22
1 Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique Chrétienne DE LA DOGMATIQUE ET DU DOGME 1. Définition, sources, contenu et méthode de la Dogmatique a) Formes et caractère de la Dogmatique b) La Dogmatique en tant qu’herméneutique c) La méthode de la Dogmatique 2. Le terme “dogme” et sa signification 3. La relation des dogmes avec la Sainte Écriture 4. L’œuvre du Saint Esprit dans la formulation des dogmes 5. L’œuvre de l’Église dans la formulation des dogmes 6. La validité et l’autorité des dogmes

Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

1

Théologie systématique ----------

Cours de Dogmatique Chrétienne DE LA DOGMATIQUE ET DU DOGME 1. Définition, sources, contenu et méthode de la Dogmatique a) Formes et caractère de la Dogmatique b) La Dogmatique en tant qu’herméneutique c) La méthode de la Dogmatique 2. Le terme “dogme” et sa signification 3. La relation des dogmes avec la Sainte Écriture 4. L’œuvre du Saint Esprit dans la formulation des dogmes 5. L’œuvre de l’Église dans la formulation des dogmes 6. La validité et l’autorité des dogmes

Page 2: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

2

DE LA DOGMATIQUE ET DU DOGME

1. Définition, sources, contenu et méthode de la Dogmatique a) Formes et caractère de la Dogmatique En tant que “branche” particulière et “discipline/cours” de la Théologie, la dogmatique est apparue pour la première fois en Occident. C’est seulement dans les temps modernes que la dogmatique a été introduite dans les Facultés de Théologie orthodoxes. Contrairement aux autres disciplines/cours de la Théologie, la caractéristique principale de cette branche est son caractère systématique. Alors que d’autres branches de la Théologie se penchent sur la foi dogmatique de l’Église, la dogmatique aborde cette foi thématiquement (kata; qevmata) et l’expose systématiquement. Cette étude/exposition systématique de la foi de l’Église apparaît : • Pour la première fois, à l’époque des Pères, notamment chez Origène (dans son œuvre Peri; jArcwn [“De principiis”]) et saint Jean Damascène ( [Ekqesi" ajkribh;" th" jOrqodovxou Pivstew" [“Traité précis de la Foi orthodoxe”]) qui l’expose de manière rigoureusement composée et systématique. • Depuis lors, ce genre s’est développé en Occident au Moyen Âge (Thomas d’Aquin, Summa Theologica) et notamment pendant la période qui a suivi la Réforme, époque à laquelle s’est épanouie la Théologie confessionnelle, à laquelle prend également part — et à tort — l’Orthodoxie (Confessions de Pierre Mogila, de Cyrille Loukaris, de Dosithée de Jérusalem, etc.). • Dans les temps modernes (à la suite d’Eugénios Boulgaris), ce genre se développe au 19e siècle (parmi les Hellènes, Athanase Parios, Épitomè, 1806 ; Moschopoulos, Épitomè de dogmatique et de théologie morale, 1851. De même, parmi les Russes : le Métropolite Antoine, Macaire de Moscou — tous deux largement connus). • Au 20e siècle, la figure dominante en Grèce est celle de Z. Rossis, mais la personne principale est le professeur Chr. Androutsos ; ils sont suivis des professeurs J. Karmiris et P. Trembélas qui, malgré les rectifications qu’ils ont apportées à la pensée d’Androutsos, conservent les mêmes méthode et division. À la Faculté de Théologie de Chalki, le Métropolite de Myra Chrysostome Constantinidis développe cette branche avec succès. Enfin, de nos jours, une nouvelle impulsion a été donnée à la dogmatique, grâce à J. Romanidis qui insiste, à l’opposé de la théologie

Page 3: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

3

occidentale, sur le caractère vécu (empirique) du dogme et la recherche des origines patristiques des dogmes, et grâce aussi au professeur Mgr Jean (Zizioulas), métropolite de Pergame, qui a fait une coupure sur la “méthode classique” en adoptant la structure du Symbole de la Foi comme structure de la Dogmatique. Néanmoins, l’étude systématique n’est pas la seule forme de la théologie dogmatique. Ni la Bible, ni les Pères des premiers siècles ne donnent à ce genre une place prééminente. Cette place est occupée par une théologie dogmatique contextuelle/événementuelle (peristatikhv), et cela, sous les formes suivantes : i) Forme cultuelle, voire eucharistique : Hymnes christologiques du Nouveau Testament, que Paul trouve dans les premières communautés (p. ex. Épître aux Philippiens, ch. 2). Ceux-ci constituent des éléments théologiques-dogmatiques qui nous éclairent sur toute sa pensée. La même chose vaut pour les Écrits de Jean dans le Nouveau Testament (nombreux sont ceux qui considèrent l’Évangile selon Jean comme un texte eucharistique-liturgique, si ce n’est dans sa totalité, du moins pour ce qui est de son noyau, le prologue de l’Évangile, constituant, selon toute probabilité, un matériel liturgique, que Jean a trouvé utilisé pour la célébration du culte). Les Épîtres de Pierre aussi (la première est peut-être une liturgie baptismale), etc.. Il en va de même des références eucharistiques des premiers siècles, qui constituent des formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient les synaxes eucharistiques (et qui, au début, pouvaient improviser, comme l’attestent la Didachè, Justin le Philosophe et martyr, etc.). ii) Forme baptismale et la préparation catéchétique qui la précède. Cette forme est la source principale de la Théologie symbolique (entendons celle des Symboles de Foi). Les symboles étaient tous baptismaux et le sont restés au cours des premiers siècles. À titre d’exemple, le Ier Concile œcuménique de Nicée (325) utilise, pour fondement de son Symbole de la Foi, certains symboles baptismaux appartenant aux Églises locales. iii) Forme anti-hérétique : Celle-ci a donné une impulsion au développement et à l’extension des premiers symboles baptismaux auxquels elle a donné une plus large portée, en prévision d’une confrontation avec les dangers des hérésies (p. ex., le Gnosticisme, l’Arianisme, etc.). Dans ce cadre, la Théologie patristique (p. ex., celle prônée par saints Irénée de Lyon, Athanase d’Alexandrie, Cyrille d’Alexandrie, Maxime le Confesseur, etc.) acquiert une importance toute particulière pour la dogmatique. Elle se développe donc en réaction et en opposition aux hérésies et non comme une démonstration positive de la foi. iv) Forme synodale, celle notamment des Conciles œcuméniques, qui provient d’une synthèse de la théologie anti-hérétique (exclusion des hérésies) et de la théologie baptismale-symbolique. Ainsi, les définitions (horoi) et les symboles des

