin xi 心系) se serre; le système du Cœur ainsi serré, le Poumon se soulève et quand le Poumon se soulève les liquides ye débordent en haut. Comme le système du Cœur et le Poumon ne peuvent pas être constamment soulevés, tantôt ils se lèvent et tantôt ils s'abaissent; c'est pour cette raison que l'on tousse et que les larmes sortent.” (Lingshu 36)1
Le mécanisme est simple : la tristesse émeut le Cœur par la perversion des souffles du Poumon-Métal. Le blocage des souffles dans la poitrine fait se dilater le Poumon et l'empêche de remplir sa fonction d'abaisser les liquides dans le tronc; les souffles, empêchés de descendre par la chaleur qui règne dans la poitrine, fusent vers le haut, pulsant les liquides vers l'extérieur. Ces liquides sortent à l'œil, parfois aussi par le nez, orifice propre du Poumon; les souffles et liquides peuvent aussi faire comme une boule dans la gorge et émettre des sons qui sont ceux des sanglots.
L'écoulement des larmes est, par ailleurs, lié au cerveau, organe riche en essences et en fluides pécieux et denses, et en communication avec les orifices de la face (oeil, nez, oreille). Le cerveau est parcouru par le méridien lié au Foie, et l'oeil, l'orifice propre au Foie, est aussi le lieu d'aboutissement du méridien lié au Cœur.
L'irrégularité dans les souffles du Poumon explique aussi la toux ou les hoquetements dont peut être pris celui qui est accablé de tristesse.
LA TRISTESSE ET LE CŒUR
Bien qu'étant le sentiment propre au Poumon, par la spécificité du mouvement de souffles qu'elle induit, la tristesse est souvent associée au Cœur, dont elle empêche l'expression libre et joyeuse. La tristesse est alors l'opposé de la joie, de l'allégresse qui se manifeste par le rire.
En Suwen, ch.62, là où l'excès des souffles du Cœur se traduisait par un rire irrépressible, l'insuffisance de ces mêmes souffles se traduit par la tristesse. Ou encore :
“Quand les souffles du Cœur sont en vide, il y a tristesse (bei 悲); quand ils sont en plénitude, on rit sans pouvoir s'arrêter.” (Lingshu 8)
En examinant les couples de caractères qui expriment les sentiments, on relève, de façon habituelle, l'allégresse en couple avec la colère et, parallèlement, la joie couplée tantôt avec la tristesse(bei 悲), tantôt avec l'affliction (ai 哀). 1 Un texte proche se trouve en Lingshu ch.28.
Le caraactère pour l’affliction, ai 哀, représente les cris, gémissements et lamentations qui sortent de la bouche 口 de celui qui a revêtu les habits 衣 spéciaux du deuil. L'affliction éprouvée à la perte d'un être cher; la douleur du deuil, publiquement manifestée.
Tristesse et affliction sont l'opposé de la joie de vivre, de la joie du Ciel, propre à toute vie humaine, qui s'accepte et se possède. La tristesse devient un refus de la vie. Dans un sens pathologique, les mouvements et réactions qu'impliquent la tristesse s'opposent à ceux qu'impliquent une joie débordante, voire délirante.
La tristesse apparaît régulièrement comme le sentiment que l'on éprouve quand les souffles du Cœur sont bloqués ou sans force pour circuler.
“Maux de tête dus à un reflux (ou fléchissement, jue 厥) où les circulations (mai) à la tête sont douloureuses, le Cœur est triste (bei 悲), on a tendance à pleurer (shan qi 善泣) ...” (Lingshu 24)
On peut comprendre que le Foie pousse les souffles en contre-courant vers le haut, où les circulations de sang et souffles, congestionnées, deviennent douloureuses. Mais en même temps, il empêche le Poumon de faire descendre et induit un blocage à son niveau. Le Cœur ne bénéficie plus de l'élan procuré par le Foie pour l'aider à faire circuler, mais souffre du blocage; d'où la tristesse. La tendance à pleurer est forte car le contre-courant venant du Foie fait pression sur les liquides à l'œil.
Quand on parle du blocage des souffles, de la difficulté à faire circuler le sang, de l'atteinte portée au Cœur et du manque de communication de ce dernier, on énonce en fait le disfonctionnement de ce qui doit protéger le Cœur et le faire communiquer avec le reste de l'être : le Xinbaoluo (心包絡) ou protection (bao 包) et connexions (luo 絡) propres au Cœur (xin 心)2.
