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Roger Parent THÉÂTRE ET IDENTITÉ I: DEUX APPROCHES AU THÉÂTRE PROFESSIONNEL RÉGIONAL 1  A comp ar ative study o f two the atre initiatives,one in Quebec and t he other in northern Ontario’ s francop hone comm unities, uncovers a surprising degre e of int ertextual ity in the commu nica tive pr actices deployed by the arti sts involv ed as they attempt to align regional pro-  fessio nal pr oductio n with the imp licit horizons of expecta tions spe- cic to their target aud iences. Both a rtistic pr ograms of action seem oriented towar ds what Juri Lotman has called an aesthetics of iden- tity whic h coul d expl ain, at le ast in pa rt, the un ity un derl ying th e recurrent elements identied in the strategies developed to create and to frame the theatrical experience. This two-part study endea v- ors to describe the artistic practices specic to the “aesthe tics of iden- tity, which Umberto Eco associates with current trends in postmod - ernism. The rst articl e documents th e appr oaches fo rmula ted by Yvon Barrette and Martin Fournier for La Troupe du Haut Pays in the Gaspésie region and by Brigitte Haentjens during her involve- ment with Fr anco-On tarian t heatre com panies. Analysis based largely o n the semiotics of commu nication for egrounds the differen t types and levels of structur al par allels betw een text and con text in rel ation t o thr ee descripti ve categories: the artistic self , the cultu ra l interp re ter and the conc ept of theatri cal ity . A second article then undertak es to refo rmula te these par allels in ligh t of Gr eimas theory of mo dal it ies an d h is semiotics o f si gni c ation. The su bse qu ent model su ggests tha t the in tertextua lity o f the artistic ap pr oaches studied stems from the communicative dynamics specic to the par- adigm o f exchan ge. L e théâtr e dans les sociétés occi den tales actue lles ne rejoint qu’un faible pour cen tage démographiq ue (Baumol et Bowe n 469; Throsb y et W ithers 100-101). Les statistiques varien t selon les pa ys et sel on le s études, mais l ’estima tion de Schechner se mbl e faire consensus: à peine deux pourcent des g ens seraien t pr êts à

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Roger Parent

THÉÂTRE ET IDENTITÉ I:

DEUX APPROCHES AU THÉÂTRE PROFESSIONNELRÉGIONAL1

 A comparative study of two theatre initiatives, one in Quebec and theother in northern Ontario’s francophone communities, uncovers asurprising degree of intertextuality in the communicative practicesdeployed by the artists involved as they attempt to align regional pro-

 fessional production with the implicit horizons of expectations spe-cific to their target audiences. Both artistic programs of action seemoriented towards what Juri Lotman has called an “aesthetics of iden-tity” which could explain, at least in part, the unity underlying therecurrent elements identified in the strategies developed to createand to frame the theatrical experience. This two-part study endeav-ors to describe the artistic practices specific to the “aesthetics of iden-tity,” which Umberto Eco associates with current trends in postmod-

ernism. The first article documents the approaches formulated byYvon Barrette and Martin Fournier for La Troupe du Haut Pays inthe Gaspésie region and by Brigitte Haentjens during her involve-ment with Franco-Ontarian theatre companies. Analysis based largely on the semiotics of communication foregrounds the different types and levels of structural parallels between text and context inrelation to three descriptive categories: the artistic self, the cultural interpreter and the concept of theatricality. A second article then

undertakes to reformulate these parallels in light of Greimas’ theoryof modalities and his semiotics of signification. The subsequent model suggests that the intertextuality of the artistic approachesstudied stems from the communicative dynamics specific to the par-adigm of exchange.

Le théâtre dans les sociétés occidentales actuelles ne rejoint

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arts en transition, la Conférence canadienne des arts s’inquiète dumanque de croissance dans le secteur artistique en général. Menéeen 1997 à tous les échelons gouvernementaux et auprès de plus de

deux cents artistes professionnels, cette étude conclut que la surviemême des arts dépend des liens significatifs établis avec les com-munautés desservies, que les organismes artistiques doivent élar-gir et approfondir leurs assises communautaires et mieux repré-senter la diversité culturelle du pays. De telles conclusions, lourdesde conséquences pour cet art public qu’est le théâtre, concordentavec les hypothèses d’Umberto Eco en matière d’esthétique.Faisant référence à la théorie de Lotman sur la pluralité des codes

artistiques, Eco constate que l’esthétique postmoderne du mondeoccidental s’oriente vers une esthétique de l’identité, appuyéedavantage sur les codes communs partagés par les sujets de lasituation de communication (Nöth 428). À l’autre bout du conti-nuum, Lotman situe l’esthétique de l’opposition, où un écart entreles codes de l’encodage et ceux du décodage provoque le rejet, lemétissage, ou la transformation des codes initiaux au moment dela réception (292-96).

S t t l théât d’ i t M lh t

Photo grâce à Intercom et Access Television.

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duction professionnelles complètement indépendantes l’une del’autre en termes de territoire et d’époque, ont développé un mar-ché pour leur produit dans une région nouvelle en poursuivant un

objectif commun: faire un théâtre sur mesure pour les gens dansleurs régions respectives. L’analyse qui suit juxtapose la démarched’Yvon Barrette en Gaspésie à l’intervention de Brigitte Haentjensdans les communautés franco-ontariennes dans le but de relever, àtravers les recoupements ou  patterns dépistés, certains principesqui ont pu régir et conditionner les rapports entre la production etla réception du message théâtral, y compris les procédés artis-tiques attribuables à une esthétique de l’identité. Défi supplémen-

taire: ni Barrette, ni Haentjens ne sont natifs du territoire qu’ilsveulent développer! Pour mieux cerner ces rapports complexesentre des identités individuelles et culturelles, entre des démarchesde création et une esthétique orientée vers les codes que partagentl’artiste et son public, notre étude fait appel à une troisième per-spective: celle de Martin Fournier, un acteur qui travaille sous ladirection de Barrette et qui vient de milieu desservi par la Troupedu Haut Pays en Gaspésie.2

Les entrevues avec Fournier et Barrette portent sur la démar-che artistique qui a mené au succès de leur spectacle Un village pour demain.3 Haentjens effectue un retour sur son expérienceavec La Corvée, La Vieille 17 et Le Théâtre du Nouvel Ontario. Sonentrevue fait référence à deux créations en particulier: La parole et la loi (1978-1979), et la première de Hawkesbury Blues (1982).L’analyse aborde ces entrevues comme des récits à déconstruire,préférant à cette fin l’optique d’une sémiotique de la communica-tion en raison de la récurrence des réflexions sur la fonction anti-cipée des pratiques artistiques décrites, leur portée communicati-ve, leur valeur esthétique et collective, et les normes artistiques etculturelles avec lesquelles ces équipes devaient composer.Plus pré-cisément, l’étude prend appui sur le modèle de communicationartistique proposé par Juri Lotman et sur le rôle primordial qu’ilattribue aux parallèles structuraux entre texte et contexte (90). Par

contre, une difficulté supplémentaire découle de ce choix. Conçupour expliquer la communication artistique dans un milieuti l ù l t t i l t ti ti i t t

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leurs partis pris esthétiques, de même que sur le type de réceptionrecherché auprès du public. Trois catégories descriptives servent àregrouper ces éléments selon leur fonction dans le schéma com-

municatif. Le «moi artiste» et «l’interprète culturel» désignentrespectivement les rôles de destinateur et de destinataire. Le pre-mier fait référence à l’individualité unique de l’artiste qui, encréant, se crée par l’entremise de ses choix esthétiques dans uncheminement essentiellement ontologique (Parent et Millar 39-41). Le deuxième signifie la capacité et la volonté de l’artiste à arti-culer ou à déjouer l’horizon d’attente de son public dans son tra-vail de création, à répondre ou à ne pas répondre à certains

besoins vitaux d’une collectivité. La notion de «théâtralité,» défi-nie dans son sens le plus large, désigne tout choix formel, asthé-tique, servant à rendre le message théâtral significatif pour unpublic (Parent 325).