Page 4: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

4

Conciles, mais aussi nombreux de leurs canons, constituent-ils des formes fondamentales de la théologie dogmatique. v) Forme empirique d’une théologie qui provient principalement de l’expé-rience ascétique des Pères, laquelle, pour nous Orthodoxes, est d’une importance primordiale. Ainsi, les sentences (apophthégmata) des Pères du désert, les œuvres de Jean Climaque, de Maxime le Confesseur, de Syméon le Nouveau Théologien, des Hésychastes dont l’un des grands maîtres a été Grégoire Palamas, expriment la théologie dogmatique à travers l’expérience ascétique. Tous ces éléments font de la dogmatique une affaire vécue, empirique, et non pas une question de conception intellectuelle ou un exposé de propositions logiques ou rationnelles. Autrement dit, elle n’est pas une affaire d’acquiescement ni de confession de vérités s’adressant seulement à l’esprit et à la parole, mais d’existence et d’expérience d’une certaine relation de l’homme avec Dieu, les autres et le monde. De ce dernier point, il ressort que le concept de vécu et d’expérience ne doit pas être interprété sur le plan du piétisme (= expérience psychologique de l’individu) ou de la morale (= un certain comportement de l’individu, certains de ses actes), mais existentiellement dans le sens le plus large du terme, celui qui s’identifie essentiellement avec l’ontologie. Autrement dit, la dogmatique s’intéresse à des questions qui touchent à l’être même (= être/exister ou ne pas être/exister), telles que, par exemple, l’être et le néant (“ne pas être”) (= création), la vie et la mort en tant que points extrêmes de l’existence, le créé et l’incréé en ce qu’ils posent le problème de la liberté (de l’existence), la personne et l’amour en tant que catégories marquant la ligne de démarcation entre l’homme et l’animal (= instant où l’homme, soit s’élève en tant qu’homme, soit déchoît), c’est-à-dire le problème du mal et du péché — et, généralement, à tout ce qui touche à des questions fondamentales et ontologiques, et non pas simplement à des questions d’amélioration de la vie (par exemple, une meilleure organisation de la vie sociale de manière à ce qu’elle soit plus productive, etc., questions dont les théologiens s’occupent en priorité, surtout en Occident). La conséquence de cette diversité de positions est que la dogmatique s’attache toujours à des sujets vitaux, d’importance sotériologique. L’Église dogmatise toujours pour sauver (pour notre salut), non pour enrichir notre savoir sur Dieu, sur le monde, etc.. Tous les dogmes de l’Église, ainsi que toutes les décisions conciliaires relatives au dogme, sont toujours en rapport avec quelque problème sotériologique. Ce qui implique que notre relation avec Dieu et le monde risque de changer dangereusement, si un dogme n’est pas accepté, ou, au contraire, elle s’établit de manière salvatrice, pour nous et pour le monde, si le dogme est accepté. Par conséquent, ce qu’il nous faut toujours rechercher dans la dogmatique, c’est

Page 5: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

5

l’importance sotériologique des dogmes que nous ne pouvons pas nous contenter simplement de citer sèchement, comme des “formules” rationnelles ou mathématiques. Cela signifie d’accéder à une compréhension existentielle du dogme ou à une théologie empirique dans le sens le plus littéral du terme. Aussi la dogmatique doit-elle toujours procéder à une interprétation des dogmes et ne pas se contenter d’assurer leur pérennité ou de les citer tels qu’ils ont été formulés originellement. Cette question, immense et extrêmement délicate, nécessite une analyse. b) La Dogmatique en tant qu’herméneutique 1. Le problème de l’herméneutique est d’une importance capitale, non seulement pour les dogmes, mais aussi pour la Sainte Écriture elle-même. On dirait qu’il s’agit, en fait, du même problème. De même que la Bible, sans interprétation/herméneutique, reste lettre morte, de même les dogmes, si nous ne procédons pas à leur interprétation, se pétrifient, se fossilisent, deviennent des ve-stiges archéologiques ou pour le musée d’Histoire, confiés à notre garde et que, tout simplement, nous les décrivons. On pourrait dire que les dogmes sont, au fond, une interprétation de la Bible. 2. L’interprétation des dogmes (ou de la Bible) présente deux aspects : a) La tentative de comprendre fidèlement (et non de manière anachronique — c’est une chose difficile, qui requiert de bons historiens) la réalité historique, dans le cadre de laquelle a été formulé le dogme (ou l’Écriture). Se posent alors les questions suivantes : i) À quel genre de problèmes l’Église était-elle confrontée à cette époque ? ii) Par quels moyens a-t-elle affronté ces problèmes, ce qui veut dire : (a) Quel type de tradition écrite et orale avait-elle à sa disposition (Sainte Écriture, Tradition, etc.), étant donné que chaque Concile local ou œcuménique tient compte de la tradition précédente. (b) De quel type de vocabulaire et de concepts l’environnement culturel de l’époque disposait-il (p. ex., le 4e s. utilise les termes : la “Qeotovko"” (“Théotokos”-Déipare-Mère de Dieu), le “oJmoouvsio"” (“homoousios”-con-substantiel) que ne possèdent pas le Nouveau Testament ; le 14e s. se sert d’autres concepts, etc.). (c) Sur quel vécu (culte, ascèse, etc.) l’Église se fondait-elle (p. ex. le martyre dans le Nouveau Testament, les icônes au VIIe Concile œcuménique de Nicée (787), l’Hésychasme par la suite, etc.).

Page 6: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

6

Nous devons tenir compte de tous ces aspects afin d’acquérir la connaissance approfondie de l’environnement historique. Sans elle, toute interprétation serait risquée. Il ne peut y avoir d’interprétation de la Bible, si, auparavant, il n’a pas été procédé à une recherche précise et objective (autant que possible) du fond historique. Il en va de même des dogmes. Nous devons examiner quels sont les problèmes qui ont conduit à la formulation d’un dogme, avec quel matériel philologique et philosophique ont travaillé les Pères et de quelle expérience (cultuelle, ascétique, etc.) émane la formulation du dogme. Le bon dogmaticien doit être aussi un bon historien. La dogmatique devient précaire, lorsque domine une ignorance de l’Histoire. b) La tentative de cerner et d’exprimer les problèmes contemporains qui conduisent à l’interprétation, à savoir : (i) Éventuellement, nouvelles hérésies ou nouvelles questions angoissées de l’homme, toujours de caractère fondamental (aujourd’hui : Témoins de Jéhovah [Millénaristes], etc., mais aussi technologie, écologie, bioéthique, etc.). (ii) Le vocabulaire et les catégories de l’époque (nous avons vu que les Pères étaient contemporains de leur époque et ne collaient pas à la lettre du Nouveau Testament ; cf. “Théotokos-Déipare”, “homoousios-consubstantiel”, etc.). (iii) La vie cultuelle et ascétique de l’Église — qui, en fait, ne peut être différente de l’ancienne, mais est susceptible de prendre des formes et des expressions différentes, telles que, par exemple, le martyre, la prière noétique, spirituelle (noera; proseuch;) sous la forme déterminée de l’Hésychasme, l’influence du Monachisme sur les offices “séculiers” de l’Église (les Heures, etc.) et l’af-franchissement progressif qui se produit de manière inachevée et discontinue, comme c’est le cas, par exemple, aujourd’hui — tout cela sous-tend des déplacements de signification dans l’expérience cultuelle et ascétique, qui ne peuvent pas ne pas avoir influencé l’interprétation du dogme. Pour parvenir à une bonne interprétation, il ne suffit pas que le dogmaticien soit seulement un bon historien ; il doit être également versé en philosophie (c’est-à-dire faire preuve d’une réflexion philosophique et d’une bonne connaissance de la philosophie contemporaine) et manifester des dispositions pastorales (il est invité d’aimer l’homme, désirer se pencher sur ses problèmes, etc.). Enfin, il doit vivre et connaître l’expérience liturgique et la vie de l’Église, ainsi que sa structure canonique, étant donné que celles-ci traduisent aussi la foi dogmatique de l’Église. (Un seul homme ne peut, bien entendu, réunir tout cela de manière originale — c’est-à-dire être un chercheur original dans tous ces domaines —, mais il lui est indispensable, s’il veut être un bon dogmaticien, d’être informé des dernières po-sitions des spécialistes dans ces domaines).