Ainsi quand on décrit une situation où les pervers ont atteint le Cœur, on parle en fait d'une situation où le Xinbaoluo est atteint, c'est-à-dire une situation où le système de connexions propre au Cœur est gêné, empêché d'accomplir sa tâche.
“Quand les pervers sont au Cœur, le malade a des cardialgies avec une tendance à être triste (xi bei 喜悲 ); parfois il tombe à la renverse sans connaissance.” (Lingshu, 20)
Les souffles pervers font pression sur la région du Cœur. La tristesse ici n'est pas un sentiment dû à un deuil ou un évènement réel; elle est le résultat du changement induit dans le mental, la sensibilité, c'est-à-dire le Cœur, par le blocage des souffles.
Si ce blocage s'aggrave, les communications sont complètement fermées; le Cœur, les esprits, la faculté d'être conscient, ne sont plus présents au niveau des organes des sens, et l'on perd connaissance.
À l'inverse, la tristesse compromet la bonne distribution du sang, empêche les protections et connexions du Cœur (Xinbaoluo) de commander régulièrement les circulations sanguines (xue mai 血脈). Les effets peuvent atteindre différentes parties du corps, comme le bas-ventre où l'utérus collecte le sang, où l'Intestin Grêle garde séparés les liquides corporels et le sang en contrôlant son feu.
2 Parfois indûment traduit par péricarde. Son méridien, le Jueyin de main, est l'un des deux méridiens liés au Cœur, celui qui a la même qualité de souffles que le méridien du Foie, Jueyin de pied. L'autre méridien du Cœur est le Shaoyin de main.
“Quand tristesse et affliction (bei ai 悲哀) sont intenses, les protections vitales et leurs connexions (bao luo 胞絡 ) se rompent (jue 絕); s'étant rompus, les souffles yang (yang qi 陽氣) s'agitent à l'interne (nei dong 內動). Quand ça se déclenche, le Cœur fait descendre sous forme d'hémorragie utérines et de fréquentes hématuries.” (Suwen, 44)
Le Suwen, ch.39, nous montrait la tristesse faire obstacle aux circulations qui partent de la poitrine, et comment les souffles, bloqués, disparaissaient, détruits par la chaleur. En Suwen, ch.44, les connexions propres aux protections vitales s'interrompent sous la pression des souffles, et les souffles yang, emprisonnés, s'excitent et créent l'agitation. Le sang sort de ses conduits, et même du corps, sous la pression de la chaleur.
L'expression “les connexions propres aux protections vitales (bao luo 胞絡)”, peut s'entendre ici de plusieurs manières :
- C'est le Xinbaoluo (心包絡), les enveloppes qui protègent le Cœur et les réseaux de connexions qui en émanent pour relier tout l'être au Cœur, centre de la vitalité consciente et maître de la circulation régulière du sang. La chaleur excessive de la région du Cœur trouble la norme de circulation qu'il donne au sang; la manifestation se fait au niveau de l'orifice inférieur antérieur. - C'est le méridien extraordinaire Chongmai, qui donne la première norme d'organisation de la circulation du sang dans l'être en formation et qui se diffuse dans la poitrine. - Ce sont les trajets de souffles liés à l'utérus, là où une nouvelle vie s'enveloppe et se protège, en lien avec les Reins chez la femme.
Quoiqu'il en soit, il y a mauvais épanouissement des souffles, obstruction et chaleur provoquant des ébranlements à l'interne; la défense et les communications du Cœur sont mal assurées; les Reins sont impliqués et le Foie aussi.
Le Foie est impliqué à plusieurs titres : il thésaurise le sang, c'est-à-dire qu'il régule la quantité de sang à garder en réserve ou à libérer dans le corps, pour un effort musculaire, pour les menstrues ...etc. Il donne l'élan pour les circulations et les émissions, jusqu'à la sortie hors du corps; à ce titre, il participe à la régulation des orifices inférieurs. Privé d'essences, de yin, pour contrebalancer son mâle dynamisme, le Foie s'emporte, génère une chaleur qui produit ces circulations erratiques du sang au bas-ventre. L'Intestin Grêle, associé au Feu, est particulièrement sensible à cette chaleur; elle peut perturber son fonctionnement et provoquer des hématuries. Le Cœur peut également transmettre sa chaleur à l’Intestin grêle.