L’analyse vise alors à repérer les parallèles structuraux entre lespratiques artistiques de l’équipe de Barrette en Gaspésie et cellesdes troupes dirigées par Haentjens auprès des francophones dansle Nord de l’Ontario. La comparaison de ces deux démarches auto-nomes, dans ces deux milieux culturels distincts, étonne d’abordpar l’ampleur inattendue des recoupements entre les récits analy-sés et par la dominance des points de convergence entre les procé-dés de création et de communication, comparativement aux diver-gences individuelles. Les pratiques regroupées autour du «moiartiste» révèlent trois étapes d’un processus évolutif grâce auquelles artistes s’enracinent dans un contexte socioculturel à partird’une oscillation entre identité et altérité.

Les trois artistes interrogés éprouvent d’abord une forte prisede conscience à la fois personnelle et professionnelle qui les amè-nent à s’identifier à un milieu précis pour créer et pour vivre, qu’ils

y soient natifs ou non. Cet engagement et cet enracinementdéclenchent et déterminent le travail de création subséquent.B tt di lô é d l’É l ti l d théât 1969 it

I. «MOI ARTISTE»

1. La reconnaissance d’identité

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ge qu’il incarne dans Un village pour demain, Fournier a d’abordquitté la ville de Matane en Gaspésie car il croyait son milieu inca-pable de lui offrir les moyens de se réaliser. Il a passé l’année 1993-

1994 dans l’Ouest canadien, en Alberta, où il a participé à un pro- jet de formation professionnelle en théâtre, en collaboration avecle Conservatoire d’art dramatique de Québec.4 Cette expériencel’a conscientisé face à ses propres valeurs et a mené à la redécou-verte de son milieu natal: «Je me suis rendu compte que je pouvaisdire les choses à ma manière.» De retour en Gaspésie, il a revu lemetteur en scène Yvon Barrette qui, depuis trois ans, dirigeait laTroupe du Haut Pays: «Je me suis vite rendu compte que c’était

exactement ce que je voulais, de la façon que je voulais le faireaussi.»

Dans les deux cas, le point de départ au processus créateurrelève d’une identification profonde à un contexte socioculturelprécis. Cette identification va de pair avec une distanciation pré-alable par rapport à son milieu natal que l’individu redécouvre,comme Fournier, ou qu’il renie en faveur d’un espace adoptif,comme Barrette. Le même phénomène se retrouve chez BrigitteHaentjens. Elle a quitté la France pour le Canada en 1977 avec l’in-tention d’y passer un an. Le Festival de Théâtre Action à SturgeonFalls en 1978 a fourni un choc initial et représente le point tour-nant de sa carrière théâtrale. Elle a découvert une culture franco-phone mobilisée par l’urgence de dire et de se dire, et elle y a passéquinze ans. Comme Barrette, Haentjens a entrepris une interven-tion théâtrale dans un milieu qui n’était pas le sien. Elle recherchaitun produit artistique à la fois rigoureusement professionnel etprofondément représentatif de son public. Dans ces trois instan-ces, la dynamique autour de l’antinomie identification/distancia-tion provoque le parallèle structural de base sous forme d’un coupde foudre par lequel s’opère une saisie intuitive du milieu et despossibilités qui lui sont inhérentes.

Dans les trois cas, le faire artistique se répercute sur l’être pro-fond de l’individu. Fournier, le comédien, crée Jules, le personna-E t f it di l’ t M

2. Une finalité ontologique

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découverte. Ainsi, les quinze ans passés auprès des francophonesde l’Ontario représentent,

[…] un long chemin qui m’a permis de me mettre aumonde comme artiste. C’est-à-dire que je suis passéetranquillement de la parole collective à la parole indi-viduelle. J’ai une gratitude énorme vis-à-vis du peuplefranco-ontarien, vis-à-vis des artistes franco-ontariens.Cette expérience m’a donné une grande permission defaire.

Cette identification mène ou prédispose ainsi à d’éventuels rap-ports de réciprocité: le «je» de l’artiste et le «vous» du public setransforment en «nous.» Par contre, l’expérience de Haentjens faitressortir la qualité presque inconsciente de cette évolution ontolo-gique: «J’avais comme un petit moteur dans le ventre qui m’ani-mait, qui me poussait en avant, mais ce n’était pas du tout réflé-chi.» Son récit illustre également de quelle façon la prise de cons-cience des valeurs sur lesquelles se bâtit un credo artistique au

cours d’une carrière arrive parfois après coup.Les catégories peircéennes de priméité, de secondéité et detiercéité permettent de rendre compte de la dimension intuitive dece phénomène (Fisch 262-267). Au niveau de la priméité ou de lasensation, les récits analysés démontrent de quelle façon la prise deparole théâtrale ressortie du choix d’un lieu, d’un contexte, et d’unmilieu repose sur un dialogue implicite et intuitif entre le mondeextérieur d’une communauté en particulier et l’univers intérieur

de l’artiste. La réalité de ce milieu et les faits concrets qui lui sontinhérents servent, au plan de la secondéité, d’écran favorable àl’extériorisation recherchée par l’artiste. Une  gestalt ou une saisieinstinctive et profonde de ce milieu constitue ainsi la conditionsine qua non de ce credo artistique qui s’articulera par la suitedans, et à travers, la tiercéité du signe théâtral. Dans ce sens, leschoix artistiques deviennent déjà porteurs de signification et d’i-déologie, non pas par rapport au message théâtral, mais à la méta-

communication voulue avec un public précis.Dans ce cas-ci, les trois artistes optent en partant pour un

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définit autour de cette proposition et conditionne la réception desœuvres à venir. En assumant sa liberté individuelle et sa capacitéde créer, chacun de ces artistes pose les paramètres du rapport

voulu avec le public éventuel, qu’il aborde comme un partenaire,comme un co-créateur capable d’assumer son autonomie et sespouvoirs de transformation. On peut alors se demander si l’en-semble du parcours artistique ressorti de cette prémisse trouve soncorollaire dans le cheminement parallèle des communautés impli-quées. En appuyant la démarche des artistes par sa participationaux représentations théâtrales, la communauté desservie acquiert-elle une conscience grandissante d’elle-même à mesure que des

textes oraux et écrits articulent les composantes latentes de cetteicône autoréférentielle, cette image de soi qui définit, souventintuitivement, ces «traits différentiels qu’elle se reconnaît et qu’el-le souhaite voir reconnus par l’autre» (Francoeur 81)?

Cette réciprocité embryonnaire, ce vécu assumé et partagépar les sujets de la communication, par l’artiste et le milieu adop-té, ouvre la porte à des parallèles structuraux entre le travail decréation envisagé, le vécu des artistes, et le vécu collectif des spec-tateurs. Barrette développe particulièrement ce parallèle commefondement du premier niveau de signification du spectacle ou duproduit ressorti du processus créateur et des stratégies communi-catives qui se mettent en place. Il précise que le travail théâtraldevient significatif pour les spectateurs dans la mesure où il l’estpour les comédiens.Réciproquement, pour que la création évoqueou fasse corps avec le macrocosme du milieu, l’équipe d’artistesqui y travaille devient en quelque sorte le microcosme de la cultu-re desservie. L’implication artistique mène à un certain engage-ment social, c’est-à-dire une conscience des forces sociales quiconditionnent, pour le meilleur ou pour le pire, le devenir de lacollectivité.