Page 7: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

7

c) La méthode de la Dogmatique Ainsi que l’on constate, le champ de recherche de la dogmatique est vaste et suppose, non seulement une connaissance polyvalente, mais aussi une sensibilité profonde et une pensée créatrice. Pour cette raison, la méthode de la dogmatique doit reposer sur les points suivants : a) Un plan très général ou une structure, celle-ci étant celle du Symbole de la Foi, ainsi qu’il a prévalu de tout temps dans le Culte baptismal ou eucharistique. Les raisons pour lesquelles cette structure est recommandée sont, d’une part, parce que c’est celle qui était en vigueur du temps des Pères, et, d’autre part, parce qu’elle relève de la structure même des relations que Dieu, par l’intermédiaire du Christ et en Saint Esprit, a établie pour notre salut. En ce point, on doit remarquer que la division en thèmes, en fonction de la matière théorique, tels que, par exemple, Triadologie, Christologie, Ecclésiologie, Mystériologie, Sotériologie, Eschatologie, etc., lorsqu’elle n’est pas liée directement à la structure du Symbole de la Foi, est dangereuse. Elle s’est développée en Occident et a été copiée par des Orthodoxes dont les initiateurs étaient les Russes et le profes-seur hellène Christos Androutsos. b) Ce plan doit être très général, afin de permettre la périchorèse des sections spécifiques. Par exemple, dans la section relative à la Sainte Trinité, il est possible d’inclure ce qui concerne l’Église et inversement. La section sur les Mystères peut embrasser l’eschatologie, etc.. Ainsi, il est possible d’échapper à la Dogmatique scolastique venue d’Occident. Il faut toujours, toutefois, respecter les analogies, comme nous le verrons dans les parties se rapportant à toutes ces questions. c) Il faut éclaircir et exposer fidèlement l’importance des dogmes à leur époque : quels sont les problèmes qu’ils prenaient en compte et par quels moyens (philologiques et philosophiques) ils les affrontaient, autrement dit la dogmatique notamment orthodoxe doit toujours comporter un élément d’histoire des dogmes. La dogmatique orthodoxe ne saurait se concevoir sans une bonne Histoire des dogmes. d) Il faut procéder à une interprétation de chaque dogme, en tenant compte des rapports avec : (i) l’expérience cultuelle et ascétique de l’Église (par exemple, le Christ en tant que fils de Dieu : comment est-il vénéré et vécu dans l’Église). (ii) les problèmes existentiels les plus fondamentaux de l’homme de chaque époque, tels que la quête de la liberté, de l’amour, la transcendance de la mort, etc. (comme par exemple, l’importance de la croyance en Dieu trinitaire, unitrine, pour tout cela, etc.). (iii) les problèmes actuels de l’homme. Ceci est principalement la tâche de la Pastorale morale, mais elle doit être préparée, au moins allusivement, par les

Page 8: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

8

théologiens dogmatiques (par exemple, les problèmes sociaux actuels, les questions que posent la technologie, l’écologie, la bioéthique, etc.). (iv) les problèmes plus vastes de la connaissance aujourd’hui, ainsi qu’ils sont posés par les Sciences physiques, la mondialisation, etc..

2. Le terme “dogme” et sa signification Ce terme provient du verbe dokein [dokeîn] (= croire, penser) et sa signifi-cation première, littérale, désigne “ce qui semble bon ou juste à quelqu’un”, “la pensée”, “le principe”, “l’opinion”, “la croyance”, etc. (cf. Platon, Sophista, 265C : « tw`/ tw`n pollwn dovgmati kai; rJhvmati crwvmeno" »). De cette signification d’opinion personnelle, la notion a peu à peu pris le sens de la thèse philosophique, c’est-à-dire de la connaissance d’une École de pensée (cf. Plutarque, Moralia : « ta; peri; tw`n yucwn dovgmata », ou les dogmes (dovgmata) des Stoïciens, etc.). La dérive vers cette nouvelle signification s’explique par l’existence d’un éclectisme au sein de la philosophie dans la pensée antique. Par la suite, le terme est transposé à la vie publique et politique et aux affaires de la cité, où on désigne les décisions solennelles de l’État (cf. Platon Lois, 644E : « dovgma povlew" ») ; de même, chez Luc 2, 1 : « en ce temps-là, parut un décret (dovgma) de César Auguste pour faire recenser le monde entier »). C’est ainsi que le terme a pris le sens d’obligatoire, en prenant un caractère d’autorité et d’authenticité. Plus tard, à travers l’Ancien Testament et le Judaïsme, le terme acquiert une signification religieuse et un caractère juridique et obligatoire. C’est pour cela que le mot a une valeur plutôt péjorative chez Paul (Col 2, 14 : le Christ « a annulé le do-cument accusateur que les commandements (dovgmata) retournaient contre nous » ; Éph 2, 15 : « Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances (dovgmata) »). Cependant, chez Luc, le mot acquiert pour la première fois le sens positif qu’il a par la suite conservé dans son usage chrétien (cf. Actes 16, 4 : « dans les villes où ils passaient, Paul et Silas transmettaient les décisions (dovgmata) qu’avaient prises les apôtres et les anciens de Jérusalem »). C’est ainsi que nous en arrivons aux dogmes de l’Église (dovgmata th" jEkklhsiva"), comme décisions officielles et authentiques sur la foi, qui ont été proposés pour acceptation obligatoire et qui sont étroitement liés à la présence et l’inspiration du Saint Esprit. La citation classique est le verset des Actes 15, 28 : « il a paru bon (e[doxe ; cf. dovgma) à l’Esprit Saint et à nous [= Apôtres] ». Chez les Pères de l’Église, l’usage du terme est rare dans sa signification technique actuelle ; lorsqu’il a lieu, il présente les caractéristiques suivantes :

Page 9: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

9

a) Parmi les premiers Pères, les Pères Apostoliques, il est plus en rapport avec la praxis qu’avec la théorie (cf. Ignace, Magnésiens, 13, 1 ; Barnabé, 1, 6 ; etc.). b) Le terme est tout autant utilisé s’agissant de l’Église et des hérétiques (cf. st Basile, Commentaire sur le livre d’Isaïe : « dunato;" ta; twn eJterodovxwn

katastrevfesqai dovgmata » ; st Jean Chrysostome : le diable « ta; ponhra; tauta ejnevspeire th" ajsebeiva" dovgmata » ; Ménée de Janvier : « […] qui fait justement sombrer les dogmes (dovgmata) des infidèles »). c) Très important : Le dogme est lié au culte (latrie), à l’opposé de la prédi-cation, du kérygme. Ceci est exprimé dans l’une des propositions les plus importantes de st Basile le Grand dans son essai “Sur le Saint Esprit” : « Ta; me;n ga;r dovgmata siwpa`tai, ta; de; khruvgmata dhmosieuvetai [Les dogmes doivent toujours être tus, les prédications, les kérygmes, toujours publié(e)s] ». Ce passage a permis à de nouveaux patrologues d’interpréter le silence de st Basile le Grand, quant à la divinité du Saint Esprit. Mais, pour revenir à notre sujet, pour nous, cette phrase de Basile de Césarée a la signification suivante : les dogmes sont ce que l’Église, en tant que communauté cultuelle, avoue et non ce qu’elle déclare à ceux qui se trouvent en dehors de l’Église. Le sens le plus profond de cette conception nous occupera par la suite, mais, pour le moment, nous nous contenterons de noter que, d’après st Basile le Grand, le concept de dogme présuppose la communauté de l’Église et la participation à son culte — faute de quoi, il perd toute authenticité. Cette position fondamentale des Pères, que nous oublions si souvent, est également exprimée par st Grégoire le Théologien, dans une phrase célèbre de son “Discours aux Eunomiens” : « Ei[sw twn hJmetevrwn o{rwn filosofwmen [À l’intérieur de nos frontières, nous philosophons] » Cette phrase, ainsi qu’en témoigne le contexte, signifie : à l’intérieur de la terre sainte (et non en Égypte et en Assyrie), c’est-à-dire au sein de l’Église. Partant, nous pouvons déduire que l’authenticité du dogme n’appartient ni à la sphère de la conviction logique, ni à celle de l’aveugle soumission et de la démission de la raison, mais à une nouvelle raison/logique, que crée la relation des hommes à l’intérieur de la communauté de l’Église. Nous développerons cette question plus loin. En résumé : le “dogme” est ce que la communauté ecclésiale tient pour vérité salvatrice (= existentielle) pour chaque homme et elle exige de ses membres de l’accepter sur le plan du vécu (empirique), en tant qu’authentique, en raison des relations particulières qu’ils nouent entre eux, face au monde et à Dieu, tandis que la “prédication”, le “kérygme”, est ce qui s’adresse publiquement à chaque homme, afin qu’il devienne membre de l’Église ; ce n’est qu’alors (en tant que membre de l’Église) qu’il peut reconnaître cette vérité et la vit, désormais, en tant que dogme. La vérité ne devient pas un dogme, si elle n’est pas vécue et vérifiée au sein de l’Église. De là, il apparaît de toute évidence que les dogmes de l’Église ne sont pas numéri-