LA TRISTESSE ET LE FOIE
On a déjà vu le Foie impliqué à plusieurs reprises dans les pathologies liés à la tristesse. Il est présenté soit comme la principale cause de la tristesse, soit comme la fonction qui en souffre; que le Poumon-Métal domine le Foie-Bois dans le cycle de domination (ke) n'est pas étranger à ce fait.
“En cas de tristesse (bei 悲), les souffle du Poumon chevauchent (empiètent sur ceux du Foie).” (Suwen 19)
Comme en Lingshu, ch.24, analysé précédemment, l'agitation du Foie, produite par le vent, induit un contre-courant de souffles qui gêne et affaiblit les communications du Cœur et fait qu'on se sent facilement triste.
Mais la tristesse porte atteinte au Foie aussi parce que la disparition des souffles, rongés intérieurement, prive le Foie du dynamisme nécessaire à son bon fonctionnement.
“Quand le Foie est en proie à la tristesse et à l'affliction (bei ai 悲哀), on s'émeut au centre, alors se produit une atteinte aux Hun. Les Hun atteints, on perd la raison (kuang 狂, folie) et on devient oublieux; on est sans essences (jing 精); étant sans essences, on ne peut plus assurer la norme; c'est la situation où l'appareil yin se contracte, où le musculaire se crispe, où les côtes de part et d'autre ne peuvent plus se soulever. Les poils deviennent cassants et on donne tous les signes de la mort prématurée. On meurt à l'automne.” (Lingshu 8)
La tristesse s'oppose à l'élan joyeux vers l'épanouissement qui est propre au Foie. La tristesse est un refus; elle contredit notre propre désir d'aller de l'avant. Pourquoi êtes-vous si triste ? Parce que vous n'avez pas le goût de l'effort spontané qui fait le mouvement vital.
La tristesse devient une inversion de la vitalité. Au lieu d'étendre ses branches et ses feuilles en toutes directions, cette plante au printemps que je suis, retourne contre soi-même son impetus; voilà maintenant que je m'attaque à mon intériorité.
L'effet produit est immanquable. Les âmes Hun, qui sont intelligence et sensibilité, réflexion et imagination, contrariés dans leur dégagement et leur libre mouvement, s'affolent et s'oublient. Une folie qui va jusqu'à la fureur. La rage est associée à l'oubli, car on ne peut plus faire retour à sa propre mémoire, jusqu'à la destruction de la personnalité.
Le Foie se vidant de sa substance, il n' a plus rien pour tenir les Hun, pour revenir à la raison. Le sang n'offre plus un lieu d'expression aux Hun, car il est dénaturé par l'agitation et parce que le contact avec le Cœur est rendu difficile par le blocage des souffles. Les essences qui s'expriment dans le sang du Foie finissent par manquer.
L'absence d'essences, en rapport avec le Foie, perturbe la rectitude de la menée de la vie qui dépend de la fidélité des Hun à l'inspiration des Esprits.
La Vésicule Biliaire, l'aspect le plus yang, le plus mâle du Foie, est impliquée, car elle n'assure plus la rectitude et la justesse des conduites.
La normalité devient égarement; les souffles corrects ne peuvent plus se dégager des essences déficientes; le centre est ébranlé, la norme n'a plus d'assise.
D'aucun diront que le yang du Foie et de la Vésicule Biliaire, trop fort, devient inflammation, feu qui se retourne vers le Poumon-Métal, pour lui nuire par l'inversion du cycle de domination (ke); belle expression de l'involution, quand on retourne contre soi ses forces vives, au lieu de les déployer.
Le sang ne suivant plus sa voie et les communications avec le Cœur étant interrompues, comment les Hun pourraient-ils recevoir l'illumination des Esprits du Cœur, pour s'y conformer et les suivre fidèlement ?
Les Hun n'étant plus inspirés, la perte du sang diminuant les essences, le cerveau s'affaiblit, les essences ne resplendissent plus de la présence des Esprits pour le bon fonctionnement des orifices supérieurs. L'intelligence et la clarté, qui sont en dépendance des Hun, sont atteintes; d'où les phénomènes de folie et d'oubli. Cette folie est furieuse (kuang 狂), car c'est une chaleur et une agitation yang.
Le Foie maîtrise l'activité musculaire; c'est dire qu'il donne le dynamisme et la vigueur qui fait la force du mouvement en même temps qu'il libère la quantité de sang requise par le muscle concerné pour l'effort. Si les essences sont asséchées au niveau du Foie, il n'y a plus assez de sang pour irriguer les muscles; crispation et nouure s'y manifestent. L'endroit central, au bas-ventre, dans la région du périnée, est parcouru par le méridien du Foie qui sous-tend la musculature des organes génitaux; il se contracte et se rétracte, ne pouvant plus se déployer.
