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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Lettres TRAVAIL PARTIEL The Painted Lady de David Wark Griffith (1912) LOUIS-DE W ANDELEER Laurent Travail présenté dans le cadre du cours Esthétique et philosophie du cinéma CINE-B410 Dominique Nasta ANNÉE ACADÉMIQUE 2013-2014

The Painted Lady (Griffith, 1912)

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Analyse du court métrage "The Painted Lady" de David Wark Griffith (1912).

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Page 1: The Painted Lady (Griffith, 1912)

UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLESFaculté de Philosophie et Lettres

TRAVAIL PARTIEL

The Painted Lady de David Wark Griffith (1912)

LOUIS-DE WANDELEER

Laurent

Travail présenté dans le cadre du cours

Esthétique et philosophie du cinéma

CINE-B410

Dominique Nasta

ANNÉE ACADÉMIQUE 2013-2014

Page 2: The Painted Lady (Griffith, 1912)

Introduction

Au-delà de ses deux œuvres majeures, The Birth of a Nation et Intolerance, David Wark Griffith

était un cinéaste touche-à-tout. Très éclectique, il a travaillé sur tous les genres à travers de très

nombreux courts-métrages.

Celui qui nous intéresse aujourd'hui, The Painted Lady, a été tourné en 1912. La célèbre Blanche

Sweet y incarne le personnage principal de la fille aînée. L'objectif de ce travail sera d'analyser cette

réalisation en utilisant les principaux critères de la grille d'analyse cinématographique : montage,

cadrage, narration, jeu des acteurs, rôles des intertitres, fonctions des décors et fonctions des

accessoires.

1 Montage

Griffith agence les images à travers un montage de type organique (DELEUZE 1983 : 47), en

témoignent notamment les cross-cuttings opérés durant le court-métrage. Le plus évident d’entre

eux se situe au moment de l'intrusion de l'escroc au sein de la demeure familiale. Ainsi, le spectateur

peut voir tour à tour la sœur aînée dans sa chambre et l'escroc qui pénètre dans la maison. Le cross-

cutting continue après que la fille a découvert la présence de l'escroc : on nous la montre cette fois

montant les escaliers pour aller chercher une arme tandis que l'escroc continue l'exploration de la

pièce. Le montage alterné finit par converger en la confrontation des deux individus.

Autre caractéristique du montage organique : Griffith n'hésite pas à montrer les diversités qui

existent au sein de l'unité que représente la société humaine. Ici, ce ne sont plus seulement les

hommes et les femmes qui sont mis en opposition mais aussi les femmes entre elles (en

l'occurrence, les deux sœurs). À travers le respect ou la transgression des préceptes familiaux, c'est

une opposition entre tradition et modernité que nous propose Griffith (SIMMON 1993 : 85).

Dans le même ordre d'idées, on retrouve la distinction entre maîtres et serviteurs, entre gens

honnêtes et malfrats, entre gens du peuple et de la haute société.

Deux éléments encore : on remarque que certains raccords de mouvements ne sont pas corrects –

la continuité des plans est ici plus importante que la cohérence des raccords. Enfin, il faut noter le

« P.O.V. shot » évident lorsque la sœur cadette regarde par la fenêtre au début du court-métrage.

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2 Cadrage

Lors des scènes de la fête (en extérieur), Griffith joue énormément sur l'articulation entre avant-

plan et arrière-plan. L'action principale se déroule toujours au premier plan tandis que la foule

occupe l'ensemble de l'arrière-plan, de sorte qu'il y a toujours du mouvement, toujours quelque

chose à regarder. Cette articulation permet aussi d'anticiper l'action à venir : à un moment donné,

l'escroc montre l'endroit de l'arrière-plan où se déroulera le plan suivant. Une autre utilisation

remarquable de l'articulation entre avant-plan et arrière-plan apparaît lors de la scène suivant

l'accident mortel : le cadavre remplit littéralement l'avant-plan tandis que les autres personnages

sont rassemblés à l'arrière-plan.