Page 10: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

10

quement limités ; il est possible de formuler de nouveaux dogmes à chaque époque, parce que l’Église est un corps vivant et que l’Esprit Saint n’est pas lié seulement à certaines périodes de l’Histoire. Mais, pour qu’une vérité devienne dogme de l’Église (et non une opinion personnelle), elle doit passer par la communauté de l’Église dans son ensemble, et non seulement par quelques hommes, qu’ils soient théologiens, au sens actuel (académique) du mot, ou saints. En ce point, des explications sont nécessaires, parce que se posent deux questions sérieuses : a) La relation du dogme avec la Sainte Écriture, et b) L’authenticité du dogme en général et par rapport à la Dogmatique elle-même.

3. La relation des dogmes avec la Sainte Écriture La relation entre les dogmes et l’Écriture est une relation herméneutique. Après la Réforme, les théologiens occidentaux ont posé la question de savoir si nous avons une ou deux “sources de révélation divine”, ainsi qu’elles ont été appelées. Cette question exprime une problématique concrète et marque la distance qui sépare Catholiques romains et Protestants, du fait que ces derniers avaient rejeté l’autorité (authenticité) de la Tradition de l’Église et introduit le principe de sola scriptura. Cette question s’est posée au sein de la Théologie orthodoxe, au cours du 17e siècle, au sujet de ce qu’on a appelé les “Professions de Foi Orthodoxes”1. Ainsi, c’est par rapport à la tendance de la “Profession de Foi” (Pierre Mogila = Catholicisme romain, Cyrille Loukaris = Calvinisme, etc.) que les Orthodoxes ont donné et donnent encore la réponse. L’Occident a été conduit à poser cette question pour deux raisons qui n’ont aucune raison d’être au sein de l’Orthodoxie : a) En Occident, manque l’élément et rien ne permet de comprendre que la Révélation est toujours personnelle et jamais rationnelle ou intellectuelle. Dieu s’est révélé à Abraham, à Moïse, à Paul, aux Pères, etc.. Par conséquent, ne se pose jamais la question d’une nouvelle révélation ou d’une addition à la révélation, ni encore celle d’un élargissement de la Révélation, comme il advient en Occident (voir Newman) et qu’il a été dit et est encore dit par des théologiens orthodoxes. b) En Occident, les Écritures comme l’Église ont été soumises à une objectivation, de sorte qu’il a été possible de parler des “trésors-dépôts” de la vérité. Au contraire, au sein de la Tradition orthodoxe, l’Écriture autant que l’Église constituent les témoignages d’une manière de vivre la vérité et ne sont jamais considérées comme les “cerveaux” qui conçoivent, enregistrent et transmettent des

1 Voir supra.

Page 11: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

11

vérités. Et cela, parce que la vérité, dans la Tradition orthodoxe, n’est pas une question de propositions logiques et objectives, mais d’attitude et de relations (personnelles) entre Dieu, l’homme et le monde. (Par exemple, je ne connais pas la vérité, quand, intellectuellement, je sais que le Dieu unique est en trois personnes et que je finis par l’accepter, mais quand j’implique ma propre existence dans l’existence de la Trinité, par laquelle toute la vie acquiert un sens, la mienne comme celle du monde. Ainsi, une femme simple qui est véritablement membre de l’Église “connaît” le dogme de la Trinité. Ceci vaut aussi pour la Christologie, etc.). On développera cette question plus loin, à propos de la Gnoséologie. Par conséquent, si la Révélation de Dieu est une question d’expérience personnelle et dépend de la profonde implication de l’homme dans un réseau de relations (plevgma scevsewn) avec Dieu, les autres et le monde, lesquelles éclairent l’existence entière d’une lumière nouvelle, alors la Sainte Écriture qui témoigne de cette Révélation est aussi complète du point de vue du contenu de la Révélation que toute autre forme de Révélation après la composition du Canon de la Bible. En ce point, il nous faut immédiatement ajouter les précisions suivantes : a) Bien que, dans tous les cas de révélations personnelles et existentielles de ce type, il s’agisse de révélations du Dieu unique, les formes et les façons prises par ces révélations diffèrent. Par exemple, au Mont Sinaï, le Dieu qui s’est révélé à Moïse est le même Dieu que celui qui se révèle à nous dans le Christ, mais cette révélation revêt une autre forme. Par le Christ, nous avons la possibilité non seulement de voir ou d’entendre Dieu, mais aussi de Le toucher, de Le palper, de communier avec Lui par notre corps : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux et que nos mains ont touché »2. Les théophanies de l’Ancien Testament et, par conséquent, celles du Nouveau Testament, alors qu’elles ont le même contenu, ne présentent pas la même forme et la même façon de révélation. Et, vu que, comme nous l’avons dit, la Révélation n’est pas une question de savoir objectif, mais de relation personnelle, la forme de la Révélation est d’importance capitale, puisqu’elle implique de nouvelles relations, c’est-à-dire de nouveaux modes d’existence. (La question de la relation entre Ancien et Nouveau Testament est, histori-quement parlant, très ancienne au sein de la théologie patristique. Elle a surtout été tranchée par la théologie de saint Irénée de Lyon, qui a apporté de considérables corrections à l’enseignement de Justin sur le Verbe. Plus tard, elle a été posée avec une parfaite exactitude par saint Maxime le Confesseur selon le principe suivant : ce

2 1 Jn 1, 1.