Les côtes sont parcourues par les méridiens de Foie et de Vésicule Biliaire. L'immobilisation de cette région est une conséquence de la rétraction de l'appareil génital et de la crispation du musculaire. C'est aussi la zone de l'emplacement du Foie et le signe que l'atteinte est maintenant à son point extrême d'involution.
Les effets dévastateurs de la tristesse qui naît à l'interne et change la vie à partir de son centre culminent finalement, comme c'est le cas pour toute émotion perturbant durablement et fortement l'être, dans la mort.
La mort est à l'automne, saison où le yang cède devant le yin, où le mouvement de retour en soi doit être amorcé. L'embarras déjà installé se redouble des effets d'ambiance yin que la saison d'automne apporte avec elle. On meurt à l'automne, et à toute période ayant la nature de l'automne. On meurt quand tout est au recueillement - mais on n'a déjà plus d'épanouissement, ni d'essences. On meurt à la récolte des souffles - mais ils sont anéantis - et à la mise en abri des esprits - mais ils ne sont plus gardés par les essences déficientes ou confortés par les Hun atteints.
Tristesse et colère
La tristesse peut engendre la colère suivant un processus simple. La tristesse bloque les circualtions des souffles, ce qui exerce une pression sur le Foie, gêne son dynamisme. Le blocage des souffles du Foie entraîne une chaleur réactive qui va chauffer le sang et exciter le yang, induisant une situation de colère. C'est une évolution que l'on observe par exemple dans des cas de deuil intense, où la personne se met en colère contre l'être cher qui est mort, sans aucune raison particulière.
DICTIONNAIRE CHINOIS FRANCAIS
DE MÉDECINE CHINOISE TRADITIONNELLE Par Elisabeth Rochat de la Vallée - Cet ouvrage présente et traduit environ dix mille termes de la médecine chinoise traditionnelle. Les entrées sont classées par l'ordre alphabétique de la romanisation pinyin. Les caractères sont présentés avec leur forme complète et leur forme simplifiée. Des index variés donneront plusieurs possibilités de trouver une définition ou un terme. Les définitions sont faites à partir de l'étude des grands textes chinois classiques de la médecine, ainsi qu'à partir d'un certain nombre d'ouvrages, exclusivement en chinois. Pour une compréhension profonde de la proposition chinoise, les caractères singuliers sont d'abord présentés avec leurs principaux sens généraux en chinois classique, puis les emplois spécifiques en médecine sont développés. Les expressions composées sont classées sous le premier caractère et leur sens médical est expliqué. Quand plusieurs sens peuvent se trouver, dans des textes, des contextes ou des époques différentes, ils sont chacun présentés et distingués par un numéro. Le choix des entrées ne se limite pas aux termes techniques, noms des maladies ou des symptômes; mais il vise à une meilleure compréhension de la doctrine médicale et de la vision de la vie et de la maladie qui la soustend en analysant des notions fondamentales utilisées par la théorie médicale, mais dont l'origine et le sens se trouvent dans les textes de la pensée classique. Les souffles, les essences, les esprits, les saisons ...etc font partie de cette catégorie, mais aussi les méridiens, les organes, les émotions ... etc. Des encarts hors-texte fournissent une analyse plus profonde des principales notions. Les entrées sont courtes, quand un exact équivalent existe en fançais, comme elles peuvent être très développées quand la notion n'a pas d'équivalent en français. Les expressions ayant le même sens sont indiquées, ainsi que les variantes graphiques d'une même expression. On donne une court traduction et renvoie à l'entrée principale. Les grands ouvrages de la littérature médicales (acupuncture, moxibustion, massage, pharmacopée) sont présentés succinctement. Les titres abrégés sont indiqués à leur place (selon le premier caractère de l'expression) avec un renvoi à l'entrée principale qui est le titre officiel ou parfois au titre le plus couramment utilisé. Les grands noms de la médecine, auteurs ou praticiens, font également partie des entrées, ainsi que les principaux surnoms ou appelations sous lesquels on peut les trouver. Les plantes, remèdes et formules pharmacologiques en figurent pas dans ce dictionnaire. Cependant, les qualités des ingrédients et les mode de préparation sont retenus et définis. Cet ouvrage vise à fournir un instrument fiable aux traducteurs de textes médicaux, ainsi qu'aux thérapeutes qui s'intéressent à la médecine chinoise; mais il vise aussi à donner une meilleure compréhension des grandes notions et de la doctrine de cette médecine en aidant à connaître le cadre culturel dans lequel elle s'est développée et a fleuri.