En ce qui concerne la manière proprement dite de cadrer les plans, ces derniers sont

majoritairement de type américain ou rapproché taille. Tout au plus note-t-on un plan rapproché

poitrine lorsque le père essaie de ramener sa fille aînée à la raison en la tenant par les épaules. On

ne note ni gros plan, ni insert.

3 Narration

Le procédé de l'anamnèse a ici une importance capitale. En effet, le premier plan du film montre

le père mettant de l'argent dans le coffre-fort de son bureau sous les yeux de sa fille aînée. La suite

du récit placera le bureau paternel au centre de l'intrigue, mettant la mémoire du spectateur à

contribution.

Par ailleurs, The Painted Lady est un exemple parfait de narration non restrictive à plusieurs

égards.

Tout d'abord au niveau des lieux et des décors. En moins d'une quinzaine de minutes, Griffith

parvient à nous faire découvrir la quasi globalité de la maison familiale, à nous emmener au milieu

d'une fête grouillante de monde et enfin dans une charmille. Cela peut sembler restreint mais ce ne

serait pas rendre hommage à Griffith qui parvient à donner une importance symbolique à chaque

emplacement1.

Ensuite au niveau des personnages. Conséquence logique du montage organique, The Painted

Lady propose des personnages hauts en couleurs aux caractéristiques bien distinctes et bien définies.

Chacun nourrit des sentiments qui lui sont propres, chacun pourrait constituer un récit à lui seul.

Autre caractéristique de la narration non restrictive : le spectateur peut se poser beaucoup de

1 Voir la partie « Fonction des décors » de ce travail pour plus de détails.

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questions quant au message que véhicule Griffith dans The Painted Lady. Veut-il affirmer que

transgresser les traditions est plus que déconseillé ? Que le paraître a trop d’importance dans la

société ? Est-ce, comme le suggère SIMMON (1993 : 88), une métaphore de la première expérience

sexuelle vue comme un traumatisme ? Chacun est libre de forger sa propre opinion.

Griffith introduit d'autres pistes de lecture en insistant énormément sur la notion de

regardant/regardé (en témoigne le jeu important sur la fonction de l'objet miroir2) et sur l'image des

femmes dans la société : celles-ci doivent plaire aux hommes, certes, mais elles doivent avant tout

plaire à elles-mêmes (SIMMON 1993 : 86).

Notons également au sein du récit une certaine référence à l'esthétique des attractions qu'on

retrouvait chez les primitifs. En effet, la transgression des interdits – caractéristique de cette

esthétique des attractions – est au cœur du récit : c'est parce que la sœur aînée sort de chez elle en

cachette que l'intrusion et l'accident mortel vont avoir lieu.

4 Jeu des acteurs

Les acteurs de The Painted Lady adoptent la plupart du temps un jeu vérisimilaire (exception

faite de la sœur cadette qui est très expressive). Il convient ici de porter une attention particulière au

jeu tout en finesse de Blanche Sweet qui monopolise l'attention tout au long du film. Sweet passe

par tous les sentiments : la pudeur, la joie, l'amour, la tristesse et, bien entendu, la folie.

L'actrice verse néanmoins à deux reprises dans le jeu sémaphorique, ce qui constitue une

deuxième trace de subsistance d'une esthétique des attractions :

– elle hurle lorsqu'elle comprend qu'elle a tué l'escroc, ses traits se glacent et elle appelle à

l'aide en levant les bras au ciel ;

– au moment où son père essaie de la convaincre que l'escroc est bel et bien mort, les yeux de

Sweet s'ouvrent autant que ceux de son père. Elle comprend une seconde fois l'ampleur de son

acte et l'horreur se lit sur son visage. À ce moment du court-métrage, on peut également décrire

le jeu du père comme étant davantage sémaphorique que vérisimilaire.

