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UNIVERSITE PARIS - EST CRETEIL VAL DE MARNE ECOLE DOCTORALE Organisation, Marchés, Institutions - 207 Doctorat de Droit Privé Caroline LEROY LE PACTE D’ACTIONNAIRES DANS L’ENVIRONNEMENT SOCIÉTAIRE Thèse dirigée par Madame le Professeur Véronique RANOUIL Professeur à l’Université de Paris - Est Créteil Val de Marne (Paris XII) Soutenue le 14 juin 2010 En présence du Jury : - Madame le Professeur Véronique RANOUIL, Professeur à l’Université Paris - Est Créteil Val de Marne (Paris XII) - Monsieur Jean-Pierre BERTREL, Professeur à l’ESCP Europe - Madame Géraldine GOFFAUX CALLEBAUT, Maître de Conférences à l’Université de Paris - Sud (Paris XI)

Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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UNIVERSITE PARIS - EST CRETEIL VAL DE MARNE

ECOLE DOCTORALE Organisation, Marchés, Institutions - 207

Doctorat de Droit Privé

Caroline LEROY

LE PACTE D’ACTIONNAIRES

DANS L’ENVIRONNEMENT SOCIÉTAIRE

Thèse dirigée par Madame le Professeur Véronique RA NOUIL

Professeur à l’Université de Paris - Est Créteil Val de Marne (Paris XII)

Soutenue le 14 juin 2010

En présence du Jury : - Madame le Professeur Véronique RANOUIL, Professeur à l’Université Paris - Est Créteil Val de Marne (Paris XII) - Monsieur Jean-Pierre BERTREL, Professeur à l’ESCP Europe - Madame Géraldine GOFFAUX CALLEBAUT, Maître de Conférences à l’Université de Paris - Sud (Paris XI)

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LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS Actes. prat. ing. sociétaire Revue Actes pratiques ingénierie sociétaire Art. Article BICC Bulletin d’information de la Cour de cassation Bull. civ. Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de Cassation Bull. Joly Bulletin Joly Sociétés BRDA Bulletin rapide de droit des affaires Francis Lefebvre Cass. 1ère (2ème ou Arrêt de la première (deuxième ou troisième) chambre civile de 3ème) civ. la Cour de cassation Cass. ass. plén. Arrêt de la Cour de cassation réunie en assemblée plénière Cass. ch. mixte Arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation

Cass. com. Arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de

cassation

Cass. req. Arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation C. civ. Code civil C. com. Code de commerce Chron. Chronique Comm. Commentaire Concl. Conclusion Cons. const. Conseil constitutionnel Contra Solution contraire Contrats, conc., consom. Contrats, concurrence, consommation D. Recueil Dalloz-Sirey Defrénois Répertoire du notariat Defrénois Dr. sociétés Droit des sociétés Dr. et pat. Droit et Patrimoine Ed. Edition Gaz. Pal Gazette du Palais Infra Ci-dessous

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J.-Cl. civ. Juris-Classeur civil J.-Cl. Sociétés Juris-Classeur sociétés JCP Juris-Classeur périodique (La Semaine Juridique) JCP, éd. N Juris-Classeur périodique, édition Notariale JCP, éd. E Juris-Classeur périodique, édition Entreprise Journ. sociétés Journal des sociétés N° Numéro Obs. Observations Op. cit. Ouvrage précité LPA Les Petites Affiches RD bancaire et bourse Revue de droit bancaire et de la bourse RD bancaire et fin. Revue de droit bancaire et financier RDC Revue des contrats Rép. Dr. civ. Répertoire de droit civil Dalloz Rép. Sociétés Répertoire de droit des sociétés Dalloz Rev. gén. dr. com. Revue générale de droit commercial Rev. Lamy Dr. aff. Revue Lamy droit des affaires Rev. Lamy Dr. civ Revue Lamy droit civil Rev. sociétés Revue des sociétés R.J. com. Revue de jurisprudence commerciale RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial S. Suivant(s) Sem. jur. La Semaine juridique Spéc. Spécialement Supra Ci-dessus S. Recueil Sirey TGI Tribunal de grande instance Trib. com. Tribunal de commerce

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SOMMAIRE (Une table des matières figure à la fin de l’étude)

PARTIE I. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CONT RAT DE SOCIETE : UNE FORME D’ACCESSOIRE ................... ....................................19

TITRE 1. LA DIMENSION D’ACCESSOIRE DU PACTE D’ACTIO NNAIRES...............21

Chapitre 1. Distinction du pacte d’actionnaires et du contrat de société ........................22

Chapitre 2. Dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société.........................51

TITRE 2. LES FONDEMENTS DE LA DIMENSION D’ACCESSOIR E DU PACTE D’ACTIONNAIRES ..................................... ..................................................................81

Chapitre 1. L’objet du pacte d’actionnaires....................................................................82

Chapitre 2. La cause* du pacte d’actionnaires .............................................................106

PARTIE II. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CON TRAT DE SOCIETE : DES DEGRES DE DEPENDANCE................. ...............................143

TITRE 1. LES PACTES CARACTERISES PAR UNE DEPENDANCE MARQUEE ....145

Chapitre 1. Les conventions de vote ...........................................................................146

Chapitre 2. Les pactes aménageant la perte de la qualité d’actionnaire des partenaires ..................................................................................................................179

TITRE 2. LES PACTES CARACTERISES PAR UNE DEPENDANCE MODEREE ....217

Chapitre 1. L’influence du principe de libre négociabilité des actions ..........................218

Chapitre 2. L’influence incertaine de l’ordre public sociétaire : l’exemple des clauses léonines et de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil ...........................................253

* La cause est ici retenue sous ses acceptions de cause efficiente et catégorique et de cause-fonction.

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INTRODUCTION

1 - La recherche d’un « juste milieu »1, en droit des sociétés, entre le respect de la

liberté contractuelle et la protection assurée par l’ordre public mobilise toutes les

attentions : celle du législateur, de la jurisprudence et de la doctrine et préoccupe les

acteurs du monde des affaires depuis plusieurs dizaines d’années.

Conçue à l’origine comme le résultat d’un contrat librement négocié, la société s’est

fortement institutionnalisée au cours du XXème siècle. De l'encadrement stricte par le

législateur de 1966 des règles de fonctionnement des sociétés, s’agissant en particulier

de la société anonyme, il résulte un manque de souplesse statutaire2 inadapté aux

besoins des entreprises et dénoncé depuis longue date3.

Les nombreuses règles impératives qui relèvent de l’ordre public sociétaire visent

notamment à protéger les tiers, créanciers sociaux, qui sont amenés à traiter avec la

société ainsi que les actionnaires minoritaires4. Si cette protection, recommandée par le

Traité de Rome5, est bien légitime, l’importance et la rigidité de la réglementation à

laquelle elle a donné lieu en droit français, spécialement en matière de sociétés

anonymes, présente le risque d’étouffer le développement des sociétés6.

Une souplesse dans l’aménagement du fonctionnement des sociétés s’avère en effet

indispensable pour permettre à ces dernières, acteurs du marché, de suivre et de

participer au développement économique des affaires dans un contexte international

concurrentiel7. Or, cette flexibilité ne peut venir que de la liberté contractuelle. Ainsi que

l’a exprimé le doyen Carbonnier, « la liberté contractuelle est la face juridique de cette loi

économique de marché »8. Un courant favorable au renouveau contractuel a ainsi

émergé9 et donné lieu à un phénomène de « contractualisation du droit des sociétés »10,

né de la pratique et conforté par plusieurs interventions du législateur.

1 J.-P. Bertrel, « Liberté contractuelle et sociétés – Essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des sociétés », RTD com., 1996, p.595 et B. Saintourens, « La flexibilité du droit des sociétés », RTD. com., 1987, p. 457. 2 Y. Chaput, « La liberté et les statuts », Rev. sociétés, 1989, p. 311. 3 Ph. Bissara, « L’inadaptation du droit français des sociétés aux besoins des entreprises et les aléas des solutions », Rev. sociétés, 1990, p. 553. 4 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°9 et 200. 5 Art. 34-4 g du Traité de Rome. 6 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°4 et s. 7 J.-J. Daigre, « Transformer les sociétés » in « De nouveaux espaces de liberté contractuelle », JCP - Cah. dr. entr., 2/1995, p. 16. 8 J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, Forum, 1996, p. 177, cité par J.-P. Bertrel, op. cit., n°1. 9 A. Couret, « Les apports de la théorie micro-économique moderne à l’analyse du droit des sociétés », Rev. sociétés, 1983, p. 243.

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2 - La contractualisation du droit des sociétés se manifeste par « l’utilisation

croissante de la technique contractuelle afin de répondre aux besoins manifestés par les

associés [ou actionnaires] d’adapter le droit des sociétés »11.

Les praticiens sont les premiers à avoir eu recours à cette technique, par la conclusion

de conventions extra-statutaires entre actionnaires dénommées pactes d’actionnaires,

lesquelles permettent, en exploitant les espaces de liberté laissés par la loi, d’aménager

la conduite des affaires et la composition du capital que les actionnaires signataires

souhaitent voir être appliquées dans leur société. Ces pactes d’actionnaires sont le fruit

d’une création de la pratique, ils ne font l’objet de quasiment aucune réglementation12,

sauf lorsqu’ils sont conclus relativement à des titres admis aux négociations sur un

marché réglementé13, et constituent une pure expression de la liberté contractuelle. La

jurisprudence, confrontée à un impératif économique, en a admis la validité sur le

fondement de cette liberté14. Ils ont également rapidement gagné le soutien de la

doctrine15.

3 - Puis, le législateur a pris conscience de ce besoin de flexibilité en droit des

sociétés et a progressivement aménagé de nouveaux espaces de liberté contractuelle

dans les statuts des sociétés par actions. Il a tout d’abord créé, en 1994, la société par

actions simplifiée (SAS)16, dont les conditions de constitution, relativement strictes à

l’origine, ont été fortement assouplies en 1999 puis par la loi de Modernisation de

l’économie du 4 août 200817. Il s’agit d’un modèle ultra-contractuel de forme sociale, ne

pouvant pas, par principe, offrir ses titres au public18, qui octroie à ses « associés » une

10 D. Schmidt, Rapport de synthèse, in « La stabilité du Pouvoir et du Capital dans les sociétés par actions », Colloque de Deauville, RJ. com., 1990, p. 180. Sur cette question, voir notamment M.-Ch. Monsallier, op. cit.; S. Schiller, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés, les connexions radicales, LGDJ, 2002 ; Y. Guyon, op. cit ; F.-D. Poitrinal, La révolution contractuelle du droit des sociétés dynamisme et paradoxes, Revue Banque Edition, 2003 et G. Goffaux-Callebaut, « Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés », éd. L’Harmattan, 2008. 11 G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°2. 12 La loi tient toutefois compte de l’existence des pactes d’actionnaires pour leur faire produire certains effets, notamment en matière de comptes consolidés (art. L 233-16 C. com.) et de sociétés contrôlées (art. L 233-3 C. com.). 13 Notamment art. L 233-10 C. com. (définition de l’action de concert) et art. L 233-11 C. com. (obligation d’information des marchés financiers). 14 Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, p. 781, note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu. 15 D. Martin et L. Faugérolas, « Les pactes d’actionnaires », JCP, éd. G, 1989. I. 3412 ; G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1 ; S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992 ; Y. Guyon, op. cit. et D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993. 16 Art. L 227-1 et s. C. com. 17 Loi n°2008-776 du 4 août 2008, dont l’article 59 a ssouplit davantage les conditions de constitution (voir notamment, la suppression de l’exigence d’un capital social minimum) et de fonctionnement de la SAS. 18 Art. L 227-2 C. com. La SAS peut toutefois, depuis l’ordonnance n°2009-80 du 22 janvier 2009 relative à l’appel public à l’épargne qui a complété l’art. L 227-2 C. com., procéder à des offres réservées à des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d’investisseurs.

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grande liberté pour organiser dans les statuts le fonctionnement de la société ainsi que

la condition d’associé.

Par la suite, dans le cadre de la réforme du régime des valeurs mobilières opérée par

l’ordonnance du 24 juin 200419, le législateur a créé les actions de préférence20 dont le

régime a quelque peu été assoupli par la loi de Modernisation de l’économie du 4 août

2008 précitée21. Ces actions peuvent être assorties d’une grande variété de droits

particuliers, d’ordre pécuniaire et extra-pécuniaire, déterminés dans les statuts par les

actionnaires.

Mais la création de la SAS et des actions de préférence, de même que

l’assouplissement législatif apporté par ailleurs de manière ponctuelle par le

dégagement d’interstices de liberté contractuelle, à certaines règles régissant les statuts

de sociétés anonymes, ainsi notamment de l’admission par l’ordonnance du 24 juin

2004 précitée22 des clauses d’agrément applicables aux cessions entre actionnaires23,

n’ôte rien au caractère prépondérant de l’ordre public sociétaire dans la réglementation

des sociétés par actions. On constate d’ailleurs que le recours aux pactes d’actionnaires

demeure très important en pratique et continue de se développer.

Le droit contemporain des sociétés est ainsi caractérisé par l’existence d’une dynamique

favorable à une plus grande souplesse, grâce à la liberté contractuelle, sur fond d’une

approche institutionnelle de la discipline24, marquée par le maintien d’un bloc de règles

impératives et la « prolifération d’une réglementation de plus en plus en plus

tatillonne »25. Cela révèle le paradoxe inhérent à la méthode législative employée,

consistant, dans l’objectif affiché d’assouplir le système, à le réglementer26.

4 - Les pactes d’actionnaires se définissent comme l’ensemble des conventions

extra-statutaires par lesquelles deux ou plusieurs actionnaires, personne physique ou

morale, organisent entre eux, selon un certain équilibre, les relations individuelles qu’ils

entretiennent au sein de la société, au regard de la gestion du pouvoir et la détention du

capital.

19 Ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004 portant réfo rme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales, suivie du décret 2005-112 du 10 février 2005 qui en a fixé les modalités d’application. 20 Art. L 228-11 et s. C. com. 21 Loi n°2008-776 du 4 août 2008 suivie de l’ordonnan ce n°2008-1145 du 6 novembre 2008. 22 Ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004, précitée . 23 Art. L 228-23 et s. C. com. 24 Voir notamment, B. Oppetit, « Les tendances actuelles du droit des sociétés français », Journées franco-bulgares, Bull. soc. legisl. comp., 1989, p. 108 et s. 25 Y. Guyon, op. cit., p. 7. Voir également G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n° 1 et 4. 26 En ce sens, P. Bézard, Préface à F.-D. Poitrinal, La révolution contractuelle du droit des sociétés dynamisme et paradoxes, op. cit., p. 12 (citant, à titre d’exemple, la loi NRE du 15 mai 2001 « empreinte tout à la fois d’un esprit libéral et dirigiste »).

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La notion de pacte d’actionnaires, entendue stricto sensu27, recouvre en effet, selon

nous, à l’instar d’une fraction significative de la doctrine28, les seuls pactes conclus entre

actionnaires en vue d’instaurer des relations individuelles, de nature exclusivement

contractuelle, plus profondes entre certains actionnaires, lesquelles viennent s’ajouter

aux relations collectives préexistant dans le cadre du contrat de société.

La qualification de pacte29, plutôt que celle de contrat ou de convention, n’emporte

aucune spécificité juridique30. Elle rappelle toutefois l’aspect solennel et grave que revêt

l’engagement pour les actionnaires31. L’emploi du terme pacte fait également écho à

l’idée d’anticipation, de rapprochement motivé par l’élaboration en commun d’une

stratégie applicable sur une certaine durée, déterminée en fonction de paramètres en

partie extérieurs, et dans laquelle chaque participant est susceptible de trouver un

intérêt, que cet intérêt soit d’un genre identique pour tous ou non.

5 - La pratique des pactes d’actionnaires ne s’est jamais essoufflée malgré la volonté

du législateur de faire bénéficier les statuts des sociétés par actions d’un renouveau

contractuel, elle conserve aujourd’hui une extraordinaire vitalité. Le recours aux pactes

d’actionnaires est en effet systématique dans la pratique des affaires32. Il répond à des

enjeux politiques, financiers et économiques considérables.

Cette pratique est née dans le cadre des concentrations et regroupements d’entreprises,

pour lesquels les pactes d’actionnaires permettent d’assurer la stabilité de la direction et

de l’actionnariat majoritaire face aux risques d’agressions inamicales ou de mettre en

place un pouvoir égalitaire dans les filiales communes créées en vue d’une coopération

inter-entreprises33. Elle a été favorisée par la mondialisation des échanges, les pactes

27 Les pactes d’actionnaires stricto sensu constituent une sous-catégorie particulière au sein de la catégorie plus large des conventions ou pactes extra-statutaires, lesquels regroupent notamment, à côté des pactes conclus entre actionnaires, ceux conclus par certains actionnaires avec la société, avec des dirigeants sociaux, ou encore avec des tiers (voir Y. Guyon, op. cit., n°198 et s.). 28 En ce sens, J.-P. Bertrel, op. cit., n°21 et J Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », commentaire sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, n°10. Voir également Y. Guyon, op. cit., n°199 ; M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1623 et G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°328. 29 Le pacte est défini, d’une manière générale, comme une « espèce de convention, terme surtout employé dans les expressions consacrées désignant des opérations d’une certaine solennité qui, en général, établissent un ordre durable (paix des familles, chartre, traité des nations) ou engagent gravement l’avenir » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Coll. PUF Quadrige, 3ème éd., 2002). 30 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°199. Voir sur cette question, F. Lafay, « Le pa cte en droit privé, convention autonome ? », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2006, n°115, p. 2265. Voir également, G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°329. 31 En ce sens, S. Prat, op. cit., n°4. 32 A. Couret et Th. Jacomet, « Les pièges des pactes d’actionnaires : questions récurrentes et interrogations à partir de la jurisprudence récente », RJDA, 10/08, p. 951, n°1. 33 Les constitutions de filiales communes, dénommées joint venture, sont fréquentes dans le secteur de l’industrie. Elles consistent en le regroupement de deux entreprises partenaires dans le but de réaliser un projet particulier en mettant leurs ressources en commun et en partageant les risques et les bénéfices qui en résultent.

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d’actionnaires constituant notamment des figures juridiques anciennes et courantes

dans les systèmes de droit anglo-américain et allemand34.

Cette pratique s’est développée avec l’essor des opérations de capital-investissement

(private equity)35 à partir des années 1970 en France. Les pactes répondent alors à un

enjeu financier, consistant, afin d’obtenir des sources de financement extérieur, à attirer

les investisseurs susceptibles de prendre des participations minoritaires dans le capital

de sociétés non cotées en leur offrant les avantages politiques et financiers qu’ils

réclament en contrepartie de leur prise de risque.

Enfin, la poursuite du développement des pactes d’actionnaires vient de la nécessité

d’anticiper et d’accompagner la transmission des nombreuses entreprises, à caractère

familial ou non, dont les dirigeants prennent ou sont destinés à prendre leur retraite dans

les toutes prochaines années. Les pactes permettent alors d’aménager les conditions

d’entrée et de sortie du capital ainsi que les modalités de répartition de l’exercice du

pouvoir au sein de la société afin organiser cette transmission depuis la période qui la

précède jusqu’à celle qui la suit36.

6 - L’ensemble de ces facteurs économiques a révélé l’existence, au sein d’une

même société, d’actionnaires diversifiés dont les intérêts, ou tout au moins les

préoccupations immédiates, sont distincts et souvent divergents. Dès lors, les pactes

d’actionnaires permettent à leurs signataires, par la prise d’engagements extra-

statutaires d’une grande variété, exploitant les rapports de force en présence, de

répondre au mieux aux intérêts particuliers de ces derniers37 et de leur donner les

moyens de collaborer38 d’une manière satisfaisante pour eux au sein de la société.

A cet égard, on rencontre des pactes d’actionnaires ou d’associés dans toutes les

formes de sociétés, en ce compris les sociétés de personnes et les sociétés à

responsabilité limitée. Toutefois, c’est dans les sociétés par actions que le recours aux

pactes est le plus répandu39. Leur utilisation est en effet moins décisive dans les autres

formes sociales dont la réglementation laisse davantage de possibilités

34 E. du Pontavice, Rapport introductif, in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », Colloque de Deauville, RJ com., 1990, p. 9. et s., spé. p. 11. 35 Voir notamment, J.-J Daigre, « Pacte d’actionnaires et capital-risque : Typologie et appréciation », Bull. Joly, 1993, p. 157 et M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003. 36 Devant l’ampleur du phénomène attendu, le législateur est intervenu pour autoriser la conclusion de pactes d’actionnaires par les fonds communs de placement d’entreprises dans le but de faciliter la reprise de ces entreprises par leurs salariés (Loi n°2006-1 770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat des salariés instaurant l’alinéa in fine de l’article L 214-40 du Code monétaire et financier). 37 G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°12. 38 S. Prat, op. cit., n°354. 39 S. Prat, op. cit., n°8; G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°330 et P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, Dossier pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, F. Lefebvre, 2006, n°50.

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d’aménagements statutaires40 et permet la prise en compte de la personnalité des

associés généralement moins nombreux.

Dans les sociétés anonymes, les aménagements requis pour optimiser la satisfaction

des intérêts particuliers de certains actionnaires, conformément aux mobiles divers de

ces derniers, n’ont leur place qu’en dehors des statuts. Il convient d’ailleurs de

remarquer que la création de la SAS41 puis celle des actions de préférence, n’ont pas

mis un terme, ni même concurrencé, la pratique des pactes d’actionnaires42 dont le

dynamisme reste intact.

7 - En effet, malgré les espaces de liberté contractuelle que la SAS et les actions de

préférence ont apportés aux statuts des sociétés par actions, seuls les pactes

d’actionnaires sont susceptibles de s’adapter au plus près des besoins des actionnaires.

A ce titre, les conventions extra-statutaires ont un périmètre d’application librement

ajustable selon qu’il s’agit de ne lier que deux ou plusieurs actionnaires et accueillent

naturellement les accords ciblés, destinés à satisfaire des besoins spécifiques, sujets à

évolution en fonction de paramètres conjoncturels.

En sus de cette souplesse, comparativement au formalisme requis pour individualiser

dans les statuts la situation de certains actionnaires ou modifier les dispositions

statutaires, les pactes d’actionnaires présentent un atout de confidentialité, tout au

moins dans les sociétés non cotées43, essentiel pour tout acteur du monde des affaires.

8 - Ce caractère occulte des pactes d’actionnaires et l’opacité qui entoure parfois les

véritables raisons de leur stipulation en marge des statuts, outre les avantages précités,

pourrait faire douter de leur validité44. Une attitude méfiante de la jurisprudence serait

justifiée au regard de la fraude consistant, pour certains actionnaires, à insérer leur

accord dans une convention extra-statutaire afin de tenter de soustraire ce dernier à

l’emprise de l’ordre public sociétaire. Dès lors, se pose la question de l’influence

qu’exerce l’environnement sociétaire sur la validité des pactes d’actionnaires. A titre

40 G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°330 et P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, op. cit., n°50. 41 De nombreux pactes d’« associés » sont en effet conclus dans le cadre des SAS en raison des avantages que ces derniers présentent par rapport aux aménagements statutaires. (A. Couret et Th. Jacomet, op. cit., n°3). 42 Sur cette question, voir Ph. Brunswick, « SAS et capital investissement : vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ? », D., 2000.595 ; B. Dondero, « Statuts de SAS et pactes extra-statutaires : questions et confrontations », Bull. Joly, 2008, n°3, p. 245 et R. Kaddouch, « LBO : actions d e préférence ou pactes d’actionnaires ? », JCP, éd. E, 2006.1953. 43 La confidentialité est exclue en matière boursière. Les pactes d’actionnaires qui comportent des conditions préférentielles de cession ou d’acquisition portant sur au moins 5 % du capital ou des droits de vote d’une société cotée doivent en effet être communiqués aux autorités financières, lesquelles en assurent la publicité. (art. L 233-11 C. com.). Le non respect de cette publicité entraîne la suspension des effets du pacte en période d’offre publique d’achat. 44 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°199 et F.-D. Poitrinal, op. cit., n°6.

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d’exemple, on pourrait se demander si les pactes d’actionnaires peuvent contenir des

stipulations qui seraient prohibées si elles figuraient dans les statuts.

9 - Le pacte d’actionnaires doit être reconnu comme valable, au nom de la liberté

contractuelle, sous réserve de respecter l’ordre public et le droit des contrats. Il serait

tentant de considérer que cet accord individuel entre actionnaires relève de cette seule

réglementation45. Mais le pacte d’actionnaires est un contrat doté d’une originalité

essentielle : le cadre sociétaire dans lequel il s’inscrit. Chaque partenaire contracte en

sa qualité d’actionnaire. On dit que le pacte d’actionnaires est conclu societatis causa46,

il semble en effet que ce dernier trouve sa matière et puise sa raison d’être dans le

contrat de société47. C’est cette relation entre le pacte d’actionnaires et le contrat de

société que nous entendons éprouver48. Dans cette optique, l’on peut se tourner, avec

d’autres, vers cette idée que le rapport de dépendance du pacte au contrat de société se

rapproche, sans toutefois y être exactement assimilable49, du rapport juridique

d’accessoire à principal50.

L’accessoire peut être défini comme l’élément « qui est lié à un élément principal, mais

distinct et placé sous la dépendance de celui-ci, soit qu’il le complète, soit qu’il n’existe

que par lui »51. Les pactes d’actionnaires dans leur ensemble tendent à s’inscrire dans

cette relation de subordination au contrat de société, lequel leur préexiste

nécessairement et auquel ils s’ajoutent, sans toutefois se confondre avec lui52. Le pacte

d’actionnaires constitue ainsi une forme d’accessoire du contrat de société, la notion

d’accessoire étant alors entendue au sens large.

10 - Par analogie avec la règle selon laquelle l’accessoire a vocation à suivre le sort

du principal53, cette dimension d’accessoire justifierait que le régime des pactes

d’actionnaires subisse l’influence du cadre juridique auquel est soumis le contrat de

45 Y. Guyon, op. cit., n°198; G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°366. 46 J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, Coll. Pratique des Affaires, 1995, n°34. 47 Y. Guyon, op. cit., n°230. 48 « L’objet du contrat, la condition d’associé, caractérise un lien fondamental avec la société » (G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°12). 49 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°198 (à propos des conventions extra-statutaires en général, ce qui inclut le pacte d’actionnaires), et, de manière moins nuancée, s’agissant du pacte d’actionnaires spécifiquement, n°230. 50 J. Moury, op. cit., n°10. 51 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Coll. PUF Quadrige, 3ème éd., 2002. 52 « L’accessoire s’ajoute au principal et lui est subordonné ». « Distinct du principal et cependant lié, il s’ajoute sans s’y absorber ». (G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°22 et 23). 53 Selon l’adage accessorium sequitur principale. Pour, une application de cette règle au cautionnement, voir notamment, M. Cabrillac, « Les accessoires de la créance » in Etudes A. Weill, Dalloz - Litec, 1983, p. 107 et s.; D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001 et Ch. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, T39, 2009.

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12

société, à savoir le droit des sociétés et, en particulier, l’ordre public sociétaire. Si cette

proximité du pacte d’actionnaires au contrat de société est telle que les intérêts

supérieurs que la réglementation impérative du droit des sociétés tend à protéger au

sein du contrat de société se trouvent menacés par la conclusion du pacte, alors le

pacte d’actionnaires doit certainement respecter l’ordre public sociétaire.

La Cour de cassation valide en effet les conventions extra-statutaires entre actionnaires,

sous le visa de l’article 1134 du Code civil, « lorsqu’elles ne sont pas contraires à une

règle d'ordre public, à une stipulation impérative des statuts ou à l'intérêt social »54. On

retrouve l’influence de la réglementation impérative du droit des sociétés dans ces trois

conditions générales de validité des pactes d’actionnaires. La première condition, qui

vise la non-contrariété à une règle d’ordre public, inclut à l’évidence l’ordre public

sociétaire. La seconde condition, relative à la non-contrariété à une stipulation

impérative des statuts fait à nouveau référence à l’ordre public sociétaire dès lors que,

non seulement les statuts doivent eux-mêmes respecter les règles impératives qui

forment cet ordre public, mais encore, constituent une norme sociétaire

hiérarchiquement supérieure aux conventions extra-statutaires. Enfin, la troisième

condition imposant la non-contrariété à l’intérêt social renvoie à l’un des concepts les

plus flous du droit des sociétés55, auquel le juge a fréquemment recours pour préserver

la finalité économique que le droit assigne au contrat de société56, ce qui devrait

conférer à cette condition le caractère impérieux de l’ordre public sociétaire. Ces

conditions générales de validité des pactes d’actionnaires font a priori écho à une forme

de rapport d’accessoire à principal dans la dépendance du pacte au contrat de société

en ce que, d’une part, elles évoquent la subordination du pacte, dans son contenu, aux

dispositions statutaires ainsi que la soumission de ce dernier aux règles impératives

auxquelles le contrat de société est lui-même soumis, et induisent, d’autre part, que le

pacte doit respecter la finalité du contrat de société.

11 - La volonté des actionnaires paraît ainsi, même en dehors des statuts, limitée par

l’ordre public sociétaire. La recherche par la doctrine des bornes que connaît le

rayonnement de la liberté contractuelle dans le cadre du mouvement de

contractualisation du droit des sociétés a révélé que les pactes d’actionnaires

54 Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, p. 781, note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu, précités. 55 Voir notamment, A. Pirovano, « La “boussole” de la société ? Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise », D., 1997, chron. 189 ; J.-P. Bertrel, “La position de la doctrine sur l'intérêt social”, Dr. et pat., 1997, p. 42 ; A. Constantin, « L’intérêt social : quel intérêt ? », in Etudes offertes à B. Mercadal, F. Lefèbvre, 2002, p. 317 et G. Goffaux-Callebaut, « La définition de l’intérêt social, Retour sur la notion après les évolutions législatives récentes », RTD. com., 2004, p. 35. 56 En ce sens, voir M.-Ch. Monsallier, op. cit., n°788 et s.

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constituent le terrain d’affrontement le plus virulent entre la liberté contractuelle et l’ordre

public sociétaire57.

Le mérite des études d’envergure entreprises à ce titre par divers auteurs58 est d’autant

plus grand que ces dernières ont dû être menées en faisant front à la difficulté majeure

que représente l’impossibilité de raisonner sur un schéma type59 en matière de pactes

d’actionnaires. Les pactes d’actionnaires sont en effet d’une telle diversité et complexité,

entretenues par la vitalité de la pratique ainsi que l’imagination créatrice des praticiens,

que tout exercice de systématisation est délicat. Or, la vitalité de même que l’impossible

systématisation d’une matière déterminée sont reconnues comme étant constitutives

d’autant d’obstacles à l’élaboration d’une théorie générale60.

En outre, le régime des pactes d’actionnaires est d’autant plus malaisé à appréhender

qu’il résulte exclusivement de la jurisprudence, laquelle est de plus en plus abondante61

et riche, mais dont il est souvent difficile de dégager la portée tant les solutions sont

empreintes d’une grande casuistique62.

Enfin, la difficulté majeure à laquelle se heurte l’étude de l’influence du droit des sociétés

sur le régime des pactes d’actionnaires vient du manque de netteté du cadre impératif

sociétaire63. Ce cadre comprend à la fois des dispositions légales, dont les textes

précisent qu’elles sont impératives ou que toute clause y étant contraire est réputée non

écrite, et des principes généraux, dégagés par la doctrine et la jurisprudence, présentés

comme fondamentaux. S’agissant des premières, la démarche consiste à déterminer

l’étendue de leur domaine impératif. Nous verrons que la question se pose avec acuité

en matière de conventions extra-statutaires de rachat à prix plancher entre actionnaires

au regard de la prohibition des clauses léonines, ou encore, dans le cadre du recours

conventionnel par les pactes à l’expert de l’article 1843-4 du Code civil au regard de

l’indépendance de ce dernier. En ce qui concerne les principes fondamentaux non écrits

57 Y. Guyon, op. cit., n°200. 58 Sur le mouvement de contractualisation en général : Y. Guyon, op. cit. ; M.-Ch. Monsallier, op. cit. ; S. Schiller, op. cit. ; F.-D. Poitrinal, op. cit. et G. Goffaux-Callebaut, op. cit. Sur les pactes d’actionnaires en particulier : D. Martin et L. Faugérolas, « Les pactes d’actionnaires », op.cit. ; G. Parléani, op. cit ; S. Prat, op. cit. ; D. Velardocchio-Flores, op. cit. ; J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, 1995 et M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, op. cit. Voir également, A. Couret et Th. Jacomet, op. cit. et B. Dondero, « Le pacte d’actionnaires : le contrat dans la société », in Dossier « Société et Contrat », Journ. sociétés, 2008, n°53, p . 42 et s. 59 S. Prat, op. cit, n°10. 60 V. Ranouil, La subrogation réelle en droit civil français, LGDJ, T. 187, 1985, p. 27. Il convient de distinguer deux acceptions de ce concept. La théorie générale peut s’entendre 1/ du droit positif appliqué à une matière donnée, lequel, s’il constitue un régime uniforme permet l’élaboration d’une théorie générale ou 2/ de toute construction intellectuelle relative à une matière déterminée, laquelle doit être organisée et cohérente pour constituer une théorie synthétisant la pensée de son auteur en la matière. Sur ces questions, voir, D. Martin, préface à L’opposabilité (Essai d’une théorie générale), J. Duclos, LGDJ, T. 179, 1984 et G. Cornu, préface à Les restitutions en droit civil, M. Malaurie, Cujas, 1991. 61 Même si, en ce domaine du droit des affaires, la part des contentieux soumis à l’arbitrage, par préférence à la résolution judiciaire, est très importante. 62 P. Larrieu, « L'interprétation des pactes extra-statutaires », Rev. sociétés, 2007, p. 697. 63 Notamment, Y. Guyon, op. cit., n°201 et J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, op. cit., n°12.

Page 14: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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du droit des sociétés, tels que les principes du droit de vote, de la libre négociabilité des

actions ou encore de la hiérarchie et de la spécialité des organes sociaux dans la

société anonyme, toute la difficulté réside dans le tri qu’il convient d’opérer entre les

principes absolus et les principes relatifs64.

12 - Il ne fait aucun doute que l’emprise de l’ordre public sociétaire sur le régime des

pactes d’actionnaires n’a de cesse de se réduire, au gré des assouplissements

législatifs venant atténuer la rigueur de cet ordre public d’une manière générale, et grâce

à une appréciation de la jurisprudence dans son ensemble favorable à la primauté de la

liberté contractuelle dans les relations individuelles entre actionnaires. Néanmoins, cette

pratique doit offrir une sécurité à la hauteur de l’importance des enjeux auxquels elle

répond.

La recherche d’une ligne directrice autour de laquelle s’articule le régime des pactes

d’actionnaires devrait contribuer à une appréhension plus sûre, par les rédacteurs de

pactes, des limites dans lesquelles il est possible de libérer les accords extra-statutaires

entre actionnaires de l’influence de l’ordre public sociétaire. Or, si les pactes

d’actionnaires sont dépourvus d’un régime uniforme, il ressort globalement de leur

hétérogénéité une tendance fondamentale : la vvaarriiaabbiilliittéé ddee llaa ffoorrccee dd’’aattttrraaccttiioonn6655 qquuee

cceess ddeerrnniieerrss ssuubbiisssseenntt vveerrss llee rrééggiimmee aauuqquueell llee ccoonnttrraatt ddee ssoocciiééttéé eesstt lluuii--mmêêmmee ssoouummiiss.

La comparaison effectuée par le Professeur Guyon avec le système planétaire offre une

belle allégorie de cette tendance fondamentale : « Ces conventions […] subissent

néanmoins l’influence plus ou moins forte de l’existence de la société, un peu comme

des satellites ressentent plus ou moins selon leur éloignement l’attraction de l’astre

principal »66.

Notre propos est donc de caractériser la forme de rapport d’accessoire à principal que

recouvre la relation de dépendance dans laquelle le pacte d’actionnaires se place au

regard du contrat de société pour tenter de mesurer le degré d’emprise de

l’environnement sociétaire qui résulte pour les pactes de cette dimension d’accessoire.

13 - Cet axe de réflexion est en cohérence avec le choix de centrer notre étude sur

les pactes d’actionnaires stricto sensu au sein de la catégorie plus large des pactes

extra-statutaires67. En effet, si l’ensemble des pactes extra-statutaires subit, dans une

64 M.-Ch. Monsallier, op. cit., n°889 et s. 65 A rapprocher du concept d’accessoire : « Le régime de l’accessoire ne se confond pas avec le principal mais il en subit l’attraction », G. Goubeaux, op. cit., n°23. 66 Y. Guyon, op. cit., n°198, à propos des conventions extra-statutaires en général et des pactes d’actionnaires en particulier. A rapprocher du concept d’accessoire : « L’accessoire [est] juridiquement une sorte de satellite gravitant dans l’orbite du principal », G. Goubeaux, op. cit., n°23. 67 Voir précisions supra et Y. Guyon, op. cit., n°198 et s.

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15

certaine mesure, l’influence de l’existence de la société68, c’est plus spécifiquement en

matière de pactes conclus entre actionnaires, lesquels sont alors tout à la fois

signataires du pacte et du contrat de société, que la relation pacte - contrat de société

révèle toute sa richesse et sa complexité69, au point que cette relation de dépendance

puisse être rapprochée du rapport juridique d’accessoire à principal70.

Dans cette perspective, chaque fois qu’il sera question, dans les développements qui

suivent, d’un partenaire signataire du pacte, il s’agira nécessairement d’un actionnaire

en place ayant pleinement et exclusivement la propriété des actions. Dès lors, nous ne

traiterons pas des conventions extra-statutaires conclues entre actionnaires en indivision

ou dans le cadre d’un démembrement de propriété ainsi que de celles emportant un

transfert temporaire d’actions71, par le recours, notamment, au prêt, à la location72 ou au

portage d’actions, sauf dans ce dernier cas, lorsque le donneur d’ordre est déjà

actionnaire de la société cible. A fortiori, n’entrent pas non plus dans le cadre de notre

étude, les conventions conclues par un actionnaire avec une personne à laquelle la

qualité d’actionnaire n’est pas reconnue, telle que le croupier73 ou le fiduciaire74, depuis

que la fiducie est admise sous conditions en droit français75.

14 - Par ailleurs, nous limiterons nos propos aux pactes d’actionnaires conclus dans

le cadre de la société anonyme. Cette forme sociale étant la plus fortement marquée par

l’ordre public sociétaire et donc la plus rigide, elle constitue le terrain de prédilection de

la conclusion de pactes d’actionnaires76 et révèle de la manière la plus évidente

l’influence que l’environnement sociétaire est susceptible d’exercer sur ces pactes77.

15 - En outre, dans la perspective de mesurer l’intensité de la force d’attraction

sociétaire subie par les pactes d’actionnaires, notre domaine de réflexion sera restreint à

la question de l’applicabilité et de l’influence des règles du droit des sociétés sur les

pactes d’actionnaires ainsi qu’à celle, plus ponctuellement, de l’adaptation de certaines

règles du droit des contrats appliquées aux pacte d’actionnaires, en conséquence cette

68 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°198. 69 Voir également, G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°12 et Y. Guyon, op. cit., n°200. 70 J. Moury, op. cit, n°10. 71 Sur cette question, voir G. Goffaux-Callebaut, op. cit., p. 351 et s. 72 Art. L 239-1 et s. C. com. 73 D. Velardocchio-Flores, op. cit, n°77 et s. 74 Le fiduciaire est certes propriétaire des titres qu’il porte mais il ne peut être considéré comme actionnaire faute pour lui d’être partie au contrat de société. (En ce sens, voir F.-X. Lucas, « Précisions sur la qualification de portage », Bull. Joly, 2007, p. 610, note sous Cass. com. 23 janvier 2007). 75 Loi n°2007-211 du 19 février 2007 modifiée et comp létée par la loi LME du 4 août 2008, l’ordonnance du 30 janvier 2009 et la loi du 12 mai 2009. 76 Y. Guyon, op. cit., n°199 et G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°330. 77 Y. Guyon, op. cit., n°200 et G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°9 et 330.

Page 16: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

16

influence sociétaire78. Nous exclurons donc de cette étude l’appréhension des pactes

d’actionnaires par le droit boursier79 en raison, non seulement, de la spécificité des

pactes d’actionnaires conclus dans le cadre des sociétés cotées80, lesquels intègrent

divers mécanismes liés aux offres publiques d’achat81, mais encore, de la spécificité de

la réglementation relative aux sociétés cotées82, lesquelles sont dotées d’un régime

spécial et autonome83. Des raisons de politique économique84 justifient en effet, qu’afin

de préserver le bon fonctionnement des marchés financiers, en assurant notamment la

transparence du marché ainsi que la sécurité des épargnants, le législateur encadre par

un certain nombre de règles spécifiques et contraignantes, de publicité85 en particulier,

les pactes auxquels ont très fréquemment recours les actionnaires de sociétés dont les

titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé.

16 - Enfin, la volonté de centrer nos propos sur l’influence qu’exerce l’environnement

sociétaire sur les pactes d’actionnaires conduit naturellement à laisser de côté l’étude de

la sanction de l’inexécution des pactes d’actionnaires, laquelle relève exclusivement du

droit des contrats86. Cette dernière question a longtemps mobilisé la doctrine et les

praticiens87 qui dénoncent la faible efficacité des pactes d’actionnaires88, cette faiblesse

78 Les interactions entre le droit des sociétés et le droit des obligations en général (sur lesquelles, voir notamment M. Jeantin, « Droit des obligations et droit des sociétés » in Mélanges L. Boyer, Presse Universitaire des Sciences sociales de Toulouse, I. 1996, p. 317) ou dans des domaines particuliers autres que les pactes d’actionnaires ont fait l’objet de diverses études doctrinales (voir dernièrement, M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009). 79 Sur cette question, voir notamment D. Ohl et F. Martin Laprade, « Pactes et sociétés cotées : étude de certains effets perturbateurs du droit boursier sur le droit des contrats », Dr. et pat., 2009, n°186, p. 90 et s. et P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, op. cit, n°350 et s. 80 G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°384 et J.-J. Daigre, D. Bompoint et F. Basdevant, « Les pactes d’actionnaires dans les sociétés cotées », Rev. sociétés, Actes prat., 7-8/2002, p. 1 et s., I (s’agissant des parties au pacte). 81 G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°384. 82 Voir toutefois J.-J. Daigre, D. Bompoint et F. Basdevant, op. cit., Introduction - 3, selon lesquels, la fracture entre le régime des pactes d’actionnaires conclus dans les sociétés cotées et celui des pactes conclus dans les sociétés non cotées ne tient pas tant au caractère coté de la société qu’à l’observation d’une période d’offre publique pour cette dernière. 83 M. Germain, op. cit., n°2064. Malgré la conception unitaire du droit d es sociétés adoptée formellement par le Code de commerce, le particularisme du régime des sociétés cotées est acquis et même renforcé depuis la suppression de la notion d’appel public à l’épargne opérée par l’ordonnance n°2009-80 du 22 janvier 2009. Depuis le 1er avril 2009, l’admission aux négociations sur un marché réglementé est en effet devenue une notion distincte et parfaitement autonome de l’offre au public. 84 Y. Guyon, op. cit., n°10 et 223 et G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°9. 85 Art. L 233-11 et L 225-100-3 C. com. Voir également art. L 233-10, -35, -36 et -38 C. com. 86 Voir G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°400. Exception faite de l’influence du principe d’intangibilité des délibérations sociales sur l’exécution forcée des conventions de vote, en ce que ce dernier exclut l’annulation d’une délibération prise en contradiction avec une convention de vote mais valable au regard du droit des sociétés (sur cette question, voir A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004, n°240 et s.). 87Voir notamment, H. Le Nabasque, « L'exécution forcée des pactes d’actionnaires », avec le concours de G. Terrier, Dr. sociétés, Actes prat., 14/1994; G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°427 et s.; A. Mignon-Colombet, op. cit., n°207 et s.; E. Brochier, « L’exécution en nature d es pactes entre actionnaires : observations d’un praticien », RDC, 2005, p. 125 et Y. Reihnard, « L’exécution en nature des pactes d’actionnaires », RDC, 2005, p. 115. 88 Cette faiblesse est en partie justifiée par l’effet relatif des contrats (art. 1165 C. civ.), ces pactes étant, sauf exception, inopposables à la société, aux actionnaires non signataires ainsi qu’aux autres tiers mais

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17

ne faisant toutefois pas obstacle à une grande vitalité de la pratique observée depuis

plusieurs décennies89. Plus encore, un revirement jurisprudentiel amorcé en 200690 ainsi

que la réforme en cours du droit des contrats91 concourent à une affirmation du principe

de l’exécution forcée des conventions en droit commun, laquelle s’appliquera

naturellement aux pactes d’actionnaires. Ainsi, alors que la critique de l’inefficacité de la

sanction des pactes d’actionnaires s’essouffle, quelques doutes persistent, en droit

positif, s’agissant de la validité, au regard de la prohibition des clauses léonines, de

certaines stipulations figurant couramment dans les pactes tandis que des incertitudes

se sont élevées, à la suite de la jurisprudence récente, relativement à la durée des

pactes92 et au domaine de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil93 et sont au cœur

de l’actualité.

17 - La recherche des contours de la relation de proximité que le pacte d’actionnaires

entretient avec le contrat de société, tant dans ses caractéristiques que dans ses

fondements, révèle une dépendance unilatérale du pacte au contrat de société qui

s’apparente à une forme de rapport d’accessoire à principal (Partie I), la notion

d’accessoire étant alors appréciée dans un sens large.

Cette dimension d’accessoire, si elle est commune à tous les pactes d’actionnaires,

s’avère être à géométrie variable. Elle repose en effet sur plusieurs facteurs de

rattachement au contrat de société, lesquels impriment divers degrés de dépendance

elle est surtout due à ce que le juge refuse en la matière, comme en droit des contrats en général, de sanctionner par l’exécution forcée le non-respect des obligations de faire ou de ne pas faire stipulées dans ces pactes (voir notamment Cass. com. 7 mars 1989, RTD civ., 1990, p. 70, note J. Mestre et J. Schmidt-Szalewski et Cass. 3ème civ. 15 décembre 1993, Defrénois, 1994, art. 35845, obs. Ph. Delebecque). 89 Les ressorts de la technique contractuelle permettent en effet aux actionnaires de renforcer l’efficacité des pactes. Voir notamment, E. Brochier, op. cit. ; G. Baffoy et R. Le Nénan, Travaux de la Quatrième Commission : « Gérer les partenaires financiers et familiaux. » in Le patrimoine professionnel, méthode et perspectives, Rapport du 98ème Congrès des Notaires de France, Cannes, 2002, n°41 77 et s.; G. de Ternay, « Du bon usage de la clause de gestion (des titres) dans les conventions extra-statutaires à la lumière de l’article 24 de l’ordonnance du 24 juin 2004 », JCP, éd. N, 2007. 1047 et G. Pillet, « L'efficacité des clauses prévoyant l'exécution forcée en nature des promesses unilatérales de vente », JCP, éd. N, 2008, p. 1299, note sous Cass. 3ème civ. 27 mars 2008. 90 Admettant la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence inexécuté au tiers acquéreur de mauvaise foi : voir Cass. ch. mixte 26 mai 2006, JCP, éd. G, 2006, n°36, II.10142, p. 1652, note L. Leveneur; RTD. civ., 2006, chron. 1, p. 550, note J. Mestre et B. Fages, D. Velardoccio, Rev. Lamy Dr. aff., 2006/8, n°406 et Defrénois, 2006, p. 1206, n°38433-41, obs. E. Savaux. Voir égal ement, Cour d’appel de Paris 3ème ch. A 1er juillet 2008, Rev. sociétés, 2008, p. 786, note D. Poracchia, infirmant Trib. com. Paris 25 juin 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1203, note F.-X. Lucas. 91 Voir « Observations sur le projet de réforme du droit des contrats », J. Ghestin (dir.), LPA, 2009, n°31 et F. Terré (dir), Pour une réforme des contrats, Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2008. Voir également Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, P. Catala (dir.). La documentation française, 2006. 92 Cass. com. 6 novembre 2007, Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury, confirmant Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, note J. Moury. 93 Cass. com. 4 décembre 2007 (deux espèces similaires) : pourvoi n°06-13912, Quilliard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier et Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque.

Page 18: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

18

dans la relation pacte - contrat de société. Or, à un fort degré de dépendance du pacte

d’actionnaires au contrat de société est logiquement associée une forte influence du

droit des sociétés, et notamment de l’ordre public sociétaire, sur le pacte.

La variabilité de la dimension d’accessoire du contrat de société que présente le pacte

commande ainsi divers degrés d’emprise de l’environnement sociétaire sur le régime du

pacte d’actionnaires (Partie II).

PARTIE I. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CONT RAT DE SOCIETE :

UNE FORME D’ACCESSOIRE

PARTIE II. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CON TRAT DE SOCIETE :

DES DEGRES DE DEPENDANCE

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PARTIE I. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CONT RAT DE

SOCIETE : UNE FORME D’ACCESSOIRE

18 - Le pacte d’actionnaires est un contrat conclu entre personnes qui présentent une

qualité particulière, celle d’être actionnaire d’une même société, et à une fin spécifique

pour ces dernières, celle de préciser, en dehors des statuts, les relations qu’elles

entretiennent en cette qualité.

La conclusion d’un pacte d’actionnaires en complément du contrat de société conduit à

la coexistence d’un double réseau de relations entre les actionnaires signataires94.

L’aménagement par le pacte des relations individuelles que les partenaires entretiennent

en leur qualité réciproque d’actionnaire vient en effet s’ajouter aux relations que

l’ensemble des actionnaires entretiennent collectivement avec la société en application

du contrat de société préexistant.

19 - La singularité du pacte d’actionnaires tient au positionnement de ce contrat dans

l’environnement extérieur et spécial que constitue le cadre sociétaire.

Juxtaposé, ou encore, superposé au contrat de société, le pacte d’actionnaires

présente, par essence, un caractère relatif : il n’a de raison d’être et d’utilité, pour les

partenaires qui en sont signataires, que rapporté au contrat de société qu’il complète.

Dès lors, le pacte d’actionnaires ne peut être appréhendé, dans toute sa spécificité, qu’à

travers la relation de proximité qui le lie au contrat de société. Il importe donc de cerner,

au préalable, les contours du lien fondamental95 qui rattache le pacte au contrat de

société dans la perspective de s’interroger, par la suite, sur la portée et l’incidence de ce

lien sur le régime du pacte d’actionnaires.

20 - A notre connaissance, peu d’auteurs se sont employés à qualifier le rapport

juridique qui lie le pacte d’actionnaires et le contrat de société96. Certains semblent

analyser le binôme contrat de société - pacte d’actionnaires en un ensemble contractuel,

au sein duquel, par définition, les deux contrats concourent à une même opération

94 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°237. 95 G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, L’Harmattan, 2008, n°12. 96 Sur cette question, voir Y. Guyon, op. cit., n°198 et 230 et J. Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », commentaire sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, n°10. Voir également I. Najjar, « L a notion d’“ensemble contractuel” » in Mélanges offerts à André Decocq, Une certaine idée du droit, Litec, 2004, p. 509

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économiquement et juridiquement complexe97. Il semble bien que, du point de vue des

actionnaires signataires, la participation au contrat de société comme au pacte vise la

réalisation du même objet économique, la conclusion du pacte permettant, plus

spécifiquement, aux partenaires de satisfaire leurs intérêts particuliers et de renforcer

l’utilité qu’ils tirent de leur participation dans la société. Mais, si la notion de groupe de

contrats et, plus particulièrement, celle d’ensemble contractuel est relativement

hétérogène98, le principe semble être celui d’une interdépendance réciproque des

contrats au sein de l’ensemble99. Or, de la relation contrat de société - pacte

d’actionnaires, c’est une dépendance unilatérale du pacte au contrat de société qui se

dégage.

En effet, le contrat de société se suffit à lui-même, ce qui n’empêche que, si un pacte

d’actionnaires est conclu, ce dernier est susceptible d’interférer avec la vie sociale100. Au

contraire, en l’absence du contrat de société, le pacte d’actionnaires est dépourvu de

raison d’être, il révèle ainsi sa position subalterne101, l’existence d’une certaine

hiérarchie102 dans le rôle joué par chaque contrat au sein du binôme contrat de société -

pacte d’actionnaires103.

21 - Il apparaît alors que le pacte d’actionnaires vient compléter le contrat de société

tout en s’inscrivant dans une relation de subordination à ce dernier104 dont les grandes

caractéristiques ne sont pas sans rappeler celles qui définissent le rapport juridique

d’accessoire à principal105.

Ainsi, après avoir présenté les caractéristiques de cette dimension d’accessoire du

contrat de société que revêt le pacte d’actionnaires (Titre 1), nous tenterons d’en

dégager les fondements (Titre 2).

97 En ce sens, voir Y. Guyon (à propos des conventions extra-statutaires en général, ce qui inclut les pactes d’actionnaires), op. cit., n°198 et I. Najjar, op. cit., p. 510. 98 Voir Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., 2009, n°837 et s. et spé. n°839. 99 Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, n°839. 100 Y. Guyon, op. cit., n°198. 101 A rapprocher de l’accessoire, M. Cabrillac, « Les accessoires de la créance » in Etudes A. Weill, Dalloz - Litec, 1983, p. 107 et s., n°8. 102 A rapprocher de l’accessoire, G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°23 et 24. 103 M. Cabrillac, op. cit. 104 « L’accessoire s’ajoute au principal et lui est subordonné », G. Goubeaux, op. cit, n°22. 105 En ce sens, J. Moury, op. cit., n°10. Voir également, Y. Guyon, op. cit., n°230.

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Titre 1. La dimension d’accessoire du pacte d’actio nnaires

22 - Les traits caractéristiques du rapport d’accessoire à principal résident, selon le

Professeur Goubeaux, dans ce que « L’accessoire s’ajoute au principal et lui est

subordonné »106. L’accessoire est en effet défini par le doyen Cornu comme l’élément

qui est distinct de l’élément principal mais placé sous la dépendance de celui-ci107.

23 - L’altérité, et partant l’idée d’adjonction, première caractéristique essentielle du

rapport juridique d’accessoire à principal, fait figure de présupposé logique. On ne peut,

à l’évidence, discerner aucun rapport de quelque nature qu’il soit entre deux éléments

non distincts108. Si le critère du « détachement minimum par rapport au principal » peut

être sujet à quelques discussions en matière de sûretés, domaine de prédilection de la

théorie de l’accessoire109, la distinction tenant à la différence de nature entre le contrat

de société et le pacte d’actionnaires s’impose, quant à elle, avec une grande clarté.

24 - La dépendance unilatérale, ou encore, la subordination de l’accessoire au

principal est le second caractère qui participe de l’essence du rapport d’accessoire à

principal. Il s’avère, à ce titre, que la « caractéristique essentielle de l’accessoire est de

ne devoir son existence qu’au principal »110. Sans le support111 que lui procure le

principal, l’accessoire est incomplet, il ne peut accéder à la vie112. Il ressort de cette

dépendance, d’une part, que le rapport d’accessoire à principal s’inscrit dans une

relation d’antériorité chronologique du principal vis-à-vis de l’accessoire113 et il en

résulte, d’autre part, que l’accessoire disparaît avec le principal114.

Il semble, ne serait-ce qu’intuitivement de prime abord, que c’est une forme similaire de

dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société que l’on retrouve dans

l’extinction qu’entraîne automatiquement pour le pacte celle du contrat de société.

25 - La relation que le pacte d’actionnaires entretient avec le contrat de société est

complexe et certainement sui generis à bien des égards, mais l’on ne peut manquer de

106 G. Goubeaux, op. cit., n°22. 107 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Coll. PUF Quadrige, 3ème éd., 2002. 108 G. Goubeaux, op. cit., n°23. 109 Ch. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, T. 37, 2009, n°20 et s. 110 Ch. Juillet, op. cit, n°387. 111 G. Goubeaux, op. cit., n°24. 112 G. Goubeaux, op. cit., n°24. 113 G. Goubeaux, op. cit., n°18. 114 « Il est de la nature des choses accessoires de ne pouvoir subsister sans la chose principale », Pothier (dont les travaux sont à l’origine de la théorie de l’accessoire), par J.-J. Bugnet, Œuvres de Pothier annotées et mises en corrélation avec le Code civil et la législation actuelle, Paris, Cosse Delamotte et Videcocq, 1848, Tome II, n°377. Voir également G. Goubeaux, op. cit., n°40.

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relever, avec d’autres115, sa ressemblance avec le rapport d’accessoire à principal.

L’étude plus approfondie des caractéristiques de cette relation confirme notre intuition :

le pacte d’actionnaires se situe bien, d’une manière analogue à l’accessoire, dans une

position intermédiaire entre l’assimilation et l’autonomie116 par rapport au contrat de

société.

26 - Le pacte d’actionnaires se distingue en effet du contrat de société (Chapitre 1)

tout en se plaçant dans une forme de dépendance à ce dernier (Chapitre 2).

Chapitre 1. Distinction du pacte d’actionnaires et du contrat de société

27 - L’altérité s’impose avec la force de l’évidence dès que l’on évoque la proximité

du pacte d’actionnaires et du contrat de société. Toute assimilation ou, plus

spécifiquement, toute intégration du pacte d’actionnaires dans l’ensemble des

instruments contractuels formant le « complexe statutaire » est en effet exclue117. D’un

côté, le contrat de société présente l’originalité de donner naissance à une personne

morale distincte et lie l’ensemble des actionnaires. D’un autre, le pacte d’actionnaires a

un domaine d’application réduit aux seuls actionnaires qui en sont signataires, dont il

organise les relations inter-individuelles118 en marge du fonctionnement collectif de la

société.

28 - Il apparaît que la distinction du pacte d’actionnaires et du contrat de société tient

à leur différence de nature. En l’état actuel du débat majeur qui anime le droit des

sociétés, relatif à la nature de la société119, on peut affirmer que cette dernière est un

contrat présentant certaines caractéristiques de l’institution. Au contraire, le pacte

d’actionnaires a une nature exclusivement contractuelle et présente, à ce titre, des

115 J. Moury, op. cit., n°10. Voir également, Y. Guyon, op. cit., n°230. 116 G. Goubeaux, op. cit., n°22. 117 Sur cette question, voir M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°23 et s. L’auteur oppose ainsi le « complexe statutaire », qui comprend, à côté des statuts, le préambule, aux documents extra-statutaires, lesquels regroupent essentiellement les pactes d’actionnaires et le règlement intérieur. 118 V. Cuisinier, L’affectio societatis, Litec 2008, n°549. 119 Sur cette question, voir notamment, J.-P. Bertrel, « Liberté contractuelle et sociétés – Essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des sociétés », RTD com., 1996, p.595 ; J.-Cl. May, « La société : contrat ou institution » in Contrat ou Institution : un enjeu de société, coordonné par B. Basdevant-Gaudemet, LGDJ, 2004 et M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1056-18 et s.

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qualités de souplesse et plasticité, en comparaison avec la rigidité qui affecte le contrat

de société, décisives dans le choix des actionnaires de recourir à cette pratique.

29 - Le pacte d’actionnaires se distingue ainsi du contrat de société par sa nature

exclusivement contractuelle (Section 1), laquelle le dote en outre d’un atout de flexibilité

(Section 2).

Section 1. La nature contractuelle du pacte d’actio nnaires

30 - Le pacte d’actionnaires et le contrat de société répondent à une logique

différente qui résulte de leur différence de nature : le premier a une nature

exclusivement contractuelle tandis que le second emprunte à la fois au contrat et à

l’institution. Or la logique institutionnelle et la logique contractuelle s’opposent tant au

niveau de la finalité qu’au niveau de l’essence et de la portée de l’accord. Rappelons à

ce titre que l’institution peut être définie comme « l’acceptation en vue de la poursuite

d’un intérêt commun, par la majorité des membres d’un groupe de personnes, d’une

organisation sociale »120. Cette organisation sociale consiste spécifiquement, dans le

cadre du contrat de société, en la création d’une entité distincte de la personne des

contractants, les actionnaires, qui n’existe qu’en tant qu’expression de la volonté

collective de ces derniers. Dotée de la personnalité morale, cette entité constitue en

outre un sujet de droit à part entière, dont l’existence s’impose aux tiers.

Le pacte d’actionnaires se distingue alors du contrat de société au regard de l’intérêt

dont la satisfaction est recherchée (§ 1) d’une part, et au regard du rayonnement de

l’accord, d’autre part (§ 2).

§ 1. Distinction quant à l’intérêt poursuivi

31 - L’article 1833 du Code civil énonce que « Toute société doit avoir un objet licite

et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». La finalité du contrat de société

est ainsi de faire prévaloir la volonté collective des associés par la satisfaction d’un

intérêt commun aux membres du groupement (A). Au contraire, dans les contrats de

droit commun, et singulièrement dans le pacte d’actionnaires, les parties sont animées

par la satisfaction de leurs intérêts essentiellement égoïstes (B).

120 Définition donnée par J.-P. Bertrel, « Liberté contractuelle et sociétés - Essai d’une théorie du “juste milieu” en droit des sociétés », RTD com., 1996, p.595, n°30.

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A. Le contrat de société ou la poursuite de l’intérêt commun

32 - La société est constituée en vue de la réalisation d’une « activité lucrative

génératrice de profits escomptés par les associés »121. Cet objet social, « l’entreprise

commune » visée par l’article 1832 du Code civil, et qui doit être licite par application de

l’article 1833 du Code civil, constitue le but commun des associés ou, plus exactement,

des actionnaires dans le cadre de notre étude. Or à ce but commun, est associé un

intérêt commun des actionnaires.

33 - L’article 1833 du Code civil énonce en effet, sous la forme d’un principe général,

que la société est constituée dans l’intérêt commun des actionnaires. Cet élément

caractérise fondamentalement le contrat de société122. La poursuite par les actionnaires

d’un intérêt qui leur est commun, lequel peut être défini comme « la réalisation et le

partage entre eux des profits de la société »123, constitue en effet la finalité de ce

contrat124. S’agissant du deuxième membre de cette définition de l’intérêt commun, le

partage des profits, il convient certainement de l’envisager davantage comme une

ambition que le droit doit s’efforcer de concrétiser125 que comme une finalité réellement

poursuivie par les actionnaires. Aussi cette finalité s’impose-t-elle, dans son ensemble,

aux actionnaires et constitue la cause objective du contrat de société. Chacun des

actionnaires ne peut ainsi retirer, à titre d’enrichissement individuel, qu’une part de

l’enrichissement social.

34 - Les intérêts des actionnaires convergent donc dans le même sens. Il ne s’agit

pas de nier le caractère synallagmatique du contrat de société : chaque actionnaire est

en effet, dès la formation du contrat, créancier et débiteur d’obligations réciproques

envers les autres126. Mais ce qui caractérise essentiellement le contrat de société, c’est

121 Ph. Bissara, « L’intérêt social », Rev. sociétés, 1999, p. 23. 122 « L’intérêt commun est l’un des fondements essentiels du contrat de société », D. Schmidt, « De l’intérêt commun des associés », JCP, 1994.I.3793, n°1, p. 535. Précisons toutefois que cet élément n’est pas susceptible à lui seul de distinguer le contrat de société, il existe en effet en droit des contrats d’autres contrats fondés sur la poursuite d’un intérêt commun tels que le mandat d’intérêt commun. 123 D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°4. 124 En ce sens également, V. Cuisinier, L’affectio societatis, Litec, 2008, n°261, p. 229. 125 En ce sens, M.-A. Frison-Roche, « Régulation et droit des sociétés. De l’article 1832 du Code civil à la protection du marché de l’investissement », Mélanges D. Schmidt, éd. Joly, 2005, p. 255, n°13. 126 En ce sens : J-Cl. May, « La société : contrat ou institution » in Contrat ou Institution : un enjeu de société, coordonné par B. Basdevant-Gaudemet, LGDJ, 2004, p. 129, renvoyant à Y. Chartier, Droit des affaires, t. 2, Sociétés commerciales, PUF, 1992, p. 51 et Ch. Larroumet, Droit civil, Tome III, Les obligations Le Contrat, 2e partie Effets, 6ème éd., 2007, n°181.

Page 25: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

25

que les actionnaires s’engagent ensemble dans la société127, animés par la poursuite

d’un intérêt convergent. Ces derniers doivent coopérer en vue de réaliser conjointement

cet intérêt commun ou, dans la négative, échouer conjointement.

De cette finalité du contrat de société découlent des principes supérieurs parmi lesquels

celui de l’égalité entre actionnaires, principe non expressément proclamé par la loi mais

qui sous-tend plusieurs textes législatifs128 et a été consacré par le juge à diverses

occasions129. La jurisprudence relative aux abus de majorité ou de minorité, lesquels ont

pour effet de favoriser les intérêts de certains actionnaires au détriment de celui de la

collectivité des actionnaires, en est une bonne illustration. Rappelons à ce titre que

l’égalité entre actionnaires s’apprécie exclusivement dans les rapports que les

actionnaires entretiennent collectivement avec la société, et non dans les rapports inter-

individuels des actionnaires130.

35 - Pendant longtemps, cette finalité de poursuite d’un intérêt commun, de même

que le principe d’égalité entre actionnaires, ont été absorbés, en droit positif, par la

notion d’affectio societatis131. La doctrine et la jurisprudence présentent en effet l’affectio

societatis comme un élément constitutif et caractéristique du contrat de société, ne

figurant pas expressément dans les textes, qui suppose que « les associés collaborent

de façon effective à l’exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité »132.

La notion d’intérêt commun a été redécouverte par la doctrine dans le cadre de la

réflexion opérée en France autour du débat sur la « corporate governance », dont

l’enjeu réside essentiellement dans la finalité à attribuer à l’exercice du pouvoir dans les

sociétés133 selon la conception que l’on se fait de l’intérêt de la société : l’intérêt social.

Plus précisément, cette réflexion a engendré une controverse au sein de la doctrine

entre l’intérêt commun et l’intérêt social. La tâche consistant à définir et partant, à

délimiter, l’une par rapport à l’autre, les notions d’intérêt commun des actionnaires et

d’intérêt de la société est en effet ardue. Si la finalité de la société est l’intérêt commun

127 R. Lichbaber, « La société, contrat spécial », in Prospectives du droit économique, Dialogues avec M. Jeantin, Dalloz 1999 p. 285. 128 Le droit à l’information des associés (art. L 225-115 et s. C. com), le droit pour tout associé de participer aux décisions collectives (art. 1844 C. civ) ou encore le principe de proportionnalité entre les apports et la participation dans le capital social ou les apports et la contribution aux résultats (art. 1843-2 et 1844-1 C. civ.) sont empreints de ce principe. En outre, le principe d’égalité entre actionnaires est expressément consacré par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 7 janvier 1988, Rev. sociétés, 1988, 229, note Y. Guyon). 129 Pour un exemple, en matière de clause d’information renforcée, voir Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gautier. 130 En ce sens également, B. Dondero, « Statuts de SAS et pactes extra-statutaires, questions et confrontations », Bull. Joly, 2008, p. 245. 131 Sur l’affectio societatis, facteur de marginalisation de l’intérêt commun, voir V. Cuisinier, op. cit., n°253 et s. 132 Cass. com. 3 juin 1986, Rev. sociétés, 1986, p. 585, note Y. G. 133 V. Cuisinier, op. cit., n°555 et s.

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des actionnaires, l’intérêt de la société coïncide-t-il nécessairement avec cet intérêt

commun ? Dans la négative, quel intérêt faire primer ? Il semble que l’intérêt commun

des associés, la réalisation et le partage des bénéfices, passe nécessairement, au

moins à terme, par le succès de l’activité sociale134. Mais à plus court terme, et surtout

dans les sociétés de capitaux, la recherche de profits presque immédiats par les

actionnaires est peut-être difficilement conciliable avec l’impératif de pérennité que

commande l’intérêt social.

36 - On le mesure, les contours de la notion d’intérêt social sont flous135. Cette notion

que le législateur n’a pas pris le soin de définir se retrouve pourtant dans quelques

textes136 et la jurisprudence y fait constamment référence. Elle érige notamment la non-

contrariété à l’intérêt social comme l’une des conditions générales de validité des pactes

d’actionnaires137. Il existe de nombreuses conceptions doctrinales de la notion d’intérêt

social : intérêt commun des actionnaires, intérêt de la société elle-même, distinct des

intérêts des actionnaires, ou encore, intérêt de l’entreprise en tant que réalité

économique138. L’intérêt social semble ne pouvoir être appréhendé que comme une

notion fonctionnelle permettant au juge, selon les circonstances, de privilégier l’intérêt

des actionnaires ou celui de la société de la façon qui paraît être la plus opportune à ce

dernier, compte tenu de la situation factuelle139.

Précisons, dans l’optique d’une distinction avec les pactes d’actionnaires, que

l’assimilation de l’intérêt social à l’intérêt de la société elle-même, prise en tant que

personne morale, dotée d’un intérêt propre, distinct de celui des membres qui la

composent, ne fait qu’accroître la particularité du contrat de société au regard des

contrats de droit commun en général et du pacte d’actionnaires en particulier.

134 En ce sens, M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1056-60. 135 A. Pirovano, « La “boussole” de la société ? Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise », D., 1997, chron. 189 ; A. Constantin, « L’intérêt social : quel intérêt ? » in Etudes offertes à B. Mercadal, éd. Francis Lefebvre, 2002, p. 317, n°25 ; G. Goffaux-C allebaut, « La définition de l’intérêt social, Retour sur la notion après les évolutions législatives récentes », RTD. com., 2004, p. 35. 136 Pour les pouvoirs des gérants dans les SARL (art. L 223-18 C. com.), la définition du contrôle (art. L 233-3 C. com.) ou encore l’abus des biens sociaux et du crédit (art. L 241-3 et L 242-6 C. com.). 137 Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, 781, note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu. Voir également, sur la notion d’intérêt social, au regard de la validité des conventions de vote spécifiquement, infra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. 138 Sur ces différentes conceptions, voir notamment, J.-P. Bertrel, « Liberté contractuelle et sociétés. Essai d’une théorie du juste milieu en droit des sociétés », RTD. com., 1996, p. 595, n°43 et s., A. Pirovano, « La “boussole” de la société ». Intérêt commun, Intérêt social, Intérêt de l’entreprise », D., 1997, chron. p. 189 et V. Cuisinier, op. cit., n°555. 139 En ce sens, M.-C. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, p. 324 et s. Voir également, D. Schmidt, op. cit., n°11 et s. et F.-X. Lucas, « Les libertés d’organisation et de transmission. La liberté des associés » in Entreprise et Liberté, Tome 10, Association H. Capitant, 2007, Dalloz Thèmes et commentaires.

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27

37 - La poursuite d’un intérêt commun dans le contrat de société s’oppose ainsi à la

logique contractuelle des pactes d’actionnaires dont la finalité, essentiellement

« égoïste»140, est purement et simplement fondée sur un échange d’obligations

réciproques destinées à satisfaire des intérêts antagonistes141.

B. Le pacte d’actionnaires ou la poursuite d’intérêts égoïstes

38 - Le recours aux pactes d’actionnaires se justifie par la présence, au sein d’une

même société, d’actionnaires diversifiés, dont les mobiles personnels diffèrent.

La poursuite d’un intérêt commun, condition inhérente au contrat de société, et qui

s’impose aux actionnaires, n’implique évidemment pas que les actionnaires renoncent à

leurs intérêts personnels. C’est d’ailleurs cet intérêt commun, de nature objective, qui

permet la coexistence au sein de la société, d’actionnaires diversifiés, dont les

motivations subjectives sont diverses et divergentes142, qu’il s’agisse, le plus souvent, de

la recherche du pouvoir et donc d’une participation active et influente dans la prise des

décisions sociales ou, au contraire, d’un investissement motivé exclusivement par le

profit et désintéressé des affaires sociales.

Mais ces motivations personnelles des actionnaires ne sont pas au cœur du contrat de

société. Le pacte d’actionnaires se situe sur un tout autre plan, extérieur au contrat de

société, qualifié de para-statutaire, dès lors il peut intégrer et même avoir pour cause de

telles considérations qui sont demeurées en dehors du champ contractuel des statuts.

39 - Par la conclusion de pactes extra-statutaires, certains actionnaires recherchent

précisément à satisfaire leurs intérêts personnels et particuliers, qu’il s’agisse

principalement de contrôler l’évolution de l’actionnariat et assurer ainsi la stabilité du

pouvoir d’une part, ou d’organiser la sortie de la société à des conditions privilégiées

d’autre part. Les mobiles des signataires de pactes d’actionnaires peuvent ainsi être

rassemblés dans ces deux grandes catégories d’objectifs, selon que ces derniers

appartiennent au groupe majoritaire pour la première catégorie ou au groupe minoritaire

pour la seconde.

Par exemple, les actionnaires du groupe majoritaire s’engageront ensemble à limiter la

transmission des titres de contrôle en dehors du groupe au moyen de pactes de

préférence réciproques. Si au cas particulier, leurs intérêts individuels convergent vers la

conservation du contrôle conjoint, les partenaires demeurent essentiellement animés par

140 Voir J. Carbonnier, Droit civil, Tome IV, Les obligations, éd. PUF, 2000, n°114. 141 Voir J. Carbonnier, op. cit. 142 D. Schmidt, op. cit., n°8.

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des intérêts égoïstes qui diffèrent fondamentalement de l’intérêt commun qui gouverne

le contrat de société.

40 - La convergence d’intérêts égoïstes n’est pas un intérêt commun. Ainsi en va-t-il

des clauses de sortie conjointe qui mettent en valeur les intérêts antagonistes qui

président souvent à la conclusion de pactes d’actionnaires.

Au terme d’une telle convention, un actionnaire, en général majoritaire, s’engage à faire

racheter par le cessionnaire de ses titres de contrôle, aux mêmes conditions, les actions

d’un minoritaire, et faute pour le cessionnaire d’accepter, le partenaire débiteur s’expose

à devoir racheter lui-même les titres du minoritaire. Un tel engagement des actionnaires

majoritaires est souvent exigé par les investisseurs financiers, comme condition de leur

prise de participation minoritaire dans le cadre d’opérations de capital-investissement,

afin d’accroître la liquidité de leurs titres, d’échapper à toute décote de minorité et

également d’éviter qu’ils se retrouvent bloqués dans une société qui va être dirigée par

une nouvelle équipe qui leur est inconnue.

41 - Les pactes d’actionnaires permettent ainsi d’introduire une dose d’intuitus

personae dans les sociétés par actions dans lesquelles ce dernier est en général exclu.

On peut qualifier en quelque sorte cet intuitus personae de « négatif » en ce sens qu’il

s’explique par la volonté d’écarter certaines personnes en raison des défauts qu’elles

présentent plutôt que d’en attirer d’autres pour leurs qualités déterminantes143. Il s’agit

en effet souvent, par ces pactes, d’écarter de la société certaines personnes jugées

indésirables au regard des intérêts égoïstes poursuivis par leurs auteurs ou, au

contraire, de bloquer dans la société en les maintenant à un statu quo au moyen de la

soumission à des obligations de ne pas faire, certains actionnaires dont la présence

n’est pas forcément jugée indispensable mais tout au moins plus souhaitable que toute

autre personne susceptible d’initier un changement. A ce titre, certains pactes peuvent

devenir des « instruments de domination, de confiscation du pouvoir »144.

42 - En somme, « les pactes d’actionnaires sont l’expression de rapports de force

entre différents groupes d’actionnaires »145. Ils visent la satisfaction des intérêts

individuels et particuliers de certaines catégories d’actionnaires, signataires de ces

pactes, et sont donc bien loin de la poursuite de l’intérêt commun des actionnaires qui

anime le contrat de société. Mais cela ne signifie aucunement que les pactes

143 V. Cuisinier, op. cit., n°551, renvoyant à M. Contamine-Raynaud, L’intuitus personae dans les contrats, thèse Paris, 1974, n°180. 144 V. Cuisinier, op. cit., n°551. 145 V. Cuisinier, op. cit., n°550.

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d’actionnaires sont incompatibles avec la finalité du contrat de société. Bien au

contraire, ces pactes permettent d’assurer une cohésion au sein de l’actionnariat en

instaurant « un équilibre entre les différents intérêts des acteurs qui font vivre la

société »146. En ce sens, ils complètent le contrat de société et facilitent la poursuite de

la propre finalité de ce dernier147.

43 - Nous l’avons dit, l’opposition entre le pacte d’actionnaires et le contrat de société,

au regard de l’intérêt dont la satisfaction est recherchée, revêt toute sa dimension

lorsque l’intérêt social est assimilé à celui de la société prise en tant que personne

morale.

Cet effet créateur d’une personne morale par le contrat de société, que l’on ne retrouve

pas dans le pacte d’actionnaires, permet de distinguer ces deux figures contractuelles à

un autre niveau, celui du rayonnement de l’accord.

§ 2. Distinction quant au rayonnement de l’accord

44 - Le contrat de société donne naissance à une organisation sociale dotée, à

compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés148, de la

personnalité morale.

En tant qu’« entité distincte de la personne des membres qui la composent »149, la

société immatriculée est apte à exprimer une volonté150. Cette volonté sociale résulte,

plus précisément, de celle exprimée par la collectivité des actionnaires151. Le contrat de

société révèle ainsi son essence collective : les volontés individuelles des actionnaires

concourent à l’expression d’une volonté collective qui s’impose à chacun, et

corrélativement, chacun des actionnaires perd la plénitude de l’autonomie de sa volonté.

Il résulte alors du rayonnement interne de l’accord de volontés que, si au stade de leur

formation, le pacte d’actionnaires et le contrat de société sont tous deux soumis au

principe de l’autonomie de la volonté, seul le pacte d’actionnaires demeure

impérativement soumis à ce principe en cours d’exécution (A).

146 V. Cuisinier, op. cit., n°552. 147 V. Cuisinier relève à ce titre que la pratique des pactes d’actionnaires est « considérée par la doctrine contractualiste américaine comme le moyen le moins onéreux d’obtenir entre les majoritaires et les minoritaires une cohabitation efficiente », renvoyant à P. Didier, « Théorie économique et droit des sociétés », Rev. sociétés, 2000, p. 240. (V. Cuisinier, op. cit., n°552) . 148 Art. 1842 C. civ. et L 210-6 C. com. 149 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Coll. PUF Quadrige, 3ème éd., 2002, voir Personnalité - morale. 150 « La personne morale a une volonté, celle des actionnaires et des dirigeants », D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Ed. Joly, 2004, n°16. 151 Les dirigeants étant nommés par la collectivité des actionnaires, la volonté de la personne morale peut, nous semble-t-il, être assimilée à celle des actionnaires.

Page 30: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

30

La personnalité morale de la société implique, en outre, que cette dernière est apte, en

tant que sujet de droit, à contracter en son nom propre avec des tiers par l’intermédiaire

de son représentant légal. Au niveau externe, cette fois, du rayonnement de l’accord de

volontés, le contrat de société crée donc une situation opposable à tous tandis que le

pacte d’actionnaires bénéficie d’une opposabilité très relative, que l’on peut qualifier

d’exceptionnelle (B).

A. Rayonnement interne : la permanence de l’autonomie de la volonté dans le pacte

d’actionnaires

45 - L’autonomie de la volonté implique la liberté pour toute personne de contracter

ou refuser de contracter, de déterminer d’un commun accord le contenu du contrat, dans

la limite de l’ordre public et des bonnes mœurs, et d’exprimer sa volonté sous une forme

quelconque dès lors qu’il y a échange des consentements152.

46 - Le pacte d’actionnaires est soumis à ce principe tout au long de son existence,

depuis sa formation jusqu’à son extinction. Il est notamment soumis à la règle de

l’unanimité pour sa modification, le mutuus dissensus visé à l’article 1134 alinéa 2 du

Code civil.

Au contraire, la personne morale issue du contrat de société est soumise, une fois la

société immatriculée, au principe d’autorité et à des règles impératives. La société

anonyme, visée en premier chef par notre étude, est notamment régie par le principe de

hiérarchie et de spécialité des organes sociaux et par la loi de la majorité153.

47 - Le principe de hiérarchie et de spécialité des organes sociaux dans la société

anonyme a été dégagé par la jurisprudence154. Il s’agit d’une règle générale qui

compose l’ordre public sociétaire, en vertu de laquelle les actionnaires ne peuvent pas

déroger dans les statuts aux compétences respectives de chacun des organes de la

société anonyme. Ces organes sont les assemblées générales d’actionnaires d’une part,

et les organes d’administration et de direction d’autre part, lesquels peuvent prendre la

forme, soit d’un conseil d’administration assorti d’un directeur général, soit d’un

directoire avec conseil de surveillance.

Le champ de compétence des assemblées générales, selon qu’elles sont

extraordinaires ou ordinaires, est énoncé aux articles L 225-96 et suivants du Code de

152 Formule inspirée de G. Cornu, op. cit, voir Autonomie - de la volonté. 153 Au contraire, le législateur a précisément créé la SAS pour introduire une dose de liberté dans le fonctionnement et l’administration des sociétés par actions. 154 Arrêt Motte, Cass. civ. 4 juin 1946, S., 1947, I, 153, note Barby.

Page 31: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

31

commerce. L’assemblée générale ordinaire est notamment compétente pour approuver

les comptes annuels et décider de l’affectation des résultats155, tandis que l’assemblée

générale extraordinaire a pour compétence la modification des statuts dans toutes leurs

dispositions156. Sous certaines conditions de quorum157, l’assemblée générale ordinaire

statue à la majorité des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés158

alors que les décisions prises en assemblées générales extraordinaires sont adoptées à

la majorité des deux tiers de ces voix159.

48 - Dans la logique du contrat de société, le vote majoritaire permet de poursuivre

l’intérêt de la société anonyme, prise en tant que personne morale, dont on a dit qu’il

pouvait être considéré comme distinct des intérêts personnels des actionnaires qui la

composent. Aussi, la majorité a-t-elle qualité pour prendre les décisions nécessaires au

bon fonctionnement de l’organe social, dans la limite de l’abus de droit constitué par

l’abus de majorité, de minorité ou d’égalité.

Ce principe majoritaire va même au-delà de la seule gestion de la vie sociale puisqu’il

s’applique à la modification des statuts, domaine dans lequel il est d’ordre public160.

C’est incontestablement sur ce dernier point que la perte d’individualité des actionnaires

au sein de la société et l’aliénation de l’autonomie de leur volonté qui en résulte est la

plus manifeste.

49 - La modification des statuts de la société anonyme peut en effet, dans la plupart

des cas, être décidée en assemblée générale extraordinaire. La reconnaissance de ce

pouvoir de modifier le pacte social par la majorité qualifiée est le fruit d’une évolution.

A l’origine, conformément à l’article 1134 alinéa 2 du Code civil, la règle de l’unanimité

était seule applicable à la modification des statuts, quelle que soit la forme sociale161.

Les bases du contrat de société ne pouvaient en effet être amendées, en vertu du

principe de la liberté contractuelle, qu’aux mêmes conditions que celles requises pour la

formation du contrat.

Puis, la jurisprudence a reconnu, pour des raisons pratiques liées à la nécessité pour la

société anonyme de s’adapter aux évolutions de son environnement, semble-t-il, la

155 Voir l’article L 225-98 C. com. visant toutes les décisions autres que celles visées aux articles L 225-96 et -97 C. com. 156 Art. L 225-96 et -97 C. com. 157 Voir art. L 225-98 al. 2 et Art. L 225-96 al. 2 C. com. 158 Art. L 225-98 al. 3 C. com. 159 Art. L 225-96 al. 3 C. com. 160 Art. L 225-96 al. 1 C. com. 161 Art. 1836 al. 1 C. civ.

Page 32: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

32

compétence de l’assemblée générale extraordinaire pour modifier, en l’absence de

disposition expresse des statuts, le pacte social dans ses dispositions accessoires162.

Cette théorie dite des bases substantielles ou fondamentales, opposant les clauses

essentielles des statuts, modifiables selon le principe contractuel de l’unanimité, aux

clauses dites secondaires, modifiables à la majorité qualifiée, a été progressivement

abandonnée, pour consacrer le principe majoritaire pour modifier les statuts dans toutes

leurs dispositions et libérer ainsi de son « carcan contractuel » l’aptitude de

l’organisation sociale à évoluer163. Il s’agit de la plus belle marque de l’essence collective

du contrat de société.

50 - On a en effet pu expliquer cette évolution par la personnalité morale de la

société, laquelle, dotée d’une volonté propre, devait voir les décisions nécessaires à la

bonne marche de ses affaires, être prises par l’intermédiaire de ses organes et

notamment par son organe suprême : l’assemblée générale164.

Le principe d’unanimité demeure en revanche pour l’augmentation des engagements

des actionnaires et est d’ordre public165. Ce principe dit d’intangibilité des engagements

des actionnaires166, reste de la théorie des bases substantielles167, constitue donc une

limite au pouvoir majoritaire dans les sociétés anonymes et rappelle que cette forme

sociale a comme toutes les autres un socle contractuel.

51 - Au-delà des rapports internes et collectifs des actionnaires, la personnalité

morale de la société a également des conséquences dans les rapports externes de la

société avec les tiers, lesquels résident dans l’opposabilité du contrat de société. Le

pacte d’actionnaires, dont la nature exclusivement contractuelle commande

l’inopposabilité au tiers, se distingue encore, sur cet autre plan, du contrat de société.

162 En ce sens, Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°6 et J.-Cl. May, « La société : contr at ou institution » in Contrat ou Institution : un enjeu de société, coordonné par B. Basdevant-Gaudemet, LGDJ, 2004, p. 134. 163 Sur ce point, voir les lois du 22 novembre 1913, 1er mai 1930, 25 février 1953 et du 8 août 1994 ; cités par Y. Guyon, op. cit., n°6. 164 Analyse développée notamment par E. Thaler, in E. Thaller et J. Percerou, Traité élémentaire de droit commercial, 7ème éd., 1925, n°684, cité par J.-Cl. May, op. cit., p. 134. 165 Art. 1836 al. 2 C. civ. et L 225-96 al.1 C. com. 166 Principe selon lequel on ne peut imposer à un actionnaire une augmentation de ses engagements contre son gré. Sur cette question, voir F. Rizzo, « Le principe d’intangibilité des engagements des associés », RTD. com., 2000, 27. 167 En ce sens, J.-Cl. May, op. cit., p. 135.

Page 33: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

33

B. Rayonnement externe : l’opposabilité exceptionnelle du pacte

52 - Le pacte d’actionnaires est soumis, comme tout contrat, au principe de l’effet

relatif selon lequel, « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et

non à l’égard des tiers auxquels elles ne peuvent, en principe, ni nuire ni profiter »168.

Par application de ce principe, le contenu des pactes d’actionnaires ne lie pas la

société169, ni les actionnaires non signataires, ni les autres tiers170.

53 - Toutefois, le principe de la relativité des conventions ne doit pas induire une

limitation de la force obligatoire du contrat. Ce principe ne concerne en effet qu’une

certaine dimension de la relation contractuelle : le lien obligatoire171. Ainsi, si les tiers ne

participent pas à l’exécution du contrat, ils ne peuvent pas pour autant ignorer

l’existence de ce contrat ainsi que la situation de fait et de droit qui en résulte. On dit que

le contrat est, sous certaines conditions, opposable aux tiers172. Cette distinction entre

l’effet relatif et l’opposabilité a été très clairement exprimée par le Professeur Aubert

comme suit : « tandis que le contrat engendre, au profit et à la charge des parties qu’il

lie, des obligations à l’exécution desquelles elles sont tenues (aspect individuel du

contrat), il constitue par là même une situation économique et sociale nouvelle,

caractérisée par la création ou le transfert de droits personnels ou réels, situation qui

s’impose aux tiers, qu’ils en profitent, ou qu’ils en souffrent (aspect social du

contrat) »173.

L’opposabilité du contrat aux tiers s’avère être un principe essentiel permettant d’assurer

l’efficacité du contrat, même entre les parties174. En effet, en conséquence de ce

principe, les tiers ne sont pas en droit de méconnaître le contrat et ils commettent une

faute de nature à engager leur responsabilité civile délictuelle s’ils se rendent complices

de l’inexécution de ses obligations contractuelles par l’un des contractants. Nous 168 Art. 1165 C. civ. L’avant-projet de réforme du droit des obligations dirigé par le Professeur Catala propose une nouvelle rédaction de l’article 1165 du Code civil : « Les conventions ne lient que les parties contractantes ; elles n’ont d’effet à l’égard des tiers que dans les cas et limites ci-après expliquées », (Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, La documentation française, 2006). 169 Sur l’inopposabilité à la société d’une convention extra-statutaire d’exclusion, voir Cass. com. 8 février 1982, Bull. Joly, 1982, p. 970. 170 Ph. Brunswick, « SAS et capital investissement : vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ?», D., 2000.595, p. 1, citant H. Le Nabasque, avec le concours de G. Terrier, « L’exécution forcée des pactes d'actionnaires », Dr. sociétés, Actes prat. 14/1994, 5.2. 171 Cass. req. 17 décembre 1873, S., 1874, 1, p. 409, énonçant que les dispositions de l’article 1165 du Code civil ne s’appliquent « qu’aux obligations que les conventions font naître entre les parties ». 172 L’avant-projet de réforme Catala propose de consacrer dans le Code civil ce principe d’opposabilité des contrats erga omnes, dégagé par la doctrine et jurisprudence. Un article 1165-2 nouveau du Code civil énoncerait ainsi que « Les conventions sont opposables aux tiers ; ceux-ci doivent les respecter et peuvent s’en prévaloir, sans être en droit d’en exiger l’exécution. ». Parallèlement, l’actuel article 1165 du Code civil serait réécrit (voir supra), afin d’établir une distinction claire et radicale entre effet obligatoire et opposabilité. (Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, La documentation française, 2006). 173 Aubert, Defrénois, 1991, n°35212-15, note sous Cass. com. 22 octobre 1991. 174 J. Ghestin, Traité de droit civil. Les effets du contrat, LGDJ, 3ème éd., 2001, n°724.

Page 34: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

34

sommes alors conduits à nous interroger sur les conditions auxquelles un pacte

d’actionnaires est opposable aux tiers.

54 - L’opposabilité du pacte d’actionnaires aux tiers requiert, comme pour tout contrat

de droit commun, non seulement l’existence d’un contrat légalement formé et en cours

d’exécution ainsi que la preuve de l’existence d’un tel contrat, mais encore, la

connaissance par le tiers de l’existence dudit contrat175.

Or les pactes d’actionnaires ne font l’objet, tout au moins dans les sociétés non

cotées176, d’aucune publicité obligatoire de nature à révéler leur existence et leur

contenu aux tiers. Cela implique que les pactes d’actionnaires ne sont pas, en principe,

opposables aux tiers, les dérogations à ce principe demeurant très exceptionnelles177. A

ce titre, la question s’est posée il y a plus d’une dizaine d’années, afin d’améliorer la

force obligatoire des pactes d’actionnaires, d’organiser un mode de publicité de ces

derniers, lequel s’est avéré poser de sérieuses difficultés pratiques et laisser certains

sceptiques quant à son opportunité178. On peut s’interroger, en particulier, sur

l’opportunité de renoncer à la confidentialité du pacte au nom d’une meilleure sécurité

juridique. Cette confidentialité, assurée précisément par le défaut de publicité obligatoire

du pacte179, constitue bien souvent un atout décisif dans la vie des affaires.

55 - Par ailleurs, la jurisprudence envisage l’opposabilité du contrat à l’égard des tiers

dans une autre perspective, prise à revers de celle qui vient d’être exposée :

l’opposabilité du contrat dont peuvent se prévaloir les tiers à l’encontre des contractants

eux-mêmes. Un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 6 octobre

2006 a posé un principe d'opposabilité du contrat par les tiers, en reconnaissant, sous le 175 Cass. com. 11 octobre 1971, D., 1972, p. 120 (violation d’une clause d'exclusivité figurant dans un contrat de bière) et Ch. Larroumet, Droit civil, Tome III, Les obligations Le Contrat, 2e partie Effets, 6ème éd., 2007, n°746. La connaissance par le tiers du pacte n’est cependant pas toujours suffisante pour que les juges retiennent l’opposabilité du pacte à ce dernier. Il faut parfois caractériser, en outre, la collusion frauduleuse du tiers, laquelle consisterait, pour ce dernier, à avoir de mauvaise foi sciemment contracté avec le débiteur du pacte en contravention à ce dernier. 176 L’article L 233-11 du Code de commerce prescrit, à ce titre, la transmission à la société émettrice et à l’AMF, qui en assure la publicité, de toute clause d’une convention prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d’acquisition d’actions cotées sur un marché réglementé et portant sur au moins 0,5 % du capital ou des droits de vote de la société émettrice. 177 Sauf notamment à mentionner l’existence du pacte dans les statuts ou à notifier le pacte à la société afin de le rendre opposable à cette dernière. Considérant toutefois que la notification d’un pacte de préférence extra-statutaire à la société n’empêchait pas cette dernière d’agréer valablement le tiers acquéreur, voir Cass. com. 26 avril 1994, Defrénois, 1994, p. 1024, obs. J. Honorat. Admettant en revanche l’opposabilité du pacte considéré comme le complément nécessaire et indissociable des statuts, de telle sorte que les tiers n’avaient pas pu en ignorer l’existence, voir Cass. 1ère civ.15 novembre 1994, RTD civ., 1995, p. 364, note J. Mestre. 178 Sur cette question, voir le Rapport proposé par le Sénateur Marini, La modernisation du droit des sociétés, Ph. Marini, Coll. des rapports officiels, La Documentation française, 1996 et les critiques formulées par J. Bonnard, « L’influence des principes généraux du droit des contrats en matière de pactes d’associés », in « Dialogue avec M. Jeantin », Prospectives du Droit économique, Dalloz, 1999, p.139, spé. p. 147 et s. 179 Exception faite, nous l’avons dit, de certains pactes d’actionnaires conclus dans les sociétés cotées.

Page 35: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

35

double visa des articles 1165 et 1382 du Code civil, que le tiers à un contrat peut, du

seul fait de l’inexécution de ce dernier, obtenir, sur le terrain délictuel, l’indemnisation du

préjudice qui en résulte pour lui180. C’est dans cette perspective que la chambre

commerciale de la Cour de cassation a admis, quelque temps après, dans un arrêt du

18 décembre 2007, l’opposabilité d’un pacte d’actionnaires invoquée par la société, non

signataire du pacte, à l’encontre du partenaire débiteur181. La chambre commerciale

désapprouve ainsi la Cour d’appel d’avoir rejeté l’action en responsabilité délictuelle,

formée par une SAS contre son ancien dirigeant, pour manquement contractuel de ce

dernier au pacte d’actionnaires qu’il avait conclu, lequel manquement avait causé un

dommage à la SAS. En l’espèce, l’ancien dirigeant, également salarié et actionnaire de

la société, avait conclu un pacte avec ses co-actionnaires, contenant une clause

d’exclusivité qu’il n’avait par la suite pas respectée.

Ainsi, le pacte d’actionnaires, qui est en principe inopposable à la société, peut-il, dans

certaines circonstances être opposable par la société à l’encontre des partenaires

signataires. Cette solution jurisprudentielle, dont il est permis de douter qu’elle puisse

bénéficier aux autres tiers au pacte, notamment aux actionnaires non signataires182,

illustre la proximité que le pacte entretient avec le contrat de société183.

Le principe demeurant toutefois celui de l’inopposabilité du pacte d’actionnaires aux

tiers, cette inopposabilité contraste avec l’étendue de la force contraignante que revêt le

contrat de société.

56 - En effet, le contrat de société est au contraire opposable à tous184 : aux

actionnaires actuels et successifs, à la société qui en fait l’objet, ainsi qu’aux tiers parmi

lesquels figurent les éventuels futurs actionnaires185 de la société.

Cette opposabilité du contrat de société aux tiers résulte de la personnalité morale de la

société. C’est cet élément qui « permet au contrat de société, non pas d’exister, mais de 180 Cass. ass. plén. 6 octobre 2006 :« le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (arrêt de principe), JCP, éd. G, 2007.I.115, n°4, obs. Germain et RTD civ., 2007, p. 115, note B. Fages (note critique). Voir également, Ch. Larroumet, op. cit., n°751. 181 Cass. com. 18 décembre 2007, JCP, éd. E, 2008, p. 1516, note R. Mortier ; Dr. sociétés, 2008, comm. 55, H. Hovasse et RTD. civ., 2008, p. 297, note B. Fages. 182 En ce sens, les commentateurs précités (R. Mortier, H. Hovasse et B. Fages, op. cit.) proposent tous d’analyser cette solution davantage comme l’effet de l’existence d’une véritable créance contractuelle au profit de la société, cette dernière étant bénéficiaire d’une stipulation pour autrui, que comme une application aux pactes d’actionnaires du principe d’opposabilité du contrat par les tiers. 183 Y voyant une illustration de ce que « En droit des sociétés, l'interpénétration des intérêts [intérêt social et intérêt des actionnaires] atteint son paroxysme », voir R. Mortier, note précitée sous Cass. com. 18 décembre 2007. 184 En ce sens, Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°6. 185 Sur ce dernier point, précisons que le principe d’opposabilité de plein droit des statuts aux futurs acquéreurs fait l’objet d’une controverse doctrinale. Sur cette question, voir notamment Ph. Brunswick, op. cit., 2.3.3 et les références citées en note de bas de page n°17) et B. Dondero, « Statuts de SAS et pactes extra-statutaires, questions et confrontations », Bull. Joly, 2008, p. 245.

