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Wu shen 1 LES ESPRITS 1 LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LA PENSÉE CHINOISE CLASSIQUE La notion de shen , habituellement traduite par “esprits”, est complexe et multivalente. Elle revêt des significations différentes selon son évolution au cours du temps comme selon les contextes où elle se trouve employée. Ainsi les nuances seront importantes entre l’emploi de shen en philoso- phie, dans les textes religieux, dans la théorie de la médecine, dans les usages populaires ... Si l’on remonte à l’origine, on trouve le caractère shen employé dans les inscriptions sur bronze, comme dans les textes les plus anciens, avec le sens des esprits des ancêtres : les puissances qui sont “au Ciel” et qui exercent un pouvoir “en bas” sur leurs descendants. D’où l’usage du caractère shen pour les esprits du Ciel, par opposition par ex. aux esprits de la Terre (gui ). On a donc shen , les esprits, des “divinités”, des êtres dotés d’une puissance divine, exerçant leur influences sur les hommes et la nature entière. Leur pouvoir est merveilleux, prodigieux, miraculeux, subtil et imper- ceptible. On constate le résultat de la présence des esprits; mais on ne peut pas expliquer comment ils opèrent, puisque la nature même de leur pouvoir est céleste, vient d’un ordre “supérieur”. On ne peut donc pas expliquer leurs opérations par la logique des raisonnements humains; on ne peut pas inté- grer leur puissance à l’expression duelle qui est celle du monde sous le Ciel. D’où leur définition dans le Xici 2 : “Ce que le Yin/Yang ne peut sonder, ce sont les esprits.” Leur action ne peut être qu’excellente et parfaite, puisque céleste. Elle est donc toujours et par défi- nition expression de l’ordre de l’avènement et du déroulement de la vie dans le monde, de l’ordre naturel qu’on appelle aussi le Ciel (tian ). Les esprits sont donc l’animation céleste en tout être. Ils sont l’ordre sacré de la vie dans chaque phé- nomène naturel comme dans les affaires humaines. On a ainsi des esprits pour tous les lieux ou forces naturels comme pour les parties de la maison, pour les maladies ou le bonheur; il y a ceux qui président aux naissances ou aux mariages, ceux qui patronnent tous les corps de métiers, qui pro- tègent les Lettrés ou les prisonniers ... Ils président à toutes les activités de la nature et de l’homme. Les esprits dans la nature Les esprits sont partout : divinité de la montagne ou de la rivière, du feu ou du bois, des céréales ou des nouvelles pousses, du tonnerre ou des nuages, de la peste ou de la sécheresse, de la scarlatine ou de la variole, du bonheur ou de la richesse, des portes ou de l’âtre, des puits de sel ou des digues, de la tuile du toit ou des latrines, du Foie ou des yeux, de l’Estomac ou du cerveau, .... On peut regarder les esprits comme des fonctionnaires divins, des serviteurs du Ciel, des garants de l’ordre naturel. Ce n’est pas dépréciatif que d’être les employées de la vie, d’avoir pour charge de garder les souffles dans le courant de la vie, d’en diriger les manifestations, de telle sorte qu’elles ne dévient pas de ce qu’elles doivent être, mais suivent leur nature conférée à l’origine. 3 1.Cette présentation est loin d’épuiser le sujet et d’étudier toutes les facettes de la notion de shen . Elle explore sim- plement quelques aspects qui éclairent son usage dans les grands textes de la théoies médicale. 2.Ou Grand Commentaire du Livre des Mutations, rédigé vers les IV, IIIè siècles avant l’ère chrétienne.

Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

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Une sélection de textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée - Médecine Traditionnelle énergétique Chinoise

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Page 1: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

Wu shen 1

LES ESPRITS1

LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LA PENSÉE CHINOISE CLASSIQUE

La notion de shen 神 , habituellement traduite par “esprits”, est complexe et multivalente. Elle revêtdes significations différentes selon son évolution au cours du temps comme selon les contextes oùelle se trouve employée. Ainsi les nuances seront importantes entre l’emploi de shen 神 en philoso-phie, dans les textes religieux, dans la théorie de la médecine, dans les usages populaires ...

Si l’on remonte à l’origine, on trouve le caractère shen 神 employé dans les inscriptions sur bronze,comme dans les textes les plus anciens, avec le sens des esprits des ancêtres : les puissances qui sont“au Ciel” et qui exercent un pouvoir “en bas” sur leurs descendants. D’où l’usage du caractère shen神 pour les esprits du Ciel, par opposition par ex. aux esprits de la Terre (gui 鬼 ). On a donc shen 神, les esprits, des “divinités”, des êtres dotés d’une puissance divine, exerçant leur influences sur leshommes et la nature entière. Leur pouvoir est merveilleux, prodigieux, miraculeux, subtil et imper-ceptible. On constate le résultat de la présence des esprits; mais on ne peut pas expliquer comment ilsopèrent, puisque la nature même de leur pouvoir est céleste, vient d’un ordre “supérieur”. On ne peutdonc pas expliquer leurs opérations par la logique des raisonnements humains; on ne peut pas inté-grer leur puissance à l’expression duelle qui est celle du monde sous le Ciel. D’où leur définition

dans le Xici2 : “Ce que le Yin/Yang ne peut sonder, ce sont les esprits.”

Leur action ne peut être qu’excellente et parfaite, puisque céleste. Elle est donc toujours et par défi-nition expression de l’ordre de l’avènement et du déroulement de la vie dans le monde, de l’ordrenaturel qu’on appelle aussi le Ciel (tian 天 ).

Les esprits sont donc l’animation céleste en tout être. Ils sont l’ordre sacré de la vie dans chaque phé-nomène naturel comme dans les affaires humaines. On a ainsi des esprits pour tous les lieux ouforces naturels comme pour les parties de la maison, pour les maladies ou le bonheur; il y a ceux quiprésident aux naissances ou aux mariages, ceux qui patronnent tous les corps de métiers, qui pro-tègent les Lettrés ou les prisonniers ... Ils président à toutes les activités de la nature et de l’homme.

Les esprits dans la nature

Les esprits sont partout : divinité de la montagne ou de la rivière, du feu ou du bois, des céréales oudes nouvelles pousses, du tonnerre ou des nuages, de la peste ou de la sécheresse, de la scarlatine oude la variole, du bonheur ou de la richesse, des portes ou de l’âtre, des puits de sel ou des digues, dela tuile du toit ou des latrines, du Foie ou des yeux, de l’Estomac ou du cerveau, ....

On peut regarder les esprits comme des fonctionnaires divins, des serviteurs du Ciel, des garants del’ordre naturel. Ce n’est pas dépréciatif que d’être les employées de la vie, d’avoir pour charge degarder les souffles dans le courant de la vie, d’en diriger les manifestations, de telle sorte qu’elles ne

dévient pas de ce qu’elles doivent être, mais suivent leur nature conférée à l’origine.3

1.Cette présentation est loin d’épuiser le sujet et d’étudier toutes les facettes de la notion de shen 神 . Elle explore sim-plement quelques aspects qui éclairent son usage dans les grands textes de la théoies médicale.

2.Ou Grand Commentaire du Livre des Mutations, rédigé vers les IV, IIIè siècles avant l’ère chrétienne.

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Wu shen 2

Le génie du fleuve fait couler le fleuve vers la mer; l’esprit d’un élément, comme le Feu, fait que lefeu monte et flambe, réchauffe et diffuse; la divinité de la sécheresse la fait arriver quand les circons-tances la provoquent, l’esprit des portes contrôle ce qui passe par elles ... Chaque esprit fait en sorteque tout fonctionne selon sa nature propre.

Les esprits en l’homme

Les esprits descendent du Ciel et peuplent le monde qui entoure l’homme; mais ils pénètrent aussidans les êtres et contrôlent en l’homme tous les mouvements de sa psychologie comme de sa physio-

logie. Dès le Zuozhuan1, on trouve, pour shen 神 , le sens de très intelligent;un homme “spirituel” estéclairé, de l’intérieur, par ces puissances célestes; c’est un être inspiré et merveilleusement sage.

Les esprits sont donc des puissances extérieures, qui existent en elles-mêmes comme agents du Ciel,capables de protéger les humains, ou de leur nuire. Mais ils peuvent aussi pénétrer leur corps et êtreprésents dans le centre de la personne et de la personnalité qu’est le Cœur, ainsi que dans tous lesorganes et toutes les parties de l’organisme. La question se pose alors de savoir si ces esprits des-cendent en un être par une sorte de volonté du Ciel ou bien si leur présence en un homme est le résul-tat d’un travail d’intériorisation qu’il effectue de son propre chef. Le travail intérieur par lequel onsuscite en soi les esprits est déjà le sujet central d’un texte de la fin du IVè siècle avant J..C., le cha-pitre Neiye du Guanzi. On peut même en arriver à se demande si les esprits propres d’un homme ontune existence réelle en dehors du corps de cet homme et des essences qui le composent.

L’expression “essences-esprits” jingshen 精神 désigne l’esprit vital de l’homme, où les esprits sontindissociables de ses essences. Les esprits animent les essences, si elles sont assez pures et subtilespour se laisser pénétrer par eux. La puissance qu’ils peuvent déployer en un humain est fonction dela qualité des essences que celui-ci est capable de maintenir et renouveler en lui; c’est dire que la pré-sence des esprits dans un humain et la capacité à contrôler les opérations de la vie est fonction de laconduite de cet homme : s’il sait ou non se rapprocher de l’ordre naturel dans ses activités physiquescomme dans son équilibre mental et affectif. Se rapprocher de l’ordre naturel, c’est se laisser habiterpar les esprits pour se conformer au Ciel. Ainsi, il dépend de l’homme de se mettre sur la voie del’intériorisation des esprits; cette orientation intérieure le conforte de plus en plus dans l’ordre natu-rel qui est le déploiement optimal de sa propre vie; on dit alors que les esprits, qu’il a su attirer et gar-der, le gardent de tout mal, tant qu’il maintient, par le calme intérieur, la qualité nécessaire desessences. Cependant il n’y a aucun déterminisme absolu; les esprits sont volatiles; l’homme ne peutque se conformer, dans la mesure de ses possibilités, à l’ordre naturel; mais comme il ne peut lepénétrer entièrement, à moins d’être parvenu au stade ultime où il ne fait qu’un avec cet ordre, où ilest devenu céleste, où il s’est incorporé à la Voie, il y a toujours de bonnes chances pour que des fluc-tuations existent dans sa conduite. Les esprits ne se gardent pas comme si l’on pouvait les tenir ou lesenfermer; ils vont et viennent, c’est leur mouvement caractéristique. L’homme ne peut garder que savigilance à ne pas commettre d’erreurs qui sèmeraient en lui l’agitation et troubleraient la limpiditéde ses essences.

3.Il peut certes y avoir des conflits d’autorité. Par exemple quand telle divinité est condamnée ou bannie par un hautfonctionnaire, comme représentant un culte illicite. Mais, en ce cas, deux ordres du monde s’opposent, tous deuxnaturels : l’ancien, dont la divinité condamnée se prévaut, et le nouveau instauré par le Fils du Ciel, l’Empereur dequi le haut fonctionnaire tire son autorité.

1.Commentaire de la Chronique des Printemps et Automne (Chunqiu), sans doute rédigé vers les V-IVè siècles avantl’ère chrétienne, et remanié autour de l’ère chrétienne.

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Wu shen 3

“Les esprits prennent vie de Ce qui n’a pas (de forme wu 無 ) et les formes (les corps, xing 形 ) sont

achevées par Ce qui a (forme you 有 )1 . ... Ainsi dit-on : les esprits envoient (activent) les souffles(shen shi qi 神使氣 ) et les souffles déterminent les formes. Ces formes ont des principes d’organisa-tion (li 理 ) qui déterminent leur espèce, et par les espèces on les classe. ... Le Sage se fonde sur lesesprits pour les rendre présents (en lui). Bien qu’il ait en lui le merveilleux, il doit accomplir ses dis-

positions propres (qing 情 )2 . Celui qui va au cœur de la Voie glorieuse (de splendeur) a l’illumina-tion (ming 明 ) . Celui qui n’a pas le cœur d’un Sage pour accèder à l’intelligence (cong ming 聰明 ),comment pourrait-il rendre présents en lui les esprits du Ciel Terre et accomplir les dispositions natu-relles attachées à sa forme ? Les esprits : les êtres les reçoivent, mais sans en avoir conscience (zhi 知); ils vont et viennent (qu lai 去來). C’est pourquoi le Sage est dans la crainte et désire les rendre pré-sents en lui. Son seul désir étant de garder leur présence, les esprits se rendent présents en lui. S’il

désire ainsi leur présence, c’est que rien n’est plus précieux.” (Shiji, fin du ch.25)3

On peut comprendre ces allées et venues comme l’arrivée et le départ de puissances extérieures; cer-taines situations sont clairement liées à des pratiques de type shamaniste et il y a des phénomènes depossession par la divinité, de transe. Mais, dans les textes philosophiques et dans ceux de la théoriemédicale, il s’agit plutôt d’état de conscience : on expérimente ou on n’expérimente plus, ou moinsintensément, l’état où l’on se sent un, unifié, inspiré, en accord avec les grands mouvements de lavie en soi, autour de soi, dans la nature et le cosmos. La vision que l’on a des évènements et des êtresest plus ou moins claire, va plus ou moins “de soi”.

Les esprits, la présence des esprits est alors un “état d’esprit” qui induit un “état de corps”; car la pré-sence des esprits est intelligence et sagesse, mais elle est aussi splendeur du corps, éclat de la santé.

Les esprits ne sont pas quantifiable (nous verrons plus loin la question de leur nombre); ils ne sontpas non plus altérables. Ce sont des agents à qui l’on donne ou non puissance d’action et de contrôle.

Les esprits, shen 神 , n’appartiennent pas à la personne qu’ils habitent, et cependant ils font partied’elle par l’esprit vital (jing shen 精神 ); ils sont sa lumière intérieure, sa perception, son intelligence,sa conscience et son savoir-faire. Ils sont ce par quoi un être humain a une conscience et un savoird’homme, une intelligence qui n’est pas seule habileté mais pénétration de la réalité vivante. Sans lesesprits, un homme n’est pas vraiment un être humain; il est fou ou inhumain. Son corps ne connaîtque l’épanouissement animal de la substance travaillée par les souffles. Le fou peut ainsi jouir d’unesanté quasi parfaite; mais on ne le considèrera pas comme vraiment “sain” et son manque d’intelli-gence le mettra en danger. Quant à celui qui se livre à ses passions, gâtant ses essences, générantl’agitation et l’affairement, il rend inopérant les esprits et en subit les conséquences dans son mentalet dans son corps.

“L'homme pris par la démence, s'il ne peut éviter de tomber dans l'eau ou le feu, s'il choît dans lefossé ou le canal, croyez-vous que ce soit par manque de corps (xing 形 ), d'esprits (shen 神 ), desouffles (qi 氣 ) ou de vouloir (zhi 志 ) ? Non. C'est qu'il en fait un usage aberrant. Ils ont désertésleurs postes de garde (shou 守 ), ils ont abandonné leurs demeures, celles de l'extérieur (wai 外 ) et

1.Pour dire que les esprits proviennent du mystère originel, là où s’enracine le déploiement de la vie. Quand Ciel et Terrese constituent, que les souffes Yin et Yang s’entrecroisent, les esprits sont là pour diriger toutesles opérations. “Lemystère profond (qui est originel, xuan 玄 ) produit le esprits.” (Suwen 5)

2.L’homme a, par nature, ce qui lui donne accès au mystère originel, au Ciel. Mais il doit suivre la voie qui y mène - ouramène - en fonction des caractéristiques de sa nature propre.

3.Mémoires Historiques de Sima Qian, ouvrage composé un siècle avant l’ère chrétienne.

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celles de l'interne (nei 內 ). C'est une situation où le mouvement et l'arrêt ne reposent plus sur rien, oùl'activité et le repos ne sont plus centrés (zhong 中 ). Sa vie durant, il déplacera un corps (xing 形 )handicapé par des chemins tortueux et des voies raboteuses, trébuchant au milieu de trous pleins defange et d'ordure. Venu au monde équipé comme tout un chacun, il n'en est pas moins moqué etméprisé par les gens. Pourquoi donc ? Parce que le rapport de son corps (xing 形 ) aux esprits (shen神 ) est perdu.Or donc, quand les esprits règnent en maîtres (zhu 主), le corps suit et l'on prospère; et quand le corpsimpose sa loi (zhi 制 ), les esprits suivent et l'on se dégrade. Les hommes aux appétits voraces et auxpassions dévorantes couvent la puissance d'un regard plein d'envie; fascinés qu'ils sont par les titreset les positions; ils n'ont qu'une ambition : dépasser les autres par leur habileté et s'installer sur leshauteurs de la société. Avec ce résultat que leurs essences et leurs esprits (esprit vital, jing shen 精神 ) diminuent tous les jours un peu plus, s'égarent toujours plus loin. C'est un débordement prolongésans espoir de retour; le corps fermé et le centre inaccessible, les esprits ne trouvent plus par où péné-trer. Alors les gens éprouvent, à tout instant, les effets désastreux de leur aveuglement et de leurextravagance.” (Huainan zi, ch.1)

On pourrai dire que shen 神 c’est ce qui fait que l’on a conscience. Qu’est-ce “avoir conscience” ?sinon de se voir à sa place dans l’univers et de voir l’univers dans sa réalité. Cependant, la penséechinoise, principalement sous l’influence du Taoïsme, préfera dire ÊTRE à sa place dans l’univers etpercevoir l’univers dans sa réalité, car le but ultime de la vie n’est pas de regarder mais d’appartenir.La contemplation est une immersion, où l’on ne voit plus rien, ne sait plus rien, où toutes les distinc-tion s’abolissent. Cela seul permet de rester dans le mouvement de la vie, par incorporation, qui estun abandon de la conscience claire et de la pensée discursive, mais une plénitude d’esprit.

LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LES TEXTES MÉDICAUX

L’usage de la notion de shen 神 , esprits, dans la théorie médicale s’appuie principalement sur savision dans les textes philosophiques. Ainsi ils sont présentés comme la vie même d’un homme, cequi le rend sain de corps et d’esprit.

“Posséder les esprits, c’est le resplendissement (de la vie). Perdre les esprits, c’est l’anéantissement.”(Suwen 13)

C’est ainsi qu’on peut dire que les esprits sont le Ciel (le naturel) en moi, ils sont les guides de la viequi se déroule en conformité avec sa nature propre, originelle, conférée par le Ciel.

Quand une vie est bien réglée, quand tous les souffles accomplisssent parfaitement leurs activitéspropres, au bon endroit, au bon moment, selon le rythme juste - ce qui est la même chose que de direque les Cinq zang accomplissent parfaitement leurs fonctions - alors c’est la vie spirituelle.

“Les Cinq saveurs pénètrent par la bouche et sont thésaurisées par les intestins et l'estomac; lessaveurs sont thésaurisées dans les zang, pour en entretenir les Cinq souffles. L'harmonieuse compo-sition de ces souffles fait vivre; les liquides corporels denses et légers (jin ye 津液 ) se complètentparfaitement, et les esprits (shen 神 ) alors font vivre, naturellement.” (Suwen 9)

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La lumière des esprits

Les esprits qui guident la vie ne sont pas un simple mécanisme, mais une lumière. Cette lumière estun éclairage qui permet la connaissance, la compréhension de ce qui seul importe, c’est-à-dire de cequi fait vivre. Comme le seul savoir faire qui compte est de “savoir vivre” et savoir comment entre-

tenir sa vie1, la seule connaissance qui vaille est celle qui éclaire sur l’ordre naturel de la vie et quipermet d’y adhérer de tout son être; ce n’est pas la connaissance qui vient d’un savoir accumulé,d’une pensée discursive, d’une analyse, mais celle qui est l’adhésion au mouvement vital jusqu’à ladernière fibre de son être.

“Le Yin/Yang est la Voie du Ciel/Terre, corde maitresse et mailles des Dix mille êtres, père et mèredes changements et transformations, enracinement et commencement de la vie et de la mort,demeure pour le resplendissement des esprits (shen ming 神明 )” (Suwen 5)

Quand les esprits sont au contrôle, ils activent les souffles en fonction de l’origine, de la naturepropre de chacun et de l’ordre sacré de la vie. La réaction à toutes les circonstances est alors parfaite-ment appropriée et juste; rien ne perturbe le déroulement de la vie.

“La Voie est dans l’unité et les esprits impriment un mouvement de rotation sans jamais revenir enarrière. S’ils revenaient en arrière, ils n’assumeraient plus les rotations, ce serait la perte du méca-nisme (subtil de la vie, ji 機 ).” (Suwen 15)

“Le corps abrite la vie, les souffles en sont l'abondance, les esprits la dirigent. Une des entités perd-elle sa position, les trois en pâtissent.” (Huainan zi, ch.1)

Quand, chaque organe, chaque sens, chaque instance fonctionne parfaitement, rien ne s’oppose à laprésence des esprits; ce qui renforce la perfection du fonctionnement procurant force et santé et cequi, en même temps, donne l’acuité et l’adéquation convenables, appropriées au fontionnement desorganes des sens et du mental. C’est l’illumination, l’état spirituel, tel qu’il est présenté en Huainanzi ch.7 :

“Sang-et-souffles (xue qi 血氣 ) peuvent-ils se concentrer dans les Cinq viscères (zang) au lieu de serépandre au dehors, poitrine et ventre se remplissent alors en totalité, les désirs et les convoitisesperdent alors toute leur force. Poitrine et ventre étant entièrement pleins, désirs et convoitises étantréduits à rien, l'œil et l'oreille sont clairs, la vision et l'audition pénétrantes. Une telle perfection dansl'atteinte de leur objet par les sens, c'est cela l'Illumination (ming 明 ). Les Cinq viscères peuvent-ilsse placer dans la dépendance du cœur et ne pas s'en écarter, quelle que soit l'exhaltation du vouloir(zhi 志 ), la conduite ne dévie pas. Ainsi, les esprits vitaux (jing shen 精神 ) surabondent et rien ne sedissipe des souffles. Abondance d'esprits, plénitude de souffles, tout est ordonné, équilibré, compé-nétré : C'est l'Etat spirituel (shen 神 ). L'Etat spirituel rend parfaite la vision, parfaite l'audition, parfait l'accomplissement : Les tristesses etles soucis ne peuvent plus nous assaillir, les souffles pernicieux (xie qi 邪氣 ) fondre sur nous àl'improviste.”

1.cf Lingshu 8, Les Mouvements du cœur : “Le savoir-faire c’est l’entretien de la vie”.

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Accueillir et garder les esprits

Comment attirer les esprits du Ciel ? Comment les garder afin qu’ils nous gardent ? En réglant sa vieà l’aide des esprits qui sont déjà présents en soi, afin de renouveler des essences de la qualité propreà l’espèce humaine.

“Les souffles grossiers (fan qi 煩氣 ) forment les animaux; les souffles légers et subtils (jing qi 精氣), les hommes.” (Huainan zi, ch.7)

Il y a plus d’esprits célestes dans un humain qu’en n’importe quel autre être, à cause de la qualité deses essences. Mais l’humain doit maintenir cette qualité, sinon, il perd les esprits en les rendant ino-pérants, et alors il perd sa vie. En maintenant la qualité des essences, les esprits continuent d’être atti-rés; et parce qu’ils sont plus nombreux ou plus présents, les essences sont riches et pures. C’est doncbien les essences qui permettent la présence des esprits.

“Que des vivants (sheng 生 ) surviennent dénote les essences (jing 精 ). Que les deux essencess’étreignent dénote les esprits (shen 神 ).” (Lingshu 8)

Ces “deux essences” sont les essences des deux humains géniteurs, mâle et femelle, père et mère,racine des essences dite du Ciel antérieur pour le nouvel être. Mais c’est aussi les esssences du Cielpostérieur se renouvelant sur le modèle originel des essences du Ciel antérieur.

Comment renouveler les essences du Ciel postérieur en gardant la qualité innée du Ciel antérieur ?1

En évitant tout ce qui dérange et trouble l’activité régulière des souffles, qui travaillent en perma-nence sur les essences; c’est-à-dire en évitant les émotions et passions, les désirs inappropriés, lesexcès de chaud ou de froid, de fatigue ou de relations sexuelles .... En travaillant, dans son corps etson mental, tout ce qui préserve le rythme normal des souffles, leur permettant d’assimiler et detransformer les essences de façon à ce qu’elles soutiennent la présence des esprits.

“Intestins et estomac étant alternativement vides et pleins, les souffles montent et descendent (qi deshang xia 氣得上下 ), les Cinq zang sont stables et paisibles, sang et souffles (xue qi 血氣 ) sont har-monieusement composés et circulent aisément (he li 和利 ) et l’esprit vital (jing shen 精神 ) alorsreste à demeure. Ainsi donc, les esprits (shen 神 ) ce sont les essences-souffles (jing qi 精氣 ) prove-nant des aliments solides et liquides.” (Lingshu 32)

Toutes les techniques sont bonnes : diététique, gymnastique, respiration, méditation ... à conditionqu’elles n’aient d’autre visée que l’adhésion au mouvement de la vie pour lui-même et qu’elles pré-servent et confortent le calme intérieur.

L’essentiel dans l’usage des aiguilles ( 用鍼之要 ) réside dans la connaissance de la régulation du yinet du yang ( 知調陰與陽 ); quand on régule yin et yang (l’un par rapport à l’autre), alors les essenceset les souffles resplendissent ( 精氣乃光 ), on unit le corps et les souffles ( 合形與氣 ) et on fait ensorte que les esprits soient thésaurisés à l’interne ( 使神內藏 ). (Lingshu ch.5)

1.On appelle “Ciel antérieur” ou “Avant le Cie”l l’aspect théorique et constitutif de la réalité et de chaque être; les forcesqui président à l’apparition d’un être et qui demeurent activent tout au long de son existence en tant que fonde-ment et modèle. On appelle “Ciel postérieur” ou “Après le Ciel”, l’aspect expérimental et fonctionnel de la mêmeréalité; les forces vives renouvelées par l’individu (respiration , alimentation), tout l’acquis.

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Les essences

Au sens premier, jing 精 désigne les grains de riz décortiqués, la partie affinée du riz; par extensionquelque chose d’épuré, choisi, subtil, exquis, raffiné.

Les essences, pures et subtiles, sont les modèles de chaque vie (essences du Ciel antérieur) et la basede son entretien (essences du Ciel postérieur). Les essences rendent particulière une vie au sein de lavitalité universelle. Elles règlent les conditions de la vie pour chacun, de la naissance à la mort, del’apparition à la disparition. Un être reste lui-même au travers de toutes les mutations qu’il subit aulong de sa vie, car les essences assurent fidèlement cette continuité.

Leur relation à l’origine et à la continuité, ainsi que leur nature yin, les lient aux Reins :

“Les Reins …. sont le logis des essences. [...] “Les Reins thésaurisent les essences (jing 精 ).”(Lingshu 8)

Elles sont le matériau plein de vitalité qui tisse les vivants. Elles permettent aux substances de restervivantes, c’est-à-dire d’être transformées continuellement par les souffles.

Les essences de la dotation originelle (essences du Ciel antérieur) déterminent la qualité spécifiquede la substance humaine. Les essences du Ciel postérieur permettent l’élaboration, le développementet le maintien d’un être, par renouvellement selon les normes originelles de la nature propre.

“Homme et femme unissent leurs essences : les Dix mille êtres sont produits par transformations(hua sheng 化生 )”. (Yijing ou Livre des mutations – Xici)

“Les Essences sont l’enracinement (ben 本 ) d’un corps vivant (shen 身 )” (Suwen 4)

“Ce qui vient en premier (xian 先 ) dans la vie d’un être (dans une vie personnelle exprimé dans uncorps, shen sheng 身生 ), est appelé Essences.” (Lingshu 30)

Les essences passent d’un être à l’autre (par ex. l’alimentation); par décomposition de la matière quiles contient, elles sont assimilées dans un nouvel organisme (essences du Ciel postérieur); elles ygagnent, selon des affinités, les zang qu’elles régénèrent et où elles permettent la présence et lecontrôle des esprits. Elles sont travaillées et transformées en permanence par les souffles. En seconsumant, elles dégagent des souffles aux activités spécifiques; par assimilation, elles vitalisent lessubstances corporelles.

Les essences ne sont pas visibles en elles mêmes, mais rien de substantiel n’existe, ne prend forme etvie sans elles; on perçoit leurs qualités, leur abondance ou leur pénurie, dans chaque être vivant.Alors que le corps relève de la Terre, les essences relèvent du Ciel, car les essences sont alors l’initia-tive et le contrôle de l’expression vitale représentée par la forme corporelle.

“le Ciel par les essences (jing 精) et la Terre par les formes (xing 形), Le Ciel par les Huit régulateurs(du temps) et la Terre par les Cinq organisateurs (que sont les Cinq éléments), peuvent se comporteren père et mère des Dix mille êtres.” (Suwen ch.5)

Dans toute forme les essences sont donc ce qui donne la vie, ce qui manifeste le naturel, ce qui per-met aux souffles d’animer les corps et les substances. Tout l’entretien de la vie et l’accomplissementcorporel reposent sur les essences.

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Wu shen 8

“Les Essences (jing 精 ), dans tous les êtres, c’est ce qui en fait des vivants (sheng 生 ). En bas, ellesproduisent les Cinq céréales; en haut, elles font les étoiles bien rangées; s’écoulant (liu 流 ) à l’inter-valle entre Ciel et Terre, ce sont les esprits de la Terre et ceux du Ciel (gui shen); thésaurisées (cang藏 ) au centre de la poitrine, c’est l’homme saint (sheng ren 聖人 ). Et ainsi, voilà les souffles …. “(Guanzi – Nei Ye)

“Que des vivants surviennent dénote les essences” (Lingshu ch.8)

Il faut donc garder précieusement et activement les essences, ne pas les gaspiller, les perdre, lesdétèriorer, car alors on détruit la qualité des substances vitales : liquides corporels et graisses consti-tutives, sang et sperme, et même moelle et cerveau, os et chairs; on affaiblit et dénature la produc-tion en soi des souffles; on obscurcit la pensée et s’oppose à la présence des esprits.

L’esprit vital (jing shen 精神 )

L’association des essences subtiles et des esprits représente le plus haut niveau de la vie humain,l’humanité d’un homme. C’est la source de la connaissance, réflexion, pensée, moral, conduitemorale, droiture intérieure qui est aussi rectitude des mouvements du souffle...

Les Cinq zang qui forment le centre de la personne sont en charge de l’esprit vital, par oppositionaux Six fu, davantage tournés vers le côté matériel de la vie :

“L’homme recoit la vie par son sang-et-souffle (xue qi 血氣), ses essences-et-esprits (jing shen 精神 ,esprit vital), pour accomplir sa destinée en fonction de sa nature propre. [….]. Les Cinq zang sontpour thésauriser essences-et-esprits (jing shen 精神 ), sang-et-souffles (xue qi 血氣 ), Hun et Po ( 魂魄 ). Les Six fu sont pour transformer (hua 化 ) les liquides et céréales et faire circuler les liquidescorporels (jin ye 津液 ).” (Lingshu 47)

L’espirt vital (jing shen 精神 ) d’un homme, qui représente ses esprits propres, survit à sa dispari-tion, à la dissolution de la personne.

“Ainsi, les esprits légers et subtils (l’esprit vital, jing shen 精神 ) sont propriété du Ciel et l'ossaturecorporelle (gu hai 骨骸 ), propriété de la Terre. Les esprits légers et subtils (l’esprit vital, jing shen 精神 ) repasseront leur porte, les ossements retourneront à leur racine. Mais alors comment "moi" sub-sisterai-je à jamais ?” (Huainan zi, ch.7)

Cet esprit vital est personnel, spécifique à un être, car les essences sont les siennes et dépendent, pourleur qualité, de la conduite de sa vie. C’est ainsi que certains textes parleront de l’altération desesprits en un être. Cependant, on peut aussi considérer que, si les essences sont propres et sous la res-ponsabilité de l’homme qu’elles vitalisent, les esprits, en tant que messagers du Ciel, ne lui appar-tiennent pas. Ils sont sa vie, mais ne sont pas à lui. Il ne peut donc pas les altérer (contrairement auxHun et aux Po). Les esprits sont la puissance efficace, la “vertu” du Ciel, de l’ordre naturel de la vie.Ils sont attirés par la conduite de la vie, qui détermine la qualité des essences. Plus les esprits sontprésents, plus la conduite est naturellement correcte, et plus on accepte et désire leur présence. Ilssont les conducteurs du char de la vie. Le Cœur étant plein d’eux peut diriger la vie avec puissance etefficacité et tous les replis de l’être, tant physique que mental ou moral, sont pleins de leur présence.

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Les esprits ne sont pas l’âme, ou un principe de vie personnelle qui survivrait à la mort. Shen est dif-férent de Hun ou Po qui sont personnels. Les esprits sont partout là où est la vie, la Voie du Ciel, et ilsinspirent en fonction de la qualité des essences, en l’homme l’esprit vital (essences esprits, jingshen精神 ), par la subtilité et le raffinement des essences, donne accès à la conscience (zhi 知 ) qui est unsavoir faire/savoir vivre (zhi 智 ).

LES CINQ ESPRITS

Le nombre des esprits

Combien y -a-til d’esprits ? Un ? Cinq ? Cent ? 18 000 ? Les nombres qui leur sont attribués ne sontpas quantitatifs mais qualitatifs. Ils donnent une indication sur les esprits dont il est question.

Par exemple, les Deux esprits (er shen 二神) pourront être le Yin et le Yang, sous leur aspect de puis-sances productrices de la vie; les Trois esprits (san shen 三神 ) seront ceux du Ciel, de la Terre et del’homme ou des Pics sacrés, ou encore les esprits qui, dans le corps, habitent les trois champs decinabre; les Quatre esprits (si shen 四神 ) seront les divinités qui donnent leur qualité propre auxQuatre directions de l’espace. Les Six esprits (liu shen 六神 ) pourront être six catégories d’esprits àqui l’on offre des sacrifices (Quatre saisons, froid et chaud, soleil, lune, étoiles, sécheresse et inonda-tion) ou encore six esprits qui, dans le corps, animent Cœur, Poumon, Foie, Reins, Rate et VésiculeBiliaire. Cent esprits (bai shen 百神 ) sont une troupe d’esprits. Mais l’essentiel est exprimé par leproverbe : “Les myriades d’esprits ne font qu’un esprit” (qian shen wan shen dou shi yi shen 千神萬

神都是一神 ).

Cinq esprits (wu shen 五神 ) indique que les esprits sont à considérer au niveau de Cinq, distribués etparticularisés en chacun des Cinq zang, si l’on est dans un contexte corporel; dans un contexte plusgénéral, ce sont les esprits des Cinq éléments, des Quatre directions et du centre; ou encore les Cinqsouverains mythiques divinisés.

Cinq est le niveau de l’organisation de la vie, de la répartition des toutes les qualités et mouvementsde souffles qui font et maintiennent la vie. C’est une organisation qui est faite dans la conscience; un

essai pour gérer le multiple en gardant présent l’unité, qui est seule réelle.1

1.Il est normal que l’on ait des analogies entre les Cinq shen, l’expression des esprits par cinq, et les Cinq éléments. Il neserait cependant pas licite d’appliquer mécaniquement aux Cinq shen toutes les règles et cycles conçus pour les Cinq élé-ments (ainsi les cycles de domination ou d’engendrement). On ne peut appliquer mécaniquement toutes les règles desCinq éléments que quand on prend chaque notion, répartie en Cinq, comme représentant la qualité et le mouvement desouffles propres aux Cinq éléments; mais on renonce alors aux caractéritiques propres de ces notions. Il en va ainsi nonseulement pour les Cinq esprits, mais pour les Cinq saveurs, Cinq souffles atmosphériques... Il est stupide de dire que lesec domine le vent, sinon quand sec et vent représente le Métal et le Bois, comme il est faux de dire que l’humiditéengendre la sécheresse ou domine le froid, sinon quand ils représentent la Terre, le Métal et l’Eau. Quand on traite de cessouffles atmosphériques, on regarde leurs relations non seulement en fonction des Cinq éléments qui permettent de lesclassifier mais aussi en fonction de leurs interactions propres. Ou encore, la colère n’engendre pas l’allégresse et la tris-tesse ne domine pas toujours la colère. Ainsi on ne peut pas dire, en parlant des qualités spécifiques des Cinq esprits, quele Vouloir engendre les Hun ou que les Po dominent les Hun, autrement que pour dire que les Reins-Eau engendre leFoie-Bois ou que le Poumon-Métal domine le Foie-Bois.

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Le Cœur et les Cinq zang

“Quand mon Cœur règle bien (zhi 治), les charges (organes des sens, guan 官) sont aussi bien réglées(zhi 治 ). Quand mon Cœur est en paix (an 安 ), les charges (organes des sens) sont aussi en paix. Cequi règle, c’est le Cœur. Ce qui confère la paix, c’est le Cœur.

Le Cœur cache un Cœur. Au centre de ce Cœur, il y a encore un Cœur. Au cœur de ce Cœur, la dis-position intérieure (propos) précède les paroles, de la disposition intérieure procède la forme (xing形 ), de la forme procèdent les paroles, des paroles procède la mise en œuvre (shi 使 ), de la mise enœuvre procède la régulation (zhi 治 ). Sans régulation, on n’échappe pas au désordre (luan 亂 ), undésordre qui mène à la mort.

Quand, par la présence des essences, la vie se développe naturellement, l’extérieur (wai 外 ) montreune tranquille splendeur et à l’intime (nei 內 ) est précieusement gardé (cang 藏 ) ce qui procureune fontaine jaillissante, ainsi qu’un débordement harmonisé et équilibré qui procure une sourceabyssale de souffles. Source abyssale qui ne tarit pas et qui donne leur fermeté aux Quatre membres.Fontaine qui ne s’assèche pas et qui donne aux Neuf orifices leurs communications convenables,rendant capable d’aller au bout de ce nous présente le Ciel/Terre, de s’étendre aux Quatre mers. Aucentre (zhong 中 ), aucun désarroi dans le propos (la dsposition intérieure, yi 意 ); à l’extérieur (wai外), aucun pervers (xie 邪 ) portant nuisance.” (Guanzi, Neiye)

Le Cœur est un, l’Un, l’unité des Cinq zang. Les esprits du Cœur, puisqu’ils sont aussi l’Un, s’expri-ment à travers chacun des Cinq zang d’une manière spécifique. Les esprits étant le mouvement natu-rel propre à chacun des Cinq zang, vont avoir un expression spécifique qui va prendre un nomparticulier en chacun. Ce sont les Cinq expressions, manifestations des esprits ou les manfestationsdes esprits par et dans les Cinq zang.

“Oui, le Cœur est le maître des Cinq viscères (zang), il règle l'usage des Quatre membres, il fait cou-ler et circuler le sang et les souffles, il galope sur la frontière du oui et du non, il va et vient par lesportes et les ouvertures des Cent affaires.” (Huainan zi, ch.1)

Les Cinq esprits sont donc l’ordre naturel derrière le fonctionnement de chacun des Cinq zang. Onles répartit comme suit :

“Le Cœur thésaurise les Esprits (shen 神 )Le Poumon thésaurise les Po ( 魄 )Le Foie thésaurise les Hun ( 魂 )La Rate thésaurise le Propos (yi 意 )Les Reins thésaurisent le Vouloir (zhi 志 ) “ (Suwen 23)

La présentation la plus complète, dans les textes médicaux, se trouve en Lingshu 8 :

“Le Ciel en moi est vertu; la Terre en moi est souffles. La Vertu s'écoule, les souffles se répandent etc'est la vie.

Que des vivants surviennent dénote les essences et que les deux essences s'étreignent dénote lesesprits.

Ce qui suit fidèlement les esprits dans leurs allées et venues dénote les Hun et ce qui s'associe auxessences dans leurs sorties et rentrées dénote les Po.

Pour ce qui prend en charge les êtres on parlera du cœur. Que le cœur s'applique on parlera de proposet que le propos soit permanent on parlera de vouloir.” (Lingshu 8)

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Les esprits du Cœur

Esprits et Cœur ont une relation spécifique. Le Cœur, souverain et maître de la vie, est le “lieu” parexcellence de la présence des esprits, puisque mon Cœur est moi et que les esprits me permettentd’être moi.

“Le Cœur est l’enracinement de la vie (sheng zhi ben 生之本 ); changements et transformations desesprits (shen 神 ).” (Suwen 9)

Le Cœur est l’unité, le centre, l’harmonie du centre. Il n’a pas de forme en tant que centre; il est lalumière des esprits qui éclaire la conscience et la conduite, qui donne la joie de vivre, la joie du Ciel.Il se répand partout, est présent partout. Le liquide rouge, bien visible et tangible, du sang abritel’invisible présence des esprits, ls propagent partout, assurant la cohésion de l’être, perceptions etsensations, la sensibilité et la connaissance.

