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Thank you! Je tiens avant tout à remercier M. Christian Monnerie et son équipe pour m'avoir fait confiance, m'avoir confié un projet aux Etats-Unis, et m'avoir convaincu d'intégrer pour un an leur entreprise prestigieuse. Je remercie par ailleurs vivement : - Mme Yara Silva, tutrice de mon stage. - Patrice Servel - Jean-Luc Van Driessche - Tom Stahl - Kenny Haynes - Robert Qualls - Amy Sthare - Margaret Caughman - Greg Stich - Le Support Service (Lucia, Irene, June, Terry, Yara, Jeannette, Jill, Tom, Mark), et son directeur, Jorge Roa. - L'usine US7 en général, dont le directeur d'usine, Charlie Bianco. Et de manière amicale : - Jean-Michel - Jeff - Al - Estelle - Philippe - Raphaël - Sophie - Laurent - Zac - Manu - Emile Z.

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Thank you!

Je tiens avant tout à remercier M. Christian Monnerie et son équipe pour m'avoir fait confiance, m'avoir confié un projet aux Etats-Unis, et m'avoir convaincu d'intégrer pour un an leur entreprise prestigieuse.

Je remercie par ailleurs vivement :

- Mme Yara Silva, tutrice de mon stage.

- Patrice Servel- Jean-Luc Van Driessche- Tom Stahl- Kenny Haynes- Robert Qualls- Amy Sthare- Margaret Caughman- Greg Stich

- Le Support Service (Lucia, Irene, June, Terry, Yara, Jeannette, Jill, Tom, Mark), et son directeur, Jorge Roa.

- L'usine US7 en général, dont le directeur d'usine, Charlie Bianco.

Et de manière amicale :

- Jean-Michel- Jeff- Al- Estelle- Philippe

- Raphaël- Sophie- Laurent- Zac- Manu- Emile Z.

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F. Massoubre RAPPORT DE STAGE LONG 98/99

Sommaire

I INTRODUCTION.......................................................................................................................5

II UN AN EN CAROLINE DU SUD…..........................................................................................6

II.A VIVRE AUX ETATS-UNIS EN 1999...........................................................................................6II.B LA CAROLINE DU SUD, UN ETAT EN MUTATION...................................................................14II.C MA PERCEPTION DES ETATS-UNIS.........................................................................................19

III TRAVAILLER CHEZ MICHELIN.....................................................................................22

III.A LA MANUFACTURE, FAITS ET CHIFFRES................................................................................23III.B US7, UNE USINE NOUVELLE, DES PNEUS ÉNORMES...............................................................30

IV LE PNEUMATIQUE, UN PRODUIT COMPLEXE..........................................................35

IV.A PRÉSENTATION GLOBALE......................................................................................................35IV.B LA COMPOSITION DU PNEUMATIQUE.....................................................................................38IV.C LA CONSTRUCTION DU PNEUMATIQUE..................................................................................39

V LA SIMULATION DYNAMIQUE, PAS-À-PAS...................................................................42

V.A DÉFINITION DE LA PROBLÉMATIQUE.....................................................................................42V.B POURQUOI UNE SIMULATION DYNAMIQUE ?..........................................................................45V.C ETABLISSEMENT DE L'OUTIL POUR US7................................................................................55V.D IMPLANTATION DE LA SIMULATION.......................................................................................64

VI IMPRESSIONS PERSONNELLES.....................................................................................68

VI.A LES ASPECTS EXTERNES........................................................................................................68VI.B DÉROULEMENT DE MES PROJETS...........................................................................................73VI.C LA MANUFACTURE MICHELIN : À LA POINTE DU PROGRÈS ?................................................75VI.D CONCLUSION.........................................................................................................................77

BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................78

ANNEXES................................................................................................................................82

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F. Massoubre RAPPORT DE STAGE LONG 98/99

I Introduction

On ne présente plus la "Manufacture Française des Pneumatiques Michelin". Aujourd'hui entreprise internationale, s'étant hissée l'année dernière encore au premier rang de la production mondiale de pneumatiques, "Michelin" est présent sur tous les marchés du pneumatique. En particulier, Michelin s'intéresse à un segment très pointu, dans lequel ses ambitions sont particulièrement agressives : le pneu dit de Génie Civil, autrement dit les très gros pneus utilisés par les engins de terrassement, les engins miniers, les "dumpers" (voir couverture), les "loaders", etc.

C'est dans ce segment que la Manufacture m'a proposé un stage long, en tant qu'ingénieur débutant, dans le domaine de l'organisation industrielle, dans une usine de pneus Génie Civil à Lexington (Caroline du Sud, Etats-Unis). Le présent rapport a pour but de présenter ma principale mission au sein de l'usine, mais aussi de manière plus générale de relater la vie, l'environnement et les conditions de travail d'un ingénieur aux Etats-Unis, dans une usine très jeune, au sein d'une société à l'identité très marquée. Je tâcherai donc, à ce titre, de consacrer une partie importante de ce rapport à présenter les aspects externes de ce stage ; le lecteur intéressé par l'aspect scientifique de mon stage saura passer directement à la présentation de mes projets.

J'ai, en l'occurrence, eu pour mission initiale d'établir un outil d'évaluation de capacité de l'usine US7. Il s'agissait en particulier de pouvoir prendre en compte les démarrages consécutifs des machines en cours d'installation (US7, à mon arrivée, était encore une usine en pleine construction, dont un nombre très réduit de machines fonctionnait effectivement) et les très nombreux aléas dus à la jeunesse d'US7. Nous verrons pourquoi ce projet s'est traduit en développement d'une simulation dynamique industrielle, recréant les spécificités du flux de l'usine avec un modèle adaptatif.

Dans la première partie de ce rapport, je décrirai le cadre extérieur de mon stage et en l'occurrence je ferai une courte présentation des Etats-Unis aujourd'hui, puis décrirai les aspects majeurs de l'Etat de Caroline du Sud. Une seconde partie sera dédiée au cadre professionnel, dans laquelle je présenterai brièvement la Manufacture, puis l'histoire de l'usine US7 en particulier. La troisième partie sera plus technique et s'attachera à montrer le pneumatique comme un produit pointu, soulevant bien des défis pour l'ingénieur. La quatrième partie sera la présentation du développement et de l'installation de la simulation dynamique, dans un pas-à-pas illustré par mon projet de création d'outil d'évaluation de capacité industrielle. Je conclurai sur une évaluation de ce projet, en questionnant la validité d'un tel outil en milieu industriel, pour plus généralement porter une appréciation détaillée sur mon stage long.

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II Un an en Caroline du Sud…

Une année d'expatriation est une expérience importante. Un an est une durée minimum pour comprendre un pays et sa société, pour s'intégrer. J'ai tout particulièrement apprécié ce long séjour car il est impossible de comprendre les Etats-Unis en se bornant à analyser un de ses Etats. J'ai pu, en effet, observer en profondeur la société de Caroline du Sud, mais quel n'était pas mon étonnement lors de mes quelques voyages de découvrir des sociétés complètement différentes, très éloignées de celle de Caroline. J'ai ainsi pu découvrir la société urbaine de Chicago, froide et pragmatique, la société hispanisante de Floride, la Louisiane, toujours en fête, etc.

Dans ce genre d'expérience, le manque initial de repères fait que les premières impressions sont rarement les bonnes. C'est ainsi, par exemple, que j'ai peu à peu compris que la chaleur de l'accueil, la grande facilité avec laquelle on pense s'intégrer dans groupe, ne traduit avant tout qu'une superficialité des rapports sociaux, et il est en effet très difficile de concevoir de vraies relations d'amitié, voire presque impossible de percer le cercle familial dans la société américaine conventionnelle.

C'est pourquoi il est très important, avant toute discussion, d'analyser les faits. Je présenterai dans un premier temps les grandes caractéristiques des Etats-Unis, avec un premier chapitre où j'exposerai un tableau de chiffres qui sauront effacer quelques préjugés ; je montrerai alors les principales caractéristiques de l'Etat de Caroline du Sud ; enfin je discuterai de mon appréciation personnelle de cette société.

II.A Vivre aux Etats-Unis en 1999

Vivre pendant un an aux Etats-Unis n'est pas la moindre des richesses de mon stage long. Séjourner ainsi dans un pays tellement complexe permet de s'immerger, de s'intégrer suffisamment pour avoir une intuition forte et précise de la société, de la civilisation. Avant d'exposer cette intuition au lecteur, je voudrai encore souligner le fait que les Etats-Unis sont tellement étendus, tellement contrastés socialement, géographiquement, économiquement, que cette présentation ne sera pas seulement inspirée de mon expérience, qui avant tout concerne un ancien Etat du Sud, mais aussi de lectures et de nombreuses discussions. Le lecteur saura excuser l'austérité de l'exposé mais il me semble très important de présenter des faits. J'ai été en effet surpris du grand nombre de préjugés que nous pouvions avoir sur les Etats-Unis, et que les Américains pouvaient avoir sur nous.

II.A.1 Quelques chiffres

Les Etats-Unis d'Amérique sont une république fédérale de 50 Etats, plus le district de Columbia (la ville de Washington), quelques Etats extérieurs dans le Pacifique (Guam, etc.), et Porto-Rico.

Première puissance économique mondiale, première puissance industrielle mondiale, les Etats-Unis accusent une domination spectaculaire. Leur puissance diplomatique et leur puissance militaire sont également de premier rang. Ce succès phénoménal attire tour-à-tour l'admiration, la crainte, l'exaspération. Lors de mon séjour aux Etats-Unis j'ai pu ressentir à quel point ce pays fascinait : un Français par exemple y détecte à la fois un eldorado entrepreneurial (disponibilité incroyable de capital), une puissance arrogante (mais serait-ce de la jalousie ?), des mentalités et attitudes superficielles (ou serait-ce une efficacité et un pragmatisme hors de portée de nos méthodes cartésiennes ?). L'année 98/99 a été de plus riche en événements majeurs impliquant les Etats-Unis sur la scène internationale :

- Bombardements simultanés de l'ambassade américaine de Nairobi (Kenya) et celle de Dar Es Salam (Tanzanie) (7 août 98, 257 morts et plus de 5500 blessés).

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- L'attaque contre des "camps d'entraînement terroristes" en Afghanistan et contre une "usine pharmaceutique" au Soudan (20 août 98).

- Reprise des bombardements en Irak (17 décembre 1998).- Guerre du Kosovo (24 mars 1999, dont un épisode fut particulièrement gênant pour les

Américains : le bombardement de l'ambassade de Chine, le 8 mai 1999).

Je voudrais néanmoins présenter les chiffres suivant avant d'amorcer une discussion, afin de posséder les vraies bases et les vrais éléments :

A valeurs en 1994 Etats-Unis FranceSurface (km2) 9 372 571 [4] 543 964Habitants (millions) 263,2 [4] 58,1Densité (habitants/km2) 28,1 106,8Population urbaine 76 % 73 %PNB (Milliards de $) 6 245,4 [1] 1 318,9 [4]PNB par habitant ($) 23 235 [8] 22 800 [22]Croissance annuelle du PNB 4,1 % 2,1 %Démographie de l'activité :

AgricultureIndustrie, minesServices

2,7 %24 %73 %

2,6 %26,2 %69,2 %

Taux de chômage 1999 4,7 % 11,2 %Réseau routier (millions de km) 6,28 0,83 millions de kmVoitures pour 10 habitants 5,7 4,3Télévisions pour 10 habitants 8,4 5,8Armée : Effectif

Budget1 476 0003,9 % PIB

394 8002,6 % PIB

Les nombres gras entre crochets montrent les rangs respectifs des pays dans les domaines concernés.

A noter également que sur les 100 premières entreprises mondiales, 61 sont américaines en 1998 si l’on considère leur capitalisation boursière1. Les Etats-Unis possèdent des grands groupes de taille extraordinaire dans de très nombreux domaines : General Electric (gigantesque conglomérat industriel), Dupont de Nemours (chimie), Wal-Mart (grande distribution), Microsoft (logiciels), Exxon-Mobil (énergie), Coca-Cola, etc. On ne compte plus les fusions qu'ils vivent actuellement : Exxon-Mobil, BP-Amoco, Dow Chemical-Union Carbide, Boeing-Mc Donnel Douglas, Daimler-Chrysler, Banker's Trust-Deutsche Bank, etc.

La réussite économique des Etats-Unis est absolument incontestable, et leur leadership dans les nouvelles technologies (technologies de l'information, biotechnologies, etc.) leur promet encore un bel avenir. Le taux de chômage indique un état de plein emploi, et il est assez intéressant de constater qu'un des problèmes actuels de l'industrie est le manque de main-d'œuvre et le turn-over bien trop important des opérateurs.

A noter néanmoins que les Etats-Unis restent lourdement endettés. Leur dette publique est absolument gigantesque : 5 000 milliards de dollars. En 1993, les ménages accusaient un endettement colossal, à hauteur de 80 % de leur revenu, qui ne tend que très faiblement à se réduire. Le budget de l'Etat, bénéficiaire sur 1998, n'est pas décidé à rattraper ces dérapages. Il s'agit d'une des rares contre-performances économiques du pays, en plus de la balance commerciale fortement négative.

1 D'après un article du Financial Time, que l'on peut consulter sur http://www.ft.com/ftsurveys/ft5_glob.htm. Consulter l'annexe II pour la liste des 100 premières entreprises.

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La bourse de Wall Street accumule les records historiques en cette fin de siècle, qui aura vu son indice Dow Jones dépasser la barrière psychologique des 10 000 points début 1999. La plupart des grands indicateurs économiques sont au vert, mais cela a-t-il réellement un sens ? La presse économique s'accorde à décrire la période actuelle comme une transition vers une nouvelle ère, dans laquelle les Etats-Unis foncent littéralement. J'ai été particulièrement intrigué de voir à quel point les Américains étaient confiants dans leur système. Leurs grands médias se confondent en louanges pour le modèle libéral, la mondialisation. Par provocation, j'ai imprimé des articles du Monde Diplomatique2 émettant des réserves face au nouveau modèle économique américain, mais aussi face à sa politique étrangère. J'ai eu droit à de nombreuses réactions d'incompréhension totale, car ce modèle libéral est pour eux un dogme, des réactions exaspérées ("ces Français ne comprendront donc jamais rien à l'économie"), des réactions violentes ("espèce de communiste !"), mais j'ai été avant tout choqué par le manque de culture que la plupart de mes interlocuteurs accusaient. Je considère personnellement que les grands médias sont largement responsables de cet état de fait, par leur nombrilisme, leur art consommé du politically correct et leur goût prononcé pour le spectaculaire et le racolage. Anecdote croustillante : bien que l'élection en 1998 de Gerhard Schröder en Allemagne n'ait absolument rien d'excitant en soit pour les Américains, j'ai été amusé de voir tous les grands journaux en faire la Une sur le thème "Le socialisme de retour en Europe ?". Le lendemain, un collègue de bureau venait me voir d'un air catastrophé pour me demander si je n'avais pas peur de voir mon continent sombrer à gauche…

Pour plus de détails sur l'économie américaine, voir Les Etats-Unis au XXème siècle, C. Fohlen, Aubier, 1988, et tous les articles de la presse économique, de manière unanime, depuis quelques années…

II.A.2 Repères historiques

Les Etats-Unis ont bien sûr une histoire très ancienne si l'on considère les civilisations qui ont précédé la colonisation européenne du continent américain. Il y a en effet environ 20 000 ans, des groupes nomades sont venus en plusieurs vagues d'Asie du nord par le détroit de Béring et progressèrent vers le centre et le sud du continent, où les conditions naturelles permirent l'éclosion des grandes civilisations indiennes.

Les Etats-Unis restent cependant un pays vierge de toute civilisation européenne jusqu'à la colonisation espagnole au XVIème siècle, et le terrible déclin de la civilisation indienne a pour résultat que les Etats-Unis n'ont que quatre siècles d'histoire, et seulement une identité propre depuis un peu plus de 200 ans. J'ai été frappé de voir à quel point ce manque d'histoire est palpable. Un besoin d'authenticité est réellement présent. Ainsi, la moindre tranchée de la Guerre de Sécession, le moindre champ de bataille devient un site national protégé. Les reconstitutions historiques ont un succès absolument étonnant, et de nombreux Américains participent à des campagnes de reenactment, reconstitutions des guerres de Sécession ou d'Indépendance.

En plus du manque de repère de la société consumériste américaine, ce besoin d'authenticité a des conséquences diverses : mise en avant de l'ancienneté d'un produit, recherche de valeurs phares (c'est ainsi que le musée Coca-Cola, à Atlanta, qui est un témoignage vivant de l'évolution de la société américaine au travers d'un produit qui donne une identité à cette nation encore trop jeune, a un succès extraordinaire), etc. Je reste marqué par les témoignages d'admiration de mes collègues américains lorsqu'ils ont eu l'occasion de s'expatrier en France. S'émerveillant sur la beauté et l'authenticité du pays, les vieilles routes traversant des campagnes traditionnelles, les vieux monuments, les châteaux, etc.

Les Etats-Unis ont été colonisés dès le XVIème siècle par les Espagnols, les Français, les Hollandais, les Suédois et les Anglais. De nombreux explorateurs, attirés par des trésors

2 Consulter à ce sujet http://www.monde-diplomatique.fr/

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chimériques, ont ainsi découvert la complexe et riche géographie du nouveau continent. Ainsi Vasquez de Coronado, à la recherche d'un Eldorado imaginaire, découvre l'Arizona, le Nouveau-Mexique et le Texas autour de 1550. Hernando de Soto découvrira, avec des motivations similaires, le Mississippi en 1541 et les Grandes Plaines du Sud. Les Français feront de-même avec le fabuleux royaume du Saguenay qui n'apporta de richesses que scientifiques en amenant Jacques Cartier à explorer le St Laurent, le Québec, etc. Les Etats-Unis ont ainsi une longue histoire de recherche de terres fabuleuses où chacun pourrait trouver un paradis. Il s'agit d'une des bases de l'esprit pionnier américain, qui fera que les plus entrepreneurs, partis de rien, pourront pourtant bâtir leur fortune dans ce continent vierge.

Les mauvaises langues n'hésiteront pas à enchaîner sur les conséquences de ce manque de repères : mysticisme religieux (avec une prolifération inquiétante des sectes, on se souvient entre autres du drame de Waco), isolationnisme (à relativiser avec l'implication actuelle des Etats-Unis sur de nombreuses scènes internationales : Kosovo, liens bilatéraux avec la Russie, etc.), désintérêt relatif de la politique nationale et internationale.

Nous connaissons l'histoire de la colonisation des Etats-Unis, avec des débuts hétéroclites, par exemple les créations, dans les Etats du Nord, de sociétés puritaines valorisant le travail individuel, très austères, dont le meilleur exemple est la Pennsylvanie avec Philadelphie, "cité de l'amour fraternel". Des grands propriétaires fonciers vont quant à eux bâtir des plantations de riz, de coton, et créer les premières formes de négoce dépassant le cadre des corporatismes et des entreprises familiales (La main visible des managers, A. D. Chandler, 1977, Economica).

L'évolution historique, jalonnée par deux faits majeurs que sont la Guerre d'Indépendance et la Guerre de Sécession, puis par l'accession au statut de superpuissance au XXème siècle, est passionnante. Pour mémoire, je me permets d'inclure un petit historique, page suivante, afin de donner au lecteur les étapes principales de l'histoire américaine ; ce rapport ne pouvant détailler ces faits.

J'invite le lecteur à consulter Histoire des Etats-Unis, mythes et réalités, Y. Bourdon et J. Lamarre, 1996, Beauchemin, pour une chronologie complète.

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II.A.3 A la découverte d'un pays familier

"Aucun pays au monde n'est plus familier aux Européens que les Etats-Unis ; aucun pays mieux ancré dans notre imaginaire. Le cinéma et la musique avant tout ont été les véhicules de nos modèles : Chaplin et Garbo, le jazz et le roman noir, les westerns et le rock, Marilyn Monroe et Michael Jackson". Telle est l'introduction de la splendide préface du Guide Bleu : Etats-Unis, Est et Sud, par l'écrivain Gérard Chaliand. Et je dois bien reconnaître qu'en un an de séjour dans ce pays, je ne me suis jamais senti perdu culturellement parlant. Bien sûr j'ai lu des livres sur les Etats-Unis, je me suis préparé à l'immersion et me suis documenté. Mais au travers des films, des livres, des émissions, des séries, de toute la culture de masse à laquelle j'ai été confronté, j'ai bâti de manière inconsciente une représentation certes partiale, mais bien détaillée de ce monde auquel j'allais appartenir pendant un an.

Je n'ai pas été dépaysé non plus en tant que touriste : j'ai retrouvé toutes les icônes familières tels les gratte-ciels de Chicago, les autoroutes sans fin, leurs motels et leurs restaurants ponctuant leur cours, etc. Je ne m'attendais pas néanmoins à rencontrer un tel niveau de misère et de saleté dans certains quartiers de centre-ville (Atlanta, Chicago, New-Orleans, etc.) ni à une telle carence de transports publics. Essayons donc ainsi de comprendre les aspects externes des Etats-Unis :

Première impression.Mon premier jour a été, ainsi, la confirmation de ma représentation inconsciente du standard

de vie américain : après une correspondance dans le gigantesque aéroport d'Atlanta (le deuxième du monde en trafic voyageur), pendant laquelle j'ai eu tout le temps de m'émerveiller de l'espace, des alignements de fast-food, de la main-d'œuvre pléthorique qu'il employait (ainsi sur chaque tapis à bagage une personne à plein temps redresse les bagages crachés par les tapis roulants), j'atterris donc à Columbia, capitale de la Caroline du Sud. La température, en ce début de juillet, frôle les 40°C. Une fois de plus stupéfait par la taille de cet aéroport métropolitain (18 portes, 2 pistes de décollage pour une ville de 450 000 habitants, capitale d'un Etat de 3,5 millions d'habitants), je vais chercher mes bagages puis rencontre ma responsable de stage qui m'accompagne à l'agence de location de voiture.

Quelques formalités plus tard, me voici au volant d'un "compact car" (le bas de gamme automobile américain)… de la taille d'une Renault Mégane, boîte automatique, climatisation, moteur 2.2 L 150 ch., etc. Encore sous le coup de l'euphorie que cette "petite" voiture m'a communiquée, je me fais accompagner jusqu'à mon "petit" appartement… Sur la route, je m'émerveille (une fois de plus) sur la taille des voitures, la taille des routes, la taille des bâtiments. J'arrive dans le condominium dans lequel se trouve mon appartement, qui est un ensemble privé et gardé d'une centaine d'habitations organisées en lot avec de nombreuses commodités (service de nettoyage, gardiennage, piscine, barbecue, etc.). Je comprendrai par la suite que les condominiums sont très fréquents dans les suburbs car ils s'intègrent très bien dans la mentalité individualiste locale. J'entre dans mon appartement qui frôle les 70 m2, avec tout l'équipement électroménager que j'aurais pu imaginer, dont la climatisation, etc.

Ces impressions de gigantisme, de démesure, de confort matériel ne feront que se renforcer au cours de mon séjour. L'important est de bien comprendre que le contexte social est différent ne serait-ce que pour le standard de vie, mais aussi la diversité ethnique, les inégalités sociales, et enfin l'actuelle réussite économique.

Culture de masse.On le sait, les Etats-Unis sont des pionniers de la culture de masse. Ils en sont les premiers

producteurs et exportent une certaine image de leur société grâce à elle. Bien entendu méprisée par les intellectuels européens et sous-estimée en général, son impact depuis la Deuxième Guerre mondiale est non seulement bien réel mais économiquement inquiétant : radio, cinéma, disques,

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télévision, pas un média n'y échappe. Ses caractéristiques : un nivellement par le bas, très démagogique et racoleur diront nos intellectuels. Mais il faut avant tout y voir un aspect démocratique, et sa fabrication industrielle en fait un produit très profitable (à vrai dire la plupart des productions américaines sont déjà rentabilisées sur leur marché intérieur, et ces produits sont vendus à l'étranger à des prix sans concurrence). Cette culture de masse, historiquement, a ouvert de nouveaux horizons à un public jusque-là cantonné à sa culture traditionnelle. Il est intéressant de voir les valeurs récurrentes de cette culture : l'idée de bonheur et de réussite, l'amour heureux, etc. Avec une omniprésence de la violence et d'une philosophie individualiste qui triomphe de toutes les forces du mal grâce au courage et à la volonté. D'aucun regretta l'apologie de la force et le manichéisme de ces messages, bien sûr. N'oublions pas quand même que le succès d'Hollywood, par exemple, a permis la production de chefs-d'œuvre absolument incomparables. Bien entendu, tout est une question de volume et de proportions…

Actuellement la culture de masse est en mutation aux Etats-Unis. Les grands groupes de média qui concentrent déjà la très grande majorité des chaînes de télévision s'unissent peu à peu, et se préparent à l'évolution vers le tout numérique imposé par l'administration américaine. La bataille audiovisuelle change aussi de médium et se tourne vers l'informatique : jeux vidéos qui se font produire de manière similaire à un Blockbuster Hollywoodien, Internet, etc. Enfin, le dernier grand chantier est, dans la dynamique de mondialisation, la formation de réseaux mondiaux dominant la scène médiatique qui est toujours plus gourmande en investissements (bouquets numériques, etc.)

Un pays multinational.Les Etats-Unis sont, on le sait, un pays multi-ethnique. Terre d'immigration pour de très

nombreuses communautés, les Etats-Unis ont toujours essayé de créer un melting pot, c'est-à-dire un creuset qui permet de mettre en contact, de fédérer autour de valeurs communes et finalement d'intégrer les différentes cultures, les différentes ethnies qui sont amenées à cohabiter. Pays donc multinational, chaque culture sait garder néanmoins son indépendance et cherche de plus en plus à se regrouper par pays d'origine. Cela est vrai pour l'immigration italienne, irlandaise, britannique, mais encore bien plus entre les grandes catégories : hispaniques, noirs, indiens, blancs.

Les Etats-Unis comptent de nos jours un peu plus de 250 millions d'habitants, dont 84 % de blancs, 12 % de noirs et 9 % d'hispaniques. Les problèmes d'intégration, les problèmes de racisme et les problèmes économiques et politiques ont fait que les Etats-Unis ont toujours hésité entre ouvrir et fermer leur frontière. Les grands flux d'immigration se sont déroulés par vagues successives, avec une histoire et des conditions spécifiques. On ne compte pas les ouvrages qui retracent l'immigration européenne, les quarantaines devant la statue de la liberté, les quotas, etc. On consultera par exemple Et ils peuplèrent l'Amérique, N. Green, Gallimard Découvertes n. 212.