Page 36: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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rayonner vers l’extérieur »186 et cela justifie que l’acquisition de la personnalité morale

soit soumise à une mesure de publicité : l’immatriculation au registre du commerce et

des sociétés187. La personnalité morale suppose une totale transparence tout au long de

la vie sociale, les statuts sont déposés au registre du commerce et des sociétés188, les

modifications apportées à ces derniers sont ensuite publiées au greffe du tribunal de

commerce189 et les statuts sont, en outre, consultables à tout moment par les tiers.

57 - Toutefois, le législateur a rendu certaines dispositions statutaires expressément

inopposables aux tiers, dans un souci de protection de ces derniers, dont on ne peut

rationnellement exiger qu’ils vérifient les statuts de toutes les sociétés avec lesquelles ils

contractent.

Il est en effet primordial de protéger les tiers susceptibles de contracter avec la société

en leur permettant de connaître avec certitude les garanties que leur offre la forme

sociale ainsi que l’étendue des pouvoirs en résultant pour les différents organes sociaux

avec lesquels ils traitent. Rappelons à ce titre, que la capacité juridique de la personne

morale, entité abstraite, s’entendant exclusivement d’une capacité de jouissance190 et

non d’exercice, le législateur a organisé, pour chaque forme sociale, un système de

représentation de la société par un représentant légal, seul habilité à engager la société

à l’égard des tiers.

Selon une règle générale applicable à toutes les formes sociales et destinée à protéger

les tiers contractant avec la société, les clauses des statuts limitant les pouvoirs du

représentant légal sont inopposables aux tiers.

S’agissant de la société anonyme, les organes de gestion peuvent répondre à deux

formules déjà évoquées. Selon une formule dite classique, la société est administrée par

un organe collégial : le conseil d’administration, lequel désigne un président et un

directeur général191. La société est alors engagée à l’égard des tiers par le directeur

général ou le président directeur général lorsqu’une même personne cumule les

fonctions de directeur général et de président du conseil d’administration192. Selon une

formule plus atypique, la société anonyme est administrée par deux organes collégiaux :

un directoire et un conseil de surveillance, lesquels nomment chacun un président193.

186 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°14, b. 187 Art. 1842 C. civ. et L 210-6 C. com. 188 Art. R. 123-103 C. com. 189 Art L 123-9 C. com. (dispositions de l’article 66 du décret du 30 mai 1984). 190 La capacité de jouissance des personnes morales est elle-même limitée par le principe de la spécialité légale et statutaire. Leur capacité d’acquérir des biens et d’en disposer est donc limitée par leur objet, tel qu’il résulte de la loi ou des statuts. 191 Art. L 225-17 et s. C. com. 192 Art L 225-51-1 et L 225-56 al. 2 C. com. 193 Art. L 225-57 et s. C. com.

Page 37: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

37

C’est alors le président du directoire qui engage la société à l’égard des tiers194. Les

dispositions limitant les pouvoirs de représentation du directeur général ou président

directeur général195 ou du président du directoire196 sont donc inopposables aux tiers. Il

s’agit cependant d’une règle de protection qui ne résulte pas de la nature du contrat de

société.

58 - De cette différence de nature entre le pacte d’actionnaires, figure juridique

exclusivement contractuelle, et le contrat de société, qui participe à la fois du contrat et

de l’institution, il résulte une plus grande flexibilité du premier qui en fait son atout

principal.

Section 2. La flexibilité du pacte d’actionnaires

59 - Le pacte d’actionnaires est comme tout contrat l’expression de l’autonomie de la

volonté de ses signataires. En effet, en l’absence de disposition légale expresse, la

jurisprudence admet la validité des pactes d’actionnaires, dans le principe même de leur

existence, au nom de la liberté contractuelle.

Le pacte d’actionnaires est donc un outil sur mesure, dont les dispositions sont

susceptibles d’être exactement ajustées, dans la limite de l’ordre public et selon l’habilité

de leur rédacteur, aux besoins spécifiques de leurs signataires. Le pacte d’actionnaires

a ainsi un domaine ajustable (§ 1). Son contenu en outre modifiable simplement, du

commun accord des partenaires, au gré de l’évolution de leurs besoins (§ 2).

§ 1. Un domaine ajustable

60 - Le pacte d’actionnaires est un contrat conclu entre deux actionnaires au moins. Il

se distingue ainsi du contrat de société par sa souplesse, en ce qu’il permet une

individualisation de l’accord de façon à ne lier que certains actionnaires, ceux-là seuls

qui sont concernés par l’objet du pacte (A).

De plus, si un partenaire vient à se retirer de la société en cédant ses titres, il est

possible d’écarter l’effet relatif du pacte de manière très souple, en organisant

conventionnellement, selon les mécanismes de droit commun, la transmission du pacte

au cessionnaire des titres (B).

194 Art. L 225-66 al. 1 C. com. 195 Art. L 225-56 al. 3 C. com. 196 Art L 225-66 al. 3 C. com.

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A. La souplesse quant aux parties contractantes

61 - Les pactes d’actionnaires sont des accords à géométrie variable qui ont en

général vocation à ne concerner que certains actionnaires, en mettant à la charge de

ces derniers des obligations particulières ou en faisant bénéficier ces derniers de droits

particuliers.

Bien souvent des pactes sont conclus entre actionnaires majoritaires pour assurer la

stabilité de l’actionnariat et des dirigeants. La pratique a également vu émerger, depuis

les années 70, des pactes contractés par des actionnaires majoritaires au profit

d’actionnaires minoritaires, notamment des sociétés de capital-investissement, lesquels

exigent des dirigeants majoritaires, comme condition de leur apport financier, un

aménagement de leurs conditions de sortie197. Les minoritaires sont encore susceptibles

de conclure ensemble des conventions de vote afin de consolider leur minorité de

blocage. Enfin, un dernier exemple de recours très fréquent aux pactes d’actionnaires

concerne les opérations de transmission d’entreprise sous la forme d’une cession de

contrôle échelonnée dans le temps. L’entrepreneur sortant et le nouvel entrepreneur,

destinés à collaborer tout au long de la durée de l’opération de transmission,

s’entendent alors sur la façon d’organiser l’exercice du pouvoir, de contrôler la

composition du capital et prévoient éventuellement l’exclusion, dans des circonstances

particulières, de certains actionnaires198 dans un pacte applicable sur la période de

référence.

62 - Les pactes d’actionnaires introduisent, on l’a dit, une certaine forme d’intuitus

personae absente à l’origine dans la société anonyme et qui tient au fait au fait que ces

pactes ont pour finalité la satisfaction d’intérêts particuliers. Les statuts de la société

anonyme organisent en effet essentiellement le fonctionnement de la société et

s’appliquent donc à l’ensemble des actionnaires. Il n’est pas de leur nature de contenir

des conventions conclues entre certains actionnaires pour organiser leurs relations

réciproques et l’exercice de leurs droits.

197 Sur cette question, voir J-J. Daigre, « Pactes d’actionnaires et capital-risque », « Pacte d’actionnaires et capital-risque : Typologie et appréciation », Bull. Joly, 1993, p. 157 et s. et infra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. 198 Sur cette question, voir notamment, F-D. Poitrinal, « Cessions d'entreprises : les conventions de "earn out" », JCP, éd. E, 1999, p. 19.

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39

63 - Toutefois, il arrive que des pactes lient l’ensemble des actionnaires d’une

société199. On ne peut manquer de s’interroger sur la raison pour laquelle les

actionnaires ont, dans un tel cas, recours à une convention extra-statutaire alors qu’ils

pourraient a priori faire figurer leur accord dans les statuts et bénéficier d’une meilleure

efficacité. Il existe au moins trois bonnes raisons de préférer les pactes d’actionnaires

aux statuts. En premier lieu, la validité de certaines clauses est douteuse lorsqu’elle

figure dans les statuts, c’est le cas notamment des conventions de vote, des clauses

d’exclusion, d’inaliénabilité ou des clauses de rachat d’actions à prix fixe200. En second

lieu, nous verrons que les pactes d’actionnaires sont plus facilement modifiables. Et

enfin, il est probable que les partenaires soient attachés au secret des affaires. On

mesure, ici encore, que les intérêts égoïstes l’emportent sur l’intérêt commun dans le

cadre de la formation de pactes d’actionnaires.

Un exemple usuel de pacte d’actionnaires liant tous les actionnaires d’une société, et

dont la validité serait douteuse si l’accord figurait dans les statuts, est celui conclu par

deux actionnaires égalitaires afin d’organiser le vote dans une filiale commune ou la

sortie de l’un des actionnaires en cas d’impossibilité de poursuivre la coopération201.

64 - Cette possibilité d’individualisation du pacte permet à ce dernier de remplir sa

finalité de satisfaction des intérêts particuliers de certains actionnaires, sans toutefois

rompre avec le principe d’égalité entre actionnaires, dont nous avons dit qu’il ne

s’applique que dans les rapports collectivement entretenus par les actionnaires avec la

société202.

65 - Sur ce point, le pacte d’actionnaires se distingue encore du contrat de société.

Certes, le principe d’égalité entre actionnaires, selon lequel il est interdit de différencier

les droits et obligations respectifs des actionnaires dans les statuts, n’est pas absolu. On

en veut pour preuve l’admission, dès la Loi de 1966, de la stipulation d’avantages

particuliers à certains actionnaires nommément désignés203, et surtout, plus récemment

la consécration législative des actions de préférence204. Ces dernières, inspirées du

199 Dans un tel cas, selon le Professeur Guyon, le pacte et les statuts deviennent indivisibles (Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002 n°198 et 202 in fine). Nous pensons également que lorsque le pacte est signé par l’ensemble des actionnaires de la société, il est susceptible de subir une plus forte emprise de l’ordre public sociétaire que s’il ne concernait que certains actionnaires. 200 En ce sens, Ph. Brunswick, « SAS et capital investissement vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ? », D., 2000.595, II. 1. 201 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°126 et s. 202 Voir supra, Sect° 1, § 1. A. 203 Art. L 225-8 et s. et L 225-147 C. com. 204 Par l’ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales. Les actions de préférence ont remplacé les anciennes catégories d’actions dont la loi de 1966 avait admis la création (actions à dividende prioritaire sans droit de vote (art. L 228-35-2

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40

régime de droit américain des prefered shares, sont assorties, à titre temporaire ou

permanent, de droits particuliers d’ordre pécuniaire et extra-pécuniaire avec ou sans

droit de vote, librement déterminés dans les statuts205.

Mais si les statuts peuvent, au moyen d’avantages particuliers reconnus à titre

personnel ou à travers des actions de préférence, individualiser les droits et obligations

de certains actionnaires nommément désignés, cela requiert une procédure lourde et

formelle. En effet, il convient non seulement de réunir une assemblée générale

extraordinaire206, comme pour toute modification du capital, mais en outre, d’observer la

procédure des avantages particuliers207. Une telle procédure, destinée à protéger les

actionnaires qui n’ont reçu, pour leur part, que des droits ordinaires en contrepartie de

leur apport, requiert l’intervention d’un commissaire aux apports, chargé d’apprécier la

valeur de l’avantage particulier, suivie d’un vote sur l’octroi de cet avantage en

assemblée générale extraordinaire, auquel les actionnaires bénéficiaires ne participent

pas. Rappelons en outre, que le principe d’égalité entre actionnaires s’applique

nécessairement au sein de chacune des catégories d’actions de préférence ainsi

créées.

Nous pensons, en revanche, que les pactes d’actionnaires ne sont pas soumis à la

procédure des avantages particuliers208. Si le législateur n’a donné aucune définition de

ces avantages209 et que la doctrine peine à s’entendre sur la nature de ces derniers210,

nous rejoignons le Professeur Dondero211 en ce qu’il soutient que les avantages

particuliers visés par la procédure sont ceux-là seuls qui sont octroyés par la société à

et s. C. com.), certificats d’investissement (art. L 228-30 et s. C. com.) et actions de priorité (art. L 228-35-1 et s. C. com.), lesquelles, si elles ont été émises avant l’entrée en vigueur du nouveau régime (12 février 2005, date de la publication au journal officiel du décret 2005-112 du 10 février 2005 fixant les modalités d’application de l’ordonnance du 24 juin 2004) subsistent jusqu’à leur conversion en actions de préférence ou en actions ordinaires, ou encore, jusqu’à la dissolution de la société. 205 Art. L 228-11 et s. C. com. 206 Art. L 225-8 et s. et L 225-147 C. com (pour la stipulation d’avantages particuliers) et art. L 228-12 C. com. (pour la création d’actions de préférence). 207 Cette procédure est exigée pour la création d’avantages particuliers lors de la constitution de la société (art. L. 225-8 al. 1er et L. 225-14 C. com), d’une augmentation de capital (art. L. 225-147 C. com) ou parallèlement à la création d’actions de préférence au profit d’actionnaires nommément désignés (art. L. 228-15 C. com.). La procédure n’est toutefois pas applicable si l’émission porte sur des actions de préférence d’une catégorie déjà existente (art. L. 228-15 C. com., mod. par ord. n°2008-1145 du 6 novembre 2008). 208 Déjà, sous l’empire de la loi du 24 juillet 1867, voir Cour d’appel de Paris 14 juin 1929, Gaz. Pal., 1929, 2, p. 244, selon lequel « les avantages particuliers ne sont soumis à la vérification prévue par l’art. 4 de la loi du 24 juillet 1867 que lorsque le fondateur les a stipulés dans les statuts ». 209 Sur cette question, voir Th. Granier, Rép. Sociétés Dalloz, « Avantages particuliers », 2002, n° 11 et Ph. Reigné et Th. Delorme, « La nature nécessairement pécuniaire des avantages particuliers », Bull. Joly, 2002, p. 1117, spéc. n° 1. 210 Certains auteurs considèrent que la procédure des avantages particuliers s’applique à l’octroi d’avantages pécuniaires exclusivement. En ce sens : M. Jeantin, « Constitution de la société par actions simplifiée », n°8, in Société par actions simplifiée, sous la dir. de A. Couret et P. Le Cannu, GLN Joly, 1994 ; A. Bougnoux, J.-Cl. Sociétés, Traité, « Sociétés par actions - Formalités constitutives - Rédaction des statuts. Contenu », 2006, n°129 ; Contra : Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°14988 et Ph. Reigné et Th. Delorme, op. cit., n°s 17 et s. 211 B. Dondero, « Statuts de SAS et pactes extra-statutaires, questions et confrontations », Bull. Joly, 2008, p. 245.

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41

certains actionnaires et non pas, comme dans le cadre des pactes d’actionnaires, par

certains actionnaires à d’autres212.

66 - Le domaine des pactes d’actionnaires est ajustable en ce sens que ces derniers

n’obligent que les actionnaires qui ont d’un commun accord décidé de se lier par une

convention extra-statutaire afin de poursuivre une certaine stratégie. Seuls les

signataires sont tenus par le pacte pour une durée en général et au maximum égale à

celle de leur participation dans la société213 mais qui peut être plus courte214. Il en résulte

une certaine instabilité du pacte, lequel ne se transmet pas de plein droit, notamment,

aux cessionnaires des titres.

Mais le domaine des pactes d’actionnaires est également ajustable en ce cens que les

signataires peuvent décider conventionnellement, afin d’assurer une meilleur pérennité

de leur accord, de transmettre le pacte au cessionnaire de leurs titres.

B. La souplesse quant à la transmission du pacte

67 - Rappelons tout d’abord que, conformément au droit commun, et par dérogation

au principe de l’effet relatif selon lequel le pacte d’actionnaires n’engage que ses seuls

signataires, les dispositions contenues dans le pacte sont automatiquement transmises

aux successeurs universels des partenaires215. En effet, les ayants cause à titre

universel des partenaires, devenus actionnaires au décès de leur auteur, sont tenus par

le pacte216, sauf disposition contraire, ou à démontrer le caractère strictement personnel

des engagements souscrits par leur auteur dans le pacte. Ainsi, à défaut de stipulation

contraire des partenaires, les promesses de vente et pactes de préférence ou de

préemption, notamment, devraient être transmissibles à moins qu’ils ne soient

212 En ce sens également, Rapp. H. Bosvieux, « De la notion d’avantage particulier », Journ. sociétés, 1927, p. 65, spéc. p. 77, cité par B. Dondero, note précitée. Le Professeur Dondero réserve seulement le cas de la fraude, laquelle serait notamment susceptible d’être constituée lorsqu’un pacte est conclu entre tous les actionnaires de la société, en dehors des statuts, dans le seul but d’échapper à cette procédure. 213 Précisons à ce titre, nous y reviendrons, que la jurisprudence récente considère que le pacte conclu pour la durée pendant laquelle les partenaires demeureront ensemble actionnaires de la société est à durée indéterminée et donc résiliable unilatéralement à tout moment. (Voir Cass. com. 6 novembre 2007, Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury et infra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1. A et § 2. B). 214 Voir notamment Cour d’appel de Paris 30 mars 1989, JCP, éd. E., 1989. I. 18713, dans lequel les partenaires s’étaient consenti un droit de préemption réciproque jusqu’à la tenue d’une assemblée générale extraordinaire appelée à se prononcer sur la décision de fusion de la société. 215 Ceci par application du principe de continuation énoncé à l’article 1122 du Code civil, selon lequel, les ayants cause à titre universel sont réputés continuer la personne du défunt c’est-à-dire prendre la place de ce dernier dans tous ses droits et obligations. Ce principe est transposable aux personnes morales transformées par fusion ou absorption, la nouvelle société venant aux droits de l’ancienne. 216 En ce sens, Ph. Brunswick, « SAS et capital investissement : vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ? », D., 2000.595, I - 2.1.b).

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considérés comme conclus intuitus personae217. A ce titre, si les pactes d’actionnaires

sont généralement conclus en considération de la personne du cocontractant et

comportent donc une certaine dose d’intuitus personae dont nous avons dit qu’il revêtait

souvent un caractère négatif218, cette dose n’est pas toujours suffisante pour faire échec

au principe de continuation de la personne.

68 - Les partenaires souhaitent en général pouvoir transmettre les droits et

obligations qui découlent du pacte aux ayants cause à titre particulier qui viendraient à

leur être substitués en qualité d’actionnaire.

Les objectifs poursuivis par les partenaires lors de la conclusion du pacte induisent

souvent une certaine pérennité de ce dernier et donc son maintien en vigueur dans le

temps, ce qui requiert la reprise, à leur propre compte, des engagements du pacte par

les cessionnaires éventuels.

En outre, ces droits, tels qu’un droit de préemption, de sortie conjointe ou une garantie

anti-dilution, constituent pour les cessionnaires qui en deviennent bénéficiaires, autant

d’avantages de nature à augmenter la valeur de la participation et donc le prix que le

partenaire cédant tirera de la cession.

69 - Il nous semble impératif que les partenaires se prononcent expressément, dès la

signature du pacte, sur la transmission conventionnelle des droits et obligations que

chacun tient du pacte à tout cessionnaire, quelle que soit la qualité de ce dernier : tiers à

la société, actionnaire non partenaire ou même signataire du pacte.

S’agissant spécifiquement d’une cession de titres entre partenaires, la question de la

transmission du pacte au partenaire cessionnaire ne se pose bien évidemment que

lorsque le pacte lie plus de deux partenaires, faute de quoi ce dernier serait caduc à

l’issue de la cession, chacune des parties au pacte se confondant dans la personne du

cessionnaire. Un auteur219 se prononce en faveur de la transmission de plein droit du

pacte au cessionnaire lorsque ce dernier est déjà partenaire, en réservant toutefois

l’hypothèse dans laquelle le pacte instaurerait plusieurs catégories d’actions ou

d’actionnaires220. Pour notre part, nous excluons toute transmission générale et

automatique du pacte à un partenaire ayant acquis des titres entrant dans le champ du

217 Voir notamment, Cass. civ. 1ère 24 février 1987, Bull. civ., I, n°75, p. 54, selon lequel « si le pacte de préférence est en principe transmissible aux héritiers des parties, il en est différemment lorsque les circonstances révèlent une intention contraire, même tacite, des parties de ne conférer à cette obligation qu’un caractère strictement personnel ». 218 Voir supra, Chapitre 1, Sect° 1, § 1. B. 219 Ph. Brunswick, op. cit., I - 2.1.b) et note de bas de page n°14. 220 L’auteur réserve également l’hypothèse plus triviale dans laquelle une telle cession entre partenaires constituerait une cause expresse ou tacite de caducité du pacte (Ph. Brunswick, op. cit., note de bas de page n°15).

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43

pacte auprès d’un autre partenaire. Il faut en effet remarquer que le maintien de la cause

des prérogatives et obligations attachées aux titres cédés ne va pas de soi dans la

nouvelle configuration de composition du capital qui lie les partenaires. Plus encore, il

nous semble que le principe de l’effet relatif des conventions s’oppose à cette

transmission automatique, certes le partenaire cessionnaire est d’ores et déjà signataire

du pacte, mais il ne l’est pas pour autant en qualité de créancier ou débiteur des mêmes

obligations et pour les mêmes causes que son auteur.

70 - Si le principe d’effet relatif des conventions exclut que le pacte engage ou

bénéficie aux cessionnaires des actions détenues par l’un des partenaires, les

signataires du pacte sont libres d’organiser conventionnellement une telle transmission

du pacte.

La clause dite de “sortie pactée” ou de “ratification du pacte”, aux termes de laquelle les

partenaires s’engagent à ne céder leurs actions qu’au profit d’une personne ayant

expressément adhéré aux dispositions du pacte, en ce que ces dernières s’appliquent

aux titres cédés, laquelle personne sera alors substituée dans les droits et obligations

que son auteur tenait du pacte, peut prendre plusieurs formes.

71 - Selon que ce sont des droits ou des obligations qui sont transmises, on recourt

aux procédés de la promesse de porte fort221, de la condition suspensive ou de la

stipulation pour autrui222.

Ainsi le cédant se porte fort envers son partenaire de l’acceptation par son cessionnaire

des clauses et engagements résultant du pacte. Si le cessionnaire ne reprenait pas à

son compte les engagements du pacte, le cédant s’exposerait alors au versement de

dommages et intérêts au partenaire.

Chaque cession peut également être conclue sous la condition suspensive de la

ratification du pacte par le cessionnaire. Ainsi en est-il, notamment, de la clause

prévoyant que tout transfert d'actions à un autre actionnaire ou à un tiers « devra être

subordonné à l'adhésion écrite du bénéficiaire non actionnaire au présent contrat et à sa

substitution aux droits et obligations du cédant »223. Précisons qu’une clause prévoyant

la ratification du pacte par le cessionnaire ainsi que par les autres partenaires peut

revenir à soumettre à l’acceptation des partenaires le cessionnaire pris en qualité de

membre du pacte. En revanche, si une telle clause consiste à soumettre à l’agrément

221 Art. 1120 C. civ. 222 Art. 1121 C. civ. 223 Exemple de clause de sortie pactée reproduite dans l’arrêt Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, n°01-9384, 25 ème ch. A, (affaire Banque de Vizille), Bull. Joly, 2002, p. 509, note H. Le Nabasque.

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des partenaires l’entrée du cessionnaire dans le capital de la société, elle doit

certainement respecter les conditions de validité des clauses d’agrément224.

Lorsqu’au contraire ce sont des avantages qu’il s’agit de transmettre au cessionnaire, le

cédant promet à ce dernier, s’il le souhaite, qu’il pourra bénéficier des engagements

initialement pris à son profit par le partenaire débiteur dans le pacte.

72 - Il en va tout autrement du domaine du contrat de société. Ce dernier ne repose

en effet aucunement sur la volonté des parties mais tient dans la qualité d’actionnaire.

73 - La souplesse et la plasticité du pacte d’actionnaires, qui dotent ce dernier d’une

flexibilité qui le distingue du contrat de société, lequel est particulièrement rigide dans la

société anonyme, se manifestent également dans le contenu du pacte.

§ 2. Un contenu évolutif

74 - Le pacte extra-statutaire offre aux partenaires un cadre relativement souple pour

contenir les termes de leur convention et modifier ces derniers, en toute simplicité, d’un

commun accord, au fur et à mesure de l’évolution de leurs besoins.

La procédure de modification du pacte d’actionnaires est en effet bien moins formaliste

que celle requise pour la modification des statuts (A). Mais en contrepartie, elle

engendre une relative précarité du pacte lorsque les dispositions de ce dernier s’avèrent

ne plus correspondre aux besoins des partenaires et qu’aucun accord n’est trouvé sur

les modifications à y apporter. Il est toutefois possible d’atténuer par avance la précarité

qui résulterait d’une telle situation, au moyen de clauses stipulées dès la conclusion du

pacte (B).

A. L’absence de formalisme dans la procédure de modification du pacte

75 - Conformément à la nature purement consensuelle du pacte225, les stipulations de

ce contrat peuvent être amendées ou supprimées, de nouvelles clauses ajoutées, dans

les mêmes conditions que celles requises pour la formation du contrat, c’est-à-dire à

l’unanimité226.

Cette simplicité qui préside à la conclusion et à la modification des pactes d’actionnaires

contraste avec le formalisme lourd imposé en droit des sociétés pour la modification des

224 Sur cette question, voir infra Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2. A et Sect° 2. 225 Voir supra, Sect° 1, § 2. A. 226 Art. 1134 al. 2 C. civ.

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statuts227. Nous avons déjà relevé qu’il convenait de réunir à cet effet, dans les sociétés

anonymes, une assemblée générale extraordinaire, soumise à certaines conditions

précises de convocation, de délais, de quorum et de majorité228.

A cet égard, l’accord unanime de tous les signataires requis pour la modification d’un

pacte extra-statutaire est moins contraignant que la procédure de modification des

statuts de sociétés anonymes, laquelle, outre son formalisme, suppose de recueillir

l’avis d’un beaucoup plus grand nombre d’actionnaires dont on sait qu’ils ne se sentent

pas tous très concernés par la conduite des affaires dans la société229.

76 - De plus, il existe des incertitudes en droit positif sur les conditions de

modification des statuts lorsque celle-ci a pour effet d’augmenter les engagements des

actionnaires. L’unanimité est le principe conformément à la règle d’ordre public

d’intangibilité des engagements des actionnaires précédemment évoquée230. Mais, il

n’est pas toujours évident d’identifier les décisions qui sont de nature à, selon les termes

de la loi, augmenter les engagements des actionnaires.

La jurisprudence classique restreint l’exigence d’unanimité aux décisions entraînant une

augmentation au sens strict des engagements des actionnaires, ce qui vise

principalement les engagements financiers de ces derniers231. En revanche, la

diminution des droits des actionnaires, telle que celle résultant, notamment, de

l’introduction dans les statuts de clauses venant limiter la libre négociabilité des actions

par une clause de préemption232 ou d’agrément233, ne requiert pas l’unanimité.

Mais la jurisprudence de la Cour de cassation évolue et tend, semble-t-il, à exiger

l’unanimité pour des modifications ayant pour effet de diminuer les droits des associés.

Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 26 mars 1996, a ainsi

considéré que l’introduction dans les statuts d’une clause de non-concurrence destinée

à jouer lors du départ de l’actionnaire devait être décidée à l’unanimité234.

227 Voir également, Ph. Brunswick, « SAS et capital investissement : vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ? », D., 2000.595, II. 2-3. 228 Art. L 225-96 C. com. 229 La règle de quorum est d’ailleurs abaissée d’un quart des actions ayant droit de vote, sur première convocation, à un cinquième sur seconde convocation (Art. 225-96 C. com.). 230 Art. L 1836 al. 2 C. civ. et L 225-96 al. 2 C. com. 231 Requièrent ainsi l’unanimité les décisions portant sur la modification de la répartition des pertes ou la transformation de la société anonyme en SAS ou SNC. Il est de même interdit d’exiger d’un actionnaire qu’il souscrive à une augmentation de capital contre son gré. 232 En ce sens, arrêt de principe : Cass. civ. 9 février 1937, D., 1937.1.73, note Besson. 233 Art. L 228-23 et s. C. com. 234 Cass. com. 26 mars 1996, Rev. sociétés, 1996, 793, note L. Godon. Encore peut-on s’interroger sur une possible confusion de la jurisprudence entre les qualités d’actionnaire, d’une part, et de cocontractant de la société, d’autre part, la situation de ce dernier ne pouvant être modifiée sans son consentement (sur cette question, voir L. Jobert, « Le principe de responsabilité limitée », Bull. Joly, 2007, p. 225).

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46

De même, s’agissant de la stipulation d’une clause d’exclusion dans les statuts, une

fraction significative de la doctrine235 considère qu’une telle clause doit être votée à

l’unanimité, ce qui est confirmé par la jurisprudence236.

77 - Il est remarquable, en outre, que le souci de protection des actionnaires, lequel

fonde l’exigence d’unanimité pour modifier les statuts dans le sens d’une augmentation

des engagements des actionnaires, devrait perdurer et l’unanimité être de nouveau

requise pour toute nouvelle modification des éléments amendés qui viendrait accroître

un peu plus ces engagements. Pourtant, les dispositions relatives à la mise en œuvre

d’une clause d’exclusion statutaire semblent pouvoir être modifiées à la seule majorité

qualifiée237. Ainsi en était-il, selon certains commentateurs, dans une affaire ayant donné

lieu à l’arrêt remarqué de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4

décembre 2007, en ce qu’il concerne le caractère d’ordre public de l’évaluation à dire

d’expert prévu par l’article 1843-4 du Code civil238. En l’espèce, une clause statutaire

relative au retrait et à l’exclusion d’un associé de société civile239 avait fait l’objet d’une

modification statutaire à la majorité renforcée, laquelle introduisait une modalité de

calcul du prix de cession des parts du retrayant ou de l’exclu bien moins favorable pour

ce dernier que celle qui figurait antérieurement. Il apparaît donc qu’en droit positif, un

associé minoritaire peut se voir imposer « un changement des statuts prévoyant une

clause d’exclusion spoliatrice de ses droits »240.

78 - La procédure de modification des pactes d’actionnaires paraît donc bien plus

simple, sécurisante et mieux établie que celle relative à la modification des statuts de

sociétés anonymes.

Cette procédure est toutefois relativement contraignante sur le fond en ce qu’elle conduit

inévitablement à une situation de blocage si jamais les partenaires n’arrivent pas à

s’entendre sur les modifications à apporter au pacte, qui sont pourtant rendues

nécessaires par l’évolution de la conjoncture et de l’environnement extérieur.

79 - On situe là une limite des pactes d’actionnaires, lesquels ne sont pas adaptés

pour régir des relations qui sont amenées à perdurer dans le temps. Ils se distinguent en

cela des statuts qui bénéficient d’une permanence supérieure tout au long de la vie

235 En ce sens notamment, M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1601 et M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°323. 236 Cour d’appel de Paris 27 mars 2001, JCP, Ed. N., 2002, 1237, note F.-X. Lucas. 237 Cass. com. 4 décembre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 844, commentaires R. Dammann et S. Périnot. 238 Sur cette question, voir infra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2. 239 Il aurait pu s’agir indifféremment d’une société anonyme. 240 En ce sens, R. Dammann et S. Périnot, commentaires précités sous Cass. com. 4 décembre 2007.

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47

sociale241. Le pacte d’actionnaires est un outil malléable et ajustable, au fur et à mesure

de l’évolution des besoins des signataires, par des modifications de faible ampleur. Il

survit difficilement, en revanche, à un changement trop radical par rapport à la

configuration dans laquelle les partenaires se trouvaient au moment de sa conclusion.

Or, plus la durée prévue pour l’application du pacte est longue et plus le risque est

important qu’il se produise un changement d’envergure ayant la fâcheuse conséquence

d’enfermer les partenaires dans un pacte qui ne leur convient plus mais que ces

derniers n’arrivent pas à modifier ni même à résilier d’un commun accord.

Pour cette raison, il est recommandé d’encadrer l’application du pacte dans une durée

relativement limitée, tout en ménageant la possibilité pour les partenaires de faire

perdurer leur accord au moyen d’une clause de prorogation ou de tacite reconduction.

Ainsi que nous serons amenés à le voir ultérieurement242, la fixation de la durée du

pacte est une question essentielle qui doit être étudiée avec précaution. L’enjeu est de

taille puisqu’il en va directement de l’efficacité du pacte. Il convient en effet d’écarter le

risque que la jurisprudence considère le pacte comme conclu pour une durée

indéterminée, auquel cas chaque actionnaire disposerait à tout moment, par application

du droit commun des contrats243, de la faculté d’ordre public de dénoncer

unilatéralement le pacte, en respectant toutefois un préavis d’une durée raisonnable.

80 - Si l’exigence de l’unanimité pour modifier le pacte confère à ce dernier une

précarité certaine, laquelle tranche avec l’aptitude du contrat de société à perdurer dans

le temps, il est possible d’atténuer ce risque au moyen de stipulations conventionnelles

adaptées introduites dans le pacte dès la conclusion de ce dernier. Là encore une telle

flexibilité contraste avec la rigidité du contrat de société, laquelle résulte de la nature

juridique de ce dernier.

B. L’atténuation contractuelle de la précarité du pacte

81 - Les avantages de souplesse et plasticité du pacte d’actionnaires révèlent leurs

limites lorsque, l’unanimité n’étant pas réunie pour modifier voire même résilier le pacte,

241 « La personnalité morale confère en effet à la société une permanence supérieure au contrat tant par l'application de la loi de la majorité qui permet d’adapter les statuts à l’évolution de la vie sociale, que par la répartition impérative des pouvoirs entre les organes sociaux qui garantit l’équilibre des forces en présence. » (A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004, n°8). 242 Voir infra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1. A et § 2. 243 La faculté pour chaque partie de se dégager d’un contrat à durée indéterminée est le corollaire de la prohibition des engagements perpétuels (A. Bénabent, Droit civil - Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., 2007, n°312.) Contra, R. Libchaber, « La société, c ontrat spécial » in « Dialogues avec M. Jeantin », Prospectives du droit économique, Dalloz, 1999, p. 281, n°7, selon lequel, cette facu lté n’est pas fondée sur la liberté individuelle mais procède d’un statut légal déclenché par le contrat. Et sur la valeur constitutionnelle de cette faculté, voir Cons. const. 9 novembre 1999, n°99-419 DC.

Page 48: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

48

les partenaires se trouvent prisonniers de cet accord qui n’est pas adapté à la situation

nouvelle.

C’est pour ces mêmes difficultés pratiques, nous l’avons dit, que la jurisprudence a

progressivement admis la modification des statuts de la société anonyme à la majorité

qualifiée.

82 - Certains auteurs soutiennent, qu’en matière exclusivement contractuelle, ainsi

qu’il en va des pactes extra-statutaires entre actionnaires, l’unanimité requise pour toute

modification, conformément au principe du mutuus dissensus244 sus-évoqué, ne

présente qu’un caractère supplétif. Le Professeur Dondero envisage, à ce titre, la

possibilité pour les partenaires de stipuler d’un commun accord, donc à l’unanimité, lors

de la conclusion du pacte, que la modification de ce dernier, ou même sa résolution,

sera décidée à la majorité245. Il conviendra alors seulement, selon lui, de préciser les

modalités d’application de la règle majoritaire : modalités de consultation (conditions de

convocation, quorum, majorité), calcul des voix par tête ou en proportion de la

participation dans le capital de la société, etc…

Nous pensons pour notre part que, si la règle de l’unanimité n’est pas impérative en

matière contractuelle, seul le législateur ou le juge est à-même d’apporter les garanties

suffisantes pour pouvoir déroger à ce principe. Ainsi que le Professeur Dondero le

reconnaît lui-même, la menace « d’écrasement du minoritaire » par la règle de la

majorité paraît d’autant plus dangereuse en matière de pactes d’actionnaires dans

lesquels la « porte de sortie » que constitue la possibilité pour l’actionnaire de céder ses

titres à tout moment est fortement rétrécie246.

Nous rejoignons donc l’avis d’autres auteurs selon lesquels l’institution du principe

majoritaire dans les pactes d’actionnaires « se heurte à de fortes objections »247. Outre

le fait que l’admission du principe majoritaire présenterait l’inconvénient de faire tomber

le pacte d’actionnaires dans un certain formalisme, il nous semble, plus

fondamentalement, qu’une telle admission conduirait à opérer une confusion entre le

contrat de société et les pactes d’actionnaires.

244 Art. 1134 al. 2 C. civ. 245 B. Dondero, « Statuts de SAS et pactes extra-statutaires, questions et confrontations », Bull. Joly, 2008, p. 245. Cette opinion se situe dans le prolongement de réflexions plus anciennes d’autres auteurs tels que R. David, La protection des minorités dans les sociétés par actions, Sirey, 1929, n°16 (selon lequel « si un contrat, de règle générale, ne peut être modifié au cours de son exécution, il reste vrai que ce principe peut être mis de côté par la volonté des contractants lors de la formation du contrat. Ceux-ci peuvent, à ce moment, stipuler les conditions et les modalités d’une révision éventuelle du contrat par eux passé. L’intangibilité et la fixité du contrat ne sont pas principes supérieurs à la souveraineté des volontés contractantes. ») et G. de Vareilles-Sommières, Les personnes morales, LGDJ, 1919, n°770, note 1. 246 B. Dondero, op. cit. 247 A. Couret et Th. Jacomet, « Les pièges des pactes d’actionnaires : questions récurrentes et interrogations à partir de la jurisprudence récente », RJDA, 10/08, p. 951, n°16.

Page 49: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

49

83 - D’autres stipulations, tirées des ressorts de la technique contractuelle, sont donc

à préférer pour améliorer la pérennité du pacte d’actionnaires.

Les partenaires peuvent tout d’abord prévoir, au moyen d’une clause de renégociation

du pacte, dite également clause de rendez-vous, de se rencontrer périodiquement, à

intervalles de temps réguliers ou lors de la survenance de certains évènements, pour

faire le point sur les termes de leur accord.

Les évènements de nature à modifier la conjoncture économique ou tout autre

paramètre influant sur l’équilibre du pacte et justifiant à ce titre une mise à jour de ce

dernier doivent être définis avec précision et présenter un caractère objectif pour éviter

toute contestation. Ils peuvent consister notamment dans le changement de contrôle

d’un actionnaire personne morale, partie ou non au pacte, la modification du seuil de

participation dans la société d’un actionnaire signataire ou non du pacte, la modification

de l’objet social, l’introduction en bourse de la société, la participation de cette dernière à

une opération de fusion ou scission ou encore le redressement judiciaire de la société…

Cette mise à jour se déroulera selon des modalités prédéfinies dans le pacte, au moyen

d’une procédure de consultation et de conciliation devant précéder une prise de décision

à l’unanimité248 des partenaires.

84 - Notons que pour être efficace, la clause de rendez-vous doit être rédigée de

façon à générer une obligation ferme de renégocier de bonne foi le contrat et assortie de

sanctions suffisamment coercitives telles que des astreintes conventionnelles, clauses

pénale ou de sortie forcée249. A défaut, la clause peut sembler inutile en ce qu’elle ne

permet pas de contrecarrer la situation de blocage résultant de l’inaptitude ou du refus

catégorique des partenaires de s’entendre. Un arrêt de la Cour de cassation en date du

20 février 2007 a toutefois admis que l’échec dans la renégociation du pacte prévue en

cas d’introduction en bourse de la société entraînait, à défaut de stipulation contraire, la

résiliation de plein droit de ce dernier250. Il est donc primordial que les partenaires qui

souhaitent maîtriser l’évolution de leur pacte au moyen d’une clause de mise à jour

prévoient expressément le sort qu’ils souhaitent voir être réservé à ce dernier en cas

d’échec de la renégociation.

A ce titre, dans un objectif de pérennité du pacte, une clause particulière importée du

droit américain, peut être stipulée pour forcer efficacement les partenaires à s’entendre.

248 Ou à la majorité pour ceux qui admettent cette possibilité. 249 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1. 250 Cass. com. 20 février 2007, n°05-12.366, Dungler c / Garon, inédit.

Page 50: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

50

Cette stipulation dénommée clause américaine ou encore clause d’options croisées251,

vise à exercer une pression sur les partenaires en les forçant à trouver un terrain

d’entente pour modifier le pacte, faute de quoi, en cas d’échec avéré de la négociation,

tout partenaire qui se proposerait de vendre ses titres s’exposerait à devoir acquérir

ceux de son partenaire aux mêmes conditions252.

85 - Mais en pratique, la clause de mise à jour du pacte n’exclut pas forcément la

résiliation de ce dernier. Les partenaires peuvent d’ailleurs prévoir, dès la conclusion du

pacte, que la survenance de l’un des évènements précités entraînera la caducité

automatique de ce dernier253. Ils peuvent également prévoir qu’en cas d’échec dans la

renégociation, l’un d’entre eux sera forcé de quitter la société dans les conditions d’une

clause dite d’offre alternative ou d’impasse, également d’origine américaine254,

spécialement adaptée pour mettre un terme à une situation de blocage.

Si l’objectif premier est d’assurer la pérennité du pacte et donc son maintien en vigueur,

l’essentiel demeure pour les partenaires d’éviter de se retrouver prisonnier d’un accord

qui ne leur convient plus, hypothèse qui s’avère probable dans l’environnement

extrêmement fluctuant que constitue le monde des affaires. En donnant à l’avance leur

consentement sur le fait que certains évènements, parfaitement objectifs, auront pour

conséquence, en cas de survenance, de mettre un terme à leur coopération, les

partenaires se garantissent les uns envers les autres contre le risque d’abus par l’un

d’entre eux d’une situation qui deviendrait trop profitable à ce dernier.

Conclusion du Chapitre 1

86 - Les développements qui précèdent font ressortir les caractéristiques propres du

pacte d’actionnaires, à la lumière de celles du contrat de société, et permettent ainsi de

confirmer que le pacte d’actionnaires est fondamentalement distinct du contrat de

société.

Ce caractère distinct, qui découle de la différence de nature entre le pacte d’actionnaires

et le contrat de société tient essentiellement à la place fondamentale qu’occupe l’intérêt

251 On la désigne par l’expression Put and Call en droit américain, qui peut être littéralement traduite comme : option de vente et option d’achat. 252 Sur ces clauses, voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. 253 A ce titre, la mise en redressement judiciaire de la société n’entraîne pas la caducité automatique du pacte d’actionnaires contenant une clause de préemption, Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005 n°04-12168, RJDA, 2005, n°1359, 1 ère esp. 254 Voir infra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 1. B et Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect 1, § 2. A, renvoyant également à Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. B.

Page 51: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

51

commun dans la société. Il n’existe en effet au sein du pacte d’actionnaires aucune

communauté d’intérêt de la sorte entre les partenaires.

Or, il apparaît que c’est la poursuite de l’intérêt commun des actionnaires qui détermine

le régime juridique du contrat de société et imprime à ce dernier autant d’autorité, de

formalisme et de rigidité. Au contraire, le régime des pactes d’actionnaires exhale la

liberté contractuelle, ces derniers bénéficient de la simplicité et de la flexibilité qu’offre le

contrat. Mais en contrepartie, le rayonnement du produit de cette liberté à l’égard des

tiers est très limité, en comparaison de l’opposabilité erga omnes dont jouit le contrat de

société. En outre, la nécessité d’un consensus permanent, dans un environnement si

évolutif et marqué par les rapports de force, fait du pacte d’actionnaires un contrat inapte

à perdurer dont la précarité contraste avec la permanence supérieure du contrat de

société.

87 - Toutefois, si le pacte d’actionnaires est fondamentalement distinct du contrat de

société, il reste bien placé dans la dépendance de ce dernier, ce qui est la marque d’une

forme de rapport d’accessoire à principal.

Chapitre 2. Dépendance du pacte d’actionnaires au c ontrat de société

88 - Le pacte d’actionnaires est sous la dépendance du contrat de société à deux

égards, de la même manière que le principal commande à la fois l’existence et les

dimensions de l’accessoire255, ce qui est caractéristique de la forme d’accessoire du

contrat de société présentée par le pacte.

La dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société tient, d’une part, à ce que

le pacte ne peut fondamentalement exister que si le contrat de société, lui-même, existe

et les signataires du pacte sont parties à ce contrat.

Cette dépendance tient, d’autre part, à ce que le pacte se trouve limité, dans son

contenu, par les dispositions statutaires. Les dispositions du pacte ne peuvent en effet

venir contredire, ni même concurrencer, les statuts selon une logique semblable à celle

selon laquelle l’accessoire ne peut s’étendre au-delà du support que lui offre le principal,

faute pour lui de pouvoir exister séparé du principal256.

255 Voir G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°40 et s. 256 G. Goubeaux, op. cit., n°46.

Page 52: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

52

89 - La dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société se manifeste ainsi

au niveau de l’existence (Section 1) et au niveau du contenu (Section 2) du pacte.

Section 1. Une existence dépendante

90 - La dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société, au niveau de son

existence-même, caractérise par nature, une dimension d’accessoire dans le rapport

juridique dans lequel se place le premier à l’égard du second257.

Ce lien de dépendance est, en quelque sorte, un lien à double détente. En effet, le pacte

d’actionnaires ne survit pas à la disparition du contrat de société ni à la disparition ou à

la transformation des actions (§ 1). De plus, le contrat de société demeurant en vigueur

et les actions ne subissant aucune transformation, le pacte d’actionnaires ne survit pas

non plus à la perte de la qualité d’actionnaire d’un partenaire (§ 2).

§ 1. Influence de la transformation du contrat de s ociété sur le pacte

91 - La disparition du contrat de société, pour quelle que cause que ce soit, met fin au

pacte (A). La jurisprudence adopte par ailleurs une attitude restrictive quant à

l’application et au maintien en vigueur du pacte d’actionnaires à la suite d’une opération

sur le capital ayant pour effet de faire disparaître ou de transformer les actions (B).

A. Le pacte d’actionnaires ne survit pas à la disparition du contrat de société

92 - Le pacte d’actionnaires ne peut exister sans le contrat de société. Quelle que soit

la cause de la dissolution de la société, nullité pour vice de formation, extinction à la

suite de la réalisation de l’objet social ou de l’arrivée du terme du contrat de société,

dissolution anticipée, ou encore toute autre cause visée à l’article 1844-7 du Code civil

ou propre aux sociétés anonymes258, la disparition du contrat de société entraîne

nécessairement celle du pacte d’actionnaires.

257 « L’extinction de l’obligation principale entraîne aussi l’extinction du cautionnement, puisqu’il est de la nature des choses accessoires de ne pouvoir subsister sans la chose principale », Pothier par J.-J. Bugnet, Œuvres de Pothier annotées et mises en corrélation avec le Code civil et la législation actuelle, Paris, Cosse Delamotte et Videcocq, 1848, Tome II n°377. 258 Par application des articles L 225-247 al. 1 C. com. (nombre d’actionnaires inférieur à sept), L 224-2 al. 2 C. com. (réduction du capital social en-dessous du minimum légal de 37.000 €), L 225-248 al. 4 C. com. (montant des capitaux propres inférieur à la moitié du capital social), le tout sauf régularisation dans les délais prescrits.

Page 53: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

53

93 - Aussi, pour le Professeur Moury, « un pacte extra-statutaire n’a de réalité que

dans la dépendance d’une autre convention à laquelle il s’adosse obligatoirement, le

contrat de société »259.

La disparition du contrat de société s’avère être une cause de caducité automatique du

pacte en ce qu’elle fait disparaître l’objet de ce dernier, que ce dernier porte sur

l’exercice du pouvoir dans la société ou sur la détention du capital260. La caducité vise

en effet l’hypothèse dans laquelle un contrat régulièrement formé à l’origine vient à

perdre, au cours de son exécution, l’un de ses éléments essentiels261.

94 - Parmi les causes de disparition du contrat de société entraînant la disparition

automatique du pacte d’actionnaires, seules la nullité du contrat de société et l’extinction

de ce contrat par la survenance de son terme appellent quelques commentaires.

95 - Tout d’abord, et conformément au régime de droit commun de la caducité, la

nullité du contrat de société262 entraîne l’anéantissement automatique et pour l’avenir du

pacte263, à compter de la constatation de cette nullité, laquelle coïncide avec la perte

d’objet du pacte.

96 - La conséquence pour le pacte d’actionnaires de l’extinction du contrat de société,

laquelle intervient au plus tard à l’arrivée du terme de ce contrat264, est également celle

d’une caducité du pacte pour perte d’objet de ce dernier. Cette affirmation ne fait aucun

doute265. Ce qui est en revanche contesté par certains auteurs266, en droit positif, c’est

l’idée de déduire de cette dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société,

caractérisée par le fait que l’extinction du contrat de société provoque automatiquement

259 J Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », commentaire sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, ci-après cité, D., 2007, p. 2045, n°10. 260 Sur l’objet des pactes d’actionnaires, voir infra, Partie I, Titre 2, Chap. 1. 261 En ce sens, A. Bénabent, Droit civil - Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., 2007, n°201. 262 La nullité est soumise à un régime spécial en droit des sociétés (voir D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°267 et s.). En effet la nullité du co ntrat de société n’a pas d’effet rétroactif mais produit les effets d’une dissolution judiciaire de la société (art. 1844-15 C. civ.), ce dont il résulte que jusqu’au jour de la liquidation suivant la découverte du vice de nullité affectant le contrat de société, les actions sont réputées avoir existé et ont valablement constitué, avec les droits de vote qui y sont attachés, l’objet du pacte. 263 Sur la caducité du contrat, voir A. Bénabent, op. cit., n° 201. 264 Rappelons sur ce point que, par application des articles 1838 du Code civil et L 210-2 du Code de commerce, la durée de vie des sociétés ne peut excéder 99 ans. A défaut de stipulation d’une durée plus courte dans les statuts, la durée de la société est réputée être de 99 ans (en ce sens, Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°1170). 265 A rapprocher du principe de « l’extinction réflexe » du cautionnement, selon lequel « l’engagement de la caution s’éteint par voie de conséquence lorsque s’éteint la dette cautionnée ». (D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001, n°134). 266 Voir notamment, M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°221 et s.

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la fin du pacte, une présomption selon laquelle la durée du pacte d’actionnaires serait

nécessairement calquée, à défaut de stipulation contraire, sur celle de la société.

97 - Rappelons que, par application du droit commun, à défaut de précision expresse

d’une durée déterminée dans un pacte d’actionnaires, ou si une telle durée ne peut être

déduite d’éléments concrets et précis exprimant la volonté des partenaires, le pacte est

considéré comme conclu pour une durée indéterminée avec la conséquence, déjà

évoquée, que chaque partenaire dispose, à tout moment, de la faculté d’ordre public de

dénoncer unilatéralement le pacte267, en respectant toutefois un préavis d’une durée

raisonnable conformément à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat268. L’enjeu

est donc celui de la force obligatoire du pacte d’actionnaires dans le temps. La

dénonciation du pacte, au motif que ce dernier serait conclu pour une durée

indéterminée, est en effet un moyen fréquemment invoqué en pratique par l’un des

partenaires pour en contester l’application et la jurisprudence est abondante en la

matière et d’une grande actualité269.

98 - Afin, selon toute vraisemblance270, d’éviter le risque qu’un actionnaire prétende

avoir valablement dénoncé le pacte au moment même où son partenaire entend lui en

appliquer la discipline, la jurisprudence admet classiquement, depuis un arrêt de la

chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 10 mars 1981271, dont la

solution a été reprise dans un arrêt de la Cour d’appel d’Angers du 20 septembre

1988272, qu’en l’absence de mention d’un terme dans le pacte, ce dernier est réputé

conclu, non pas pour une durée indéterminée, mais pour une durée égale à celle

nécessairement déterminée de la société. Cette solution jurisprudentielle est approuvée

par certains auteurs273 et fortement critiquée par d’autres pour lesquels une telle

267 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, n°202 ; M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, op. cit., n°221 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18672. 268 Sur cette question, voir F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 10ème éd., 2009, n°1200, selon lesquels la faculté de résiliation s’ accompagne du respect d’un préavis dans le seul cas où le cocontractant a besoin de temps pour trouver une solution équivalente, ce qui ne semble pas pouvoir être la situation d’un partenaire qui se trouverait confronté à la résiliation unilatérale du pacte. 269 Voir notamment, Cass. com. 6 novembre 2007, Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury. 270 En ce sens également, M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°221. 271 Cass. com. 10 mars 1981, Bull. Joly, 1981, p. 449. 272 Cour d’appel d’Angers 20 septembre 1988, Bull. Joly, 1988, p. 850. 273 En ce sens notamment H. Dubout, « Les clauses de durée dans les pactes extra-statutaires entre actionnaires », Bull. Joly, 1997, chron. I, p. 5, II. A ; J. Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », D., 2007, p. 2045, n°10 commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006 ; P. Le Cannu, RTD. com., 2007, p. 169, note sous cet arrêt également et B. Dondero, D., 2008, p. 1024, note sous Cass. com. 6 novembre 2007 (confirmant Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006 précité).

Page 55: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

55

présomption fait abstraction de la recherche de la volonté des parties recommandée par

le principe de la liberté contractuelle274.

On peut toutefois noter que cette présomption n’est pas irréfragable, rien n’empêche, et

il est même fortement recommandé aux partenaires, de déterminer expressément, et

avec la plus grande précaution, la durée pendant laquelle ils souhaitent voir s’appliquer

le pacte qu’ils concluent. Toute la difficulté réside, nous y reviendrons, dans le fait de

s’assurer que le terme extinctif ainsi stipulé sera interprété par le juge comme conférant

effectivement au pacte une durée déterminée.

On peut surtout remarquer que cette présomption se recommande du bon sens275 en ce

qu’elle s’appuie sur le lien de dépendance sus-évoqué du pacte d’actionnaires au

contrat de société tenant à ce que le pacte puise dans ce dernier son objet. Cette idée

ressort clairement de l’arrêt précité de la Cour d’appel d’Angers du 20 septembre 1988

approuvant le jugement ayant conclu que la durée du pacte « devait être calquée sur

celle de la société, dès lors que ladite convention concerne les actions de cette

société ». Le terme ainsi présumé, ressort même selon certains auteurs, de la nature du

pacte, ce terme paraît naturel en raison de ce qu’il est « lié au fait que les actions

cessent d’exister lorsque la société est liquidée »276. Dans le même sens, le Professeur

Moury, après avoir énoncé, ainsi qu’il a été rapporté plus haut, que le pacte

d’actionnaires ne se concevait que dans la dépendance au contrat de société auquel il

s’adosse obligatoirement, poursuit ainsi : « à défaut de disposition particulière contraire,

le pacte, implicitement mais nécessairement, est par nature, affecté d’un terme

renvoyant à un événement certain dont la survenance […] coïncide avec la fin de la

société, ce qui en fait, non moins nécessairement et comme l’est la société, un contrat à

durée déterminée »277.

99 - Le Professeur Guyon, pour sa part, ne remet pas en cause cette présomption

jurisprudentielle en ce qu’elle pose comme principe que « le pacte conclu sans limitation

de durée est réputé produire ses effets jusqu’à la liquidation de la société »278, il

conteste le caractère déterminé de cette durée présumée en raison de ce que le contrat

274 M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, selon lesquels une telle interprétation fait abstraction de la recherche de la volonté des parties en posant « ex abrupto un principe général selon lequel tout pacte d’actionnaires serait forcément conclu pour la durée de la société en cause », op. cit., n°221 et s. 275 A rapprocher du cautionnement : « La vocation de la théorie de l’accessoire à gouverner l’extinction du cautionnement en constitue certainement l’aspect le plus fécond et surtout le plus immédiatement accessible à l’intuition ». « Faute de précision du contrat de garantie, la règle de l’accessoire autorise, en effet, à le définir [le terme extinctif du cautionnement] tacitement, par référence au terme tacite ou exprès de l’opération principale » (D. Grimaud, op. cit., n°134 et 142). 276 P. Le Cannu, RTD. com., 2007, p. 169, note précitée sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006. 277 J. Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », D., 2007, p. 2045, n°10, commentaire précité sous Cour d’appel d e Paris 15 décembre 2006. 278 Y. Guyon, Les sociétés - Aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°202.

Page 56: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

56

de société est susceptible d’être prorogé279. Il est vrai que le caractère déterminé de la

durée calquée sur celle de la société a précisément été remis en cause par un arrêt

remarqué de la Cour d’appel de Paris en date du 15 décembre 2006 au motif que « pour

un contrat de société, l’arrivée du terme convenu n’est pas inéluctable ou encore une

fatalité puisque les associés ont la possibilité, avant la date fatidique, d’en décider la

prorogation »280. Toutefois, si cet arrêt a été confirmé par la chambre commerciale de la

Cour de cassation, dans une décision en date du 6 novembre 2007281, abondamment

commentée, la confirmation a porté sur tous ses points sauf en ce que la Cour d’appel

remet en cause le caractère déterminé d’une durée calquée sur celle de la société, la

chambre commerciale jugeant l’argument surabondant. Nous ne pensons pas que cette

jurisprudence, et il convient de souligner que l’arrêt n’a pas été publié au Bulletin,

marque un abandon de la présomption classique selon laquelle le pacte d’actionnaires

est réputé conclu pour la durée de la société si aucune autre durée ne ressort des

stipulations du pacte. Quoi qu’il en soit, ce motif avancé par les juges du fond, pour

écarter la présomption de durée déterminée du pacte, paraît en outre contestable282 en

ce qu’il semble établi en droit positif que la prorogation du contrat de société n’a pas

d’incidence sur la durée du pacte283. L’arrêt précité de la Cour de cassation du 10 mars

1981284 énonce en effet, à ce titre, que la prorogation du contrat de société n’entraîne

pas la prorogation automatique285 du pacte d’actionnaires.

100 - En tout état de cause, cette jurisprudence, aux contours incertains286, n’est pas

de nature à remettre en question le lien de dépendance du pacte d’actionnaires au

contrat de société, lequel se manifeste par ailleurs dans la jurisprudence relative au sort

du pacte en cas de disparition ou de transformation des actions par suite d’une

opération sur le capital de la société.

279 Notons que le professeur Guyon ne remet par là aucunement en cause le caractère déterminé du contrat de société lui-même, tout contrat à durée déterminée est susceptible d’être prorogé. Ce qu’il remet en cause c’est le caractère limité de la durée du pacte alignée sur celle du contrat de société au regard de la prohibition des engagements perpétuels (Y. Guyon, op. cit., n°202). Sur l’application de cette prohibition aux pactes d’actionnaires, voir infra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B. Voir également J. Moury, op. cit., n°6 renvoyant à R. Libchaber, « Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés », Rev. sociétés, 1995, p. 437, spéc. n°7 à 9. 280 Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, précité, Bull. Joly, 2007, n°4, p. 479, note F.-X. Lucas et commentaires précités : P. Le Cannu, RTD. com., 2007, p. 169 et J. Moury, D., 2007, p. 2045, précité. 281 Cass. com. 6 novembre 2007, Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury ; D., 2008, p. 1024, note. B. Dondero, précitée ; Bull. Joly, 2008, p. 125, note X. Vamparys; Dr. sociétés, 2008, comm. n°10, obs. H. Hovasse et Les Echos, n°20053, 23 novembre 2007, p. 12, Ph. Delebecque. 282 Approuvant toutefois ce motif, voir, F.-X. Lucas, op. cit. 283 Le Professeur Moury justifie cette solution par l’application du principe d’effet relatif des conventions (J. Moury, op. cit., n°4). 284 Cass. com. 10 mars 1981, Bull. Joly, 1981, p. 449, précité. 285 Ce qui n’empêche pas les partenaires de prévoir conventionnellement, lorsque la durée du pacte d’actionnaires est calquée sur celle de la société, que la prorogation du contrat de société entraînera automatiquement celle du pacte. 286 Voir également infra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2, B.

Page 57: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

57

B. Le pacte d’actionnaires ne survit pas à la disparition ou à la transformation des

actions

101 - Le lien de dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société est

précisé par la jurisprudence qui admet que, le contrat de société demeurant en vigueur,

la disparition temporaire des actions fait tomber le pacte de même que la transformation

des actions ensuite de la transformation de la société. Ces solutions caractérisent en

outre une tendance de la jurisprudence à interpréter strictement le domaine d’application

des pactes d’actionnaires, conformément au principe d’interprétation stricte des

exceptions287, les pactes relatifs aux cessions d’actions portant notamment atteinte, ainsi

que nous le verrons, au principe de libre négociabilité des actions288 auquel le contrat de

société est lui-même soumis. Le principe d’interprétation stricte des exceptions

commande en effet d’appliquer ces pactes dans les seules limites apportées à la libre

négociabilité qui sont strictement nécessaires à la finalité289 que la commune intention

des partenaires assigne au pacte290.

102 - Cette interprétation stricte du domaine d’application des pactes d’actionnaires

se révèle tout d’abord au niveau de l’étendue matérielle du pacte. La jurisprudence

relative aux opérations de coup d’accordéon291, selon laquelle les conventions portant

sur les actions qui ont disparu par suite de la réduction du capital doivent être

considérées comme caduques, faute d’objet, devrait en effet retentir sur les pactes

d’actionnaires confrontés à de telles circonstances. C’est ce qu’a confirmé récemment la

Cour d’appel de Lyon dans un arrêt en date du 14 mai 2009292.

Dans le cadre des opérations sur capital connues sous le nom de coup d’accordéon, les

actions de la société disparaissent par suite d’une réduction du capital à zéro puis de

nouvelles actions sont émises lors d’une augmentation de capital immédiatement

consécutive, les actionnaires en place avant la réduction du capital étant susceptibles de

souscrire, selon les circonstances, à cette augmentation de capital. Il résulte de la

287 « Quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposées de contracter » (art. 1163 C. civ.). 288 Voir infra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 1. A. 289 Sur cette question, voir P. Larrieu, « L'interprétation des pactes extra-statutaires », Rev. sociétés, 2007, p. 697, n°17. 290 Le principe d’interprétation stricte des exceptions découle de la règle plus générale d’interprétation subjective des conventions à laquelle le juge est soumis dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation. « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que se s’arrêter au sens littéral des termes » (art. 1156 C. civ.). 291 Cour d’appel de Versailles 26 juin 1997, Bull. Joly, 1997, p. 343, note Ph. Dom. 292 Cour d’appel de Lyon 14 mai 2009, 3ème ch. B, (affaire FGI SARL c/ Saint-André SA), Dr. sociétés, 2010, comm. 6, H. Hovasse.

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58

jurisprudence précitée293 que les pactes d’actionnaires portant sur les actions annulées

mais dont les signataires ont souscrit de nouvelles actions, ne sont, sauf précision

conventionnelle contraire, pas automatiquement reportés sur ces nouvelles actions294. Il

est donc particulièrement opportun pour les partenaires de préciser le sort du pacte

dans l’hypothèse où la société serait amenée à effectuer une opération de ce type sur le

capital.

Dans le même sens, il convient pour les partenaires de se prononcer expressément sur

l’entrée ou non dans l’assiette du pacte des actions qu’ils ne détenaient pas au moment

de la conclusion de ce dernier mais qu’ils viendraient à acquérir par la suite, par

exercice d’un droit de souscription lors d’émissions ultérieures de titres, d’un droit

d’attribution ou encore d’un droit de préemption. La solution est incertaine en droit

positif, la jurisprudence ne s’étant, à notre connaissance, jamais prononcée sur cette

question qui divise la doctrine295. Sur ce point, nous pensons que, par application du

principe d’interprétation stricte des conventions, le pacte ne s’applique qu’aux actions

possédées par les partenaires au moment de la conclusion de ce dernier.

103 - La jurisprudence relative au domaine d’application du pacte d’actionnaires

quant à son fait générateur est encore plus incertaine. Selon la majorité des décisions,

qui font encore une fois application du principe d’interprétation stricte, la transformation

de la société et donc de ses titres conduit à la disparition du pacte d’actionnaires, lequel

est bien souvent considéré comme inapplicable dès l’opération de transfert des titres

aboutissant à la transformation. On peut citer à ce titre un arrêt de la Cour de cassation

du 28 avril 2004296 refusant l’application d’un pacte à une opération de scission, dans

une espèce dans laquelle le transfert de titres, entendu comme fait générateur du droit

de préférence, était défini très largement comme « toute opération, à titre onéreux ou

gratuit, entraînant le transfert de la pleine propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit

de valeurs mobilières, notamment l’échange, l’apport en société, le nantissement ou la

donation » mais visait, selon la Cour, la seule cession isolée d’actions à l’exclusion de

toute transmission à titre universel. Face à cette tendance à l’interprétation stricte de

l’évènement déclencheur du pacte par les juges, lesquels recourent le plus souvent à

293 Cour d’appel de Versailles 26 juin 1997, précité. 294 En ce sens également, H. Hovasse et N. Morelli, « Les opérations de restructuration des sociétés à l’épreuve de la crise », JCP, éd. E, 2010, 212. 295 En faveur d’une interprétation stricte, voir M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°230. Contra, Ph. Brunswick, « SAS et c apital investissement : vers la fin des pactes d’actionnaires extra-statutaires ?», D., 2000, p. 595, I - 2.1.b. 296 Cass. com. 28 avril 2004, RJDA, 2004/8-9, n°983 confirmant Cour d’appel de Paris 1 8 février 2000, Bull. Joly, 2000, p. 727, note P. Le Cannu.

Page 59: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

59

une analyse littérale des termes stipulés, les partenaires devront veiller à préciser avec

soin297 les conditions de mise en œuvre du pacte.

104 - Notons enfin une autre manifestation de la dépendance du pacte d’actionnaires

au regard du contrat de société qui tient à ce que le fait générateur du pacte ou même

les éventuelles causes de caducité de ce dernier, stipulées par les partenaires,

proviennent souvent d’une évolution inhérente au contrat de société telle que

l’introduction en bourse de la société, son redressement judiciaire, l’émergence d’un

conflit entre partenaires paralysant la gestion de la société298 ou encore la modification

du seuil de participation dans la société d’un actionnaire signataire ou non du pacte.

105 - Il semble, par ailleurs, que le pacte ne survit pas à l’égard du partenaire ayant

perdu sa qualité d’actionnaire. En effet, dès lors que le pacte d’actionnaires est placé

dans une dépendance au contrat de société, non seulement le contrat de société ainsi

que les actions sur lesquelles porte le pacte doivent exister, mais il faut encore que les

partenaires conservent leur qualité d’actionnaire dans la société299.

On trouve là un autre aspect de la dépendance du pacte au contrat de société qui tient à

ce que le pacte est tributaire du maintien de la qualité d’actionnaire de ses signataires.

La qualité d’actionnaire des partenaires correspond, plus précisément, au deuxième

élément du lien de dépendance du pacte au contrat de société que l’on a qualifié plus

haut de lien à double détente.

§ 2. Influence de la perte de la qualité d’actionna ire d’un partenaire sur le pacte

106 - Le pacte d’actionnaires ne survit pas à la perte de la qualité d’actionnaire d’un

partenaire. La perte de cette qualité est susceptible d’intervenir dans différentes

circonstances.

Cet évènement peut tout d’abord se réaliser concomitamment à l’extinction du contrat de

société, hypothèse dont nous avons dit qu’elle entraîne la caducité automatique du

297 Pour être précise, la définition des opérations dans le cadre desquelles le pacte aura vocation à jouer ne doit pas non plus être trop restrictive et rigide. Voir S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, n°434 et s. 298 Cour d’appel de Paris 15 décembre 1995, Dr. sociétés, 1996, n°113, p. 14 et Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, précité, (D., 2007, p. 2045, note J. Moury) confirmé par Cass. com. 6 novembre 2007, précité (Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury). 299 En ce sens également, J. Moury : « L’existence du pacte d’actionnaires est indissociablement liée non seulement à celle de la société dont sont actionnaires les parties, mais encore, pour chacune d’elles, à sa qualité d’actionnaire de cette société », commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, n°10.

Page 60: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

60

pacte300. Il s’agit de l’hypothèse la plus lointaine dans le temps envisageable pour la

perte de la qualité d’actionnaire.

On pense par ailleurs à la disparition de la personne-même de l’actionnaire, qu’il

s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale. Mais l’extinction du pacte

qui en résulte, non toujours immédiatement301, constitue avant tout un effet propre de la

disparition du signataire du pacte et extérieur au lien de dépendance du pacte au contrat

de société.

Enfin, c’est l’hypothèse de la perte de la qualité d’actionnaire ensuite de la cession des

actions qui retiendra ici toute notre attention.

107 - La perte de la qualité d’actionnaire consécutive à la cession de ses actions par

l’un des partenaires, entraîne, à défaut d’organisation conventionnelle de la transmission

du pacte au cessionnaire302, la disparition du pacte. Le maintien de la qualité

d’actionnaire des partenaires s’avère être, en effet, un élément essentiel à l’existence du

pacte (A). Toutefois, la jurisprudence semble parfois passer sous silence le caractère

essentiel de cette qualité, ce que nous illustrerons au regard de deux arrêts relatifs à la

durée des pactes d’actionnaires (B).

A. La qualité d’actionnaire : une qualité essentielle au maintien du pacte

108 - Quelques précisions liminaires, relatives à l’étendue de la disparition du pacte

d’actionnaires résultant de la cession de ses actions par l’un des partenaires, nous

permettront ensuite d’envisager l’effet qu’emporte pour le pacte la perte de la qualité

d’actionnaire d’un partenaire.

109 - L’étendue de la disparition du pacte d’actionnaires par suite de la cession des

actions sur lesquelles porte ce dernier dépend à la fois du nombre de titres cédés et du

nombre de partenaires signataires du pacte.

Lorsqu’un pacte est conclu entre deux actionnaires et que l’un d’entre eux perd sa

qualité d’actionnaire en cédant la totalité des actions qu’il détient, le pacte disparaît. Si,

dans le cadre de ce même pacte, l’un des partenaires ne cède qu’une partie de ses

300 Voir supra, Chap. 2, Sect° 1, § 1. A. Il convient d’a ssimiler à cette hypothèse celle de la disparition des actions à la suite de la réalisation d’une opération de coup d’accordéon dans le cadre de laquelle le partenaire ne souscrit pas à l’augmentation de capital (voir supra, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B et notammen t, Cour d’appel de Lyon 14 mai 2009, 3ème ch. B, affaire FGI SARL c/ Saint-André SA, Dr. sociétés, 2010, comm. 6, H. Hovasse, précitée). 301 Par application du principe de continuité de la personne, le pacte est en effet transmis aux ayants cause universel qui continuent la personne du partenaire, sauf pour le pacte à avoir été conclu intuitus personae (voir supra, Chap. 1, Sect° 2, § 1. B). 302 Sur laquelle, voir supra, Chap. 1, Sect° 2, § 1. B.

Page 61: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

61

actions, le pacte disparaît en ce qu’il porte sur les actions cédées mais survit en ce qu’il

porte sur les actions demeurant la propriété du partenaire cédant, lequel a conservé la

qualité d’actionnaire, sauf pour les partenaires à avoir expressément prévu que la

cession d’une partie de ses actions par l’un des partenaires mettrait fin au pacte. Mais

par nature, le pacte d’actionnaires n’est pas indivisible.

Lorsque le pacte a été conclu entre plusieurs actionnaires et qu’un seul d’entre eux cède

ses actions, le partenaire cédant se trouve libéré du pacte. Mais si le pacte disparaît

ainsi à l’égard du partenaire cédant, lequel a perdu la qualité d’actionnaire, il peut

survivre, sauf stipulation contraire, entre les partenaires demeurés actionnaires.

110 - La perte de la qualité d’actionnaire par l’un des partenaires provoque ainsi la

disparition du pacte à l’égard de ce dernier. Cette disparition peut résulter de deux effets

distincts de la cession de l’intégralité de ses actions par l’un des partenaires. Soit cette

cession entraîne l’extinction du pacte, par réalisation de l’objet de ce dernier à l’égard du

partenaire cédant303, soit elle entraîne la caducité du pacte à l’égard du partenaire

cédant, ensuite de la perte de l’élément essentiel que constitue, pour le pacte, la qualité

d’actionnaire du partenaire.

111 - La cession de ses actions par l’un des partenaires entraîne parfois l’extinction

du pacte à l’égard de ce dernier en raison de la réalisation-même de l’objet du pacte.

Cette hypothèse recouvre les nombreux cas dans lesquels la cession constitue une

condition d’application du pacte d’actionnaires, lequel vise précisément à organiser les

modalités de cession de ses titres par l’un des partenaires ou plusieurs d’entre eux, en

subordonnant, par exemple, la cession à l’obtention de l’agrément d’autres actionnaires

ou à l’octroi d’une priorité sur l’opération à certains bénéficiaires, ou encore, en

encadrant la cession dans des conditions prédéfinies dans le cadre d’une promesse de

vente.

112 - En d’autres hypothèses, la cession de ses actions par l’un des partenaires

entraîne la caducité du pacte à l’égard de ce dernier en raison de la perte de la qualité

d’actionnaire du partenaire.

Ainsi, l’actionnaire qui s’est engagé dans les termes d’une convention de vote est-il

automatiquement libéré de son engagement lorsqu’il perd sa qualité d’actionnaire, la

303 Le Professeur Moury précise à ce titre que « Mis de côté le cas où le pacte a pour objet d’organiser les cessions d’actions par la stipulation, notamment, d’un droit de préférence, la cession déclenchant alors le mécanisme qui y est prévu et l’exigibilité de l’obligation que le signataire cédant y a précisément souscrite, la cession de la totalité de ses titres par l’une des parties prive le pacte de tout objet pour cette partie. » (J Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », D., 2007, p. 2045, n°4, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006).

Page 62: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

62

convention étant caduque à son égard dès lors qu’il ne dispose plus de la prérogative de

vote attachée à la qualité d’actionnaire.

113 - Ces deux causes de disparition du pacte caractérisent une dépendance du

pacte au contrat de société.

Le pacte d’actionnaires apparaît, de prime abord, comme autonome au regard du

contrat de société en ce que la perte de la qualité d’actionnaire par l’un des partenaires,

ensuite de la cession de ses actions, ne prive pas le pacte de la possibilité de réaliser

son objet. L’extinction du pacte est alors un effet propre de ce contrat. Mais à y regarder

de plus près, cette extinction du pacte par réalisation de son objet, n’est pas sans

caractériser une forme de dépendance du pacte au contrat de société, en ce que le

pacte ne peut précisément réaliser son objet que si le partenaire débiteur cède ses

actions et perd ainsi sa qualité d’actionnaire.

S’agissant de la caducité du pacte pour perte de l’élément essentiel que constitue la

qualité d’actionnaire du partenaire, la dépendance du pacte au contrat de société est

alors mise en exergue dans l’un de ses aspects les plus fondamentaux.

114 - Il apparaît en effet que le pacte est tributaire de la qualité d’actionnaire de ses

signataires en raison de ce qu’il ne peut avoir matériellement d’objet que si les

partenaires détiennent les actions qui en constituent directement l’objet ou à la détention

desquelles est attaché le droit de vote objet du pacte304. Dans cette mesure, la perte de

la qualité d’actionnaire entraîne la caducité du pacte pour la même raison que la

disparition du contrat de société, ou celle des actions elles-mêmes, entraîne la caducité

du pacte, tenant à la perte d’objet de ce dernier305.

En somme, parce qu’il a directement ou indirectement pour objet les actions de la

société, il semble bien que le pacte d’actionnaires se place dans un rapport de

dépendance à double détente qui le rend naturellement tributaire de la qualité

d’actionnaire de ses partenaires, et, plus en amont, du contrat de société. L’existence

des droits et obligations que le partenaire tient du pacte est ainsi indissociablement liée

à la qualité d’actionnaire, laquelle est elle-même indissociablement liée au contrat de

société.

115 - Le caractère essentiel pour le pacte du maintien de la qualité d’actionnaire des

partenaires caractérise ainsi fondamentalement la dépendance du pacte au contrat de

304 Sur l’objet des pactes d’actionnaires, voir infra, Partie I, Titre 2, Chap. 1. 305 En ce sens également, J. Moury : « la libération de l’une des parties ensuite de la cession de sa participation dans le capital de la société s’analyse comme la conséquence de la caducité du pacte à son égard, entraînée par la disparition, pour lui, de l’objet de cette convention», op. cit., n°4.

Page 63: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

63

société. Il est donc regrettable que la jurisprudence ne tire pas toujours très clairement

les conséquences de cette dépendance, ce que nous apprécierons au regard de

certaines solutions afférentes à la durée des pactes d’actionnaires.

B. La confusion jurisprudentielle relative à l’influence de la qualité d’actionnaire

116 - C’est sur la base de deux arrêts rendus par la chambre commerciale de la

Cour de cassation, le 27 septembre 2005306 et le 6 novembre 2007307 que nous

proposons d’apprécier dans quelle mesure la jurisprudence relative à la durée des

pactes tient compte du caractère essentiel du maintien de la qualité d’actionnaire des

partenaires. Le premier arrêt est relatif au caractère limité, au regard de la prohibition

des engagements perpétuels, de la durée d’un pacte de préférence tandis que le

second, déjà évoqué, conclut au caractère indéterminé de la durée du pacte alignée sur

celle de la participation commune des actionnaires dans la société.

117 - Une certaine confusion est entretenue en droit positif entre le caractère

déterminé de la durée d’un contrat et le caractère limité de cette même durée au regard

de la prohibition des engagements perpétuels. Il convient en effet de distinguer, sur le

fond, la durée indéterminée et la durée illimitée308. Une durée très longue, voire illimitée,

n’en est pas moins déterminée309, elle se heurte cependant au principe général de

prohibition des engagements perpétuels310, lesquels portent atteinte à la liberté

individuelle. Toutefois, l’existence d’une faculté de résiliation unilatérale du contrat

conclu pour une durée illimitée permet logiquement de faire échapper le contrat au grief

de l’engagement perpétuel.

Cette confusion entre les contrats à durée indéterminée et ceux constitutifs d’un

engagement perpétuel, au regard notamment de la durée de vie des contractants et de

la nature de l’obligation311, tient à ce que les seconds sont en général sanctionnés par la

306 Cass. com. 27 septembre 2005, Sté Financière de Marcory c/ Sté Sofipharm, n°04-12168, RJDA, 2005, n°1359, 1 ère esp., confirmant Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier, précités. 307 Cass. com. 6 novembre 2007, précité (Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury ; D., 2008, p. 1024, note. B. Dondero, précitée ; Bull. Joly, 2008, p. 125, note X. Vamparys ; Dr. sociétés, 2008, comm. n°10, obs. H. Hovasse et Les Echos, n°20053, 23 novembre 2007, p. 12, Ph. Delebecque) confirmant Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, précité (Bull. Joly, 2007, n°4, p. 479, note F.-X. Lucas et commentair es précités : P. Le Cannu, RTD. com., 2007, p. 169 et J. Moury, D., 2007, p. 2045). 308 J. Moury, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, n°6 renvoyant à R. Libchaber, « Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés », Rev. sociétés, 1995, p. 437, spéc. n°7 à 9. 309 L. Merland et D. Poracchia, obs. sous Cass. com. 6 novembre 2007 et Rev. Lamy Droit civil, 2008, n°48, p. 6, n°9. 310 Ce principe résulte de la généralisation par la jurisprudence de l’interdiction des contrats de travail illimités énoncée à l’article 1780 du Code civil. 311 Voir notamment, en matière d’engagement d’inaliénabilité pris par un médecin vis-à-vis de la société exploitant la clinique, Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, JCP, éd. G, 2003.I. 186, n°7 et s., note J. Rochfeld ( durée

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64

jurisprudence par une requalification en contrat à durée indéterminée, avec l’identique

conséquence d’être résiliable unilatéralement à tout moment312. Il résulte de cette

jurisprudence que, sauf exception313, l'absence de limitation dans le temps des effets

d'un pacte d'actionnaires n'est pas une cause de nullité de ce dernier314. D’autres

auteurs soutiennent, à juste titre nous semble-t-il, que les pactes d’actionnaires ne

constituent jamais des engagements perpétuels dans la mesure où ils sont limités par la

durée de vie de la société315.

La jurisprudence s’est toutefois prononcée sur la question s’agissant d’un pacte de

préemption stipulé applicable pour une durée de vingt ans. Un arrêt de la Cour d’appel

d’Aix-en-Provence en date du 5 décembre 2003, confirmé par la chambre commerciale

de la Cour de cassation le 27 septembre 2005316, considère à ce titre qu’une telle

stipulation ne constitue pas « un engagement perpétuel, ni même […] une durée

déraisonnable, puisque chacun [des signataires] peut vendre ses parts à tout moment ».

Si la solution doit être approuvée, la motivation conduisant à exclure la qualification

d’engagement perpétuel en raison de cette liberté dont dispose, par principe, chacun

des partenaires de céder ses actions ne nous paraît pas pertinente. Il nous paraît en

effet inconcevable d’analyser le principe de libre négociabilité des actions317 comme

conférant aux partenaires une faculté de résiliation unilatérale du pacte, propre à écarter

le grief de perpétuité318, sans éluder le caractère essentiel pour le pacte du maintien de

la qualité d’actionnaire des partenaires. Il suffit pour s’en convaincre de considérer que

la résiliation ne peut porter que sur un contrat en cours de vie, ce qui suppose que ce

dernier ait conservé tous ses éléments essentiels au jour où elle intervient.

118 - Il résulte alors de ce caractère essentiel pour le pacte du maintien de la qualité

d’actionnaire des partenaires qu’une faculté de résiliation unilatérale d’un pacte ne peut stipulée de 25 ans, considérée comme inférieure à la moyenne de vie professionnelle d’un médecin et ne portant donc aucune atteinte à la liberté individuelle) et Cass. 1ère civ. 19 mars 2002, JCP, éd. G, 2003.I. 122, n°15 et s., note A. Constantin (qualifiant de p erpétuel l’engagement pris par le médecin pour la durée de vie de la société, soit 99 ans par défaut). 312 En ce sens, A. Bénabent, Droit civil - Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., 2007, n°314 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 10ème éd., 2009, n°1200 et M.-E. Pancrazi-Tian, La protection judiciaire du lien contractuel, PUAM, 1996. Pour des arrêts sanctionnant par la nullité les contrats constitutifs d’un engagement perpétuel, voir A. Bénabent, op. cit, n°314 et les arrêts cités. En faveur également de la sanction de la nullité, voir L. Merland et D. Poracchia, op. cit., n°11 et 12. 313 Certains pactes, les engagements d’inaliénabilité notamment et, peut être, les interdictions d’acquérir, doivent impérativement avoir une durée limitée pour être valables (voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1 et Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A). 314 En ce sens, Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005, n°04-4322, 3 ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791. 315 H Dubout, « Les clauses de durée dans les pactes extra-statutaires entre actionnaires », Bull. Joly, 1997, chron. I, p. 5, précité, I - A et Dossier pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°100. 316 Cass. com. 27 septembre 2005 confirmant Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, précités. 317 Sur ce principe, voir infra Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2 et Titre 2, Chap. 1. 318 En ce sens également, J. Moury, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, n°4 et 6.

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s’entendre que de la possibilité pour les partenaires de mettre fin à ce dernier tout en

conservant la qualité d’actionnaire319. La cession des actions, au contraire, met non

seulement fin à la qualité d’actionnaire du partenaire mais constitue, surtout, un

événement extérieur au pacte, qui ne s’inscrit aucunement dans les rapports que les

partenaires entretiennent entre eux mais dans ceux qui lient l’actionnaire cédant à la

société en vertu du contrat de société qui préexiste à la conclusion du pacte.

Ainsi, la cession de ses actions par un partenaire met-elle fin, avant tout, à sa qualité de

partie au contrat de société et en résulte-t-il, par voie de conséquence, la perte pour le

pacte d’un élément qui lui est essentiel. Cette cession ne constitue donc qu’une cause

de caducité du pacte d’actionnaires et ne peut avoir, en raison de la dépendance du

pacte au contrat de société, qu’un effet ricochet sur le pacte.

119 - Par ailleurs, la jurisprudence a récemment dissuadé les praticiens de recourir

aux clauses usuelles stipulant le pacte applicable tant que les partenaires seront

actionnaires de la société.

On a pu penser que la présomption jurisprudentielle selon laquelle, à défaut de précision

contraire, le pacte est réputé conclu pour la durée de la société320, intègre, dans cette

limite temporelle qui constitue la borne la plus lointaine possible d’existence du pacte321

et confère à ce dernier une durée déterminée322, l’hypothèse dans laquelle le pacte est

amené à disparaître ensuite de la perte de la qualité d’actionnaire de ses signataires. Il

en a résulté une pratique extrêmement courante, consistant pour les partenaires à

asseoir la durée de leur pacte sur celle pendant laquelle ils demeureront ensemble

actionnaires de la société, afin de ne pas lier définitivement leur sort à celui de la

société323 tout en échappant au risque que le pacte soit considéré comme conclu pour

une durée indéterminée, la reconnaissance d’une faculté de résiliation unilatérale au

bénéfice des partenaires privant alors ce dernier d’une grande partie de son utilité.

120 - Mais la jurisprudence ne s’était jamais prononcée sur ce point, gardant le

silence durant des années de pratique, avant de connaître du contentieux ayant abouti à

319 J. Moury, op. cit., n°4. 320 Cass. com. 10 mars 1981, Bull. Joly, 1981, p. 449 et Cour d’appel d’Angers 20 septembre 1988, Bull. Joly, 1988, p. 850, précités. 321 H Dubout, « Les clauses de durée dans les pactes extra-statutaires entre actionnaires », Bull. Joly, 1997, chron. I, p. 5., I - A. 322 Egalement favorable au caractère déterminé de la durée de la société : H Dubout, article précité, I – A ; Y. Guyon, , Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°202 et R. Libchaber, « Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés », Rev. sociétés, 1995, p. 437, spéc. n°18 et s. 323 M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°221.

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66

l’arrêt précité de la Cour d’appel de Paris en date du 15 décembre 2006 confirmé par la

Cour de cassation dans son arrêt du 6 novembre 2007324.

Dans cette affaire, alors que l’une des sociétés partenaires avait levé l’option qu’elle

tenait du pacte, l’autre prétendait, classiquement, que le pacte aux termes duquel il était

stipulé que ce dernier s’appliquerait aussi longtemps que les deux sociétés

demeureraient ensemble actionnaires de la filiale commune, était à durée indéterminée

et qu’elle l’avait en conséquence valablement dénoncé, approuvée en cela par la Cour

de cassation. La chambre commerciale approuve en effet la Cour d’appel d’avoir

considéré, après avoir notamment retenu que « la perte, par l’un ou l’autre des

contractants, de la qualité d’actionnaire ne présente aucun caractère de certitude, quand

bien même l’un ou l’autre peut-il à tout moment céder ses actions »325, que le pacte

n’était assorti d’aucun terme extinctif, même incertain326.

121 - A suivre ce raisonnement, il convenait de vérifier, en l’espèce, si la perte de la

qualité d’actionnaire remplissait ou non la condition de certitude propre à caractériser cet

événement comme constitutif d’un terme extinctif.

Rappelons, à ce titre, que le terme peut être défini comme la modalité d’une obligation,

subordonnant l’exigibilité ou l’extinction de cette dernière à l’arrivée d’un événement

futur, de réalisation certaine au moment de l’engagement327. Il en résulte qu’un terme

n’affecte aucunement l’obligation dans son existence328. Il apparaît donc que la

problématique était d’emblée mal posée, sauf à ignorer le caractère essentiel que

présente la qualité d’actionnaire des partenaires pour le pacte329.

Il ne fait en effet aucun doute que la perte de la qualité d’actionnaire ne peut constituer

un terme extinctif, peu important à cet égard que l’événement soit de réalisation certaine

ou non, dès lors que cette perte emporte inévitablement, nous l’avons dit, la caducité du

pacte désormais dépourvu d’un élément essentiel à son existence. Il est donc permis de

regretter que cette jurisprudence fasse abstraction de l’une des caractéristiques

fondamentale de la dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société.

324 Cass. com. 6 novembre 2007, commentaires précités, confirmant Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, commentaires précités. 325 Cass. com. 6 novembre 2007, commentaires précités. 326 Un terme est qualifié d’« incertain » lorsqu’il porte sur un événement de réalisation, par définition, certaine mais dont la date de survenance est incertaine. 327 G. Cornu, Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant, PUF Quadrige, 2002. 328 Voir l’article 1185 du Code civil distinguant le terme de la condition. La condition porte sur un événement incertain dans sa réalisation, qui, contrairement au terme, rétroagit sur l’existence même de l’obligation. (art. 1168 et s. C. civ.). 329 En ce sens, J. Moury, op. cit, n°3.

Page 67: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

67

122 - S’agissant par ailleurs de la solution énoncée, il nous semble que la perte de la

qualité d’actionnaire, laquelle résultera certainement, et au plus tard330, de l’écoulement

de la durée du contrat de société, si elle ne constitue pas en elle-même un terme

extinctif renvoie nécessairement au terme extinctif que constitue la durée du contrat de

société. C’est d’ailleurs ce que révèle le moyen du pourvoi selon lequel « la perte de la

qualité d’actionnaire, même si est inconnue la date à laquelle cet événement arrivera,

est certaine puisque “cette perte de qualité interviendra nécessairement au plus tard à la

fin de la société, dont la durée est au maximum de 99 ans” ». Cet argument ne convainc

toutefois pas la Cour d’appel, laquelle, approuvée en cela par la Cour de cassation, en

dénonce l’ambiguïté en raison de ce qu’il n’est pas précisé si la société visée, dont la

durée est au maximum de 99 ans, est la société cible dans laquelle les partenaires sont

actionnaires ou les sociétés partenaires elles-mêmes. Cette exigence de précision est

excessive et fortement critiquée par la doctrine331, d’autant plus que, retenir l’une ou

l’autre des propositions n’affecte aucunement la pertinence de l’argument332. Mais cette

prise de position révèle sans aucun doute l’hostilité de la jurisprudence à l’égard des

clauses de durée du pacte alignées sur la durée de participation commune des

partenaires dans la société.

123 - Le pacte d’actionnaires s’avère être sous la dépendance du contrat de société

en raison de ce qu’il a pour objet, les attributs de la qualité d’actionnaire : les actions ou

le droit de vote attaché à ces actions333. Il en résulte que le pacte ne survit pas à la perte

de la qualité d’actionnaire, événement toujours extérieur à la volonté des partenaires,

considérés en leur qualité de signataires du pacte. En effet, le contrat de société et la

qualité de partie à ce contrat préexistent nécessairement au pacte, lequel ne peut lui-

même exister que dans leur prolongement et tant qu’ils subsistent.

124 - La dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société se manifeste

également sous un autre angle, s’agissant non pas de l’existence du pacte mais du

contenu de ce dernier. Le pacte d’actionnaires est en effet limité dans son contenu par

le contrat de société, dans lequel il trouve sa matière résiduelle et lequel lui est en outre

330 En faveur également du caractère certain de la perte de la qualité d’actionnaires, même si cette perte pourrait être lointaine, voir J. Moury, note précitée sous Cour d’appel de Paris 15 novembre 2006, n°8 . Et sur la question de la validité de la durée des pactes d’actionnaires au regard de la limite de durée et de la prohibition des engagements perpétuels soulevée par les troisièmes et sixième branches du moyen, considérées comme non fondées par la chambre commerciale, voir également J. Moury, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, n°6. 331 J. Moury, selon lequel le pourvoi visait de toute évidence la société cible la qualifie de « déconcertante », commentaire précité sous Cass. com. 6 novembre 2007, n°4. Voir également, B. Dondero, commentaire précité. 332 Dans le même sens, X. Vamparys, note précitée sous Cass. com. 6 novembre 2007. 333 Voir infra, Partie I, Titre 2, Chap. 1.

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68

supérieur dans la hiérarchie des normes sociétaires, ce qui est une autre marque d’une

forme d’accessoire334.

Section 2. Un contenu dépendant

125 - Les dispositions du pacte d’actionnaires sont sous la dépendance du contrat

de société en ce sens qu’elles sont soumises à la « prééminence des statuts, par

hypothèse conformes à la loi »335.

Nous avons dit que la jurisprudence érige la non-contrariété à une « stipulation

impérative des statuts » en condition de validité des pactes d’actionnaires336. Il semble à

ce titre que le caractère impératif des dispositions statutaires pour le pacte

d’actionnaires recouvre deux manifestations de la prééminence des statuts sur ce

dernier. D’une part, les dispositions du pacte d’actionnaires ne peuvent régir que le

domaine résiduel ne relevant pas de l’appréhension exclusive par le contrat de société

(§ 1), d’autre part, ces dispositions ne peuvent contredire celles du contrat de société

lequel constitue une norme hiérarchiquement supérieure au pacte (§ 2).

§ 1. Caractère résiduel du domaine réservé aux stat uts

126 - Si l’existence d’un bloc de dispositions réservées aux statuts, ne pouvant pas,

par définition, être appréhendées par les pactes d’actionnaires, ne fait aucun doute, la

délimitation de ce domaine réservé aux statuts est plus incertaine (A). Il s’avère pourtant

primordial d’en circonscrire l’étendue, la sanction de l’empiètement du pacte

d’actionnaires sur les dispositions relevant de ce domaine réservé pourrait bien être, en

effet, la plus énergique qui soit, à savoir la nullité (B).

334 En ce sens, G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, « le principal commande la dimension de l’accessoire », n°46 et s. , et voir n°18, sur la dépendance de l’accessoire a u principal caractérisée par une idée de « hiérarchie ». 335 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°286. On parle également de « primauté des statuts », D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°250 et s. 336 Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, 781 note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu.

Page 69: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

69

A. Un contenu encadré par le domaine réservé aux statuts

127 - La délimitation du domaine réservé aux statuts est parfois délicate. Ce bloc de

dispositions est en effet composé d’un « noyau dur » « à géométrie variable »337, avec

en son cœur, les mentions obligatoires338 visées à l’article L 210-2 du Code de

commerce, en matière de sociétés commerciales en général, et celles propres à chaque

forme sociale339. Ce noyau dur est ensuite élargi par la loi, d’une part, laquelle prévoit

des dispositions supplétives légales qui semblent devoir être impérativement stipulées

dans les statuts et par la jurisprudence, d’autre part.

128 - Certaines dispositions figurant dans le Code de commerce ont un caractère

supplétif. Doivent en effet être inclus dans cette catégorie, l’ensemble des articles

contenant les formules suivantes : « les statuts peuvent», « à défaut de disposition

expresse des statuts », « sauf stipulation contraire des statuts », « à moins que les

statuts de la société ne prévoient »…, lesquelles laissent aux actionnaires un espace de

liberté pour aménager les problématiques qu’elles traitent. Citons notamment à ce titre,

s’agissant des sociétés anonymes, les articles L 225-37 et L 225-82 du Code de

commerce relatifs au renforcement des majorités requises pour les délibérations du

conseil d’administration ou du conseil de surveillance, les articles L 225-96 et L 225-98

du Code de commerce relatifs au renforcement des quorums requis pour les

délibérations en assemblée générale extraordinaire et ordinaire, ou encore, l’article L

228-23 alinéa 1 du Code de commerce qui prévoit la possibilité de soumettre, sous

certaines conditions, les cessions d’actions à l’agrément de la société340.

129 - Il est permis de douter de l’appartenance exclusive au domaine réservé aux

statuts de ces dispositions supplétives. Ces aménagements pour lesquels le législateur

a laissé une certaine marge de liberté peuvent-ils faire l’objet de pactes extra-

statutaires ? La réponse est incertaine en droit positif. Une interprétation stricte de la

lettre du texte conduirait à considérer que ces aménagements relèvent de

337 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n 85. 338 Ces mentions ne peuvent figurer en dehors des statuts, Cass. 3ème civ. 14 janvier 1971, JCP ,1971.IV, 44. 339 En matière de sociétés anonymes, il s’agit des articles L 225-16,-25,-36-1,-51-1 et -64 du Code de commerce. 340 Précisons à ce titre que dans le domaine des SAS spécifiquement, les dispositions des articles L 227-13 et suivants du Code de commerce relatifs aux clauses d’inaliénabilité, d’agrément, d’exclusion et de changement de contrôle d’un associé personne morale ne relèvent pas du domaine réservé des statuts. De telles dispositions peuvent en effet figurer en dehors des statuts de la société et relever alors du régime des pactes d’actionnaires. (M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°2011-1).

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70

l’appréhension exclusive des statuts. Toutefois, les textes n’excluent pas expressément

un aménagement extra-statutaire des dispositions supplétives légales.

Il est indéniable que l’impératif de sécurité juridique commande de retenir la première

proposition341 mais ce serait se priver des nombreux avantages, déjà évoqués, que

présentent les pactes d’actionnaires. Deux exemples retiennent l’attention : la

modification des règles de majorité requises pour les délibérations du conseil

d’administration ou de quorum requises pour les délibérations en assemblée générale,

d’une part, et les clauses d’agrément, d’autre part.

130 - La modification des règles de majorité ou de quorum requises pour les

délibérations des organes sociaux, lorsqu’elle est admise par la loi, relève assurément

du domaine réservé aux statuts342. Ces règles sont en effet inhérentes au

fonctionnement de la personne morale, elles s’imposent à l’ensemble des actionnaires

et doivent être opposables à la société, leur modification ne peut donc figurer que dans

les statuts343. Il apparaît que le domaine réservé aux statuts est intangible, sa force tient

à ce que le contrat de société est nécessairement le réceptacle des accords régissant

les rapports collectifs des actionnaires.

131 - La validité des clauses d’agrément extra-statutaires suscite, quant à elle, une

controverse344. Ceux qui réfutent leur validité invoquent notamment que les dispositions

légales relatives à l’agrément de la société doivent être interprétées strictement en

raison de ce qu’elles constituent une entrave à la libre négociabilité des actions345.

D’autres346 invoquent le défaut de publicité des dispositions extra-statutaires, lesquelles

ne sont donc pas automatiquement connues des actionnaires non signataires du pacte

et des autres tiers à la société, ou encore la nécessaire implication dans la procédure

d’agrément d’un organe collectif de la société titulaire du droit d’agrément. Si, sur ce 341 M.-Ch. Monsallier, op. cit , n°85 . 342 Remarquons à ce titre que dans l’ensemble des ouvrages traitant en parallèle des aménagements statutaires et des pactes extra-statutaires, les auteurs n’abordent ces modifications que dans le domaine statutaire. (Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, sous la direction de Jacques Ghestin, LGDJ, 5è éd., 2002, n°174 ; H. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, Editions EFE, 2003, n° 157 et s. et F.-D. Poitrinal, La révolution contractuelle du droit des sociétés dynamisme et paradoxes, Revue Banque Edition, 2003, n°66 et s. 343 Contra, J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, éd. GLN Joly, Coll. Pratique des Affaires, 1995, n°106 et Dossier pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°422 et s. 344 Contre la validité des clauses d’agrément extra-statutaires : G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés, essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, éd. L’Harmattan, 2008, n 358; Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18454. En faveur de leur vali dité : Dossier pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°728 et 740 et s. et S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°60 et s. 345 En ce sens, Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18463. 346 En ce sens, G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°358.