Page 12: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

12

qui vient de l’Ancien Testament est ombre, ce qui vient du Nouveau Testament est (image) icône, et ce qui adviendra à l’avenir est vérité. En effet, saint Maxime le Confesseur (7e siècle) utilise trois termes : « ombre », « icône » et « vérité »3, pour distinguer les trois phases consécutives de l’Histoire : celles “de l’Ancien Testament, du Nouveau Testament et du Royaume à venir” respectivement. i) Le temps de l’Ancien Testament, concerne « un mystère caché dans le silence depuis les temps éternels »4, un secret qui se révèle progressivement (cf. la pédagogie de la révélation progressive). Entre autres, l’épiclèse du roi David est très significative : « Voici, tu aimes la vérité dans les ténèbres, tu m’as fait connaître des choses non-déclarées et secrètes de ta sagesse »5. Or la qualification d’ombre maximienne est de facto justifiée. ii) L’“apparition” du Nouveau Testament “s’identifie” avec l’incarnation du Christ, « venu nous annoncer le mystère [gardé dans le silence] de Dieu »6, qui « met en lumière à tous quel est le mystère de Dieu tenu caché depuis toujours en lui »7. Or le temps néo-testamentaire « achève l’annonce de la Parole de Dieu, le mystère tenu caché tout au long des siècles et que Dieu a manifesté maintenant à ses saints »8. C’est donc Jésus-Christ « qui, dans sa chair, a détruit le mur de séparation »9. La révélation du Christ, qui a totalement renversé ce “mur de séparation”, apporte la lumière de Dieu10 et, par conséquent, Le rend palpable dans l’Histoire. iii) Enfin, on l’a déjà évoqué, « aux jours où l’on entendra le septième ange, […], alors sera l’accomplissement du mystère de Dieu, comme il en fit l’annonce à ses serviteurs les prophètes »11. Or les “prophètes” de l’Ancien Testament connaissaient le mystère qui est tenu en secret — ombre — pour les autres. De même, “ces jours-là [le Royaume] sera l’accomplissement du mystère de Dieu”).

3 Saint MAXIME le Confesseur, Scovlion eij" to; Peri; jEkklhsiastikh`" JIerarciva" [Commentaire sur “De

la hiérarchie ecclésiastique”], ch. 3, III, § 2, in P. G., t. 4, col. 137-138 D, et in Filokaliva tw`n Nhptikw`n kai; jAskhtw`n, vol. 14 E, Thessalonique, E. P. E.-Grhgovrio" Palama`", 1993, p. 366. Plus précisément, le texte est ainsi conçu : « [en grec] Skia; ga;r ta; th`" Palaia`": eijkw;n de; ta; th`" Neva" Diaqhvkh": ajlhvqeia de; hJ tw`n mellovntwn katavstasi" ; [en latin] Umbra enim sunt ea quæ sunt Veteris Testamenti ; imago, ea quæ Novi ; veritas, status rerum futurarum ; [en français] Les réalités de l’Ancien Testament ne sont que de l’ombre, celles du Nouveau Testament sont l’image [icône], mais ce sont les conditions à venir qui sont la vérité ».

4 Rm 16, 25. 5 Ps 50, 8. 6 1 Co 2, 1. 7 Éph 3, 9. 8 Col 1, 26. 9 Éph 2, 14. 10 Jn 8, 12. 11 Ap 10, 7.

Page 13: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

13

Par conséquent, nous avons, en la personne du Christ, une forme unique de révélation, caractérisée aussi par la communion des sens (vue, toucher, goût, etc.)12, et non pas seulement par celle de l’esprit et du cœur. C’est pourquoi les Pères ont jugé cette forme comme la plus haute et la plus complète. Rien ne peut révéler Dieu mieux que la Christophanie : « Celui qui m’a vu a vu le Père »13. Ainsi, le Nouveau Testament qui rapporte l’expérience des hommes qui communiaient charnellement avec Dieu (« ce que nous avons vu de nos yeux et que nos mains ont touché ») donne un sens tant aux théophanies de l’Ancien Testament qu’à celles qui ont suivi la Bible. Les Pères, Irénée comme d’autres, affirment que, après l’Incarnation du Verbe, nous avons une forme de révélation plus complète et plus sublime que celle de l’Ancien Testament. Pour ce qui est des Disciples du Seigneur, les Pères attribuent la supériorité de cette forme à leur communion sensible et charnelle avec Lui, et, en ce qui concerne l’Église postérieure, aux Mystères et surtout à l’Eucharistie qui perpétue cette communion charnelle (voir Ignace d’Antioche, Cyrille de Jérusalem, Cyrille d’Alexandrie, etc.). Celui qui participe véritablement et dignement à la Sainte Eucharistie “voit” Dieu mieux que Moïse. b) Ainsi, c’est de la présence du Christ historique, telle qu’elle est attestée dans le Nouveau Testament que toute la vie de l’Église puise la révélation de Dieu. C’est pourquoi le Nouveau Testament est considéré comme le dogme primordial par excellence, dont toutes les autres formes de révélation (y compris celle de l’Ancien Testament [cf. saint Maxime le Confesseur] et des dogmes postérieurs) constituent ses interprétations, au sens existentiel le plus profond de l’interprétation que nous avons donné plus haut, à savoir des formes d’expérience de l’existence, en tant que nouvelle relation entre Dieu, l’homme et le monde. En guise de conclusion : Ni l’interprétation de l’Ancien Testament ni celle des dogmes ne peut éluder l’événement et la personne du Christ, car cela impliquerait une nouvelle forme de révélation, plus complète et plus sublime que celle du Christ. Nous pouvons tirer de cela nombre de conclusions, dont on ne retiendra cependant que les suivantes : (a) La Sainte Eucharistie, en tant que communion sensible par excellence avec Dieu (et, par conséquent, en tant que connaissance de Dieu) demeure la plus sublime et la plus parfaite forme de révélation de Dieu, dans son sens personnel et existentiel (« que nos mains ont touché »14). (b) La vision de Dieu [Théoptie-Qeoptiva, théosis-qevwsi"] (sous quelque forme que ce soit), soit par l’entremise des saintes icônes, soit par l’expérience ascétique, est

12 1 Jn 1, 1. 13 Jn 14, 9. 14 1 Jn 1, 1.

Page 14: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

14

une vision de la Lumière incréée ( [Aktiston fw"), toujours sous la forme sous laquelle elle se révèle dans le Christ et non indépendamment d’elle. Il s’agit donc de Christophanies. (Ceci doit être souligné pour éviter les malentendus qui, malheureusement, ont tendance à se multiplier). Preuve en est, d’une part, en ce qui concerne les icônes, toute l’argumentation des saints, comme Jean Damascène, Théodore le Stoudite et d’autres icônophiles, qui affirment que c’est l’Incarnation qui impose la vénération des icônes, comme formes de révélation de Dieu. D’autre part, en ce qui concerne l’expérience de la Lumière incréée, ils affirment que les saints Hésychastes concevaient cette lumière comme celle “du mont Thabor” (qabwvreion fw`"), c’est-à-dire comme participation (mevqexi"-metoch;) à la lumière qui a resplendi du corps historique du Christ. Pour en revenir à la relation entre la Sainte Écriture et les dogmes, nous re-marquons donc que tout dogme, quel que soit son objet (même la question de la Trinité) est, en fait, un rappel de l’événement-Christ, par lequel se révèle Dieu, en tant que relation existentielle vécue, c’est-à-dire en tant que vérité. (Il n’est pas fortuit, par exemple, que le Ier Concile œcuménique de Nicée (325), alors qu’il ait posé les fondements de la théologie trinitaire, il l’a fait en raison et sur la base de la vérité sur la Personne du Christ — de même que tous les autres Conciles œcumé-niques ultérieurs, même s’ils s’étaient réunis pour traiter d’autres questions). Cela signifie que l’expérience apostolique, rapportée dans la Bible, constitue le premier dogme, dont les autres dogmes sont l’interprétation. Par conséquent, aucun dogme ne peut aller à l’encontre de cette expérience, il ne peut que l’interpréter. L’expérience et la tradition apostoliques sont d’une importance décisive pour les dogmes. C’est ainsi que nous avons une continuité des dogmes, un enchaînement des dogmes, qui ressemblent à des icônes du Christ, dessinées par divers hommes, à diverses époques, avec les moyens dont on disposait à chaque époque. Cet enchaînement est, d’une part, extérieur (= fidélité à la tradition précédente et, finalement, à la Bible), et, d’autre part, intérieur (= préservation de la même relation existentielle entre Dieu, homme et monde, qui s’est réalisée et révélée dans le Christ).