L'expérience que j'ai pu avoir de cette société multi-culturelle n'est pas vraiment positive. Bien entendu, la Caroline du Sud n'est pas un Etat exemplaire vis-à-vis des problèmes de racisme. J'ai particulièrement été frappé par les clivages présents dans la société, au-delà des simples clivages matériels.

Les Noirs représentent plus de 30 millions d'Américains. Leur présence s'explique par l'esclavage négrier qui a eu lieu du XVIIème au XIXème siècle. En 1860, quatre millions d'esclaves peuplaient les plantations du Sud. Leur esclavage prit fin en 1865 mais leur ségrégation, légale, dura jusqu'en 1965 avec les multiples étapes que l'on connaît. Mais les tensions racistes ont encore la vie dure. La situation matérielle et morale de la communauté noire apparaît en retrait. De nombreux chiffres viennent appuyer ce constat : déséquilibres dans la présence de la communauté noire dans les écoles, les universités, les administrations, les postes dirigeants (armée, politique, entreprises). La mortalité infantile noire est plus élevée que la moyenne nationale, l'espérance de vie plus courte de 4 ans à l'espérance nationale, leur revenu inférieur de moitié à celui des blancs (!), un taux de chômage deux fois plus élevé que celui des blancs, la persistance de la pauvreté (35 % des familles

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noires vivent en dessous du seuil de 10 000 dollars de revenu annuel pour quatre), une concentration urbaine très forte, etc.

Abandon des villes.En traversant les banlieues résidentielles et les villes, on prend facilement conscience des

grands écarts de niveaux de vie. Les banlieues (suburbs) sont devenues le domaine des familles aisées, vivant dans des maisons particulières souvent regroupées en ensembles privés et gardés, les condominiums. La ville est de plus en plus abandonnée aux minorités et aux blue collars, voire complètement désertée par les habitations. C'est ainsi qu'à mon arrivée à Columbia, j'ai découvert une ville, jolie au demeurant, sans piétons ! De-même, il est dangereux de vouloir se promener dans le centre-ville marchand d'Atlanta une fois la nuit tombée…

Le phénomène des suburbs existe depuis plus de trente ans et s'est maintenant complètement généralisé. Très troublant pour un Européen, il démontre avant tout une autre conception de la ville, destinée aux commerces et bureaux, dans un monde où l'espace est tellement disponible que l'on peut penser l'urbanisme sur de grandes distances. De plus, cette conception va de paire avec la motorisation très importante des Américains, qui leur permettent d'évoluer dans un univers qui lui est adapté. En Europe, l'automobile doit s'adapter aux contraintes urbaines (places, pollution, etc.) ; tandis qu'aux Etats-Unis, la voiture faisant partie du quotidien et possédant une connotation d'indépendance et de liberté, la ville s'adapte à la voiture, et donc s'étend puisque la contrainte de distance est supprimée.

Mis à part quelques exceptions, du fait de situations particulières (New York, Boston, Chicago, etc.), les centres-villes sont relativement laissés à l'abandon et c'est avec effroi que j'ai parcouru le centre-ville désolé de Detroit.

Croissance et misère.Une des plus importantes surprises que me réservaient les Etats-Unis est le contraste social.

Je n'avais encore jamais vu un pays aussi opulent, riche, extravagant parfois. Mais je n'avais jamais vu non plus un tel degré de misère. Misère dans des quartiers laissés à l'abandon, de manière officielle, misère urbaine, misère des minorités. Très facilement identifiable dans les très grandes villes du Nord mais généralement omniprésente dans les Etats-Unis, ses chiffres sont éloquents. Depuis les inégalités ethniques (voir "Un pays multinational" ci-dessus), les retraites insuffisantes (3,8 millions de retraités sont en dessous du seuil de pauvreté), la violence, latente ou directe (on se souvient encore des émeutes de Los Angeles en 1990, une politique de zéro-tolérance judiciaire qui, si elle porte ses fruits vis-à-vis de la criminalité (par exemple à New-York où une politique terriblement répressive a fait diminuer par 2 les indices de criminalité), est beaucoup trop brutale (1,5 millions d'Américains sont actuellement détenus en prison !) et agit sur les conséquences et non les causes de la violence.

Il est pourtant injuste de terminer par une note aussi négative. La réussite économique actuelle, même si elle n'est pas idéalement partagée, est à l'origine de toute une série de dynamiques positives. La grande force du mythe américain, l'entrepreneuriat, est une valeur motrice et fondamentale de cette société qui garde un esprit pionnier. Cette société peut nous sembler peut-être plus cruelle, et possède bien des défauts liés à son jeune âge. Elle n'en reste pas moins très avancée, basant sa politique sociale sur la réussite économique. On ne peut de plus renier l'influence qu'ont les Etats-Unis sur le monde entier et l'aspect moteur de cette superpuissance.

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II.B La Caroline du Sud, un Etat en mutation

Le huitième Etat de l'Union (qu'il a intégrée le 23 mai 1788), la Caroline du Sud se situe au nord-est de la Géorgie, bloquée entre la Caroline du Nord et l'océan Atlantique. Elle doit son surnom de "Palmetto State" aux superbes et interminables plages bordées de palmiers, depuis le "Grand Strand" de l'extravagante ville de Myrtle Beach, jusqu'aux îles aux plages idylliques de Beaufort. Sa surface est de 80 548 km2, ce qui en fait le 40ème Etat en superficie ; sa population de 3 663 984 habitants en fait le 25ème Etat le plus peuplé.

Sa capitale est Columbia, située au bord du fleuve Congaree à mi-chemin des plages (Charleston est à 2h de route) et des montagnes (Appalaches à 1h30 de route). Cet Etat applique la peine de mort ; on y interdit, sauf dans les lieux touristiques, l'achat d'alcool le dimanche. Sa densité d'églises par habitant est une des plus élevée des Etats-Unis. Ce fier Etat du Sud revendique son appartenance à la Bible Belt, et possède une véritable identité, grâce à une histoire riche et une splendeur passée…

L'on verra tout d'abord, pour mieux le comprendre, son histoire mouvementée, depuis sa découverte, sa participation à la Guerre de Sécession, etc. On verra également qu'il s'agit d'un Etat en pleine mutation industrielle, mais qui possède un atout touristique qu'il sait exploiter.

II.B.1 Une histoire mouvementée

La Caroline du Sud fut "découverte" en 1526, par le navigateur Vasquez de Ayllon. Il conduisit la première colonie espagnole qui s'installa dans les Carolines. En 1665, le roi anglais Charles II émet une charte aux "Lords proprietors" pour établir une colonie de Caroline, et c'est ainsi que la première installation coloniale britannique prend pied dans Charles Town. Elle

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deviendra Charleston, la capitale des Carolines pendant plus d'un siècle, ville superbe dont le charme, l'aristocratie et la prospérité perdurent encore.

Avec ses airs de paradis terrestre, la Caroline du Sud peut se targuer de l'une des histoires les plus mouvementées des treize colonies. Dès 1693, elle entre en conflit avec l'administration coloniale anglaise qui la punit de la façon la plus radicale en refusant, en 1715, de venir à son secours lors de la guerre contre les Indiens Yamassees.

La Guerre d'Indépendance, commencée de manière confuse en 1775 dans le proche Kentucky, verra avec fougue la Caroline du Sud partager la lutte des treize colonies. En 1780, les troupes britanniques s'emparent de Charleston. Plus de 140 batailles auront lieu sur le sol de la Caroline du Sud, et elle devient le huitième Etat de l'Union en 1788

En 1860 la Caroline du Sud est le premier Etat à faire sécession avec l'Union. En avril 1861 le bombardement de Fort Sumter, à Charleston, par ses miliciens marque le début de l'effroyable Guerre de Sécession, dans laquelle la Caroline du Sud se montrera toujours aux avant-postes. En effet de nombreux grands propriétaires terriens s'étaient installés dans cet Etat. Les grandes "plantations" de Caroline que l'on peut encore visiter, étaient alors un moteur économique majeur, qui devait en grande partie son succès à l'utilisation de l'esclavage. C'est ainsi que le fameux "riz Caroline" par exemple, mais aussi le coton, les noix de pécan et diverses denrées agricoles nécessitant une forte main-d'œuvre étaient récoltées. L'élection de Lincoln, anti-esclavagiste convaincu, à la présidence de l'Union, en 1860, était un véritable affront pour la Caroline du Sud.

Cette guerre civile effroyable n'a peut-être "d'équivalent dans l'horreur que la Guerre Civile espagnole (1936-1939)", d'après le Guide Bleu (voir Bibliographie). L'on trouve de nombreuses marques de cette guerre, depuis les innombrables sites historiques la retraçant jusqu'à une antipathie résiduelle du Yankee…

Le XXéme siècle verra sa transition d'Etat agricole en Etat manufacturier, textile tout d'abord (Greenville sera ainsi un grand centre textile dès le début du siècle) puis généraliste. La Caroline du Sud va alors se ranger et partager de manière moins spectaculaire son histoire avec celle des Etats-Unis. Son évolution fut somme toute l'évolution standard d'un Etat du Sud, avec quelques réussites manufacturières en plus. On peut néanmoins mentionner trois faits marquants quant à son histoire sur cette fin de siècle :

1989 : L'ouragan Hugo s'abat sur la Caroline du Sud, faisant pour 4 milliards de dollars de dégâts.

1997 : Un jugement de la Cour Suprême autorise l'admission des femmes dans une école militaire d'Etat.

1998 : Un amendement est voté par les habitants de Caroline du Sud pour annuler l'interdiction de mariages inter-raciaux. 62 % des votants se sont exprimés en faveurs de l'abolition de cette loi, 38 % s'y sont opposés. L'Etat d'Alabama est le dernier Etat de l'Union à posséder cet archaïsme.

II.B.2 Géographie et tourisme.

Deux tiers de la Caroline du Sud sont en fait situés dans une plaine côtière, le Low Country. Celui-ci inclus une ligne côtière de plus de 300 km, sans compter les îles, baies intérieures et lagunes. Les plages du nord, le Grand Strand, sont gigantesques et superbes, bien préservées si l'on excepte l'urbanisme débridé de Myrtle Beach et de Charleston. On y trouvera l'Océan Atlantique à des températures inconnues en Europe (plus de 30°C l'été…), des plages de sable fin à perte de vue, etc. Vers le sud, un moutonnement d'îles, la plupart accessibles par des ponts, fourmille de plages de palmiers vraiment superbes (Isle of Palm, Edisto Island, Hunting Island, etc.). On trouve dans cette plaine les villes côtières (Myrtle Beach, Charleston, Beaufort) et Columbia, entre autres.

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Au-delà du Low Country le Piedmont Plateau sépare la plaine côtière des Appalaches. Un intéressant réseau hydraulique (nombreuses rivières de tailles raisonnables, lacs, etc.) en font une source considérable d'énergie (barrages et centrales hydroélectriques). C'est sur ce plateau que se sont installées les villes industrielles d'Anderson, Spartanburg et Greenville.

Enfin une bande nord-ouest est appelée l'Upcountry, située dans la chaîne des Appalaches. On y trouve plusieurs sites naturels admirables (Table Rock, Ceasar's Head, Raven Cliff Falls, Whitewater Falls, etc.) et de nombreux chemins de randonnée très balisés (trop diront les puristes).

Un nombre important de parcs nationaux retracent l'histoire de la Caroline du Sud, au travers de champs de bataille (Cowpens National Battlefield, Ninety-Six National Historic Site, etc.). De plus, 48 parcs d'Etat célèbrent les merveilles naturelles de la Caroline : forêts le long des plages, marais, montagnes, sites de randonnées, etc.

De nombreux musées et sites historiques sont disséminés à travers l'Etat. Tout d'abord, les incontournables plantations, ces grandes demeures des propriétaires terriens du vieux Sud aristocratique et esclavagiste. Les plus belles se trouvent près de Charleston (Boone Hall, Drayton Hall, Magnolia, etc.). On trouve de nombreuses maisons historiques à Charleston, Columbia, Camden. Fort Sumter est un pèlerinage obligé, à Charleston, car c'est là, on l'a vu, que débuta officiellement la Guerre de Sécession.

La Caroline du Sud, par son climat et sa position géographique avantageuse, a toujours été un paradis touristique et une destination dorée pour les retraités. Sa douceur de vivre commence maintenant à attirer une activité économique insoupçonnée.

II.B.3 Un Etat en grande croissance économique

La Caroline du Sud est avant tout un Etat du grand sud-est des Etats-Unis, que l'on appelle communément le Sud. Cet Etat partage de nombreux points communs avec ses voisins : Caroline du Nord, Géorgie, Alabama, Kentucky, Tennessee. Le Sud est d'abord une région agricole, et dès que l'on s'éloigne des champs, des forêts incroyables s'étendent à perte de vue, dans lesquelles l'homme a installé de vastes exploitations. La Caroline du Sud abonde en "forêts luxuriantes […], véritables jardins d'Eden où abondent les magnolias, les azalées, les cyprès, les camélias, et ces palmiers nains qui ont donné à l'Etat son surnom de Palmetto State". Si sa sœur du nord, la Caroline du Nord, s'illustre dans l'élevage en étant, le premier producteur mondial de volaille, la Caroline du Sud ne s'illustre pas vraiment par les performances de son secteur primaire, si ce n'est qu'il est le premier Etat producteur de pêches des Etats-Unis.

La Caroline du Sud est un Etat très attirant pour l'industrie, et peut s'enorgueillir de bien des succès dans le domaine manufacturier. Nous allons voir en effet que ce n'est pas par hasard qu'une manufacture internationale comme Michelin décide de s'installer dans cet Etat.

Sa géographie est excellente : disposant d'un climat doux, d'un large ruban de 300 km de côtes desservi par un très grand port commercial (Charleston), la Caroline du Sud est recouverte de forêts sur 60 % de sa surface, 17 % supplémentaires étant utilisés par l'agriculture et l'élevage. Sa population, plus jeune que la moyenne nationale, s'élève à plus de 3,5 millions d'habitants, dont 68 % de blancs, 30 % de noirs et 1 % d'origine hispanique d'après les chiffres officiels de 1995. C'est le secteur manufacturier qui est le plus gros employeur de l'Etat avec 26 % des actifs, le "retail trade" (commerce au détail) 19 %, les services 17 %. L'industrie agricole emploie moins d'1 % des actifs (14000 personnes), prouvant bien la mutation terminée de cet Etat à forte tradition agricole.

La taxe de l'Etat (équivalent de la TVA, déterminé au niveau de l'Etat) est de 5 % soit une des plus basses des Etats-Unis. De plus, la Caroline du Sud dispose d'un ensemble de programmes facilitant l'investissement et rendant l'installation de nouvelles sociétés attractives : programmes de formation de pré-emploi, programme de réduction de charges sur les sociétés nouvelles et des

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impôts sur les éliminations d'inventaires ainsi que d'autres cadeaux financiers substantiels (exemption de taxes sur l'achat de machines, d'équipements et de combustibles utilisés dans un procédé manufacturier). Ajoutons à cela le fait que 3 % seulement des salariés sont syndiqués (on rapporte moins de 0,01 % de temps de grève, rapporté au temps de travail par salarié), que la main-d'œuvre est plus qualifiée que la moyenne nationale, que le salaire horaire moyen est très bas (le 46ème plus bas de l'Union).

Ses réseaux de transport sont plutôt efficaces : Charleston est le plus gros port marchand du sud-est des Etats-Unis. Columbia possède un aéroport très dynamique, de même que Charleston et Greenville. Le réseau routier est bien développé, avec l'I-95 (autoroute qui traverse les Etats-Unis du Nord de Boston à Miami) qui traverse l'Etat du Nord au Sud, l'I-20 (reliant Florence à Dallas via Atlanta) qui le traverse d'est en ouest via Columbia, l'I-26 qui relie Charleston à Ashville via Columbia et enfin l'I-77 qui part de Columbia vers le nord pour rejoindre Cleveland.

C'est ainsi que de très grandes compagnies se sont installées en Caroline du Sud : Fuji, Michelin, Hoffman-LaRoche, BMW, etc.

II.B.4 Columbia, une capitale qui se cherche

Columbia est la capitale de la Caroline du Sud depuis 1786. Vivant au rythme de la Congaree River qui la traverse, sa population est officiellement de 103 500 habitants, mais en fait il faut raisonner avec ses suburbs soit 453 331 habitants, la plus grande ville de Caroline du Sud après Charleston (506 875). A considérer également Greenville (où se trouve le quartier général de Michelin en Amérique du Nord) et Spartanburg, qui sont situées à une cinquantaine de kilomètres l'une de l'autre et forment une zone métropolitaine de 640 861 habitants. Il s'agit d'une des premières villes américaines à l'urbanisme planifié, avec des rues parmi les plus larges des Etats-Unis. En son sein s'est installée l'Université de Caroline du Sud, réputée entre autres pour ses études commerciales et scientifiques, ses départements de recherche, etc.

Le Guide Bleu n'ira pas par quatre chemins pour qualifier Columbia : "Columbia n'offre guère d'intérêt en elle-même mais elle constituera une étape sur la route de Charleston et de Savannah."

Brulée aux trois quarts par les troupes du Général Sherman en 1865, Columbia n'a pas gardé son aspect de vieille ville coloniale comme Charleston ou Savannah. Columbia n'est à vrai dire ni

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une ville touristique, ni une ville historique, ni un centre d'affaire. De l'aveu même du journaliste du Free Times (hebdomadaire local gratuit, aux éditoriaux de très grande qualité), Raymond L. Jicha, "Columbia est destinée à être, et restera, une ville de Caroline du Sud. C'est une ville universitaire et gouvernementale, un peu grise peut-être, mais simple et calme, avec juste ce qu'il faut d'urbanité pour y rendre la vie intéressante. Nous ne sommes pas une grande ville commerçante. Nous ne sommes pas Atlanta. Nous ne sommes pas Charlotte. Laissons-les être nos moteurs. Nous ne sommes pas une ville touristique. Pourquoi voudrait-on l'être ? Cela nous donnerait une illusion d'argent facile pour des tripots à touristes mais il s'agit surtout de bas salaires et une neurasthénie pour le reste d'entre nous. Etes-vous allé à Myrtle Beach récemment ? Voudriez-vous vraiment y vivre ?"3.

3 Free Times du 20 au 26 janvier, 1999, traduit de l'anglais.

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II.C Ma perception des Etats-Unis

Mon intuition de la civilisation américaine est bien entendu le fruit de nombreuses observations, expériences et jugements subjectifs. Je pense néanmoins que mon séjour d'un an me donne une légitimité suffisante pour exprimer mes impressions personnelles quant à la vie aux Etats-Unis. J'aimerais tout particulièrement m'appesantir sur trois domaines qui me tiennent à cœur : les conditions de travail, la vie sociale et les perspectives de cette société.

II.C.1 Des conditions de travail spécifiques

Statuts.Ayant travaillé un an dans une entreprise, j'ai pu être confronté au monde salarié en détail,

en particulier grâce à un court projet de base de données d'employés de l'usine, et aussi suite à un audit interne auquel j'ai eu la chance de participer.

Il existe deux statuts bien définis dans le monde salarié : les exempt et les non-exempt. Ces statuts sont définis par une loi valable dans tous les Etats, et différencient en quelque sorte les emplois salariés classiques et les emplois des cadres. Ainsi, les non-exempt doivent accomplir 40 heures de travail par semaine, ont droit à des heures supplémentaires (de manière plus souple et flexible qu'en France), et de toute une série de droits spécifiques. Les exempt, le plus souvent équivalents à des cadres, n'ont pas de limite horaire, et par conséquent pas d'heures supplémentaires. On dit pudiquement qu'ils ont une mission à remplir, à eux de gérer leur emploi du temps. Il est donc tout à fait légal, pour un cadre, de travailler plus de huit heures par jour.

Les deux statuts bénéficient du même régime de vacances : 2 semaines de congés payés par an, en plus d'une dizaine de jours fériés. Selon les accords salariaux, ces deux semaines de congés payés peuvent être allongées, en l'occurrence chez Michelin North America l'on bénéficie d'un jour supplémentaire par an après dix ans d'ancienneté, pour un maximum de 4 semaines.

Chômage.La relation qu'ont les Américains face à leur emploi est très différente de la relation qu'ont

les Français avec leur emploi. Pour des raisons structurelles d'abord : il y avait, fin 1998, 11,2 % de la population active au chômage en France, contre 4,7 % (4,2 en septembre 99) aux Etats-Unis (attention, la méthode utilisée pour compter le chômage est différente dans les deux cas, néanmoins le rapport 1 sur 2 est très représentatif) et 3,8 % en Caroline du Sud. On se trouve dans un cas en situation de manque d'emploi et de précarisation, quand dans l'autre le manque de main-d'œuvre est un réel problème. Pour des raisons sociales, également : la mobilité des Américains est absolument étonnante. Ils n'hésiteront pas à changer de travail et de domicile pour profiter d'une meilleure opportunité dans un autre Etat, etc. De plus, les "petits boulots" sont largement répandus, permettent aux jeunes de travailler très tôt mais aussi sont une source d'emplois intarissable. Le sempiternel exemple du supermarché américain est éloquent : un nombre impressionnant de caissières (pas de files d'attente pratiquement), ces dernières rangeant elle-même les courses dans des sacs, pour qu'un autre employé vienne déposer ces sacs dans les voitures des clients. Enfin, et contrairement à la France, il n'y a pas de mépris latent des travaux manuels et techniques, de considérations statutaires quant à l'intérêt d'un travail, etc. Ce dernier point s'illustre particulièrement par l'absence de fait d'un équivalent à notre SMIC et des allocations chômage très faibles. Sans vouloir essayer de porter de jugement de valeurs sur ces faits, ils permettent l'existence d'un très grand nombre d'emplois manutentionnaires, de service, etc., que l'on ne peut créer en France.

Des chiffres viennent d'être publiés en septembre quant à la pénurie de main-d'œuvre. 4 villes sur 5 aux Etats-Unis manquent de main-d'œuvre. La Réserve Fédérale est inquiète de cet état de fait car elle y voit une source potentielle d'inflation avec l'augmentation des salaires. Les avantages en nature ne se comptent plus pour attirer de nouveaux employés : généralisation des

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stock-options à tout le personnel, garderies d'enfant, etc. En Floride, où le taux de chômage est inférieur à 3 %, les parcs d'attractions d'Orlando en recrutent à Porto-Rico, et sollicitent même… les touristes.

J'aimerais citer un de mes collègues américains, qui avait eu l'opportunité de s'expatrier en France, et qui s'étonnait qu'en France nous continuions d'augmenter le SMIC et à revaloriser nos cotisations chômage. "Vous les Français, vous préférez être rémunérés par l'Etat à ne rien faire plutôt que de travailler pour vous en sortir". Que pouvais-je répondre, connaissant le succès économique américain…

Syndicalisme.Un peu plus de 11 % des Américains sont syndiqués. Les grands syndicats aux Etats-Unis

sont en majorité politisés, et très actifs dans les Etats qui ont une longue histoire manufacturière (Michigan, etc.). La loi n'impose pas de représentation syndicale dans une entreprise (voir III.B), il faut que les employés se prononcent, à l'occasion d'un vote, pour la venue d'un syndicat.

On verra que tout est fait dans une entreprise pour éviter la venue d'un syndicat, ce qui génère le plus souvent des contraintes similaires vis-à-vis des salaires, conditions de travail, etc., à celles que le syndicat installe, avec évidemment une grande flexibilité pour le patronat en cas de crise.

Les récentes grèves que General Motors a essuyées durant l'été 98 doivent néanmoins nous rappeler que le syndicalisme est encore présent et fort aux Etats-Unis, même si la situation économique exceptionnelle implique une perte de pouvoir inévitable, en particulier au niveau de l'installation de syndicats dans de nouvelles entreprises.

II.C.2 Une vie sociale individualiste

Pour être honnête, je dois avouer que je n'ai pas vraiment eu l'occasion d'observer le fameux Melting Pot. J'ai plutôt observé une société très cloisonnée, fractionnée par castes de fait (blancs vs. Noirs ou aisés vs. modestes), où les suburbs sont organisés de manière très sélective, avec des condominiums à la population homogène.

J'ai été frappé par la difficulté de pénétrer le cercle familial dans cette société. Si bien sûr on se retrouve facilement entre collègues aux restaurants, aux bars, il est pratiquement impossible de s'immiscer dans la sphère privée de la famille. Je considère personnellement ce détail comme une preuve supplémentaire de l'individualisme latent de cette société, qui si elle semble si joviale et accueillante, accuse une superficialité relationnelle certaine. Individualisme qui se manifeste également par un désintérêt relatif vis-à-vis de l'extérieur, comme en témoigne l'inculture incontestable des Américains vis-à-vis de l'Europe.

J'ai de plus été marqué par la politique judiciaire très répressive aux Etats-Unis. Ce pays vit, on le sait, un durcissement pénal très fort depuis une dizaine d'année, et la presse abonde en histoires révoltantes (durant l'année 98, un détenu qui clamait son innocence s'est enfui de sa prison, puis fut récupéré. Reconnu innocent du crime dont on l'accusait, il écopa néanmoins de dix ans de prison pour s'être enfui…). D'une manière générale, une politique de zéro-tolérance est lancée et très en vogue. Tous les indicateurs de criminalité semblent progresser dans le bon sens, mais il n'est pas certain que cette solution brutale soit la panacée4. Il est néanmoins à noter que la Loi, la notion de "Break the law", sont des valeurs très fortes. Un Américain respecte de manière absolue un policier, et n'essayera pas de discuter sur la validité de ses arguments, en particulier quand il s'agit de la Loi. Aussi ingénue que peut sembler cette remarque, il s'agit d'un trait de caractère de la société qui marque de manière inévitable tous les expatriés européens.