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71

dernier point, il ne fait aucun doute que ni la société ni, a fortiori, aucun de ses organes

ne peut être lié par les dispositions extra-statutaires, il nous semble en revanche

possible de conférer le pouvoir d’agrément à un actionnaire ou à un groupe

d’actionnaires signataires du pacte. Nous nous prononçons donc en faveur de la validité

des conventions d’agrément extra-statutaires par lesquelles un actionnaire s’engage

envers un autre à ne céder ses actions qu’après avoir obtenu l’accord de ce dernier

quant à la personne du cessionnaire pressenti347, à condition toutefois que ces

conventions respectent le droit fondamental qu’a tout actionnaire de ne pas rester

prisonnier de ses titres348.

132 - A l’inverse, il semble que la jurisprudence a étendu le domaine réservé aux

statuts à des hypothèses non envisagées par la loi.

Tel serait le cas des clauses d’exclusion349. Il a en effet été jugé, à plusieurs reprises,

que les clauses d’exclusion ne peuvent être valablement stipulées en dehors des

statuts350. Une fraction significative de la doctrine351 fonde cette solution sur ce que la

qualité d’actionnaire naît de la signature du contrat de société et ne peut donc être

retirée que par ce seul contrat352.

La doctrine se prononce en revanche en faveur de la validité des clauses extra-

statutaires de rachat forcé reposant sur le mécanisme de la promesse de unilatérale

vente353. Par prudence, la pratique recourt donc à des promesses unilatérales de vente

sous condition suspensive, lesquelles permettent aux bénéficiaires de la promesse de

déclencher le rachat forcé des titres lors de la survenance de certains évènements.

Cette pratique a été entérinée par la jurisprudence, laquelle reconnaît la validité de telles

promesses de rachat forcé, à condition toutefois que ces dernières soient déclenchées

par des évènements parfaitement objectifs, constitutifs de justes motifs d’exclusion354, et

qu’elles soient dénuées, dans leur mise en œuvre, de tout comportement arbitraire de la

347 Voir infra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2 . A. et pour un exemple jurisprudentiel : Cour d’appel de Paris, 26 mars 1986, Bull. Joly, 1986, p. 679, cité par S. Prat, op. cit., n°63. 348 Voir infra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 1. 349 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B. 350 Voir notamment Cass. com. 8 février 1982, Bull. Joly, 1982, p. 970 et Cour d’appel de Paris 21 décembre 1983, Dr. sociétés, 1984, 3, n°74, note M. Germain (exclusion organis ée dans le règlement intérieur). 351 En ce sens notamment, J-P. Storck, « La validité des conventions extra-statutaires », D., 1989, p. 267, n°14 et H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, « Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires », Dr. sociétés, Actes prat., 1992, n°5, p. 12. 352 Sur la validité d’une clause d’exclusion statutaire, voir notamment Cour d’appel de Rouen, 8 février 1974, Rev. sociétés, 1974, p. 507, note R. Rodière. 353 En ce sens notamment, D. Martin, « L’exclusion d’un actionnaire », in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p. 113 ; M.-Ch. Monsallier, op. cit , n°708 et s. et . Goffaux-Callebaut, op. cit., n°363 et s. Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B. 354 Sont ainsi reconnues valables les promesses unilatérales de cession forcée extra-statutaires conclues sous la condition suspensive de la perte de la qualité de salarié de la société pour quelle que cause que ce soit : Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, JCP, éd. E, 2003, n°17-18, p. 737 et Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005, n° 04-4322, 3 ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791, précité.

Page 72: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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part de leur bénéficiaire, s’agissant notamment de la survenance des événements

constitutifs des motifs d’exclusion ainsi que de la détermination du prix d’indemnisation

de l’actionnaire exclu355.

133 - On le mesure, la dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société se

manifeste également dans le contenu du pacte, lequel ne peut empiéter sur le domaine

réservé aux statuts. Toutefois, la jurisprudence semble accueillir progressivement les

aménagements extra-statutaires venant limiter la libre négociabilité des actions selon

des mécanismes conventionnels proches de ceux qui sont admis lorsqu’ils figurent dans

les statuts. Mais la prudence reste de mise, la sanction de l’empiètement des pactes sur

le domaine réservé aux statuts pourrait en effet consister en la nullité des dispositions

litigieuses.

B. La sanction de la violation du domaine réservé aux statuts

134 - De la même manière que l’étendue du domaine réservé aux statuts demeure

incertaine sur certains points, la sanction de l’empiètement des dispositions du pacte sur

ce domaine n’est pas bien établie en droit positif.

135 - Les décisions de jurisprudence sont relativement anciennes en la matière et

concernent davantage la stipulation de dispositions relevant du domaine réservé aux

statuts dans d’autres types de conventions extra-statutaires que dans les pactes

d’actionnaires.

Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 23 février 1962 a-t-il annulé une

clause d’agrément figurant dans le règlement intérieur d’une société356. La nullité des

dispositions extra-statutaires venant empiéter sur le domaine réservé aux statuts devrait

logiquement résulter de la supériorité hiérarchique du contrat de société sur les

conventions extra-statutaires dans la hiérarchie des normes sociétaires. Cette solution

jurisprudentielle paraît donc transposable aux pactes d’actionnaires.

Une telle transposition ne s’impose toutefois pas avec force d’évidence en raison de la

nature particulière du règlement intérieur357. Le règlement intérieur constitue en effet un

acte à caractère collectif et sociétaire358. Contrairement aux pactes d’actionnaires, il n’a

pas une nature exclusivement contractuelle : il émane d’un organe social et s’impose à

l’ensemble des actionnaires de la société, en ce compris ceux qui n’auraient pas

355 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. 356 Cour d’appel de Paris 23 février 1962, D., 1963, p. 570, note J. Bigot. 357 S. Prat, op. cit., n°360. 358 En ce sens, P. Le Cannu, « Le règlement intérieur des sociétés », Bull. Joly, 1986, p. 723, n°19.

Page 73: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

73

participé à son élaboration359. Le règlement intérieur, que l’on a pu qualifier d’acte

« infra-statutaire »360, est donc davantage dépendant du contrat de société que ne l’est

le pacte d’actionnaires et ne bénéficie à ce titre d’aucune marge d’autonomie au regard

des principes qui participent de l’ordre public sociétaire.

136 - Ce doute quant à la sanction qu’il convient de réserver à la stipulation, dans un

pacte d’actionnaires, de dispositions relevant du domaine réservé aux statuts est en

outre alimenté par l’existence d’autres décisions de jurisprudence qui se sont contentées

de prononcer l’inopposabilité des dispositions litigieuses à la société361. Dans un arrêt en

date du 8 février 1982, la chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi réputé

non écrite à l’égard de la société et donc inopposable à cette dernière, une clause

d’exclusion signée par l’ensemble des actionnaires de la société au motif que cette

dernière figurait dans une convention distincte des statuts et non régularisée par un

représentant de la société362. L’inopposabilité de la clause litigieuse à la société est

conforme au principe de l’effet relatif des conventions. Il est toutefois permis de se

demander si la sanction aurait été différente si la convention extra-statutaire litigieuse

n’avait pas présenté la particularité d’être signée par l’ensemble des actionnaires.

137 - S’agissant plus particulièrement de certaines modifications, expressément

admises par la loi, des conditions de quorum et de majorité requises pour la délibération

des organes sociaux, lesquelles semblent appartenir au domaine réservé des statuts, la

sanction de leur stipulation dans une convention extra-statutaire devrait consister, sinon

en la nullité des dispositions elles-mêmes, en la nullité, tout au moins, des délibérations

prises en application de ces dispositions363.

138 - L’étendue du domaine résiduel que peut régir le pacte d’actionnaires, au

regard de l’ensemble des dispositions relevant d’une appréhension exclusive par le

contrat de société, n’est pas bien délimitée en droit positif. La sanction d’un

empiètement du pacte sur ce domaine réservé est également incertaine.

Il en résulte une nécessaire relativité du caractère résiduel des dispositions du pacte,

s’agissant tout au moins des dispositions qui ne sont pas directement relatives au

fonctionnement de la société. Le pacte d’actionnaires bénéficie alors dans son contenu,

359 A. Viandier et J.-J. Caussain, chron. de droit des sociétés, JCP, éd. E., 1986, 15846, n°2. 360 P. Le Cannu, op. cit., n°19. 361 Cass. com. 8 février 1982, précité, Bull. Joly, 1982, p. 970 et Cour d’appel de Paris 21 décembre 1983, précité, Dr. sociétés, 1984, 3, n°74, note M. Germain (exclusion organis ée dans le règlement intérieur). 362 Cass. com. 8 février 1982, précité. 363 Art. L 225-121 C. com. (relatif à la nullité des délibérations des assemblées générales prises en violation des art. L 225-96 et -98 du C. com.).

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et notamment lorsqu’il porte sur le capital social, d’une certaine marge d’autonomie364

par rapport au domaine réservé au contrat de société.

139 - La dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société, au niveau de

son contenu, se caractérise, par ailleurs, dans l’infériorité des stipulations qu’il contient

au regard des dispositions statutaires.

§ 2. La hiérarchie des normes sociétaires

140 - La supériorité du contrat de société sur les conventions extra-statutaires dans

la hiérarchie des normes sociétaires implique qu’en cas de contradiction ou

d’incohérence entre le pacte d’actionnaires et les statuts, ou même seulement en cas

d’incertitude, ces derniers prévalent sur les dispositions du pacte.

Cette emprise des stipulations statutaires sur le contenu du pacte d’actionnaires se

manifeste dans la jurisprudence qui évince les dispositions du pacte d’actionnaires

contradictoires avec les statuts (A). Il règne toutefois une incertitude en droit positif

quant à la nature exacte que revêt cette sanction consistant, pour la jurisprudence, à

écarter les dispositions du pacte prises en contradiction avec les statuts et il est donc

permis de s’interroger sur l’éventuelle efficacité de telles dispositions (B)

A. L’emprise des stipulations statutaires sur le contenu du pacte d’actionnaires

141 - Un arrêt de la Cour de cassation en date du 15 février 1994365 est

généralement interprété comme consacrant le principe de supériorité des statuts sur les

pactes extra-statutaires en cas de conflit entre ces normes.

La particularité des faits de l’espèce ne doit toutefois pas être passée sous silence au

risque de conférer à cet arrêt une portée plus large que celle qui lui revient.

142 - Dans cette affaire, les quatre principaux actionnaires d’une société avaient

obtenu le concours d’une institution financière au moyen d’une augmentation de capital

réservée à cette dernière, d’une part, et d’un prêt garanti par le cautionnement

hypothécaire de deux d’entre eux, d’autre part. Il était indiqué dans le procès verbal de

l’assemblée générale extraordinaire ayant voté cette augmentation de capital qu’en

raison de la garantie qu’ils avaient apportée sur leurs biens, les deux actionnaires

concernés bénéficieraient d’un droit de préférence, de nature statutaire, sur le rachat 364 S. Prat, op. cit., n°360. 365 Cass. com. 15 février 1994, Bull. Joly, 1994, p. 508, note D. Velardocchio.

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des actions de l’institution financière. Le même jour, les quatre actionnaires avaient

consenti au profit de l’institution financière un pacte de rachat extra-statutaire à prix fixé,

la répartition des actions ainsi rachetées devant maintenir l’égalité entre les

cessionnaires. Il résultait ainsi de ce montage une contradiction entre le droit de

préférence statutaire et le pacte de rachat extra-statutaire conclus concomitamment.

La Cour de cassation privilégie l’application de la disposition statutaire et accorde alors à

l’un des deux actionnaires garants le droit de préempter l’ensemble des actions cédées

par l’institution malgré l’opposition des co-actionnaires de ce dernier, bénéficiaires du

pacte de rachat extra-statutaire.

143 - Le pourvoi soutenait que ce pacte n’aurait pu être valablement modifié que par

mutuus dissensus et non par une résolution sociale, laquelle n’avait pas été approuvée

par l’ensemble des partenaires. Mais la Cour de cassation rejette ce pourvoi et approuve

la Cour d’appel d’avoir considéré que « la décision de l’assemblée générale ne

constituait pas un acte modifiant le pacte de rachat extra-statutaire conclu entre

[l’institution financière] et quatre actionnaires […] mais avait pour objet l’attribution à

deux actionnaires, en raison de leurs engagements personnels au profit de la société,

d’un droit de préemption statutaire s’imposant à l’ensemble des actionnaires ».

Il apparaît donc que, dans ce conflit entre les dispositions statutaires et les stipulations

du pacte extra-statutaire, la Cour de cassation « refuse de se placer sur le terrain

contractuel de l’aménagement des droits des actionnaires »366, consacrant par-là la

supériorité hiérarchique des premières. Dès lors que les statuts sont d’essence

collective et s’imposent à tous les actionnaires367, il paraît légitime qu’ils ne puissent être

contredits par des dispositions prises individuellement par certains actionnaires368. Mais

la solution aurait-elle été identique si le pacte d’actionnaires avait été conclu

ultérieurement à l’adoption de la résolution sociale litigieuse ? La particularité des

circonstances de l’espèce nous autorise à douter de la portée générale de cet arrêt369.

144 - Il en va différemment, bien sûr, lorsque le pacte d’actionnaires est compatible

avec d’autres dispositions statutaires venant restreindre la libre négociabilité des

actions370. La Cour de cassation a ainsi validé, dans un arrêt du 7 janvier 2004371, un

pacte de préférence extra-statutaire en retenant qu’il n’était pas contraire aux

366 En ce sens, D. Velardocchio, note précitée, I. A. 367 Voir supra, Chap. 1, Sect° 1, § 2. A. 368 En ce sens, D. Velardocchio, note précitée, I. A, qui relève que l’« on touche alors au domaine institutionnel où le pacte adjoint ne peut venir concurrencer le pacte social » et H. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°218. 369 Contra, H. Henry et G. Bouillet-Cordonnier, op. cit., n°218, qui relèvent la généralité de la formule. 370 Sur ce principe, voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2 et Titre 2, Chap. 1. 371 Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004, p. 544, note P. Le Cannu.

Page 76: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

76

dispositions statutaires, lesquelles contenaient notamment une clause d'agrément et de

préemption à laquelle le pacte faisait expressément référence.

Si, l’on peut regretter, avec le Professeur Le Cannu, que le contenu de ces dispositions

statutaires et extra-statutaires ne soit pas davantage détaillé372, il faut reconnaître qu’il

est de pratique assez fréquente qu’un pacte de préférence vienne se superposer à une

clause d’agrément statutaire. Le pacte de préférence s’applique alors en premier lieu

puis, peu important que le bénéficiaire ait exercé ou non son droit, la procédure

d’agrément est ensuite mise en oeuvre.

Notons toutefois, à ce titre, que dans les opérations de capital-investissement, les

investisseurs érigent souvent la suppression des clauses d’agrément statutaires en

condition de leur soutien financier. Ils craignent en effet qu’à défaut d’agrément et en

cas de désaccord sur le prix du rachat forcé en résultant, l’application impérative de la

procédure d’expertise de l’article 1843-4 du Code civil, prévue par l’article L 228-24 du

Code de commerce, conduise à un prix de cession fixé par expert qui soit inférieur à

celui qu’ils avaient négocié avec le cessionnaire pressenti.

145 - La subordination hiérarchique des pactes d’actionnaires à l’égard des statuts

n’exclut donc pas, on l’apprécie ici encore, une certaine autonomie du pacte relatif aux

cessions d’actions, pour lequel la jurisprudence admet qu’il vienne limiter la libre

négociabilité des actions selon un mécanisme proche mais distinct de celui

éventuellement prévu dans les statuts et compatible avec ce dernier373.

146 - Lorsque les dispositions contenues dans un pacte d’actionnaires sont

contradictoires avec les statuts, la question de leur sanction suscite quelques

incertitudes en droit positif. Cette question divise en effet la doctrine tandis que la

jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer.

372 P. Le Cannu, op. cit. 373 En ce sens notamment, D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°250, selon laquelle « l’emprise des stipula tions statutaires sur les conventions extérieures […est] plus ou moins sévère selon que l’accord extra-statutaire est en complète opposition ou est juxtaposé à l’accord collectif [les statuts] d’une façon qui autorise une harmonisation ». Un auteur se prononce ainsi en faveur de la validité d’un pacte d’actionnaires comportant une clause de préemption plus restrictive que les statuts (Voir J. Moury, « Des clauses restrictives à la libre négociabilité des actions », RTD. com., 1989, p. 187, n°18, cité par S. Prat, op. cit., n°362).

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B. L’efficacité en question des dispositions du pacte contraires aux statuts

147 - A notre connaissance, la jurisprudence ne s’est jamais prononcée de manière

expresse sur la nature de la sanction qui frappe un pacte d’actionnaires dont les

dispositions sont en contradiction avec les statuts.

En effet, l’arrêt précité de la Cour de cassation du 15 février 1994374 se contente

d’évincer le pacte extra-statutaire à la faveur d’une application exclusive des dispositions

statutaires. Mais il ne conclut pas à la nullité du pacte, ce qui est confirmé par la

précision de l’arrêt selon laquelle il ne peut être fait grief à la résolution sociale de

modifier le pacte sans le consentement de tous les partenaires. En effet, cette précision

des juges du fond aurait été inutile si le pacte avait été purement et simplement nul du

seul fait qu’il était en contradiction avec les statuts.

148 - En revanche, certaines décisions ont été rendues relativement à la sanction du

règlement intérieur pris en contradiction avec les statuts. Mais elles sont relativement

anciennes et la jurisprudence n’est pas uniforme en la matière. Nous avons de plus émis

des réserves quant à la possibilité de généraliser les solutions dégagées par la

jurisprudence en matière de règlement intérieur tant il est vrai que la nature « infra-

statutaire »375 de ce dernier le rend davantage dépendant des statuts que ne l’est le

pacte d’actionnaires.

149 - Un premier courant jurisprudentiel, qui résulte des décisions les moins

anciennes, conclut à la nullité du règlement intérieur dont les dispositions sont contraires

aux statuts376. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 octobre 1985, confirmé en des

termes très proches par la Cour de cassation le 2 juin 1987, énonce en effet que « les

statuts édictent en vertu de la loi les règles constitutives de la personne morale, et que

leur respect s’impose à tous aussi longtemps qu’ils n’ont pas été modifiés selon la

procédure prévue par les articles 8 et 153 de la loi du 24 juillet 1966 ; que toute

stipulation contraire d’un « règlement intérieur » constitue simplement une violation des

statuts dont la nullité peut être soulevée par tout intéressé sans entraîner pour autant la

nullité de la société elle-même ».

374 Cass. com. 15 février 1994, Bull. Joly, 1994, p. 508, note D. Velardocchio 375 P. Le Cannu, « Le règlement intérieur des sociétés », Bull. Joly, 1986, p. 723, n°19. 376 Cour d’appel de Paris 9 octobre 1985, Bull. Joly, 1986, § 226, p. 761, confirmé par Cass. com. 2 juin 1987, Rev. sociétés, 1988, p. 223, note J. Mestre.

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150 - Un second courant jurisprudentiel, qui résulte d’un arrêt légèrement plus

ancien de la Cour de cassation, en date du 17 mars 1982377, sanctionne quant à lui par

la seule inopposabilité à la société, la clause d’un règlement intérieur contraire aux

statuts, cette clause conservant par ailleurs toute sa force obligatoire entre les

associés378 dès lors qu’elle était plus récente que les statuts.

Cette solution, qui affirme la validité entre les actionnaires du règlement antérieur pris en

contravention avec les statuts, fait primer le principe de la liberté contractuelle sur celui

de la supériorité des statuts.

Dans la mesure où le pacte d’actionnaires est moins fortement dépendant des statuts

que le règlement intérieur ne l’est et dispose, contrairement à ce dernier, d’une certaine

autonomie, si relative soit-elle, il est permis de se prononcer en faveur de la validité,

entre les signataires, des pactes comprenant des dispositions qui contreviennent aux

statuts. Quant à l’inopposabilité du pacte à la société, il en est ainsi de tout pacte

d’actionnaires, par application de l’effet relatif des conventions, peu important que les

dispositions de ce dernier soient contraires ou non aux statuts.

151 - Nous pensons donc que lorsque le pacte exprime une volonté plus récente des

actionnaires, il doit prévaloir sur les statuts en ce qui concerne les relations des

partenaires entre eux. Le Professeur Guyon se prononce en faveur de cette solution

également379. Selon cet auteur, en effet, « en cas d’opposition [entre un pacte et les

statuts], les statuts devraient l’emporter, à moins de prouver que le pacte extra-

statutaire, adopté plus récemment que les statuts, équivaut à une modification informelle

de ceux-ci. Mais dans ce cas, cette modification serait inopposable aux tiers »380. Cette

sanction par la seule inopposabilité à la société et aux actionnaires non partenaires du

pacte pris en contradiction avec les statuts ne fait toutefois pas l’unanimité en

doctrine381.

152 - La supériorité des statuts sur le pacte d’actionnaires dans la hiérarchie des

normes sociétaires est un principe énoncé haut et fort par la jurisprudence et la doctrine.

Mais à y mieux observer, on s’aperçoit que la jurisprudence n’est pas abondante,

ancienne et difficile à analyser. 377 Cass. com. 17 mars 1982, RTD. com., 1982, p. 438, obs. L. Alfandéri. 378 Il s’agissait en l’espèce de dispositions relatives au partage des honoraires entre associés dans une société coopérative de médecins. 379 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5è éd., 2002, n°202. 380 Y. Guyon, op. cit., n°202. 381 Contra, M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°82 et H. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°218.

Page 79: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

79

En tout état de cause, cette supériorité qui implique une soumission des dispositions du

pacte à celles du contrat de société, que les premières ne doivent pas contredire,

n’exclut pas pour autant, selon une partie de la doctrine et ainsi qu’il en est au regard du

domaine réservé aux statuts, une certaine marge d’autonomie du pacte. En effet, si de

prime abord, la jurisprudence semble se prononcer en faveur de l’inefficacité, entre les

partenaires eux-mêmes, des dispositions du pacte prises en contradiction avec les

statuts, on retrouve une relative autonomie du pacte à l’égard du contenu du contrat de

société tenant à la seule inopposabilité des dispositions extra-statutaires litigieuses à la

société et aux actionnaires non signataires.

Conclusion du Chapitre 2

153 - Le pacte d’actionnaires se place dans une relation de dépendance au contrat

de société autant au regard de son existence qu’au regard de son contenu.

Le pacte d’actionnaires est en effet tributaire du contrat de société, dans son existence-

même, selon un rapport à double détente. La disparition de l’un des éléments essentiels

au maintien du pacte d’actionnaires : le contrat de société, ou plus spécifiquement les

actions, ou encore, les deux éléments précédents demeurant intacts, la perte de la

qualité d’actionnaire d’un partenaire, entraîne la caducité du pacte pour perte de son

objet. Le pacte d’actionnaires trouve en effet son objet, les titres sociaux ou le droit de

vote attaché à ces titres, dans le contrat de société et cet objet ne peut subsister que

tant que les partenaires conservent la qualité d’actionnaire, dont cet objet constitue

précisément les attributs.

D’autre part, le contenu du pacte est commandé par celui du contrat de société, en vertu

de deux principes qui participent de l’ordre public sociétaire. Tout d’abord, les

dispositions extra-statutaires ne peuvent porter que sur les questions résiduelles ne

relevant pas du domaine de celles auxquelles la loi ou la jurisprudence ont réservé un

traitement exclusivement statutaire. Ensuite, les dispositions extra-statutaires ne

peuvent être prises en contradiction avec les statuts, lesquels constituent une norme

hiérarchiquement supérieure. Cette dépendance du pacte quant à son contenu est

toutefois moins bien encadrée, en l’état actuel de la jurisprudence, que celle régissant

l’existence même du pacte, pour laquelle il est fait application de la théorie générale des

obligations.

Page 80: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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Conclusion du Titre 1

154 - Le caractère fondamentalement distinct, par rapport au contrat de société, du

pacte d’actionnaires ainsi que la dépendance unilatérale dans laquelle ce dernier se

place au regard du contrat de société caractérisent le rapport intermédiaire entre

assimilation et autonomie382 qu’entretient le pacte d’actionnaires avec la société.

D’un côté, la nature exclusivement contractuelle du pacte d’actionnaires confère à ce

dernier une souplesse lui permettant de n’impliquer dans l’accord extra-statutaire que

certains actionnaires, ce qui distingue fondamentalement le pacte du contrat de société,

dont la rigidité est due à l’impératif de préservation de l’intérêt commun.

D’un autre côté, dans le référentiel que constitue l’environnement sociétaire, le pacte

d’actionnaires ne peut exister que dans le prolongement du contrat de société tandis

que ce dernier existe par lui-même et se suffit. Le rapport de dépendance unilatérale du

pacte d’actionnaires au contrat de société ressort en effet essentiellement de la

subordination du premier au second dans son existence-même.

155 - Le pacte d’actionnaires se place ainsi dans un rapport de proximité au contrat

de société qui se caractérise par une distinction fondamentale entre les deux accords

combinée à une dépendance unilatérale du premier au second. Ces caractéristiques

conduisent à reconnaître dans le pacte d’actionnaires une forme d’accessoire du contrat

de société383 dont il convient désormais de rechercher les fondements.

156 - A ce titre, nous avons précisé que le pacte d’actionnaires trouve son objet dans

le contrat de société, qu’il s’agisse généralement de la détention des actions ou de

l’exercice du droit de vote attaché à ces actions. Nous allons démontrer que le pacte

d’actionnaires puise également sa cause dans le contrat de société et, plus précisément,

dans la qualité d’actionnaire des partenaires. Il s’avère donc que ce sont l’objet et la

cause du pacte, éléments caractéristiques de ce dernier, qui justifient fondamentalement

la dimension de rapport d’accessoire à principal que recouvre la relation pacte

d’actionnaires - contrat de société.

382 G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°22. 383 Pour un auteur attribuant sans nuance au pacte d’actionnaires le caractère d’accessoire du contrat de société, voir J. Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », commentaire sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, n°10.

Page 81: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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Titre 2. Les fondements de la dimension d’accessoir e du pacte

d’actionnaires

157 - La validité des pactes d’actionnaires, dans le principe-même de leur existence,

est reconnue en jurisprudence au nom de la liberté contractuelle384. Ces pactes sont

soumis aux conditions essentielles de validité de tout contrat, énoncées à l’article 1108

du Code civil, parmi lesquelles figure385 celle relative à un objet certain qui forme la

matière de l’engagement.

L’objet du pacte d’actionnaires constitue non seulement un élément essentiel à ce

dernier en ce qu’il conditionne sa validité, mais encore, un élément qui lui est

caractéristique. C’est la combinaison de l’objet et de la cause du pacte, entendue sous

ses acceptions particulières de cause efficiente et catégorique et de cause-fonction, qui

imprime à ce dernier toute sa spécificité. Il apparaît que le pacte d’actionnaires n’existe

que dans la dépendance à un autre contrat, le contrat de société386, dans lequel il puise

sa matière et trouve sa raison d’être.

Le pacte d’actionnaires emprunte en effet ses éléments essentiels et caractéristiques au

contrat de société d’une manière similaire à celle dont l’accessoire a besoin du support

que lui procure le principal387. Ainsi, le pacte d’actionnaires est-il, de par son objet et sa

cause, intrinsèquement dépendant du contrat de société et tributaire de la qualité

d’actionnaire de ses signataires.

158 - Nous proposons donc de tirer de l’analyse successive de l’objet puis de la

cause388 du pacte d’actionnaires les fondements de sa dimension d’accessoire du

contrat de société révélée dans le titre précédent.

Tout au long des développements qui suivent, lesquels supposent de nous entendre au

préalable sur certaines acceptions des notions fondamentales de droit commun que sont

l’objet et la cause, nous serons conduits à opérer une classification des pactes

d’actionnaires selon, précisément, leur objet puis leur cause. Cette démarche, qui

384 A condition toutefois qu’ils ne soient « pas contraires à une règle d'ordre public, à une stipulation impérative des statuts ou à l'intérêt social » (Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, 781 note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu, précités). 385 Outre le consentement de la partie qui s’oblige, la capacité de cette dernière à contracter ainsi qu’une cause licite dans l’obligation. 386 Rappelons à ce titre les propos éloquents du Professeur Moury, selon lequel « un pacte extra-statutaire n’a de réalité que dans la dépendance d’une autre convention à laquelle il s’adosse obligatoirement, le contrat de société » (commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, n°10). 387 Voir G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°24 : « le principal procure à l’accessoire une partie essentielle de lui-même », « l’accessoire ne peut se réaliser que grâce au principal, qui joue à son égard le rôle de support ». 388 La notion de cause est ici entendue sous ses acceptions de cause efficiente et catégorique et de cause-fonction.

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aboutit à ranger les pactes d’actionnaires dans des catégories, constitue certainement

une approche simplificatrice de la réalité dès lors que les pactes sont la plupart du

temps mixtes et combinent divers objets389 ou répondent à diverses considérations selon

la situation de fait dans laquelle ils sont mis en jeu390. Elle constitue toutefois un précieux

moyen de clarification pour mieux saisir, précisément, les subtilités de la pratique, ce qui

nous permettra de dégager, par la suite, une cohérence d’ensemble dans le régime des

pactes d’actionnaires. Nous verrons qu’en sus de justifier du lien de dépendance au

contrat de société auquel est soumis tout pacte, cette classification révèle d’ores et déjà,

selon les pactes, divers degrés de proximité voire d’intrusion dans le fonctionnement de

l’organisation sociale de la même manière qu’« il existe des degrés dans la force du lien

unissant l’accessoire au principal »391.

159 - C’est l’emprunt de ses éléments essentiels et caractéristiques au contrat de

société qui fonde la dimension d’accessoire dans laquelle se place le pacte

d’actionnaires. Le pacte d’actionnaires a en effet pour objet les éléments constitutifs du

contrat de société (Chapitre 1). Il trouve par ailleurs sa cause392 dans la qualité

réciproque d’actionnaire de ses signataires (Chapitre 2).

Chapitre 1. L’objet du pacte d’actionnaires

160 - Dans le dernier chapitre du titre précédent, nous avons caractérisé la

dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société, dans le principe même de

l’existence du pacte, en faisant notamment valoir que la disparition des actions, ou la

perte de la qualité de détenteur des actions de la société par le signataire, entraîne la

caducité du pacte désormais dépourvu d’objet en ce qu’il porte sur ces actions. Nous

avons de même précisé que la disparition des actions ou la perte de la qualité

d’actionnaire sont également à l’origine de la caducité du pacte lorsque ce dernier a

pour objet le droit de vote attaché aux actions détenues par les signataires.

389 Il est en outre difficile de distinguer, sur le fond, la détention du capital de l’exercice du pouvoir (sur cette question, voir S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°43 et s. et G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°6). 390 En ce sens, G. Parléani, op. cit., n°4. 391 G. Goubeaux, op. cit., n°25. 392 La notion de cause est ici entendue sous ses acceptions de cause efficiente et catégorique et de cause-fonction.

Page 83: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

83

161 - Les pactes d’actionnaires ont tous en commun, malgré leur variété quasi-infinie

résultant de la créativité et du souci des praticiens de répondre aux mieux aux multiples

attentes de leurs clients, de porter soit alternativement soit cumulativement sur les deux

éléments constitutifs de la structure et du fonctionnement de la société. Les pactes

d’actionnaires ont en effet toujours pour objet, entendu dans le sens matériel de la

notion comme « la chose relativement à laquelle le contrat est conclu »393, le capital,

élément structurel de la société, et/ou le pouvoir, levier du fonctionnement de

l’organisation sociale et donc de la gestion de la société.

Dès lors, il est de l’essence des pactes d’être intimement liés à la société, dans un

rapport de dépendance unilatérale à cette dernière, ou encore, d’infériorité

hiérarchique394, en ce sens que le contrat de société donne sa matière au pacte et

préexiste donc nécessairement à ce dernier.

162 - Par ailleurs, l’autre élément essentiel du pacte d’actionnaires, sa cause, réside

dans la qualité réciproque d’actionnaire de ses signataires. Cela nous renvoie au rapport

de dépendance à double détente sus évoqué et parfaitement exprimé par le Professeur

Moury comme suit : « L’existence du pacte d’actionnaires est indissociablement liée non

seulement à celle de la société dont sont actionnaires les parties, mais encore, pour

chacune d’elles, à sa qualité d’actionnaire de cette société »395. Or, en matière de pacte

d’actionnaires, comme dans tout contrat, l’objet et la cause se conçoivent rarement l’un

sans l’autre, ils se complètent et le contenu de chaque notion permet d’apporter des

précisions sur le contenu de l’autre. Ainsi, l’on perçoit que c’est parce que les signataires

du pacte ont tous deux la qualité d’actionnaire dans la société, que le pacte peut

matériellement porter sur le capital ou la gestion de la société, et, plus précisément,

avoir pour objet la détention de ce capital ou l’exercice du pouvoir dans cette société.

L’objet du pacte d’actionnaires coïncide en effet avec les prérogatives essentielles de la

qualité d’actionnaire396 : le droit de céder les actions et le droit de vote principalement,

s’agissant de la gestion de la société.

163 - L’incidence de l’objet emprunté au contrat de société se mesure tant dans les

pactes d’actionnaires portant sur l’exercice du pouvoir au sein de la société (Section 1)

que dans ceux relatifs à la détention du capital social (Section 2).

393 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Coll. PUF Quadrige, 3ème éd., 2002, voir Objet (du contrat, a). 394 A rapprocher de l’accessoire, G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°23 et 24. 395 J Moury, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, n°10. Sur cette question, voir supra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1. 396 En ce sens, G. Parléani, op. cit., n°6.

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Section 1. Les pactes d’actionnaires ayant pour obj et l’exercice du pouvoir au

sein de la société

164 - Les pactes d’actionnaires relatifs à la gestion de la société aménagent les

droits politiques des actionnaires lesquels sont garantis par un droit à l’information et le

droit de voter au sein des assemblées générales.

Cet exercice du pouvoir par les actionnaires participe directement du fonctionnement de

la société anonyme397 dont on a dit qu’elle était soumise à la loi de la majorité et au

principe de hiérarchie et de spécialité des organes sociaux.

On pressent que l’on se situe là dans le domaine dans lequel les pactes d’actionnaires

présentent le lien de dépendance au contrat de société le plus ferme398.

165 - Cette intuition se confirme s’agissant de tous les pactes relatifs à la gestion de

la société (§ 1). Mais ce sont certaines applications pratiques des conventions de vote,

présentées plus en détails, qui en témoignent le mieux (§ 2).

§ 1. Les principaux pactes relatifs à la gestion de la société

166 - L’article 1844 du Code civil énonce le pouvoir politique dont jouit tout

actionnaire de participer aux décisions collectives. Cette prérogative est garantie par un

droit à l’information de l’actionnaire sur les comptes et la politique sociale, d’une part, et

surtout, par le droit de participer aux assemblées générales et d’y exprimer un vote,

d’autre part.

Les pactes d’actionnaires relatifs à la gestion de la société sont donc au cœur du

fonctionnement de l’organisation sociale, avec cette particularité, encore une fois, qu’ils

ne sont pas opposables à la société, sauf si cette dernière les a ratifiés.

167 - Les principaux pactes relatifs à la gestion de la société aménagent ainsi le droit

d’information des actionnaires (A) ainsi que l’exercice de leur droit de vote (B).

397 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5è éd., 2002, n°198. 398 Y. Guyon, op. cit.

Page 85: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

85

A. Les pactes portant sur l’information des actionnaires

168 - Tout actionnaire a droit à une information permanente, périodique et

ponctuelle399. Il peut ainsi obtenir la communication des documents sociaux tels que les

comptes sociaux, rapports de gestion et projets de résolution et poser par écrit des

questions sur la gestion sociale.

Ces droits à l’information, qui n’ont pourtant cessé d’être renforcés, depuis la loi de

1966, par les textes ultérieurs et les directives européennes, demeurent relativement

limités. Ils jouent un rôle pourtant essentiel dans le fonctionnement de la société en ce

qu’ils sont censés éclairer les actionnaires en vue de leur participation aux délibérations

sociales.

169 - Le recours aux pactes d’actionnaires vise alors à octroyer un supplément

d’information à certains actionnaires. Les renseignements visés par la clause

d’information renforcée sont très variés. Les pactes peuvent notamment ouvrir le droit de

recevoir la communication de situations comptables intermédiaires, états financiers

périodiques, tableaux de financement ou de budgets prévisionnels, business plans ou

encore de rapports sur l’activité sociale

Aux termes de ces pactes qui améliorent le droit à l’information, les partenaires

débiteurs s’engagent en général à ce que soit fournie au bénéficiaire, à tout moment,

toute information que ce dernier serait susceptible de demander et à ce que le

bénéficiaire soit spontanément informé de tout événement susceptible de modifier la

marche générale ainsi que la situation financière de la société ou étant de nature à

compromettre la continuité de l’exploitation. Ainsi en est-il des projets de cession d’actifs

notamment, mais aussi, de tout fait qui pourrait venir rompre l’équilibre

contractuellement organisé par les partenaires. De telles informations sont capitales

pour les investisseurs qui prennent une participation minoritaire dans la société dans le

cadre d’opérations de capital-investissement. Mais, si l’obligation au secret des affaires

qui pèse sur la société est très relative et peut faire l’objet de conventions, les

actionnaires ne peuvent pas, en revanche, se porter fort de la fourniture de

renseignements par les commissaires aux comptes, lesquels sont très strictement tenus

par la loi au secret professionnel.

170 - Certains pactes d’actionnaires vont encore plus loin dans l’amélioration des

droits à l’information des partenaires qui en sont bénéficiaires et autorisent ces derniers,

399 Art. L 225-115 et s. C. com. et art. 153 D. du 23 mars 1967.

Page 86: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

86

en général des investisseurs en capital-risque, à procéder, ou à faire procéder par toute

personne de leurs choix, à toutes missions d’investigation au sein de la société.

171 - L’ensemble de ces pactes relatifs à l’information des actionnaires constitue

indéniablement, on le mesure, une véritable intrusion dans le fonctionnement de la

société. A ce titre, ils devraient même impliquer, semble-t-il, une certaine collaboration

de cette dernière, faute de quoi leur efficacité serait très relative.

Cette pratique venant renforcer le contenu de l’information délivrée à certains

actionnaires, au moyen de la conclusion de conventions extra-statutaires entre

actionnaires, se conçoit toutefois sous la forme d’engagements de porte-fort, pris par

des actionnaires dirigeants ou majoritaires au regard de la fourniture de certains

renseignements par la société au bénéficiaire du pacte.

Par application des articles 1120 et suivants du Code civil, la promesse de porte-fort

n’oblige aucunement le tiers, à savoir la société, à ratifier l’acte, le promettant,

actionnaire dirigeant ou majoritaire, ayant quant à lui une obligation de résultat et

engageant ainsi automatiquement sa responsabilité contractuelle à défaut de ratification

de l’acte ayant causé un préjudice au bénéficiaire. Il apparaît tout de même qu’en

pratique, si la société n’est pas formellement tenue par l’obligation de délivrance

d’informations supplémentaires à l’égard du bénéficiaire du pacte, l’obligation prise par

le partenaire débiteur, sous la forme d’une promesse de porte-fort, pourrait revenir à un

engagement de la part de la société en raison de ce que, par sa qualité de dirigeant ou

d’actionnaire majoritaire, le promettant contrôle la société400.

172 - Un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 27 mars 2007 semble en effet

se prononcer en ce sens401. Le pacte conclu entre deux groupes d’actionnaires d’une

société anonyme, le groupe investisseur et le groupe dirigeant, stipulait une obligation à

la charge du président du conseil d’administration de la société, membre du groupe

dirigeant, d’organiser « une réunion semestrielle du groupe investisseur et un système

de reportings trimestriels, permettant à chaque actionnaire de suivre l'activité et les

performances de la société »402. Cette obligation n’ayant pas été respectée, la Cour

d’appel condamne la société, qui n’était pourtant pas partie au pacte, à réparer le

préjudice subi par l’un des investisseurs bénéficiaire du pacte. La Cour élude en

l’espèce le principe de l’effet relatif des conventions en considérant, semble-t-il, que le

président avait agi en sa qualité de représentant légal de la société. Elle relève en effet

400 En ce sens, F.-D. Poitrinal, La révolution contractuelle du droit des sociétés dynamisme et paradoxes, Revue Banque Edition, 2003, n°107. 401 Cour d’appel de Paris 27 mars 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1002, note F.-X. Lucas. 402 Cour d’appel de Paris 27 mars 2007, précité.

Page 87: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

87

qu’« il n’était pas invoqué que M. G [le président] aurait commis une faute détachable de

ses fonctions de dirigeant »403.

Il apparaît que le domaine régi par le pacte d’actionnaires, le droit à l’information des

actionnaires, est si intimement lié à la société, plus précisément au fonctionnement de

cette dernière, que les juges n’ont pas envisagé la possibilité qu’un dirigeant ait pu

s’engager sur ce point, même en dehors des statuts, en sa seule qualité d’actionnaire.

173 - Dans le cadre des pactes d’actionnaires, les pactes d’information constituent

souvent des clauses périphériques aux conventions de vote404, lesquelles illustrent, elles

aussi, le fondement objectif de la dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de

société.

B. Les conventions de vote

174 - Tout actionnaire a le droit de participer à la vie sociale405 en exerçant

notamment son droit de vote406. Le droit de vote est une prérogative fondamentale407

pour l’actionnaire en ce sens qu’il est le seul moyen pour ce dernier de participer à la vie

sociétaire et de se prononcer sur la gestion opérée par les dirigeants.

La localisation extra-statutaire des conventions de vote s’explique par le fait qu’en

pratique, ces dernières n’ont pas vocation à perdurer, le caractère limitée de leur durée

constitue d’ailleurs l’une de leurs conditions de validité408.

175 - L’objet des conventions de vote peut porter, plus précisément, sur l’attribution

du droit de vote et/ou sur l’exercice de ce dernier.

Les pactes d’actionnaires portant sur l’exercice du droit de vote sont les plus fréquents

en pratique, notamment dans les filiales communes ou dans les sociétés dont

l’actionnariat est éclaté en plusieurs groupes, afin d’assurer une conduite cohérente de

la société et éviter que le bon fonctionnement de cette dernière ne soit contrarié par des

divergences de politiques sociales.

En général, ces pactes visent l’exercice du droit de vote dans les assemblées générales

mais ils peuvent également concerner les délibérations des organes de direction tels

403 Cour d’appel de Paris 27 mars 2007, précité. 404 Pour un exemple dans le cadre d’une opération de capital-risque, voir Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gautier, confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, n°04-12168, n°1138, RJDA, 12/05, n°1359, 1 ère esp., précités. 405 Art. 1844 al. 1 C. civ. 406 Art. L 225-122 C. com. 407 Sur le caractère essentiel du droit de vote reconnu en jurisprudence et en doctrine et sa récente perte de vigueur, voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1. 408 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2.

Page 88: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

88

que le conseil d’administration et le directoire, lorsque les partenaires exercent une

fonction de direction dans la société.

176 - Les conventions de vote recouvrent de multiples formes409 correspondant à

des aménagements plus ou moins complexes.

Elles peuvent ainsi consister en des engagements pris individuellement par chaque

partenaire, au moyen d’un accord verbal se traduisant par un simple parallélisme de

comportement, ou dans une convention écrite emportant plus formellement des

obligations de faire ou de ne pas faire pour chaque partenaire et précisant les modalités

d’exécution desdites obligations. Ces engagements sont plus ou moins larges selon

qu’ils visent l’ensemble des décisions sociales ou seulement certaines d’entre elles,

devant éventuellement être prises dans des circonstances particulières, ponctuellement

ou pendant une certaine durée.

177 - Les conventions de vote peuvent également être collectives et prendre alors

des formes plus organisées telles qu’un syndicat de blocage.

Avant la dématérialisation des valeurs mobilières en 1981, l’ensemble des partenaires

formait ce que l’on appelait un syndicat de blocage. Les titres matérialisés par un

document étaient remis au gérant du syndicat, lequel en était désigné tiers séquestre et

assurait l’exécution de la convention de vote en qualité de mandataire. Aujourd’hui,

l’expression syndicat de blocage est restée même s’il n’y a plus de remise matérielle des

titres410. Le mécanisme repose sur l’instauration d’une concertation préalable à la

délibération de l’organe social de manière à dégager un vote majoritaire, ou à

l’unanimité, au sein de la collectivité des partenaires, dans les conditions prévues par la

convention instaurant le syndicat. Chacun des partenaires exerce ensuite

individuellement son droit de vote dans le sens dégagé par la collectivité au cours de la

tenue de l’assemblée délibérante. Pour plus d’efficacité, l’exercice-même du droit de

vote peut également être attribué à l’établissement teneur de compte en sa qualité de

séquestre amiable dans le cadre de l’ouverture d’un compte nominatif administré

commun aux partenaires411.

409 Sur les formes des conventions de vote voir notamment M. Jeantin, « Conventions de vote », in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124, n°9 et s. 410 M. Germain, op. cit., 1612. 411 Sur ce mécanisme, voir notamment G. de Ternay, « Du bon usage de la clause de gestion (des titres) dans les conventions extra-statutaires à la lumière de l’article 24 de l’ordonnance du 24 juin 2004 », JCP, éd. N, 2007. 1047.

Page 89: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

89

178 - Par ailleurs, entre également dans la catégorie des conventions de vote, selon

une partie de la doctrine412, la création de sociétés holding de portefeuille. Ce dernier

procédé consiste à constituer une société de portefeuille, parfois sous la forme d’une

société en participation413, d’autres fois dans le cadre d’une personne morale, à laquelle

les partenaires apportent leurs actions de la société cible et dont les statuts contiennent

les termes du pacte. La concertation préalable entre les partenaires est alors

systématique dans la mesure où elle résulte du fonctionnement-même de l’organisation

sociale tandis que c’est cette dernière entité, la holding, qui votera ensuite, en lieu et

place de tous les partenaires, lors de la délibération de l’assemblée de la société cible,

dans le sens déterminé au sein de la holding.

179 - D’autres conventions aménageant également l’exercice du droit de vote ne

sont pas constitutives de conventions de vote stricto sensu. Il s’agit notamment des

accords qui font appel à la technique du mandat ou des pouvoirs en blanc414 ainsi qu’à

la constitution d’usufruit415, ces techniques juridiques de droit commun emportent en

effet automatiquement, d’elles-mêmes, l’aménagement de l’exercice du droit de vote. Si

ces conventions n’entrent donc pas directement dans le cadre de notre étude, on peut

remarquer qu’elles se placent également, en raison de leur objet, dans un rapport de

dépendance étroite avec le fonctionnement du contrat de société416.

180 - Les pactes relatifs à l’exercice du droit de vote dans la société comportent une

grande variété d’applications. La proximité dans laquelle se placent les conventions de

vote à l’égard du contrat de société ressort particulièrement dans certaines de leurs

applications pratiques, lesquelles consistent à orienter le fonctionnement des organes

sociaux.

§ 2. Illustration pratique : les pactes relatifs à l’exercice du droit de vote

181 - En recourant à la conclusion de conventions de vote, les partenaires peuvent

notamment orienter les prises de décision au sein de la société, de manière directe, par

412 En ce sens, notamment, M. Jeantin, op. cit., n°15 ; Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°290 et D. Cohen, « Les conventions de vote » in Liber Amicorum Christian Larroumet, Economica, 2010, p. 97 et s., n°3. Contra, G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°50. 413 Sur l’efficacité de ce procédé, voir S. Prat, op. cit., n°226 et s. 414 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°290. 415 Voir notamment S. Prat, op. cit., n°330. 416 Voir par exemple, sur la nécessaire application combinée du droit des biens et du droit des sociétés dans le cadre du démembrement de droits sociaux, M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009, n°406.

Page 90: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

90

une intervention dans le processus décisionnel (B) ou de manière indirecte, par une

intervention sur la composition des organes délibérants (A).

Bien entendu, il ne s’agit pas là des seules applications des conventions de vote. De

nombreuses conventions portent plus simplement et plus directement sur le sens du

vote à adopter par les partenaires, en cours de délibération de l’organe social,

relativement à certaines décisions particulières (augmentation de capital, cession

d’actifs par la société, agrément d’un cessionnaire…).

A. L’orientation indirecte : les pactes relatifs à la composition des organes délibérants

182 - Aux termes des conventions de vote les plus fréquentes, les partenaires

détenant la majorité des droits de vote, réunis en groupes d’actionnaires, s’engagent à

voter à l’assemblée générale de façon à assurer une certaine répartition des postes

d’administrateurs (ou de membres du conseil de surveillance, le cas échéant) entre eux.

Il sera ainsi convenu qu’un nombre donné d’administrateurs sera désigné parmi les

candidats proposés par tel ou tel groupe d’actionnaires.

183 - Ces conventions de vote, qualifiées en pratique de clause de répartition des

sièges au conseil d’administration, s’avèrent bien souvent indispensables au bon

fonctionnement des filiales communes constituées sous forme de sociétés anonymes417.

En effet, lorsque de telles filiales sont détenues à parité par chaque partenaire, des

situations de blocage peuvent survenir dès lors que la composition des organes

d’administration correspondra exactement à la composition de l’actionnariat. Dans de

telles circonstances, l’impossibilité de dégager toute majorité au sein de l’assemblée

générale de manière à renverser les administrateurs dont la politique serait

désapprouvée conduira effectivement à un blocage de l’administration de la filiale. Les

conventions de vote permettent alors de substituer à l’administration paritaire, une

administration majoritaire alternée au profit de chaque partenaire pour une période

déterminée. Il en va en ainsi de l’équilibre et de la stabilité du pouvoir au sein de la filiale

et donc de la pérennité de cette dernière.

184 - Par ailleurs, dans le cadre d’opérations de capital-investissement,

l’investisseur, actionnaire minoritaire, exige fréquemment un siège au conseil

d’administration afin d’être en mesure d’exercer un contrôle plus étroit sur la gestion de

417 Sur cette question, voir S. Prat, op. cit., n°126 et s.

Page 91: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

91

la société. Une prise de participation qui s’accompagne d’une entrée de l’investisseur au

conseil d’administration est en pratique qualifiée de prise de participation hands on418.

185 - Rappelons qu’aux termes de l’article L225-35 du Code de commerce, « le

conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à

leur mise en œuvre », il procède notamment, à ce dernier titre, à tous contrôles qu’il juge

opportuns. On mesure à quel point les pactes d’actionnaires portant sur la nomination

des administrateurs touchent la société au cœur de son fonctionnement en tant

qu’organisation sociale419. Une fois encore le pacte d’actionnaires emprunte son objet

même à l’un des éléments constitutifs du contrat de société. Cette réalité est encore plus

flagrante dans l’exemple des filiales communes pour lesquelles la survie de la société

filiale peut être conditionnée par l’existence de telles conventions de vote.

186 - Les conventions de vote qui organisent une intervention dans le processus

décisionnel des organes sociaux influent encore plus directement sur le déroulement de

la vie sociale.

B. L’orientation directe : les pactes relatifs à l’intervention dans le processus décisionnel

187 - L’intervention d’un partenaire dans le processus décisionnel porte en général

sur l’adoption de décisions importantes pour la société. Il s’agit notamment, des

décisions emportant modification des statuts, telles qu’une augmentation de capital ou la

modification de l’objet social, d’une part, ainsi que des décisions de gestion susceptibles

de modifier significativement la situation financière de la société (la souscription

d’emprunts ou l’engagement d’investissements au-delà d’une certain montant, par

exemple) ou l’exercice de l’activité sociale (comme la cession d’un actif essentiel),

d’autre part.

Ce sont les actionnaires ne détenant pas une minorité de blocage dans les assemblées

générales extraordinaires, lesquels sont alors incapables de faire prévaloir leur volonté

au titre de leur seul niveau de participation, qui sont intéressés en premier chef par les

conventions de vote organisant cette possibilité d’intervenir, de manière dérogatoire,

dans le processus décisionnel au sein de la société.

418 Dans le cas contraire, l’opération sera qualifiée de prise de participation hands off . 419 Les conséquences, en termes de responsabilité civile et pénale, qu’entraîne l’implication dans la gestion de la société en qualité de dirigeant ne doivent d’ailleurs pas être négligées par les partenaires lorsque ces derniers concluent de telles conventions de vote. (Sur cette question, voir F.-D. Poitrinal, op. cit., n°114 et s.).

Page 92: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

92

188 - Ces conventions de vote peuvent tout d’abord mettre en place une consultation

préalable du bénéficiaire. Aux termes de tels accords, les actionnaires majoritaires et/ou

dirigeants s’engagent à solliciter l’avis préalable du bénéficiaire, en général minoritaire,

sur les décisions limitativement énumérées dans la convention. Mais l’avis exprimé par

le bénéficiaire durant la consultation ne peut en aucune manière engager l’organe

compétent pour prononcer la décision, lequel demeure entièrement libre dans son choix.

189 - Certaines conventions de vote peuvent aller plus loin et organiser une

procédure d’autorisation préalable donnée par le bénéficiaire pour l’adoption de

certaines décisions420.

Dans le cadre de décisions relevant de la compétence de l’assemblée générale, les

actionnaires majoritaires s’engageront ainsi à ne voter favorablement à une résolution

déterminée que si l’actionnaire minoritaire, bénéficiaire de la convention, les y autorise

expressément421.

S’agissant de décisions relevant de la compétence du conseil d’administration, les

actionnaires dirigeants, peuvent seulement se porter fort, en leur qualité d’actionnaire

majoritaire, et non pas en leur qualité de mandataire social, à l’égard du bénéficiaire de

ce que le conseil n’adoptera les décisions déterminées qu’avec l’accord préalable de ce

dernier. En effet, la société étant tiers au pacte, ses organes ne sont, par principe,

aucunement tenus par l’engagement pris par les majoritaires422. Plus encore, certains

pactes entendent conférer à leurs bénéficiaires, lesquels sont en général des

investisseurs minoritaires dans le cadre d’opérations de capital-investissement, un

véritable droit de veto pour l’adoption de certaines décisions relevant de la compétence

des organes sociaux423.

190 - Les conventions de vote organisant une intervention dans le processus

décisionnel des organes sociaux sont certainement celles qui exercent la plus forte

influence sur le fonctionnement de la vie sociale. Elles ont d’ailleurs tendance à

s’appliquer de plus en plus couramment en pratique aux décisions touchant à la gestion

420 Précisons que ces conventions d’autorisation préalable sont susceptibles de valoir à leur bénéficiaire la qualification de dirigeant de fait et d’engager en conséquence leur responsabilité civile et pénale (voir, F.-D. Poitrinal, op. cit., n°109 et 126 et s.). 421 Pour un exemple, voir Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gautier confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, n°04-12168, n°1138, RJDA, 12/05, n°1359, 1ère esp., précités. 422 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1 . A. et Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, précités. 423 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A.

Page 93: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

93

courante de la société, telles que la distribution des bénéfices ou l’agrément des

cessionnaires424.

191 - C’est dans l’objet des conventions de vote, l’exercice du pouvoir au sein de la

société, que réside le fondement de la dimension d’accessoire du contrat de société que

présente ce type de pacte. Le constat, qui confirme presque à l’évidence la forme de

rapport d’accessoire à principal que recouvre la dépendance du pacte au contrat de

société, induit, nous le verrons, une prise en compte de la dimension sociétaire dans le

régime des conventions de vote425. Cette validité s’apprécie en effet nécessairement au

regard des principes d’ordre public sociétaire tels celui de la révocabilité ad nutum des

administrateurs ou de la hiérarchie des pouvoirs et la spécialité des organes sociaux qui

gouvernent la direction des sociétés anonymes426.

192 - Nous allons à présent nous intéresser au second objet sur lequel portent

matériellement les pactes d’actionnaires : les actions détenues par les partenaires. Si la

distinction opérée entre la détention du capital et l’exercice du pouvoir s’impose en

théorie, il convient de garder à l’esprit que ces deux objets sont en pratique quasiment

toujours mêlés. En effet, le droit de vote de l’actionnaire est attaché aux actions qu’il

détient, selon le principe d’ordre public de proportionnalité du nombre des voix à la

quotité du capital souscrit427. Il en résulte que « toute action sur la répartition du capital

pèse sur les votes, et tout accord sur les votes ne peut ignorer la ventilation du

capital »428.

Les pactes relatifs aux cessions d’actions entretiennent ainsi avec les pactes relatifs à

l’exercice du pouvoir dans la société des relations de dépendance si étroites et « si

fortes qu’il est impossible, sauf artifice, d’appréhender isolément les deux facettes du

pacte d’actionnaires », lesquelles forment une unité économique et juridique429.

La distinction permet toutefois de s’assurer que, quel que soit l’angle de vue adopté par

l’observateur, le pacte d’actionnaires emprunte toujours son objet à l’un des éléments

constitutifs du contrat de société.

424 Précisons à ce titre que les conventions de vote peuvent également porter sur l’exercice du droit d’agrément dont bénéficie un partenaire (et non pas la société) dans le cadre de clauses d’agrément extra-statutaires. 425 Voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Secti° 1. 426 Sur la sanction de l’inexécution des conventions de vote et la nécessaire prise en compte par le juge du principe d’intangibilité des délibérations sociales, voir notamment A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004, n°228 et s. 427 Art. L 225-122 C. com. 428 G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1. 429 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°43 et s.

Page 94: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

94

Section 2. Les pactes d’actionnaires ayant pour obj et la détention du capital social

193 - Le capital social est un élément structurel de la société. Dans les sociétés

anonymes, il revêt une importance particulière dès lors qu’il représente, « en quelque

sorte, la rançon de la limitation de la responsabilité »430 des actionnaires. Le capital

social constitue en effet, en théorie431, le gage des créanciers sociaux. A ce titre, il est

soumis au principe d’intangibilité selon lequel, les valeurs figurant à l’actif du bilan

doivent impérativement correspondre au montant du capital social figurant au passif du

bilan432, et dans les sociétés anonymes n’offrant pas leurs titres au public, il doit être

d’au moins 37.000 €433 et intégralement souscrit.

D’emblée, et une fois encore, on pressent que les pactes d’actionnaires qui portent sur

la détention de ce capital évoluent au cœur du fonctionnement de la société en tant

qu’organisation sociale dotée de la personnalité morale.

194 - Il est certain que les pactes d’actionnaires dont l’objet est, plus concrètement,

l’acquisition ou la cession des titres de la société, ne peuvent laisser indifférente cette

dernière, considérée en tant qu’entité émettrice des actions qui composent son capital.

Le Professeur Guyon précise à ce titre que « l’aliénation [de droits sociaux] n’est pas

une opération à deux personnes, comme une vente pure et simple. Elle met en cause la

société émettrice […] des actions »434.

Certes, le caractère négociable des titres émis par les sociétés par actions435 implique

que leur cession s’effectue selon les formes commerciales436. Mais le transfert de

propriété ainsi constaté par simple virement de compte à compte ne prend effet à l’égard

des tiers tout autant qu’entre les parties, semble-t-il437, dans les sociétés non cotées,

qu’à la date de l’inscription au compte ouvert au nom de l’acheteur dans les registres

430 M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1396. 431 L’intangibilité du capital social ne confère aux créanciers qu’une protection illusoire dès lors que la société ne répond de ses engagements que sur ses biens (art. 2285 C. civ), lesquels résultent de la manière dont le capital a été investi dans l’entreprise. « La véritable garantie des créanciers est constituée par les capitaux propres dont le capital n’est qu’un des facteurs et qui permettent de mesurer les ressources stables de la société », M. Germain, op. cit., n°1396. 432 Il résulte de ce principe que la société ne peut distribuer des dividendes aux actionnaires s’il n’y a plus suffisamment de valeurs à l’actif pour garantir le capital social (art. L 232-12 C. com.). 433 Article L 224-2 C. com. 434 Guyon (Y.), Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°207. 435 Il s’agit des actions mais également des autres valeurs mobilières. 436 Par opposition aux modalités civiles de la cession de créance qui prévalent en matière de cession de parts sociales et requièrent la signification de l’acte de cession à la société (art. 1690 C. civ.) afin de rendre la cession opposable à cette dernière. (Une publicité est également effectuée au Registre du Commerce et des Sociétés afin de rendre la cession opposable aux autres tiers). 437 Sur les incertitudes suscitées par la réforme de l’inscription en compte opérée par l’ordonnance n°200 4-604 du 24 juin 2004 quant à la date d’effet du transfert de propriété entre les parties, voir M. Caffin-Moi, op. cit., n°284 et s. et 672 et s.

Page 95: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

95

tenus par la société émettrice438, laquelle date est fixée par les parties et notifiée à cette

dernière439.

Ces propos nous permettent d’apprécier un peu plus encore dans quelle mesure les

pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières évoluent dans un

domaine régi par les règles spéciales auxquelles est soumise la société dans son

organisation juridique.

195 - Si l’on se place maintenant du côté des actionnaires signataires de pactes

portant sur les cessions et acquisitions d’actions, ces derniers ont, par principe, le droit

de céder librement leurs actions440. Il s’agit là du principe de libre négociabilité des

actions selon lequel, les actions doivent pouvoir être cédées par leur titulaire, sans la

moindre entrave, au cessionnaire librement choisi par lui, dès l’instant où il souhaite

quitter la société ou réduire sa participation. On l’a dit, la libre négociabilité des actions

constitue une prérogative essentielle de l’actionnaire et complète utilement la

prérogative de vote de ce dernier, notamment lorsqu’il est minoritaire et n’a d’autre

choix, pour sanctionner la gestion opérée par les dirigeants sociaux, que de quitter la

société.

On perçoit bien, dès lors que l’acquisition ou la cession d’actions est le moyen le plus

évident pour un actionnaire d’approuver ou de désavouer la conduite de l’activité

sociale, que les pactes relatifs à la détention du capital, lesquels limitent, par nature, la

liberté qu’ont leurs signataires de céder leurs titres voire d’en acquérir davantage,

interfèrent nécessairement avec les mécanismes juridiques sur lesquels repose le

fonctionnement de la société.

196 - L’objet même des pactes d’actionnaires qui organisent une limitation de la

liberté qu’ont les partenaires de céder leurs actions ou d’en acquérir de nouvelles induit

inévitablement une dépendance de ces pactes au contrat de société, lequel est soumis

en la matière à des principes441 qui participent de l’ordre public sociétaire.

D’une grande diversité, ces pactes limitent différemment la liberté dont jouissent les

partenaires dans la détention de leurs actions selon qu’ils emportent (§ 2) ou non (§ 1)

l’engagement pour leurs débiteurs de céder ou d’acquérir des actions.

438 Par application de l’article L 228-1 alinéa 9 nouveau du Code de commerce tel qu’il a été modifié par l’ordonnance du 24 juin 2004 précitée. 439 Art. R 228-10 C. com. (Décr. n°2006-1566 du 11 déce mbre 2006, art. 60). 440 M. Germain, op. cit., n°1525 et 1617, voir également infra, Partie II, Titre 2, Chap. 1. 441 Il s’agit notamment du principe de libre négociabilité des actions mais également du droit de rester dans la société, de ne pas en être prisonnier ou encore de la prohibition des clauses léonines (voir Partie II).

Page 96: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

96

§ 1. Les pactes n’emportant aucun engagement de céd er ou d’acquérir des

actions

197 - Certains pactes d’actionnaires limitent la liberté qu’ont les partenaires de céder

ou d’acquérir les actions de la société en encadrant, avant même l’émergence de tout

projet de mutation, le principe même d’une mutation ou encore le choix de la personne

du cocontractant.

Cette limitation par les pactes du principe même de toute mutation (A) est bien plus

contraignante pour le partenaire qui en est débiteur que la seule limitation du choix du

cessionnaire par ce dernier (B).

A. Les pactes limitant les mutations de droits sociaux dans leur principe même

198 - Parmi les pactes d’actionnaires ayant pour objet la détention des actions,

certains pactes limitent, avant la naissance de tout projet de cession, les mutations dans

le principe-même de leur survenance.

Ces limites peuvent être plus ou moins larges et absolues selon les conditions qui

encadrent la liberté de céder ou d’acquérir des partenaires et reviennent parfois à une

véritable prohibition de toute mutation.

La liberté de céder ou d’acquérir des partenaires est encadrée par des conditions de

durée442 et varie parfois en fonction de la quantité d’actions concernées par l’éventuel

projet. Les débiteurs de tels pactes contractent une obligation de ne pas faire, laquelle

peut être pure et simple (ne pas céder ou acquérir du tout) ou conditionnelle (ne pas

céder ou acquérir sans avoir obtenu l’autorisation préalable du bénéficiaire du pacte).

199 - On distingue les pactes d’inaliénabilité, qui limitent ou interdisent la cession

des actions détenues par un partenaire, des pactes de non-agression lesquels limitent

ou interdisent l’acquisition supplémentaire d’actions par un partenaire.

200 - Les pactes d’inaliénabilité obligent leurs débiteurs à conserver leurs actions

pendant une certaine durée, sauf accord préalable du bénéficiaire. Ils sont fréquemment

stipulés dans le cadre d’opérations de capital-investissement pour lesquelles

l’investisseur requiert de l’actionnaire majoritaire que ce dernier s’engage à ne pas céder

sa participation dans la société, sans son accord, pendant toute la durée du concours

442 Cette durée doit être déterminée faute de quoi le pacte est résiliable unilatéralement à tout moment. Plus encore, nous verrons que cette durée doit être limitée à peine de nullité du pacte (voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1).

Page 97: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

97

financier. Ces pactes se rencontrent également dans des filiales communes détenues à

parité, chaque société actionnaire s’engageant à ne pas céder sa participation afin de

maintenir l’égalité.

Nous avons par ailleurs déjà rencontré une autre variété de pactes d’inaliénabilité sous

condition, ceux qui, dans le cadre de l’organisation conventionnelle de la transmission

du pacte, interdisent à chaque partenaire de céder ses actions sans avoir préalablement

obtenu la ratification du pacte par le cessionnaire443.

201 - Les pactes de non-agression, qualifiés encore d’interdiction d’acquérir ou de

plafonnement444 consistent, quant à eux, à limiter le taux de participation de certains

actionnaires dans la société. Aux termes de ces pactes, les partenaires s’engagent, en

général réciproquement, à ne pas acquérir de nouveaux titres afin de ne pas dépasser

certains seuils de participation, souvent une minorité de blocage ou un contrôle

majoritaire. Leur interférence avec les principes qui garantissent les mécanismes

juridiques sur lesquels repose la société par actions est toutefois moins marquée que

dans le cadre des pactes d’inaliénabilité dans la mesure où le principe de libre cessibilité

des actions n’emporte a priori pas le droit pour tout actionnaire d’acquérir des actions.

Un tel droit résulte purement et simplement du principe de la liberté contractuelle.

202 - Des engagements d’inaliénabilité et de non-agression peuvent en outre figurer

conjointement dans un même pacte. De tels pactes impliquent alors le maintien du statu

quo dans le niveau de détention du capital par le partenaire visé. Ils sont le signe de

l’existence d’un certain intuitus personae entre les partenaires ou, tout au moins, du

caractère déterminant pour le bénéficiaire du pacte, du maintien du taux de participation

détenu par le débiteur au regard de la personne de ce dernier, soit qu’il s’agisse de ne

pas voir augmenter ou diminuer la participation de ce dernier, soit qu’il s’agisse de ne

pas voir augmenter ou diminuer la participation de toute autre actionnaire. Le lien de

dépendance qu’entretiennent ces pactes avec le contrat de société au regard de

l’organisation sociale est au moins aussi fort que dans le cas de seuls pactes

d’inaliénabilité. Ces pactes peuvent en effet emprisonner un partenaire dans la société

en le forçant à l’immobilisme445.

443 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B. 444 Standstill agreement pour les anglo-saxons. 445 Ou au contraire, en cas d’augmentation de capital, le forcer à souscrire à cette augmentation afin de maintenir le taux de participation qu’il détenait avant modification du capital.

Page 98: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

98

203 - D’autres pactes relatifs aux futures cessions d’actions sont moins strictes et se

contentent de limiter a priori la liberté pour le débiteur de choisir la personne de son

cessionnaire.

B. Les pactes limitant, avant tout projet de cession déterminé, le choix de la personne du

cessionnaire

204 - Les pactes d’actionnaires, conclus avant que tout projet de cession n’existe, en

vue de limiter le choix qu’aura le partenaire cédant quant à la personne du cessionnaire,

ne prennent effet qu’en cas d’émergence d’un tel projet. Ces pactes permettent, soit de

soumettre l’identité du cessionnaire pressenti à l’agrément du partenaire bénéficiaire,

soit de conférer à ce dernier un droit de préférence ou de priorité sur l’opération de

cession, laquelle ne sera finalement consentie au profit du cessionnaire pressenti qu’à

défaut d’exercice de sa prérogative par le bénéficiaire. Ces pactes consacrent

l’introduction d’une certaine dose d’intuitus personae dans la société, ou tout au moins,

entre les partenaires.

205 - Les clauses d’agrément extra-statutaires peuvent être définies comme la

convention par laquelle un actionnaire s’engage envers son partenaire à ne céder ses

actions qu’après avoir obtenu l’accord de ce dernier quant à la personne du

cessionnaire pressenti. La procédure d’agrément ainsi mise en place peut être

organisée pour tous ou seulement certains types de transfert, intervenant entre le

partenaire débiteur et un autre partenaire, un troisième partenaire étant bénéficiaire du

pouvoir d’agréer, ou entre le débiteur et un tiers au pacte, actionnaire ou non dans la

société.

Nous l’avons dit, ces pactes extra-statutaires étant inopposables à la société, le pouvoir

d’agrément ne peut pas revenir à un organe social comme en matière de clauses

d’agrément statutaires446. Les partenaires peuvent toutefois convenir d’une procédure

proche en tous autres points de celle prévue dans le cadre des clauses d’agrément

statutaires, incluant notamment une obligation de rachat des actions du débiteur par le

partenaire bénéficiaire si ce dernier refuse l’agrément et éventuellement un droit de

repentir pour le débiteur.

206 - Les pactes de préférence limitent différemment le choix dont dispose le

partenaire débiteur au regard de la personne du cessionnaire dès lors que le débiteur

donne a priori sa préférence à un bénéficiaire déterminé, avant d’avoir effectivement pris

446 Art. L 228-23 et s. C. com.

Page 99: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

99

la décision de céder, le bénéficiaire n’étant aucunement obligé d’accepter de conclure

l’opération si l’opportunité se présente. Plus précisément, le débiteur s’engage, aux

termes d’un tel pacte, pour le cas où il désirerait céder ses actions, à en informer le

bénéficiaire et lui consent une priorité pour acquérir les actions aux conditions offertes si

ce dernier le souhaite447.

Le pacte de préférence s’avère constituer un instrument souple de limitation de la libre

négociabilité des actions. En effet, le promettant ne s’engage pas à vendre, à défaut, il

s’agirait d’une promesse de vente, et le bénéficiaire ne s’engage pas non plus à

acquérir. De plus, à défaut d’exercice de son droit par le bénéficiaire, la cession projetée

peut être simplement réalisée avec le cessionnaire pressenti aux conditions prévues.

Précisons qu’une part non négligeable de la doctrine établit une distinction entre les

pactes de préférence, qualifiés également de premier refus ou de priorité et les pactes

de préemption, laquelle distinction est fondée sur le prix448. La différence entre ces

pactes tiendrait à ce que le bénéficiaire de la préférence se porterait nécessairement

acquéreur au prix convenu dans la cession projetée tandis que le bénéficiaire de la

préemption se porterait acquéreur au prix proposé par le cédant sauf à le contester et à

le faire déterminer par un expert conformément à l’article 1843-4 du Code civil. Nous

emploierons pour notre part indifféremment les termes de préférence ou de préemption

pour désigner ces pactes.

207 - Le rapport de dépendance et de soumission dans lequel se placent, en raison

de leur objet, les clauses d’agrément extra-statutaires et les pactes de préférence au

regard du contrat de société et des principes auxquels ce dernier est lui-même soumis,

s’agissant notamment de la libre négociabilité des actions, rejaillit nécessairement, nous

le verrons, sur le régime de ces pactes449.

208 - D’autres pactes ayant pour objet la détention du capital limitent encore plus

fermement la liberté de céder ou d’acquérir des partenaires, ce sont les promesses par

lesquelles un partenaire s’engage à céder ou à acquérir des actions, en cas de

réalisation de certaines conditions, auprès d’un bénéficiaire déterminé, lequel dispose

quant à lui d’une option.

447 Notons qu’il pourrait tout autant s’agir d’un engagement de préférence portant sur une acquisition de titres, le débiteur s’engageant, pour le cas où il se déciderait à augmenter sa participation, à contracter avec le bénéficiaire qui serait désireux de se retirer. 448 Voir notamment, S. Prat, op. cit., n°167 et s. et Th. Massart, note sous Cass. com. 6 mai 2008, Bull. Joly, 2008, p. 779. 449 Voir infra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2. A et Sect° 2.

Page 100: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

100

§ 2. Les pactes ayant pour objet l’engagement de cé der ou d’acquérir des actions

209 - Les promesses unilatérales de vente ou d’achat d’actions sous conditions,

constituent, avec les pactes de préférence, les figures juridiques les plus couramment

employées dans l’élaboration des pactes d’actionnaires relatifs à la détention du capital.

Elles servent ainsi naturellement de support à une grande variété de pactes

d’actionnaires et la pratique tente, en outre, non sans difficultés, de couler dans leur

moule des mécanismes d’inspiration anglo-saxonne.

210 - Ces promesses unilatérales emportent pour leur débiteur l’engagement

irrévocable de transférer la propriété de ses actions au bénéficiaire ou d’acquérir les

actions de ce dernier sous certaines conditions et selon des modalités prédéfinies. Elles

sont à ce titre d’autant plus attentatoires à leur liberté de céder ou d’acquérir que la

contrainte s’exerce souvent lors de situations dans lesquelles ont émergé des rapports

de force entre les partenaires.

Ces promesses reposent ainsi sur une confrontation des intérêts les plus divergents de

certains actionnaires et sont alors susceptibles de créer une rupture d’égalité flagrante

au sein de la société, elles peuvent notamment aller jusqu’à organiser une procédure

d’exclusion d’un actionnaire ou au contraire un emprisonnement de ce dernier dans la

société.

Ces pactes entretiennent donc, de par leur objet même, une relation de dépendance au

contrat de société, lequel leur procure la matière leur permettant d’exister. Cela ne les

empêche pas, toutefois, d’opposer une résistance aux principes qui s’imposent au

contrat de société pour régir la condition d’actionnaire.

211 - La condition d’actionnaire est ainsi aménagée sous deux aspects, s’agissant

tout autant de la liberté de quitter la société, que les pactes conclus sous forme de

promesses unilatérales de vente sous conditions viennent limiter (A), que de la liberté

d’acquérir des actions, laquelle est limitée par les pactes reposant sur des promesses

unilatérales d’achat sous conditions (B).

A. Les promesses unilatérales de vente sous condition suspensive

212 - Les pactes emportant l’engagement pris irrévocablement par un partenaire de

céder ses actions au profit du bénéficiaire, si ce dernier le souhaite, en cas de

survenance de certains événements, les plus fréquents sont les pactes anti-dilution,

d’entraînement et d’exclusion.

Page 101: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

101

213 - Les pactes anti-dilution visent à maintenir constant le niveau de participation

dans la société de certains actionnaires pour le cas où cette dernière ferait l’objet

d’opérations ayant pour effet de modifier son capital social.

Le bénéficiaire d’un tel pacte est ainsi garanti contre la réduction de son taux de

participation d’origine par le jeu d’une promesse unilatérale de cession d’actions

consentie par le débiteur du pacte sous la condition suspensive de la réalisation

d’opérations en capital déterminées. Ce sont en général des actionnaires majoritaires

qui, aux termes d’un pacte anti-dilution, s’engagent irrévocablement envers des

minoritaires, tels que des investisseurs en capital-investissement, à céder à ces derniers

le complément de titres nécessaire pour maintenir constant leur taux de participation

dans la société dont le capital a été modifié par suite d’une augmentation de capital ou

d’une opération de fusion.

Les pactes anti-dilution ont donc vocation à jouer à des moments clés de la vie de la

société et peuvent ainsi devenir des paramètres déterminants dans le choix des

orientations stratégiques que prennent les dirigeants. En effet, si ces pactes ne sont pas

opposables à ces derniers pris en leur qualité de mandataires sociaux, les dirigeants,

qui en sont par ailleurs personnellement tenus en tant que signataires, ne peuvent

totalement les ignorer.

214 - Les clauses extra-statutaires d’entraînement450 consistent pour le débiteur à

prendre l’engagement, pour le cas où son partenaire souhaiterait quitter la société, de

céder ses propres actions au profit du cessionnaire des actions de ce dernier qui

l’exigerait. Elles prennent donc la forme d’une promesse unilatérale de vente consentie

sur ses actions par le partenaire débiteur, au profit de son partenaire, avec faculté de

substitution au bénéfice du tiers acquéreur, sous la condition que ce dernier subordonne

à cette cession d’actions supplémentaires la réalisation de l’opération avec le partenaire

bénéficiaire. Ainsi, un tel pacte pourra notamment obliger les minoritaires à céder leur

participation lorsque le tiers acquéreur aura fait une offre d’achat au majoritaire portant

sur l’intégralité du capital social451.

On perçoit bien que les pactes d’entraînement ont également vocation à jouer dans le

cadre d’opérations de cession portant sur des niveaux stratégiques de détention du

capital de la société.

450 Clause qualifiée de take along right par les anglo-saxons. 451 Clause qualifiée de trade sale ou drag along right par les anglo-saxons.

Page 102: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

102

215 - Alors que les pactes d’entraînement impliquent une prise d’engagement en vue

d’accompagner la sortie de la société du partenaire qui en est bénéficiaire, les clauses

d’exclusion extra-statutaires interviennent, quant à elles, non pas dans le cadre de la

réalisation d’une opération de cession de plus grande envergure mais en considération

de la personne même du promettant.

216 - Dans les promesses aux termes desquelles, un actionnaire s’engage

irrévocablement, en cas de survenance de certains évènements, à céder ses actions au

profit de son partenaire, la levée de l’option par ce dernier réalise l’exclusion du

promettant de la société. Les évènements à la réalisation desquels est subordonnée la

naissance de l’engagement du débiteur constituent précisément les motifs d’exclusion

de ce dernier. A ce titre, il peut notamment s’agir du manquement par le débiteur à l’une

des obligations qu’il tient du contrat de société ou du pacte lui-même, de la perte par ce

dernier de l’exercice d’une fonction au sein de la société ou encore, pour un débiteur

personne morale, d’un changement dans le contrôle ou dans la direction de cette

société. Le prix de cession, qui doit être déterminé ad validitatem comme dans toute

promesse de droit commun, constitue quant à lui le montant de l’indemnisation de

l’actionnaire exclu.

On trouve une variété de clauses extra-statutaires d’exclusion reposant sur des

promesses alternatives de vente ou d’achat croisées dans les clauses d’offre alternative

et dans les clauses dites d’options croisées ou américaines, lesquelles sont toutes deux

directement importées, non sans difficultés de transposition en droit français, de la

pratique anglo-saxonne452.

217 - Les clauses extra-statutaires d’exclusion constituent certainement, avec les

clauses d’inaliénabilité précitées, les pactes relatifs à la détention du capital qui se

situent dans un lien de dépendance le plus accentué au regard du contrat de société.

Elles obligent en effet un actionnaire à quitter la société contre son gré, en organisant un

mécanisme de cession forcée dont un autre actionnaire détient l’initiative du

déclenchement. Au contraire, les pactes d’inaliénabilité contraignent un actionnaire à se

maintenir dans la société. Dans les deux cas, c’est la structure même de la société, et

plus précisément la qualité d’actionnaire, qui se trouve au cœur de la convention.

452 S’agissant de la nature juridique de ces clauses, voir infra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2 pour les clauses d’offre alternative et voir infra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. B pour les clause s américaines. S’agissant de leur fonction, voir infra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1. B.

Page 103: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

103

218 - Ce n’est pas la qualité d’actionnaire, dans son principe, mais, à tout le moins,

la condition d’actionnaire qui est visée par les pactes relatifs à la détention du capital qui

emportent, sous certaines conditions, l’engagement irrévocable du débiteur d’acquérir

des actions auprès du bénéficiaire.

B. Les promesses unilatérales d’achat sous condition suspensive

219 - Les pactes d’actionnaires reposant sur des promesses unilatérales d’achat

sous condition suspensive sont essentiellement les pactes de retrait et les clauses de

sortie conjointe.

220 - Les pactes de retrait reposent sur des promesses unilatérales d’achat aux

termes desquelles, un actionnaire promet d’acquérir les actions du partenaire qui en est

bénéficiaire, à certaines conditions déterminées, si ce dernier le souhaite. Ils permettent

ainsi à un actionnaire, en général un minoritaire tel qu’une société de capital-

investissement, de céder ses actions à un certain moment, selon des modalités

prédéterminées et qui lui sont bien entendu favorables, en obligeant le partenaire

débiteur, en général un majoritaire, à les lui racheter.

Les modalités de déclenchement du retrait sont très variables en pratique, ce dernier

peut intervenir à tout moment ou seulement après un certain délai, être conditionné par

la survenance d’évènements qui doivent être définis précisément ou être au contraire

discrétionnaire. Les évènements susceptibles de déclencher l’engagement de rachat

forcé du débiteur sont en général ceux qui sont à l’origine d’un changement significatif

dans la répartition des droits de vote ou du capital de la société, dans un sens

défavorable au bénéficiaire, tels que la perte par ce dernier d’une minorité de blocage ou

encore la perte de majorité d’un actionnaire de référence. Il peut également s’agir de la

commission d’une faute par un dirigeant social, lequel n’aurait pas respecté des devoirs

de confidentialité, de non-concurrence ou d’exclusivité ou encore d’une décision

d’augmentation de capital réservée ou de fusion déterminante dans l’intention du

bénéficiaire du pacte de quitter la société. De tels pactes sont également stipulés dans

le cadre des conventions dites de earn out, qui organisent la cession échelonnée dans

le temps de la participation du dirigeant majoritaire qui s’apprête à quitter la société, et

sont alors consentis à ce dernier, par le cessionnaire destiné à acquérir progressivement

le contrôle de la société, pour le cas où le cédant viendrait à être révoqué de ses

fonctions de direction avant l’échéance de la période pour laquelle il est convenu qu’il y

serait maintenu.

Page 104: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

104

La clause de sortie prioritaire est une variante du pacte de retrait, selon laquelle, en cas

de réalisation de certains événements déterminés qui sont défavorables au bénéficiaire,

ce dernier pourra céder ses actions, par priorité, avant que toute autre cession ne puisse

intervenir à l’initiative du débiteur, soit avec un tiers, soit avec un autre débiteur du

pacte. En raison de son mécanisme, cette clause prend davantage la forme d’une

promesse de porte-fort ou encore d’un engagement de ne pas faire du débiteur, à savoir

ne pas céder ses actions tant que le bénéficiaire de la clause n’aura pas cédé les

siennes.

221 - De tels pactes entretiennent des rapports complexes avec le contrat de

société. Ils portent sur la détention du capital de cette dernière, tout en créant un fort

déséquilibre entre les partenaires, le bénéficiaire du pacte étant susceptible de forcer

son partenaire à racheter sa participation à des conditions qui ne reflètent a priori pas

celles du marché. L’on perçoit bien que ces pactes se placent dans une certaine

dépendance au contrat de société, dès lors que, si le débiteur accepte d’avantager ainsi

le bénéficiaire, lequel aura souvent conditionné à l’octroi d’un tel avantage son apport de

capitaux à la société, c’est qu’il en va nécessairement de la satisfaction d’un besoin de

la société.

222 - Les autres pactes reposant sur le mécanisme des promesses d’achat sous

condition sont les clauses de sortie conjointe453.

Aux termes d’un tel pacte, le débiteur, en général un actionnaire majoritaire, s’engage à

racheter un certain nombre d’actions du bénéficiaire, si jamais il a lui-même un projet de

cession de ses propres actions de nature à faire descendre sa participation au-dessous

d’un certain seuil, aux mêmes conditions que celles de la cession qu’il projette. Plus

précisément, le pacte grève d’une charge la liberté qu’a le débiteur de céder ses actions,

par l’engagement pris par ce dernier, d’une part, d’obtenir du cessionnaire de ses

propres actions qu’il acquière, aux mêmes conditions, les actions du partenaire

bénéficiaire, et d’autre part, faute pour le tiers cessionnaire de ratifier cet engagement,

de racheter lui-même, toujours à ces mêmes conditions, les actions du bénéficiaire.

Selon une variante, le pacte peut prévoir que, si le tiers acquéreur entend limiter le

volume global de son acquisition, il y aura une répartition proportionnelle de l’offre

d’acquisition de ce dernier entre les partenaires.

Dans l’économie générale de ce type de pactes, l’engagement du débiteur prend la

forme d’une promesse unilatérale d’achat sous la double condition suspensive que,

d’une part, le promettant cède ses actions, et, d’autre part, cette cession porte sur le

453 Clause qualifiée de tag along par les anglo-saxons.

Page 105: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

105

pourcentage prédéfini pour la mise en œuvre du pacte, cette promesse étant assortie

d’une faculté de substitution du promettant afin que ce soit le tiers acquéreur des actions

du promettant qui effectue le rachat. Le débiteur, qui n’a en effet aucun intérêt à racheter

des actions de la société qu’il quitte, érigera en pratique cette substitution en condition

de toute cession avec le tiers acquéreur.

Afin de faciliter la mise en œuvre du pacte de sortie conjointe, il convient de définir avec

précision les conditions que devra vérifier le projet de cession du débiteur de nature à

déclencher la procédure ainsi que les modalités de notification de ce projet au

bénéficiaire. Le pacte doit également stipuler un délai pendant lequel le bénéficiaire

pourra exercer sa faculté de sortie avant la date prévue pour la réalisation de la cession

projetée.

Conclusion du Chapitre 1

223 - Les pactes d’actionnaires empruntent leur objet aux éléments constitutifs de la

structure et du fonctionnement du contrat de société.

Tous les pactes conclus entre actionnaires, ainsi que nous avons limité le domaine de

notre réflexion, ont en effet pour objet, en général cumulativement, l’exercice du pouvoir

au sein de la société ainsi que la détention du capital. Ils portent ainsi matériellement sur

les éléments constitutifs de l’organisation sociale, envisagée comme structure

d’organisation du pouvoir, d’une part, et du contrat de société, lequel consiste en la mise

en commun d’apports concourant à la formation du capital social, d’autre part.

224 - Ainsi, les pactes relatifs à l’organisation du pouvoir des actionnaires au sein de

la société, qui aménagent principalement l’exercice du droit de vote des partenaires,

interviennent au cœur du processus d’adoption des décisions sociales. Les conventions

de vote revêtent des formes plus ou moins élaborées, selon que les engagements de

vote sont pris individuellement ou collectivement par les partenaires, en vue de

l’adoption de décisions ponctuelles ou relativement à la composition de l’organe

d’administration, ou encore, qu’elles organisent l’intervention, à titre particulier, de leurs

bénéficiaires dans le processus d’adoption des décisions sociales.

225 - S’agissant des pactes qui aménagent les cessions ou acquisitions d’actions

par leurs signataires, ils ont, quant à eux, matériellement pour objet cet élément

structurel de la société que constitue le capital social. D’une immense variété, ces

pactes limitent la liberté qu’ont les partenaires de céder ou d’acquérir des actions par le

recours à des mécanismes, essentiellement empruntés au droit commun, qui diffèrent

Page 106: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

106

selon que le pacte emporte ou non l’engagement irrévocable pour le débiteur de céder

ou d’acquérir des titres. En effet, certains pactes interdisent, dans le principe, par un

engagement de ne pas faire, toute cession ou acquisition d’actions, tandis que d’autres

limitent, avant tout projet, le choix du partenaire débiteur quant à la personne de son

cocontractant, au moyen d’un engagement de préférence ou par l’octroi, au bénéficiaire

du pacte, d’un pouvoir d’agrément. Enfin, les partenaires peuvent se trouver

irrévocablement tenus de vendre ou d’acquérir des actions, sous condition suspensive,

dans le cadre des pactes, extrêmement divers, reposant sur le mécanisme de la

promesse unilatérale de vente ou d’achat.

226 - Cet emprunt, par le pacte d’actionnaires, de son objet matériel au contrat de

société est de nature à fonder la dimension d’accessoire du contrat de société que

présente le pacte.

Par ailleurs, il est possible de trouver dans la cause du pacte l’autre fondement objectif

de cette forme de rapport d’accessoire à principal que recouvre la relation de

dépendance dans laquelle le pacte d’actionnaires se place au regard du contrat de

société. Il semble en effet que le pacte d’actionnaires emprunte sa cause454 au contrat

de société, cette dernière résidant dans la qualité réciproque d’actionnaire des

partenaires.

Chapitre 2. La cause 455 du pacte d’actionnaires

227 - Nous venons de démontrer, dans le précédent chapitre, que les pactes

d’actionnaires empruntent leur objet matériel au contrat de société. Cet objet porte, plus

précisément, sur les éléments constitutifs de la société : le capital social et la structure

de pouvoir.

A cela, il faut ajouter que c’est la qualité d’actionnaire des partenaires signataires qui

permet au pacte, conformément au deuxième élément du rapport de dépendance à

double détente caractérisé précédemment456, d’avoir matériellement un tel objet. En ce

sens, la qualité d’actionnaire des partenaires est une condition préalable du pacte qui

tient à ce que l’objet matériel de ce dernier est nécessairement un attribut de la qualité

454 La cause est ici retenue sous ses acceptions de cause efficiente et catégorique et de cause-fonction 455 Voir note supra. 456 Voir supra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2.

Page 107: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

107

d’actionnaire457. Certes, il suffit qu’un seul des signataires ait la qualité d’actionnaire

dans la société pour que la convention puisse matériellement porter sur la détention du

capital ou l’exercice du pouvoir dans cette société, mais dans le cadre de notre étude

limitée aux pactes conclus entre actionnaires stricto sensu, cette qualité est, par

hypothèse, commune aux partenaires.

228 - En affinant cette analyse, il apparaît que la réciprocité de la qualité

d’actionnaire des partenaires constitue une condition, non seulement préalable, mais

encore déterminante de la conclusion du pacte. Or, dire que la qualité réciproque

d’actionnaire des signataires est une condition préalable et déterminante du pacte, c’est

élever cette qualité en cause du pacte, la notion de cause étant alors entendue, ainsi

qu’il en est dans le langage courant, comme l’origine d’un phénomène458, la cause

première ou encore sa raison d’être. En ce sens, un auteur énonce que « La seule

raison d’être du pacte, sa cause, tient à ce que les parties au pacte sont ensemble

actionnaires d’une société et souhaitent aménager leurs relations d’actionnaires de cette

société »459.

La qualité réciproque d’actionnaire a en effet une incidence particulière sur les relations

inter-individuelles que les actionnaires nouent, en dehors du contrat de société, à deux

égards. C’est tout d’abord cette qualité qui anime les actionnaires de la confiance

mutuelle sur la base de laquelle ils décident de se rapprocher pour devenir partenaires.

C’est également cette qualité qui détermine l’utilité du pacte d’actionnaires, cette

dernière résidant dans l'aménagement des relations qui lient les partenaires en leur

qualité même de co-actionnaires.

229 - La qualité réciproque d’actionnaire des partenaires constitue ainsi, à double

titre, une condition préalable et déterminante du pacte, cette dimension causale étant de

nature à fonder la forme de rapport d’accessoire à principal que présente la dépendance

du pacte d’actionnaires au contrat de société.

230 - Cette qualité a non seulement pour corollaire la relation de confiance

indispensable à la conclusion du pacte entre les partenaires (Section 1) mais encore,

elle confère au pacte son utilité-même, ce dernier ayant pour fonction d’aménager les

relations réciproques entre actionnaires (Section 2).

457 « L’engagement des parties n’a de sens et techniquement d’objet que parce qu’elles sont ensemble actionnaires de la société », (J. Moury, D., 2007, p. 2045, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, n°9). 458 Voir les définitions de la cause données par le dictionnaire Larousse en ligne : www.larousse.fr. 459 B. Dondero, D., 2008, p. 1024, note sous Cass. com. 6 novembre 2007, précité.

Page 108: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

108

Section 1. La confiance entre actionnaires : condit ion préalable et déterminante de

la conclusion du pacte

231 - Nous formulons l’hypothèse selon laquelle la confiance entre actionnaires est

une condition préalable et déterminante du pacte. Plus précisément, dans la confiance

mutuelle entre actionnaires résiderait, selon nous, la cause catégorique du pacte

d’actionnaires. Sous cette acception de la notion de cause, qualifiée par le doyen Louis

Boyer de cause catégorique460, la cause du contrat renvoie aux éléments préalables

indispensables pour que le contrat atteigne son but. Il nous semble en effet que le pacte

d’actionnaires présuppose, pour sa conclusion, une relation de confiance mutuelle entre

actionnaires à partir de laquelle va œuvrer la volonté des partenaires.

232 - Dès lors, pour vérifier cette hypothèse, il convient, en premier lieu, de

caractériser la confiance que se portent mutuellement les actionnaires. Il apparaît que

cette confiance mutuelle s’illustre de la manière la plus évidente à travers l’obligation de

bonne foi et de loyauté à laquelle sont réciproquement tenus les actionnaires. Or cette

confiance mutuelle entre partenaires, inhérente à leur qualité réciproque d’actionnaire,

constitue, selon une idée qui est latente en doctrine461, la cause catégorique du pacte

d’actionnaires.

Une fois la confiance mutuelle entre partenaires caractérisée dans sa manifestation par

le devoir réciproque de loyauté entre actionnaires (§ 1), nous pourrons justifier de ce

que cette confiance constitue la cause catégorique du pacte d’actionnaires (§ 2).

§ 1. La manifestation de la confiance mutuelle entr e actionnaires : le devoir de

loyauté

233 - Le devoir de loyauté entre actionnaires offre une illustration manifeste de la

confiance que se vouent mutuellement les actionnaires. Ce devoir de loyauté réciproque

des actionnaires est étroitement lié à la poursuite de l’intérêt commun au sein de la

société (A), il se prolonge dans le pacte conclu entre actionnaires (B).

460 L. Boyer, La notion de transaction. Contribution à l’étude des concepts de cause et d’acte déclaratif, Sirey, 1947, p. 162 et s. 461 B. Dondero, D., 2008, p. 1024, note précitée sous Cass. com. 6 novembre 2007.

Page 109: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

109

A. L’existence du devoir de loyauté entre actionnaires

234 - Le devoir général de bonne foi dans l’exécution des contrats de droit commun

a pris beaucoup d’ampleur au cours de ces vingt dernières années462. La jurisprudence

et la doctrine ont fait de la bonne foi une norme comportementale463 dont le contenu

dépasse largement la « simple prohibition de la malveillance »464. A ce titre, elles ont

dégagé des devoirs positifs de comportement tels que le devoir de loyauté465 et

l’obligation de coopération466.

La loyauté s’entend de la fidélité à l’esprit du contrat. Elle implique le devoir de se

comporter honnêtement467, notamment pour celui des contractants qui se trouve être

dans une situation de supériorité, quelle qu’en soit la nature ou l’origine, ou détenteur de

renseignements privilégiés. Le devoir de loyauté se manifeste ainsi le plus souvent468,

en droit commun, par une obligation d’information469 à la charge de l’une des parties au

profit de l’autre, lorsqu’il existe une inégalité dans les éléments à la disposition de

chacune d’elle, en période précontractuelle comme en cours d’exécution du contrat.

Le devoir de coopération postule, quant à lui, une obligation d’initiative solidaire des

parties, laquelle consiste, pour chacune, à faire tout ce qui est en son pouvoir pour

parvenir à la bonne exécution du contrat et conférer à ce dernier « la plus grande portée

possible »470.

235 - Si cette évolution a nécessairement touché le droit des sociétés, en raison du

fondement en grande partie contractuel de la société, il est admis depuis longue date

qu’au sein du contrat de société en particulier, l’exigence de bonne foi est encore plus

forte que dans tout autre contrat471.

462 Sur l’évolution du contenu des devoirs des contractants et l’émergence en doctrine de nouveaux devoirs, voir M. Fabre-Magnan, Les obligations, PUF, 1ère éd., 2004, p. 72. 463 A. Bénabent, « La bonne foi dans les relations entre les particuliers dans l’exécution du contrat », in La bonne foi, TAHC, Litec, 1992, p. 291. Voir également, L. Aynès, « Vers une déontologie du contrat ? », Conférence du 11 mai 2006, Colloque de la Cour de cassation, BICC, n°646, du 15/09/06 et « Bonne foi : vers une déontologie contractuelle », Dr. et pat, 2006, n°144, p. 86 et s ., I. 464 En ce sens, sur l’exigence généralisée de bonne foi dans les contrats, voir J.-B. Seube, « La relativité de la distinction des “contrats organisation” et des “contrats échanges” » in Dossier « Société et Contrat », Journ. sociétés, 2008, n°53, p. 40. 465 Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ, 1989. 466 J. Mestre, « L’évolution du contrat en droit privé français » in L’évolution contemporaine des contrats, Journées René Savatier, PUF, 1986.41, p. 56. 467 V. Cuisinier, op. cit., n°295 et note de pas de page n°1182. 468 D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°303. 469 M. Fabre-Magnan, De l’obligation d’information dans les contrats. Essai d’une théorie, LGDJ, 1989 et J. Ghestin, Traité de droit civil. La formation du contrat, LGDJ, 3ème éd., 1993, n°455 et s.. 470 Y. Picod, op. cit., n°87. 471 J. Hamel, G. Lagarde et A. Jauffret, Traité de droit commercial, t 1, 2ème vol., 2ème éd., Lagarde, 1980, n°384.