4. L’œuvre du Saint Esprit dans la formulation des dogmes La Théophanie comme Christophanie, constituant le fondement du dogme, pose deux problèmes fondamentaux : • Le premier est la nécessité de couvrir le temps séparant le Jésus historique et son époque (apostolique) des autres générations-époques, auxquelles est formulé le dogme : comment peut-on établir un pont au-dessus de ce fossé temporel ?

Page 15: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

15

• Le deuxième est qu’au sein de cette théophanie historique en Christ comporte elle-même la dimension du “déjà et pas encore” : dans le Christ historique, ainsi que dans l’expérience des premiers apôtres, nous avons la révélation de Dieu « dans un miroir et de façon confuse »15 et non « face à face »16. La révélation complète, « face à face », est une réalité eschatologique. Le Christ porte une préfiguration et un avant-goût du Royaume, c’est-à-dire de la connaissance personnelle complète et directe, de Dieu. Jusqu’à ce que vienne le “jour ultime”, nul prophète et nul saint ne possèdent une connaissance absolue de Dieu sous une forme stable et immuable. Comment est-il alors possible que cette anticipation, cet avant-goût du paradis, de la connaissance absolue de Dieu, se réalise dès maintenant avec l’entière certitude que le dogme proclamé est l’expression de cette préfiguration et procure cet avant-goût avec fidélité et exactitude ? En d’autres termes, le dogme, en tant qu’image/icône fidèle du Christ, qui révèle Dieu, doit être fidèle sous deux dimensions : (a) icône fidèle du Christ historique (= passé), et (b) icône fidèle du Christ futur, eschatologique et de Son Royaume. (Voir l’icône byzantine : elle ne se contente pas d’une représentation historique, mais figure la situation future, comme, par exemple, l’icône de la Pentecôte). Cette tâche de relier le présent (= dogme) au passé (Christophanie historique) et à l’avenir (Second Avènement-Christophanie eschatologique) est, au sein de la divine Économie, la tâche par excellence du Saint Esprit. « Il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous »17 proclame le Synode Apostolique. L’Église a la conviction immuable que les dogmes sont inspirés par le Saint Esprit, tout comme l’Écriture (« toute Écriture est inspirée de Dieu… »18). Toutefois, une grande vigilance est requise, parce que ce fait peut être compris de diverses manières. Ainsi : a) La présence du Saint Esprit et Son action peuvent être comprises comme une sorte d’intervention magique et mécanique de Dieu. Cela rappelle les “mantiques” des Hellènes de l’Antiquité (Oracles, devination, etc.). En ce cas, toute liberté personnelle est abolie : les auteurs de la Bible et les Pères des Conciles étaient des organes sans initiative de l’Esprit. C’est la conception qui a régné en Occident (d’où elle provient) sous la forme dudit Fondamentalisme. b) La présence et l’action de l’Esprit peuvent être comprises comme le résultat des mutations morales qui se produisent en l’homme. Quand nous disons “mutations

15 1 Cor 13, 12. 16 Ibid. 17 Actes 15, 28. 18 2 Ti 3, 16.

Page 16: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

16

morales”, nous entendons, au sens large, toute amélioration de l’homme due à ses propres efforts (par exemple, purification des passions, vertus, etc.). c) L’action du Saint Esprit peut encore être comprise comme le résultat d’un évé-nement de communion, possédant des dimensions aussi bien verticales qu’hori-zontales, c’est-à-dire comme le résultat de la communion de la communauté ecclésiale. De toutes ces possibilités : • La première manière doit être catégoriquement exclue : le Saint Esprit est “Esprit de liberté” et n’opprime pas l’homme. D’ailleurs, l’événement-Christ, la nature même de la Christophanie, implique le respect total de la liberté humaine. • La seconde possibilité a plus de valeur et de poids et répond aux conditions de l’expérience ascétique dont, comme nous l’avons vu, il faut toujours tenir compte : sans purification des passions, personne ne peut voir Dieu (par exemple, celui qui hait son frère ne peut voir Dieu ; voir Première Épître de Jean). Dans le même esprit, saint Grégoire le Théologien s’oppose aux Eunomiens qui avaient créé une théologie totalement intellectuelle qui permettait à chacun de “théologiser”, même « après les concours hippiques et les danses et les ripailles… », soulignant que « ouj panto;" ... to; peri; Qeou` filosofei`n, ouj pantov" », mais « tw`n ejxhtasmevnwn kai;

diabebhkovtwn ejn qewriva/ kai; pro; touvtwn kai; yuch;n kai; sw`ma kekaqarmevnwn

h] kaqairomevnwn, to; metriwvtaton ». Toutefois, si l’ascèse est conçue comme un état d’isolement et d’autosuffisance, elle présente deux graves inconvénients : l’individualisme et le moralisme. En ce cas, nous risquerions de croire que Dieu se révèle à des personnes isolées et sous conditions des efforts et réussites humains propres. C’est pourquoi cette deuxième possibilité doit obligatoirement être liée à la troisième qui constitue la forme ecclésiologique de l’action du Saint Esprit. • Pour le comprendre, il nous faut avant tout nous libérer de l’idée erronée que le Saint Esprit agit sur des individus isolés. Cette conception est tellement répandue qu’il peut paraître étrange de la qualifier ici d’“erronée”. Les partisans de cette théorie ont méconnu une distinction fondamentale entre l’action du Saint Esprit dans l’Ancien Testament et celle du Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, l’Esprit est donné à certaines personnes (prophètes, rois, etc.), non pas à l’ensemble du peuple d’Israël. À l’époque messianique, qui commence avec le Nouveau Testament, avec la venue du Messie, l’Esprit était attendu d’être donné à tout le peuple de Dieu. C’est pourquoi, en racontant la Pentecôte, Luc emploie la parole du prophète Joël19 : « Dans ces jours ultimes, je répandrai mon Esprit sur toute chair

19 Voir Jl 2, 16 ; 3, 1-5.

Page 17: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

17

[…], dit le Seigneur tout-puissant »20. De même, « à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous »21. En conséquence de tout ce qui précède, il apparaît que, dans le Nouveau Testament, les Chrétiens baptisés étaient considérés comme des êtres possédant du Saint Esprit et recevant de plus divers charismes. Si nous étudions attentivement le chapitre 12 de la Première Épître aux Corinthiens, nous verrons que, pour l’apôtre Paul, être membre de l’Église équivaut à avoir reçu quelque charisme de l’Esprit. Paul s’est intensément opposé aux Corinthiens qui pensaient que certains étaient plus charismatiques que d’autres, en soulignant que tous possèdent quelque charisme, même ceux qui exercent une simple tâche de gouvernement, etc.. Paul frappe impitoyablement toute forme d’“élitisme” spirituel et souligne que, même si l’on possède le savoir et la foi qui « transportent les montagnes »22, cela compte pour rien sans « amour »23. Que signifie « amour » dans ce contexte ? Si nous examinons le texte dans son ensemble (chapitres 11-14), et non en extraits, nous verrons qu’“amour” signifie, pour Paul, la communion créée par la communauté de l’église. Il ne s’agit nullement de quelque sentiment de l’individu (bonne intention, etc.), mais de l’interdépendance des membres de l’église qui forment un corps. « Amour » signifie ne pas dire que moi qui suis la tête n’ai pas besoin des pieds, etc. — voilà ce que Paul met en relief. Autrement dit, l’interdépendance des charismes. C’est précisément la raison pour laquelle Paul en arrive, dans son épître, à nommer le Saint Esprit « communion ». Dans la Seconde Épître aux Corinthiens, 13, 13, il semblerait même qu’il s’agisse d’une expression qui préexistait à Paul, dans l’usage liturgique des premières églises et qui, depuis lors, est resté un élément fondamental de la sainte Eucharistie. L’Esprit, là où il souffle, crée une communion et détruit l’individualisme. C’est ce que nous devons bien comprendre. Les Pères de l’Église avaient également cette conception du Saint Esprit. On pourrait se procurer de nombreux extraits des Pères des premiers siècles, de saint Irénée et d’autres encore. Citons plus particulièrement saint Grégoire le Théologien qui met l’accent sur la “théorie” personnelle, ce qui explique la grande importance de la manière dont il se réfère à l’Esprit. Dans son 12e Discours, il compare le désir de la “théorie” au Saint Esprit de la manière suivante : d’un côté, il y a le désir de la “théorie”, c’est-à-dire la tendance à l’hésychia, à la purification de l’esprit et à la théorie ; ce n’est cependant