J'ai bien entendu été frappé par la vente libre des armes à feu, en particulier celle de certaines armes d'assaut en Caroline du Sud. J'ai pu largement écouter l'argumentation de la liberté personnelle, le droit à la défense, etc., mais je dois dire qu'il s'agit d'un aspect assez choquant de 4 Voir Monde Diplomatique, avril 1999

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cette société. D'autant plus choquant que l'on tient deux discours : il est interdit d'acheter et de consommer de l'alcool quand on a moins de 21 ans, d'acheter du tabac quand on a moins de 23 ans, mais l'on peut acheter un Magnum dès 18 ans, et dans certaines situations sans même vérification d'identité. Le lobbyisme très violent du NRA (National Riffle Association), qui subventionne à coup de millions de dollars les partis politiques, a pour l'instant le dessus, malgré une actualité peu glorieuse (on se souvient du carnage dans l'école de Littleton le 20 avril 1999 : deux élèves de 17 et 18 ans tuent, à l'aide d'armes à feu, 12 élèves, un professeur puis se donnent la mort).

II.C.3 Des perpectives superbes

Il est clair que j'ai été époustouflé par la réussite américaine. Malgré les inégalités et la violence latente, il faut bien reconnaître que ce pays est extrêmement prometteur, et l'état de plein emploi socialement très bénéfique.

La jeunesse du pays, les grands espaces encore vierges, laissent imaginer la croissance future de ce pays, son formidable potentiel. D'autant que dans l'état actuel des choses, les Etats-Unis sont le moteur principal de l'innovation mondiale, comme par exemple les révolutions des technologies de l'information et des biotechnologies.

L'aspect structurant de cette réussite économique mais aussi la pérennité de cette dernière sont vraiment étonnants. Ils confirment un optimisme que les Américains entretiennent depuis longtemps par les grands thèmes de leurs médias (réussite, bonheur matériel, dynamisme entrepreneurial, supériorité sur le plan mondiale, etc.). Trouver les Américains arrogants témoigne à mon avis soit d'une jalousie féroce, soit d'une étroitesse d'esprit. J'espère cependant que tous les avantages et les opportunités que l'Europe possède sur les Etats-Unis pourront s'exprimer afin que l'on puisse profiter d'une croissance structurante similaire…

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III Travailler chez Michelin

Caractérisée par sa discrétion et son goût du secret, par sa politique d'innovation et ses grands succès (pneu radial, etc.), la Manufacture Française des Pneumatiques Michelin est une société à part. Fonctionnant sous le régime très marginal de société en commandite par actions, les Gérants (François Michelin, Edouard Michelin, René Zingraff pendant mon stage, mais maintenant Edouard uniquement) distillent, dans chaque rapport annuel d'activité, les informations financières cruciales du Groupe sans pourtant que l'on sache quelle est la part détenue véritablement par la famille Michelin.

Travailler chez Michelin est une aventure forte, on y travaille "dans l'intérêt de la Maison", et l'on a rarement vu le personnel d'une société multinationale nourrir une telle relation d'affection avec son employeur. Employeur qui travaille, selon les propres termes de François Michelin, "à l'épanouissement de chacun", et ne dispose non pas d'une direction de ressources humaines mais d'un service du personnel, nuance fondamentale.

Sa tradition du secret est légendaire, et participe au mythe. C'est ainsi que fut refusée au Général de Gaulle l'entrée dans les ateliers, et même aux pompiers venus lutter contre un incendie menaçant de réduire une usine en cendre, lors de la Seconde Guerre mondiale.

Je recommanderais la lecture du livre de François Michelin "Et pourquoi pas ?" (voir Bibliographie) pour mieux comprendre les grands traits de la politique sociale de Michelin, qui l'a amené à posséder cette culture d'entreprise si forte.

L'actualité du mois de septembre 1999 ayant mis la Manufacture sur le devant de la scène politique et sociale, je profite de l'occasion qu'il m'est ici donnée pour apporter mon témoignage, le plus objectivement possible. Mais le lecteur aura déjà compris que pour être capable de susciter tant de passions contradictoires (ainsi des articles consécutifs du Monde du vendredi 1er octobre et du samedi 2 octobre), la Manufacture est un lieu unique, son histoire est passionnante, sa complexité sociale étonnante, et en tout cas son intérêt pour un ingénieur débutant est tout simplement exceptionnel.

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III.A La Manufacture, faits et chiffres

III.A.1 Un acteur mondial

Avec le Bibendum vieux de plus de 100 ans et une manufacture officiellement âgée de 110 ans (les établissements clermontois de caoutchouc Barbier et Daubré passant sous la gérance d'Edouard Michelin le 28 mai 1889), l'histoire du succès de la Manufacture, entre la célébrité mondiale de "Mister Bib." et la discrétion légendaire de la Maison, n'a de cesse d'étonner.

Depuis une dizaine d'année, Michelin et Bridgestone rivalisent pour le leadership de la production mondiale de pneumatiques. Les chiffres sont délicats à manier, selon les taux de change à retenir, selon la part réelle de l'activité pneumatique de chaque groupe, etc. A noter que Goodyear et Sumitomo (Dunlop, etc.) ont établi en 1999 des accords locaux de joint-venture qui, s'ils se concrétisent à moyen terme par un rapprochement, créeront le premier manufacturier de pneumatique mondial. Observons tout d'abord les chiffres :

Le Groupe Michelin en 19985

127 241 personnes Présence commerciale dans 170 pays 80 sites de production dans 19 pays :

47 en Europe22 en Amérique du Nord4 en Amérique du Sud7 en Asie2 en Afrique

6 plantations d'hévéa : au Brésil et au Nigéria 3 centres de recherche (France, Japon, USA) 4 sites d'essais (Espagne, France, Japon, USA) 28 000 références commercialisées 830 000 pneumatiques par jours Principales marques du groupe :

MICHELIN, KLEBER, BF GOODRICH, LAURENT, WOLBER, UNIROYAL, RIKEN, STOMIL, TAURUS, TYREMASTER, SIAMTIRE, ICOLLANTAS, ETC.

Chiffre d'affaires 1998 consolidé : 81 900 Mio FF, pour un résultat net de 3 763 Mio FF

Michelin le Français, Bridgestone le Japonais et Goodyear l'Américain sont les trois acteurs globaux du pneumatique, présents dans toutes les catégories de pneus sur au moins deux des trois grands marchés (Europe, Amérique du Nord, Asie). Derrière suivent quatre acteurs semi-globaux, Sumitomo-Dunlop, Continental, Pirelli et Yokohama, présents sur au moins un des trois grands marchés et possédant une gamme "incomplète" du fait du nombre important de références que le marché du pneu exige. Le reste de la production se partage entre 200 petits manufacturiers.

De nombreuses acquisitions-fusions ont eu lieu ces dernières années dans le marché du pneu. Dans la course à la taille, Michelin a failli être victime de son appétit lorsqu'en 1993, "digérant" l'acquisition d'Uniroyal-Goodrich (en 1989), son endettement atteignit 441 % de ses

5 Source : Rapport Annuel d'activité 1998.

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fonds propres. Michelin, étranglé, a dû effectuer une restructuration profonde, qui aboutit en 1996 à l'organisation suivante : 4 zones géographiques, 11 services généraux (achats, finances, juridique, qualité, etc.), un centre de technologie (centres de recherches, etc.), 9 lignes-produits (tourisme, poids lourds, génie civil, etc.), lesquelles comptent à leur tour des unités opérationnelles tactiques, cibles plus fines et centres de profit.

Michelin s'illustre dans tous les domaines du pneumatique : voitures particulières et camionnettes, poids lourds, génie civil, avion, deux roues (motos, scooters, vélos), agricole, mais aussi dans des activités annexes : composants (production de caoutchouc naturel, de caoutchouc synthétique, de câbles, etc.), liaison au sol (système PAX, ensembles montés, et enfin la très célèbre activité de service de tourisme (cartes, "guides verts", "guides rouges", etc.).

III.A.2 Nunc est bibendum !

Michelin possède une image atypique, un style à part. Manufacturier de produits grand public, Michelin réussit à cultiver une image forte : Bibendum est un personnage incontournable de notre patrimoine culturel.

Son nom provient d'une phrase du poète latin Horace : "Nunc est bibendum" : c'est maintenant qu'il faut boire, et le pneu dont on disait qu'il "buvait l'obstacle" (voir dernière page). Une relation née du talent du publicitaire prolifique O'Galop.

Bibendum est aujourd'hui centenaire. C'est une réussite publicitaire fulgurante : son sigle est le troisième le plus reconnu au monde, avant Coca-Cola et Nike ! Il a su créer un lien fort entre le manufacturier et sa clientèle. Entreprise ayant le culte de l'innovation et du produit, Michelin a toujours entretenu ce capital de sympathie et

su le relayer par une habile politique de services identifiant la firme à la notion même de déplacement automobile : autrefois la signalisation routière et les bornes, maintenant encore les cartes, le célèbre Guide Rouge et ses étoiles, mais aussi toute une nouvelle gamme de produit dont la boutique parisienne Avenue de l'Opéra se veut la vitrine. Sans parler des services online, c'est-à-dire le serveur Minitel et les sites Internet :

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III.A.3 Un pionnier de l'innovation

Michelin s'est durant toute son histoire démarqué pour ses constantes innovations. Il s'est ainsi bâti cette réputation dès 1891 avec le pneu Michelin Démontable, consacré par la victoire du Paris-Brest-Paris par Charles Terront.

"En considérant la jante et le pneu comme deux éléments distincts, Michelin aboutit à la conception du démontable"

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Soutenu par diverses réussites commerciales et par le mythique Bibendum, sa volonté d'innover allait alors s'illustrer pendant quarante ans par la qualité relative de ses gommes et les bonnes tenues de route de ses pneus. Dans les années 30, les séries Confort et Super-Confort élargissent les profils et améliorent sensiblement la tenue de route, pour aboutir en 1937 à la naissance du pneu Pilote, le premier "low-profile" au monde, de construction par ailleurs très audacieuse.

Puis fut conçu le fameux Metallic, un pneu poids lourd tout acier. D'architecture diagonale, il comprenait deux à quatre nappes de câbles d'acier qui remplaçaient les douze à vingt nappes textiles de l'époque. Michelin dut pour l'occasion se faire métallurgiste, et utiliser toute sa compétence de caoutchoutier pour résoudre les problèmes de liaison du caoutchouc avec l'acier.

La Seconde Guerre mondiale donna l'opportunité aux caoutchoutiers de travailler une matière nouvelle, le caoutchouc synthétique (la Seconde Guerre mondiale ayant été l'occasion d'un formidable effort industriel pour cette matière : programme américain GRS (Government Rubber Stock) avec la chimie du pétrole, mais aussi programme allemand Buna, de l'IG Farben, qui dans les années 30 synthétisait du caoutchouc avec la chimie du charbon (voir die IG Farbenindustrie – Wirtschaft Technik Politik 1904-1945, G. Plumpe, Dusker&Humblot, 1990)). Ses propriétés différentes, donnant de mauvais résultats, en particulier en ce qui concerne la résistance mécanique et thermique, firent que bien vite le caoutchouc naturel reprit sa place. Pourtant, celles-ci sauront être mises en valeur dans la révolution technologique que le marché du pneumatique allait vivre. Depuis longtemps de nombreux manufacturiers pensaient à un pneu qui dissocieraient mécaniquement ses flancs de sa bande de roulement. On comprenait petit à petit les limites du pneu à structure diagonale, en particulier son échauffement bien trop élevé.

Michelin lança un vaste programme de recherche pour trouver une nouvelle architecture. Marius Mignol, père de la structure radiale, proposa un pneu expérimental dont les flancs ne seraient soutenus que par des câbles métalliques radiaux très espacés. Ce pneu démontra que la chaleur parasite était intrinsèquement liée à la structure diagonale, et Michelin poussa ses recherches encore plus loin avec la création de la très fameuse Cage A Mouche (CAM).

La CAM est un pneu dont les flancs sont des câbles radiaux très espacés et sans gomme, et le sommet une bande de roulement soutenue par deux nappes métalliques posées à angle faible. Le pneu radial était né grâce à ce dispositif expérimental qui révéla une foule de bonnes surprises quant aux performances du pneumatique : comportement bien supérieur, faible résistance au roulement, faible échauffement, longévité, résistance à l'usure stupéfiante, vitesse limite élevée, adhérence longitudinale et transversale, excellent confort. L'échauffement parasite de la structure diagonale se révéla la source de la plupart des carences de cette structure.

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Le pneu expérimental C.A.M. ancêtre du radial comportait une carcasse radiale ajourée d'où son surnom de "Cage A Mouche".

L'industrialisation du pneu radial connut un succès fulgurant, et permit à la Manufacture d'acquérir une d'envergure mondiale. Ayant mis à profit son expérience de métallurgiste et son expertise du caoutchouc synthétique, Michelin possédait plusieurs longueurs d'avance sur tous ses concurrents. Il consacra alors tous ses efforts de recherche et tous ses investissements au radial, qui demandait un mode de fabrication différent puisqu'il rajoutait une étape d'inflation de la carcasse crue, faisant évoluer la technologie, se succéder les générations de radial qui s'étendait peu à peu aux poids lourds, au génie civil, etc., avec pour but la production exclusive de pneu radial. De nos jours le pari est superbement réussi, et la radialisation du marché, déjà très avancée, paraît inexorable.

Cette réussite renforça la conviction de Michelin de jouer la carte de l'innovation en s'en donnant les moyens : budget consacré à la recherche et au développement supérieur au standard des producteurs de pneumatiques, investissements dans des matériels de pointe (Michelin fut l'un des premiers à disposer d'un supercalculateur Cray, développa ses propres outils d'éléments finis, etc.).

De nos jours, Michelin conserve sa volonté d'innover avec par exemple l'industrialisation du pneu à basse résistance au roulement, au début des années 90, diminuant de 20 % l'effort de la résistance au roulement, en introduisant dans ses mélanges du caoutchouc où le noir de carbone était avantageusement remplacé par une silice originale. Permettant aux véhicules de réduire leur consommation, l'argument écologique devint un des moteurs de la politique de communication de Michelin.

Dernière innovation majeure en date, le pneu à accrochage vertical, baptisé PAX. Modifiant le principe même d'accrochage du pneumatique à la roue, cette technologie permet de rouler avec un pneu crevé à 80 km/h sur 200 km sans même que l'automobiliste fasse la différence. Déjà considérée comme révolutionnaire par la presse automobile, ce procédé devra gagner la sympathie des constructeurs car il impose un changement de standard, ce qui implique des incompatibilités, un changement d'outillage, etc.

III.A.4 Le C3M

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Michelin innove dans les produits, mais aussi dans les procédés de fabrication. Le dernier exemple en date, dont Michelin parle de manière très discrète depuis 8 ans, est un procédé qui, pour la deuxième fois de l'histoire de Michelin, semble révolutionner le principe même de la fabrication de pneumatiques. Alors que les machines "standards" assemblent le pneu en deux étapes minimum (trois pour le radial), les "C3M" de Michelin le font directement, en une seule, à partir des matières premières (caoutchouc, noir de carbone, fils métalliques, textiles, etc.). Résultat : baisse spectaculaire de la place requise, baisse également spectaculaire de la main-d'œuvre nécessaire, flexibilité. L'"Usine Nouvelle" estime que le procédé C3M baisserait le coût de fabrication d'un pneu tourisme de 22 $ !

Ce procédé6, dont on peut lire une description non officielle dans l'Usine Nouvelle de mai 1996, installé en octobre 1997 à l'usine de Reno dans le Nevada, permit aux 130 salariés de cette dernière (des techniciens triés sur le volet), de se donner comme objectif une production d'un million de pneus tourisme en un an, un véritable record de productivité. Selon les Echos, "Le C3M est effectivement l'un des secrets industriels les mieux gardés au monde, par l'un des groupes les plus secrets du monde."

Ses performances ? Gain de temps : 85 %. Gain d'espace : 90 %. Gain de productivité : 40 % par rapport à la plus performante usine traditionnelle. La machine est si compacte qu'elle tient dans un container.

Se pose donc la grande question de son déploiement, avec les formidables atouts pour l'entreprise mais également les conséquences sociales directes qu'une implantation majeure provoqueraient. Il semble bien difficile pour Michelin de posséder une arme aussi avancée face à ses concurrents et de résister à la tentation de la mettre sérieusement en route, quitte à supprimer un nombre important de poste et à remettre en cause ses plus anciennes usines.

Modérons nos propos par les déclarations du groupe, assurant que le C3M est un système complémentaire à sa production de grande série et parfaitement adapté à la production en petites quantités ainsi qu'aux exigences de flexibilité de ses clients.

III.A.5 L'avenir industriel

Michelin dispose d'un outil industriel impressionnant. Il possède, rappelons-le, 82 sites de production en 1998, pour une production journalière moyenne de 830 000 pneumatiques, mais aussi 76 000 chambres à air, 1200 tonnes d'acier, plus de 4 millions de kilomètres de câbles (Michelin est le deuxième tréfileur mondial !). Depuis une dizaine d'année, Michelin a étendu sa capacité par des acquisitions (Kleber, Uniroyal-Goodrich, Stomil, etc.) mais aussi en construisant de nouvelles usines. Michelin doit pourtant faire face à un grand nombre de défis. La gestion de sa chaîne logistique reste, de l'aveu même des Gérants, encore trop imparfaite. La Manufacture pêche encore en flexibilité, connaît des problèmes de manque de capacité chroniques qui l'empêchent encore de conquérir les parts de marché qu'elle convoite légitimement.

Michelin reste pourtant très agressif, et la lecture du dernier rapport d'activité reste édifiante : le nombre de projets de premier ordre est étonnant, les ambitions clairement affichées de gains de part de marché dans des marchés niches et dans certaines catégories de pneus sont impressionnantes. N'oublions pas que Michelin est à peine sorti d'une très grave crise financière en 1993, période pendant laquelle le rapport Dettes/Fonds propres atteignit 441 %.

C'est dans ce contexte que Michelin débloqua en 1996 près de 300 millions de dollars pour construire l'usine US7, aux Etats-Unis, de pneu Génie Civil, dans laquelle j'ai effectué mon stage. Ses ambitions envers le marché du pneu Génie Civil sont en effet très grandes. A noter également

6 On notera à ce sujet que les données et les chiffres que je communique proviennent de publications du Figaro Economique du 8 juin 1998, des Echos du 13 janvier 1998, de l'Usine Nouvelle du 2 mai 1996 et enfin d'un document de vulgarisation que Michelin publie : "Le pneu et l'environnement". Le lecteur saura donc garder un œil critique vis-à-vis des informations ici présentées.

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l'annonce de 500 millions de dollars d'investissements que Michelin vient de faire mi-août pour étendre la capacité de plusieurs sites en Caroline du Sud, et aussi construire une unité supplémentaire de production de mélanges de caoutchouc.

Bien entendu, il est impossible de terminer cette partie sans mentionner l'annonce des 7500 suppressions de postes sur 3 ans en Europe. Michelin possède des usines qui peuvent faire des gains de productivité énormes, grâce à de nouveaux procédés (déploiement du C3M entre autres), de nouveaux systèmes, etc. Lorsque l'on sait que Michelin pêche par le prix trop élevé de ces produits, une annonce de gains de productivité de 20 % est une excellente nouvelle financière pour permettre à la Maison de faire face à une concurrence toujours plus acharnée, et qui elle aussi se rationalise. Ainsi de Pirelli et de Bridgestone qui déploient des systèmes de "Supply Chain" de premier plan, de Goodyear et Continental qui développent de nouveaux procédés, etc.

Le contexte actuel du marché du pneumatique est inadapté à l'immobilisme, et la stagnation du marché européen ne peut pas permettre à Michelin de vivre sur ses acquis. A noter que ces suppressions de postes (pour la plupart des départs en retraite ou pré-retraite non remplacés, du temps partiel, et la diminution d'intérimaires et de sous-traitants. Néanmoins, il y aura des fermetures de sites.) n'ont rien de bien original dans le contexte industriel actuel, mais la situation bénéficiaire de Michelin et la réaction de la Bourse a plutôt amené à une prise de conscience brutale et collective de l'impuissance relative de l'Etat sur les affaires et de la prépondérance du marché dans un contexte de globalisation. Soutenu par un battage médiatique conséquent, l'affaire Michelin tombait à point nommé pour pimenter une rentrée sociale sans actualité croustillante.

Je trouve personnellement dommage que l'on ait mélangé les genres, une entreprise n'ayant pas de responsabilité politique mais plutôt un devoir civique de réussite. Laissons les politiques fixer les règles du jeu et laissons les industriels mener des stratégies ambitieuses et pérennes pour l'économie française dans le respect de ces règles du jeu.

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III.B US7, une usine nouvelle, des pneus énormes

L'usine dans laquelle s'est déroulé mon stage, "US7", est une usine que Michelin décida officiellement de construire en 1996. Située à Lexington, en Caroline du Sud, elle fut installée sur le même site que son usine sœur US5, qui est la plus grosse unité de pneus tourisme du Groupe aux Etats-Unis. Commencée en juin 1996, elle fut ouverte en septembre 1997, un temps record de construction.

Le premier pneu à être construit dans l'usine, un pneu gigantesque en 40.00R57 de plus de 3 tonnes, sortit de sa presse le 11 décembre 1997 (pour être immédiatement découpé et soumis à des tests de qualité…), et la première livraison commerciale eut lieu le 23 février 1998.

US7 s'inscrit dans le cadre de la stratégie de Michelin de conquérir des parts de marché du pneu Génie Civil, un pneu hautement technologique que Michelin produit déjà dans plusieurs usines en Europe et au Canada. Michelin considère qu'il n'est pas assez présent sur ce marché alors qu'il a non seulement les capacités techniques, mais aussi l'expérience nécessaire pour devenir leader de cette niche hautement lucrative (contrairement au marché du pneu tourisme qu'une guerre des prix sans relâche rend très peu profitable). Le fait que cette usine soit installée aux Etats-Unis s'explique par de nombreux critères, depuis la localisation géographique stratégique jusqu'aux avantages de la Caroline du Sud (impôts, main-d'œuvre bien formée, présence de fournisseurs, etc.).

L'usine US7 était donc en phase d'installation et de mise en route lors de mon arrivée, ce qui ne manquait pas de rendre mon stage encore plus enrichissant. Cette usine accueillait en effet des équipements derniers cris, et était le cadre de plusieurs expérimentations, dont une sur laquelle je me permettrai d'insister : l'organisation du travail.

Polyvalence des opérateurs.Il faut tout d'abord bien comprendre que la production de pneus de Génie Civil ne s'inscrit

pas du tout dans le cadre d'une production de masse comme on peut le voir sur une usine de pneus tourisme. Le faible volume réalisé, la très haute diversité des produits et la grande complexité de ses procédés fait entrer cette production dans le cadre, défini dans les standards de gestion de production, de production en petites séries (par exemple Gestion de production, Courtois, Martin-Bonnefous et Pillet, voir Bibliographie). Ceci implique presque nécessairement une polyvalence opérationnelle minimale, car un pneu de Génie Civil va rester plusieurs heures sur la même machine, et il n'est pas question de fractionner les tâches dans ce flux au débit faible.

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C'est pourquoi l'idée de travailler sur l'organisation de la production fut naturelle. US7 a donc été conçu avec le concept de "Manufacturing Professionnal", opérateur polyvalent, capable de travailler sur un cycle complet d'une machine, voire de plusieurs machines, de gérer des tâches connexes à la production (qualité, maintenance, etc.) et d'effectuer des tâches annexes (manutention, etc.). Cette grande polyvalence donnant une flexibilité d'organisation très forte est couplée à une hiérarchie très ramassée (le nombre de niveaux de hiérarchie est très faible). Ce concept très avancé d'organisation est très intéressant d'étudier : l'opérateur, par sa grande polyvalence et sa grande autonomie, peut non seulement s'épanouir dans un cadre beaucoup plus diversifié, peut décharger de certaines tâches opérationnelles l'encadrement, participe directement aux démarches de qualité, de maintenance, de gestion (planification, ordonnancement, etc.) car il a la connaissance des réalités de l'atelier, des problèmes actuels et des contraintes. L'encadrement dans une telle structure est allégé, et beaucoup plus réactif du fait de l'implication des opérateurs dans leurs domaines respectifs.

Cette organisation est attentivement surveillée car Michelin serait désireux de la généraliser. Rendant a priori le travail opérationnel plus épanouissant tout en le rendant plus efficace, ces méthodes sont très à la mode aux Etats-Unis et les cabinets de conseils en organisation en font leur pain quotidien. Une réussite, couplée à l'expérience accumulée lors de cette expérimentation, permettrait à Michelin de l'implanter dans d'autres usines, ayant cette fois à gérer une transition d'organisation mais conscientes alors des problèmes organisationnels spécifiques d'usine de pneumatiques.

Le succès d'une telle démarche me semble dépendant d'un certain nombre de facteurs néanmoins. Tout d'abord il n'est pas réaliste de laisser les opérateurs sans structures, sans systèmes et sans informations sous prétexte de leur autonomie. En effet tout d'abord pour les structures, il est impératif que l'opérateur connaisse sous toutes ses facettes la "routine" de son métier de base. Sa bonne formation est indispensable, car l'on imagine mal un opérateur hésitant prendre des décisions. Mais il s'agit également de surveiller et de motiver la qualité de son travail, et en particulier faire attention à ce que sa charge de travail soit raisonnable et sa formation suffisante pour être à la hauteur de ses objectifs. Sa formation, d'ailleurs, est très complète, passant des formations techniques classiques (procédé, qualité, etc.) aux formations de "teambuilding", aux formations à l'outil informatique, etc.

J'ai personnellement rencontré des opérateurs qui étaient largement satisfaits de ce système. Avec un travail plus intéressant et plus épanouissant, avec des responsabilités accrues et une hiérarchie légère, les opérateurs peuvent enfin s'exprimer professionnellement parlant. Les revers : certains opérateurs sont débordés (et d'ailleurs la tentation de confier le maximum de responsabilités à un petit groupe d'opérateurs efficaces était bien présente, au risque de laisser la majorité des opérateurs sans grande polyvalence), beaucoup n'étaient pas encore assez compétents (lacunes de formation ou manque d'expérience), et surtout un management qui était trop débordé pour bien encadrer la naissance et le bon déroulement de ce système.