Page 110: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

110

Historiquement, la doctrine majoritaire a fondé sur l’affectio societatis, entendu comme

la volonté des associés de collaborer sur un pied d’égalité à une entreprise commune472

et présenté comme un élément fondamental du contrat de société, l’existence d’une

obligation de bonne foi spécifique au contrat de société473. Malgré le déclin de la notion

d’affectio societatis474, on peut trouver dans la poursuite de l’intérêt commun, lequel a

été redécouvert corrélativement à ce déclin, ou plus largement dans la poursuite de

l’intérêt social, le fondement de cette obligation. En effet, quelle que soit la conception

que l’on retienne de l’intérêt social, ce dernier commande le partage loyal du profit social

entre les actionnaires475. Il apparaît alors que la « bonne foi est le fondement même de

toutes les règles du contrat de société »476.

236 - Les devoirs comportementaux dégagés du devoir général de bonne foi en droit

commun se retrouvent ainsi, sous une forme particulière, dans les relations entre

actionnaires au sein de la société.

Le devoir réciproque de loyauté des actionnaires y est très large et absorbe, en quelque

sorte, le devoir de coopération entre actionnaires. En effet, ce devoir de coopération, qui

commande que chaque actionnaire exécute utilement le contrat de société pour conférer

à ce dernier la plus grande efficacité possible, et revêt nécessairement une dimension

fondamentale dans le cadre d’un contrat tendant vers la satisfaction de l’intérêt commun

des parties477, se réalise dans les obligations, essentielles, de libération des apports et

de contribution aux pertes478.

Pour le surplus, c’est le devoir de loyauté qui prend le relais479 en prohibant toute

attitude de la part des actionnaires qui serait contradictoire avec l’intérêt social. A ce

titre, le devoir de loyauté que se doivent réciproquement les actionnaires s’illustre

notamment dans le respect du principe majoritaire, lequel est tourné vers la satisfaction

de l’intérêt social480. Plus généralement, chaque actionnaire doit utiliser ses droits dans

472 Cass. com. 3 juin 1986, Rev. sociétés, 1986, p. 585. 473 V. Cuisinier, op. cit., n°283 et s., citant A. Amiaud, « L’affectio societ atis », Mélanges A. Simonius, Basel, 1955, p. 6 et s.. Maintenant cette position, voir J. Ghestin, note sous Cass. com. 27 février 1996, JCP, éd. G.II. 22665. 474 Sur cette question, voir l’étude de V. Cuisinier, op. cit. 475 D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°5 et 14. 476 J.-Cl. May, « La société : contrat ou institution » in Contrat ou Institution : un enjeu de société, coordonné par B. Basdevant-Gaudemet, LGDJ, 2004, § 1 B - b), p. 130. 477 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°354. 478 En ce sens, V. Cuisinier, op. cit., n°299. Voir A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004, n°163, relevant au titre du devoi r de coopération de l’associé à la société, le devoir moral de soutien financier. 479 En ce sens, V. Cuisinier, op. cit., n°299. 480 A. Mignon-Colombet, op. cit., n°163.

Page 111: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

111

l’intérêt qui lui est commun avec ses co-actionnaires, faute de quoi il manquerait à ses

devoirs envers eux, ce qui atteindrait la confiance entre actionnaires481.

237 - La nature particulière du contrat de société justifie ainsi l’ampleur que revêt la

bonne foi dans les relations entre actionnaires, et notamment la vigueur du devoir de

loyauté auquel ces derniers sont réciproquement tenus, tout au long de leur participation

commune dans la société, et en particulier, lorsqu’ils concluent un contrat entre eux.

Ce devoir de loyauté entre actionnaires rejaillit alors naturellement dans les relations

entre les partenaires au sein du pacte d’actionnaires.

B. Le prolongement du devoir de loyauté entre actionnaires dans le pacte

238 - Le devoir de loyauté entre partenaires a une coloration particulière. En effet, la

qualité réciproque d’actionnaire a nécessairement une incidence sur l’obligation de

bonne foi à laquelle sont réciproquement tenus les signataires du pacte.

Il en résulte que le devoir de loyauté entre partenaires est teinté par le contrat de

société, dans lequel il trouve naturellement sa source, tant au moment de la conclusion

du pacte qu’en cours d’exécution de ce dernier.

239 - La jurisprudence relative à la répression de la réticence dolosive482 dans la

formation des pactes d’actionnaires offre une illustration de la manière dont le devoir de

loyauté attaché à la qualité réciproque d’actionnaire rejaillit sur le pacte d’actionnaires.

240 - Ainsi, dans un arrêt en date du 23 mai 2006483, la Cour de cassation a reconnu

que la réticence dolosive commise par un associé484, lors de la constitution de la société,

avait également vicié le pacte d’associés, conclu à la même date, par lequel la victime

du dol s’engageait à financer la société par des avances en compte courant. En

conséquence, la chambre commerciale casse l’arrêt de Cour d’appel en ce qu’il a limité

le montant des dommages et intérêts alloués à l’associé victime du dol au préjudice

481 D. Schmidt, op. cit, n°18-19. 482 Rappelons que la réticence dolosive est caractérisée lorsqu’une partie a dissimulé à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui l’aurait empêché de contracter. (En matière de cession de droits sociaux, voir notamment Cass. com. 3 avril 1979, Rev. sociétés, 1980, p. 723, note du Pontavice; Cass. com. 28 janvier 2003, Bull. Joly, 2003, n°572). L’omission d’information doit avoir été intentionnelle de la part de l’auteur du dol et déterminante pour la victime, laquelle ne doit pas avoir été négligente en s’abstenant de s’informer. 482 Cass. com. 1er juillet 2003, n°1095 F-D, Sté Eurodec c/ Sté Groupe C hoisy Inc, RJDA, 5/04, n°574. 483 Cass. com. 23 mai 2006, n°670 F-D, Dreano c/ Partuc ci, RJDA, 11/2006, n°1140. 484 L’arrêt est relatif à une SARL mais la solution aurait été identique dans une société par actions.

Page 112: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

112

correspondant au montant de l'apport versé lors de la création de la société485 au lieu de

l’étendre au préjudice correspondant aux sommes remises, après la constitution de la

société, en vue du fonctionnement de cette dernière. Cet arrêt met en évidence le

prolongement dans le pacte de l’obligation de bonne foi entre actionnaires en ce sens

que le manquement au devoir de loyauté dans la formation du contrat de société

entache d’un vice la formation du pacte lui-même.

241 - Dans une autre affaire, portée devant la Cour de cassation le 1er juillet 2003486,

l’actionnaire majoritaire d’une société avait signé avec l’un des actionnaires minoritaires

un protocole aux termes duquel ce dernier voyait sa participation diminuée. Cet

actionnaire minoritaire avait par la suite découvert que, antérieurement à la signature de

ce protocole, le majoritaire avait conclu avec d’autres minoritaires, un protocole plus

favorable. Il prétendait alors avoir été victime d’un dol lors de la conclusion de son

propre protocole au motif que, s’il avait eu connaissance de la conclusion du protocole

antérieur plus favorable au profit des autres minoritaires, il n’aurait pas accepté les

nouvelles conditions du prix de sa participation.

L’on s’interroge alors sur le point de savoir si l’actionnaire majoritaire avait, sur le

fondement de son devoir de loyauté, l’obligation d’informer le partenaire demandeur de

la conclusion, deux mois auparavant, d’un pacte à des conditions plus favorables au

profit d’autres partenaires minoritaires. Les juges du fond reconnaissent que le

majoritaire s’est rendu coupable d’une manœuvre déloyale en dissimulant la conclusion

du pacte plus favorable au minoritaire demandeur. A ce titre, ils font bien droit à la

demande de ce dernier mais ils n’y répondent pas exactement dans les mêmes termes.

Les juges retiennent en effet que c’est au moment-même de la conclusion du pacte

antérieur que le majoritaire a manqué à son devoir de loyauté envers le demandeur.

D’ailleurs, l’un des moyens du pourvoi invoquait à ce titre que l’arrêt avait méconnu les

termes du litige. Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que le demandeur

« se prévalait de ce que lui avait été cachée la signature [antérieure] d'un pacte

d'actionnaires, dont la connaissance l'aurait conduit à exercer le droit de retrait qui lui

était reconnu par un protocole [encore plus antérieur] et à ne pas signer le protocole

[litigieux], lequel était moins avantageux pour lui »487.

Cette solution permet de mesurer la vigueur que la jurisprudence souhaite conférer au

devoir de loyauté pesant sur et entre les actionnaires. Le majoritaire n’était pas

485 Au motif, selon les juges de fond, que le préjudice supplémentaire correspondant aux sommes remises après la constitution de la société était lié à la liquidation judiciaire et ne constituait donc pas la conséquence directe du dol allégué. 486 Cass. com. 1er juillet 2003, n°1095 F-D, Sté Eurodec c/ Sté Groupe C hoisy Inc, RJDA, 5/04 n°574. 487 Cass. com. 1er juillet 2003, précitée.

Page 113: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

113

seulement tenu d’informer le partenaire victime, au moment de la prise par ce dernier

d’un nouvel engagement, d’un fait dont il ne fait aucun doute que, si ce dernier en avait

en connaissance, il aurait refusé de contracter aux conditions proposées. Plus

rigoureusement, le majoritaire était tenu d’informer le partenaire demandeur, dès la

conclusion de l’accord litigieux plus favorable, de manière à mettre ce dernier en mesure

d’exercer le droit de retrait qu’il tenait d’un précédent protocole, conclu avec l’ensemble

des actionnaires en place, lors de son entrée dans le capital de la société488. En

l’espèce, la double circonstance de ce que ce droit de retrait liait tous les actionnaires de

la société et avait joué un rôle déterminant dans la décision du demandeur d’entrer au

capital de la société, rendait l’obligation des actionnaires de respecter et conférer à ce

droit la plus grande portée possible indivisible du devoir de loyauté auquel l’ensemble

des actionnaires, et en particulier le majoritaire, étaient tenus envers le demandeur en

vertu du contrat de société489.

242 - Le devoir de bonne foi entre actionnaires teinte également les relations des

partenaires en cours d’exécution du pacte. Les pactes d’actionnaires sont à ce titre « un

lieu de bonne foi et de loyauté renforcées »490 en ce sens que le devoir réciproque de

bonne foi et de loyauté entre partenaires est le prolongement de leur qualité

d’actionnaire.

243 - A ce titre, la jurisprudence SNCM précitée, relative à la durée des pactes

d’actionnaires, est particulièrement significative du rôle majeur que joue la qualité

d’actionnaire des partenaires dans l’appréciation de leur bonne foi dans l’exécution du

pacte. La Cour de cassation a en effet considéré, dans l’arrêt précédemment évoqué du

6 novembre 2007491, que le pacte, dont il était convenu entre les partenaires qu’il

s’appliquerait tout au long de leur participation commune dans la société, était conclu 488 Il apparaît, à la lecture de l’arrêt, que ce tout premier protocole, conclu par l’ensemble des actionnaires lors de l’entrée au capital du minoritaire demandeur, mettait expressément à la charge de tous les signataires une obligation spéciale d’information relative à tout événement ayant pour effet d'entraîner une perte de majorité pour les uns, ou de minorité de blocage pour les autres, cas avéré en l’espèce. Si la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir motivé sa décision au regard de cette obligation d’information, nous ne pensons pas que la solution aurait été différente en l’absence d’obligation contractuelle d’information stipulée entre les actionnaires. En effet, le majoritaire n’est pas sanctionné pour manquement à ses obligations contractuelles, il l’est pour avoir commis une manœuvre déloyale consistant en une dissimulation. 489 En ce sens, le Professeur Guyon précise que l’indivisibilité du pacte au regard du contrat de société s’impose « si le pacte a un caractère fondamental parce qu’il accorde des droits individuels aux associés et si ceux-ci sont tous parties à ce pacte » (Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°202). 490 A. Cozian, Préface Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, S. Prat, Litec, 1992. 491 Cass. com. 6 novembre 2007, précité, Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury ; D., 2008, p. 1024, note. B. Dondero, précitée ; Bull. Joly, 2008, p. 125, note X. Vamparys ; Dr. sociétés, 2008, comm. n°10, obs. H. Hovasse et Les Echos, n°20053, 23 novembre 2007, p. 12, Ph. Delebecque. Voir supra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B.

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114

pour une durée indéterminée et par conséquent résiliable unilatéralement à tout

moment. Cette décision, qui ne suscite pas l’approbation, nous l’avons dit, dès lors que

la durée d’un pacte est naturellement bornée par celle de la société, nous semble par

ailleurs condamnable sur le terrain de la bonne foi. Comment apprécier, en effet, la

loyauté d’un partenaire qui révoque unilatéralement l’engagement, pris pour la durée

pendant laquelle il demeurera actionnaire, tout en se maintenant dans la société492 ? Le

respect de l’exigence de bonne foi dans la résiliation unilatérale du pacte, à supposer

que cette dernière soit autorisée en tant que le pacte constitue un contrat à durée

indéterminée, ne peut alors être apprécié qu’au regard de la qualité d’actionnaire.

244 - Par ailleurs, la spécificité du devoir de loyauté entre partenaires, tenant à ce

que ce dernier s’inscrit dans le prolongement de la confiance entre actionnaires,

s’illustre également dans l’appréciation, par la jurisprudence, de l’arbitraire dont l’un des

partenaires pourrait faire preuve, à l’égard des autres, dans l’exécution du pacte en

tirant parti d’une position dominante qu’il tient du contrat de société.

De telles situations se présentent souvent, sur fond de rapports de force, dans le cadre

des pactes d’actionnaires conclus sous condition suspensive. Ainsi en est-il des

promesses unilatérales de vente organisant l’exclusion d’un actionnaire sous la

condition suspensive de la perte d’exercice d’une fonction au sein de la société par ce

dernier. Il est alors notable que la jurisprudence apprécie la validité de la condition

suspensive, non pas au moment de la formation du pacte et au regard du caractère

purement potestatif de cette condition pour le débiteur, ainsi que le commanderait

l’article 1174 du Code civil493, mais au regard de la loyauté dont fait preuve le partenaire

bénéficiaire dans l’exécution du pacte. Dans le cadre de ces promesses, il est indéniable

que le bénéficiaire dispose d’un droit purement potestatif lorsque, en sa qualité

d’actionnaire dirigeant, il a l’initiative du licenciement du partenaire salarié et peut ainsi

déclencher la procédure d’exclusion. Or, si l’engagement du bénéficiaire est par

essence purement potestatif dans toute promesse unilatérale de vente, la jurisprudence

condamne la possibilité pour le bénéficiaire, dans le cadre d’une promesse unilatérale

492 Rappelons que seule la rupture du pacte par un partenaire conservant la qualité d’actionnaire est constitutive d’une résiliation du pacte. A défaut, le pacte ne peut être résilié, il est rendu caduc par la perte de l’élément essentiel que représente pour ce contrat la qualité d’actionnaire. (Voir supra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B). Voir également J. Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, n°11. 493 Pour un arrêt recommandant de rechercher, au regard de l’article 1174 du Code civil, si la réalisation de la condition suspensive dépendait de la seule volonté du cessionnaire dans le cadre d’une cession d’actions assortie d’une clause d’earn out en vertu de laquelle, le cessionnaire s’engageait à verser, à une certaine échéance, un complément de prix au cédant sous la condition que ce dernier ait conservé à cette date l’exercice d’une fonction de direction dans la société, voir dernièrement, Cass. com. 19 janvier 2010, Dr. sociétés, 2010, comm. 70, D. Gallois-Cochet (en l’espèce, le cessionnaire était en mesure de prononcer la révocation ad nutum du cédant - PDG).

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115

de vente organisant l’exclusion d’un actionnaire, de forcer arbitrairement le salarié à lui

céder ses actions à un prix généralement bon marché. Dans un jugement en date du 25

juin 2002, le Tribunal de commerce de Paris a ainsi refusé d’analyser un pacte

d’exclusion, qui « prévoyait que la cessation du contrat de travail d’un associé obligeait

celui-ci à céder ses parts sociales, sans précision de délai, un droit de préemption étant

prévu au bénéfice des autres associés signataires » en promesse unilatérale de

cession494. Le jugement retient en effet qu’il n’y a « pas lieu de reconnaître à certains

associés du groupe une option d’achat sur les parts de l’associé en cause, alors qu’ils

pouvaient dans le même temps décider de l’interruption de son contrat de travail,

élément déterminant d’une obligation de céder lesdites parts à des conditions hors

marché »495. C’est donc en contrôlant le respect, par le bénéficiaire du pacte, du devoir

de loyauté auquel ce dernier est tenu à l’égard du promettant, en sa qualité de co-

actionnaire, que la jurisprudence apprécie la validité du pacte, au cours de son

exécution, au moment même de la réalisation de la condition suspensive. Dans un arrêt

ultérieur en date du 18 octobre 2005, la Cour d’appel de Paris, opérant le même contrôle

dans le cadre d’un pacte d’exclusion similaire, a, au contraire, déduit de ce que le

licenciement avait été reconnu par les juridictions compétentes comme prononcé pour

un cause réelle et sérieuse, l’absence d’arbitraire dans la mise en œuvre du pacte par

l’actionnaire dirigeant496.

245 - Il apparaît que la confiance mutuelle qu’éprouvent les partenaires trouve

naturellement sa source dans le contrat de société.

Or, il s’avère que l’existence de cette confiance mutuelle, inhérente à la qualité

réciproque d’actionnaire des partenaires, est une condition préalable et déterminante de

la conclusion du pacte d’actionnaires, elle constitue plus précisément la cause

catégorique du pacte.

§2. La confiance entre actionnaires : cause catégor ique du pacte

246 - La conclusion d’un pacte entre actionnaires présuppose que les partenaires se

portent mutuellement une profonde confiance. En effet, seule une telle confiance peut

justifier cette tendance qu’ont certains actionnaires à s’imposer eux-mêmes, par la

conclusion d’un acte grave, en marge des statuts et donc hors du cadre naturel et

494 Trib. com. Paris 25 juin 2002, Juris-Data n°2002-19 6978, cité par P. Larrieu, « L'interprétation des pactes extra-statutaires », Rev. sociétés, 2007, p. 697, note de bas de page n°73. 495 Trib. com. Paris 25 juin 2002, précité. 496 Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005 n°04-4322, 3 ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791.

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116

protecteur assuré par la loi, des règles de conduite à tenir dans leurs relations

individuelles d’actionnaires. En ce sens, la confiance mutuelle entre partenaires

constitue une cause catégorique du pacte.

247 - Il convient de revenir sur la notion de cause catégorique (A) afin de mieux

apprécier le rôle déterminant que joue la confiance mutuelle des actionnaires dans la

conclusion du pacte d’actionnaires (B).

A. Retour sur la notion de cause catégorique

248 - La notion de cause est l’une des notions les plus complexes de la théorie

générale des obligations. Elle renvoie au « pourquoi de l’obligation »497. Dès lors, cette

notion peut être entendue dans deux sens différents : celui de la source du rapport

d’obligation498, son fait générateur499, c’est la cause dite efficiente, et celui du but

poursuivi par le débiteur500, il s’agit de la cause finale. C’est cette dernière qui a reçu

toute l’attention de la doctrine classique et contemporaine, elle est la seule conception

de la cause retenue par le Code civil, lequel en fait une condition de validité du

contrat501. Historiquement toutefois, la notion de cause n’a pas toujours été rattachée à

l’appréciation de la validité du contrat, le droit romain ignorait d’ailleurs totalement la

conception de cause finale502. Avant que la reconnaissance du principe du

consensualisme ne rende concevable le contrôle des éléments sur lesquels se fonde la

volonté individuelle, la causa503 ne pouvait en effet renvoyer qu’à l’acte nécessaire pour

que l’obligation prenne naissance504. C’est appréhendée sous son sens de cause

efficiente ou génératrice du contrat, que la notion de cause catégorique peut être

comprise. Afin de présenter cette notion dans toute sa signification et son particularisme,

il convient de rappeler le contenu de la conception actuelle de la notion de cause finale.

249 - La doctrine contemporaine a, avec la jurisprudence505, une conception dualiste

de la cause finale, elle distingue ainsi la cause objective, ou cause de l’obligation, visée

497 J. Ghestin, Traité de droit civil. La formation du contrat, LGDJ, 3ème éd., 1993, n°814. 498 Ch. Larroumet, Droit civil, Tome III, Les obligations Le Contrat, 1ère partie Les conditions de formation, Economica, 6ème éd., 2007, n°441. 499 J. Ghestin, op. cit., n°814. 500 J. Ghestin, op. cit., n°814. 501 Parmi les quatre conditions essentielles à la validité d’une convention figure celle relative à “Une cause licite dans l’obligation » (art. 1108 C. civ.). « L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet » (art. 1131 C. civ.). 502 Ch. Larroumet, op. cit., n°442. 503 Sur le développement de la causa comme la source de l’obligation, voir Y. Thomas, Causa et fonction d’un concept dans le langage du droit romain, thèse Paris II, 1976. 504 J. Ghestin, op. cit., n°820. 505 Cass. 1ère civ. 12 juillet 1989, RTD civ., 1990, p. 469, obs. J. Mestre.

Page 117: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

117

aux articles 1108 et 1131 du Code civil, de la cause subjective, ou cause du contrat, non

expressément visée dans le Code civil mais parfois prise en compte par la jurisprudence

pour apprécier la validité du contrat506.

La cause de l’obligation est objective en ce sens qu’elle est détachée du mobile ayant

déterminé l’engagement du contractant. Elle est dite abstraite en raison de ce qu’elle ne

varie pas d’un contractant à un autre pour une même catégorie de contrat et se

distingue ainsi des mobiles507. Dans les contrats à titre onéreux, la cause objective de

l’engagement du contractant réside dans la contrepartie que ce dernier en retire508. Dans

le contrat de société, la cause objective de l’engagement des actionnaires réside dans

l’intérêt commun, c’est-à-dire la réalisation et le partage entre eux des bénéfices

sociaux509. Cette conception de la cause, retenue par la doctrine classique510 a pour

fonction d’assurer un certain équilibre économique de l’opération. Il s’agit alors de

vérifier que l’engagement du contractant se justifie économiquement. Cette cause doit

exister faute de quoi, l’obligation serait nulle par application de l’article 1131 du Code

civil511.

Au contraire, la cause du contrat est subjective, cette acception de la notion de cause a

été développée par la doctrine moderne512 dans le souci, précisément, d’intégrer les

mobiles à la cause. Ces mobiles sont par hypothèse d’une grande diversité et varient

d’un contractant à un autre selon la psychologie de ce dernier. La jurisprudence ne

retient alors que la cause impulsive et déterminante du contrat pour en apprécier la

licéité ou la moralité. Dans les actes à titre onéreux, un motif illicite déterminant, et

connu comme tel du co-contractant513, est ainsi susceptible d’entraîner la nullité du

contrat par application des articles 1131 et 1133 du Code civil.

250 - Il apparaît que la cause finale, qui sert une théorie de la cause dont la fonction

est d’encadrer la validité du contrat au regard de la motivation de son auteur, repose sur

une démarche moralisatrice et essentiellement subjective.

506 En ce sens, J. Ghestin, op. cit., n°813. 507 Ch. Larroumet, op. cit., n°449. 508 Par exemple, dans une vente, la cause de l’obligation pour l’acquéreur de payer le prix réside dans l’acquisition de la propriété de la chose. 509 V. Cuisinier, L’affectio societatis, Litec, 2008, n°261. 510 Cette doctrine est notamment représentée par Pothier qui a complété les travaux de Domat (sur cette question, voir J. Ghestin, op. cit., n°822 et s. et Ch. Larroumet, op. cit., n°446 et s.). 511 A la cause inexistante est assimilée la fausse cause (art. 1131 C. civ.). La cause est fausse lorsque le contractant a commis une erreur sur la cause en croyant à une cause qui n’existait pas (Cass. com. 29 mars 1994, JCP, 1994.IV.1449 et TGI Seine 19 mars 1963, Gaz. Pal., 1963.2.18). 512 Notamment H. Capitant (voir J. Ghestin, op. cit., n°830 et s.). 513 Cass. 1ère civ. 12 juillet 1989, précité.

Page 118: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

118

A l’opposé, envisagée sur un plan exclusivement logique et nécessairement objectif, la

cause efficiente et catégorique renvoie au phénomène, extérieur à la volonté des

contractants, rendant possible la formation du contrat.

251 - La cause efficiente, entendue sous une acception large du fait générateur du

contrat comme la « situation concrète [que ce dernier] présuppose et à partir de laquelle

va œuvrer la volonté des parties »514 traduit une idée d’antériorité logique515. La notion

de cause efficiente a été développée par le doyen Louis Boyer dans le cadre de l’étude

du contrat de transaction516, laquelle l’a mené à rechercher la nature exacte de la

condition relative à l’existence du litige pour le contrat de transaction au regard des

conditions de validité du contrat énoncées à l’article 1108 du Code civil. Après avoir

démontré que les définitions classiques de l’objet et de la cause auxquelles cette

disposition renvoie sont impropres à caractériser la condition relative à l’existence du

litige, Boyer élabore une théorie de la cause libérée de toute considération

psychologique de la volonté des contractants, opérant ainsi une rupture avec

l’appréhension exclusive de la cause par le droit contemporain comme une cause finale.

Il en arrive alors à dégager un concept objectif de cause du contrat, qui permet de

justifier ce dernier d’un point de vue logique en incorporant « l’ensemble des éléments

en l’absence desquels la réalisation du but contractuel devient impossible »517.

L’absence de cette cause rend en effet impossible la réalisation de la catégorie de

contrat que les parties ont souhaité conclure, c’est en cela que Boyer qualifie cette

cause de cause catégorique. Ainsi, l’absence de situation litigieuse rend-elle impossible

toute transaction et le litige constitue-t-il une cause catégorique du contrat de

transaction. Cette cause catégorique, ainsi conceptualisée par Boyer, n’a pas pour

fonction d’encadrer la validité du contrat, elle opère comme un instrument de

qualification du contrat518 qui permet, plus exactement, d’individualiser une catégorie

contractuelle519. Ainsi, sauf vice du consentement des contractants, le défaut de cause

catégorique « a pour conséquence la dénaturation du contrat, mais il est par lui-même

sans influence sur la validité des obligations [que le contrat] engendre »520.

514 Rép. Dr. civil Dalloz, « Contrats et conventions », L. Boyer, 1993, n°168 . 515 D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001, n°449. 516 L. Boyer, La notion de transaction. Contribution à l’étude des concepts de cause et d’acte déclaratif, Sirey, 1947. 517 L. Boyer, op. cit., p. 216.; 518 J. Ghestin, op. cit., n°835. 519 L. Boyer, op. cit., p. 104 et s. 520 L. Boyer, op. cit., p. 120.

Page 119: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

119

252 - Si la théorie de Boyer n’a jamais été reprise dans son ensemble par la

doctrine521, la cause catégorique présente un intérêt conceptuel qui dépasse celui de la

qualification du contrat. Conformément à son caractère permissif, cette causalité

efficiente établit un rapport d’antériorité logique entre certains éléments, objectifs et

extérieurs à la volonté des cocontractants, et le contrat que ces éléments rendent

possible. Ces éléments sont par essence induits par la catégorie contractuelle

considérée. La plupart des catégories de contrats ne requièrent aucunement l’existence

d’éléments préalables, indispensables à leur réalisation, « la volonté des parties pouvant

toujours, en principe, promouvoir le contrat qu’elles [les parties] se proposent en fonction

des obligations stipulées »522. Toutefois, certaines catégories de contrats présupposent

de tels éléments et sont ainsi dotés d’une cause catégorique. On peut citer, par

exemple, à côté des contrats de transaction, les contrats aléatoires ou encore les

contrats de garantie. Aucun contrat aléatoire ne peut, en effet, être conclu en l’absence

d’aléa dans la situation visée par les cocontractants523. De même, selon Boyer, les

contrats de sûretés personnelles présupposent l’existence d’un rapport juridique

principal lequel en constitue la cause catégorique524.

253 - A ce titre, l’auteur précise que « l’étude des contrats dits “accessoires” fournit

de nouveaux exemples types de conventions dans lesquelles le concept de cause n’est

pas seulement constitué par la réunion des éléments servant d’objet aux obligations des

parties. Il en est ainsi notamment dans les contrats de garantie tels que le

cautionnement ou la constitution d’hypothèque. […] Le but contractuel vise en effet à la

garantie d’un rapport de droit principal ; pour qu’un tel but soit réalisable, il faut donc

qu’un tel rapport existe : la dette principale fait donc partie des motifs qui servent de

cause au contrat »525. A ce titre, la notion de cause catégorique semble être de nature à

fonder un rapport juridique d’accessoire à principal. C’est ce que D. Grimaud a démontré

en matière de cautionnement526. C’est peut être, de la même manière, dans la cause

catégorique du pacte d’actionnaires que l’on peut trouver le fondement de la forme

d’accessoire du contrat de société que revêt le pacte. Or, il apparaît que la confiance

mutuelle, inhérente à la qualité réciproque d’actionnaire des partenaires, constitue une

cause catégorique du pacte. 521 Voir J. Ghestin, op. cit, n°835 ; J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, LGDJ, 1971, n°154 ; P.A. Reigné, La notion de cause efficiente du contrat en droit français, thèse Paris II, 1993, n°234 ; G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution à l’étude de l’acte juridique, LGDJ, 1997, n°103 et J. Rochfeld, Cause et type de contrat, 1999, n°14. 522 L. Boyer, Rép. Dr. civil Dalloz, « Contrats et conventions », 1993, n°168. 523 En ce sens, L. Boyer, op. cit., n°168. 524 En ce sens, L. Boyer, op. cit., n°97. 525 L. Boyer, La notion de transaction. Contribution à l’étude des concepts de cause et d’acte déclaratif, Sirey, 1947, p. 164 et 213. 526 D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001, n°456 et s.

Page 120: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

120

B. L’affirmation de la confiance entre actionnaires comme cause catégorique du pacte

254 - On l’a vu, l’existence de certains types de contrats n’est rendue possible que

par la préexistence, dans l’environnement extérieur, de données objectives et

déterminantes qui constituent la cause catégorique de ces contrats. Dans la théorie de

la cause défendue par le doyen Boyer, ces éléments préalables indispensables sont

logiquement induits par le but caractéristique du contrat527.

Or, les actionnaires qui décident de recourir à la conclusion d’un pacte, afin d’aménager

les relations qu’ils entretiennent au sein de la société, éprouvent nécessairement une

profonde confiance les uns pour les autres. Si le sentiment de confiance est, en principe,

un élément subjectif et étroitement dépendant de la personnalité de celui qui le ressent,

la confiance mutuelle entre partenaires revêt, on l’a dit528, une dimension particulière qui

en fait un élément quasi-objectif et extérieur à la psychologie des partenaires,

automatiquement attaché à la qualité réciproque d’actionnaire.

255 - La confiance est la croyance en la bonne foi et notamment en la loyauté

d’autrui529. Elle constitue un sentiment souvent éprouvé par intuition, il s’agit alors d’une

disposition psychologique530 ne reposant sur aucun fondement raisonné mais pourtant à

la base de toutes les relations humaines. Quiconque contracte avec autrui éprouve en

général de la confiance pour cette personne, c’est à dire qu’il a la conviction que son

cocontractant fait non seulement preuve de bonne foi lors de la conclusion du contrat,

mais encore, que ce dernier conservera un comportement loyal tout au long de

l’exécution du contrat. Il en va effectivement de l’efficacité et de l’utilité du contrat pour

les parties. A ce titre, et dans le prolongement de la sanction, par les articles 1109 et

1116 du Code civil, du dol commis lors de la formation du contrat, la jurisprudence a

dégagé un devoir général de contracter de bonne foi531, tandis que l’article 1134 alinéa 3

du Code civil énonce le devoir de bonne foi dans l’exécution du contrat.

Or, lors du rapprochement entre actionnaires en vue de conclure un pacte, la confiance

est un facteur préalable nécessaire qui joue un rôle d’autant plus déterminant que les

partenaires complètent leurs obligations statutaires réciproques par un deuxième

engagement contractuel, lequel est pris en marge des statuts mais a pour toile de fond

le cadre sociétaire. Le choix du recours à un pacte, type de convention empreint par

527 En ce sens, D. Grimaud, op. cit., n°452. 528 Voir supra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1. 529 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Coll. PUF Quadrige, 3ème éd., 2002, voir confiance 1. 530 Voir également G. Cornu, op. cit., sentiment 1 et 2. 531 Cass. 1ère civ. 21 janvier 1981, Bull. civ., I, n°25.

Page 121: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

121

nature de solennité et de gravité pour les parties532, conclu, en outre, hors du cadre

naturel et protecteur assuré par les statuts, postule l’existence d’un tel sentiment de

confiance profonde.

256 - Plus encore, la stabilité et la permanence de cette confiance mutuelle entre

partenaires sont requises dans la mesure où ces derniers concluent un pacte en vue

d’organiser leur futur. Cela se vérifie, en particulier, pour les nombreux pactes qui sont

susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre de rapports de force entre partenaires.

Les pactes d’actionnaires sont en effet des instruments d’anticipation, de prévention et

de protection533. Lorsque les partenaires se rapprochent, pactisent, c’est pour préciser

leurs relations inter-individuelles dans le cadre de l’environnement sociétaire, le contrat

de société en constituant, en quelque sorte, la toile de fond. Ils déterminent ainsi une

stratégie commune, propre à satisfaire les intérêts particuliers de chacun, à appliquer en

cas de survenance d’évènements précis, susceptibles d’intervenir dans l’environnement

extérieur que constitue la société ou dans leurs relations réciproques.

257 - Ainsi, la confiance mutuelle des signataires conditionne-t-elle logiquement le

recours à la conclusion d’un pacte d’actionnaires.

En effet, seule une confiance profonde entre partenaires peut justifier, non seulement

cette tendance qu’ont certains actionnaires à s’imposer eux-mêmes, en marge de la loi

et des statuts, des règles de conduite de leurs relations inter-individuelles, mais encore

que, malgré le caractère a priori peu coercitif de la sanction de l’inexécution de ces

pactes534, la pratique des pactes d’actionnaires n’a jamais cessé et démontre aujourd’hui

toute sa vitalité.

Or, ce sentiment de confiance que partagent les partenaires est inhérent à leur qualité

réciproque d’actionnaire, il constitue le corollaire de l’intérêt commun. Il en résulte que

les actionnaires d’une même société se font automatiquement confiance. Une telle

confiance mutuelle qui, par exception, n’est pas purement instinctive, fonde

l’engagement des partenaires d’un point de vue rationnel, elle en constitue un élément

préalable indispensable. De nature exceptionnellement objective et extérieure à la

532 Voir la définition de pacte, proposée par G. Cornu, op. cit, reproduite supra, Introduction. 533 V. Cuisinier, L’affectio societatis, Litec, 2008, n°549. Et sur le contrat en général, acte de prévision, H. Lécuyer, « Le contrat, acte de prévision », in L’avenir du droit, Mélanges en Hommage à F. Terré, PUF, Dalloz et Jurisclasseur, 1999, p. 643. 534 Voir notamment sur cette question, H. Le Nabasque, « L'exécution forcée des pactes d’actionnaires », avec le concours de G. Terrier, Dr. sociétés, Actes prat., 14/1994; A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004 ; E. Brochier, « L’exécution en nature des pactes entre actionnaires : observations d’un praticien », RDC, 2005, p. 125 et Y. Reihnard, « L’exécution en nature des pactes d’actionnaires », RDC, 2005, p. 115. Voir également, Cass. ch. mixte 26 mai 2006, Bull. Joly, 2006, p. 1072, note H. Le Nabasque et T. com. Paris 25 juin 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1203, note F.-X. Lucas, infirmé par Cour d’appel de Paris, 3ème ch. A 1er juillet 2008, Rev. sociétés, 2008, p. 786, note D. Poracchia.

Page 122: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

122

psychologie des partenaires, la confiance mutuelle des partenaires constitue bien la

cause catégorique des pactes d’actionnaires.

258 - De plus, cette cause catégorique est, par essence, de nature à justifier, à

travers la confiance mutuelle des partenaires, la dimension d’accessoire du contrat de

société que présente le pacte.

En effet, dans la mesure où elle restitue la position d’antériorité nécessaire ainsi que le

rôle permissif des éléments objectifs qui rendent possible l’existence du contrat, la

notion de cause catégorique du contrat fonde, par essence, un rapport de dépendance

et de subordination dudit contrat à l’élément préalable sur lequel porte la cause535. Dès

lors, on trouve dans la confiance mutuelle entre partenaires, inhérente à leur qualité

réciproque d’actionnaire, le fondement de la forme d’accessoire que revêt le pacte au

regard du contrat de société. C’est en effet le contrat de société qui génère la confiance

particulière entre actionnaires en l’absence de laquelle aucun partenariat ne pourrait être

noué entre ces derniers.

259 - Nous avons démontré dans quelle mesure la confiance mutuelle attachée à la

qualité réciproque d’actionnaire est un facteur préalable et déterminant du recours par

les partenaires à la conclusion du pacte.

La qualité réciproque d’actionnaire des partenaires constitue également une condition

préalable et déterminante du pacte dès lors que ce dernier a pour fonction de préciser

les relations individuelles qu’entretiennent les partenaires en cette qualité.

Section 2. L’aménagement des relations réciproques entre actionnaires : cause-

fonction du pacte

260 - Le pacte d’actionnaires a pour fonction d’aménager les relations inter-

individuelles des actionnaires signataires. En ce sens, la qualité réciproque d’actionnaire

des partenaires détermine l’utilité que représente le recours à la conclusion d’un pacte

pour ces derniers. Elle en constitue la cause-fonction, la notion de cause étant alors

envisagée dans sa composante finale et objective comme le but contractuel objectif

inhérent à une structure contractuelle donnée536. Ainsi, si la cause finale du pacte

d’actionnaires réside, subjectivement, dans les mobiles divers et divergents des

535 D. Grimaud, op. cit., n°457. L’auteur a démontré à ce titre que la caus e catégorique fournit au caractère accessoire du cautionnement « sa justification première ». 536 Sur cette notion, voir D. Grimaud, op. cit., n°467.

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123

partenaires, la cause-fonction du pacte, qui vise le moyen d’accéder à cette finalité,

consiste, objectivement, dans l’aménagement des relations entre actionnaires. Cette

dimension causale et fonctionnelle, considérée par une fraction non négligeable de la

doctrine537 comme le critère de qualification de l’accessoire538, est de nature à fonder la

dimension d’accessoire du contrat de société qui caractérise le pacte d’actionnaires.

261 - Par la conclusion d’un pacte, certains actionnaires cherchent à satisfaire leurs

intérêts particuliers, lesquels ne peuvent être pris en compte dans les statuts en raison

de ce que ces derniers sont orientés vers la poursuite de l’intérêt commun et soumis à

ce titre, dans les sociétés anonymes, à une réglementation très rigide.

Si les motifs qui conduisent les actionnaires d’une société à se rapprocher pour conclure

un pacte sont, en pratique, trop complexes et diversifiés pour qu’il soit possible d’en

rendre compte dans toutes leurs nuances et leurs subtilités, ils tendent à s’orienter

autour de deux considérations principales d’ordre politique et financier. Certains pactes

sont conclus entre actionnaires formant un partenariat homogène, au sein duquel les

intérêts des signataires sont convergents, et tournés vers un enjeu politique de

conservation d’un certain pouvoir de contrôle en commun dans la société, que ces

partenaires soient ensemble majoritaires, qu’ils détiennent ensemble une minorité de

blocage, ou encore, qu’ils détiennent à deux, par participations égalitaires ou non, la

quasi-totalité du capital d’une filiale commune. D’autres pactes sont conclus entre

actionnaires formant un partenariat non homogène, dont les intérêts premiers sont

foncièrement divergents, mais peuvent se trouver réunis par la poursuite d’un enjeu

financier. Cet enjeu est donc commun aux partenaires, c’est la raison pour laquelle ces

derniers se rapprochent, mais chacun y trouve un intérêt différent. Ces pactes sont

principalement conclus dans le cadre d’opérations de capital-investissement, par les

actionnaires majoritaires, confrontés à un manque de capitaux, au profit de sociétés

d’investissement en fonds propres, lesquelles prennent une participation minoritaire

dans le capital de la société à des fins exclusivement spéculatives539.

262 - Ainsi, au-delà de la diversité des motifs qui conduisent à la conclusion de

pactes d’actionnaires, il est constant que ces pactes ont pour fonction d’aménager les

537 Notamment, G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°11 et s. et 19 et s. ; M. Cabrillac, « Les accessoires de la créance » in Etudes A. Weill, Dalloz - Litec, 1983, p. 107, n°20 et s. ; D. Grimaud, op. cit., n°318 et Ch. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, T. 37, 2009, n°275 et s. 538 « La nature d’accessoire n’est attribuée qu’au regard de la fonction que tient un élément par rapport à un autre », Ch. Juillet, op. cit, n°275 et s. 539 Si l’enjeu financier est par nature important pour tout actionnaire, certains actionnaires, tels que les sociétés de capital-investissement, font de l’octroi de garanties destinées à préserver leurs intérêts financiers, une condition absolue de leur entrée dans le capital de la société.

Page 124: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

124

relations réciproques que les partenaires entretiennent en leur qualité de co-

actionnaires. S’impose dès lors une distinction entre les pactes organisant les relations

des actionnaires au sein des partenariats homogènes (§ 1) et ceux organisant les

relations des actionnaires au sein des partenariats non homogènes (§ 2).

263 - Précisons à titre liminaire que les pactes les plus fréquemment conclus entre

actionnaires dans la pratique, que nous avons présentés plus haut en distinguant

essentiellement les conventions de vote et les pactes relatifs à la détention du capital540,

sont tous susceptibles de figurer tant au rang des pactes conclus dans le cadre d’un

partenariat homogène qu’au rang de ceux conclus dans le cadre d’un partenariat non

homogène. Les développements qui suivent ne constituent donc qu’une présentation de

la manière dont il est possible pour les actionnaires, dans un certain contexte, de

recourir à ces différentes clauses afin d’organiser leurs relations réciproques.

§ 1. Pactes d’actionnaires et partenariat homogène

264 - Les pactes qui organisent les relations d’actionnaires formant un partenariat

homogène contiennent des engagements pris en général réciproquement par leurs

signataires. La conservation du pouvoir que les partenaires détiennent ensemble, qu’il

s’agisse de la majorité dans les assemblées, d’une minorité de blocage, ou encore, d’un

pouvoir égalitaire ou non dans une filiale commune, est effectivement assurée par la

prise d’engagements pesant sur tous les signataires et bénéficiant à tous.

265 - Ces engagements visent, d’une part, à contrôler la répartition du capital entre

les partenaires, de manière à assurer la conservation du même pouvoir de vote au sein

du groupe homogène. Ils visent, d’autre part, à organiser un exercice coordonné du droit

de vote, par chacun des partenaires, de façon à asseoir ce pouvoir de vote. Nous ne

reviendrons pas sur les conventions de vote, lesquelles ont fait l’objet de

développements antérieurs quant à leurs applications541.

Mais il arrive par ailleurs que, même au sein d’un groupe d’actionnaires homogène, les

partenaires ne s’entendent plus. Dans les filiales communes, on l’a dit, cela peut mener

à un blocage total de la gestion de la société. Dans cette perspective, les pactes

540 Voir supra, Titre 2, Chap. 1. 541 Voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2. Pour un e xemple factuel, voir la convention de votre stipulée dans le cadre d’un pacte conclu entre le Crédit agricole et l'assureur italien Generali, détenant ensemble 10,9% dans le capital de la banque italienne Intesa Sanpaolo, aux termes de laquelle les deux groupes prévoient de se consulter sur les décisions stratégiques et sur les nominations aux organes dirigeants de la société Intesa (« Crédit Agricole assure que les pertes liées à Intesa Sanpaolo sont intégrées », Reuters, 11 mai 09, Philippe Wojazer).

Page 125: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

125

organisent alors également une séparation des partenaires par la sortie forcée de l’un

d’entre eux.

266 - Tandis que la plupart des clauses stipulées dans les pactes organisant les

partenariats homogènes visent à perpétuer la coalition des partenaires par le contrôle de

la répartition du capital entre eux (A), d’autres, anticipant le cas où le partenariat ne

s’opèrerait plus avec succès, permettent de réorganiser cette coalition par la cession

forcée de ses actions par l’un des partenaires (B).

A. Les pactes permettant de perpétuer la coalition des partenaires

267 - Les pactes qui visent à souder une coalition de partenaires dont le niveau de

détention en commun du capital confère à ces derniers un certain pouvoir de contrôle

dans la société consistent soit à figer l’équilibre existant dans la répartition du capital

entre les partenaires, soit à permettre des reclassements de participation entre les

partenaires, soit encore à autoriser des acquisitions limitées d’actions à l’extérieur du

groupe.

Le contrôle qui s’en suit de la répartition du capital détenu en commun assure ainsi le

maintien d’un groupe homogène dont les intérêts convergent vers la poursuite d’une

certaine politique déterminée en commun et approuvée par tous.

268 - Les pactes destinés à figer l’équilibre existant dans la répartition du capital

entre les partenaires, tout d’abord, recourent aux mécanismes de l’interdiction d’acquérir

et de l’interdiction de céder, parfois qualifiée de pacte d’inaliénabilité. De tels pactes se

rencontrent fréquemment dans des filiales communes détenues à parité afin de

maintenir l’exacte égalité entre les partenaires. Précisons qu’en général, dans

l’hypothèse où la société opérerait une augmentation de capital, il est prévu que chacun

des partenaires soit autorisé à souscrire à cette augmentation en proportion de sa

participation dans le capital avant l’opération.

269 - Ensuite, les pactes qui organisent des reclassements de participation entre les

partenaires consistent en des clauses d’agrément et de préemption extra-statutaires.

Ces pactes permettent, lorsque l’un des partenaires souhaite céder ses actions, de

limiter le risque que la participation de ce dernier revienne à un actionnaire qui ne

partagerait pas les mêmes vues que celles du groupe.

Les pactes de préférence, en particulier, confèrent aux partenaires une priorité pour

l’acquisition des titres. La pratique en offre une illustration, dans le cadre d’un groupe

Page 126: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

126

homogène, avec le pacte de préemption conclu réciproquement entre les actionnaires

familiaux de la société SEB lesquels détiennent ensemble 60,56 % des droits de vote,

afin d’assurer le maintien des titres entre des mains familiales542. Ainsi, lorsque l’un des

partenaires cède ses titres, le pacte de préférence permet, si les bénéficiaires entendent

exercer leur droit, de conserver le niveau global de détention du capital au sein du

groupe homogène, seule la ventilation de ce taux de détention étant modifiée en interne

entre les partenaires. Les pactes de préférence doivent en outre prévoir, pour le cas où

plusieurs partenaires souhaiteraient exercer leur droit, une clé de répartition des actions

cédées entre ces derniers, laquelle est en général proportionnelle à leur niveau de

participation au sein du groupe.

Quant aux clauses d’agrément, elles permettent aux partenaires de contrôler l’identité

du candidat à l’acquisition des actions de l’un d’entre eux. Si celui-ci est agréé par

l’ensemble des partenaires, il prendra la place du cédant dans le groupe homogène et

sera en général substitué dans tous les droits et obligations que ce dernier tenait du

pacte. Dans le cas contraire, les partenaires qui refusent l’agrément devront racheter la

participation du partenaire qui souhaite quitter la société, en se répartissant

éventuellement l’obligation de rachat, à proportion de leur taux de participation respectif

au sein du groupe.

270 - Enfin, les pactes qui autorisent des acquisitions limitées à l’extérieur du groupe

empruntent la technique des pactes de non-agression selon laquelle, chaque partenaire

s’engage, pour le cas où il souhaiterait augmenter sa participation, à ne pas dépasser

un certain seuil de détention du capital global que représentera le groupe homogène

après l’acquisition. Dans ce cadre, il est envisageable de prévoir qu’un partenaire ne

pourra acquérir de nouvelles actions à l’extérieur du groupe que si tous les partenaires

sont d’accord pour augmenter leur propre niveau de participation dans les mêmes

proportions, quitte à répartir les actions que le partenaire projetait d’acquérir entre

chacun des partenaires de manière proportionnelle à leur taux de participation au sein

du groupe.

271 - Il est en effet primordial, qu’au sein du groupe homogène, aucun des

partenaires ne prenne trop d’influence. Dans le cas contraire, il en résulterait un risque

de divergence entre les partenaires quant à la politique sociale à adopter par le groupe,

lequel groupe ne serait alors plus homogène. Lorsque, malgré toutes les précautions

prises par la stipulation des clauses précitées, le groupe vient à perdre son

542 « SEB : la famille dénonce le pacte d'actionnaires », Les Echos, 11 mai 2009, Industrie, D. CH (disponible sur : www.lesechos.fr).

Page 127: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

127

homogénéité, d’autres clauses, destinées à s’appliquer spécialement dans une telle

situation de crise, permettent de réorganiser la coalition.

B. Les pactes visant à réorganiser la coalition des partenaires

272 - Lorsque le groupe perd son homogénéité, par la survenance d’un désaccord

entre les partenaires sur la politique à adopter dans le cadre de l’exercice du pouvoir de

contrôle en commun, il importe de réorganiser la coalition des partenaires. Il en est de

même lorsque l’un des partenaires a méconnu les engagements qu’il tenait du pacte ou,

s’agissant d’un partenaire personne morale, lorsque ce dernier a fait l’objet d’un

changement de contrôle ou de direction en des mains non amicales.

Le pacte prévoit alors, à cet effet, la sortie forcée de la société de l’un des partenaires,

les autres membres du groupe rachetant la participation de ce dernier.

273 - Ces clauses de rachat forcé prennent en général la forme de promesses

unilatérales de vente sous condition suspensive, conclues réciproquement entre les

partenaires, lorsque le partenariat regroupe plus de deux actionnaires ou de clauses

d’offre alternative ou d’options croisées dans les partenariats bilatéraux543.

274 - Nous avons exposé le mécanisme d’exclusion forcée organisé sous la forme

d’une promesse unilatérale de vente consentie sous la condition suspensive de

réalisation d’un événement de nature à rendre impossible le maintien du débiteur dans

la coalition par chacun des partenaires au profit des autres partenaires544. Ajoutons

qu’en pratique, le pacte prévoit une clé de répartition, entre les partenaires se

maintenant dans la coalition, des actions détenues par le partenaire exclu de façon

proportionnelle au taux de participation de chacun au sein du groupe redevenu

homogène.

275 - Reste alors à envisager les clauses d’offre alternative et d’options croisées que

l’on rencontre fréquemment dans le cadre des pactes bilatéraux, notamment ceux

conclus dans les filiales communes545. A ce titre, lorsque la réorganisation de la coalition

543 Des clauses d’offre alternative ou d’options croisées peuvent néanmoins être stipulées entre plus de deux partenaires, le pacte en est alors d’autant plus complexe (S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°153). 544 Voir supra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A. 545 La jurisprudence récente offre quelques exemples pratiques d’utilisation de ces pactes. S’agissant des clauses d’offre alternative, voir Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, n°01-9384, 25 ème ch. A, (affaire Banque de Vizille), Bull. Joly, 2002, p. 509, note H. Le Nabasque et dans l’affaire SNCM précitée, Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, note J. Moury, statuant en appel sur T. com. Paris 17 octobre 2006, Dr. sociétés, 2007, 137, comm. H. Hovasse et Bull. Joly, 2007, p. 72, note F.-X. Lucas. Et

Page 128: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

128

s’exprime par la sortie de la société de l’un des partenaires, l’autre s’y maintenant seul,

c’est davantage une rupture de la coalition qu’une réorganisation au sens stricte que ces

pactes mettent en place.

276 - Dans ce mécanisme, directement inspiré de la pratique anglo-saxonne, les

facultés alternatives d’achat ou de vente sont susceptibles d’être exercées, soit au

même moment par chacun des partenaires, c’est le cas des clauses d’offre alternative,

soit au bénéfice d’un seul des partenaires, celui qui n’est pas à l’origine du

déclenchement de la procédure, dans le cadre des clauses d’options croisées ou

américaines.

277 - La rupture de la coalition organisée par les clauses d’offre alternative546, tout

d’abord, se consomme sous la forme d’une faculté alternative et aléatoire d’achat, ou à

défaut, de vente, par chacun des partenaires, d’où la dénomination buy or sell, laquelle

est conditionnée par la survenance d’un événement prédéfini devant conduire à la

rupture de la coalition.

Chaque partenaire a en effet, en cas de survenance de l’événement prédéfini marquant

la réalisation de la condition suspensive, la faculté, ou plutôt, l’obligation,

alternativement, soit de céder ses actions soit d’acquérir celles de l’autre, le partenaire

ayant proposé le prix le plus élevé disposant du choix entre vendre ou acquérir. Selon

une autre modalité, le plus offrant est au final l’acquéreur. La jurisprudence offre un

autre exemple d’application d’une clause d’offre alternative dans le cadre d’une clause

d’entraînement547, dans laquelle les partenaires sont soumis aux conditions générales,

notamment de prix, proposées par un tiers et approuvées par la majorité des

actionnaires548.

Il arrive toutefois que la clause d’offre alternative ne soit pas mise en œuvre de manière

purement aléatoire, un seul des partenaires, celui auquel la rupture n’est pas imputable,

disposant alors de la faculté unilatérale de choisir entre vendre et acquérir. Ainsi en

était-il dans le cadre de l’affaire SNCM ayant donné lieux aux arrêts précités de la Cour

s’agissant des clauses d’options croisées, voir Cass. com. 28 avril 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 136, H. Hovasse et RTD. civ., 2009, p. 525, note B. Fages. 546 Clauses qualifiées de buy or sell par les anglo-saxons, elles ont reçu de la part des praticiens toutes sortes de dénominations : clause omelette, roulette russe, etc. 547 Voir supra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A. 548 Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001 (affaire Banque de Vizille), précité. En l’espèce, la clause d’offre alternative stipulée dans le pacte met à la charge de chacun des partenaires, en cas d’émission par un tiers d’une offre de rachat global de la totalité des actions de la société et approuvée par la majorité des actionnaires, l’obligation alternative soit de céder ses titres avec les autres actionnaires, dans les conditions offertes et acceptées, soit de racheter les titres des autres actionnaires, à ces mêmes conditions.

Page 129: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

129

d’appel de Paris du 15 décembre 2006549 et de la Cour de cassation du 6 novembre

2007550 relatifs à la durée des pactes d’actionnaires. Il était en effet stipulé que « Dans le

cas où l’une ou l’autre des parties aux présentes serait à l’origine d’une prise de décision

ayant pour conséquence un manquement important au dit accord de coopération ou un

changement substantiel de la politique de la Méridionale [sous-filiale commune]

entraînant un profond désaccord entre le SNCM et la CMO [les partenaires], la partie à

l’origine de la décision, s’engage à première demande de l’autre, et au choix de l’autre,

soit à lui vendre tout ou partie des titres qu’elle détiendra dans la société CMP [filiale

commune, société cible du pacte], soit à lui acheter tout ou partie des siens ». Un tel

pacte, qui peut conduire son bénéficiaire à choisir de rester seul maître à bord en cas de

faute de son partenaire, s’apparente davantage à une exclusion551 qu’à une rupture,

inspirée d’égalité par son caractère aléatoire, des rapports liant les membres de la

coalition. Il doit, selon nous, respecter les conditions de validité des clauses d’exclusion

prenant la forme d’une promesse de cession forcée552.

278 - Une variante de la clause d’offre alternative réside dans la clause d’options

croisées553, dite également clause américaine, dans le cadre de laquelle un seul des

partenaires bénéficie d’une faculté alternative.

Cette clause implique, à la suite de la manifestation de son intention de vendre par l’un

des partenaires, la faculté, ou plutôt, l’obligation pour l’autre, alternativement, soit

d’acquérir les titres de son partenaire, soit, à défaut, de vendre ses propres titres, au prix

proposé par le partenaire à l’initiative du déclenchement de la procédure, ce dernier

étant alors tenu de les lui acheter. Plus exactement, si un partenaire A décide de vendre

ses actions moyennant un certain prix, le partenaire B aura la faculté de lever l’option

d’achat dont il dispose sur les actions de A. Mais si B, ne souhaitant pas acquérir les

actions de A, ne lève pas cette option d’achat, alors il devra lui-même céder ses actions

à A, au prix proposé par A lui-même, A étant tenu de les lui acheter.

La condition à laquelle est suspendu le déclenchement de la procédure de séparation

dépend donc de la seule volonté de l’un des partenaires. Il apparaît qu’un tel pacte vise,

549 Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, précité, D., 2007, p. 2045, note J. Moury ; Bull. Joly, 2007, n°4, p. 479, note F.-X. Lucas et RTD com., 2007, p. 169, note P. Le Cannu, statuant en appel sur T. com. Paris 17 octobre 2006, précité, Dr. sociétés, 2007, 137, comm. H. Hovasse et Bull. Joly, 2007, p. 72, note F.-X. Lucas. 550 Cass. com. 6 novembre 2007, précitée, Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury ; D., 2008, p. 1024, note. B. Dondero, précitée ; Bull. Joly, 2008, p. 125, note X. Vamparys; Dr. sociétés, 2008, comm. n°10, obs. H. Hovasse et Les Echos, n°20053, 23 novembre 2007, p. 12, Ph. Delebecque. 551 En ce sens, H. Hovasse, note précitée sous T. com. Paris 17 octobre 2006 et P. Le Cannu, note précitée sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006. Contra, sur ce point, T. com. Paris 17 octobre 2006 confirmé par Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, précités. 552 Voir supra, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, § 1. B. 553 Clause qualifiée de put and call par les anglo-saxons.

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130

au fond, à faire pression sur chacun des partenaires afin de dissuader ces derniers

d’user de leur droit de céder leurs titres. En effet, chacun est exposé, s’il propose de

céder ses titres, au risque de devoir racheter ceux de l’autre au prix qu’il avait lui-même

proposé pour la vente des siens. Ainsi que l’a remarqué un auteur, ce mécanisme

assure, en quelque sorte, « un équilibre de la terreur »554. Il semble bien que les clauses

d’options croisées constituent le moyen de forcer les partenaires à s’entendre et de

maintenir la coalition dans le cadre d’un groupement qui ne présente plus réellement

d’homogénéité555.

279 - En cela, elles se distinguent des clauses qui visent à organiser les relations

d’actionnaires formant un groupe non homogène au sein duquel les intérêts particuliers

des partenaires divergent fondamentalement du début jusqu’au terme du partenariat.

§ 2. Pactes d’actionnaires et partenariat non homog ène

280 - Le cadre type du partenariat non homogène556 est constitué par l’opération de

capital-investissement, laquelle consiste en une « prise de participation minoritaire dans

une société non cotée en vue de réaliser une plus-value à moyen ou long terme »557. La

société bénéficie ainsi d’une augmentation de capitaux propres, conditionnée toutefois,

par l’octroi, à l’investisseur minoritaire, par les actionnaires majoritaires et dirigeants, de

conditions préférentielles de sortie et autres avantages financiers ou politiques destinés

à encadrer, dans une certaine mesure, le risque social auquel est soumis l’investisseur.

Dans cette perspective, les capacités de l’équipe dirigeante ainsi que l’identité des

actionnaires majoritaires sont déterminantes dans la décision d’investir du minoritaire

tant la valorisation de l’entreprise, et donc les chances de réaliser une plus-value lors de

la cession des actions, dépend étroitement de la conduite des affaires opérée dans la

société.

554 Voir S. Prat, op. cit., n°153. 555 Elles conduiront plus vraisemblablement les partenaires à quitter ensemble la société, ainsi qu’il en était dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu au seul exemple d’application d’une clause d’options croisées, offert, à notre connaissance, par la jurisprudence récente (Cass. com. 28 avril 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 136, H. Hovasse et RTD. civ., 2009, p. 525, note B. Fages). 556 On pourrait également associer aux partenariats non homogènes les pactes conclus dans le cadre de conventions de earn out, lesquelles accompagnent la cession échelonnée dans le temps du contrôle d’une société dont l’ancien contrôlaire continue, en cours de déroulement de l’opération, d’être intéressé par les performances de la société. Sur cette question, voir F-D. Poitrinal, « Cessions d'entreprises : les conventions de "earn out" », JCP, éd. E, 1999, p. 19. Ce partenariat non homogène nous semble toutefois moins caractéristique en ce qu’il n’est pas grevé d’un rapport de domination aussi significatif que celui qui prévaut dans le cadre des opérations de capital-investissement. Voir également dans un contexte proche de celui du capital-risque mais moins empreint d’un rapport de domination entre actionnaires, N.-L. Ravisy et M.-I. Levesque « Les accords conclus entre actionnaires dans les opérations de LBO », Gaz. Pal, 2004, p. 9 557 J.-J. Daigre, « Pacte d’actionnaires et capital-risque : Typologie et appréciation », Bull. Joly, 1993, § 40, p. 157, n°1.

Page 131: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

131

281 - Des pactes d’actionnaires sont donc systématiquement conclus

concomitamment à l’entrée dans le capital de l’investisseur, pour la durée de l’opération

d’investissement. Ils sont empreints d’un fort intuitus personae pour leurs bénéficiaires

et caractéristiques d’un partenariat non homogène en ce sens qu’ils sont exclusivement

unilatéraux et présentent bien souvent la nature de contrats d’adhésion du point de vue

des actionnaires majoritaires558, lesquels trouvent leur intérêt dans la possibilité de

bénéficier de nouveaux capitaux en fonds propres sans perdre le contrôle de la société.

Ces pactes sont consentis par les actionnaires majoritaires et dirigeants au profit de

l’investisseur minoritaire, ils sont l’expression du rapport de force qui grève les relations

entre actionnaires au sein du partenariat non homogène, l’équipe majoritaire et

dirigeante représentant le partenaire dominé et la société de capital-investissement, le

partenaire dominant.

282 - Les relations des partenaires sont organisées par des pactes destinés à

assurer le maintien du rapport de domination en cours de partenariat (A) puis la sortie

du partenaire dominant, dans des conditions préférentielles, lors du dénouement du

partenariat (B).

A. Les pactes assurant le maintien du rapport de domination

283 - La société d’investissement négocie comme condition de son entrée au capital,

l’obtention d’un ensemble d’engagements de la part des actionnaires majoritaires et

dirigeants, destinés à asseoir sa domination sur ces derniers.

Ces pactes lui assurent en effet, le contrôle de l’identité de l’équipe dirigeante et des

cessions et acquisitions d’actions intervenant au sein de la majorité, d’une part, et une

intervention dans la gestion de la société, d’autre part559.

284 - Le contrôle de l’identité de l’équipe dirigeante en place ainsi que des

mouvements d’actions détenues par les majoritaires, tout d’abord, permet à la société

558 J.-J. Daigre, op. cit., n°4, en raisonnant dans le cadre de sociétés PME. 559 En pratique, dans les opérations de capital-investissement, d’autres pactes organisent les relations réciproques de l’investisseur et des actionnaires majoritaires et dirigeants. Nous ne traiterons notamment pas dans cette étude, par souci de concision, de certains avantages financiers que les sociétés d’investissement exigent souvent au regard de l’ajustement du prix d’entrée ou du versement des dividendes, pour lesquels la liberté contractuelle demeure très faible. Sur la question très spécifique des clauses de ratchet, inspirées du droit anglo-saxon, voir M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1624, citant notamment Dupont e t Brunswick, Ajustement de prix et capital-investissement, AFIC, 2002, p. 44 et Dione, « L’ajustement de valorisation… », RJDA, 2006, p. 1017. S’agissant du versement de dividendes privilégiés, voir, Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°238.

Page 132: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

132

d’investissement d’asseoir sa domination. Nous l’avons dit, la personne des actionnaires

majoritaires et dirigeants est essentielle pour l’investisseur dès lors que leurs qualités

d’entrepreneur conditionnent le succès financier de l’opération.

Dans cette perspective, la société d’investissement requiert des actionnaires

majoritaires que ces derniers prennent l’engagement de ne pas céder leurs titres sans

son accord. Un tel pacte d’inaliénabilité est susceptible de peser sur les actionnaires

exerçant une fonction de direction pour la durée projetée de l’opération

d’investissement, mais il peut également être plus court et durer le temps de la mise en

place du partenariat. Les actionnaires majoritaires s’engagent ensuite, au terme de cette

période de démarrage, ou dès le début du partenariat en l’absence de tout engagement

d’inaliénabilité, à proposer par priorité à l’investisseur les actions qu’ils souhaitent céder

et, à défaut d’exercice de sa faculté d’achat par ce dernier, à obtenir l’agrément de

l’investisseur sur la personne du cessionnaire, faute de quoi la cession ne pourra avoir

lieu. Ils s’engagent en outre, en tout état de cause, à ne pas faire descendre leur

participation au-dessous d’un certain seuil majoritaire de référence. De tels pactes

permettent de garantir le maintien de la direction en place et de l’actionnariat majoritaire

au sein de la société, et par là, de consolider le pouvoir de contrôle et la domination que

l’investisseur exerce sur l’actionnariat majoritaire et dirigeant.

Si, au contraire, les actionnaires majoritaires souhaitent augmenter leur participation en

acquérant des actions auprès de tiers au partenariat ou en souscrivant à une éventuelle

augmentation de capital, leurs droits à acquérir peuvent être limités par un certain

plafond de majorité qu’ils se sont engagés à ne pas dépasser aux termes d’un pacte de

non-agression consenti au profit de la société d’investissement. De plus, lorsqu’une

augmentation de capital est réservée à certains actionnaires, en conséquence de quoi la

société d’investissement ne peut y souscrire, cette dernière peut s’être ménagée une

défense contre la dilution de sa participation, pour le cas où elle souhaiterait néanmoins

poursuivre l’opération d’investissement. Pour ce faire, l’investisseur obtient des

actionnaires majoritaires souscripteurs à l’augmentation, le bénéfice d’une promesse

unilatérale de vente lui conférant la faculté d’obtenir la rétrocession du nombre d’actions

nécessaire à maintenir constant, après l’augmentation de capital, son taux de

participation minoritaire, à un prix préférentiel, en général celui de l’émission.

285 - En sus de ce contrôle des mutations de capital opérées au sein de l’équipe

majoritaire et dirigeante, la société d’investissement se fait également consentir par les

partenaires majoritaires divers pactes de nature à lui garantir un certain contrôle des

décisions de gestion prises par ces derniers. Une telle intervention dans la gestion de la

société permet en effet à l’investisseur de s’assurer de ce que les actionnaires

Page 133: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

133

majoritaires et dirigeants, dont il a remarqué les qualités managériales et sur lesquels il

pense exercer une certaine domination, mènent bien une politique de gestion favorable

à une meilleure valorisation possible de la société à l’échéance prévue pour sa sortie. Il

s’agit des pactes de renforcement de l’information560 et des conventions de vote561. Ces

dernières consistent notamment à conférer à l’investisseur un droit d’autorisation

préalable à la prise par l’équipe majoritaire et dirigeante de toute décision qui serait

susceptible d’affecter l’équilibre du capital, l’équilibre financier ou le patrimoine social. La

société d’investissement peut, en outre, souhaiter intégrer un organe de direction en s’y

faisant réserver un ou plusieurs sièges.

286 - Enfin, pour s’assurer du respect par les partenaires dirigeants des obligations

qu’ils tiennent du pacte, il est possible pour la société d’investissement de se ménager le

droit d’exclure ces derniers en requérant le bénéfice d’une promesse unilatérale de

vente pesant sur ces dirigeants, sous la condition suspensive de la commission d’une

faute de leur part. Cette faculté d’exclusion ne joue toutefois qu’un rôle coercitif, c’est en

effet la sortie volontaire de l’investisseur qui risque davantage de se produire dans un tel

cas, a fortiori si les partenaires fautifs sont majoritaires, à travers l’exercice par ce

dernier d’une faculté de retrait-sanction.

287 - Outre les pactes destinés à assurer le maintien du rapport de domination tout

au long du partenariat, la société d’investissement négocie surtout, et en premier lieu,

comme condition absolue de son entrée au capital de la société, des conditions

préférentielles de sortie lors du dénouement du partenariat.

B. Les pactes assurant la sortie du partenaire dominant

288 - Le partenariat conclu entre la société d’investissement et les actionnaires

majoritaires et dirigeants prend fin, soit au terme de la durée projetée de l’opération

d’investissement, en général 5 à 10 ans562, soit prématurément, à l’initiative du

partenaire dominant. Les pactes qui organisent les conditions de la sortie de

l’investisseur, et donc de la dissolution du partenariat, sont au cœur de toute l’opération

d’investissement, ils y jouent un rôle majeur.

L’investisseur organise ainsi, avant toute chose, les conditions préférentielles de sa

sortie au terme de l’opération d’investissement de manière à générer une plus-value. Il

560 Voir supra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A. 561 Voir supra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. B et § 2 . 562 J.-J. Daigre, « Pacte d’actionnaires et capital-risque : Typologie et appréciation », Bull. Joly, 1993, § 40, p. 157, III.

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134

se ménage par ailleurs, pour le cas où il viendrait à perdre son pouvoir de domination

effective, la faculté de quitter la société plus tôt, s’il le souhaite, en ayant la garantie de

pouvoir céder sa participation dans des conditions de risque atténué.

289 - Il arrive que pour de multiples raisons, la société d’investissement préfère se

dégager de l’affaire prématurément, soit qu’elle n’ait pu empêcher un renversement de

la direction ou l’intrusion de personnes présentant un danger au sein de la majorité, soit

qu’elle trouve sa participation fortement diluée à l’issue d’une opération en capital, soit,

encore, que l’équipe dirigeante ait pris des décisions de nature à compromettre la

rentabilité de son investissement ou en raison de la survenance de tout événement

déterminé prévu dans le pacte. Cette sortie prématurée signe donc le plus souvent un

échec de l’opération d’investissement corrélatif à la perte de son rapport de domination

par l’investisseur. L’investisseur anticipe nécessairement une telle situation, et pour

minimiser son risque, il obtient des actionnaires majoritaires, dès avant son

investissement effectif dans la société, la garantie de pouvoir la quitter à tout moment à

des conditions de prix préférentielles.

Dans un premier scénario, celui de la dilution de la participation de l’investisseur,

ou de l’adoption par les dirigeants de décisions de gestion susceptibles d’avoir une

incidence très négative sur les résultats sociaux, ou encore, de la méconnaissance par

ces derniers de leurs engagements souscrits au terme du pacte, l’investisseur se retire

de la société en exerçant une faculté de retrait. Pour se faire, la société d’investissement

lève l’option dont elle dispose, en vertu de la promesse unilatérale d’achat consentie à

son profit par les actionnaires majoritaires et dirigeants sous la condition suspensive de

la survenance des évènements susvisés. L’investisseur a ainsi la possibilité de céder

ses actions à un prix déterminé, ou tout au moins déterminable, assurant un rendement

minimal à son concours financier. Ce prix est en général déterminable selon une formule

prédéfinie d’évaluation de la société cible, dont un tiers pourra être chargé de veiller à

l’application563, laquelle formule est pondérée en fonction d’éléments significatifs

favorables à une bonne valorisation et assortie en tout état de cause d’une valeur

plancher564. Ce prix plancher de retrait jouera un rôle d’autant plus déterminant pour

563 Le pacte prévoit en effet quasi-systématiquement l’intervention d’un tiers en cas de désaccord entre les parties sur l’application effective de la formule qu’ils ont arrêtée ensemble, ce qui n’est pas sans susciter des difficultés en droit positif. Sur cette question, voir infra, Partie 2, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2. 564 Sur les incertitudes que suscite en droit positif la pratique des promesses d’achat à prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines, voir infra, Partie 2, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 2.

Page 135: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

135

éviter toute moins-value à l’investisseur, que la gestion opérée par les dirigeants aura

obéré la situation financière de la société565.

Dans un second scénario, la sortie de l’investisseur accompagne la sortie

groupée des partenaires, actionnaires majoritaires et dirigeants, que l’investisseur n’est

pas parvenu à maintenir dans la société. La société d’investissement n’a pas vocation à

prendre le contrôle majoritaire de la société cible, aussi, dans un tel cas, plutôt que de

préempter les titres566, préférera-t-elle exercer la faculté de sortie conjointe qu’elle se

sera faite consentir par l’équipe majoritaire et dirigeante et bénéficier du prix de cession

majoré attaché à la cession du bloc de contrôle. Le bénéfice de tels pactes, qui

permettent à l’investisseur d’accroître la liquidité de sa participation tout en échappant à

une décote de minorité et lui évitent de se retrouver bloqué dans une société qui va être

dirigée par des personnes qui lui sont étrangères et sur lesquelles il n’a pu asseoir sa

domination, est primordial pour l’investisseur. En pratique, les actionnaires majoritaires

s’engagent envers l’investisseur à ne pas céder le contrôle de la société, sauf à lui

garantir la possibilité de céder conjointement et concomitamment sa propre participation

aux mêmes conditions que le bloc de contrôle.

290 - Si, au contraire, l’opération d’investissement est menée jusqu’au terme projeté,

l’investisseur peut alors céder sa participation à la personne de son choix dans des

conditions lui permettant de maximiser sa plus-value.

La cession intervient le plus souvent567 au profit des majoritaires, aux conditions

préférentielles que l’investisseur s’est faites consentir par ces derniers, dans le cadre

d’un pacte de retrait. Le mécanisme est le même que celui précédemment décrit pour

une sortie anticipée mais à des conditions de prix encore plus avantageuses, en termes

de formule d’évaluation et de prix plancher, dont l’investisseur ne peut bénéficier qu’au

terme de la durée prévue pour l’investissement ou après une certaine durée minimale de

maintien dans le capital social. En définitive, le pacte de retrait, qui est au premier plan

dans toute opération de capital-investissement, prend la forme d’une promesse

unilatérale d’achat modulable, consentie par les actionnaires majoritaires et dirigeants

au profit de l’investisseur, lequel ne peut lever son option qu’une fois passé un certain

565 M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°342. 566 Sauf à ce que l’investisseur ait trouvé un candidat à l’acquisition, dont les qualités managériales sont satisfaisantes, auquel rétrocéder le bloc de titres majoritaire. 567 Il est également envisageable, dans les sociétés de taille moyenne intervenant dans des secteurs clés tels que l’industrie, susceptibles de susciter l’intérêt de groupes, ou dans les sociétés moyennes à caractère familial destinées à sortir du giron familial, qu’au terme convenu de l’opération, l’investisseur cède ses actions conjointement avec le groupe majoritaire à un repreneur dans les conditions d’un pacte de sortie conjointe précédemment évoquées.

Page 136: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

136

délai, ou plus tôt, en cas de réalisation de certaines conditions suspensives, et à un prix

qui diffère selon que cette levée intervient de manière anticipée ou à la date projetée

pour la fin de l’opération.

291 - De ces développements, qui ne constituent, rappelons-le, qu’une illustration de

la manière dont les pactes d’actionnaires sont susceptibles d’aménager les relations

individuelles entre actionnaires, il se dégage une constante. Au-delà de la diversité des

mobiles que poursuivent les partenaires et qui ne peuvent être pris en compte dans le

contrat de société, l’utilité première des pactes réside dans l’organisation des relations

que les partenaires entretiennent en leur qualité réciproque d’actionnaire. La cause-

fonction de tout pacte a donc pour support cette relation.

Conclusion du Chapitre 2

292 - Les pactes d’actionnaires trouvent leur cause, entendue comme leur condition

préalable et déterminante, dans la qualité réciproque d’actionnaire des partenaires, et

cela à deux égards. En premier lieu, c’est la confiance mutuelle inhérente à la qualité

réciproque d’actionnaire qui rend logiquement possible la conclusion d’un pacte entre

les partenaires. Ensuite, c’est cette qualité réciproque qui détermine l’utilité du pacte

pour les partenaires, ce dernier ayant pour fonction d’aménager leurs relations inter-

individuelles d’actionnaires. Dans les deux perspectives, la qualité réciproque

d’actionnaire des partenaires constitue une cause objective du pacte.

293 - D’une part, la qualité réciproque d’actionnaire des partenaires a pour corollaire

une relation de confiance qui est indispensable à la conclusion du pacte. La confiance

mutuelle entre actionnaires, induite par la poursuite de l’intérêt commun, se prolonge en

effet dans les relations entre partenaires, ce qui confère une coloration particulière au

devoir de loyauté auquel ces derniers sont réciproquement tenus. Or, cette confiance

mutuelle entre partenaires, qui est permanente et singulièrement objective, en ce qu’elle

est automatiquement attachée à la qualité réciproque d’actionnaire, fonde

rationnellement l’engagement des partenaires dans le pacte. En tant que facteur

permissif pour la conclusion du pacte, elle constitue la cause catégorique de ce dernier.

294 - Dans une autre perspective, la qualité réciproque d’actionnaire des partenaires

détermine l’utilité du pacte, ce dernier ayant pour fonction d’aménager les relations

réciproques que les partenaires entretiennent en leur qualité même de co-actionnaires.

En ce sens, l’aménagement de ces relations constitue la cause-fonction du pacte, la

Page 137: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

137

cause étant alors envisagée dans sa composante finale et objective. Ainsi, malgré la

diversité des mobiles qui conduisent certains actionnaires à conclure un pacte, et qui

répondent à des enjeux essentiellement politique ou financier, les partenaires trouvent

dans le pacte le moyen d’organiser leurs relations d’actionnaires en vue d’accéder à la

finalité qu’ils poursuivent. Dans le cadre d’un partenariat homogène réunissant des

actionnaires détenteurs d’un pouvoir politique de contrôle en commun de la société, le

pacte vise alors à assurer la cohésion de la coalition et, pour le cas où l’homogénéité du

partenariat viendrait à se dissoudre, à réorganiser cette coalition. Au contraire, dans le

cadre d’un partenariat non homogène, au sein duquel les relations des actionnaires

signataires sont grevées de rapports de force d’ordre essentiellement financier, ainsi

qu’il en est dans les opérations de capital-investissement, le pacte est conclu en vue de

maintenir la domination de l’investisseur pendant toute l’opération et assurer à ce

dernier, au dénouement de l’opération, sa sortie dans des conditions préférentielles.

295 - Cet emprunt de la cause du pacte d’actionnaires au contrat de société et, plus

précisément, à la qualité réciproque d’actionnaire des signataires, la notion de cause

étant appréciée sous ses deux acceptions efficiente et fonctionnelle, est de nature à

fonder la dimension d’accessoire du contrat de société que présente le pacte.

Conclusion du Titre 2

296 - L’emprunt par les pactes d’actionnaires de leur objet et de leur cause au

contrat de société fonde d’une manière dualiste, mais toujours objective et matérielle, la

forme d’accessoire du contrat de société que revêt le pacte. En effet, les pactes

d’actionnaires ont matériellement pour objet les éléments constitutifs du contrat de

société, ils aménagent ces attributs de la qualité d’actionnaire que sont l’exercice du

droit de vote et la propriété des actions. En outre, les pactes d’actionnaires trouvent leur

cause dans la qualité réciproque d’actionnaire des partenaires, cette qualité rendant non

seulement possible mais encore utile la conclusion du pacte.

297 - Un premier fondement de la dimension d’accessoire du contrat de société

présentée par le pacte d’actionnaires réside ainsi, de manière quasi-évidente, dans

l’emprunt par le pacte de son objet au contrat de société. L’influence objective exercée

par cet emprunt sur l’existence du pacte a logiquement été caractérisée, dans le titre

précédent, par la caducité qui résulte pour ce dernier de la disparition du contrat de

Page 138: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

138

société ou de celle des titres eux-mêmes. Il apparaît que la dimension d’accessoire du

contrat de société qui caractérise le pacte d’actionnaires est le prolongement naturel de

ce constat selon lequel le pacte est dépourvu d’objet propre. Cette forme de rapport

d’accessoire à principal repose à cet égard sur une relation de dépendance à double

détente du pacte au contrat de société en ce sens que le lien objectif du pacte au contrat

de société est assuré par la qualité d’actionnaire des partenaires, l’objet emprunté par le

pacte au contrat de société constituant nécessairement un attribut de cette qualité. Mais

la qualité d’actionnaire des partenaires représente davantage qu’un lien entre l’objet du

pacte et le contrat de société.

298 - En effet, envisagée sous son aspect réciproque, la qualité d’actionnaire des

partenaires fonde la dimension d’accessoire du pacte d’un point de vue causal. Les

pactes d’actionnaires trouvent ainsi, et à double titre, leur cause dans la qualité

réciproque d’actionnaire de leurs signataires, la notion de cause étant entendue selon sa

conception efficiente comme la cause catégorique, d’une part, et selon sa conception

finale comme la cause-fonction, d’autre part.

Les pactes d’actionnaires ont, d’une part, pour cause catégorique la confiance mutuelle

inhérente à la qualité réciproque d’actionnaires des partenaires. Or, nous l’avons dit, la

cause catégorique d’un contrat fonde par nature la relation de subordination dans

laquelle le contrat se place au regard du facteur préalable et permissif sur lequel porte la

cause. La relation entre actionnaires sur la base de laquelle repose la confiance

mutuelle fonde donc la forme d’accessoire du contrat de société que revêt le pacte. La

cause catégorique est en outre complétée par la cause-fonction du pacte d’actionnaires

pour former ensemble le fondement causal complet de cette dimension d’accessoire.

C’est en effet cette même relation entre actionnaires qui sert de support utile au pacte,

la fonction de ce dernier résidant dans l’aménagement des relations réciproques que les

partenaires entretiennent en leur qualité d’actionnaire.

La localisation des cause catégorique et cause-fonction du pacte d’actionnaires dans la

relation entre actionnaires résultant du contrat de société est donc de nature à fonder de

manière objective et matérielle la dimension d’accessoire que présente le pacte au

regard du contrat de société. L’existence de cette relation support constitue

effectivement une condition préalable et déterminante de la conclusion d’un pacte, elle

justifie l’antériorité nécessaire du contrat de société et la dépendance du pacte à ce

dernier.

Page 139: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

139

299 - Ainsi, l’objet matériel et la cause des pactes d’actionnaires, cette dernière étant

retenue sous ses deux acceptions de cause efficiente et catégorique ainsi que de

cause-fonction, constituent ensemble les fondements de la forme de rapport

d’accessoire à principal que recouvre la dépendance du pacte au contrat de société. Il

apparaît que les raisons profondes de cette dépendance au contrat de société sont

identiques pour tous les pactes d’actionnaires en dépit de leur extrême diversité. On

peut donc conclure à l’unité de la dimension d’accessoire du contrat de société qui

caractérise les pactes d’actionnaires.

Page 140: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

140

CONCLUSION DE LA PARTIE I

300 - Le pacte d’actionnaires, s’il est par nature fondamentalement distinct du contrat

de société, se place dans une relation de dépendance à ce dernier qui est proche du

rapport juridique d’accessoire à principal. Un auteur a, semble-t-il, de manière plus

radicale, exactement assimilé la dépendance du pacte au contrat de société au rapport

d’accessoire à principal. On peut en effet lire, sous la plume du Professeur Jacques

Moury, qu’« Un pacte extra-statutaire n’a de réalité que dans la dépendance d’une autre

convention à laquelle il s’adosse obligatoirement, le contrat de société. Dans un rapport

d’accessoire à principal, l’existence du pacte d’actionnaires est indissociablement liée

non seulement à celle de la société dont sont actionnaires les parties, mais encore, pour

chacune d’elles, à sa qualité d’actionnaire dans cette société »568.

301 - Nous avons ainsi pu caractériser et rechercher les fondements de cette forme

d’accessoire du contrat de société que présente le pacte d’actionnaires. Cette dimension

d’accessoire est commune à tous les pactes d’actionnaires malgré la grande diversité de

ces derniers. Ses caractéristiques et ses fondements reposent en effet sur des

constantes qui dépassent l’hétérogénéité des pactes.

302 - La dépendance du pacte d’actionnaires au contrat de société se caractérise de

la manière la plus évidente par la caducité qu’entraîne automatiquement pour le pacte la

disparition de la société. La jurisprudence a d’ailleurs déduit de ce que la durée du

contrat de société borne naturellement celle du pacte569, la présomption selon laquelle,

la durée du pacte est réputée être, à défaut de précision contraire, alignée sur celle du

contrat de société. La disparition du pacte peut également survenir antérieurement à

celle du contrat de société, du fait de la caducité que provoque automatiquement pour le

pacte, la disparition des actions ou la perte de la qualité d’actionnaire des partenaires.

Cet effet ricochet qu’a sur le pacte la disparition de l’un de ces éléments dans

l’environnement sociétaire extérieur, lesquels s’avèrent être essentiels à l’existence et

au maintien du pacte, n’est pas sans rappeler la manière dont « ce qui touche le

principal touche aussi l’accessoire dans la mesure où il est atteint dans son support »570.

568 J Moury, « Remarques sur la qualification, quant à leur durée, des pactes d’associés », commentaire sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, D., 2007, p. 2045, n°10. 569 J Moury, op. cit., n°10. 570 G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°24.

Page 141: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

141

303 - Il s’avère que les pactes d’actionnaires trouvent leur objet et leur cause dans le

contrat de société et c’est cet emprunt qui fonde la dimension d’accessoire du contrat de

société qu’ils présentent tous sans exception. En effet, peu important leur diversité, tous

les pactes conclus entre actionnaires ont pour objet la détention des actions et/ou

l’exercice du droit de vote attaché à ces actions, éléments constitutifs de la structure et

du fonctionnement du contrat de société. Ils trouvent en outre leur raison d’être, selon

deux conceptions de la notion de cause, cette dernière étant entendue comme la cause

efficiente et catégorique, d’une part, et la cause-fonction, d’autre part, dans la relation de

base existant entre les signataires en leur qualité réciproque d’actionnaire.

Il apparaît ainsi que la dépendance des pactes d’actionnaires repose sur trois vecteurs

de rattachement au contrat de société : le capital social, le droit de vote et la qualité

d’actionnaire. L’aménagement de ces points de rattachement par les conventions extra-

statutaires entre actionnaires constitue alors autant de facteurs d’intrusion ou

d’interférence des pactes dans le fonctionnement et dans la structure de la société, ce

qui justifie la dimension d’accessoire du contrat de société qui caractérise ces derniers.

304 - Il convient désormais de vérifier dans quelle mesure cette forme de rapport

d’accessoire à principal que recouvre la dépendance des pactes d’actionnaires au

contrat de société induit, par analogie avec la théorie de l’accessoire, une influence de

l’environnement sociétaire sur le régime des pactes.

Or, malgré l’unité de la dimension d’accessoire du contrat de société que présentent les

pactes d’actionnaires, il paraît difficile d’en développer une analyse systémique en

raison de ce que cette dimension présente, d’un pacte à un autre, des degrés variables

de dépendance au contrat de société.

305 - Nous avons toutefois dégagé une grande tendance des pactes à cet égard :

alors que les pactes relatifs à l’exercice du pouvoir au sein de la société réalisent une

intrusion directe au cœur du fonctionnement de cette dernière, les pactes relatifs à la

détention du capital interfèrent, dans leur ensemble, de manière plus modérée avec le

fonctionnement et la structure de la société.

A cela, il convient d’ajouter, pour ces derniers, que les pactes relatifs à la détention du

capital restent tout de même, dans une certaine mesure, liés au fonctionnement de la

société, tant du point de vue de la société elle-même, laquelle rend les transferts de

propriété effectifs en opérant les inscriptions requises dans ses registres de comptes,

que du point de vue des actionnaires signataires, lesquels sont titulaires d’actions par

principe librement négociables, ou encore des actionnaires non signataires, lesquels

poursuivent un intérêt commun avec les premiers. Nous avons vu, en outre, que certains

Page 142: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

142

pactes relatifs à la détention du capital interfèrent directement avec la structure de la

société en ce sens qu’ils aménagent l’acquisition ou la perte de la qualité d’actionnaire.

306 - L’on peut remarquer, sur un plan général, que dans le cadre du rapport

d’accessoire à principal, on observe identiquement divers « degrés dans la force du lien

unissant l’accessoire au principal »571, ce dernier étant plus ou moins distendu572.

Les divers degrés que nous avons identifiés dans la dimension d’accessoire des pactes

d’actionnaires permettent ainsi de rapprocher cette dernière du concept

d’« accessoriété » dégagé par D. Grimaud en matière de sûretés personnelles : « jamais

le caractère accessoire ou autonome d’une garantie n’existe de façon absolue. […] toute

sûreté personnelle entretient, en réalité, avec le contrat de base une relation bipolaire,

indépendance et accessoriété, loin de s’exclure, coexistant toujours, mais à des degrés

variables »573. Or, dès lors qu’il existe des degrés dans la dépendance ou

l’indépendance au principal, très logiquement574, « la mise en œuvre de la règle de

l’accessoire est [elle-même] susceptible de degrés »575.

307 - Ainsi, à l’unité de la dimension d’accessoire du contrat de société présentée

par les pactes d’actionnaires est associée une variabilité, d’un type de pacte à un autre,

du degré de dépendance au contrat de société576, laquelle devrait être à l’origine d’une

influence variable, sur chacun de ces pactes, du régime auquel le contrat de société est

lui-même soumis.

De plus, dans la mesure où il apparaît que c’est à la diversité d’objet des pactes que l’on

peut associer la variabilité du degré de dépendance de ces derniers, il semble cohérent

d’essayer de mettre en évidence, sous cet angle, la manière dont la variabilité de la

force du lien de dépendance du pacte au contrat de société induit divers degrés

d’emprise de l’environnement sociétaire sur le régime des pactes d’actionnaires.

571 G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, T. 93, 1969, n°24. 572 D. Legeais, « La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles », Dr et. pat., 2001, n°92. 573 D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001, spé. n°291 et s. 574 « Le régime juridique de l’accessoire est avant tout dicté par la logique et le bon sens », D. Grimaud, op. cit., n°383. 575 D. Legeais, op. cit. Voir également D. Grimaud, op. cit., n°310 et s. et Ch. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, T. 37, 2009, spé. n°11 et s. 576 Ou encore une variabilité du degré d’« accessoriété » pour reprendre l’expression imaginée par D. Grimaud, op. cit., n°310 et s.

Page 143: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

143

PARTIE II. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CON TRAT DE

SOCIETE : DES DEGRES DE DEPENDANCE

308 - L’analyse de la relation qu’entretiennent les pactes d’actionnaires avec le

contrat de société a permis de caractériser et de justifier la forme de rapport

d’accessoire à principal dans laquelle se placent tous les pactes, sans exception, au

regard du contrat de société dans l’environnement sociétaire. Nous avons ainsi pu

observer, dans la première partie de notre étude, la manière dont les deux principaux

objets des pactes, le pouvoir et le capital, de même que la qualité d’actionnaire des

partenaires caractérisent et fondent une dimension d’accessoire dans la dépendance du

pacte au contrat de société.

Le caractère unitaire de cette dimension n’exclut toutefois pas, d’un type de pacte à un

autre, une variabilité du degré de dépendance au contrat de société. Or, il s’avère que

ce sont les trois vecteurs précités de rattachement du pacte au contrat de société : le

pouvoir, le capital et la qualité d’actionnaire qui impriment aux pactes l’intensité de leur

degré de dépendance au contrat de société.

Il ressort en effet de l’analyse des fondements de la dimension d’accessoire du contrat

de société que revêtent les pactes que ceux dont l’objet porte sur l’exercice du pouvoir

au sein de la société s'intègrent directement dans le fonctionnement de la société, ils

présentent donc un fort degré de dépendance au contrat de société577. Au contraire, les

pactes relatifs à la détention du capital interfèrent de manière plus lointaine avec le

fonctionnement et la structure de la société, sauf pour ceux qui organisent le maintien ou

la perte de la qualité d’actionnaire. Ainsi, alors que ces derniers se situent logiquement

dans un fort degré de dépendance au contrat de société, ce lien de dépendance est plus

lâche pour l’ensemble des autres pactes relatifs aux mutations de droits sociaux.

309 - Les différents degrés de dépendance des pactes d’actionnaires au contrat de

société, selon que ces derniers aménagent l’exercice du droit de vote, le maintien ou la

perte de la qualité d’actionnaire ou encore les cessions ou acquisitions d’actions,

impliquent alors une variabilité de l’emprise de l’environnement sociétaire sur le régime

des pactes. C’est dans l’appréciation des conditions générales de validité des pactes

énoncées par la jurisprudence et tenant à la non-contrariété à « une règle d'ordre public,

577 En ce sens également, Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°198.

Page 144: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

144

à une stipulation impérative des statuts ou à l'intérêt social »578 que devrait ressortir cette

variabilité.

Précisons, à ce titre, que la condition générale de non-contrariété à l’intérêt social, si elle

est constamment rappelée par la jurisprudence579, est empreinte d’une incertitude qui

résulte du flou qui entoure la notion d’intérêt social580. Elle semble constituer un outil à

géométrie variable à la disposition du juge permettant à ce dernier, au cas par cas,

d’élever à un rang supérieur, au regard de l’ordre public sociétaire, la finalité

économique ou la finalité sociale du contrat de société581. Face à ce flou et à la

casuistique qui caractérise la jurisprudence en la matière, il est difficile de saisir la

teneur de cette condition.

310 - Il n’en reste pas moins qu’à un degré croissant de dépendance au contrat de

société correspond logiquement une influence croissante de l’ordre public sociétaire.

Dès lors, nous allons vérifier dans quelle mesure l’influence de l’environnement

sociétaire sur le régime des pactes d’actionnaires est plus rigoureusement subie par les

pactes qui sont caractérisés par une dépendance marquée au contrat de société (Titre

1) que par ceux qui se caractérisent par une dépendance modérée à ce dernier (Titre 2).

578 Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, 781 note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu, précités. 579. Cass. com. 13 février 1996 et Cass. com. 7 janvier 2004, précités. 580 Voir notamment, infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2. 581 Voir également, M.-Ch. Monsallier, op. cit., n°788 et s.

Page 145: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

145

Titre 1. Les pactes caractérisés par une dépendance marquée

311 - Certains types de pactes d’actionnaires influent directement sur le

fonctionnement et la structure-même de la société, ils se situent alors logiquement dans

un fort degré de dépendance au contrat de société.

Rappelons que si les statuts devraient constituer le lieu privilégié de l’aménagement

conventionnel des règles de fonctionnement de la société582, ils ne sont pas les seuls à

accueillir ces aménagements en raison des nombreux avantages que présentent les

pactes d’actionnaires.

312 - Les pactes d’actionnaires relatifs à l’exercice du pouvoir au sein de la société,

qui recouvrent essentiellement les conventions de vote583, s’imposent, à l’évidence,

comme le type-même de pacte exerçant une influence directe sur le fonctionnement de

la société. En effet, les conventions de vote s’intègrent et s’exécutent dans le cadre du

système de gestion de la société anonyme, laquelle est soumise, à cet égard, à la loi de

la majorité ainsi qu’au principe de hiérarchie et spécialité de ses organes sociaux.

313 - D’autres pactes, qui organisent la détention du capital, portent sur la perte de

la qualité-même d’actionnaire, en forçant un actionnaire à quitter ou, au contraire, à

rester dans la société contre son gré. Ils interfèrent alors avec le fonctionnement et la

structure de la société dès lors qu’ils aménagent le droit qu’a tout actionnaire d’entrer

dans la société et de s’y maintenir aussi longtemps qu’il le souhaite jusqu’au moment où

il décidera librement de céder ses actions. Le droit de rester dans la société constitue en

effet un garde-fou contre l’abus de droit qui consisterait pour la majorité à voter

l’exclusion d’un actionnaire, même justifiée par l’intérêt social. Quant au principe de libre

négociabilité des actions, il complète le principe de liberté du droit de vote en ce sens

que l’actionnaire qui ne pèse pas suffisamment dans le vote pour sanctionner la gestion

sociale doit pouvoir quitter la société, en cédant ses actions, s’il n’a plus la conviction de

contribuer à la poursuite d’un intérêt commun au sein de la société.

582 Voir art. 1835 C. civ. Rappelons également qu’en raison du principe de l’effet relatif des conventions, les pactes extra-statutaires, même conclus par des actionnaires majoritaires et dirigeants, ne peuvent engager la société. 583 Les pactes relatifs à l’information des actionnaires qui permettent d’éclairer et d’orienter l’exercice de la prérogative de vote s’inscrivent également, à ce titre, au cœur du fonctionnement de la société. Nous ne nous attacherons pas spécifiquement à l’étude de leur régime, lequel est moins caractéristique du degré marqué de la dépendance au contrat de société de ces pactes que ne l’est le régime des conventions de vote. Précisons que les pactes relatifs à l’information doivent respecter le principe d’égalité entre actionnaires et l’intérêt social (Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gautier, confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, n°04-12168, n°1138, RJDA, 12/05, n°1359, 1 ère esp.) ainsi que le secret des affaires (voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A). S’agissant du respect de l’intérêt social, il est apprécié dans des conditions aussi peu précises que celles qui prévalent en matière de pactes d’actionnaires en général (voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A).

Page 146: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

146

314 - Les pactes par lesquels un actionnaire limite sa liberté de vote, aliène son droit

de rester dans la société ou, au contraire, de quitter cette dernière, sont donc au cœur

du fonctionnement et de la structure de la société. Ils doivent alors être conformes, ou

certainement, à tout le moins, non contraires à l’intérêt social, ainsi qu’il en est de tous

les autres pactes, avec les difficultés d’appréciation sus-évoquées qui entourent cette

notion.