TRIPLE RÉCHAUFFEUR - 三焦 - SAN JIAO
Le nom de cet organe très spécial est formé du nombre trois, san三 , etdu caractère qui signifie chauffer, griller, brûlé (cf. Brûlé, jiao 焦 ).
Cet organe, sans équivalent dans les représentations occidentales ducorps, n’a pas de localisation précise et ne correspond à aucun viscère :on le dit « sans forme ». Son méridien est le Shaoyang de main.
Il est réparti sur trois niveaux. - Le Réchauffeur Supérieur (shang jiao上焦 ), qui occupe la poitrine, lazone au-dessus du diaphragme, territoire du Cœur et du Poumon.Les souffles ancestraux (zong qi 宗氣 ) y sont formés.- Le Réchauffeur Médian ou Moyen (zhong jiao 中焦 ), qui occupe lapartie supérieur de l’abdomen, territoire de la Rate et de l’Estomac.Les souffles nutritifs (ying qi 營氣 ) y sont formés.- Le Réchauffeur Inférieur (xia jiao下焦 ) qui occupe la partie basse del’abdomen et inclut le système uro-génital.Les souffles défensifs (wei qi 衛氣 ) y sont formés.
Le Triple Réchauffeur (san jiao 三焦 ) assure ainsi l’unité des souffleset du corps et maintient la relation entre le souffle originel et sesmanifestations dans l’organisme, à l’image des Trois souffles, issus del’origine, qui composent l'univers : le clair en haut, le trouble en bas etl'harmonieux mélange du clair et du trouble au milieu.
Son fonctionnement est donc d’assurer que tout circule bien et par-tout, que les souffles se conduisent correctement, et que les liquidessoient normalement guidés et transformés.
Les transformations accomplies par ses souffles (qi hua 氣化 ) per-mettent aux liquides d’être bien assimilés et de circuler normalement;le Triple Réchauffeur est la synergie de Reins, Rate et Poumon dans lemétabolisme des liquides.
Ses fonctions liées à l’Eau et aux souffles originels viennent de sa rela-tion privilégiée avec les Reins, dont il est parfois présenté commel’organe fu associé. Il est alors pratiquement réduit au RéchauffeurInférieur. Beaucoup de pathologies dites du Triple Réchauffeur sontdes dysfonctionnement du métabolisme des liquides : œdème, gonfle-ment, anurie, dysurie, blocage des liquides …
Cependant, dans la systématique officiellement établie, le TripleRéchauffeur est associé aux Protections du Cœur (xin bao luo 心包絡 ),partageant avec ce dernier la qualité de Feu ministre (xiang huo 相火 ).
TRIPLE RÉCHAUFFEUR ET MALADIES DE RÉCHAUFFEMENT
Le Triple Réchauffeur, pouvant représenter toutes les activités orga-niques et leurs relations, a servi de base à une répartition des patholo-gies dans l’approche dite des maladies de réchauffement (wen bing 溫病 ), associée à la théorie des Quatre secteurs ou couches (si fen 四分 ).On établit la localisation et la transmission de l’atteinte causée par ouaccompagnée de chaleur selon les trois étages du Triple Réchauffeuret les organes qui les composent.
La chaleur, étant yang, a tendance à monter. La première étape du malest donc normalement au Réchauffeur Supérieur. Les souffles perversy pénètrent par la bouche et le nez, bloquant les souffles de la poitrine,étroitement associés à la défense (wei 衛 ) : fièvres, sueur, bouchesèche, toux, dyspnée … la maladie touche le Poumon (Taiyin demain), elle est bénigne.Si la chaleur s’enfonce dans le sang du Cœur et obstrue ses orifices, lessymptômes deviennent mentaux et la maladie est grave.La transmission se fait aussi vers les autres étages du Réchauffeur.