Horaires, productivité.L'usine fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elle ne s'arrête qu'une dizaine de jours par

an. 4 équipes réalisent le roulement, par tranches de 12 heures (donc deux équipes par jour) soit une moyenne hebdomadaire de 42 heures (dont 2 en heures supplémentaires régulières). Ces horaires, assez étonnants, ont été votés par les opérateurs et à vrai dire plébiscités. A noter un chiffre qui laisse à réfléchir : un opérateur réalise un peu plus de 2000 heures effectives dans l'usine par an, quand un opérateur français (avant le passage aux 35 heures) réalise environ 1600 heures par an. Deux semaines de congés payés sont accordées aux salariés, à moins qu'ils aient plus de dix ans d'ancienneté. L'usine étant en phase d'installation, sa productivité est encore en dessous de celle de ses usines sœurs en Europe, mais une fois en marche courante on ne manquera pas de constater l'impact de ces horaires ainsi que l'impact du concept de "Manufacturing Professional". J'ai personnellement assisté en un an à une hausse de productivité, du fait de l'installation de machine,

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de l'expérience grandissante des opérateurs, etc., impressionnante. Mais pour garder cette tendance, de nombreux défis restent à relever.

Formation.Les process mis en jeu dans la fabrication du pneu Génie Civil sont tous longs et complexes.

Un opérateur fait ainsi peu de gestes répétitifs, du fait du nombre et de la durée de chacune des opérations. Il est par conséquent très difficile pour un opérateur de maîtriser complètement son travail s'il n'a pas une ancienneté suffisante. Les courbes d'évolution de la productivité par rapport à l'ancienneté ainsi que celle de la qualité du travail fourni par rapport au temps progressent moins vite que dans les usines de pneus poids lourds et a fortiori les usines de pneus tourisme. La formation est donc absolument cruciale, d'autant plus que les opérateurs évoluent dans un environnement où le maximum de polyvalence est valorisé. C'est ainsi qu'avant le démarrage de l'usine, toute une équipe d'opérateurs est partie se former en Europe dans les usines de Génie Civil. De même, la formation est évaluée de manière très stricte dans l'évolution de l'opérateur vers son statut de "Manufacturing Professional".

J'ai été tout particulièrement frappé par la généralisation, dans les ateliers, de l'outil informatique. Un des pré-requis pour obtenir le statut de "Manufacturing Professional" est la maîtrise des outils classiques de Bureautique (Word et Excel, pour ne pas les nommer) et de l'e-mail, qui est un outil de travail dorénavant incontournable. Je ne saurais que trop m'émerveiller des résultats étonnants de cette dynamique : une information plus largement et équitablement partagée, la disparition des problèmes de disponibilité, la fin des blocages hiérarchiques, une communication transversale facilitée, etc. Quant à la maîtrise d'un tableur, l'ingénieur que je suis ne peut que se réjouir de cette avancée…

Le syndicalisme.Des opérateurs polyvalents, une hiérarchie ramassée et un encadrement limité ne sont pas les

seules spécificités organisationnelles de l'usine. De-même que toutes les autres usines Michelin aux Etats-Unis (et contrairement aux anciennes usines d'Uniroyal-Goodrich qu'il a acquises depuis), cette usine n'est pas syndiquée (voir II.C.). Je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici la communication d'entreprise que le Service du Personnel affiche en interne (que son représentant local m'a autorisé de publier ici) :

UNION-FREE STATUSPolicy Statement

1. Reasons Michelin Prefers To Operate Union-FreeA. Direct relationship

At Michelin we prefer to deal directly with our fellow employees, not through unions or any other third party agents.

B. Team WorkUnion can adversely affect the Michelin spirit of teamwork and cooperation.

C. Continued Growth and Competitive StrengthMichelin employees share a common interest in our Company's long-term growth, success and competitive strength. Unions do nothing to foster this spirit.

2. Union membership is not a job requirement

3. In the best interest of our employees and the Company, we will oppose, by every proper and legal means, any attempt to disturb the harmonious relations we enjoy with our employees.

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Il est vraiment étonnant pour un Français de voir un tel texte affiché devant la cafétéria par exemple. Bien entendu tout est fait pour que les syndicats ne viennent pas s'installer dans l'usine, et cette crainte remplace d'une certaine manière le contre-pouvoir des syndicats : on prévient les désirs des salariés, on les informe énormément, etc. J'ai été personnellement agréablement surpris par la dynamique que l'absence de syndicat impliquait, en termes d'implication du management, de bonnes relations hiérarchiques et de dialogue en général. Bien entendu cela n'est valable que lorsque les affaires marchent, et dans le cas contraire l'absence de syndicat donne une très grande flexibilité au management (imposer des vacances pour fermer l'usine, arrêter d'embaucher, etc.).

Aspect technique.L'usine US7, non contente d'intégrer les dernières avancées dans le domaine de

l'organisation, se targue également d'une ambition technique impressionnante. Tout d'abord par le niveau d'excellence technique des machines installées, toutes neuves et intégrant le meilleur de la technologie Michelin. Elles restent bien entendu à optimiser, mais j'ai été particulièrement impressionné par leur haut niveau d'automatisation, l'intégration informatique très poussée (on verra plus loin les extraordinaires capacités du système d'information de niveau 1 et de niveau 2, dont les bases de données de traçabilité), leur clarté et leur ergonomie, essentiels car il s'agit pour la plupart de machines nécessitant une main-d'œuvre très présente.

J'ai été également frappé de la très haute informatisation des ateliers. On a vu précédemment que tous les opérateurs auront à terme la maîtrise de l'outil informatique, en particulier l'e-mail, ce qui ne manque pas de faciliter la communication. Par ailleurs toutes les machines produisent une base de données opérationnelle qui facilite le travail de la maintenance ou tout simplement de l'ingénierie.

Un gros travail sur le flux a été réalisé dans cette usine. En effet, les process associés à la fabrication des pneus Génie Civil sont longs et complexes, il est donc économiquement crucial d'optimiser le flux en atelier afin d'obtenir une occupation machine maximum. Une organisation en flux tiré s'est imposée de manière naturelle du fait des spécificités des process. Les ateliers, organisés en ateliers fonctionnels de type continu (voir Gestion de production, Courtois, Martin-Bonnefous et Pillet, voir Bibliographie) sont ordonnancés selon la direction du flux, par type de métiers. Le lecteur comprendra que je ne puisse faire une description détaillée de cette superbe réalisation industrielle pour des raisons de confidentialité.

L'optimisation automatique et le pilotage du flux n'étaient pas encore à l'ordre du jour lors de mon passage. Les problèmes techniques occupaient largement trop de ressources. J'ai néanmoins entrevu un potentiel énorme : une telle usine, pilotée par un système suffisamment global et performant, peut voir sa productivité exploser. Synchroniser un flux avec un routage aussi compliqué et un flux discret, le tendre au maximum malgré des temps de cycle longs et encore instables, voilà un premier défi de gestion de production assez exceptionnel à relever. Par ailleurs, optimiser la chaîne logistique, automatiser les commandes, minimiser les en-cours et les stocks et piloter l'inventaire nécessitait également un système de gestion de production adapté. Dans le contexte de "Manufacturing Professional", il me semble absolument essentiel d'avoir des systèmes de pilotage et d'aide à la décision les plus efficaces possibles. Il s'agit, pour moi, d'un des défis majeurs pour cette usine. Défi d'autant plus crucial qu'il est maintenant de notoriété publique que les concurrents de Michelin sont en phase terminale d'implantation de systèmes de gestion de production dernier cri qui sauront leur donner cet avantage compétitif.

Il est bien entendu vraiment intéressant pour moi d'avoir pu suivre la mise en route d'une usine, d'autant plus que sur bien des points ses spécificités sont étonnantes (organisation, produit, procédés, etc.). Michelin place beaucoup d'espoir dans son développement et ses objectifs sont extrêmement ambitieux : certification QS9000, plan de production, amélioration de la productivité, etc. J'espère que ce pari permettra à Michelin de réaliser ses objectifs commerciaux, et pour avoir

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participé à l'élaboration d'un tableau de bord (série d'indicateurs opérationnels), je dois dire que les pentes respectives des indicateurs sont très prometteuses.

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IV Le pneumatique, un produit complexe

Rond et noir, le pneumatique est un produit simple en apparence, dont la présence dans notre quotidien ne fait que renforcer sa banalité. Il s'agit pourtant d'un composite très complexe, mettant en œuvre des compétences très diverses. Ce produit fut un casse-tête pour plusieurs générations de chimistes, de métallurgistes, de mécaniciens, de mathématiciens appliqués, etc.

Michelin explique ainsi qu'un bon pneumatique est le fruit du travail sur plusieurs millions de paramètres, dont de très nombreux sont antagonistes : adhérence/résistance au roulement, confort/comportement, etc. Je voudrais ici faire une présentation vulgarisatrice de ce produit et de sa production, pour mieux faire ressortir les défis que le pneumatique pose à l'ingénieur.

IV.A Présentation globale

Avant de discuter plus avant du pneumatique, il est essentiel de comprendre ses fonctions. Tout d'abord il s'agit d'un bandage de la roue. Les premiers bandages étaient en acier, puis en caoutchouc, mais pleins. Le bandage pneumatique est quant à lui un assemblage de caoutchouc, de tissus et éventuellement de câbles en acier, monté en tube creux et gonflé à l'air. F. J. Kovac (Goodyear) nous énumère ainsi les fonctions essentielles d'un bandage :

1. Fournir une capacité de charge2. Fournir un amortissement et un enveloppement3. Transmettre le couple d'accélération et de freinage4. Produire une force d'acculement5. Fournir une stabilité dimensionnelle6. Résister à l'abrasion7. Fournir une réponse de conduite8. Avoir une faible résistance au roulement9. Créer un bruit minimum et ne permettre qu'un minimum de vibrations10. Etre durable et sûr

Grâce à ses caractéristiques uniques de déformabilité et d'amortissement, le bandage pneumatique est à nos jours le seul produit capable de satisfaire toutes ces fonctions.

Ce "pneumatique" répond en effet de manière adaptée aux critères de mobilité, de performance et de confort que l'on peut étudier de la manière suivante : la performance, c'est-à-dire l'accélération, le freinage, la résistance au roulement, est en relation avec un ensemble de forces et de moments qui s'exercent horizontalement, dans la direction du roulement. La mobilité, c'est-à-dire la résistance latérale, le changement de direction, et l'abrasion, agissent dans la direction latérale. Le confort enfin agit de manière verticale.

Cette première segmentation des forces reste encore bien insuffisante, trop de facteurs sont encore à considérer. Il s'agit d'effectuer, pour étudier chacune de ces forces, un discernement sur l'usage du pneumatique : "pneu tourisme", "pneu poids lourd", "pneu agricole", etc. ; puis de bien considérer le niveau de performance que l'on veut atteindre (chargement, vitesse, longévité).

Le pneumatique est un ensemble composite de caoutchouc, de fibres textiles et éventuellement de câbles métalliques. On peut considérer le pneumatique comme un réseau de tissus (textiles et/ou métalliques) parallèles intégrés dans une matrice en caoutchouc. Par caoutchouc on entend ici un mélange complexe d'élastomères, de noir de carbone ou de silice (charge renforçante), d'agents chimiques, d'agents de protection (anti-UV, antioxydant), d'agent de

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vulcanisation (soufre), etc. Le caoutchouc a deux origines : naturel ou synthétique. Le caoutchouc naturel, provenant du latex récolté dans des plantations d'hévéa, possède des qualités intrinsèques qui en font un matériau indispensable : malléabilité, grande résistance mécanique et thermique, adhérence sur tout type de sol. Les caoutchoucs synthétiques, développés pendant la guerre par le programme américain GRS (voir III.A.3) pour pallier la pénurie de caoutchouc naturel, offrent de plus en plus de possibilités de formulation. Ces élastomères dérivés du pétrole ont permis d'améliorer certaines caractéristiques du pneumatique (durée de vie, adhérence).

On peut considérer qu'il existe deux grandes familles de pneumatiques actuellement : les pneumatiques à structure conventionnelle et ceux à structure radiale. Dans le pneumatique "conventionnel" ("bias tire"), les nappes textiles s'étendent diagonalement le long du pneu, d'extrémité en extrémité (de tringles en tringles, c'est-à-dire des cercles d'acier inextensible qui font un effet d'ancrage de ces nappes, et qui assure la rigidité de l'attache à la jante). Ces nappes, généralement inclinées de 30 à 40° par rapport à la direction de roulement, s'alternent de manière successive. Cette structure est encore beaucoup utilisée car elle est simple à fabriquer, demande moins d'attention de montage, moins de complexité à l'usage. Elle reste pourtant une structure de performance inférieure à la structure radiale, pour laquelle Michelin a fait le pari (voir III.A.3).

Le pneumatique radial possède une nappe qui s'étend de tringle à tringle à 90° de la direction de rotation, la "nappe carcasse", et au-dessus d'elle des nappes diagonales d'angle réduit (10 à 30°). Les avantages du pneu radial sur le pneu conventionnel sont très nombreux, même si le pneu radial demande une complexité de mise en œuvre supérieure.

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Comportement.Le meilleur comportement général du pneu radial est lié au fait qu'en virage, la surface de contact au sol reste sensiblement inchangée : il vire à plat, lorsque le pneu conventionnel bascule du fait de sa solidarité flanc-sommet. De plus, le pneu conventionnel va subir une onde stationnaire qui va mettre en jeu une variation continuelle de l'aire de contact au sol, inexistante dans le pneu radial. Enfin, la désolidarisation flanc-sommet permet une plus grande indépendance des paramètres tenue de route et confort.

Résistance à l'usure.Elle est considérablement accrue par la stabilisation de la bande de roulement donnant une

surface de contact constante. L'usure est ainsi réduite de moitié pour une longévité accrue de manière correspondante (75 à 120 %).

Traction et adhérence.La chaleur dégagée lors du roulage est réduite, d'où une plus grande liberté pour adapter le

pneu à des vitesses supérieures sans mettre en danger la structure, d'employer des mélanges de résistance à l'usure ou d'adhérence plus élevées, etc.

Michelin possédait bien des atouts avec son invention du radial, et son pari audacieux de l'époque s'est révélé largement gagnant.

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IV.BLa composition du pneumatique

Le schéma suivant montre un profil de pneu conventionnel. Détaillons couche à couche les fonctions structurelles :

1. La bande de roulement (Tread) : Il s'agit de la couche qui va supporter le contact au sol et la charge, en fournissant la traction, le confort de roulement et une génération de chaleur minimale due au roulement.

2. Les flancs (Sidewalls) : la portion verticale du pneu, entre la bande de roulement et la tringle. Contrôle le guidage, le soutien et le confort d'amortissement.

3. Interface flanc-sommet (Shoulder) : dans le pneu conventionnel, la partie supérieure du flanc est directement responsable des caractéristiques de guidage et de génération de chaleur du pneu.

4. Le talon (Bead) : c'est une structure composée d'une (pneu radial) ou plusieurs (pneu conventionnel) tringles, un cercle en câble d'acier à haute résistance à la traction qui servent de points d'ancrage aux nappes (la nappe carcasse pour le radial), assure la jonction du pneumatique avec la jante, et de couches en caoutchouc dont la géométrie assurent à la fois une jonction

saine avec la jante, mais aussi une protection géométrique contre un éventuel glissement ou décollage du pneu.

5. Les nappes carcasses (Plies) : nappes de câbles allant de tringle en tringle afin de renforcer le pneumatique.

6. Les nappes sommet (Belts) : nappes de renfort posées sous la bande de roulement, assurant un comportement sain du contact au sol et rigidifiant le sommet.

7. La gomme intérieure (Liner) : dans un pneu Tubeless (sans chambre à air), c'est la couche de caoutchouc imperméable à l'air qui permet au pneu de contenir de l'air comprimé. Cette couche est faite de caoutchouc butyle, dont l'utilisation est délicate du fait que ce caoutchouc peut contaminer les autres couches et empêcher leur collage correct.

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IV.C La construction du pneumatique

Pour expliquer les grands principes de la production industrielle du pneumatique, attachons-nous à comprendre le schéma suivant que F. J. Kovac nous présente. Il représente la fabrication du pneumatique depuis l'élaboration des mélanges de caoutchouc jusqu'au pneu fini. Le procédé ici représenté est le plus répandu dans l'industrie pneumatique. Le fait que l'étape "Tire assembly" soit représentée en une étape montre qu'il s'agit là de la fabrication de pneus conventionnels, nous y reviendrons.

Il faut tout d'abord, avant de considérer la fabrication du pneu proprement dit, voir la fabrication des produits semi-finis qu'il requiert : les mélanges de caoutchouc, les nappes textiles, les nappes métalliques, les tringles.

Les mélanges.Les caoutchoucs destinés à former les couches du pneu sont produit à partir du caoutchouc

naturel des plantations d'hévéa et du caoutchouc synthétique (Michelin possède plusieurs unités de fabrication de caoutchouc synthétique et 6 plantations). Ils représenteront entre 60 et 80 % du poids

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total du pneumatique. De nombreux mélanges sont utilisés dans un même pneu, selon la fonction (bande de roulement, flancs, etc.).

Les mélanges sont effectués dans différentes machines, tout d'abord une machine Banbury dans laquelle l'élastomère, le noir de carbone (éventuellement la silice, tous deux charges renforçantes), et divers agents chimiques sont mélangés. Puis les étapes de malaxage (Milling), afin d'obtenir un mélange homogène du caoutchouc sortant du Banbury avec les divers agents chimiques (accélérateurs, etc.), les agents de protection (anti-UV, antioxydants, etc.), les agents de vulcanisation (soufre).

Les nappes textiles.Les nappes textiles incorporées dans les pneumatiques sont en fait des fibres textiles

parallèles, écrasées entre deux fines couches de mélange, et orientées selon un angle donné. Les fibres textiles peuvent avoir de nombreuses origines : il s'agissait à l'origine de coton, puis de rayonne. On utilise maintenant les fibres synthétiques, comme certains polyesters, l'aramide, etc. Une fois ces fibres obtenues, elles sont mises en nappes parallèles et enrobées d'un mélange dans des machines de calandrage, pour enfin être découpées selon un angle et ressoudées avec cet angle pour obtenir des nappes textiles parallèles inclinées.

Les nappes métalliques.Similaires aux nappes textiles, elles sont constituées de câbles métalliques fabriqués dans

des ateliers de tréfilages. Ces câbles passent dans des calandres puis dans des coupeuses de la même manière. A noter que le calandrage des câbles métalliques est une opération délicate, demandant beaucoup de savoir-faire, car la liaison caoutchouc-métal n'est pas facile à maîtriser.

Les tringles.Elles sont créées à partir de fils métalliques que l'on enrobe de mélange (coextrusion) puis

que l'on enroule sur une sorte de roue en donnant à l'ensemble une forme torique spécifique.

Les différentes couches du pneu sont tout d'abord fabriquées dans des extrudeuses, qui vont faire d'un mélange un profilé, au moyen d'une lame, que l'on enroulera en bobine. Ces bobines vont venir alimenter les machines de confection et de finition du pneumatique.

Dans l'étape "Tire assembly" distinguées par Kovac, la construction d'un pneu radial requiert deux sous-étapes : tout d'abord la carcasse du pneu va être fabriquée sur une machine de confection. Il s'agit en fait d'un gros tambour sur lequel on va disposer les différentes couches du pneu à plat. Un jeu de membrane va effectuer le retournement de la nappe carcasse (la nappe carcasse, posée à plat selon une orientation radiale, va se retourner autour de la tringle). De cette sous-étape on obtient une carcasse, qui ressemble à ce stade à un gros cylindre. La sous-étape suivante, la finition, va effectuer un gonflage de la carcasse par un jeu de membrane afin de lui donner une géométrie proche de la géométrie finale. Sur cette carcasse gonflée on va alors poser les nappes du sommet et la bande de roulement. Le résultat est un bandage, ou pneu cru, ou pneu vert. Tout un jeu de précontrainte a été établi à ce niveau, entre autres par l'inflation de la carcasse.

Enfin la vulcanisation, dans des presses, qui est la cuisson du bandage afin de former des ponts de soufre entre les différentes couches, de former la sculpture grâce aux moules installés dans les presses, et de positionner du fait de la fluidité du caoutchouc de manière définitive les différentes parties du pneumatique. Sorti de la presse, le bandage est devenu une enveloppe.

Cette enveloppe va enfin subir toute une batterie de test (systématique ou par échantillonnage, destructif ou non, etc.), vérifiant son aspect, son uniformité, l'absence de tout corps étranger dans le pneu, la bonne conformation des nappes, etc.

L'usine dans laquelle je travaillais fabriquait des pneumatiques de taille exceptionnelle, et à ce titre d'une complexité fantastique. Les procédés étaient à la mesure du gigantisme et de la

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complexité de ce produit. Par exemple les presses étaient de gigantesques chapes de métal de plusieurs dizaines de tonnes, les cuissons se mesuraient en heures et non en minutes, etc. Pour un jeune ingénieur désireux de travailler dans l'industrie, la visite d'une telle usine est tout simplement une expérience inoubliable.

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V La simulation dynamique, pas-à-pas

Le projet de créer un outil d'évaluation dynamique de la capacité de l'usine est le projet principal de mon stage, il en est également à l'origine. L'usine US7, on l'a vu, est une usine en démarrage, et sa montée en production est des plus difficiles à évaluer, sachant que dans une usine au flux si particulier la capacité n'est pas directement calculable.

Posséder un outil d'évaluation de capacité simple et direct, permettant de savoir au jour le jour quelle est la production réalisable sur un certain horizon est non seulement un avantage au niveau de la planification à moyen terme (établissement d'un business plan annuel ou pluriannuel), mais aussi un avantage compétitif dans la mesure où le marché du pneu génie civil est très capricieux, très volatil. Pouvoir s'engager de manière précise face au client et anticiper la production en cas de baisse de la demande (évaluation de scénarios), etc., permet de nombreuses optimisations.

L'outil fut créé en cinq mois, avec un éventail d'outils annexes comme par exemple l'établissement de bases de données opérationnelles et automatiques de temps de cycle, des outils de configuration du modèle. Il est basé sur une simulation dynamique de trois sous-ateliers (on pourra se référer au paragraphe sur la fabrication du pneu pour comprendre les étapes mises en jeu) : la Confection, la Finition et la Cuisson.

V.A Définition de la problématique

V.A.1 Enoncé

Je fus mis au travail sur ce sujet dès la fin de mon stage ouvrier. Le problème se posait dans ces termes7 :

"L'usine US7 a besoin d'un développement d'outils de simulation afin de prédire au mieux sa performance tout au long de sa montée en puissance selon les divers scénarios de production stable. […]. Ce travail se fera en conjonction avec les services centraux de la Ligne-Produit, qui participeront à un éventuel déploiement de l'outil dans les autres usines de Génie Civil. Ce travail comprendra une étude préalable de faisabilité technique et financière, et une interaction permanente avec l'équipe d'US7 afin de s'assurer qu'il répond bien à tous les besoins."

A cela il faut ajouter les contraintes que l'on m'a imposées dès le départ :- Possibilité d'évaluation de scénario (scénario quant à l'utilisation de la main-

d'œuvre, de l'évolution de la productivité, des temps de cycle, des pannes, etc.)- Utilisation, comme programme de production, du PDP (Plan Directeur de

Production, créé de manière hebdomadaire pour 4 mois de production avec comme maille la journée), des plans annuels et pluriannuels de production.

- Simplicité d'utilisation. Cette contrainte fut la plus constante et la plus pénible du projet. Mais il s'agit d'assurer la pérennité du projet.

- Respecter une échéance et un budget.

Mon premier travail fut donc, afin de dégrossir le problème, de comprendre quel genre d'informations étaient critiques, quel était le cadre précis de la simulation. De manière naturelle j'ai travaillé durant tout le projet en concert avec le service de planning et le service d'organisation industrielle, le planning manager étant le maître d'œuvre du projet le temps pour moi de maîtriser tous les éléments du problème.

7 traduits de l'anglais

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V.A.2 Le flux

L'usine se met en route. A mon arrivée, certains sous-ateliers travaillent en 2/8, certains 24 heures sur 24, certains pendant un temps très court (2h/jour par exemple). Les opérateurs sont polyvalents et vont travailler sur les machines que le flux impose. L'organisation du travail va évoluer pendant mon séjour, jusqu'à avoir toutes les machines tournant 24 heures sur 24.

La plupart des machines de Préparation sont déjà en place, mais tournent au ralenti. Elles produisent plus de deux cents types de produits différents, plus ou moins spécifiques : certains doivent aller dans une dimension spécifique, certains sont polyvalents, certains doivent aller dans une dimension spécifique mais peuvent, si cela est nécessaire (fin de série, erreur humaine, etc.) se substituer à un autre. Les produits de la Préparation sont tirés à une certaine longueur et ne sont pas dédiés à un pneu. Ils doivent être produits en suivant une organisation en Kanban, bien que pour l'instant cette logique soit dirigée manuellement.

Les sous-ateliers de Confection et Finition sont très similaires : organisés en alignement de machines spécifiques, capables d'être pilotées chacune par un ou plusieurs opérateurs, elles ne travaillent que sur un unique pneu. Le routage entre la Confection et la Finition est manuel et le flux est pour l'instant un flux poussé, mais ces ateliers sont censés être pilotés par un logiciel de synchronisation afin d'installer un flux tiré par l'activité des presses, en aval.

La Cuisson, une série de presses qui cuisent les pneus verts (les bandages non cuits) obtenus en Finition, est l'étape qui est censée être le goulet d'étranglement de l'usine, d'où l'idée d'un flux tiré piloté par les presses quand l'usine tournera en marche courante.

Puis suivent de nombreuses étapes de vérification du pneu cuit, avec de nombreuses méthodes mises en place et au niveau du flux une alternance d'opérations obligatoires ou par échantillonnage, destructives ou non destructives, et enfin son envoi au client.

L'énoncé des "hypothèses" pose déjà un gros problème : que veut-on prendre en compte ? Doit-on considérer les centaines de références disponibles en Préparation, références toujours changeantes avec l'évolution constante des "recettes" des pneus ? Jusqu'à quel niveau de diversification du pneu doit-on simuler ? Sa dimension, sa sculpture, sa bande de roulement, sa recette ? Comment considérer le routage entre les différents ateliers, les différentes machines ? Veut-on simuler le flux actuel (flux poussé, ordonnancement aléatoire) ou le flux futur (flux tiré, synchronisation Confection-Finition-Cuisson) ? La complexité impliquée rend déjà naturel le besoin de simplification du modèle.