“Le Cœur (xin 心 ) a la charge du Seigneur et du maître (jun zhu 君主 ); le resplendissement desesprits (shen ming 神明 ) en procède. [...] Quand le maître répand sa lumière (zhu ming 主明 ), lesinférieurs sont paisibles; un tel entretien de la vie (yang sheng 養生 ) procure la longévité (shou 壽 ),de génération en génération, et l'Empire sous le Ciel resplendit d'un grand éclat. Mais si le maître nerépand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque fermeture et blocage desvoies, l'arrêt des communications; et le corps (xing 形 ) en est gravement atteint. Une telle façond'entretenir la vie est catastrophique.” (Suwen 8)

“Le Cœur est le grand maître (da zhu 大主 ) des Cinq zang et des Six fu; c'est là que demeurent lesessences/esprits (esprit vital, jing shen 精神 ). Quand ce zang est solide et ferme, les pervers (xie 邪) ne peuvent s'y mettre. Mais s'ils y sont, le Cœur est atteint; si le Cœur est atteint, les esprits s'envont et quand les esprits s'en sont allés, c'est la mort.” (Lingshu 71)

Quand tout fonctionne pafaitement, que tout se fait à la lumière des esprits, la conscience est éclai-rée, l’intelligence profonde, le jugement sain, le calme parfait, les perceptions exactes; le corps estrobuste, l’apparence splendide, la santé excellente ... C’est le resplendissement qui vient des esprits :shen ming 神明 .

Hun et Po, double expression du céleste et du terrestre

Il n’est pas possible de parler de ce qui fonde la conscience humaine, l’esprit humain, le mental ...sans parler, comme constituants, de ces deux sortes d’âmes, d’anima, d’animation.

Hun ( 魂 ) et Po ( 魄 ) sont liés à la Terre; ils portent les divinités de la Terre, gui 鬼 , dans leur carac-tère. Les gui 鬼 sont attachés à la Terre comme les forces animatrices qui en dépendent; ils sont par-fois dangereux ou même malveillants; ils peuvent aussi être dangereux parce qu’ils manquent de lalumière qui éclaire la conscience et la connaissance, puisqu’elles viennent du Ciel.

Hun et Po vivent en couple : leur union, c'est la vie; leur séparation, notre mort. Ils sont les deuxfacettes de la vie sur Terre; ils sont la dualité propre à toute expression de la vie. Dans un êtrehumain, une partie appartient, depuis le premier commencement, au Ciel, et une partie est définitive-ment liée à la Terre. Leur étreinte est la vie sur Terre :

“Les souffles célestes forment l’âme spirituelle (Hun), les souffles terrestres, l’âme corporelle (Po).Qu’ils fassent retour à leur demeure primordiale et chacune gardera son logis. Qui sait les retenir

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sans qu’elles s’échappent, s’identifiera au Grand Un dont l’essences fait corps avec le dao céleste.”(Huainanzi, IX, 23a, trad. Jean Levi, Pléiade, p.368)

“L'être humain est la vertu (combinée) du Ciel/Terre, L'entrelacement du Yin/Yang ( 陰陽 ), l'assem-blage des esprits de la Terre et du Ciel (gui shen 鬼神 ), le meilleur des souffles des Cinq éléments(wu xing 五行 ).” (Liji, Livre des Rites, ch. Liyun)

La part terrestre fixe l’humain dans un corps, une forme; ce sont les Po. La part céleste, qui s’élèvevers ce qui est subtil et clair, ce sont les Hun; mais les Hun doivent être inspirés par le Ciel, lesesprits, l’ordre naturel, pour ne pas devenir mauvais, nuisibles, car la clarté se sera retirée d’eux.Pour la même raison, les Hun doivent toujours dominer les Po.

Les Hun et les Po , au cours de la vie, se chargent de vitalité. La qualité de ce qui est absorbé par lesuns et par les autres crée une animation concrète dont la puissance n'est pas éteinte par la dissociationque la mort opère.

À la séparation, à la mort, chaque partenaire reprend son mouvement naturel : les Hun gagnent leshauteurs des cieux et les Po sortent par les orifices (en particulier inférieurs) et retombent vers le solet dans la terre. Les Hun resplendiront dans les hauteurs et les Po chercheront à s'assouvir dans lesprofondeurs. Puis Hun et Po auront disparu, refondus dans la puissance universelle où se modèlentles êtres.

Ainsi Hun et Po, qui, entre conception et mort, se conjoignent pour composer une existence, ont unesurvie.

Les Hun

Les Hun, mouvement yang, auront tendance à s'élever dans les hauteurs. Ils voyagent librement, per-mettent l’imagination et les rêves ou encore la randonnée extatique, le voyage hors du corps. Ils sontsans forme et ne sont donc pas prisonniers de la forme corporelle. Ils sont associés aux souffles, eux-mêmes sans forme, liés au Yang et au Ciel.

A la mort, on tente rituellement de rappeler les Hun du défunt. Après la mort, ils deviennent, au Ciel,les mânes glorieux, les ling hun 靈魂 , vénérés dans le culte des ancêtres.

Durant la vie, ils s'élèvent en intelligence, connnaissance, sensibilité, spiritualité, imagination, rêveset songerie, contemplation... Mais, pour ce faire, il leur faut un enracinement dans le Yin, qui lestienne fermement, empêchant l'accomplissement prématuré de leur élan vers le Ciel. Ils ont doncbesoin des Po pour rester présents en un être. Leur jonction les équilibre et les fait habiter l'être qu'ilscomposent, stabilisés par les souffles et le sang; ils se retiennent les Hun aux Po et les Po aux Hun,en se compénétrant.

A partir des Han, on parle de Trois Hun. Trois évoque les souffles, dont c’est le nombre par excel-lence. Certaines pratiques taoïstes utiliseront ces trois Hun pour représenter trois niveaux de la vieintérieure : spirituelle, mentale, émotionnelle.

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Les Po

Les Po, dont le mouvement est yin, auront tendance à s'enfoncer dans les profondeurs. Ils sont liés àce qui a une forme, au corps, au sang.

A la mort, ils retournent à la Terre, dont ils vont, du reste, en se décomposant et en disparaissant len-tement, renouveler la puissance :

"Les chairs et les ossements sont enfouis et deviennent comme la terre de champs." (Liji, Livre desRites, trad. Couvreur, II p.289)

Si ce retour ne peut pas s’accomplir, parce que les rites n’ont pas été respectés, parce que la mort aété violente et injuste ..., les Po deviennent des revenants qui hantent les vivants, en quête d’assou-vissement.

Durant la vie, les Po sont responsables de nos mouvents vitaux, des sensations, des réactions, despoussées instinctives. Le sensitif, le "végétatif", le corporel sont de leur obédience. L'enracinementsolide au Yang, qui les soutient, les complète, les harmonise, leur est nécessaire. Il empêche leurretour fatal à la Terre, en terre.

A partir des Han, le nombre traditionnel des Po est Sept, nombre des orifices supérieurs (sensoriels),des émotions, évocateur des désordre potentiels qui agitent la force vitale quand elle n’est pluscontrôlée, par ex. par le Yin/Yang et les Cinq éléments (dont le total est aussi Sept).

Hun et Po en médecine

En médecine, Hun et Po sont liés au Foie et au Poumon et habitent ces organes. Cette association secomprend à un premier niveau comme les grands mouvements opposés de montée et de descente,comme le soleil qui se lève à l’est (à gauche, correspondant au Foie) et se couche à l’ouest (à droite,correspondant au Poumon); ils sont donc l’expression du Yin/Yang en tant que dualité : haut et bas,subtil et compact, Ciel et Terre ...

Les associations aux organes revêtent d’autres aspects plus spécifiques à la médecine :

Le Foie, gorgé de sang, est le logis des Hun car le Yin fixe leur tendance volatile et le sang renforcele contact avec les esprits. Mental, imaginaire, rêves, pensée, émotions ... se trouveront donc associéfacilement aux Hun, au Foie, sous l’inspiration du Cœur habité des esprits.

C'est ainsi que le Foie les thésaurise. Le Foie est un zang mâle, exprimant la véhémence des effets duYang, mais qui s'origine dans les Reins (essences et moelles, "eau" des Reins); le Foie a une natureprofonde yin; il est le grand thésaurisateur, gardien du sang. Ce sang, qui porte déjà la marque ducœur et de ses esprits, fera, pour les Hun, un logis idéal, leur permettant un lieu de fixation, commeon propose un nid ou un perchoir aux oiseaux du Ciel. Réciproquement, les Hun participent à la qua-lité spirituelle du sang.

Les Hun sont, par analogie naturelle, liés à ce qui n’est pas substantiel dans le sang. Mais la subs-tance du sang les retient, agissant comme un Yin qui fixe le Yang.

Le Poumon, plein de souffles, offre une possibilité aux Po de ne pas tomber en terre; les souffles sontaussi les activités instinctives, les rythmes de la vie, la respiration ... qui ne se font pas parce qu’onen a conscience mais qui occupe tout le corps.

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C'est ainsi que le Poumon les thésaurise. Le Poumon est un zang femelle; il recueille, à la manière del'automne; mais il est également le maître des souffles, de leur distribution avec ses régulationscycliques, des rythmes instinctifs de la vie. Les souffles sont l'appui des Po, leur permettant des'exprimer en animant l'être.

Les Po ne sont pas liés aux souffles en tant que Yang céleste, puisqu’ils sont liés par affinité natu-relle à la substance, à la forme, donc au liquide sanguin. Mais les souffles sont le Yang qui les équi-libre.

Le couple indissociable des Hun et des Po établissent la possiblité d’une vie individuelle, personnali-sée, par leur tension/opposition ainsi que par leur complémentarité (Yin/Yang).

Hun et Po ne sont pas exactement mon mental, ma conscience, mon esprit, puisqu’ils “précèdent”

mon cœur et qu’ils font partie1 de ce qui permet la constitution du Cœur, du soi, de la personne avecsa conscience et la conscience de soi. Ils expriment les esprits, shen, agents du Ciel et de l’ordrenaturel, dans la dualité qui me permet d’avoir un corps terrestre et un esprit céleste mais de les avoirl’un dans l’autre, l’un par l’autre, l’un pour l’autre (comme tout couple Yin/Yang); leur séparation estmortelle; les disharmonie est dommageable. Pas de Hun sans Po, pas de Po sans Hun, pas de corpssans l’esprit qui le compénètre, pas d’esprit humain sans un corps à habiter. Sinon, c’est la mort, cen’est pas la vie présente dans son expression toujours double, ou plutôt duelle, sur Terre et vers leCiel.

Vouloir et propos (zhi yi 志意 )

Vouloir et propos sont dépendant du Cœur, du soi, de la durée de ma vie, de ma personne (faite del’étreinte des Hun et des Po). Ils expriment le Cœur, déjà constitué, avec une conscience, des percep-tions et une capacité à réagir, des tendances, désirs, pensées, idées, intention, propension ... et lafaculté de les diriger et de les soumettre ou de s’y soumettre. L’image du cœur ( 心 ) entre dans lacomposition des caractères qui les désignent.

Vouloir et propos sont un couple employés aussi couramment en dehors du contexte médical, commezhi yi 志意 ou comme yi zhi 意志. Mais le couple n’est pas aussi nettement Yin/Yang, Ciel/Terre quepour Hun et Po.

zhi yi 志意 : Pensée, esprit. Volonté, propos, dessein, détermination. On insiste davantage sur l’idéeque l’on garde à l’esprit, sur le dessein que l’on construit et la détermination qui commence.

yi zhi 意志 : Volonté, intention. Volontaire; Résolu, déterminé. On insiste davantage sur la fermetédu propos, la détermination, la résolution, la force de volonté.

Vouloir et propos sont liés aux Reins et à la Rate; ils sont donc liés aux représentants, dans l’être, duCiel antérieur et du Ciel postérieur Le Ciel antérieur est la racine, l’origine, l’enracinement dansl’origine, le naturel; le Ciel postérieur est l’expression sans cesse actualisée de cette origine.

Le propos

“Que le Cœur s’applique, on parlera de propos” (Lingshu 8)

1.Cf Lingshu 8, Les Mouvements du Cœur.

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Quand le Cœur “s’applique”, une pensée lui vient, une image surgit, un souvenir, une impression,une sensation est là; et le Cœur applique dessus sa capacité de conscience. Appliquant cette capacitéde conscience, le Cœur est responsable de la manière dont il considère ce qui lui vient : accepter ourefuser, regarder avec calme et objectivité ou selon les préjugés et désirs sous-jacents ...

Le propos n’est pas simplement la représentation consciente d’une idée, c’est ce qu’on a dans leCœur et qui forme le fond de notre être, sur quoi se fondent toutes nos réactions, nos humeurs, nostendances, attraits et aversions ... C’est notre disposition intérieure qui va sélectionner et interpréterce qui envahit le champ de la conscience.

La Rate présente au Cœur ce qu’elle puise dans la richesse alimentaire pour le nourrir d’un sangabondant et bien composé; par le même mouvement, elle présente au Cœur ce qu’elle tire du terreaude la mémoire, ce à quoi elle donne une ébauche de forme dans la pensée : les idées, des propositionssur lesquelles, si elles se maintiennent dans la conscience, la pensée va travailler. Le propos est cequi vient à l’esprit et qui va l’occuper. Qu’une pensée en chasse une autre n’est pas vraiment le videdu Cœur; c’est une instabilité qui n’est pas profitable. Mais qu’une idée se fixe dans la conscienceprésente le danger de fermer le Cœur à tout autre chose; c’est l’idée fixe qui tourne à l’obsession. Ceque l’on a dans le cœur c’est aussi souvent l’objet des désirs; le propos se pervertit alors en désirs quirongent ou qui brûlent et, dans l’un et l’autre cas, consument les essences, détruisent le sang, rendentle Cœur de plus en plus incapable de règner à la lumière des esprits. En fait, le propos est comme lesang : il doit circuler, sans stagnation, constamment, pour nourrir la vie sans partialité. Que le Cœursoit “vide”, n’implique pas que rien n’y passe ou ne s’y passe; mais tout y est fluide et rien n’estdésiré, préféré, en dehors de l’adhésion au mouvement naturel de la vie.

Le propos est au-delà de la conscience, puisque c’est la disposition qui va donner son orientation à laconscience et au jugement. Le propos est déjà une intention, une orientation.

Le vouloir

“Que le propos soit permanent, on parlera de vouloir” (Lingshu 8)

Des dispositions ou intentions, qui n’étaient pas encore ancrées, perdurent dans l’être, deviennentune détermination. A présent, les forces vives sont orientées par le Cœur, la conscience, vers un but.Ce but doit toujours être fondamentalement un “vouloir-vivre”, celui qui pousse vers la vie depuisl’origine et qui maintient en vie parce qu’il reste dans la bonne direction. Ainsi un arbre ne grandit etne resplendit que parce que la sève est pulsée, de toutes les forces de l’arbre, de la racine vers le haut.Le vouloir est cette tension orientée de tout ce qui fait ma vie. Il a de multiples expressions, quidevront toujours, quelques soient leur intensité ou leur objet, demeurer fidèles à cette orientation pre-mière. Sinon, elles se tournent contre la vie qui les supportent.

Le vouloir est lié à la continuité de l'être; maintenir une idée, tendre vers un objectif, fournit la ten-sion générale et cohérente du mouvement vital. La vie est sous tension, comme tout ce qui est orga-nique. mais il est préférable que cette tension s’exerce dans la bonne direction. Ainsi le “vouloir”d’un fleuve, depuis sa source, est de gagner la mer. L’eau du fleuve n’arrivera à la mer que si elle suitson cours naturel, c’est-à-dire qu’elle reste fidèle à sa nature propre. La nature propre de l’Eau est dedescendre, d’aller vers le bas. Comme la mer est plus basse que tous le fleuves, l’eau qui reste fidèleà sa nature arrivera toujours à la mer. Les détours et sinuosités qui auront parsemés son cours necomptent pas, ne sont que des résultats des circonstances de la vie; il importe seulement que l’eausoit fidèle à son origine qui détermine sa nature; elle accomplit alors parfaitement son destin en sefondant finalement dans la mer.

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Il en va de même de l’homme : fidèle à sa nature propre originelle, contenue et exprimée par lesReins, il mène sa vie en fonction des circonstances, mais en restant fidèle à sa nature propre; sonvouloir est ainsi parfaitement juste et parfaitement puissant. Un vouloir qui dévie de la nature origi-nelle devient nocif; quand le Cœur accepte de garder des idées, des propos qui ne conviennent pas àl’entretein de sa vie, le vouloir n’est plus droit. Le vouloir est fondamentalement un vouloir vivre;mais un propos qui est un désir, une idée inapproprié peut le désorienter et même le déraciner.

Les Reins sont l’origine et l’assise de vie, le fondement riche et solide permettant l’élan et le déploie-ment; leur puissance s’exprime dans les os, leur qualité dans les essences. Ils offrent un logis appro-prié au vouloir.

Le vouloir s’exprime aussi en Cinq; son unité de vouloir vivre, enraciné dans les essences et la conti-nuité des Reins, se détaille en cinq pulsions fondamentales, qui animent les cinq zang et forment laracine des émotions et sentiments, mais aussi la racine du mouvement fondamental de chaqueorgane.

La disposition et l’orientation intérieures

Vouloir et propos étant antérieur à toute pensée construite, ne se ramènent pas entièrement à lavolonté réfléchie, la conscience active et claire. Ils sont des “esprits”, des puissances qui sont der-rière l’avènement de la pensée humaine, de tous les sentiments qui animent le cœur de l’homme, detout ce qui se formule dans la vie intérieure. Ils ne sont ni ce que la pyschologie occidentale appelle

la cosncience, ni ce qu’elle appelle l’inconscient1.

Vouloir et propos sont l’orientation intérieure qui détermine la manière dont on perçoit, comprend,réagit à tout ce qui se présente. Propos et vouloir permettent le développement d’une pensée, qui sedéroulera en fonction de ce qui est déjà en moi comme impression, mémoire, tendances, sentiments,et même préjugés ou préconception.

Vouloir et propos représentent l’orientation de toute animation à partir d’un mental bien construit etinspiré. Ils sont le pivot de la distribution de tous les éléments de la vie psychique, physique, spiri-tuelle ... sous la responsabilité du Cœur :

“- La défaillance du corps et l’anémie complète où l’on n’a aucun résultat, à quoi cela tient-il ?- Les esprits n’opèrent plus (shen bu shi 神不使 ).- Que veut-on dire par « les esprits n’opèrent plus » ?- Les aiguilles de métal et de pierre représentent la Voie (dao 道 , le moyen d’opérer). Mais que lesessences et esprits (jing shen 精神 , l’esprit vital) ne puissent pas pénétrer, que vouloir et propos(zhi yi 志意 ) ne puissent diriger convenablement (zhi 治 ) et le mal ne peut pas être guéri. Quandles essences sont inexistantes et les esprits en allés, ni la reconstruction (nutritive, ying 營 ), ni ladéfense (wei 衛 ) ne peuvent revenir et être récupérées. Comment cela ? C’est que désirs et convoi-tises indéfiniment renouvelés, avec en plus une crainte pusillanime qui ne peut être arrêtée, essenceset souffles (jing qi 精氣 ) se relâchent jusqu’à la ruine, la reconstruction se fige et la défense est arra-chée. Alors les esprits nous quittent et la maladie n’est pas guérissable.” (Suwen 14)

1. Cf René Girard et la “méconnaissance”.

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L’orientation juste permet d’éviter le désordre dans la pensée et les sentiments, de faire bon usagedes perceptions et connaissances, de prendre pleinement et fructueusement les traitements donnéspar l’acupuncteur. On examine toujours ces dispositions intérieures du patient avant tout traitement :

“Pour tout traitement, il faut observer l’en-bas, se conformer aux pouls (mai 脈 ), examiner l’orienta-tion intérieure (zhi yi 志意 ) ainsi que les caractéristiques de la maladie.” (Suwen 11)

Dans certains cas où le patient n’est pas bien disposés, on conseille de s’abstenir de puncturer :

“Cela étant, celui qui voudra utiliser les aiguilles, qu’il examine donc attentivement comment se pré-sente le malade, pour percevoir le maintien ou la disparition des essences et des esprits (jing shen 精神 , l’esprit vital), des Hun et des Po, et sa disposition (yi 意 ), si elle est favorable ou défavorable. Sices cinq-là sont atteints, l’aiguille ne peut pas traiter.” (Lingshu 8)

Ce même acupuncteur, quand il traite, tourne son vouloir et son propos vers le patient :

“Quand vous puncturez, [...] le vouloir (zhi 志 ) paisible, considérez votre patient, sans tourner vosregards à gauche ou à droite. ” (Suwen 54)

Par la pratique quotidienne, le thérapeute se rectifie chaque jour afin de présenter au patient la recti-tude de ses propres souffles, sa rectitude intérieure. Un vouloir paisible n’est pas une volonté molle;c’est ne rien vouloir d’autre que d’être le plus correct possible, d’être dans le mouvement juste de lavie en soi. Le thérapeute peut certes avoir en tête les réminiscences nécessaires de ses connaissances,les informations par lesquelles il les appelle et les relient, les idées qui lui viennent. Mais il faudraaussi que rien de cela ne vienne le troubler quand il agit, car sa propre concentration, non pas sur uneidée ou une volonté, mais sur la situation telle qu’elle se présente, avec la capacité à accueillir tout cequi vient, fait partie du traitement.

“Que l’on se tienne dans un lieu tranquille et retiré ; que l’on regarde les présages de l’en allée et dela venue des esprits. Ayant fermé hermétiquement portes et fenêtres, les Hun (hun 魂 ) et les Po (po魄 ) ne se dissipent pas ; la concentration des pensées (yi 意 ) unifie (yi 一 ) le pouvoir spirituel (shen神 ), de sorte que essences et souffles (jing qi 精氣 ) se répartissent comme il faut. Quand aucun bruitvenant des hommes ne touche les oreilles, le recueillement des essences propres s’effectue et lesesprits étant Un, le vouloir (zhi 志 ) passe dans l’aiguille avec son message impératif.” (Lingshu 9)

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ZHI article 1

LE VOULOIR UN ET MULTIPLE

Quand on parle du vouloir (

zhi � ) en médecine chinoise, on pense immédiatement à celui des Cinqesprits (

wu shen�� ) lié aux Reins, c’est-à-dire à la participation des souffles de l’Eau dans l’élabo-

ration et le fonctionnement de la conscience et du mental.

Cependant, on parle aussi des Cinq vouloirs (

wu zhi�� ), dont on se demande comment ils différentdes émotions, s’ils sont normaux ou pathologiques.

En regardant soigneusement comment la notion de

zhi

� , vouloir, se présente dans les textes classi- ques, on comprend mieux son usage dans les textes médicaux, ayant une meilleure connaissance dece qui est à sa base.

1. L’ORIENTATION DE LA VIE

Le caractère

zhi

� se compose du cœur � surmonté de ㄓ c’est-à-dire une jeune pousse � qui sortde terre (figurée par la ligne inférieure __ ). A partir d’une base solide, la plante va croître et grandir,tirant continuellement de ses racines de quoi développer tronc et branches.

Dans les texte classiques d’avant l’ère chrétienne, le caractère

zhi

� signifie l’intention qui se déve- loppe en soi, son sentiment, sa détermination, sa fin; c’est aspirer à un idéal, à un désir, tendre versun but, une ambition. C’est aussi perpétuer la mémoire de quelque chose, par exemple par des écrits,des “mémoires”, car l’inscription dans la durée est implicite dans la notion : on ne peut pas parlerd’un vouloir sans une certaine constance, sans persistance; il faut bien retenir dans son esprit uneidée, un désir, une pensée pour qu’advienne un vouloir qui pousse à sa manifstation et à son accom-plissement.

C’est du reste la définition que le Lingshu ch.8

1

donne du vouloir :

“Que le propos (

yi � ) 2 soit permanent on parlera de vouloir.”

Prenons

zhi

� comme le vouloir, la détermination que l’on a dans le cœur, ce qui fait agir et agirdans une certaine direction, en vue d’un but.

Il s’agit de tendre vers un objectif, de se fixer solidement dans une visée, de se disposer entièrementen vue d’un but à attendre, d’aspirer profondément et sincèrement, de tout son être, à quelque chose.

1. Voir Les mouvements du Cœur, DDB.

2. Les liens entre le ”propos” (

yi � - qui est aussi intention, pensée, dessein et désir) et le vouloir ( zhi � ) sontétroits. A tel point que leurs emplois et leurs sens se mêlent souvent. Ils forment ensemble les expres-sions

zhi yi

(�� ) et yi zhi (�� ) qui désignent la disposition intérieure. Nous excluons artificelle- ment cette relation du cadre limité de cet article. Mais l’étude de

zhi

� ne peut pas être complète sans

celle de

yi

� .

Page 19: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

ZHI article 2

Le lien à l’origine

Vers quoi tendre d’abord et avant tout, si ce n’est, comme la jeune pousse, vers le développement desa vie. Le vouloir-vivre est naturel, premier et définitif. Il est aussi spécifique.

L’impulsion première, qui permet le début d’une vie et en donne les caractéristiques, vient du Ciel.Elle prend forme sur Terre, dans les contraintes et déterminations imposées par les formes terrestres,par exemple celles des essences mêlées des parents d’un nouvel être, qui reçoivent le don céleste etl’exprime spécifiquement en fonction des lignées et des personnes. C’est la nature propre, la naturepremière qui définit une vie particulière et la qualifie pour un devenir en fonction des capacités dépo-sées en elle à l’origine.

Si ce à quoi on aspire fait partie du déroulement naturel, le vouloir met sa puissance au service dudéveloppement en continue de la vie. Si ce à quoi on aspire est contraire à l’ordre naturel tel qu’ils’exprime en un être, le vouloir tourne sa puissance contre la vie, épuise la vitalité par les passions, lapervertie par les désirs inappropriés.

Ce qui revient à dire que si ce à quoi on aspire est conforme à sa nature originelle, le vouloir nous faittendre vers la réalisation de notre destinée propre et nous fait participer à l’harmonie cosmique. Maiss’il n’est qu’ambitions personnelles, il nous dévoie en de multiples désirs qui ne cessent d’accroîtreleurs exigences.

La relation à l’origine est fondamentale dans le vouloir. Comme la tension qui habite un arbre vientde ses racines et pousse la sève en haut et jusqu’à l’extrémité de la dernière branche pour permettresa croissance normale, le vouloir, en un être, est la source de ses pensées, de ses sentiments et de sesconduites; il détermine son devenir, mais doit le faire en restant fidèle à sa racine, la source de vie, lanature première de cet être.

Le vouloir des Reins

L’association du vouloir avec l’Eau et les Reins, en médecine

1

, rend bien compte de ce lien à l’ori-gine ainsi qu’à la continuité dans le déroulement de la vie en fonction de cette origine.

Les Reins sont le rapport constant à l’origine, le Ciel antérieur; ils sont aussi le fondement de toutesles manifestations yin et yang dans les différents organes, ces dernières dépendant des Reins pourleur force et leur durée.

Les Reins sont la mémoire de l’origine, permettant ainsi la perpétuation de la vie et le maintien del’identité, ainsi que le passage à la postérité et au Ciel postérieur.

De même, l’identité d’une rivière lui vient de la source et lui donne l’orientation de son trajet vers lamer, même si elle reçoit en abondance d’ailleurs (pluie, afflluents) l’eau qu’elle fait sienne.

D’où l’importance de l’idéal que l’on se choisit, de l’idée qu’on laisse pénétrer son esprit, du propos(

yi � ) qui sert de base au fonctionnement mental et aux états affectifs, puisque le propos qui restedans le Cœur devient le vouloir, comme nous l’avons déjà rappelé (cf Lingshu, ch.8).

1. Dans les textes médicaux, en vertu de cette association, le vouloir (

zhi � ) peut parfois être employé pourindiquer le fonctionnement des Reins. Ainsi par ex., en Suwen ch.62, l’excès ou l’insuffisance du vou-loir est à comprendre comme l’excès ou l’insuffisance du fonctionnement de l’organe Reins.

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ZHI article 3

Cependant, chez l’homme, le vouloir n’est pas simplement le vouloir-vivre de l’instinct animal ou dela croissance végétale; il doit se combiner avec l’humain, et l’humain doit dominer et ordonner. Cequi est fondamental et spécifique en l’homme, c’est le discernement qui fait voir comment vivre enhomme et non pas simplement comment survivre; comment accomplir sa destinée d’homme en pre-nant conscience des qualités déposés originellement en soi par le Ciel. Le Ciel qualifie ainsi chaqueêtre en vue d’un certain développement de vie, fixant ce à quoi chacun est destiné (

ming� ).

Le vouloir du Ciel

Connaître le vouloir du Ciel, c’est connaître sa destinée, prendre conscience de ce à quoi le Ciel nousdestine. Cela est fondamental, en particulier pour les confucianistes.

Comment Confucius pensait-il arriver à connaître ce qu’est le vouloir du Ciel ? En orientant correc-tement son propre vouloir, en tournant son esprit dans la bonne direction :

Concentre ta volonté (

zhi � ) sur la Voie, prends appui sur la Vertu, modèle tes actions sur le ren

( ) 1 , et prends ton plaisir dans les arts. (Lunyu, VII, 6. Trad. A. Cheng)

Le Maître dit : à 15 ans, je résolus (

zhi � ) d’apprendre. À 30 ans, je m’affermis dans la Voie. À 40

ans, je n’éprouvais plus aucun doute. À 50 ans, je connaissais les décrets du Ciel (

tian ming � ) 2 .

À 60 ans, j’avais un discernement parfait. À 70 ans, j’agissais en toute liberté

3

, sans pour autanttransgresser aucune règle. (Lunyu, II, 4. Trad. Anne Cheng p.33)

Ainsi pour connaître ce à quoi le Ciel nous destine, ce qui n’est rien d’autre que la volonté du Cielen ce qui me concerne, il faut commencer par un acte de volonté personnel, la détermination d’aller

vers le Ciel, ici, pour Confucius, par l’étude

4

.

Pourquoi certains posent-ils cet acte de volonté et d’autres pas ? Certains pensent qu’il s’agit d’unedifférence de qualité dans les natures propres; certains êtres sont faits de souffles plus riches que

d’autres

5

, leurs souffles sont plus forts et peuvent donc mieux maintenir leur résolution.D’autres penchent plutôt pour une question de circonstances. Tous les hommes ont la capacité, innée,

de fixer ainsi leur volonté, mais tous n’en ont pas la possibilité

6

dans la pratique et dans les faits.

Si le Ciel a une “volonté” comment l’a-t-il ? Quelle idée se fait-on de lui ? Est-ce simplement unefaçon de parler de l’ordre naturel ou bien est-ce une façon d’évoquer une sorte de divinité omnipo-tente et omnisciente ?

1.

Ren

: aussi traduit par Bienveillance, Humanité ou Sens de l’humain. C’est la grande vertu confucéenne.

2. C’est-à-dire ce à quoi le Ciel me destine, ma destinée.

3. C’est-à-dire selon les désirs de mon Cœur.

4.Il en ira de même pour les Taoïstes plus tard : l’abolition de la volonté propre se fait au cours d’un processusdans lequel on s’engage et se maintient par une ferme détermination, un acte personnel de volonté.

5. Cf par ex. Lunheng ch.4.

6. Cf par ex. Xunzi ch.23.

Page 21: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

ZHI article 4

Mozi

1 parle du Ciel2 plutôt comme d’une puissance capable d’avoir ses sentiments et dispositionspropres, ses idées, pensées et sa volonté; capable aussi de récompenser ceux qui se conforme à sondessein et de punir ceux qui y contreviennent.

Dong Zhongshu3 le ramène davantage vers l’ordre naturel. Les sentiments du Ciel sont le yin yang,et la volonté du Ciel se manifeste dans les phénomènes naturels : présages de prospérité et paixquand tout est bien réglé ou bien de calamités et malheurs dans le cas contraire.Si le souverain comprend et applique la volonté du Ciel, le peuple le suit et tout est en ordre dans lanature comme dans la société. Le souverain comprend et applique la volonté du Ciel, car il a le cœurd’un sage, car il a cultivé en lui les vertus qui permettent d’être un avec le Ciel, d’être en accord avecl’ordre naturel. Il est remonté à l’origine des choses, pour en connaître la nature; c’est dans le Cielqu’il comprend et connaît l’origine des choses et des êtres, des phénomènes et des manifestations.

Même un sceptique comme Wang Chong4, qui réfute tout “sentiment” du Ciel, reconnaît une“volonté du Ciel” (� ) que le sage perçoit en son Cœur :“Le Cœur du Ciel très haut réside dans la poitrine du Sage.” (Lunheng, ch. 42)

Pour avoir le Cœur d’un sage, ou pour percevoir la volonté du Ciel en son Cœur, il faut que ce der-nier soit libre de toute attache et de tout préjugé.

La relation avec l’accomplissement de ce à quoi le Ciel (ou l’ordre naturel) nous destine est ainsifondamentale, puisqu’on réalise sa destinée (

ming� ) en orientant notre Cœur avec fermeté et cons- tance dans la Voie du Ciel.

Le vouloir du cœur

Le Cœur humain reçoit le Ciel. Il a, par nature, la faculté de connaître et de discerner; il est ce quipermet de prendre conscience du vouloir du Ciel, de l’accepter et de le suivre; ou bien de manquer deforce pour le faire; ou encore de se laisser séduire par des appétits et des plaisirs, en apparence plusintenses et plus réels.

“Comment un homme peut-il connaître la Voie ? Par le Cœur. Comment le Cœur peut-il connaître ?Par le vide, la pure attention qui unifie l'être et la quiétude. [……]L'homme vit et possède la connaissance; il connaît et, par là, possède le vouloir. Le vouloir, c'est lathésaurisation (garder précieusement et activement à l'intime). Mais cependant, on dit que le Cœurest vide; car le vide ne porte pas sur les impressions déjà thésaurisées, mais sur ce qui est à recevoir.Le Cœur est vivant (est vie) et il possède la connaissance; il connaît et, par là, fait des distinctions.”(Xunzi, ch.21)

Le Cœur est le maître de tout le mental, intelligence, mémoire et volonté. Il fait ses choix et peutplier le corps et les sens à ses choix; nul ni rien ne peut le faire changer, s’il est assez fort. Ses choixsont fait à la lumière de l’intelligence, et l’intelligence doit s’offrir à la lumière des esprits (

shenming�� ) pour être intelligence spirituelle, intelligence du Cœur.

1. Mozi ou Mo Di (c.468 - c.376 AC), penseur qui prôna une société fondée sur l’entraide et le dévouement aubien commun.

2. Cf ch. 26, Tian zhi.

3. Dong Zhongshu (179-104 AC), auteur du Chunqiu Fanlu, où il intègre la morale confucéenne dans la cos-mologie fondée sur le yin yang et les Cinq éléments.

4. Wang Chong (27-97), auteur du Lunheng où il critique toutes les croyances non fondées.

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ZHI article 5

Le Cœur est ainsi le maître de la vie, le souverain du corps, de la vie mentale, affective, sensorielle.Tout obéit à ses choix, reçoit ses ordres; mais lui n’en reçoit pas d’autres que de sa propre vision. Savision dépend de la lumière qu’il a en lui-même, de la présence des esprits.

Nul n’est sans vouloir; chacun a ses convinctions, ses désirs, ses orientations, dont il ne démord pas.C’est ce qui détermine ses pensées et ses actes, ce qui forge sa conscience; c’est ce qui guide doncses souffles et toutes leurs activités. Tout ce qui affecte le vouloir, affecte aussi les souffles et toute lavitalité dont ils sont le support.

Que le Cœur soit affecté, son contenu et son expression s’altèrent : “Les sons (

sheng � ), les couleurs ( se ), les cinq saveurs ( wu wei �� ), les pays lointains, le pré- cieux et l’étrange, l’extraordinaire et le différent, les objets extravagants suffisent à changer le cœur(

bian xin �� ), à modifier la volonté ( yi zhi �� ), à agiter et à ébranler les esprits essentiels ( jingshen �� ), à faire réagir aux incitations le sang et les souffles ( xue qi �� ) d’innombrables fois.”(Huainan zi, ch.8 - Remi Mathieu - Pléiade)

Le vide du Cœur

Le Cœur doit surveiller ce qui vient le remplir; il ne doit jamais se laisser prendre ou obstruer par unepensée, une idée, un désir, un sentiment, une volonté … On doit vider continuellement son Cœur dece qui s’attache à lui; à quoi, en retour, il s’attache; et qui finalement s’impose à lui comme ce quil’occupe et le façonne et devient bientôt ce vers quoi il tend et aspire, ce que l’on veut, l’objet duvouloir.

C’est pourquoi seul un Cœur vide, impassible, peut garder l’être dans la direction de son développe-ment naturel.

Ainsi ce qui veut, ce qui décide du vouloir, c’est le Cœur. On pourrait dire que le vouloir est l’expres-sion, dans le Cœur, c’est-à-dire en moi-même, du mouvement des Reins : l’enracinement dans l’ori-gine, qui permet d’aller droit dans la vie, d’être authentique (

zhen� ).

Quand on parle ainsi du Cœur, on ne parle pas de son aspect comme l’un des Cinq zang, en chargedes souffles du Feu, responsable du sang et de son écoulement dans l’organisme. On parle du Cœurimpalpable, de ma conscience, mon esprit, mon mental, mon intelligence, ma réflexion, mes pensées,mes dispositions, mes émotions… Tout ce qui se passe dans ce Cœur, passe dans l’organisme par lacirculation du sang. L’écoulement du sang informe tous les lieux du corps, qui se trouvent éclairéspar la lumière spirituelle du Cœur, dans la mesure où ce dernier est capable de l’accueillir et de lapropager.

“Quand le maître (le Cœur) répand sa lumière (

ming � ), les inférieurs sont paisibles; un tel entretiende la vie (

yang sheng

�� ) procure la longévité, de génération en génération, et l'Empire sous le

Ciel resplendit d'un grand éclat.Mais si le maître ne répand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque ferme-ture et blocage des voies, l'arrêt des communications; et le corps en est gravement atteint. Une tellefaçon d'entretenir la vie est catastrophique.” (Suwen, ch.8)

Le Cœur qui est le grand maître des Cinq zang et des Six fu est plus que l’un des Cinq zang; il estleur combinaison, leur assemblage, leur compénétration, leur unité. Ce qui est en moi conscience etesprit est l’amalgame toujours renouvelé des Cinq éléments sous la forme des Cinq organes zang.

Page 23: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

ZHI article 6

Ainsi, le vouloir qui est lié aux Reins quand on est dans les Cinq esprits (

wu shen �� ), est en fait levouloir du Cœur, qui est le brassage et la fusion des Cinq esprits pour former mon être, ma cons-cience et ce qui dirige les modulations de ma vie intérieure. C’est pourquoi il est pratiquementimpossible de parler du vouloir sans parler du propos (

yi� ), car c’est leur association qui suscite laqualité et la force de l’orientation prise pas un être. On pourrait dire que le vouloir (

zhi

) est la force

avec laquelle on se maintient dans la direction que le propos (

yi

) a initié.

Il est aussi pratiquement impossible de parler du vouloir sans parler de l’ouverture du Cœur auxesprits, puisque c’est leur lumière qui permet le discernement sur ce qui est à garder dans l’esprit,afin que l’esprit se fixe dessus et le veuille. On associe esprits et vouloir pour former l’expression

shen zhi �� , qui désigne l’esprit, la conscience, la faculté de connaître et de réfléchir sur ce qu’onconnaît.

On pourrait se demander si la Vésicule Biliaire joue un rôle vis à vis du vouloir, elle qui est responsa-ble de la rectitude et de la décision, elle qui est remplie d’essences et donc en rapport avec les Reins,le yin authentique, mais aussi remplie de souffles yang, et donc en rapport avec le yang authentique,le feu de la Porte de la destinée personnelle (Mingmen).

Un lien existe, par la nature même de ses souffles, entre la Vésicule Biliaire et le vouloir. Par leurvaillance et leur droiture, par leur relation aux Reins et à Mingmen, ces souffles aident le vouloirdans le Cœur. Mais ce n’est pas le mouvement du Bois qui est au fondement du vouloir. C’est celuide l’Eau, qui a plus de sagesse et moins d’impétuosité, qui est l’enracinement dans l’origine et labase permanente de toutes ses activités vitales. C’est aussi la lumière du Cœur qui permet la droiturede la Vésicule Biliaire.

2. LE VOULOIR ET LES SOUFFLES

Les souffles, soutien du vouloir

Le vouloir est une force qui s’apuie sur les souffles. Sans les souffles, le mental ne fonctionne pas,l’esprit ne s’exprime pas, le vouloir est impuissant.

“Les saveurs (c.à.d. la nourriture,

wei � ) activent les souffles ( qi � ); les souffles affermissent levouloir (

zhi� ); le vouloir fixe la parole; la parole donne des ordres”. (Chunqiu zuozhuan, 7è année

du duc Zhao)

La même chose se retrouve en médecine, puisque les souffles et leur bon renouvellement, permettentle bon fonctionnement de toutes les instances psychiques, mentales et spirituelles, aussi bien qu’ilspermettent la force physique et l’entretien des substances du corps.

Ainsi, en Lingshu ch.32, les esprits (

shen � ) sont également placés en dépendance de l’alimentationpour le maintien de leur présence et de leur force d’expression grâce au bon état des Cinq zang :“Ainsi donc, les Esprits (

shen � ) ce sont les essences-souffles ( jing qi �� ) provenant des alimentssolides et liquides.”

Page 24: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

ZHI article 7

Le vouloir, perturbateur des souffles

De plus, vouloir et souffles doivent s’accorder, en ce sens que le vouloir du Cœur et la force vitalen’agissent pas l’un contre l’autre, c’est-à-dire que les désirs et intentions qui émanent du Cœur nesèment pas le trouble dans la régulation des souffles, amenant ainsi leur dissipation.