20 Actes 2, 17. 21 1 Cor 12, 7. 22 1 Cor 13, 2. 23 Ibid.

Page 18: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

18

pas là que conduit l’Esprit. L’Esprit apporte « eij" mevson (= synaxe d’église) a[gein kai; karpoforein tw/ koinw/ (= communauté ecclésiale) bouvletai kai; touvtw/ wjfelei`sqai, to; wjfelei`n ajllhvloi" kai; dhmosieuvein th;n e[llamyin ». C’est pourquoi l’Église « instituée » (= en assemblée) est, pour saint Grégoire, supérieure à l’expérience de la “théorie” comme le ciel l’est à l’astre, le jardin à la plante, le corps à un membre. L’œuvre essentielle de l’Esprit, pour les Pères, est donc de conduire à l’Église, et non à de simples expériences personnelles isolées. Par conséquent, tous les charismes de l’Église sont indispensables à la Révélation de Dieu — non pas seulement certains charismes et isolés. Et cela, parce que tout charisme ne peut être conçu qu’en interdépendance avec les autres. L’Église est une communion des charismes et possède une diversité de charismes — tous n’ont pas le “savoir”, tous ne sont pas doués de la capacité de guérir, d’éloquence, de capacités administratives, etc.24. Tous ne “voient” pas Dieu, ne sont pas des “théoptes” (qeovptai) de la même manière. En tout cas, personne ne peut voir Dieu tout seul, indépendamment des autres charismes. L’Esprit agit comme communion, autrement dit, au sein du corps de l’Église. Ainsi, nous en arrivons à la conclusion que, pour ce qui est des dogmes, la révélation de la vérité suppose toujours la communion et la communauté de l’Église pour qu’un dogme soit vérité. Qu’est-ce que cela signifie au juste ?

5. L’œuvre de l’Église dans la formulation des dogmes Qu’est-ce que l’Église et comment agit-elle dans la formulation des dogmes ? Nous en dirons davantage sur l’Église dans le chapitre la concernant, cependant, en rapport avec les dogmes, nous ferons les remarques suivantes : 1. L’Église est cette communion et cette communauté, par laquelle et à l’intérieur de laquelle la nouvelle relation existentielle entre Dieu, l’homme et le monde, ainsi que celle-ci apparaît et se réalise en la personne du Christ, se manifeste et se réalise. Cela signifie que, au sein de l’Église, le monde entier, guidé par le nouvel Adam-Christ, rencontre et connaît Dieu comme père et est ainsi “sauvé” de l’aliénation et de la dégradation. La connaissance et la révélation de Dieu est ainsi une réalité empirique vécue au sein du corps de l’Église, sous la forme de la relation père-fils, à laquelle tous s’incorporent, devenant “corps du Christ”. Par conséquent, l’Église, conçue, en ce sens, comme le corps du Christ, est l’unique forme

24 Voir 1 Cor 12, 4-11.

Page 19: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

19

existentielle, véritable et intégrale de connaissance de Dieu, par le biais du réseau de relations (plevgma scevsewn) que la communauté établit. 2. Pour que l’Église soit la révélation complète de cette forme existentielle de connaissance de Dieu, elle doit posséder les traits suivants, lesquels ressortent de la définition ci-dessus : (a) être la communauté-assemblée de tous les membres de l’Église. Tous les membres baptisés de l’Église, dans la mesure où ils maintiennent la relation Dieu-homme-monde, ainsi qu’elle a été révélée et se réalise dans le Christ, sont indispensables pour former le corps qui fera apparaître le Christ. Par conséquent, les laïcs qui restent fidèles à la relation baptismale Dieu-monde, sont d’une importance capitale et essentielle pour la révélation de la vérité du Seigneur, en tant que nouvelle relation entre Dieu et le monde. (b) avoir, à la tête de la communauté, un ministère qui exprimera la présence du Christ et des Apôtres, qui jugeront de la fidélité de la communion par rapport à l’image/icône initiale du corps du Christ, telle qu’elle a été révélée et vécue à l’épo-que du Nouveau Testament25. Ce ministère ne peut être rempli que par l’évêque, higoumène de la communauté eucharistique et image/icône du Christ, entouré des prêtres, images/icônes des Apôtres. (En réalité, cela signifie que l’évêque, chaque évêque, n’est pas successeur des apôtres, mais il est bien à la place et type du Christ). Cette représentation s’est maintenue depuis le 2e siècle ap. J.-C. (Ignace d’Antioche) sans interruption (jusqu’à la Réforme en Occident), parce que, dans la sainte Eucharistie, la communauté de l’Église vit et figure exclusivement cette relation-révélation christocentrique entre Dieu et le monde. La connaissance de Dieu y est vécue comme découverte de la nouvelle relation salvatrice Dieu-monde, telle qu’elle se réalise dans le Christ (plus de détails dans le chapitre traitant de cette question). Par conséquent, la direction de la communauté eucharistique, en la personne de l’évêque, exprime la foi de cette communauté « en une bouche et un cœur »26, ainsi qu’il est dit dans la sainte Eucharistie, autrement dit comme unanimité et non comme désaccord. (c) Étant donné que l’Église, loin d’être constituée d’une seule et unique com-munauté, en comporte de nombreuses, l’expression de la foi de toute l’Église, « de l’Église répandue à travers tout l’univers »27, devient réalité, lorsque toutes les communautés, représentés, à leurs têtes, par leurs évêques, coïncident sur la même foi. Lorsque, comme le dit saint Ignace d’Antioche, « les évêques de par tous les confins du monde ont la même foi (gnwvmh) en Jésus-Christ ». Ainsi, les synodes des

25 Voir supra. 26 Divine Liturgie des Fidèles des saints Basile de Césarée et Jean Chrysostome. 27 Voir le canon 57 du Concile local de Carthage (419) ; cf. canon 56 du Quinisexte Concile œcuménique in

Trullo (691).