V.A.3 Les temps de cycle

Bien évidemment afin de réaliser une simulation il va falloir récolter un maximum de données. Une étude détaillée des temps de cycle est absolument essentielle quelle que soit la solution technique retenue. Malheureusement deux facteurs importants vont poser un problème énorme : les temps de cycle évoluent extrêmement vite du fait de la montée en puissance de l'usine, de la courbe d'apprentissage des opérateurs, de l'organisation progressive des ateliers et de la qualité toujours croissante. Un catalogue de temps serait rendu caduque d'un mois sur l'autre !

Le second facteur est un problème bien simple : lors de la mise en route d'une usine, il se passe énormément de problèmes survenant de manière aléatoire et de ce fait, l'écart-type de la durée moyenne d'une opération est absolument gigantesque. Nous avons ainsi, lors de l'étude préliminaire, établi quelques histogrammes à partir de temps collectés à différentes étapes.

Sur l'exemple suivant de distribution de temps de cycle sur une machine de Confection, on note un temps moyen de 9.21 pour un écart-type de 1.99 (unités arbitraires). Il nous a donc semblé, à ce point, que créer un catalogue de temps pour la simulation était insensé dans la mesure où seuls les temps réels (et non les temps moyens théoriques) nous préoccupent. Il s'agissait de recueillir pour chacune des étapes une distribution de temps. Se pose le problème de l'ampleur de la tâche !

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Fallait-il prendre une distribution standard pour toutes les machines ? Par machine, pour toutes les recettes ? Par recette ?

De nouveau le problème de savoir quels seront les détails pris en compte se pose, cette fois-ci au niveau des paramètres.

V.A.4 La précision

L'horizon pris en compte dans l'outil à créer devait par définition être large : on devait être capable de lancer une étude de capacité sur une semaine, un mois, un an. On voulait obtenir une précision maximale, en particulier une précision valide pour établir un plan annuel, soit 99 % lorsque la production serait stable. Il fallait donc considérer le pire des cas : précision optimale sur une étude d'une semaine

Une des données cruciales du problème était la disponibilité d'informations, la mise en valeur de systèmes de gestion de production qui souvent possèdent des bases de données brutes exploitables, et l'établissement de procédures de collections de données. Ces données devaient être analysées dans l'optique d'une précision optimale sans pour autant demander un travail de collection important : n'oublions pas que dans une usine en démarrage, il y a peu de main-d'œuvre disponible pour ce genre de tâches collatérales.

On verra par la suite que cette contrainte nous a permis d'être ambitieux et de créer tout un système de bases de données allant collecter les temps de cycle à la source : dans les bases de données de traçabilité, dans les "log files" des systèmes de gestion de production, dans tous les systèmes de niveau 2 concernés par la simulation.

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V.B Pourquoi une simulation dynamique ?

Il nous fallut plusieurs réunions pour nous mettre d'accord sur la méthode à employer, l'outil à utiliser et l'organisation à mettre en place. Comme on l'a vu, les problèmes soulevés étaient nombreux et certains d'entre eux semblaient rendre cette étude impossible (besoin d'un nombre très important de données pour les temps de cycle, mise à jour de ces données, degré de diversification du pneu, etc.). Ces problèmes étaient d'autant plus cruciaux que lorsqu'une usine est en phase de démarrage, le travail ne manque pas et il semblait relativement contradictoire de consacrer tout le temps d'un ingénieur à une étude théorique et un à développement d'outils alors que des problèmes bien plus concrets étaient à résoudre.

Me trouvant dans la délicate situation de devoir défendre un projet pour lequel on m'a fait venir, tout en doutant de son utilité immédiate, j'ai dû rechercher une proposition consensuelle.

V.B.1 Le choix de l'outil

L'outil de capacité que nous voulions construire pouvait être développé de plusieurs manières :

- Solution par tableur : une solution envisageable aurait pu être de simplifier le problème au point d'en faire une simulation déterministe et statique (voir ci-après) sous la forme d'une feuille de calcul avancée d'un tableur. Il aurait alors été possible de calculer la capacité de l'usine uniquement en considérant les temps de cycles des goulets d'étranglement. Pas de simultanéités, de partage de ressources, d'événements aléatoires, juste des calculs linéaires ou discrets.

Plusieurs problèmes se posaient : l'un, évident, de précision. Quid des temps de panne, des pénuries aléatoires, des changements de dimensions ? Un autre, encore plus décisif, était que les goulets d'étranglement étaient loin d'être connus au stade actuel de l'usine ! Certes, l'usine était dimensionnée pour saturer son opération la plus coûteuse, la Cuisson. Mais le problème à résoudre était clair : créer un outil d'évaluation de la capacité pour la mise en route de l'usine ! Enfin, un tel modèle aurait forcément manqué de flexibilité dans des évaluations de scénarios. Impossible de connaître le taux d'occupation d'une ressource partagée, etc.

Si elle avait pour elle la simplicité de mise en œuvre et d'utilisation, ainsi que le coût, la solution par tableur dut malheureusement être écartée.

- Programmation linéaire : l'alternative d'un outil utilisant la programmation linéaire, éventuellement des méthodes "heuristiques" (algorithmes accélérant de manière fulgurante la programmation linéaire pour trouver une solution optimale (pas forcément LA solution optimale), on se souvient par exemple des résultats spectaculaires de l'algorithme du "recuit simulé" pour résoudre l'éternel problème du voyageur de commerce), fut très sérieusement étudiée.

On est en effet pas très loin d'un problème à résoudre par contraintes, comme les grands logiciels d'ordonnancement et de planning savent résoudre : comme entrées des temps de cycle, des données quant aux changements de dimension, et en sortie non seulement la capacité mais aussi les routages et ordonnancements idéaux ! Le tout sans avoir à créer, dans le plan de production, l'ordonnancement des machines !

Les contraintes de précisions nous inquiétaient peu, et l'avantage de l'optimisation du routage était plus qu'alléchant. Mais une telle solution n'était pas réaliste. Remettant en cause l'organisation même de la gestion de la production d'US7, cette solution se serait très mal adaptée au flux tiré, synchronisé par un système avec lequel il aurait eu bien des redondances. De plus, un tel outil est un outil expert, qui demande à la fois un développement très lourd et très abstrait (n'oublions pas la complexité du modèle à considérer : voir V.C), mais aussi une utilisation et une maintenance de haut niveau.

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L'usine n'était tout simplement pas prête à développer et utiliser un outil qui de toute façon se serait révélé cher à l'achat et à l'usage, et tout simplement inadapté à l'évolution actuelle de l'usine.

- Simulation dynamique : Il s'agit d'une solution qui nous a attirés dès le début de l'investigation technique, pour plusieurs raisons. Tout d'abord la Maison a une expérience interne de ce type d'outil. De nombreuses études locales d'organisation industrielle ont été menées grâce à divers moteurs (Witness, Factor/Aim, etc.) classiques, permettant d'obtenir des solutions pour le dimensionnement d'un stock intermédiaire, l'influence d'une modification dans un routage spécifique, etc., le tout assorti d'une animation très explicite permettant à la fois une modélisation simple et une présentation des résultats agréable et accessible à un néophyte. Par ailleurs des problèmes lourds de dimensionnement d'ateliers, d'organisation de flux ou d'organisation de main-d'œuvre étaient parfois résolus grâce à des gros programmes écrits en langage de simulation (SLAM, SIMSCRIPT, etc.). Il existait donc des ressources Michelin (au niveau du Groupe) et des expériences qui pourraient éventuellement m'aider à réaliser cet outil de capacité.

De plus, la simplicité d'un outil de simulation semblait tout à fait adaptée à l'usage auquel l'outil de capacité était destiné : une utilisation relativement fréquente au prix d'un effort de configuration minimum : une simulation dynamique est assortie maintenant d'interfaces très agréables et entièrement paramétrables (possibilité de créer sa propre interface pour un modèle spécifique) qui auraient rendu l'outil facile d'accès, facile et rapide à paramétrer et à utiliser. Quant aux résultats, ils pourront être analysés à la fois de manière visuelle par l'animation du modèle (de nos jours, tout outil de développement de simulation comprend un module d'animation permettant de donner une intuition très précise des événements simulés)

Afin de connaître la capacité de l'usine, la démarche, au moyen de cet outil, aurait été la suivante : tout d'abord donner comme entrée un scénario : planning de production, machines disponibles, mises en route, changement de dimension, etc. Une fois ce scénario établi, le moteur de simulation l'utilise pour évaluer la performance de l'usine et donne en sortie le temps nécessaire à réaliser le plan de production. Une simple règle de trois donne alors tous les détails de capacité de l'usine. La logique serait la suivante : évaluer un scénario, l'améliorer et tester de nouvelles hypothèses, pour enfin, par dichotomie, arriver à un scénario le plus performant possible. C'est là une des grandes différences avec la programmation linéaire : il est de la responsabilité de l'utilisateur de créer des scénarios et de les optimiser, le moteur de simulation ne sachant que fournir une évaluation de la performance de ce scénario.

A posteriori de nombreux avantages sont venus s'ajouter à cette liste : tout d'abord un modèle de simulation est robuste, moins sensible qu'un modèle de programmation linéaire à un écart de donnée. Sachant que sur plusieurs types de données nous n'avons été capables que de conjectures très approximatives (par exemple trouver un modèle statistique décrivant les pannes sur des machines qui ne tournent que depuis quelques mois), nous avons vérifié en testant plusieurs scénarios différents mais réalistes que le modèle réagissait de manière "saine" face à ces incertitudes. De plus le coût d'un tel outil est raisonnable et peut être réutilisé pour de nombreuses autres études. Enfin, un modèle de simulation est tellement proche de la réalité et intuitif qu'il fut assez facile d'adapter le modèle pour mener des études annexes, le tout avec une rapidité très appréciable.

A noter que l'on parle ici de logiciels intégrés de simulation et non simplement de langages de simulation. Les langages de simulation fournissent une flexibilité de modélisation illimitée, mais demande un lourd travail de codage. Les logiciels intégrés de simulation ont pour but de construire puis d'étudier facilement un modèle, avec une interface graphique, des fonctions intégrées, etc. Ces outils requièrent infiniment moins de travail qu'avec un langage de simulation, mais sont bien entendu beaucoup plus spécifiques et il faut s'assurer de l'adéquation entre le logiciel intégré et le

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type de modèle à développer. Accessoirement, tous les logiciels intégrés disposent d'une option d'animation dont on va voir tout l'intérêt dans les paragraphes suivants.

V.B.2 Qu'est-ce qu'une simulation dynamique ?

Une étude de coût rapide, assortie d'une évaluation de ressources et des conseils du central, a donc permis de convaincre la direction de la pertinence de l'utilisation de la simulation dynamique. Mais avant de continuer plus avant à décrire le développement de mon modèle, je voudrais m'attacher à définir de manière précise la simulation dynamique et expliquer la méthodologie qu'un tel outil requiert.

IntroductionQu'ont en commun des électeurs devant les urnes, des patients en radiographie et des

employés de banque devant les ascenseurs de leur gratte-ciel à New-York ? Ils attendent tous moins de temps pour être servis grâce à des méthodes analytiques impliquant la simulation. Les solutions obtenues par simulation apportent très souvent des améliorations très importantes des conditions existantes. Et encore ne s'agit-il là que d'exemples pris dans l'infinité potentielle d'application de cette méthode.

De nos jours, les analyses par simulation sont des techniques puissantes de résolution de problèmes. Leur origine repose dans les théories d'échantillonnage statistique et l'analyse des systèmes physiques probabilistes. Ces deux domaines ont en commun l'utilisation de nombres aléatoires et d'échantillonnages aléatoires pour approximer un résultat ou une solution.

Une des plus fameuses applications de l'échantillonnage aléatoire fut, lors de la deuxième Guerre Mondiale, lorsque la simulation fut utilisée pour étudier la diffusion aléatoire des neutrons pour le développement de la bombe atomique. Comme ces recherches étaient secrètes, il fut donné un nom de code pour les procédés utilisant les événements aléatoires : Monte Carlo. Ce nom resta et fut longtemps utilisé de manière exclusive pour tout effort de simulation.

La simulation prit tout son essor grâce au développement de l'informatique. Les ordinateurs actuels permettent en effet de décrire et intégrer des modèles de systèmes très grands et très complexes. Les techniques de simulation tirèrent profit de la grande liberté de modélisation, incluant des méthodes probabilistes, statistiques, heuristiques. Historiquement, c'est dans les problématiques de production que les premières applications sérieuses de cette méthode furent développées. Pourtant, les services en général et les administrations en particuliers bénéficièrent largement de cet outil. Pour l'industrie, les améliorations touchaient les services de planning, les systèmes de contrôle d'inventaire, les lignes de production, les outils de manutention et l'ordonnancement d'un atelier. Pour les services, les exemples majeurs se trouvent dans les systèmes d'admission (hôpitaux, etc.), les files d'attente, les réseaux de transport, etc.

DéfinitionOn doit à Naylor (Computer Simulation Techniques, John Wiley and Sons, 1966) la

définition suivante de la simulation :La simulation est la méthode qui consiste à établir un modèle mathématique ou

logique, et soumettre ce modèle à diverses expériences que l'informatique traitera afin de décrire, expliquer et prédire le comportement d'un système réel.

Considérons cette définition : elle implique tout d'abord explicitement l'élaboration d'un modèle. Il s'agit en fait de la clé de la réussite d'une étude par simulation. Il va alors falloir traduire ce modèle en programme informatique aussi optimisé que possible. Il s'agit également d'adapter ce modèle aux données que l'on veut étudier, en sachant se poser les bonnes questions quant au phénomène à simuler. Il faut enfin insister sur la finalité de la simulation : disposer d'un outil de prédiction de comportement d'un système, afin de posséder un outil efficace d'aide à la décision.

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Cette définition implique également des données implicites : le développeur d'une simulation se doit de maîtriser plusieurs compétences : modélisation, programmation informatique, probabilités et statistiques, méthodes heuristiques.

La modélisationOn peut considérer le modèle comme une approximation du système réel qui ne contiendrait

que ses données majeures. Ainsi, les aspects du système qui ne contribuent pas de manière significative à son comportement n'y serait pas inclus pour ne pas obscurcir les relations entre les entrées et les sorties. Mais comment savoir le niveau de détail à intégrer dans le modèle ? Tout dépend de la finalité de l'étude menée. Il n'y a pas de modèle bon ou mauvais, mais plutôt des modèles utiles et appropriés à l'analyse ou non.

On trouve de nombreux types de modèles. Dans leur forme, ils peuvent être iconiques, analogues ou symboliques. Nous nous intéressons bien entendu à une simulation informatique donc seuls les modèles symboliques seront discutés ici (un modèle iconique est une représentation physique de la réalité : un globe terrestre pour modéliser la terre dans le système solaire ; un modèle analogique est un modèle qui ressemble au système réel dans ces comportements, ainsi des systèmes électriques pour simuler des écoulements.). Les modèles symboliques n'ont pas de relations physiques ou analogiques avec le système réel, mais seulement une équivalence logique. Historiquement, et dans l'ordre de précision, on trouve des modèles symboliques intuitifs, verbaux, en flux logique et mathématiques. Un modèle de simulation se devant d'être intégré dans un programme informatique, il lui faut au moins le niveau de flux logique.

Enfin, un modèle se doit d'être utilisable, et donc l'ergonomie du modèle et sa polyvalence sont des critères majeurs pour la réussite d'une étude complète. L'informatique permet une modélisation intuitive et pratique, les probabilités définissent les variables aléatoires du système, et les statistiques permettent d'établir les expériences à mener à l'aide du modèle pour mener à bien l'étude. Tout ceci nous amène à un pré-requis essentiel du développeur de simulation : une maîtrise des trois domaines suscités, d'où une conclusion rapide : la simulation est par essence un outil de l'ingénieur, qu'il est à-même de maîtriser par ses compétences et qu'il se doit de connaître car il s'agit d'un des plus efficaces outils d'aide à la décision.

Terminons enfin sur la modélisation en général pour donner un classement des simulations symboliques :

Prescriptive/descriptive : Une formulation prescriptive est utilisée pour obtenir LA meilleure solution à un problème donné, alors que l'approche descriptive se contente d'évaluer les performances de différents scénarios, laissant l'optimisation des performances à l'analyste.

Discrète/continue : Il s'agit ici d'une classification pour les variables utilisées dans le modèle, en particulier pour la variable temps, mais aussi pour les variables exprimant les résultats étudiés (nombre de pneus produits, électricité consommée, etc.).

Probabiliste/déterministe : Il s'agit là encore d'une classification relative aux variables : si des variables sont aléatoires, générées selon un modèle de distribution statistique, alors le modèle est probabiliste. Si toutes les variables sont gérées de manières mathématiques et peuvent être calculées avec certitude, on a affaire à un modèle déterministe.

Statique/Dynamique : Un modèle est dit statique ou dynamique selon que ses variables étudiées varient avec le temps ou non. Un exemple de modèle statique est par exemple un dimensionnement d'atelier : supposons que l'on puisse géographiquement positionner des machines selon de nombreuses configurations (trop nombreuses pour être toutes évaluées). Un modèle de simulation statique va effectuer des tirages au sort de configuration et les évaluer, pour arriver à un ensemble de bonnes solutions qui seront ultérieurement raffinées. Un modèle dynamique au contraire voit sa configuration changer dans le temps : taille d'un stock intermédiaire, nombre de machines disponibles, etc. Tous les modèles de file d'attente sont des modèles dynamiques.

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En boucle ouverte/en boucle fermée : Cette notion est capitale : un modèle est dit en boucle fermée s'il réutilise les résultats en sortie de la simulation comme entrées, tandis qu'un modèle en boucle ouverte a ses entrées indépendantes des sorties. La plupart des simulations sont en boucle ouverte (files d'attente, etc.) mais certains systèmes se doivent d'être étudiés en boucle fermée : simulation de systèmes de chauffage, etc.

La simulation que j'ai menée dans le cadre de mon stage est une simulation- Descriptive , car c'est à l'utilisateur d'optimiser les scénarios.- Discrète , car le temps est simulé par incrément, et les variables sont discrètes :

nombre de pneus, machines disponibles, etc.- Probabiliste , car de nombreuses variables sont générées aléatoirement

(occurrence et temps de panne, temps de cycle, temps de réglage, etc.).- Dynamique , car le modèle évolue avec le temps (taille des files d'attente,

machines disponibles, etc.)- En boucle ouverte , car en sortie on considère le nombre de pneus produits,

nombre qui n'influe pas sur l'arrivée des commandes et des matières premières.

En conclusion, il ne faut pas perdre de vue l'existence d'une telle méthode complexe d'analyse. La simulation a le même but que d'autres techniques d'aide à la décision : évaluer des alternatives pour choisir la meilleure solution, ou du moins une très bonne.

V.B.3 Méthodologie

On aura compris que la simulation est un domaine extrêmement vaste, qui requiert des compétences pluri-disciplinaires et dont la puissance n'est plus à démontrer. Si l'on s'attache aux études que la simulation peut mener dans les secteurs industriels, et ces dernières sont toujours plus nombreuses et complexes, il faut avant toute chose suivre une démarche structurée et réfléchie pour mener à bien l'établissement d'un modèle.

Bien entendu l'ingénieur exprimera toutes ses compétences et dépensera toute son énergie dans la programmation du modèle, qui est il faut bien l'avouer un travail absolument passionnant d'ingénierie industrielle et statistique. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'ingénieur est responsable d'un projet et qui plus est d'un projet complexe et qui a une finalité. Aussi, avant de se lancer corps et âme dans la modélisation, il va devoir procéder par étapes, en impliquant tous les acteurs concernés, en s'assurant de la pertinence du travail à accomplir et de l'adéquation de ce travail aux résultats escomptés. Voici donc un modèle-type de la démarche à accomplir pour réussir un projet de simulation, inspiré de l'article de A. M. Law et M. McMomas, Simulation Modeling and Analysis Co. (voir l'algorithme en Annexe I) :

1. Formulation du problème et planification du projet.L'ingénieur à qui l'on a confié une étude nécessitant une simulation se doit avant toute chose

de définir le problème dans ses moindres détails. Il s'agit d'une étape de très haute importance mais très souvent négligée. Il lui faut tout d'abord isoler le problème principal à étudier dans le système existant. Ce faisant, il devra établir l'objectif principal de l'étude, en établissant entre cinq et dix aspects essentiels à considérer, afin de cibler le niveau de détail du modèle à établir.

Il va ensuite falloir dégager la manière dont le modèle de simulation sera utilisé dans le processus d'aide à la décision. Dans ce cadre, il va falloir établir une liste des acteurs principaux de cette simulation, et en particulier qui sera l'utilisateur final du modèle, afin de construire une interface adaptée.

Définir un ensemble d'indicateurs que la simulation saura analyser afin que le management puisse comparer les alternatives dont il dispose, afin de ne pas faire d'impasses de modélisation sur

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des facteurs déterminants, et anticiper les configurations à étudier afin de ne pas être confronté à une reprogrammation majeure du modèle.

La planification du projet consiste à établir cinq données cruciales au bon démarrage du projet :

- Les membres de l'équipe- Les ressources allouées au projet (y compris le budget)- Les délais- Les réunions- La communication, afin d'impliquer toute personne pouvant participer à

l'établissement du modèle.

Par expérience, il est extrêmement important d'interagir fréquemment avec l'équipe de direction et les personnages-clés de l'étude tout au long du projet, et il faut intégrer cette contrainte dès cette première étape.

2. Collecter les données et définir le modèle.L'étape suivante de l'ingénieur est la collection d'information. Tout d'abord collection

d'informations logiques vis-à-vis du système à simuler. La plupart du temps il s'agit d'une véritable enquête d'investigation (ce fut largement le cas pour mon étude) car ces données ne sont pas documentées ou du moins synthétisées sur un document ou connues d'une seule personne. De nombreuses données vont devoir être collectées pour définir quels vont être les paramètres, où vont agir les distributions de probabilité, etc. Il s'agit de définir toute source d'incertitude qui en général sera représentée par une distribution statistique (pas seulement par une moyenne). Il va également s'agir de s'assurer de la pertinence dans le choix de telle ou telle distribution : une distribution normale pour une gaussienne, lognormale pour certains temps de pannes, exponentielle pour des comportements choatiques, etc.

Il s'agit par ailleurs de faire une collection d'informations sur la performance actuelle du système (dans l'industrie : temps de cycle, de pannes, de réglages, etc.) afin de construire le modèle sur des bases réalistes et de réaliser des extrapolations précises. Un point crucial à ce niveau et en général pour la modélisation logique est le niveau de détail requis. Il doit être de concert avec les objectifs du projet de simulation, les disponibilités d'informations, les problèmes de crédibilité, les contraintes informatiques (il n'est malheureusement pas possible d'intégrer une complexité trop grande du fait du temps de calcul encore nécessaire pour réaliser une simulation. Le modèle que j'ai développé réalise une étude complète en 5 heures, pour obtenir un échantillon multiple de données relatives à une année de production.), et l'opinion des experts impliqués. Théoriquement, il faut mener une véritable étude de sensibilité pour déterminer quels aspects du modèle (un paramètre d’entrée, une distribution de probabilité, un routage, un procédé, le niveau de détail d’un sous-système) ont le plus d’impact sur les indicateurs à mesurer.

Cette collection réalisée, l'ingénieur est maintenant capable de réaliser le modèle de manière conceptuelle, de même qu'un programmeur dresse des algorithmes une fois son problème analysé. Le développeur va dresser les schémas logiques qui vont représenter le système à simuler, va faire l’inventaire des variables aléatoires à utiliser, des données à intégrer dans le modèle, des cas particuliers à considérer, etc. Cette étape est critique car elle conditionne la bonne implémentation informatique du modèle. Il s’agit de se poser les bonnes questions : comment vais-je simuler mon flux tiré, quelles étapes dominent dans le processus, mon routage est-il réaliste, etc.

3. Validation logique.Il s’agit d’une étape incontournable. Cette étape doit être menée avec tous les acteurs

concernés par la simulation, et surtout le management et les responsables directs du projet. Il s’agit en effet de faire accepter le modèle logique, conceptuel, qui vient d’être établi, donc de l’expliquer,

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de montrer ses détails et ses limites, de mettre tout le monde d’accord sur l’étendu du modèle et enfin et surtout de vérifier que les schémas logiques sont valides.

Il s’agit d’une étape-clé pour la validité et la crédibilité de l’étude. Faire accepter les hypothèses, détailler les possibilités du modèle mais aussi ses raccourcis, est essentiel pour que l’équipe de direction concernée se sente suffisamment à l’aise avec le modèle pour accepter ultérieurement ses résultats. Je citerai dans le texte MM. Law et McComas : "It is extremely desirable to have the manager and other important personnel "sign off" on key model assumptions and take "ownership" of the model".

Typiquement, cette étape se solde par plusieurs hypothèses erronées, quelques hypothèses à rajouter et quelques corrections dans le niveau de détails considéré sur certains éléments.

4. Construire le programme informatique.Dans cette étape, le choix du moteur de simulation est crucial : il s’agit d’adapter un modèle

conceptuel à la syntaxe informatique que le logiciel (ou le langage s’il s’agit de la programmation d’un modèle à partir d’un langage de simulation, qui donne une flexibilité de modélisation quasi-illimitée ; tâche beaucoup plus ardue et qui se justifie de moins en moins du fait de la puissance conjuguée des logiciels intégrés de simulation (Witness, etc.) et des ordinateurs personnels, voir V.B.1 à ce sujet) met à disposition du développeur si le projet a été bien mené jusque là (en particulier la définition des niveaux de détail à considérer). C'est un travail de transcription qui ne doit pas poser de problèmes majeurs.

5. Lancer des études pilotes.Il s’agit, une fois le modèle établi, de le déboguer le plus possible et de s’assurer qu’il

"tourne". Le meilleur des cas est celui où le modèle a été réalisé avec un outil de simulation incluant un module d’animation. Le débogage est non seulement extrêmement intuitif, mais en plus la visibilité excellente que donne l’animation permet une recherche en profondeur sans pour autant déployer une batterie de tests redondants et ciblés trop lourde. A part cela, rien d’excitant dans cette étape qui sera une formalité pour les programmeurs avertis et un gros problème pour les autres (savoir quoi tester, où et quand, ne pas oublier l’indépendance des variables aléatoires, la gestion des simultanéités, etc.).