Les comédiens de la Troupe du Haut Pays vivent le «message»

du spectacle dans le cadre de leur vie quotidienne hors scène.Fournier donne l’exemple de la scierie issue, à la suite de nom-b diffi lté d’ t é tif d é i

3. Les relations intersubjectives

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dimension interculturelle à la problématique. Il n’est pas de Matanemais a choisi d’y vivre en tant qu’artiste, en dépit d’une carrièreréussie à Montréal, afin de desservir cette «ligne de village» peu

achalandée par l’industrie touristique, pour «donner aux gens legoût de s’exprimer et de faire ce qu’ils aiment, en toute simplicité.»Cette intègration de l’artiste à un lieu géographique par rapport àun eventuel théâtre de création théâtrale constitue un choix dra-matique en soi. Il se place volontairement en marge des grands cen-tres, du théâtre conventionnel et de cette «espèce de grosse machi-ne qui fait vivre un très faible pourcentage d’acteurs.» De plus, larégion adoptée se trouve économiquement défavorisée. Ensemble,

le risque de l’individu et la situation socioéconomique de la collec-tivité constituent une mise en intrigue initiale (Ricoeur 66-104)pour le schéma narratif de l’éventuel spectacle.

Orienté déjà vers une approche alternative au travail théâtral,Yvon Barrette doit créer et former une troupe d’artistes sur placepour réaliser sa vision artistique. La saisie intuitive des possibilitésde développement s’articule maintenant, au niveau de la secondéi-té, en faits, en gestes, et en actions. Contrairement au «star sys-tem,» Barrette bâtit un jeu d’ensemble avec ses apprentis comé-diens qui découvrent comment «placer le spectacle au-dessus deleurs têtes et créer, de cette façon, quelque chose de magique.»Lorsqu’il est communiqué à d’autres, le concept du «moi artiste»provoque un effet multiplicateur.

L’approche collective de la Troupe du Haut Pays au travailthéâtral se veut également significative au plan social: «C’est lamême démarche. Puis c’est une démarche vers le retour à la sim-plicité: non plus viser une réussite personnelle, mais une qualité devie pour tous les gens qui nous entourent.» En passant par l’orga-nisation d’une troupe, le credo artistique de Barrette devient uneréalité concrète. Inversement, cette réalité devient signe du credoqui l’alimente. Pour les comédiens, ce processus devient aussi por-teur de signification et amorce les références idéologiques pour letexte scénique. Cette création se définit progressivement dans le

concret par une démarche qui, en se communiquant, se prolongeet passe de l’individu au collectif. Le «je» d’un individu devient led’ t E ê t tt h t à

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démontre, par ses choix et son comportement, son intention véri-table de rentrer dans la communauté pour créer à partir du pointde vue culturel de cette région.

Cette intervention du metteur en scène/animateur ressemble àcelle des romanciers qui alimentent l’écriture grâce à la collabora-tion des recherchistes.Avec la Troupe du Haut Pays, cette contribu-tion ajoute à la sémiosis en cours et la contextualise en l’enracinant.Les acteurs incarnent leurs recherches et leurs observations dans le jeu. Cette intimité entre le vécu des comédiens et celui des specta-teurs assure la toute première identification du public à une parolethéâtrale qui pourrait tout aussi bien venir «de cousins qui vivent la

même affaire qu’eux-autres.» Le «nous» des artistes se fusionnealors au «nous» de la communauté. Le positionnement stratégiquede la troupe face au travail théâtral et à la communauté prédisposedéjà à la représentativité de la création, indépendamment de toutprocédé de vraisemblance ou de traitement «réaliste» dans le texte.Le processus dialogique entre le «nous» des artistes et le «nous» dela collectivité lors du spectacle se trouve déjà en place, fondé sur laconfirmation et la découverte mutuelles d’identités communes etrespectives qui expliquent, par la suite, la croissance dialectiqueentre l’évolution du milieu et celle de l’artiste.

La création culturelle commence lorsque l’artiste capte auplan de la priméité, de l’intuition, une correspondance entre sesaspirations artistiques et le non-dit collectif d’un milieu, sesbesoins, et ses attentes latentes. La valorisation du non-verbal et dunon-dit comme source première de la prise de parole individuelleet collective situe le travail de création au cœur de la probléma-tique culturelle de ce milieu et lui confère une signification pre-mière par rapport à la fonction socioculturelle assumée par l’artis-te: celle de dire, de nommer, de représenter. Plus la pression de cenon-dit se fait sentir, comme refoulement, comme transgression àéviter, plus le besoin culturel qui le motive risque d’être important.

Les actions culturelles entreprises par Barrette en milieurégional au Québec et celle de Haentjens auprès des Franco-

Ontariens comportent ainsi de nombreuses ressemblances. Larelation établie avec leurs publics respectifs se trouve d’aborddét i é ll l ti t dé l t t

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On avait l’impression d’inventer un monde, d’avoir toutdevant nous, d’avoir un immense espace à bâtir. Il y avaitune grande joie. Je dirais aussi un grand sentiment d’uti-lité publique et une ivresse extraordinaire, un sentimenttrès fort de famille avec les gens créateurs de l’Ontario.

Cette volonté commune qui unit plusieurs artistes autour d’un

parti pris leur assure, en dernière analyse, un sens d’identité etd’appartenance qui devient ensuite le point de départ des liens decomplicité tissés avec le public. Ce type d’orientation évite égale-ment la prétention «d’apporter de l’art à une population,» surtoutlorsque le projet de création vise à répondre aux besoins demilieux culturels défavorisés, privés de moyens légitimes d’expres-sion face à eux-mêmes et à d’autres communautés.

Dans ce contexte, les artistes doivent être particulièrement

habiles à reconnaître les indices de culture d’un milieu où lesapparences sont trompeuses. Sous la pression de normes sociales

Le Théâtre du Nouvel-Ontario, 1988. Le Chien par Jean Marc Dalpé. Mise en scènepar Brigitte Haentjens. De gauche à droite: Marthe Turgeon et Roy Dupuis.Photo: Jean-guy Thibodeau.

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La dimension ontologique du «moi artiste» débouche sur l’impé-ratif du faire, pas au plan de la performance mais au niveau du rap-

port communicatif entre les artistes et le milieu, c’est-à-dire lamétacommunication. L’artiste doit faire preuve de compétencecommunicative, d’une capacité à interpréter la culture en fonctiondes normes et des besoins collectifs englobants et profondémentenracinées du milieu de façon à structurer une expérience esthé-tique syntonisée sur cet horizon d’attentes latentes. Pour établir celien dialogique authentique avec le public visé, le comédien doitpouvoir, et vouloir, s’identifier à une réalité extérieure, et y voir lesreflets du monde intérieur qu’il cherche à évoquer. En d’autresmots, pour qu’il «parle» au milieu, ce milieu doit lui «parler.»L’esthétique de l’identité n’accorde pas la priorité à la virtuosité etlaisse peu de place à l’opportunisme. Pas question non plus de«parachuter» un spectacle gratuitement dans un contexte pourrentabiliser une tournée en région. Au contraire, les récits de viedes artistes, ainsi que ceux des gens à qui ils s’adressent, contien-nent déjà la matière première de la représentation théâtrale en voiede création. La recherche de soi et de son art mène à la rencontrede l’autre, des autres. La poétique du spectacle trouve ici sa genèsedans la transposition théâtrale des référents culturels connus etpartagés.