Page 20: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

20

évêques, porte-parole de l’unanimité de leurs communautés, expriment la foi de l’Église de la manière la plus complète. Par conséquent, les dogmes de l’Église exprimés par les Conciles, à plus forte raison quand ces Conciles réunissent ou représentent tous les évêques (Conciles œcuméniques) expriment la foi de l’Église et révèlent la connaissance de Dieu dans Sa relation avec le monde dans le Christ, de la manière la plus complète. (d) Toutefois, pour que le dogme soit une réalité vivante, et non un simple énoncé logique ou expressif, le dogme doit continuellement passer par la communauté de l’Église, c’est-à-dire par tous ses membres, afin qu’il se trouve toujours confirmé, reçu et approuvé par la conscience du plérôme de l’Église. Cette réception/approbation (receptio) ne revêt pas, dans l’Église orthodoxe, de forme juridique (c’est-à-dire qu’il n’est prévu aucune procédure précise pour la réception et l’approbation des dogmes par le plérôme de l’Église). D’une part, elle fonctionne positivement, comme un “Amen” liturgique des laïcs, sans lequel les évêques ne peuvent rien accomplir, ni proclamer, ni formuler dogmatiquement ; d’autre part, elle fonctionne négativement, s’il en est éventuellement besoin, en cas de désaccord entre les évêques et le plérôme de l’Église (comme, par exemple, dans le cas du Concile de Ferrare-Florence [1438-39]). Mais, avant tout, le passage, la “circulation” du dogme dans le corps, dans les veines de toute la communauté, s’effectue dans le vécu du dogme, dont nous avons parlé plus haut (grâce à la diversité des charismes). Ainsi, toute l’Église, le clergé dirigé par les évêques, et le peuple, le peuple de Dieu, participe à la formation des dogmes comme vérités vivantes et empiriques qui révèlent Dieu comme Père de Jésus-Christ et, par ce dernier, père du monde entier avec, à sa tête, le Dieu-Homme. Les évêques reçoivent comme charisme et ministère (et responsabilité) de réunir des synodes dans lesquels sera professée la foi-dogme, comme “connaissance” commune et unanime du Dieu de toutes les Églises. C’est pour cette raison qu’il leur revient de formuler les dogmes. Néanmoins, l’accomplissement du dogme exige qu’il circule, qu’il soit approuvé, reçu et vécu par tout le plérôme de l’Église.

6. La validité et l’autorité des dogmes De tout ce que nous avons vu précédemment, il ressort que : a) Les dogmes tirent leur validité de la fidélité qu’ils font naître à l’égard de l’image/icône initiale de la relation existentielle Dieu-monde, laquelle non seulement se révèle comme “connaissance” intellectuelle, mais aussi se réalise comme communion Dieu-homme-monde dans le Christ, dans l’expérience des premiers

Page 21: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

21

Disciples et des premières communautés apostoliques, telle qu’elle est rapportée dans le Nouveau Testament. b) Pour que les dogmes acquièrent validité et autorité, il est indispensable, au préalable, que la communauté eucharistique fonctionne convenablement, c’est-à-dire qu’elle soit bien structurée compte tenu des éléments que nous avons mentionnés plus haut, et qu’elle fonctionne comme communion de tous les charismes et de tous les ministres. Par conséquent, la validité des dogmes n’est pas imposée d’en haut au nom d’un pouvoir entendu comme judiciaire (= en vigueur, par définition, dans quelque institution), mais se manifeste et se confirme comme le “Amen” de tout le plérôme. Toutefois, dès le moment où le dogme s’instaure de cette manière et se fortifie dans la conscience de l’Église, sa validité est établie immuablement et la seule chose désormais permise est son vécu et son interprétation (par la théologie dogmatique, l’ascèse, l’hymnographie, l’hagiographie, etc.). Ainsi, ce qui “a été institué” (au sens indiqué ci-dessus) comme “dogme” acquiert une autorité absolue qu’aucun synode postérieur ni théologie ne peut “abolir” ni modifier. Il n’est possible que de l’interpréter, éventuellement de formuler d’autres dogmes qui, toutefois, pour devenir des dogmes dont la validité et l’autorité soient égales aux précédents, doivent remplir les conditions indiquées plus haut. c) De là, apparaît le sens de l’infaillibilité des dogmes (et de l’Église). Pour les Ortho-doxes, l’infaillibilité n’est liée à aucune institution en elle-même (par exemple, synodes, évêques), ni à quelque perfection morale ou expérience individuelle, et par l’expérience à la connaissance de Dieu (p. ex. les saints et les gérontes, en tant qu’individus, ne sont pas automatiquement et par définition infaillibles). L’infailli-bilité est le résultat de la “communion du Saint Esprit”, qui « affermit toute entière l’institution de l’Église rassemblée »28. Par conséquent, personne n’est infaillible en tant que personne, c’est-à-dire en soi-même, sans référence aux autres charismes et ministères de l’Église. Toutefois, chacun peut empiriquement exprimer la vérité de l’Église que les synodes des évêques énoncent de manière “infaillible”, s’il est fidèle à cette vérité (par exemple, un hymnographe, un hagiographe, un ascète, un martyr ou un simple chrétien qui vit, fidèlement et humblement, en membre du corps eu-charistique de l’Église). d) En ce qui concerne plus particulièrement la théologie dogmatique, il est évident qu’elle ne peut revendiquer l’infaillibilité dans le même sens que le font les dogmes institués. De nombreux théologiens confondent l’autorité des dogmes avec celle de la théologie des Pères : un tel père l’a dit, donc c’est infaillible. Ceci crée une dangereuse confusion. Pour qu’une position patristique acquière une valeur universelle, il faut qu’elle passe par le filtre du “fourneau du Saint Esprit” que nous avons décrite plus haut, car la sainteté et l’autorité personnelle d’un saint Père ne

28 Stichère du Lucernaire des Grandes Vêpres du dimanche de Pentecôte.

Page 22: Théologie systématique ---------- Cours de Dogmatique ...users.skynet.be/orthodoxie/ioj/td1/td1b.pdf · formes de la Théologie prophétique-charismatique des évêques qui présidaient

22

suffisent pas à la rendre équivalente aux dogmes de l’Église. Par exemple, saint Athanase d’Alexandrie le Grand a pertinemment exprimé la foi de l’Église avant que le Ier Concile œcuménique de Nicée (325) ne dogmatise. Mais ce n’est que lorsque l’enseignement du Ier Concile œcuménique a été adopté par l’Église que la théologie de saint Athanase le Grand est devenue un “dogme” infaillible, avec une réception universelle obligatoire. Bien entendu, une nouvelle question se pose : que se passe-t-il à des périodes où le Concile œcuménique ne se réunit pas et que ne sont pas institués de dogmes. En ce cas, l’Église vit et professe la vérité de la Christophanie de Dieu au moyen d’une diversité de formes d’expérience et de profession de foi, ou par l’intermédiaire de nouveaux pères (l’Église a toujours des pères — l’époque patristique ne s’est pas interrompue au 9e siècle, comme on a coutume de le dire en Occident). Toutefois, ces pères interprètent les dogmes, sans en produire d’autres, c’est-à-dire sans attribuer une valeur universelle, pour l’Église répandue à travers tout l’univers, à ce qu’ils disent. Ainsi, en ce qui concerne la dogmatique aussi (pour tous ceux, parmi nous, qui s’occupent des dogmes sacrés, soit comme enseignants, soit comme enseignés), ce qui est entrepris est une interprétation existentielle des dogmes, qui ne peut acquérir de validité universelle. Il serait quelque peu excessif, sinon déplacé, de la part d’un théologien, d’affirmer que son interprétation est la plus apte à exprimer, pleinement et validement, l’interprétation des dogmes. Nous sommes tous sujets à l’erreur et, pour cette raison, nous devons avoir assez d’humilité pour nous écouter les uns les autres. Faute d’humilité, nous risquons de nous proclamer nous-mêmes “papes” infaillibles, ce qui semble arriver souvent dans l’Orthodoxie, où tout théologien a tendance à se faire “pape”. La Vérité n’est révélée et fortifiée (= devient infaillible) que si nous nous intégrons humblement au corps de l’Église et nous nous donnons à la communion et à la communauté du Saint Esprit. Car, en fin de compte, Dieu ne peut être connu qu’“en Esprit” par l’amour.