6. Validation finale.Cette étape est la dernière interaction avec toute l’équipe impliquée avant le lancement réel

de l’étude. Il s’agit d’avoir l’approbation finale de l’équipe sur le modèle réalisé, ses résultats, ses animations. L’animation est ici encore un avantage très intéressant : c’est en montrant une animation de l’atelier que le chef de l’atelier concerné, qui n’était pas du tout familier avec les techniques de simulation, s’est écrié : "That’s my system !". C’est à partir de ce moment-là que son intérêt pour l’outil s’est vraiment exprimé, aidant grandement à améliorer les détails du modèle.

Lors de cette validation, de nombreux tests doivent être menés, en plus de l’obtention de l’accord des participants. Un des plus importants est la comparaison avec la réalité : collecter toutes les données réelles relatives à une période donnée et comparer la réalité à la simulation. Plusieurs échelles de périodes doivent être considérées, afin de valider l’aspect micro (temps de cycle, de réglage, correction des routages, etc.) et macro (pertinence des résultats sur une longue période). Essayer d’isoler le maximum les étapes et les valider une à une. Ces confrontations des résultats avec la réalité doivent être menées de manière systématique et avec le plus grand soin.

Il est également essentiel de tester les limites du modèle en imposant à une donnée une valeur à la limite de l’absurde : pannes, temps de cycle, plan de production, afin de voir si le modèle réagit sainement ou "s’emballe". Cette méthode est très efficace pour détecter des aberrations du modèle, des erreurs de logique ou des cas exceptionnels non considérés.

Il faut mener le débogage final avec méthode, en n’oubliant pas les règles de base :

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- Une animation ne peut se substituer à une analyse statistique des résultats de la simulation.

- Une animation "correcte" n’est pas la garantie d’un modèle valide et débogué.

Au contraire, un débogage sera réussi si :

- Le développement s’est effectué de manière modulaire et structurée (un détail qui n’en est pas un, par exemple, est la nomenclature utilisée dans le modèle).

- Construire des variables de trace dans le modèle.- Réaliser des relectures méthodiques du code.- Réaliser des tests de cohérence sur les résultats obtenus.- Les animations sont raisonnables.

Une fois les comparaisons avec la réalité effectuées, le débogage terminé et l’aval de l’équipe de simulation obtenu, le modèle est considéré validé et il va être enfin possible de l’utiliser aux fins que l’on s’était fixé initialement pour l’étude.

7. Construire les expériences pour l’étude.La première tâche à accomplir pour préparer les exécutions est l’établissement des scénarios

qui vont venir nourrir le modèle. Bien entendu il s’agit de scénarios initiaux car les premiers résultats de la simulation vont inspirer de nouveaux scénarios, et un travail naturel de dichotomie vers le meilleur (vers un bon …) scénario s’exécutera en répliquant les étapes 7 – 8.

Comme les distributions statistiques sont un des éléments majeurs de la simulation, les indicateurs que l’on étudie comme résultats d’une exécution du modèle sont aléatoires. Il n’est donc pas raisonnable d’exécuter le modèle une unique fois par scénario, mais au contraire, au moyen de multiples exécutions, d’établir à l’aide d’outils statistiques la distribution probabiliste des indicateurs étudiés. Si cette démarche est réalisée de manière rigoureuse, on a à disposition des informations d’une très grande richesse : moyenne et variance des indicateurs étudiés, stabilité du modèle, dispersions, distributions au moyen d’histogrammes, etc., le tout pour chaque scénario. Il est donc très important de répondre correctement aux questions statistiques suivantes :

- Quelle est la durée minimum à simuler pour obtenir des résultats représentatifs ?- Combien d’exécutions sont nécessaires, par scénario, pour obtenir un échantillon

représentatif de résultats ?- Quelles doivent être les conditions initiales des machines ?- Doit-on considérer une période de mise en route ?

Il est en effet crucial d’éviter un biais statistique, de pouvoir évaluer un intervalle de confiance sur les indicateurs, afin de comprendre quelle est la précision engagée, etc.

On verra dans la partie suivante qu’une période de mise en route (warm-up period) est un élément important : les machines commençant à l’arrêt et vides, il faut un certain temps à l’atelier simulé avant d’adopter un comportement "normal". On ne veut pas en effet considérer les temps de démarrage sauf dans le cas explicite du démarrage d’une machine.

8. Exécuter les différents scénarios.Il ne s’agit pas d’une véritable étape en soi car il s’agit juste de laisser l’ordinateur exécuter

les modèles et donner les histogrammes recherchés. Mais cette exécution prenant tellement de temps et nécessitant une interaction constante, nous la citerons ici comme telle.

9. Analyser les résultats.

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Les résultats obtenus lors de toutes les exécutions doivent maintenant être analysés, compilés, compris et parfois vérifiés. Il s’agit de classer les scénarios pour construire des analyses globales des résultats, à l’aide des outils statistiques que l’on s’est attaché à rendre applicables et de la somme des résultats disponibles. Il est très intéressant d’ailleurs, en plus de réaliser des compilations numériques, de réaliser des représentations graphiques des mesures réalisées. Les histogrammes permettent parfois de reconnaître une distribution intéressante de résultats, les diagrammes de Gantt de comprendre un phénomène dans le temps ; il me fut par exemple très instructif de dresser des simogrammes afin de mieux comprendre ce qu’il se passait au niveau du flux, du fait du routage très complexe que je simulais.

L’interprétation des résultats va probablement ramener elle aussi à étudier de nouveaux scénarios, et donc on va voir un retour vers l’étape 7.

10. Documenter, présenter et implanter les résultats.Une bonne documentation de l’ensemble de l’étude est très importante. En effet, les modèles

de simulation, une fois établis, sont bien souvent utilisés pour de nouvelles études, de nouveaux projets. Il est nécessaire d’établir un document détaillant les hypothèses et les limitations du modèle. Il est très important d’avoir écrit dès le départ quelles variables aléatoires sont dépendantes ou indépendantes, etc. Le programme (le modèle s’il s’agit d’une simulation créée avec un logiciel intégré) doit faire également l’objet d’une documentation détaillée. Enfin, un document se doit d’expliquer la méthodologie utilisée pour aboutir aux résultats, pour enfin présenter ces derniers sous forme synthétique.

Dans le même registre de réutilisation, il est très important d’avoir attaché un soin particulier à l’interface : il s’agit pour le modèle d’être aussi accessible que possible, afin que l’utilisateur puisse le renseigner et créer de nouveaux scénarios le plus simplement possible, en évitant au maximum les travaux redondants et en facilitant l’accès aux routines statistiques (typiquement des macros en Visual Basic sous Excel pour analyser les résultats ou pour créer des distributions statistiques.).

La présentation finale des résultats, qui bien souvent se déroule avec des personnes extérieures (le directeur d’usine par exemple) au projet, gagnera largement en efficacité si la crédibilité du projet a fait l’objet des soins décrits précédemment, en particulier vis-à-vis des limitations du modèle et de la lisibilité des animations. Il ne faut pas perdre de vue l’enjeu de la simulation : elle est censée aider à la décision, et les décisions à prendre peuvent, en l'occurrence, être absolument stratégiques. Il est donc essentiel que les décideurs soient en confiance vis-à-vis d’un outil qu’ils ne maîtrisent pas, et d’un modèle qu’ils ne peuvent évaluer. Un facteur important dans cette démarche est l’explication de la nature des données collectées, et en particulier la méthodologie requise pour les obtenir (campagnes de chronométrage, compilation de bases de données, utilisation de catalogues préétablis, etc.). C’est ainsi que l’on permettra à la simulation de prendre part au processus de prise de décision.

Résumons-nous : tout d’abord, récapitulons les ingrédients qui feront le succès d'une simulation :

- Connaissance de la méthodologie de simulation, des modèles stochastiques standards, donc en fait de la théorie des probabilités et des statistiques.

- Une formulation correcte du problème.- Une collecte d’information efficace sur les procédés, les routages, etc.- Une modélisation raisonnée des données aléatoires.- Un choix judicieux de la plate-forme de simulation.- Une attention constante à la validité et la crédibilité du modèle.- Une utilisation adéquate des procédures statistiques d’interprétation des résultats

de l’étude.

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- Une utilisation éclairée des techniques de management de projet.

Un très lourd travail de formation doit donc accompagner tout projet de simulation, formation que se devra d'être transversale.

La simulation est une activité d’analyse de systèmes sophistiquée, qui nécessite une maîtrise technique importante mais aussi des aptitudes au management de projet afin de développer un modèle à la fois valide et qui prendra part à la prise de décision. MM. Law et McComas n’iront pas par quatre chemins : "Organization that are embarking on their first simulation project should probably obtain the assistance of a simulation consultant, because of the high level of experience required and the many potential pitfalls awaiting the unwary simulation user. The consultant should not only help with the details of the project, but should also provide a technology transfer on simulation methodology.".

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V.C Etablissement de l'outil pour US7

Dans ce chapitre, nous rentrons dans le vif du sujet : le développement de l'outil lui-même. Je garderai un ordre semi-chronologique pour expliquer les différentes étapes de la construction et de la mise en place de cet outil. Les choix technologiques ayant été fait (choix du logiciel Factor/Aim v8 pour plate-forme Windows, support de base de données Access, interfaçage de données par Excel) et ayant essayé de me former au maximum à l'aide des différents documents à ma disposition, le travail de développement fut mis en route.

V.C.1 Formuler le problème et planifier l'étude

Avec l'aide de mon responsable, nous avons établi les données matérielles de l'étude :

Membres de l'équipe.J'étais le pivot de cet outil : je devais effectuer les études préalables, la construction du

modèle, la collection des données, la validation de l'outil, son implémentation et enfin la formation nécessaire pour transmettre cet outil. J'étais dans les faits à la fois maître d'ouvrage et maître d'œuvre. Mon responsable, Yara Silva, en charge du service de planning, était ma ressource principale pour valider des hypothèses, prendre des décisions, etc.

Toute l'équipe d'ingénierie participait à ma collection d'information, mais c'est avant tout les opérateurs qui m'ont permis de modéliser le flux réel d'US7, et l'équipe de consultants interne en organisation industrielle qui m'a fourni les données théoriques relatives au dimensionnement du flux.

Le management direct du Support Service, qui englobait le service de planning, était impliqué dans la gestion externe du projet.

L'outil était dédié à mon responsable, qui allait être le principal utilisateur de l'outil final tel quel (l'ingénierie pouvant l'utiliser à des fins plus indirectes).

Délais.Le cahier des charges stipulait que le projet devait être totalement bouclé avant mon départ.

On verra ultérieurement que ce délai fut largement raccourci suite à un recadrage raisonnable des objectifs : 5 mois furent nécessaires pour le mettre en place.

Réunions, communication.Il s'agit d'un des aspects du projet sur lequel je n'ai pas assez insisté. Les différentes étapes

du projet étaient avant tout discutées et validées avec mon responsable, et seul les grandes étapes (validation logique, validation pratique, présentation finale et analyse des résultats) firent l'objet de réunions plus conséquentes. Le gros problème avec l'établissement d'un outil expert est que les étapes intermédiaires qui jalonnent l'établissement de l'outil sont bien peu intelligibles pour quelqu'un qui n'est pas directement concerné par le projet, a fortiori quand cette personne n'est pas familière avec les techniques impliquées.

Etendue de l'étude.Le premier choix à réaliser était l'étendu de l'étude. Quelle portion de l'usine simuler, avec

quel niveau de détail. Ce choix fut, de manière étonnante, assez simple à prendre. Il faut savoir que les documents dont je disposais m'aidèrent largement à déterminer cette donnée.

Tout d'abord, le flux étant tiré par les presses en cuisson, à partir de la Confection, il était naturel de considérer les trois étapes que sont la Confection, la Finition et la Cuisson. Le routage à considérer entre ces trois étapes était déjà extraordinairement complexe, et le nombre de détails à y prendre en compte déjà rédhibitoire. Les étapes de Vérification et d'Expédition semblaient

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relativement déconnectées de l'aval, et l'on entrevoyait une solution modulaire, si tant est que ces deux étapes nécessitaient une simulation, sachant qu'en aucun cas elles ne pouvaient se révéler goulet d'étranglement. La Préparation, quant à elle, était un véritable cauchemar. 130 références y étaient quotidiennement produites, sachant que ces références n'avaient pas de relations univoques avec les pneus qu'elles incorporeraient (un produit qui remplit une bobine peut servir à 2, 3, 20 pneus !). Ces 130 références quotidiennes étaient bien entendu changeantes (plus d'un millier de produits référencés en un an de production), et leur routage était tout simplement monstrueux. Deux lueurs d'espoir émergeaient de ce casse-tête : la préparation était dirigée par une organisation en Kanban, et donc il n'y avait pas d'ordres directs de l'aval sur l'amont si ce n'est l'échange d'étiquettes. La Préparation pouvait donc être simulée comme un autre module, indépendant.

Trois modèles distincts et indépendants pouvaient donc être établi, leur liaison pouvant être simulée de manière artificielle. Le dernier module, la Vérification et l'Expédition, semblait facultatif, à moins de s'intéresser au flux à l'intérieur du module (charge machines, etc.). Le module Confection-Finition-Cuisson était inévitable, puisqu'il incluait l'étape de cuisson qui dirige le flux (goulet d'étranglement et moteur du flux tiré). Nous avons alors utilisé une hypothèse certes forte, mais réaliste : la Préparation fournirait de manière indéfectible la Confection-Finition-Cuisson, quitte à inclure dans les temps de cycle des machines de ce dernier module les éventuelles attentes pour cause de pénurie. Cette hypothèse, inspirée d'une étude du groupe d'ingénierie GS/1 qui nous avait fourni une étude de dimensionnement du flux à US7, possédait des avantages énormes :

- On ne considère plus les produits de Préparation.- On ne considère aucune liaison ou dépendance entre préparation et

Confection/Finition.- Les éventuelles influences du flux de Préparation sur la Confection-Finition-

Cuisson étaient incluses de manière statistique par le biais des temps de cycles considérés.

Les hypothèses du modèle se construisirent sur ces bases, très saines car simplifiant le problème sans détruire la complexité du flux que l'on voulait étudier. Voici donc les options techniques et les hypothèses choisies :

- Pour répondre à l'instabilité du modèle réel (grand écart-type, etc.), utiliser les distributions statistiques des temps de cycle réels des machines.

- Considérer les trois étapes-clés du modèle, la Confection, la Finition et la Cuisson

- Disponibilité infinie de produit de Préparation- Inclure dans les temps de cycle de ces trois grandes étapes les éventuelles

pénuries dues à la préparation de manière statistique- Main-d'œuvre infinie- Inclure les variations de main-d'œuvre (une ou deux personnes sur une même

machine) de manière statistique dans les temps de cycle.- Etre aussi précis que possible dans la simulation du routage, du flux tiré lorsqu'il

est tiré, des ordres lancés par l'aval, etc., dans la limite d'une complexité raisonnable pour l'utilisateur.

Les conséquences directes de ces hypothèses sont :- Niveau de détail :

Les seuls produits pris en compte sont les carcasses et les bandages. Les produits qui rentrent dans les pneus sont ignorés Le niveau de différentiation considéré est : dimension, sculpture, bande

de roulement (les performances des différentes recettes qui correspondent à une même référence sont moyennées).

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La main-d'œuvre n'est pas prise en compte directement (disponibilité infinie, variation incluse dans les temps de cycles uniques considéres)

Chaque PAP (machine de Confection), chaque BNS (machine de Finition) et chaque presse sont modélisées de manière unique et spécifique (distributions de temps de cycle, de pannes, de temps de réglages, etc., spécifiques par machine)

Les différents engins de manutention du pneu sont pris en compte (grues, viroles, etc.), afin d'étudier l'influence de ces ressources partagées.

Divers détails sont présents : balances, chariots de réparation, etc.

Les machines sont considérées dans leur optique macro : on ne considère que l'opération "passage dans la machine", sans simuler les sous-opérations qui rythment la construction du pneu. Seules les opérations dont le début est conditionné par un message de la presse sont détaillées.

On prévoit de faire démarrer des machines au cours de la simulation, et de simuler une phase de montée en puissance.

Les pannes, les arrêts, les réparations, les vacances, etc. sont simulés.

Variables à suivre.On a vu précédemment qu'il fallait cibler cinq à dix paramètres cruciaux à l'étude, et établir

les indicateurs qu'il fallait suivre le long de la simulation. On sait que le but principal de cet outil est de réaliser des études de capacité. Les indicateurs essentiels sont donc naturels :

- Nombre de produits effectués, par machine- Nombre de pneus cuits, au total, par dimension- Temps écoulé- Fluidité et tension du flux

Sachant que l'on doit disposer de chacune de ces variables par machine modélisée. La construction du modèle va donc devoir intégrer la contrainte de ne pas faire l'impasse, pour cause de simplification, sur la complexité qui les génère.

A ce stade, l'étape 1 est terminée. Ce fut un plaisir certain pour mon responsable et moi-même d'avoir pu nous mettre d'accord si facilement sur ces paramètres cruciaux qui précédaient le développement

V.C.2 Définir le modèle et collecter les données

Cette étape contient deux travaux bien distincts : construire les bases de données nécessaires à la simulation et construire le modèle lui-même. Pour des raisons de simplicité de l'exposé je détaillerai d'abord la collection des données avant d'aborder le développement du modèle logique.

Collection de données.Nous avons établi le besoin de temps de cycle pour chacune des machines considérées, et

nous avons montré qu'il n'est pas raisonnable de simplement considérer les moyennes des temps de cycle, du fait du large écart-type et des distributions spécifiques dues aux multiples déroulements des opérations, et des événements imprévisibles (pannes, surplus de main-d'œuvre, etc.). Toutes choses considérées, et même en considérant des distributions classiques (normales, exponentielles, etc.), il s'agit d'une collection de 800 paramètres, dont la validité ne dépasse pas l'horizon du mois du fait de l'évolution rapide de l'usine. Il n'était donc pas envisageable de considérer autre chose qu'un outil automatique, en l'occurrence informatique. La plupart des données étaient accessibles spontanément grâce aux multiples bases de données de traçabilité présentes tout au long du processus.

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Je tiens à remercier l'aide déterminante de Robert Qualls dans cette étape, aide sans laquelle le projet n'aurait pas abouti. J'ai, grâce à son expertise du niveau 2 (systèmes informatiques qui pilotent et supervisent les automates (le niveau 1)), pu établir 3 bases de données absolument essentielles à mon projet, et dont les champs d'applications dépassaient largement la simulation.

L'établissement de telles bases de données permit de considérer une utilisation régulière de la simulation avec des données "fraîches", de considérer l'augmentation rapide de productivité des machines (diminution de la moyenne des temps de cycle) mais aussi de la stabilité du process (diminution de l'écart-type, distributions se rapprochant de lois normales). Enfin, ces bases de données pouvant contenir une complexité inespérée, il devint très simple de considérer les campagnes de production dans leur détail (ne pas seulement considérer une performance moyenne, mais plutôt une performance qui résulte du mix dimensionnel spécifique).

L'utilisation des outils de Microsoft Office rendit simple la mise en place de ces fichiers. Le macro-language Visual Basic permit de construire rapidement des automations capables de dialoguer avec les systèmes de traçabilité considérés, pour récupérer les données brutes. Ces dernières vont devoir subir un lourd travail de tri, de correction, de filtrage, car elles ne sont pas destinées à produire des données cohérentes mais bien au contraire à enregistrer tous les événements imprévisibles qui peuvent arriver.

L'établissement de ces bases de données et de batches qui vont récupérer ces données de manière régulière permirent de mettre à la disposition de l'usine des informations encore inexploitées : productivité, évolution des temps de cycle, évaluation des systèmes de traçabilité, repérage d'erreurs humaines, échantillonnage statistique, outils avancés pour utiliser la traçabilité, etc. J'ai dû construire une interface poussée et un nombre de filtres énorme afin de faire de cet outil local une base de travail pour les techniciens de l'usine, et je dois dire que cette base rendit d'innombrables services, à la fois opérationnels, à des fins de traçabilité (qualité, etc.) mais aussi aida à tirer profit des systèmes installer et à faciliter l'installation de systèmes à venir.

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Il ne s'agit pas du sujet du présent rapport, mais j'ai été étonné de la masse de données disponibles, grâce aux systèmes modernes d'information, dont le potentiel est loin d'être exploité. Ainsi, la logique n'est plus d'aller chercher des informations, mais de gérer la masse et l'hétérogénéité de l'information disponible. Voir le dernier chapitre à ce sujet.

J'ai dû de plus mener à bien un projet de création d'un outil pour les opérateurs, qui enregistre les temps de pannes et d'arrêts sur les machines. Commandité par le groupe d'organisateurs industriels, ce projet pu être exploité afin d'exporter des données relatives aux pannes et arrêts machine dans la simulation. A noter que pour ces derniers, les informations étaient largement trop incomplètes pour créer une distribution, et j'ai donc dû les approximer par des distributions classiques, en l'occurrence des lois lognormales pour simuler à la fois le temps des pannes et le temps moyen entre les pannes (MTBF, mean time between failure) car la littérature scientifique recommandait ces distributions pour des cas similaires.

Je ne rentrerai pas dans le détail de l'établissement de ces bases de données, l'essentiel étant de comprendre que ces bases pouvaient être gérées de manière automatique, grâce à des routines en Visual Basic, afin d'exporter dans le modèle de simulation les distributions de temps de cycle, en considérant une époque donnée, et en ayant adapté les formats et les significations des données brutes.

Enfin, il est bien évident que tout ne pouvait être collecter automatiquement. De très nombreuses données furent recueillies "à la main", soit en étudiant des temps au chronomètre, soit en consultant les différents registres tenus par les opérateurs. Ces données sont bien entendu embêtantes dans le sens où elles doivent être régulièrement mises à jour par l'utilisateur, mais heureusement il s'agit presque uniquement de données marginales requérant peu de rafraîchissement. Ces collectes furent néanmoins l'occasion pour moi d'apprendre à chronométrer des process, faire participer l'opérateur à la campagne de chronométrage, établir des simogrammes, etc.

Développement du modèle.J'ai dû passer de nombreuses heures sur le terrain à étudier et comprendre la réalité du flux,

et aussi me plonger dans les documents initiaux de dimensionnement du flux pour comprendre à la fois le flux théorique et l'évolution que le flux va subir lors du passage de l'usine vers la marche courante. L'enjeu était clair : ne pas tomber dans un premier piège qui est de trop simplifier le routage et de se trouver coincé, une fois le modèle établi, mais aussi ne pas sombrer dans une complexité insurmontable sachant qu'elle ne reflète pas la réalité.

L'établissement du modèle logique fut un vrai régal. Tâtonnant avec la logique de l'outil de simulation, j'ai dû refaire une dizaine de fois le modèle en repartant d'une page blanche, mais je dois reconnaître que la rigueur implacable que la modélisation requiert transmet un sentiment de satisfaction scientifique très fort. Je ne pourrai, malheureusement, pas décrire le modèle et sa mise en forme pour des raisons de confidentialité. Je me permets néanmoins de signaler que simuler un flux tiré par l'aval est un énorme casse-tête, qu'il m'a été impossible de mener jusqu'au bout sans prendre quelques simplifications fortes quant à la synchronisation de l'amont sur l'aval, afin de ne pas rendre le paramétrage de l'outil rédhibitoire pour son utilisateur. Le flux n'est que partiellement tiré, et poussé par la demande initiale avec établissement d'un stock tampon transparent pour l'utilisateur, et gardant la cohérence des paramètres d'utilisation des machines.

J'ai dû dès cette étape travailler sur l'interfaçage entre les bases de données et le modèle numérique afin de ne pas m'enfermer dans un schéma qui demanderait des données non automatisées de manière insurmontable. Le seul véritable input qui n'a pas pu être automatisé est le plan de production, qui va devoir être renseigné manuellement avec en plus un ordonnancement partiel du routage.

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Le routage m'a demandé un très gros travail sur les lois qui le sous-tendent : quand une carcasse peut aller sur plusieurs BNS, laquelle choisir ? Une loi du style

- choisir une BNS qui est libre- si toutes sont libres, choisir une BNS qui est déjà réglée selon le temps d'attente

dans la queue minimum- si aucune n'est libre ni réglée, choisir le temps de réglage minimal- etc.

Bien évidemment le choix de ces lois est crucial quand on pense que les campagnes de production d'une même dimension peuvent avoir des tailles de lot proche de l'unité, et que les machines peuvent être dédiées à plusieurs dimensions simultanément.

V.C.3 La validation logique

Nous avons mené cette étape, mon tuteur et moi-même, avec les responsables des ateliers concernés. Il s'agissait en fait de revoir pas-à-pas la fabrication respective de la carcasse et du bandage jusqu'à la cuisson, puis de vérifier que les règles de routage choisies étaient cohérentes.

Le gros du travail de modélisation fut valide, mais l'on dut rajouter une foule de détails influant sur le flux : préchauffage des presses, réparations des carcasses et bandages hors des machines, stocks intermédiaires sous-dimensionnés, etc. Cette étape fut très gratifiante dans le sens où notre travail de modélisation était validé, alors que nous étions partis de contraintes qui nous semblaient, les premiers jours, insurmontables.

V.C.4 Les aspects techniques

J'aimerais à ce stade faire un bilan des aspects techniques mis en œuvre dans la création et le développement de cet outil. En particulier les problèmes statistiques qui se sont posés ont été particulièrement intéressants à résoudre et ont largement fait appel à l'enseignement que j'ai pu avoir à l'Ecole des Ponts sur ces sujets :

- Quelle est la durée minimum à simuler pour obtenir des résultats représentatifs ? Cette question sous-entend tout le biais que l'on peut avoir du fait du démarrage de la simulation, et aussi du fait d'occurrence d'événements significatifs à faible probabilité (grosses pannes, etc.). Il va s'agir dans un premier temps de se mettre d'accord sur la précision désirée des résultats, puis d'évaluer les intervalles de confiance correspondant aux différents événements pour aboutir à une première estimation. Le biais introduit par le démarrage pouvant être évité en lançant la simulation pendant une certaine période précédant l'étude, puis en continuant en mettant tous les indicateurs à zéro au départ de la période d'étude. Il nous fut impossible d'évaluer de manière théorique cette durée minimum, du fait de l'immensité de la tâche et du manque d'information énorme que nous avions sur le modèle réel. Nous avons dû mener des tests empiriques pour nous apercevoir qu'il s'agissait d'un problème minime car mis à part les pannes, l'horizon de la journée était suffisant pour avoir des résultats représentatifs ; quant aux pannes leur temps moyen d'occurrence était de plusieurs semaines, mais comme on avait simulé plusieurs dizaines de machines, on respectait d'un point de vue macro le nombre moyen d'occurrence de pannes. Nos études ayant pour plus petit horizon la semaine, le problème de la durée minimum à simuler n'en était pas un.