Le spectacle Un village pour demain est fait sur mesure pour

les villages en région au Québec, particulièrement ceux de laGaspésie. Il y a enracinement du message théâtral dans une rela-tion communicative précise, où le temps et l’espace de la fictiondoublent le temps et l’espace de la vie communautaire. Cet ancra-ge se transforme en moteur dramatique. Le vrai conflit n’est pasfabriqué dans l’intrigue du microcosme scénique; il est vécu,omniprésent dans le macrocosme de chaque village: taux de chô-mage élevé, fermetures d’entreprises importantes, démobilisation

de la population, peu d’aide à l’emploi.La finalité du spectacle viseun renversement des rôles communicatifs. L’originalité et la valeurd l é i i d l i l d l i

4. Le faire communicatif

II. L’INTERPRÈTE CULTUREL

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Notre rôle auprès du public, c’est de l’écouter, de toujoursêtre à l’écoute, de toujours avoir cet échange-là. Et ça faitdu bien aux gens de voir un spectacle qui leur ressemble,

qui les prend en considération, de voir des comédiens quine sont pas au-dessus d’eux.

La Troupe du Haut Pays continue ce processus par une animationaprès le spectacle. Par la prise de parole ainsi déclenchée, le publiccontinue l’histoire dramatisée et commence peut-être à prendre enmain la sienne, hors scène. L’expérience théâtrale veut déclencheret stimuler la créativité des spectateurs pour possiblement stimu-

ler l’amélioration de la qualité de vie en région. L’ancrage du spec-tacle dans une problématique régionale n’enlève pas pour autantsa portée dite «universelle.» Joué pour des gens du Nicaragua, duGuatemala, où la troupe a été invitée, Un village pour demaindémontre, une fois de plus, que la concrétisation spatio-temporel-le de l’événement dramatique n’exclut pas la communication avecd’autres publics et d’autres cultures marginalisés; plutôt, elle lafavorise.

L’intervention artistique de Haentjens nous renseigne sur l’in-fluence que peuvent exercer les rapports entre cultures «minorita-ire»5 et «majoritaire» dans une esthétique d’identité. La situationd’infériorité numérique de la francophonie ontarienne et la discri-mination sociale systémique subie agissent, dans son cas, commecatalyseurs à la création. Le statut de non-culture, caractérisé sou-vent par le chaos et par le manque de structures appropriées, génè-re un grand besoin d’expression et de création, besoins vitaux 

auxquels les artistes de toutes les disciplines, dont ceux du théâtre,ont cherché à répondre à ce moment-là: «D’abord, on était touchépar l’oppression, pas parce qu’on avait une grille socialiste, maisparce qu’on voulait vraiment parler des mineurs, pas des bour-geois.» Dans ce processus, le fait d’être Française, d’avoir vécu salangue et sa culture dans un contexte «majoritaire,» s’avère unavantage.

Ne s’étant jamais sentie diminuée par rapport à sa langue et à

sa culture, le droit d’exister en français va de soi pour Haentjens. Illui est alors facile d’entrer dans la lutte des Franco-Ontariens. Sa

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rale. En fait, j’étais baveuse, extrêmement baveuse. J’étais arrogan-te même.» Dans ce cas-ci, l’attitude prend une forme agressive,poussée par l’urgence de dire et de faire dans le milieu choisi.

Comme des cercles concentriques qui se rétrécissent progres-sivement, la fusion entre l’identité de la compagnie artistique etcelle du milieu se concrétise à travers une série d’interventions deplus en plus ciblées et précises. La façon systématique et conscien-te par laquelle la Troupe du Haut Pays établit le contact avec unenouvelle communauté provient de la valeur qu’elle accorde à un

processus d’apprivoisement réciproque par lequel le comporte-ment des artistes dans le milieu hôte encadre déjà la significationtextuelle du spectacle. Cette signification se communique à traversle mode d’être et de faire de la troupe avant même de monter surles planches, une signification qui valorise d’abord et avant tout larelation entre les artistes et les gens de la région. L’intervention pri-vilégie les rapports interpersonnels hors scène avant et après lespectacle et accentue ainsi la création d’une métacommunicationentre les futurs participants à l’événement théâtral. Le temps del’intervention théâtrale ne se limite pas, alors, au moment de lareprésentation. Le rapport métacommunicatif voulu par les artis-tes avec la population de la région se réalise à travers un rapportdialogique, une interaction qui illustre et qui fait la démonstrationimplicite des valeurs véhiculées par le spectacle. Les attitudes et lesgestes de la troupe communiquent par ostension quatre valeursconsciemment articulées dans le credo collectif de la troupe: éga-lité, complicité, partage, et solidarité.

Par contre, pour Haentjens, ce sentiment de culture et d’iden-tité à articuler, à extérioriser en signes, se trouve davantage quali-fié par la compréhension que cette culture n’était pas celle desartistes mais celle de la collectivité, que cette culture est autono-me et qu’elle existe préalablement à toute expression qui tente d’enarticuler la spécificité: «la culture n’a pas besoin de nous mais [...]

c’est quand même extraordinaire. C’est comme si on bâtissait unpays.» Avant de penser au traitement artistique d’un spectaclet l il f t d’ b d dé l d t té i i t

5. La structuration de l’échange

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de création et d’improvisation (Bessai 63-65). Haentjens signale lavaleur des activités qui permettent le contact émotif et direct avecle public éventuel et avec les jeunes artistes du milieu. À cette fin,

l’animation et les ateliers de formation s’avèrent particulièrementefficaces puisque ces activités prédisposent à la création deréseaux: «C’est à la fois de toucher des individus et de les toucherpar le biais d’un spectacle ou les toucher par le contact avec unartiste lors d’un atelier ou d’une rencontre.»

Haentjens constate néanmoins le caractère incomplet de tellesstratégies à cause du contrôle exercé par l’élite sur l’expression cul-turelle d’un milieu: «C’est que malheureusement, on n’avait pas

accès au peuple autant que l’on voulait.» L’orientation vers unthéâtre véritablement «populaire» place Haentjens et ses artistesen situation de confrontation avec les structures de pouvoir dansla région. Ses interventions se trouvent bloquées par l’élite franco-phone, les «embourgeoisés de la cause» et de leurs organismes dedéveloppement, d’où l’inaccessibilité au «vrai monde.» Elle ditavoir découvert, tardivement, qu’il n’y avait pas une communautéfranco-ontarienne, mais plutôt le peuple et l’élite qui, à cetteépoque, était particulièrement conservatrice: «Dans le fond, [lesmembres de l’élite] ne voulaient pas de changement dans la com-munauté franco-ontarienne. Ça, c’est un autre problème. C’est-à-dire que l’élite a intérêt à maintenir la masse opprimée.» Cetteorientation du travail théâtral vers le petit peuple, les ouvriers sur-tout, et ces rapports d’oppression que les artistes voyaient dans lemilieu, ont donné une connotation politique et socialiste au travailde création, aliénant ainsi les artistes d’une partie du public: «Oncommençait à rebiffer par rapport à notre approche.»