315 - La vigueur du rapport de dépendance que ces pactes entretiennent au regard

du contrat de société justifie que leur régime, élaboré par la jurisprudence, soit fortement

imprégné des règles du droit des sociétés et notamment de l’ordre public sociétaire584.

C’est ce que nous allons démontrer en nous attachant tout d’abord aux conventions de

vote (Chapitre 1) puis, aux pactes aménageant la perte de la qualité d’actionnaire des

partenaires (Chapitre 2).

Chapitre 1. Les conventions de vote

316 - Les conventions conclues par certains actionnaires entre eux, quant à

l’exercice de leur droit de vote, ont une influence directe sur le processus d’adoption des

décisions sociales, elles s’exécutent en effet au sein des organes sociaux : l’assemblée

générale des actionnaires ou le conseil d’administration. Ainsi que l’a relevé un auteur,

elles ont pour « objet la prérogative a priori la plus sociale qui soit, et pour effet d’agir

peu ou prou sur le fonctionnement de la société »585.

317 - Si le droit de vote joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de toute

société, son rôle est spécial dans la société anonyme en raison de ce que cette dernière

est soumise à la règle de la majorité. C’est en effet la volonté exprimée par le plus grand

nombre qui s’impose à tous les actionnaires, aucun d’entre eux ne disposant d’un droit

de veto tel que celui que revient à conférer la soumission des prises de décisions à la

règle de l’unanimité.

Ce mode d’expression de la volonté collective participe de l’organisation du pouvoir

dans la société. Il est censé garantir l’adoption de décisions faisant primer l’intérêt

584 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5è éd., 2002, n°198. 585 A. Constantin, « Réflexions sur la validité des conventions de vote », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 253, n°2.

Page 147: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

147

collectif sur les intérêts individuels586 sous la réserve de l’abus de droit. Dans cette

mesure, le caractère délibérant des organes sociaux, lesquels sont en outre soumis au

principe de hiérarchie et de spécialité, favorise le bon déroulement du processus

décisionnel et l’adoption par la majorité des actionnaires de décisions opportunes pour

la société.

318 - Il apparaît que les conventions de vote ont un impact direct au cœur même du

fonctionnement de la société en ce sens qu’elles modifient le principe délibératif en

vigueur au sein de ces organes et peuvent, à ce titre, compromettre l’aptitude de ces

derniers à se prononcer dans un sens conforme à l’intérêt social.

Les conventions de vote se situent donc nécessairement dans un fort degré de

dépendance au contrat de société. En ce sens, le Professeur Guyon dit d’elles

notamment587 qu’elles marquent le lieu du « conflit […] le plus aigu, entre le principe de

prééminence des statuts, par hypothèse conformes à la loi, et celui de la liberté

contractuelle »588. Les règles qui participent de l’ordre public sociétaire avec lesquelles

ces conventions entrent en conflit concernent aussi bien la liberté du droit de vote,

prérogative essentielle des actionnaires, que les principes généraux, dégagés par la

doctrine et la jurisprudence, qui gouvernent la gestion de la société.

Nous verrons en effet que si la jurisprudence reconnaît, sous certaines conditions, la

validité des conventions de vote au regard du caractère essentiel que revêt le droit de

vote des actionnaires (Section 1), cette validité est en outre encadrée par d’autres

conditions relevant des règles du droit spécial des sociétés destinées à préserver le bon

fonctionnement de la société (Section 2).

Section 1. Conventions de vote et caractère essenti el du droit de vote

319 - Tout actionnaire a le droit de participer aux décisions collectives589 et d’y

exercer librement son droit de vote.

Le caractère essentiel du droit de vote est affirmé en jurisprudence depuis longue

date590, et récemment encore, la Cour de cassation a rappelé que les statuts ne peuvent

586 En ce sens, S. Vaisse, La loi de la majorité dans la société anonyme (contribution à l’étude de la nature juridique de la société anonyme), Thèse Paris, 1967, p. 26. 587 Le Professeur Guyon vise également à ce titre les autres conventions extra-statutaires conclues en cours de vie sociale telles que les conventions de financement (Y. Guyon, op. cit., n°286). 588 Y. Guyon, op. cit., n°286. 589 Article 1844 al. 1 C. civ. 590 Cass. civ. 7 avril 1932, D.P, 1933.I.153, note Cordonnier : « le droit de vote aux assemblées générales est l’un des attributs essentiels de l’action ; […] si son exercice peut être réglementé dans une certaine

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148

le supprimer591. La doctrine s’accorde également pour voir dans le droit de vote une

prérogative essentielle de l’actionnaire592, un droit d’ordre public593.

320 - Le droit de vote n’est toutefois pas une prérogative absolue (§ 1), son exercice

est susceptible d’aménagements. La jurisprudence reconnaît alors la validité, sous

certaines conditions, des conventions aménageant l’exercice du droit de vote (§ 2).

§ 1. Le caractère non absolu de la prérogative de v ote

321 - Le droit de vote est présenté en droit positif comme un attribut essentiel de la

qualité d’actionnaire. Si ce caractère essentiel s’est progressivement affaibli dans le

temps594 et, plus radicalement encore, depuis que l’ordonnance du 24 juin 2004595

autorise la création d’actions sans droit de vote, sa valeur d’ordre public demeure.

322 - Ce caractère essentiel tient à ce que le droit de vote est destiné à garantir les

autres prérogatives de l’actionnaire et notamment ses prérogatives pécuniaires596.

L’actionnaire peut ainsi participer à la vie sociale et se prononcer sur la gestion opérée

par les dirigeants en exerçant son droit de vote.

Certains auteurs597 ont soutenu par le passé que le droit de vote était un droit-fonction,

en ce sens qu’il serait attribué à l’actionnaire, davantage pour servir le fonctionnement

de la société et la poursuite de l’intérêt social que pour la protection de l’intérêt

personnel de ce dernier598. Cette notion de droit-fonction, qui justifierait du caractère

indisponible du droit de vote et du fait que ce dernier doit être exclusivement exercé

dans un sens conforme à l’intérêt social, est réfutée par l’ensemble de la doctrine, pour

mesure par les statuts, il ne saurait en aucun cas être supprimé » ; Cass. Req. 23 juin 1941, Journ. sociétés, 1943, p. 209, note R.B. 591 Cass. com. 9 février 1999, arrêt Château d’Yquem, JCP, éd. E, 1999. 724, note Y. Guyon et Bull. Joly, 1999, p.566, note J.-J. Daigre (en matière de société en commandite par actions) et Cass. com. 23 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 239, note L. Godon (en matière de société par actions simplifiée). 592 M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1606. 593 Y. Guyon, op. cit., n°111 et 167. 594 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°937 et s., citant notamment J.-J. Daigre, « Le dr oit de vote est-il encore un attribut essentiel de l’associé ? », JCP, éd. E.,1996, I. 575. 595 L’ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004, précitée, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales. 596 A. Constantin, op. cit., n°10. 597 R. David, « Le caractère social du droit de vote », Journ. sociétés, 1929, p. 401 et A. Tunc, « Les conventions relatives au droit de vote et l’organisation des sociétés anonymes », Rev. gén. dr. com., 1942, p. 97, cités par S. Schiller , Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés, les connexions radicales, LGDJ, 2002, n°117. 598 A. Constantin, op. cit., n°9.

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149

laquelle le droit de vote est un droit purement subjectif599 auquel de nombreux

actionnaires se désintéressent en pratique.

323 - Si un actionnaire ne peut renoncer irrévocablement à son droit de vote600 ou

céder ce dernier en conservant le titre601, dès lors que ce droit constitue un attribut

essentiel attaché à la qualité d’actionnaire, le caractère essentiel de ce droit s’est

assoupli (A). La loi prévoit en effet certaines circonstances dans lesquelles il peut être

supprimé sous conditions. La jurisprudence admet en outre, depuis longtemps,

l’aménagement conventionnel de l’exercice du droit de vote dont elle reconnaît l’utilité

dans bien des cas pour améliorer le fonctionnement de la société. A ce titre, la liberté

d’exercice du droit de vote, corollaire du caractère essentiel et d’ordre public du droit de

vote, n’est pas absolue (B).

A. L’assouplissement du caractère essentiel du droit de vote

324 - Le droit de vote est présenté par la doctrine et la jurisprudence comme de

l’essence de la qualité d’actionnaire.

C’est ce droit en effet qui distingue l’actionnaire des créanciers sociaux602, et notamment

de l’obligataire. En effet, contrairement à ce dernier, l’actionnaire a, outre la vocation à

percevoir un dividende dont le montant est variable, le droit de participer aux décisions

collectives et d’y voter.

Ce caractère essentiel du droit de vote603 va de paire avec la reconnaissance de son

caractère d’ordre public604.

325 - Le fondement du caractère d’ordre public du droit de vote dans les sociétés en

général ne ressort pas clairement des textes. Les auteurs se réfèrent à l’article 1844 du

Code civil dont l’alinéa premier dispose que « tout associé a le droit de participer aux

décisions collectives », tandis que le dernier alinéa sous-entend que les statuts ne

peuvent déroger à cette disposition. Selon certains, le droit de participer aux décisions

collectives n’implique pas nécessairement celui d’y voter605. Mais la Cour de cassation a

599 En ce sens, S. Schiller, op. cit., n°117; A. Constantin, op. cit., n°9 et M. Germain, op. cit., n°1606. 600 Cass. com. 10 juin 1960, Rev. sociétés., 1961, 34, note Autesserre. 601 Cass. civ. 7 avril 1932, précité et Cass. com. 17 juin 1974, Rev. sociétés, 1977, p. 84, note D. Randoux, assimilant un mandat irrévocable à une cession du droit de vote prohibée. 602 J.-Cl. Hallouin, obs. sous Cass. com. 23 octobre 2007, D., 2009, p. 323. 603 M. Germain, op. cit., n°1606. 604 Y. Guyon, op. cit., n°111 et 167 et T. com. Paris 12 février 1991, Bull. Joly, 1991, p. 591, note M. Jeantin. 605 En ce sens, M. Jeantin, « Conventions de vote », in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124, n°22. En matière d’usufruit de droits sociaux, la Cour de cassation a également opéré cette distinction dans l’arrêt de Gaste (Cass. com. 4 janvier 1994, Bull. Joly, 1994, p. 249, note J.-J. Daigre ; Defrénois, 1994, 556, obs. P. Le Cannu) avant de l’abandonner dans l’arrêt

Page 150: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

150

toutefois conféré à cette disposition légale une portée très large, dans le fameux arrêt

Château d’Yquem du 9 février 1999606, en lui associant explicitement le droit de vote,

consacrant par-là même le caractère d’ordre public de la prérogative de vote. Il est vrai

que cet arrêt était relatif à un litige intervenant dans le cadre d’un démembrement de

droits sociaux et que la nécessaire prise en compte du droit des biens dans ce cas

particulier pourrait justifier de la spécificité de la solution. Mais, si la question spécifique

de la répartition du droit de vote entre l’usufruitier et le nu-propriétaire a conduit à des

méandres jurisprudentiels607, ces derniers ne semblent pas remettre en cause la portée

générale de l’arrêt Château d’Yquem608.

Par ailleurs, dans les sociétés anonymes spécifiquement, le caractère d’ordre public du

droit de vote résulte expressément de l’article L 225-122 du Code de commerce selon

lequel le droit de vote attaché aux actions est proportionnel à la quotité du capital

détenu, toute clause contraire étant réputée non écrite.

326 - Le caractère essentiel du droit de vote, toujours défendu en doctrine609, a

perdu beaucoup de sa vigueur depuis que des actions de préférence sans droit de vote

peuvent être émises sous certaines conditions par les sociétés par actions610.

La privation du droit de vote dans le cadre de la création d’actions de préférence peut en

effet être totale ou partielle, temporaire ou définitive, sous réserve de porter sur une

fraction maximale de la moitié des actions formant le capital des sociétés non cotées. En

outre, une procédure particulière nécessitant la réunion d’une assemblée générale

extraordinaire et la nomination de commissaires aux avantages particuliers doit être

mise en place611. Cette suppression du droit de vote, expressément admise par le

législateur, est ainsi encadrée par des conditions et des limites précisément définies.

Corrélativement à cette remarquable innovation, l’ordonnance de 2004 portant réforme

du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales612 a supprimé

Château d’Yquem (Cass. com. 9 février 1999, JCP, éd. E, 1999. 724, note Y. Guyon; Bull. Joly, 1999, p. 566, note J.-J. Daigre), pour à nouveau la confirmer (Cass. com. 22 février 2005, Rev. sociétés, 2005, p. 353, note P. Le Cannu). 606 Cass. com. 9 février 1999, arrêt Château d’Yquem, commentaires précités. 607 Voir notamment, Cass. com. 31 mars 1994, Rev. sociétés, 2004, p. 317, note P. Le Cannu ; Cass. com. 22 février 2005, précité et Cass. 3ème civ. 29 novembre 2006, Rev. sociétés, 2007, p. 319, note B. Dondero. Sur cette question, voir également F-X. Lucas, « La qualité d’usufruitier de parts sociales », Bull. Joly, 2007, p. 923 et H. Hovasse, R. Mortier et A. Mortier, « L’usufruitier de droits sociaux », Actes prat. et ing. sociétaire, 2008, p. 5. 608 Cass. com. 23 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 239, note L. Gordon et D., 2009, p. 323, obs. J.-Cl. Hallouin, précité. Sur cette question, voir également M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009, n°406 et s.. 609 M. Germain, op. cit., n°1606 et M. Caffin-Moi, op. cit., n°407, qualifiant la tendance de « mouvement de désacralisation du droit de vote ». 610 Article L 228-11 et s. C. com. 611 Sur cette procédure, voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. A. 612 Ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004, précitée.

Page 151: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

151

pour l’avenir les titres qui avaient été spécialement créés pour contourner le caractère

absolu du droit de vote613.

Mais, si le caractère absolu ou essentiel du droit de vote est à nouveau remis en

question614, la jurisprudence a récemment rappelé que son caractère d’ordre public ne

l’était pas.

327 - Dans un arrêt en date du 23 octobre 2007, la Cour de cassation a affirmé le

caractère d’ordre public du droit de vote en des termes d’une grande clarté : « Attendu

qu'il résulte de l'article 1844, alinéa 1er, que tout associé a le droit de participer aux

décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions

que dans les cas prévus par la loi »615. Ce rappel du caractère d'ordre public du droit de

vote est d’autant plus remarquable qu’il intervient dans le cadre d’une société par

actions simplifiée (SAS), forme sociale dont on sait qu’elle bénéficie d’une grande liberté

contractuelle dans son fonctionnement. En effet, le droit de vote au sein de la SAS n’est

pas soumis au principe de proportionnalité616 tandis que les associés déterminent

librement dans les statuts les décisions relevant d’une délibération collective, laquelle

peut être prévue selon toutes forme et conditions617.

328 - Il apparaît donc que parce que ce droit revêt un caractère d’ordre public,

aucune disposition statutaire ne peut, en dehors des cas prévus par la loi, supprimer ni

même suspendre temporairement le droit de vote d’un actionnaire618.

Certains auteurs admettent, qu’en dehors des statuts, il est en revanche possible pour

un actionnaire de renoncer temporairement à l’exercice de son droit de vote619. Nous

rejoignons, pour notre part, les auteurs qui condamnent une telle suspension du droit de

vote620. Il nous semble en effet que le récent affaiblissement du caractère essentiel du

droit de vote n’autorise pas à supprimer ce droit, même temporairement et pour une

décision particulière, dans le cadre d’une convention de vote. Ainsi que l’a remarqué le

Professeur Germain, « on peut conclure sans doute que le droit de vote tend à perdre

613 En ce sens, M. Germain, op. cit., n°1606. Il s’agit des certificats d’investissemen ts et des actions à dividendes prioritaires sans droit de vote. 614 Plus d’une dizaine d’années après J.-J. Daigre, « Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l’associé ? », JCP, éd. E.,1996, I. 575, précité, voir A. V. Le fur, « “Concilier l’inconciliable” : réflexions sur le droit de vote de l’actionnaire », D., 2008, Chron. 2015. 615 Cass com. 23 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 239, note L. Godon, précité. 616 Art L. 227-1 al. 3 C. com. 617 Art. L. 227-9 al. 1 C. com. 618 En ce sens, M. Germain, op. cit., n° 1607 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°10636. 619 M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°371 ; M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°680 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18654. 620 A. Couret et Th. Jacomet, « Les pièges des pactes d’actionnaires : questions récurrentes et interrogations à partir de la jurisprudence récente », RJDA, 10/08, p. 951, n°28.

Page 152: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

152

son importance traditionnelle, mais aussi, inversement, qu’il conserve toute sa valeur en

dehors des conditions expressément visées » par la loi621.

En revanche, l’exercice du droit de vote lui-même peut, dans le principe, faire l’objet

d’aménagements librement acceptés par son titulaire.

B. La validité de principe de l’aménagement de l’exercice du droit de vote

329 - « Au dogme du droit de participer s’ajoute celui de la liberté du vote »622. La

volonté des actionnaires doit, en principe, être librement exprimée par le vote de ces

derniers à l’issue des débats à l’assemblée générale. Cette liberté implique la possibilité,

pour tout actionnaire, de changer d’avis au cours de la tenue de l’assemblée générale

jusqu’à ce qu’il exerce effectivement son droit de vote après la conclusion des débats.

Mais la liberté d’exercice du droit de vote n’est pas un principe absolu. Si cette liberté

doit assurément être respectée par la société et ses organes légaux623, auxquels le vote

est opposable, l’actionnaire peut, quant à lui, aliéner cette liberté d’exercice en

s’engageant par avance envers d’autres actionnaires à voter dans un sens déterminé

dès lors qu’il ne renonce pas irrévocablement à ce droit et en demeure personnellement

titulaire.

330 - Tout actionnaire dispose de la « liberté de se soumettre à l’influence de son

choix »624 pour l’exercice de son droit de vote et de déterminer contractuellement le sens

de son vote avant la tenue de l’assemblée. C’est en effet ce que signifie le refus de la

jurisprudence de prohiber, dans leur principe-même, les conventions relatives à

l’exercice du droit de vote.

Il faut souligner que cette reconnaissance du vote contractuel625, lequel n’est plus émis

« à l’issue des débats mais en exécution d’une stipulation contractuelle »626 ne constitue

pas, en elle-même, une menace pour l’actionnaire.

Il ne fait aucun doute que la participation aux débats éclaire l’actionnaire sur le sens à

donner à son vote dès lors que ce dernier bénéficie de davantage d’informations et

nourrit sa réflexion des remarques et interrogations éventuelles des autres actionnaires.

Mais l’on sait, d’une part, que les actionnaires n’ont pas toujours la possibilité de prendre

621 et M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1609. 622 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°680. 623 A. Constantin, « Réflexions sur la validité des conventions de vote », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 253, n°11. 624 P. Ledoux, Le droit de vote des actionnaires, LGDJ, 2002, p. 365. 625 A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, Economica, 2004, n°233. 626 L. Van Caneghem, “L’exécution forcée en nature des conventions de vote dans la société anonyme”, RPS, 1996, p. 36, auteur belge cité par A. Mignon-Colombet, op. cit., n°233.

Page 153: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

153

part à l’assemblée générale et, d’autre part, que les formes pratiques que peuvent

revêtir de nos jours l’exercice du droit de vote, telles que le vote par correspondance627,

par procuration628 ou électroniquement629, ne permettent pas à tous les actionnaires de

bénéficier des éclaircissements tenant au caractère délibérant des assemblées lorsque,

du moins, les délibérations ne sont pas, comme bien souvent, expédiées et réduites à

une simple formalité630. Le vote contractuel apparaît alors comme un moyen pour

l’actionnaire de bénéficier d’une certaine forme de concertation, laquelle a lieu

préalablement à l’adoption de la convention de vote631. Dans une certaine mesure, c’est

parce que le vote contractuel préserve plus qu’il ne porte atteinte aux droits de

l’actionnaire que sa validité n’est pas en cause.

En outre, l’actionnaire engagé dans un vote contractuel bénéficie de la protection que lui

accorde le droit des contrats en termes de vices du consentement notamment632. Les

conventions de forme simple en particulier, par lesquelles un actionnaire s’engage par

avance envers un autre à voter dans un sens déterminé, ne constituent pas en elles-

mêmes une menace pour l’actionnaire, lequel demeure libre au final de voter dans le

sens qu’il souhaite dans le cadre de l’exercice effectif de son droit de vote au sein des

organes sociaux633. L’inexécution de la convention de vote serait sans influence sur la

validité du vote émis à l’égard de la société. Cette dernière ne connaît en effet que la

décision sociale adoptée à l’issue du vote tandis que le débiteur s’exposerait de son

côté à devoir indemniser le partenaire bénéficiaire qui subirait un préjudice du fait de

cette inexécution.

331 - C’est peut être, plus fondamentalement, à l’égard de l’intérêt de la société qu’il

convient de s’assurer que les conventions de vote ne constituent pas une menace634.

Nous sommes tentés de penser, en théorie tout au moins, que plus la décision de vote

de l’actionnaire est raisonnée et mûrie, meilleures sont les chances que cette décision

soit bénéfique pour la société635. Mais l’on conviendra que l’on s’attache ici davantage

au résultat final du vote exprimé par la volonté sociale à la majorité requise ou à la

minorité de blocage. C’est en effet lui seul qui influe sur le bon fonctionnement de la

société, les conditions relatives à la liberté dont a bénéficié chaque actionnaire dans

627 Art. L 225-107 I. C. com. 628 Art. L 225-106 C. com. 629 Art L 225-107 II. C. com. 630 A. Mignon-Colombet, op. cit., n°234. 631 P. Ledoux, op. cit., n°399. 632 A. Constantin, op. cit., n°11. 633 T. com. Paris 12 février 1991, Bull. Joly, 1991, p. 591, note M. Jeantin. 634 Voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. 635 A. Mignon-Colombet, op. cit., n°234.

Page 154: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

154

l’exercice de son droit de vote sont a priori indifférentes pour la société, à laquelle les

conventions de vote sont inopposables.

332 - Après une longue évolution historique, la jurisprudence et la doctrine

s’accordent pour reconnaître la validité de principe des conventions de vote636, la liberté

d’exercice du droit de vote ne présentant pas un caractère absolu.

A l’origine, avant toute intervention spécifique du législateur dans le domaine des

conventions de vote, ces dernières étaient tolérées par la jurisprudence dès lors qu’elles

ne conduisaient pas à un dépouillement intégral du droit de vote de l’actionnaire637,

conformément au caractère essentiel de ce dernier. Les tribunaux appréciaient donc la

validité de ces conventions en fonction de la gravité de l’atteinte portée au libre exercice

du droit de vote. Ils ont continué à tolérer ces conventions638 malgré leur prohibition

expresse, introduite par le décret-loi du 31 août 1937, aux termes d’une disposition

frappant de nullité les clauses ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte au libre

exercice du droit de vote dans les assemblées générales. L’abrogation de ce décret par

la loi du 24 juillet 1966 a été l’occasion pour la jurisprudence de continuer à valider les

conventions de vote en faisant en outre preuve d’une tolérance croissante639.

A ce jour, aucun texte ne se prononce expressément sur la validité des conventions de

vote, seule une disposition énoncée à l’article L 242-9 du Code de commerce,

sanctionne pénalement le trafic de droit de vote. Le législateur n’en reconnaît pas moins

l’existence des ces conventions puisqu’il s’y réfère pour définir certaines notions telles

que le contrôle640 et l’action de concert641.

333 - Si la validité des conventions aménageant l’exercice du droit de vote est ainsi

admise dans le principe, la jurisprudence encadre cette validité par trois conditions

clairement énoncées dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 30 juin

1995642, lequel, après avoir relevé qu’aucune disposition légale ou législative ne prohibe

expressément les conventions de vote, considère que « l’engagement de vote de X doit

être tenu pour licite dès lors qu’il est limité à l’opération concernée, qu’il est conforme à

l’intérêt social et qu’il est exempt de toute idée de fraude ». Ces trois mêmes conditions

636 M. Jeantin, « Conventions de vote », in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124, n°9 ; Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°290 et A. Constantin, op. cit., n°12. Voir également, D. Cohen, « Les conventions de vote » in Liber Amicorum Christian Larroumet, Economica, 2010, n°7 et s. 637 Cass. civ. 7 avril 1932, D.P, 1933.I.153, note Cordonnier, précité. 638 Cass. Req. 23 juin 1941, Journ. sociétés, 1943, p. 209, note R.B., précité. 639 M. Germain, op. cit., n°1601. 640 Art. L 233-3 I. 3 C. com. 641 Art. L 233-10 C. com. 642 Cour d’appel de Paris 30 juin 1995, arrêt Métaleurop, JCP, éd E., 1996, n°795, p. 69, note J.-J. Daigre.

Page 155: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

155

ont été rappelées, plus récemment, par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt

du 5 décembre 2003643, avec une nuance toutefois s’agissant de la conformité à l’intérêt

social, dans la mesure où cet arrêt indique que le pacte ne doit pas heurter l’intérêt

social. La portée limitée de la convention ainsi que la non-contrariété à l’intérêt social

sont des conditions approuvées, dans leur ensemble, par la doctrine644 tandis que

l’absence de fraude, condition générale de validité de toute convention, s’apprécie

notamment au regard de certains principes de l’ordre public sociétaire auxquels les

conventions de vote sont susceptibles de contrevenir.

Nous reviendrons sur les conditions relatives à la non-contrariété à l’intérêt social et à

l’absence de fraude en ce quelles visent à préserver les principes assurant une bonne

gestion de la société645. Seules nous intéressent en effet ici, la condition relative à la

portée limitée de la convention, laquelle vise directement à protéger le droit propre,

reconnu d’ordre public, qu’a tout actionnaire de participer aux affaires sociales et de

voter, ainsi, bien entendu, que la condition relative à l’absence de fraude en ce qui

concerne ce droit.

§ 2. L’incidence relative de la prérogative de vote

334 - La jurisprudence se réfère souvent à la condition relative à la portée limitée des

conventions de vote en énonçant que la convention doit porter sur certaines décisions

bien spécifiées646 ou encore, dans des arrêts plus anciens, elle pose comme condition

que la convention soit limitée dans le temps647.

335 - Cette condition de limitation de la portée de la convention s’explique,

vraisemblablement, par le souci de s’assurer que l’actionnaire conserve une marge de

liberté suffisante dans l’exercice de son droit de vote. Sinon, en effet, où se trouverait la

différence entre la renonciation, même temporaire, au droit de vote, dont nous pensons

qu’elle est nulle, en dehors des statuts648, et l’aliénation totale de la liberté d’exercice du

droit de vote ?

643 Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier. 644 M. Jeantin, « Conventions de vote », in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124 et A. Constantin, « Réflexions sur la validité des conventions de vote », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 253. 645 Voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2. 646 Cour d’appel de Paris 30 juin 1995, arrêt Métaleurop, et Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, précités. 647 Cour d’appel de Paris 22 février 1933, D. H., 1933, p. 258 (nullité de l’engagement de vote pris pour toute la durée de la société) et Cass. com. 17 juin 1974, Rev. sociétés, 1977, 84, note D. Randoux, précité (nullité du mandat de vote irrévocable). 648 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . A.

Page 156: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

156

336 - Nous avons précisé que le vote contractuel est valable dans la mesure où il

préserve davantage les intérêts de l’actionnaire qu’il ne porte atteinte, formellement, au

libre exercice de sa prérogative par ce dernier649. Or, les droits de l’actionnaire sont

préservés tant que ce dernier a donné un consentement éclairé, ce qui suppose que la

portée de son engagement soit limitée au moment où il se prononce. En effet, sauf

bouleversement exceptionnel et brutal des paramètres pris en compte par l’actionnaire

pour s’engager à voter dans un certain sens, lequel constitue un risque inhérent à la vie

des affaires, l’actionnaire ne doit normalement pas se trouver en situation de regretter

son engagement, au moment où il doit effectivement exercer son droit de vote dans le

sens promis, en tant que ce dernier s’avèrerait contraire à la finalité personnelle que

poursuit l’actionnaire au sein de la société ou encore à l’intérêt commun. La condition

relative à la portée limitée de l’engagement de vote caractérise ainsi une dépendance

marquée au contrat de société dès lors qu’elle a pour objet de préserver le fondement

de la participation de l’actionnaire dans la société.

337 - Cette condition ne se conçoit pas dans les conventions de vote prenant la

forme structurelle d’une société de portefeuille. En effet, dans ce cadre, les titres sont

transférés par les actionnaires à la holding, laquelle se substitue à ces derniers en leur

qualité d’actionnaire de la société cible. Pour ces conventions, la jurisprudence veille à

ce qu’elles ne soient pas constituées dans le seul but de contourner frauduleusement le

droit de vote des apporteurs de titres.

338 - Ainsi, dans un souci de protection des actionnaires et de l’intérêt commun, les

conventions de vote sont-elles soumises à une exigence générale de limitation de leur

portée (A). Elles sont par ailleurs encadrées, à ce même titre, par la condition générale

d’absence de fraude au droit de vote des actionnaires, ce dont la pratique contractuelle

des sociétés de portefeuille constitutives d’une convention de vote offre une illustration

(B).

A. La condition relative à la portée limitée de la convention de vote

339 - Nous l’avons dit, la jurisprudence apprécie le caractère limité de la portée des

conventions de vote dans une double perspective : au niveau de la durée d’application

649 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . B.

Page 157: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

157

de la convention650, d’une part, et au niveau de l’étendue de l’objet de la convention651,

d’autre part.

La condition relative à l’objet limité de la convention de vote semble pleinement justifiée

au regard de l’impératif de protection du discernement de l’actionnaire dans l’expression

de son vote. Celle relative à la durée limitée semble en revanche avoir été abandonnée

par la jurisprudence récente.

340 - La convention de vote doit avoir un objet ou un domaine limité dans la mesure

où, non seulement, elle ne doit pas dépouiller l’actionnaire de son droit de vote652, mais

encore, elle ne doit pas lui retirer toute liberté dans l’exercice de ce droit au sein des

organes sociaux, ce qui reviendrait à une renonciation à ce droit653. Ainsi que l’a exprimé

un auteur, est nulle la convention de vote qui entraîne une « soumission aveugle » de

l’actionnaire654.

La jurisprudence condamne alors, à ce titre, l’engagement inconditionnel pris par un

actionnaire de voter dans un sens déterminé. Certaines décisions ont notamment

déclaré nulles la renonciation, faite pour toute la durée de la société, de provoquer ou de

voter une modification de la clause statutaire limitant le nombre de voix de chaque

actionnaire655, la promesse de ne jamais faire obstacle à une fusion de la société ou à

une modification de ses statuts656, ou encore, celle de voter le quitus des

administrateurs657.

De plus, dans le cadre des syndicats de blocage658, une jurisprudence ancienne semble

distinguer les conventions par lesquelles l’orientation du vote, lors de la concertation

préalable, est décidée à l’unanimité de celles par lesquelles cette orientation est décidée

à la majorité des membres du syndicat, seules les premières étant valables. Les

secondes peuvent enfin contraindre un actionnaire à prendre l’engagement de voter

dans le sens contraire au souhait qu’il avait émis et se conformer à la volonté de la

majorité du syndicat. L’orientation du vote décidée à l’unanimité ne suscite en revanche

650 Cour d’appel de Paris 22 février 1933, D. H., 1933, p. 258 et Cass. com. 17 juin 1974, Rev. sociétés, 1977, p. 84, note D. Randoux, précités. 651 Cour d’appel de Paris 30 juin 1995, arrêt Métaleurop, et Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, précités. 652 Cass. com. 10 juin 1960, Rev. sociétés., 1961, 34, note Autesserre, précité (nullité de la convention emportant renonciation pure et simple au droit de vote). 653 En ce sens, A. Constantin, « Réflexions sur la validité des conventions de vote », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 253, n°16 et Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5è éd., 2002, n°289. 654 D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°107. 655 Cour d’appel de Paris 22 février 1933, précité. 656 Trib. com. Seine 24 janvier 1963, RJ. com., 1963, p. 106. 657 Cour d’appel de Rennes 28 octobre 1931, S., 1932, p. 220 ; Cour d’appel de Lyon 26 novembre 1931, Sem. jur., 1932.2, p. 304. 658 Sur lesquels, voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. B.

Page 158: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

158

aucune difficulté au regard de la liberté de vote de l’actionnaire. A vrai dire, il ne s’agit

pas vraiment d’une orientation dès lors que chaque partenaire bénéficie, en quelque

sorte, d’un droit de veto, lequel le protège contre le risque de se voir imposer un vote

dans le sens qu’il réprouve659.

Enfin, s’agissant de la nomination des dirigeants, la jurisprudence660 valide les seules

conventions qui laissent subsister un certain choix pour l’actionnaire661, et ne

contreviennent pas en outre, de la sorte, au principe de révocabilité ad nutum662.

341 - S’agissant de la limitation de la durée des conventions de vote, il semble que la

jurisprudence y a abandonné toute référence depuis un certain nombre d’années. Cette

limitation, présentée par certains663 comme une condition de validité des conventions de

vote, ne fait pas l’unanimité en doctrine664. Quel que puisse-t-en être le fondement, il ne

semble pas qu’il conditionne la préservation d’un minimum de liberté dans l’exercice de

son droit de vote par l’actionnaire ou, tout au moins, le discernement de ce dernier lors

de la prise d’un engagement de vote.

Deux justifications sont en effet mises en avant pour ériger le caractère limité de la

durée d’application de la convention de vote en condition de validité de cette dernière.

Soit, l’on associe à la condition de durée limitée, celle d’une justification par un intérêt

légitime et sérieux, pour y voir l’application aux conventions de vote des conditions

cumulatives de validité qui gouvernent, en droit commun, les clauses d’inaliénabilité665.

Le caractère essentiel de la liberté de vote de l’actionnaire, justifierait alors, par analogie

avec la liberté de disposer de ses biens pour un propriétaire, qu’il ne puisse être porté

atteinte à cette liberté que par la constatation d’un intérêt légitime. Un auteur soutient en

ce sens qu’une durée trop longue de l’engagement de vote, à l’origine d’« un tel

abandon d’une de ses prérogatives essentielles par l’actionnaire ne peut être expliqué et

659 Trib. com. Seine, 11 janvier 1938, Journ. sociétés, 1938, p. 301, note Bosvieux. 660 Voir notamment Cour d’appel de Paris 17 décembre 1954, Journ. sociétés, 1955, p. 338, note R. Plaisant ; Cass. com. 8 mai 1963, JCP, 1963.II.13283 ; Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider-Marine-Firminy, Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit et Cass. com. 19 décembre 1983, Rev. sociétés, 1985, p. 105, note D. Schmidt ; cités infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2. B. 661 En ce sens, M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1611. 662 Voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2. B. 663M. Jeantin, « Conventions de vote » in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124, n°19; G. Parléani , « Les pactes d’ac tionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°44 ; J.-J Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, Coll. Pratique des Affaires, 1995, n°13 ; M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°372 et D. Cohen, « Les conventions de vote » in Liber Amicorum Christian Larroumet, Economica, 2010, n°14. 664 Voir notamment, Y. Guyon, op. cit., n°289 et A. Constantin, op. cit., n°13. 665 Conditions énoncées à l’article 900-1 du Code civil, relatif aux interdictions d’aliéner stipulées dans les actes à titre gratuit, dont le caractère général a été confirmé par Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007, JCP, éd. N, 2008, 1064, note R. Mortier.

Page 159: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

159

justifié que par la constatation d’un intérêt légitime » 666. Mais alors cette condition

relative à la durée semble être absorbée par celle relative à la non-contrariété à l’intérêt

social667. Cette idée est confortée par les propos d’un autre auteur qui ajoute, qu’en

l’absence de tout indice donné par la jurisprudence quant à la durée qui serait

acceptable, « tout dépend, en définitive, de la nature de l’intérêt collectif que la

convention de vote est destinée à protéger ou à promouvoir et de l’utilité que présente la

convention pour la satisfaction de l’intérêt social »668. Ce premier fondement ne permet

donc pas d’ériger la condition relative à la durée limitée de la convention de vote en une

condition autonome et destinée à préserver les droits propres de l’actionnaire.

Soit l’on voit dans la condition de durée limitée, la simple application aux conventions de

vote de la prohibition des engagements perpétuels669. Mais il ne s’agit alors pas d’une

condition posée spécialement par le droit des sociétés à l’égard des conventions de

vote. En outre, il est admis, en droit positif, que l’engagement pris pour une durée

illimitée n’est pas nul mais résiliable unilatéralement à tout moment, à condition de

respecter un préavis et d’agir de bonne foi670, ce qui fait dire au Professeur Guyon que

cette faculté de résiliation unilatérale est bien plus protectrice de la liberté de vote de

l’actionnaire que ne le serait la condition de durée limitée671.

Nous ne pensons donc pas que la durée limitée constitue une condition à part entière de

validité des conventions de vote, tout au plus, sera-t-elle absorbée par la condition

relative à l’intérêt social672.

342 - La condition relative à la portée limitée de la convention de vote concerne

finalement, selon nous, le seul objet de cette convention.

Une telle condition ne peut se concevoir dans le cas particulier des conventions de vote

matérialisées par la création d’une société de portefeuille. Elle ne leur est donc pas

applicable mais la jurisprudence veille, en revanche, plus fondamentalement, à ce que la

société ne soit pas fictive en ce qu’elle aurait été constituée dans le seul but de

contourner le droit de vote des partenaires apporteurs.

666 G. Parléani, op. cit., n°44. 667 Du même avis, A. Constantin, op. cit., n°13. 668 M. Jeantin, op. cit., n°19. 669 En ce sens, A. Constantin, op. cit., n°13 et D. Cohen, op. cit., n°14. 670 Sur cette question, voir supra Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B, ainsi que A. Bénabent, Droit civil - Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., 2007, n°312. 671 Y. Guyon, op. cit., n°289. Contra, D. Cohen, op. cit., n°14. 672 Cette condition s’appréciant elle-même par l’application de la théorie de l’abus de droit dans l’exercice du droit de vote (voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect°2, § 2. B).

Page 160: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

160

B. La condition relative au caractère non frauduleux de la convention de vote

343 - Une convention de vote est, en quelque sorte, institutionnalisée lorsqu’elle se

fond dans la structure d’une personne morale, une société holding de portefeuille, à

laquelle les partenaires apportent leurs actions de la société cible. L’orientation

collective de l’exercice du droit de vote des partenaires résulte du fonctionnement même

de la personne morale dès lors que les partenaires délibèrent au sein de la holding et

que c’est cette dernière qui exerce le droit de vote, dans le sens ainsi déterminé, au sein

de la société cible673. Plus exactement, les partenaires, en apportant à la holding leurs

titres détenus dans la société cible, transfèrent leur droit de vote à cette dernière. Il ne

s’agit donc pas de vérifier si une telle convention de vote, contenue dans les statuts-

mêmes de la holding, préserve suffisamment la liberté de vote de l’actionnaire apporteur

mais, plus fondamentalement, de vérifier si la constitution de la société holding n’a pas

pour seul objet de priver l’actionnaire du libre exercice de son droit de vote au sein de la

société cible.

344 - A l’origine, la jurisprudence a commencé par annuler cette pratique de création

de sociétés de portefeuille, en présumant que ces dernières étaient constituées dans le

but de porter atteinte au droit de vote des actionnaires674.

Ces sociétés de portefeuille, qui peuvent être perçues comme une façade ou comme

une coquille vide ne détenant de participation que dans une seule filiale, constituent, il

est vrai, des conventions de vote permanentes et de portée générale.

345 - Puis, reconnaissant l’utilité économique que peut remplir la création d’une

société holding pour la société cible, la jurisprudence a abandonné sa rigueur et reconnu

« que la constitution d’une personne morale ayant pour objet d’acquérir et de gérer la

majorité des titres représentant le capital d’une autre société n’est pas en elle-même

une opération illicite »675. Cette décision a été rendue dans le cadre de l’affaire Metzger,

dans laquelle une société anonyme de portefeuille avait été constituée en vue de

renflouer une autre société anonyme cible. Alors qu’aucune convention de vote de forme

non-institutionnelle n’accompagnait la création de la société de portefeuille, l’un des

partenaires soutenait que le montage était nul en ce qu’il privait les actionnaires du libre

exercice de leur droit de vote au sein de la société filiale cible. La Cour d’appel de Paris

673 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. B. 674 Cour d’appel de Paris 21 novembre 1951, S., 1952, 2, 105, concl. Gégout et Cass. com. 10 juin 1960, Rev. sociétés., 1961, 34, note Autesserre et D., 1961, Somm. 18. 675 Cour d’appel de Paris 20 octobre 1980, affaire Metzger, Rev. sociétés, 1980, p. 774, obs. A. Viandier.

Page 161: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

161

a écarté cette prétention, dans un arrêt du 20 octobre 1980676, validant la constitution de

la société holding sur le fondement de l’intérêt social.

346 - Il semble ainsi que seule la condition relative à l’intérêt social677, entendue

dans le sens d’une conformité à l’intérêt social678, est applicable aux conventions de vote

prenant la forme d’une société de portefeuille.

Il en va différemment des conventions de vote qui ne se fondent pas directement dans la

structure de la société de portefeuille mais accompagnent la création de cette

dernière679. Certes, la création de la société holding doit, en elle-même, être justifiée par

l’intérêt social, sous peine d’être considérée comme fictive, mais les éventuelles

conventions de vote, accompagnant la création de cette société, sont bien soumises à la

condition relative au domaine limité680, en ce que cette dernière vise à préserver une

marge de liberté pour les actionnaires de la holding dans le cadre de l’exercice de leur

droit de vote au sein de cette structure.

347 - Les conditions de validité des conventions de vote, qui visent à protéger

l’actionnaire afin que ce dernier conserve son libre discernement dans l’expression de

son vote, ou qu’il ne soit pas frauduleusement privé de sa liberté de vote, sont

significatives du maintien du caractère essentiel de cette prérogative de l’actionnaire,

laquelle participe de l’ordre public sociétaire. Par l’exercice de son droit de vote,

l’actionnaire contribue en outre au dégagement d’une majorité au sein de la collectivité

des actionnaires réunis en assemblée générale, laquelle conduit à l’adoption d’une

résolution conforme à l’intérêt commun.

En sus de préserver la prérogative de vote de l’actionnaire, les conventions de vote

doivent également respecter les principes d’ordre public, dégagés par la jurisprudence

et la doctrine, pour garantir que la gestion de la société s’opère dans un sens conforme

à l’intérêt social. La combinaison de ces conditions est ainsi le signe d’un fort

rayonnement de l’environnement sociétaire sur le régime des conventions de vote.

676 Cour d’appel de Paris 20 octobre 1980, précitée. 677 Voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. 678 Sur cette question, voir S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°333 et s. 679 Cass. com. 2 juillet 1985, affaire Cohen-Skalli et a. c/ SA Lustucru et a., Bull. Joly, 1986, p. 220 et 374, note W. Le Bras, suivie dans la même affaire de Cass. com. 24 février 1987, Bull. Joly, 1987, p. 213, note P. Le Cannu. 680 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . A., en sus de celle relative à l’intérêt social (voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1).

Page 162: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

162

Section 2. Conventions de vote et fonctionnement de s organes sociaux

348 - La société doit être gouvernée dans un sens conforme à l’intérêt social, ce qui

signifie que tous les organes sociaux : les organes de direction mais aussi l’assemblée

générale des actionnaires doivent agir dans cet intérêt681. Or, nous l’avons dit, la notion

d’intérêt social est un concept flou682. Du point de vue de l’actionnaire, il ne fait aucun

doute que l’intérêt social se confond avec l’intérêt commun683. Mais il ressort de la

jurisprudence relative à l’appréciation de la validité, au regard de l’intérêt social, des

résolutions des organes sociaux et des actes des dirigeants que l’intérêt social peut

revêtir une dimension distincte de l’intérêt commun des actionnaires684.

349 - Si l’étendue et le domaine de nombreuses règles qui forment l’ordre public

sociétaire sont mal délimités en droit positif685, l’impérativité des principes généraux

dégagés par la jurisprudence et la doctrine pour régir la répartition des pouvoirs au sein

de la société est, au contraire, bien établie. Dans la mesure où elles s’insèrent dans le

processus-même d’adoption des décisions sociales, ce qui fonde leur dépendance

marquée au contrat de société et sont, en outre, susceptibles d’être consenties au profit

d’actionnaires exerçant une fonction de direction au sein de la société, les conventions

de vote ne doivent pas contrevenir à ces principes tenant d’une part, à la hiérarchie et à

la spécialité des organes sociaux et, d’autre part, à la révocabilité ad nutum de certains

dirigeants dans les sociétés anonymes.

Par ailleurs, la jurisprudence érige la conformité à l’intérêt social686, ou tout au moins, la

non-contrariété à cet intérêt687, en condition de validité des conventions de vote. Ces

conventions, qui s’exécutent au sein des organes sociaux, ne doivent certainement pas

contrarier l’intérêt social. Ce qui est plus incertain, en l’absence de définition de la notion

d’intérêt social, ce sont les critères d’appréciation du respect de cette condition.

350 - La validité des conventions de vote s’apprécie ainsi avec moins d’incertitudes,

en droit positif, s’agissant de la condition relative au respect des principes gouvernant la

681 D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°11. 682 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . A. et notamment, A. Constantin, « L’intérêt social : quel intérêt ? » in Etudes offertes à B. Mercadal, éd. Francis Lefebvre, 2002, p. 317, n°25 et D. Sc hmidt, op. cit, n°11 et s. 683 D. Schmidt, op. cit., n°11. 684 D. Schmidt, op. cit. 685 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°852 et s. S’agissant en particulier de la prohibi tion des clauses léonines ainsi que de l’expertise de l’article 1843-4 C. civ., voir infra, Titre II, Chap. 2. 686 Cour d’appel de Paris 30 juin 1995, arrêt Métaleurop, JCP, éd E., 1996, n°795, p. 69, note J.-J. Daigre, précité. 687 Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier, confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005 n°04-1216 8, n°1138, RJDA, 12/05, n°1359, 1 ère esp., précités.

Page 163: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

163

répartition des pouvoirs au sein des organes sociaux (§ 1) que de celle, plus générale,

relative à la non-contrariété à l’intérêt social (§ 2).

§ 1. Conventions de vote et répartition des pouvoir s au sein des organes sociaux

351 - Les conventions de vote sont susceptibles d’interférer dans le processus

d’adoption des décisions sociales au sein de la société anonyme. Or ce dernier est

encadré de manière très rigide par la loi, laquelle organise une répartition des pouvoirs

entre les organes sociaux, et consolidé par des principes d’ordre public, dégagés par la

jurisprudence et la doctrine, qui sont destinés à préserver l’intérêt social.

Les conventions de vote ne doivent pas contrevenir à ces principes attachés au

fonctionnement organique de la société anonyme. Elles seraient en effet frauduleuses si

elles avaient pour objet, et également illicites si elles avaient seulement pour effet, de

contourner les principes de hiérarchie et de spécialité des organes sociaux (A), d’une

part, et de révocabilité ad nutum de certains dirigeants (B), d’autre part.

A. Le respect du principe de hiérarchie et de spécialité des organes sociaux

352 - Le principe de hiérarchie et spécialité des organes sociaux dans la société

anonyme a été énoncé, pour la première fois, par la célèbre jurisprudence Motte, dans

un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 juin 1946688. Ce principe d’ordre public

regroupe en son sein deux principes impératifs : celui de la hiérarchie entre les différents

organes sociaux et celui de la séparation des pouvoirs entre ces organes, lesquels sont

dotés de compétences propres qui en font leur spécialité689.

Le caractère absolu du principe de hiérarchie et spécialité des organes sociaux,

réaffirmé sous l’empire de la loi du 24 juillet 1966690, est à l’origine d’une prohibition de

principe de tout aménagement contractuel inter-organique du fonctionnement de la

société anonyme691. On se situe là, dans la sphère de l’ordre public sociétaire absolu,

par opposition à d’autres principes, énoncés comme participant également de l’ordre

public sociétaire, mais dont la portée semble plus relative692, ainsi que le démontre,

688 Cass. civ. 4 janvier 1946, Arrêt Motte, S., 1947. I, p. 153, note P. Barbry et JCP, 1946.II. 3518, note Bastian. 689 La Cour de cassation sanctionne à ce titre, dans cet arrêt, la décision d’une assemblée générale d’investir le président directeur général de l’ensemble des pouvoirs attribués au conseil d’administration (Cass. civ. 4 janvier 1946, précité). 690 Cour d’appel d’Aix-en-Provence 28 septembre 1982, Rev. sociétés, 1983, p. 773, note J. Mestre. 691 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°569 et s. 692 M.-Ch. Monsallier, op. cit., n°928 et s.

Page 164: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

164

s’agissant de la prérogative de vote, la possibilité pour les sociétés par actions d’émettre

sous certaines conditions des actions sans droit de vote693.

353 - Le principe de hiérarchie et spécialité des organes sociaux ne peut donc subir

aucune atteinte quelle qu’elle soit, notamment par une limitation des pouvoirs légaux

des dirigeants694, peu important à cet égard que cette atteinte résulte d’un

aménagement statutaire ou d’un aménagement extra-statutaire, opposable ou non à la

société et aux organes sociaux.

A ce titre, la Cour de cassation a notamment annulé, dans un arrêt en date du 11 juin

1965695, la convention extra-statutaire, ratifiée par le conseil d’administration, limitant les

pouvoirs légaux du président du conseil d’administration au profit d’un actionnaire

majoritaire, lequel bénéficiait d’un contreseing général pour les décisions relevant de la

compétence de l’organe de direction696.

Dans le même sens, le Tribunal de commerce de Paris a annulé, dans son jugement du

1er août 1974 rendu dans le cadre de l’affaire Schneider c/ Marine-Firminy, en tant

qu’elle était « contraire au principe qui ne permet pas de dépouiller les organes sociaux

de la société » 697, la clause d’un protocole, lui-même valable en ce qu’il était conclu en

vue d’organiser l’administration d’une filiale commune, sur un pied d’égalité, par ses

deux actionnaires698, qui prévoyait la désignation d’un « arbitre » chargé de prendre les

décisions importantes en cas de désaccord entre les partenaires.

354 - Dans le prolongement de cette jurisprudence, il est permis de douter de la

validité du droit de veto qui serait conféré à un actionnaire pour l’adoption de certaines

décisions relevant de la compétence des organes de gestion. En l’absence de décision

de jurisprudence sur ce point, la doctrine est divisée. Il nous semble, pour notre part,

qu’une telle pratique constitue une atteinte caractérisée au principe de hiérarchie et de

spécialité des organes sociaux, peu important à cet égard, encore une fois, qu’elle soit

mise en place dans les statuts699 ou dans une convention extra-statutaire700.

693 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . A. 694 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2. B. 695 Cass. com. 11 juin 1965, RTD. com., 1965, p. 861, obs. R. Houin. 696 Précisons qu’en l’espèce, l’actionnaire majoritaire, bénéficiaire de la convention, avait consenti à la société un prêt cautionné par le président du conseil d’administration (Cass. com. 11 juin 1965, précité). 697 Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider c/ Marine-Firminy, Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit. 698 Voir infra, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A. 699 Contre la validité des droits de véto statutaires dans la SA, voir notamment M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1554 et M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°112 et s. 700 Contre la validité des droits de véto extra-statutaires dans la SA : Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5è éd., 2002, n°278. En faveur de leur validité : F.-D. Poitrinal, La révolution contractuelle du droit des sociétés dynamisme et paradoxes,

Page 165: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

165

En revanche, dans ce dernier cadre, un actionnaire exerçant une fonction de

direction peut valablement se porter fort, en son nom personnel et non pas en sa qualité

de mandataire social, de la non-adoption de certaines décisions par les organes de

gestion contre le gré du bénéficiaire du pacte701. En effet, une telle promesse de porte-

fort ne confère pas un véritable droit de veto à son bénéficiaire dès lors que l’organe

social n’est pas tenu de ratifier l’engagement mais demeure, après avoir recueilli l’avis

du partenaire bénéficiaire, libre et indépendant dans son choix,. En outre, nous ne

pensons pas, en raison du caractère absolu que la jurisprudence confère au principe de

hiérarchie et spécialité des organes sociaux, que les juges considèreraient, comme ils

ont déjà été amenés à le faire dans le cadre d’une promesse de porte-fort portant sur

des droits à l’information702, qu’une telle promesse, faite par un actionnaire contrôlant la

société en sa qualité de dirigeant et de majoritaire, reviendrait à un engagement donné

par la société elle-même703.

Un arrêt plus récent reconnaît également la validité des conventions de vote

instituant une procédure d’autorisation préalable au profit des actionnaires bénéficiaires

pour l’adoption de certaines décisions par les organes de gestion dans la mesure où ces

derniers ne sont aucunement tenus par la convention. Un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-

en-Provence du 5 décembre 2003, confirmé par la Haute Cour, énonce en effet que

« les dispositions du pacte ne portent pas atteinte au principe de hiérarchie des pouvoirs

sociaux ; ainsi si l’article 9 stipule que “les Actionnaires A, C et D s’engagent à ce que la

société […] ne prenne aucune des décisions” qu’il énumère “sans l’avis favorable

préalable et écrit des Actionnaires B [...]”, l’article 8 précise que “le terme avis ne peut en

aucun cas être considéré comme un nécessaire accord préalable à une décision de

gestion des organes compétents de la société [...] et, en conséquence, une possibilité

d’immixtion des Actionnaires B dans la gestion […] cet avis ne concerne et n’a

d’incidence que sur les relations d’actionnaires des parties” au pacte »704.

355 - Dans l’ordre public sociétaire, la répartition des pouvoirs au sein de la société

anonyme, associée au principe majoritaire, permet de garantir la protection de l’intérêt

social. En effet, si les actionnaires ne participent pas à la gestion, ils ne sont pas Revue Banque Edition, 2003 n°112 et Dossier pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°440 et s. 701Cass. com. 22 juillet 1986, JCP, éd E., 1986.II.414, obs. A.Viandier et J.-J. Caussain et Cass. com. 4 octobre 1988, Bull. Joly, 1988, p. 863. 702 Cour d’appel de Paris 27 mars 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1002, note F.-X. Lucas, précité. En ce sens également, F.-D. Poitrinal, op. cit. n°107. 703 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A. 704 Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier, confirmé sur ce point par Cass. com. 27 septembre 2005 n°04-12168, n°1138, RJDA, 12/05, n°1359, 1 ère esp., précité.

Page 166: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

166

démunis de tout moyen de contrôle705. Plus encore, cette gestion relève du pouvoir des

dirigeants qu’ils nomment706 et surtout, qu’ils peuvent révoquer à tout moment, à la

majorité.

B. Le respect du principe de révocabilité ad nutum

356 - La libre révocabilité des administrateurs est affirmée depuis toujours en

jurisprudence comme étant constitutive d’un principe d’ordre public707.

C’est à tort que ce principe a été généralisé dans les esprits en raison de l’emploi

courant de l’expression « principe de révocabilité ad nutum des dirigeants sociaux ».

Mais, tous les dirigeants de la société anonyme ne sont pas révocables ad nutum, seuls

le sont les administrateurs708 et le président du conseil d’administration709 ou, le cas

échéant, les membres du conseil de surveillance710. Ces derniers peuvent en effet être

révoqués à tout moment par l’assemblée générale (et par le conseil d’administration,

s’agissant de son président) sans qu’il soit nécessaire de leur donner un préavis, leur

fournir un motif ni leur verser une indemnité. Il paraît difficile de soutenir que le principe

de révocabilité ad nutum des dirigeants relève de l’essence de la société anonyme alors

qu’il ne concerne pas l’ensemble des dirigeants sociaux711.

De plus, le fondement de ce principe, qui tient, semble-t-il, à une conception

contractuelle de la fonction de ces dirigeants, lesquels seraient investis par la société

d’un mandat, par nature révocable à tout moment712, est critiqué par une fraction non

négligeable de la doctrine713. On ne peut en effet nier cette spécificité tenant à ce que,

contrairement aux mandataires privés, ces dirigeants constituent des organes sociaux

dotés de pouvoirs déterminés par la loi714.

357 - Toujours est-il que la jurisprudence veille fermement au respect du principe de

révocabilité ad nutum des administrateurs, du président du conseil d’administration et

705 Voir notamment l’expertise de gestion, laquelle peut être demandée par les actionnaires détenant au moins 5 % du capital (art. L 225-231 C. com.). 706 Le Professeur Schmidt précise à ce titre que « Les dirigeants gèrent le patrimoine de la personne morale dans l’optique de la satisfaction de l’intérêt défini par les actionnaires » (D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°16). 707 Cass. civ. 30 avril 1878, D.P, 1878, 1.314 ; Cass. com. 17 janvier 1984, G. P., 1984, p. 389, note Dupichot. 708 Art. L 225-18 al. 2 C. com. 709 Art. L 225-47 al. 3 C. com. 710 Art. L 225-75 al. 2 C. com. 711 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5è éd., 2002, n°273. 712 Art. 2004 C. civ. 713 Notamment Y. Guyon, op. cit., n°273 et M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1653. 714 Y. Guyon, op. cit., n°273.

Page 167: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

167

des membres du conseil de surveillance, tant dans les statuts715 que dans les

conventions extra-statutaires entre actionnaires716. Or les conventions de vote conclues

entre actionnaires peuvent avoir frauduleusement pour objet, ou même seulement pour

effet, de contourner ce principe.

358 - Sont ainsi frauduleuses les conventions de vote qui visent à augmenter la

stabilité des dirigeants ne détenant pas personnellement la majorité des droits de vote à

l’assemblée générale. La jurisprudence annule, à ce titre, les conventions par lesquelles

un actionnaire s’engage à ne pas voter la révocation d’un administrateur717.

359 - D’autres conventions ont pour objet ou pour effet de limiter les conséquences

de la révocation, ensuite d’un engagement pris à l’avance par un actionnaire, en cas de

révocation d’un dirigeant, d’octroyer à ce dernier un emploi salarié718 ou encore une

indemnisation719.

De tels engagements, consentis par un actionnaire (ou par la société elle-même), ne

sont pas systématiquement nuls720, ils ne font effectivement obstacle à la libre

révocabilité que si les conséquences qu’ils entraînent sont de nature à influencer

véritablement la décision de révocation. Le juge apprécie cette influence au cas par cas.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle considéré, dans un arrêt en date du 4 juin 1996721,

qu’était illicite, l’engagement pris par un actionnaire de maintenir un dirigeant en place,

pour une certaine durée, sauf à indemniser ce dernier d’une somme minimale très

importante. Les conséquences que cette convention entraînait pour l’actionnaire

débiteur, lequel était susceptible d’influencer la décision de révocation722, étaient en effet

suffisamment importantes pour constituer une entrave à la libre révocabilité, peu

715 Cass. civ. 30 avril 1878, précité ; Cass. civ. 23 mai 1944, DA, 1944, 105. 716 Cass. com. 2 février 1971, RTD. com., 1971, p. 1038, note R. Houin, nullité de l’engagement pris par le futur actionnaire, cessionnaire des actions de contrôle de la société, de maintenir le cédant au conseil d’administration pendant un certain temps. 717 M. Jeantin, « Conventions de vote » in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124, n°21 et Y. Guyon, op. cit, n°274. Cass. com. 17 janvier 1984, précitée, annulant la convention aux termes de laquelle un actionnaire majoritaire assurait au président du conseil d’administration un préavis d’un an en cas de cessation de ses fonctions. 718 Cass. com. 3 mai 1995, Bull. Joly, 1995, p.863, note A. Couret : nullité de l’engagement souscrit par les cessionnaires du contrôle d’une SA, au nom de la société, de maintenir le président du conseil d’administration à ses fonctions ou de lui garantir un emploi salarié au sein de la société jusqu’à ces 65 ans. 719 Cass. com. 5 février 1974, Bull. civ. IV, n°51, p. 40 ; Cour d’appel de Versailles 1 er décembre 1988, JCP, éd E, 1989.15517, n°8 et Cass. com. 12 mars 1996, (M artin c/ Sté Cam Galaxy), Bull. civ., IV, n°88, p. 73 et D., 1996, somm. 347, note J.-Cl. Houin. 720 De tels engagements pris par un tiers n’encourent assurément pas la nullité. En ce sens, Y. Guyon, op. cit, n°275, p. 401 et S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°339. 721 Cass. com. 4 juin 1996, JCP, 1996, éd. E.II.849, note Y.Guyon. Dans le même sens, Cass. com. 12 juin 1992, Rev. sociétés, 1992, p. 750. 722 En faveur de la validité de tels engagements lorsqu’ils sont pris par un actionnaire minoritaire, ce dernier ne pouvant à lui seul faire obstacle à la révocation du dirigeant par l’assemblée générale, voir S. Prat, op. cit.

Page 168: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

168

important, par ailleurs, que le fait que la décision de révocation du dirigeant soit

effectivement intervenue puisse laisser croire à l’absence d’entrave723. Dans un arrêt en

date du 26 mai 2004, la Cour de cassation a également considéré qu’était véritablement

dissuasive une indemnité de départ égale à la moitié du bénéfice annuel de la société724.

En revanche, la Cour d’appel de Paris a, dans un arrêt du 26 juin 1998, après avoir

rappelé que « Le principe du versement d'une indemnité forfaitaire au mandataire social,

en cas de révocation de son mandat par le conseil d'administration, est de nature à

porter atteinte au principe de la libre révocabilité du mandat social, posé par les articles

110 et 116 de la loi du 24 juillet 1966, lorsque cette indemnité doit être versée par un

tiers [actionnaire] détenant la majorité du capital social », estimé qu’en l'espèce, en

raison de l'importance du capital social (1.500.000 Fr.) et des résultats moyens de la

société, le paiement d'une indemnité de un million de francs n'était pas de nature à

peser sur la décision de l'actionnaire majoritaire détenant le contrôle absolu de sa

filiale725.

360 - Enfin, la question de la validité des conventions de vote, au regard du principe

de révocabilité ad nutum, se pose encore dans le cadre des accords conclus entre

actionnaires pour organiser la répartition des sièges d’administrateurs.

La jurisprudence considère, de manière bien établie, qu’une convention de ce type,

conclue entre deux groupes d’actionnaires afin, pour ces derniers, de se répartir les

postes d’administrateurs entre eux, ne constitue pas un obstacle à la libre révocabilité

de ces dirigeants, dès lors, notamment, qu’il existe suffisamment de candidats

administrateurs au sein de chaque groupe pour que la révocation de l’un d’entre eux ne

laisse pas le siège de ce dernier vacant726. Le jugement précité du Tribunal de

commerce de Paris du 1er août 1974, rendu dans le cadre l’affaire Schneider c/ Marine-

Firminy727, a également validé le protocole d’accord prévoyant une répartition égalitaire

des sièges d’administrateurs d’une filiale commune dès lors que les actionnaires

conservaient un choix entre plusieurs personnes appartenant à tel ou tel groupe. En

revanche, la Cour de cassation a annulé, dans un arrêt du 8 mai 1963, une convention

organisant la dévolution par alternance des fonctions de président du conseil

d’administration à chacun des groupes d’actionnaires728. Cette convention, qui ne

723 Cass. com. 4 juin 1996, précité. 724 Cass. com. 26 mai 2004, JCP, éd. E, 2004, 1344, note A. Viandier. 725 Cour d’appel de Paris 16 juin 1998, Bull Joly, 1998, p. 1155, note J.-P. Dom. 726 Cour d’appel de Paris 17 décembre 1954, Journ. sociétés, 1955, p. 338, note R. Plaisant et Cass. com. 19 décembre 1983, Rev. sociétés, 1985, p. 105, note D. Schmidt. 727 Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider c/ Marine-Firminy, Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit., citée supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. A. 728 Cass. com. 8 mai 1963, JCP, 1963.II.13283.

Page 169: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

169

laissait aux administrateurs aucune possibilité de choix dans la nomination du président

portait en effet indirectement atteinte au principe de libre révocabilité de ce dernier.

361 - Le Professeur Guyon conclut que sont illicites, en tant qu’elles sont contraires

à l’intérêt social, les conventions de vote qui « empêchent les actionnaires d’exercer

librement les choix qui s’imposent »729. L’encadrement de la validité des conventions de

vote, au regard des principes d’ordre public qui gouvernent la répartition des pouvoirs au

sein des organes sociaux, vise en effet à protéger l’intérêt social à ce niveau précis

d’interférence des conventions de vote avec l’ordre public sociétaire, lequel est

caractéristique d’une dépendance marquée au contrat de société,.

Les conventions de vote sont en outre directement soumises à la condition générale

plus large de non contrariété à l’intérêt social.

§ 2. La condition générale relative à la non-contra riété à l’intérêt social

362 - La jurisprudence se réfère quasiment toujours à l’intérêt social dans son

appréciation de la validité des conventions de vote.

La reconnaissance de l’utilité économique que ces conventions peuvent remplir pour la

société, utilité alors assimilée par les juges à une conformité à l’intérêt social, conduit en

effet la jurisprudence à valider les conventions de vote qui permettent de faciliter la

gestion de la société730, de servir un montage financier destiné à renflouer la société731

ou encore de restructurer la société732.

Dans le cadre de filiales communes733 ou de holdings734 et dans les groupes de sociétés

en général, les conventions de vote ont incontestablement une utilité sociale735 en ce

qu’elles permettent d’assurer une conduite cohérente au niveau de la société cible en

évitant que le fonctionnement de cette dernière ne soit bloqué en raison des

divergences d’intérêts des groupes d’actionnaires et, plus généralement, d’assurer la

stabilité nécessaire à la mise en œuvre de la politique du groupe. L’utilité sociale des

729 Y. Guyon, op. cit., n°289. 730 Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider-Marine-Firminy, précité, (dans le cadre d’une filiale commune) et Cass. com. 2 juillet 1985, affaire Cohen-Skalli et a. c/ SA Lustucru et a., Bull. Joly, 1986, p. 229 (dans le cadre d’un holding commun). 731 Trib. com. Paris, 4 mai 1981, R.J. Com., 1982, p. 7, note de Fontbressin et Cour d’appel de Paris, 30 juin 1995, arrêt Métaleurop, JCP, éd E., 1996, n°795, p. 69, note J.-J. Daigre, préc ité. 732 Cour d’appel d’Amiens 4 avril 1951, JCP, 1952.II.795, note J.-J. Daigre. 733 Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider-Marine-Firminy, précité. 734 Cass. com. 19 décembre 1983, Rev. sociétés, 1985, p. 105, note D. Schmidt et Cass. com. 24 février 1987, affaire Rivoire et Carret Lustucru, Bull. Joly, 1987, p. 213, note P. Le Cannu. 735 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°287.

Page 170: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

170

conventions de vote est également reconnue lorsque ces dernières ont une finalité

économique et favorisent la pérennité de la société.

363 - La jurisprudence relève également, au contraire, la nullité de certaines

conventions de vote, au motif que ces dernières contreviennent à l’intérêt social. Ainsi

en est-il, nous venons de le voir, des conventions de vote qui méconnaissent un principe

d’ordre public sociétaire en modifiant la répartition des pouvoirs au sein des organes

sociaux736 ou en empêchant « les actionnaires d’exercer librement les choix qui

s’imposent »737 parmi plusieurs candidats aux postes d’administrateurs par exemple738.

Dans ce dernier cas, il apparaît que c’est davantage l’effet qu’a la convention de vote,

de faire primer les intérêts d’un groupe d’actionnaires déterminé au détriment de l’intérêt

social, qui conduit à la nullité de la convention739 plutôt que la limitation, en elle-même,

de la liberté de choix des partenaires débiteurs. On reconnaît-là les éléments de l’abus

du droit de vote. Dès lors, il est permis de se demander si la conformité, ou encore, la

non-contrariété à l’intérêt social constitue une condition autonome de validité des

conventions de vote.

364 - Par ailleurs, la doctrine dans son ensemble740 s’accorde pour considérer que,

si les conventions de vote ne peuvent valablement contrarier l’intérêt social, ces

dernières ne doivent pas nécessairement poursuivre cet intérêt741. La neutralité ou la

non-contrariété de la convention à l’intérêt social suffit alors à encadrer la validité des

conventions de vote. Il en résulte qu’une convention de vote peut être valablement

conclue dans le but de servir les intérêts individuels de certains actionnaires dès lors

qu’elle n’est pas spécifiquement dirigée contre l’intérêt social742. C’est ce que tend à

confirmer l’arrêt précité de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 5 décembre

2003, lequel énonce que : « les dispositions du pacte qui restreignent la liberté de vote 736 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1 . A 737 Y. Guyon, op. cit., n°289. 738 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1 . B. Voir également, Cass. com. 14 mars 1950, JCP, 1950.II.5694, note Bastian (convention de vote en faveur d’un candidat déterminé pour un poste d’administrateur) ; Cour d’appel de Douai 24 mai 1962, JCP, 1962, 2. 12871, note Bastian, confirmé par Cass. com. 4 juin 1966, Bull. civ., III, n°284, p. 255 (convention de vote prévoyant une répartition des postes d’administrateurs entre deux groupes d’actionnaires ôtant tout choix aux actionnaires, le groupe minoritaire bénéficiant en outre d’une participation supérieure à sa quote-part dans le capital social). 739 M. Jeantin « Conventions de vote », in « La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions », R.J. com., 1990, p 124, n°20. 740 Voir notamment, en ce sens, A. Viandier, « Observations sur les conventions de vote », JCP, éd. E, 1987.I.15405; Y. Guyon, op. cit., n°289 et M. Jeantin, op. cit., n°20. Contra, P. Didier, « Les conventions de vote » in Mélanges J. Foyer, PUF, 1997, p. 341 et s., spé. p. 342, considérant cette condition comme vague voire inapplicable. 741 Contra, voir Cour d’appel de Paris, 17 décembre 1954, Journ. sociétés, 1955, p. 338, note R. Plaisant, précité ; Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider c/ Marine-Firminy, Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit, précité et Trib. com. Paris, 4 mai 1981, RJ. Com., 1982, p. 7, note de Fontbressin, précité, qui énoncent que les conventions de vote doivent être conformes à l’intérêt de la société. 742. A. Viandier, op. cit.

Page 171: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

171

de certains actionnaires dans des cas biens spécifiés ne heurtent pas l’intérêt social par

cela seul qu’elles visent à protéger l’actionnaire B dans son statut particulier

d’établissement de capital risque ; elles tendent au contraire à assurer la pérennité du

“projet d’entreprise” commun à tous les associés en maintenant les conditions sans

lesquelles les sociétés […] n’auraient pas souscrit au plan de développement proposé

par les actionnaires A et C »743.

365 - Le critère de la non-contrariété à l’intérêt social comme condition de validité

des conventions de vote est relativement difficile à apprécier en raison du caractère flou

de la notion d’intérêt social (A). Une grande place est laissée en la matière à

l’interprétation du juge744, laquelle présente un avantage de souplesse, certes, mais

offre, en contrepartie, peu de garanties aux partenaires quant à la validité des

conventions de vote qu’ils concluent. Mais il semble qu’en matière de conventions de

vote spécifiquement, la théorie de l’abus de droit dans l’exercice du droit de vote suffit à

encadrer la validité de ces conventions au regard de la condition générale de non-

contrariété à l’intérêt social (B).

A. Le caractère flou de la notion d’intérêt social

366 - Les contours de la notion d’intérêt social sont imprécis, qu’il s’agisse

d’apprécier cet intérêt dans le cadre des conventions de vote comme en droit des

sociétés en général745. Le législateur n’en donne aucune définition alors qu’il s’y réfère

pourtant dans certains textes, notamment pour définir l’abus de biens sociaux746 ou

encore le contrôle747. Dès lors, ce sont bien souvent les juges qui apprécient eux-mêmes

le contenu de cette notion748, ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations au

743 Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gautier, confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, n°04-121 68, n°1138, RJDA, 12/05, n°1359, 1 ère esp., précités. 744 Sur le risque d’arbitraire du juge, voir F.-X. Lucas, « Les libertés d’organisation et de transmission. La liberté des associés » in Entreprise et Liberté, Tome 10, Association H. Capitant, Déc. 2007, Dalloz Thèmes et commentaires, II. B. 2. 745 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . A. Et notamment F.-X. Lucas, op. cit., II. B. 1 ; G. Goffaux-Callebaut, « La définition de l’intérêt social, Retour sur la notion après les évolutions législatives récentes », RTD. com., 2004, p. 35 ; D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°11 et s. ; A. Constantin, « L’intérêt social : quel intérêt ? » in Etudes offertes à B. Mercadal, F. Lefebvre, 2002, p. 317, n°13 et M.-C. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, p. 324 et s. 746 Art. L 242-6-3 C. com. 747 Art. L 233-3 C. com. 748 Qualifiant d’« angoissante » cette conclusion selon laquelle seul le juge a le pouvoir, en l’absence de définition légale, de définir le contenu de la notion d’intérêt social, voir J.-P. Bertrel, « Liberté contractuelle et sociétés – Essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des sociétés », RTD com., 1996, p.595, n°54. (renvoyant également à J. Mestre, S. Faye et Blanchard, Lamy Sociétés commerciales, n°1262, selon lesquels « l’intérêt social est sans conteste le fondement de l’intervention du juge dans la vie sociétaire »).

Page 172: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

172

regard de la légitimité qu’ils trouvent à s’immiscer ainsi dans le gouvernement des

sociétés749.

De plus, la jurisprudence a elle-même étendu la portée de cette notion en recourrant à

l’intérêt social pour réglementer d’autres domaines tels que l’expertise de gestion, l’abus

de majorité ou encore l’exclusion judiciaire.

367 - L’intérêt social paraît être une notion protéiforme. L’examen de la jurisprudence

conduit en effet la doctrine à dégager au moins deux significations que peut revêtir

l’intérêt social750.

D’un côté, l’intérêt social est perçu comme l’intérêt des actionnaires, déterminé par eux-

mêmes, à la majorité, en assemblée et se définit comme la recherche du profit en vue

de le partager ou d’augmenter la valeur de la société751. Dans cette perspective, l’intérêt

social rejoint l’intérêt commun des actionnaires, visé à l’article 1833 du Code civil, lequel

est réputé convergent en ce sens que chaque actionnaire retire un enrichissement

individuel de l’enrichissement collectif de la société752.

D’un autre côté, l’intérêt social est considéré comme celui de la société en tant

qu’organisme économique753 réunissant, à côté des actionnaires, les partenaires

sociaux que sont notamment les salariés, les fournisseurs, les clients et autres

créanciers sociaux. L’ensemble des intérêts catégoriels en présence sont alors garantis

par la recherche de la prospérité de l’entreprise, ce qui n’exclut pas que cette recherche

impose, parfois, de sacrifier certains de ces intérêts754.

Si l’intérêt à long terme des actionnaires se confond avec l’intérêt de l’entreprise, la

différence irréductible qui distingue ces deux visions755 rejaillit nécessairement suivant le

cadre dans lequel la question du respect de l’intérêt social s’élève756. L’intérêt social

apparaît alors comme une donnée factuelle, une notion au contenu variable, susceptible

de varier pour des raisons d’opportunité757.

749 Sur cette question, voir F.-X. Lucas, op. cit. et D. Schmidt, op. cit., n°13. 750 A. Constantin, op. cit, n°4 et s. ; M. Germain, op. cit., n°1056-60 et M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°375.

751 Conception défendue par D. Schmidt, Les droits de la minorité dans la société anonyme, Sirey, 1970 et « De l’intérêt social » RD bancaire et bourse, 1995, n°50, p. 130, l’auteur adopte une position plus nuancée dans Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004 ; Ph. Marini, La modernisation du droit des sociétés, Coll. des rapports officiels, La Documentation française, 1996, p. 12. 752 D. Schmidt, « De l’intérêt commun des associés», JCP, 1994.I.3793 et Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°4. 753 Conception défendue par J. Paillusseau, « Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP, éd. E, 1995 I. 488. Pour une application jurisprudentielle qui reste isolée, voir Cour d’appel de Paris 22 mai 1965, affaire Fruehauf, JCP, 1965.II.14274 bis, concl. Nepveu. 754 J. Paillusseau, op. cit. 755 Pour une vision intermédiaire, assimilant l’intérêt social à celui de la société en tant que personne morale dotée d’un intérêt supérieur aux intérêts des personnes qui en sont membre, voir M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°375 (« conception institutionnelle ») . 756 M. Germain, op. cit., n°1056-60. 757 D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°14.

Page 173: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

173

368 - La doctrine a en effet relevé que le juge adopte comme « outil juridique », ou

encore comme « boussole »758, l’une ou l’autre conception de l’intérêt social selon la

fonction de régulation que cette notion remplit759. L’intérêt social est dès lors perçu

comme une « norme de comportement, c’est-à-dire une règle qui marque la direction à

donner à une conduite pour sa légitimité juridique. Cette norme doit s’apprécier de

manière objective, et non pas subjective »760.

Le Professeur Constantin observe ainsi que c’est l’intérêt commun des actionnaires qui

doit être poursuivi pour la mise en œuvre de certaines prérogatives sociales revenant

aux actionnaires, notamment minoritaires, telles que l’expertise de gestion, l’action en

dissolution pour juste motif ou encore l’action ut singuli, tandis que c’est l’intérêt de

l’entreprise qui doit être poursuivi dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir juridique au

sein de la société, lequel serait notamment susceptible d’être réprimé du chef de l’abus

de majorité ou de minorité761 ou encore de l’abus de biens sociaux762. En revanche,

l’auteur ne se prononce pas sur l’acception de la notion d’intérêt social qu’il convient de

retenir pour la validité des conventions de vote. C’est que dans une étude antérieure, il

s’était interrogé sur le fondement-même de la condition de validité des conventions de

vote tenant à la non-contrariété à l’intérêt social763. Selon lui, cette condition ne s’impose

pas d’elle-même dès lors qu’une convention de vote est inopposable à la société. Il est

vrai, en outre, que la société n’est susceptible de connaître le vote exercé en exécution

de cette convention que si, la convention étant de nature à créer soit un vote majoritaire

soit une minorité de blocage, son exécution aboutit à l’adoption de la décision sociale.

369 - Or, si ce n’est pas la convention de vote en elle-même mais la décision sociale

à l’adoption de laquelle peut éventuellement conduire ce vote qui est susceptible de

nuire à l’intérêt social, il semble que le critère de l’abus du droit de vote suffit à encadrer

la validité des conventions de vote au regard de la condition générale de non-contrariété

à l’intérêt social.

Insistons bien sur le fait que seules les conventions de vote qui sont en mesure

d’exprimer un pouvoir juridique764, en entraînant l’adoption effective d’une décision

758 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°374. 759 F.-X. Lucas, op. cit., II. B et A. Constantin, op. cit., n°7 et s. 760 En ce sens, A. Constantin, op. cit, n°13. 761 Contra, J.-P. Bertrel, op. cit., n°55 et D. Schmidt, op. cit., n°12 (“Deuxième enjeu”). 762 A. Constantin, op. cit, n°11et s. 763 A. Constantin, « Réflexions sur la validité des conventions de vote », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 253. 764 Voir A. Constantin, op. cit., n°24.

Page 174: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

174

sociale765, sont susceptibles de contrarier l’intérêt social en ce qu’elles sont constitutives

d’un abus du droit de vote par anticipation.

370 - La condition de non-contrariété à l’intérêt social ne constitue pas, semble-t-il,

une condition parfaitement autonome pour l’appréciation de le validité des conventions

de vote, elle est en effet nécessairement relayée par la théorie de l’abus de droit dans

l’exercice du droit de vote.

On tient là une application supplémentaire de la dépendance marquée au contrat de

société des conventions de vote. Une telle convention n’a d’objet que dans sa

dépendance au contrat de société, elle est en effet indétachable de l’exercice du vote

lui-même, et la licéité de sa cause s’apprécie au regard de son intégration effective dans

le fonctionnement organique de la société pour peu que le vote qu’elle organise soit

l’expression d’un pouvoir juridique.

B. Le relais de l’abus de droit dans l’exercice du droit de vote

371 - Cela fait plusieurs dizaine d’années que certains auteurs, les Professeurs

Schmidt766 et Mercadal767 notamment, ont décelé dans la théorie de l’abus du droit de

vote le seul encadrement nécessaire de la validité des conventions de vote au regard de

la condition générale de non-contrariété à l’intérêt social768. Cette théorie permet en

outre de préserver le droit fondamental qu’a tout actionnaire de participer à la vie sociale

et de contribuer à la détermination de l’intérêt social.

Rappelons que l’abus de majorité est défini en jurisprudence comme la décision prise

« contrairement à l’intérêt général et dans l’unique dessein de favoriser les membres de

la majorité au détriment des membres de la minorité »769. Cette définition a ensuite été

transposée pour définir l’abus de minorité770 ainsi que l’abus d’égalité771, si bien que,

dans les trois cas, l’abus du droit de vote consiste en une atteinte à l’intérêt général de

la société combinée à une rupture d’égalité entre actionnaires.

765 Ce raisonnement est comparable à celui qui prévaut pour valider une convention de vote au regard du principe de révocabilité ad nutum des administrateurs lorsque l’actionnaire débiteur de l’engagement est minoritaire et ne peut à lui seul faire obstacle à la révocation du dirigeant par l’assemblée générale. Sur cette question, voir S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°339 et supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. B. 766 D. Schmidt, note sous Cass. com. 19 décembre 1983, Rev. sociétés, 1984, p. 105. 767 B. Mercadal, « Pour la validité des conventions de vote entre actionnaires », RJDA, 1992, p. 727. 768 Les conditions spécifiques de non-contrariété à l’intérêt social tenant au respect des principes d’ordre public de hiérarchie et spécialité des organes sociaux et de révocabilité ad nutum de certains dirigeants conservent toutefois leur pleine autonomie (voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1). 769 Cass. com. 18 avril 1961, affaire Schumann-Piquard, JCP, 1961.II.12164, obs. Bastian. 770 Cass. com. 14 février 1992, arrêt Vitama, JCP., éd. E, 1992.II.301, note A. Viandier. 771 Cass. com. 8 juillet 1997, Bull. Joly, 1997, p. 980, note E. Lepoutre.

Page 175: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

175

372 - Dans cette perspective, le contrôle de la non-contrariété à l’intérêt social ne

s’applique pas à la convention de vote elle-même mais au seul vote émis en exécution

de la convention et ayant effectivement conduit à l’adoption de la délibération. Le

Professeur Mercadal relève ainsi que « l’abus consommé libère l’actionnaire et la

société d’une convention de vote nocive à leurs intérêts tandis que l’absence d’abus

retire toute raison à l’actionnaire et à la société de mettre en cause l’application de la

convention de vote »772. Le Professeur Schmidt souligne, dans le même sens, qu’il n’y a

aucune raison de prohiber la convention de vote si cette dernière donne lieu à un vote

conforme à l’intérêt social, et que, dans le cas contraire, seul le vote préjudiciable à la

société doit être sanctionné773.

Le Professeur Constantin rejoint l’opinion de ces auteurs en insistant, pour sa part, sur

ce que le contrôle de la non-contrariété à l’intérêt social, par l’application de l’abus du

droit de vote, doit permettre de sanctionner la convention de vote elle-même774. Selon

lui, si cette convention a pour objet, ou si elle est de nature à avoir pour effet, d’entraîner

l’adoption d’une décision contraire à l’intérêt social en ce que cette dernière serait

constitutive d’un abus de droit, la convention doit être considérée comme nulle, sur le

fondement du droit commun des contrats, en raison de l’illicéité de sa cause. Il nous

semble en effet qu’une telle convention est nulle comme étant constitutive d’un abus du

droit de vote par anticipation. L’appréciation de la validité des conventions de vote au

regard de la condition générale relative à la non-contrariété à l’intérêt social775 emprunte

donc nécessairement au régime de l’abus du droit de vote.

373 - Ce défaut d’autonomie de la condition de validité des conventions de vote

relative à la non-contrariété à l’intérêt social est significatif du fort degré de dépendance

au contrat de société de ce type de pacte. On pourrait identiquement substituer à cette

condition générale, dont les contours sont imprécis, celle plus spécifique, selon laquelle,

la convention de vote ne doit pas avoir pour objet, ou pour effet, l’adoption d’une

décision sociale constitutive d’un abus du droit de vote776. En effet, dès lors que la

convention de vote s’exécute dans le cadre de l’exercice de la prérogative de vote, elle

est soumise exactement aux mêmes limites auxquelles l’exercice de cette prérogative

au sein de la société est lui-même soumis en l’absence de toute convention. Cela

implique en outre que le respect de la condition générale relative à la non-contrariété à

772 B. Mercadal, op. cit., n°6. 773 D. Schmidt, op. cit., p. 110. 774 A. Constantin, op. cit., n°21 et s. 775 Voir remarque supra, selon laquelle les conditions spécifiques de non-contrariété à l’intérêt social tenant au respect des principes d’ordre public de hiérarchie et spécialité des organes sociaux et de révocabilité ad nutum doivent également être vérifiées. 776 En ce sens, voir A. Constantin, op. cit., n°24 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°10669.

Page 176: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

176

l’intérêt social ne peut se vérifier qu’en cours d’exécution de la convention de vote,

l’intérêt social étant susceptible d’évoluer entre la formation de la convention de vote et

son exécution777. On pourrait conclure à une faible sécurité juridique pour les partenaires

qui souhaitent se lier par une convention de vote.

374 - Toutefois, l’appréciation de la validité des conventions de vote, au regard de la

non-contrariété à l’intérêt social, par l’application de la théorie de l’abus du droit de vote

présente le double avantage de préserver la liberté qu’a tout actionnaire de se forger sa

propre conception de l’intérêt social tout en améliorant la sécurité des partenaires dans

la mesure où le régime de cette théorie est bien établi en droit positif et suffisamment

restrictif pour que les risques d’invalidité des conventions de vote soient limités.

En effet, de jurisprudence constante, le régime de l’abus du droit de vote exclut toute

possibilité pour le juge d’arbitrer entre les diverses conceptions subjectives que les

actionnaires se font de l’intérêt social. Le juge doit apprécier le caractère non-contraire à

l’intérêt social de la décision à laquelle le vote aboutit de la manière la plus objective

possible en ne contrôlant pas l’opportunité du vote mais la seule légalité ou encore

légitimité de ce vote778.

En outre, la conception que la jurisprudence retient de l’abus du droit de vote779 est

d’autant plus stricte que la décision doit être contraire à l’intérêt social, désigné comme

« intérêt général »780 de la société, en ce qu’elle porte sur une opération indispensable

au maintien de la société. La décision de l’actionnaire est en effet abusive lorsqu’elle

vise à préserver un intérêt égoïste tout en menaçant la survie de la société781. Comme

l’a relevé un auteur782, le double critère de la contrariété à l’intérêt général de la société

et de la rupture d’égalité, laquelle s’apparente à la contrariété à l’intérêt commun, permet

de restreindre la sanction de l’abus de vote à des situations d’une particulière gravité.

L’« hypothèse de l’abus de vote ne doit pas permettre au juge d’instaurer une police

morale du fonctionnement de la société »783.

777 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°289. 778 En ce sens, M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°384. La Cour de cassation a récemment rappelé ce principe en écartant l’abus de droit après avoir constaté que la décision du minoritaire, lequel avait refusé de consentir à une augmentation de capital en l’absence d’informations suffisantes sur l’utilité de cette opération, n’était pas illégitime dès lors qu’il n’était pas établi que ce dernier avait agi dans « l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés » (Cass. com. 20 mars 2007, JCP, éd. G, 2007.I. 179, n°3, chron. J.-J. Caussain, F l. Deboissy et G. Wicker). 779 Une atteinte à l’intérêt général de la société combinée à une rupture d’égalité entre actionnaires, voir supra. 780 Cass. com. 18 avril 1961, affaire Schumann-Piquard, JCP, 1961.II.12164, obs. Bastian, précitée. 781 V. Cuisinier, L’affectio societatis, Litec, 2008, n°329. 782 V. Cuisinier, op. cit, n°329. 783 V. Cuisinier, op. cit., n°329.

Page 177: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

177

375 - Le régime des conventions de vote est relativement bien établi en droit positif,

il conduit à admettre assez largement la validité de ces conventions, sous certaines

conditions, lesquelles s’apprécient à la fois au moment de la formation de la convention

et au moment de l’exécution de cette dernière.

Il apparaît, s’agissant des conditions de validité dont le respect est susceptible d’être

apprécié lors de la formation de la convention784, que les aménagements contenus dans

les conventions de vote sont validés dans la mesure exacte de la marge de souplesse

que l’ordre public sociétaire admet pour l’aménagement dans les statuts l’exercice de

l’exercice du droit de vote et du fonctionnement organique de la société. Quant à

l’appréciation générale de la validité de la convention au regard de l’intérêt social,

laquelle ne peut avoir lieu qu’en cours d’exécution de la convention, lors de l’exercice du

vote lui-même, elle est identique à celle qui prévaut pour encadrer l’exercice, par tout

actionnaire, de sa prérogative de vote en dehors même de l’existence d‘une convention

de vote.

On le mesure, le régime des conventions de vote est fortement dépendant voire

quasiment dicté par le droit des sociétés, en raison de l’objet de ces conventions, ce qui

est significatif de leur dépendance marquée au contrat de société.

Conclusion du Chapitre 1

376 - Les conventions de vote présentent un régime fortement influencé par

l’environnement sociétaire. En effet, dès lors qu’elles affectent le processus d’adoption

des décisions sociales, ces conventions subissent nécessairement l’impact des règles

gouvernant le fonctionnement de la société. Ces règles sont destinées à permettre à

chaque actionnaire de participer aux prises de décision, dans le cadre d’un mode

d’expression de la volonté collective organisé, soumis aux principes délibératif et

majoritaire, ainsi qu’à des principes gouvernant la répartition des pouvoirs au sein des

organes sociaux, lesquels principes garantissent ensemble une conduite des affaires

opportune pour la société.

377 - Ainsi, la forte dépendance au contrat de société des conventions de vote se

manifeste-t-elle, en premier lieu, dans les limites, fixées par la jurisprudence, dans

lesquelles il est admis que l’actionnaire renonce au libre exercice de son droit de vote.

784 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 2. A (portée limitée de la convention) ; -Sect° 2, § 1. A (respect du principe de hiérarchie et spécialité des organes sociaux) et -B (respect du principe de révocabilité ad nutum de certains dirigeants sociaux).

Page 178: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

178

Le droit de vote demeure, malgré l’affaiblissement de son caractère essentiel, une

prérogative d’ordre public destinée à protéger les intérêts des actionnaires. A ce titre, il

ne peut être supprimé ni même suspendu, en dehors des cas prévus par la loi, et seul

l’exercice de ce droit est susceptible d’être aménagé par son titulaire, de manière

limitée, de sorte que ce dernier conserve une marge suffisante de liberté. Les

conventions de vote doivent donc avoir une portée limitée, cette condition s’appréciant

essentiellement au regard de l’objet de la convention, sous peine de menacer le bon

discernement de l’actionnaire lorsqu’il souscrit l’engagement de vote, lequel

engagement pourrait s’avérer, par la suite, contradictoire avec le fondement de la

participation de son souscripteur dans la société. La jurisprudence vérifie également que

les conventions de vote ne sont pas frauduleuses conformément à la condition générale

de droit commun. A ce titre, elle a opéré une évolution favorable à l’admission de la

validité des conventions de vote particulières qui se fondent dans la structure d’une

société holding spécialement créée pour gérer les titres des actionnaires apporteurs.

378 - La dépendance marquée au contrat de société des conventions de vote

ressort, d’autre part, des conditions qui encadrent la validité de ces conventions au

regard du respect des principes gouvernant le fonctionnement des organes sociaux et

destinés à garantir une gestion de la société conforme à l’intérêt social.

Les conventions de vote doivent ainsi respecter le principe de hiérarchie et de spécialité

des organes sociaux ainsi que celui de la révocabilité ad nutum de certains dirigeants

dans le cas où elles sont conclues au profit d’actionnaires exerçant une fonction de

direction au sein de la société. Ainsi, sont notamment frauduleuses les conventions de

vote qui ont pour objet, et tout autant illicites celles qui ont seulement pour effet, de

limiter les pouvoirs légaux des dirigeants ou encore de rendre dissuasive, pour un

actionnaire suffisamment influent pour peser de manière déterminante sur la révocation,

toute décision de révocation d’un dirigeant.

Elles sont en outre soumises à la condition plus générale de non-contrariété à l’intérêt

social. Si l’appréciation du respect de cette condition, applicable à l’ensemble des

pactes d’actionnaires, s’avère difficile en raison du caractère flou de la notion d’intérêt

social, ce sont les critères dégagés par la jurisprudence pour apprécier l’abus du droit de

vote qu’il convient d’appliquer en matière de conventions de vote spécifiquement.

379 - De même que le pouvoir résultant de l’exercice du droit de vote au sein de la

société, la qualité d’actionnaire des partenaires constitue un vecteur de rattachement au

contrat de société qui fonde une dépendance marquée à ce contrat des pactes

aménageant la perte de cette qualité.

Page 179: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

179

Chapitre 2. Les pactes aménageant la perte de la qu alité d’actionnaire des

partenaires

380 - Les pactes qui aménagent la perte de la qualité d’actionnaire des partenaires,

soit en forçant un partenaire à quitter la société, soit, au contraire, en maintenant de

force un partenaire dans la société, se heurtent à deux principes fondamentaux de

l’ordre public sociétaire reconnaissant comme droits essentiels de l’actionnaire le droit

de rester dans la société ainsi que celui de ne pas être prisonnier de la société.

381 - Le droit de rester dans la société s’oppose radicalement à l’exclusion de tout

actionnaire, quand bien même cette exclusion serait-elle décidée par un organe social

statuant dans les conditions de délibération requises et justifiée par l’intérêt social. En

effet, une telle décision est difficilement conciliable avec la poursuite de l’intérêt commun

des actionnaires.

Quant au droit de ne pas être prisonnier de la société, il implique la possibilité pour tout

actionnaire de quitter la société au moment où il le souhaite et aux conditions qui le

satisfont, et notamment lorsqu’il ne pense plus participer à la poursuite de l’intérêt

commun des actionnaires au sein de la société. Le droit de ne pas être prisonnier de la

société est le corollaire du principe de libre négociabilité des actions.

382 - Les pactes qui aménagent la perte de la qualité d’actionnaire des partenaires

affectent ainsi le contrat de société, non seulement dans sa structure mais encore dans

son fondement ; dès lors, ils présentent nécessairement une dépendance marquée au

contrat de société. Ce degré de dépendance implique une forte influence de l’ordre

public sociétaire dans l’encadrement de la validité de ces pactes, ce que nous allons

vérifier tant en matière de pactes d’exclusion (Section 1) que pour les pactes rendant un

actionnaire prisonnier de la société (Section 2).

Section 1. Les pactes d’exclusion de la société

383 - Les pactes ou clauses d’exclusion, également qualifiés de pactes d’éviction ou

de rachat forcé, organisent l’exclusion d’un actionnaire qui ne répond plus à certaines

conditions considérées par ses partenaires comme essentielles au maintien de ce

dernier dans la société, en obligeant le débiteur à céder ses actions.

Page 180: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

180

Les motifs d’exclusion en cause conduisent tantôt à la sanction du partenaire qui n’a pas

respecté les obligations qu’il tenait du contrat de société ou du pacte, tantôt à

l’application d’une mesure de remède consistant à exclure le partenaire qui vient de

subir un changement objectif de nature à compromettre, dans l’esprit de ses partenaires,

la bonne poursuite de la collaboration opérée entre eux jusque-là. Tous ces motifs sont

le signe de l’émergence d’une divergence d’intérêts entre les partenaires785.

384 - La validité des clauses d’exclusion extra-statutaires est longtemps demeurée

incertaine en raison de la réticence de la jurisprudence et de la doctrine à admettre la

possibilité de prévoir, tant dans les statuts qu’en dehors du pacte social, de forcer un

actionnaire à quitter la société786. Il est vrai que ces clauses méconnaissent le droit

fondamental qu’a tout actionnaire de rester dans la société mais cet obstacle n’est pas

pour autant insurmontable. L’admission progressive, en droit positif, des clauses

d’exclusion statutaires, à des conditions néanmoins relativement strictes, a en effet

ouvert la voie à la reconnaissance du caractère non absolu du droit de rester dans la

société.

385 - Dans le même temps, le particularisme des clauses extra-statutaires

organisant la cession forcée des actions d’un partenaire, négociée dans le cadre de

l’acquisition-même de ses titres, a été pris en compte par la jurisprudence. La validité

des clauses extra-statutaires d’exclusion prenant la forme de promesses unilatérales de

cession sous conditions est ainsi reconnue par la jurisprudence, laquelle encadre ces

dernières par des conditions relevant du droit commun de la vente dont l’application

entre actionnaires n’est pas sans présenter de particularités. La mise en œuvre de ces

pactes de rachat forcé, qui aboutit à l’exclusion d’un actionnaire, est en effet l’expression

d’un rapport de force source d’un risque d’arbitraire caractérisé, lequel ne peut être

ignoré par le juge. La vigilance particulière de la jurisprudence en ce domaine manifeste

alors la force de la dépendance de ces pactes d’exclusion au contrat de société.

386 - Il en résulte que, si le droit pour tout actionnaire de rester dans la société ne

constitue pas un obstacle dirimant à l’admission, dans le principe, de la validité des

clauses extra-statutaires d’exclusion (§ 1), la jurisprudence encadre strictement la

785 Cette distinction entre l’exclusion-sanction et l’exclusion-remède, qui est opérée par une partie de la doctrine en matière de clauses d’exclusion statutaires (voir notamment, J.-P. Storck, « La continuation de la société par l’élimination d’un associé », Rev. sociétés, 1982, p. 233, n°1 et s ; D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°190 et s. ; Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°49), ne nous semble pas être d’une quelconque utilité dans l’étude de la validité des clauses d’exclusion extra-statutaires. 786 B. Caillaud, L’exclusion d’un associé dans les sociétés, Sirey, 1966.