Le Lüshi Chunqiu décrit ainsi le mauvais professeur :“Son intention (

zhi � ) et ses souffles ( qi � ) ne sont pas en harmonie ( he � ); il prend (une idée)puis la délaisse, changeant sans cesse, sans aucune contance en son Cœur.”(Lüshi Chunqiu, livre 4)

Alors que chez un être humain bien équilibré :“Les mouvements musculaires et les os doivent être bien fermes; le Cœur (

xin � ) et le vouloir ( zhi� ) doivent être en harmonie ( he � ), les essences ( jing � ) et les souffles ( qi � ) doivent biencirculer.” (Lüshi Chunqiu, livre 20)

Car l’homme assez parfait pour mettre son Cœur en union avec le Ciel a un vouloir droit et des souf-fles en abondance :“Quand il est ainsi en lui-même pur et lumineux (éclairé,

ming � ), ses souffles et ses intentions ( qizhi � � ) sont semblables à ceux des esprits ( shen � ).” Alors sa volonté et ses souffles (ou savolonté soutenue et exprimée par ses souffles,

zhi qi �� ) emplissent le Ciel Terre.” (Liji, ch.

Kongzi xianju)

Le vouloir, guide des souffles

“Le vouloir est le maître des souffles (son guide,

shi � ) alors que les soufles donnent au corps sapleine puissance (

chong � ). Ainsi le vouloir est supérieur alors que les souffles ne viennent qu’en

second. C’est pourquoi je dis : tenez fermement votre vouloir et ne laissez pas les souffles se déchaî-ner.” (Mencius, ch.2)

L’attention est attirée par quelque chose, dans le corps où à l’extérieur : une douleur, une chaleur oubien un bel objet, une chose répugnante ... Cette attention, si elle est soutenue, se transforme en unesorte de finalité, un but. Le vouloir qui naît ainsi dans le cœur guide les souffles et les fait affluer làoù l’attention est fixée. Les mouvements du corps, les gestes, les attitudes, les réactions… sont ainsiguidés par le vouloir. Je tends la main vers l’objet du désir; je mets mes forces en œuvre pour obtenirce à quoi j’aspire.

La maîtrise de soi n’est pas une contrainte (même si une certaine contrainte peut être nécessaire àcertains moments), mais la possession de soi, c’est-à-dire conscience de la réalité de la vie en soi etde sa régulation naturelle. On retient les souffles déchainés de la colère, on maîtrise les souffles affo-lés de la peur, on entretient des aspirations et désirs justes et convenables, on a le geste juste et sûr,…par l’acquisition progressive de la sérénité, par le rapprochement de l’état spirituel, ou, en d’autrestermes, en gardant les esprits en son Cœur.

Le Huainanzi, vers la fin chapitre 1

1

, traite du rapport des esprits au vouloir. Parce que les soufflessont abondants, tout peut fonctionner. Parce que les esprits sont présents dans le Cœur tout peut fonc-tionner correctement et partout. Parce que les esprits permettent le vide du Cœur, l’attention n’estretenue par rien et peut donc être présente partout, diffuse mais réelle. Les esprits dirigent alors le

1. Cf Les Grands traités du Huainanzi, Le Cerf, Patrimoine.

Page 25: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

ZHI article 8

vouloir sur l’objet ou l’endroit de l’attention présente, mais sans mobiliser l’attention exclusiveentsur cet objet, restant ainsi disponible à ce qui peut se présenter. Le vouloir guide alors les souffles, lesfaisant affluer vers un lieu particulier en cas de besoin, mais sans les faire déserter les autres activités.La conscience est alors présente comme latente partout où elle n’est pas activée; rien ne lui échappe.

“Eh bien alors ! Ce qui donne à un homme vue claire et ouïe fine, pour bien distinguer, un organismerésistant et capable, par cent jointures, de flexion et d'extension, ce qui rend capable de discerner àl'oeil le blanc et le noir, le beau et le laid, de séparer le semblable et le différent, de distinguer le vraidu faux, qu'est-ce donc ? sinon que les souffles rendus abondants, les Esprits sont capables de don-ner le branle (

shi � ).Comment savoir qu'il en va bien ainsi ? Le vouloir (

zhi

� ) en chacun ayant une place où se tenir; les

Esprits ont, eux, leurs attaches (

xi

� ). On marche, le pied vient à buter, on tombe, la tête donne con- tre un poteau, on perd connaissance; on nous fait des signes que nous ne pouvons pas percevoir; desappels que nous ne pouvons entendre. Ni les yeux ni les oreilles ne nous ont quitté. Mais alors qu'est-ce qui fait que nous ne puissions pas répondre ? C'est que les Esprits (

shen

� ) n'assurent plus leurgarde (

shou

� ).

Ainsi, présents dans ce qui est petit, ils sont absents de ce qui est grand; s'ils sont au centre, ils sontabsents de l'extérieur; s'ils sont en haut, ils sont absents du bas; s'ils sont sur la gauche, ils sontabsents de la droite. Mais s'il y a partout abondance, partout aussi ils seront présents. Qui estime leVide, de la fine pointe d'un poil fera sa résidence.L'homme pris par la démence, s'il ne peut éviter de tomber dans l'eau ou le feu, s'il choît dans le fosséou le canal, croyez-vous que ce soit par manque de corps (

xing� ), d'esprits ( shen� ), de souffles ( qi� ) ou de vouloir ( zhi� ) ? Non. C'est qu'il en fait un usage aberrant. Ils ont désertés leurs postes degarde (

shou � ), ils ont abandonné leurs demeures, celles de l'extérieur ( wai � ) et celles de l'interne

(

nei � ).” (Huainanzi, ch.1 - Trad. C. Larre & E. Rochat 1 )

Les textes médicaux se préoccupent plus particulièrement de l’effet sur le mouvement des souffles etde l’incidence sur le fonctionnement organique. Quand les vouloirs dégénèrent en désirs, émotions et

passions, la peturbation des souffles est celle propre à chaque émotion

2

. Ils considèrent égalementcomme l’attention portée à une douleur, par exemple, dirige les souffles vers l’endroit douloureux.

Le Lingshu, chapitre 27, décrit des douleurs dues au froid, qui condensent les liquides corporels quifont alors pression sur les chairs. Puis il ajoute :“Quand il y a douleur, les esprits s’y portent (

shen gui� ); les esprits s’y portant, il y a réchauffe- ment; et le réchauffement dissipe la douleur.”

Le même principe se retrouve dans les exercices corporels, où l’on guide le souffle dans le corpsautant par le mental que par des mouvements physiques; et encore plus dans les pratiques où le souf-fle est guidé intérieurement par le seul mental.

Si les esprits dirigent la vie, leur lumière éclaire l’intellligence et le choix des finalités, les buts,idéaux, désirs, vouloir. Si les souffles sont abondants, ils mettent leur force au service des espritss’exprimant dans le ou les vouloirs. Le corps abrite ce jeu déterminé d’esprits et de souffles ce quipermet l’élaboration d’une vie personnelle.

1. Les Grand taités du Huai nan zi, LeCerf.

2. Cf Les Mouvements du Cœur DDB et Les émotions en médecine chinoise Fascicule de l’E.E.A.

Page 26: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

ZHI article 9

Le vide (du Cœur) donne accès à la vraie plénitude. Si l’on ne veut rien pour soi, on peut accueillir laplénitude de la vie.

Il en va de même dans les arts martiaux. Le vouloir n’est ni un désir de battre l’adversaire, ni uneattention limitée aux détails pour comprendre le sens d’un mouvement, deviner la signification del’esquisse d’un mouvement. Le vouloir est la plénitude de souffles au service d’une intelligence spi-rituelle. Quand on ne veut rien, on est prêt à tout. Mais ne rien vouloir, être sans désir, est l’aboutis-sement d’un long cheminement, dans lequel on ne peut pas s’engager ni persévérer sans un fermevouloir, une solide détermination.

3. LES CINQ VOULOIRS

Quand on considère le vouloir comme l’expression des Reins dans l’esprit, il est l’orientation vitalegénérale, ce qui dirige tous les souffles.

Considérons les souffles des Cinq éléments, qui sont le fonctionnement des Cinq organes zang, etregardons leurs effets au niveau émotionnel. On a alors Cinq directions prises naurellement par cessouffles, Cinq vouloirs, qui sont normaux quand il s’harmonisent et pathologiques quand l’excès enfait des facteurs de déséquilibre.

Prenon un exemple plus en détail. Les souffles du Bois, représentés en l’homme par le Foie, ont unetendance naturelle à projeter vers le haut et l’extérieur, à donner une impulsion forte aux circulations,à dégager les chemins. Dans la normalité, ce mouvement trouve son équilibre en s’harmonisant avecles quatre autres. Dans la pathologie, il devient souvent excessif et déséquilibre l’organisme. Dans lavie intérieure, fonctionnement du mental et état émotionel, ce même mouvement de souffles estappelé

nu! , habituellement traduit par “colère”, mais qui signifie aussi : ardeur, impétuosité, grandeffort.

Nu ! est une colère pathologique, voire une fureur, en cas d’excès; mais c’est aussi l’élan

nécessaire à un bon fonctionnement mental et affectif. Sans lui, rien qui porte en avant, permet de seprojeter dans l’avenir, donne le courage de traverser les obstacles de la vie.

nu! est donc le vouloirpropre des souffles du Foie-Bois.

On peut, d’une façon générale, parler des Sept émotions, usant de la valeur symbolique du nombresept pour dire que les émotions sont puissantes, mais qu’elles sont un danger permanent, un désordrepotentiel.

On peut, sur d’anciens modèles, parler des Six émotions qui sont, en l’homme, analogues aux Sixsouffles du Ciel dans la nature. Ces Six émotions sont alors appelés les Six vouloirs (

liu qi

"� ) etl’homme est invité à les réguler en s’inspirant de la régulation naturelle du froid et de la chaleur, duvent et de la pluie, du jour et de la nuit, qui sont les Six souffles du Ciel.«En l’homme, amour et haine, allégresse et colère, affliction et joie, sont produits par les Six souffles(

liu qi

"� ) (du Ciel). C’est pourquoi les connaître à fond permet de régler convenablement les Sixvouloirs (

liu zhi

"� ), par analogie.» (Chunqiu zuozhuan, 25è année du duc Zhao)

On peut parler de Cinq vouloirs, quand on considère l’organisation du souffle vital, sur Terre, enCinq qualités ou modalités d’opérer.

C’est ce que l’on trouve dans le Suwen ch.5, où un vouloir correspond, dans la normalité, à chaquezang; mais où ce vouloir porte aussi atteinte à ce même zang :“Au Ciel, c'est le vent. Sur Terre, c'est le bois. Dans les parties du corps, c'est les mouvements mus-

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ZHI article 10

culaires. Dans les zang, c'est le Foie. [……] Dans les vouloirs, c'est la colère (

nu ! ). La colère porteatteinte au Foie …”

Et de même pour chacun des quatre autres organes. L’allégresse est associé au Cœur, la penséeobsessive à la Rate, le chagrin au Poumon et la peur aux Reins.

Des listes un peu différentes de ces Cinq vouloirs peuvent être dressées. Des variations apparaissentnon seulement dans le même ouvrage, mais parfois dans le même chapitre. Leur signification reste lamême : un orientation particulière du mouvement des souffles à travers chaque organe, en fonctionde l’élément qu’il représente dans l’être humain.

Le vouloir, en chaque organe, guide ses souffles; il garde la rectitude de leur mouvement et de leursacivités; ou bien il s’enfle indûment, se dérègle, et désorganise leurs activités.

Quand les Cinq zang peuvent se mettre dans la lumière du Cœur d’une personne qui s’efforce d’êtrede plus en plus semblable aux esprits et fidèle à la Voie du Ciel, alors leurs vouloirs manifestent surCinq la puissance et la droiture du vouloir.

“Les Cinq viscères peuvent-ils se placer dans la dépendance du Cœur et ne pas s'en écarter, quelleque soit l'exhaltation du vouloir (

zhi � ), la conduite ne dévie pas. Ainsi, les Esprits vitaux ( jing shen�� ) surabondent et rien ne se dissipe des souffles ( qi � ). Abondance d'Esprits, plénitude de souf- fles, tout est ordonné, équilibré, compénétré : C'est l'Etat spirituel (

shen � ).” (Huainanzi ch.7 - Trad.

Claude Larre)

4. LES VARIATIONS SAISONNIÈRES DU VOULOIR

L’homme authentique ne varie pas dans sa détermination; il reste fixé sur son idéal de vertu et prendtous les moyens d’y parvenir. Cependant, il s’adapte infiniment et indéfiniment à toutes les situa-tions, pliant son vouloir aux circonstances, changeant ses dispositions intérieures et sa conduite, sansaltérer l’orientation profonde de sa vie, qui est d’être un avec la Voie du Ciel.

“De tels hommes ont l’esprit volontaire (

xin zhi �� ), le visage paisible, le front serein. Tristes, ilss’identifient à l’automne, gais au printemps, leurs mouvements d’humeur (mot-à-mot : allégresse etcolère,

xi nu #! ) s’accordent à la ronde des saisons ( tong si shi $%& ). Ils se trouvent en confor- mité avec les choses si bien que nul ne peut circonscrire leurs limites.” (Zhuangzi ch.6 - Trad. JeanLévi, les Œuvres de Maître Tchouang)

Le Suwen ch 2 présente les Quatre saisons. Pour chacune il indique les dispositions appropriés duvouloir. Ainsi, au printemps, “on exerce le vouloir pour la poussée de la vie : Faire vivre et ne pastuer, donner, ne pas ôter, récompenser, ne pas punir”, alors qu’en automne, “on exerce le vouloir dansla paix et la tranquillité, pour adoucir l'effet repressif de l'automne”. En été, “on exerce le vouloir,mais sans violence : Secondant l'éclat de la beauté et de la force, qui accomplissent alors leur pro-messes; secondant l'évacuation des souffles qui aiment alors aller s'extérioriser” alors qu’en hiver“on exerce le vouloir comme enfoui, comme caché, comme tourné seulement vers soi, commeoccupé à se posséder”.

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ZHI article 11

Ainsi le vouloir, la tension intérieure, varie selon les saisons, les différents moment du temps, lesâges de la vie, les étapes d’un processus, la qualité de l’environnement, les spécificités de ce avecquoi on interagit …

Ce qui est à faire, et donc à vouloir, change avec les circonstances. La fermété n’est pas la rigidité.L’adaptibilité permet l’efficacité et l’économie des forces. L’opportunisme, quand il n’est pas utilisa-tion et manipulation des autres et des circonstances pour un profit personnel, est un devoir sacré, unsynchronisme qui est concordance avec le mouvement de la vie. Ce qui demeure constant est la cor-respondance à la réalité de la vie.

Car ces variation ne sont possibles que si l’enracinement est solide; comme lors d’une entreprise lacohésion d’ensemble tient à un idéal, à une but général, une certaine finalité qu’on se fixe et qui sous-tend les multiples décisions et orientations prises au gré de l’activité et de ses développements.

Pour commencer une affaire, il faut avoir une idée et un idéal, vouloir réaliser quelque chose et dansune certaine voie. Dans le processus de développement, on va créer des départements, qui ne doiventpas être des “divisions”, mais des secteurs complémentaires par leurs différences; chacun aura un butparticulier, mais qui ne sera correct que s’il répond à l’exigence du département en même temps qu’ilparticipe à l’harmonie et la progression de l’ensemble. Au niveau de la direction générale comme auniveau des départements, les stratégies changent selon les circonstances; mais sans jamais être con-traires aux buts et idéaux de l’entreprise tels qu’ils ont été compris au départ et ont permis sa créa-tion. Chaque orientation particulière est prise en fonction de l’inspiration générale et initiale; nul nedoit la perdre de vue, sous peine de se dénaturer, de perdre l’esprit qui anime l’entreprise; ces déter-minations peuvent être de tous ordres et parfois apparaître comme opposées, parce qu’elles serontcommandées par les circonstances; mais elles ne doivent pas quitter ce qui fait l’enracinement, ce quiest à la source et à la base du projet.

Ainsi, la rivière, à partir de sa source, ne change jamais sa destination, qui reste toujours la mer.Cependant, aucun fleuve n’est rectiligne; il parvient à la mer par de multiples détours. Mais à aucunmoment l’eau n’abondonne sa nature propre, qui est de descendre, de s’écouler vers le bas. Le fleuveatteint donc toujours la mer, qui, elle, est au plus bas. Il a ainsi rempli sa destinée, en gardant sadirection générale, son vouloir, mais en l’adaptant selon la nature et les configurations du terrain,quiite à parfois prendre des directions qui ne sont pas celles de la mer.

5. LES CHANGEMENTS DU VOULOIR CONSTANT

L’adaptation permanente, dans le respect de sa nature originelle, est l’œuvre de la pensée. La penséehumaine se dirige là où un vouloir éclairé la porte; elle reconnaît les situations pour ce qu’elles sontet pour ce qu’elles réclament et elle trouve comment s’y conformer sans se dénaturer.

Le Lingshu 8 définit la pensée comme changements dans le vouloir :“Que le vouloir qui se maintient change on parlera de pensée.”

Le vouloir, qui change avec les saisons et les moments, avec l’âge et les circonstances, se maintientcependant comme orientation et direction générales.

Dans un être, un vouloir unique émerge de l’origine; chez l’homme, il passe par son Cœur, sa cons-cience, pour être fixé. Ce vouloir guide sa vie jusqu’à la fin et il doit s’orienter vers la destination de

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ZHI article 12

la vie, qui pour l’homme est avant tout céleste et spirituelle. Le vouloir doit donc orienter l’être versles lumières spirituelles (

shen ming �� ) et vers le Ciel ou la Voie.

Ainsi les souffles sont guidés correctement, par le Cœur d’une façon générale et unifiée, et par lesCinq zang dans les mouvements particuliers des souffles et les divers secteurs de l’activité vitale.

Fermement ancré, l’homme sage peut alors changer indéfiniment. Comme la girouette. La girouettene change pas, dit-on; c’est le vent qui change. En effet, une bonne girouette ne change jamais parelle-même, mais toujourrs en fonction du vent. Elle indique la direction du vent parce qu’elle estéquilibrée, qu’elle ne penche dans aucune direction, qu’elle n’en préfère aucune; et aussi parcequ’elle est solidement plantée, bien droite et bien souple.

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APPROCHE DE LA SAGESSE TAOÏSTE recherche de l'harmonie avec le cosmos

La Chine a produit le Taoïsme au cours d'une longue maturation. Attitude devant la vie, ce qu'on appelle le Taoïsme peut être une religion, une éthique, un système du monde. Il s'insinue dans toute l'activité de ceux qui en acceptent l'imprégnation. La rectitude intérieure est l'expression en soi de l'ordre du monde, qui n'est rien d'autre que l'universelle spontanéité, c'est-à-dire la Voie, le Tao (dao). En s'ordonnant soi-même selon ce modèle cosmique, que l'on aperçoit dans toutes les manifestations de la vie naturelle, tout se règle. Par l'initiation et la pratique, on s'unit aux grandes forces du monde, telles le Yin Yang; on parvient ainsi à la Longévité, une vie d'une durée indéfinie au sein de l'univers. L'agir se confond avec l'intégration cosmique : ne faire qu'un souffle avec le souffle cosmique, dans la spontanéité absolue. N'interférant aucunement avec l'ordre naturel, il est un non-agir, un agir sans agir, qui est cependant plus efficace que les activités volontaires habituelles des hommes.

 

Les textes fondateurs

Ce sont les textes sue lesquels repose le taoïsme dans son esprit profond; c'est à eux que l'on revient régulièrement pour fonder théories et conduites, même si bien d'autres textes, écrits par un maître ou "révélés", enrichissent et précisent, au cours des siècles, l'approche et les pratiques taoïstes. Ils servent de base à cet exposé, qui ne prétend pas traiter de tout le Taoïsme, mais simplement de donner un éclairage sur quelques aspects essentiels.

Nous citerons souvent, pour illustrer notre propos, le Livre de la Voie et de la Vertu (Daodejing)1, attribué à Laozi, car ce texte court contient l'essentiel de la doctrine. Il est de plus facilement accessible à tous en de nombreuses traductions dans pratiquement toutes les langues occidentales.

Ce texte, vraisemblablement rédigé durant la deuxième moitié du 3è siècle avant J.C., fut attribué légendaire à Laozi, "le vieux maître", sorte de personnage composite qui prend quelques traits d'un archiviste contemporain de Confucius, et s'enrichit de détails et de légendes à significations philosophique, politique et idéologique. Celui qui a compilé ce livre - sans doute un ancien ministre ou général - a repris des éléments de textes et de réflexion prééxistant; mais il a cependant fait ?uvre personnelle par la puissance et la beauté à la fois du style et de la pensée.

Le Zhuangzi, ouvrage beaucoup plus long et parsemé d'anecdotes, est composé de 33 chapitres, écrits entre le 4è et le 1er siècle avant J.C. Il offre une communauté de pensée avec le Laozi, tout en présentant des approches et des sensibilités variées.

Le Liezi, attribué au sage du même nom qui aurait vécu aux environs de 400 av.J.C., est souvent associé aux deux précédents dans une sorte de trilogie de textes fondateurs. Il est en fait de rédaction beaucoup plus tardive (4è siècle après J.C.), bien qu'il intègre des éléments contemporains du Laozi et du Zhuangzi.

 

Approche du Taoïsme ! 1

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Formation du Taoïsme

La sensibilité et la pensée taoïstes sont redevables à de nombreuses sources : l'antique fonds chamaniste et animiste de la Chine, la religion populaire, les techniques physiologiques, mi-exorcistes, mi médicales, voire magiques, les spéculations cosmologiques qui tiennent à la fois de la divination et de l'observation des astres et des phénomènes naturels, l'attitude d'ermites retirés du monde ou encore celle d'artisans experts en leur art ... Dans les siècles qui précèdent l'ère chrétienne, des penseurs puisent à ces diverses sources, mais se caractérisent par une référence grandissante à un absolu qui sous-tend toute vie et qui fonde toute cosmologie.

Quand le caractère " Dao " ou " Tao "2 est utilisé pour désigner cet absolu innommable, les textes réunis autour de cette sensibilité sont dits de l'école taoïste ( dao jia 道家). Le caractère " dao 道" signifie voie, cheminement; c'est une manière de procéder, une méthode. Chacun chemine, suit une voie, une règle de vie personnelle, reflet de l'ordre du monde. Il progresse ainsi dans l'existence, remplissant au mieux son rôle familiale et social. Dans le Taoïsme, la Voie est au-delà de tous les cheminements personnels, mais les sous-tend et les fonde tous :

"La voie qu'on peut énoncer n'est déjà plus la Voie" (Daodejing 1)

Au-delà de toute perception sensible ou connaissance intellectuelle, la Voie est présence ineffable, source de toutes les manifestations de la vie :

"Profondeur d'abîme, on dirait une présence. Nous ignorons de qui elle procède, préssentant qu'elle précède le Souverain lui-même" (Daodejing 4)

"La Grande Voie ..... les Dix mille êtres3 en dépendent pour vivre" (Daodejing 34)

Un peu plus tard, dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, la religion taoiste ( dao jiao 道教) apparaît, avec clergé et rites. Le Taoïsme religieux ne sera cependant jamais soumis à une autorité centrale, décidant du licite et de l'illicite, édictant un dogme. De nombreuses branches ou sectes fleuriront, exprimant la vitalité toujours renouvelé du Taoïsme.

 

Le Taoïsme est toujours une pratique

Même s'il faut faire une différence entre un Taoïsme philosophique et un Taoïsme religieux, il ne faut pas pousser cette différence jusqu'à séparer l'un de l'autre. La pratique doit être l'aboutissement de la pensée et la pensée, le fondement de la pratique. Le Taoïsme religieux s'inspirera toujours des grands textes dits philosophiques. Ces textes eux-mêmes ne prennent tout leur sens que s'ils inspirent une condutie de vie et mènent à ce qui les dépassent.

Il s'agit toujours, par des moyens variés, de s'intégrer à la Voie, principe de vie, constant, inaltérable, qui soutient l'ordre du monde dans sa régularité, sa fiabilité et sa spontanéïte.

"Une chose faire d'un mélange est là avant le Ciel Terre4; silencieuse, ah oui ! Illimitée assurément ! Reposant sur soi, inaltérable, tournant sans faute et sans usure. On peut y voir la Mère de ce qui est sous le Ciel. Nous ne connaissons pas son Nom; son appelation est : la Voie." `Daodejing 25)

Approche du Taoïsme ! 2

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Le retour

La quête de chacun est de faire retour. Faire retour, c'est d'abord opérer un retournement. Retourner les valeurs habituellement reconnues par les hommes, la société :

"Retournement, mouvement de la Voie. Faiblesse, son usage." (Daodejing 40)

C'est revenir au mouvement cosmique de la vie, qui retourne le froid et chaud et le chaud en froid au long des Quatre saisons de l'année; qui, de même, contient tous les opposés, tous les contraires (incluant la vie et la mort) et les laissent s'exprimer en alternance, en harmonie, pour manifester les innombrables formes que revêt la vie.

C'est retourner à l'origine de ma vie, source de toute vie, telle qu'elle est en elle-même. Même si ces images sont métaphoriquement employées, il ne s'agit pas de régresser jusqu'à l'état d'enfançon ou d'embryon, mais de retrouver en soi - par l'ascèse, la méditation, les pratiques - la pure réalité, la Voie. Cela nécessite abnégation et désintéresement, qui vont jusqu'à l'abolition du moi ou même de la personne en tant qu'être particulier. Le taoïste en quête de la vraie vie, de l'immortalité, de la Voie qui est au-delà de la vie et de la mort, renonce à tout désir et volition, aux émotions et attachements, à toute possession personnelle qu'elle soit physique, intellectuelle ou mentale. C'est à ce prix qu'il se renouvelle et se retrouve intégré au mouvement de la vie.

"Parvenus à l'extrême du Vide, fermement ancrès dans la Quiétude, tandis que Dix mille êtres d'un seul élan éclosent, nous contemplons le Retour.

Les êtres prospèrent à l'envie, mais chacun fait retour à sa racine. Revenir à sa racine, c'est la Quiétude, c'est accomplir son destin. Accomplir son destin, c'est cela le Constant. Atteindre le Constant, c'est l'illumination; ne pas le connaître, c'est courir follement au désastre.

Atteindre le Constant donne accès à l'Infini; par l'Infini, à l'Universel; par l'Universel, au pouvoir royal; par la Royauté, au Ciel et par le Ciel à la Voie; la Voie à la vie qui demeure et la fin de votre vie ne sera pas la destruction." (Daodejing 16)

 

Le Vide et le Rien (xu wu 虛無)

Tout commence par la diminution des préjugés, désirs, intentions; la renonciation au savoir qui croit qu'il sait, aux connaissances qui empêchent souvent de saisir la vie à sa source tout en multipliant des informations, exactes certes, mais qui nous détournent de l'essentiel quand leur recherche et leur acquisition remplacent le retour à soi et à la Voie.

"Pour l'étude, tous les jours un peu plus. Pour la Voie, tous les jours un peu moins." (Daodejing 48)

Car la Voie n'est ni définissable, ni pensable. Exercer sa pensée et son intelligence pour saisir la Voie, c'est commettre un contre-sens. Mais tenter d'éradiquer chaque détermination ou qualité propre, rapproche d'elle en éliminant les premiers obstacles.

"On regarde mais sans voir : on l'appelle Invisible. On écoute sans entendre : on l'appelle Inaudible. On cherche à le toucher : on l'appelle Impalpable. Voilà trois choses ineffables, qui, confondues, font l'Unité." (Daodejing 14)

Approche du Taoïsme ! 3

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Faire le vide n'est pas n'être rien; c'est développer la force de vie et se laisser emmener où elle s'accomplit. Le Vide n'est pas un manque, c'est ce qui permet l'adaptibilité, la souplesse; par lui on est enraciné au plus profond, car on se débarrasse continuellement du superficiel et de l'inutile.

"L'homme de caractère choisit la subsatnce et ne se fie pas à ce qui est superficiel. Il est pour le fruit, ne se fie pas à la fleur. Il rejetait l'extérieur et s'en tenait à soi;" (Daodejing 38)

Le maître en arts martiaux ne fait pas autrement : tranquillement, il attend son adversaire, sans rien anticiper, sans rien imaginer, mais en étant, par là même, prêt à tout. Sa réaction sera instantanée, juste et puissante. Rien ne sera gaspillé de ses potentialités par une idée qui, même correcte, est inutile et même nuisible, puisqu'elle lui encombre l'esprit.

Alors on peut être rempli d'une sensation authentique de vie, bien au-delà de la pensée et de la conscience claire, une expérience de la réalité qui permet de surmonter les angoisses et les peurs de la condition humaine.

 

Le non-agir (wu wei 無為)

N'ayant plus ni désir ni volonté propre, l'agir du sage taoïste n'est pas dirigé par une intention ou un jugement; il est simple réaction aux situations d'un être qui a retrouvé en lui l'ordre naturel de la vie. Ce qu'il fait n'interfère jamais avec le cours des choses et le mouvement naturel des êtres. Le Non agir c'est, mû par une nécessité intérieure, faire ce qui est demandé, à un moment et dans un lieu précis, par la nature des choses. Alors il n'est rien qui ne soit réalisé, puisque la Voie est l'universelle spontanéité présente au cœur de chacun.

"La Voie constante est Sans agir et rien pourtant qui ne soit fait." (Daodejing 37)

Toute intervention dans le cours des choses suscite des réactions que nul ne maîtrise et qui peuvent aboutir à tout autre chose que l'intention première. Opposition, sous une forme ou sous une autre, au mouvement naturel, l'intervention c'est agir par sa propre décision au lieu de s'en remettre au déroulement de la Voie dans les êtres et les situations. L'affairement et ses conséquences néfastes ne manqueront pas de faire payer leur tribut :

"L'intervention, c'est l'échec; la possession, c'est la perte. Les Saints, n'intervenant pas, évitaient l'échec; ne possédant pas, évitaient la perte." (Daodejing 64)

 

La vertu du sage

L'efficacité du sage n'est pas liée à son action, mais à sa vertu. Par "vertu" ( de 德), plutôt que des qualités morales, on entend l'efficacité puissante que procure l'agir naturel. Un homme possédé par la Vertu suit, parfaitement et spontanément, les mouvements de la vie; il est remplit de la puissance qui appartient à la vie quand nul désir ou volonté ne vient la contrarier ou la détourner. Alors émane de lui comme une force qui touche les autres, sans même qu'ils en aient vraiment conscience; cette force les touche là où eux-mêmes sont en contact avec la réalité qui les fait vivre; elle peut donc les rendre à eux mêmes, à plus d'authenticité.

Approche du Taoïsme ! 4

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"Les Saints s'appliquaient à secourir les humains sans rejeter personne, s'appliquaient à secourir les êtres sans en rejeter aucun. C'est ce qu'on appelle : répandre à son tour la Lumière. L'homme bon est le maître du méchant, le méchant sert de matière à l'homme bon." (Daodejing 27)

Le sage n'utilise pas cette force, car la manipuler serait la détruire; il la laisse émaner de lui, tout en cultivant sa participation active et mystique à la vie du monde, mais en prenant bien soin de rester caché et ignoré. Il est mieux que nul ne se rende compte de l'action secrète du sage, car la conscience risque non seulement de nuire au sage "découvert", mais aussi de pervertir le processus même par lequel les êtres sont pris par son influence bénéfique.

C'est ainsi que le gouvernement de l'État n'est qu'un effet du travail sur soi et que l'enseignement sans parole seul transmet l'essentiel.

 

Le modèle de l'eau

Le sage se compare à l'eau : comme la pluie qui tombe sur tous les champs, il laisse son influence se répandre sur les bons et les méchants, simple effet de ce qu'il est.

"Un homme haut placé, faisant le Bien, agira comme l'eau." (Daodejing 8)

Comme l'eau, le sage se laisse aller avec toutes les apparences de la faiblesse, mais sans se laisser détourner. L'eau de la rivière, suivant sa seule nature qui est d'aller vers le bas, arrive toujours à la mer, indifférente à tous les tours et détours que les circonstances lui imposent. Le sage suit aussi sa nature et la nature des choses, indifférent à ce que lui commande les circonstances; il ne résiste pas, ne s'oppose à rien, ne se dispute avec personne, non pas pour éviter de combattre, mais parce qu'il est mû par sa rencontre avec la Voie. La Voie, union des contraires, coexistence harmonieuse des innombrables vivants, est l'infinie adaptabilité du sage qui ne tient qu'à elle et que par elle. Le sage possède alors la vie qui ne tarit pas.

"Rien au monde comme l'eau, de plus souple, de plus faible. Pour attaquer le solide et le fort, qui sera comme l'eau ? Le Non avoir en elle la fait changeante." (Daodejing 78)

 

Mystique et transcendance

Le sage taoïste est un mystique en ce sens qu'il recherche la fusion avec la Voie, l'intégration totale avec le principe cosmique de vie. Il n'y a pas de relation avec ce principe de vie, puisqu'il n'est pas autre chose que ce qui existe, n'est pas extérieur à soi ou au monde. On ne cherche pas non plus à avoir conscience de ce principe, ca en avoir conscience serait faire deux avec lui, être distinct, séparé. On ne peut que tenter de se fondre en lui, faire un avec lui, car l'unité est la réalité la plus profonde de chacun, la seule permanente. Notre existence actuelle n'est qu'une phase, qui nous fait vivre la distinction et la dualité; mais cette existence exprimée par et dans la dualité ne doit pas perdre sa racine, sous peine de se perdre à jamais. L'union à la Voie se fait donc dans une abolition de soi, qui n'est cependant pas perçue comme une disparition.

"Se contenter de peu, c'est la richesse. Agir puissamment, c'est s'accomplir. Conserver ses moyens est durer. Mourir sans périr, c'est la Longévité."(Daodejing 33)

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Le sage taoïste, dans la montagne, contemple les nuages et médite sur l'éphémère qu'ils évoquent. Au-delà des nuages, il y a le ciel; et au-delà du bleu du ciel, n'y a-t-il pas l'azur infini ?

Seul demeure ce qui est au-delà de l'éphémère et dont chaque être fait partie avant même de commencer d'exister.

Cette fusion indicible, si elle n'est pas une illusion, doit être active, perceptible, dans le monde présent, au travers de notre existence prise dans ses multiples tensions. On l'expérimente à des niveaux variés dans la vie quotidienne. Ainsi l'artiste, par exemple un pianiste, ne se représente pas, dans le moment où il joue, l'intégration totale de tous les éléments de son être pour produire la musique; il ne sait même pas vraiment comment cet état arrive; et quand il est dedans, il ne peut pas s'en détacher, le penser, encore moins l'expliquer. Mais il ne peut vraiment jouer, bien jouer, que dans cet état. "Revenu sur terre", à la fin du récital, il peut parler, tout en sachant qu'il ne pourra jamais exprimer par les mots ce qu'il vit quand il ne peut même plus penser. Il s'exprimera cependant, car il appartient aussi au monde de la dualité, de la multiplicité, avec sa personne, son corps, ses qualités, ses relations aux autres êtres ... Mais l'état expérimenté quand il joue ne lui apparaît-il pas comme encore plus réel ?

Les artisans, ou chacun de nous, concentrés sur ce que nous savons faire, vivons la même expérience, qui donne accès à la réalité de l'Un. Il ne s'agit pas d'être ailleurs, d'être autre, mais de passer par delà les déterminations et spécificités qui maintiennent dans la multiplicité, dans la dualité, pour ne faire qu'un avec la Voie du Ciel, dans un abandon total, y compris de sa propre activité mentale. La mort alors n'est que le retour à cet état que j'expérimente déjà comme plus constant, plus réel que les autres aspects de ma vie. Finalement, on doit aller jusqu'à affirmer que vie et mort ne sont qu'un, car si elles étaient vraiment différentes, l'Unité sur laquelle on s'appuie ne serait qu'un leurre.

"Ainsi le toujours sans attraits invite à contempler le mystère, et le toujours plein d'attraits à considérer ses aspects manifestes. Ces deux-là, nés ensemble sous des noms différents, sont en fait ensemble l'Origine. Et d'origines en Origine, la porte du mystère merveilleux." (Daodejing 1)

Peut-on parle de transcendance ? Sans doute pas dans le sens donné par le Christianisme; mais on ne peut pas plus parler d'immanence. La Voie du sage taoïste le mène à la racine de l'existence, là où il n'y a plus rien de déterminé ou de déterminable, d'exprimé ou d'exprimable, de pensé ou de pensable, mais sur quoi repose la totalité des êtres qui ont chacun leurs déterminations, leurs expressions et capacités spécifiques.

"Les Dix mille êtres du monde sont le produit de ce qui a; mais ce qui a est produit de ce qui n'a pas." (Daodejing 40)

1. Dans la traduction de Claude LARRE, nouvelle édition, DDB, Paris, 2003.

2. Selon les translitérations utilisés. La prononciation et le caractère sont les mêmes; la façon de rendre cette prononciation en lettres romaine seule varie.

3. Tous les êtres qui peuplent l'univers.

4. L'Univers.

Approche du Taoïsme ! 6

Page 36: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

LE  MÉRIDIEN  DU  CŒUR  -­‐  SHAOYIN  DE  MAIN                  

         

Page 37: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

         

                     

Page 38: Textes d'Elisabeth Rochat de la Vallée

LES  POINTS  DU  MERIDIEN  DU  CŒUR  

SHAOYIN  DE  MAIN  (SHOU  SHAO  YIN  手少陰)  

       

J I  QUAN          极泉          FONTAINE  SUPREME  

 C.1  -­‐  Point  situé  à  hauteur  du  4e  espace  intercostal,  dans  le  prolongement  horizontal  de  la  pointe  du  mamelon.  Jiquan  est  le  point  le  plus  profond  de  la  cavité  axillaire  (creux  de  l'aisselle).  On   cherche   le  point   le  bras   levé  à   la  verticale.  Au  niveau  de   Jiquan,  on   sent  battre  l’artère  axillaire  en  dehors.  On  peut  aussi  prendre  le  point   le  bras  étendu  horizontalement  en  avant,  en  se   laissant  guider  pour  le  détecter  par  le  bord  inférieur  du  muscle  grand  pectoral.  On   le   puncture   perpendiculairement   ou   en   oblique,   à   une   profondeur   de   0,3   à   0,5  distance.  On  y  applique  3  moxas;  on  le  chauffe  durant  15  minutes.        

QING  LING          青靈        (青灵)          ESPRIT  VERT  (associé  à   l 'Est  et  à   Jupiter)    C.2   -­‐   Point   situé   sur   la   face   antéro-­‐interne   du   bras,   à   3   distances   au-­‐dessus   du   point  Shaohai  少海   (C.3),   sur   la   ligne   qui   conduit   du   point   Jiquan  極泉   (C.1)   au   point   C.3  (gouttière  interne  du  biceps  brachial).  Autre  nom  :  Qinglingquan  青靈泉.  On  le  puncture  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,5  à  0,8  distance.  On  y  applique  1  à  3  moxas;  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.        

SHAO  HAI          少海          MER  DU  SHAO  [YIN]  

 C.3  -­‐  Point  situé  à  l’extrémité  interne  du  pli  de  flexion  du  coude,  légèrement  au-­‐dessus  et  en  avant  de  l’épitrochlée.  Le  point  se  prend  en  mettant  le  sujet  la  main  derrière  la  tête  et  en   empaumant   le   coude   avec   la   main   qui   palpe.   Le   point   est   entre   la   saillie   de  l’épitrochlée  et  l’angle  que  forment  les  bords  internes  de  la  coronoïde  et  de  l’olécrâne.  On  le  situe  aussi  parfois  en  arrière  de  l’épithrochlée.    Point  de  jonction  (he  合),  correspondant  à  l’élément  Eau.    Autre  nom  :  Qujie  曲節.  On  le  puncture  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,2  à  1  distance.  On  y  applique  1  à  3  moxas;  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.    

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LING  DAO          靈道      (灵道)          VOIE  DES  ESPRITS    C.4  -­‐  Point  situé  sur  l'avant-­‐bras,  à  1,5  distance  au-­‐dessus  du  pli  du  poignet,   le   long  du  bord  externe  du  tendon  du  cubital  antérieur.    Point  jing  (jing  經),  correspondant  à  l’élément  Métal.  On  le  puncture  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,3  à  0,5  distance.  On  y  applique  3  à  5  moxas;  on  le  chauffe  durant  15  à  20  minutes.        

TONG  LI          通里          DEBLOQUE  L'INTERNE  

 C.5   -­‐   Point   situé   sur   l'avant-­‐bras,   à   1   distance   au-­‐dessus   du  pli   du   poignet,   le   long   du  bord  externe  du  tendon  du  cubital  antérieur,  dans  la  gouttière  cubitale,  à  1  distance  au-­‐dessus  du  point  Shenmen  神門  (C.7).    C’est  le  point  luo  絡.  C’est  l’un  des  12  points  de  Ma  Danyang.  Autre  nom  :  Tongli  通理.  On  le  puncture  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,3  à  0,5  distance.  On  y  applique  3  à  5  moxas;  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.        