Le manque d’accès à la communauté qu’elle voulait rejoindreconstitue pour Haentjens «la déception, la chose la plus difficile àavaler.» Elle n’y voit qu’une solution possible: «travailler dans lacommunauté.» Avec ce propos, les projets artistiques de Haentjenset de Barrette se recoupent de nouveau: pour savoir et pouvoirparler d’un milieu, il faut y travailler. Il faut y vivre. Surtout, il faut

en avoir assumé le drame, la mise en intrigue collective d’un tempset d’un espace.

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aux signes du début et de la fin de la représentation théâtrale. PourYvon Barrette et ses comédiens, l’arrivée au village et la logistiquede l’hébergement présentent déjà aux artistes l’occasion de déve-

lopper, à travers leur mode de comportement, le type d’échangevoulu. Tout devient prétexte à la manifestation de cette intention-nalité. Le soir du spectacle, les comédiens accueillent le public à laporte et montent le décor pendant que la salle se remplit, au pointoù parfois les spectateurs se demandent: «À quelle heure les comé-diens vont-ils arriver?» Après la représentation, l’animation bou-cle le processus communicatif en donnant la parole aux specta-teurs, non seulement à l’oral mais aussi par écrit. Cette rétroaction

clôt la dynamique communicative de l’événement dramatique entant que tel.

Ce type de complicité est d’autant plus important que latransgression du non-dit dans une communauté risque de placerl’artiste-créateur en situation de conflit avec les agents et les struc-tures de pouvoir dont la fonction consiste précisément à mainteniren place cette interdiction à la parole. Inversement, l’expérience deHaentjens lui démontre jusqu’à quel point le théâtre, par la naturemême des fictions qu’il dramatise, peut devenir ce lieu privilégiéoù lever le voile sur les réalités enfouies d’un milieu. Le fait quecette expression se fasse sous l’égide du «si» d’un récit rend le pro-cessus plus acceptable émotivement et socialement. Le messageobéit aux normes tout en ayant le potentiel de défier les limites àl’expression et d’évoquer les possibles dans l’imaginaire de sonpublic. L’art peut ainsi servir de soupape saine à la pression exer-cée par le non-dit, particulièrement dans une situation où lesbesoins vitaux d’une culture, et des individus qui s’y trouvent, sontnégligés: «C’était vraiment du domaine les yeux pleins d’eau, uneforme de gratitude d’avoir nommé. Par exemple, nommer la dou-leur. Ça reste tellement mystérieux pour moi ce domaine-là.»

Ces artistes n’apportent pas le théâtre à une région. Ils l’enra-cinent dans un milieu et le créent sur mesure. Ils veulent faire écla-ter le théâtre qui s’y trouve déjà, à l’état latent. Dans le théâtre de

création, il n’y a pas de prêt à porter. De ce processus provient l’u-nicité même et la valeur du produit artistique qui en ressort.C é t l d t ’il t t l t

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les cloisons qui existent entre les individus qui assistentau spectacle, un théâtre qui donne accès à l’autre. Que cesoit par l’émotion, par le rire ou par la parole qui peut

être partagée avec la collectivité qui assiste au spectacle.

Ce décloisonnement ouvre véritablement la porte à l’échange et àun rapport de réciprocité qui permet aux artistes et aux spectateursde devenir tour à tour créateurs et observateurs: «Tout d’un couples spécialités sont brisées. La spécialité d’être un public ou d’êtreun artiste, un acteur, bref tout ce qui fait qu’on est tout seul.» Ensomme, ces deux directeurs se font écho dans leur quête d’un théâ-

tre qui, dans les mots de Barrette, «dans le fond, n’en a pas l’air.»

Le spectacle sert à communiquer la prise de conscience initia-le de l’artiste au public pour que ce dernier se l’approprie. La fonc-tion de l’expérience théâtrale consiste alors à provoquer un renver-sement de rôles par l’entremise de cette prise de conscience pourque la fin de l’expérience artistique fasse clairement référence à une

création collective plus grande. La dominance de la norme esthé-tique dans ce processus vise l’excellence professionnelle puisquedans la hiérarchie des valeurs, il ne semble pas question de subor-donner le travail théâtral à un «message social.» Par contre, lavaleur du spectacle en tant que performance se définit en fonctionde sa capacité de contribuer à l’évolution d’un milieu par l’entre-mise d’une expérience artistique puissamment vécue et dont lepublic demeure, en dernier lieu, juge ultime.

Le travail théâtral de Haentjens vise à encadrer l’expériencethéâtrale pour provoquer une rencontre permettant «autant aux acteurs qu’au public de trouver l’enfance.» Sa démarche et celle deBarrette se complètent puisqu’ils recherchent essentiellement lemême but. Pour y parvenir, ils partent aussi du même point. Poureux, la signification ou la portée sociale et esthétique du spectacle àcréer relève d’abord du rapport voulu et entretenu par les artistesenvers le public, ce que Haentjens appelle «l’attitude.» La crédibili-té et l’acceptation de l’artiste dans le milieu constituent l’impératif préalable à sa crédibilité sur scène Le comportement communica-

III. LA THÉÂTRALITÉ

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une importance accrue à la métacommunication préalable etindispensable à la réception du message. «L’attitude» et les straté-gies d’animation élaborées par ces artistes constituent de véritables

perches visant à signaler une volonté de complicité avec les com-munautés auxquelles ils s’adressent.

La Troupe du Haut Pays appuie la portée significative de sadémarche sur la fonction sociale qu’elle s’accorde auprès du public.Selon Martin Fournier, l’important consiste à toucher les gens «dansce qu’ils sont, dans leurs racines» et d’éveiller chez eux les qualités et

les valeurs qui, dans le passé, ont assuré la survie de la collectivité: «Ily a beaucoup de sortes de théâtre, mais les gens ne se reconnaissentpas nécessairement dans les personnages. Tandis que là, avec Unvillage pour demain, les gens disent,“Merci de m’avoir joué.”»

Cette finalité n’implique paspour autant un mimétisme simplis-te, un traitement «tranche de vie»ou un discours idéologique. Lacharge sémantique véhiculée par cespectacle demeure subordonnée aux impératifs du traitement drama-tique et de l’expérience artistique.Pour que s’accomplisse la fonctiondite idéologique de la représentationthéâtrale, la catharsis passe impéra-tivement par la fonction esthétiquequi se spécifie en création de signifi-cations nouvelles: «C’est un théâtrequi redonne aux gens le goût, ledroit de rêver parce qu’on leur rendce droit-là.»

Sens nouveau ou renouvelle-

ment du sens existant, cette expérien-ce se situe, tant pour les artistes quel bli d i t

7. L’encadrement du spectacle

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non-dit au dit comporte un risque accru dans le contexte minori-taire, si les rapports interpersonnels y jouent généralement un rôleplus important que dans l’anonymat des grands centres urbains, si

la vulnérabilité ressentie par la minorité face aux représailles éven-tuelles de la majorité intensifie cette peur, l’art trouve ici son armela plus puissante dans sa propre autonomie. En d’autres mots, ledépassement des contraintes fixées sur l’expression culturelle parles instances du pouvoir s’effectue grâce à la nature même de lacommunication esthétique.Par exemple, Haentjens cadre la repré-sentation théâtrale en rapport avec la langue parlée du milieupopulaire. De plus, elle aligne le traitement proposé en rapport

avec l’oralité de cette culture en raison de la «grande tradition deconteur en Ontario, comme probablement dans tous les paysminoritaires, puisque la transmission de la langue est orale.»