Page 181: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

181

validité des pactes d’exclusion prenant la forme de promesses unilatérales de cession

sous conditions (§ 2).

§ 1. Relativité du droit de rester dans la société

387 - L’exclusion conventionnelle se heurte au droit fondamental qu’a tout

actionnaire de rester dans la société. Ce droit constitue notamment un garde-fou contre

l’abus de droit qui consisterait pour certains actionnaires à décider de l’exclusion d’un

autre actionnaire.

Toutefois, l’étude du fondement du droit pour l’actionnaire de rester dans la société (A)

conduit à affirmer que ce dernier n’est pas absolu et peut faire l’objet d’un aménagement

par son titulaire (B).

A. Le fondement du droit de rester dans la société

388 - Le fondement du droit pour tout actionnaire de rester dans la société, et donc

de ne pas être exclu de cette dernière, peut être envisagé sous un double aspect. Il est

tout d’abord contractuel mais il résulte également du droit de propriété de l’actionnaire

sur ses titres.

389 - En premier lieu, l’actionnaire a le droit de se prévaloir du lien contractuel qui

l’unit à la société, en vertu de sa qualité de partie au contrat de société, pour rester dans

la société aussi longtemps qu’il le souhaite. Dans cette perspective, l’exclusion d’un

actionnaire s’apparente à la résolution du contrat de société, laquelle résolution ne peut

intervenir par la volonté unilatérale de l’une des parties. En droit commun, une telle

résolution pourrait cependant se concevoir, en cas de faute de l’actionnaire, ainsi qu’il

est prévu à l’article 1184 du Code civil pour les contrats synallagmatiques.

Mais dans un tel cas, le droit spécial des sociétés ne prévoit pas l’exclusion de

l’actionnaire fautif mais la dissolution judiciaire de la société787. On le sait, le contrat de

société est un contrat spécial, d’essence collective788, qui emporte des liens contractuels

non seulement entre chaque actionnaire et la société mais encore entre les actionnaires

eux-mêmes. De ce point de vue, l’exclusion d’un actionnaire ne revient pas à une

résolution du contrat de société dans la mesure où ce dernier se poursuit avec les

787 Art. 1844-7-5° C. civ. Par exception, l’inexécution de l’obligation des actionnaires, à l’égard de la société, de libérer leurs apports est sanctionnée par une forme d’exclusion de l’actionnaire récalcitrant (art L 228-27 C. com.) 788 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 2. A.

Page 182: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

182

autres actionnaires789. Or, il n’est pas de la nature du contrat de société, lequel est fondé

sur la poursuite de l’intérêt commun des actionnaires, de pouvoir être maintenu entre

tous les actionnaires excepté l’un d’entre eux, lequel serait exclu de force, même dans

l’intérêt de la société. La jurisprudence relative à l’exclusion judiciaire le confirme. Après

quelques flottements jurisprudentiels790, il est désormais bien établi par la Cour de

cassation que l’actionnaire à l’origine d’une demande en dissolution de la société pour

justes motifs791 ne peut être exclu par le juge, sur le fondement de l’intérêt social, en

raison de ce que la société serait économiquement viable 792.

En outre, le contrat de société étant dénué de toute logique disciplinaire, aucun organe

ne dispose expressément, au sein de la société anonyme793, du pouvoir de sanctionner

un actionnaire ayant commis une faute794. Ainsi, les actionnaires, statuant en assemblée

générale à la majorité, ne peuvent-ils pas voter spontanément l’exclusion d’un

actionnaire795.

390 - Toutefois, si le droit pour tout actionnaire de rester dans la société ne peut être

supprimé par un quelconque pouvoir extérieur, en raison du fondement contractuel

spécial de la société, l’actionnaire est en revanche libre, dans le principe, d’aménager

son propre droit. Ce dernier peut en effet consentir, par avance, à restreindre ce droit

dans certaines circonstances, dès lors que, non contraint par une volonté extérieure, il le

fait de son seul gré en vertu du pouvoir de l’autonomie de la volonté. Il semble que pour

la doctrine796 ce soit le respect du droit de propriété qui constitue un obstacle plus

redoutable à l’admission, dans le principe, de l’exclusion d’un actionnaire.

391 - En vertu du principe constitutionnel et européen du respect du droit de

propriété, l’actionnaire détient le pouvoir exclusif de disposer des actions dont il est

propriétaire. Il ne fait en effet aucun doute, en droit positif, même si une telle évidence

ne manque pas d’alimenter les débats doctrinaux, que l’actionnaire dispose d’un droit de

789 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°49. 790 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°643 et s. Certaines juridictions du fond ont en e ffet prononcé l’exclusion d’un actionnaire, par préférence à la dissolution pour mésentente, sur le fondement de l’intérêt social (voir notamment Cour d’appel de Reims 24 avril 1989, JCP, éd. E, 1990, II, 15677, n°2, note A. Viandier et J. -J. Caussain et Cour d’appel de Poitiers 25 mars 1992, Dr. sociétés, 1992, p. 4, chron. J.-M de Bremond de Vaulx). 791 Art. 1844-7-5 C. civ. 792 Cass. com. 12 mars 1996 (Sté Nollet et Cie et autres c/ M. Salon et autres), RTD. com., 1996, p. 897, note J. Mestre et Bull. Joly, 1996, p. 576, note J.J. Daigre. Voir également Cour d’appel de Toulouse 10 juin 1999, JCP, éd. E, 2000, 1620, note J.-J. Daigre. 793 Exception faite des dispositions de l’article L 228-27 du Code de commerce (voir note supra). 794 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°320 et M.-Ch. Monsallier, op. cit., n°624. 795 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 22ème éd., 2009, n°323. 796 Y. Guyon, op. cit., n°49 et M. Germain, Traité de droit commercial - Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1599.

Page 183: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

183

propriété sur ses titres797. Or, l’article 544 du Code civil énonce que « Nul ne peut être

contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour une cause d’utilité publique et

moyennant une juste et préalable indemnité ». En ce sens, l’exclusion d’un actionnaire

réalise une expropriation de ce dernier798. Cet article est parfois invoqué par la

jurisprudence précitée, qui refuse d’admettre l’exclusion judiciaire d’un actionnaire à

l’origine d’une demande en dissolution de la société pour justes motifs lorsque cette

dernière est économiquement viable, en raison de ce que cela reviendrait, en effet, à

admettre une « expropriation pour cause d’intérêt privé »799. Toutefois, dans l’exercice

même de son droit de propriété, l’actionnaire est libre de décider des conditions dans

lesquelles il disposera de ses titres et notamment, de s’engager à l’avance à devoir les

céder dans certaines circonstances.

392 - Ainsi, le double fondement contractuel et constitutionnel du droit de rester dans

la société, lequel conduit la jurisprudence à reconnaître ce dernier comme droit

fondamental et propre à l’actionnaire800, ne fait pas obstacle à un aménagement

conventionnel de ce droit en vertu du pouvoir de la volonté et dans le cadre de

l’exercice-même du droit de propriété. En effet, le droit pour tout actionnaire de rester

dans la société n’est pas absolu.

B. Le caractère non-absolu du droit de rester dans la société

393 - Le caractère non-absolu du droit pour tout actionnaire de ne pas être exclu de

la société résulte, en premier lieu, de l’existence de certaines hypothèses, certes

limitées, dans lesquelles le législateur admet lui-même l’exclusion d’un actionnaire801.

Il est confirmé par l’évolution de la jurisprudence, désormais favorable à la validité, dans

le principe, des clauses statutaires d’exclusion, lesquelles sont néanmoins encadrées

par des conditions relativement strictes, destinées à garantir que cet aménagement

conventionnel du droit de rester dans la société procède de la libre volonté de chacun

des actionnaires et respecte leur droit de propriété.

797 Sur cette question, voir M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009, n°413 et s. 798 Y. Guyon, op. cit., n°49 et M. Germain, op. cit., n°1599. 799 Cour d’appel d’Aix 26 juin 1984, D., 1985, p. 372, note J. Mestre ; Trib. com. Versailles, 2 mai 1989, Bull. Joly, 1989, p. 615, note Y. Sexer. 800 Cass. com. 12 mars 1996 (Sté Nollet et Cie et autres c/ M. Salon et autres), précité. 801 Notamment pour sanctionner les actionnaires qui ne réalisent pas les apports promis (art L 228-27 C. com.) ; dans certaines circonstances dans les sociétés à capital variable (art. L 231-6 C. com.) ; dans les SAS dont les statuts peuvent contenir une clause d’exclusion (art. L. 227-16 et -17 C. com.) ou encore par la procédure de retrait obligatoire à l’encontre de certains minoritaires dans les sociétés cotées (art L 236-1 et s. et L 237-1 et s. du règlement général de l’AMF).

Page 184: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

184

394 - Les juridictions du fond valident depuis longue date les clauses d’exclusion

statutaires insérées dans les statuts d’origine802 dès lors que les actionnaires ont

accepté la précarité de leur situation au moment de leur entrée dans la société. La Cour

de cassation s’est quant à elle prononcée plus tardivement, en validant d’abord

implicitement803, puis expressément, dans un arrêt du 8 mars 2005804, les clauses

statutaires d’exclusion, sous certaines conditions.

Insérée dans les statuts en cours de vie sociale, la clause d’exclusion doit être

approuvée à l’unanimité des actionnaires805 puisque, nous l’avons dit, chaque

actionnaire ne peut être privé de son droit propre de demeurer dans la société que s'il y

a librement consenti.

Les clauses d’exclusion statutaires sont encadrées, dans leur mise en œuvre, par des

conditions destinées à protéger les actionnaires contre tout arbitraire806 et apportant des

garanties d’ordre moral, procédural et patrimonial807, au respect desquels le juge veille

strictement808. Les statuts doivent préciser les motifs de l’exclusion ainsi que l’organe

compétent pour la prononcer809. Ces motifs doivent être précis et objectifs, justifier d’une

certaine gravité810 quant au comportement de l’actionnaire visé et au trouble que ce

dernier cause à la vie sociale et être conformes à l’intérêt social ainsi qu’à l’ordre

public811. Ensuite, le prononcé de l’exclusion requiert l’organisation d’une procédure

respectant le droit de l’actionnaire d’être informé des faits qui lui sont reprochés et des

conditions dans lesquelles il peut se défendre812. Enfin, l’actionnaire exclu doit avoir

préalablement reçu le juste prix de ses actions813.

802 Cour d’appel de Rennes 12 juillet 1912, Journ. sociétés, 1913, p. 23, note H. Bosvieux ; Cour d’appel de Lyon, 15 mars 1928, Journ. sociétés, 1929, p. 202 et Cour d’appel de Rouen 8 février 1974, Rev. sociétés, 1974, p. 507, obs. R. Rodière. 803 Cass. com. 13 décembre 1994, JCP, éd. E, 1995.II.705, note Y. Paclot. 804 Cass. com. 8 mars 2005, pourvoi n°02-17.692, Bull. Joly, 2005, p. 995, note P. Le Cannu (en matière de SNC). 805 Cour d’appel de Paris 27 mars 2001, JCP, éd. N, 2002, p. 1237, note F.-X. Lucas, précité. 806 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°318 et s. 807 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°99. 808 Cass. com. 21 octobre 1997, Bull. Joly, 1998, p. 40, note P. Le Cannu. 809 Il peut s’agir du conseil d’administration (Cour d’appel de Rouen 8 février 1974, précité), du directoire, de l’assemblée générale des actionnaires ou encore de toute personne tierce à la société et aux actionnaires. Lorsque l’assemblée générale des actionnaires est compétente pour prononcer l’exclusion, l’actionnaire visé doit impérativement participer au vote sur sa propre exclusion (Cass. com. 23 octobre 2007, précité, D., 2009, p. 323, obs. J.-Cl. Hallouin). 810 Y. Guyon, op. cit, n°99. 811 Cass. com. 8 mars 2005, pourvoi n°02-17.692, préci té, validant le motif tenant au redressement judiciaire d’un associé. Ces motifs doivent, en outre, selon certains, être identiques pour tous les actionnaires (Y. Guyon, op. cit, n°99), la clause devant alors s’appliquer à l’ens emble des actionnaires (en ce sens également, J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, 1995, n°91). 812 Cass. com. 7 juillet 1992, JCP, éd. G, 1993.II.3652, n°16, obs. A. Viandier et J.-J . Caussain (en matière de GIE). Toutefois le principe du contradictoire ne semble pas être applicable aux décisions prises par un organe de gestion (Cass. com. 10 mai 2006, Rev. sociétés, 2007, p. 70, note L. Godon). 813 Cour d’appel de Paris 7 juin 1988, Rev. sociétés, 1989, p. 246, note S. Dana-Démaret et Cass. com. 8 mars 2005, pourvoi n°02-17.692, précité.

Page 185: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

185

395 - Le caractère relatif du droit de rester dans la société, dont atteste l’admission,

dans la limite de l’arbitraire, des clauses statutaires d’exclusion, devrait ouvrir la voie à la

validité des clauses d’exclusion extra-statutaires814. Il nous semble toutefois que les

clauses d’exclusion statutaires appartiennent au domaine réservé aux statuts815.

Nous pensons en effet qu’en raison de ce que la qualité d’actionnaire procède du contrat

de société, sa déchéance ne peut être organisée autrement que par les statuts ni

prononcée par une entité autre qu’un organe social spécialement habilité à cet effet816.

Ainsi, dans la mesure où, d’une part, la clause d’exclusion joue nécessairement dans les

rapports entre la société et l’actionnaire exclu, et, d’autre part, les dispositions extra-

statutaires sont inopposables à la société comme aux organes sociaux de cette

dernière, seuls les statuts doivent pouvoir, selon nous, donner compétence à un organe

social pour prononcer, sous les conditions établies par la jurisprudence, l’exclusion d’un

actionnaire817.

396 - En revanche, il est possible d’organiser conventionnellement, en dehors des

statuts, au moyen de l’engagement pris par un actionnaire envers un ou plusieurs autres

de céder ses actions sous certaines conditions, la sortie forcée de l’actionnaire débiteur.

Une telle convention revient alors à organiser une forme d’exclusion de ce dernier,

laquelle résulte automatiquement de la levée d’option par le bénéficiaire, une fois

réalisées les conditions auxquelles la naissance de l’engagement de cession du débiteur

est suspendue. Cette forme d’exclusion, résultat d’une cession forcée, se distingue alors

fondamentalement de l’exclusion statutaire dans la mesure où, d’une part, l’actionnaire

ne s’engage aucunement envers la société et, d’autre part, le sort de ce dernier ne

dépend pas de la décision d’un organe social.

Cette distinction entre les clauses d’exclusion stricto sensu et les clauses de cession

forcée, dites également clauses ou pactes de rachat forcé, se conçoit plus aisément à la

lumière des propos du Professeur Guyon, selon lequel l’exclusion de la société entraîne,

en théorie, la disparition des titres de l’actionnaire exclu, tandis que le rachat ou la

cession forcée donne lieu à la substitution d’un nouvel actionnaire dans les droits de

l’actionnaire cédant818. Si les clauses d’exclusion stricto sensu appartiennent au

814 S. Prat, op. cit., n°322. 815 Sur le domaine réservé aux statuts, voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1. A. Voir égaleme nt, F.-X. Lucas, note sous Trib. com. Paris 17 octobre 2006, affaire SNCM précitée, Bull. Joly, 2007, p. 72, II. 816 Dans le même sens, H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, « Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires », Dr. sociétés, Actes prat. 10/1992, n°52, selon lesquels seul le contrat de société peut retirer à l’actionnaire la qualité qu’il a lui-même conférée à ce dernier. 817 Cass. com. 8 février 1982, Bull. Joly, 1982, p. 970, jugeant non écrite une convention extra-statutaire d’exclusion au motif que « la convention litigieuse était distincte du contrat de société liant par ailleurs les parties » et « qu’elle n’avait pas été signée par un représentant de la société ». 818 Y. Guyon, op. cit., n°49.

Page 186: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

186

domaine réservé aux statuts, rien n’empêche de stipuler une clause de cession forcée

dans un pacte extra-statutaire.

Pour la suite de nos propos, nous qualifierons indifféremment une telle clause extra-

statutaire, de pacte ou clause de cession forcée, de rachat forcé, de sortie forcée ou

encore de pacte ou clause d’exclusion extra-statutaire, la notion d’exclusion étant alors

entendue dans un sens large.

397 - Ces clauses d’exclusion extra-statutaires qui prennent la forme de promesses

unilatérales de cession sous condition suspensive doivent respecter certaines conditions

destinées à éviter tout risque d’arbitraire.

§ 2. Les conditions des pactes de cession forcée

398 - Des distinctions qui précèdent, il résulte qu’un actionnaire peut valablement

promettre, en dehors des statuts, de céder sous certaines conditions l’ensemble de ses

titres à un autre actionnaire si ce dernier le souhaite819.

Si la cession des titres entraîne de facto la perte de la qualité d’actionnaire, le

promettant ne peut arguer de son droit de rester dans la société, et notamment de son

droit de propriété, dès lors qu’il a lui-même pris par avance l’engagement conditionnel

de céder les titres820. Ainsi que l’a relevé un auteur, la promesse de rachat forcé ne

porte pas plus atteinte au droit de propriété que toute promesse de vente valablement

consentie821.

399 - La validité de ces pactes de rachat forcé est ainsi reconnue par la doctrine en

raison de ce que ces derniers affectent avant tout le « contrat d’acquisition »822 et, par

voie de conséquence, la qualité d’actionnaire. Ils se distinguent des clauses d’exclusion

stricto sensu en ce qu’ils n’ont pas pour objet d’entraîner directement la déchéance de la

qualité d’actionnaire, la perte de cette qualité n’en étant qu’un effet ricochet. Il

n’empêche qu’en raison de cet effet majeur qu’ont les clauses de cession forcée, ces

dernières se placent nécessairement dans un fort degré de dépendance au contrat de

société.

819 D. Martin, « L’exclusion d’un actionnaire », RJ. com., 1990, p. 94 et s., spéc. p. 113. 820 F.-X. Lucas, note sous Trib. com. 17 octobre 2006, affaire SNCM, précitée, Bull. Joly, 2007, p. 72, II. 821 S. Dana-Demaret, Rev. sociétés, 1989, p. 246, note sous Cour d’appel de Paris 7 juin 1988, précitée. 822 M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1602 et F.-X. Lucas, op. cit., p. 72, II.

Page 187: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

187

400 - La jurisprudence s’oriente également vers la reconnaissance de la validité des

clauses de rachat extra-statutaires prenant la forme d’une promesse unilatérale de

cession sous condition suspensive de la réalisation de certains évènements823. Nous en

avons également rencontré une variante, validée en jurisprudence, dans la clause

d’offre alternative stipulée dans le pacte d’actionnaires ayant fait l’objet de l’affaire

SNCM précitée824.

Cette validité est toutefois encadrée par deux conditions essentielles825, destinées à

protéger l’actionnaire débiteur contre tout arbitraire, en garantissant que la promesse de

cession est bien levée et exercée par le bénéficiaire dans les termes consentis et

acceptés par le promettant. Ces conditions sont relatives aux motifs de l’exclusion, d’une

part, à savoir l’événement sur lequel porte la condition suspensive (A), et au prix de

rachat, lequel représente l’indemnisation de l’actionnaire exclu (B), d’autre part.

A. La condition relative aux motifs de l’exclusion

401 - Dans les pactes d’exclusion ou de rachat forcé prenant la forme de promesses

unilatérales de cession sous condition suspensive, le ou les événements sur lesquels

porte la condition suspensive constituent précisément les motifs de l’exclusion. Une fois

la condition réalisée, le bénéficiaire du pacte est en effet fondé à lever l’option d’achat

dont il dispose et forcer ainsi le promettant à céder ses actions.

Ces évènements doivent donc être précisés avec le plus grand soin afin d’éviter toute

contestation quant à la validité de la promesse de cession d’une part, et quant à la mise

en œuvre du pacte par le bénéficiaire d’autre part.

402 - Les motifs d’exclusion stipulés comme condition suspensive de la promesse

unilatérale de cession doivent impérativement être précis et objectifs. On peut s’inspirer

à ce titre de la jurisprudence relative aux clauses statutaires d’exclusion avec cette

particularité toutefois que, dans la construction du pacte d’exclusion sous la forme d’une

823 Cass. com. 20 février 1989, D., 1989, IR, p. 60, citée par D. Velardocchio-Flores, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, n°200 ; Cour d’appel de Poitiers 12 nov embre 2002, RJDA, 03/10, p. 854 et Dr. sociétés, 2003, p. 21 ; Cour d’appel de Paris 14 décembre 2004, n°03-21818, 3 ème ch. A, Vendrand c/ Gilliand, BRDA, 20/05, inf. 6 et Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005 n° 04-4322, 3 ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791, précité. 824 T. com. Paris 17 octobre 2006, Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006 et Cass. com. 6 novembre 2007, précités (voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B). 825 Rappelons que comme tout pacte d’actionnaires, la promesse de cession forcée entre actionnaires ne doit pas conduire, par ses effets, à contrarier l’intérêt social ou à méconnaître une règle d’ordre public. Serait ainsi contraire à l’intérêt social, par exemple, l’exclusion d’un actionnaire dont le maintien est indispensable à la poursuite de l’activité sociale (en ce sens, G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, Ed. L’Harmattan, 2008, n°365).

Page 188: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

188

promesse unilatérale de cession sous condition suspensive826, la réalisation de la

condition confère automatiquement au bénéficiaire le droit de lever l’option. Il n’y a donc

place à aucun débat contradictoire, sauf pour les partenaires à s’en remettre à un tiers

indépendant, dont la décision s’imposera à eux, chargé de se prononcer quant à la

réalisation effective de la condition suspensive827.

403 - Les évènements à la réalisation desquels est suspendu l’engagement de

cession du partenaire débiteur, lesquels doivent être objectifs et librement agréés par ce

dernier, peuvent-ils être aussi divers que l’autorise la liberté contractuelle ? Doivent-ils

au contraire constituer un « juste motif »828 en ce sens que seul l’intérêt social ou encore

la commission d’une faute entraînant la perte de la confiance entre partenaires829

justifierait qu’une telle atteinte soit portée au droit qu’a tout actionnaire de rester dans la

société ?

La liberté contractuelle devrait l’emporter, l’actionnaire étant libre de décider des

conditions dans lesquelles il dispose, fut-ce pour une aliénation anticipée, de sa

propriété. Mais les quelques décisions de jurisprudence qui admettent la validité des

promesses de cession forcée, en cas de perte de la qualité de dirigeant social ou de

salarié de l’actionnaire promettant, s’attachent pourtant à retracer le bien fondé de ce

motif au regard du fonctionnement de la société.

404 - Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle validé, dans un arrêt en date du 20 février

1989, la clause de rachat extra-statutaire des actions d’un dirigeant, au motif que la

convention était conforme à l’intérêt social en ce qu’elle obligeait le dirigeant à

s’intéresser au développement de la société et permettait d’éloigner ce dernier lorsqu’il

cessait ses fonctions, tout en l’empêchant, par ailleurs de céder ses actions à un tiers830.

De même, dans un arrêt du 14 décembre 2004, reconnaissant la validité de

l’engagement pris irrévocablement, par chacun des signataires d’un pacte

d’actionnaires, de céder ses actions en cas de cessation anticipée de ses fonctions de

dirigeant ou de salarié, la Cour d’appel de Paris relève qu’il était précisé dans le

826 Rappelons que certaines clauses d’exclusion statutaires prennent cette forme de promesse de rachat forcé (voir Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°49. Egalement, D. Velardocchio-Flores, op. cit., n°196 et s. et M. Germain, op. cit., n°1602). 827 En ce sens, S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°323 et J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, Coll. Pratique des Affaires, 1995, n°92. 828 En ce sens, G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°365. 829 En ce sens, G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°365, qui vise la « perte d’affectio societatis ou la disparition d’un intuitus personae, ce qui justifie l’éviction au regard de l’intérêt social ». 830 Cass. com. 20 février 1989, D., 1989, IR, p. 60, précitée, commenté par D. Velardocchio-Flores, op. cit., n°200.

Page 189: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

189

préambule que « chacun des actionnaires constatant que le développement et la

réussite de l’activité de la société repose essentiellement sur l’implication des

fondateurs, l’ensemble des actionnaires a jugé, pour favoriser et optimiser l’objectif

commun de développement, d’organiser plus précisément leurs relations en complétant

les dispositions légales et statutaires »831.

S’il semble bien que le fait générateur de l’engagement de cession forcée peut consister

en la perte d’une qualité particulière requise pour être actionnaire de la société, c’est

sous réserve, toutefois, que cette qualité soit nécessaire à la réalisation de l’objet social

ou au bon fonctionnement de la société. L’environnement sociétaire conditionne donc la

pleine efficacité de ce type de convention.

405 - A ce titre, tous les motifs susceptibles de fonder l’exclusion d’un actionnaire

dans le cadre d’une clause statutaire, lesquels sont nécessairement objectifs et

conformes à l’intérêt social, devraient pouvoir constituer la condition suspensive d’une

promesse de cession forcée. Ainsi en est-il notamment de la violation d’une obligation

résultant du pacte832, du prononcé d’une condamnation pénale à l’encontre d’un

actionnaire, de l’exercice d’une activité concurrente833, du changement de contrôle d’un

actionnaire personne morale834, du redressement judiciaire d’un actionnaire835 ou encore

d’une mésentente grave rendant impossible la poursuite de l’activité sociale836.

406 - Selon la nature de l’évènement prévu comme fait générateur de l’obligation de

céder, en général un manquement à une obligation ou à la satisfaction d’une condition

ou d’une qualité, le pacte peut s’apparenter à une exclusion pour faute. En toute

hypothèse, il importe que cet événement, qui constitue le motif d’exclusion, ait été

précisément agréé par l’actionnaire débiteur, lequel ne peut en effet s’être valablement

engagé à devoir céder ses actions que dans des circonstances objectives, non

susceptibles d’être laissées à la libre appréciation de ses partenaires. Le pacte de

cession forcée ne peut donc soumettre le partenaire débiteur, quand bien même

831 Cour d’appel de Paris 14 décembre 2004 n°03-21818, 3ème ch. A, Vendrand c/ Gilliand, BRDA, 20/05, inf. 6. Voir également Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, RJDA, 03/10, p. 854 et Dr. sociétés, 2003, p. 21, précité et infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, §. 1. B et Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005 n° 04- 4322, 3ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791, précité. 832 En matière de clause statutaire d’exclusion, voir Cour d’appel d’Orléans 26 septembre 1989, Dr. sociétés, 1990, n°163. 833 En ce sens, S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°323. 834 Cour d’appel de Rouen 8 février 1974, Rev. sociétés, 1974, p. 507, obs. R. Rodière et Cass. com. 13 décembre 1994, JCP, éd. E, 1995, II.705, Y. Paclot, précités. 835 Cass. com. 8 mars 2005, pourvoi n°02-17.692, Bull. Joly, 2005, p. 955, note P. Le Cannu, précité. 836 Trib. com. Paris 17 octobre 2006 et Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, affaire SNCM, précités, en matière de clauses d’offre alternative extra-statutaire (voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1 , § 2. B). Remarquons que l’événement déclencheur reconnu comme valable était pourtant d’une grande imprécision et subjectivité.

Page 190: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

190

l’exclusion serait-elle justifiée par la commission d’une faute, à la discipline d’un groupe

d’actionnaires.

407 - La mise en œuvre de ces pactes, aussi objectifs que soient, dans la mesure du

possible, leur fait générateur, n’est pas sans poser de difficultés d’interprétation,

lesquelles sont accrues dans les situations marquées par un rapport de force837.

L’intervention d’un tiers indépendant est préférable dans bien des cas pour garantir le

respect de l’exigence d’objectivité dans l’appréciation de la réalisation de la condition

suspensive. De plus, l’actionnaire débiteur est toujours en droit de faire contrôler par le

juge les conditions dans lesquelles le bénéficiaire revendique le droit de racheter les

titres. Mais la jurisprudence relative aux pactes subordonnés à l’émergence d’une

mésentente entre partenaires, et à l’identification du partenaire à l’origine de cette

mésentente, révèle les difficultés d’appréciation qu’engendrent certains motifs

d’exclusion838.

En outre, pour surmonter les faiblesses que démontre l’application de la théorie de la

potestativité dans le cadre des promesses de cession forcée839, les jugent apprécient

l’absence d’arbitraire, et la loyauté dont fait preuve le bénéficiaire de la promesse dans

l’exécution du contrat, au moment de la levée d’option par ce dernier840.

408 - La validité des pactes organisant l’exclusion d’un actionnaire sous la forme

d’une promesse unilatérale de cession sous condition suspensive est par ailleurs

soumise, conformément au droit commun, à l’exigence de détermination du prix de

cession.

B. La condition relative à l’indemnisation de l’actionnaire exclu

409 - Dans le cadre des clauses statutaires d’exclusion, la jurisprudence exige, à

peine de nullité, que l’actionnaire exclu obtienne, préalablement à son exclusion, une

juste indemnisation de ses titres841. Cette indemnisation doit donc exister et

correspondre à la valeur vénale des actions, l’actionnaire ne devant pas être soumis à

837 P. Larrieu, « L'interprétation des pactes extra-statutaires », Rev. sociétés, 2007, p. 697, n° 18 et s. 838 En ce sens, F.-X. Lucas, Bull. Joly, 2007, p. 72 et p. 479, notes sous Trib. com. Paris 17 octobre 2006 et Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, précités (voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B) et notamment P. Le Cannu, RTD com., 2007, p. 169, note sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006. 839 Lesquelles tiennent à ce que la condition purement potestative est théoriquement indifférente du côté du bénéficiaire de la promesse, or c’est pourtant lui qui a l’initiative de la levée d’option qui réalise l’exclusion (voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B). Voir également, J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, op.cit., n°92. 840 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B. 841 Cour d’appel de Paris 7 juin 1988, Rev. sociétés, 1989, p. 246, note S. Dana-Démaret et Cass. com. 8 mars 2005, pourvoi n°02-17.692, Bull. Joly, 2005, p. 955, note P. Le Cannu, précités.

Page 191: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

191

l’arbitraire de l’organe social compétent pour prononcer l’exclusion. Les statuts prévoient

en général une formule d’évaluation des droits sociaux, laquelle renvoie couramment, en

pratique, à la procédure d’expertise énoncée à l’article 1843-4 du Code civil en cas de

désaccord sur la valeur des titres. Deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de

cassation en date du 4 décembre 2007842 ont initié un mouvement jurisprudentiel

favorable à la reconnaissance de l’appartenance des clauses d’exclusion statutaires au

domaine d’application impérative de cette procédure d’ordre public843, lequel a

récemment abouti à l’affirmation de l’autonomie de l’expert désigné en application de

cette procédure au regard des clauses statutaires d’évaluation844.

410 - Les pactes extra-statutaires organisant l’exclusion d’un actionnaire sous la

forme de promesses unilatérales de cession sous condition sont, quant à eux et à

l’instar de tout contrat de vente, exclusivement soumis à l’exigence de détermination du

prix conformément à l’article 1591 du Code civil. Ces pactes stipulent en général une

formule de calcul du prix de cession et prévoient, en cas de difficulté de mise en œuvre

par les partenaires, l’intervention d’un tiers chargé de déterminer ce prix, en appliquant

la formule conventionnelle, soit par référence au tiers « arbitre » de l’article 1592 du

Code civil, soit, ce qui était plus souvent le cas jusqu’à la jurisprudence précitée du 4

décembre 2007, par application de la procédure énoncée à l’article 1843-4 du Code

civil845.

En effet, si un récent arrêt de la Cour d’appel de Versailles, en date du 10 septembre

2009846, précise expressément que les pactes organisant l’exclusion d’un actionnaire

n’entrent pas dans le domaine d’application légale de la procédure d’ordre public de

l’article 1843-4 du Code civil847, le renvoi conventionnel à cette procédure ne permet

842 Cass. com. 4 décembre 2007, deux espèces similaires : pourvoi n°06-13912, Quilliard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier. 843 Voir infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2. 844 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, cité infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. A. 845 Sur les conséquences qu’a eues le mouvement jurisprudentiel initié en décembre 2004 (Cass. com. 4 décembre 2007, précités) sur la pratique du renvoi conventionnel à l’expert de l’article 1843-4 du Code civil pour la détermination du prix dans les pactes d’actionnaires, voir infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2. Ce tte récente évolution jurisprudentielle doit, selon nous, être appréciée sans distinction au regard du degré de dépendance au contrat de société des pactes organisant la cession des titres d’un actionnaire. Nous avons donc souhaité la traiter dans le cadre de l’étude du régime des pactes d’actionnaires présentant une dépendance modérée au contrat de société dès lors que ce dernier définit le socle minimal d’emprise des règles de l’ordre public sociétaire sur les pactes d’actionnaires et, qu’au regard de l’article 1843-4 du Code civil, le régime des pactes présentant une dépendance marquée au contrat de société ne subit pas plus lourdement cette emprise que celui des pactes présentant une dépendance modérée à ce dernier. 846 Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, D., actualité 17 septembre 2009, note A. Lienhard ; BRDA, 19/09, inf. 1 ; Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque et JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet, confirmé, semble-t-il, par Cass. com. 24 novembre 2009, D., 2009, AJ, p. 2924, A. Lienhard ; JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet et JCP, éd. E., 2010, 1146, note G. Mouy (voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1. B). 847 Sur cette question, voir infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1.

Page 192: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

192

plus de garantir, de manière infaillible, la bonne application de la formule de calcul

stipulée par les partenaires848, dès lors que l’expert désigné en application de cette

procédure est autonome849.

411 - Reste que, indépendamment de l’éventuel recours à un tiers évaluateur, sur le

fondement de l’article 1592 du Code civil désormais, afin que ce tiers applique la formule

conventionnelle de calcul du prix élaborée par les partenaires faute pour ces derniers de

parvenir à le faire par eux-même, cette formule doit remplir la condition relative à la

déterminabilité objective du prix850.

Cette exigence d’absence d’arbitraire dans la détermination du prix du rachat forcé,

lequel constitue, en l’occurrence, l’indemnisation de l’actionnaire exclu, revêt en effet

une importance d’autant plus grande que ces pactes sont en pratique conclus au sein de

partenariats non homogènes marqués par des rapports de force inégaux851. La

jurisprudence veille donc à ce que la détermination du prix ne soit pas laissée à

l’arbitraire du bénéficiaire de la promesse.

412 - En ce sens, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 octobre 2005852 s’est

prononcé sur la validité de la clause de détermination du prix, par référence aux

bénéfices non distribués, figurant dans la promesse unilatérale de cession consentie par

les actionnaires salariés, en cas de cessation de leurs fonctions, au profit des

actionnaires majoritaires dirigeants. La Cour a reconnu que cette référence respectait

l’exigence d’objectivité : « la détermination des bénéfices non distribués se fonde sur

des éléments indépendants de la volonté des parties au rachat d'actions dès lors que la

distribution de bénéfices ou l'affectation de ceux-ci en réserve relèvent de la décision

non des dirigeants mais de l'assemblée générale des actionnaires »853.

413 - En outre, la Cour de cassation a condamné la pratique de détermination du

prix, généralisée au sein des promesses de cession forcée consenties par les

exploitants d’hypermarché à l'enseigne Leclerc, au profit de la centrale régionale

848 Sur ce point, voir infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. B. 849 Cass. com. 5 mai 2009, précité et infra, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. 850 Art. 1591 C. civ. et Cass. req. 7 janvier 1925, D. H., 1925. 57 ; Grands arrêts, par F. Terré et Y. Lequette, 1994, n°173 (arrêt de principe portant sur la vente d’un fonds de commerce) : le prix est objectivement déterminable s’il est ultérieurement fixé « en vertu des clauses du contrat, par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus de la volonté, ni de l’une, ni de l’autre des parties ». 851 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. 852 Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005, n° 04-4322, 3ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791, précité. 853 Cet arrêt ajoute en outre, pour écarter un autre grief invoqué au regard du caractère déterminable du prix, que l'existence de plusieurs formules de détermination du prix n'est pas en elle-même critiquable dans la mesure où ces formules correspondent à des situations de fait et de droit différentes (Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005, précité).

Page 193: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

193

d’achats, actionnaire minoritaire, par référence aux règles générales « en usage au sein

du mouvement Leclerc » en raison de ce que ces règles sont arbitraires et trop

favorables aux bénéficiaires.

Plusieurs arrêts de la Cour d'appel de Nancy, en date du 20 novembre 2004, confirmés

par la Cour de cassation le 19 décembre 2006854, ont en effet déclaré nulles les

promesses de cession stipulées en ces termes, au motif que la seule référence aux

règles en vigueur, lesquelles n’étaient pas recensées ni recueillies de manière complète

et objective, ne garantissait pas que le prix serait estimé en fonction d'éléments

extérieurs à la volonté du cessionnaire. En pratique, l’expert chargé de déterminer le

prix, devait se fier aux pratiques des adhérents du réseau, lesquels risquaient de lui

communiquer des informations de nature à minorer l’évaluation de la société dont les

actions étaient cédées afin de favoriser les bénéficiaires des promesses, eux-mêmes

adhérents du réseau.

414 - D’autres pactes aménagent différemment la perte de la qualité d’actionnaire

des partenaires, en ne forçant pas ces derniers à quitter la société mais, au contraire, en

les maintenant de force dans la société.

Section 2. Les pactes de maintien forcé dans la soc iété

415 - Les pactes d’actionnaires qui interdisent à un partenaire de céder ses actions

ou sont tellement dissuasifs qu’ils ont pour effet pratique d’empêcher toute cession se

heurtent au droit fondamental qu’a tout actionnaire de ne pas demeurer prisonnier de

ses titres, dont le corollaire est le principe de libre négociabilité des actions.

Le principe de libre négociabilité des actions renvoie à la liberté de céder davantage

qu’à la négociabilité, laquelle concerne les formalités de cession. Il faut en effet se

garder de confondre la libre négociabilité avec le principe de négociabilité des titres

sociaux dans les sociétés par actions en vertu duquel la cession des actions et valeurs

mobilières s’effectue selon les formes commerciales855.

854 Cour d’appel de Nancy 20 octobre 2004 n°98-3311, 2 ème ch. com., Rousselot c/ SA ITM Entreprises, RJDA, 10/05, n°1115 confirmé par Cass. com. 19 décembre 2006 n°05-10.199 F-D, Sté coopérative d'approvisionnement Paris Est (Scapest) c/ Sté ITM Entreprises, RJDA, 4/07, n°365. Voir également Cass. com. 19 décembre 2006 n°05-10.197, RTD Com., 2007, p. 169, obs. P. Le Cannu et Cass. com. 19 décembre 2006 n°05-10.198, Jurisdata : 2006-036780, en matière de pacte de préférence (cité infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A.). 855 Art. L 228-1 C. com.

Page 194: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

194

416 - Le fondement de la libre négociabilité des actions, considérée comme de

l’essence des sociétés par actions et reconnue comme un principe d’ordre public856, est

incertain en l’absence de texte.

Certains y voient l’application au droit des sociétés du principe de droit civil de libre

disposition des biens dont une personne est propriétaire857 ou, plus largement, du

principe de libre circulation des richesses858. Mais ce fondement semble plutôt justifier

du principe de libre cessibilité des titres sociaux en général, lequel se retrouve dans les

sociétés de personnes et n’est pas spécifique aux sociétés par actions.

417 - Nous pensons donc que l’on ne peut trouver un fondement valable au principe

de libre négociabilité des titres dans les sociétés par actions qu’en considération

d’éléments spécifiques à ces sociétés. Nous adhérons à l’analyse d’un auteur selon

laquelle, le principe de libre négociabilité des actions est « la contrepartie du principe

majoritaire dans la société anonyme »859. Il nous semble en effet que le principe de libre

négociabilité des actions complète et équilibre le principe majoritaire qui prévaut dans la

société anonyme, en ce sens que l’actionnaire qui ne pèse pas suffisamment dans le

vote pour sanctionner la gestion de la société doit pouvoir, à tout le moins, quitter

librement la société860.

Dans cette perspective, le corollaire du principe de libre négociabilité des actions, le

droit pour tout actionnaire de ne pas être prisonnier de ses titres861, se justifie aisément

tant il paraît inconcevable de contraindre un actionnaire à demeurer dans la société

sans menacer la poursuite de l’intérêt commun.

On apprécie alors le caractère essentiel que revêt le principe de libre négociabilité des

actions au regard du fondement-même du contrat de société, ce qui justifie

l’appartenance de ce principe à l’ordre public sociétaire ainsi que l’importance du rôle

qu’il joue pour le bon fonctionnement de la société anonyme.

418 - Le principe de libre négociabilité des actions ne semble toutefois pas être

absolu et intangible862 au point d’exclure qu’un actionnaire puisse librement aménager

856 M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009, n°1616 et Cass. com. 22 octobre 1969, Rev. sociétés, 1970, p. 288 et JCP, éd G, 1970.II.n°16197, note J. Paillusseau. 857 Art. 537 al. 1 et 544 C. civ. En ce sens, G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°9. 858 Voir les références citées par S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°262. 859 S. Prat, op. cit., n°278. 860 S. Prat, op. cit., n°278. 861 Cass. com. 22 octobre 1969, Rev. sociétés, 1970, p. 288 et JCP, éd G, 1970.II.n°16197, note J. Paillusseau, précité. 862 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°110.

Page 195: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

195

ce droit de ne pas rester prisonnier de ses titres, en s’engageant à disposer de ses

actions d’une certaine manière863 ou, à l’extrême, en en entravant la disposition, dès lors

qu’il le fait par sa seule volonté et sous certaines conditions garantissant qu’il aura

toujours, au moins à terme, la possibilité de sortir de la société en cédant ses titres. En

effet, le corollaire de ce principe, le droit pour tout actionnaire de ne pas être prisonnier

de ses titres est quant à lui bien absolu864.

419 - A ce titre, la doctrine, après être longtemps demeurée divisée, en l’absence de

décision de jurisprudence expresse quant à la validité des engagements d’inaliénabilité

pris par les actionnaires, que ces derniers figurent dans les statuts ou dans des pactes

extra-statutaires, se prononce aujourd’hui largement en faveur de cette validité865.

La confirmation récente par la jurisprudence de la validité, en droit commun, des

engagements d’inaliénabilité figurant dans les conventions à titre onéreux, dès lors que

ces derniers ont une durée limitée et sont justifiés par un motif légitime et sérieux866,

n’est d’ailleurs pas étrangère à cette prise de position867. Les engagements

d’inaliénabilité consentis par les actionnaires peuvent en effet se justifier de l’intérêt

social et présentent une utilité reconnue dans le cadre de rapports marqués par un fort

intuitus personae lorsqu’il s’agit d’assurer la cohésion de l’actionnariat868 ou de

pérenniser une opération de restructuration869. Mais l’application du régime général des

clauses d’inaliénabilité de droit commun aux engagements des actionnaires ne peut se

concevoir sans certaines particularités induites par l’environnement sociétaire.

420 - Par ailleurs, les pactes qui sont tellement contraignants pour les partenaires

qu’ils ont pour effet pratique d’empêcher toute cession d’actions en dissuadant ces

derniers de prendre des risques inconsidérés, les clauses américaines ou d’options

863 Sur la validité des pactes d’actionnaires restreignant la libre négociabilité des actions, voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect°1, § 2. et Sect° 2. 864 En ce sens, G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, n°20, s’appuyant sur la jurisprudence selon laquelle « Est nulle la clause statutaire supprimant la possibilité pour l’actionnaire de sortir de la société anonyme par la cession de son titre » (Cass. com. 22 octobre 1969, précité). 865 Notamment A. Couret, « De l’inaliénabilité des actions de SA », note sous Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 121 ; R. Mortier, « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements », Dr. sociétés, 2008, repère n°1 et J.-F. Barbiéri, « L’inaliénabi lité affectant les droits sociaux », Bull. Joly, 2008, p. 450. Voir également, dernièrement, Cl. Ferry, « Validité des clauses d’inaliénabilité portant sur des actions », JCP, éd. E., 2010, 1327. Contra, en matière de clauses d’inaliénabilité statutaire : M. Germain, op. cit., n°1616 (mais favorable à la validité des clauses d’inaliénabilité extra-statutaires, n°1624). 866 Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007, précité, JCP, éd. N, 2007, p. 1064, note R. Mortier. 867 R. Mortier, note précitée sous Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007 et « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements », article précité. 868 G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, Ed. L’Harmattan, 2008, n°349. 869 Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, RJDA, 03/10, p. 854 et Dr. sociétés, 2003, p. 21, précité.

Page 196: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

196

croisées, directement importées de la pratique anglo-saxonne, devraient être soumis

aux mêmes conditions de validité que les clauses d’inaliénabilité.

Mais la validité de ces pactes, dans leur principe même, est douteuse et la jurisprudence

n’a jamais eu l’occasion de se prononcer expressément à ce sujet. Il s’avère en effet

difficile de les habiller d’un vêtement juridique connu du droit français car ils reposent sur

un mécanisme d’options de vente et d’achat croisées sensiblement différent de celui de

la promesse unilatérale de vente ou d’achat. La doctrine est alors incertaine quant à la

validité des clauses d’options croisées au regard des conditions de droit commun

applicables aux promesses unilatérales de vente et d’achat, étape liminaire du

raisonnement pour s’interroger sur la validité de ces clauses au regard du principe de

libre négociabilité des actions et du régime général de validité des clauses

d’inaliénabilité.

421 - Il apparaît ainsi que les pactes d’actionnaires qui ont pour objet ou pour effet

de rendre un actionnaire prisonnier de ses titres affectent le contrat de société dans son

fondement-même ainsi que dans son fonctionnement, ce dont il résulte qu’ils

entretiennent un rapport de dépendance marquée au contrat de société.

Nous distinguerons donc, dans le cadre de l’étude de l’emprise de l’environnement

sociétaire sur les conditions encadrant la validité des pactes rendant un actionnaire

prisonnier de ses titres, les pactes qui emportent, pour le partenaire débiteur,

l’interdiction formelle de céder ses actions (§ 1), de ceux qui ont pour effet pratique de

dissuader les partenaires de toute tentative de sortie de la société en proposant de

céder leurs actions (§ 2).

§ 1. L’interdiction absolue de quitter la société : la clause d’inaliénabilité

422 - Les clauses d’inaliénabilité, par lesquelles un actionnaire s’engage envers un

autre à ne pas céder ses actions, ou à ne pas le faire sans l’autorisation expresse du

bénéficiaire du pacte, constituent l’atteinte la plus radicale qui soit au principe de libre

négociabilité des actions.

Ce principe n’est pourtant pas absolu et dans le prolongement de la tendance du

législateur à en « multiplier les “exceptions” »870, d’une part, et de la récente affirmation

par la jurisprudence de la validité des clauses d’inaliénabilité figurant des les actes à

titres onéreux, d’autre part, une fraction non négligeable de la doctrine s’accorde

870 J.-F. Barbiéri, « L’inaliénabilité affectant les droits sociaux », article précité et les textes cités.

Page 197: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

197

aujourd’hui pour reconnaître la validité de principe des clauses d’inaliénabilité figurant

dans les pactes d’actionnaires (A). Cette validité est encadrée par des conditions tirées

du régime des clauses d’inaliénabilité de droit commun, dont l’application aux pactes

d’actionnaires présente certaines particularités, lesquelles sont significatives du

caractère marqué du degré de dépendance au contrat de société de ces pactes et de la

forte emprise de l’environnement sociétaire que ces dernier subissent en conséquence

(B).

A. La validité de principe des clauses d’inaliénabilité

423 - La validité des clauses d’inaliénabilité, que ces dernières figurent dans les

statuts ou dans un pacte extra-statutaire, a pendant longtemps divisé la doctrine.

424 - S’agissant des aménagements statutaires, d’une part, le caractère essentiel du

droit pour tout actionnaire de ne pas être prisonnier de ses titres était invoqué871, et l’est

encore872 par certains auteurs, pour réfuter, la validité des clauses statutaires

d’inaliénabilité. La présence d’une telle clause dans les statuts d’une société par actions

étant de nature, selon cette doctrine, à provoquer la requalification de la société en

société de personnes, par ailleurs irrégulière873. Il n’existe toujours pas à ce jour, à notre

connaissance, de jurisprudence significative admettant la validité des clauses statutaires

d’inaliénabilité874.

Puis, l’autorisation légale de stipuler dans les statuts des sociétés par actions simplifiée

des clauses d’inaliénabilité limitée à une durée de dix ans875 a suscité des réactions

diverses au sein de la doctrine876. Le Professeur Guyon a relevé, à ce titre, que cette

évolution législative pouvait tout aussi bien marquer une tendance ferme du droit positif

en faveur de la reconnaissance de la validité des clauses d’inaliénabilité statutaires

comme, au contraire, constituer une exception légale au principe de libre négociabilité

871 S. Prat, op. cit., n°278. Contra G. Parléani, op. cit., n°9 et B. Mercadal et Ph. Jannin, Sociétés commerciales, 1991, n°2727, cité par S. Prat, op. cit., n°270. 872 M. Germain, op. cit., n°1616. 873 M. Germain, op. cit., n°1616. 874 Cl. Ferry, « Validité des clauses d’inaliénabilité portant sur des actions », JCP, éd. E., 2010, 1327, n°4. Un arrêt est parfois cité à tort en la matière. En effet, si les statuts stipulaient bien, en l’espèce, une clause d’inaliénabilité, force est de constater que la Cour de cassation ne s’est absolument pas prononcée sur la validité de cette dernière (Cass. com. 16 avril 1984, Rev. sociétés, 1985, p. 411, note J. Mestre). 875 Art. L 227-13 C. com. Ces clauses sont également admises dans les statuts de sociétés européennes n’offrant pas leurs titres au public (art. L229-11 C. com.). 876 Voir notamment S. Prat, op. cit., n°275 et J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, 1995, n°16.

Page 198: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

198

des actions, lequel apparaît, en tout état de cause, comme n’étant pas parfaitement

intangible877.

425 - S’agissant des pactes extra-statutaires, d’autre part, si l’on considérait que le

principe de libre négociabilité n’était pas absolu et qu’un actionnaire pouvait réduire

cette liberté, à tout le moins en dehors des statuts, et sous condition de conserver la

possibilité, à terme, de quitter la société, la validité de principe des clauses

d’inaliénabilité extra-statutaires se heurtait à une incertitude provenant du droit commun

des engagements d’inaliénabilité.

En effet, les clauses d’inaliénabilité sont réglementées dans le Code civil à l’article 900-

1, lequel valide les seules stipulations figurant dans les actes à titre gratuit, à condition

qu’elles soient temporaires et justifiées par un intérêt légitime et sérieux. Une fraction

significative de la doctrine878 généralisait toutefois cette réglementation aux clauses

d’inaliénabilité figurant dans les actes à titre onéreux, ainsi qu’il en était sous la

jurisprudence antérieure879 à la codification partielle effectuée par la loi du 3 juillet

1971880. Cette doctrine qui, au prétexte d’une maladresse du législateur, faisait prévaloir

l’esprit de la loi sur la lettre du texte, n’était pas porteuse, il faut le reconnaître d’une

grande certitude juridique.

Certains arrêts semblaient tout de même confirmer la portée générale de l’article 900-1

du Code civil en ce qu’ils appliquaient les deux conditions de validité énoncées par ce

texte aux engagements d’inaliénabilité stipulés dans des actes à titre onéreux881, et

portant même spécifiquement sur des actions de société882. Ainsi, la jurisprudence a-t-

elle reconnu la validité des engagements extra-statutaires d’inaliénabilité pris par une

société mère sur les actions de sa filiale au profit du tiers prêteur de cette même filiale883

ou financeur par crédit-bail884. Plus encore, la Cour d’appel de Poitiers a admis, dans

l’arrêt précité du 12 novembre 2002, la validité d’un pacte extra-statutaire prévoyant une

incessibilité temporaire des actions des adhérents au pacte885.

877 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°110. 878 Notamment, Ph. Simler, Les clauses d’inaliénabilité, D., 1971, comm. lég.416-4, n°22 et s. 879 Cour d’appel d’Alexandrie, 4 janvier 1927, RTD civ., 1927, p. 732 ; Cour d’appel d’Alexandrie, 17 février 1927, RTD civ., 1928, p. 210 ; Trib. com. Seine, 14 mars 1951, Gaz. Pal., 1951, 1, 384 et Cass. 1ère civ. 16 février 1953, Bull. civ. 1953, I, p. 57, n°61, invalidant la clause d’inali énabilité insérée dans une vente, au motif qu'elle n'était pas limitée dans le temps. 880 Loi n°71-526 du 3 juillet 1971. 881 Cass. com. 2 juillet, 2002, LPA, 2002, n°215, p. 15, note P. Mousseron. 882 Cour d’appel de Paris 4 mai 1982, Gaz. Pal., 1983, 1 , p. 152, note A.P.S ; Cour d’appel de Versailles 17 juin 1999, RTD com., 1999, p. 900, obs. Y. Reinhard et Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, RJDA, 03/10, p. 854 et Dr. sociétés, 2003, p. 21, précité. 883 Cour d’appel de Paris 4 mai 1982, précité. 884 Cour d’appel de Versailles 17 juin 1999, précité. 885 Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, précité.

Page 199: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

199

La validité des engagements extra-statutaires d’inaliénabilité entre actionnaires pourvu

que ces derniers soient temporaires et justifiés par un motif légitime et sérieux semblait

donc acquise886 malgré la réticence de certains auteurs887. La pratique recourt d’ailleurs

fréquemment aux clauses d’inaliénabilité dans les pactes d’actionnaires888.

426 - Cette validité est depuis confortée par la reconnaissance expresse de la portée

générale de l’article 900-1 du Code civil, opérée par la Cour de cassation dans un arrêt

du 31 octobre 2007889, dans un attendu de principe « qui semble rédigé pour la

postérité »890 comme suit : « dès lors qu'elle est limitée dans le temps et qu'elle est

justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d'inaliénabilité peut être stipulée

dans un acte à titre onéreux ». Cet arrêt a en effet suscité un véritable engouement de la

doctrine en faveur de la validité des clauses d’inaliénabilité891 que ces dernières figurent

dans des pactes extra-statutaires ou, avec plus de réserves, dans les statuts892 de

sociétés par actions893. Ainsi que le relève un auteur, « il faut en finir avec cette vieille

croyance, brandie comme une règle de droit, que des actions sont des biens

“particulièrement destinés à circuler [de sorte que l'on] peut a priori douter de la validité”

à leur égard des clauses d'inaliénabilité »894. Nous nous prononçons également en

faveur de la validité des clauses d’inaliénabilité, tant statutaires qu’extra-statutaires, dès

lors que certaines conditions, destinées à protéger l’actionnaire contre l’emprisonnement

dans la société, sont respectées. On pense, en premier lieu, à la condition de durée

limitée.

427 - Cette protection est assurée par le régime de droit commun de l’inaliénabilité,

dont l’application aux conventions organisant une inaliénabilité d’actions n’est pas sans

susciter de difficultés tenant à la spécificité de l’objet matériel sur lequel porte

l’engagement. Ces conditions de validité étant identiques pour les clauses 886 Notamment G. Parléani, op. cit., n°9 ; Ph. Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, 2007, n°317. 887 Y. Guyon, op. cit., n°241 et R.-N. Schütz, Rép. civil Dalloz, voir Inaliénabilité, p. 12, n°67. 888 Voir notamment les décisions AMF n°206C0435 du 8 mar s 2006 ; n°207C0576 du 29 mars 2007 et n°207C0658 du 12 avril 2007 et antérieurement, déci sions CMF n°201C0435 du 25 avril 2001, n°202C0590 du 24 mai 2002 et n°203C0223 du 13 février 2003. 889 Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007, précité. 890 R. Mortier, note précitée sous Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007. 891 A. Couret, note précitée Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007 ; Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18510 et 18661 ; R. Mortier, JCP, éd. N, 2007, p. 1064, note précitée sous Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007 et « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements » article précité, J.-F. Barbiéri, op. cit. et M. Germain, op. cit., n°1624 en matière de clause extra-statutaire (mai s opposé, en revanche, à la validité des clauses d’inaliénabilité statutaires, op. cit., n°1616). 892 Contra, en matière de clauses d’inaliénabilité statutaires : M. Germain, op. cit., n°1616. 893 Précisons que les statuts des sociétés dont les actions sont négociées sur un marché réglementé ne peuvent pas contenir de clause d’inaliénabilité en application de l’article 6605 des les Règles de marché d’Euronext harmonisées (en ce sens, R. Mortier, op. cit.). S’agissant des actions offertes au public, voir Cl. Ferry, « Validité des clauses d’inaliénabilité portant sur des actions », JCP, éd. E., 2010, 1327, n°7. 894 R. Mortier, op. cit., citant R.-N. Schütz, précité.

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200

d’inaliénabilités statutaires comme pour les clauses d’inaliénabilité figurant dans les

pactes d’actionnaires, la forte dépendance de ces dernières au contrat de société se

manifeste par une appréciation très proche du respect de ces conditions en matière de

pactes extra-statutaires de celle qui devrait prévaloir pour les clauses d’inaliénabilité

statutaires et portant la marque de l’environnement sociétaire.

B. Les conditions de validité des clauses d’inaliénabilité

428 - De jurisprudence constante et très ancienne895, reprise en matière de libéralités

à l’article 900-1 du Code civil, et dont la portée a été étendue à l’ensemble des actes à

titre onéreux, les engagements d’inaliénabilité sont valables à condition qu’ils soient

limités dans le temps et justifiés par un intérêt légitime et sérieux.

La jurisprudence, reconnue comme relativement indulgente quant à l’appréciation du

respect de ces conditions en droit commun896, devrait être transposable aux pactes

d’actionnaires stipulant des engagements d’inaliénabilité mais cela ne peut se faire sans

prendre en considération les spécificités tenant à la nature particulière de l’objet de ces

pactes897.

En outre, la grande casuistique qui caractérise la jurisprudence relative aux clauses

d’inaliénabilité de droit commun, si indulgente cette dernière soit-elle, rejaillit

nécessairement dans son application aux pactes d’actionnaires, ce qui n’est pas sans

conduire à une certaine incertitude, laquelle ne peut être tranchée que par le contrôle

judiciaire. Le respect des conditions cumulatives de durée limitée et d’intérêt légitime et

sérieux est en effet, en droit commun, souverainement apprécié par les juges, lesquels

apprécient notamment ces conditions l’une par rapport à l’autre898 et en tenant compte

de la nature du bien frappé d’inaliénabilité899.

429 - S’agissant de la durée acceptable, les décisions de jurisprudence rendues en

matière d’inaliénabilité d’actions font état de durées très variables, allant de trois ans900 à

quatorze ans901. En pratique, certains pactes d’actionnaires stipulent des durées bien

895 Cour d’appel d’Angers 29 juin 1842, D., 1842, 2, 218 ; Cass. civ. 20 avril 1858, DP, 1858, 1, 154 ; Cass. req. 12 juillet 1865, DP, 1865, 1, 475 et tous les arrêts précités. 896 Voir R. Mortier, note précitée sous Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007 et « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements » article précité, qualifiant de « libérale » la jurisprudence relative à la validité des clauses d’inaliénabilité en droit commun. 897 En ce sens, déjà, S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°262 et 280 et s. 898 En ce sens, S. Prat, op. cit., n°267, citant J. Carbonnier, Droit civil, Tome III, Les biens, éd. PUF, coll. « Thémis », 12ème éd., 1985, n°31. 899 Voir les références citées par S. Prat, op. cit., n°267. 900 Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, RJDA, 03/10, p. 854 et Dr. sociétés, 2003, p. 21, précité. 901 Cour d’appel de Paris 4 mai 1982, Gaz. Pal., 1983, 1 , p. 152, note A.P.S, précité.

Page 201: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

201

plus longues902. L’application de cette condition aux pactes d’actionnaires suscite donc

de réelles incertitudes903, d’autant plus que les clauses d’inaliénabilité expressément

admises par le législateur dans les sociétés par actions simplifiée (SAS) doivent être

limitées à dix ans904. Il serait surprenant que la durée acceptable des clauses

d’inaliénabilité portant sur les actions de sociétés anonymes, du moins lorsque ces

clauses figurent dans les statuts, soit moins contraignante que celle admise dans les

SAS, cela serait en effet contradictoire avec le caractère résolument plus souple du

régime de la SAS. Mais l’on peut remarquer que les clauses d’inaliénabilité statutaires

bénéficient dans les SAS de la sanction de la nullité, sanction qui n’est pas assurée en

dehors de cette hypothèse.

430 - La condition de la motivation par un intérêt légitime et sérieux suscite

également des interrogations lorsqu’il s’agit de l’appliquer aux pactes d’actionnaires.

L’assimilation de cette condition de justification à la conformité à l’intérêt social, malgré

le caractère flou que revêt cette notion en droit des sociétés905, est spontanément

opérée par la doctrine906. Dans l’arrêt précité de la Cour d’appel de Poitiers du 12

novembre 2002, seule décision de jurisprudence à avoir, à notre connaissance, à ce jour

validé un pacte d’inaliénabilité extra-statutaire consenti entre actionnaires, l’engagement

d’inaliénabilité était incontestablement justifié par l’intérêt social en ce qu’il traduisait la

volonté de pérenniser l’opération de restructuration en cause. Dans le cadre du rachat

d’une entreprise par les salariés, les actionnaires cadres de cette société s’étaient en

effet valablement engagés à conserver leurs actions pendant trois ans et à céder leurs

titres s’ils perdaient leur qualité de salarié, afin, ainsi que l’a relevé la Cour, de

« contrôler, autrement que par des dispositions statutaires, le développement de la

société fondé sur des changements importants de la structure »907.

En revanche, la justification par l’intérêt légitime et sérieux d’une catégorie

d’actionnaires, tel qu’un groupe majoritaire cherchant à stabiliser son pouvoir de

902 Pour une durée de 25 ans, voir décision CMF n°203C0 223 du 13 février 2003. 903 A. Couret et Th. Jacomet, « Les pièges des pactes d’actionnaires : questions récurrentes et interrogations à partir de la jurisprudence récente », RJDA, 10/08, p. 951, n°23. Voir également la question soulevée par R. Mortier de l’extension de la dispense de limitation de durée prévue par l’article 900-1 du Code civil lorsque le débiteur de l’engagement d’inaliénabilité est une personne morale (JCP, éd. N, 2007, p. 1064, II. B, note précitée sous Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007). Un tel engagement serait alors résiliable unilatéralement à tout moment (voir supra Partie I, Titre I, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B. et notamment A. Bénabent, Droit civil - Les obligations, Montchrestien, 11ème éd., 2007, n°314). 904 Art. L 227-13 C. com. 905 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 1, Sect°1, § 1. A et Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A. 906 En ce sens, R. Mortier, selon lequel l’intérêt social devrait suffire à légitimer la clause, « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements », Dr. sociétés, 2008, repère n°1, article précité. 907 Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, RJDA, 03/10, p. 854 et Dr. sociétés, 2003, p. 21, précité. Voir également Cour d’appel de Paris 14 décembre 2004 n°03-21818, 3 ème ch. A, Vendrand c/ Gilliand, BRDA, 20/05, inf. 6 et Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005, 04-4322, 3ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791, précités, supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect°1, § 2. A.

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202

contrôle, est a priori plus douteuse, surtout dans le cadre d‘une clause d’inaliénabilité

statutaire908. Un auteur a pourtant soutenu, qu’en matière de pactes d’inaliénabilité

extra-statutaires, l’intérêt légitime sur lequel porte la condition de justification n’est pas

nécessairement l’intérêt social, tout en rappelant qu’un tel pacte demeure, en tout état

de cause, soumis à la condition générale de non-contrariété à l’intérêt social909. Mais il

nous semble que derrière les intérêts immédiats, autres que l’intérêt social, reconnus

comme légitimes par la doctrine et la jurisprudence, il est toujours possible de percevoir,

à plus ou moins longue échéance, la conformité à l’intérêt de la société. Ainsi, le

Professeur Daigre admet-il l’existence d’un intérêt légitime et sérieux justifiant les pactes

d’inaliénabilité contractés par les actionnaires dirigeants majoritaires au profit de

l’investisseur dans le cadre des opérations de capital-investissement, tenant au fort

intuitus personae qui marque ces opérations dans lesquelles la personne des dirigeants

est déterminante910. Derrière l’intérêt légitime de la société de capital-investissement,

c’est bien l’intérêt de la société qui est en cause, laquelle bénéficie d’une source de

financement indispensable à son bon fonctionnement. Il en est de même dans les

conventions extra-statutaires d’inaliénabilité conclues par une société mère au profit du

tiers prêteur de sa filiale, validées par la jurisprudence911, ces engagements visent en

effet à garantir le concours financier dont bénéficie une société du groupe.

431 - Le régime des engagements d’inaliénabilité consentis par les actionnaires,

dont la validité est reconnue depuis peu par la doctrine et confirmée, au moins

implicitement, par la jurisprudence, s’agissant des pactes d’inaliénabilité extra-

statutaires, n’est pas encore bien établi en droit positif. Les incertitudes qui règnent

autour de l’appréciation des conditions de validité de ces clauses d’inaliénabilité

tiennent, tout d’abord, à la casuistique qui imprègne le régime des engagements

d’inaliénabilité de droit commun, en application duquel régime ces conditions

proviennent, à laquelle s’ajoute la spécificité de l’environnement sociétaire et

notamment, l’absence de définition précise de la notion d’intérêt social en droit des

sociétés.

Il apparaît alors que l’emprise de l’environnement sociétaire sur le régime des pactes

d’inaliénabilité, conformément au fort degré de dépendance au contrat de société de ces 908 Une clause d’inaliénabilité remplissant un tel intérêt pourrait sans doute être stipulée dans les statuts d’une SAS dès lors que l’article L 227-13 C. com. ne requiert à ce titre aucune justification particulière. 909 S. Prat, op. cit., n°282 et 283. L’auteur relève, par ailleurs, qu’a u regard de la condition générale de non-contrariété à l’intérêt social, le juge peut être amené à prendre en considération, dans son appréciation de la validité des pactes d’inaliénabilité, la quantité de titres grevés de manière à ce qu’une certaine liquidité des titres soit préservée. 910 J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, Coll. Pratique des Affaires, 1995, n°47 et 48. 911 Cour d’appel de Paris 4 mai 1982, Gaz. Pal., 1983, 1 , p. 152, note A.P.S et Cour d’appel de Versailles 17 juin 1999, RTD com., 1999, p. 900, obs. Y. Reinhard, précités.

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203

pactes, est grevée de variabilité et d’ambiguïté. Le rayonnement de l’ordre public

sociétaire, commandé par la nécessité de préserver l’intérêt commun des actionnaires,

fondement du contrat de société, démontre en effet ses faiblesses liées à l’imprécision

de la notion d’intérêt social.

432 - Enfin, le dernier type de pactes aménageant la perte de la qualité d’actionnaire

des partenaires, les clauses américaines, dites également d’options croisées, mêle le

mécanisme de l’exclusion et celui de l’inaliénabilité. Ces clauses, dont l’objet est

d’organiser, par un mécanisme alternatif d’achat ou de vente, la cession forcée de ses

titres par l’un des partenaires sont tellement contraignantes qu’elles ont pour effet

pratique de dissuader les partenaires de toute tentative de cession de leurs titres. Il en

résulte que les clauses d’options croisées présentent, à double titre, une dépendance

marquée au contrat de société.

§ 2. Les clauses dissuasives : les clauses américai nes ou d’options croisées

433 - Les clauses d’options croisées ont pour objet d’organiser la séparation des

partenaires dans le cadre d’un groupement ayant perdu son homogénéité, ainsi que cela

peut notamment se produire entre les actionnaires d’une filiale commune912. Cette forme

de pacte implique, à la suite de la manifestation de son intention de vendre par l’un des

partenaires, l’obligation pour l’autre, alternativement, soit de réaliser l’acquisition au prix

proposé, soit, à défaut, de vendre ses propres titres au prix proposé par le partenaire

initiateur du déclenchement de la procédure, lequel est alors tenu de les lui acquérir.

L’application du pacte se déclenche ainsi par la seule volonté de l’un des partenaires,

celui qui propose de céder ses titres, et mène automatiquement à la sortie de l’un

d’entre eux, aux conditions proposées par l’initiateur de la procédure, mais au choix du

partenaire non initiateur.

Mais nous l’avons précisé, si ces pactes mettent formellement en place un mécanisme

de sortie forcée et aléatoire d’un partenaire, lorsque l’un d’entre eux propose de céder

ses titres, l’effet produit par ces pactes est, au contraire, de dissuader les partenaires

d’user de leur droit de céder leurs titres. Par leur caractère extrêmement risqué, ces

pactes ôtent en effet toute possibilité pour les partenaires de proposer, dans des

conditions de risque raisonnables, la vente de leurs titres, ils reviennent alors à

organiser une inaliénabilité.

912 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect°2, § 1. B.

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204

434 - Il apparaît que les clauses d’options croisées constituent une double atteinte

au droit qu’a tout actionnaire, non seulement de rester dans la société, mais encore, de

ne pas être prisonnier de cette société. A ce titre, elles sont doublement susceptibles de

fragiliser l’intérêt commun913, fondement du contrat de société, et donc le bon

fonctionnement de la société et se situent nécessairement dans un rapport caractérisé

de forte dépendance au contrat de société.

Dès lors, cumulant les conditions de validité des pactes de cession forcée et celles des

pactes d’inaliénabilité, le régime des clauses d’options croisées est résolument

caractérisé par une emprise maximale de l’environnement sociétaire.

435 - Mais les clauses d’options croisées, qualifiées également de clauses

américaines, présentent une difficulté liminaire tenant à ce qu’elles sont directement

importées de la pratique anglo-saxonne914. Elles reposent en effet sur un mécanisme

complexe dont l’élaboration est facilitée en droit américain par la souplesse des outils

juridiques mis à disposition par le système915. Or, il semble que les clauses d’options

croisées s’intègrent difficilement dans le cadre des figures juridiques que connaît le

système français et sur lesquelles sont bâtis les pactes d’actionnaires, le droit de

préférence ainsi que la promesse unilatérale de vente ou d’achat essentiellement.

Il faut donc s’assurer au préalable que les outils contractuels offerts par le système de

droit français sont susceptibles d’accueillir la construction juridique sur laquelle reposent

les clauses d’options croisées916.

436 - Ce n’est alors, qu’une fois franchi l’obstacle tenant à l’intégration de la

technique des clauses d’options croisées dans le système français (A), que nous

pourrons envisager les conditions de validité de ces clauses (B).

A. Confrontation des clauses dites d’options croisées au droit français

437 - Un arrêt récent de la Cour de cassation, en date du 28 avril 2009, constitue, à

notre connaissance, la seule décision de jurisprudence à offrir un exemple pratique

d’application d’une clause d’options croisées917. Cet arrêt reconnaît l’efficacité de cette

913 Sur le fondement de ces principes, voir respectivement, supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1 . A et Sect° 2, propos introductifs et § 1. A. 914 Laquelle les a baptisées clauses put and call’. Il en est de mêmes des clauses d’offre alternative, qualifiées de clauses buy or sell. 915 En ce sens, S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°150. 916 La question se pose quasiment dans les mêmes termes s’agissant des clauses d’offre alternative. 917 Cass. com. 28 avril 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 136, H. Hovasse et RTD. civ., 2009, p. 525, note B. Fages. Précisons que dans cet arrêt, le pacte est expressément qualifié par les partenaires de clause buy or

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205

clause, et partant, sa validité, sans toutefois donner de précisions quant à la nature

juridique des mécanismes sur lesquels cette dernière repose ni quant aux conditions de

validité qu’elle doit respecter. En revanche, la jurisprudence s’est prononcée en faveur

de la qualification d’une clause d’offre alternative, dont la clause d’options croisées

constitue une variante918, en « promesses croisées d’achat ou de cession d’actions sous

[…] condition suspensive »919. Si la jurisprudence confirme ainsi que les clauses d’offre

alternative, de même que, tout au moins implicitement, les clauses d’options croisées,

sont valablement transposables en droit français, force est de constater qu’elle ne

s’attache pas à définir précisément les moyens d’y parvenir ni les conditions qui y sont

attachées. Le Professeur Fages explique, à ce titre, que « la clause buy or sell [clause

d‘offre alternative] [Il en va de même pour la clause d’options croisées] est issue d’une

pratique contractuelle désormais mondialisée, dans laquelle les engagements se lisent

d’abord pour ce qu’ils sont - à savoir des engagements - et non avec l’idée de les faire

rentrer sous la coupe souvent déformante des catégories juridiques nationales »920.

438 - Une fraction significative de la doctrine921 analyse le mécanisme de la clause

d’offre alternative et, par parallélisme, celui de la clause d’options croisées, en un jeu de

promesses unilatérales croisées de vente et d’achat d’actions sous condition

suspensive.

Un auteur évoque quant à lui, pour décrire le mécanisme de la clause d’offre alternative,

une offre de vente donnant le choix à son bénéficiaire entre acquérir au prix proposé ou

vendre ses propres actions au même prix922. Une telle offre de vente ne serait alors pas

spontanément émise mais encadrée à l’avance afin que, en cas de survenance d’un

événement prédéfini, l’un des partenaires soit autorisé à émettre une offre de vente, au

prix qu’il détermine librement, d’une nature si particulière que l’autre partenaire, s’il

sell, qualification reprise par les juges. Il s’agit bien en l’espèce d’une clause d’options croisées, laquelle constitue une variante de la clause d’offre alternative, traduction généralement retenue de la clause buy or sell . 918 Sur la clause d’offre alternative stricto sensu et ce qui en différencie la variante des clauses d’options croisées, voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. Sect° 2, § 1. B et S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°304. 919 T. com. Paris 17 octobre 2006, Bull. Joly, 2007, p. 72, note F.-X. Lucas, confirmé sur ce point par Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006, RDT com., 2007, p. 169, note P. Le Cannu, affaire SNCM, précités. Pour un arrêt ne se prononçant par directement sur la nature d’une clause d’offre alternative mais en ordonnant l’exécution forcée (voir Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, affaire Banque de Vizille, Bull. Joly, 2002, p. 509, note H. Le Nabasque ; Rev. sociétés, 2002, p. 89, commentaire Y. Guyon). 920 B. Fages, note précitée sous Cass. com. 28 avril 2009. 921 G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°39 ; Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°221 ; P. Le Cannu, RTD com., 2007, p. 169, note précitée sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18667. Contra, B. Fages, note précitée sous Cass. com. 28 avril 2009, selon lequel ces clauses constituent « un mécanisme sui generis difficilement réductible à la qualification de promesses unilatérales, fussent-elles croisées. 922 J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, 1995, n°124. Recourant également à la notion d’offre en même temps qu’à celle de promesses croisées, G. Parléani, op. cit., n°39.

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206

n’accepte pas cette offre, soit tenu de vendre ses propres titres au même prix, l’auteur

de l’offre de vente initiale étant alors tenu de les acheter. Cette approche rejoint celle

adoptée par un autre auteur selon lequel, les clauses d’options croisées, comme les

clauses d’offre alternative, sont constitutives d’une « promesse de contracter une

promesse »923, dont personne ne sait, au stade de la conclusion de cette dernière, si elle

portera sur une promesse de vente ou d’achat.

439 - Il nous semble, pour notre part, que les clauses d’options croisées924 mettent

en place un mécanisme bien plus contraignant pour les partenaires qu’une faculté

d’offrir un contrat, même si cette offre est encadrée à l’avance pour être dotée de

propriétés si particulières que l’on peut d’ailleurs se demander si elle conserve la nature

d’offre, ou même de « promesse de promesse de contrat ». Ce mécanisme doit aboutir

à la sortie forcée d’un partenaire dès lors que l’un d’entre eux manifeste son désir de

vendre ses titres925. Ces clauses induisent ainsi, pour chaque partenaire, deux

engagements, certes conditionnels, mais irrévocables, l’un de vendre, l’autre d’acquérir,

dans des circonstances qui peuvent être exprimées par un jeu de conditions

suspensives dont les propositions se complètent sans avoir jamais de dénominateur

commun, de telle sorte qu’ensemble ces engagements forment, pour chaque partenaire,

une promesse alternative de vendre ou d’acheter.

440 - Il semble, avant toute chose, que dans le cadre d’une clause d’options

croisées, chaque partenaire confère à l’autre un droit de préférence pour la vente de ses

actions (par exemple, A s’engage à proposer par priorité la vente de ses titres à B, si

jamais A souhaite vendre). Il est en effet exclu que les titres de l’un des partenaires

reviennent à un tiers au cas où les partenaires devraient se séparer.

Parallèlement, et on en vient au cœur du montage, chacun s’engage à acquérir les titres

de son partenaire, au prix qu’il a proposé pour ses propres titres [A s’engage à acheter

les titres de B, au prix proposé par A à B pour la vente des titres de A], sous la double

condition suspensive qu’il souhaite vendre ses titres mais que son partenaire ne

souhaite pas les lui acheter au prix proposé […sous la double condition suspensive que

A souhaite vendre ses titres mais que B ne souhaite pas les acheter à A au prix proposé

par A].

Et au surplus, chacun s’engage à vendre ses titres à son partenaire, au prix auquel ce

dernier lui a proposé ses propres titres [A s’engage à vendre ses titres à B, au prix

923 S. Prat, op. cit., n°304. 924 Et identiquement les clauses d’offre alternative. 925 Ou que l’événement prévu se réalise dans le cadre de la clause d’offre alternative.

Page 207: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

207

proposé par B à A pour la vente des titres de B], sous la double condition suspensive

que son partenaire souhaite lui vendre ses titres audit prix mais que lui ne souhaite pas

les lui acheter au prix proposé […sous la double condition suspensive que B souhaite

vendre ses titres mais que A ne souhaite pas les acheter à B au prix proposé par B]926.

441 - Ce montage, qui combine un pacte de préférence réciproque et deux

promesses réciproques conduisant alternativement à un engagement de vendre ou

d’acheter selon les circonstances tenant à la réalisation d’une double condition

suspensive, demeure sans effet tant qu’aucun des partenaires n’a manifesté son

intention de vendre et proposé, en conséquence, en application du pacte de préférence,

la vente de ses titres à son partenaire. En revanche, dès lors que l’un des partenaires

déclenche l’application du pacte d’options croisées, en manifestant son intention de

vendre, l’un d’entre eux sera nécessairement tenu d’acheter et l’autre d’acquérir, au prix

proposé par l’initiateur du processus mais au choix, s’agissant de se positionner comme

vendeur ou comme acquéreur, de l’autre partenaire. On comprend aisément qu’un tel

pacte conduise au maintien du statu quo tant il est porteur d’incertitudes pour celui qui

déclencherait l’application du pacte.

442 - Il est remarquable que dans ce montage, chacune des promesses réciproques

de vente et d’achat que les partenaires se consentent porte sur le même objet et est

soumise aux mêmes conditions927. En outre, les deux partenaires sont irrévocablement

engagés en cas de réalisation de la double condition suspensive. Aucun d’entre eux ne

bénéficie en effet d’une option, au mieux, le partenaire non initiateur de l’offre dispose

d’un choix entre acquérir ou vendre, mais tous deux sont tenus de contracter dans un

sens ou dans l’autre. Ces promesses réciproques constituent donc des promesses

synallagmatiques de vente et d’achat928, mais elles ne valent pas vente définitive dès

lors qu’elles sont conditionnelles929.

926 Un montage similaire pourrait être élaboré pour les clauses d’offre alternative. Chaque partenaire s’engage à acquérir les titres de l’autre, sous la double condition suspensive que l’événement rendant impossible la poursuite de la collaboration se réalise et qu’il ait proposé le prix le plus élevé. Parallèlement, chacun s’engage à vendre ses titres à l’autre, sous la double condition suspensive que l’événement rendant impossible la poursuite de la collaboration se réalise et qu’il ait proposé le prix le moins élevé. 927 Par exemple, en raisonnant dans le cas où A est à l’initiative de l’application du pacte : A a consenti à B une promesse d’achat des titres de ce dernier, au prix qu’il a proposé pour la vente de ses propres titres, si B ne souhaite pas les lui acheter. Parallèlement B a consenti à A une promesse de vente de ses titres, au prix que ce dernier lui a proposé pour la vente de ses propres titres, pour le cas où il ne souhaiterait pas acquérir les titres de ce dernier. 928 Une promesse synallagmatique organise la vente des titres de B à A et une deuxième celle des titres de A à B. En ce sens également, S. Prat, op. cit., n°311. 929 Par application de l’article 1583 du Code civil. Signalons toutefois l’existence d’une jurisprudence critiquable qualifiant les promesses croisées stipulées dans les mêmes termes de promesses synallagmatiques de vente valant vente (Cass. com. 22 novembre 2005, JCP, éd. E, 2006, 1463, note A. Constantin, confirmant Cass. com. 16 janvier 1990, RTD civ., 1990, p. 463, note J. Mestre). Voir également

Page 208: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

208

443 - La jurisprudence reconnaît dans le principe, ne serait-ce que tacitement, la

validité des clauses d’options croisées930 malgré les réticences exprimées par certains

auteurs931. Il apparaît que ces clauses peuvent se fondre, en droit français, dans le

moule des promesses synallagmatiques de vente et d’achat sous condition suspensive.

Reste alors à s’interroger sur les conditions auxquelles est soumise la validité des

clauses d’options croisées. Ces dernières doivent certainement respecter le droit

commun de la vente sous condition suspensive, d’une part, mais également,

conformément à leur degré résolument marqué de dépendance au contrat de société,

un certain nombre de conditions induites par l’environnement sociétaire.

B. Les conditions de validité des clauses d’options croisées

444 - La validité des clauses d’options croisées, lesquelles prennent la forme d’un

jeu de promesses synallagmatiques de vente et d’achat conclues sous conditions

suspensives932, est encadrée par certaines conditions relevant non seulement du droit

commun des contrats mais aussi du droit spécial des sociétés, en raison de ce que ces

clauses organisent, formellement, la sortie forcée de l’un des partenaires tout en ayant

pour effet pratique de rendre ces derniers prisonniers de la société.

445 - Les conditions de validité des clauses d’options croisées tenant au droit

commun de la vente sous condition suspensive portent essentiellement sur le caractère

non arbitraire de la condition suspensive933 ainsi que sur la déterminabilité objective du

prix934. Ces deux conditions coïncident avec les conditions de validité des clauses

d’exclusion extra-statutaires935.

Cour d’appel de Versailles 9 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 39, note P. Mousseron, très critiqué pour avoir qualifié de promesses synallagmatiques de vente valant vente, des promesses unilatérales croisées portant sur le même objet mais conclues à des conditions différentes, l’une d’entre elles étant en outre conclue sous une condition suspensive. 930 Cass. com. 28 avril 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 136, H. Hovasse et RTD. civ., 2009, p. 525, note B. Fages, précité. 931 Notamment Y. Guyon, op. cit., n°220. 932 Les droits de préférence consentis réciproquement par chacun des partenaires au profit de l’autre constituent un élément du montage de la clause d’options croisées. Ils sont donc partie intégrante de ce pacte caractérisé par une dépendance marquée au contrat de société mais leurs conditions de validité propres n’en sont toutefois pas modifiées par rapport à celles qui encadrent la validité des pactes de préférence indépendants (voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A. et Sect° 2). 933 Art. 1174 C civ. 934 Art. 1591 C. civ. 935 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chapitre 2, Sect°1, § 2. Il convient de respecter en outre, comme toujours, la condition générale de non-contrariété à l’intérêt social.

Page 209: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

209

446 - Dans chaque membre de promesse synallagmatique, le premier élément de la

condition suspensive à laquelle est subordonnée l’obligation d’un partenaire, l’intention

de vendre pour le débiteur de l’obligation d’acquérir, de même que le deuxième élément

cette condition, le refus d’acquérir pour le débiteur de l’obligation de vendre936, méritent

d’être analysés sous l’angle de la condition potestative.

Il s’avère que dans chaque promesse synallagmatique, l’engagement symétrique est

pris, exactement dans les mêmes conditions, par l’autre partenaire937. Or, il convient de

considérer les deux promesses synallagmatiques comme formant un ensemble

indivisible. Ces promesses sont en effet imbriquées l’une dans l’autre : la cause de

l’engagement pris par chaque partenaire dans chaque promesse est l’engagement

symétrique pris réciproquement par l’autre partenaire dans l’autre promesse. Or, cette

indivisibilité ôte tout arbitraire dans l’engagement pris par chacun des partenaires dans

la mesure où l’un des partenaires peut tout aussi bien que l’autre initier le

déclenchement de la procédure. Dans cette perspective, l’aléa quant à l’identité du

partenaire qui déclenchera la procédure exclut tout arbitraire.

C’est cette même considération qui permet de conclure au respect, au regard de

l’application du régime des clauses d’exclusion, de la condition relative à l’absence

d’arbitraire dans la réalisation de l’événement déclencheur de la cession forcée de la

part du partenaire qui en bénéficie. Le partenaire qui n’est pas à l’origine de la mise en

œuvre du pacte est en effet susceptible de contraindre à la sortie forcée celui qui en a

eu l’initiative en refusant d’acquérir, mais, encore un fois, l’aléa quant à l’identité du

partenaire qui déclenchera la procédure chasse l’arbitraire.

447 - Quant au prix de cession, lequel est laissé à la volonté discrétionnaire de

l’initiateur de la procédure, il convient de l’analyser sous l’angle de l’exigence de

détermination énoncée à l’article 1591 du Code civil938.

Sur ce point, nous rejoignons l’avis des auteurs selon lesquels, le risque que court celui

qui prend l’initiative de l’offre de devoir acheter les actions de son partenaire au prix qu’il

a offert pour la vente des siennes, exclut tout arbitraire dans la détermination du prix par

936 En raisonnant, par exemple, sur la promesse synallagmatique conclue pour la vente des titres de B à A, si A déclenche la procédure et que B n’exerce pas son droit de préférence : A s’engage à acquérir les titres de B, si [1er élément de condition suspensive] il a proposé ses titres à B et [2ème élément] B n’a pas souhaité les lui acquérir. B s’engage à vendre ses titres à A, si [1er élément de condition suspensive] A lui a proposé de lui vendre ses titres et [2ème élément] il n’a pas souhaité les lui acquérir. 937 En effet A s’est engagé à acquérir les titres de B sous le premier élément de condition suspensive de vouloir céder propres titres. Symétriquement, pour le cas où B serait l’initiateur de la procédure, il s’est engagé à acquérir les titres de A sous le premier élément de condition suspensive de vouloir céder propres titres. 938 Art 1591 C. civ. et Cass. req. 7 janvier 1925, D. H., 1925. 57 ; Grands arrêts, par F. Terré et Y. Lequette, 1994, n°173.

Page 210: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

210

ce dernier939. En effet, « compte tenu du risque qu’elle court de devoir acheter au prix

qu’elle fixe, elle [la partie qui prend l’initiative de l’offre] ne peut agir à sa guise ; elle est,

sauf attitude irraisonnée, contrainte de prendre en considération des éléments objectifs,

extérieurs à sa volonté »940. D’autres auteurs soutiennent, au contraire, que

l’indéterminabilité objective du prix au moment de la conclusion du pacte rend ce dernier

irrémédiablement nul et que, même à supposer que les partenaires aient prévu une

formule mathématique objective ou le recours à un tiers évaluateur pour déterminer le

prix, ce dernier n’est déterminable, au moment de la conclusion du pacte, que « par

référence à la volonté de celui qui, [… le moment venu] déclenche[ra] la procédure » 941.

Ils dénoncent notamment le danger que les clauses d’options croisées présentent au

regard de la fixation d’un prix systématiquement élevé, pour la vente de ses titres, par

l’initiateur du déclenchement de la procédure, de manière pour ce dernier, à contraindre

son partenaire à lui céder les siens942.

Mais nous maintenons qu’il n’y a pas d’arbitraire dans la clause d’options croisées dès

lors que ce pacte contient exclusivement des engagements symétriques et que

l’engagement pris par chaque partenaire n’a pas pour seule contrepartie le prix de vente

de ses titres mais, alternativement à ce prix, la propriété des titres de l’autre943. L’arrêt

précité de la Cour de cassation du 28 avril 2009944 offre une illustration du caractère

foncièrement aléatoire de la détermination du prix, tenant à l’impossibilité, pour

l’initiateur de la procédure, de se placer avec certitude dans une position soit de vendeur

soit d’acquéreur. En l’espèce, le pacte d’options croisées conclu entre le groupe

majoritaire et le groupe minoritaire au sein d’une société, prévoyait la possibilité pour

chaque partenaire de proposer d’acquérir les titres de l’autre à un certain prix, le

partenaire ainsi sollicité ayant la faculté alternative, soit de vendre ses titres au prix

proposé, soit d’acquérir celles de l’initiateur de la procédure au prix proposé par ce

dernier. Le groupe majoritaire, qui s’était entendu avec un tiers pour la vente de la

totalité des actions de la société moyennant un certain prix, avait alors actionné la

clause d’options croisées, en proposant au groupe minoritaire de racheter le reliquat de

939 En ce sens notamment, Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18667 et S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°311. Egalement, en matière de clauses d’offre alternative, P. Le Cannu, RTD com., 2007, p. 169, note précitée sous Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006. 940 Mémento Pratique Sociétés Commerciales, op. cit., n°18667. 941 H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, « Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires », Dr. sociétés, Actes prat. 10/1992, n°60 et s. 942 H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, op. cit. 943« Chacun conserve son autonomie et son pouvoir de décision. Il est vrai que le prix de la transaction résulte de la décision d’un seul, mais l’autre ne se trouve nullement à la merci de son partenaire pour autant, car l’option dont il dispose lui permet non seulement de se soustraire à l’obligation de contracter à un prix non choisi, mais encore, de retourner cette arme contre celui qui s’en est servi », S. Prat, op. cit., n°311. 944 Cass. com. 28 avril 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 136, H. Hovasse et RTD. civ., 2009, p. 525, note B. Fages, précité.

Page 211: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

211

titres détenus par ce dernier, à prix bon marché, de manière à réaliser une bonne affaire

sur la revente de ce reliquat en bloc avec ses propres titres au profit du tiers. Mais ce

prix était tellement bas que les minoritaires en ont profité pour choisir l’autre branche de

l’alternative offerte par le pacte et acquérir les titres composant le bloc majoritaire. La

détermination du prix par l’initiateur de la procédure présente donc un caractère

résolument aléatoire, la pratique le confirme.

Ce même aléa conduit, au regard du régime des clauses d’exclusion, à écarter

l’arbitraire dans la détermination du prix dû par le partenaire bénéficiaire de la cession

forcée.

448 - Les clauses d’options croisées nous semblent donc remplir les conditions de

validité tenant au droit commun de la vente, lesquelles se confondent sensiblement,

dans le cadre de ce type de pacte, avec les conditions de validité des clauses

d’exclusion prenant la forme de promesses unilatérales de cession forcée945. Les

clauses d’options croisées sont en outre soumises, en raison de leur effet pratique, aux

conditions encadrant la validité des pactes d’inaliénabilité.

449 - L’application aux clauses d’options croisées des conditions encadrant la

validité des clauses d’inaliénabilité ne fait pas l’unanimité au sein de la doctrine946. Nous

pensons que si la lettre du pacte d’options croisées organise, à l’opposé de

l’engagement d’inaliénabilité, la cession forcée des titres de l’un des partenaires, l’esprit

du pacte, qui est de dissuader chacun des partenaires de céder ses titres, ainsi que les

effets pratiques de ce dernier ne peuvent être ignorés. A ce titre, le principe

d’interprétation subjective des conventions947 commande que le juge tienne compte de

l’esprit du pacte. Une Cour d’appel a considéré, en ce sens, dans un arrêt ancien

statuant dans le cadre d’une libéralité, que la stipulation par le disposant d’une sanction

rigoureuse en cas d’aliénation du bien équivalait à une stipulation d’inaliénabilité948.

Dans cette perspective, la clause d’options croisées nous paraît devoir être

impérativement soumise aux conditions de validité des pactes d’inaliénabilité sauf à

cautionner la fraude qui consisterait à éluder ces conditions par le recours aux clauses

d’options croisées.

945 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chapitre 2, Sect° 1, § 2. Rappelons qu’il convient de respecter, en outre, la condition générale de non-contrariété à l’intérêt social 946 Contre cette application, voir notamment S. Prat, op. cit., n°291. 947 Par application de l’article 1156 du Code civil, lequel énonce que l’« on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ». 948 Cour d’appel de Besançon 27 avril 1950, inédit, cassé sur un autre point par Cass. civ. 7 mai 1957, Bull. civ. I, n°205, cité par S. Prat, op. cit., n°292.

Page 212: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

212

Nous avons vu que le respect de ces conditions tenant à la durée limitée de

l’engagement ainsi qu’à la justification par un intérêt légitime sérieux, conformément au

régime de droit commun de l’inaliénabilité, est apprécié au cas par cas par la

jurisprudence949. Malgré une certaine incertitude en la matière, la jurisprudence devrait,

dans le prolongement de sa volonté affichée d’accueillir en droit français ce mécanisme

sui generis faisant l’objet d’une pratique contractuelle mondialisée, se montrer assez

indulgente dans cette appréciation.

Dès lors que la condition de durée limitée s’apprécie au regard de celle du motif légitime

et sérieux950, un pacte d’options croisées conclu au sein d’une filiale commune devrait,

par exemple, être considéré comme valable, lorsqu’il est conclu pour une durée alignée

sur celle de la filiale, son motif légitime étant, conformément à l’intérêt social de cette

dernière, en organisant les modalités de règlement des conflits en son sein, de faciliter

la gestion et d’assurer la poursuite de l’activité de cette filiale pour la durée prévue951.

Conclusion du Chapitre 2

450 - Les pactes qui aménagent la perte de la qualité d’actionnaire d’un partenaire,

en forçant ce dernier à quitter la société ou, au contraire, en le maintenant de force dans

la société, affectent la structure ainsi que le fondement-même de la société, la poursuite

de l’intérêt commun étant menacée en premier chef. Ils se situent, à ce titre, dans un fort

degré de dépendance au contrat de société et subissent alors l’emprise des principes de

l’ordre public sociétaire destinés à protéger les actionnaires, notamment l’intérêt

commun de ces derniers, et considérés comme des droits fondamentaux et propres de

chaque actionnaire.

451 - En premier lieu, les pactes qui organisent l’exclusion d’un partenaire

méconnaissent le droit qu’a tout actionnaire de rester dans la société. Mais ce droit n’est

pas absolu, il peut être aménagé par son titulaire. La jurisprudence admet en effet la

validité dans le principe, encadrée par des conditions strictes, des clauses d’exclusion

statutaires, tandis qu’elle reconnaît, au regard de la probable appartenance des clauses

d’exclusion au domaine réservé des statuts, la spécificité des pactes extra-statutaires,

qui organisent, au moyen d’une promesse unilatérale de cession conclue sous condition

suspensive, la sortie forcée d’un actionnaire, à la demande d’un autre, dans certaines

949 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1 . B. 950 En ce sens, S. Prat, op. cit., n°267, citant J. Carbonnier, Droit civil, Tome III, Les biens, éd. PUF, coll. « Thémis », 12ème éd., 1985, n°31. 951 En ce sens également, voir G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, n°9, et la jurisprudence citée, notamment Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider-Marine-Firminy, Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit, précité.

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213

circonstances. Ces pactes de rachat forcé, qui aboutissent à l’exclusion, entendue au

sens large, d’un actionnaire, doivent respecter certaines conditions de validité destinées,

tout comme celles qui encadrent la validité des clauses d’exclusion statutaires stricto

sensu, à protéger l’actionnaire sortant contre tout arbitraire de la part de l’actionnaire

bénéficiaire initiateur de l’exclusion, tant dans la réalisation des conditions suspensives,

lesquelles s’apparentent aux motifs d’exclusion, que dans la détermination du prix de

cession, lequel s’apparente à l’indemnité d’exclusion. L’application de ces conditions,

pour lesquelles la jurisprudence fait déjà preuve d’une grande casuistique en droit

commun, aux engagements statutaires et extra-statutaires d’inaliénabilité n’est pas sans

susciter certaines incertitudes tant au regard de l’appréciation de la durée acceptable

que de celle de l’intérêt légitime et sérieux. Cette application aux pactes d’exclusion des

conditions de validité de droit commun de la promesse unilatérale de vente sous

condition suspensive se trouve être fortement influencée par l’environnement sociétaire,

ce qui est significatif de la dépendance marquée au contrat de société de ces pactes.

452 - Par ailleurs, les pactes qui organisent le maintien forcé d’un actionnaire dans la

société, au moyen d’une clause d’inaliénabilité ou d’une clause d’options croisées,

portent atteinte au droit fondamental qu’a tout actionnaire de ne pas demeurer prisonnier

de ses titres. Pour cerner les contours de ce droit fondamental, il convient de rechercher

le fondement de son corollaire, le principe de libre négociabilité des actions, lequel

réside, nous semble-t-il, dans la contrepartie que la libre négociabilité des actions

apporte au principe majoritaire. Le principe de libre négociabilité des actions, quoique

d’ordre public, n’étant pas absolu, la doctrine reconnaît depuis peu la validité des

conventions, statutaires ou extra-statutaires, par lesquelles un actionnaire aménage son

droit de céder ses titres dès lors qu’il ne se rend pas totalement prisonnier de la société.