La maladie pénètre au Réchauffeur Médian soit par transmission, soitdirectement. La chaleur brûle fortement, diminuant les liquides,gênant les circulations, intensifiant la fièvre.Les symptômes varient selon l’importance de la sécheresse (visage etyeux rouges, respiration grossière, constipation, problème de miction)ou de l’humidité (dyspepsie, gêne dans la poitrine et l’Estomac, nau-sées, corps lourd, membres fatigués, selles molles, urines troubles …).Ils relèvent de l’Estomac et du Gros Intestin (Yangming de pied et demain) ainsi que de la Rate (Taiyin de pied).Le Réchauffeur Médian fonctionnant mal, la vitalité de sang etsouffles n’est pas bien renouvelée, la nutrition (ying 營 ) faiblit, lesorganes sont mal entretenus et les forces commencent à manquer.
Le Réchauffeur Inférieur est le dernier stade de pénétration des per-vers et le plus grave; le mal se situe dans le Foie (Jueyin de pied) et lesReins (Shaoyin de pied). La chaleur ruine les liquides et le yin.Le yin des Reins atteint, la chaleur qui profite du vide apparaît àl’interne : corps chaud, pommettes rouges, chaleur de mains, pieds etcœur, bouche sèche et gorge desséchée, mental épuisé, Cœur agité,mal à l’aise … Le sang du Foie étant insuffisant, le vent qui profite du vide s’agite àl’interne : tremblements, contractions, spasmes, épuisement du men-tal, agitation dans le Cœur avec palpitations et anxiété…
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BRÛLÉ - 焦 - JIAO
Le caractère pour l’odeur de brûlé, jiao 焦 , se compose du feu 軻 , enposition basse, qui cuit un oiseau 音 = 隹 ou, plus anciennement,trois volatiles 雥 . Il montre donc ce qui a subi l’action du feu, ce qui a été brûlé, calciné.
C’est chauffer, chauffer trop fort comme quand on fait attacher dans lamarmite le riz, qui en devient amer (ku 苦 ). C’est roussi, grillé, carbo-nisé. C’est parcheminé, comme la peau et les lèvres ou desséchécomme les lobes pulmonaires, quand les liquides en charge d’humec-ter ont été brûlés.
Au sens figuré, c’est brûler d’anxiété, être dévoré d’inquiétude.
Quand la chaleur qui permet la cuisson n’est pas excessive, c’est ce quiréchauffe et entretient la vie.
Le caractère brûlé, jiao 焦, est le même que pour « réchauffeur », dansl’expression Triple Réchauffeur (cf. Triple Réchauffeur, san jiao三焦).
L’odeur de brûlé correspond au Feu, au Sud, à l’été, au Cœur. La rela-tion s’explique tout naturellement par l’abondance et même l’excès duyang qui se manifeste en chacun.
« l’aspect rouge du quadrant méridional compénètre le cœur [……]son odeur est le brûlé (jiao 焦 ). » (Suwen ch. 4)
« le quadrant méridional, c'est le feu; le yang surabonde et supporte le mouvement; c'est pourquoi son odeur est le brûlé (jiao 焦 ). » (Baihutong)
RANCE - 臊 - SAO
Le caractère pour rance, sao臊 , se compose de la chair 肉 (月 ) et de laphonétique 喿 . C’est l’odeur qui émane des animaux carnivores, spé-cialement de leur graisse, en particulier celle du porc ou du chien.Ce sont des odeurs fortes à en être désagréables, comme celle del’urine ou des aisselles en sueur.
Un autre caractère, shan 羶 , est utilisé assez souvent en lieu et place desao 臊 . Caractère d’abord composé de trois fois le mouton 羊 : 括 , ils’écrit ensuite avec un seul mouton 羊 et la phonétique 亶 : 羶 (par-fois, la chair 肉 = 月 remplace le mouton : 膻 ).
C’est l’odeur de la graisse d’animaux herbivores, comme le mouton oula chèvre, l’odeur de suif, de bouc.
Au sens figuré, c’est souvent la honte, une conduite dépravée et détes-table.
L’odeur rance correspond au Bois, à l’Est, au printemps, au Foie. Onpeut y voir l’odeur de ce qui commence, comme l’odeur d’un enfant àla naissance, celle qui s’exhale des nouvelles pousses qui sortent deterre au printemps et des animaux plein de vitalité.C’est l’odeur de la montée du yang.
« l’aspect vert naturel du quadrant oriental compénètre le foie [……] son odeur est le rance (sao 臊 ). » (Suwen ch. 4)
« le quadrant oriental, c'est le bois; là les dix mille êtres sortent tout neufs du sein de la terre et c'est pourquoi son odeur est le rance (shan 羶 ). » (Baihutong)