La métacommunication tissée entre la troupe et le milieu horsscène n’agit pas seulement avant et après le spectacle. Son effetstructurant se poursuit durant le temps de la représentation, carelle a déjà conditionné l’interprétation que se fera le public de cetteperformance. Le spectacle concrétise davantage le code de valeursdéjà manifesté dans le comportement des comédiens.

Dans Un village pour demain, le dispositif scénique traduit auplan de la scénographie cette recherche d’égalité présente dans lesrencontres préalables au spectacle. Le plateau ne fait qu’un pied dehaut. Le spectateur se trouve placé très près de l’aire du jeu: «Ilsn’ont jamais vu des acteurs aussi proches. C’est ça qu’on travaille:être des êtres humains. Tout est ouvert.» Une petite scène, d’undiamètre de douze pieds, traduit cette volonté de ramener le théâ-tre à une dimension humaine, de créer un rapprochement propiceà l’échange et à une atmosphère de complicité. La scène en rond,dépouillée, donne l’effet de rituel, de sacré. L’événement drama-tique peut commencer.

La mise en scène de Barrette est plutôt la mise en spectacle

d’un événement. Le drame véritable provient du fait qu’une com-munauté se trouve placée en situation de communication par rap-t à ll ê t à i L lité é lit i h hé

8. L’entropie et la valeur culturelle

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ler. On arrive les six, un à côté de l’autre sur scène. Puis les genssavent qu’il va se passer quelque chose.» Le travail préalable dansl’étape du «moi artiste» se concrétise maintenant dans un jeu d’en-

semble de qualité pour consolider le processus d’identification.Barrette définit son esthétique théâtrale comme la recherche d’unthéâtre qui se masque pour mieux démasquer: «J’enlève lesmasques. J’amène les gens qui travaillent avec moi à ne plus jouer,à vivre les choses simplement. Cela étonne. Les gens me disentaprès,“On n’a jamais vu ça!”»

Yvon Barrette attribue le succès du spectacle Un village pour demain au potentiel communicatif du jeu de l’acteur, à sa capacité

d’évoquer et de représenter un vécu collectif par l’entremise del’authenticité des personnages présentés sur scène:

Je pense que je n’ai jamais rien fait avant cette expérien-ce-là qui m’a amené aussi près des gens. Ils sont chez eux.Ce qu’ils voient sur scène, ça pourrait se passer dans leurcuisine ou ça s’est passé dans leur cuisine. Il y a cette inti-mité-là qui est créée tout de suite.

Les histoires que vivent les personnages ne sont que trop connuesdu public qui y voit des réalités qu’il aurait préféré oublier or refou-ler. Le fait de voir ces drames transposés sur scène constitue cepen-dant en soi une valorisation du vécu en question. Confirmé dansson être individuel et collectif, le spectateur définit sa propre inter-prétation du spectacle, une signification pour lui, pour sa vie. Laconfirmation d’identité devient une prise de conscience, essentielle-

ment la même que la troupe avait vécue dans son propre chemine-ment.

La signification du spectacle jaillit de ce nouveau contexte, dece parallèle qui se révèle enter l’histoire de la troupe et celle dupublic: tout comme les comédiens se sont serrés les coudes pourcréer, la communauté peut puiser dans ses ressources pour amé-liorer sa qualité de vie. Le parcours représenté dans le microcosmescénique vise à éveiller la volonté et la capacité d’agir de la collec-

tivité. Barrette constate ainsi la réalisation de ses objectifs artis-tiques. La représentation théâtrale devient le signe de ses propres

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voquer une prise de conscience semblable chez le public quant aupotentiel d’une région qui, en dépit de problèmes socio-écono-miques, «offre de l’espace pour créer.» Le signe théâtral joue alors

le rôle d’intermédiaire entre un destinateur et un destinataire quipeuvent maintenant changer de rôles et échanger sur ce dramedans lequel leur enracinement géographique les engage mutuelle-ment. Une création en appelle une autre. Celle de la troupe se veutévocatrice d’une prochaine, plus grande et plus importante de lapart de la communauté.

Le ton n’est pas didactique. Préférant la qualité d’être avanttout, la démarche de Barrette recherche plutôt les fondements

anthropologiques de la situation présentée: «On parle d’êtreshumains qui ont besoin de se serrer les coudes, qui doivent le faires’ils veulent s’en sortir. Puis, ça, c’est à la grandeur de la planète.»Le spectacle évoque tous les villages du monde.

La complicité créée par les nombreux parallèles entre scène etsalle durant la représentation prépare la prochaine et dernièreétape de l’intervention. La période d’animation apporte unecontrepartie dialogique à la dramatisation qui vient de se termi-ner. Les comédiens, en ayant communiqué leur vécu, veulent ame-ner le spectateur à prendre conscience du sien et à le partager.L’intentionnalité de l’événement dramatique ne se trouve pas dansle texte mais provient plutôt de l’expérience d’un décloisonnemententre individus dans le contexte de communautés qui ont peut-être arrêté de se parler, aux prises avec l’effet démoralisant de ladépression économique et des problèmes familiaux et personnelsqui en découlent. Il s’agit d’un dialogue qui n’est pas gagné d’a-vance, ni facile à entamer et à maintenir, d’où l’importance straté-gique des bases posées au préalable pour établir ce climat deconfiance et de transparence. Le dénouement véritable du drameévoqué ne se trouve pas dans le texte mais dans une action futureque la fiction évoque dans une progression de l’être au faire, enpassant par le dire d’une parole assumée, découverte.

Contrairement au théâtre «engagé» qui a souvent caractérisé

l’époque de la création collective (Bessai 15-37), la Troupe duHaut Pays n’utilise pas la représentation d’un problème socialét t à l ti idé l i é L lid

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Selon Barrette, la valeur opératoire de la démarche vient dufait que le spectacle et toutes les activités d’animation qui l’entou-rent répondent à un besoin fondamental, primaire, chez le public

aux plans de la communication et de la confirmation d’identité:«Ils sortent de la salle. Ils n’ont pas besoin de se demander ce qu’ilson vu. Ils ont tout compris. Puis ils se sont reconnus. Cela leurdonne le goût de continuer ce qu’ils avaient commencé ou dedémarrer quelque chose.» La démarche crée une atmosphère pro-pice à la parole pour ensuite faire éclater les mots que les specta-teurs portent en eux.

Optique semble chez Haentjens, pour qui la vérité du jeu théâ-

tral passe aussi par le corps du comédien. Utilisé dans un contexteminoritaire ou socialement désavantagé, ce principe donne lieu àdes parallèles puissants entre le non-verbal de l’artiste sur scène etle non-dit ou le mode d’être d’une collectivité. Dans ce sens, lesméthodes de travail de Haentjens rejoignent celles de Barrette. Auplan de la mise en scène, les deux visent à pousser le travail corpo-rel du comédien au-delà de la simple création de personnages.Haentjens se dit fascinée par la façon dont se transforme le corps del’acteur dans et à travers son rôle d’intermédiaire entre le public etl’univers fictif: «Il y a la notion d’un corps offert, offert au public,qui sert de véhicule à la parole et que sert de résonance au public.Donc je pense que formellement ça jouait beaucoup ce rapport-là.»L’expérience de Haentjens lui montre également le parallèle étroitentre la confirmation de l’identité d’un public et le passage du non-dit au dit, de l’invisible au visible: «Un des syndromes du sentimentde minorité c’est justement l’invisibilité. Faire un théâtre qui parledes gens, qui les rend visibles, c’est leur donner une identité.» Cetteréflexion cerne, à notre avis, un des principaux ressorts du déve-loppement culturel par l’entremise d’un art.