Par ailleurs, le concept de subception est loin d'être absent dans The Painted Lady. En effet, les

personnages ne cessent de discuter, le spectateur entend quasiment toute l'agitation de la fête qui bat

son plein à l'extérieur et, surtout, le coup de feu qui résonne lorsque l'escroc se fait abattre

accidentellement. On peut également mentionner les cris de la sœur aînée au moment où elle se

2 Voir la partie « Fonction des accessoires » de ce travail pour plus de détails.

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rend compte de l'ampleur de son acte et le « She's dead » qu'on peut lire sur les lèvres du père à la

toute fin du film.

5 Rôles des intertitres

La quasi totalité des intertitres de The Painted Lady a une valeur informative. Les informations

données sont néanmoins de plusieurs natures :

– des renseignements sur l'identité des personnages ou sur les relations qui les lient ;

– des indications sur le ressenti des personnages, sur leurs sentiments. Ce type d'information

se résume chaque fois à un seul mot (« Unpopular », « Shattered »...) ;

– des indications temporelles qui introduisent des ellipses (« Later » ou « Afterwards ») ;

– des indications sur les événements qui vont suivre (« The imaginary meeting »).

On retrouve tout de même deux intertitres à valeur dialogique :

– le premier intervient quand la sœur cadette s'adresse à sa sœur aînée (« Oh, you must paint

and powder to be attractive. ») ;

– le second est une parole que la sœur aînée s'adresse à elle-même : « I look so pale ».

6 Fonctions des décors

Griffith a divisé l'espace en trois lieux principaux.

Le premier lieu auquel est confronté le spectateur est la maison de la famille. C'est ici que les

personnages du père et des deux sœurs sont introduits et que la base de l'intrigue est plantée à

travers la problématique du maquillage. La demeure familiale représente un lieu de doute : la fille

aînée hésite plusieurs fois à se maquiller, d'abord à cause des paroles de sa sœur et, dans un

deuxième temps, suite à sa rencontre avec l'escroc. Ce n'est pas, à proprement parler, un lieu de

transgression car la fille aînée est dans un état second quand elle finit par se maquiller et la mort de

l'escroc n'est pas un meurtre en soi mais un accident mortel.

Ensuite vient le décor de la fête. C'est d'ici que surgit le danger : l'escroc s'y rapproche du pasteur

qui va le présenter à la fille aînée. En outre, la fête permet de mettre en évidence la solitude de la

fille aînée et sa totale opposition avec la situation de sa sœur cadette qui ne cesse d'être courtisée.

Griffith se sert donc de la fête non seulement pour amener l'élément perturbateur mais aussi pour

appuyer une intrigue déjà bien en place grâce aux premiers plans dans la maison et aux intertitres.

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De plus, c'est parce qu'il y a une fête que la sœur cadette se maquille. La fête est donc l'événement à

l'origine de la problématique du maquillage.

Enfin, le décor de la charmille. En plus d'apporter un cadre naturel et romantique à l'intrigue, la

charmille constitue un lieu de transgression. En effet, la sœur aînée s'y rendra en douce à deux

reprises, trompant la vigilance de son père et de sa nourrice. La transgression est d'autant plus

grande qu'elle y avoue à l'escroc l'état des richesses de son père, sans oublier que c'est ici qu'elle se

rend compte du fait qu'elle s'est maquillée. La sœur aînée y faillit en tous points à l'ensemble des

préceptes familiaux. En ce sens, il n'est pas étonnant que ce soit dans la charmille que s'exerce la

démonstration la plus exacerbée de sa folie à travers les deux rencontres imaginaires qui s'y opèrent.

7 Fonctions des accessoires

Le châle peut ici être assimilé à la relation de la fille aînée avec l'escroc et à l'étape ultime avant

la transgression du maquillage. En effet, c'est déjà dans un contexte de transgression qu'elle s'en

pare pour la première fois, juste avant de se rendre à la rencontre clandestine. L'escroc ne manque

d'ailleurs pas de la complimenter pour cet effort vestimentaire.