Les pactes d’inaliénabilité ont ainsi les faveurs de la doctrine, laquelle les valide sous

réserve de respecter certaines conditions destinées à protéger l’actionnaire, en

l’occurrence les conditions de limitation dans le temps et de motivation par un intérêt

légitime et sérieux tenant au droit commun des engagements d’inaliénabilité, dont la

jurisprudence a confirmé il y a peu l’application dans le cadre des conventions à titre

onéreux. De même, une Cour d’appel a implicitement admis la validité d’un pacte extra-

statutaire prévoyant l’incessibilité temporaire des actions en vue de consolider une

opération de restructuration de la société. L’application de ces conditions, pour

lesquelles la jurisprudence fait déjà preuve d’une grande casuistique en droit commun,

aux engagements statutaires et extra-statutaires d’inaliénabilité n’est pas sans susciter

certaines incertitudes tant au regard de l’appréciation de la durée acceptable que de

celle de l’intérêt légitime et sérieux. S’il n’est pas certain que cet intérêt se confonde

Page 214: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

214

avec l’intérêt social, quelle que soit l’acception que l’on retienne de la notion, le pacte

d’inaliénabilité ne peut, en tout état de cause, méconnaître la condition générale de non-

contrariété à l’intérêt social. Le régime des pactes d’inaliénabilité, s’il découle du droit

commun, subit ainsi une forte influence de l’environnement sociétaire, conformément au

degré marqué de la dépendance au contrat de société de ces pactes.

Quant aux clauses américaines ou d’options croisées, qui organisent l’exclusion forcée

de l’un des actionnaires, à la suite de la proposition de cession de ses titres par l’un

d’entre eux, dans des conditions financières tellement risquées que ces pactes

conduisent en pratique à l’inaliénabilité des titres, ce n’est qu’après avoir surmonté le

difficile obstacle tenant à l’intégration dans le système français des mécanismes

aléatoires et alternatifs sur lesquels ils reposent que ressort l’emprise maximale de

l’environnement sociétaire sur leur régime. Leur fort degré de dépendance au contrat de

société se manifeste en effet par l’application cumulée des conditions de validité des

pactes d’exclusion et d’inaliénabilité.

Conclusion du Titre 1

453 - Les pactes caractérisés par une dépendance marquée au contrat de société,

tenant à ce qu’ils portent sur l’exercice du pouvoir au sein de la société ou aménagent la

perte de la qualité d’actionnaire des partenaires, subissent une forte emprise des

principes de l’ordre public sociétaire destinés à protéger les droits propres des

actionnaires, à préserver le fondement de la participation de ces derniers dans la société

ainsi qu’à asseoir les règles gouvernant le fonctionnement des organes sociaux et sont,

en outre, encadrés par la condition générale de conformité, ou tout au moins, de non-

contrariété à l’intérêt social.

454 - La plupart de ces principes ne sont pas absolus, ainsi en est-il, nous l’avons

dit, du droit de vote, du droit de rester dans la société, ou encore du principe de libre

négociabilité des actions. C’est précisément le caractère non absolu de ces principes,

lesquels sont reconnus comme constitutifs de droits propres de l’actionnaire, qui permet

de valider l’aménagement de ces droits par leur titulaire, dans le cadre de pactes

d’actionnaires tout autant que, pour la plupart d’entre eux, dans les statuts.

Les pactes extra-statutaires qui aménagent l’exercice du droit de vote, organisent

l’exclusion, entendue au sens large, ou l’inaliénabilité temporaire des titres d’un

actionnaire sont donc validés par la doctrine, dans le principe, et, au moins

implicitement, par la jurisprudence. Cette validité de principe est encadrée par des

Page 215: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

215

conditions qui sont appréciées de manière plus ou moins bien établie en jurisprudence.

La condition relative à la conformité à l’intérêt social, à laquelle il convient, semble-t-il,

de substituer celle moins rigoureuse de la non-contrariété à l’intérêt social, est encore

une fois la plus délicate à appréhender en raison du caractère flou de la notion d’intérêt

social.

455 - La forte influence de l’environnement sociétaire sur le régime des conventions

de vote et des pactes aménageant la perte de la qualité d’actionnaire des partenaires,

induite par la vigueur du rapport de dépendance au contrat de société entretenu par ces

derniers, se manifeste dans l’appréciation de leurs conditions de validité. Il apparaît que

la marge de souplesse dont les partenaires bénéficient pour aménager leurs relations

inter-individuelles d’actionnaires dans le cadre de ces pactes, au regard des principes

gouvernant le fonctionnement et la structure de la société, est à la mesure de celle dont

ils bénéficient dans le cadre du contrat de société.

Cette tendance se caractérise essentiellement, en matière de conventions de vote, par

le respect absolu des principes qui gouvernent la répartition des pouvoirs au sein des

organes sociaux ainsi que par le défaut d’autonomie de la condition relative à la non-

contrariété à l’intérêt social, pour l’appréciation de laquelle il est fait appel à la théorie de

l’abus de droit ainsi qu’il en est en droit des sociétés pour encadrer l’exercice même, par

les actionnaires, de leur droit de vote au sein des assemblées générales.

Elle se manifeste également de manière significative dans le régime des pactes

d’exclusion qui organisent la cession forcée des titres d’un actionnaire, et par ricochet, la

perte de la qualité d’actionnaire de ce dernier. Les conditions de validité de ces pactes

sont ainsi le pendant, dans le cadre du mécanisme de la promesse unilatérale de

cession sous conditions, des conditions auxquelles la jurisprudence subordonne la

validité des clauses d’exclusion statutaires stricto sensu, lesquelles relèvent, selon nous,

du domaine réservé aux statuts. En effet, la condition relative au caractère objectif,

grave et conforme à l’intérêt social des motifs d’exclusion statutaire se retrouve à

l’identique dans l’appréciation de l’événement sur lequel porte la condition suspensive,

le respect des droits de la défense est relayé par l’absence d’arbitraire dans la

réalisation de la condition suspensive, et enfin la juste indemnisation de l’actionnaire

exclu est suppléée par l’absence d’arbitraire dans la détermination du prix.

456 - Il convient désormais de vérifier dans quelle mesure l’environnement sociétaire

influe sur le régime des pactes qui présentent un degré plus modéré de dépendance au

contrat de société en ce qu’ils se contentent d’organiser les cessions ou acquisitions

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d’actions par les partenaires sans aménager spécifiquement la perte de la qualité

d’actionnaire de ces derniers.

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Titre 2. Les pactes caractérisés par une dépendance modérée

457 - Les pactes qui aménagent les cessions ou les acquisitions d’actions, autres

que ceux qui visent à exclure un actionnaire ou, au contraire, à emprisonner un

actionnaire dans la société, sont plus éloignés du fonctionnement952 de la société

anonyme et, dès lors, préservent davantage les fondements sur lesquels repose le

contrat de société. Si de tels pactes se situent, par essence, ainsi que nous en avons

justifié953, dans une forme de rapport d’accessoire à principal au regard du contrat de

société, l’intensité de cette dépendance au contrat de société est plus modérée en

comparaison de celle qui caractérise les pactes interférant directement avec le

fonctionnement, la structure et le fondement-même de la société en ce qu’ils aménagent

l’exercice du droit de vote ou la perte de la qualité d’actionnaire.

Les pactes d’actionnaires qui présentent une dépendance modérée au contrat de

société sont ainsi, au sein de la grande diversité de pactes auxquels la pratique a

recours, en plus grand nombre. Ils constituent, en quelque sorte, la catégorie résiduelle

de l’ensemble des pactes présentés dans cette étude, une fois que ceux interférant

directement dans le fonctionnement de la société ont été retirés.

458 - Si ces pactes caractérisés par une dépendance modérée au contrat de société

bénéficient d’une certaine liberté au regard de l’ordre public sociétaire, le cadre

sociétaire est néanmoins présent en toile de fond chaque fois qu’il convient de préserver

la libre négociabilité des actions. Il est en outre possible que l’ordre public sociétaire

retrouve une partie de son emprise pour encadrer les pactes qui contreviennent à deux

règles, dont le domaine d’application n’est pas bien délimité en droit positif, celle de la

prohibition des clauses léonines, énoncée à l’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil, d’une

part, et celle prévoyant l’intervention impérative d’un expert, en cas de désaccord sur le

prix dans des cessions de droits sociaux, énoncée à l’article 1843-4 du Code civil,

d’autre part.

459 - Conformément au caractère modéré de leur dépendance au contrat de société,

les pactes relatifs aux cessions d’actions devraient bénéficier d’un régime plus

952 Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°198. 953 Voir supra, Partie I, Titre 2, spé. Chap. 1, Sect° 2.

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largement émancipé de l’ordre public sociétaire954, et donc plus souple, que celui des

pactes qui aménagent l’exercice du droit de vote ou la perte de la qualité d’actionnaire.

C’est ce que nous allons éprouver en distinguant, au sein du régime des pactes

caractérisés par une dépendance modérée au contrat de société, l’influence du principe

de libre négociabilité des actions (Chapitre 1) de celle, plus incertaine, des règles

relatives à la prohibition des clauses léonines et à l’expertise de l’article 1843-4 du Code

civil (Chapitre 2).

Chapitre 1. L’influence du principe de libre négoci abilité des actions

460 - Le principe de libre négociabilité des actions compte parmi les principes

généraux non écrits de l’ordre public sociétaire955. S’il a pour corollaire le droit absolu

pour tout actionnaire de ne pas être prisonnier de ses titres et implique, dès lors, qu’un

actionnaire doit toujours avoir la possibilité de sortir de la société en cédant ses

actions956, la jurisprudence n’en a jamais précisé le contenu ni la portée, au regard

notamment de la marge de liberté dont bénéficie l’actionnaire dans le choix de la

personne de son cessionnaire ou dans la détermination des conditions financières de la

cession.

461 - Dans l’optique de cerner l’influence de ce principe sur le régime des pactes

caractérisés par une dépendance modérée au contrat de société, il convient de

circonscrire le domaine de la libre négociabilité. Ce principe vise, selon nous, les seuls

pactes organisant une cession d’actions stricto sensu. Il nous semble en effet que les

pactes qui encadrent la liberté pour certains actionnaires d’acquérir des actions ne sont

pas concernés par la libre négociabilité, leur validité serait alors acquise au regard de ce

principe.

954 En ce sens, Y. Guyon, op. cit, n°198 et G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, éd. L’Harmattan, 2008, n°361. 955 Notons que ce principe est implicitement visé à l’art. R. 224-2 C. com. selon lequel, les statuts doivent mentionner les conditions auxquelles est soumis l’agrément « en cas de restriction à la libre négociation ou cession des actions ». 956 Cass. com. 22 octobre 1969, Rev. sociétés, 1970, p. 288 et JCP, éd G, 1970.II.n°16197, note J. Paillusseau.

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462 - De plus, lorsqu’il est bien en cause, le principe de libre négociabilité des

actions n’est pas absolu ainsi qu’en témoigne la reconnaissance de la validité, sous

conditions, des clauses d’inaliénabilité957.

Dans la mesure où les pactes d’inaliénabilité sont valables, sous réserve qu’ils soient

limités dans le temps et justifiés par un motif légitime et sérieux, a fortiori doivent être

reconnus valables, dans le principe, les pactes ne faisant que restreindre la libre

négociabilité des actions. A ce titre, la loi autorise expressément, sous certaines

conditions, la stipulation dans les statuts de clauses subordonnant la cession d’actions à

l’agrément du cessionnaire, lesquelles sont applicables aux cessions entre

actionnaires958 depuis l’ordonnance du 24 juin 2004959.

Mais dans le prolongement de l’encadrement de la validité des pactes d’inaliénabilité, au

regard du droit pour tout actionnaire de ne pas être prisonnier de ses titres, la validité

des pactes ne faisant que restreindre la libre négociabilité des actions ne nous paraît

admissible que pour autant que ces restrictions n’ont pas pour effet de supprimer,

matériellement, toute possibilité de réalisation de la cession, à des conditions

suffisamment satisfaisantes pour que le débiteur du pacte ne se retrouve pas, en

pratique, en situation de toujours préférer renoncer à la cession. C’est en effet en ce

sens que la jurisprudence valide les pactes par lesquels, un actionnaire réduit au profit

d’un autre son droit de céder sans entrave ses actions, sous réserve que les modalités

de mise en œuvre du pacte préservent un minimum les conditions matérielles

nécessaires à la réalisation de la cession ainsi que le caractère satisfactoire de la

contrepartie que le partenaire débiteur retire de la cession.

463 - Ainsi, si la validité des pactes caractérisés par une dépendance modérée au

contrat de société est reconnue dans le principe, au regard de la restriction

éventuellement apportée à la libre négociabilité des actions (Section 1), cette validité est

encadrée par certaines conditions, relativement souples, lesquelles entourent la mise en

œuvre des pactes qui restreignent effectivement la libre négociabilité des actions

(Section 2).

957 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1 . 958 Art. L 228-23 et s. C. com. 959 Ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004 portant réfo rme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales, précitée.

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Section 1. Le caractère non absolu du principe de l ibre négociabilité des actions

464 - Les pactes d’actionnaires qui se situent dans un rapport de dépendance

modérée au contrat de société regroupent l’ensemble des pactes relatifs à la

composition du capital autres que ceux aménageant la perte de la qualité d’actionnaire

des partenaires.

Si certains de ces pactes portent atteinte, non pas à la libre négociabilité des actions,

mais à la liberté d’acquérir des actions, de sorte que leur validité, au regard de ce

premier principe, ne présente, selon nous, aucun doute (§ 1), la plupart de ces pactes

vient effectivement restreindre le droit qu’a tout actionnaire de céder librement ses

actions et requière, dès lors, quelques développements au regard du principe même de

leur validité, lesquels sont significatifs d’un degré de dépendance modéré au contrat de

société (§ 2).

§ 1. La validité des pactes restreignant la liberté d’acquérir des actions

465 - Certains pactes dont l’objet est de contrôler la composition du capital social ne

constituent pas pour autant, selon nous, une atteinte au principe de libre négociabilité

des actions. Ce sont les pactes qui grèvent non pas la liberté de céder mais celle

d’acquérir des actions.

Ces pactes emportent pour leur débiteur une restriction plus ou moins importante à la

liberté d’acquérir, laquelle va de l’interdiction d’acquérir, par des pactes de non-

agression (A), à l’engagement d’acquérir dans certaines conditions prédéterminées,

contracté sous la forme d’une promesse unilatérale d’achat organisant pour le partenaire

qui en est bénéficiaire une faculté de retrait de la société (B).

A. La validité des pactes de non-agression

466 - Les pactes de non-agression emportent pour leur débiteur l’interdiction pure et

simple d’acquérir de nouveaux titres. Ils sont plus fréquemment consentis sous une

variante moins stricte, celle du pacte de plafonnement, lequel interdit au débiteur de

porter sa participation au-delà d’un seuil significatif prédéfini.

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467 - Selon une fraction non négligeable de la doctrine960, à l’opinion de laquelle

nous nous rallions, ces pactes ne portent pas atteinte au principe de libre négociabilité

des actions, lequel n’implique aucunement le droit pour tout actionnaire d’acquérir des

actions. On peut d’ailleurs voir en ce sens, dans l’existence du mécanisme du droit

préférentiel de souscription, la preuve de ce que « le droit d’acquérir de nouvelles

actions n’est pas attaché à la qualité d’actionnaire »961 de manière automatique et

intangible. En effet, non seulement le droit préférentiel de souscription est librement

négociable, ou tout au moins cessible962, par l’actionnaire qui en est titulaire, au profit de

toute personne et notamment d’un tiers à la société, mais encore, il peut être supprimé à

l’initiative de l’assemblée générale extraordinaire963, au profit de personnes

dénommées964, notamment pour permettre l’entrée d’un tiers dans le capital social. Il

apparaît alors que si tout actionnaire bénéficie, par principe, du droit d’acquérir des

actions, ce n’est pas en vertu du principe de libre négociabilité, mais en vertu du principe

de la liberté contractuelle, laquelle permet également à tout actionnaire de limiter, de

son seul gré, ce droit qui lui est propre.

468 - Par deux arrêts, la jurisprudence a eu l’occasion de valider les pactes de non-

agression965 mais elle n’en a jamais énoncé clairement les conditions de validité.

Dans la mesure où ces pactes ne portent pas atteinte, dans leur principe même, à

l’ordre public sociétaire, il nous semble que ces derniers subissent une influence très

faible de l’environnement sociétaire, laquelle est réduite, comme pour tout pacte, à la

condition de non-contrariété à l’intérêt social966.

L’application de cette seule condition, dont le respect est toujours difficile à apprécier en

raison du caractère flou de la notion d’intérêt social967, est significative de la faible

intensité du rapport de dépendance dans lequel se placent les pactes de non-agression

au regard du contrat de société. Un auteur précise, au titre du respect de cette condition,

qu’il serait très contestable de soutenir qu’un pacte de non-agression contrarie l’intérêt

960 En ce sens notamment, G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°13 et R. Cannard, « Les pactes visant à prendre et/ou conserver le pouvoir dans les sociétés anonymes, non cotées » in Dossier « Les pactes extra-statutaires », JCP - Cah. dr. entr. 1/1992, I. 3, p. 5. 961 D. Bastian, note sous Cour d’appel de Paris 24 novembre 1954, JCP, éd. G, 1955.II.8448. 962 « Pendant la durée de la souscription, ce droit est négociable lorsqu’il est détaché d’actions elles-mêmes négociables. Dans le cas contraire [s’il a pour objet des actions soumises à une clause d’agrément], il est cessible dans les mêmes conditions que l’action elle-même. » (art. L 225-132 al. 3 C. com). 963 L 225-135 C. com. 964 L 225-138 C. com. 965 Trib. com. Paris 1er août 1974, affaire Schneider-Marine-Firminy, Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit, précité, validant le pacte par lequel deux sociétés actionnaires d’une filiale commune s’étaient mutuellement interdites de prendre une participation dans le capital l’une de l’autre. Voir également Cour d’appel de Montpellier 17 décembre 1992, Bull. Joly, 1993, p. 649, note P. Le Cannu, selon lequel, à défaut de stipulation expresse, le pacte de non-agression n’interdit pas à son débiteur d’augmenter sa participation de manière indirecte en effectuant des acquisitions à travers une société qu’il contrôle. 966 Egalement en ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°241. 967 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2 . A.

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social alors même que, par nature, un tel pacte vise à protéger la société contre toute

agression interne par un partenaire968.

469 - Sous cette réserve de ne pas contrarier l’intérêt social, les relations qui lient les

partenaires à un pacte de non-agression ou de plafonnement sont donc exclusivement

soumises aux règles générales du droit des obligations969. Mais la doctrine est divisée

quant aux conditions de droit commun par lesquelles il convient d’encadrer la validité de

ces engagements. Certains auteurs970 soutiennent que les pactes de non-agression

constituent une entrave à la libre circulation des richesses et doivent, à ce titre,

respecter les mêmes conditions de validité que celles qui encadrent les clauses

d’inaliénabilité, tenant au caractère temporaire de l’engagement et à la justification par

un intérêt légitime et sérieux971. Nous nous prononçons, pour notre part, à l’instar

d’autres auteurs972, contre l’élévation des critères relatifs à la limitation dans le temps973

et à la justification par un intérêt légitime et sérieux en conditions de validité des pactes

de non-agression. Remarquons par ailleurs que l’applicabilité de la condition de durée

limitée à ces pactes reste largement théorique dans la mesure où ces derniers sont

toujours conclus pour une telle durée, faute de quoi, en pratique, ils présenteraient le

lourd inconvénient d’être résiliables unilatéralement974.

470 - De la validité de principe, en dehors du domaine régi par la libre négociabilité

des actions, des pactes emportant une interdiction d’acquérir, découle naturellement

celle des pactes ne faisant que restreindre la liberté d’acquérir, par la promesse

consentie par le débiteur, de racheter les actions du partenaire bénéficiaire, de manière

à conférer à ce dernier une faculté de retrait.

B. La validité des pactes de retrait

471 - Les pactes par lesquels un actionnaire s’engage irrévocablement à acquérir les

actions d’un autre, à première demande de ce dernier ou sous condition suspensive,

restreignent considérablement la liberté d’acquérir du débiteur.

968 S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°347. 969 G. Parléani, op. cit., n°13 ; Y. Guyon, op. cit., n°243 et Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°3280. 970 En ce sens, Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18662. 971 Voir supra, Patie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B. 972G. Parléani, op. cit., n°13 et Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°3280. 973 En faveur de l’encadrement de la validité des pactes de non-agression par la condition de durée limitée, sans en préciser toutefois le fondement, voir Y. Guyon, op. cit, n°241. 974 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B. et notamment, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 8ème éd., 2008, n°146.

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Mais il résulte des développements qui précèdent que cette liberté d’acquérir, laquelle

relève de la liberté contractuelle et peut, sur ce même fondement, être réduite par et de

la seule volonté de son titulaire, n’est pas protégée par le principe de l’ordre public

sociétaire relatif à la libre négociabilité des actions.

472 - L’on pourrait se demander si l’engagement pris par une personne d’acquérir

des actions n’est pas plus contraignant pour cette dernière que celui de ne pas en

acquérir, et si, plus fondamentalement, un tel engagement ne constitue pas une menace

pour la société au regard de la nécessaire poursuite d’un intérêt commun. Toutefois,

dans la mesure où le débiteur de l’engagement est d’ores et déjà actionnaire de la

société et donne librement, lors de la conclusion de la promesse, son consentement

définitif à l’acquisition d’actions supplémentaires, l’intérêt commun n’est pas menacé. En

effet, au moment où le bénéficiaire lève son option de vente, le cas échéant, soit le

partenaire débiteur est d’ores et déjà soumis, en sa qualité d’actionnaire en place, à la

poursuite de l’intérêt commun975, soit il n’y est plus soumis, par ce qu’il a préféré quitter

la société976, auquel cas la promesse unilatérale d’achat est caduque977 et la levée

d’option par le bénéficiaire inefficace.

473 - La jurisprudence reconnaît depuis plusieurs années, dans divers arrêts, la

validité des pactes de retrait conclus sous la forme de promesses unilatérales d’achat

assorties ou non de conditions suspensives978.

Dernièrement encore, la Cour de cassation a reconnu, dans un arrêt date du 15 mai

2008, la validité de la promesse de rachat d’actions, consentie pendant une certaine

durée, par les actionnaires fondateurs d’une société à un investisseur, pour le cas où ce

dernier en ferait la demande979.

474 - Si la validité de ces pactes, dans leur principe même, ne fait aucun doute,

l’encadrement de cette validité par des conditions autres que celles de droit commun et

spécifiquement destinées à limiter la restriction apportée à la liberté d’acquérir est

incertain. Il faut notamment se garder de voir dans la référence, faite par l’arrêt précité,

au caractère limité de la durée du pacte, une condition générale de validité des 975 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 1, Sect° 1, § 1. A. 976 Dans les conditions éventuellement posées par d’autres dispositions extra-statutaires venant restreindre, le cas échéant, parallèlement à l’engagement de non-agression, la liberté pour l’actionnaire de céder ses actions. 977 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B. 978 Cour d’appel de Paris 10 décembre 1998, Bull. Joly, 1999, p. 482, note J.-J. Daigre ; Cour d’appel de Versailles 14 octobre 2004, RJDA, 5/05, n°574 ; Cass. com. 16 novembre 2004 et Cass . com. 22 février 2005, Gontard c/ M. Jean Papelier, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque et Cass. com. 27 septembre 2005, affaire BSA Bourguoin, Bull. Joly, 2006, n°1, p. 92, note A. Couret. 979 Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, Bull. Joly, 2009, p. 40, note P. Le Cannu.

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promesses unilatérales d’achat organisant le retrait d’un actionnaire de la même

manière que la durée limitée constitue une condition de validité des pactes

d’inaliénabilité. Nous verrons en effet, lors de l’étude de l’application éventuelle aux

clauses de prix figurant dans les pactes caractérisés par une dépendance modérée au

contrat de société d’autres règles de l’ordre public sociétaire que celle relative à la libre

négociabilité des actions, que le critère de durée limitée est parfois pris en compte par la

jurisprudence pour apprécier la validité, au regard de la prohibition des clauses léonines,

de la clause particulière de prix plancher fréquemment stipulée dans les pactes de

retrait980. Rappelons en outre que les promesses unilatérales d’achat, comme celles

portant sur la vente d’actions sont, en pratique, systématiquement encadrées dans le

temps faute de quoi, le promettant disposerait, conformément au droit commun, de la

faculté de résilier son engagement après avoir mis en demeure le bénéficiaire de lever

son option981.

475 - Les pactes de retrait ne constituant pas une limitation au principe de libre

négociabilité des actions, ce sont des conditions tirées d’autres considérations tenant à

l’environnement sociétaire qui encadrent la validité de ces pactes et sont significatives

d’une dépendance de ces derniers au contrat de société.

Ainsi, ces pactes doivent-ils respecter la condition générale de non-contrariété à l’intérêt

social, avec les incertitudes qui lui sont inhérentes982, et les clauses de prix qu’ils

stipulent pourraient-elles être soumises, à l’application impérative de la prohibition des

pactes léonins, nous l’avons dit, ou encore de l’expertise de l’article 1843-4 du Code

civil, dont nous verrons qu’elles constituent deux règles de l’ordre public sociétaire en

perte de vitesse983. En ce sens, le régime des pactes de retrait est caractéristique du

degré modéré de leur dépendance au contrat de société.

476 - Il convient d’ajouter une condition particulière de validité, plus proche cette fois

du fonctionnement de la société anonyme, mais qui n’ôte rien au caractère modéré de la

dépendance au contrat de société des pactes de retrait. Elle est applicable

spécifiquement aux pactes conclus au profit d’un partenaire titulaire d’un mandat social

au titre duquel ce dernier se trouve être soumis à la révocabilité ad nutum.

Certains pactes de retrait visent en effet à organiser, au profit d’un actionnaire dirigeant,

le rachat, à des conditions préférentielles, des actions détenues par ce dernier lors de la

cessation de ses fonctions. De tels engagements sont notamment souscrits, dans le 980 Sur cette question, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 2. 981 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. B. et notamment, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 8ème éd., 2008, n°146. 982 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 2 . A. 983 Voir infra, Titre 2, Chap. 2.

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cadre des cessions de contrôle échelonnées dans le temps, par le cessionnaire devenu

majoritaire, sous la forme d’une promesse unilatérale d’achat des actions qui demeurent

la propriété du cédant ayant conservé une fonction de direction au sein de la société,

pour le cas de révocation de ce dernier. Ces pactes de retrait ne doivent pas contrevenir

au principe, dont nous avons vu qu’il est d’ordre public absolu, de la révocabilité ad

nutum de certains dirigeants dans les sociétés anonymes984. A ce titre, les conditions de

rachat qu’ils stipulent ne doivent pas être trop contraignantes au regard des moyens

financiers du partenaire débiteur, faute de quoi le pacte aurait pour effet, en pratique, de

dissuader ce dernier d’exercer le droit dont il dispose de révoquer librement le dirigeant.

La jurisprudence réalise une appréciation pragmatique et indulgente du respect de cette

condition, laquelle n’est pas dénuée d’une certaine casuistique, en sanctionnant les

seuls engagements qui sont de nature à exclure toute décision de révocation de la part

du partenaire débiteur, lorsque ce dernier est majoritaire dans la société985. Ainsi en

était-il, selon une Cour d’appel, du protocole prévoyant le rachat des actions détenues

par le président du conseil d’administration, pour un prix égal au double de leur valeur

vénale, en cas de révocation de ce dernier986.

477 - Les pactes d’actionnaires qui se contentent de restreindre la liberté qu’a leur

débiteur d’acquérir des actions, valables dans le principe au nom de la liberté

contractuelle, sont soumis à un régime faiblement influencé par l’environnement

sociétaire, ce qui est significatif de leur dépendance modérée au contrat de société.

Il est en revanche moins évident d’affirmer la validité, dans le principe même, des autres

pactes caractérisés par une dépendance modérée au contrat de société dès lors que

ces derniers restreignent la libre négociabilité des actions.

§ 2. La validité de principe des pactes restreignant la libre négociabilité des

actions

478 - Les pactes d’actionnaires, les plus courants en pratique, qui visent à contrôler

la géographie du capital et reposent sur les deux figures « archétypes des avant-

contrats »987 de droit commun que sont le pacte de préférence et la promesse unilatérale

de vente sous condition, restreignent plus ou moins fortement la liberté de négocier

leurs actions dont disposent les partenaires qui en sont débiteurs.

984 Sur lequel, voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1. B. 985 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 1, Sect° 2, § 1 . B. 986 Cour d’appel de Versailles 11 juillet 1991, Bull. Joly, 1991, p. 1008, note P. Le Cannu. 987 Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit civil - Les contrats spéciaux, Defrénois, 4ème éd., 2009, n°109, à propos de la promesse de vente.

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Ces pactes organisent en effet pour l’avenir les modalités de cession de leurs titres par

les débiteurs soit en limitant, avant tout projet de cession, le choix de la personne du

cessionnaire, soit en emportant pour le débiteur l’engagement irrévocable de transférer

la propriété des actions à un bénéficiaire déterminé et selon des modalités prédéfinies.

479 - Le principe de libre négociabilité des actions n’étant pas absolu, il ne fait pas

obstacle, nous l’avons dit, à ce qu’un actionnaire s’engage envers un autre, sous

certaines conditions, à ne pas céder ses actions988. Plus encore, le législateur a lui-

même autorisé, par la loi du 24 juillet 1966, entérinant alors la jurisprudence antérieure,

la restriction apportée à la libre négociabilité des actions par l’insertion, dans les statuts,

de clauses subordonnant les cessions d’actions au profit d’un tiers à l’agrément de la

personne du cessionnaire par un organe social. Et depuis, l’ordonnance précitée du 24

juin 2004989 est venue élargir le domaine d’application de cette dérogation aux cessions

entre actionnaires990.

480 - Dans le prolongement des diverses dérogations apportées à la libre

négociabilité des actions et notamment, de l’admission, sous conditions, de la validité

des pactes, caractérisés par une dépendance marquée au contrat de société, rendant

un actionnaire temporairement prisonnier de ses titres, est reconnue, en droit positif, la

validité de principe des pactes ne faisant que réduire la liberté de cession.

Cette seule réduction de la liberté de cession du partenaire débiteur, par des pactes

organisant, pour l’avenir, les modalités de la cession de ses titres par ce dernier, est

plus ou moins contraignante pour le débiteur. Elle n’exclut pas un engagement maximal

du débiteur, ainsi qu’il en est dans le cadre des promesses unilatérales de vente sous

condition suspensive, par lesquelles le promettant s’engage irrévocablement à céder

ses titres en cas de réalisation de la condition. Mais il faut bien garder à l’esprit, qu’au

regard de la libre négociabilité des actions991, cet engagement irrévocable, si proche de

la réalisation de la cession, n’emporte aucune incertitude quant aux modalités de la

cession pour l’actionnaire qui l’a consenti992. Au contraire, l’engagement qui porte sur le

988 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2. 989 Ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004 portant réfo rme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales, précitée. 990 Art. L 228-23 et s. C. com. 991 La liberté de céder du promettant est d’autant plus préservée que, selon une position critiquée de la jurisprudence mais néanmoins maintenue, ce dernier est libre de se rétracter avant la levée d’option moyennant le seul versement de dommages et intérêts (Civ. 3ème 15 décembre 1993, Defrénois, 1994, n°35845, obs. Ph. Delebecque, JCP, éd. N, 1995.II.31, note D. Mazeaud, et D., 1995, p. 87, obs. L. Aynès. Et encore dernièrement, voir Cass. 3ème civ. 27 mars 2008, RDC, 2008, p. 734, note D. Mazeaud et G. Pillet, JCP, éd. N, 2008, p.1299). 992 En effet, dans le cadre de la promesse unilatérale de vente sous condition, une fois la condition suspensive réalisée, le principe de l’engagement de cession du débiteur est acquis selon les modalités prédéterminées auxquelles il a consenti, reste seulement à attendre que le bénéficiaire lève l’option.

Page 227: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

227

choix, ou limite le choix, avant tout projet de cession, de la personne du cessionnaire,

dans le cadre d’un pacte de préférence ou d’agrément extra-statutaire est grevé

d’incertitudes quant aux modalités de la cession éventuelle. Or, l’atteinte à la liberté de

céder est d’autant plus contraignante que le débiteur du pacte prend des engagements

anticipés avant-même que le principe de la cession ne soit arrêté.

C’est la raison pour laquelle, la validité de ces pactes de préemption et d’agrément

extra-statutaires n’est concevable, au regard du principe de libre négociabilité des

actions, qu’encadrée par certaines conditions de mise en œuvre, relativement souples

toutefois, ce qui est cohérent avec le degré modéré de dépendance au contrat de

société de ces pactes.

481 - Ainsi, la validité de principe des pactes anti-dilution, clauses d’offre alternative

et d’entraînement, tous conclus sous forme de promesses unilatérales de vente sous

condition suspensive, peut-elle être affirmée sans réserves, au regard du principe de

libre négociabilité des actions (A), tandis que celle des pactes de préemption et

d’agrément extra-statutaires, ne peut se concevoir, au regard de ce même principe (B),

sans être parachevée par une analyse des conditions par lesquelles il convient

d’encadrer la mise en œuvre de ces pactes afin de préserver la possibilité pour

l’actionnaire qui en est débiteur de céder ses actions993.

A. La validité de principe des pactes anti-dilution, d’offre alternative et d’entraînement

482 - Dans le cadre des pactes assurant une garantie contre la dilution de la

participation d’un actionnaire, la séparation des partenaires par une faculté alternative

de vente ou d’achat ou encore, l’entraînement vers la sortie d’un actionnaire dans le

cadre d’une cession devant porter sur la totalité du capital de la société994, le débiteur du

pacte s’engage irrévocablement à céder ses actions, selon des modalités

prédéterminées, sous la condition suspensive de la réalisation des évènements justifiant

précisément un tel engagement pour permettre au pacte de remplir sa finalité.

Ainsi, afin de maintenir constant le taux de participation d’un actionnaire, le partenaire

débiteur d’un pacte anti-dilution s’engage-t-il à céder au bénéficiaire le complément de

titres nécessaire sous la condition suspensive de la réalisation d’une opération en

capital par la société. De même, dans le cadre des clauses d’offre alternative, qui

organisent une rupture de partenariat sous la forme d’une faculté alternative et aléatoire

993 Voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2. 994 Sur les pactes anti-dilution, les clauses d’offre alternative et les clauses d’entraînement, voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A.

Page 228: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

228

d’achat ou, à défaut, de vente, chaque partenaire s’engage à vendre ses titres à l’autre,

sous la double condition suspensive que l’événement rendant impossible la poursuite de

la collaboration se réalise et qu’il ait proposé le prix le moins élevé995. Enfin, par une

clause extra-statutaire d’entraînement, le débiteur du pacte s’engage à céder ses

actions à son partenaire, avec faculté de substitution au bénéfice du cessionnaire des

propres actions de ce dernier, sous la condition suspensive que le bénéficiaire souhaite

quitter la société et céder ses actions à un tiers qui subordonne la réalisation de ladite

cession à la cession d’actions supplémentaires.

483 - En droit commun, l’engagement contracté par le promettant dans une

promesse de vente sous condition suspensive relève de la liberté contractuelle. Lorsque

de tels engagements sont pris librement par un actionnaire sur ses titres, la validité de la

restriction ainsi apportée à la liberté de céder, comparativement à une vente ferme et

immédiate, doit être appréciée, semble-t-il, au regard de l’événement déclencheur de

l’obligation de céder.

On retrouve-là un raisonnement proche de celui qui permet de valider, dans le principe,

sur le double fondement du pouvoir de la volonté, d’une part, et du droit de propriété,

d’autre part, les pactes d’exclusion ou de cession forcée sous la forme de promesses

unilatérales de cession sous condition suspensive996. Mais les pactes anti-dilution,

d’offre alternative et d’entraînement se distinguent fondamentalement, par leur esprit, de

ces pactes qui présentent une dépendance marquée au contrat de société puisque,

contrairement à ces derniers, ils ne visent aucunement à forcer un actionnaire à quitter

la société contre son gré en portant atteinte au droit pour ce dernier de rester dans la

société et c’est ce qui justifie le degré modéré de leur dépendance au contrat de société.

Ils sont en outre appelés à être mis en oeuvre dans un contexte dans lequel les rapports

des partenaires sont moins marqués par un risque d’arbitraire de la part de l’un d’entre

eux et notamment de la part du bénéficiaire du pacte.

484 - Ces pactes sont ainsi validés, en droit positif, par la jurisprudence, et par la

doctrine en l’état d’un vide jurisprudentiel en matière de pactes anti-dilution, dans leur

principe-même, sur le fondement de la liberté contractuelle, conformément au droit

commun de la promesse de vente.

995 Parallèlement, chaque partenaire s’engage à acquérir les titres de l’autre, sous la double condition suspensive que l’événement rendant impossible la poursuite de la collaboration se réalise et qu’il ait proposé le prix le plus élevé. Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 2. A, note de bas de pa ge n°926. 996 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 1 . B.

Page 229: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

229

S’agissant tout d’abord des pactes anti-dilution, aucune décision de jurisprudence n’a à

ce jour et à notre connaissance expressément validé un tel pacte. Cela n’empêche pas

une fraction significative de la doctrine, que nous rejoignons, de se prononcer en faveur

de la validité de principe de ces pactes997, lesquels répondent à une finalité parfaitement

légitime, et sont, par ailleurs d’application fréquente en pratique.

Au contraire, la jurisprudence reconnaît, de manière implicite, la validité des

clauses d’offre alternative. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris, en date du 21 décembre

2001998, a en effet admis l’exécution forcée, du pacte conclu, dans le cadre d’une

opération de rachat d’entreprise par ses salariés999, entre les dirigeants repreneurs et un

groupe d’investisseurs, stipulant, sous l’article « Cession de la totalité des titres », après

avoir rappelé que toute cession globale des titres ne pourrait intervenir qu’à la condition

que le projet soit approuvé par la majorité absolue des actionnaires, une clause d’offre

alternative rédigée comme suit : « A cet effet et dès à présent, chaque actionnaire de

catégorie A et B s’engage irrévocablement :

- soit à céder la totalité des titres qu’il détient aux conditions de la cession globale qui lui

auront été indiquées par le conseil d’administration, sous réserve de la production de la

notification des actionnaires représentant 51% du capital,

- soit, dans l’hypothèse où il refuserait de céder ses titres, à racheter ou à faire racheter

la totalité des titres détenus par les autres actionnaires de catégorie A et B.»1000.

Il est remarquable qu’en l’espèce, l’événement déclencheur du pacte, à la

réalisation duquel était suspendue la naissance de l’engagement alternatif des

promettants, portait sur l’émission d’un projet d’acquisition de la totalité des titres de la

société. Il s’avère que ce pacte contenait, en outre, dans la première branche de

l’engagement alternatif, une clause d’entraînement, ce dont il résulte que cet arrêt de la

Cour d’appel de Paris valide, dans le même temps, implicitement, les clauses

d’entraînement. La doctrine reconnaît également la validité, dans le principe, de ces

promesses unilatérales de vente par lesquelles un actionnaire s’engage envers son

partenaire, à lui vendre ses actions, avec faculté de substitution au bénéfice du tiers

997 En ce sens notamment, J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, op. cit., n°73; M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°352 et Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°3281. 998 Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, affaire Banque de Vizille, Bull. Joly, 2002, p. 509, note H. Le Nabasque ; Rev. sociétés, 2002, p. 89, commentaire Y. Guyon, précité. 999 Leverage management buy out (LMBO), segment du capital-investissement portant sur la transmission d’entreprise avec effet de levier par recours à l’endettement (LBO) qui, dans la forme LMBO, implique le rachat de la société par ses dirigeants. 1000 Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, affaire Banque de Vizille, précité.

Page 230: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

230

acquéreur qui aura émis une offre d’achat portant sur la totalité du capital de la société,

ou tout au moins des titres détenus ensemble par les partenaires1001.

485 - La validité de principe de ces pactes étant admise, l’atteinte qu’ils portent à la

libre négociabilité des actions semble être passée sous silence, comme si la réalisation

de la condition suspensive et la levée d’option par le bénéficiaire étaient acquises et le

promettant mis en situation de céder ses titres comme dans une vente directe. En effet,

ces promesses sont encadrées, au regard de leur événement déclencheur, par la simple

application des conditions de droit commun sans que l’atteinte portée à la libre

négociabilité des actions ne paraisse exercer une quelconque influence, ce qui est

caractéristique du degré modéré de leur dépendance au contrat de société. La discrète

influence de l’environnement sociétaire sur ces pactes se distingue alors par

l’application d’autres principes que celui de la libre négociabilité, tenant notamment à la

condition générale de non-contrariété à l’intérêt social1002.

486 - Mais il apparaît bien, à y regarder de plus près, que ces promesses

unilatérales de cession ne requièrent pas davantage d’encadrement que celui résultant

de la simple application du droit commun au regard de l’atteinte portée à la libre

négociabilité.

Nous l’avons dit, la validité de la restriction ainsi apportée à la liberté de céder,

comparativement à une vente ferme et immédiate, doit être appréciée, au regard de

l’événement déclencheur de l’obligation de céder. A ce titre, il convient de distinguer, au

sein du mécanisme de la promesse unilatérale de vente sous condition, le fait

générateur de l’engagement du débiteur à l’origine de la naissance du droit d’option du

bénéficiaire, lequel correspond à la réalisation de l’événement sur lequel porte la

condition suspensive, de la levée d’option, laquelle est, par nature, discrétionnairement

exercée par le bénéficiaire. Ainsi, l’événement sur lequel porte la condition suspensive

de la promesse, dans le cadre des pactes anti-dilution et des clauses d’offre alternative

et d’entraînement, doit-il être, conformément au droit commun des obligations, objectif et

non purement potestatif pour le promettant1003. Il est donc remarquable que,

contrairement à la jurisprudence qui prévaut en matière de pactes d’exclusion et

1001 X. Vamparys, « Validité et efficacité des clauses d’entraînement et de sortie conjointe dans les pactes d’actionnaires », Bull. Joly, 2005, p. 820, spéc. n°16 et s. Voir également, F.- D Poitrinal, La révolution contractuelle du droit des sociétés dynamisme et paradoxes, Revue Banque Edition, 2003, n°167 et s. 1002 S’agissant de la prohibition des clauses léonines, nous verrons que cette règle de l’ordre public sociétaire n’est pas applicable aux promesses unilatérales de vente (voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B). Sur l’influence de l’expertise prévue à l’article 1843-4 du Code civil en matière de pactes d’actionnaires, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2. 1003 Pour l’application éventuelle des articles 1168 et s. du Code civil.

Page 231: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

231

caractérise le fort degré de dépendance au contrat de société de ces derniers1004, le

caractère éventuellement potestatif de la condition ne s’apprécie ici qu’à l’égard du

débiteur du pacte, à savoir le promettant.

Or, il s’avère que, sous réserve d’une rédaction minutieuse de la condition suspensive,

laquelle doit porter sur des faits bien déterminés et objectivement reconnaissables, ces

pactes sont, contrairement aux pactes d’exclusion, rarement soumis à l’arbitraire de l’un

des partenaires. En effet, dans les pactes anti-dilution, clauses d’offre alternative et

d’entraînement, il sera rarement possible pour le promettant de parvenir à éluder son

engagement de cession sans en subir, du même coup, un préjudice de nature à écarter

le caractère purement potestatif1005. En pratique, la difficulté résultera le plus souvent de

l’interprétation de la condition stipulée lorsque l’événement n’aura pas été suffisamment

défini s’agissant par exemple d’un changement de contrôle1006, d’un changement de

politique, ou d’une divergence de points de vue sans qu’il s’agisse d’en attribuer la

responsabilité à l’un des partenaires en particulier.

487 - A la différence des pactes anti-dilution et des clauses d’offre alternative et

d’entraînement, la validité, dans leur principe-même, des pactes de préférence et

d’agrément extra-statutaires, au regard de la libre négociabilité des actions, a été plus

difficilement admise. Elle résulte d’une évolution de la jurisprudence favorisée par les

assouplissements progressifs apportés par la loi aux clauses d’agrément statutaires.

B. La validité de principe des pactes de préférence ou d’agrément extra-statutaires

488 - Les pactes de préférence et d’agrément viennent limiter, avant tout projet de

cession, le choix du débiteur quant à la personne de son cessionnaire éventuel, et

constituent à ce titre une atteinte caractérisée à la libre négociabilité des actions, à la

mesure toutefois du caractère modéré de leur dépendance au contrat de société.

489 - Les pactes de préférence réservent à leur bénéficiaire la possibilité d’acheter,

par priorité, les actions du promettant pour le cas où ce dernier se déciderait à les céder.

Ils privent donc le promettant de toute liberté dans le choix de son cocontractant au

moment où il se décide à céder ses actions. En effet, si le promettant réalise librement

1004 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1, § 2. A. 1005 Voir à ce titre, J. Ghestin, « La notion de conditions potestatives au sens de l’article 1174 du Code civil » in Mélanges Weill, 1983, p. 243, n°19 et B. Dondero, « De la conditio n potestative licite », RTD. civ., 2007, p. 677, n°33 et s. 1006 Sur la nécessité de définir précisément la notion de contrôle lorsque le fait générateur du pacte consiste en un changement de contrôle, voir M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, n°228.

Page 232: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

232

son choix quant à la personne du bénéficiaire lorsqu’il conclut le pacte, ce choix n’est

pas concomitant mais antérieur à la prise de décision éventuelle de céder.

490 - La reconnaissance de la validité des pactes de préférence entre

actionnaires1007, dans le principe même de leur existence, est le fruit d’une évolution de

la jurisprudence, laquelle a du préalablement admettre l’autonomie de ces pactes à

l’égard des clauses d’agrément statutaires, que ces derniers figurent dans les statuts ou

dans des conventions extra-statutaires.

En l’absence de toute disposition légale, la validité des pactes de préférence était en

effet appréciée, tant par la jurisprudence que par la doctrine1008, au regard de ce que la

loi autorisait en matière de clauses d’agrément. Or, les pactes de préférence étaient

soupçonnés de constituer un moyen de contourner la réglementation impérative et

stricte des clauses d’agrément statutaires1009, et notamment, la prohibition, maintenue

jusqu’à une époque récente1010, de l’application de l’agrément aux cessions entre

actionnaires1011.

Puis, la jurisprudence a finalement reconnu l’autonomie des pactes de préférence1012 sur

les clauses d’agrément statutaires, et ce faisant, leur a donné un champ d’application

plus large en admettant qu’ils puissent jouer dans les cessions entre actionnaires. Ainsi,

dans un arrêt, en date du 20 septembre 19881013, la Cour d’appel d’Angers a confirmé le

jugement selon lequel « constitue non [pas] une clause d’agrément, mais une clause de

préemption ou plutôt un pacte de préférence », la convention extra-statutaire, signée par

tous les actionnaires, obligeant tout actionnaire cédant à informer les autres actionnaires

des conditions de la cession projetée, pour permettre à ces derniers d’acquérir

prioritairement les actions, aux mêmes conditions, dans un délai de 15 jours. Plus

récemment1014, la Cour de cassation a validé, le 7 janvier 20041015, un pacte de

préférence extra-statutaire, après avoir notamment relevé que ce pacte, dont l’objet

était, « en cas de projet de cession à des tiers de l’un des actionnaires […] d’instituer

1007 Ceux là seuls nous intéressent dans le cadre de cette étude mais nos propos demeurent pertinents s’agissant des pactes de préférence conclus au profit de tiers à la société. 1008 J. Moury, « Des clauses restrictives de la libre négociabilité des actions », RTD com. ,1989, p. 187. 1009 Art. L 228-23 et s. C. com. 1010 Avant la réforme opérée par l’ordonnance précitée n°2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales. 1011 J.-P. Bertrel, « Clauses de préemption dans les cessions entre actionnaires », BRDA, 31 mars 1991, p. 2. 1012 Sur la validité de principe des pactes de préférence statutaires, voir Cour d’appel de Paris 14 mars 1990, Bull. Joly, 1990, p. 353 et dans les cessions entre actionnaires en particulier, voir Cass. com. 15 fév. 1994, Bull. Joly, 1994, p. 508, note D. Velardocchio. 1013 Cour d’appel d’Angers 20 septembre 1988, Bull. Joly, 1988, p. 850. 1014 Voir également, Cass. com. 19 décembre 2006, n°05-1 0198, SA SCAPEST c/ SA ITM Entreprises, n°Jurisdata : 2006-036780, confirmant Cour d’appel de Nancy 20 octobre 2004, M. Chaffournais et a. c/ Epoux Rifaut, JCP, éd. E, 2005.446, M.-A. André et J. Raynard. 1015 Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004, p. 544, note P. Le Cannu, précité.

Page 233: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

233

une procédure permettant d’accorder la préférence aux autres actionnaires », non

seulement ne portait pas « préjudice à la libre négociabilité des actions […] ni à l’intérêt

social » , mais encore, ne contrariait pas la clause d’agrément figurant dans les statuts

de la société1016.

491 - Dès lors que les pactes de préférence sont ainsi expressément reconnus

valables par la jurisprudence, il est possible d’en conclure que le principe de libre

négociabilité des actions n’emporte pas la liberté pour l’actionnaire de choisir à tout

moment, et en particulier jusqu’à la prise de décision de céder ses actions, l’identité du

cessionnaire1017. C’est également ce que tend a priori à confirmer la procédure légale

organisée en matière de clause d’agrément statutaire, laquelle garantit à l’actionnaire un

cessionnaire de remplacement à défaut d’agrément du candidat pressenti pour

l’acquisition1018. Mais il est remarquable que dans le cadre de cette procédure, le

promettant bénéficie expressément, depuis l’ordonnance du 24 juin 20041019, et à tout

moment, d’un droit de repentir1020.

Il ne faut pas oublier, par ailleurs, pour l’appréciation de la validité des pactes de

préférence au regard du principe de libre négociabilité des actions, que ces pactes ne se

contentent pas toujours de limiter le choix dont dispose le partenaire débiteur quant à la

personne du cessionnaire. On l’a dit, ils peuvent également, selon différentes

modalités1021, encadrer, avant toute décision effective de cession par le promettant, les

modalités de fixation du prix de l’exercice éventuel de son droit de préférence par le

bénéficiaire1022.

492 - Parallèlement aux pactes de préférence, la pratique a également développé

une variété de pactes d’agrément extra-statutaires, dont l’esprit est proche de celui des

clauses d’agrément statutaires, à la différence toutefois que le titulaire du pouvoir

d’agrément n’est pas un organe social1023 mais l’actionnaire, ou le groupe d’actionnaires,

1016 Voir également, pour un arrêt validant implicitement une clause de préemption statutaire, Cass. com. 17 mars 2009, RTD. com., 2009, p. 383, note P. Le Cannu et B. Dondero. 1017 En ce sens, G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, n°20, selon lequel « tout acquéreur qui se présente est interchangeable. Sa personne ne compte guère, pourvu que les offres soient également satisfactoires ». 1018 Art. L. 228-24 al. 2 C. com. 1019 Ordonnance précitée n°2004-604 du 24 juin 2004 por tant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales. 1020 Art. L. 228-24 al. 2 C. com. 1021 Il peut s’agir notamment du prix offert par un tiers candidat à l’acquisition ou encore du prix qui sera déterminé par un tiers évaluateur conformément à la procédure des articles 1592 ou 1843-4 du Code civil. Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 1 . B. 1022 Sur l’influence du principe de libre négociabilité des actions sur la fixation du prix de la préférence, voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. 1023 Ce que rend notamment impossible l’inopposabilité du pacte à la société, voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 1. B.

Page 234: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

234

bénéficiaire de la clause, ce qui écarte toute difficulté au regard de la probable

appartenance des clauses d’agrément au domaine réservé des statuts1024. Une fraction

significative de la doctrine est en effet favorable à la validité des conventions extra-

statutaires d’agrément par lesquelles un actionnaire s’engage envers un autre à ne

céder ses actions qu’après avoir obtenu l’accord de ce dernier quant à la personne du

cessionnaire pressenti1025. En pratique, selon les stipulations que contiennent les pactes

d’agrément extra-statutaires1026, dont la variété est à la mesure de l’imagination

contractuelle, ces pactes se rapprochent plus ou moins des pactes de préférence, dans

le cadre desquels la notification de l’identité du candidat à l’acquisition peut également

être exigée. Ainsi, les pactes d’agrément extra-statutaires peuvent-ils, empruntant à

l’esprit des pactes de préférence, conférer un droit de préemption au bénéficiaire de

l’agrément, ou au contraire, conservant l’esprit des clauses d’agrément statutaires,

prévoir un droit de repentir du partenaire débiteur. Dans le premier cas, le pacte

d’agrément extra-statutaire reviendra en quelque sorte à un pacte de préférence et

d’agrément extra-statutaire.

493 - Nous verrons que ces pactes qui permettent, selon un mécanisme similaire à

celui des clauses d’agrément statutaires, de contrôler l’identité des accédants à la

qualité d’actionnaire ou celle des actionnaires, déjà en place, qui cherchent à accroître

le niveau de leur participation dans la société, et sont en cela caractéristiques d’une

dépendance modérée au contrat de société, bénéficient d’un encadrement plus souples

que les conditions légales de validité auxquelles sont soumises les clauses d’agrément

statutaires1027.

Il est toutefois permis de douter de la validité de la stipulation de pactes d’agrément ou

même de préemption extra-statutaires applicables aux cessions familiales intervenant

dans le cadre de successions, liquidations de régime matrimonial ou au profit d’un

conjoint, d’un ascendant ou d’un descendant1028. En effet, le maintien de la prohibition

de l’application des clauses d’agrément statutaires aux cessions intervenant dans le

cadre de ces règlements familiaux sauf hypothèse d’actionnariat salarié, par l’article L

1024 Voir supra, Partie I, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1. A. 1025 En ce sens, S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°63, renvoyant à un exemple jurisprudentiel proche (Cour d’appel de Paris, 26 mars 1986, Bull. Joly, 1986, p. 679) ; J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, Coll. Pratique des Affaires, 1995, n°52 ; M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1624. Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18660. Pour un avis beaucoup plus réservé, voir Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°219. 1026 Pour un exemple de rédaction de pacte d’agrément entre actionnaires, voir Dossier Pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°745. 1027 Voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2. 1028 Voir art. L 228-23 al. 1 C. com., lequel exclut l’application de la procédure d’agrément statutaire aux successions, liquidations de régime matrimonial ou cessions au conjoint ou à un ascendant ou descendant.

Page 235: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

235

228-23 alinéa 1 du Code de commerce, malgré l’élargissement récent du domaine de

ces clauses aux cessions entre actionnaires, révèle un attachement certain du

législateur à la préservation de la libre cessibilité des titres au sein de la famille, dans le

souci de favoriser ces règlements. Nous émettons donc, pour notre part, à l’instar de

certains auteurs1029, des réserves quant à la possibilité pour les partenaires de

contourner valablement, par le recours à un pacte extra-statutaire d’agrément1030 ou de

préemption, la prohibition légale du jeu des clauses d’agrément dans certaines cessions

familiales. Notons toutefois que ce souci du législateur de favoriser les règlements

familiaux relève certainement d’un ordre public catégoriel et non pas d’une mesure

participant de l’ordre public sociétaire au regard de la nécessité de préserver la libre

négociabilité des actions.

494 - La reconnaissance de la validité des pactes de préférence et d’agrément extra-

statutaires permet de conclure que le principe de libre négociabilité des actions n’interdit

aucunement à un actionnaire de donner, à l’avance, sa préférence à une personne

déterminée pour la cession éventuelle de ses actions et n’exclut pas non plus qu’un

actionnaire puisse se voir attribuer un cessionnaire de substitution1031 si le candidat qu’il

présente n’est pas agréé par ses partenaires.

Mais une fois admise, dans le principe, la validité de ces pactes au regard de la libre

négociabilité des actions, il convient d’examiner les conditions au respect desquelles

cette validité est subordonnée. Ces conditions encadrent les modalités d’application des

pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires de manière à ce que l’actionnaire

débiteur conserve toujours la possibilité de sortir de la société en cédant ses titres à un

prix qui le satisfait, aucun pacte ne pouvant le priver, en droit ou en fait, de cette faculté.

Conformément au degré modéré de la dépendance de ces pactes au contrat de société,

les conditions qui entourent leur mise en œuvre sont peu contraignantes, le droit de ne

pas rester prisonnier de ses titres jouant comme un garde-fou, la liberté contractuelle y

est en effet prédominante.

1029 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°218. Du même avis également, en matière de pact es de préférence, M. Germain, op. cit., n°1622. 1030 Contra, S. Prat, op. cit., n°65 et Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°3277. 1031 En ce sens, G. Parléani, op. cit, n°20, selon lequel « tout acquéreur qui se présen te est interchangeable. Sa personne ne compte guère, pourvu que les offres soient également satisfactoires ».

Page 236: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

236

Section 2. L’influence relative du principe de libr e négociabilité des actions

495 - Le principe de libre négociabilité des actions ne fait pas obstacle à la validité

des pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires par lesquels un actionnaire

s’engage, avant tout projet de cession, sur certaines conditions dans lesquelles il cédera

ses actions, si jamais il décide de les céder. Mais encore faut-il que ces pactes

respectent, à travers les contraintes, relatives, qu’ils sont susceptibles de faire peser sur

une éventuelle cession, le droit absolu dont dispose tout actionnaire de ne pas demeurer

prisonnier de ses titres, ce qui nécessite un encadrement simple de leurs modalités, à la

mesure de leur dépendance modérée au contrat de société.

Dans cette perspective, les modalités de mise en œuvre des pactes ne doivent pas être

telles qu’elles rendent les titres qui en sont l’objet peu attractifs pour un candidat à

l’acquisition et donc difficilement cessibles par le débiteur. En outre, les engagements

éventuellement pris par le débiteur quant aux modalités financières de la cession, pour

le cas où ce dernier se déciderait à céder ses titres, doivent maintenir la possibilité pour

lui d’en retirer une contrepartie qui le satisfait.

496 - Les conditions qui entourent les modalités d’application des pactes de

préférence et d’agrément extra-statutaires visent ainsi à préserver non seulement, dans

la mise en œuvre de ces pactes, la possibilité matérielle pour l’actionnaire débiteur de

céder ses actions s’il le souhaite (§ 1), mais encore, et plus fondamentalement, le droit

pour le débiteur de ne pas se voir imposer un prix auquel il n’a pas consenti (§ 2).

§ 1. Les conditions relatives aux modalités de mise en œuvre des pactes

497 - Les pactes caractérisés par une dépendance modérée au contrat de société

qui restreignent la liberté de choix dont bénéficie le partenaire débiteur quant à l’identité

du cessionnaire éventuel de ses actions, au moyen du mécanisme de la préférence ou

de l’agrément, sont soumis à un régime relativement souple, au sein duquel la liberté

contractuelle est très grande et dépasse largement l’influence du principe de libre

négociabilité des actions.

Le fait générateur de l’application du pacte, de même que la durée de ce dernier sont

ainsi librement déterminés par les partenaires (A), tandis qu’une fois que le pacte est

amené à entrer en application, la procédure qu’il met en œuvre est un peu plus

encadrée de sorte que le débiteur du pacte conserve, en tout état de cause, la

possibilité de céder ses titres, à qui que ce soit, s’il le désire (B).

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237

A. La libre détermination du fait générateur et de la durée du pacte

498 - Le fait générateur des pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires

ainsi que leur durée sont librement déterminés par les partenaires en raison du

caractère éventuel de l’engagement du débiteur.

499 - Le fait générateur du pacte correspond à l’hypothèse exacte pour laquelle le

débiteur a donné son consentement à voir sa liberté de cession réduite. Le principe de

l’autonomie de la volonté commande en effet que les partenaires ne soient liés que dans

la mesure exacte dans laquelle ils ont voulu s’engager. Si ce fait générateur est

librement déterminé par les partenaires, la volonté contractuelle doit être clairement

exprimée dans le pacte car les juges interprètent strictement1032 les dispositions qui y

sont stipulées en raison de ce qu’elles constituent une entrave à la libre négociabilité

des actions1033. Dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, les juges font

en effet application des principes généraux d’interprétation des conventions1034,

notamment celui de l’interprétation dans le sens le plus favorable au débiteur1035, ils

tiennent également compte de la finalité que remplit le pacte pour les partenaires1036.

En matière de pactes de préférence ou d’agrément, la détermination du fait générateur

porte sur la nature des opérations emportant un transfert de titres qui seules, selon la

volonté des partenaires, conféreront au bénéficiaire du pacte un droit de préférence ou

d’agrément.

500 - Ces opérations peuvent être librement déclenchées par le partenaire débiteur,

telles une décision de cession1037 ou d’apport1038 de titres, dans la mesure où, au stade

1032 Par application du principe d’interprétation stricte des conventions : « Quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposées de contracter » (art. 1163 C. civ.). 1033 Voir notamment Cour d’appel de Paris 18 février 2000, Bull. Joly, 2000, p. 727, note P. Le Cannu, énonçant que « Le pacte d’actionnaires qui contient un droit de préemption doit être interprété restrictivement dès lors qu’il est une limite à la libre négociation des actions qui est de principe ». 1034 Art. 1156 à 1164 C. civ. Ces principes n’ont pas un caractère impératif (Cass. 1ère civ. 6 mars 1979, Bull. civ., I, n°81 et Cass. com. 19 janvier 1981, Bull. civ., IV, n°34) sauf pour ce qui concerne le principe de l’interprétation subjective (art. 1156 C. civ.). 1035 Par application de l’article 1162 du Code civil, lequel énonce que « Dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation ». 1036Principe de l’interprétation subjective (art. 1156 C. civ., précité). Voir notamment, P. Larrieu, « L'interprétation des pactes extra-statutaires », Rev. sociétés, 2007 p. 697, selon laquelle l’interprétation par la jurisprudence des pactes d’actionnaires donnerait la primauté à l’esprit du pacte lorsqu’il s’agit d’interpréter les « pactes de collaboration » et, au contraire, à la lettre du pacte lorsqu’il s’agit d’interpréter les « pactes de résistance ». 1037 Cass. com. 17 mars 2009, RTD. com., 2009, p. 383, note P. Le Cannu et B. Dondero, précité, refusant l’application d’une clause statutaire de préemption stipulée pour « toute cession d’actions » à la donation consentie par un actionnaire à ses fils, au motif d’une dénaturation de la convention des parties en ce que « la procédure de préemption organisée par cette clause [laquelle prévoit une notification du prix de la

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238

de la conclusion du pacte, l’engagement de ce dernier n’est qu’éventuel. Elles peuvent

également être subies par ce dernier avec quelques réserves toutefois s’agissant de

certaines transmissions familiales1039, de la transmission à titre universel des actions

résultant d’une fusion de la société1040 ainsi que du changement de contrôle d’un

partenaire débiteur personne morale. Ces réserves ne tiennent cependant pas toujours

à l’influence de l’environnement sociétaire1041. Dans la dernière hypothèse, qui

correspond à celle du transfert indirect de titres notamment, il est en effet difficile

d’admettre, au regard de l’effet relatif des conventions, qu’un pacte conclu relativement

aux actions d’une société vienne limiter la cession des actions composant le capital d’un

partenaire personne morale, actionnaire de cette société cible1042.

501 - S’agissant de la stipulation d’une durée d’application des pactes de préférence

et d’agrément extra-statutaires, il ne fait aucun doute qu’une telle stipulation ne constitue

aucunement, en droit positif1043, une condition de validité de ces pactes1044.

Il nous semble en effet que les pactes de préférence ou d’agrément ne peuvent, en

matière de pactes d’actionnaires comme en droit commun, tomber sous le coup de la

prohibition des engagements perpétuels1045 en raison de ce qu’ils ne donnent lieu qu’à

cession projetée, la notification valant offre de cession audit prix] est, en l’absence de prix, sans application aux cessions consenties à titre gratuit ». Rappelons à ce titre, qu’il est communément admis que l’article L 228-23 du Code de commerce qui autorise la stipulation d’une clause d’agrément statutaire pour « la cession d’actions […] à quelque titre que ce soit » vise également les cessions à titre gratuit (en ce sens, notamment, Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°4670 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18660). 1038 Voir à ce titre, Trib. com. Paris 10 juin 2003, Jurisdata n°2003-228800 et Cour d’appel de Paris 12 avri l 2002, JCP, éd. E, 2002, p. 979, refusant d’appliquer un pacte de préférence prévu en cas de cession à une opération d’apport. 1039 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2 . B. 1040 Refusant d’appliquer un pacte de préférence extra-statutaire à la fusion de la société, voir Cass. com. 28 avril 2004, RJDA, 2004/8-9, n°983, confirmant Cour d’appel de Paris 18 février 2000, Bull. Joly, 2000, p. 727, note P. Le Cannu. De même, en matière d’agrément statutaire : voir Cass. com. 12 février 2008, JCP, éd. E, 2008, 2209, commentaire Y. Paclot et Cass. com. 15 mai 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1075, note M. Menjucq et A. Taste (contra : Cass. com. 3 juin 1986, Rev. sociétés, 1987, p. 52, note Y. Reinhard et Cass. com. 6 mai 2003, D., 2003, AJ, p. 1438, note A. Lienhard). 1041 L’interdiction de la limitation de la libre négociabilité des actions dans le cadre de certains règlements familiaux est sans doute fondée sur un ordre public catégoriel (voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2. B). 1042 Contre l’application d’un pacte de préférence à un transfert indirect, voir Cour d’appel de Paris, 3ème ch. A, 4 décembre 2007, Bull. Joly, 2008, n°4, p. 307, note B. Fages. De même, en mati ère d’agrément statutaire, voir Cass. com. 13 décembre 1994, Bull. Joly, 1995, 152, note P. Le Cannu et M. Germain, Traité de droit commercial - Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., LGDJ, 2009 , n°1618-1. 1043 Pour une opinion contraire mais ancienne, voir D. Martin et L Faugérolas, « Les pactes d’actionnaires », JCP, éd. G, 1989. I. 3412, n°13 et 14. 1044 Cass. 1ère civ. 6 juin 2001, RTD civ., 2002, p. 88 J. Mestre et B. Fages et RTD civ., 2002, p. 115, obs. P.-Y. Gautier (en matière de pacte de préférence dans un contrat d’assurance). 1045 A ce titre, la stipulation d’une durée de vingt ans pour l’application d’un pacte de préemption a été considérée comme ne constituant pas « un engagement perpétuel, ni même […] une durée déraisonnable », (Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, Sté Financière de Marcory c/ Sté Sofipharm, n°04-12168, RJDA, 2005, n°1359, 1 ère esp., précités).

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239

un engagement éventuel. Stipulés pour une durée indéterminée, ils n’ouvrent pas non

plus droit, pour cette même raison, à la faculté de résiliation unilatérale1046.

502 - Une fois que le pacte de préférence ou d’agrément est destiné à être appliqué

à la suite de la survenance du fait générateur, il est mis en œuvre selon la procédure

organisée librement par les partenaires sous réserve de respecter quelques garde-fous

destinés à préserver la possibilité pour le partenaire débiteur de céder ses titres, en tout

état de cause, que le bénéficiaire exerce ou non son droit, s’il le souhaite.

B. L’encadrement souple de la procédure organisée par le pacte

503 - La procédure de mise en œuvre des pactes de préférence et d’agrément extra-

statutaires présente de nombreuses similitudes. Elle se déroule suivant les mêmes

étapes, que l’on retrouve en droit commun du pacte de préférence et dans la procédure

d’agrément statutaire organisée à l’article L 228-24 du Code de commerce, avec

toutefois certaines spécificités tenant au nécessaire respect du principe de libre

négociabilité des actions, même en dehors des statuts.

504 - Les auteurs qui reconnaissent la validité des pactes d’agrément extra-

statutaires1047 s’entendent pour admettre que ces pactes doivent organiser, à défaut

d’agrément, une procédure de rachat à la charge du bénéficiaire semblable à celle

prévue pour les clauses d’agrément statutaires1048. Nous pensons également que la

stipulation d’une telle obligation de rachat est le seul moyen de respecter le droit

fondamental qu’a tout actionnaire de ne pas rester prisonnier de ses titres. A défaut

toutefois, le pacte ne serait pas forcément nul mais il constituerait un pacte

d’inaliénabilité soumis aux conditions propres à ce type de pacte et conformes au

caractère marqué de la dépendance au contrat de société qui caractérise ce dernier1049.

Nous l’avons précisé, l’imagination et la liberté contractuelle peuvent en outre conduire

les partenaires à compléter cette obligation de rachat par un droit de préférence1050.

1046 En ce sens H. Kenfack, « Validité du pacte de préférence », p. 43, in Dossier « Pacte de préférence : liberté ou contrainte ? », Dr. et pat., 2006, p. 35 et P.-Y. Gautier, obs. sous Cass. 1ère civ. 6 juin 2001, précitée. 1047 Notamment, J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, op. cit, n°52 et M. Germain, op. cit. n°1624. Voir également, pour un exemple de clause, Dossier Pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°745, précité. 1048 Art. L 228-24 C. com. 1049 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 2, § 1 . B. 1050 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2 . B.

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240

505 - Ainsi les pactes de préférence et d’agrément doivent-ils tous deux prévoir et

organiser précisément1051 :

- les modalités de la notification, au bénéficiaire, du projet de cession ouvrant droit pour

ce dernier à exercer son droit de préférence1052 ou d’agrément, s’agissant de la forme

que doit revêtir cette notification ainsi que de son contenu1053 ;

- (i) le délai de réflexion ou d’option1054 accordé au bénéficiaire, à l’expiration duquel, à

défaut de réponse, l’agrément est réputé acquis ou le droit de préférence non exercé, la

cession projetée pouvant ainsi être conclue aux conditions notifiées ;

- (ii) les conditions du prononcé ou du refus d’agrément ou de l’exercice du droit de

préférence1055, lesquels doivent impérativement porter sur l’intégralité du projet notifié,

- les modalités de (iii) la cession des titres au profit du bénéficiaire, en exécution de

l’obligation de rachat à la charge de ce dernier à défaut d’agrément, ou (iv) de l’exercice

de son droit de préférence par ce dernier, s’agissant notamment du prix de cession1056,

mais aussi, en cas de pluralité de bénéficiaires, de la répartition entre ces derniers de

l’obligation de rachat ou des titres préemptés,

- l’existence d’un éventuel droit de repentir du débiteur1057,

- et enfin, (iii et iv) du délai dans lequel la cession au profit du bénéficiaire doit être

régularisée, faute de quoi, la cession projetée à l’origine pourra être conclue aux

conditions notifiées.

506 - i) Le délai de réflexion, pour le prononcé de l’agrément, ou le délai d’option,

pour l’exercice du droit de préférence, ne doit être ni trop court, auquel cas il serait

1051 Validant toutefois un pacte de préférence ne réglant pas précisément le détail de la procédure mais renvoyant aux conditions proposées par le tiers acquéreur au motif qu’il n’est pas « nécessaire de préciser le délai et les modes de signification, les délais de préemption et le caractère total ou partiel de la préemption », voir Cour d’appel de Paris 23 juillet 1987, Bull. Joly, 1087, p. 701. 1052 Jugeant que l’inobservation de l’obligation de notification dans la procédure de préférence « ne peut faire obstacle à l’exercice régulier du droit litigieux, quel que soit le procédé par lequel son titulaire a eu connaissance de la cession envisagée », voir Cour d’appel de Paris 14 mars 1990, Bull. Joly, 1990, p. 353, précité. Et sur la mauvaise foi dans l’exécution de cette notification, voir Trib. com. Paris, 25 juin 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1203, note F.-X. Lucas. 1053 L’identité du cessionnaire pressenti doit bien entendu y figurer de manière indispensable pour que le bénéficiaire du pacte d’agrément puisse se prononcer, tandis que cette indication n’est pas obligatoire en matière de pacte de préférence mais peut être imposée conventionnellement. Pour un exemple de notification fautive de la part du débiteur, valant seulement déclaration d’intention de céder à défaut d’indication, conformément aux stipulations du pacte, du nombre de titres cédés et du prix proposé, voir Cass. com. 6 mai 2008, Bull. Joly, 2008, p. 779, note Th. Massart. 1054 Considérant que la stipulation d’un délai dans un pacte de préférence portant sur un contrat d’assurance n’est pas une condition de validité du pacte, voir Cass. 1ère civ. 6 juin 2001, précitée. Le droit d’option se prescrit alors selon le droit commun par dix ans en matière commerciale (art. L 110-4 C. com.), sauf à ce que le débiteur du pacte mette le bénéficiaire en demeure de se prononcer (Lamy Droit du Contrat, 2008, n°120-37). 1055 Considérant que l’exercice du droit de préférence par voie d’assignation, alors que le pacte prévoyait le simple envoi d’une lettre recommandée AR, n’est pas valable, voir Cass. com. 3 octobre 2006, JCP, éd. E, 2006, p. 1903. 1056 Sur cette question, voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. A. 1057 Sur cette question, voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. B.

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241

préjudiciable au bénéficiaire, ni trop long, au risque d’imposer au promettant, dans

l’intervalle, une période d’inaliénabilité telle qu’elle risquerait de remettre en cause la

cession prévue avec le candidat acquéreur si ce dernier était agréé ou le droit de

préférence non exercé. Un délai trop long serait en effet dissuasif pour le candidat à

l’acquisition, lequel, découragé par une trop longue perspective d’attente, renoncerait

sûrement à la cession. Le délai légal de trois mois pour prononcer l’agrément statutaire

ne s’imposant pas aux pactes extra-statutaires, le délai stipulé varie en pratique de

quinze jours à quarante-cinq jours, un délai d’un mois étant en général présenté comme

acceptable1058. Il faut prendre garde, en outre, au cumul de délais engendré par la

modulation du droit de préférence ou d’agrément, en cas de pluralité de bénéficiaires, en

raison de ce que le délai de réflexion ou d’option des bénéficiaires d’un degré inférieur

ne commence à courir qu’une fois expiré celui des bénéficiaires du degré supérieur, et

ainsi de suite.

507 - ii) Le droit d’agréer ou de refuser d’agréer l’acquéreur présenté ainsi que le

droit de préférence doivent être considérés comme indivisibles, c’est-à-dire qu’ils ne

doivent pouvoir être exercés, sauf autorisation du partenaire débiteur, que pour

l’intégralité des actions objets de la cession projetée. Il est indéniable qu’un agrément ou

une préemption partielle s’avérerait très pénalisant pour le débiteur du pacte, lequel

risquerait de se retrouver avec un reliquat de participation qui, détaché du bloc de

contrôle qu’il formait, ne serait plus attractif pour le candidat acquéreur ou toute autre

personne et donc difficilement cessible1059. Il est même permis de penser que le

caractère total de la préemption ou de l’agrément constituerait une condition de validité

du pacte1060. La jurisprudence semble d’ailleurs avoir consacré cette idée selon laquelle,

l’exercice du droit de préférence doit impérativement porter sur la totalité des actions

cédées quel que soit le nombre de bénéficiaires de ce droit1061.

508 - iii) En cas de refus d’agrément du candidat à l’acquisition présenté par le

débiteur du pacte, le pacte doit stipuler1062, conformément à l’esprit de l’obligation légale

1058 Validant un délai d’un mois, voir Cour d’appel de Paris 14 mars 1990, précité. Pour un arrêt reconnaissant la validité d’un pacte de préférence dont l’option pouvait être exercée pendant 12 mois, voir Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004, p. 544, note P. Le Cannu, précité. 1059 En ce sens également, M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, op. cit., n°289 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18495. 1060 M. Henri et Gh. Bouillet-Cordonnier, op. cit., n°289. 1061 Voir Trib. com. Roanne 23 octobre 1935, Gaz. Pal., 1935, 2, p. 902 ; Cass. com. 10 décembre 1957, JCP, éd. G 1958.II.10406, note D. Bastian et Cass. com. 11 février 1980, Bull. civ., IV, n°70. 1062 Pour un exemple de rédaction, voir Dossier Pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, F. Lefebvre, 2006, n°745, précité.

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242

de rachat énoncée à l’article L 228-24 du Code de commerce1063, l’obligation faite pour

le partenaire bénéficiaire de racheter les actions ou de les faire racheter par un tiers1064,

à certaines conditions1065 et dans un certain délai1066, à l’expiration duquel, si le rachat

n’est pas intervenu, l’agrément du cessionnaire pressenti sera réputé acquis1067. Afin de

sauvegarder le droit pour le partenaire débiteur de ne pas demeurer prisonnier de ses

titres et que la cession puisse effectivement intervenir soit au profit du bénéficiaire du

pacte ou de toute autre personne qu’il se serait substitué, soit au profit du candidat

pressenti, le délai stipulé pour la réalisation du rachat ne doit pas être trop long.

509 - iv) Parmi les modalités1068 stipulées pour la cession au profit du bénéficiaire en

cas d’exercice de son droit de préférence par ce dernier, doit notamment figurer un délai

de réalisation raisonnable pour les raisons déjà évoquées1069. Le pacte de préférence

doit en effet impérativement laisser la possibilité au débiteur de vendre ses actions au

cessionnaire pressenti, dans les conditions notifiées, en cas de non-exercice de la

préférence comme à défaut de réalisation de la cession avec le bénéficiaire du pacte

dans le délai stipulé1070. Dans le cas contraire, en effet, le pacte engendrerait en pratique

une inaliénabilité des actions, soumise aux conditions plus strictes de validité de ces

pactes qui se placent dans une forte dépendance au contrat de société1071.

510 - Parmi les modalités d’application des pactes de préférence et d’agrément

extra-statutaires, les stipulations relatives aux conditions financières de la cession sont

essentielles au regard du droit pour le débiteur de ne pas demeurer prisonnier de ses

titres. Si le principe de libre négociabilité des actions implique la possibilité pour tout

actionnaire de céder ses actions, à tout moment, à la personne de son choix et au prix

de son choix, la réduction de la cette liberté est admise sous réserve que soit préservée 1063 Laquelle est d’ordre public (voir, Cass. com. 22 octobre 1969, JCP, éd G, 1970.II.n°16197, note J. Paillusseau, annulant une clause statutaire d’agrément non assortie d’une telle obligation de rachat). 1064 En ce sens également, J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, op. cit, n°52 et M. Germain, op. cit. n°1624. 1065 S’agissant du prix et de l’éventuel droit de repentir du cédant, voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2 , § 2. 1066 La jurisprudence a récemment rappelé le caractère impératif, en matière d’agrément statutaire, du délai de 3 mois qui commence à courir à compter de la notification du refus d’agrément, prévu à l’article L 228-24 alinéa 2 du Code de commerce, pour effectuer le rachat, les parties n’ayant pas la possibilité d’en prévoir conventionnellement la prorogation (Cass. com.8 avril 2008, Société Lamy SA c/Société Séché Environnement SA, Dr. sociétés, 2008, comm. 129, H. Hovasse). Nous pensons en revanche, qu’en matière de pacte d’agrément une telle faculté de prorogation peut être stipulée, au seul bénéfice toutefois du débiteur du pacte. 1067 De manière similaire à ce qui est prévu à l’article L 228-24 alinéa 3 du Code de commerce en matière d’agrément statutaire (sur cette disposition, voir Cass. com. 8 avril 2008, Sogecore c/ SA Ecore, JCP, éd. E, 2008, 1950, note S. Schiller; considérant que le défaut de réalisation du rachat légal en raison du rejet par le cédant des deux propositions faites par la société n’empêche pas ce dernier de requérir que soit constaté la réalisation de la cession au profit du candidat pressenti à l’origine pour l’acquisition). 1068 S’agissant du prix et de l’éventuel droit de repentir du cédant, voir infra, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2 , § 2. 1069 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 1 . A. 1070 En ce sens, Cour d’appel de Paris 14 mars 1990, précité, selon lequel le pacte doit laisser au cédant « la possibilité de vendre ses parts, même à un tiers, en cas de renonciation à la préférence ». 1071 Voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect°2, § 1 B.

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243

la possibilité pour l’actionnaire de céder ses actions, au moins à terme, à un prix qui le

satisfait.

§ 2. Les conditions relatives au prix de cession

511 - Les pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires reposent, en pratique,

sur des mécanismes aussi variés que l’imagination contractuelle le permet.

La doctrine s’est ainsi employée à établir dans « l’univers bariolé des clauses de

préférence »1072 une typologie de ces pactes en distinguant principalement le droit de

préférence, qui selon certaines variantes prend la forme d’un droit de priorité ou de

premier refus, et le droit de préemption1073. Cette distinction repose essentiellement sur

les modalités ultérieures de fixation du prix, en cas d’exercice de son droit de préférence

ou de préemption par le bénéficiaire, le prix n’ayant pas à être déterminé ad validitatem

dès la conclusion du pacte dans la mesure où l’engagement du promettant n’est, à ce

stade, qu’éventuel. Ces modalités, diverses et variées, s’inspirent aussi de la procédure

définie à l’article L 228-24 du Code de commerce, applicable à l’obligation légale de

rachat des titres à la charge de la société à défaut d’agrément du candidat à l’acquisition

présenté par le cédant. On les retrouve également dans les pactes d’agrément extra-

statutaires dont la rédaction peut-être plus ou moins proche de l’esprit du pacte de

préférence ou de celui de la clause d’agrément statutaire.

512 - Il ne fait aucun doute que la diversité, à laquelle s’ajoute la complexité de ces

pactes, rend toute tentative de classification vaine. Il importe alors, en pratique, de se

tourner vers les stipulations du pacte, lesquelles ne sont pas toujours reproduites in

extenso dans les décisions de jurisprudence. Il s’avère donc difficile de tirer d’une

analyse de la jurisprudence les conditions générales relatives à la stipulation du prix qui

entourent la validité des pactes de préférence ou de préemption au regard du principe

de libre négociabilité des actions.

Selon les stipulations, certaines précautions sont, semble-t-il, rendues nécessaires, au

cas par cas, pour préserver le droit pour l’actionnaire de ne pas demeurer prisonnier de

ses titres et surtout, d’obtenir un prix satisfaisant en contrepartie de la cession de ses

titres. Il en résulte que les pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires

s’inspirent parfois, en pratique, du droit de renoncer à tout moment à la cession, dont

1072 Th. Massart, note sous Cass. com. 6 mai 2008, Bull. Joly, 2008, p. 779, précité. 1073 Voir notamment, S. Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°167 et s. et Th. Massart, note précitée.

Page 244: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

244

dispose légalement l’actionnaire dans le cadre de la procédure d’agrément statutaire1074,

et stipulent alors un droit de repentir au profit du partenaire débiteur.

513 - Les conditions qui entourent l’application des pactes de préférence et

d’agrément extra-statutaires au regard de la contrepartie financière de la cession et du

caractère définitif de l’engagement du débiteur, une fois que le bénéficiaire a manifesté

son intention de se prévaloir du pacte, sont significatives du degré modéré de la

dépendance au contrat de société de ces pactes. En effet, on a souvent invoqué

l’existence d’un droit pour l’actionnaire de recevoir le juste prix de ses titres, lequel

constituerait le corollaire du principe de libre négociabilité des actions et fonderait

notamment le droit de repentir du promettant dans le pacte de préférence. Mais il ressort

au contraire des conditions gouvernant la stipulation du prix de cession (A) et l’éventuel

droit de repentir du cédant (B) dans les pactes de préférence et d’agrément extra-

statutaires, que ce sont les principes de droit commun relatifs à l’autonomie de la

volonté et au respect du droit de propriété qui sont en cause.

A. Les conditions relatives à la stipulation du prix

514 - Dans le cadre des pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires, la

stipulation relative au prix de cession, en cas d’exercice de son droit de préférence par

le bénéficiaire, ou au prix de rachat à défaut d’agrément, subit une faible influence de

l’environnement sociétaire.

En effet, les auteurs1075 qui se réfèrent à l’exigence d’un juste prix devant être stipulé au

bénéfice du débiteur du pacte de préférence, en prenant rarement la peine d’en justifier

le fondement, n’en tirent aucune conséquence pratique de nature à caractériser, sur ce

point, une spécificité du régime du pacte de préférence conclu entre actionnaires par

rapport au droit commun du pacte de préférence.

En outre, s’agissant du prix de rachat dans le cadre des pactes d’agrément extra-

statutaires, en particulier, sa fixation est pleinement autonome au regard de la procédure

de l’article L 228-24 du Code de commerce1076. Toutefois, en pratique, les pactes de

préférence et d’agrément extra-statutaires s’inspirent souvent de cette procédure,

1074 Art. L 228-24 al.3 C. com. 1075 Notamment, J.-J. Daigre et M. Sentilles-Dupont, Les pactes d’actionnaires, GLN Joly, 1995, n°58 et s ; M. Henry et Gh. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, éd. EFE, 2003, n°271 ; G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, Ed. L’Harmattan, 2008, n°359 et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18497. 1076 Voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1. B. a.

Page 245: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

245

notamment lorsqu’ils prévoient de recourir conventionnellement à l’expertise de l’article

1843-4 du Code civil1077.

Il en résulte que les conditions de validité des pactes de préférence et d’agrément extra-

statutaires au regard de l’existence d’un prix stipulé, de la déterminabilité de ce prix ou

encore du montant de ce prix, en cas d’exercice par le bénéficiaire de la prérogative qui

lui est conférée par le pacte sont largement soumis au droit commun des contrats, ce

qui est conforme au caractère modéré de la dépendance au contrat de société de ces

pactes.

515 - En droit commun, la jurisprudence admet que la stipulation d’un prix de cession

déterminé, ou même déterminable, n’est pas une condition de validité du pacte de

préférence dès lors que la conclusion de ce dernier n’emporte aucunement l’obligation

pour le débiteur de céder ses actions1078, l’absence de détermination du prix n’affectant

pas, par ailleurs, le pacte d’une condition potestative qui atteindrait sa validité1079. Il en

est de même en matière de pacte de préférence et d’agrément extra-statutaires entre

actionnaires, conformément à la nature éventuelle du droit que ces pactes confèrent à

leur bénéficiaire1080.

En revanche, le pacte doit fixer les conditions dans lesquelles ce prix sera déterminé1081

et c’est sur ce point que les pactes de préférence présentent en pratique une grande

diversité. Dans la version la plus proche de l’esprit de ces pactes, qui est de permettre à

leurs bénéficiaires de se substituer au cessionnaire pressenti, aux mêmes conditions, de

manière à ce que le changement de cessionnaire soit indifférent pour le débiteur, le prix

d’exercice de la préférence sera aligné sur l’offre de prix présentée par le candidat à

l’acquisition1082.

Mais il est parfois stipulé que ce prix résultera, à défaut d’existence d’un candidat à

l’acquisition avec lequel aurait été conclu un projet de cession, des conditions offertes

par le cédant ou encore qu’il résultera d’un accord ultérieur des partenaires. C’est cette

1077 Sur les conséquences de ce renvoi au regard de la jurisprudence récente, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2. 1078 En ce sens, Cass. 1ère civ. 6 juin 2001, RTD civ., 2002, p. 88 J. Mestre et B. Fages, précité, lequel énonce clairement qu’il « n’est pas dans la nature du pacte de préférence de prédéterminer le prix du contrat envisagé qui ne sera conclu ultérieurement que s’il advient que le promettant en décide ainsi. […] Le promettant conserve la liberté de fixer les conditions de l’acte envisagé et d’en déterminer le prix ». 1079 Cass. 3ème civ. 15 janvier 2003, Contrats, conc., consom., 2003, comm. 71, obs. L. Leveneur. 1080 En ce sens également, C. Ginestet, « Pacte de préférence et droit des sociétés », p. 66, in Dossier « Pacte de préférence : liberté ou contrainte ? », Dr. et pat., 2006, p. 35 et s. Contra, Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., 2002, n°220. 1081 Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°4626. 1082 Pour un exemple, voir Cour d’appel de Paris 14 mars 1990, Bull. Joly, 1990, p. 353, précité, et T. com. Paris, 25 juin 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1203, précité, note F-X. Lucas. La théorie de la fraude ou celle de l’abus de droit pourront être appliquées en cas d’éventuelle collusion frauduleuse entre le débiteur du pacte et le tiers candidat à l’acquisition.

Page 246: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

246

dernière stipulation qui figurera dans les pactes d’agrément organisés au plus proche de

l’esprit des clauses d’agrément statutaires mais, nous l’avons dit, les partenaires

peuvent librement organiser une obligation de rachat aux mêmes conditions que celles

de la cession projetée avec le candidat non agréé1083. En revanche, le prix ne devrait

pas pouvoir être laissé à l’initiative du bénéficiaire du pacte1084. Tout au plus ce dernier

pourra-t-il faire une offre de prix, laquelle devra être acceptée par le débiteur

conformément au droit commun de la vente, hypothèse qui revient, selon nous, à prévoir

un accord ultérieur des parties.

Rappelons enfin que, quel que soit le mode prévu pour la détermination ultérieure du

prix dans le cadre de la préemption ou du rachat extra-statutaire, la procédure

d’expertise prévue à l’article 1843-4 du Code civil ne peut être appliquée que si les

stipulations du pacte le prévoient expressément1085.

516 - Plus rarement, il arrive que les partenaires stipulent dans le pacte de

préférence ou d’agrément extra-statutaire, dès la conclusion de ce dernier, un mode de

détermination du prix, auquel cas ce dernier doit respecter l’exigence de déterminabilité

objective prévue à l’article 1591 du Code civil1086.

Les modalités éventuellement stipulées de détermination du prix de cession en cas

d’exercice du droit de préférence, ou du prix d’acquisition à la charge du bénéficiaire à

défaut d’agrément, sont en effet soumises aux conditions de droit commun relatives aux

cessions de droits sociaux1087. Il peut être stipulé que le prix de cession sera déterminé

selon une formule mathématique ou par un tiers, conformément aux prévisions de

l’article 1592 du Code civil1088, ou encore, avec les conséquences que nous verrons, par

application conventionnel de la procédure d’expertise de l’article 1843-4 du Code civil,

d’emblée ou à défaut d’accord entre eux1089.

Ainsi, la Cour de cassation a récemment approuvé dans un arrêt en date du 19

décembre 2006 une Cour d’appel d’avoir annulé un pacte de préférence extra-statutaire

1083 Voir l’exemple de clause proposé par P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, Dossier Pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux, F. Lefebvre, 2006, n°745, précité. 1084 Voir notamment, Cass. com. 6 mai 2008, Bull. Joly, 2008, p. 779, note Th. Massart, précitée. 1085 En ce sens, Cour d’appel de Paris 6 mai 1994, Dr. sociétés, 1994, n°140, note H. Le Nabasque et RTD. com., 1995, p. 804, note L. Alfandréri et M. Jeantin ; Cass. com. 15 octobre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 126, note Th. Massart. et Comité juridique ANSA, 7 mai 2003, n°3253. Sur le caractère supplétif de cette disposition en matière de pacte de préférence ou d’agrément, voir également, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1. 1086 Cass. com. 19 décembre 2006, n°05-10198, SA SCAPEST c/ SA ITM Entreprises, n°Jurisdata : 2006-036780, confirmant Cour d’appel de Nancy 20 octobre 2004, M. Chaffournais et a. c/ Epoux Rifaut, JCP, éd. E, 2005.446, M.-A. André et J. Raynard. Voir également, Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°989. 1087 Sur l’ensemble des difficultés que posent la détermination du prix ainsi que les autres conditions de validité des cessions d’actions, voir M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009. 1088 Pour un exemple, voir Cass. com. 4 novembre 1987, JCP, 1988.II.21050, note A. Viandier et Cass. com. 19 décembre 2006, n°05-10198 confirmant Cour d ’appel de Nancy 20 octobre 2004, précités. 1089 Sur les conséquences du recours conventionnel à l’expertise, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2.

Page 247: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

247

conclu entre actionnaires, au motif que le mode de détermination du prix stipulé dans ce

pacte, lequel faisait notamment référence aux « critères habituellement retenus pour

d’autres cessions au sein de la même enseigne [Leclerc] », ne permettait pas de

garantir que le prix serait estimé, par les tiers qui en avaient la charge, en fonction

d’éléments extérieurs à la volonté du bénéficiaire du pacte1090.

517 - Enfin, et toujours par application du droit commun, la stipulation de prix figurant

dans le pacte de préférence ou d’agrément doit conduire à un prix réel et sérieux, ainsi

qu’il en est dans toute cession de droits sociaux, conclue entre actionnaires ou avec un

tiers1091, conformément à la théorie de la cause1092 et au droit commun de la vente1093.

Cette notion de prix sérieux, c’est-à-dire un prix non dérisoire, constitutif d’une

contrepartie véritable du transfert de propriété, ne doit pas être confondue avec celle

généralement qualifiée de juste prix. Le juste prix renvoie, en droit commun, à l’équilibre

économique du contrat sur lequel le juge n’est pas censé exercer un contrôle en dehors

des cas exceptionnels dans lesquels la lésion est légalement sanctionnée1094. Or,

aucune disposition spéciale n'étant prévue pour les cessions de droits sociaux1095, le

montant du prix est librement fixé par les parties sous réserve de respecter l’exigence du

caractère réel et sérieux1096. Il en résulte qu’une cession de droits sociaux consentie

moyennant un prix excessif ou lésionnaire par rapport à la valeur vénale des titres, mais

non dérisoire, n’encourt pas la nullité1097, peu important à cet égard que la cession soit

conclue entre actionnaires ou avec un tiers.

518 - On le voit, la théorie du droit au juste prix pour le débiteur d’un pacte de

préférence portant sur des titres de sociétés par actions, présentée par certains auteurs

comme le corollaire du principe de libre négociabilité des actions et fondant un régime

spécial de validité des ces pactes au regard de la stipulation de prix et du droit pour le 1090 Cass. com. 19 décembre 2006, n°05-10198, SA SCAPEST c/ SA ITM Entreprises confirmant Cour d’appel de Nancy 20 octobre 2004, M. Chaffournais et a. c/ Epoux Rifaut, précités. Voir également, Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°989. 1091 Sur cette question voir M. Caffin-Moi, op. cit., n°113 et s et Th. Lambert, « L’exigence d’un prix réel et sérieux dans les cessions de droits sociaux », Rev. sociétés, 1993, p. 11. 1092 Cass. 1ère civ. 9 novembre 1999, Defrénois, 2000, p.250, obs. Aubert ; Cass. com. 11 janvier 2005, n°01-11.077, RJDA, 5/05, n°494 ; Cass. 3 ème civ. 29 mars 2006, D., 2007, p.477, note J. Ghestin et Cour d’appel de Paris 18 décembre 2008, n°08-5219, 3ème c h. B, SA Compagnie Financière MI 29 c/ SAS FA 29, RJDA, 09/04, n°351. 1093 Art. 1591 C. civ. Cass. com. 23 octobre 2007, Dr. sociétés, 2007, comm.209, obs. H. Lécuyer et D., 2007, A.J, p. 2812, obs. X. Delpech. 1094 Notamment en matière de vente immobilière (art. 1674 à 1685 C. civ.). 1095 Sur le fondement de la procédure d’expertise de l’article 1843-4 du Code civil, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1. A. 1096 Rappelons en outre que l’erreur sur la valeur n’est pas admise comme vice du consentement dans les cessions de droits sociaux. Sur cette question, voir M. Caffin-Moi, op. cit., n°38 et s. 1097 En ce sens, voir Cour d’appel de Paris 11 octobre 1984, JCP, éd. G, 1985.II.20449, obs. A. Viandier et Cass. 3ème civ. 9 avril 1970, Rev. sociétés, 1972, p. 268, note J.-P. Sortais (en matière de cession de parts de SCI).

Page 248: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

248

promettant d’invoquer l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil1098 n’a aucune

influence en droit positif. Elle ne constitue pas davantage le fondement d’un éventuel

droit de repentir pour le promettant.

B. Juste prix et droit de repentir ?

519 - Il s’avère que la théorie du droit au juste prix pour le débiteur d’un pacte de

préemption portant sur des titres de sociétés par actions a bien existé en droit des

sociétés mais pour régir une situation spécifique qui a disparu après l’entrée en vigueur

de la loi de 66.

Cette théorie a en effet émergé en jurisprudence avant la reconnaissance, par la loi de

1966, de la validité des clauses statutaires d’agrément dans les sociétés par actions.

Elle visait à encadrer l’exercice du droit de préemption conféré conventionnellement au

conseil d’administration dans le but de rendre la stipulation d’une clause statutaire

d’agrément acceptable au regard du principe de libre négociabilité des actions1099. En

effet, soit le prix de rachat était fixé forfaitairement par les statuts1100, soit il était fixé

chaque année par l’assemblée générale, auquel cas, ce prix devait être juste, c’est à

dire correspondre à la valeur vénale des actions.

L’admission légale des clauses statutaires d’agrément, suivie de la reconnaissance

progressive, par la jurisprudence, de l’autonomie des pactes de préférence au regard de

ces clauses, peu important que ces derniers soient conclus dans les statuts ou dans des

conventions extra-statutaires, s’est logiquement accompagnée d’un abandon de la

théorie du juste prix. Il est d’ailleurs remarquable que c’est la première décision, prise

par une juridiction du premier degré, à avoir affirmé, en 1977, l’autonomie du pacte

statutaire de préférence au regard de la clause statutaire d’agrément, et, partant, la

validité du premier lorsqu’il est conclu entre actionnaires, qui, sûrement par précaution,

s’est référée pour la dernière fois en jurisprudence à la théorie du juste prix1101.

1098 G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°30 et s. 1099 Sur cette pratique des clauses statutaires d’agrément et la jurisprudence antérieure à 1966, voir M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1617. 1100 Cass. req. 15 novembre 1943, S., 1944.1.15, concl. Picard. 1101 TGI Dijon 8 mars 1977, RTD com, 1977, p. 521, obs. R. Houin et Rev. sociétés, 1977, p. 279, note D. Randoux, distinguant de la clause d’agrément « la clause de préemption pure et simple, qui ne subordonne pas la cession à l’accord de la société mais oblige seulement le cédant à offrir préalablement ses actions à tous ses associés qui ont la faculté de se porter acquéreur au juste prix ».