En dépit de ces préparatifs, la communication théâtrale passenécessairement par le creuset du spectacle et demeure soumise à

des normes esthétiques, à l’impératif de la performance. Dans cesens, il est réducteur et simpliste d’associer un mandat culturel etid tit i à théât d t t i à l dé

9. L’échange et la performance

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la fonction et à la valeur signalétiques du texte artistique (Lotmanet Pjatigorskij 205) acquiert une importance accrue en «milieuminoritaire» où s’impose, peut-être encore plus qu’ailleurs, l’im-

pératif de l’excellence: «Je me rappelle avant c’était très très impor-tant d’être très, très bon. Il fallait que ça soit un jeu vrai. Et ce jeuétait d’abord un jeu physique.»

Cette valorisation du corps signifiant de l’acteur signale l’ap-port du métier et les multiples influences artistiques par lesquelsl’artiste réalise l’écriture scénique d’un vécu collectif. Haetjensévoque sa propre recherche artistique et une formation profes-sionnelle axée sur les procédés de poétique corporelle que «finale-

ment Lecoq a révélés mais qui appartiennent à ce que je suis.»Ainsi, l’expression théâtrale d’une identité collective n’oblige pasnécessairement au réalisme mais, au contraire, ouvre la porte àdivers traitements spécialisés, mettant au défi les ressources mêmede l’art. Selon Haentjens, cette poéticité théâtrale, commencéedans la vérité du jeu d’acteur, part de son ancrage dans le récit devie et l’observation pour en effectuer la transposition artistiquedans l’espace, les rythmes, et la dynamique d’un univers théâtralparticulier. Au fur et à mesure que le spectacle se définit, un uni-vers fictif se précise sur un arrière-plan de genres dramatiques:«Les styles de jeu qu’on empruntait, qu’on avait appris chez Lecoq(le clown, la commedia et tout ça) ont, en fait, beaucoup à faireavec le conteur. C’est comme si on y retrouvait les racines mêmedu théâtre.» Plus le spectacle trouve ses racines, ses référencesdans le réel ou dans ce qu’on pourrait appeler le langage des cho-ses, plus alors les diverses transpositions deviennent possibles. Duréalisme le plus minutieux au théâtre de l’absurde, la significationde ces traitements provient de la contextualisation du spectacledans le temps et dans l’espace d’une collectivité. Ainsi, le rire pro-voqué par le jeu d’un clown éveille la reconnaissance en soi, etchez l’autre, du visible représenté. Par l’entremise de cette recon-naissance, une collectivité peut trouver la confirmation de sonmode d’être, ses folies, ses drames, et souffrances. Elle comprend

que ses récits ressemblent aux comédies et aux tragédies d’autrescommunautés.Le genre constitue ainsi un moyen d’essentialiser etd’ i li é L édi dét h d t h

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lyse révèlent une intentionnalité sous-jacente cohérente et cons-ciente chez les artistes à rechercher des points de repère ou desparallèles entre les structures textuelles de leurs créations et les

référents extratextuels du milieu. Au-delà des positionnementsidéologiques et historiques qu’elles véhiculent et exemplifient(Beddows 64-65), ces approches théâtrales constituent d’abord etavant tout des démarches de communication qui auraient pu ser-vir aussi à véhiculer d’autres idéologies dans d’autres types decontextes. Chaque étape du parcours décrit accentue les rapportsentre le produit en développement et des besoins collectifs précis,intégrant les parallèles structuraux à tous les niveaux de l’écriture

scénique. Les procédés regroupés dans les catégories descriptivesdu «moi artiste» et de «l’interprète culturel» établissent une réci-procité initiale entre le «vouloir-être» et le «savoir-être» dans lesrelations intersubjectives que tissent les artistes avec le public. Aufur et à mesure que les points de convergence se définissent et seconcrétisent entre ces vécus respectifs, l’apprivoisement intuitive-ment ressenti s’extériorise en gestes, en parole, en signe. Mêmeprocessus autour des centres névralgiques de la vie collective,c’est-à-dire les normes et les valeurs propres à ce milieu. Les artis-tes cadrent ainsi la dramatisation dans une perspective communequi aligne le point de vue de la collectivité au leur dans l’encodageet le décodage du spectacle.

On retrouve essentiellement ce même procédé de doublefocalisation dans d’autres spectacles du même genre:

One of the greatest of Theatre Passe Muraille’s accom-

plishments in The Farm Show  was the achievement of this double audience perspective through its manner of addressing both an immediate and an extended audien-ce. (Bessai 67)

Dans un cas comme dans l’autre, les artistes investissent et s’inves-tissent dans le développement d’un rapport authentique avec lemilieu au plan de la métacommunication comme préalable

indispensable à l’écriture du spectacle:

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La compétence artistique dont l’équipe de production doit fairepreuve dans sa performance ressort de cette rencontre entre lesavoir-faire du milieu et celui des artistes qui, par l’ostension pro-

pre à la communication théâtrale, incarnent et reflètent le milieu àlui-même, tout en le transformant symboliquement par l’interpré-tation qu’ils en font et qu’ils soumettent au jugement collectif desspectateurs. Ces démarches révèlent alors que les parallèles struc-turaux se situent non seulement dans les rapports entre le texte etle contexte mais aussi dans les rapports entre les sujets de la situa-tion de communication au plan de la métacommunication.L’intentionnalité n’est pas seulement textuelle; elle est comporte-

mentale. En d’autres mots, la confirmation d’identité dans le rap-port métacommunicatif prépare et conditionne la réception vou-lue du spectacle.

Démarche ou stratégie vitale pour un théâtre embryonnairedans un territoire vierge, ces procédés artistiques tirent leur valeuropératoire des principes communicatifs qui les sous-tendent etqu’ils mettent en relief, particulièrement par rapport à la dimensionpragmatique de la communication humaine. Dans la lignée des tra-vaux de Gregory Bateson, le modèle de Palo Alto démontre «quetoute communication suppose un engagement et définit une rela-tion […] qu’une communication ne se borne pas à transmettre uneinformation, mais induit en même temps un comportement»(Watzlawick et al. 49). De plus, le type de relation établie condition-ne profondément la réception du message. Des relations réperto-riées, la confirmation d’identité ressort comme la plus essentielle, laplus fondamentale au développement individuel et collectif:

[…] si elle n’avait ce pouvoir de confirmer un être dansson identité, la communication humaine n’aurait guèredébordé les frontières très limitées des changes indispen-sables à la protection et à la survie de l’être humain […]l’homme a besoin de communiquer avec autrui pourparvenir à la conscience de lui-même. (84)

A ce sujet, Martin Buber conclut que:

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La valeur individuelle et collective des interventions à l’étudeprend ici tout son sens.

SYNTHÈSEPratiques signifiantes d’une esthétique de l’identité

I. MOI ARTISTEA. Première pratique

Thème: les valeurs et la reconnaissance d’identité.Principe: établir un rapport entre son individualité et uncontexte spatio-temporel.

 Modalité : prise de conscience d’un «vouloir- faire.»Opération: découvrir et enraciner l’univers sémantiqueindividuel du «moi artiste.»

La vision créatriceIdentité/AltéritéAxiologies et autonomies

B. Deuxième pratiqueThème: l’espace et la finalité ontologique.

Principe: s’identifier à un milieu culturel (espace) pour opérer la localisation spatiale d’une démarche de créationindividuelle et collective. Modalité: approfondir un «vouloir-être.»Opération: intégrer le «moi artiste» à un univers séman-tique collectif.