- Combien d’exécutions sont nécessaires, par scénario, pour obtenir un échantillon représentatif de résultats ? Mettant en œuvre un nombre important de variables aléatoires, il est irréaliste de ne lancer qu'une unique fois la simulation sur une période donnée. Il s'agit au contraire de la lancer plusieurs fois pour pouvoir évaluer l'espérance et

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l'écart-type des indicateurs étudiés, ce qui apporte incomparablement plus d'informations puisque l'on touche du doigt la stabilité des résultats réels. Quel était le nombre minimum d'exécutions à effectuer pour calculer des écarts-type représentatifs, et des moyennes réalistes ? Là encore le calcul théorique est hors de portée, mais des essais très simples nous ont montré que dans tous les cas, lancer plus de 30 fois la simulation ne changeait les résultats que de 0.05 % par rapport aux indicateurs calculés avec 30 exécutions. Encore une fois il s'agit d'une donnée empirique avec tout le risque que celle-ci implique…

- Quelles doivent être les conditions initiales des machines ? Que se passe-t-il dans le cas où l'on voudrait effectivement prendre en compte les périodes de mise en route (simulation de vacances, d'arrêts de maintenance, etc.) ? Typiquement les processus de démarrage doivent être distingués des simples remises en route suite par exemple à une rupture de la chaîne d'approvisionnement, ne serait-ce que pour des raisons de qualité ou de resynchronisation du flux. Là encore nous avons touché un domaine intéressant qu'il nous a été impossible d'aborder avec une étude théorique (statistique) du fait du manque d'informations cette fois-ci. Nous avons donc fait en sorte que lors d'arrêts conséquents, la machine est dans un état qui nécessite un temps de réglage supplémentaire nominal afin de commencer son cycle.

C'est dans de tels cas que l'on se rend compte que la perfection théorique est absurde, et un certain pragmatisme nous a permis de garder une cohérence et une précision très bonnes tout en faisant l'impasse sur une certaine rigueur scientifique.

V.C.5 Programmation du modèle

Le modèle terminé sur le papier, il s'agissait de le programmer, de manière rigoureuse et structurée, dans le logiciel Factor/Aim, en respectant ses contraintes et se forçant à suivre une nomenclature explicite. Ce travail d'implantation, long et fastidieux, entrecoupé de résolution de bogues logiciels (je félicite à l'occasion à la hotline de la société Pritsker pour la constante excellence de ses collaborateurs), bogues logiques, bogues syntaxiques, etc.

La programmation fut réalisée de manière itérative, en essayant de garder le maximum de logique dans les éléments à créer et de ne pas me perdre dans la foule des objets de la simulation (95 variables aléatoires indépendantes, des dizaines de machines avec pour chacune un tableau de réglage, un tableau de temps de cycle, des caractéristiques de pannes, etc.)

Je devais en parallèle construire l'interface qui allait permettre à l'utilisateur final de la simulation d'accéder aux principaux paramètres, mettre à jour les données, définir les scénarios, etc. Nous avions décidé d'utiliser Excel, car tout le monde savait s'en servir et cliquer sur des boutons lançant des macros, ce qui faciliterait la formation. J'ai donc écrit des centaines de lignes de codes en Visual Basic afin d'automatiser les tâches de paramétrage, et construire des feuilles énormes pour créer les tableaux de réglages, etc. De même, nous voulions utiliser une interface sous Excel pour communiquer avec les bases de données de temps de cycle précédemment citées. Voir les Annexes III à VI pour les programmes concernés.

Plus de 2 mois à temps plein furent nécessaires pour venir à bout de la programmation du modèle et de l'interface, et près d'un mois pour déboguer le tout, c'est-à-dire le modèle, les interfaces et les interconnections modèle-interface :

V.C.6 Lancer des essais-pilote

Dernière étape du débogage : une fois les erreurs syntaxiques et logicielles corrigées, et l'interface réalisée, il s'agit de s'assurer que le modèle logiciel est bien cohérent, conforme au modèle logique établi, en l'occurrence il s'agit de le tester sous toutes ses coutures. Pour cela pas de

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solution miracle : créer des dizaines de scénarios, progressivement plus extrêmes, afin de vérifier la cohérence et la véracité de notre travail. Rien de particulier est à relater ici, si ce n'est que passer du temps, lors du développement du modèle logiciel, sur la nomenclature et la cohérence externe est payant. Mais clairement, cette étape est avant tout ingrate est pénible, sans autre satisfaction de permettre à l'étape suivante de se dérouler :

V.C.7 La validation pratique

Cette validation s'effectua en deux temps : tout d'abord une comparaison des performances entre la simulation et la réalité fut menée. Je dus passer beaucoup de temps à collecter des données de manière exhaustive pour disposer des détails de deux semaines de production (période jugée suffisamment représentative de l'usine et réaliste, aux vues des spécificités du modèle. Mais les écarts-type mis en jeu sont trop élevés pour satisfaire rigoureusement l'intervalle de confiance statistique.). Elle me permit de valider les résultats de ma simulation, en comparant les indicateurs simulés des indicateurs réels, et comparant les statistiques respectives vis-à-vis des différents événements.

J'ai donc configuré la simulation pour qu'elle réalise le même plan de production que le plan réel, puis j'ai intégré les distributions de temps de cycle les plus à jour, les autres paramètres (pannes, arrêts, etc.) étant déjà configurés. J'ai mis en place les mêmes machines, et lancé la simulation. 30 réalisations successives de 8 semaines furent réalisées, les 8 semaines répliquant 4 fois le plan de production réel. Puis les résultats furent moyennés et présentés sous forme d'histogramme. La production finale correspondait à 97 % à la réalité, avec un écart-type extrêmement faible. Sachant que plusieurs incidents s'étaient produits dans la réalité, et que le procédé est encore instable, ces résultats nous ont semblé suffisamment probants pour présenter le modèle afin de le valider avant de lancer les expériences.

Dans un deuxième temps donc, l'équipe concernée par la simulation s'est réunie pour se mettre d'accord sur la validité de l'outil mis en place. Il s'agissait de convaincre que l'outil était suffisamment précis pour que l'on ait confiance dans les études qu'il allait réaliser. Je me rends compte a posteriori que j'ai trop négligé cette étape qui est la clé de la crédibilité de l'outil : aussi précis soit-il, il faut que les gens soient persuadés de sa pertinence et de son efficacité avant d'accepter ses résultats car ils ne peuvent s'impliquer suffisamment pour le disséquer.

Toujours est-il que les résultats présentés étaient largement assez fiables pour que l'on se mette d'accord sur le fait que la validation pratique était réalisée.

V.C.8 Le potentiel de l'outil

Dans l'état où je l'ai terminé, l'outil dépassait largement la simple étude de capacité.Tout d'abord, il était capable d'études précises de chacune des ressources impliquées dans le

flux. Sur chaque machine (PAP, BNS, presse) on pouvait étudier les temps d'occupation, d'attente, de réglage, de panne, de blocages (stock saturé, etc.). On y trouve la longueur de l'attente des ordres de fabrication sur les machines en flux poussé, la tension du flux sur les machines en flux tiré. On pouvait étudier la charge des outils de manutention et en général de tous les outils partagés dans le flux, et comprendre quelle est l'influence d'un conflit de partage.

On pouvait tout particulièrement étudier les carcasses, stockées dans des chariots entre les PAP et les BNS qui formaient un stock non dédié à des BNS spécifiques, et comprendre l'influence de cette spécificité du flux (qui servira plus tard à une étude sur l'utilisation des chariots-carcasses et de leur éventuelle polyvalence dimensionnelle).

On pouvait de plus étudier au niveau des presses les temps d'attente dans les tiroirs (tampon entre BNS et presse) qui étaient un paramètre crucial dans le flux tiré par les presses.

L'on pouvait faire des synthèses sur les plans de production accomplis par la simulation (dimensions sous-évaluées, surévaluées, mauvaise synchronisation dans le mix dimensionnel, mix

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dimensionnel déséquilibré, etc.). La capacité de l'usine selon le mix était à portée de main pour peu qu'on crée les scénarios adéquats.

Une des capacités de l'outil, qui me tient particulièrement à cœur, est de pouvoir mener des études très exhaustives de temps de cycle locaux et globaux et des études de goulets d'étranglement. L'outil collectant automatiquement les temps de cycles réels de chacune des machines, on pouvait mesurer des indicateurs en temps réels, et comprendre par la simulation l'influence macro de ces indicateurs micro, ce qui représente pour moi un potentiel fantastique.

Enfin, l'animation du modèle n'est pas le moindre élément d'analyse des résultats. Les machines répondent à un code de couleurs selon leurs états, les produits circulent de manière continue dans le process, pour former une joyeuse succession d'événements intuitifs qui permettaient d'avoir une première compréhension globale des scénarios créés.

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V.D Implantation de la simulation

L'outil établi, reste à comprendre ses performances intrinsèques et relatives, son utilité, ses limites et enfin de conclure sur le résultat final du projet. On verra dans cette partie qu'un outil performant ne suffit pas pour faire réussir un projet.

V.D.1 Fin du projet

A ce stade (validation pratique) nous avons eu le sentiment que le projet était terminé. L'outil était en place, l'interface aboutie, la plate-forme technique complètement établie. Il me restait à documenter l'outil, ce que j'ai fait en détail. Il s'agissait en effet d'une condition sine qua non pour la pérennité de l'outil, en tout cas incontournable pour la formation de l'utilisateur final et pour une utilisation experte de ses capacités. J'ai ainsi fait une documentation à plusieurs niveaux, depuis l'explication de l'interface, la documentation du modèle, la création d'un scénario jusqu'aux outils connexes (bases de données de temps de cycle, etc.).

A cette étape je pense légitime d'évaluer les performances de l'outil. Je l'expliciterai en une énumération de caractéristiques.

- Performance statistique. Il s'agit de l'aspect le moins contestable de cet outil. Nous avons obtenu, au cours de nos tests, des précisions à court terme de l'ordre de 97 % ce qui laisse présager, à plus long terme (horizon du mois) et avec des données plus stables (écarts-type réduits), une précision d'excellent niveau. La gestion des aléas est très complète (pannes, maintenance, vacances, changement d'équipes, etc.). Les variables aléatoires judicieusement choisies permettent d'éviter des corrélations gênantes, et le fait de lancer plusieurs exécutions pour un même scénario donnent une information optimale.

- Evolutivité. L'outil dès sa conception a inclus la possibilité qu'avait le process d'évoluer. Tout d'abord il comprend toutes les machines censées être installées jusqu'à l'accomplissement de la construction de l'usine. De plus, il est capable de travailler en flux poussé (situation actuelle) comme en flux tiré par l'atelier de cuisson (situation future). Il est extrêmement simple, du fait de la nomenclature adoptée et de la cohérence interne du modèle, de faire varier des données comme la taille maximale des stocks intermédiaires, le nombre de machines et d'outils partagés, etc. La contrainte d'instabilité du routage et du modèle logique a donc été complètement intégrée.

- Interface. J'ai apporté un énorme soin à l'interfaçage de l'outil. Sa configuration peut entièrement être réalisée sous Excel. J'ai inclus trois niveaux d'automatisme (interface directe avec le modèle de simulation, utilisation de l'interface pour configurer le modèle, utilisation des routines de configuration pour automatiser les configurations répétitives) qui donnent à l'outil une facilité d'utilisation vraiment agréable et productive. Le support logiciel utilisé, Factor/Aim, était lui aussi suffisamment convivial pour permettre à l'utilisateur novice de maîtriser rapidement les animations, et dans une moindre mesure l'analyse des résultats.

- Simplicité d'utilisation. L'ergonomie de l'outil fut assez facile à optimiser du fait de l'utilisation de macros en Visual Basic sous Excel et Access. Dans son utilisation courante, l'utilisateur n'est réellement pris que par la conception de scénarios et l'analyse de résultats, tous les autres aspects sont largement pris en charge par des automatismes et des outils mathématiques.

- Création d'un scénario. Il s'agit malheureusement d'une tâche longue et complexe. L'utilisateur doit au minimum rentrer comme input le plan de

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production à étudier, ventilé sur les outils de cuisson. Il implique un calcul de charge préalable qui, s'il est léger par rapport à la réalité, reste lourd et pénible. Il s'agit clairement d'un aspect rebutant de l'outil, mais à ce niveau plus aucune aide logicielle n'est possible, à moins de créer un outil d'ordonnancement par programmation linéaire…

- Exploitation des résultats. Une des grandes qualités de la simulation, la formidable quantité de données collectée au cours des exécutions, est également un aspect problématique dans un environnement industriel. En effet lorsque l'on se pose une question précise il faut réaliser une compilation un peu pénible de résultats (faire un histogramme des différents résultats, agglomérer des indicateurs locaux, etc.). Bien sûr, en tant que développeur, je pourrais répondre à la question "quelle est la capacité de l'usine ?" que la question est totalement incomplète puisque cette dernière est une fonction à plusieurs variables, à valeurs dans un espace à plusieurs dimensions… Mais il s'agit de trouver un compromis entre la rigueur scientifique et l'aspect pratique requis par les exigences industrielles. En ce sens, la simulation n'est pas forcément adaptée, ou du moins incomplète : il manque des outils de consolidation de résultats.

- Polyvalence. De nouveau la cohérence interne de l'outil fut très utile : l'outil était largement capable de mener des études assez larges, dépassant le cadre de la simple étude de capacité. L'on pouvait ainsi étudier les goulets d'étranglement, l'influence de la charge des outils de manutention, l'influence de la maintenance, l'évolution de la performance en fonction du mix dimensionnel, de la main-d'œuvre, etc. Les possibilités me semblaient vraiment très grandes, mais bien sûr en tant que développeur de l'outil je pouvais réaliser beaucoup plus d'études que l'utilisateur final, nécessairement moins à l'aise avec les détails les plus fins. Par ailleurs, les outils connexes développés apportent des perspectives d'utilisation très larges (par exemple, la collection et l'agrégation automatique des temps de cycle de machine en histogramme permettent de faire des indicateurs de productivité réelle, en temps réel !).

- Dynamique. J'ai espoir que le développement de cet outil a créé dans l'usine une dynamique valorisant le travail sur les systèmes d'information. Quand je vois la puissance phénoménale de ces outils et la modeste utilisation que j'ai pu en faire, j'espère avoir communiqué l'envie et l'enthousiasme nécessaires à un travail plus approfondi. L'on est plus très loin à US7 d'une traçabilité complète et exhaustive (produit, process, main-d'œuvre, qualité).

On a vu ici que l'outil était techniquement réussi. Je vais pourtant m'attacher dans les prochains paragraphes à expliquer en quoi cet outil était inadapté à US7 et pourquoi il n'a pas rempli toutes ses fonctions. Pour être complet sur l'évaluation de la performance, lire V.D.3 quant aux limites de l'outil.

Par rapport à l'algorithme décrit plus haut (V.B.3 et Annexe I), le lecteur aura remarqué que je n'ai pas inclus les phases d'utilisation de la simulation. En effet, j'étais responsable du développement d'un outil qui devait servir à un destinataire : le service de planning. Ce dernier devait donc créer les scénarios qu'il voulait évaluer à ses fins de calculs de capacité. Il me restait à former l'utilisateur final pour qu'il puisse mener ces études. C'est à partir de ce stade que ce projet commença à devenir problématique. Mon tuteur, qui était désigné comme utilisateur final de cet outil, en avait supervisé tout le développement et fut impliqué dans tous mes choix techniques. Il m'a largement inspiré l'interface. Il avait une intuition de l'outil excellente, et sa formation ne devait être qu'une formalité (une longue formalité bien sûr, puisque l'outil est complexe, mais mon tuteur connaissait déjà l'esprit de l'outil). Pourtant, il n'a pas pu prendre le temps nécessaire à une

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formation complète nécessitant une grande expertise du modèle afin d'en tirer un maximum d'informations. L'implication nécessaire pour créer des scénarios et les évaluer était tout simplement irréaliste avec sa charge de travail et ses objectifs à court terme. Face au manque de formation de l'utilisateur, je me suis résolu à écrire un mode d'emploi pas-à-pas de la simulation, afin de la rendre accessible, dans ses fonctions de base, à tout utilisateur potentiel.

V.D.2 Utilisation de l'outil

Pour utiliser la simulation, le travail majeur à accomplir, la configuration étant déjà réalisée et sa mise à jour presque complètement automatique, est la création des scénarios à étudier. Pour donner un ordre de grandeur, j'ai passé une journée à temps plein pour créer 3 scénarios autour d'un PDP à l'horizon de 16 semaines.

Ce travail préalable demande donc une motivation certaine, motivation qui n'était pas présente chez l'utilisateur. En effet les études à mener étaient tout simplement inexistantes. Je m'étais, lors de mon travail, largement concentré sur le développement du modèle, son interface, son ergonomie en cas d'étude de capacité et son éventuelle polyvalence, mais je n'ai pas réellement vérifié si l'utilisateur désigné de cet outil avait exprimé le besoin d'un tel outil. Le développement de cet outil a été commandité par l'ancien manager du Support Service qui avait justifié le besoin d'une simulation par les arguments détaillés dans l'introduction du chapitre V. Ce manager avait convaincu la direction qu'il fallait un outil de capacité et le projet fut donc lancé, sous la supervision du planning manager car cet ancien manager du Support Service venait de quitter l'usine à mon arrivée. Ma véritable erreur est de ne pas avoir compris que le planning manager n'était pas convaincu de l'utilité d'un tel outil, et n'avait aucune envie de s'impliquer dans son utilisation.

A l'origine, la simulation devait évaluer la faisabilité des PDP établis de manière hebdomadaire. Puis elle devait valider les plans annuels (sur un an) et pluriannuels (sur trois ans) chaque année. Enfin elle devait avoir la capacité de mener des études transversales aux études de flux. Potentiellement, l'outil remplit largement le cahier des charges. Je m'en suis même servi pour faire une étude détaillée des outils de manutention des carcasses. Malheureusement, s'il est très capable, son utilisation hebdomadaire est irréaliste en milieu industriel sans une grande motivation de l'utilisateur, et son utilisation annuelle me semble grevée d'un manque de formation évident.

V.D.3 Limites de l'outil

De plus, l'outil comporte des limites structurelles. Tout d'abord, l'instabilité du modèle réel, et même l'instabilité du fonctionnement logique des ateliers l'oblige à posséder un niveau de complexité certain. Dans plusieurs cas, j'ai dû intégrer la contrainte que l'on n'avait pas encore choisie la logique de routage et donc intégrer toutes les logiques possibles, etc. Dans une certaine mesure une telle simulation ne devrait pas être construite dans un environnement aussi incertain, mais plutôt attendre la marche courante de l'usine. D'un autre coté, il ne faut pas oublier les justifications initiales de l'outil, qui justement doit aider à intégrer cette complexité dans les évaluations de capacité réalisées par le planning.

L'outil Factor/Aim lui-même possède des limites. Certes sa connectivité avec Microsoft Access a permis de réaliser une interface complète. Mais ses possibilités de modélisation sont limitées, et j'ai dû en l'occurrence faire de nombreuses concessions pour simuler le flux tiré. De plus, ses outils d'analyse de résultats sont indigents et pour le coup non exportables, ce qui signifie de pénibles copier/coller sous Excel pour analyser les informations utiles.

Enfin, on m'avait demandé de réaliser un outil exportable, et je n'ai absolument pas pu intégrer cet aspect. Tout d'abord parce que le modèle logique est par défaut non exportable d'une usine à l'autre. De plus, au niveau de la démarche, l'outil créé est vraiment dépendant de l'aspect d'installation de l'usine, et à mon avis il n'est pas possible de calquer ce projet pour une usine en marche courante.

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V.D.4 Conclusion

Je voudrais d'abord souligner la facilité avec laquelle le développeur peut "sombrer" dans le complexe. A toutes les étapes j'ai eu la tentation de faire exhaustif, compliqué, ramifié, etc. Savoir quel degré de complexité inclure a été un problème récurrent et extrêmement sensible, puisque l'on joue sur le compromis précision/simplicité qui va déterminer si l'on fait une vitrine technologique inutilisable ou un outil consensuel performant.

Je pensais avoir trouvé le consensus adapté en réalisant cette simulation, et je me suis aperçu au final qu'il était déjà trop complexe, mais pour une raison biaisée : le service vivait dans le statu quo irresponsable à mon avis de développer un outil qu'il ne veut pas utiliser. A quel moment aurais-je dû recadrer le projet ? Est-ce réellement ma faute ? Me suis-je suffisamment impliqué dans le processus social (réunions, dialogues, persuasions, etc.) entourant le projet ? Ai-je fait preuve de trop de rigidité par rapport aux injonctions de ma hiérarchie ? S'il y a bien eu manque de dialogue, je pense ne pas être le seul responsable. Les mécanismes de la hiérarchie ont largement joué, dans le sens où celle-ci avait été convaincue de l'utilité d'un tel outil sans vraiment comprendre ses tenants et ses aboutissants, et l'utilisateur désigné a simplement été prié de superviser ce projet.

Ce statu quo très improductif et très démotivant ne doit pas faire oublier que l'outil reste néanmoins utilisable, et surtout ses outils connexes sont extrêmement utiles et utilisés. Les bases de données clientes de traçabilité sont utilisées quotidiennement par l'ingénierie, etc. Quant à l'expertise que j'ai acquise face au flux de l'usine et aux systèmes d'information disponibles, il s'agit de données essentielles pour la suite de mon stage. J'ai en effet largement travaillé sur tous ces aspects en créant cette fois des outils industriels adaptés.

Je regrette donc ici qu'un outil complet et ergonomique qui m'a demandé près de 5 mois de travail (y compris une foule de travaux connexes) n'ait finalement eu que bien peu d'impact aux vues de ses ambitions. Ce projet fut bien entendu formidable pour moi car non content de m'amener à étudier en détail le flux de l'usine, ses performances industrielles et ses systèmes d'information, il m'a formé en profondeur à un outil fantastique d'aide à la décision. Malheureusement ce projet n'était pas réaliste dans un environnement industriel, et il n'a pas su être recadré à temps.

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VI Impressions personnelles

J'ai essayé jusqu'ici de présenter de manière objective et posée mon travail principal dans l'usine US7, ainsi que le contexte de mon stage. Il me reste, pour être complet, à présenter mon appréciation subjective de celui-ci, c'est-à-dire mes impressions personnelles et mes diverses réflexions quant au déroulement de mon stage, ses apports à ma formation, et la manière dont il a clarifié mes perspectives professionnelles.

J'aimerais encore une dernière fois insister sur le biais qu'introduisent deux éléments déterminants de mon stage sur mon jugement de Michelin et de mon stage : ce dernier s'est effectué aux Etats-Unis, dans une usine en démarrage. Le choc des cultures et le relatif chaos des débuts ont contribué à rendre mon séjour et mon travail relativement uniques.

Je présenterai dans un premier temps mes appréciations sur les aspects concrets de mon stage : le fait d'être à l'étranger, chez Michelin, à US7. Je donnerai alors mon opinion sur mes projets et leur déroulement, pour enchaîner sur une évaluation plus générale de la Manufacture vis-à-vis de mes domaines de compétence. Je ferai enfin un bilan global dans ma conclusion finale.

VI.A Les aspects externes

VI.A.1 Passer un an à l'étranger

La langue.Ma première motivation pour aller aux Etats-Unis était, avant même l'intérêt professionnel et

sociologique, la langue. Je désirais en effet maîtriser la langue anglaise et en particulier le jargon professionnel de manière impeccable, et passer un an aux Etats-Unis m'apparut clairement la meilleure des méthodes. Ma formation d'ingénieur m'avait avant tout donné la maîtrise de l'écrit (lectures scientifiques et académiques, informatique et Internet en particulier, etc.). Mon Anglais scolaire était tout à fait à l'image de l'enseignement des langues étrangères en France : d'un très bon niveau académique, en particulier grammatical et syntaxique, possédant un vocabulaire assez large, j'étais pratiquement incapable de m'exprimer librement, à la fois du fait d'une inhibition naturelle, mais aussi et surtout par manque d'entraînement.

L'immersion totale est une méthode brutale et stressante, mais d'une efficacité redoutable. Je ne décrirai pas ici mes sueurs froides à l'idée de téléphoner en Anglais, de négocier en Anglais, de persuader en Anglais. J'admet honnêtement que mes débuts furent laborieux et me pénalisèrent quelque peu, mais le résultat en valait la peine : je pense, sans prétention aucune, avoir pu vaincre mes inhibitions mais aussi avoir acquis suffisamment de réflexes idiomatiques pour mener une discussion sans effort en Anglais (ou devrais-je dire dans le jargon américain du business, dont les idiomes très forts et l'aspect schématique permettent une compréhension mutuelle redoutablement efficace quelque soit l'identité de l'interlocuteur.). Quelques 6 mois furent nécessaires pour me sentir libéré de la barrière de la langue. Je voudrais noter ici néanmoins que travailler dans une entreprise française m'a permis d'aborder cette immersion en douceur car il y est bien facile de trouver un interlocuteur français, quelque soit le besoin…

Cette maîtrise de l'Anglais oral est un atout énorme pour ma carrière et je voudrais remercier ici Michelin pour m'avoir permis de l'acquérir.

La civilisation.Le lecteur aura compris tout l'intérêt (passionnel ?) que je porte aux Etats-Unis (voir

chapitre II). Je crois avoir pendant cette année appris beaucoup sur la civilisation américaine, sur ses aspects politiques, historiques, culturels et sociaux. J'y ai noué des amitiés fortes que je tiens à

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saluer ici, j'y ai rencontré des personnes exceptionnelles qui ont su me faire sentir les différences profondes de mentalités entre nos pays. Je crois comprendre un peu mieux notre soi-disant "anti-américanisme primaire", comme je perçois de manière plus fine pourquoi les Européens ressentent cette sourde impression d'arrogance, d'hypocrisie américaine.