YIN  XI          陰郄        (阴郄)           INTERSTICE  SUR  LE  YIN    C.6  -­‐  Point  situé  sur  la  face  antéro-­‐interne  de  l'avant-­‐bras,  à  0,5distance  au-­‐dessus  du  pli  du  poignet,  le  long  du  bord  externe  du  tendon  du  cubital  antérieur,  et  à  0,5  distance  au-­‐dessus   du   point   Shenmen  神門   (C.7).   On   sent   déjà   à   son   niveau   le   pouls   de   l’artère  cubitale.    C’est  le  point  d’accès  à  la  réserve  (point  xi  郄)  de  ce  méridien.  Autres   noms  :   Shigong   石宮,   Shaoyinxi   少陰郄,   Shoushaoyinxi   手少陰郄,   Shouyinxi  手陰郄.    On  puncture  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,3  à  0,5  distance.  On  y  applique  3  moxas;  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.        

SHEN  MEN          神門        (神门)          PORTE  DE  L'AME    

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C.7  -­‐  Point  situé  au  niveau  du  pli  antérieur  du  poignet,  dans  l’insertion  du  muscle  cubital,  sur  la  face  supérieure  du  pisiforme,  sous  l’apophyse  styloïde  du  cubitus.  On  peut  se  laisser  guider,  pour  trouver  le  point,  par  le  pouls  de  l’artère  cubitale.  Le  point  est   entre   l’artère   et   le   pisiforme,   là   où   s’insère   le   bord   interne   du   muscle   cubital  antérieur.    Point  shu  (shu   ),  correspondant  à  l’élément  Terre  et  donc  point  source  (yuan  原).    Autres  noms  :  Zhongdu  中都,  Duichong  兌衝,  Duigu  兌骨,  Duizhong  兌中,  Ruizhong   中.  On  le  puncture  :  -­‐  soit  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,3  à  0,5  distance;  -­‐   soit  en  glissant   l’aiguille  sous   le  pisiforme  depuis   le  bord   interne   jusqu’à  atteindre   le  méridien  (1  distance).  On  y  applique  3  moxas;  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.  

SHAO  FU          少府          ADMINISTRATEUR  DU  PALAIS  

 C.8  -­‐  Point  situé  à  l’extrêmité  distale  du  bord  externe  du  5e  métacarpien,  entre  les  4  e  et  5e  métacarpiens.    Pour  trouver  le  point,  on  replie  les  doigts  dans  la  paume  de  la  main;  le  point  est  là  où  va  se  placer  la  pulpe  digitale  de  l’auriculaire,  sous  la  ligne  de  tête.  Point  ying  (ying  滎),  correspondant  à  l’élément  Feu.    Autre  nom  :  Duigu  兌骨.  On  le  puncture  perpendiculairement,  à  une  profondeur  de  0,3  à  0,5  distance.  On  y  applique1  à  3  moxas;  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.        

SHAO  CHONG          少衝        (少衝)           JAILLISSEMENT  DU  SHAO  [YIN]    C.9   -­‐   Point   situé   au   niveau   de   l’angle   supéro-­‐externe   de   la   matrice   de   l’ongle   de  l’auriculaire,  du  côté  de  l'annulaire.  On  le  situe  aussi  à  l’angle  inféro-­‐externe  de  l’ongle  de  l’auriculaire.    Point  puits  (jing  井),  correspondant  à  l’élément  Bois.    Autres  noms  :  Jingshi  經始,  Shaochong  少沖.  On   le   puncture   perpendiculairement,   en   superficie,   à   une   profondeur   de   0,1   à   0,3  distance,  ou  on  le  saigne.  On  y  applique  1  à  3  moxas,  on  le  chauffe  durant  5  à  10  minutes.              

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LE  SEIGNEUR  ET  SON  ACOLYTE  

Le  Cœur  souverain  

  "Le  Cœur  (  xin  心  )  a  la  charge  du  Seigneur  et  du  maître  (  jun  zhu  君主  );     le   resplendissement   des   Esprits   (shen   ming   神明)   en   procède."       (Suwen  8)  

La  double  face  du  Cœur,  comme  celle  de  tout  souverain,  est  ici  montrée  :    

-­‐   Il   est   le   seigneur   (   jun  君  ),   sur   lequel  nul  n'ose   lever   les  yeux.  Caché  au  fond  de  son  palais,  au  centre  du  monde,  sa  présence  et  son  autorité  se  font  pourtant   partout   sentir   et   déterminent,   en   profondeur,   la   bonne   ou   la  mauvaise  fortune  de  tout  le  pays.    

Le  même  caractère   jun   (君  )  est  utilisé  dans   l'expression  désignant   le  Feu  empereur,  ou  Feu  seigneur  (  jun  huo  君火  ).  

-­‐  Il  est  le  maître  (  zhu  主  ),  capable  de  faire  sentir  le  poids  de  sa  présence  et  de   son   autorité   par   quelques   manifestations   choisies.   Le   fait   qu'il   soit   le  souverain,  caché  dans  l'invisible  communication  avec  le  Ciel  et  ses  Esprits,  ne   l'empêche  pas  d'exercer   le  pouvoir.   Il  n'y  a  pas  de  grand  pontife  à  côté  d'un   roi   temporel;   c'est   le  même   individu  qui   assure   cette   charge  unique;  c'est   l'Empereur   dans   l'Empire   centralisé   et   unifié;   c'est   le   Cœur   dans   un  organisme  humain.    

Le   même   caractère   zhu   est   utilisé   dans   l'expression   désignant   le   Cœur-­‐maître   (xin   zhu   心主).   Cette   expression   est   l'appellation   normale   du  méridien   Jueyin   de  main1;   c'est   aussi   le   Cœur   agissant   comme  un  maître,  exerçant   une  maîtrise   particulière,   telle   celle   de   commander   le   sang   (   xin  zhu   xue   心主血),   de   commander   les   circulations   vitales   (   xin   zhu   mai  心主脈),    ou  encore  de  commander  la  circulation  régulière  du  sang  (xin  zhu  xue  mai  心主血脈),  trois  variations  de  la  même  fonction.  

Les  mai  (ou  mo  脈)  sont  les  circulations  vitales  et  ce  sont  les  pouls.  C'est  la  pulsation;   la   force   et   la   régularité   avec   lesquelles   le   Cœur   est   capable   de  pulser   le   sang  dans   tout   le   corps  par   ses   voies  de   circulations.   Ce   rythme  

                                                                                                               1.   Méridien   correspondant   au   Xinbaoluo   (protections   et   connexions   du   Cœur),   parfois  improprement  traduit  par  "péricarde".  

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vital2  est  présent  partout,  jusque  dans  les  plus  fins  des  capillaires,  qui  sont  aussi  des  mai3.   Il  se  perçoit   là  où  la  quantité  de  sang  est  suffisante,  sur  les  artères  quand  elles  sont  assez  superficielles,  et  ce  sont  les  pouls.  Mais  la  vie  ne  s'arrête  pas  où  l'œil  s'arrête;  quand  on  ne  perçoit  plus  la  pulsation,  elle  reste  présente;  quand  on  ne  voit  plus  le  sang,  il  circule  encore.  

Le  sang  n'est  pas   simplement  un   liquide4  qui  nourrit  et   réchauffe;  mais   le  vecteur   porteur   des   esprits   qui   rendent   capable   de   sensibilité,   de  perception,  de  connaissance.  

Une   autre   façon   de   parler   de   la   présence   en   tous   lieux   de   l'influence   des  esprits  est  de  parler  de  leur  rayonnement  ou  de  leur  lumière.  

On  associe  alors  les  esprits  (  shen  神  )  au  caractère  ming  (  明  ),  qui  signifie  lumière   et   splendeur,   intelligence   et   clairvoyance,   faire   briller   et   éclairer,  distinguer  et  comprendre.  

Ming  (  明  ),  c'est  la  splendeur  qui  résulte  de  l'activité  spirituelle,  c'est-­‐à-­‐dire  quand  les  esprits  du  Ciel  mènent  les  activités  selon  l'ordre  naturel.  C'est  la  lumière   qui   se   répand   partout   dans   le   corps   et   le  mental,   qui   inonde   les  dispositions   intérieures  qui  me   font  agir  et   réagir,   comme   l'influence  d'un  bon  souverain  touche  ses  sujets  au  tréfonds,  au-­‐delà  des  lois  justes  ou  de  la  paix  et  de  la  prospérité  maintenues.  C'est   l'illumination,  quand  le  Cœur  de  l'homme  est  entièrement  ouvert  à  ce  qui  lui  vient  du  Ciel,  du  Naturel.  

La   lumière   des   esprits   (   shen   ming  神明   )   montre   comment   l'opération  subtile  et   secrète  qui  met  en   contact   avec   les   esprits   est   assumée  par  un  maître   -­‐   qui   est   le   Cœur   dans   le   corps   et   le   souverain   dans   l'empire.   Ce  

                                                                                                               2. Le  rythme  des  battements  du  Cœur  fait  écho,  ou  plutôt  exprime  et  réalise,  le  rythme  originel,  le  battement  yin/yang  qui  déclenche  le  processus  de  formation  de  mon  être  à  l'origine.  Le  même  caractère  (dong  動  )  est  utilisé  pour  les  battements  du  Cœur  et  pour  les  battements,  imperceptibles,  des  souffles  qui  font  mon  origine  :  "Les  souffles  qui  battent  (  dong  qi  動氣  )  entre  les  Reins,  sous  le  nombril,  c'est  la  destinée  vitale  de  l'homme,  l'enracinement  des  Douze  méridiens.  On  les  appelle  donc  :  source  (origine,  yuan  原  )."  (Nanjing  66)  On  a  là  un  des  exemples  de  la  relation  entre  le  Cœur  et  l'origine,  où  le  Cœur  manifeste  authentiquement  la  potentialité  originelle.  3.  Tous  les  luo  (  絡  ),  connexions,  circulations  qui  tissent  le  réseau  de  relations  entre  un  méridien  et  les  lieux  et  fonctions  qu'il  règle  ou  qu'il  sert,  sont  des  mai.  Ce  sont  des  luomai,  qu'il  s'agissent  des  grands   luo  ou  des  circulations   les  plus   superficielles   (fu   luo  浮絡   ),   les  plus   fines   (sun   luo  孫絡  ).  4.  Le  sang  ne  fait  jamais  partie  des  "liquides  corporels"  (jin  ye  津液  ).  Il  est  unique  en  son  genre,  comme  en  atteste  sa  couleur  rouge.  

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contact   illumine   la   vie   intérieure   dans   l'invisible,   et   fait   resplendir  superbement   tous   les   aspects   visibles   de   cette   vie   :   teint   sain   et   superbe  (procuré  par  une  juste  circulation  d'un  sang  de  qualité  à  la  face),  œil  vif  et  clair   (où   transparaissent   les   Esprits   du   Cœur),   beauté   de   l'apparence  comme  acuité  de  l'intelligence...       "Quand   le  maître   répand   sa   lumière   (   zhu  ming  主明   ),   les   inférieurs     sont  paisibles.  Un  tel  entretien  de  la  vie  (yang  sheng  養生  )  procure  la     longévité,     de   génération   en   génération,   et   l'Empire   sous   le   Ciel     resplendit  d'un  grand     éclat.   Mais   si   le   maître   ne   répand   pas   sa     lumière,  les  Douze  charges  sont  en     péril;   ce   qui   provoque   fermeture     et  blocage  des  voies,  l'arrêt  des     communications,  et  le  corps  en  est     gravement   atteint.   Une   telle   façon   d'entretenir   la   vie   est     catastrophique,   et   dans   l'Empire   sous   le   Ciel   les   lignées   ancestrales5     elles-­‐mêmes  sont  en  grand  péril.  Prenez-­‐y  garde;  prenez-­‐y  bien  garde!"     (Suwen  8)  

Du  Cœur,  premier  nommé  dans  la  hiérarchie  des  Douze  charges,  dépendent,  en  dernier   ressort,   la  bonne  ou   la  mauvaise   santé,   la   longévité  ou   la  mort  prématurée.   De   la   même   manière,   le   souverain   mène   son   royaume   à   la  prospérité   ou   à   la   perte.   Si   la   radiance   des   esprits,   qui   est   lumière   de   la  Vertu,  est  voilée,  plus  aucun  des  fonctionnaires  n'a  de  cœur  à  l'ouvrage,  ne  sait  où  il  va,  ne  coopère  avec  les  autres.  C'est  la  désorganisation.  

Les  agents  du  Cœur  

  "Le  Milieu  de   la  Poitrine  (dan  zhong  膻中   )  a   la  charge  des  agents  sur     place  et  en  missions  (  chen  shi  臣使  );  l'allégresse  et  la  joie  (  xi  le  喜樂  )     en  procèdent.  "  (Suwen  8)  

Pour  allégresse  et  joie,  consulter  plus  loin  le  ch.  :  Les  émotions  du  Cœur.  

Danzhong   (  膻中   )   est   le   milieu   de   la   poitrine,   là   où   est   habituellement  située   la   mer   des   souffles   de   la   poitrine.   Cette   mer   des   souffles,   lieu  d'accumulation  des  souffles  ancestraux  (  zong  qi  宗氣  ),  dirige  les  souffles  de  tout  le  corps  à  partir  des  régions  hautes  du  tronc,  où  trône  le  Cœur  avec  

                                                                                                               5.  Les   lignées  ancestrales  (zong  宗   )  sont   la  base  de  la  société  et   la  fondation  de  l'Empire;  elles  pourraient   être,   dans   l'organisme,   les   principes   directeurs   qui   maintiennent   la   continuité,   la  cohérence   dans   le   travail   des   souffles   (souffles   ancestraux,   zong   qi   宗氣   ),   dans   la   force  musculaire  (muscle  ancestral,  zong  jin  宗筋  )...  etc.  Leur  affaiblissement  désorganise  l'être.  

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son  ministre  d'Etat,  le  Poumon6.  

  "Danzhong  (  膻中  )  est  la  mer  des  souffles  (  qi  hai  氣海  )."  (Lingshu  33)  

La  mer  des  souffles  est  l'union  des  souffles  qui  viennent  directement  du  Ciel  par  la  respiration  et  ceux  qui  viennent  de  la  Terre  par  la  transformation  des  aliments.   Une   compénétration   yin/yang   se   réalise   donc   constamment   en  cette  mer,  qui  donne  aux  souffles  leur  qualité  et  leur  rythme.  L'harmonieuse  composition   réalisée   dans   la   mer   des   souffles   représente   le   yin/yang   à  l'œuvre  dans  le  corps  et  l'équilibre  des  couples  :  sang  et  souffles,  nutrition  et  défense  ...    

Le  rythme  correct  qui  en  émane  se  perçoit  à  la  régularité  de  la  respiration  du  Poumon  et  à  celle  des  battements  du  Cœur.  Il  y  a  donc  un  effet  sur  place,  dans  la  poitrine,  sur  le  Poumon  et  le  Cœur,  et  un  effet  à  distance  dans  toutes  les   circulations,   commandées   depuis   la   poitrine   et   parcourant   le   corps.  L'harmonie  de  la  composition  des  souffles,  mettant  la  vie  dans  son  rythme  naturel,   est   aussi   la  meilleur   façon  de   servir   le  Cœur,   de   lui   permettre  de  commander  la  vie  telle  qu'elle  doit  se  dérouler  et  de  le  protéger  de  tout  mal.  

La  différence  de  fonction  entre  la  mer  des  souffles  et  le  Poumon7  n'est  pas  facile  à  faire;  souvent  elle  ne  s'impose  pas.  Poumon  comme  Danzhong  sont  des  assistants,  hauts  placés,  du  Cœur.  L'un  comme  l'autre  servent   le  Cœur  en   assurant   l'équilibre   yin/yang   des   souffles   qui   s'accumulent   dans   la  poitrine  et  en  régulant  les  mouvements  qu'ils  impulsent  à  la  respiration,  au  Cœur  et  à  toutes  les  circulations.  Les  méridiens,  qui  règlent  les  mouvements  de  sang  et  souffles,  commencent  avec  le  méridien  du  Poumon  et  dépendent  de  la  mer  des  souffles  de  la  poitrine;  les  pulsations  qui  font  circuler  sang  et  souffles   sont   régulés   à   chaque   aube   par   le   Poumon8,   mais   sont   aussi   la  manifestation  du  bon  (ou  mauvais)  fonctionnement  de  la  mer  des  souffles.  

De  toute  façon,  sang  et  souffles  ne  sont  pas  séparables,  que  le  sang  dépende  du  Cœur  et   les   souffles  du  Poumon,  ou  que   sang  et   souffles   se   retrouvent  ensemble  dans   la  poitrine   sous   l'autorité  du  Cœur  et  de   son  assistant.  On  peut   simplement   remarquer   que   le   Poumon   n'intervient   pas   directement  sur  le  sang;  il  n'agit  que  sur  les  souffles  qui  le  conduisent.    

                                                                                                               6.   Le  même   caractère   (xiang  相)   est   utilisé   pour   le   Feu  ministre   (   xiang   huo  相火   )   et   pour   le  Poumon,  ministre  et  chancelier  (xiang  fu  相傅  )  du  Cœur.  7.  "Le  Poumon  a  la  charge  du  ministre  et  chancelier;  le  contrôle  des  rythmes  en  procède."  (Suwen  ch.8)  8.   "les   souffles   des  mai   (脈)   s'écoulent   aux  méridiens   (   jing  經);   les   souffles   des  méridiens   se  reportent  au  Poumon;  le  Poumon  reçoit  en  audience  les  Cent  mai."  (Suwen  21)  

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Par  contre  les  protections  et  connexions  du  Cœur  (  xinbaoluo,  cf  plus  loin)  sont  une   fonction  agissant  directement   sur   le   sang.  On  pourrait  alors  dire  que  Danzhong,  mer  des  souffles  sur  le  Renmai9,  représente  la  convergence  du  yin  et  du  yang  en  mouvement  dans  le  corps,  tant  il  est  vrai  qu'il  n'y  a  pas  de   souffles   actifs   en  un   corps   sans  des   substances  qui   leur  permettent  de  s'activer,   et   que   ces   mêmes   substances   ne   sont   plus   "incorporées",  fructueusement   présentes   dans   l'organisme,   si   elles   ne   se   laissent   plus  compénétrées,  animées  et  transformées  sans  cesse  par  les  souffles.  

En   Suwen   8,   on   insiste   davantage,   pour   le   Poumon,   sur   la   rythmique   des  souffles,   et   on  donne   à  Danzhong   le   rôle  de  propager  partout   la   présence  mystérieuse  et  vivificatrice  du  Cœur  et  de  ses  Esprits,  à   travers   toutes   les  circulations   qui   se   commandent   au   Réchauffeur   supérieur   :   yin   et   yang,  sang  et  souffles,  nutrition  et  défense.  

Agents  sur  place  et  en  mission  convient  donc  bien  au  double  aspect  du  rôle  de  Danzhong  :  

-­‐  D'un  côté,  ses  souffles  sont  là  pour  aider  le  Cœur  à  battre  et  à  pulser,  pour  conduire  vers  lui  les  sucs  dont  il  se  nourrit  et  fait  le  sang.  

-­‐   D'autre   part,   ses   souffles   servent   aussi   à   toutes   les   circulations   qui  investissent   le   corps   et   ses   organes;   ils   insufflent   et   soutiennent   le  mouvement.  Mais   leur   relation  au  Cœur   leur  permet  également  d'inspirer  une  orientation  ou  un  sentiment  de  vie  qui  prend  naissance  au  tréfonds  du  Cœur,   là   où   se   tiennent   les   Esprits.   Ce   qui   sort   du   Cœur,   ce   n'est   pas  seulement   le   sang,   c'est   l'allégresse   et   la   joie,   c'est   ce   qui   éclaire   la   vie   et  permet  à  la  conscience  de  fonctionner.  

On  voit  que  les  analogies  avec  les  enveloppes  protectrices  et  connexions  du  Cœur  (  xin  bao  luo  )  sont  fortes.  Danzhong  est  même  parfois  explicitement  doté  d'un  rôle  de  protection  :  

  "Poitrine  et  ventre  (  xiong  fu  胸  腑  )  sont  les  remparts  des  zang  et  des     fu.   Danzhong   est   le   palais   impérial   (   gong   cheng  宮城   )10   du   Cœur-­‐   maître    (  xin  zhu  心主  )."  (Lingshu  35)  

                                                                                                               9. Danzhong  est  aussi  le  nom  et  l'emplacement  du  point  RM  17.  La  mer  des  souffles  se  trouve  très  naturellement  sur  le  méridien  extraordinaire  responsable  du  yin,  car  le  yang  toujours  se  renouvelle  grâce  au  yin  et  en  provient.  10.  Terme  qui  sera  employé  pour  désigner  la  "Cité  interdite",  résidence  des  Empereurs,  à  Pékin.  

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La   meilleure   défense   du   Cœur   n'est-­‐elle   pas   de   continuer   à   battre,  régulièrement,   car   tout   l'organisme   coopère   harmonieusement   à   la  formation  équilibrée  des  souffles  de  la  poitrine.  Le  rayonnement  du  Cœur,  en  retour,  fera  que  chaque  organe  se  comporte  encore  mieux.  

 

Danzhong  et  Xinbaoluo  

Dans   l'expression   "enveloppes   protectrices   et   connexions   propres   au  Cœur"  (  xin  bao  luo  心包絡  ),  qui  tient  habituellement  la  place  du  douzième  viscère,   au   lieu   de   Danzhong,   on   retrouve   le   même   double   aspect   :   les  enveloppes   sont   pour   la   protection   sur   place,   et   les   connexions   pour   la  communication,  la  circulation,  la  propagation  au  loin.  

  "A   l'extérieur   du   Cœur   il   y   a   des   graisses   qui   enveloppent   (bao   guo  包裹  )     le  Cœur;  on   les  nomme:  protections  du  Cœur  (xin  bao  心胞   )."  (Taisu)  

  "Le  Maître-­‐Cœur  (xin  zhu)  est  en  relation  avers/revers  (biao   li  表裡   )  avec     le  Triple  Réchauffeur;   ils   ont   un  nom   (ming  名   )  mais  pas  de   forme  (wu     xing  無形  )."  (Nanjing  25)  

Forme   (Taisu)   ou   non   forme   (Nanjing)   ?   Ou   fausse   question.   Il   y   a   la  fonction,  le  mouvement  de  souffles  qui  pulse  le  sang  et  c'est  l'essentiel;  mais  il   y   a   des   manifestations   sensibles   de   ce   fonctionnement   comme   les  vaisseaux  sanguins.  Les  vaisseaux  sanguins  font  partie  de  la  circulation  du  sang  et  souffles,  mais  on  ne  peut  réduire  le  sang  et  souffles,  ni  les  méridiens  qui   les  guident,   à   ces  vaisseaux.  De  même,   les  graisses  qui  enveloppent   le  Cœur   peuvent   protéger   le   Cœur   anatomique.   Mais   l'important   se   trouve  dans  la  relation  fonctionnelle  du  Cœur-­‐souverain,  maître  de  la  conscience  et  de  la  vie,  avec  ses  moyens  d'expression.  

Les  vaisseaux  sanguins  font  partie  de  la  circulation  du  sang  et  souffles,  mais  on  ne  peut  réduire  le  sang  et  souffles,  ni  les  méridiens  qui  les  guident,  à  ces  vaisseaux.  De  même,  les  graisses  qui  enveloppent  le  Cœur  peuvent  protéger  le   Cœur   anatomique.   Mais   l'important   se   trouve   dans   la   relation  fonctionnelle  du  Cœur-­‐souverain,  maître  de  la  conscience  et  de  la  vie,  avec  ses  moyens  d'expression.  

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LA PEUR - 恐 - KONG

LA PEUR ET LES REINS

La peur correspond aux Reins. Le mouvement de souffles caractéristique de la peur est analogue à celui de l'élément Eau, quand celui-ci n'est plus équilibré.

Peur et crainte, on les éprouve très normalement : sage crainte et prudence bienvenue, qui font mesurer les conséquences d'une action. C'est le mouvement de l'Eau qui retient à l'interne, tire vers le bas pour maintenir solidement les assises de la vie. Mais si ce mouvement n'est pas correctement équilibré par les autres, s'il est trop intense, alors c'est l'affaissement sans retenue, la descente sans contrôle. Ce n'est plus la saine immobilité qui contient tout, mais l'absence de réaction et de rétention. On ne sait plus où donner de la tête, tout s'écroule et s'affaisse; on ne sait pas où ni quand donner le moindre coup d'arrêt; l'initiative est devenue comme impossible et tout se dérobe, tout semble irrémédiable et perdu d'avance. La peur est une émotion qui ronge petit à petit la joie de vivre, le sentiment d'appartenir avec confiance à la vie. Elle sape la base, attaquant les Reins qui sont la fondation, le fondement de la vie.

Ainsi, la peur qui nous saisit brutalement déséquilibre en nous le mouvement normal de l'eau, des Reins. Inversement, une détèrioration lente des Reins peut mener à un état psychologique de crainte, de peur :

“La peur (kong 恐) porte atteinte aux Reins” (Suwen 5)

“Quand les souffles du Shaoyin de pied, Reins, sont en insuffisance, on est enclin à la peur (shan kong 善恐), le Cœur est craintif (xin ti ti 心惕惕) comme un homme sur le point d'être appréhendé.” (Lingshu 10)

L'insufisance du méridien des Reins conduit à une diminution des essences et des souffles des Reins. Les souffles ne peuvent plus soutenir le travail sur les essences; les essences ne peuvent plus soutenir le renouvellement des souffles et la richesse du sang et des liquides. Les Reins perdent leur esprit, le vouloir; ils ne donnent plus de fondement et de sécurité. En même temps, le manque consécutif de sang dans le Foie entraîne une agitation nerveuse, une anxiété permanente. On retrouve là une caractéristique de la pathologie du Shaoyin pied : le yin se dérègle générant froid ou immobilité; et en même temps apparaissent une instabilité, une impossibité à s'arrêter ou se reposer. C'est la personne exténuée, mais incapable de “se poser” cinq minutes sur une chaise; son esprit ne sait plus se fixer, ni son corps se tenir tranquille.

Les effets de la peur

La peur soudaine fait palpiter le Cœur, qui bat fortement dans la poitrine. C'est ce que montre le caractère pour la peur, kong 恐 : avoir le Cœur 心 qui bat, soumis à des coups répétés, comme quand on construit un ouvrage 工 par attouchement réitérés, par petits coups 丮 .

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Le déséquilibre de souffles qui résulte de la peur est bien décrit dans le Suwen :

“Quand il y a peur, les souffles descendent. [......] Quand il y a peur, les essences se replient; se repliant, alors le Réchauffeur Supérieur se ferme; se fermant, alors les souffles s'en retournent; s'en retournant, alors le Réchauffeur Supérieur est gonflé. C'est ainsi que les souffles ne circulent pas.” (Suwen 39)

La peur soudaine, inattendue, est comme un coup porté en plein ventre qui dissocie les souffles et les essences, perturbant ainsi l'alliance harmonieuse du yin et du yang. Les souffles, qui ne sont plus fixés par les essences, se précipitent vers le haut et encombrent le Réchauffeur Supérieur; leur contre-courant ascendant bloque les descentes, gêne la distribution des souffles, empêche leur circulation; ce qui fait que le Réchauffeur Supérieur est congestionné, fermé et gonflé. Le désordre dans les souffles au niveau de la poitrine, là où s'élabore la conscience, résulte en palpitations, en agitation et panique. De leur côté, les essences - c'est-à-dire l'expression corporel du yin : liquides, substances ...etc. - ne sont plus tenues par les souffles et s'affaissent vers le bas. Le manque de souffles dans le Réchauffeur Inférieur est analogue à une faiblesse du yang des Reins; les ouvertures et fermetures des orifices inférieurs ne sont plus maîtrisées, les matières ne sont plus retenues; ce qui explique les relâchements des sphincters que l'on observe en cas de grande peur.

En bas, dans le domaine des Reins, il n'y a plus de souffles, il y a un vide de yang. En haut, dans le domaine du Cœur, il n'y a plus d'essences, il y a un vide de yin.

Ainsi, le mouvement des souffles est perturbé par la peur de telle sorte que les souffles n'assurent plus l'équilibre entre la montée et la descente. En conséquence, la relation entre le Cœur et les Reins, le Feu et l'Eau n'est plus assurée. Le grand axe de la vie, entre origine et expression concience de la vie personnelle, est perturbé.

Un yin sans yang

On pourrait aussi dire que la peur vide le yin du yang qui doit normalement toujours demeurer en son sein. De même que le trigramme de l'eau, kan ☵, se compose d'une ligne yang (continue) entre deux lignes yin (brisées), l'élément Eau, représenté par les Reins, est normalement une eau animée d'un courant, des essences travaillées par des souffles; ce que nous trouvons dans l'alliance du yin et du yang des Reins. La peur déracine le yang, pulse les souffles vers le haut, les rendant incapables de continuer à habiter le bas et les essences des Reins.

A l'inverse, le trigramme du feu, li ☲, se compose d'une ligne yin (brisée) entre deux lignes yang (continues). Le Feu, représenté par le Cœur, est normalement une puissance de circulation et de réchauffement, mais exprimée dans la substance du sang. L'allégresse (xi 喜) détruit la présence du yin, la possibilité de garder à l'interne; vide de yin qui entraîne finalement un vide de souffles.

Rupture des communications entre Cœur et Reins

La peur est donc rupture des communications bénéfiques entre haut et bas, entre Cœur et Reins. Les essences, privées de dynamisme, ne s'élèvent plus. Les Esprits du Cœur, ne jouissant plus du support des essences des Reins, s'égarent, s'affolent et la conduite est

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insensée. Il n'y a plus d'accès à la mémoire, de retour possible à une pensée construite à travers la Rate; il n'y a plus d'analyse correcte de la situation grâce au Foie, mais juste une urgence de fuir. Surtout, il n'y a plus de quoi soutenir les esprits vitaux, cette subtile alliance, sans cesse renouvelée, d'essences et d'esprits (jing shen 精神). Quand les essences ne peuvent plus rendre présents les esprits, alors c'est la clarté et la pertinence de la conscience et de la pensée, des réactions, des jugements et des conduites qui s'égarent.

Les mouvements du corps ne sont plus commandés par la conscience : si les souffles sont faibles, les jambes - et même tout le corps - ne peuvent plus se mouvoir. Il ne peut pas y avoir de vouloir réel de bouger, un vouloir maîtrisé et puissant ne peut plus exister puisque les Reins sont faibles et qu'ils ne communiquent plus avec le Cœur; il n'y a pas assez de circulations de souffles pour effectuer le mouvement. Il est souvent impossible de déterminer la part de faiblesse du vouloir et celle de faiblesse des souffles, car c'est tout un, c'est la même faiblesse des Reins qui s'exprime. Si les souffles sont forts, ou pulsés vers l'extérieur, ils agitent les membres comme ils font palpiter le Cœur; on fuit, on court, mais n'importe où, car la conscience n'éclaire pas la conduite.

On oppose la crainte qui fait trembler et la paix qui réjouit le Cœur. Peur et crainte, c'est l'insécurité, l'absence de tranquillité, la disparition de la joie de vivre.

Cette rupture peut venir d'une émotion violente, causée par un choc extérieur. Elle peut aussi venir d'une dégradation lente mains inexorable d'un état psychologique. Elle est parfois le résultat d'un état physiologique de faiblesse.

“En cas de blocage (bi 痹) au Cœur, les mai ne circulent plus aisément; s'il y a malaise, sous le Cœur cela fait comme un tambour; il y a brutale remontée des souffles et dyspnée; la gorge est sèche et on a tendance à éructer; quand les souffles en fléchissement (jue qi 厥氣) remontent, il y a peur.” (Suwen 43)

Les souffles en fléchissement sont les souffles qui n'atteignent plus les endroits où ils devraient fonctionner. S'il y a contre-courant ascendant du Cœur, cela signifie que ce qui devrait descendre, à partir du Cœur, est empêché de le faire. L'échange entre Cœur et Reins se trouve donc compromis. Les Reins ne recevant plus l'impulsion du feu du Cœur perdent de leur force et ne dominent plus leur vouloir propre : la peur s'empare d'un Cœur devenu incapable de se conduire en maître.

On peut également y voir un vide : le Feu du Cœur va user jusqu'aux souffles, les “dévorer”, causer un vide, qui laissera le froid et l'Eau des Reins gagner tout les étages du tronc; la peur s'installe alors dans un Cœur qui est comme glacé.

Les effets d'un peur violente

“Paroles pleines de fureur (kuang yan 狂言), tressauts convulsifs (jing 驚), tendance à rire, on aime bien chanter gaiment, on fait n'importe quoi ( wang xing 妄行), sans trêve : cela se contracte par une grande peur (da kong 大恐). On traite en prenant les Yangming, Taiyang et Taiyin de main.” (Lingshu 22)

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Une peur violente et soudaine bloque les souffles dans le Réchauffeur Supérieur, où un yang trop fort trouble le Cœur et perturbe son fonctionnement : les paroles ne sont plus sereines et justes, le rire n'est plus sain; la maladie des Reins s'est transmise au Cœur. Le blocage ressenti dans la poitrine et au diaphragme pousse à chanter pour déployer les souffles; on chante avec une sorte d'excitation joyeuse due à l'excès de yang du Cœur. Pour la même raison, le mental est agité et incertain; on est poussé à des activités incessantes, mais désordonnées, irraisonnables. Le traitement indiqué dans le Lingshu vise à disperser la plénitude pathologique dans la poitrine et à clarifier la chaleur résultant du blocage de souffles, mais aussi à soutenir les Reins.

La peur qui s'élabore petit à petit

Un sentiment, une tendance peut facilement dégénérer et conduire à une véritable pathologie. Le Lingshu, ch.8, décrit comment une telle évolution mène à une peur qui s'intalle dans les moindres fibres de l'être :

“Quand le Cœur est en proie à l'appréhension et l'anxiété, soucieux et préoccupé, alors se produit une atteinte aux esprits. Les esprits atteints, sous l'effet de la peur et de la crainte (kong ju 恐懼), on perd possession de soi-même, les formes rebondies se décharnent et la masse des chairs et ravagée.”

Etre méticuleux et consciencieux, craindre de mal faire, de n'être pas à la hauteur, de commettre une erreur n'est pas en soi pathologique, si cela ne devient pas obsessif. Mais si, petit à petit, toute la pensée est occupée par l'appréhension de faillir, on redoute constamment qu'il n'arrive quelque chose de fâcheux ou de dangereux; alors c'est tout le fonctionnement du mental qui est perturbé. Il n'y a plus de liberté dans la pensée puisqu'on ne peut pas se détacher de ses soucis, qu'on est toujours aux aguets. La Rate est incapable de fonctionner correctement, bloquée par les préoccupations anxieuses; elle ne permet plus les glissements et mutations de la pensée, elle ne distribue plus les liquides et nutriments qui nourrissent les chairs et la forme corporelle.

Mais l'atteinte est plus profonde; l’épuisement de la Rate s’enfonce dans les Reins qui sont affaiblis par cette peur grandissante. Les Reins atteints, les essences perdent leur qualité et les esprits ne peuvent plus être présents. Alors on perd possession de soi-même, on n'est plus soi-même. La peur rend incapable de faire retour à soi, à sa base et à son origine. Elle appauvrit la source de vie et rend impotentes les essences commandées par les Reins. Les esprits n'ont plus de demeure et de repos; ils ne peuvent plus, par leur présence, susciter les esprits vitaux (jing shen 精神) qui sont l'expression d'une vie personnelle réelle, authentique. Les esprits du Cœur ne peuvent plus rayonner; conséquence de ces affaiblissements successifs, de ce recroquevillement sur le bas : on se terre, on ne se montre plus à la lumière et la lumière ne se montre plus.

La crainte, ju 懼, est le sentiment intérieur 忄 (= 心 le cœur) semblable à celui des petits oiseaux 隹 ouvrant de grands yeux craintifs 目 pour maintenir la vigilance nécessaire à leur conservation : crainte, inquiétude, redouter.

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“Sous l'effet d'une peur et d'une crainte (kong ju 恐懼) dont on n'arrive pas à se libérer, alors se produit une atteinte aux essences. Les essences atteintes, les os sont courbatus, l'impotence va jusqu'au fléchissement. Par moment, les essences descendent toutes seules.” (Lingshu 8)

La peur s'enracine, l'atteinte persiste; les essences des Reins sont détèriorées; elles ne donnent plus robustesse et richesse aux os et à la moelle; elles ne soutiennent plus les liquides et le sang qui nourrissent les mouvements musculaires, d'où les impotences - qui englobent toutes sortes de paralysies flasques, mais aussi l'impuissance sexuelle; elles ne permettent plus le renouvellement des souffles des Reins (fléchissement)1, laissant les substances vitales se perdre, comme dans la spermatorrhée.

La peur devient une peur de vivre, car le vouloir-vivre lui-même est miné.

LA PEUR ET FOIE/VÉSICULE

La peur envahit le Foie-Bois, qui ne trouve plus de quoi prendre son élan sur une base (Reins-Eau) déficiente. Elle s'oppose alors à l'ardeur impétueuse du Foie, au mâle courage de la Vésicule biliaire.

“Quand les souffles du Foie sont en vide, il y a peur (kong 恐).” (Lingshu 8)

“Quand le Foie est malade : douleur sous les côtes des deux côtés, irradiant au bas-ventre; tendance à se mettre en colère. En cas de vide, la vue se trouble, l'œil ne voit plus, l'oreille n'entend plus. On a facilement peur (shan kong 善恐), comme un homme sur le point d'être appréhendé (ren jiang bu zhi 人將捕之). On prend aux méridiens Jueyin et Shaoyang.” (Suwen 22)

Le Foie et la Vésicule ne sont plus nourris par le yin des Reins; ils perdent leur force, mais succombent à une agitation très profonde qui vient de l'absence des essences des Reins; comme le mal vient de la faiblesse des Reins, cette agitation se manifeste comme une inquiétude constante, le sentiment permanent d'être poursuivi, signe d'une déficience grave de la Vésicule, en proie à la lâcheté et la couardise.

La peur fait partie des symptômes de la pathologie par vide de la Vésicule Biliaire :

“Maladie de la Vésicule Biliaire : on a tendance à prendre de grandes respirations; la bouche est amère, on vomit des sucs, angoisses sous le Cœur (xin xia dan dan 心下澹澹), on a peur comme un homme sur le point d'être appréhendé (kong ren jiang bu zhi 恐人將捕之); il y a des obstacles et des bruits rauques dans la gorge et on crache fréquemment.” (Lingshu 4)

                                                                                                               1 On appelle "fléchissement" ou "reflux" jue 厥 une faiblesse, un vide à l'interne qui fait que ce qui devrait être distribué, à partir de cet interne, ne peut pas atteindre tous les territoires à parcourir. La carence ainsi créée, laisse libre le terrain à l'intrusion de pervers. Ici, ce fléchissement peut être un refroidissement, commençant aux extrémités des Quatre membres.

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L'incapacité des Reins à soutenir l'élan vital du Bois se traduit par une faiblesse de ces souffles, et plus particulièrement dans leur aspect yang : la Vésicule Biliaire. Ce qui manque alors c'est l'ardeur généreuse, le courage d'aller de l'avant, la capacité à “foncer”; quand elle est gravement absente, l'équilibre du mental n'a plus d'allant et n'ose plus rien. La pathologie de l'élément mère (Eau) se transmet ainsi au fils (Bois).

Une atteinte sur le Jueyin de pied, méridien du Foie, peut aussi entraîner des états mentaux plein de peur et de crainte, signe de l'insuffisance des souffles du Foie et de la faiblesse des Hun2.

LA PEUR ET ESTOMAC/RATE

“L'Estomac fait les souffles en contre-courant (qi ni 氣逆), les éructations (yue 噦) et les peurs (kong 恐).” (Suwen 23)

Si la chaleur s'installe dans l'Estomac, un effet possible du contre-courant ainsi induit est de vider le bas pour congestionner le haut, et donc de créer une situation analogue à celle de la peur.

“Quand la Rate est annexée (occupée indûment), on s’inquiète (wei 畏). (Suwen 23)

“Quand il y a peur (kong 恐), les souffles de la Rate chevauchent (cheng 乘, empiètent sur les Reins).” (Suwen 19)

Quand le centre, l'élément Terre correspondant à Rate/Estomac, est vide, il ne joue plus correctement son rôle d'intermédiaire entre le haut et le bas, de plaque tournante des échanges entre les organes. Si le froid s'installe, il ne peut pas résister à l'envahissement par les pervers de l'eau, c'est-à-dire au mouvement des Reins qui attire trop fortement les essences vers le bas, faisant refluer les souffles vers le haut. C’est le cycle de mépris, dans lequel la Rate est attaquée par ce qu'elle devrait dominer : les Reins. L'Eau déséquilibre la Terre, élément qui devait normalement la contrôler.

LA PEUR PROTEIFORME

La peur peut venir de multiples causes et affaiblir différents organes. Le Suwen 21 en donne un aperçu, qui nous servira de conclusion :

“Chez l'homme, l'effroi et la peur (jing kong 驚恐), l'irritation et la fatigue (hui lao 恚勞), l'agitation ou la tranquillité (dong jing動靜), provoquent tous des altéra-tions. Ainsi donc, si l'on s'active de nuit, la dyspnée (chuan 喘) sort des Reins, les souffles déréglés (yin qi 淫氣) rendent malade le Poumon.