La réciprocitéLes transformations intratextuelles

C. Troisième pratiqueThème: le temps et les relations intersubjectives.Principe: assumer le risque évolutif inhérent au milieu enopérant la localisation temporelle de l’initiative créatrice. Modalité: accepter un «devoir-être.»Opération: relever le défi de la mise en intrigue culturelle.

La mise en intrigueLa référentialisation

II INTERPRÈTE CULTUREL

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nique les modalités véridiques de cette collectivité dans unrapport de réciprocité.

L’intersémiocité

Le critère de sanction: le «savoir-être» collectif L’entropie

E. Cinquième pratiqueThème: le sens commun et la confirmation d’identité col-lective.Principe: articuler l’intentionnalité de l’initiative de créa-tion sur des besoins culturels, collectifs, à combler. Modalité: identifier le «devoir-faire.»

Opération: analyser le degré d’évolution culturelle pour trouver l’urgence qui pousse à agir et à dire: «devoir-faire.»

L’autonomie culturelle et tiercéitéLe temps et l’évolution culturelle

F. Sixième pratiqueThème: les signes communs, la structuration du spectacleet les fonctions culturelles.Principe: axer le travail de création sur la dynamique cul-turelle et le vécu collectif du milieu. Modalité: déterminer les signes du «pouvoir-faire.»Opération: établir le parallèle entre le programme narratif textuel et le programme culturel.

L’emboîtementLes fonctions culturelles: mémoire et programmed’actionL’intentionnalitéLa métaphorisation

III. THÉATRALITÉG. Septième pratique

Thème: la mise en place de l’échange et l’encadrement (situation de communication) du produit symbolique.Principe:  préparer les signes du début et de la fin de l’ex-

 périence théâtrale. Modalité : sanction/rejet du «savoir-être/savoir-faire.»Opé ti f i l if t ti d é ip ité d

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H. Huitième pratiqueThème: l’entropie et la valeur culturelle de l’échange.Principe: vérifier la raison d’être culturelle et sociale du

spectacle. Modalité: sanction/rejet du «devoir-faire/devoir-être.»Opération: articuler le non-dit dans le vécu collectif.

Les négationsLe dit et le non-ditLa création et l’hiérarchie socialeLe non-dit et le non-verbal

I. Neuvième pratique

Thème: l’échange et la performance.Principe: transposer le vécu collectif sous forme drama-tique. Modalité: sanction/rejet du «pouvoir-faire/pouvoir-être.»Opération: transposer le vécu collectif sous forme artis-tique.

La dominance de la norme esthétiqueLa transposition artistiqueL’universalisation et l’essentialisation.

Les neuf parallèles dépistés dans les entrevues et présentés defaçon schématique dans le tableau ci-dessus n’englobent pas l’en-semble de la pratique de ces artistes. Par contre, même si l’analyses’est limitée aux «patterns» récurrents, et même si ces élémentsconstants relèvent du même rapport voulu avec le public, c’est àdire la confirmation d’identité, ces facteurs à eux seuls n’expli-quent pas les ressemblances particulièrement nombreuses entreces deux interventions autonomes, complètement séparées dans letemps et dans l’espace. Ces constantes dépassent la question desparallèles structuraux et posent là une problématique subséquen-te, inattendue: rendre compte de l’unité sous-jacente à ces procé-dés et de la logique interne, systémique par laquelle ils semblent sedéployer et se suivre dans le temps. En d’autres mots, l’intertex-

tualité manifestée dans les entrevues est telle qu’elle semble racon-ter un récit commun. À la question du «comment,» c’est-à-dired d édé ti ti dé l é t d’

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prises non seulement avec la signification textuelle des entrevuesmais aussi avec la dimension non-verbale, comportementale surlaquelle les artistes ont fondé leurs démarches.

À ce sujet, la sémiotique de Greimas distingue entre deux par-cours narratifs qui «permettent de reconnaître deux conceptionsdes relations interhumaines (lutte des classes, par exemple, oppo-sée au contrat social)» (Courtés 11), d’où deux classes de récitsbasés soit sur la confrontation ou sur l’échange. Les entretiens àl’étude seraient-ils alors les récits d’un échange? Cette piste sembleprometteuse en raison des correspondances qui apparaissentd’emblée entre les catégories descriptives de Greimas et le fonc-

tionnement par étapes des artistes interrogés: énoncés d’état eténoncés de faire, la performance et la compétence du sujet, lesmodalités de vouloir et de savoir faire, les modes d’existencesémiotique: sujet virtuel, sujet actualisé, sujet réalisé, etc. (12-20).Cette première analyse fait alors appel à un deuxième volet quitentera la réécriture des neuf parallèles structuraux identifiés enfonction de la sémiotique narrative et discursive de Greimas parrapport aux modalités de l’échange. Si ces récits de vie résistent àcette transposition dans un métalangage rigoureusement conçu,leur valeur documentaire s’en trouvera augmentée et enrichiranotre compréhension des pratiques artistiques reliées à une esthé-tique de l’identité ainsi que de la dynamique de la productionthéâtrale en tant qu’échange. Inversement, les descriptions concrè-tes des pratiques artistiques illustreront les principes abstraits dumodèle théorique de l’échange, permettant de mieux comprendrele «comment» de ces approches artistiques, mais aussi le «pour-quoi» de leur valeur opératoire interdisciplinaire dans d’autressecteurs de la vie socioéconomique.7

NOTES

1. Ces deux articles ont été présentés sous forme préliminaire aux congrèsannuels de l’Association de recherches théâtrales au Canada en 1996 et 1998.Les textes de ces communications, intitulées Formation, production et com-

munication interculturelle: une esquisse de méthode et Le théâtre régional et 

une esthétique de l’identité: esquisses ont été par la suite développés et ampli-fiés à travers une série de conférences et de mises en application pédago-

i 1998 2002 â à l’ i d G IGS à P i l’É l

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luaient et que les réactions aux communications de 1996 et de 1998 se fai-saient entendre.

3. Conçue à l’origine pour une trentaine de représentations, cette pièce tourne

depuis plus de cinq ans, amenant la troupe à sillonner le Québec à deux repri-ses. En 1999, elle dépasse le cap de la 200e représentation. Le spectacle comp-rend deux chansons et dix tableaux. D’une durée d’environ 75 minutes, ilaborde la problématique de la survie d’un village face au dépeuplement rural.Il est suivi d’une animation de 45 minutes auprès du public, souvent trèsémotive à cause des sentiments évoqués.

4. Pour une théâtralité franco-albertaine (PUTFA), 1993-94.

5. Dans ce texte, nous avons voulu éviter le terme «minorité» et ses dérivés de

façon à ne pas confondre une culture «minoritaire» avec une culture «moin-dre.» Le fait d’être en situation d’infériorité numérique n’implique pas un sta-tut inférieur ou sous-développé, même lorsque la vitalité ethnolinguistiquede la communauté se trouve sapée par un environnement hostile. Toute cul-ture, peu importe son poids démographique dans tel ou tel milieu, constitueun système autonome.

6. Le modèle de Lotman comprend trois grandes fonctions culturelles: lamémoire collective, le programme d’action et la création de texte ou designes culturels.

7. La fonction anthropologique de l’échange comme une des formes premièresde communication intersubjective dans et entre les sociétés expliquerait pos-ibl i d ll i d d i d i i

‘Morrocan painting’ par Mahi Bine Bine. Photo grâce à Intercom et Access Television

8/17/2019 Theatre et identité

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