L'intérêt, pour un jeune ingénieur, de manière plus générale pour un Français, de connaître cette civilisation est exceptionnel. Observer les comportements au travail, les rapports avec la hiérarchie, la balance entre qualifications et compétences, m'a permis de me remettre en cause continuellement. Mieux comprendre les différents aspects de la vie politique et sociale me permet d'extrapoler à la France certaines données : que va devenir notre urbanisme s'il suit l'exemple américain ? Le système d'enseignement supérieur américain est-il aussi exceptionnel qu'on veut bien le dire ? La violence est-elle une composante inéluctable de la société américaine ? Ce rapport n'est pas le lieu où ces questions et toutes les autres qui suivent doivent être débattues, mais le lecteur aura compris ce qui les motive et en quoi être capable de les argumenter grâce à une expérience de terrain est formidable.

Une certaine manière de "voir les choses".Je voudrais juste revenir dans ce paragraphe sur un aspect essentiel des méthodes

américaines : le pragmatisme. J'ai pu au fil de mon expérience, en discutant avec des expatriés français et allemands, m'en convaincre, les Américains sont d'un pragmatisme redoutable. Loin de s'enfermer dans des hautes considérations théoriques, dans la rigueur cartésienne dont on ne sait comment s'affranchir, les Américains foncent, sont efficaces et concrets. Je reconnais avoir eu des jugements méprisants face à ce que je croyais être de la superficialité. Mais dans le domaine de l'industrie, l'efficacité vient avant la beauté théorique et les hautes considérations intellectuelles, qui ne servent à personne qu'à leurs auteurs. Je comprends largement à ce titre les reproches que les Américains nous font quand il s'agit de gestion de projet.

Un collègue m'a un jour élaboré un exemple magnifique qui résume le choc des cultures. Nous discutions de systèmes informatiques, et il m'a décrit de manière superbe l'approche américaine, puis l'approche française face au développement d'un outil informatique :

- L'outil américain recherche avant tout la simplicité. Le concept de user-friendly est essentiel, et l'on aura une interface léchée, des boutons, des fonctions avec un haut niveau d'intégration, etc.

- Les Français essaieront de créer un outil structuré. Ils ne seront satisfaits de leur outil que lorsque ce dernier possédera une cohérence totale. L'utilisateur pestera sûrement contre son manque d'ergonomie, peinera à le maîtriser mais quand tel sera le cas il aura à sa disposition un outil performant, capable de s'adapter à de nombreuses situations, et logique.

Aspect social.La formule de stage long est particulièrement bien adaptée pour les stages à l'étranger. En un

an, j'ai eu le temps de nouer des amitiés, de lire et me documenter, de voyager (je remercie ici mon tuteur pour sa flexibilité qui m'a permis de visiter une grande partie du Sud des Etats-Unis). Les conditions générales que fournissait Michelin m'ont permis par ailleurs de profiter pleinement du bien être matériel (voiture, sorties, restaurants, vacances, etc.). Les occasions ne manquaient donc pas pour m'intégrer dans le tissu social américain, et mon statut de Frenchie m'a bien aidé ! Je dois reconnaître ici que les Américains ont fait preuve à mon égard d'un sens de l'hospitalité et de l'accueil très agréable, dont nous devrions plus souvent nous inspirer…

Au travail, j'ai pu rencontrer des personnes à l'esprit ouvert, avec lesquels j'ai pu discuter et qui m'ont appris énormément, à la fois sur le plan professionnel et sur le plan personnel. J'ai en particulier apprécié de travailler avec les opérateurs, qui redoublaient d'effort pour surmonter mon terrible accent français…

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On pourra se rapporter au paragraphe II.C pour des détails plus poussés de mon expérience sociale.

J'aimerais néanmoins, en conclusion de cette partie, insister sur un détail qui n'est pas complètement négligeable pour mes camarades intéressés par l'étranger au titre de leurs études et stages : une expérience à l'étranger est certainement incomparable, mais il faut savoir y mettre un terme. J'ai en effet souffert de la distance qui m'a coupé de plusieurs opportunités, à la fois pour ma formation mais aussi pour les contacts avec les entreprises. Il est en effet difficile de s'occuper de l'évolution de sa scolarité à distance, et il est frustrant de manquer les multiples contacts que les entreprises ont avec nous du fait de l'éloignement.

VI.A.2 Passer un an à US7

Une usine magnifique.J'ai déjà exprimé mon admiration de l'usine US7 dans le paragraphe III.B, je voudrais ici la

renouveler : des machines admirables, un flux complexe, un agencement brillant, un dimensionnement de manière générale très poussé, cette usine est, pour un jeune ingénieur, un modèle. Bien entendu beaucoup de travail reste à accomplir, les machines ne sont pas optimisées et les défauts de conception ne manquent pas, mais il s'agit là du quotidien d'une usine neuve, et mon inexpérience m'ôte toute légitimité de juger des problèmes qui surviennent lors de l'installation.

Une organisation ambitieuse.Le système de Manufacturing Professionnal est, bien entendu, un domaine d'observation

privilégié pour un jeune ingénieur : résultant des dernières avancées de la sociologie de l'organisation, ce système est, sur bien des points, exemplaire. Je serais pourtant critique vis-à-vis de sa mise en place, trop rapide, pas assez encadrée et aboutissant dans bien des cas à une déresponsabilisation. Trop rapide en effet car donner de la polyvalence horizontale et verticale à des opérateurs qui ne maîtrisent pas encore leur tâche principale, même si cette polyvalence est progressive, me semble trop ambitieux. L'opérateur va se sentir submergé de responsabilités avant même d'avoir acquis tous les réflexes que son travail requiert (procédure, maintenance, qualité, etc.). Pas assez encadrée car la structure qui supervise ce système et qui l'anime m'a semblé trop lache alors qu'elle devrait s'appliquer à installer des structures, des aides à la décision, etc. Et ce manque d'encadrement aboutit inexorablement à une déresponsabilisation car les opérateurs ne sont pas assez sensibilisés à leurs différents rôles, et ont le sentiment relatif d'évoluer dans un cadre quelque peu anarchique.

Je force le trait, bien entendu, pour mieux faire comprendre les problèmes et les dangers de l'installation "brutale" de ce système. J'ai été pourtant fort surpris de voir l'accueil extrêmement favorable que les opérateurs ont réservé à un système de gestion d'inventaire que j'ai eu l'honneur de pouvoir installer. Ce système était une aide à la décision dans le sens où il indiquait aux opérateurs qui avaient besoin d'un produit où trouver le plus âgé (organisation FIFO). Le simple fait d'avoir un système structurant et cohérent (un seul "discours" puisqu'une seule méthode : celle du logiciel) les a tout simplement enchantés, montrant leur besoin d'organisation, de supervision et d'information.

Le concept de Manufacturing Professionnal allait bien entendu de pair avec un effectif "administratif" réduit. Je me permets d'exprimer ici mon étonnement face à la surcharge incroyable de travail que les cadres et les administratifs en général subissaient. Non content de gérer à la fois la marche courante de l'usine mais aussi son installation, ce personnel devait en plus gérer un système d'organisation qui demandait une implication forte, car il est de la responsabilité des cadres de sensibiliser les Manufacturing Professionnals à leurs domaines respectifs. A mon sens l'encadrement était largement en sous-effectif, et les conséquences d'un tel état sont nombreuses et classiques : gestion des problèmes dans l'urgence, superficialité des actions, manque de projets à moyen et long terme, mais aussi stress, démotivation et tension. Je voudrais saluer ici le personnel

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administratif d'US7 qui m'a vraiment impressionné face à la gestion très professionnelle de leur masse énorme de travail.

Une trop grande autonomie.J'y reviendrais dans l'évaluation de mes projets, mais la manière dont j'ai été encadré me

laisse parfois dubitatif. Je voudrais néanmoins commencer par saluer l'accueil exemplaire que l'usine m'a réservé à mon arrivée. Alors que mon anglais très approximatif me rendait inévitablement timide, j'ai été accueilli chaleureusement par tous et mis à l'aise immédiatement. L'on a su me confier lors du premier mois un projet dans mes cordes, qui m'a amené à aller comprendre l'organisation des ateliers de manière progressive. On m'a également fait effectuer un stage ouvrier absolument passionnant, bien qu'à mon avis trop court, qui m'a permis non seulement de me faire connaître auprès des opérateurs, de me familiariser avec les procédés et le flux des ateliers, et de m'intégrer en douceur dans l'usine.

On m'a rapidement accordé une autonomie certaine dans la gestion de mes projets, qui m'a permis de mener des tâches transversales très intéressantes et des projets secondaires très instructifs, l'occasion de me rendre utile s'étant maintes fois présentée du fait de mes compétences en particulier en informatique (Visual Basic et bases de données notamment). J'ai pu "toucher à tout" et clairement, je ne pouvais espérer mieux pour mon stage long que de découvrir un maximum d'aspects d'une usine. Des projets incluant des coopérations avec les opérateurs m'ont également amené à aller sur le terrain et mieux comprendre la vie des ateliers. Mon responsable m'a même envoyé visiter d'autres usines Michelin pour aller évaluer leur service de planning, et par la même occasion découvrir d'autres sites de production, ce qui fut passionnant.

Pourtant, et malgré ces aspects vraiment positifs, je reproche trois faits majeurs au déroulement de mon stage :

- Le manque de formation : ma formation aux tâches que l'on me confiait a été quasi-nulle. Je n'ai même pas eu de formation relative à la sécurité, me présentant les règles élémentaires de sécurité de l'usine ! Pour mes projets informatiques, il était de ma responsabilité de me documenter et d'apprendre sur le tas. L'on attendait de moi de tout connaître en gestion de production. Responsable de l'installation d'un système de gestion d'inventaire, je n'ai eu le droit qu'à 4 heures de formation et mon bon sens pour mener le projet complet à son terme. Je ne comprends pas cette attitude, car je suis ingénieur débutant et mon stage me servait avant tout à apprendre. Etant autonome, j'ai pris en charge mon apprentissage, mais ce dernier était nécessairement incomplet et/ou peu productif. Enfin, on ne m'a rien présenté de Michelin et de ses valeurs. Seules mes lectures et mes expériences ont façonné mon intuition et ma compréhension de son organisation et son identité. Etre autonome, avoir des libertés est une chose, dont je suis d'ailleurs très reconnaissant car elles sont instructives. Mais ne pas former en est une autre, qui n'est pas raisonnable, quand bien même (surtout si ?) la structure administrative est débordée.

- Le manque d'encadrement : j'ai également souffert d'un manque d'encadrement certain. J'ai eu la chance de très bien m'entendre avec mon responsable et d'avoir une certaine connivence intellectuelle avec lui. Je pense que dans ce sens, le Service du Personnel a fait un choix judicieux quant au caractère de mon tuteur, car cette connivence fut non seulement agréable mais très productive. Mais je suis très déçu du fait que, étant complètement surchargé de travail, il n'ait pu passer plus de temps avec moi sur mes projets, sur ma formation, sur mon évaluation. J'ai dû bien des fois aller me plaindre de manquer de travail, ce qui me semble très étonnant. J'aurais aimé que l'on me donne plutôt des challenges à relever, que l'on me motive plus.

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- L'environnement chaotique : Un petit paragraphe pour m'étonner du manque de professionnalisme auquel j'ai pu être confronté lors de mon stage. Personnes en retard pour des réunions, absentes sans prévenir, attendant d'être relancées plusieurs fois avant de réaliser un travail, les exemples ne manquent pas, et en particulier dans le management. J'ai eu tout au long de mon stage une impression diffuse de chaos, de manque de structure. Cette impression doit bien sûr être pondérée avec la jeunesse de l'usine et le fait qu'elle est en période d'installation avec toute la fébrilité que cet état implique, mais je m'attendais néanmoins à plus de sérieux. Un exemple : j'ai eu accès, au cours de mon stage, à des documents hautement confidentiels (liste des employées avec numéros de sécurité sociale, comptes de l'usine, plans pluri-annuels de production, calendrier d'installation des machines…) sans même que l'on me sermonne sur l'aspect critiques de ces documents (qui ont d'ailleurs un code de confidentialité théoriquement inaccessible aux stagiaires…). Un autre exemple : un camarade de l'Ecole Centrale de Paris également en stage long, responsable de l'installation du QS9000 dans l'usine, tenait des graphiques d'absentéisme aux réunions absolument désastreux, et souvent se désespérait des absences non prévenues de managers…

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VI.BDéroulement de mes projets

Durant mon stage, j'ai pu effectuer plusieurs projets touchant à divers aspects de l'usine. J'ai pu dans ce sens découvrir plusieurs domaines en profondeur, et ce n'est pas le moindre des intérêts de mon stage. J'aimerais présenter ici une courte liste des projets majeurs qui ont peuplé mon stage, afin de montrer au lecteur l'aspect transversal de ce dernier :

- Création et installation d'un outil de capacité : il s'agit de la simulation, décrite dans ce rapport. Projet passionnant dans lequel toutes mes compétences d'ingénieur ont été mises à profit. Je ne comprends pas néanmoins pourquoi le sujet était aussi mal défini, et pourquoi je n'ai pas eu l'occasion de travailler avec l'initiateur de ce projet qui a changé de poste avant mon arrivée.

- Création d'un tableau de bord pour l'usine : US7, encore jeune, n'avait pas d'outils simples donnant l'état de ses principaux indicateurs : productivité, pertes matières, production journalière, réalisation du plan de production, etc. J'ai été chargé de créer plusieurs indicateurs et de les rassembler dans un tableau de bord ergonomique, afin d'apporter ces informations à toute l'usine et en particulier la direction. J'ai donc dû coordonner les différentes sources d'information, les synthétiser dans des indicateurs simples mais précis et les publier de manière efficace. J'ai été particulièrement choqué de l'obsolescence des systèmes d'information utilisés pour la collecte de données telle la qualité, la production, la perte matière, etc. J'ai dépensé beaucoup d'effort à en fait créer une interface simple sur des systèmes compliqués et dépassés, tâche peu intéressante et non productive. Ce projet m'a néanmoins confronté aux problématiques classiques de contrôle de gestion, en particulier dans la création d'un indicateur de productivité pertinent (voir à ce sujet Contrôle de gestion et pilotage, R. Demeestere, P. Lorino, N. Mottis, Nathan 1997).

- Installation d'un outil de gestion d'inventaire et d'appel cariste : probablement le plus motivant de tous mes projets. J'ai été responsable de l'installation d'un système qui gérait toutes les matières premières et les en-cours afin que les caristes les utilisent en FIFO (First-In, First-Out). Il s'agissait d'un changement complet dans la manière de travailler des opérateurs, qui devaient renseigner de manière systématique une base de données, très ergonomique, qui en retour leur indiquait où trouver tel ou tel produit. L'installation de ce système m'a amené à dialoguer avec les opérateurs pour l'organiser de manière optimale, à les former à un système informatique spécifique, à superviser un fonctionnement de la manutention dans l'atelier tout à fait différent. Ce projet à la fois organisationnel et technique a été un réel succès, m'a permis de m'impliquer dans l'atelier et d'avoir un impact direct sur son organisation. Il m'a fait travailler avec les opérateurs, ce qui m'a véritablement enchanté.

- Participation à l'installation d'un système de nomenclature : les systèmes de gestion de nomenclature (Part Number Generation) sont des systèmes complexes et besogneux mais absolument essentiels dans l'ordonnancement des ateliers et la gestion de la qualité des produits. Il s'agit, avant tout, de référencer de manière cohérente des produits et sous-produits en fonction de leur rôle, de leur qualité, de leur évolution, et de leur bonne utilisation. Faisant largement appel à des problématiques de gestion de bases de données, je me suis naturellement impliqué dans l'installation de ce système pour créer des interfaces, mettre en place des outils périphériques adaptés et j'ai même créé un système automatique d'ordonnancement de certains sous-produits en faisant la synthèse de la base

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de données du système d'ordonnancement, du PDP (Plan Directeur de Production) et de la base de données du système de gestion d'inventaire. Malheureusement ce dernier n'a pas pu se mettre en place faute de temps. Je pense avoir apporté une expertise intéressante en montrant la puissance de la gestion de bases de données et ses potentiels, et facilité l'installation en rendant un système compliqué relativement accessible pour des besoins spécifiques, dont un interfaçage pour les opérateurs.

- Mise en place d'outils de traçabilité : l'usine possède des bases de données très complètes enregistrant le moindre des agissements des machines. Mais ces bases de données étaient inexploitées car sans interface. Comment savoir quels pneus ont été réalisés avec telle palette de caoutchouc ? Quels pneus sont passés dans telle machine à telle période ? Quelles influences ont les modifications d'une recette sur les temps de cycle ? Quel est le temps moyen de confection de carcasse, de bandage ? J'ai mis en place des bases de données clientes, interfaçant les bases de données initiales et les synthétisant pour l'utilisateur. Ce projet m'a sensibilisé aux problèmes de remonté d'information et de gestion des masses d'information, a largement rendu service à l'usine et surtout démarré une dynamique de mise à profit des systèmes d'information de l'usine.

- Amélioration des outils de planning : j'ai été amené à améliorer les outils (feuilles Excel) utilisés dans le déroulement des cycles de planification de l'usine. Ne disposant pas d'outils adéquats, j'ai dû (la mort dans l'âme…) faire évoluer ces feuilles Excel pour qu'elles soient adaptées à la montée en puissance de l'usine et intègre une logique MRP minimale. J'aimerais pousser ici un cri d'alarme : comment peut-on, dans une industrie d'équipement automobile, être aussi indigent dans les systèmes de planning ? Comment se fait-il que Michelin n'ait pas d'outils standards ? Comment peut-il laisser ses concurrents optimiser leur chaîne d'approvisionnement avec les ERP dernier cri et ne pas réagir ? Il s'agit d'une source d'améliorations considérables, sur de nombreux points de vues : économies, gains de temps, de place, de qualité, plus de ruptures de la chaîne logistique, etc. Voir VI.C pour une généralisation de cette critique.Ce projet aura eu néanmoins l'immense mérite de me faire auditer le service de planning de l'usine et d'approfondir le déroulement des cycles de planning d'US7.

- Participation à l'investigation d'un système MRP-ERP : j'ai participé à la recherche que menait le service de planning pour installer un système dédié de gestion de l'approvisionnement et des en-cours, en fait d'un ERP dans lequel on n'aurait installé en gros que les modules concernant la planification et dans une certaine mesure l'ordonnancement. Ce projet, mal structuré car créé dans l'urgence, m'a permis de rencontrer des experts de la Supply Chain, de discuter des améliorations à apporter dans la chaîne logistique d'US7, de comprendre les outils actuellement à la pointe du progrès (ERP, APS scheduling, EDI, SPC, et tous les autres joyeux sigles…), d'établir un cahier des charges pour US7, etc.

J'ai donc eu la chance de pouvoir "toucher à tout" dans des domaines qui m'intéressaient, ce qui est vraiment formidable. Etant exigeant néanmoins, je regrette le manque de construction de mon stage qui, pour passionnant qu'il était, n'était pas assez construit et pas assez supervisé.

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VI.C La Manufacture Michelin : à la pointe du progrès ?

Travailler dans la Maison.Je ne le répéterai pas assez : travailler chez Michelin a été une expérience inoubliable.

L'histoire de cette société est absolument superbe, jalonnée de paris industriels fantastiques et de réussites techniques de premier plan. La tradition du secret, les spécificités de sa gestion du personnel, son identité (à travers le Bibendum, etc.) tout m'a donné un réel sentiment d'appartenance à une entité concrète, véhiculant des valeurs motivantes pour lesquelles on a envie de travailler. La culture d'entreprise n'est pas un vain mot chez Michelin, et sa discrétion et sa modestie créent une ambiance de travail tout à fait remarquable.

J'ai eu l'occasion de rencontrer de vrais "Michelins", fiers de leur Maison, de leurs produits, véhiculant les valeurs phares de l'entreprise, et j'avoue avoir été ému de la sincérité de leur "dévouement". J'ai également beaucoup apprécié, de manière générale, les contacts humains que l'on peut avoir dans l'atelier. J'ai beaucoup appris d'eux à la fois sur le plan humain et sur le plan professionnel, et je veux les saluer ici.

Une entreprise trop secrète.Je n'ai connu Michelin que par une usine particulière aux Etats-Unis, et bien entendu il me

manque bien des éléments pour apporter des critiques. J'aimerais néanmoins m'étonner ici de plusieurs aspects de la fameuse tradition du secret de Michelin. Refusant pendant longtemps toute aide extérieure à cause de ce principe, Michelin a créé tout un ensemble de métiers dans lesquels il n'est pas spécialiste et où il n'est pas certain que ce renfermement soit fructueux.

Je ne peux que m'étonner devant la masse d'outils informatiques, écrits spécifiquement pour des usines Michelin par des services Michelin, lourd à gérer, coûteux à maintenir et pas forcement à la pointe du progrès. Michelin ne peut être expert dans tous les domaines, et plutôt que de maintenir des outils internes obsolètes à grands frais, il pourrait commencer à s'ouvrir et profiter de l'expertise indéniable de "l'extérieur", des produits "on the shelf" qui évoluent avec la technologie, sont maintenus, etc.

Je m'étonne également de la frilosité de Michelin face aux expertises des consultants, auxquels il préfère des ressources internes. Il y a là pour moi un réel risque de faire du surplace, de perdre en productivité et de prendre du retard face aux concurrents qui auront su effectuer une veille technologique suffisamment efficace. Quid de la confrontation d'expérience ? Peut-on se suffir d'une capitalisation de l'expérience interne ?

Il semblerait pourtant que les mentalités commencent à changer. Un projet mondial d'outil de gestion financière est en cours de déploiement dans les usines Michelin, réalisant une standardisation heureuse, le tout avec la participation d'un grand cabinet de consultants spécialisés dans ce domaine que Michelin ne peut maîtriser entièrement de manière réaliste. Ce projet, même s'il connaît des déboires, a une échelle tellement grande qu'il permet d'espérer qu'une dynamique se mettra en place.

Des systèmes de gestion de production en retard.Mes visites des différents services de planning, des différents ateliers et des différentes

personnes que j'ai été amené à rencontrer, m'ont en fait catastrophé. J'ai visité ainsi des services de planning où dix personnes se coordonnaient pour effectuer les cycles de planification, l'ordonnancement et la gestion d'inventaire avec des vieux outils sur tableurs quand, à mon sens, une à deux personnes avec les outils adaptés auraient rempli les mêmes fonctions avec, de plus, une efficacité, une précision et une réactivité incomparables. Comment un grand équipementier automobile peut-il se satisfaire d'outils aussi vétustes, propriétaires, mal maintenus, incomplets, très peu performants ? Comment accepte-t-il, alors que ses concurrents réalisent des économies

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substantielles tout en améliorant grandement leurs performances, des services surchargés où la planification est quasi-manuelle, non supervisée, non standardisée ? Sur les 6 usines que j'ai visitées, pas une seule ne possédait les mêmes outils, la même organisation, un niveau minimum de supervision !

Ces faiblesses de la chaîne logistique pourraient bien faire la différence si Michelin ne réagit pas au plus vite. Des stocks élevés coûtent cher, une main-d'œuvre surabondante pour faire face à la masse de calcul de la planification coûte cher et est dangereuse, une mauvaise réactivité et une rupture de la chaîne sont très dommageables et ternissent durablement l'image de Michelin. A l'heure d'outils tels SAP (que Pirelli, Bridgestone ont installé avec succès), Michelin ne peut plus ne pas réagir. D'autant plus que l'excellence technique qu'il possède, son expertise formidable et une main-d'œuvre spécialisée excellente lui donnent tous les atouts pour réussir un projet global de Supply Chain. J'ai pu m'émerveiller devant les systèmes de traçabilité, les automates gérant les process, l'excellence des outils supervisant la production en général à US7. Michelin est capable d'une excellence technique indiscutable, mais semble juger que la chaîne logistique est un aspect trop prosaïque de la production. Il n'y aurait pas tant de travail à réaliser avec une base technique aussi saine, pour refondre l'organisation de la planification, de l'équiper en outils efficaces et standardisés…

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VI.D Conclusion

Je voudrais tout d'abord saluer la formule du stage long, dont j'ai énuméré plus haut tous les avantages, en particulier lorsque celui-ci se déroule à l'étranger. J'ai à l'actif de ma formation une expérience d'un an, à l'étranger, dans un environnement stimulant avec des projets variés.

Etant critique de nature, je regrette de n'avoir été plus encadré, motivé et formé. Bien sûr ma formation et mon caractère m'ont permis de gérer mon autonomie, mais je regrette l'aspect improductif ou incomplet de mon apprentissage. J'ai particulièrement souffert du fait que mon stage, articulé autour du projet de simulation ici décrit, n'ait pu se réorienter une fois celle-ci terminée.

Le second reproche concerne l'inefficacité partielle du management, en partie structurelle (ces derniers étaient débordés à cause de l'installation et de l'organisation), en partie culturelle (approche de l'ingénieur français mal comprise), parfois intrinsèque. J'étais une ressource disponible, avec un œil neuf et des connaissances techniques, mais mon approche transversale n'a pas été forcement bien gérée.

Enfin, on l'aura compris par la partie VI.C, l'indigence des outils de planification m'a largement frustrée.

J'ai pourtant effectué un stage formidable, découvert mon métier d'ingénieur dans un environnement passionnant, dans une usine superbe, dans un pays complexe. J'ai appris énormément sur les systèmes d'aide à la décision, les systèmes de gestion de production et les problèmes d'organisation, pour ne citer qu'eux. Mais les apports de ce stage dépassent largement le cadre professionnel, comme toute la partie VI l'aura démontré.

J'espère que mon travail aura été compris et que j'ai pu amorcer une dynamique vers l'exploitation des potentiels des systèmes d'information d'US7, que mon outil de simulation, probablement trop complexe, ne restera pas comme un joli jouet dans une vitrine, et que mes projets en général auront porté leurs fruits.

Ce stage m'aura conforté dans mon orientation professionnelle, c'est-à-dire l'expertise des outils de gestion de production. Ma troisième année à l'Ecole des Ponts s'articulera autour de cette problématique et j'espère pouvoir faire de ce domaine mon "métier de base".

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