                                                                                                               2 Cf par ex. Suwen 36.

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Si la peur (kong 恐) est due à une chute, la dyspnée sort du Foie, les souffles déréglés endommagent la Rate. Si la peur est due à l'effroi, la dyspnée sort du Poumon, les souffle déréglés portent atteinte au Cœur. Si l'on passe à gué et qu'on tombe, la dyspnée sort des Reins et des os. C'est pourquoi tout dépend des circonstances : si l'on est courageux (yong 勇), les souffles circulent et c'est tout; mais si l'on est lâche, ils s'attardent, ce qui entraîne des maladies. Ainsi dit-on : La méthode (dao道) pour diagnostiquer les maladies consiste à observer le courage ou la lâcheté du patient, les os et les chairs, les couches de la peau, afin de pouvoir connaître ses dispositions intimes (qing 情). Voilà la règle du diagnostic.” (Suwen 21)

Le Foie maîtrise l’activité musculaire et les Reins, les os. Une chute lèse musculaire et os. La peur fait s'effondrer les souffles des Reins. L'Eau ne peut plus engendrer le Bois; le yang du Foie n'est plus équilibré et il monte en contre-courant, troublant le Poumon sur son passage. La dyspnée, exprimée au Poumon, a son origine au Foie, doublement atteint au yin par la chute : dans le sang des muscles et dans l'appauvrissement du yin qui lui vient des Reins. Le contre-courant du Foie endommage la Rate, selon le processus habituel.

Le Cœur thésaurise les esprits. Selon le Suwen ch.39, en cas de frayeur, d'effroi (jing 驚), les esprits n'ont plus où se reporter, le désordre s'installe dans les souffles de la poitrine. Le Poumon est le maître des souffles; ses souffles se mettent en contre-courant, ce qui occasionne la dyspnée. La peur porte atteinte aux Reins et, en contre-coup, au Cœur, car il y a montée en puissance perverse du froid de l'Eau des Reins.

Si l'on est courageux, brave, les souffles circulent et il n'y a pas de développement de symptômes ou de maladies. On n'est pas “touché au centre”. Mais si l'on est lâche, que les souffles de la Vésicule sont trop faibles pour donner l'orientation juste, il y a moins de forces correctes pour s'opposer au mouvement pervers des souffles.

Dnas le diagnostic, connaître les dispositions intimes, les sentiments du patient est fondamental. Cela permet de savoir non seulement quels sont les mouvements de souffles perturbés, mais aussi comment les souffles, que l’on touchent par le traitement, vont réagir.  

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I.  LES  HUN  ET  LES  PO  DANS  LA  CULTURE  CHINOISE  

1.  L'ÂME  UNIQUE  ET  LES  ÂMES  DU  CIEL  ET  DE  LA  TERRE  

Hun   et   Po   sont   les   noms   donnés   traditionnellement   en   Chine   aux   âmes   de   l'homme.  L'homme  aurait  donc  deux  «  âmes  »  et  même  plus  exactement  deux  groupes  d'âmes  car  ni  Hun  ni  Po  ne  réfère  à  une  entité  unique,  mais  plutôt  à  un  ensemble.  On  parle  en  effet  des   Trois   Hun   et   des   Sept   Po.   Nous   reviendrons   sur   la   valeur   symbolique   de   ces  nombres,  mais  il  est  évident  que  les  âmes  sont  non  seulement  différentes  mais  multiples  en  l'homme.  

Cela  n’entre  pas  dans  les  habitudes  de  penser  occidentales.  En  effet,  quand  nous  parlons  d’«  âme  »,  nous  avons  l’idée  d’un  principe  unique,  certes  difficile  à  définir,  mais  que  nous  sentons  cependant  au  centre  de  ce  que  nous  sommes  :  mon  âme,  c’est  moi,  ce  que  je  suis,  ma  vie  et  ma  survie.  

En   Occident,   la   notion   d’âme   est   d’abord   religieuse.   C’est   le   principe   spirituel   de  l’homme,  conçu  comme  séparable  du  corps,  immortel  et  jugé  par  Dieu.  Le  corps  meurt  et  l'âme  survit;  je  survis  à  la  disparition  du  corps  qui  n'était  que  le  vaisseau  ou  la  prison  de  mon  âme  pendant  le  temps  de  la  vie  sur  terre.    

La   philosophie   s’approprie   la   notion   en   en   faisant   l’un   des   deux   principes   composant  l’homme   :   principe   de   la   sensibilité   et   de   la   pensée,   opposé   au   corps   et   pourtant   ne  s’exprimant  que  par  lui.  

«  Nous  sommes  composées  de  deux  natures  opposées,  d’âme  et  de  corps.  »  

L’âme  peut  alors  être  aussi  comprise  comme  le  principe  de  la  vie  morale,  la  conscience  morale.  Et  plus  récemment,  au  XXe  siècle,  comme  l’ensemble  des  fonctions  psychiques  et  des  états  de  conscience.  

De  nombreuses  expressions  du  langage  nous  rapelle  les  différentes  facettes  de  l'emploi  de  ce  mot  :  «  la  force  d’âme  »,  «  mon  âme  est  triste  ce  soir  »,  «  rendre  l'âme»,  «  en  mon  âme  et  conscience  »;  on  parle  d'une  belle  âme  ou  d'une  âme  noire  ou  encore  d'une  âme  damnée,  de  l'âme  d'un  pays  ou  d'une  entreprise,  etc.    

L'âme   est   donc   étroitement   liée     à   la   sensibilité,   aux   sentiments   (états   d’âme),   à   la  connaissance,  à  la  perception  juste  et  au  jugement  correct  (loi  morale),  à  l’ensemble  de  la  personne  et  de  ses  forces  vives  (de  toute  mon  âme),  à  l’identité  d’une  personne  (une  belle  âme,  avoir  l’âme  d’un  roi  ou  d’un  valet)  telle  qu’elle  est  et  se  forge,  telle  qu’elle  va  se  présenter  pour  l’éternité.  

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Si   l'âme   détermine   ma   vie   présente,   qui   se   termine   quand   je   rends   l'âme,   elle   est  également   ce  qui   survit   après   la  mort;   les   âmes  des  morts1   sont  vécues  par  beaucoup  comme  une  réalité,  sans  parler  bien  sûr  des  âmes  errantes  et  des  fantômes  des  contes  et  légendes  de  notre  enfance.  

Aucun  caractère  -­‐  ou  expression  -­‐  chinoise  ne  rend  exactement  cette  notion  d’âme.  

Cependant,   si   l'on   traduit   couramment   le   termes   chinois   de  Hun   et   Po   par   «   âmes   »2,  c'est   qu'on   y   a   trouvé   assez   de   concordances   avec   le   sens   du   mot   français;   et   il   y   a  effectivement  des  convergences;  mais  qui  ne  gomment  pas  les  différence  qui  subsistent  dans   l'approche   de   cette   notion   et   qui   tiennent   fondamentalement   à   la   vision   et   à  l'interprétation  du  monde  propres  à  chacune  de  deux  civilisations.  

Du  côté  des  convergences,  on  touve   la  notion  d'animation,  racine  du  mot   français  âme  (anima  en  latin).  L'âme  est  ce  qui  anime  ma  vie.  Les  Hun  et  le  Po  sont  ce  qui,  ensemble,  permettent   aussi   l'animation  de  ma   vie.   L'âme   est   liée   à   ce   qui   permet   de   vivre   et   de  survivre.   Les  Hun   et   les   Po   sont   aussi   ce   qui   subsistent   après   la  mort   comme   esprits  lumineux   du   Ciel,   mânes   des   ancêtres,   comme   âme   errantes   ou   même   démons  redoutables.    

Les  âmes  Hun  et  Po  sont  donc  très  importantes  durant  la  vie  mais  plus  encore  après  la  mort.  La  mort  est  précisément  la  séparation  des  âmes  Hun  et  des  âmes  Po,  les  unes  et  les  autres  retournant  à  leur  lieu  d’appartenance.    

Du   côté   des   différences,   on   trouve   en   premier   cette   pluralité   d'âmes   et,  fondamentalement,   leur  dualité.  Dans   la  vision  chinoise,   la  vie  se   forme  au  croisement  du  Ciel  et  de  la  Terre;  l'homme  est  constitué  d'une  part  céleste  et  d'une  part  terrestre.  

On  peut  certes  concevoir  la  part  céleste  comme  son  esprit  vital,  ses  facultés  mentales,  sa  conscience,   et   la   part   terrestre   comme   le   corps.   Ce   que   l'on   trouve   par   ex.   dans   le  Huainanzi  ch.7  :  

«   Or,   les   Esprits   vitaux   (jingshen  精神)   sont   un   don   du   Ciel   tandis   que   la   forme  corporelle  (xing  ti  形體)  est  fournie  par  la  Terre.  »  

Cependant,  on  peut  parler  en  terme  d'âme  non  seulement  de  l'esprit  vital  mais  aussi  de  la  forme  corporelle.  Il  y  a  ce  qui  permet  l'animation  spirituelle  -­‐  et  ce  sont  les  âmes  Hun,  célestes  -­‐  et  ce  qui  permet  l'animation  corporelle  -­‐  et  ce  sont  les  âmes  Po,  terrestres.  Ce  que  dit  fort  bien  un  autre  passage  du  même  Huainanzi  :  

                                                                                                               1 Voir  par  ex.  l'expression    «all  souls»  en  anglais  pour  parler  des  défunts,  de  ceux  dont  on  se  souvient  le    «jour  des  morts»  (2  novembre).    2  Nous  verrons  plus  loin  comment  cette  traduction  se  précise  selon  que  l'on  parle  des  Hun    «âmes  spirituelles»  ou  des  Po    «âmes  corporelles».  Signalons  également  que  plusieurs  autres  caractères  chinois  peuvent  aussi  être  traduits  en  français  par  le  mot  âme  lorsque  le  contexte  le  demande;  par  exemple,  shen  (esprits,  神),  qi  (souffles,  氣),  xin  (cœur,  心),  ling  (靈),  etc.  De  même,  si  l'on  veut  traduire  le  mot  âme  en  chinois,  plusieurs  options  s'offriront  à  l'interprète  contemporain.  

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«  Les  souffles  célestes  (tian  qi  天氣)  forment  l’âme  spirituelle  (hun  魂�);   les  souffles  Terrestres  (di  qi  地氣),  l’âme  corporelle  (po  魄).  Qu’ils  fassent  retour  à  leur  demeure  primordiale  et  chacune  gardera  son  logis.  »  (Huainanzi  ch.9)  

Qu’est-­‐ce  qu’une  âme  corporelle  ?  Un  oxymoron  en  français  selon  notre  conception.  Mais  une  évidence  et  une  nécessité  selon  la  conception  chinoise  ancienne.  

La   seconde  phrase   indique  que   la  mort   est   le  moment  de   séparation  des  âmes,  quand  chacune  doit  trouver  son  chemin  vers  l'au-­‐delà.  

Si   les   deux   sorte  d'âmes   sont   la   double   animation   céleste   et   terrestre   en   l'homme,   on  voit  qu’elles  constituent  exactement  le  reflet  de  ce  qu’est  un  être  :  un  croisement  ou  un  noeud  de  souffles  entre  Ciel  et  Terre  :  «  souffles  du  Ciel,  souffles  de  la  Terre  ».    

Le  couple  Hun  et  Po  reflète  deux  autres  couples  :  Ciel  Terre  et  Yin  Yang.    

Le   Shuowen   jiezi3   définit   les   Hun   comme   des   souffles   yang   (yang   qi  陽氣)   et   les   Po  comme  des  esprits  yin  (yin  shen  陰神  ).  Le  même  ouvrage  présente  les  shen  (神)  comme  les  esprits  du  Ciel  et  parle  de  souffles  yin  (yin  qi  陰氣  )  à  propos  des  gui  (鬼),  esprits  de  la  Terre  ou  revenants.  

 

Dans  un  premier  temps,  nous  pouvons  différencier  ainsi  les  Hun  et  les  Po  :  

 HUN  

âmes  spirituelles,  intelligentes,  raisonnables  

PO  âmes  corporelles,  animales,  sensitives,  

végétatives  Ciel   Terre  Yang   Yin  

 

Il  va  s’agir  de  conserver  l’équilibre  et  l’harmonie  des  souffles  yin  yang,  les  échanges  des  deux  partenaires,  avec  la  préséance  des  Hun,  liés  à  l’intelligence  spirituelle,  car,  dans  le  Ciel  Terre,  il  y  a  toujours  un  ordre  hiérarchique,  une  préséance  du  Ciel  par  rapport  à  la  Terre.   Si   la   hiérachie   s’inverse,   cela   produit   une   désorganisation,   parce   que   la   vie   de  l’homme  se  met  à  contre-­‐courant  de  l’ordre  naturel.  

Il  s’ensuit  deux  conséquences  :      

-­‐  Durant  la  vie,  il  faut  prendre  soin  de  nos  âmes,  qui  constituent  le  fond  de  la  vitalité,  qui  nous  animent,  et  empêcher  leur  séparation,  leur  départ.  

-­‐  À  la  mort,  il  y  a  séparation  des  âmes  :  chacune  prend  son  chemin,  les  Hun  vers  le  Ciel  et  les  Po  vers  la  Terre.  

                                                                                                               3  Dictionnaire  étymologique  explicatif,  paru  en  121  ap.  JC.  

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Il   y   a   une   façon   de   pouvoir   joindre   le  mouvement   de   la   vie   en   les   gardant   dans   une  harmonie  parfaite.  

«  La  vitalité  (jing  精)  et  la  clarté  (shuang  爽)  du  Cœur  (xin  心)  sont  ce  qu'on  nomme  Hun   et   Po.   Si   Hun   et   Po   nous   quittent,   comment   peut-­‐on   survivre   ?   »   (Chunqiu  zuozhuan,  25e  année  du  duc  Zhao)  

«  La  vie  de   l’homme,  entre  Ciel  et  Terre,  ressemble  au  saut  d’un  poulain  blanc  par  dessus  une  ravine;  un  saut  et,  en  un  éclair,  c’est  fini.    Déversement   soudain,   et   rien   qui   n’apparaisse   (chu  出)   Glissement   silencieux,   et  rien  qui,  finalement,  ne  disparaisse  (ru  入).  Une  transformation  (hua  化)  mène  à  la  vie   (sheng  生),  mais  une   transformation  aussi  mène  à   la  mort;   les  êtres  vivant    en  pleurent;  les  humains  s’en  désolent.  Mais  c’est  se  libérer  (jie  解)  du  fourreau  dont  le  Ciel  nous  a  doté,  abandonner  l’enveloppe  donnée  par  le  Ciel.    Un  emmêlement,  une  ondulation,  et  les  Hun  et  les  Po  s’en  vont,  la  vie  (la  personne  et  son   corps,   shen  身)   à   leur   suite,   pour   accomplir   le   Grand   retour   (da   gui  大    歸   ).  (Zhuang  zi  ch.22)  

   

2.  ANALYSE  DES  CARACTÈRES  HUN  ET  PO    

LA  PARTIE  COMMUNE  DES  CARACTÈRES  HUN  ET  PO  

Les  caractères  de  Hun  et  de  Po  comprennent  une  partie  commune,  gui  鬼�,  qui  représente  une   grosse   tête   sur   un   corps,   avec   un   crochet   ou   un   petit   tourbillon   de   poussière  évoquant  quelque  chose  passant  sur  le  chemin,  comme  le  fantôme  (la  grosse  tête  et  une  forme  qui  flotte  font  penser  aux  fantômes  de  nos  châteux  hantés).  

Gui  鬼   désigne   les   esprits   de   la   Terre,   les   forces   qui   animent   sur   Terre.   L’expression  ancienne   gui   shen  鬼  神,   qui   unit   les   esprits   de   la   Terre   (gui)   et   ceux   du   Ciel   (shen),  désigne  toute  l'animation  du  Ciel  Terre,  tout  ce  qui  permet  l'apparition  des  vivants  entre  Ciel  et  Terre,  les  forces  présentes  derrière  les  phénomènes  et  les  êtres.    

Très   probablement,   les   gui   et   les   shen   renvoyaient   anciennement   aux   esprits   des  ancêtres  (les  shen  montaient  au  Ciel,  ceux  qui  restaient  dans  la  Terre  étaient  des  esprits  gui,   qui   éventuellement   devenaient   des   revenants).   Nous   reviendrons   sur   le   culte   des  ancêtres  et  sur  les  revenants.  

S'il   apparaît   normal   de   trouver   le   caractère   des   esprits   de   la  Terre   dans   les   âmes  qui  émanent   des   souffles   de   la   Terre   et   qui   sont   destinées   à   y   retourner,   on   pourrait  s’étonner   que   le   caractère   pour   les   Hun,   émanation   des   souffles   du   Ciel   et   destinés   à  gagner  les  hauteurs  subtiles,  portent  également  les  espris  de  la  Terre.    

Plusieurs  hypothèses  sont  possibles  :    

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  a)   On   ne   peut   pas   juger   de   l’origine   d’un   caractère   par   rapport   aux   sens   qu’il  prendra  par   la  suite;   l’évolution  d'une  notion  n'est  pas  connue  à   l'avance.  Le  caractère  hun   n'était   peut-­‐être   pas   fortement   lié   au   Ciel   à   l'origine   et   c'est   ensuite   qu'il   s'est  spécialisé  comme  l'âme  céleste.  

  b)  Les  Hun  et  les  Po  sont  l'animation  d'une  vie  qui  prend  forme  sur  Terre.  Même  si  les  Hun  sont,  en  moi,  ce  qui  relève  du  Ciel,  malgré  tout,  ils  s’expriment  dans  être  qui  vit  sur  Terre.  Mais  cela  est  plutôt  une  explication  a  posteriori.    

  c)  Comme  le  culte  des  ancêtres  consistait  à  faire  revenir  dans  le  lieu  du  sacrifice  les   esprits   des   ancêtres,   aussi   bien   de   leur   séjour   au   Ciel   que   des   profondeurs   de   la  Terre,  on  a  associé  le  terme  désignant  les  esprits  de  la  Terre,  gui  鬼,  avec  un  autre  terme  homophone,  gui  歸,  qui  signifie  revenir,  retour  et  revenants  (fantômes).  Mais  il  est  très  peu   probable   que   ce   jeu   de   mot,   bien   qu'ancien,   explique   l'origine   de   l'écriture   du  caractère  hun.    

  d)  Le  caractère  gui  鬼  remonte  aux  inscriptions  oraculaires;  il  y  signifie  les  âmes  ou   esprits   d'un   mort   d'une   façon   sans   doute   assez   générale.   Il   ne   sera   associé   au  caractère   shen,  dans   l'espression  gui   shen  鬼神   esprits  du  Ciel  et  de   la  Terre,  que  plus  tardivement.   Il   se   pourrait   donc   bien   qu'il   ait   été   pris   en   ce   sens   pour   désigner   les  différentes   sortes   d'esprits   ou   d'âmes   des   morts,   en   particulier   quand   ils   reviennent  hanter   les   vivants.   Les   caractères  hun   et  po   se   seraient   développés   et   précisés   par   la  suite.  

 

LA  PARTIE  SPÉCIFIQUE  DES  CARACTÈRES  HUN  ET  PO  

C'est  la  partie  gauche  dans  l'un  et  l'autre  caractère.  

Dans  le  cas  de  hun  魂,  la  partie  spécifique  est  le  caractère  yun  云,  qui  signifie  les  nuages;  elle  montre  comment,  du  sol,  une  vapeur  s’élève  et  s’amoncelle  en  haut  pour  former  les  nuages.   Ce   caractère   sert   de   phonétique,   c'est-­‐à-­‐dire   donne   une   indication   sur   la  prononciation,   mais   il   évoque   aussi   un   mouvement   ascendant   vers   le   Ciel,   qui  correspond  au  Yang,  à  un  développement,  une  montée.    

Les  nuages  voyagent  dans  l'immensité  du  Ciel.  Ils  deviendront  aisément  une  image  pour  les  âmes  Hun,  randonnant  librement    dans  l'espace  infini.  

Plusieurs  textes,  rédigés  après  l'ère  chrétienne,  utilisent  des  associations  graphiques  et  sonores  pour  expliquer  la  nature  des  âmes  Hun.  Ils  reprennent  l'image  des  nuages  pour  montrer   que   ces   âmes   voyagent   et   s'activent   sans   cesse   et   sans   limite.   Ils   font   jouer  l'homophonie  entre  le  caractère  pour  nuage,  yun  云,  et  le  caractère  yun  運4,  qui  signifie  

                                                                                                               4  Noter  que  la  graphie  simplifiée  de  運  est  运.    

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mouvoir,   transporter,   se   déplacer.   De   nature   yang,   les   Hun   sont   caractérisés   par   le  mouvement  et  l'activité,  comme  le  sont  les  souffles5.  

La   liberté   de   mouvement,   la   légèreté   et   la   mouvance   caractérisent   les   Hun;   ils  s'échappent  facilement  du  corps,  pour  un  temps  ou  pour  toujours.  

 

Dans  le  cas  de  po  魄,  la  partie  spécifique  est  le  caractère  白  qui  se  prononce  bai  ou  bo,  et  qui  signifie  blanc.  Là  aussi,  cette  partie  spécifique  sert  d'indication  pour  la  prononciation  (entre  bo  et  po  il  n'y  a  la  différence  que  d'une  aspiration)  et  en  même  temps  est  porteuse  de  sens  qui  vont  bien  avec  la  notion  de  Po.  

Sans   doute   une   des   premières   associations   faites   avec   les   Po   fut   celle   des   os,   dont   la  couleur   est   blanche   et   qui   évoque   les  morts.   Mais,   durant   la   vie,   ces   os   sont   aussi   le  réceptacle   de   la   moelle,   quintessence   de   substance   vitale.   Les   Po   sont   étroitement  associés,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  à  la  vitalité  corporelle  et  aux  essences.  

Le  caractère  bai  白,  blanc,  a  lui-­‐même  plusieurs  possibilités  d’interprétation  :  

  a)   la   blancheur   radieuse   de   la   lumière,   l’irradiation   de   la   lumière   qui   rayonne  dans  toutes  les  directions,  la  pureté  et  l'éclat.  

  b)   le   mouvement   du   déclin,   du   retour   à   la   Terre.   Le   blanc   n'est   plus   alors  éblouissement  ou  illumination;  c'est  la  couleur  de  l'arrivée  du  yin  dans  les  saisons  quand  les  gelées  blanches  de  l'automne  précèdent  la  neige  de  l'hiver,  ou  dans  les  âges  de  la  vie,  quand  les  cheveux  blanchissent,  ou  encore  la  couleur  de  ce  qui  reste  quand  tout  ce  qui  a  été  confié  à   la  terre  a  disparu,  c'est-­‐à-­‐dire   les  os  blanchis.  C'est  encore   l'éclat  du  métal  qui  fauche  les  épis  ou  fait  tomber  les  têtes  à  l’automne.  

 Le   blanc   représente   alors   un   mouvement   de   retour   à   la   Terre,   de   descente,  d'enfoncement,   de   resserrement   comme   quand   un   vieillard   se   ratatine   ou   que   la  végétation  se  recroqueville.    

Les   même   textes   qui   lient   les   Hun   à   l'activité   et   au   mouvement,   associent   les   Po   à  l'immobilisation,   à   la   prise   qui   immobilise,   comme  dans  une  prise   de   catch,   quand  un  corps  en  étreint  un  autre,  se  colle  à  lui,  fait  pression  sur  lui,  le  tient  et  le  retient.  Le  jeu  de  mot  le  plus  courant  se  fait  alors  avec  le  caractère  homophone,  po  迫  ,  qui  signifie  serrer  de  près,  pression,  contraindre,  retenir6.  

                                                                                                               5    Le  Baihutong,  ch.8,  dit  :  «Les  Hun  voyagent  sans  trève  (yun  yun  伝伝);  ils  vont  sans  cesse  (xing  bu  xiu  行不休).  Ce  sont  les  souffles  du  Shaoyang;  c’est  pourquoi  ils  bougent  sans  arrêt  (dong  bu  xi  動不息);    pour  l’homme,  ils  sont  (le  mouvement  vers)  l’extérieur.»  Et  le  Wuxing  dayi  :  «Le  Foie  thésaurise  les  Hun  :  les  Hun  tirent  leur  nom  du  mouvement,  de  l’activité  (yun  dong  運動).  Le  Foie,  c’est  le  Shaoyang;  la  nature  du  yang  est  de  remuer  et  de  s’activer.»  6  Le  Baihutong,  ch.8,  dit  :  «Les  Po  sont  comme  ce  qui  s’attache  aux  hommes  de  façon  pressante  (po  ran  zhu  ren  迫然著人).  Ce  sont  les  souffles  du  Shaoyin,  à  l’image  du  métal  et  des  pierres;  ils  s’attachent  aux  hommes  sans  aller  ailleurs.»  

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L'attachement   au   corps   caractérisent   les   Po;   ils   ne   peuvent   pas   s'échapper   des  substances  corporelles  auxquelles  ils  sont  intimement  liés.  

La   graphie   des   caractères   hun   et   po   renforce   l'impression   d'un   couple   dont   un   des  membres  est  destiné  à  s'élever  vers  le  Ciel  et  l'autre  à  s'enfoncer  dans  la  Terre.  

Dans  les  textes  anciens,  Hun  et  Po  apparaissent  souvent  en  couple;  mais  Hun  comme  Po  peut  également  se  trouver  en  couple  avec  un  autre  caractère  (ou  une  expression  à  deux  caractères)  qui  devient  alors  sa  contrepartie,  son  opposé  complémentaire.  Nous  verrons  au  fur  et  à  mesure  des  textes  quelles  sont  ces  associations  et  ce  qu'elles  nous  apprennent  sur  la  signification  des  Hun  et  les  Po.  

 

                                                                                                               Et  le  Wuxing  dayi  :  «Le  Poumon  thésaurise  les  Po  :  les  Po  tirent  leur  nom  de  l’adhérence  mutuelle  (xiang  zhu  相著).  Le  Poumon,  c’est  le  Shaoyin;  la  nature  du  yin  est  d’être  calme  et  tranquille  (tian  jing  恬靜).»    

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M.C.1  TIANCHI  (天池)    T'IEN  CH'IH  -­  TIENN-­TCHRE  

TIAN 天 Ricci n°4938 - Grand Ricci n°10917 - Wieger n°1 C, 60 C - Mathews n°6361

Firmament, Ciel. Le Naturel. Le Souverain du Ciel. Temps, saison. Auguste.

CHI 池 Ricci n°0893 - Grand Ricci n°1878 - Wieger cf. n°107 B - Mathews n°1032

Pièce d'eau, étang, bassin, réservoir, citerne, piscine. Douve, fossé de rempart plein d'eau.

DESCRIPTION DANS LES TEXTES MÉDICAUX

«  Tianchi  a  pour  autre  nom  Tianhui  (天會);  il  se  situe  un  pouce  à  l'arrière  du  sein1,  à  trois  pouces   sous   l'aisselle,   à   l'attache  des   côtes,   juste   à   l'aisselle   là  où   la   côte   fait  saillie  (jue  橛);  c'est  un  rassemblement  du  Jueyin  de  main2  et  du  Shaoyang  de  pied3.  On   le   puncture   en   pénétrant   à   7   dixièmes   de   pouce4;   on   y   applique   3   fois   la  moxibustion  »  (Jiayijing  III,  18)  

Ce point figure dans le Lingshu chapitre 2, qui énumère les points remarquables qui commandent le passage vers la tête, sur le grand cercle qui va de la base du cou à la base de la nuque, de Tiantu (R.M.22) à Fengfu (D.M.16) en passant par Renying (E.9), Futu (G.I.18), Tianchuang (I.G.16), Tianrong (I.G.17), Tianyou (T.R.16) et Tianzhu (V.10). Après la présentation de ces 8 points, tous sur des méridiens yang, à l'exception du premier (Renmai), le texte en rajoute deux : Tianfu (P.3) à l'interne de l'aisselle (ye nei 腋內), en dépendance du Taiyin de main, et Tianchi (M.C.1), sous l'aisselle (ye xia 腋下), en dépendance du Maître-Cœur (Xinzhu) de main. Ces points sont couramment appelés « fenêtres du Ciel », car la plupart comportent le caractère Ciel (tian 天) dans leur nom et ils ouvrent vers la tête, qui représente le Ciel dans le corps humain.

                                                                                                               1. Le commentaire du Qifu lun, SW 59, par Wang Bing, dit : « à deux pouces ». Il est intéressant de regarder tous les points dits à 3 distances de l'aisselle : V.B.22 - Rt.21 - M.C.1. 2. Selon une autre version : rassemblement du Cœur (xin 心 pour Maître-Cœur) de main et du Shaoyang de pied. 3. D'après le Juying : rassemblement des Jueyin de mai et de pied avec le(s) Shaoyang. D'après le Jingxuejie : rassemblement des Jueyin de pied et de main avec les Shaoyang de pied et de main. 4. Commentaire au Qifu lun, SW 59 : « on le puncture à 3 dixièmes de pouce ».

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Cependant, la précision concernant l'appartenance de Tianchi au Maître-Cœur (Xinzhu) de main pourrait être une correction ou une addition tardive. En effet, le point est simplement présenté dans le Jiayijing comme un point de la région de l'aisselle (ye 腋). Sun Simiao le présente de même, ou bien comme un point de la région des côtes. Quand au Waitai biyao, il en fait, explicitement, un point du Shaoyang de pied, Vésicule Biliaire.

Il faut attendre l'Homme de Bronze (Tongren) pour que Tianchi soit officiellement et définitivement le premier point à la poitrine du Maître-Cœur (en fait le dernier dans la présentation centripète de cet ouvrage).

Cependant, ce point est toujours présenté comme un rassemblement des souffles Jueyin et Shaoyang; il fédère donc les qualités de souffles du Foie, de la Vésicule Biliaire, du Triple Réchauffeur avec celle du Maître-Cœur. C'est ce rassemblement, dû à sa localisation, qui détermine les symptômes du point.

La relation avec les Shaoyang est particulièrement forte. On notera que, sur les 3 autres points où apparaît le caractère chi 池, deux appartiennent au Shaoyang : V.B.20, Fengchi (風池) et T.R.4, Yangchi (陽池) et un au Yangming : G.I.11, Quchi (曲池). On notera que, sur les Shaoyang, la réserve liquide, l'étang chi 池, est associé soit au vent (feng 風), soit au yang (陽), comme en M.C.1 il est associé au Ciel (tian 天).

De plus, Tianchi est le nœud charnière entre le deuxième et le troisième fuseau du musculaire (cf. trajet du musculaire); ce qui explique certains symptômes de douleur au bras ou de difficultés à le bouger.

EMPLOIS CLASSIQUES

Le Ciel Le Ciel (tian 天) indique la position du point dans la partie haute du corps, mais surtout qu'il a quelque chose à voir avec une région corporelle qualifiée de céleste. Au Ciel, s'élèvent des nuées claires, des vapeurs essentielles. La poitrine, le Réchauffeur Supérieur (Poumon, Cœur) reçoivent le clair et le pur, les essences raffinées de l'organisme.

Le caractère Ciel, céleste (tian 天) dans le nom de M.C.1 indique que se joue là une des commandes du mécanisme qui entretient la pureté de la région. C'est un point fenêtre du Ciel.

L'étang L'étymologie de chi 池, étang, montre un réservoir (也), un vase pour contenir du liquide, qui est peut-être aussi une matrice, un abri pour la germination; on lui adjoint le radical de l'eau. Si l'on remplace le radical de l'eau par celui la terre (土), on obtient le caractère pour la Terre (di 地), puissance couplée au Ciel.

L'étang, le lac (chi 池) indique un réservoir vital. Ce réservoir est assez vaste pour accueillir les souffles du Shaoyin de pied, méridien des Reins, qui lui arrivent de la partie plus centrale et plus haute de la poitrine, donc du « Ciel ».

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Des rapprochements avec les mécanismes de la lactation et de la mise en réserve du lait, ou du pouvoir de le distiller, à partir de sucs purs et riches sont également possibles.

Pour certains textes (en particulier référés à l'Alchimie intérieure), l'étang peut désigner le Cœur, qui, dans l'homme, est le centre de vie, sa lumière ultime, son souffle réel, et le maître des transformations à leur niveau le plus élevé5. Le Cœur est assez volontiers alors appelé l'étang central (zhong chi 中池). Mais la Vésicule Biliaire est également ainsi dénommée6.

l'étang céleste Le nom du point unit un côté céleste, yang, feu (le Ciel et la position haute et claire) et un côté terrestre avec l'étang, l'eau, l'analogie avec la Terre, la dépression où se situe le point.

De même que dans la circulation du sang (xue mai 血脈) - dont le méridien a la responsabilité - l'aspect yang de circulation, de souffles se marie à l'aspect yin de liquides, de sang.

Sur Terre, ou dans la substance corporelle, la vie commence dans et par l'eau; le Ciel peut se manifester d'abord par l'Eau, par le liquide de vie : le Ciel, Un, produit l'eau et la déverse puissamment. L'eau descend d'en haut et se recueille dans les creux et réceptacles. À l'échelle grandiose de la Terre (di 地), les réceptacles sont des bassins, des lacs (chi 池) pour le maximum de manifestation de la puissance céleste lançant la vie sur Terre. Dans le corps, c'est peut-être le liquide nourricier par excellence, celui qui « offre la vie à l'être »7, c'est-à-dire le sang, qui se répand dans le corps sous la maîtrise du Cœur, fonction qui s'exprime dans le Maître-Cœur.

On aurait alors une très belle notion de Maître Cœur, comme la descente sur Terre du Ciel. Et même si l'attribution exclusive et définitive du point au Jueyin de main est tardive, la localisation et la fonction déterminée par cette localisation sont, elles, anciennes.

On aurait le même rapport entre le Cœur et le Maître-Cœur qu'entre le Ciel mystérieux qui cache sa puissance et le Ciel qui se répand largement sur la Terre pour la féconder, par l'eau et la pluie. C'est le Ciel, ou les Esprits qui le représentent dans le Cœur, qui donne au liquide sa puissance de vie; c'est le Ciel qui donne sa vertu au lait et qui lui permet de nourrir l'enfançon. C'est aussi pourquoi l'alchimie intérieure utilise ce vocabulaire.

                                                                                                               5. Cf. SW 9, qui présente le Cœur comme le lieu des transformations opérées par les Esprits (shen zhi bian 神之變). 6. « Pour Liangqiuzi, le Lac Central (zhongchi 中池) est le Cœur et le « gentilhomme vêtu de rouge » est chizi (赤子), le dieu du Cœur. Pour Wuchengzi, le Lac Central est le « dedans du gosier ». Enfin, suivant le Commentaire du Neijing attribué à Liangqiuzi, le Lac Central est la vésicule biliaire (dan 膽). Tout ce que je connais de la tradition taoïste est en faveur de cette dernière opinion : les trois lacs sont en effet le Lac de Jade (yu chi 玉池), qui est la bouche, le Lac Médian (zhong chi 中池), qui est la vésicule biliaire, et le Lac Mystérieux (xuan chi 玄池), qui est la vessie. » (H. Maspéro, Le Taoïsme et les religions chinoises, Gallimard, p.529) On notera que, pour le Waitai, Tianchi est un point de Vésicule Biliaire; que la Vésicule Biliaire a une relation spécifique avec le gosier (cf. SW 47); que l'on trouve le caractère zhong (中), centre, dans la plupart des surnoms de la Vésicule Biliaire; qu'enfin il existe une relation spécifique entre Vésicule Biliaire et Cœur dans leur rapport au yang, au feu, la Vésicule Biliaire étant parfois considérée comme manifestation du feu ministre de Mingmen. 7. Cf. LS 18 « Par transformation, cela fait du sang, pour apporter la vie à l'être; rien de plus précieux. »

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Ce premier point de Maître-Cœur est visible, et même en évidence, alors que le premier point du Cœur (C.1, Jiquan 極泉) se cache, demeure invisible, non manifesté. Cependant, le liquide n'est pas visible au niveau de ce point. Il le sera beaucoup plus au niveau de M.C.2, Tianquan (天泉).

On notera aussi que le Ciel (tian 天) apparaît dans le nom des deux premiers points du Maître-Cœur : Tianchi et Tianquan; mais qu'il ne figure dans aucun des noms des points du méridien du Cœur8.

M.C.1, Tianchi, va travailler sur les circulations, les écoulements liquides : dégagement des encombrements et contre-courant de souffles, stimulation de la lactation ... Les indications sont d'un autre ordre sur les points du Shaoyin de main.

Tianchi est situé sur le mamelon, qui est une réserve de vie par le liquide nourricier qui s'y emmagasine. Il reviendra à d'autres points de traiter le côté plus matérialisé de la lactation. Il y a, dans Tianchi, une fonction de lactation, mais en ce sens qu'elle touche le liquide de vie, qui vient d'en-haut, de ce qui donne la vie, de la mère, pour nourrir l'enfant, le fruit. La proximité de ce point avec le tétin renforce ce sens. Si l'on excepte le point qui est juste en plein sur le mamelon, Ruzhong, E.17 (interdit de puncture), Tianchi est celui qui en est le plus proche. La manière dont se point se situe également sur le Cœur - à gauche - montre que de là provient ce qui fait vital le lait, comme de là aussi provient le sang qui fait vivre.

Ce point est à même hauteur que la mer des souffles, le Milieu de la poitrine (dan zhong 膻中), qui est un réceptacle (fu 府) central de souffles et d'essences9. Il répercute donc, latéralement, la maîtrise sur la circulation des souffles et sur les liquides que véhiculent ces souffles, tout spécialement la circulation du sang (xue mai 血脈), qui est sous la responsabilité directe du Maître-Cœur. Pour cette raison, certains considèrent Tianchi comme le point mu (hérault, alarme, recrutement, 募) des protections et liaisons du Cœur (xin bao luo 心包絡); c'est dire qu'il prend alors la place de Danzhong (R.M.17), point mu officiel du Xinbaoluo.

L'étang céleste dans le Zhuangzi  

«  Dans  l'abîme  qui  s'étend  au  Nord  se  tient  un  poisson.    Devenu  oiseau,  se  portant  au-­‐dessus  de  la  mer,  Il  se  dirige  vers  l'abîme  qui  s'étend  au  Sud.  L'abîme  du  Sud,  c'est  l'Océan  céleste  (tian  chi  天池).    Au  nord  des  terres  chauves  s'étend  une  mer  abyssale.  C'est  le  lac  céleste  (tian  chi  天池).  Un  poisson  est  là  ...    »    (Zhuangzi  1)10  

                                                                                                               8. En ne considérant que les noms principaux. 9. Peut-être celui vers qui Yufu, le dernier point du méridien des Reins, dirige ses influx. 10. Cf. Le Vol inutile, C.Larre et E.Rochat de la Vallée, DDB.

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L'étang céleste, (tian chi 天池) est donc une mer abyssale aux extrémités Sud et Nord du monde. Du Nord au Sud, on a l'axe de vie - celui que l'on retrouve entre l'eau et le feu, les Reins et le Cœur -, la verticalité, le devenir vital ... C'est donc le réservoir insondable et mystérieux de la puissance de vie, la matrice protectrice qui précède et permet l'apparition des êtres.

Dans le chapitre 1 du Zhuangzi, l'expression « étang céleste » (tian chi) marque l'aboutissement (Abîme du Sud), ou bien le départ (Abîme du Nord), du mouvement céleste qui fait la vie au travers des transformations. C'est la matrice céleste, réservoir de la fermentation des germes de vie pour une échappée, qui se passe en un grand souffle et se dirige vers son accomplissement lumineux.

L'étang universel  L'étang universel (xian chi 咸池) est une étape du soleil11 dans le Huai Nan zi, chapitre 3.

C'est également le nom de l'hymne dynastique de l'Empereur Jaune (Huangdi), air qui remplit de terreur et d'admiration le disciple Beimen Cheng12.

Par cette expression, on entend une réserve de puissance qui va pouvoir s'étendre sur toute la Terre, sous la lumière du soleil ou sous celle de l'Empereur, et vivifier tous les êtres. L'étang (chi 池) est donc un réservoir inépuisable de vertu.

AUTRES NOMS

Le seul vraiment classiquement attesté est Tianhui 天會 (Jiayijing). Ce rassemblement (hui 會) de puissance en haut ou céleste (tian 天) est sans doute la conjonction des divers courants qui parcourent la région (Shaoyang et Jueyin en particulier). C'est l'aboutissement du méridien du Foie, comme l'épanouissement de ses branches; c'est le relais en montée du méridien de la Vésicule Biliaire, entre Yuanye, V.B.22 (lui aussi à 3 pouces sous l'aisselle, mais en fait un peu plus bas et latéral) et Jianjing, V.B.21 (carrément à la base de la nuque, latéralement).

Le nom Tianhui 天會 est également un nom secondaire du point Renying (E.9), qui est lui aussi un rassemblement dans la région haute, mais sur les souffles du Yangming. (cf étude de Renying).

                                                                                                               11. Il semble alors équivalent au Gouffre Doux (gan yuan 甘淵), douce source abyssale où la mère du soleil le baigne, chaque matin, à son lever. 12. En Zhuangzi 14.