Selon MERRITT (2008 : 154), la scène de l'accident mortel est très puissante au niveau du symbole

que représente le châle : le père favorise la folie de sa fille en lui replaçant le châle sur les épaules

alors qu'elle l'avait enlevé pour aller menacer le cambrioleur. La fille aînée portera désormais le

châle jusqu'à sa mort à la fin du court-métrage. Il est également intéressant de noter le changement

de tenue vestimentaire après l'accident : la protagoniste est passée du blanc au noir, comme si elle

portait le deuil. Pas celui de la mort de son amoureux – à laquelle elle ne croit pas – mais le deuil de

sa vie passée, austère, sans amour et sans joie.

L'objet miroir est également un leitmotiv dans The Painted Lady (SIMMON 1993 : 86). Il apparaît

au début, au milieu et à la fin du film. C'est à travers lui que la fille aînée se juge, en estimant

l'intégrité de son apparence. Rien d'étonnant que son trépas soit dû au fait qu'elle se soit regardée

dans un miroir alors qu'elle était fardée.

Conclusion

À travers ce travail, nous espérons avoir pu montrer une partie de la complexité de l'œuvre de

Griffith, véritable artiste du cinéma. Regarder un court-métrage de Griffith, ce n'est pas seulement

se tourner vers le passé dans l'Histoire du cinéma. C'est d'abord et surtout entrer dans un monde

unique, à la fois précurseur et immortel.

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Fiche du film The Painted Lady

Filmé aux environs d'août 1912. Sorti le 24 octobre 1912.

Réalisateur : D.W. Griffith – Scénariste : D.W. Griffith – Caméra : G.W. Bitzer – Production :

Biograph Company – Distribution : The General Film Company, Incorporated – Origine : New

Jersey – Longueur : une bobine.

INTERPRÈTES : Blanche Sweet (la sœur aînée), Madge Kirby (la sœur cadette), Charles Hill

Mailes (le père), Joseph Graybill (l'escroc), William J. Butler (le pasteur), Kate Bruce (la nourrice),

Robert Harron, Lionel Barrymore, Harry Carey, Josephine Crowell, Walter Miller, W.E. Lawrence,

Gladys Egan, Walter Long, Lillian Gish, Dorothy Gish, William Christy Cabanne, Charles Gorman,

Henry B. Walthall, Elmer Booth, Jack Pickford, Walter P. Lewis.

Bibliographie

Source primaire

GRIFFITH David Wark, 1912, The Painted Lady, Biograph Company, une bobine.

Sources secondaires

BRION Patrick, 1982, D.W. Griffith, Paris, Équerre, 216 p.

DELEUZE Gilles, 1983, « Le montage », in DELEUZE Gilles, L'image-mouvement, Paris, Éditions

de Minuit, pp. 46-82.

HENDERSON Robert M., 1972, D.W. Griffith : His Life and Work, Oxford, Oxford University

Press, 326 p.

MERRITT Russel, 2008, « The Painted Lady », in CHERCHI USAI Paolo (éd.), The Griffith Project,

Londres, British Film Institute, vol. 6, pp. 151-157.

SIMMON Scott, 1993, The Films of D.W. Griffith, Cambridge (USA), Cambridge University Press,

179 p.

WILLIAMS Martin T., 1980, Griffith : First Artist of the Movies, Oxford, Oxford University Press,

171 p.

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Sitographie

BENNETT Carl (dir.), « The Painted Lady », Silent Era, dernière mise à jour le 2 septembre 2013,

http://www.silentera.com/PSFL/data/P/PaintedLady1912.html, consulté le 16 novembre 2013.

Table des matières

Introduction..........................................................................................................................................2

1 Montage.............................................................................................................................................2

2 Cadrage..............................................................................................................................................3

3 Narration............................................................................................................................................3

4 Jeu des acteurs...................................................................................................................................4

5 Rôles des intertitres...........................................................................................................................5

6 Fonctions des décors..........................................................................................................................5

7 Fonctions des accessoires..................................................................................................................6

Conclusion............................................................................................................................................6

Fiche du film The Painted Lady...........................................................................................................7

Bibliographie........................................................................................................................................7

Sitographie............................................................................................................................................8

Table des matières................................................................................................................................8

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