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INDICATIONS

Jiayijing «   Frissons   et   fièvre   (han   re  寒熱)   avec   poitrine   encombrée,   maux   de   tête13,   les  Quatre  membres  ne  se  lèvent  plus,  enflures  (zhong  腫)  sous  l'aisselle,  remontée  des  souffles   (shang  qi  上氣),   bruits   (sheng  聲)   dans   la   poitrine,   gargouillis   (ming  鳴)  dans  la  gorge  :  sous  l'autorité  de  Tianchi.  »  (VIII,  1  xia)  

L'accent est mis sur la poitrine et sur le mouvement pathologique des souffles (remontée intempestive qui crée un contre-courant dans les souffles du Poumon) et leurs conséquences : bruits divers en haut (dénotant une présence de glaires). Il y a enflure là où la réserve demeure, sous l'aisselle; il y a perte du mouvement, ce qui s'explique assez bien pour les bras, moins pour les jambes, sauf si l'on considère qu'il s'agit de la non-propagation, par brûlage, des souffles nourriciers à partir du Poumon14, car il y a à l'évidence, dans cette description, une chaleur et un blocage dans la poitrine.

M.C.1 est bien dans son rôle de fenêtre du Ciel. Il est aussi dans son rôle de point dans la région duquel se détache le distinct (jing bie 經別) de Maître-Cœur. Dans les deux cas, il dégage ce qui pourrait montrer troubler la tête.

M.C.1 figure également dans une liste de points pour l'alternance de frisson de froid et d'accès de fièvre :

« Pour froid et chaud (frissons et fièvre), on prend Wuchu (V.5), Tianchi (M.C.1), Fengchi (V.B.20) ... » (VIII, 1)

On remarque que Tianchi et Fengchi - deux étangs - sont cités l'un à la suite de l'autre.

Zhenjiu dacheng . « Bruits (sheng 聲) dans la poitrine. . Poitrine et diaphragme gênés et encombrés (fan man 煩滿). . Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas. . Maux de tête. . Les quatre membres ne se lèvent (bougent) plus. . Enflures sous l'aisselle (sans doute avec douleur). . Remontée des souffles (shang qi 上氣). . Fièvres intermittentes avec frissons et fièvre (froid et chaud, han re 寒熱). . Douleur à l'avant-bras. . Troubles oculaires où l'on ne voit plus clairement. »

Tout le trajet du méridien dans la poitrine est impliqué dans ces symptômes où les pathologies du Poumon sont particulièrement présentes.

                                                                                                               13. Dans d'autres textes (Qianjin, Waitai...) : douleur à la nuque. 14. Cf. l'étude des syndromes wei, dans Pathologie Wei, par E.Rochat de la Vallée, fascicules de l’E.E.A. (à paraître).

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On disperse donc ce point pour mettre à l'aise la poitrine, encombrée de souffles ou liquides non clarifiés ou s'étant perturbés, pour dissiper la chaleur perverse qui fait blocage, qui gêne la poitrine et, analogiquement, qui empêche la sueur de sortir, pour dégager les zones plus hautes, plus célestes du corps, telles le cou, la nuque ou la tête qui reçoivent ce qui vient de la poitrine et qui pâtissent donc de son manque de clarté et pureté. Le point remplit son rôle de fenêtre du Ciel.

Certains symptômes, liés au Poumon, touchent tout le corps : le froid et chaud, alternance de frissons de froid et de fièvres, lié à l'irrégularité du Poumon (cf. contre-courant ascendant des souffles qui perturbent le rythme, la régulation des circulations et de la température, par l'excitation du yang, la perturbation de la défense); ou encore l'immobilisation des Quatre membres.

La relation avers/revers (biao li 表裡) du méridien avec le Shaoyang de main renforce les effets de ses points sur la régulation des souffles et surtout les alternances de froid et chaud.

Nombre de symptômes : gêne au thorax, maux de tête, enflure sous l'aisselle, remontée des souffles, fièvres intermittentes, troubles oculaires, se relient facilement à la Vésicule Biliaire et à son méridien, Shaoyang de pied.

Tianchi a alors la possibilité de dégager la poitrine, comme d'autres points de Vésicule Biliaire, au pied, car il débloque les passages et circulations, disperse le feu excitant de la Vésicule Biliaire, met à l'aise les régions sous l'autorité du méridien de Vésicule Biliaire : les côtes, le diaphragme (latéral) et la poitrine (latéral). Ce qui explique bien également les symptômes à la nuque.

Les troubles oculaires, qui ne s'expliquent pas directement par le trajet du méridien, pourraient s'expliquer par la solidarité avec le Cœur et son méridien ou encore avec les méridiens de Foie et de Vésicule Biliaire; ou encore par le simple effet de la chaleur et du feu qui montent et s'élèvent jusqu'à l'orifice le plus haut et le plus clair.

Ce point est alors à disperser dans la visée générale d'abaisser le feu, et donc de rétablir la pureté qui convient à l'entretien de la vision et le maintien de la clarté dans les régions hautes, célestes de l'organisme.

Leijing tuyi . « Troubles oculaires où l'on ne voit plus clairement. . Maux de tête. . Poitrine et côtes gênées et encombrées (fan man 煩滿). . Toux avec contre-courant (ke ni 咳逆). . Enflures et douleurs à l'avant-bras et à l'aisselle. . Les Quatre membres ne se lèvent (bougent) plus. . Remontée des souffles. . Fièvres intermittentes avec frissons et fièvres alternés (malaria). . Maladie d'échauffement (de chaleur) où la sueur ne sort pas. »

Autres symptômes . Scrofules (Qianjin). . Abcès du sein. . Dyspnée.

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. Grande abondance de glaires (tan 痰).

. Toux.

. Malaise au Cœur (xin fan 心煩).

Symptômes dans les livres chinois contemporains . Angine de poitrine. . Myocardite. . Mastite. . Insuffisance de la lactation. . Bronchite. . Ganglions. . Nodules cervicaux tuberculaires.

FONCTIONS

Mettre à l'aise la poitrine et réordonner les souffles (en abaissant les contre-courants pour arrêter la toux, kuan xiong li qi 寬胸理氣)15. Stopper la douleur et réduire les enflures (zhi tong xiao zhong 止痛消腫). Clarifier la chaleur et disperser les nodosités (qing re san jie 清熱散結).

Il s'agit donc de purifier le Poumon, de débarrasser la poitrine de ce qui y bloque les circulations et, éventuellement, d'aider à calmer ainsi l'état mental du Cœur.

ASSOCIATIONS

Avec Weiyang (V.39), Shenmai (V.62), Diwuhui (V.B.42), Yangfu (V.B.38) et Zu Lingqi (V.B.41) pour les enflures à l'aisselle. (Qianjinfang) Avec Tiantu (R.M.22), Danzhong (R.M.17), Jiexi (E.41), Jianzhongshu (I.G.15) pour la toux avec contre-courants. (Zisheng) Avec Shaohai (C.3), Zhangmen (F.13), Zu Linqi (V.B.41), Shou Sanli (G.I.10) pour les scrofules. (Dacheng) Avec Weiyang (V.39) pour les enflures à l'aisselle. (Baizhengfu)  

                                                                                                               15. Kuan (寬) : Elargir, mettre à l'aise, au large, en débarrassant de ce qui gêne (c'est-à-dire ici des glaires).

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AINSI DONC QUAND LE POUMON EST CHAUD ET SES FEUILLES BRÛLÉES, PEAU ET POILS SE VIDENT ET S'AFFAIBLISSENT, SE RESSERRENT ET S'APPAUVRISSENT; PAR PERSISTANCE, CELA DONNE DES IMPOTENCES OU L'ON BOÎTE.

故 肺熱 葉 焦. 則皮 毛 虛 弱.急 薄 著 則 生 痿 躄 也.

Gù fèi rè yè jia ̄o.Zé pí máo xu ̄ ruò.Jí bó zhù zé she ̄ng we ̌i bì ye.̌

CHALEUR DU POUMON

LE POUMON VIENT EN TÊTE

Plusieurs raisons expliquent que l'exposé des impotences commence par la présentation du Poumon.1

Le Poumon est le maître des souffles pour tout l'organisme. Or les impotences sont liées, dans leur étiologie, aux souffles, lésés par un excès de yang. Le Poumon sera sensible, en premier, "en chef", à une perturbation des souffles.

L'excitation du yang dérègle les souffles; le Poumon devient incapable de maintenir le rythme normal des allées et venues des souffles dans l'organisme (dont la respiration est l'aspect le plus immédiatement perceptible), inapte à régler les Cent mai qu'il reçoit en audience matinale (cf Suwen 21).

Le Poumon est particulièrement sensible à la chaleur desséchante qui, détruisant les vapeurs humides dont il est en permanence imprégné et réimprégné, le rend incapable de garder son équilibre yin/yang, liquides/souffles. N'étant plus fixés et équilibrés par la présence humide dans les feuilles du Poumon, les souffles s'emballent, se désaccordent et le Poumon s'affaiblit par perte de son bon fonctionnement.

Le Poumon, en contact direct avec l'extérieur par la respiration, est facilement affecté par un environnement sec et chaud.

Le Poumon étant le plus haut placé des Cinq zang reçoit, tout naturellement, les effets pervers de la montée en inflammation d'une chaleur interne excessive.

Tous les zang étant redevables au Poumon pour la qualité de leurs souffles, de leur rythmique qui est fonction de l'équilibre réchauffement/refroidissement2, la perturbation du Poumon est

                                                                                                               1 On notera que, très normalement, les impotences étant d'origine interne, on expose d'abord la pathologie des zang, alors que dans les blocages de fonction (bi 痹), l'ordre de l'exposé était rythmé par les saisons. 2 la fonction qing su (清肅) du Poumon rend compte de cet équilibre : il y a un rafraîchissement (qing 清) constant dans les feuilles du Poumon, qui permet d'éviter les excès de chaleur et de se garder clair-et-pur (qing). Du même coup, les vapeurs liquides sont bien renouvelées et le rythme des souffle conservé; la propagation des éléments essentiels comme l'abaissement des liquides dans le tronc sont assurés.

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ressenti dans les différents zang, dont les souffles vont eux aussi s'affoler, s'emballer, surchauffer.

LES SIGNES DE L'ATTEINTE PULMONAIRE SE VOIENT À LA PEAU

La peau est désséchée, sans onctuosité; les poils sont secs et cassants. Il y a affaiblissement des mouvements et des circulations qui véhiculent l'irrigation et l'humidification; il y a appauvrissement de la nutrition sur place. Peau-et-poils manquent des choses nécessaires à leur entretien, sont dans la gêne, se resserrent, misérablement (ji bo 急薄).

Le mécanisme est facilement explicable :

“Le  Poumon  est  en  dépendance  du  métal.  Quand  donc  le  Poumon  est  chaud,  le  métal  est  sec  (zao  燥)  et  ses  feuille  brûlent.  Le   Poumon   a  maîtrise   sur   peau-­‐et-­‐poils.   Ainsi,   quand   le   Poumon   est   chaud   et   ses  feuilles  brûlées,  peau-­‐et-­‐poils  sont  vides,  affaiblis,  appauvris.  Quand   les   aliments   solides   entrent   à   l'Estomac,   les   humeurs   chargées   d'essences  (qui  s'en  dégagent,  jing ye  精液)  sont  transmises  (zhuan  傳)  au  Poumon.  Le  Poumon  reçoit   en  audience  matinale   les  Cent  mai,   transmet   et   transporte   les   essences   à   la  peau  et  aux  poils;  poils  et  mai  conjoignent   leurs  essences,   font  circuler   les  souffles  aux   zang  et   aux   fu3.   Les   essences   et   les  Esprits   (esprits   vitaux,   jing shen  精神),   les  souffles   et   le   sang   (qi xue  氣血)   qui   sont   produits   (sheng  生)   par   les   Cinq   zang,   la  peau,   les   chairs,   les  musuclaires   et   les   os   qui   sont   sous   la  maîtrise  des  Cinq   zang,  tout  cela  est  entretenu  et  fourni  (en  matériaux  de  base  pour  la  reconstruction)  par  les   humeurs   chargées   d'essences   (j ing ye  精液)   qui   sont   transmises   et   propagées  par   le   Poumon.   Ainsi   quand   les   couches   de   la   peau   sont   appauvries,   c'est   que   les  humeurs  chargées  d'essences  n'y  sont  plus  transportées.”  (Zhang  Zhicong)    

Quand la chaleur a investi le Poumon, les liquides sont atteints. A l'interne, perte du qing su (清肅) et à l'extérieur, perte de la propagation qui permet l'humidification et la lubrification.

Sensible à la domination excessive du métal par le feu, on dira que le feu vient che-vaucher le métal. L'expansion, propre au mouvement du feu, fait fuser vers l'extérieur des jets de chaleur désséchante, que le métal est incapable de retenir ou de contrôler.

L'ATTEINTE PROGRESSE ET SE COMPLIQUE AUX JAMBES

Le Poumon ne se débarrassant pas de sa chaleur perverse, le mal va progresser et atteindre les jambes.

Le mécanisme joue toujours sur l'appauvrissement des liquides corporels riches en es-sences par la chaleur intense, ainsi que sur l'incapacité grandissante du Poumon à préserver les liquides et à les abaisser vers le bas (perte du qing su 清肅).

                                                                                                               3 Cf Suwen 21. "Les souffles des aliments solides pénètrent à l'Estomac; les souffles troubles (c.à.d. d'origine alimentaire) se reportent au Cœur, il y a imprégnation des essences aux circulations vitales (mai). Les souffles des mai s'écoulent aux méridiens (jing 經); les souffles des méridiens se reportent au Poumon. Le Poumon reçoit en audience matinale les Cent mai; il transporte les essences à la peau et aux poils; pouls et mai joignent leurs essences; il y a circulation des souffles à l'entrepôt...".

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Si sécheresse et chaleur s'accrochent au Poumon et y demeurent, sans être délogées, alors le yin du Poumon est atteint et, à l'interne, il y a perte du qingsu (清肅), ce qui fait que les liquides corporels (jin ye 津液) ne sont plus produits par transformation. Les articulations (guan jie 關節) et les réseaux d'animation responsables de la force musculaire (jin mai 筋脈) sont privés de ce qui les irrigue, humidifie, entretient et nourrit. D'où les wei bi (痿躄) où les membres inférieurs se trouvent hors d'usage.

Articulations et muscles ne reçoivent plus l'imbibition liquide nécessaire à leur fonctionnement. L'atteinte se perçoit en premier dans le bas du corps, aux extrémités des membres inférieurs, car le contre-courant ascendant de la chaleur fait que ce sont ces zones qui sont les premières désertées par le renouvellement en esences liquides.

La transmission de la maladie ne se fait plus à la périphérie, dans le secteur de la peau et des poils, mais dans la partie inférieure du corps, le domaine de l'eau et des Reins. On pourra dire que la maladie de la mère (métal, Poumon) se transmet au fils (eau, Reins). Les Reins deviennent incapables de fournir en moelle et en essences les os et les articulations, particulièrement des membres inférieurs4. Le Poumon n'abaisse plus de liquides vers le réchauffeur inférieur. C’est bien la perversion du cycle d'engendrement. Ainsi les os des jambes ne peuvent plus soutenir le corps, les muscles des jambes ne peuvent plus se tendre et se mouvoir : c'est l'impotence dans les jambes (wei 痿), caractérisée par le boitillement et la difficulté à marcher (bi 躄)

“Le  Poumon  est   la  mère  et   les  Reins   sont   le   fils.   Si   les  Reins   reçoivent   les   souffles  chauds,   les   membres   inférieurs   se   crispent   et   ne   peuvent   plus   se   mettre   en  extension;  d'où  les  impotences  dans  les  jambes  (wei bi  痿躄).”  (Ma  Shi)  

Mais c'est l'ensemble des zang qui, selon certains, peut être affecté de la chaleur du Poumon :

“Quand  les  couches  de  la  peau  sont  appauvries  et  que  cela  dure,  alors  les  humeurs  chargées   d'essences   (j ing ye  精液)   ne   sont   plus   transmises   et   transportées   et   les  Cinq  zang  ont  de  la  chaleur;  d'où  l'apparition  de  ces  impotences  où  l'on  ne  peut  plus  marcher  (wei bi).”  (Zhang  Zhicong)  

On pourrait (suivant certaines interprétations) considérer que ces impotences (wei bi) ne concernent pas seulement les jambes, mais peuvent englober les Quatre membres. On comprend alors que les zang, dans leur ensemble, ont reçu les effets pervers de la chaleur du Poumon et sont donc incapables de collaborer pour l'entretien de la mobilité des membres.

Il s'agit là d'une extension du sens, le caractère bi (躄) signifiant normalement une incapacité à marcher correctement avec ses deux jambes5. Ou encore d'une interprétation qui réserve, dans cette expression wei bi (痿躄), l'impotence (wei 痿) à l'incapacité des membres supérieurs et le boitillement (bi 躄) à celle des membres inférieurs6.

Signalons les variantes du Taisu :

                                                                                                               4 Cf Lingshu 36 .. etc. 5 Cf Shiji, Liji, Chunqiu ... 6 C'est l'interprétation de Wu : shou wei zu bi 手痿足躄.

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- A la place de la "chaleur du Poumon" (fei re 肺熱), il met : "Les souffles du Poumon chauffent, sont chauds" (fei qi re 肺氣熱), créant ainsi un parallélisme absolu avec la présentation des quatre autres zang (variante déjà présente dans le Jiayijing). Il supprime la rupture du parallélisme qu'il y a en Suwen 44.

En évitant l'expression "souffles du Poumon" (fei re 肺熱), le Traité des Impotences marque que les souffles du Poumon sont en fait les souffles de la mer des souffles de la poitrine et, plus largement, de l'organisme tout entier.

- A la place des impotences déclanchant des boîtillements (wei bi 痿躄), le Taisu met : les impotences qui vous mettent au supplice, ou encore les impotences qui vous mettent à l'écart (wei bi 痿 ou pi 辟); le sens des deux expressions est cependant le même.

……………………………………  

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G.I.1 SHANGYANG (商陽) SHANGYANG - CHANG-YANG

SHANG 商 Ricci n° 4270 - Grand Ricci n° 9556 - Wieger n° 15 D et n° 73 C - Mathews n° 5670 - Giles n° 9738.

Délibérer; discuter. Marchand, commerce. Nom de la seconde note de la gamme pentatonique. Cf. P.11, Shaoshang (少商).

YANG 陽 Ricci n° 5650 - Grand Ricci n° 12487 - Wieger n° 101 B - Mathews n° 7265 - Giles n° 12883.

Yang, adret, lumière, soleil...

DESCRIPTION DANS LES TEXTES MÉDICAUX

"Le   Gros   Intestin   se   réunit   (he   合)1   au   Yangming   de   main   et   sort   (chu   出)   à  Shangyang.  Shangyang,  c'est  le  métal.  Un  autre  nom  est  :  Jueyang  (絕陽).  Il  se  situe  sur  le  bord  interne  de  l'index,  à  une  feuille  de  poireau  de  l'ongle;  là  sort  (chu 出)  la  circulation   (mai 脈)   du   Yangming   de   main;   c'est   le   (point)   puits   (jing  井).   On   le  puncture  en  pénétrant  à  un  dixième  de  pouce  et  en  y  restant  une  expiration;  on  y  applique  3  fois  la  moxibustion."  (Jiayijing,  III,  27)  

"Le  Gros  Intestin  se  réunit  en  haut  (shang  he  上合)2  au  Yangming  de  main  et  sort  à  Shangyang.  Shangyang  est  à   l'extrémité  de   l'index,  c'est   le   (point)  puits  (jing)  et   le  métal."  (LS  2)  

Le point se situe au niveau de l'angle postéro-externe3 de l'ongle de l'index, à hauteur de la matrice de cet ongle, là où la chair change de couleur quand on appuie sur l'ongle.

C'est le premier point du méridien du Yangming, que l'on considère la formation du courant à partir de l'extérieur ou l'ordre qui fait du Yangming de main le continuateur du Taiyin de main. Ainsi, le Lingshu ch. 5 considère ce point comme les racines du méridien :

                                                                                                               1. Le Taisu, et bien d'autres textes, ajoutent shang 上 : "fait sa réunion d'en haut", comme en LS 2. 2. La présentation est analogue pour les fu correspondant aux trois yang de main : Triple Réchauffeur, Intestin Grêle et Gros Intestin. Ils ne font qu'un souffle, en haut, avec le méridien yang de main qui les concerne (shang he 上合), et, parallèlement, ils ne font qu'un souffle, en bas (xia he 下合), avec un méridien yang de pied, particulièrement en un secteur de ce méridien où se trouve le point qui est leur réunion d'en-bas : E.37 (Juxu Shanglian) pour le Gros Intestin, E.39 (Juxu Xialian) pour l'Intestin Grêle et V.39 (Weiyang) pour le Triple Réchauffeur. 3. Avec la variante usuelle pour les points puits, sur le bord interne de l'ongle. Cf. P.11 (Shaoshang).

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"...Le  Yangming  de  main  a  ses  racines  (gen  根)  à  Shangyang..."  

La reprise du même caractère shang (商) dans le nom des deux points d'extrémité du méridien du Poumon et de celui de Gros Intestin, marque le passage entre le courant de souffles du Taiyin et celui du Yangming. Ces deux qualités de souffles expriment les deux faces de l'élément métal : le yin tourné vers l'interne, le revers (li 裡) et le yang tourné vers la manifestation à l'extérieur, l'avers (biao 表).

Ainsi, si l'on prend shang (商) dans son sens premier de manifestation à l'extérieur, on voit qu'elle s'amorce au niveau de Shaoshang (P.11), qui, sur le méridien yin, conserve l'attirance vers le revers pour les échanges subtils avec l'interne, mais qui, arrivant à son extrémité, amorce le mouvement vers l'avers, vers la manifestation. À Shangyang, sur le méridien yang, le mouvement vers l'avers pour les échanges avec l'extérieur devient prédominant; la présence du caractère yang (陽) le montre assez.

On passe d'un courant qui parcourt la face interne, qu'il a formée, à celui qui s'occupe de la face externe du bras.

Pourquoi l'insistance sur l'apparentement avec le métal, par la mention de shang (note du métal, de l'Automne), sinon parce que le point d'ancrage du Yangming de main est également le point de son élément propre, puisque, pour le Yangming, le point puits est le point correspondant au métal.

On peut aussi penser que le métal est l'élément "sonore" par excellence. Dans le métal, on fond les cloches qui donnent les carillons et qui émettent des sons vibrants. Dans le Nanjing 40, le Poumon (qui est le zang représentant l'élément métal) commande les sons (sheng 聲). Le Poumon et le Gros Intestin sont les organes du corps qui résonnent, produisent des sons audibles.

On peut enfin constater que le pouce et l'index forment une pince et déterminent entre eux une ouverture et une fermeture, qui ressemble à la rythmique qui caractérise l'élément métal.

Shang (商) peut être employé en équivalent à ke (刻), marquant l'écoulement du temps mesuré à la clepsydre4. Y a-t-il, dans le fait que les deux premiers méridiens des cycles de distribution des souffles aient en leur extrémité un point avec le caractère shang, une allusion à l'écoulement du temps, qui est aussi l'écoulement des souffles selon les méridiens ?

"Ainsi   les   souffles,   à  partir  du  Taiyin   sortent  et   se  déversent  dans   le  Yangming  de  main,  montent  se  déverser  au  Yangming  de  pied  ..."  (LS  16)  

"Le  Réchauffeur  Supérieur  sort  à  la  bouche  de  l'Estomac  (cardia);  il  s'associe  avec  le  pharynx   pour   monter   en   traversant   le   diaphragme   et   se   diffuser   au   milieu   de   la  poitrine  (xiong  zhong  胸中).  Il  se  rend  à  l'aisselle  et  progresse  suivant  la  division  du  secteur   du   Taiyin;   s'en   retournant,   il   parvient   au   Yangming,   monte   et   atteint   la  langue,   descend   au   Yangming   de   pied.   Sa   circulation   normale   est   avec   la  reconstitution  (ying  營)  :  25  fois  au  yang,  25  fois  au  yin,  ce  qui  fait  un  tour.  C'est  ainsi  

                                                                                                               4. Un ke (刻) équivaut environ à un quart d'heure (soit un huitième de l'heure double, la division par excellence au niveau du temps). Le LS 76 mesure le temps en fonction de l'écoulement des souffles défensifs.

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que  toutes  les  50  fois,  il  y  a  retour  au  grand  rassemblement  (da  hui  大會)  au  Taiyin  de  main."  (LS  18)  

Ce "grand rassemblement" n'est pas sans rappeler les points Taiyuan (P.9) (rassemblement des mai) et Yuji (P.10) sur le Taiyin de main.

EMPLOIS CLASSIQUES

On trouve parfois l'expression Shangyang 商陽 comme nom de montagne. Une montagne sort de terre et se manifeste à la vue de tous; elle offre son versant au soleil.

AUTRES NOMS

L'autre dénomination proposée par le Jiayijing est Jueyang (絕陽). S'agit-il d'un yang qui s'interrompt ou d'une séparation, par épuisement, qui transforme un courant yin en un courant yang ? Le yin cesse et disparaît pour donner place au yang qui s'affirme.

INDICATIONS

Neijing et Jiayijing

"Maladie   de   chaleur   commençant   à   la   main   et   au   bras   :   on   prend   d'abord   le  Yangming  de  main,  puis  le  Taiyin  (de  main),  et  la  sueur  sort."  (LS  21,  Jiayijing  VII,  1  zhong)  

Pour le Taisu, il s'agit de Shangyang et de Kongzui (P.6). On associe le point puits du méridien yang et le point xi (郄, pertuis favorable) du méridien yin, pour provoquer la sudation qui éliminera la chaleur excessive, quand cette dernière débute dans les membres supérieurs5.

Wang Bing, quant à lui, associe, dans le même but, point puits et point luo : Shangyang et Lieque (P.7).

"Pour  des  douleurs  à  la  mâchoire  inférieure,  on  puncture  sur  le  Yangming  ainsi  que  sur   la  puissante   (sheng  盛)   circulation  vitale   (mai  脈)   à   la  mâchoire   inférieure;  on  fait  une  saignée."  (LS  26,  Jiayijing  IX,  1)  

                                                                                                               5. Cf. P.6 et les rapports de Kongzui avec les orifices et ouvertures.

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On interprète habituellement ce texte comme désignant les points Shangyang et Jiache (E.6).

"Fièvres  intermittentes  évoluant  vers  le  froid  :  on  puncture  les  Yangming  et  Taiyin  de  main,  ainsi  que  les  Yangming  de  Taiyin  de  pied."  (SW  36,  Jiayijing  VII,  5)  

Les 4 points puits des méridiens cités apparaissent régulièrement chez les commentateurs. On leur associe souvent les points shu (俞). On distingue parfois deux modalités d'action : une dispersion de la chaleur sur les méridiens yang et une tonification du yin sur les méridiens yin.

En tant que point puits, Shangyang est présent à plusieurs reprises dans l'étude des différents cas types de piqûre miu (繆), en SW 63 :

"Quand  les  pervers  se  sont  logés  dans  les  liaisons  (luo  絡)  du  Yangming  de  main,  le  patient   a   un   encombrement   de   souffles   dans   la   poitrine,   une   dyspnée   avec   une  pression  (zhi  支)6  dans  la  région  sous-­‐axillaire,  de  la  chaleur  au  milieu  de  la  poitrine  (xiong  zhong  胸中).  On  puncture  à  l'index,  en  haut  de  l'ongle,  à  une  feuille  de  poireau  de   son   extrémité,   en   portant   à   chaque   fois   un   coup7.   Pour   la   gauche,   on   prend   à  droite  et  pour  la  droite,  à  gauche8.  Le  temps  de  manger  un  peu,  et  c'est  fini."  

"Quand  les  pervers  se  sont  logés  dans  les  liaisons  (luo  絡)  du  Yangming  de  main,  le  patient  a  une  diminution  de  l'acuité  auditive9  allant  parfois  jusqu'à  la  surdité  totale  :  on  punture  l'index,  en  haut  de  l'ongle,  à  une  feuille  de  poireau  de  son  extrémité,  en  portant  à  chaque  fois  un  coup;  et,  aussitôt,  on  entend10."  

Il ne faut pas appliquer ce traitement en cas de surdité ininterrompue, car le mal étant alors plus profond, installé sur un vide, il ne relèverait pas de ce genre de puncture miu.

La fin du paragraphe précise qu'on puncture, là aussi, à l'opposé.

On applique le même traitement pour des vents dans l'oreille. (cf. Jiayijing XII, 5, infra)

"Quand  (les  pervers)  se  propagent   insinueusement  (miu  繆)  et   irradient  aux  dents  supérieures,   dents   et   lèvres   sont   froides   et   douloureuses.   On   examine   alors   les  réseaux  sanguins  (capillaires,  mai  xue  脈血)  sur   le  dos  de   la  main  et   l'on  évacue11.  On  puncture  le  Yangming  de  pied,  à   l'orteil  du  milieu,  en  haut  de  l'ongle  (E.45),  en  portant  à  chaque  fois  un  coup.  On  puncture  le  Yangming  de  main,  à  l'index,  en  haut  de   l'ongle  (G.I.1),  en  portant  à  chaque  fois  un  coup.  Ça  se  termine   immédiatement.  Pour  la  gauche,  on  prend  à  droite  et  pour  la  droite,  à  gauche."  (SW  63)  

                                                                                                               6 Une compression, comme une gêne qui serait due à des liquides pathologiques. 7. Une puncture à chaque traitement; sans doute un geste assez violent, qui va jusqu'au sang. 8. Quand les symptômes se manifestent à gauche, on traite à droite; et vice-versa. 9. Er long (耳聾), évoluant vers la surdité. 10. Si l'on n'obtient pas le résultat escompté, on puncture Zhongchong (M.C.9) ou Shaochong (C.9). 11. On observe les stases sanguines superficielles dans le secteur du Yangming de main et on les évacue.

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"Maladie  de  chaleur  où  la  sueur  ne  sort  pas  :  sous  l'autorité  de  Tianzhu  (V.10)  ainsi  que  Fengchi  (V.B.20),  Shangyang  (G.I.1),  Guanchong  (T.R.1),  Yemen  (T.R.2)."      (Jiayijing,  VII,  1,  zhong)  

"Fièvres   intermittentes   relevant   de   la   chaleur   (re   nüe   熱瘧),   accompagnée   de  sècheresse  de  la  bouche  :  sous  l'autorité  de  Shangyang."  (Jiayijing,  VII,  5)  

"Une   contracture   au   bras   irradie   jusqu'à   la   bouche,   froid   au   centre  (zhong   han  中寒)   et   œdème   (zhong  腫)   de   la   région   sous-­‐orbitaire,   œdème12   à  l'épaule  qui  irradie  jusqu'à  Quepen  (E.12)  :  sous  l'autorité  de  Shangyang."  (Jiayijing,  X,  5)  

"Glaucome  (qing  mang  青盲)  :  sous  l'autorité  de  Shangyang."  (Jiayijing,  XII,  4)  

"Bruits   dans   l'oreille   comme   des   vents,   bourdonnements,   diminution   de   l'acuité  auditive   allant   parfois   jusqu'à   la   surdité   complète   :   sous   l'autorité   de   Shangyang."  (Jiayijing,  XII,  5)  

"Bouche  sèche13  et  douleur  aux  dents   inférieures,   frilosité  et   région  sous-­‐orbitaire  œdématiée  :  sous  l'autorité  de  Shangyang."  (Jiayijing,  XII,  6)  

Shangyang figure également dans une liste de points pour les blocages des passages qui se font par la gorge (hou bi 喉痹); il s'y trouve en compagnie de Chize (P.5), Hegu (G.I.4), ainsi que Tianding (G.I.17). (Jiayijing, XII, 8)

On remarque que les symptômes placés sous l'autorité du point concernent : - soit des lieux de passage du méridien (par exemple les dents). - soit des affections de la gorge, de l'œil et de l'oreille, sans doute par solidarité avec le Yangming de pied; mais ces affections conviennent bien aussi à un point puits. - soit des affections pulmonaires (où la relation avers/revers, biao/li, des deux méridiens va jouer à plein).

Zhenjiu dacheng

". Encombrement de souffles dans la poitrine. . Dyspnée, toux et pression de liquides pathologiques générant des œdèmes (zhi zhong 支腫). . Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas. . Bourdonnement d'oreille et surdité (diminution de l'acuité auditive). . Chaud et froid (alternance de frissons et fièvre), fièvres intermittentes. . Bouche sèche. . Enflure (œdème, zhong 腫) au menton et aux côtés du visage (yi han 頤頷). . Mal aux dents. . Crainte du froid. . Crispation à l'épaule et en (haut du) dos, avec irradiation douloureuse en plein Quepen.

                                                                                                               12. Habituellement corrigé en : douleur à l'épaule..., d'après Waitai et autres. 13. En corrigeant, d'après le Waitai, "dans la bouche" (kou zhong 口中) en "bouche sèche" (kou gan 口乾).

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. Glaucome (qing mang 青盲).

On moxe trois fois (à trois reprises); pour la gauche on prend à droite et pour la droite on prend à gauche; le temps d'un repas et c'est fini."

Beaucoup de symptômes s’expliquent par le trajet du méridien. Au point puits, on peut dégager à distance, par exemple à l’épaule, aux dents, au visage.

Certains symptômes concernent plus particulièrement l’œil et l’oreille. Le méridien ne pénètre pas se connecter (luo 絡) à l'oreille, donc les surdités ne peuvent pas, en fait, être traitées à ce point. C'est le luo qui a un rapport avec l'oreille. Les glaucomes s’expliquent par une chaleur dans le Gros Intestin. Une méthode de moxibustion pour les glaucomes peut être pratiquée en ce point : on moxe à trois reprises, en prenant à gauche pour la droite et inversement.

D’autres symptômes concernent le Poumon et sont liés à la relation avers/revers des méridiens de Gros Intestin et de Poumon. Le point puits du Gros Intestin. est donc tout indiqué.

Autres symptômes

. Maux de dents et plus particulièrement des dents du bas.

. Enflures et douleur de la gorge.

. Surdité - bourdonnements (acouphènes).

. Enflure du menton.

. Atrophie du nerf optique.

. Paralysie de l'index.

. Maladie de chaleur.

. Coma - syncope - coma apoplectique.

. Inflammation de la cavité buccale (stomatite).

. Inflammation de la gorge (angine laryngée, laryngite).

. Amygdalite.

. Oreillons.

FONCTIONS

Faire s'écouler la chaleur et réduire les enflures (xie re xiao zhong 泄熱消腫). Ouvrir les orifices et ranimer les Esprits (kai qiao xing shen 開竅醒神). Clarifier la chaleur et délivrer l'avers (qing re jie biao 清熱解表). Faire bien descendre par la gorge (li yan 利咽).

ASSOCIATIONS

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Avec Gongsun (Rt.4) et Sanli (E.36) pour les diarrhées.

Avec Hegu (G.I.4) et Xiangu (E.43) pour les fièvres intermittentes où la chaleur monte en puissance (en dispersion). Par ces trois points, on fait s'écouler la chaleur et on rafraîchit-clarifie les Yangming.

"Fièvres intermittentes de froid : par expérience Shangyang (G.I.1) et Taixi (R.3)." (Baizhengfu)

"Maladie de chaleur où la sueur ne sort pas : Shangyang (G.I.1), Hegu (G.I.4), Yanggu (I.G.5), Xiaxi (V.B.43), Lidui (E.45), Laogong (M.C.8), Wangu (V.B.12)." (Dacheng)

"Shangyang (G.I.1), Shanglian (E.37), Sanli (E.36), Qihu (E.13), Zhourong (Rt.20), Shangguan (=R.M.13), Laogong (M.C.8), Yongquan (R.1), Yanglingquan (V.B.34) commandent les encombrements avec sensation de pression (zhi man 支滿) à la poitrine et aux côtes." (Qianjinfang)

"Douleur en plein Quepen : Taiyuan (P.9), Shangyang (G.I.1), Linqi de pied (V.B.41)." (Dacheng)

Avec Shaoshang (P.11) et Hegu (G.I.4) pour les enflures et douleurs de la gorge.

"Shangyang  (G.I.1),  Juliao  (E.3),  Shangguan  (V.B.3),  Chengguang  (V.6),  Tongziliao  (V.B.1),  Luoque  (V.8)  commandent  les  glaucomes  (qingmang)  menant  à  la  cécité  (atrophie  terminale  du  nerf  optique)."  (Qianjin)  

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IV.  LA  FORME  CORPORELLE  -­  XING  形  

C'est le corps sous l'angle de la forme corporelle, de sa forme différenciée.

“Par FORME CORPORELLE, il faut entendre ce par quoi diffèrent les êtres qui ont forme et image.” (Shiming)

形  幼  形  象  之  異              xing  you  xing  xiang  zhi  yi

Le Shuowen, dans sa définition de xing 形 , reprend également le terme de xiang 象 , images:

« La forme corporelle, c'est l'image. » (Shuowen Jiezi)

形  象  也 xing  xiang  ye

et le commentateur Tuan Yucai précise :

« Images (xiang 象) est mis pour représentation (xiang 像). Cela veut dire que c'est une forme ressemblante et que l'on peut donc voir. »

象 當 作 像 謂 像 似 可 見 者 也       xiang dang zuo xiang wei xiang si ke jian zhe ye

Regardons de plus près la signification de xiang 象 ou 像 .

Le premier sens de xiang 象 est celui d'éléphant (le caractère représenterait la trompe, les défenses, les pattes et la queue de l'animal).

Le second sens, qui s'ensuit naturellement, est celui d'ivoire. Mais la suite des autres sens pose un problème. On arrive sur les notions de formes, figures, ressemblances, symboles, représentations, apparences, corps célestes... Certains disent que ces sens dériveraient de celui d'éléphant, car cet animal aurait disparu assez tôt des régions de Chine où l'écriture s'est élaborée. Ainsi xiang 象, l'éléphant, ne serait plus resté que comme un mot, une image, une représentation figurée, gravée ou peinte d'un animal disparu. De là les sens d'images, représentations...

Quand on ajoute le radical « homme », 人, on obtient xiang 像; ce caractère qui tire vers le sens de formes, images, portraits, voire statues, représentations en général; mais aussi ressemblance, empreinte laissée par quelque chose.

Quoiqu'il en soit, xiang 象 évoque une image, une forme laissée ou créée par une réalité sans forme. Les phénomènes, xiang 象 , se présentent à notre observation comme à notre action. Ils proviennent de l'indicible réalité du Dao ou Chaos.

«  Le  grand  symbole  est  sans  contour  ».  (Laozi,  ch.41)      大 象 無 形  da xiang wu xin

Le grand symbole, le symbole absolu, est sans contour car aucune forme ne s'adapte à lui. Ce qui justement est « sans contour », « sans forme » ( wu xing 無形 ), c'est, non pas les

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représentations phénoménales particulières, mais le Grand Symbole, da xiang 大象 , qui est de l'ordre de l'absolu, du Dao, au-delà du monde sensible.

Avec la forme, xing 形, nous sommes introduits dans le monde sensible, diversifié, où les formes, issues du sans forme, sont multiples et revêtues chacune de caractéristiques propres.

La décomposition de le caractère xing 形 fait apparaître deux parties :

- la phonétique 幷 qui est, étymologiquement, l'image de deux plateaux de balance en équilibre ( 并 ) : il y a quelque chose de bien bâti et solidement équilibré, pour servir de base, d'assise.

- le radical 彡 : ce sont les poils, les plumes, les cheveux; quelque chose de léger et de flottant qui vient revêtir et orner l'assise, la désignant au regard en manifestant la vie par le mouvement de flotter au vent. C'est le drapeau, la bannière, le signe de reconnaissance.

Prendre une forme normale des êtres sensibles, c'est prendre place parmi tous les êtres différents qui vivent entre Ciel et Terre. Les Dix mille êtres sont autant de formes différenciées :

«   Produits   par   la   Voie,   nourris   par   la   Vertu,   figurés   par   l'Espèce,   achevés   par  l'Entour,  les  Dix  mille  êtres  ».  (Laozi,  ch.51;  trad.  Claude  Larre)  

道 生 之 德 畜 之 物 形 之 勢 成 之 是 以 萬 物 dao sheng zhi de xu zhi wu xing zhi shi cheng zhi shi yi wan wu

Quand Yu le Grand parcourait l'Empire, arrivant au pays des hommes nus, il ôtait son vêtement, quittant ce pays, il reprenait son vêtement. De même, les êtres revêtent puis quittent un aspect sensible; ils entrent, par la naissance, dans le monde des formes, des espèces; ils le quittent, par la mort, pour retourner au « sans forme » (wu xing 無形), à l'invisible, à l'informe, qui est l'inépuisable réservoir de vie et de potentialités. Ainsi

« Le Sans Forme, c'est l'ancêtre premier des êtres » (Huainanzi, ch.1)

夫 無 形 者 物 之 大 祖 也       fu wu xing zhe wu zhi da zu ye

ou encore un peu plus loin :

«  On  sort,  c'est  la  vie.  On  rentre,  c'est  la  mort.  Du  Sans  Forme,  on  passe  à  ce  qui  en  a  une  et  de  ce  qui  a  une  forme,  on  passe  à  ce  qui  n'en  n'a  pas.  »  

出 生 入 死 自 無 蹠 有 自 有 蹠 無 chu  sheng  ru  si  zi  wu  zhi  you  zi  you  zhi  wu

La même idée se trouve dans le Zhuangzi :

«  Au  grand  commencement,  c'est   le  Sans  Forme,  c'est   le  Sans  Nom.  L'Un  qui  surgit  est  Un   sans   forme   corporelle   ;   et   que   des   êtres   soient   produits,   c'est   la   Vertu.  Du  Sans   Forme,   se   produit   la   distinction   et   de   là   continûment   ce   qu'on   appelle   les  destins   (particuliers).   D'eux,   entre   le   repos   et   le   mouvement,   naissent   les   êtres  

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vivants.   La   disposition   naturelle   de   naissance   et   d'achèvement   des   êtres,   c'est   ce  qu'on  appelle  la  forme  corporelle.  La  forme  corporelle  et  la  constitution  abritent  les  esprits,  faisant  de  chaque  être  un  être  propre,  et  cela  on  l'appelle  sa  nature  (propre).  »  (Zhuangzi,  chapitre12)  

泰 初 有 無 有 無 名 一 之 所 起 有 一 而 未 形 物 得 以 生 謂 之 德 tai chu you wu you wu ming yi zhi suo qi you yi er wei xing wu de yi sheng wei zhi de

未 形 者 有 分 且 然 無 間 謂 之 命 留 動 而 生 物 wei xing zhe you fen qie ran wu jian wei zhi ming liu dong er sheng wu

物 成 生 理 謂 之 形 形 體 保 神 各 有 儀 則 謂 之 性 wu  cheng  sheng  li  wei  zhi  xing  xing  ti  bao  shen  ge  you  yi  ze  wei  zhi  xing

Les formes différenciées surgissent de ce qui est sans forme, et c'est là l'origine de chaque être, de chaque forme figurée dans son originalité propre ; c'est ce qui lui permet de s'individualiser à la fois par une apparence, une forme corporelle et par la présence de shen 神 , d'esprits spécifiques, et de s'accomplir dans une destinée.

La formation et la structuration de l'être humain procèdent ainsi. Voici un passage du début d'une compilation médicale :

«  Le  Dao  du  corps  (humain,  représentation  et  structure),  c'est  du  Non  Avoir  à  l'Avoir  (des   formes).  Le  Non  Avoir   (le  Sans  Forme),  ce  sont   les  souffles  du  Ciel  Antérieur.  L'Avoir  (des  formes),  ce  sont  les  forme  du  Ciel  Postérieur.  »  (Leijing  Tuyi)  

體 象 之 道 自 無 而 有 者 也 無 者 先 天 之 氣 有 者 後 天 之 形 ti  xiang  zhi  dao  zi  wu  er  you  zhe  ye  wu  zhe  xian  tian  zhi  qi  you  zhe  hou  tian  zhi  xing

Le principe qui gouverne un corps structuré et présentant une apparence en fonction des lignes de force de sa structure interne est que « çà » commence dans le Sans Forme pour aller aux formes. Et le texte continue :

«  Maître  Shao  disait  :  le  Ciel  s'appuie  sur  des  formes  :  la  Terre  sert  les  souffles.  Les  souffles  pour  créer  les  formes  ;  les  formes  pour  loger  les  souffles.  »  

邵 子 曰 天 依 形 地 附 氣 氣 以 造 形 形 以 寓 氣 Shao  zi  yue  tian  yi  xing  di  fu  qi  qi  yi  zao  xing  xing  yi  yu  qi

La forme corporelle, xing 形, se présente immédiatement à notre perception : ce qui se voit, se touche, s'entend, se sent.... (mais également, ce qui voit, touche, entend, sent... exerce l'activité sensorielle, sensible qui lui correspond).

La forme corporelle exprime sensiblement la structure profonde, non visible ; et c'est le lieu de circulation des souffles propres de l'individu, animateurs et producteurs à la fois de la structure (les lignes de force) et de la forme.

Une forme, xing 形, n'est pas un trompe-l’œil, une apparence fallacieuse, un leurre, une illusion, une image imaginaire. La forme est ce qu'elle montre, l'expression fiable d'une réalité sous-jacente. Une personne se révélera par le corps, par son corps, qui dépend, par exemple,

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de la forme et de la grandeur de ses os, de son hérédité, mais aussi de son état général et, sans doute plus profondément, de son état mental et spirituel.

Le corps, la forme corporelle, xing 形, est le lieu où s'opère l'agression des pervers (agents des maladies) et celui des interventions qui rétabliront la normalité. Il est le médium de la guérison. Forme corporelle et pervers se trouvent au même niveau de réalité, de sensibilité, car le corps est actif par les sens et subit l'action des sens des autres. La forme corporelle est le terrain des actions sensibles et repérables. La véritable action, notamment thérapeutique, se situant, bien entendu, au niveau, plus subtil, des souffles et des esprits. Mais ceux-là ne sont pas directement perceptibles. On ne voit jamais le vent, seulement les branches et les feuilles qui remuent ; on sait alors qu'il y a du vent. On sait même, en observant bien, dans quel sens il souffle, avec quelle force, comment s'en protéger, ou en protéger sa maison.

La dialectique Sans Forme/Ayant une forme ou encore souffles/forme sensible, c'est la vie. Le Shiming, dans sa première section, consacrée au Ciel, donne la définition suivante pour les souffles, qi 氣 :

« C'est ce qu'on perçoit (qu'on entend), mais qui n'a pas de forme. » (Shiming)

有 聲 而 無 形   you sheng er wu xing

La forme, xing 形, est le terrain où se jouent les diverses actions de la vie, telles qu'on peut les voir se manifester. Les formes varient avec les moments et les lieux.

On voit par exemple couramment la géographie expliquer la complexion physique, c'est-à-dire la forme corporelle : les hommes qui naissent dans les régions du Sud sont caractérisés de telle ou telle manière, par différence avec ceux du Nord ou de l'Est...

Des textes du Huainanzi et plus encore du Shanhaijing (classique des Monts et des Mers) nous renseignent sur la façon dont l'Orient, le lieu de naissance, détermine certaines caractéristiques physiques, ou même morales, de l'individu. Les textes médicaux, tels le Huangdi Neijing, insisteront naturellement sur les propensions aux maladies en fonction du lieu de naissance ou d'habitation.

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LES CINQ ZANG ET LES SIX FU PROVOQUENT TOUS LA TOUX CHEZ L'HOMME La toux est, fondamentalement, symptôme d'une atteinte au Poumon. Cependant le Poumon peut subir une altération de son fonctionnement normal du fait du dérèglement dans un autre viscère. Le Poumon est le maître des souffles; il en assure la propagation et la diffusion dans tout l'organisme; il en relance le mouvement chaque matin, à l'aube, en l'équilibrant; il donne et maintient le rythme normal des circulations des souffles ... (cf. Suwen 8, 21 ...). Les souffles lui parviennent de l'ensemble des zang et des fu; ils se dégagent du travail que chaque zang fait sur les essences qui le composent et l'imprègnent. Chaque zang dégage une qualité particulière de souffles qui permet, en un individu, de recomposer à tout moment et en chaque endroit les Cinq aspects du mouvement vital unifié. Les fu œuvrent pour extraire les essences contenues dans l'alimentation; ces essences, modulées en Cinq saveurs, sont captées par les zang en fonction d'affinités naturelles. Ainsi l'acide va au Foie, l'amer au Cœur...

On conçoit donc qu'une altération pathologique de l'un des zang ou fu puissent se répercuter sur le Poumon; en effet la qualité des souffles qui lui parviennent ne sera plus parfaite et le Poumon, maître des souffles, reflètera cette disharmonie par une toux. Cette toux revêtira un aspect spécifique suivant le viscère atteint. Les symptômes d'accompagnement permettent donc de déterminer le zang ou le fu touché puisque c'est la qualité des souffles qui en émane, l'aspect du mouvement vital qu'il représente et donc ses fonctions dans l'organisme, qui se trouveront altérés ou affaiblis.

"Le Poumon est le maître des souffles et il occupe la position la plus élevée; il rassemble à son audience matinale les Cent circulations (bai mai 百脈). Ainsi, bien que la toux soit un symptôme du Poumon, les pervers qui affectent les Cinq zang et les Six fu peuvent aussi, les uns comme les autres, monter se reporter sur le Poumon, provoquant des toux." (Zhang Zhicong)

PEAU ET POILS, JONCTION DU POUMON Les souffles pervers dont il est ici question sont ceux qui pénètrent l'interne à partir de l'extérieur; ils sont représentés par excellence par un froid accompagné et redoublé de vent, comme le signalent Zhang Jiebin et nombre d'autres commentateurs.

La progression la plus habituelle des pervers agressant les zones externes du corps est celle qui pénètre graduellement dans la profondeur. Les pervers passent de la peau et des poils aux réseaux d'animation les plus superficiels et jusqu'aux plus profonds; de là, aux fu et aux zang (cf. Suwen 5, 56, 62 et autres).

Nous ne sommes pas ici dans ce cas de figure. Les pervers passent directement de la peau et des poils au Poumon. Ils sont appelés la jonction (he 合) du Poumon (cf. Suwen 5, 10). La signification est qu'à ce niveau de la structure corporelle se trouve le même aspect du mouvement vital que celui qui, à l'interne de l'être, dans l'intimité des fondements de sa vie, est la base du Poumon. Cet aspect est celui du rythme, de la régulation, de la limitation d'une expansion; c'est celui que l'on observe, dans les saisons à l'automne et dans les orients à l'Ouest (cf. Suwen 5).

La peau et les poils sont les limites du corps et les lieux ultimes de l'expansion du mouvement des souffles; ils assurent les communications avec l'extérieur du corps par les ouvertures et fermetures, bien régulées, des pores. Le Poumon, quant à lui, maître des souffles, de leur propagation, circulation, rythmique, est aussi le zang directement en communication avec l'extérieur par la respiration. Poumon et peau-et-poils entrent en résonance; quand l'un est

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troublé ses fonctions se dégradent et, comme les mêmes fonctions sont assurées à un autre niveau par la "jonction", celle-ci se dégrade par réaction, par sympathie.

Ainsi, une atteinte venue de l'extérieur qui bloque les mouvements et circulations au niveau de la peau et des poils peut se répercuter sur les fonctions pulmonaires. Le Poumon est déstabilisé, sa situation est précaire.

FROID DE L'ESTOMAC ET FROID DU POUMON Les communications entre l'Estomac et le Poumon sont nombreuses et bien établies :

"Le mai du Taiyin de main, Poumon, surgit au Réchauffeur moyen, descend se connecter (luo 絡) au Gros Intestin, s'en retourne en suivant la bouche de l'Estomac, monte au diaphragme et prend une relation de dépendance avec le Poumon." (Lingshu 10)

"Le grand luo de l'Estomac a pour dénomination xuli 虛里 ... Il passe au travers du diaphragme, prend le Poumon dans un réseau de liaison, sort sous le sein gauche ... " (Suwen 18)

De plus la Rate (couplée à l'Estomac) est le Taiyin du pied, en affinité et en continuité avec le méridien du Poumon, Taiyin de main. C'est perpétuellement que les essences très raffinées et les souffles très purs qui se dégagent du Réchauffeur moyen s'élèvent au Réchauffeur supérieur.

Si la douce chaleur nécessaire à l'Estomac pour l'accomplissement de son rôle digestif se dégrade, les répercutions atteignent immédiatement le Réchauffeur supérieur où siège le Poumon. Ainsi un excès de froid dans l'alimentation fait apparaître un refroidissement dans l'Estomac. Le froid envahit le Réchauffeur moyen, lieu d'origination du méridien du Poumon, de ses souffles; il monte au Poumon, lui portant des atteintes qui sont de gel, d'immobilisation et qui vont gêner les mouvements de distribution et d'expansion des souffles du Poumon.

LE FROID AU POUMON DÉCLENCHE LA TOUX PULMONAIRE Les pervers du froid reçus par la peau et les poils, de l'extérieur, joignent au niveau de Poumon leur nuisance au froid qui arrive de l'interne par l'Estomac. Le froid est alors assez fort pour s'installer au Poumon, s'y loger en parasite. L'impossibilité pour le Poumon de faire circuler les souffles provoque un contre-courant qui déclenche la toux.

"Quand le corps est froid et que l'on boit froid, on porte atteinte au Poumon. Ces deux froids s'excitent l'un l'autre; le centre comme l'extérieur sont atteints et c'est pourquoi les souffles se mettent en contre-courant et remontent en haut." (Lingshu 4)

LES CINQ ZANG, CHACUN EN SA SAISON, REÇOIVENT LA MALADIE Chacun des Cinq zang domine une saison et c'est pendant cette saison qu'il reçoit le plus facilement un mal. Il y a une résonance particulière de chaque zang avec la qualité de souffles qui s'expriment à l'extérieur dans chacune des saisons. Ainsi le Foie, qui est le Bois, est plus réceptif et sensible au vent du printemps que n'importe quel autre zang. C'est ce qui fait à la fois sa puissance et sa fragilité durant le printemps. Ce n'est là, bien sûr, qu'un aspect de la chronobiopathologie; les maladies du Foie, même au printemps, peuvent venir d'autres causes, comme une insuffisance des conduites propres à l'hiver (cf. Suwen 2).

Si un zang, par exemple le Foie, reçoit les pervers en sa saison, en l'occurrence le printemps, il s'en suivra une maladie spécifique du zang : on sera malade du Foie. Mais un zang qui

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reçoit les pervers en dehors de sa saison transmet l'atteinte au Poumon qui, par réaction, déclenche la toux :

"Dans les zang, c'est le Poumon ... Dans les mouvements réactionnels à une altération, c'est la toux." (Suwen 5)

La toux est la réaction du Poumon quand il subit une altération pathologique, d'où qu'elle vienne. C'est ainsi qu'un déséquilibre transmis au Poumon, par l'intermédiaire des souffles, par tel ou tel zang, pourra déclencher des toux. Toutes sortes de pervers extérieurs pourront donc entraîner une toux : humidité, vent, froid, sécheresse, chaleur ... puisque ce sont les souffles à l'œuvre dans les diverses saisons. Selon la saison du déclenchement de la toux et les symptômes qui apparaissent en même temps, on a des indications sur les causes, la nature de la toux, ses incidences sur le fonctionnement de l'organisme et donc sur le traitement approprié.

Notons la formule "L'homme fait triade avec le Ciel et la Terre" qui exprime l'idéologie dominante de la période Qin-Han. La vie de l'homme et celle de l'univers se faisant sur les mêmes modèles, les mêmes structures, les zang en l'homme sont exactement les saisons dans le déroulement du temps, les éléments (xing 行) dans les conditions de la vie sur Terre, les orients dans la répartition de l'espace en quadrants ... Si le Foie qui est en nous le déclencheur des mouvements, celui qui lance haut et loin les circulations, n'est pas en parfaite résonance avec le printemps à l'extérieur, par la suite d'une faiblesse du Foie lui-même ou d'un temps printanier détraqué, les maladies seront une altération, en nous, de ces déclenchements et lancers, ce qu'on appelle une atteinte du Foie.

TOUX – DIARRHÉES ET DOULEURS Si l'on est affecté faiblement, c'est que les pervers sont relativement en superficie. Étant à la peau et aux poils, ils investissent le Poumon et ses souffles, provoquant le contre-courant de souffles qui entraîne la toux.

Si l'on est affecté plus sérieusement, les pervers ont pénétré plus profondément; ils se sont enfoncés dans les fu, Intestins et Estomac. Peut-être ont-ils également investi la Rate, Taiyin de pied, dont les relations avec l'Estomac sont intimes et qui est le paravent de tous les yin. C'est alors la perturbation de la digestion et des acheminements corrects du bol alimentaire; le transit intestinal ne fonctionne plus correctement, le froid gêne les fonctions de la Rate et gèle les circulations dans le ventre. D'où les diarrhées et douleurs.

LA TOUX DU POUMON Maître des souffles, le Poumon fait fonctionner la respiration. L'investissement du Poumon par des pervers perturbe ces fonctions, d'où la toux et la dyspnée. Les obstructions dans le mouvement des souffles expliquent le bruit que l'on fait en respirant. Il peut y avoir présence de phlegme, qui renforce les blocages et les bruits respiratoires.

Les crachements de sang s'expliquent par l'atteinte portée sur les réseaux d'animation du Poumon plus superficiels que les méridiens, les luo (絡). Ils sont gorgés de sang, qu'ils sont chargés de faire circuler, comme dans les capillaires par exemple. L'irritation par une toux persistante de ce système – sans doute aidée par la pression d'une chaleur apparue à la suite des obstructions et blocages – fait sortir le sang de ces capillaires et, quand on tousse, les crachats sont imprégnés de sang.

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LA TOUX DU CŒUR Le Cœur atteint, ses souffles à travers son méridien s'en ressentent et deviennent incapables de remplir leurs fonctions. Or :

"Le mai du Shaoyin de main, Cœur, ... à partir du système de connexion du Cœur, monte en encadrant le pharynx" (Lingshu 10) "Les souffles ancestraux (zong qi 宗氣 ) s'accumulent au milieu de la poitrine; ils sortent au larynx en passant par le mai du Cœur pour actionner la respiration." (Lingshu 71)

Donc les agents pathogènes gênant les mouvements et circulations, en particulier du sang dont le Cœur est responsable, il y a cardialgie. Les souffles du Cœur ne pouvant plus assurer les mouvements de la respiration et du pharynx, on a des obstacles dans la gorge. Cela va jusqu'à des enflures du pharynx et un blocage des fonctions de la gorge (hou bi 喉痹). On peut, comme toujours, supposer qu'une chaleur réactive aux blocages aggrave l'état.

LA TOUX DU FOIE Le méridien du Foie traverse la région des côtes ainsi que la région sous-costale; il se diffuse au niveau des côtes. Le blocage de ces souffles qui sont empêchés de s'étendre et de circuler librement, explique la douleur et sa localisation. Dans les cas graves la douleur et l'encombrement sont tels qu'on ne peut plus se tourner de côté sous peine d'intensifier le contre-courant des souffles qui atteint alors les régions sous les aisselles.

LA TOUX DE LA RATE La Rate commande la région centrale;, mais son atteinte se répercute sur le Poumon avec qui elle est en affinité naturelle de souffles (Taiyin). La Rate, commandant à l'élévation, fait monter vers le Poumon les essences et les souffles. Si les agents pathogènes font des obstructions et blocages à ce niveau, la Rate, non seulement ne peut plus entretenir le Poumon, mais elle gêne l'abaissement dont sont responsables les souffles du Poumon. D'où la douleur à droite, car le Poumon commande par la droite : les souffles s'élèvent par la gauche (Est, soleil levant ...) et s'abaissent par la droite (Ouest, soleil couchant ...). Les douleurs sont profondes et sourdes car c'est la région centrale qui est atteinte; elles irradient à l'épaule et au dos parce que l'atteinte de la Rate a contaminé le Poumon et que toute cette région des épaules et du haut du dos, sous l'obédience du Poumon et des Taiyin, souffre de malaise.

Les mouvements font cesser les rémissions de la toux, relancent ou augmentent le contre-courant des souffles, mettent l'agitation dans les souffles du Poumon, d'où l'intensification de la toux. Notons que la tranquillité est la caractéristique de l'élément Terre qui, en l'homme, est la Rate; toute attitude contrariant ce calme fera empirer la situation de la Rate.

LA TOUX DES REINS "Les lombes sont le fu (府) des Reins." (Suwen 17) "Le mai du Shaoyin de pied, Reins, ... passe à travers l'épine dorsale." (Lingshu 10)

L'atteinte aux Reins provoque des douleurs irradiant, par tiraillement, aux lombes et au dos. Ces relations avec les lombes et l'épine dorsale sont renforcées par le luo (絡) et par le musculaire (jing jin 經筋) liés aux Reins.

La relation des Reins avec le Poumon est directe; elle passe par le méridien des Reins :

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"Le mai du Shaoyin de pied, Reins, ... passe à travers le Foie et le diaphragme, pénètre dans le Poumon, longe le larynx ... " (Lingshu 10)

Reins et Poumon sont deux zang qui travaillent en symbiose pour assurer la juste quantité et la bonne répartition des liquides dans le corps : les Reins, aidés de la Vessie, récupèrent les liquides utilisables et éliminent les autres, par le bas. Le Poumon, par son action sur les souffles, participe à la distribution des liquides en tout endroit; de plus il exerce une pression sur les vapeurs chargées d'humidité qui arrivent à son niveau, de façon à les faire redescendre sous une forme liquide dans le tronc (cf. Suwen 21...).

Les atteintes de Reins et Poumon se manifestent souvent par une perte de la régulation des liquides du corps. En tant que zang correspondant à l'Eau, les Reins maîtrisent l'Eau, les liquides. Le Suwen l'exprime en détail au chapitre 81. Son méridien encadre la racine de la langue et a une relation particulière avec les orifices des glandes salivaires situées à ce niveau (là où se trouve le point Lianquan, D.M.23). Ces relations sont attestées dans les chapitres 52 et 69 du Lingshu. Un affaiblissement des Reins les rend incapables de retenir les liquides dont ils ont la charge; ils laissent donc quantité de salive sortir sous forme de crachats. Ces liquides sont pulsés en haut par le contre-courant qui s'est instauré dans les souffles du Poumon par suite de l'atteinte aux Reins. On rejoint alors les assertions du chapitre 23 du Suwen et du chapitre 78 du Lingshu, qui mettent en relation privilégiée les Reins et les crachats (tuo 唾).

Si la toux s'intensifie, une chaleur réactive aide à l'expulsion des liquides. D'autre part si l'atteinte des Reins (Réchauffeur inférieur) se répercute sur le Poumon (Réchauffeur supérieur), la Rate (Réchauffeur moyen) doit normalement être entraînée dans le contre-courant : elle perd sa maîtrise sur les liquides (ye 液) du corps et sur les transformations correctes de l'humidité, ce qui participe à la formation anormale de crachats. La Rate est, par ailleurs (Suwen 23), liée à la salive (xian 涎).

ÉPLACEMENT DE LA TOUX D'UN ZANG SUR LE FU CORRESPONDANT Pourquoi la toux se transmet-elle des zang vers les fu et non pas le contraire ? C'est qu'il ne s'agit pas d'une pénétration graduelle de l'extérieur vers la profondeur, mais d'une transmission directe, par la jonction à la peau et aux poils, des pervers extérieurs au Poumon.

Quand le déclenchement de la toux est lié à des causes internes qui atteignent les zang (fatigues, sentiments...), ce sont les zang les premiers touchés puisque c'est leur travail et leur identité qui sont troublés par un dérèglement dans les sentiments ou dans la conduite de la vie.

Quand le déclenchement de la toux est lié à des causes extérieures, ce sont encore les zang les premiers touchés puisque leur atteinte est la conséquence de l'affinité qu'ils entretiennent chacun avec une saison, cette saison étant d'une qualité de souffles analogue au zang, représentant le même aspect du mouvement vital.

C'est donc la persistance de la toux d'un zang qui provoque le déséquilibre et l'affaiblissement des fonctions du fu qui lui est couplé. On aura alors une toux accompagnée de symptômes marquant que tel fu n'est plus capable d'assurer son rôle.

TOUX DE L'ESTOMAC L'Estomac reçoit les aliments et les transmet à l'Intestin Grêle; ses souffles sont chargés de diriger vers le bas, d'abaisser. Si l'Estomac est atteint, ses souffles se mettent en contre-eourant, ce qui provoque les vomissements. Quand la situation s'aggrave, plus rien ne reste tranquille dans l'Estomac et des ascarides peuvent sortir avec les vomissements. ……………

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LE  DOUBLE  ASPECT  DE  LA  VÉSICULE  BILIAIRE  

CARACTÈRES  POUR  LA  VÉSICULE  BILIAIRE  

Le  caractère  classique  pour  la  Vésicule  Biliaire  est  dan  膽  ,  composé  à  gauche  du  radical  de  la  chair  月  et  à  droite  de  la  phonétique  zhan  詹.  Le  radical  indique  l'appartenance  à  un  corps  de  chair.  

La  phonétique  est  traditionnellement  expliquée  comme  composée  de  la  parole  言  ,  de  la  dissimination  八  et  du  danger  危,  avec  réduction  et  disparition  de  la  partie  inférieure  厃;  le  tout  donnant  le  sens  de  parler  beaucoup,  beaucoup  trop.  Bavarder  à  tort  et  à  travers,  c'est  être  incapable  de  se  régler  ou  de  parler  droit,   incapable  de  se  retenir  de  déverser  un   flot   de   paroles.   Celui   qui   parle   trop   parle   rarement   juste;   il   dit   une   chose   et   son  contraire,  se  noie  dans  un  flots  de  considérations  qui  n'aboutissent  généralement  pas  à  une  mise  en  acte  efficace;  la  faiblesse  de  son  tempérament  se  montre  dans  le  manque  de  retenue  et  la  nécessité  d'émettre  des  paroles  à  l'extérieur.  Il  ferait  mieux  de  se  taire,  de  garder  son  calme  et  sa  lucidité  pour  prendre  la  décision  qui  s'impose  en  face  du  danger  et  aller  dans  la  bonne  direction.  

En  gardant  la  même  partie  phonétique  詹  ,  mais  en  changeant  le  radical,  on  obtient  des  caractères   qui,   par   leur   parenté   graphique   avec   la   Vésicule   Biliaire,   nous   livrent   des  informations  sur  ce  qu'elle  représente  dans  la  langue  et  la  pensée  chinoise.  

En  mettant  le  radical  de  la  main  à  la  place  de  celui  de  la  chair,  on  obtient  dan  擔  :  porter  sur   ses   épaules,   se   charger   d'un   poids   très   physique   ou   assumer   une   lourde  responsabilité,  une   fonction   importante.  La  Vésicule  Biliaire  a   la   force  nécessaire  pour  endosser  la  décision,  être  responsable  pour  la  rectitude  des  souffles.  

Avec  le  radical  du  cœur,  on  obtient  dan  憺  :  soit  un  calme  paisible,  soit  un  ébranlement  de  l'être  qui  mène  à  l'angoisse.  La  Vésicule  Biliaire  soutient  le  calme  des  esprits  ou  sème  la  perturbation.  Le  caractère  avec  le  radical  de  l'eau  澹  a  les  mêmes  sens.  

Avec   le   radical   de   la   parole,   c'est   zhan  譫   :   bavarder,   tenir   des   propos   incohérent,  divaguer,  délirer.  Quand   la  Vésicule  Biliaire  et   le  Foie  ne  poeuvent  plus  garder   l'esprit  clair   et   les   paroles   sensées,   on   tombe   dans   la   folie   et   le   délire,   la   rectitude   devient  égarement.  

Un  autre  caractère,  plus  simple,  peut  également  être  utilisé  :  dan  膽   .  Il  a  exactement  la  même  prononciation  et  il  a  aussi,  naturellement,  le  même  radical  de  la  chair  月  ;  mais  la  partie   phonétique  旦   représente   le   soleil  日   qui   se   lève   au-­‐dessus   de   l'horrizon  一   :  l'aurore.   C'est   la   claire   et   pure   lumière   du   petit   matin,   quand   un   nouveau   jour  commence,  plein  de  ses  promesses  et  potentialités  à  réaliser  si  l'on  ne  disperse  pas  ses  forces   et   si   l'on   ne   se   laisse   détourner   ou   dévier   par   rien.   La   puissance   des  commencements   est   ainsi   évoquée   dans   ce   caractère   dan  旦   ,   qui   peut   également  désigner  le  premier  jour  du  mois.  On  y  retrouve  l'association  de  la  Vésicule  Biliaire  avec  le  début  du  printemps,  l'émergence  de  la  vie,  le  premier  des  Dix  troncs  célestes.  

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1.  UN  FU  ORDINAIRE  

La  Vésicule  Biliaire  est  ordinairement  présentée  comme  l'un  des  Six  fu  qui  forment  les  organes  yang  de  l'homme  et  qui  sont  associés  aux  Cinq  zang,  qui  sont  les  organes  yin.  

"Parlant   du   yin/yang   de   l'homme   :   L'extérieur   est   yang,   l'interne   est   yin.   Pour   le  yin/yang  du  corps  de  l'homme  :  Le  dos  est  yang,  le  ventre  est  yin.  Pour  le  yin/yang  des  viscères   :  Les  zang  sont  yin,   les   fu  sont  yang.  Foie,  Cœur,  Rate,  Poumon,  Reins,  qui  sont  les  Cinq  zang,  sont  yin,  tandis  que  Vésicule  Biliaire,  Estomac,  Gros  Intestin,  Intestin  Grêle,  Vessie,  Triple  Réchauffeur,  qui  sont  les  Six  fu,  sont  yang."  (Suwen  4)  

La  Vésicule  Biliaire  fait  très  habaituellement  partie  des  Six  fu;  elle  est  associée,  comme  eux,  à  un  méridien  yang,  le  Shaoyang  de  pied,  et  couplée  à  un  organe  zang,  le  Foie.  

 

2.  UN  FU  INTIME  AVEC  SON  ZANG  

Lié   au   Foie,   la   Vésicule   Biliaire   partage   avec   lui   la   tâche   d'exprimer   les   activités   et  qualités   propres   aux   souffles   de   l'élement   Bois.   Mais   sa   proximité   avec   le   Foie   est  particulièrement  intense.  

"La  Vésicule  Biliaire  se  trouve  entre  les  feuilles  courtes  du  Foie."  (Nanjing  42)  

Sur   le   plan   anatomique,   la   Vésicule   Biliaire   est   dans   les   replis   des   feuilles   du   Foie,  atttachée   à   lui   de   telle   sorte   que   des   expressions   communes   du   langage   utilisent   la  relation  entre  le  Foie  et  la  Vésicule  comme  métaphore  d'une  relation  d'étroite  intimité.  L'expression  gan  dan   (  肝膽),   Foie  et  Vésicule   siginifie  une  amitié   sincère,  une  grande  intimité.  Elle  peut  aussi  signifier  bravoure,  courage,  associant  leurs  souffles  à  une  mâle  assurance,  à  un  tempérament  martial  et  audacieux.  

En   médecine,   l'intimité   du   Foie   et   de   la   Vésicule   est   aussi   exceptionnelle;   rien  d'équivalent   dans   les   autres   couples   zang/fu,   où   le   zang   et   le   fu   se   trouvent   souvent  séparés.  Quand  ils  sont  proches,  comme  la  Rate  et  l'Estomac,  la  relation  n'est  cependant  pas  de  même  nature;  même  s'ils   forment  ensemble   le  Réchauffeur  Médian  (ou  Moyen)  et,   à   ce   titre,   travaillent   de   conserve,   ils   se   partagent   les   tâches   et   gardent   chacun   sa  spécificité  propre.  Ainsi  l'Estomac  est  en  charge  de  l'abaissement  et  la  Rate  en  charge  de  l'élévation.   Alors   que   dans   le   couple   Foie/Vésicule,   il   s'agit   d'un   même   mouvement,  d'une   continuité;   la   Vésicule   se   présente   souvent,   en   particulier   dans   la   pathologie,  comme  la  poussée  du  yang  du  Foie,  ce  qui  ne  peut  pas  réellement  se  dire  d'un  autre  fu  par  rapport  à  son  zang.  

Foie  et  Vésicule  se  trouvent  souvent  associés  dans  les  textes  du  Neijing  et  la  pathologie  du  Foie  se  transmet  facilement  à  la  Vésicule  :  la  chaleur  du  Foie  provoque  l'écoulement  des  sucs  biliaires  (Suwen  44);   le  déclin  du  Foie  amène   la  diminution  des  sucs  biliaires  (LS  54):  la  toux  du  Foie  se  transmet  à  la  Vésicule  Biliaire  (Suwen  38)  …  etc.  

Cette  intimité  va  jusqu'à  des  partages  de  nom.  Ainsi,  dans  le  Suwen  47,  le  Foie  est  appelé  le  Général  du  Centre,  empruntant  la  notion  de  centre,  juste  (zhong  中  )  à  la  fonction  de  la  Vésicule  Biliaire  telle  que  présentée  dans  le  Suwen  8  (cf  plus   loin).  La  Vésicule  Biliaire  

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sera  elle  présentée  par  certains  auteurs  (Sun  Simiao,  Zhongzangjing)  comme  "le  général  en  chef"  (jiang  jun  將軍),  prenant  la  fonction  du  Foie  telle  que  présentée  dans  le  Suwen  au  chapitre  8.  

 

UN  FU  PROCHE  DES  ZANG  

Cette  intimité  avec  son  zang  dénote  que  la  Vésicule  n'est  pas  un  fu  ordinaire.  Puisqu'elle  peut  être  si  proche  du  Foie,  n'est-­‐elle  pas  aussi  proche  des  zang  ?  

Ainsi,  quand  tous  les  viscères,  zang  et  fu,  sont  présentés  dans  le  Suwen  8,  la  Vésicule  se  trouve  placée  juste  après  le  Foie  et  avant  les  autres  fu1.  

Rappelons  l'ordre  hiérarchique  donné  en  ce  chapitre  :  en  tête  le  Cœur,  dans  sa  position  de  souverain,  suivi  du  Poumon,  son  ministre;  vient  ensuite  le  Foie,  son  général  en  chef,  et   immédiatement   après   la   Vésicule   Biliaire,   qui   précède   le   Milieu   de   la   poitrine   ou  Danzhong.  En  sixième  position,  c'est-­‐à-­‐dire  en  position  centrale,  on  trouve  ensemble  la  Rate  et  l'Estomac,  puis  viennent  tous  les  autres  fu,  avec  les  Reins  au  milieu  d'eux  :  Gros  Intestin,  Intestin  Grêle,  Reins,  Triple  Réchauffeur,  Vessie.  

Si   l'on   prend   Rate   et   Estomac   comme   pivot   et   centre,   au-­‐dessus   (ou   avant)   on   a   les  organes   qui   s'occupent   du   clair   et   du   pur,   du   subtil   et   du   mental   et   au-­‐dessous   (ou  après)  ceux  qui  s'occupent  du  trouble  et  de  l'impur,  des  matières  à  éliminer.  Les  Reins  sont  une  exception;  ils  sont  la  présence  de  l'origine  en  position  fondamentale.  

Si   la   Vésicule   Biliaire   est   nommée   juste   après   le   Foie,   cela  marque   non   seulement   sa  grande   intimité   avec   lui   mais   aussi   la   possibilité   qu'elle   a   de   se   trouver   parmi   les  organes  en  charge  du  clair  et  du  pur  et  non  pas  parmi  ceux  occupés  à  séparer  le  clair  du  trouble,  à  permettre  l'assimilation  des  essences  en  évacuant  les  déchets,  c'est-­‐à-­‐dire  les  fu   liés  à   la  digestion,   les   fu  en  charge  de   transporter  et   transformer   (zhuan  hua  zhi   fu  傳化之府  )  :  

"La  Vésicule  Biliaire  est  le  fu  du  clair  et  du  pur  (qing  jing  zhi  fu  清淨之府)  :  tous  les  fu  transmettent  le  trouble  et   impur  (hui  zhuo  穢濁);  seule  la  Vésicule  Biliaire  n'est  pas   impliquée   dans   ce   transit   (chuan   dao  傳道);   c'est   pourquoi   on   la   dit   claire   et  pure  (qing  jing  清淨)."  (Zhenjiu  Dacheng)  

"L'Estomac,   le  Gros   Intestin,   l'Intestin  Grèle,   le  Triple  Réchauffeur  et   la  Vessie,   ces  Cinq-­‐là  sont  produits  des  souffles  du  Ciel;  leurs  souffles  renvoient  à  l'image  du  Ciel;  c'est  pourquoi  ils  font  s'écouler  (vers  l'extérieur,  xie  瀉)  et  ne  thésaurisent  (cang  藏)  pas;  eux,  reçoivent  les  souffles  troubles  (zhuo  qi  濁氣  )  des  Cinq  zang;  leur  nom  est  :  Fu  pour   les   transmissions   et   transformations   (zhuan  hua   zhi   fu  傳化之府)   .   Ils   ne  peuvent   pas   longtemps   garder   sans   transférer,   pour   finalement   faire   s'écouler   (à  l'extérieur)."  (Suwen  11)  

Ils  sont  ainsi  les  parfaits  opposés  complémentaires  des  zang  :                                                                                                                  1 Cf La vie, la médecine et la sagesse (les Onze premiers chapitres du Suwen), Le Cerf.

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"les  Cinq  zang  (wu  zang  五藏  )  sont  ce  qui  thésaurisent  (cang  藏  )  les  essences  et  les  souffles  (jing  qi  精氣  )  sans  les  laisser  s'écouler  (à  l'extérieur,  xie  瀉)."  (Suwen  11)  

Il   appartient   donc   aux   Cinq   zang   de   thésauriser   les   essences,   de   s'engorger   en  permanence,  dans  la  mesure  où  elles  peuvent  être  correctement  fournies  par  la  Rate.  De  là  découle  leur  spécificité  d'être  en  charge  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  subtil,  de  la  vitalité  dans  la  substance,  davantage  que  des  substances  elle-­‐mêmes,  qui  sont  traitées  dans  l'appareil  digestif.  De  ce  fait,  la  grande  caractéristique  des  zang,  qui  les  diffère  radicalement  des  fu,  c'est   d'être   responsables   de   ce   qui   commande   l'animation   et   dirige   la   vie   à   partir   des  esprits  et  du  mental  et  de  leur  expression  dans  l'ensemble  sang  et  souffles  (xue  qi  血氣  )  :  

"Les  Cinq  zang  (五藏)  sont  pour  thésauriser  (cang  藏)  les  esprits  vitaux  (essences  et  esprits,   jing  shen  精神),   le  sang-­‐et-­‐souffles  (xue  qi  血氣),   les  âmes  Hun  et   les  âmes  Po.  Les  Six  fu  sont  pour  transformer  (hua  化)  les  liquides  et  céréales  ainsi  que  pour  faire  circuler  les  liquides  corporels  (jin  ye  津液)."  (Lingshu  47)  

"Les  Cinq  zang  (五藏)  sont  les  thésaurisateurs  (cang  藏)  des  esprits  vitaux  (jing  shen  精神),  des  Hun  et  des  Po.  Les  Six  fu  sont  les  réceptacles  des  liquides  et  des  céréales,  pour  faire  circuler  les  matières  et  opérer  leurs  transformations  (xing  hua  wu  行化物  )."  (Lingshu  52)  

Les   particularités   anatomiques   des   ces   deux   sortes   d'organes   correspondent   à   leur  fonction.  

Les   zang   sont   des   masses   compactes,   ce   qui   leur   vaut   leur   nom   d'organes   pleins;   ils  n'offrent  pas  d'ouvertures  ou  de  creux  perceptibles.  Ainsi  le  Foie  est  gorgé  de  sang,  mais  ne  le  contient  pas  à  la  manière  d'un  vase.  C'est  pourquoi  seules  les  essences  subtiles  et  fines  peuvent  les  imprégner.2  

Au   contraire,   les   fu   sont   vides,   ce   qui   leur   vaut   leur   nom  d'organes   creux;   ils   ont   des  ouvertures   pour   le   passage   des   matières,   qui   se   transmettent   de   l'un   à   l'autre;   ils  reçoivent  ces  matières  dans  l'espace  vide  qui  est  le  leur;  ils  contiennent  les  matières  à  la  manière  d'un  vase.  

La  Vésicule  Biliaire  se  présente  comme  un  fu  en  ce  qu'elle  est  creuse,  vide;  elle  contient  la   bile   comme  un   vase   le   ferait.   Cependant,   comme   le   remarque   entre   autres   le   Yixue  Rumen,   elle   ne   présente   pas   d'ouverture   pour   l'entrée   ou   la   sortie   de   ses   sucs.   On  pourrait  ajouter  qu'elle  n'est  pas  dans  une  chaîne  de  transmission,  comme  les  autres  fu,  qui  se  passent  les  matières  de  l'un  à  l'autre,  de  l'ingestion  à  la  déjection3.  Elle  n'est  pas  dans  la  transmission,  mais  dans  la  garde,   la  thésaurisation.  La  Vésicule  Biliaire  ne  peut  donc   être   pénétrée   que   parce   qui   est   raffiné   et   subtil   et   n'a   pas   besoin   de   larges  ouvertures,  par  ce  qui  doit  être  gardé  à   l'interne  pour  profiter  à   la  vitalité,  c'est-­‐à-­‐dire  des  essences.  

                                                                                                               2 Comme l'’Eau pénètre tout, même là où il n'y a aucun passage, aucun interstice de perceptible (cf Laozi 43) 3 Le Triple Réchauffeur ne présente pas non plus d'ouvertures, puisqu'il n'a pas vraiment de forme. Ce n'est pas par hasard qu'il est l'autre fu lié à la qualité Shaoyang des souffles.

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La  Vésicule  Biliaire  reflète  ainsi  dans  sa  configuration  anatomique  un  aspect  de  zang  et  un  aspect  de  fu.  Sa  forme  physique  donne  déjà  une  indication  sur  sa  nature  propre.  

Elle  occupe  une  place  que  les  autres  fu  n'ont  pas.  Elle  devient  vitale  par  ses  essences.  

Ainsi  en  Suwen  52  on  signale   les  punctures  entraînant   la  mort  et  on  commence  par   la  puncture  en  plein  dans  un  organe  avant  de  parler  de  punctures  en  des  endroits  vitaux  qui  ne  sont  pas  des  organes  (artères,  cerveau  ...).  Si  les  Cinq  zang  sont  bien  cités,  aucun  fu,  à  l'exception  de  la  Vésicule  Biliaire,  n'est  signalé  comme  entraînant  la  mort  quand  on  leur  plante  une   aiguille   en  plein   centre.  Une  puncture   au  Cœur  occasionne   la  mort   en  une  journée,  au  Foie  en  cinq  jours,  aux  Reins  en  six,  au  Poumon  en  trois,  à  la  Rate  en  dix  et  à  Vésicule  Biliaire  en  une  journée  et  demi.  Même  s'il  y  a  une  valeur  symbolique  de  ces  nombres,  on  remarque  la  rapidité  de  la  mort  causée  par  une  puncture  en  plein  dans  la  Vésicule  Biliaire,  moins  rapide  que  le  Cœur,  mais  plus  rapide  que  les  autres  zang.  

UN  FU  REMPLI  D'ESSENCES  

La  Vésicule  est  régulièrement  présentée  comme  s'occupant  des  essences,  c'est-­‐à-­‐dire  de  ce  qui  est  clair  et  pur4,  ferment  de  vie  et  Cœur  de  vitalité.  

"La  Vésicule  Biliaire  est  la  résidence  (fu  府)  du  clair  et  pur  (qing  jing  清淨)"  (Nanjing  35)  

La  Vésicule  est  donc  du  côté  de  ce  qui  garde  les  essences  à  l'interne  :  

"La  Vésicule  Biliaire  ...  contient  des  sucs  essentiels  (jing  zhi  精汁)."    (Nanjing  42)  

Le   caractère   employé  pour  désigner   la  bile   zhi  汁   est   composé  à  droite  de  dix  十   et   à  gauche  de  l'eau  跆  .  Il  évoque  un  fluide  très  riche,  un  liquide  parfait  et  complet,  capable,  par  sa  richesse  een  essences,  de  régénérer  le  sang  ou  de  former  la  bile.  

On   trouve  parfois,  pour  parler  de   la  bile,   le  caractère  ye   (  液   )  qui  désigne   les   liquides  corporels   denses,   particulièrement   riches   en   essences;   ceux   qui,   au   contraire   des  liquides  plus  légers  (jin  津  ),  ne  sont  pas  supposés  quitter  le  corps.  

Le  Lingshu  est  parfaitement  explicite  :  

"La   Vésicule   Biliaire   est   le   fu   des   essences   internes   (zhong   jing   zhi   fu  中精之府)"  (Lingshu  2)  

Les  conséquences  sont  importantes.  C'est  parce  qu'ils  thésaurisent  les  essences  que  les  Cinq   zang  peuvent  dégager   les   souffles  qui   sont   toutes   les   activités   vitales,   tant   sur   le  plan  physiologiques  que  mental.  Mais  c'est  parce  que  ces  essences  sont  claires  et  pures,  parfaitement   en   accord   avec   la   nature   propre   d'un   humain,   que   les   souffles   dégagés  spécifiquement   par   chacun   des   Cinq   zang   suivent   l'ordre   naturel   et   ne   créent   pas   de  désordre.  En  effet,  la  pureté  et  la  subtilité  des  essences  permet  aux  esprits  du  Ciel  (shen  神   )   de   les   habiter.   Les   Cinq   zang   sont   donc   habités   par   les   esprits,   sous   une   forme                                                                                                                  4 On pourra penser, si l'on veut, au rôle d'épuration que la Vésicule Biliaire joue en médecine occidentale vis à vis du sang et du plasma.

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spécifique   pour   chacun;   ce   sont   les   Cinq   expressions   des   esprits   :   Shen,   Hun,   Po,   Yi  (propos)   et   Zhi   (vouloir)5.   Etant   habités   par   les   esprits,   ce   qui   émane   d'eux   exprime  l'ordre   naturel   ou   Voie   du   Ciel,   la   santé   est   parfaite   et   la   psychologie   équilibrée,  l'intelligence  pénétrante  et  éclairée.  

Dans   les   textes  médicaux,   il   n'y   a   pas   d'esprit   associé   à   la   Vésicule   Biliaire.  Mais   elle  montre  des  capacités  qui  sont  de  l'ordre  du  mental  et   le  mental  est  toujours  guidé  par  l'intelligence  spirituelle  (shen  ming  神明  ).  

La   Vésicule  Biliaire   développe   une   importance   dans   l'ordre   du   subtil,   de   l'essentiel   et  donc   dans   ce   qui   relève   de   la   clarté   du  mental.   Comme   sa   nature   exprime   le   yang   de  l'élément   Bois,   elle   donne   aussi   force   et   puissance   aux   dispositions   intérieures,   aux  facultés  du  mental.  C'est  ainsi  qu'elle  est  liée  à  la  capacité  à  décider  et  trancher.  

LE  CENSEUR  

"La  Vésicule  Biliaire  (dan  膽)  a  la  charge  du  juste  et  de  l'exact  (zhong  zheng  中正  );  détermination  et  décision  (  jue  duan  決斷  )  en  procèdent."  (Suwen  8)  

"Juste   et   exact"   (zhong   zheng  中正)   est   un   titre   de   fonctionnaires   militaires   que   l'on  trouve  dans  le  chapitre  48  des  Mémoires  Historiques  (Shiji).  Il  est  couplé  avec  un  autre  titre   :   l'officier   en   charge   des   excès   (si   guo   司過).   Ces   deux   fonctionnaires   sont  directement   nommés   par   le   roi   pour   surveiller   tous   les   officiers,   en   particulier   les  officiers  supérieurs,  les  généraux,  afin  de  contrôler  qu'ils  ont  scrupuleusement  obéi  aux  ordres  donnés  par  le  roi  et  pour  les  punir  en  cas  de  désobéissance  ou  d'abus.  Ce  sont  des  sortes  de  censeurs.  

La   relation  avec   le  monde  militaire   renforce   le   lien   avec   le  Foie,   général   en   chef6;   elle  exprime  surtout  l'analogie  entre  les  souffles  du  Bois  et  les  souffles  qui  font  d'un  homme  un   bon   général,   capable   d'aller   de   l'avant,   vaillamment   et   jusqu'au   bout,   mais   avec  intelligence  et  calcul,  sans  jamais  céder  mais  en  fléchissant  si  les  circonstances  l'exigent.  Il   est   à   l'image   du   Bois   qui   se   courbe   et   se   redresse,   dont   la   véritable   force   est   à   la  mesure  de   la   flexibilité  et  provient  de   la   richesse  de   la   sève  qui  monte  du  sol.  Un  bon  Foie   est   fort,   capable   de   stimuler   toutes   les   circulations,   de   leur   donner   assez  d'impulsion  pour  qu'elles  arrivent  au  bout  de  leur  course,  au  plus  haut  du  corps  (vertex),  à   l'émission  vers   l'extérieur   (menstruations,  miction   ...),   capable  de   libérer   le   sang  qui  permet   les   mouvements   musculaires,   souples   et   forts,   également   capable   de   libérer  l'esprit  en  évitant  les  blocages  qui  l'encombrent,  soucis  et  ruminations,  ressentiments  et  anxiété.   Mais   un   bon   Foie   est   aussi   celui   qui   pense,   cogite,   analyse,   planifie,   prévoit,  s'appuyant   sur   sa   richesse   en   sang   et   l'esprit   qui   l'anime,   les   âmes   Hun,   qui   incluent  l'intelligence  et  les  facultés  mentales.  

La  Vésicule  Biliaire,  aspect  yang  du  Bois,  continue  la  lancée  du  Foie;  elle  tranche  dans  les  diverses   considérations   et   propositions   résultant   de   l'analyse;   ce   qui   était   projets  devient  décision.                                                                                                                  5 Cf les Mouvements du Cœur. DDB. 6 Cf Suwen ch.8 :"Le Foie a la charge de commandant des armées (général en chef, jiang jun 將軍 ); analyse de conjoncture et conception des plans ( mou lü 謀慮 ) en procèdent."

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Mais  plus  que  cela,   la  Vésicule  semble  avoir  un  contrôle  sur  la  rectitude  de  la  décision.  Ou  plus  exactement  on  pourrait  dire  que  si  le  Foie  fonctionne  bien,  s'il  garde  sa  richesse  en  sang  comme  base  de  ses  stimulations  et  poussées,  alors  le  résultat  de  cet  harmonieux  équilibre  se  voit  dans  les  activités  physiologiques  du  Foie,  mais  aussi  dans  le  mental;  la  pensée  se  déploie  sans  rumination  excessive,  la  vision  est  pénétrante  et  rien  n'encombre  la   compréhension   et   l'analyse.   Rien   ne   troublant   la   pureté   des   essences   et   le   bon  fonctionnement  de  la  Vésicule  Biliaire,  la  détermination  est  forte  et  la  décision  est  juste.  

Comment  la  justesse,  l'exactitude  font-­‐elles  partie  des  fonctions  de  la  Vésicule  Biliaire  ?  Parce   que   cette   dernière   est   remplie   d'essences,   d'essences   pures   et   claires,   qui  permettent  la  présence  des  esprits  et  donc  de  la  lumière  qu'ils  apportent;  l'intelligence  est  éclairée,  l'esprit  est  ferme  et  droit.  

C'est  ainsi  que  la  Vésicule  Biliaire  donne  la  rectitude  aux  souffles,  assure  la  justesse  du  mouvement  général  de  la  vie  en  l'être  :  

"Finalement,  les  Onze  organes  prennent  décision  de  la  Vésicule  Biliaire."                (Suwen  11)  

………………………………………  

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LA TRISTESSE - 悲 - BEI

LA TRISTESSE NORMALEMENT ÉPROUVÉE

Tristesse et affliction, avant d'être pathologiques, sont des réactions, des sentiments, normaux et souhaitables. À la mort d'un parent, la tristesse dévore intérieurement. Il ne faut pas la nier, ni l'empêcher; mais l'exprimer :

“Lorsqu'on enlevait le cercueil (pour préparer l'enterrement) le fils pleurait, se lamentait et bondissait un nombre de fois indéterminé. Sous le poids de la douleur et du chagrin de son Cœur, dans la pénible agitation de son esprit (yi 意), dans les étreintes de la tristesse et de l'affliction (bei ai 悲哀), il se dénudait le bras gauche et bondissait, afin de calmer son Cœur (an xin 安心) et de faire descendre ses souffles (xia qi 下氣), en mettant ses membres en mouvement.” (Liji, Mémoires sur les bienséances et cérémonies, S. Couvreur, traduction révisée)

On remarque que la mise en mouvement du corps empêche les souffles de se bloquer dans la poitrine, ce qui facilitera le retour à la normale.

On peut aussi dire que les manifestations extérieures de la tristesse associe cette dernière avec des mouvements et des cris rituels. La diminution de ces manifestation, toujours selon les prescriptions rituelles, amène aussi la diminution de la tristesse, à la fois parce qu'on s'autorise à être moins triste et parce que le lien établi entre la tristesse et ses manifestations incite naturellement à une réduction commune.

Si le deuil et la tristesse sont normaux, ils ne doivent pas durer. Au bout de trois ans (en fait souvent 25 mois, un mois de la troisième année comptant pour l'année entière), on doit reprendre sa vie normale :

“Un fils, à la mort de son père, pleurait sans interruption trois jours durant; de trois mois, il ne quittait ni le bandeau ni la ceinture de chanvre; pendant un an (il pleurait matin et soir) avec un profond sentiment de tristesse (bei ai 悲哀); son chagrin (oppressant, you 憂) durait trois ans. Les témoignages d'affection allaient ainsi en décroissant. La douleur décroissant avec le temps, les anciens sages avaient déterminé comment sa manifestation devait diminuer graduellement. Voilà pourquoi la durée du deuil a été fixé à trois ans, et la liberté n'a pas été laissée aux plus sages de la prolonger, ni aux moins sages de la diminuer.” (Liji, Bienséances et cérémonies, Couvreur II, p.704, traduction révisée)

La tristesse allant jusqu'à l'affliction est donc le sentiment propre que l'on éprouve devant la mort, celui que doit éprouver le “fils pieux” à la mort d'un parent, et d'abord de son père. C'est le deuil mené, le sentiment qui accompagne le départ définitif du vivant qui vous a transmis la vie. Le Livre des Rites abonde en considérations sur la tristesse et l'affliction; il en décrit les manifestations physiques, les altérations de l'apparence, les attitudes du deuil de l'âme; il montre comment cris, pleurs, bondissements de douleurs ... sont des façons de rendre la tristesse supportable, de diminuer l'affliction intense par le mouvement donné ainsi au corps, et comment tout le processus doit, sur Trois années, ramener la paix dans le Cœur de l'affligé.

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Déjà, on remarque combien la tristesse et l'affliction portent des coups répétés au sentiment profond d'exister, à la vivacité cherchant à s'exprimer et à surgir, à se dégager continûment. On prend le deuil d'un père; mais pas pour toujours, pour trois années. Poursuivre le deuil, le temps révolu, serait un excès; le refus de la réalité, fut-elle douloureuse, envenime la souffrance et détruit la santé. Porter le deuil de soi-même, éprouver le sentiment de perte de la vie, alors qu'on vit encore est une perversion grave. La vie se venge et la mort s'engendre du deuil même, car on a ébranlé l'interne, attaqué le centre de la vitalité, tourné le dos à la raison.

LA TRISTESSE, SENTIMENT DU POUMON

La tristesse 悲 bei : le Cœur 心 qui (se) refuse 非 : le dos à dos de la personne à elle-même dans son Cœur, en proie à la contradiction, à la négation, voire la négativité. L'épuisement qui résulte de cette lutte stérile détruit les souffles dans la région du Cœur et du Poumon. L'opposition se fait rupture des communications qui émanent du Cœur et coupe de la joie de la vie; le blocage devient faiblesse, la douleur, désolation.

“Quand les essences et les souffles annexent le Poumon, il y a tristesse (bei 悲).” (Suwen 23)

La tristesse correspond au Poumon et est la perversion du mouvement du métal. Ce dernier a le tranchant des épées et des faulx qui coupent les têtes ou moissonnent les céréales. Il est ainsi le rythme qui marque la fin de l'expansion yang et le début du retour au yin. Le Métal est condensation et concentration, afin de ramener les richesses de la vie à l'interne. Dans la tristesse, il devient compression qui broye le Cœur, gênant aussi bien la circulation d'un sang dont la qualité diminue, que l'expansion des Esprits; cette obstruction anéantit également liquides et souffles du Poumon.

“Quand il y a tristesse, les souffles sont détruits ( xiao 消). [.........] Quand il y a tristesse, le système relationnel propre au Cœur (xin xi 心繫) est serré, le Poumon se dilate et ses feuilles se lèvent; le Réchauffeur Supérieur n'assure plus ses communications; reconstruction (nutrition) et défense (ying wei 營衛) ne se diffusent plus; les souffles chauds sont au centre. C'est ainsi que les souffles sont détruits.” (Suwen 39)

C'est l'opposé de l'allégresse, qui permettait à la reconstruction ainsi qu'à la défense de se propager aisément. Au contraire, la tristesse serre le Cœur; ce qui n'est pas une métaphore, car l’éxagérataion de la concentration propre au Métal resserre les voies par lesquelles le Cœur communique. Le système relationnel propre au Cœur c'est d'abord le lien du Cœur avec les autres organes, lien immatériel et spirituel, mais qui se rend visible par les circulations sanguines, en particulier les artères qui partent du Cœur. Les souffles du Poumon, saisis par la tristesse, bloquent les passages et les circulations de sang et souffles, alors qu'ils devraient assurer leur propagation jusqu'aux confins du corps. Les souffles bloqués dans la poitrine génèrent de la chaleur; chaleur qui détruit les souffles.

On peut ajouter que le Cœur ne pouvant plus communiquer par le sang et les souffles, ne peut plus répandre la lumière de sa raison, donner l'inspiration des esprits, maintenir dans la réalité de l'existence.

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TRISTESSE ET PLEURS

La même situation que précédemment décrite explique aussi l'écoulement de larmes, éventuellement accompagnées de morve, qui accompagne la tristesse.

“Les liquides corporels (jin ye 津液) des Cinq zang et des Six fu montent tous infiltrer l'oeil; si le Cœur est saisi par la tristesse et que donc les souffles l'ont annexé (l'occupe indûment tous ensembles, bing 并), le système relationnel propre au Cœur ( xin xi 心系) se serre; le système du Cœur ainsi serré, le Poumon se soulève et quand le Poumon se soulève les liquides ye débordent en haut. Comme le système du Cœur et le Poumon ne peuvent pas être constamment soulevés, tantôt ils se lèvent et tantôt ils s'abaissent; c'est pour cette raison que l'on tousse et que les larmes sortent.” (Lingshu 36)1

Le mécanisme est simple : la tristesse émeut le Cœur par la perversion des souffles du Poumon-Métal. Le blocage des souffles dans la poitrine fait se dilater le Poumon et l'empêche de remplir sa fonction d'abaisser les liquides dans le tronc; les souffles, empêchés de descendre par la chaleur qui règne dans la poitrine, fusent vers le haut, pulsant les liquides vers l'extérieur. Ces liquides sortent à l'œil, parfois aussi par le nez, orifice propre du Poumon; les souffles et liquides peuvent aussi faire comme une boule dans la gorge et émettre des sons qui sont ceux des sanglots.

L'écoulement des larmes est, par ailleurs, lié au cerveau, organe riche en essences et en fluides pécieux et denses, et en communication avec les orifices de la face (oeil, nez, oreille). Le cerveau est parcouru par le méridien lié au Foie, et l'oeil, l'orifice propre au Foie, est aussi le lieu d'aboutissement du méridien lié au Cœur.

L'irrégularité dans les souffles du Poumon explique aussi la toux ou les hoquetements dont peut être pris celui qui est accablé de tristesse.

LA TRISTESSE ET LE CŒUR

Bien qu'étant le sentiment propre au Poumon, par la spécificité du mouvement de souffles qu'elle induit, la tristesse est souvent associée au Cœur, dont elle empêche l'expression libre et joyeuse. La tristesse est alors l'opposé de la joie, de l'allégresse qui se manifeste par le rire.

En Suwen, ch.62, là où l'excès des souffles du Cœur se traduisait par un rire irrépressible, l'insuffisance de ces mêmes souffles se traduit par la tristesse. Ou encore :

“Quand les souffles du Cœur sont en vide, il y a tristesse (bei 悲); quand ils sont en plénitude, on rit sans pouvoir s'arrêter.” (Lingshu 8)

En examinant les couples de caractères qui expriment les sentiments, on relève, de façon habituelle, l'allégresse en couple avec la colère et, parallèlement, la joie couplée tantôt avec la tristesse(bei 悲), tantôt avec l'affliction (ai 哀).                                                                                                                1 Un texte proche se trouve en Lingshu ch.28.

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Le caraactère pour l’affliction, ai 哀, représente les cris, gémissements et lamentations qui sortent de la bouche 口 de celui qui a revêtu les habits 衣 spéciaux du deuil. L'affliction éprouvée à la perte d'un être cher; la douleur du deuil, publiquement manifestée.

Tristesse et affliction sont l'opposé de la joie de vivre, de la joie du Ciel, propre à toute vie humaine, qui s'accepte et se possède. La tristesse devient un refus de la vie. Dans un sens pathologique, les mouvements et réactions qu'impliquent la tristesse s'opposent à ceux qu'impliquent une joie débordante, voire délirante.

La tristesse apparaît régulièrement comme le sentiment que l'on éprouve quand les souffles du Cœur sont bloqués ou sans force pour circuler.

“Maux de tête dus à un reflux (ou fléchissement, jue 厥) où les circulations (mai) à la tête sont douloureuses, le Cœur est triste (bei 悲), on a tendance à pleurer (shan qi 善泣) ...” (Lingshu 24)

On peut comprendre que le Foie pousse les souffles en contre-courant vers le haut, où les circulations de sang et souffles, congestionnées, deviennent douloureuses. Mais en même temps, il empêche le Poumon de faire descendre et induit un blocage à son niveau. Le Cœur ne bénéficie plus de l'élan procuré par le Foie pour l'aider à faire circuler, mais souffre du blocage; d'où la tristesse. La tendance à pleurer est forte car le contre-courant venant du Foie fait pression sur les liquides à l'œil.

Quand on parle du blocage des souffles, de la difficulté à faire circuler le sang, de l'atteinte portée au Cœur et du manque de communication de ce dernier, on énonce en fait le disfonctionnement de ce qui doit protéger le Cœur et le faire communiquer avec le reste de l'être : le Xinbaoluo (心包絡) ou protection (bao 包) et connexions (luo 絡) propres au Cœur (xin 心)2.

Ainsi quand on décrit une situation où les pervers ont atteint le Cœur, on parle en fait d'une situation où le Xinbaoluo est atteint, c'est-à-dire une situation où le système de connexions propre au Cœur est gêné, empêché d'accomplir sa tâche.

“Quand les pervers sont au Cœur, le malade a des cardialgies avec une tendance à être triste (xi bei 喜悲 ); parfois il tombe à la renverse sans connaissance.” (Lingshu, 20)

Les souffles pervers font pression sur la région du Cœur. La tristesse ici n'est pas un sentiment dû à un deuil ou un évènement réel; elle est le résultat du changement induit dans le mental, la sensibilité, c'est-à-dire le Cœur, par le blocage des souffles.

Si ce blocage s'aggrave, les communications sont complètement fermées; le Cœur, les esprits, la faculté d'être conscient, ne sont plus présents au niveau des organes des sens, et l'on perd connaissance.

À l'inverse, la tristesse compromet la bonne distribution du sang, empêche les protections et connexions du Cœur (Xinbaoluo) de commander régulièrement les circulations sanguines (xue mai 血脈). Les effets peuvent atteindre différentes parties du corps, comme le bas-ventre où l'utérus collecte le sang, où l'Intestin Grêle garde séparés les liquides corporels et le sang en contrôlant son feu.

                                                                                                               2 Parfois indûment traduit par péricarde. Son méridien, le Jueyin de main, est l'un des deux méridiens liés au Cœur, celui qui a la même qualité de souffles que le méridien du Foie, Jueyin de pied. L'autre méridien du Cœur est le Shaoyin de main.

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“Quand tristesse et affliction (bei ai 悲哀) sont intenses, les protections vitales et leurs connexions (bao luo 胞絡 ) se rompent (jue 絕); s'étant rompus, les souffles yang (yang qi 陽氣) s'agitent à l'interne (nei dong 內動). Quand ça se déclenche, le Cœur fait descendre sous forme d'hémorragie utérines et de fréquentes hématuries.” (Suwen, 44)

Le Suwen, ch.39, nous montrait la tristesse faire obstacle aux circulations qui partent de la poitrine, et comment les souffles, bloqués, disparaissaient, détruits par la chaleur. En Suwen, ch.44, les connexions propres aux protections vitales s'interrompent sous la pression des souffles, et les souffles yang, emprisonnés, s'excitent et créent l'agitation. Le sang sort de ses conduits, et même du corps, sous la pression de la chaleur.

L'expression “les connexions propres aux protections vitales (bao luo 胞絡)”, peut s'entendre ici de plusieurs manières :

- C'est le Xinbaoluo (心包絡), les enveloppes qui protègent le Cœur et les réseaux de connexions qui en émanent pour relier tout l'être au Cœur, centre de la vitalité consciente et maître de la circulation régulière du sang. La chaleur excessive de la région du Cœur trouble la norme de circulation qu'il donne au sang; la manifestation se fait au niveau de l'orifice inférieur antérieur. - C'est le méridien extraordinaire Chongmai, qui donne la première norme d'organisation de la circulation du sang dans l'être en formation et qui se diffuse dans la poitrine. - Ce sont les trajets de souffles liés à l'utérus, là où une nouvelle vie s'enveloppe et se protège, en lien avec les Reins chez la femme.

Quoiqu'il en soit, il y a mauvais épanouissement des souffles, obstruction et chaleur provoquant des ébranlements à l'interne; la défense et les communications du Cœur sont mal assurées; les Reins sont impliqués et le Foie aussi.

Le Foie est impliqué à plusieurs titres : il thésaurise le sang, c'est-à-dire qu'il régule la quantité de sang à garder en réserve ou à libérer dans le corps, pour un effort musculaire, pour les menstrues ...etc. Il donne l'élan pour les circulations et les émissions, jusqu'à la sortie hors du corps; à ce titre, il participe à la régulation des orifices inférieurs. Privé d'essences, de yin, pour contrebalancer son mâle dynamisme, le Foie s'emporte, génère une chaleur qui produit ces circulations erratiques du sang au bas-ventre. L'Intestin Grêle, associé au Feu, est particulièrement sensible à cette chaleur; elle peut perturber son fonctionnement et provoquer des hématuries. Le Cœur peut également transmettre sa chaleur à l’Intestin grêle.

LA TRISTESSE ET LE FOIE

On a déjà vu le Foie impliqué à plusieurs reprises dans les pathologies liés à la tristesse. Il est présenté soit comme la principale cause de la tristesse, soit comme la fonction qui en souffre; que le Poumon-Métal domine le Foie-Bois dans le cycle de domination (ke) n'est pas étranger à ce fait.

“En cas de tristesse (bei 悲), les souffle du Poumon chevauchent (empiètent sur ceux du Foie).” (Suwen 19)

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Comme en Lingshu, ch.24, analysé précédemment, l'agitation du Foie, produite par le vent, induit un contre-courant de souffles qui gêne et affaiblit les communications du Cœur et fait qu'on se sent facilement triste.

Mais la tristesse porte atteinte au Foie aussi parce que la disparition des souffles, rongés intérieurement, prive le Foie du dynamisme nécessaire à son bon fonctionnement.

“Quand le Foie est en proie à la tristesse et à l'affliction (bei ai 悲哀), on s'émeut au centre, alors se produit une atteinte aux Hun. Les Hun atteints, on perd la raison (kuang 狂, folie) et on devient oublieux; on est sans essences (jing 精); étant sans essences, on ne peut plus assurer la norme; c'est la situation où l'appareil yin se contracte, où le musculaire se crispe, où les côtes de part et d'autre ne peuvent plus se soulever. Les poils deviennent cassants et on donne tous les signes de la mort prématurée. On meurt à l'automne.” (Lingshu 8)

La tristesse s'oppose à l'élan joyeux vers l'épanouissement qui est propre au Foie. La tristesse est un refus; elle contredit notre propre désir d'aller de l'avant. Pourquoi êtes-vous si triste ? Parce que vous n'avez pas le goût de l'effort spontané qui fait le mouvement vital.

La tristesse devient une inversion de la vitalité. Au lieu d'étendre ses branches et ses feuilles en toutes directions, cette plante au printemps que je suis, retourne contre soi-même son impetus; voilà maintenant que je m'attaque à mon intériorité.

L'effet produit est immanquable. Les âmes Hun, qui sont intelligence et sensibilité, réflexion et imagination, contrariés dans leur dégagement et leur libre mouvement, s'affolent et s'oublient. Une folie qui va jusqu'à la fureur. La rage est associée à l'oubli, car on ne peut plus faire retour à sa propre mémoire, jusqu'à la destruction de la personnalité.

Le Foie se vidant de sa substance, il n' a plus rien pour tenir les Hun, pour revenir à la raison. Le sang n'offre plus un lieu d'expression aux Hun, car il est dénaturé par l'agitation et parce que le contact avec le Cœur est rendu difficile par le blocage des souffles. Les essences qui s'expriment dans le sang du Foie finissent par manquer.

L'absence d'essences, en rapport avec le Foie, perturbe la rectitude de la menée de la vie qui dépend de la fidélité des Hun à l'inspiration des Esprits.

La Vésicule Biliaire, l'aspect le plus yang, le plus mâle du Foie, est impliquée, car elle n'assure plus la rectitude et la justesse des conduites.

La normalité devient égarement; les souffles corrects ne peuvent plus se dégager des essences déficientes; le centre est ébranlé, la norme n'a plus d'assise.

D'aucun diront que le yang du Foie et de la Vésicule Biliaire, trop fort, devient inflammation, feu qui se retourne vers le Poumon-Métal, pour lui nuire par l'inversion du cycle de domination (ke); belle expression de l'involution, quand on retourne contre soi ses forces vives, au lieu de les déployer.

Le sang ne suivant plus sa voie et les communications avec le Cœur étant interrompues, comment les Hun pourraient-ils recevoir l'illumination des Esprits du Cœur, pour s'y conformer et les suivre fidèlement ?

Les Hun n'étant plus inspirés, la perte du sang diminuant les essences, le cerveau s'affaiblit, les essences ne resplendissent plus de la présence des Esprits pour le bon fonctionnement des orifices supérieurs. L'intelligence et la clarté, qui sont en dépendance des Hun, sont atteintes; d'où les phénomènes de folie et d'oubli. Cette folie est furieuse (kuang 狂), car c'est une chaleur et une agitation yang.

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Le Foie maîtrise l'activité musculaire; c'est dire qu'il donne le dynamisme et la vigueur qui fait la force du mouvement en même temps qu'il libère la quantité de sang requise par le muscle concerné pour l'effort. Si les essences sont asséchées au niveau du Foie, il n'y a plus assez de sang pour irriguer les muscles; crispation et nouure s'y manifestent. L'endroit central, au bas-ventre, dans la région du périnée, est parcouru par le méridien du Foie qui sous-tend la musculature des organes génitaux; il se contracte et se rétracte, ne pouvant plus se déployer.

Les côtes sont parcourues par les méridiens de Foie et de Vésicule Biliaire. L'immobilisation de cette région est une conséquence de la rétraction de l'appareil génital et de la crispation du musculaire. C'est aussi la zone de l'emplacement du Foie et le signe que l'atteinte est maintenant à son point extrême d'involution.

Les effets dévastateurs de la tristesse qui naît à l'interne et change la vie à partir de son centre culminent finalement, comme c'est le cas pour toute émotion perturbant durablement et fortement l'être, dans la mort.

La mort est à l'automne, saison où le yang cède devant le yin, où le mouvement de retour en soi doit être amorcé. L'embarras déjà installé se redouble des effets d'ambiance yin que la saison d'automne apporte avec elle. On meurt à l'automne, et à toute période ayant la nature de l'automne. On meurt quand tout est au recueillement - mais on n'a déjà plus d'épanouissement, ni d'essences. On meurt à la récolte des souffles - mais ils sont anéantis - et à la mise en abri des esprits - mais ils ne sont plus gardés par les essences déficientes ou confortés par les Hun atteints.

Tristesse et colère

La tristesse peut engendre la colère suivant un processus simple. La tristesse bloque les circualtions des souffles, ce qui exerce une pression sur le Foie, gêne son dynamisme. Le blocage des souffles du Foie entraîne une chaleur réactive qui va chauffer le sang et exciter le yang, induisant une situation de colère. C'est une évolution que l'on observe par exemple dans des cas de deuil intense, où la personne se met en colère contre l'être cher qui est mort, sans aucune raison particulière.

 

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DICTIONNAIRE CHINOIS FRANCAIS

DE MÉDECINE CHINOISE TRADITIONNELLE Par Elisabeth Rochat de la Vallée - Cet ouvrage présente et traduit environ dix mille termes de la médecine chinoise traditionnelle. Les entrées sont classées par l'ordre alphabétique de la romanisation pinyin. Les caractères sont présentés avec leur forme complète et leur forme simplifiée. Des index variés donneront plusieurs possibilités de trouver une définition ou un terme. Les définitions sont faites à partir de l'étude des grands textes chinois classiques de la médecine, ainsi qu'à partir d'un certain nombre d'ouvrages, exclusivement en chinois. Pour une compréhension profonde de la proposition chinoise, les caractères singuliers sont d'abord présentés avec leurs principaux sens généraux en chinois classique, puis les emplois spécifiques en médecine sont développés. Les expressions composées sont classées sous le premier caractère et leur sens médical est expliqué. Quand plusieurs sens peuvent se trouver, dans des textes, des contextes ou des époques différentes, ils sont chacun présentés et distingués par un numéro. Le choix des entrées ne se limite pas aux termes techniques, noms des maladies ou des symptômes; mais il vise à une meilleure compréhension de la doctrine médicale et de la vision de la vie et de la maladie qui la soustend en analysant des notions fondamentales utilisées par la théorie médicale, mais dont l'origine et le sens se trouvent dans les textes de la pensée classique. Les souffles, les essences, les esprits, les saisons ...etc font partie de cette catégorie, mais aussi les méridiens, les organes, les émotions ... etc. Des encarts hors-texte fournissent une analyse plus profonde des principales notions. Les entrées sont courtes, quand un exact équivalent existe en fançais, comme elles peuvent être très développées quand la notion n'a pas d'équivalent en français. Les expressions ayant le même sens sont indiquées, ainsi que les variantes graphiques d'une même expression. On donne une court traduction et renvoie à l'entrée principale. Les grands ouvrages de la littérature médicales (acupuncture, moxibustion, massage, pharmacopée) sont présentés succinctement. Les titres abrégés sont indiqués à leur place (selon le premier caractère de l'expression) avec un renvoi à l'entrée principale qui est le titre officiel ou parfois au titre le plus couramment utilisé. Les grands noms de la médecine, auteurs ou praticiens, font également partie des entrées, ainsi que les principaux surnoms ou appelations sous lesquels on peut les trouver. Les plantes, remèdes et formules pharmacologiques en figurent pas dans ce dictionnaire. Cependant, les qualités des ingrédients et les mode de préparation sont retenus et définis. Cet ouvrage vise à fournir un instrument fiable aux traducteurs de textes médicaux, ainsi qu'aux thérapeutes qui s'intéressent à la médecine chinoise; mais il vise aussi à donner une meilleure compréhension des grandes notions et de la doctrine de cette médecine en aidant à connaître le cadre culturel dans lequel elle s'est développée et a fleuri.

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TRIPLE RÉCHAUFFEUR - 三焦 - SAN JIAO

Le nom de cet organe très spécial est formé du nombre trois, san三 , etdu caractère qui signifie chauffer, griller, brûlé (cf. Brûlé, jiao 焦 ).

Cet organe, sans équivalent dans les représentations occidentales ducorps, n’a pas de localisation précise et ne correspond à aucun viscère :on le dit « sans forme ». Son méridien est le Shaoyang de main.

Il est réparti sur trois niveaux. - Le Réchauffeur Supérieur (shang jiao上焦 ), qui occupe la poitrine, lazone au-dessus du diaphragme, territoire du Cœur et du Poumon.Les souffles ancestraux (zong qi 宗氣 ) y sont formés.- Le Réchauffeur Médian ou Moyen (zhong jiao 中焦 ), qui occupe lapartie supérieur de l’abdomen, territoire de la Rate et de l’Estomac.Les souffles nutritifs (ying qi 營氣 ) y sont formés.- Le Réchauffeur Inférieur (xia jiao下焦 ) qui occupe la partie basse del’abdomen et inclut le système uro-génital.Les souffles défensifs (wei qi 衛氣 ) y sont formés.

Le Triple Réchauffeur (san jiao 三焦 ) assure ainsi l’unité des souffleset du corps et maintient la relation entre le souffle originel et sesmanifestations dans l’organisme, à l’image des Trois souffles, issus del’origine, qui composent l'univers : le clair en haut, le trouble en bas etl'harmonieux mélange du clair et du trouble au milieu.

Son fonctionnement est donc d’assurer que tout circule bien et par-tout, que les souffles se conduisent correctement, et que les liquidessoient normalement guidés et transformés.

Les transformations accomplies par ses souffles (qi hua 氣化 ) per-mettent aux liquides d’être bien assimilés et de circuler normalement;le Triple Réchauffeur est la synergie de Reins, Rate et Poumon dans lemétabolisme des liquides.

Ses fonctions liées à l’Eau et aux souffles originels viennent de sa rela-tion privilégiée avec les Reins, dont il est parfois présenté commel’organe fu associé. Il est alors pratiquement réduit au RéchauffeurInférieur. Beaucoup de pathologies dites du Triple Réchauffeur sontdes dysfonctionnement du métabolisme des liquides : œdème, gonfle-ment, anurie, dysurie, blocage des liquides …

Cependant, dans la systématique officiellement établie, le TripleRéchauffeur est associé aux Protections du Cœur (xin bao luo 心包絡 ),partageant avec ce dernier la qualité de Feu ministre (xiang huo 相火 ).

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TRIPLE RÉCHAUFFEUR ET MALADIES DE RÉCHAUFFEMENT

Le Triple Réchauffeur, pouvant représenter toutes les activités orga-niques et leurs relations, a servi de base à une répartition des patholo-gies dans l’approche dite des maladies de réchauffement (wen bing 溫病 ), associée à la théorie des Quatre secteurs ou couches (si fen 四分 ).On établit la localisation et la transmission de l’atteinte causée par ouaccompagnée de chaleur selon les trois étages du Triple Réchauffeuret les organes qui les composent.

La chaleur, étant yang, a tendance à monter. La première étape du malest donc normalement au Réchauffeur Supérieur. Les souffles perversy pénètrent par la bouche et le nez, bloquant les souffles de la poitrine,étroitement associés à la défense (wei 衛 ) : fièvres, sueur, bouchesèche, toux, dyspnée … la maladie touche le Poumon (Taiyin demain), elle est bénigne.Si la chaleur s’enfonce dans le sang du Cœur et obstrue ses orifices, lessymptômes deviennent mentaux et la maladie est grave.La transmission se fait aussi vers les autres étages du Réchauffeur.

La maladie pénètre au Réchauffeur Médian soit par transmission, soitdirectement. La chaleur brûle fortement, diminuant les liquides,gênant les circulations, intensifiant la fièvre.Les symptômes varient selon l’importance de la sécheresse (visage etyeux rouges, respiration grossière, constipation, problème de miction)ou de l’humidité (dyspepsie, gêne dans la poitrine et l’Estomac, nau-sées, corps lourd, membres fatigués, selles molles, urines troubles …).Ils relèvent de l’Estomac et du Gros Intestin (Yangming de pied et demain) ainsi que de la Rate (Taiyin de pied).Le Réchauffeur Médian fonctionnant mal, la vitalité de sang etsouffles n’est pas bien renouvelée, la nutrition (ying 營 ) faiblit, lesorganes sont mal entretenus et les forces commencent à manquer.

Le Réchauffeur Inférieur est le dernier stade de pénétration des per-vers et le plus grave; le mal se situe dans le Foie (Jueyin de pied) et lesReins (Shaoyin de pied). La chaleur ruine les liquides et le yin.Le yin des Reins atteint, la chaleur qui profite du vide apparaît àl’interne : corps chaud, pommettes rouges, chaleur de mains, pieds etcœur, bouche sèche et gorge desséchée, mental épuisé, Cœur agité,mal à l’aise … Le sang du Foie étant insuffisant, le vent qui profite du vide s’agite àl’interne : tremblements, contractions, spasmes, épuisement du men-tal, agitation dans le Cœur avec palpitations et anxiété…

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BRÛLÉ - 焦 - JIAO

Le caractère pour l’odeur de brûlé, jiao 焦 , se compose du feu 軻 , enposition basse, qui cuit un oiseau 音 = 隹 ou, plus anciennement,trois volatiles 雥 . Il montre donc ce qui a subi l’action du feu, ce qui a été brûlé, calciné.

C’est chauffer, chauffer trop fort comme quand on fait attacher dans lamarmite le riz, qui en devient amer (ku 苦 ). C’est roussi, grillé, carbo-nisé. C’est parcheminé, comme la peau et les lèvres ou desséchécomme les lobes pulmonaires, quand les liquides en charge d’humec-ter ont été brûlés.

Au sens figuré, c’est brûler d’anxiété, être dévoré d’inquiétude.

Quand la chaleur qui permet la cuisson n’est pas excessive, c’est ce quiréchauffe et entretient la vie.

Le caractère brûlé, jiao 焦, est le même que pour « réchauffeur », dansl’expression Triple Réchauffeur (cf. Triple Réchauffeur, san jiao三焦).

L’odeur de brûlé correspond au Feu, au Sud, à l’été, au Cœur. La rela-tion s’explique tout naturellement par l’abondance et même l’excès duyang qui se manifeste en chacun.

« l’aspect rouge du quadrant méridional compénètre le cœur [……]son odeur est le brûlé (jiao 焦 ). » (Suwen ch. 4)

« le quadrant méridional, c'est le feu; le yang surabonde et supporte le mouvement; c'est pourquoi son odeur est le brûlé (jiao 焦 ). » (Baihutong)

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RANCE - 臊 - SAO

Le caractère pour rance, sao臊 , se compose de la chair 肉 (月 ) et de laphonétique 喿 . C’est l’odeur qui émane des animaux carnivores, spé-cialement de leur graisse, en particulier celle du porc ou du chien.Ce sont des odeurs fortes à en être désagréables, comme celle del’urine ou des aisselles en sueur.

Un autre caractère, shan 羶 , est utilisé assez souvent en lieu et place desao 臊 . Caractère d’abord composé de trois fois le mouton 羊 : 括 , ils’écrit ensuite avec un seul mouton 羊 et la phonétique 亶 : 羶 (par-fois, la chair 肉 = 月 remplace le mouton : 膻 ).

C’est l’odeur de la graisse d’animaux herbivores, comme le mouton oula chèvre, l’odeur de suif, de bouc.

Au sens figuré, c’est souvent la honte, une conduite dépravée et détes-table.

L’odeur rance correspond au Bois, à l’Est, au printemps, au Foie. Onpeut y voir l’odeur de ce qui commence, comme l’odeur d’un enfant àla naissance, celle qui s’exhale des nouvelles pousses qui sortent deterre au printemps et des animaux plein de vitalité.C’est l’odeur de la montée du yang.

« l’aspect vert naturel du quadrant oriental compénètre le foie [……] son odeur est le rance (sao 臊 ). » (Suwen ch. 4)

« le quadrant oriental, c'est le bois; là les dix mille êtres sortent tout neufs du sein de la terre et c'est pourquoi son odeur est le rance (shan 羶 ). » (Baihutong)