Page 249: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

249

520 - L’on apprécie ainsi dans quelle mesure les auteurs qui ont soutenu, par le

passé1102, que le principe de libre négociabilité des actions impliquait le droit pour tout

actionnaire débiteur d’un pacte de préférence d’obtenir le juste prix de ses titres, en se

référant à plusieurs arrêts anciens remontant jusqu’en 19241103, dont la solution n’a été

reprise qu’une seule fois, sous l’empire de la loi de 1966, par le jugement précité de

19771104, étaient mal fondés à invoquer cette jurisprudence. Un auteur a, pour sa part,

fondé la théorie du droit au juste prix, non pas sur la libre négociabilité mais sur l’abus

de majorité1105. Mais un tel risque d’abus « ne peut justifier l’exigence d’un juste prix que

dans l’hypothèse d’une intervention des organes sociaux destinée […] à fixer le prix de

rachat »1106, ce qui recouvre bien la situation spécifique, antérieure à la loi de 66 pour

laquelle la théorie du juste prix a émergé en jurisprudence.

521 - On ne peut pas non plus, semble-t-il, percevoir dans la procédure de rachat à

défaut d’agrément statutaire, énoncée à l’article L 228-24 du Code de commerce, une

résurgence de la théorie du juste prix. Le prix de rachat est fixé d’un commun accord

entre les parties, et à défaut d’accord, l’expertise prévue à l’article 1843-4 du Code civil

est appliquée1107. Il n’y a donc aucun risque d’abus à l’initiative d’un organe social dans

la fixation du prix. Plus encore, même en cas de recours à l’expertise légale, laquelle

assure la fixation d’un prix objectif et juste, en tant qu’il s’approche au plus près de la

valeur vénale des titres, l’actionnaire cédant dispose, à tout moment, d’un droit de

repentir1108. Il apparaît alors que, plutôt que les intérêts pécuniaires des actionnaires,

c’est davantage le consentement libre et éclairé de l’actionnaire cédant que la procédure

légale de rachat tend à défendre, ce dernier étant en droit de ne souhaiter se défaire de

sa propriété qu’en contrepartie d’un prix qui est, subjectivement, à sa convenance

personnelle.

1102 Notamment, G. Parléani, « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés, 1991, p. 1, n°30 et s. ; Y. Guyon, J.-Cl. Sociétés Traité, Fasc. 97-B, « Droits et obligations attachés à l’action », 1980, n°77. Plus sceptiques, voir D. Martin et L. Faugérolas, « Les pactes d’actionnaires », JCP, éd. G, 1989. I. 3412, n°15.

1103 Cass. req. 2 janvier 1924, D., 1927. 1. 161, note Escarra ; Cass. civ. 9 février 1937, D., 1937, 1, p. 73, note Besson ; Cass. req. 11 septembre 1940, DC, 1942, 116, note Cordonnier ; Req. 15 novembre 1943, précité. 1104 TGI Dijon 8 mars 1977, précité. 1105 S.Prat, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n°297 et s. 1106 D. Randoux, note précitée sous TGI Dijon 8 mars 1977. 1107 Art. L 228-24 al. 2 C. com. 1108 Art. L 228-24 al. 2 C. com. En précisant très clairement que l’actionnaire cédant peut renoncer à tout moment à la cession et en particulier après la fixation du prix par l’expert désigné conformément à l’article 1843-4 du Code civil, l’ordonnance précitée du 24 juin 2004 est ainsi venue mettre un terme à un flottement jurisprudentiel (voir notamment, Cass. com. 10 mars 1976, RTD. com., 1976, p. 533, note Chartier ; Cass. com. 9 avril 1991, JCP, éd. E, 1992.1.120, n°12, obs. A. Viandier et J. J. Caussain ; Cass. com. 13 octobre 1992, Dr. sociétés, 1992, Chron. H. Le Nabasque et Cass. com. 26 janvier 1993, Rev. sociétés, 1993, 422, note Saintourens) qui alimentait le débat relatif à la théorie de l’exigence d’un juste prix.

Page 250: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

250

522 - Il résulte de ces développements que, dans le cadre des pactes de préférence

et d’agrément1109 extra-statutaires, les stipulations relatives au caractère définitif de

l’engagement du débiteur, une fois que le bénéficiaire a manifesté son intention de se

prévaloir du pacte, relèvent pleinement de la liberté contractuelle et ne subissent,

corrélativement, qu’une faible influence de l’environnement sociétaire, ce qui est

conforme caractère modéré de la dépendance au contrat de société de ces pactes.

Certes, en pratique, les pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires s’inspirent

de la procédure d’agrément statutaire pour organiser un droit de repentir au profit du

partenaire cédant. Mais il nous semble que c’est la pleine application du droit commun

des contrats qui doit conduire à apprécier, par défaut, le caractère définitif de

l’engagement du débiteur, toute stipulation conventionnelle pouvant par ailleurs, en vertu

de la liberté contractuelle, conférer un droit de repentir au partenaire débiteur tout autant

qu’au partenaire bénéficiaire.

523 - Ainsi, dans le cadre des pactes de préférence alignant le prix d’exercice de la

préférence sur le prix offert par le candidat à l’acquisition ou, à défaut de candidat, sur le

prix offert par le partenaire cédant, la levée d’option par le bénéficiaire de la préférence

rend en principe la vente parfaite1110. L’échange des consentements sur la chose et le

prix implique en effet le transfert automatique de la propriété des titres au profit du

bénéficiaire du pacte1111 par application du droit commun de la vente1112 et

conformément à la logique de la préemption.

Les partenaires sont toutefois libres de stipuler dans les pactes de préférence et

d’agrément extra-statutaires prévoyant un tel mode de fixation du prix ou organisant tout

autre mode de fixation, en ce compris la déterminabilité objective du prix dès la

conclusion du pacte, un droit de repentir au profit du cédant ou même du bénéficiaire1113.

En pratique, un tel droit de repentir, dont il convient de définir expressément les

conditions d’exercice, est souvent stipulé au profit du partenaire cédant, mais il peut

aussi l’être au profit du partenaire bénéficiaire, lorsque le prix est déterminé à dire de

tiers, soit par application de l’article 1592 du Code civil, soit par application

conventionnelle de l’article 1843-4 du Code civil. Ce droit de repentir constitue alors une

1109 La liberté conventionnelle est en effet tout aussi grande en matière de pacte d’agrément extra-statutaire. Voir l’exemple de clause proposé par P. Julien Saint-Amand et P.-A. Soreau, Dossier pratique Pactes d’actionnaires et engagements fiscaux F. Lefebvre, 2006, n°745, précité. 1110 Voir notamment, Cour d’appel de Paris, 14 mars 1990, Bull. Joly, 1990, p. 353, précité et Cour d’appel de Paris 23 juin 1987, Bull. Joly, 1987, p. 70, cassé pour un autre motif par Cass. com. 7 mars 1989, D., 1989, p. 231, concl. M. Jeol. En ce sens également, « Les clauses d’agrément », Fiche pratique rédigée par A. Theimer, JCP, éd. E, 2005, 1587, 4.A. 1111 Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°4626. 1112 Art. 1583 C. civ. 1113 Note Th Massart sous Cass. com. 6 mai 2008, Bull. Joly, 2008, p. 779, précitée.

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251

dérogation organisée conventionnellement par les partenaires1114, au régime de droit

commun, selon lequel la vente est considérée comme parfaite dès lors que le prix est

fixé par un tiers1115. Il est effet concevable, qu’en vertu de la liberté contractuelle, les

partenaires s’octroient la faculté de renoncer à leur projet de cession lorsque le prix fixé

par le tiers, pour objectif qu’il soit, n’est pas à leur convenance. Reconnaissons toutefois

que la stipulation d’un droit de repentir en cas d’alignement du prix de cession sur celui

offert par le candidat à l’acquisition et notifié par le partenaire débiteur, ou en cas de

détermination du prix par application d’un formule de calcul stipulée d’un commun

accord dans le pacte, dénature quelque peu ce dernier, lequel perd, de fait, une grande

part de sa fonction d’anticipation.

Conclusion du Chapitre 1

524 - Les pactes relatifs aux cessions d’actions, autres que ceux qui aménagent la

perte de la qualité d’actionnaire des partenaires, s’ils se situent dans un rapport de

dépendance modérée au contrat de société, n’en subissent pas moins une certaine

influence de l’environnement sociétaire tenant au nécessaire respect du principe de libre

négociabilité des actions. Ce principe ne protège que la liberté de céder, il ne s’applique

pas, en revanche, aux pactes de non-agression et de retrait, également caractérisés par

une dépendance modérée au contrat de société, qui aménagent la liberté d’acquérir de

leurs débiteurs.

Parmi les pactes qui visent à contrôler la répartition du capital social et restreignent

effectivement la libre négociabilité des actions, on distingue les pactes anti-dilution,

clauses d’offre alternative et clauses d’entraînement, lesquels reposent sur le

mécanisme de la promesse unilatérale de vente sous condition, des pactes de

préférence et d’agrément, lesquels limitent, avant tout projet de cession, le choix du

débiteur dans la personne de son cessionnaire éventuel.

525 - Les pactes conclus sous la forme de promesses unilatérales de cession sous

conditions suspensives sont validés, dans le principe, sur le double fondement de la

liberté contractuelle et du droit de propriété. Leur validité, au regard de l’atteinte portée à

la libre négociabilité des actions, ne nécessite pas d’encadrement spécifique, ce qui est

caractéristique de leur degré modéré de dépendance au contrat de société et les

1114 En ce sens, pour la stipulation d’un droit de repentir dans le cadre de l’application de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil en matière de pacte de préférence, voir Comité juridique ANSA, 7 mai 2003, n°3256. Voir également, A. Theimer, op. cit., 4.A et Mémento Pratique Sociétés Commerciales, F. Lefebvre, 2009, n°18498. Pour un exemple, voir Cass. com. 26 j uin 1990, BRDA, 19/90, p. 11, et ne prévoyant dans un tel cas aucun droit de repentir, voir Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004, p. 544, note P. Le Cannu. 1115 Voir infra, en matière de cession de droits sociaux, Titre 2, Chap. 2, propos introductifs.

Page 252: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

252

distingue radicalement des pactes d’exclusion, lesquels reposent également sur le

mécanisme de la promesse unilatérale de cession sous condition. Cette opposition entre

les pactes d’exclusion, caractérisés par une dépendance marquée au contrat de société

et les pactes anti-dilution, clauses d’offre alternative et clauses d’entraînement tient à ce

que ces derniers ne visent pas à retirer à leur débiteur sa qualité d’actionnaire et ne sont

pas grevés d’un aussi fort risque d’arbitraire de la part du bénéficiaire du pacte.

Au contraire, les pactes de préférence et d’agrément, qui n’emportent aucun

engagement ferme pour leur débiteur de céder ses actions, constituent une atteinte plus

forte à la libre négociabilité, à la mesure toutefois du degré modéré de leur dépendance

au contrat de société, en raison de ce que le débiteur y prend d’ores et déjà certains

engagements alors que le principe de la cession n’est pas arrêté et que les modalités de

l’éventuelle cession demeurent incertaines.

526 - La validité, dans le principe, des pactes de préférence entre actionnaires est

reconnue depuis que la jurisprudence en a admis l’autonomie au regard des clauses

d’agrément statutaires, à l’époque où ces dernières n’étaient pas encore tolérées par la

loi dans les cessions entre actionnaires. Les clauses d’agrément extra-statutaires sont,

quant à elles, en l’absence de décision de jurisprudence, validées dans leur principe-

même par une fraction significative de la doctrine. Ces clauses, par lesquelles un

actionnaire s’engage envers un autre à ne céder ses actions qu’après avoir obtenu

l’accord de ce dernier quant à la personne du cessionnaire pressenti et peuvent, selon

leur rédaction, être plus proches de l’esprit du pacte de préférence ou de celui de

l’agrément statutaire, ne méconnaissent aucunement l’appartenance des clauses

d’agrément statutaires au domaine réservé aux statuts. En effet, les clauses d’agrément

extra-statutaires ne font intervenir aucun organe social et engagent les seuls

actionnaires signataires. Quant la condition essentielle tenant à l’obligation pour le

bénéficiaire du pacte, à défaut d’agrément, d’organiser le rachat des titres du débiteur,

elle ne fait que distinguer ces clauses des pactes d’inaliénabilité.

527 - Conformément au degré modéré de la dépendance au contrat de société des

pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires, les conditions qui entourent leur

validité, au regard du principe de libre négociabilité, sont faiblement influencées par

l’environnement sociétaire et peu contraignantes. L’engagement du débiteur n’étant

qu’éventuel, la nature des opérations de transfert de titres ouvrant droit au bénéfice du

pacte ainsi que la durée du pacte sont librement définies par les partenaires tandis que

le prix n’a pas à être déterminé dès la conclusion du pacte. Ce n’est, qu’une fois

l’engagement du débiteur acquis, que certaines conditions viennent encadrer, un

Page 253: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

253

minimum, les modalités de mise en œuvre du pacte de manière à ce que leur débiteur

conserve matériellement la possibilité de céder ses titres, à un prix qui le satisfait. La

procédure de préférence ou d’agrément doit notamment prévoir des délais brefs, tant

pour l’exercice de l’option que pour la réalisation effective de la préemption ou du rachat

à défaut d’agrément, de manière à ne pas décourager un potentiel candidat à

l’acquisition, et stipuler l’indivisibilité du pacte. S’agissant des modalités financières de

l’exercice du droit de préférence ou du rachat à défaut d’agrément, elles reposent sur

divers mécanismes de fixation du prix, très variables en pratique et librement définis par

les partenaires par application du droit commun. Le principe de libre négociabilité n’a

donc aucune influence à cet égard et n’implique aucunement un droit au juste prix pour

le débiteur du pacte. Les clauses d’agrément extra-statutaires sont en particulier

complètement affranchies de la procédure légale d’agrément. En pratique, les pactes de

préférence et d’agrément extra-statutaires s’inspirent toutefois de cette procédure, pour

prévoir conventionnellement l’application de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

et/ou un droit de repentir pour le partenaire débiteur tout autant que pour le bénéficiaire.

528 - Si la faible influence de l’environnement sociétaire sur le régime des pactes

d’actionnaires relatifs aux cessions et acquisitions d’actions est bien établie au regard du

principe de libre négociabilité, elle est plus incertaine, en droit positif, à deux autres

égards, s’agissant de la prohibition des clauses léonines d’une part, et de l’expertise de

l’article 1843-4 du Code civil, d’autre part.

Chapitre 2. L’influence incertaine de l’ordre publi c sociétaire : l’exemple

des clauses léonines et de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

529 - L’influence qu’exercent les deux règles de l’ordre public sociétaire tenant à la

prohibition des clauses léonines, énoncée à l’article 1844 alinéa 2 du Code civil, et à

l’expertise impérative prévue par l’article 1843-4 du Code civil sur le régime des

stipulations relatives au prix dans les pactes d’actionnaires organisant des cessions ou

des acquisitions d’actions est difficile à cerner en droit positif.

La question se pose avec acuité dans la perspective d’une étude de la dépendance au

contrat de société de ces pactes. Elle occupe une grande place dans l’actualité

jurisprudentielle et retient toute l’attention des praticiens.

Page 254: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

254

530 - Les incertitudes qui demeurent en droit positif, malgré une nette évolution de la

jurisprudence, quant à la soumission des pactes d’actionnaires à la prohibition des

clauses léonines tout autant qu’à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil sont

significatives de la difficulté qu’éprouvent les juges à se prononcer sur le maintien de la

raison d’être de ces règles d’ordre public sociétaire en dehors des statuts.

Or cette difficulté est au cœur de la problématique de la dépendance des pactes

d’actionnaires au contrat de société. En effet, dans le cadre de cette étude, il convient

de déterminer au préalable si la prohibition des clauses léonines ainsi que l’impérativité

de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil conservent un fondement dans les

relations inter-individuelles qui lient certains actionnaires en dehors des statuts. Ce n’est

que dans l’affirmative qu’il y a effectivement un sens à s’interroger sur le degré

d’influence qu’exercent ces règles sur le régime des pactes d’actionnaires relatifs aux

cessions et aux acquisitions d’actions.

531 - La démarche étant posée, elle s’annonce malaisée à suivre en raison de la

confusion qui règne au sein de la jurisprudence relative à l’application de la prohibition

des clauses léonines aux pactes organisant une cession ou un rachat d’actions (Section

1) tandis que la portée de la procédure d’expertise de l’article 1843-4 du Code civil est

incertaine (Section 2).

Section 1. La confusion autour de la prohibition de s clauses léonines

532 - L’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil répute non écrite toute clause léonine.

Sa rédaction1116 semble cantonner le domaine d’application de la prohibition des clauses

léonines à une hypothèse bien particulière : l’attribution ou la suppression intégrale, pour

un actionnaire, de la vocation aux bénéfices ou aux pertes sociales. Il est en effet dans

la nature du contrat de société que chaque actionnaire subisse un minimum l’aléa social

en ayant vocation à partager les bénéfices ou les économies générés par l’activité

sociale tout autant qu’à contribuer aux pertes qui pourraient éventuellement en

résulter1117.

1116 L’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil (anciennement art. 1855 C. civ. avant la réforme du 4 janvier 1978) énonce que « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». 1117 Art. 1832 C. civ.

Page 255: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

255

533 - La jurisprudence a cependant opté, très tôt, pour une application extensive de

cette disposition relevant de l’ordre public sociétaire. La prohibition a ainsi été étendue,

non seulement aux conventions extra-statutaires1118, mais encore, aux aménagements

susceptibles de n’avoir qu’un effet indirect sur la contribution aux pertes. A ce titre, les

juges considèrent notamment que les sommes apportées au capital par un actionnaire

ne peuvent être affranchies de toute contribution aux pertes au moment du départ de ce

dernier1119. Or, le rapport entre la fixation du prix dans une cession de droits sociaux et

la contribution aux pertes sociales ne semble pouvoir être qu’indirect1120 dès lors qu’il est

généralement admis que cette contribution ne se réalise qu’au jour de la liquidation de la

société, lorsque l’actionnaire ne récupère pas la totalité de son apport pour cause d’actif

social insuffisant1121.

534 - Dans le cadre des pactes, caractérisés par une dépendance modérée au

contrat de société, qui organisent le retrait d’un actionnaire au moyen d’une promesse

unilatérale de rachat consentie à ce dernier par ses partenaires1122, un prix minimum est

souvent garanti par le promettant-acquéreur au bénéficiaire-cédant.

La question s’est naturellement élevée en jurisprudence de savoir si la fixation d’un tel

prix plancher dans les promesses de rachat de titres entre actionnaires tombe sous le

coup de la prohibition des pactes léonins. Il est en effet tentant pour le promettant qui

cherche à se soustraire à son engagement d’achat, lorsque la valeur réelle des titres au

moment de la levée d’option s’avère bien inférieure au prix qu’il a garanti, d’invoquer la

nullité de la promesse en ce qu’elle conduit à faire échapper le bénéficiaire aux

conséquences que d’éventuelles pertes sociales pourraient avoir sur la valeur des

actions.

Dans le cadre de son appréciation de la validité, au regard de la prohibition des clauses

léonines, des promesses de rachat à prix plancher entre actionnaires, la jurisprudence

s’est largement assouplie au cours de ces vingt dernières années. Cette évolution a été

accueillie très favorablement par les praticiens, un certain nombre de montages,

essentiels à la pratique des affaires se trouvant confortés dans leur validité. Si l’on ne

1118 Cass. req. 14 juin 1882, DP, 1884.1.222 ; Cass. civ. 16 juillet 1894, D., 1894, 1, p. 531 ; Cass. req. 9 avril 1941, JCP, 1941.II.1762, note Bastian ; Cour d’appel de Paris 5 décembre 1983, D. 1984, IR.52 et Cour d’appel de Paris 22 octobre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 15, note P. Le Cannu. 1119 Cour d’appel de Paris 30 octobre 1976, Rev. sociétés, 1977, p. 695, note D. Schmidt, qualifiant de léonin, l’engagement de rachat à prix minimum, consenti par une société à son dirigeant, pour garantir ce dernier contre le risque de subir une moins-value lors de la cession de ses titres au terme de ses fonctions, si la société devait être amenée à essuyer des pertes importantes. 1120 En ce sens également, Y. Guyon, Traité des contrats - Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 5ème éd., n°209. 1121 En ce sens notamment, Cour d’appel de Versailles 7 septembre 2000, Bull. Joly, 2000, p. 1175. 1122 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . B.

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256

peut qu’approuver les mérites pratiques de cette évolution, il est regrettable que les

solutions données en jurisprudence manquent autant de clarté1123.

535 - Il semble, tout d’abord, que certains de ces pactes ne sont pas concernés par

la réglementation des clauses léonines, ce sont ceux dont l’objet est d’organiser une

transmission d’actions dans le cadre d’une cession échelonnée dans le temps ou

d’assurer une rétrocession d’actions dans le cadre d’une opération financière de portage

d’actions. Quant aux pactes qui sont susceptibles de tomber sous le coup de la

prohibition, ils sont largement validés même si leur régime demeure relativement flou. Il

est en effet malaisé de dégager, parmi les divers critères mis en avant tout au long de

l’évolution jurisprudentielle, les conditions qui entourent la validité des promesses de

rachat d’actions à prix plancher en droit positif.

536 - Ainsi, le recul de la réglementation des clauses léonines tenant à ce que

certains pactes en sont désormais affranchis (§ 1) s’accompagne-t-il d’un

assouplissement de cette réglementation, les promesses de rachat à prix plancher

échappant sous certaines conditions à la prohibition (§ 2).

§ 1. Le recul de la prohibition des clauses léonine s

537 - Pendant plus d’un siècle, les juges ont sanctionné avec une grande rigueur,

sur le fondement de la prohibition des clauses léonines, toute clause ayant pour effet de

garantir un actionnaire contre le risque de pertes1124, peu important à cet égard que la

clause soit statutaire ou extra-statuaire, limitée à certains actionnaires ou non et quel

qu’en soit son objet1125. Ils ont maintenu cette position jusque dans les années 80

malgré les vives critiques élevées par les praticiens.

Il semble aujourd’hui bien établi en jurisprudence que certains pactes n’entrent pas, en

raison de leur objet, dans le champ d’application de l’article 1843-4 du Code civil. La

jurisprudence a en effet posé comme principe, dès le début des années 80, que les

pactes qui ont pour objet d’organiser une transmission d’actions échappent à la

1123 Voir notamment, A. Pietrancosta, « Promesses d’achat de droits sociaux et clauses léonines : critique d’une sollicitation excessive et hasardeuse de l’article 1844-1 du Code civil », Rev. Lamy. Dr. aff., 2006, n°1, p. 67. 1124 Cass. req. 14 juin 1882 ; Cass. civ. 16 juillet 1894 et Cass. req. 9 avril 1941 précités ; Cass. com. 22 mars 1955, Bull. civ., III, n°104 ; Cass. com. 10 février 1981, Rev. sociétés, 1982, p. 98, note Ph. Merle et Cass. 1ère civ. 22 juin 1986, Bull. Joly, 1986, p. 862, note P. Le Cannu. 1125 Voir notamment Cour d’appel de Paris 5 décembre 1983, précité, selon lequel les juges doivent envisager le résultat obtenu, à savoir l’exonération de l’actionnaire, plutôt que les modalités des stipulations, qu’il s’agisse de faire entrer un nouvel actionnaire dans la société, d’empêcher un actionnaire de sortir de la société ou, au contraire, de l’en faire partir.

Page 257: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

257

prohibition des clauses léonines (A). Un peu plus tard, dans le courant des années 90,

cet affranchissement de la réglementation des clauses léonines a été étendu aux pactes

ayant pour objet d’assurer, moyennant des promesses croisées de rachat et de vente

stipulées en des termes identiques, la rétrocession des actions dans le cadre d’une

opération de portage (B).

A. L’affranchissement des pactes dont l’objet est d’organiser une transmission d’actions

538 - Dans le cadre des cessions de contrôle, pour lesquelles il est courant que le

repreneur acquière les titres de manière échelonnée dans le temps, le cédant conclut

fréquemment un pacte avec le repreneur afin d’organiser la transmission des actions. Le

cédant, qui souhaite être garanti contre une éventuelle dépréciation des titres qu’il

conserve entre la première et la dernière cession, par suite, notamment, d’un échec de

la reprise, exige en effet du cessionnaire qu’il s’engage à lui racheter le reliquat de titres,

à un prix garanti1126, dans le cadre d’une promesse unilatérale d’achat. Le prix de

cession ainsi garanti est en pratique fixé par référence au prix payé comptant à la

première cession, éventuellement actualisé en fonction d’éléments plus ou moins

dépendants des performances ultérieures de la société.

539 - Après quelques prémisses, dès le début des années 80, d’assouplissement de

sa position rigoureuse1127, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est

prononcée, dans un arrêt de principe du 20 mai 1986, statuant dans l’affaire Bowater, en

faveur de la validité de la promesse d’achat à prix plancher entre actionnaires « dont

l’objet n’était autre, sauf fraude, que d’assurer moyennant un prix librement convenu, la

transmission des droits sociaux »1128. Confirmant par la suite l’abandon de son

raisonnement antérieur, axé sur l’effet du pacte, la chambre commerciale place

expressément en dehors du domaine de l’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil les

promesses d’achat organisant une transmission de droits sociaux, en raison de leur

objet-même, lequel exclut toute « atteinte au pacte social dans les termes visés par

1126 Sur le caractère objectivement déterminable du prix dans les clauses dites de earn out, conclues dans le cadre des cessions échelonnées, par lesquelles le cédant, ayant abandonné le contrôle de la société mais pas nécessairement la gestion de celle-ci, continue pendant une période intermédiaire à profiter ou subir les performances de cette société, voir M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009 n°172 et s. et Cass. com. 19 janvier 2010, Dr. sociétés, 2010, comm. 70, D. Gallois-Cochet. Sur ces conventions, voir également F.-D. Poitrinal, « Cession d’entreprise : les conventions de earn out », JCP, éd. E., 1999, p. 18. 1127 Cass. com. 15 juin 1982, Rev. sociétés, 1983, p. 329, note Y. Guyon, validant une clause extra-statutaire à prix plancher en raison de ce que la prohibition ne vise que le contrat de société. 1128 Cass. com. 20 mai 1986, affaire Bowater, Rev. sociétés, 1986, p. 587 note D. Randoux

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258

cette disposition légale »1129, une telle promesse étant « étrangère au pacte social et

sans incidence sur l’attribution des bénéfices aux associés et sur leur contribution aux

pertes dans les rapports sociaux »1130.

540 - On a pu se réjouir de voir ainsi consacré un principe général de validité des

promesses d’achat à prix plancher conclues entre actionnaires dans le cadre des

cessions de contrôle échelonnées dans le temps.

Cette reconnaissance de l’inapplicabilité de la prohibition des clauses léonines aux

promesses dont l’objet, on peut même parler d’objectif1131, est d’organiser une procédure

de sortie de la société paraît conforme à l’esprit de la loi. Si la prohibition vise en effet à

préserver l’existence d’un aléa social pour tous les actionnaires demeurant dans les

liens du contrat de société, le bénéficiaire de la promesse, qui est sur le point de quitter

la société, doit, quant à lui, être libéré des règles gouvernant le fonctionnement de la

société quant à la contribution aux pertes1132. Il apparaît alors que l’objet du pacte, qui

consiste à organiser la sortie d’un actionnaire par la transmission de ses titres, prive la

réglementation des clauses léonines de toute raison d’être au regard de ce pacte.

S’agissant de la réserve gardée par la première chambre civile de la Cour de cassation,

laquelle a continué, après ce revirement de la chambre commerciale, à ne retenir que

l’effet exonérateur de toute contribution aux pertes pour annuler les promesses d’achat à

prix plancher entre actionnaires1133, la doctrine a souhaité en minimiser la portée. D’une

part, c’est la chambre commerciale qui est compétente en matière de cessions de

contrôle1134 et depuis peu pour toute cession portant sur les titres de sociétés

commerciales1135. D’autre part, il semble que la chambre civile ait eu à statuer sur des

espèces plus complexes, assimilables à des opérations de portage d’actions1136, si bien

que cette opposition entre les deux formations n’était qu’apparente1137.

1129 Cass. com. 20 mai 1986, affaire Bowater, précitée et Cass. com. 10 janvier 1989, Bull. Joly, 1989, p. 256, note P. Le Cannu. 1130 Cass. com. 10 janvier 1989, précitée et Cass. com. 12 mars 1996 (Martin c/ Sté Cam Galaxy), D., 1996, somm. 347, note J.-Cl. Houin et Cass. com. 19 mai 1998, Bull. Joly, 1998, p. 1060, note P. Scholler. 1131 F.-D. Poitrinal, op. cit., C. 1132 En ce sens, F.-X. Lucas, « Promesses d’achat de droits sociaux à prix garanti et prohibition des clauses léonines - A la recherche de la cohérence perdue… », JCP, éd. E, 2000, p. 171. 1133 Cass. 1ère civ. 22 juin 1986, Bull. Joly, 1986, p. 862, note P. Le Cannu ; Cass. 1ère civ. 7 avril 1987, JCP, éd. G, 1988.II.21006, note M. Germain et sur renvoi Cour d’appel de Caen 16 janvier 1990, Bull. Joly, 1991, p. 916, note P. Le Cannu, confirmée par Cass. 1ère civ. 16 décembre 1992, Dr. sociétés, 1993, n°30, obs. T. Bonneau. 1134 F.-D. Poitrinal, op. cit., C. 1135 Art. L 721-3 C. com. Voir également, Cass. com. 10 juillet 2007, Dr. sociétés, 2007, n°179, obs. H. Hovasse et Cass. com. 12 février 2008, Bull. Joly, 2008, p. 266, note Th. Massart. 1136 Ainsi en était-il de l’affaire ayant successivement donné lieu aux arrêts Cass. 1ère civ. 7 avril 1987, Cour d’appel de Caen 16 janvier 1990 statuant renvoi, confirmée par Cass. 1ère civ. 16 décembre 1992, précités. Voir également, M. Jeantin, « Conventions de portage et droit des sociétés », RD bancaire et bourse, 1991, p. 125. 1137 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°209 et F.-X. Lucas, op. cit.

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259

541 - Par la suite, la chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à

se prononcer sur ce dernier type d’opérations, qu’elle a également souhaité affranchir de

la réglementation des clauses léonines, en raison de leur objet.

B. L’affranchissement des pactes dont l’objet est d’assurer une rétrocession d’actions

542 - La convention de portage est celle par laquelle une personne, le porteur,

convient avec une autre, le donneur d’ordre, d’acquérir et conserver des actions pour le

compte de ce dernier ou d’un tiers, à charge pour celui-ci de les lui racheter dans un

certain délai et moyennant un prix arrêté à l’avance1138.

Le portage d’actions se caractérise par le service rendu par le porteur, qui est en

général un établissement financier, afin, notamment1139, de financer une augmentation

en fonds propres en organisant le rachat ultérieur, par les actionnaires fondateurs et

donneurs d’ordre, des nouveaux titres souscrits par le porteur1140. Le porteur n’accepte

d’accorder son concours et de prendre temporairement une participation dans le capital

de la société qu’à condition d’être garanti contre le risque social au moyen d’un

engagement de rachat à prix plancher couvrant l’apport réalisé et assurant la

rémunération du service financier qu’il a rendu. De son côté, le donneur d’ordre souhaite

s’assurer de ce que le porteur ne pourra pas se maintenir dans la société si l’affaire

s’avérait florissante. La promesse unilatérale de rachat à prix plancher, consentie par le

donneur d’ordre au porteur, est donc souvent complétée par une promesse unilatérale

de vente, aux mêmes conditions, consentie en retour par le porteur au donneur d’ordre.

Il apparaît que les conventions de portage sont par essence léonines, si bien que

pendant longtemps la jurisprudence les a systématiquement annulées1141.

543 - Puis, dans le prolongement de la plus grande tolérance dont elle fait preuve

depuis l’arrêt Bowater pour la transmission de sociétés, la chambre commerciale de la

Cour de cassation est revenue sur sa position, en matière de conventions de portage, à

1138 Voir, Y. Guyon, op.cit, 2002, n°254 et G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés : essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, Ed. L’Harmattan, 2008, n°529 et s. 1139 Sur les autres utilités que peuvent remplir les conventions de portage (notamment, assurer la discrétion pour un investisseur souhaitant garder l’anonymat, un arbitrage lorsqu’un désaccord entre actionnaires bloque la gestion de la société ou, en relais, pour assurer ponctuellement l’exécution d’un pacte d’actionnaires dont l’un des partenaires n’est pas en mesure d’honorer immédiatement l’engagement d’acquisition de titres auquel il est tenu, par exemple), voir G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°531 et s. 1140 Pour une exemple de recours au portage par les principaux actionnaires d’une société afin d’assurer l’expansion de cette dernière, voir Cass. com. 15 février 1994, Bull. Joly, 1994, p. 508, note D. Velardocchio, précité. 1141 Voir Cass. req. 14 juin 1882 et Cass. req. 9 avril 1941 et Cass. com. 22 mars 1955, précités et l’affaire ayant successivement donné lieu aux arrêts Cass. 1ère civ. 7 avril 1987, Cour d’appel de Caen 16 janvier 1990 statuant renvoi, confirmée par Cass. 1ère civ. 16 décembre 1992, précités

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260

partir des années 901142. Dans un arrêt de principe, en date du 24 mai 1994, statuant

dans le cadre d’une opération de portage conclue avec la SDBO, la chambre

commerciale reconnaît la validité, de la stipulation d’un prix plancher dans le cadre d’un

montage contenant des « promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions

libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce

dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la

rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et

la contribution aux pertes dans les rapports sociaux »1143.

La chambre commerciale admet ainsi la validité des promesses de rachat à prix

plancher stipulées dans les conventions de portage, à condition que ces dernières

soient croisées avec des promesses de vente, portant sur les mêmes titres et aux

mêmes conditions. Cette position n’est pas contredite1144 par la jurisprudence de la

première chambre civile précitée1145, laquelle a annulé, sur le fondement de la

prohibition des clauses léonines, des promesses unilatérales de rachat sèches1146, c’est-

à-dire non croisées.

544 - Selon certains auteurs, l’exigence de promesses croisées de rachat et de

vente, posée par la jurisprudence pour valider la stipulation de prix plancher dans les

conventions de portage, s’explique par le fait qu’elle permet de rétablir un aléa dès lors

que le porteur ne peut conserver les titres si ces derniers s’apprécient1147.

C’est également sur le fondement de l’existence d’un aléa, subi cette fois par le

partenaire débiteur du pacte, que la doctrine1148 justifie que les promesses unilatérales

de vente à prix fixé1149, de même que les pactes de préférence conclus à un tel prix,

hypothèse plus rare en pratique, ne sont pas concernés par la réglementation des

clauses léonines. En effet, faute d’être bénéficiaire d’une option dans le cadre de la

promesse unilatérale de vente, le promettant ne dispose pas de la faculté de choisir la

solution la plus opportune entre conclure la cession ou, au contraire, conserver ses

titres, selon que la valeur réelle de ces derniers est supérieure ou inférieure au prix

1142 Amorçant un revirement, voir Cass. com. 19 mai 1992, Bull. Joly, 1992, p. 779, note P. Le Cannu. 1143 Cass. com. 24 mai 1994, affaire SDBO, Bull. Joly, 1994, p. 797, note P. Le Cannu. 1144 En ce sens, F.-X. Lucas, op. cit. 1145 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1 . A in fine. 1146 Ainsi en était-il de l’affaire ayant successivement donné lieu aux arrêts Cass. 1ère civ. 7 avril 1987, Cour d’appel de Caen 16 janvier 1990 statuant renvoi, confirmée par Cass. 1ère civ. 16 décembre 1992, précités. Voir également, M. Jeantin, « Conventions de portage et droit des sociétés », RD bancaire et bourse, 1991, p. 125. 1147 En ce sens notamment, M. Jeantin, op. cit. 1148 En ce sens, H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, « Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires », Dr. sociétés, Actes prat. 10/1992, n°5 et 54, p. 13. 1149 Voir Cass. com. 8 mars 2005, pourvoi n°02-11.462, i nédit, statuant à propos d’une promesse de cession entre actionnaires à prix préfixé et concluant au caractère non-léonin (cité par A. Pietrancosta, « Promesses d’achat de droits sociaux et clauses léonines : critique d’une sollicitation excessive et hasardeuse de l’article 1844-1 du Code civil », Rev. Lamy. Dr. aff., 2006, n°1, p. 67 et s., n°9).

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261

garanti, tandis que dans le cadre d’un pacte de préférence, le promettant n’est pas

assuré de conclure la vente avec le bénéficiaire au prix préfixé s’il décide de vendre.

545 - Le Professeur Lucas, non convaincu par cette analyse fondée sur le maintien

d’un aléa, suggère, pour sa part, de voir dans la jurisprudence relative aux conventions

de portage les prémisses d’une distinction entre les actionnaires véritables ou

« authentiques »1150 et les investisseurs, simples bailleurs de fonds ne devant pas, à ce

titre, être soumis à l’ordre public sociétaire1151. Il est vrai que le porteur est un

actionnaire inerte, un sleeping partner qui renonce à exercer toute prérogative politique

au sein de la société1152 et à percevoir la part de bénéfices à laquelle il pourrait

prétendre en sa qualité d’actionnaire, le montant des dividendes perçus venant s’imputer

sur le prix de rachat1153.

Cette distinction entre les actionnaires authentiques et les bailleurs de fonds, dont nous

allons voir qu’elle est effectivement adoptée, depuis 2004, par la jurisprudence pour

apprécier la validité des promesses de rachat à prix plancher stipulées dans d’autres

types d’opérations entre actionnaires1154, n’a jamais été appliquée en matière de

conventions de portage reposant sur des promesses croisées. Bien plus, un arrêt de la

chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 22 février 20051155, non

publié1156, précise expressément, après avoir confirmé, selon une formule identique à

celle de l’arrêt SDBO du 24 mai 19941157, la validité des promesses croisées de rachat et

de vente à prix plancher stipulées dans le cadre d’une convention de portage pour

organiser la rétrocession des actions, que de telles promesses échappent aux

dispositions de l’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil.

546 - Les conventions de portage reposant sur des promesses croisées sont donc

placées hors du champ de la réglementation des clauses léonines. Il en résulterait un

bel avenir pour cette pratique du portage si la jurisprudence n’était pas venue, dans le

même temps, fragiliser les promesses croisées stipulées dans les mêmes termes en les

1150 F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières, LGDJ, 1997, n°392 et s. et article précité . 1151 F.-X. Lucas, op. cit. Voir également, H. Le Nabasque, Rev. sociétés, 2005, p. 593, n°7, note sous Cass. com. 22 février 2005, cité infra. 1152 Le porteur est bien titulaire des droits attachés aux titres, comme tout actionnaire, mais pour les exercer il a le devoir de se conformer aux instructions du donneur d’ordre. 1153 G. Goffaux-Callebaut, op. cit., n°545 et s. 1154 Voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect°1, § 2. B. 1155 Cass. com. 22 février 2005, arrêt Laurent c/ CRCAM du Morbihan, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque. 1156 Il convient de ne pas confondre l’arrêt Laurent c/ CRCAM du Morbihan avec l’arrêt Gontard rendu le même jour par la chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de clauses léonines, quant à lui publié : Cass. com. 22 février 2005, arrêt Gontard c/ M. Jean Papelier, dit également affaire Textilinter, cité infra, Bull. Joly, 2005, p. 961, note F.-X. Lucas. Voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect°1, § 2. B. 1157 Cass. com. 24 mai 1994, affaire SDBO, Bull. Joly, 1994, p. 797, note P. Le Cannu, précité.

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262

requalifiant en promesses synallagmatiques de vente valant vente1158. Cette

jurisprudence, contestable dans son fondement et critiquable par ses effets, devrait en

effet inciter les actionnaires à conclure des conventions de portage reposant sur des

promesses unilatérales de rachat à prix plancher sèches1159. Toutefois, on peut penser

que c’est grâce à la fiducie, intégrée dans notre droit par la loi du 19 février 20071160, à

des conditions assez restrictives1161 mais qui n’ont eu de cesse d’être assouplies1162,

que la pratique du portage devrait pouvoir acquérir1163 la sécurité qui lui fait défaut. En

effet, le porteur, qui interviendrait alors en qualité de fiduciaire, détiendrait la propriété

des titres sans pour autant avoir la qualité d’actionnaire faute d’être partie au contrat de

société, en conséquence de quoi la convention échapperait à la réglementation des

clauses léonines.

547 - En l’état actuel du droit positif, la Cour de cassation affranchit de la

réglementation des clauses léonines les promesses unilatérales d’achat à prix plancher

stipulées dans le cadre de transmissions échelonnées d’actions ainsi que celles qui sont

croisées avec une promesse de vente stipulées aux même conditions dans le cadre de

conventions de portage. Si le fondement de ce recul de la réglementation des clauses

léonines n’est pas évident à apprécier, l’assouplissement qui a suivi du régime de la

prohibition confirme la volonté de la jurisprudence de faire preuve de davantage

d’indulgence en la matière afin de favoriser la pratique des pactes d’actionnaires.

En effet, les autres pactes d’actionnaires conclus sous la forme de promesses

unilatérales d’achat à prix plancher, tels que les pactes de retrait1164 profitant aux

investisseurs dans le cadre des opérations de capital-investissement1165, demeurent

1158 Cass. com. 22 novembre 2005, JCP, éd. E, 2006, 1463, note A. Constantin, confirmant Cass. com. 16 janvier 1990, RTD civ., 1990, p. 463, note J. Mestre. Voir également Cour d’appel de Versailles 9 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 39, note P. Mousseron. 1159 Sur la validité desquelles, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect°1, § 2. B. et F.-X. Lucas, Bull Joly, 2007, p. 610, note sous Cass. com. 23 janvier 2007. 1160 Loi n°2007-211 du 19 février 2007 modifiée et comp létée par la loi LME du 4 août 2008, l’ordonnance du 30 janvier 2009 et la loi du 12 mai 2009. L’article 2011 du Code civil définit la fiducie comme « L’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents et futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». 1161 A l’origine, le constituant ne pouvait être qu’une personne morale soumise à l’IS. 1162 La fiducie peut à ce jour servir pour la constitution de sûreté ou pour la gestion de certains biens. Le constituant peut désormais être une personne morale ou une personne physique (loi LME du 4 août 2008). Les fiduciaires, limitativement énumérés par la loi, peuvent être les établissements de crédit, certajnes institutions mentionnées à l’article L 518-1du Code monétaire et financier, les entreprises d’investissement et d’assurance et les avocats. 1163 La fiducie ne peut à ce jour servir d’alternative à toutes les conventions de portage. En effet, le fiduciaire ne peut avancer au constituant les fonds permettant l’acquisition des titres dès lors que la fiducie requiert un transfert de droits de la part du constituant au profit du bénéficiaire. C’est à cette seule condition que la fiducie peut servir une opération de gestion ou de sûreté. (En ce sens, F. Barrière, « Commentaire sur la loi n°2007-211 du 19 février 2007 (première partie), Bull. Joly, 2007, p. 440, A. 1.2). Voir également, F.-X. Lucas, Bull Joly, 2007, p. 610, note sous Cass. com.23 janvier 2007. 1164 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1 . B 1165 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. B.

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263

soumis à la prohibition mais la Cour de cassation en admet désormais la validité sous

certaines conditions.

§ 2. L’assouplissement de la prohibition des clause s léonines

548 - L’affranchissement de la réglementation des clauses léonines, initié par la

jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation en 86, pour les

pactes d’actionnaires ayant pour objet la transmission de titres s’avère être limité à

certaines opérations particulières. En effet, les promesses d’achat à prix plancher entre

actionnaires n’échappent pas toutes, par principe, à l’article 1844-1 alinéa 2 du Code

civil du seul fait qu’elles ont pour objet d’organiser une transmission de titres.

Si, dans le principe, l’application de la prohibition des clauses léonines aux cessions de

titres ne fait pas l’unanimité (A), la jurisprudence s’est remarquablement assouplie

puisqu’elle reconnaît, depuis 2004, la validité des promesses unilatérales de rachat à

prix plancher entre actionnaires sous certaines conditions (B).

A. Les doutes relatifs à la prohibition des clauses léonines dans les cessions de titres

549 - Les promesses unilatérales de rachat à prix plancher stipulées dans le cadre

d’opérations autres que celles qui assurent la transmission échelonnée des titres d’une

société ou que celles qui, dans le cadre d’un portage d’actions, ne sont pas croisées

avec une promesse unilatérale de vente conclue aux mêmes conditions1166, entrent dans

le domaine d’application de la prohibition des clauses léonines.

Il s’agit notamment des pactes de retrait conclus au profit des investisseurs dans le

cadre des opérations de capital-investissement afin d’aménager, soit la sortie

prématurée de l’investisseur à des conditions de risque atténué, soit la sortie de ce

dernier dans des conditions préférentielles au terme de l’opération de financement1167. A

cet effet, les actionnaires majoritaires et dirigeants consentent à l’investisseur, en

contrepartie du bénéfice de nouveaux moyens de financement en fonds propres, une

promesse unilatérale de rachat à prix plancher garantissant, outre le remboursement de

l’apport réalisé, la rémunération du service financier rendu par l’investisseur1168.

Le risque de nullité, au regard de la prohibition des clauses léonines, est alors encouru

pour les seules promesses unilatérales de rachat entre actionnaires conclues à un prix

1166 Lesquelles devraient être, lorsque cela est possible, supplantées par le recours à la fiducie (voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B). 1167 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. B. et Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 1. B. 1168 Pour un exemple de prix plancher égal au montant de l’investissement augmenté d’un intérêt de 14% par an sur trois ans, voir Cass. com. 16 novembre 2004, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque.

Page 264: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

264

plancher d’une valeur au moins égale au prix auquel le bénéficiaire-cédant a acquis les

titres objets du rachat1169. C’est en effet dans cette seule hypothèse que le bénéficiaire

du pacte a l’assurance d’échapper à l’incidence que d’éventuelles pertes sociales

auraient sur la valeur des titres qu’il revend et est ainsi garanti contre toute moins-value

de cession.

550 - L’annulation, sur le fondement de la prohibition des clauses léonines, des

promesses unilatérales entre actionnaires organisant un rachat d’actions à prix plancher,

la promesse étant nulle en conséquence de ce que la clause de prix serait réputée non

écrite1170, menace ainsi un certain nombre de pactes essentiels à la pratique des

affaires1171. La jurisprudence intègre en effet dans le champ de l’article 1844-1 alinéa 2

du Code civil tous les pactes d’actionnaires relatifs aux cessions de droits sociaux

susceptibles d’exonérer un actionnaire de sa contribution aux pertes, autres que ceux

expressément affranchis de la réglementation des clauses léonines en vertu des arrêts

de principe Bowater et SDBO de 1986 et 1994.

La soumission de ces pactes à la prohibition des clauses léonines est critiquée par le

Professeur Guyon, selon lequel une interprétation stricte de l’alinéa 2 de l’article 1844-1

du Code civil devrait prévaloir et commande de limiter la prohibition énoncée par ce

texte aux seules clauses statutaires directement relatives à la répartition des bénéfices

et des pertes1172. Mais on l’a dit, la localisation statutaire ou extra-statutaire de la clause

a toujours été indifférente pour la jurisprudence1173 et il est en effet concevable que des

dispositions extra-statutaires concernent directement la répartition des bénéfices et des

pertes1174. Ce qui importe c’est de savoir si la réglementation des clauses léonines

conserve sa raison d ‘être dans les cessions entre actionnaires.

1169 En ce sens également, voir P. Didier, Droit commercial, T 2, L’entreprise en société, Les groupes de société, PUF, coll. Thémis, 3ème éd., 1993, p. 64 et F.-D. Poitrinal, « Cession d’entreprise : les conventions de earn out », JCP, éd. E., 1999, p. 1, 1. C. 1170 Rappelons que la nulité d’une promesse reconnue comme léonine n’atteindra pas le reste du pacte si cette promesse n’est pas considérée par les juges comme constituant un élément déterminant pour le pacte tout entier. Par précaution, il est préférable de stipuler que les promesses unilatérales d’achat à prix plancher ne présentent pas un caractère déterminant pour le pacte et d’ajouter que les clauses du pacte sont indépendantes les unes des autres. 1171 « L’antique prohibition des pactes léonins, pour aussi légitime que son fondement puisse apparaître, constitue encore aujourd’hui un véritable boulet dans la vie des affaires » (A. Couret, Bull. Joly, 2006, p. 92, note sous Cass. com. 27 septembre 2005, affaire BSA Bourguoin, cité infra). 1172 En ce sens, Y. Guyon, op. cit., n°198 et 209 et note sous Cass. com. 19 octobre 1 999, JCP, éd. E, 1999, p. 2067, 2, selon lequel étendre l’application de la prohibition des clauses léonines aux conventions extra-statutaires entre actionnaires reviendrait à « frapper ceux-ci d’une interdiction de contracter non prévue par la loi ». 1173 Voir les arrêts Cass. req. 14 juin 1882 ; Cass. civ. 16 juillet 1894 ; Cass. req. 9 avril 1941 ; Cour d’appel de Paris 5 décembre 1983 et Cour d’appel de Paris 22 octobre 1996, précités. 1174 Ainsi en est-il notamment des dispositions extra-statutaires relatives à la distribution des dividendes que nous ne traitons pas dans cette étude (sur cette question, voir Y. Guyon, op. cit., n°238).

Page 265: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

265

Or, l’application extensive1175 de la prohibition des clauses léonines aux pactes

organisant un rachat d’actions à prix plancher entre actionnaires ne s’impose pas d’elle-

même, tant au regard de la lettre qu’au regard de l’esprit de la loi.

551 - D’une part, au regard de la lettre de la loi, la fixation d’un prix plancher dans

une promesse de rachat de droits sociaux entre actionnaires ne permet qu’une

exonération limitée de la contribution aux pertes par le bénéficiaire, laquelle n’est pas

sanctionnée. En effet, tant qu’il n’a pas levé son option, le bénéficiaire demeure soumis

aux aléas de la conjoncture et notamment au risque de voir ses titres disparaître par

suite d’une liquidation judiciaire ou d’une opération de réduction du capital social

motivée par des pertes. A ce titre, un arrêt a expressément retenu, confirmant la

tendance de la jurisprudence à apprécier largement le concept de contribution aux

pertes, que cette contribution recouvre tout autant la disparition que la dépréciation des

titres1176. Mais la disparition des titres sociaux demeure, pour certains, un risque

théorique1177. Plus fondamentalement, une fraction non négligeable de la doctrine

désapprouve le lien établi par la jurisprudence entre les bénéfices ou les pertes réalisés

par la société et les plus ou moins-values réalisées sur la cession de leurs titres sociaux

par les actionnaires1178. En effet, établir une « corrélation mécanique entre l’état du

patrimoine social et l’évolution du prix des titres sociaux »1179 revient à négliger les

divers éléments, autres que les pertes sociales, dont dépend la valeur vénale des titres,

tels que l'anticipation des gains futurs1180.

552 - D’autre part, au regard de l’esprit de la réglementation, certains auteurs vont

plus loin et affirment que la prohibition des clauses léonines est tout bonnement

« incompatible »1181 avec les cessions de droits sociaux1182. Se fondant sur ce que

1175 A. Pietrancosta vise une « sollicitation excessive et hasardeuse », op. cit. 1176 Cass. com. 22 février 2005, arrêt Gontard c/ M. Jean Papelier, Bull. Joly, 2005, p. 961, note F.-X. Lucas ; JCP, éd. E, 2005, n°938, note H. Hovasse ; Dr. sociétés, 2005, comm. 107, G. Trébulle et Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque. 1177 H. Le Nabasque, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note précitée sous Cass. com. 22 février 2005. Contra, G. Trébulle, commentaire précité sous Cass. com. 22 février 2005, citant un arrêt ayant eu à statuer sur une telle disparition des titres (Cass. com. 10 octobre 2000, Dr. sociétés, 2001, comm. 20, note T. Bonneau). Pour un autre exemple, voir Cass. com. 18 juin 2002, JCP, éd. E, 2002, 1556, note A. Viandier. 1178 Notamment, Th. Massart, Bull. Joly, 2002, p. 499 note sous Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001 confirmé par Cass. com. 27 septembre 2005, affaire BSA Bourgouin, cité infra ; H. Hovasse, note précitée sous Cass. com. 22 février 2005 ; A. Pietrancosta, op. cit, n°14 et P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, « Les promesses d'achat de droits sociaux à prix plancher à l'épreuve de l'interdiction des clauses léonines », RDC, 2007, p. 955, n°12. 1179 A. Pietrancosta, op. cit, n°14. 1180 P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, op. cit., n°12. 1181 G. Trébulle, commentaire précité sous Cass. com. 22 février 2005. 1182 En ce sens, se référant expressément à la ratio legis de l’article 1844-1 du Code civil, voir M. Germain, JCP, éd. N, 1986.II. 221, note sous Cass. com. 20 mai 1986, affaire Bowater, précité.

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266

l’obligation de contribuer aux pertes est attachée au titre lui-même1183, un auteur en

déduit qu’à l’égard de la société et des autres actionnaires, il importe peu de savoir qui

du cédant ou du cessionnaire contribue aux pertes dès lors que l’un d’entre deux y

contribue effectivement1184. En ce sens, un arrêt de la Cour d’appel de Paris, en date du

18 octobre 1996, précise que les promesses de rachat « n’ont aucune incidence sur les

actes des sociétés auxquels elles sont étrangères et n’influent ni sur la répartition des

bénéfices ni sur la contribution aux pertes des sociétés et échappent ainsi aux

prévisions de l’article 1844-1, 2è al. du Code civil, pour ne régir que les rapports entre

cédant et cessionnaire et non pas les droits et obligations des associés à l’égard des

sociétés »1185. Cet arrêt démontrerait, selon cet auteur, la volonté des juges de

restreindre l’encadrement de la validité de ces promesses par le droit de la vente seul,

l’ordre public sociétaire n’étant pas en cause1186.

553 - Il s’avère, par ailleurs, que cette affaire est l’une des premières, semble-t-il, à

avoir conduit la Cour de cassation à se prononcer sur les promesses unilatérales de

rachat à prix plancher stipulées dans le cadre d’opérations de capital-investissement1187.

La chambre commerciale de la Cour de cassation approuve en effet, dans un arrêt du

19 octobre 1999, les juges du fond d’avoir validé la promesse litigieuse, en reprenant la

formule de l’arrêt Bowater, selon laquelle cette promesse, qui avait pour objet d’assurer

la transmission d’actions, était sans incidence sur la répartition des résultats, après avoir

relevé en outre que la Cour d’appel avait bien fait ressortir que cette promesse «avait

pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties »1188. Dans

cette solution, la chambre commerciale ne précise pas aussi clairement que les juges du

fond ne l’avaient fait, dans l’arrêt précité du 18 octobre 1996, que la promesse n’entrait

pas dans le champ de la réglementation des clauses léonines. Cela pouvait toutefois se

déduire de la reprise de la formule inaugurée par l’arrêt Bowater. Par ailleurs, l’arrêt de

la chambre commerciale fait pour la première fois référence à l’équilibre des

conventions. Cet équilibre revêtait une dimension particulière, en l’espèce, dès lors que

l’apport en capitaux effectué par les investisseurs, qui suffisamment conséquent pour

1183 G. Trébulle, commentaire précité sous Cass. com. 22 février 2005. 1184 Dans le même sens, P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, op. cit., n°11, lesquels précisent avoir peine à voir ce qu'il y a de léonin dans les promesses unilatérales de rachat à prix plancher, que ces dernières soient consenties par un tiers ou par un actionnaire. 1185 Cour d’appel de Paris 18 octobre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 11, note N. Rontchevsky, confirmé par Cass. com. 19 octobre 1999, JCP, éd. E, 1999, p. 2067, note Y. Guyon (cité infra). 1186 G. Trébulle, commentaire précité sous Cass. com. 22 février 2005. En ce sens également, D. Randoux, selon lequel « la prohibition de la clause léonine ne s’applique qu’au seul contrat de société », Rev. sociétés, 1986, p. 587, note précitée sous Cass. com. 20 mai 1986, affaire Bowater. 1187 Précédemment, voir Cour d’appel de Paris 17 octobre 1996, Bull. Joly, 1996, p. 807, note A. Couret. 1188 Cass. com. 19 octobre 1999, JCP, éd. E, 1999, p. 2067, note Y. Guyon, confirmant Cour d’appel de Paris 18 octobre 1996, précité.

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267

rendre ces derniers majoritaires dans la société, ne leur conférait qu’un niveau de

participation dilué en capital et en droits de vote, sûrement justifié par le versement

d’une importante prime d’émission1189 comme cela est courant dans les opérations de

financement1190, en contrepartie de quoi, l’actionnaire fondateur, qui avait ainsi pu

conserver le contrôle de la société, s’était engagé à accorder aux investisseurs une

faculté de retrait à prix garanti. Cet arrêt laissait présager pour les promesses de rachat

à prix plancher intervenant dans le cadre d’opérations de capital-investissement, un

traitement jurisprudentiel identique à celui des promesses organisant une cession

échelonnées de titres1191.

554 - Pourtant, à partir de 2004, la Cour de cassation est venue encadrer par

certaines conditions la validité des promesses unilatérales de rachat à prix plancher

figurant dans les opérations de capital-investissement et celles, non assorties d’une

promesse croisée de vente, figurant dans les opérations de portage. Intégrant ainsi ces

promesses dans le domaine de la prohibition des clauses léonines pour en conditionner

la validité, la Cour de cassation infléchit sa position bienveillante adoptée dans l’arrêt

Bowater et confirmée jusqu’alors, dont on avait pu penser qu’elle était générale. Une

telle généralisation n’a toutefois jamais été acquise en droit positif et les fondements de

cette indulgence démontrée par la jurisprudence dans l’arrêt Bowater et confirmée dans

l’arrêt SDBO demeurent confus. De plus, au regard de la rigidité qui, historiquement, a

caractérisé pendant plus d’un siècle la jurisprudence relative à la réglementation des

clauses léonines, l’admission sous condition de la validité des promesses unilatérales de

rachat à prix plancher marque assurément un assouplissement de la prohibition des

clauses léonines.

B. L’infléchissement jurisprudentiel de la prohibition des clauses léonines

555 - Cette évolution de la jurisprudence en faveur de la reconnaissance de la

validité, sous certaines conditions, des promesses unilatérales de rachat à prix plancher

entre actionnaires est accueillie avec enthousiasme par une partie de la doctrine, et

notamment par le Professeur Lucas, s’agissant en particulier des conditions de validité

1189 Cette particularité nous permet notamment de conclure que le litige était intervenu dans le cadre d’une opération de financement par capital-investissement et non pas dans le cadre d’une cession de contrôle. En ce sens, A. Pietrancosta, n°7. Contra, M. Germain, op. cit., n°1056-47. 1190 Voir A. Pietrancosta, op. cit, n°14. 1191 Précisons que l’équilibre des conventions ne peut pas être érigé en condition de validité des promesses unilatérales de rachat à prix plancher entre actionnaires au regard de la prohibition des clauses léonines. La notion d’équilibre est en effet impuissante à jouer un tel rôle dès lors que la prohibition ne condamne pas le seul déséquilibre mais soit l’affranchissement total soit la charge exclusive de la contribution aux pertes (en ce sens, A. Pietrancosta, op. cit, n°14).

Page 268: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

268

énoncées. Nous l’avons dit, le Professeur Lucas avait discerné dans la jurisprudence

antérieure relative aux conventions de portage les prémisses d’une distinction entre les

promesses consenties au profit d’actionnaires véritables et celles consenties au profit

d’investisseurs, simples bailleurs de fonds1192.

Or c’est bien le raisonnement annoncé par cette doctrine que semble consacrer, pour la

première fois1193, la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt

remarqué, en date du 16 novembre 2004, dans lequel elle reconnaît la validité de la

promesse unilatérale de rachat d’actions à prix plancher consentie par des actionnaires

fondateurs à un investisseur, dans le cadre d’une opération de capital-investissement,

au motif que cette promesse « avait pour objet, en fixant un prix minimum de cession,

d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties en assurant à M. X,

lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel

il n’aurait pas consenti sans cette condition déterminante »1194.

La netteté de la solution est toutefois troublée par le fait que la chambre commerciale

poursuit en reprenant la formule consacrée par l’arrêt Bowater et en ajoutant qu’il

importait peu, au regard du défaut d’incidence sur la répartition des résultats de la

stipulation de prix plancher, que la promesse soit unilatérale. La formulation de cette

solution, mélange d’éléments anciens, par la reprise de la formule inaugurée dans l’arrêt

Bowater, et d’éléments nouveaux tenant, d’une part, à la qualité de bailleur de fonds du

bénéficiaire de la promesse et, d’autre part, au caractère déterminant de l’octroi de cette

promesse pour l’opération d’investissement, tout en confirmant la référence récente à

l’équilibre des conventions1195, laisse perplexe1196. L’on pouvait en effet tout autant

analyser cet arrêt comme l’expression de la volonté de la Cour de cassation d’étendre la

solution énoncée dans l’arrêt Bowater à d’autres promesses de rachat à prix plancher

que celles jusqu’alors expressément affranchies de la réglementation, qu’au contraire,

comme la reconnaissance de ce que ces autres promesses étaient bien concernées par

la réglementation des clauses léonines.

556 - C’est cette seconde proposition que la chambre commerciale n’a pas tardé à

confirmer. Les promesses unilatérales de rachat à prix plancher stipulées dans le cadre

des conventions de capital-investissement ou dans le cadre des conventions de portage

lorsque, pour ces dernières, ces promesses sont sèches, entrent dans le champ de la

1192 F.-X. Lucas, article précité, JCP, éd. E, 2000, n°5, p. 171. 1193 Voir cependant, Cass. com. 12 décembre 1978, Bull. civ., IV, n°306, cité par F.-X. Lucas, op. cit. 1194 Cass. com. 16 novembre 2004, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque. 1195 En l’espèce, la contrepartie que l’investisseur trouvait au versement d’une prime d’émission de 2250 Frs par action, pour un nominal de 100 Frs, non justifiée par ailleurs par le niveau des fonds propres de la société, résidait dans l’octroi de cette promesse unilatérale de rachat à prix plancher. 1196 H. Le Nabasque, note précitée, n°9.

Page 269: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

269

réglementation des clauses léonines et n’échappent à la prohibition qu’à certaines

conditions.

En effet, dans un arrêt en date du 27 septembre 20051197, statuant dans le cadre du

recours à une opération de capital-investissement par la société BSA Bourgoin, la

chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir décidé

que la stipulation d’un prix minimum de cession, dans la promesse unilatérale d’achat

conclue au profit de l’investisseur, ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-

1 du Code civil. La chambre commerciale précise qu’il importait peu, à cet égard, que la

promesse litigieuse ait un caractère unilatéral dès lors que la cour avait relevé que cette

dernière tendait à assurer à son bénéficiaire, « qui est avant tout un bailleur de fonds, le

remboursement de l’investissement auquel [ce dernier] n’aurait pas consenti sans ce

désengagement déterminant, et retenu que cette promesse avait ainsi pour objet

d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties ». Cet arrêt confirme le

caractère conditionnel de la validité, au regard de la prohibition des clauses léonines,

des promesses unilatérales d’achat à prix plancher conclues dans le cadre d’opérations

d’investissement assurant avant tout un service financier.

Les deux conditions1198 cumulatives au respect desquelles la chambre commerciale

subordonne la validité de telles promesses ressortent clairement des arrêts des 16

novembre 2004 et 27 septembre 2005 : la qualité de bailleur de fonds du bénéficiaire de

la promesse, d’une part, et l’exigence du bénéfice d’une faculté de désengagement

posée comme condition de son apport de fonds par l’investisseur, d’autre part.

557 - La première condition est relative à la qualité de bailleur de fonds du

bénéficiaire de la promesse. Elle renvoie à la cause subjective autrement dit aux

mobiles ayant déterminé ce dernier à entrer au capital de la société. Cette condition est

assimilée par une partie de la doctrine, représentée par le Professeur Lucas, à celle de

l’existence d’un faible affectio societatis voire de l’absence d’affectio societatis pour

l’actionnaire bénéficiaire1199. Mais à la différence de cette doctrine, selon laquelle les

bailleurs de fonds n’ont pas à être inquiétés par la réglementation des clauses léonines

en raison de ce qu’ils sont dépourvus d’un « authentique »1200 affectio societatis, la

jurisprudence semble au contraire considérer que ces actionnaires sont bien, par

1197 Cass. com. 27 septembre 2005, BSA Bourgoin, Bull. Joly, 2006, p. 92, note A. Couret et Dr. sociétés, 2005, comm. 210, H. Lécuyer, confirmant Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, Bull. Joly, 2002, p. 499, note Th. Massart, précité. 1198 On l’a dit, l’équilibre des conventions ne peut constituer une condition autonome de validité des promesses unilatérales de rachat à prix plancher (voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect°1, § 2. A, note de bas de page sous Cass. com. 19 octobre 1999, précité). 1199 F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières, LGDJ, 1997, n°314 et « Du contrat de société au contrat d’investissement’’, RD bancaire et fin., 2005, p. 50, n°13 et 14. 1200 F.-X. Lucas, op. cit., n°14.

Page 270: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

270

principe et tout autant que les actionnaires authentiques, soumis à la prohibition,

l’exonération n’étant admise que sous conditions. Par ailleurs, il nous paraît plus juste

de raisonner en termes d’intérêt commun, la notion prétorienne d’affectio societatis étant

fortement remise en cause en droit positif1201. Or, au regard de la poursuite de l’intérêt

commun, il nous semble que rien ne distingue le bailleur de fonds du véritable

actionnaire, tous deux sont en effet animés par la poursuite de ce même intérêt, celui de

retirer un enrichissement individuel de l’enrichissement collectif1202.

La seconde condition, relative à l’exigence posée par l’investisseur du bénéfice d’une

faculté de désengagement, renvoie à la cause objective de la mise à disposition de

fonds par ce dernier au profit de la société. C’est cette exigence, combinée à la

référence faite à l’équilibre des conventions, qui donne toute sa signification à la notion

d’investissement employée par la Cour de cassation. Il s’agit en effet d’un

investissement d’une nature bien particulière puisqu’il confère à l’apporteur de fonds la

qualité d’actionnaire de la société dans des conditions désavantageuses à certains

égards pour ce dernier, l’investisseur renonçant à détenir un niveau de participation

proportionnel au montant des fonds apportés, lequel désavantage se trouve compensé

par l’octroi à l’apporteur de fonds de la faculté de désengagement exigée en contrepartie

par ce dernier, au moyen d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher.

558 - Il nous semble que la réunion de ces deux conditions est également

susceptible de valider les promesses unilatérales de rachat à prix plancher, non croisées

avec une promesse unilatérale de vente stipulée dans les mêmes termes, dans le cadre

d’opérations de portage1203. Mais il n’existe pas, à notre connaissance, de décision de

jurisprudence ayant eu à statuer dans une telle hypothèse depuis l’évolution opérée par

l’arrêt précité du 16 novembre 20041204.

C’est dans une situation proche mais différente de cette hypothèse exacte, alors que

régnaient encore les incertitudes soulevées par l’arrêt du 16 novembre 2004, avant que

la chambre commerciale ne rende l’arrêt précité du 27 septembre 20051205, qu’un autre

arrêt de cette chambre, en date du 22 février 2005, relatif à l’affaire Gontard1206, avait

1201 Voir notamment, V. Cuisinier, L’affectio societatis, Litec, 2008 et Cass. com. 9 juin 2009, Bull. Joly, 2009, p. 958, note B. Dondero, précité, adoptant une conception très simplifiée de l’affectio societatis. 1202 Voir notamment, D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n°4, 5 et 8. 1203 Du même avis, F.-X. Lucas, Bull Joly, 2007, p. 610, note sous Cass. com. 23 janvier 2007. 1204 Cass. com. 16 novembre 2004, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque, précité. 1205 Cass. com. 27 septembre 2005, BSA Bourgoin confirmant Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001, précités. 1206 Cass. com. 22 février 2005, arrêt Gontard c/ M. Jean Papelier, dit également affaire Textilinter, Bull. Joly, 2005, p. 961, note F.-X. Lucas ; Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque. A ne pas confondre avec l’arrêt Cass. com. 22 février 2005, arrêt Laurent c/ CRCAM du Morbihan, cité supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1, § 1. B (relatif à une convention de portage également mais reposant sur des promesses croisées de rachat et de vente à prix plancher, commenté par H. Le Nabasque dans la même note).

Page 271: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

271

achevé de semer la confusion1207. Cet arrêt, qui met un terme à un litige ayant fait l’objet

de nombreuses décisions1208, valide une promesse unilatérale de rachat à prix plancher,

sans se soucier, ni de l’absence de conclusion d’une promesse de vente croisée et de

l’objet de la promesse, éléments dégagés par les solutions de principe Bowater et

SDBO, d’une part, ni de la qualité de bailleurs de fonds et de la nature de

l’investissement opéré par le bénéficiaire de la promesse, selon les conditions de

validité, encore incertaines, exprimées depuis peu, d’autre part. La chambre

commerciale se contente de désapprouver la Cour d’appel d’avoir considéré que la

promesse était léonine alors même qu’elle avait constaté que son bénéficiaire, « ne

pouvait lever l’option qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un certain temps, ce

dont il résulte qu’il restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou

de dépréciation des actions »1209.

Pour autant, il apparaît que l’arrêt Gontard daté du 22 février 2005 ne remet pas en

cause le raisonnement initié, quelque mois auparavant, par la chambre commerciale en

matière de capital-investissement, lequel sera ultérieurement confirmé par l’arrêt précité

du 27 septembre 2005. Il ne remet pas non plus en cause la solution énoncée par l’arrêt

SDBO, reprise par la chambre commerciale, dans un autre arrêt daté du 22 février 2005,

relatif à l’affaire Laurent1210 précitée, lequel confirme que sont expressément placées en

dehors du champ de la réglementation des clauses léonines, les promesses croisées à

prix plancher stipulées dans le cadre des conventions de portage. En effet, dans l’affaire

Gontard, les juges du fond avaient constaté l’absence de stipulation d’une promesse de

vente croisée, ce dont il résultait que la promesse de rachat entrait dans le champ de la

prohibition, et l’opération, si elle présentait certaines caractéristiques du portage ne

remplissait pas les nouvelles conditions dégagées par la jurisprudence relatives à la

qualité de bailleur de fonds et à la nature de l’investissement. Plus précisément, il

résultait des constatations des juges du fond, lesquels avaient d’ailleurs refusé de

qualifier l’opération de portage1211, que le bénéficiaire de la promesse, personne

physique et actionnaire « historique », s’était impliqué dans les affaires sociales et avait

notamment accepté, dès son entrée au capital, la fonction de président du conseil de

surveillance. La chambre commerciale se trouve donc à devoir rechercher si la

promesse tombe sous le coup de la prohibition des pactes léonins en ce qu’elle soustrait

1207 Voir notamment, H. Le Nabasque, note précitée. 1208 Antérieurement, dans la même affaire, voir Cour d’appel de Paris 22 octobre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 15, note P. Le Cannu; Cass. com. 16 novembre 1999, JCP, éd. E, 1999, p. 2067, note Y. Guyon; Cour d’appel de Versailles, 17 février 2002, RJDA, 8-9, n°890, p. 756 cassé par Cass. com. 22 févrie r 2005, arrêt Gontard, précité. 1209 Cass. com. 22 février 2005, arrêt Gontard c/ M. Jean Papelier, précité. 1210 Cass. com. 22 février 2005, arrêt Laurent c/ CRCAM du Morbihan, précité, relatif à une convention de portage reposant sur des promesses croisées de rachat et de vente à prix plancher. 1211 Cass. com. 16 novembre 1999, précité.

Page 272: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

272

son bénéficiaire à tout risque de perte, contrairement à ce que commande la qualité

d’actionnaire authentique. Et sur ce point, la chambre commerciale retient que cette

promesse, dont l’option est encadrée temporellement dans une fenêtre d’exercice, n’a

pas pour effet d’affranchir son bénéficiaire de tout aléa social, ce dernier restant soumis,

en dehors de cette fenêtre, au risque tenant à la disparition ou à la dépréciation des

actions. Il résulte de cette condition de validité qu’un grand nombre de promesses

unilatérales de rachat conclues à prix plancher entre actionnaires n’ayant pas la qualité

de bailleur de fonds, soit entre actionnaires authentiques, devrait échapper à la

prohibition tant il est usuel d’encadrer dans le temps l’exercice de l’option conférée par

ces promesses1212.

559 - Au final, il est possible de trouver une certaine cohérence1213 dans les

différentes solutions énoncées en quelques mois par la chambre commerciale de la

Cour de cassation à la suite de l’arrêt du 16 novembre 2004, lequel marque le début de

la prise en compte, par cette même chambre, du profil des actionnaires bénéficiaires de

la promesse unilatérale de rachat à prix plancher. Plus largement, la jurisprudence de la

Cour de cassation paraît bien présenter dans son ensemble, depuis l’infléchissement de

sa rigueur initié en 1986 par l’arrêt Bowater, une homogénéité tant au regard du

domaine de la réglementation des clauses léonines, qu’au regard des conditions

entourant la validité des promesses unilatérales d’achat à prix plancher concernées par

la prohibition.

Deux arrêts plus récents sont d’ailleurs venus confirmer la constance de ces solutions.

Ainsi, dans un arrêt en date du 15 mai 2008, statuant dans le cadre d’une opération de

capital-investissement1214, la première chambre civile de la Cour de cassation, laquelle

n’avait pas été amenée à se prononcer sur la question des clauses léonines depuis

longue date1215, reprend les solutions récemment dégagées par la chambre commerciale

pour conclure au caractère non léonin de la promesse unilatérale de rachat profitant à

un investisseur, dont les juges du fond avaient reconnu la qualité d’actionnaire

authentique, au motif que cette faculté de rachat, encadrée dans le temps, n’était pas de

nature à exonérer le bénéficiaire de tout risque de perte.

1212 En ce sens également, H. Le Nabasque, note précitée, n°11 et A. Couret, note précitée. Rappelons que dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente ou d’achat, la stipulation d’un délai pour la levée d’option n’est pas requise ad validitatem. A défaut, le droit d’option se prescrit selon le droit commun, le promettant étant en droit de mettre le bénéficiaire en demeure de se prononcer (F. Collart-Dutilleul, « La durée des promesses de contrat », RDC, 2004, p. 15) 1213 Voir notamment la synthèse de cette évolution proposée par H. Lécuyer “Promesse unilatérale d’achat d’actions et sanction des clauses léonines”, Dr. sociétés, 2005, comm. 210, sous Cass. com. 27 septembre 2005 (affaire BSA Bourguoin). 1214 Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, Bull. Joly, 2009, p. 43, note P. Le Cannu. 1215 Pour le dernier arrêt en date, à notre connaissance, voir Cass. 1ère civ. 29 octobre 1990, Bull. Joly, 1990, p. 1053.

Page 273: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

273

Plus récemment, dans un arrêt en date du 3 mars 2009, intervenant dans le cadre d’une

opération de capital-investissement, la chambre commerciale de la Cour de cassation

reconnaît la validité des promesses unilatérales d’achat à prix plancher consenties aux

investisseurs1216, en reprenant la formule énoncée dans l’arrêt du 27 septembre

20051217. Il est en outre remarquable que par cet arrêt, la chambre commerciale

confirme l’abandon, initié dans l’arrêt du 27 septembre 2005 précité, de la référence, qui

était devenue usuelle depuis l’arrêt Bowater, au défaut d’incidence qu’une telle

promesse pourrait avoir en raison de son objet sur la répartition des résultats.

560 - Sur ce point, la jurisprudence paraît admettre le caractère par essence léonin

de toute promesse de rachat stipulée pour un prix plancher supérieur au prix

d’acquisition. Il semble alors bien établi, qu’en cours de vie sociale, le bénéfice d’une

option de vente à un prix ainsi garanti est de nature, sauf à ce que l’exercice de l’option

soit encadré dans une fenêtre temporelle d’exercice, à exonérer totalement l’actionnaire

de sa contribution aux pertes sociales.

Dès lors, il est permis de s’interroger sur la cohérence de cette dichotomie opérée par la

jurisprudence entre les promesses de rachat à prix plancher dont l’objet ôte toute raison

d’être à la réglementation des clauses léonines et les autres promesses, pleinement

concernées par la prohibition. En effet, s’il est possible de trouver une certaine

homogénéité dans cette évolution jurisprudentielle, on peut regretter le manque de clarté

des solutions quant à leurs fondements ainsi que les difficultés pratiques auxquelles

donne lieu leur mise en application.

561 - N’aurait-il pas été plus cohérent de reconnaître que les promesses extra-

statutaires de rachat d’actions à prix plancher, bien qu’elles soient léonines par nature

échappent, sauf fraude, à la prohibition en raison de l’esprit de la loi ? C’est en effet, la

ratio legis de l’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil qui, selon le Professeur Germain1218,

préside à la solution énoncée dans l’arrêt Bowater : « la cour d’appel n’avait pas à

vérifier si la fixation […] d’un prix minimum, avait pour effet de libérer le cédant de toute

contributions aux pertes sociales dès lors qu’elle constatait que la convention litigieuse

1216 Cass. com. 3 mars 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 110, M.-L. Coquelet, selon lequel : « Ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil les promesses d’achat qui ont eu pour objet d’assurer l’équilibre des engagements en garantissant aux bénéficiaires, qui ont été avant tout dans cette opération des bailleurs de fonds, le remboursement de l’investissement auquel ils n’auraient pas consenti sans lesdites promesses ». L’arrêt ajoute en outre : « les promesses d’achat ne sont donc que la contrepartie du service financier ». 1217 Cass. com. 22 février 2005, arrêt Gontard c/ M. Jean Papelier, dit également affaire Textilinter, Bull. Joly, 2005, p. 961, note F.-X. Lucas ; Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque, précité. 1218 M. Germain, JCP, éd. N, 1986.II.221, note précitée sous Cass. com. 20 mai 1986.

Page 274: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

274

constituait une cession »1219, laquelle solution semble devoir être généralisée à toutes

les cessions d’actions1220 « sauf à remettre en cause le principe même de la cessibilité

des droits sociaux »1221. Au regard du fonctionnement de l’organisation sociale et en

particulier, à l’égard de la société et des autres actionnaires1222, il importe peu, nous

l’avons précisé, de savoir qui du cédant ou du cessionnaire contribue aux pertes

sociales dès lors que l’un d’eux y contribue effectivement1223. Quant à l’équilibre dans les

cessions de titres conclues entre actionnaires, il doit, tout comme en droit commun, être

laissé à la libre appréciation des parties1224.

De plus, certains auteurs dénoncent le manque de fondement théorique et s’interrogent

sur l’opportunité1225 de la distinction prétorienne ainsi érigée entre les actionnaires

authentiques et les bailleurs de fonds, laquelle corrobore la théorie dite du contrat

investissement1226. Il est permis de se demander pourquoi un bailleur de fonds devrait

être traité de manière plus indulgente qu’un véritable actionnaire1227, et ce d’autant plus

que l’on s’accorde à penser que la prohibition des clauses léonines vise à protéger les

actionnaires les plus faibles1228 et non pas ceux qui, comme les investisseurs financiers,

exercent une réeelle domination sur les autres actionnaires1229.

562 - En outre, l’élément intentionnel de nature à caractériser la qualité de bailleur de

fonds s’avère être particulièrement difficile à apprécier1230. A ce titre, l’arrêt précité du 3

mars 20091231 met en évidence l’une des nombreuses difficultés pratiques que soulève

la distinction entre les actionnaires véritables et les bailleurs de fonds1232. En l’espèce en

effet, les bénéficiaires des promesses litigieuses étaient d’ores et déjà actionnaires de la

société avant leur souscription à l’augmentation de capital en contrepartie de laquelle ils

1219 Cass. com. 20 mai 1986, affaire Bowater, Rev. sociétés, 1986, p. 587 note D. Randoux précité. 1220 En ce sens, Th. Massart, op. cit. Voir également, G. Trébulle, Dr. sociétés, 2005, comm. 107 sous Cass. com. 22 février 2005, précité et P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, « Les promesses d'achat de droits sociaux à prix plancher à l'épreuve de l'interdiction des clauses léonines », RDC, 2007, p. 955, précité, n°11. 1221 Th. Massart, op. cit. 1222 Notons que cet argument conserve tout son poids si l’on considère, comme certains (voir, J. Mestre, « L’égalité en droit des sociétés », Rev. sociétés, 1989, p. 399, spé. p. 408 et Th. Massart, op. cit.), que la prohibition des clauses léonines vise également à protéger les créanciers sociaux. 1223 G. Trébulle, commentaire précité sous Cass. com. 22 février 2005 et P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, op. cit., n°11. 1224 Y. Guyon, op. cit., n°243 et A. Pietrancosta, op. cit., n°16. 1225 Voir notamment, A. Couret, note précitée ; A. Pietrancosta, op. cit., n°15 et 16 et P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, op. cit., n°12. 1226 F.-X. Lucas, « Du contrat de société au contrat d’investissement », RD bancaire et fin., 2005, p. 50. 1227 A. Couret, note précitée. 1228 P.-M. de Girard et Ch.-A. Pascaud, op. cit, n°12. Voir également Th. Massart, note précitée so us Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001 (affaire BSA Bourgouin), Bull. Joly, 2002, p. 499. 1229 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. 1230 « A partir de quel moment un associé voit-il cette qualité s’effacer au profit de celle d’investisseur ? Quid de l’investisseur qui participe étroitement à la direction de la société ou, tout au moins, à sa gestion ? » (Ph. Dom, Bull. Joly, 2000, p. 1142, note sous Cour d’appel de Paris 12 mai 2000). 1231 Cass. com. 3 mars 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 110, M.-L. Coquelet, précité. 1232 Voir notamment, A. Couret, note précitée et A. Pietrancosta, op. cit., n°15.

Page 275: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

275

s’étaient fait consentir les engagements de rachat à prix plancher. Il en résultait alors,

ainsi que le pourvoi l’avait invoqué, que le rachat des actions au terme de

l’investissement n’entraînerait pas pour autant la sortie des bénéficiaires de la société. Il

est notable que la chambre commerciale n’est pas totalement insensible à l’argument

dans la mesure où elle précise que c’est dans l’opération particulière d’investissement

que les bénéficiaires étaient « avant tout » des bailleurs de fonds1233 à la différence des

arrêts précédents des 16 novembre 2004 et 27 septembre 2005 dans lesquels elle

relevait, dans l’absolu, la qualité de bailleur de fonds « avant tout »1234.

563 - Sous un autre aspect qui touche également à la fixation du prix dans les pactes

organisant des cessions ou des acquisitions d’actions, il semble, au contraire, que la

jurisprudence a récemment cherché à renforcer l’étendue et la portée du caractère

d’ordre public de l’expertise énoncée à l’article 1843-4 du Code civil, applicable

spécifiquement en cas de désaccord entre les parties sur le prix dans les cessions de

droits sociaux. Si le renforcement de l’impérativité de la procédure de l’article 1843-4 du

Code civil est acquis au regard des cessions de droits sociaux aménagées par les

statuts, l’influence de ce renforcement sur le régime des pactes d’actionnaires est plus

incertaine.

Section 2. L’incertitude quant à la portée de l’exp ertise de l’article 1843-4 du C.

civ.

564 - Par application du droit commun, les partenaires sont tenus, lors de la

conclusion de pactes organisant une promesse de cession ou d’achat de droits

sociaux1235, à peine de nullité de cette dernière, de fixer le prix de sorte que ce dernier

soit déterminé, conformément à l’exigence énoncée à l’article 1591 du Code civil, ou

objectivement déterminable, ainsi que l’admet la jurisprudence1236.

1233 Voir supra, la solution de l’arrêt reproduite et M.-L. Coquelet, note précitée. 1234 Cass. com. 16 novembre 2004, précité et Cass. com. 27 septembre 2005, BSA Bourgoin, précité. 1235 En matière de pacte de préférence ou d’agrément, le prix n’a pas à être déterminé dès la conclusion du pacte. Si un prix est toutefois stipulé, il doit alors, selon la jurisprudence, respecter l’exigence de détermination ou de déterminabilité objective (voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Section 2, § 2. A). 1236 Le prix doit alors être ultérieurement fixé « en vertu des clauses du contrat, par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus de la volonté, ni de l’une, ni de l’autre des parties », Cass. req. 7 janvier 1925, D. H., 1925. 57 ; Grands arrêts, par F. Terré et Y. Lequette, 1994, n°173 (arrêt d e principe portant sur la vente d’un fonds de commerce).

Page 276: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

276

Pour remplir cette condition de déterminabilité objective, la jurisprudence exige

traditionnellement la réunion de deux critères1237 tenant, d’une part, à ce que cette

détermination ne soit pas laissée à l’arbitraire de l’une des parties et, d’autre part, à ce

que la détermination ultérieure du prix soit fonction de données suffisamment claires et

précises pour pouvoir être appliquées sans requérir un nouvel accord des parties. La

difficulté tient alors essentiellement à ce que la valeur des titres sociaux dépend de

données comptables et financières qui continuent à évoluer dans l’intervalle de temps

qui précède la mise en œuvre du pacte. Il en résulte que les partenaires s’entendent en

général sur une méthode objective de détermination ultérieure du prix ou conviennent

que le prix sera fixé par un tiers qu’ils désignent en application de l’article 1592 du Code

civil ou qui interviendra conformément à la procédure de l’article 1843-4 du Code civil.

Plus fréquemment, pour combiner sécurité et prévisibilité, les partenaires s’en remettent

à ce tiers, à titre subsidiaire, à défaut d’accord entre eux sur le prix lors de l’application

de la formule de valorisation qu’ils ont définie, afin que ce tiers détermine le prix

conformément à cette formule.

565 - Les deux dispositions légales sont concurremment1238 applicables par les

partenaires, lesquels peuvent choisir de recourir soit à l’article 1592 du Code civil, dont

le tiers « arbitre »1239 a vocation à intervenir pour fixer le prix, conformément aux

stipulations des parties, dans toute vente quel qu’en soit l’objet, soit à l’article 1843-4 du

Code civil, lequel établit une procédure spécifique au droit des sociétés1240 de

désignation d’un tiers « expert »1241 chargé d’évaluer les droits sociaux dans certaines

circonstances. Dans les deux mécanismes, le tiers se substitue aux partenaires pour

dire le prix et rendre la vente parfaite, le prix ainsi déterminé s’imposant aux parties qui

ont fait de la décision de ce tiers leur loi1242.

1237 Pour des développements exhaustifs quant à l’appréciation du respect de cette condition dans les cessions de droits sociaux, voir Mémento Expert Cession de parts et actions, F. Lefebvre, 2009-2010, n°37040 et s. 1238 Contra, J. Moury, « Jeux d’ombres sur la détermination du prix par les tiers estimateurs des articles 1592 et 1843-4 du Code civil », Rev. sociétés, 2005.513, n°6 et s, spéc. n°9 et 10, et Rev. sociétés, 2009, p. 503, note sous Cass. com. 5 mai 2009, n°18. Voir éga lement infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. B. 1239 Précisons que, malgré l’emploi du terme arbitre, l’article 1592 du Code civil ne vise pas la mise en place d’une procédure d’arbitrage au sens juridictionnel, faute de litige sur des droits nés et de possibilité pour un arbitre de se substituer aux parties. (J. Moury, op. cit., n°1). 1240 Pour un arrêt admettant toutefois le recours conventionnel à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil dans le cadre d’une promesse de cession relative aux « droits incorporels de toute nature afférents aux composantes logicielles et matérielles [d’un] procédé », voir Cass. com. 30 novembre 2004, n°03-13756, SA Ternetix et autre c/ SA Néopost France, Defrénois, 2005, p. 890, note H. Hovasse. 1241 Précisons que, malgré l’emploi du terme expert, le tiers désigné sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil n’est pas un expert judiciaire au sens de l’article 145 du Nouveau Code de procédure civile, lequel émet un avis à partir duquel le juge prend une décision (En ce sens, Cour d’appel d’Orléans 16 janvier 2003, Dr sociétés, 2004, n°3, obs. F.-X. Lucas et J. Moury, op. cit., n°1). 1242 Cass. com 6 juin 2001, Dr. sociétés, 2001, comm. 170, obs. Th. Bonneau (art. 1592 C. civ.) et Cass. com. 19 avril 2005, JCP, éd. E, 2005, 1390, note H. Lécuyer (art. 1843-4 C. civ), le tout sous réserve d’une évaluation entachée d’une erreur grossière, d’un dol ou d’un défaut d’indépendance du tiers.

Page 277: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

277

Jusqu’à une époque récente, les partenaires privilégiaient, pour une plus grande

sécurité au regard de l’exigence de détermination du prix, le recours à l’article 1843-4 du

Code civil, lequel énonce que « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits

sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est

déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à

défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme

des référés et sans recours possible ». En effet, dans le cadre de cette expertise, et

contrairement aux dispositions de l’article 1592 du Code civil1243, il ne fait aucun doute

que le prix sera effectivement fixé par le tiers « expert », c’est d’ailleurs la raison pour

laquelle la vente est valablement formée dès le moment où les partenaires conviennent

de l’application de l’article 1843-4 du Code civil1244.

566 - Avant que cette disposition, qui relève de l’ordre public sociétaire1245, ne fasse

récemment l’objet de décisions de jurisprudence de nature à étendre et à brouiller son

domaine d’application impérative, ce dernier était bien établi et cantonné à certaines

hypothèses de cessions forcées prévues par le législateur, si bien que c’était strictement

par élection conventionnelle que les partenaires recourraient à cette expertise pour

déterminer le prix des cessions organisées dans leurs pactes.

Or, deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 4

décembre 20071246 sont venus étendre le caractère impératif de la procédure d’expertise

de l’article 1843-4 du Code civil aux cessions forcées d’origine conventionnelle

organisées dans les statuts et semer le doute s’agissant des celles organisées par les

pactes extra-statutaires.

1243 Dans le cadre de l’article 1592 du Code civil, le mode de désignation du tiers doit être précisé dans l’acte de cession sous peine de nullité (Cour d’appel de Paris 23 mai 1986, D., 1987, somm. p. 390), le juge ne pouvant, sauf stipulation expresse, se substituer aux parties qui n’arrivent pas à s’entendre sur cette désignation (Cass. com. 26 juin 1990, affaire Société Unitec International c/ M. Portugais et autres, Rev. sociétés, 1991, p. 96, note I. Urbain-Parleani). Mais le plus gros risque d’indétermination tient à l’éventuel refus ou empêchement du tiers désigné (voir art. 1592 C. civ. et pour des exemples, voir notamment Cass. 2ème civ. 8 avril 1999, Dr. sociétés, 1999, comm. 111, note Th. Bonneau et Cour d’appel de Nancy 20 octobre 2004, n°98-3311, Rousselot c/ SA ITM Entrepri ses, RJDA, 10/05, n°1115 confirmé par Cass. com. 19 décembre 2006 n° 05-10.199 F-D, Sté coopérative d 'approvisionnement Paris Est (Scapest) c/ Sté ITM Entreprises, RJDA, 4/07, n°365, précités). 1244 Mémento Expert Cession de parts et actions, F. Lefebvre, 2009-2010, n°37455 et Cass. com. 30 novembre 2004, n°03-13756, SA Ternetix et autre c/ SA N éopost France, précité. Sauf dans le cas particulier du rachat légal à défaut d’agrément statutaire en raison de l’existence d’un droit de repentir pour le cédant (art. L 228-24 C. com. et Cass. com. 8 avril 2008, Dr. sociétés, 2008, comm. n°129, note H. Hovasse). 1245 Cass. 1ère civ. 25 novembre 2003, Dr. sociétés, 2004, comm. 95, F.-G. Trébulle ; Cass. com. 4 décembre 2007, Bull. Joly, 2008.216, note F.-X. Lucas; Cass. 1ère civ. 20 décembre 2007, Bull. Joly, 2008.214, note J.-J. Daigre et Cour d’appel de Paris, 9 décembre 2008, D., 2009, A.J. 96, obs. A. Lienhard. 1246 Cass. com. 4 décembre 2007 (deux espèces similaires) : pourvoi n°06-13912, Quilliard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, (non publié), Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier.

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278

Plus encore, selon un arrêt ultérieur de cette même chambre, en date du 5 mai 20091247,

le tiers expert désigné en application de cette procédure impérative n’est pas lié, dans

l’exercice de sa mission, par les méthodes d’évaluation stipulées par les parties. Cette

solution, qui confirme la portée maximale que la jurisprudence reconnaît au caractère

intangible de la procédure d’expertise, est de nature à remettre en cause la possibilité

pour les partenaires d’élire conventionnellement cette procédure dans le but de

s’assurer, précisément, de la bonne application des méthodes d’évaluation sur

lesquelles ils se sont entendus lors de la conclusion du pacte.

567 - Les arrêts du 4 décembre 2007 ont ainsi initié un mouvement jurisprudentiel

favorable au renforcement de l’étendue et de la portée du caractère d’ordre public de

l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil, lequel a été suivi de près et fortement

critiqué par une partie de la doctrine ainsi que par les praticiens. Mais les conséquences

de cette évolution jurisprudentielle sur la pratique des pactes d’actionnaires doivent être

bien cernées.

Tout d’abord, il semble désormais établi que la procédure d’expertise n’exerce aucune

emprise automatique sur les pactes d’actionnaires organisant des cessions ou des

acquisitions d’actions. En revanche, elle serait susceptible de déjouer les prévisions de

ces derniers si, comme bien souvent en pratique, les partenaires y recourent

conventionnellement. Une telle menace doit toutefois, le cas échant, être relativisée

puisqu’il nous semble qu’il suffirait aux partenaires, pour s’en protéger, d’abandonner la

pratique d’élection conventionnelle de l’article 1843-4 du Code civil au profit des

dispositions de l’article 1592 du Code civil exclusivement. Cette relativité des

conséquences du renforcement jurisprudentiel du caractère impératif de la procédure de

l’article 1843-4 du Code civil est significative d’une faible voire d’une absence d’influence

de l’ordre public sociétaire sur les pactes d’actionnaires à cet égard1248.

568 - Ainsi, alors que le doute quant au caractère impératif de l’application de la

procédure de l’article 1843-4 du Code civil aux pactes d’actionnaires s’est dissipé (§ 1),

celui relatif au caractère impératif de l’indépendance de l’expert pour les pactes

d’actionnaires subsiste en droit positif (§ 2).

1247 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury, précitée ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque. 1248 Cette influence est à cet égard tout aussi faible s’agissant des pactes d’exclusion conclus sous la forme de promesses unilatérales de cession sous condition nonobstant le caractère marqué de la dépendance au contrat de société de ces derniers (voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 1) que pour l’ensembl e des autres pactes stipulant des promesses de cession ou d’acquisition d’actions.

Page 279: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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§ 1. Le caractère non impératif de l’article 1843-4 C. civ. en matière de pactes

d’actionnaires

569 - Toute l’ambiguïté du domaine d’application impérative de l’article 1843-4 du

Code civil réside dans le caractère prévu, selon le terme employé par le législateur, de

la cession. Ce domaine a pendant longtemps été circonscrit aux seules cessions légales

pour lesquelles un texte de loi renvoie expressément à la procédure1249. Puis, la

jurisprudence est venue semer le doute, laissant entendre que pouvaient entrer dans le

cadre impératif de l’article 1843-4 du Code civil, les cessions conventionnelles qui

remplissent les deux conditions requises par cet article tenant, d’une part, au caractère

forcé de la cession et, d’autre part, au désaccord entre les parties sur le prix.

570 - La question se pose pour les seules cessions conventionnelles qui réunissent

ces deux conditions. Il est bien entendu exclu de généraliser l’application impérative de

la procédure à toutes les cessions entre actionnaires, cela emporterait l’anéantissement

pur et simple de l’autonomie de la volonté sur le terrain de la détermination du prix dans

les cessions de droits sociaux1250.

Sont ainsi susceptibles d’entrer dans le domaine d’application impérative de l’expertise,

les conventions statutaires ou extra-statutaires qui prévoient la cession forcée1251 ou le

rachat forcé1252 des titres d’un actionnaire sous la forme de promesses de vente ou

d’achat sous condition. Les pactes d’agrément extra-statutaires pourraient également

être visés s’agissant de la détermination du prix de rachat à la charge du bénéficiaire à

défaut d’agrément1253. En revanche, les clauses de préférence1254, qu’elles soient

statutaires ou extra-statutaires1255, ne revêtent pas le caractère de cession forcée1256,

mais, au contraire, de cession spontanée, tant pour le promettant, qui conserve

l’initiative de la cession, que pour le bénéficiaire, lequel est libre de préempter ou

non1257.

1249 Il semble bien que dans l’intention du législateur, cette procédure d’expertise, qui figurait historiquement à l’article 1868 du Code civil, ne s’appliquait qu’aux seuls cas prévus par la loi. (En ce sens, J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°10 et H. Le Nabasque, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009). 1250 La clause de détermination du prix prévue par les parties serait en effet évincée par l’article 1843-4 du Code civil. 1251 Ainsi des pactes d’exclusion, clauses américaines, pactes anti-dilution, clauses d’offre alternative et pactes d’entraînement. 1252 Ainsi des pactes de retrait, clauses de sortie conjointe, clauses d’offre alternative et clauses américaines. 1253 Par analogie avec le régime des clauses d’agrément statutaires (art. L228-24 du C. com.). Mais nous avons dit qu’en matière de pactes d’agrément extra-statutaires, la procédure n’est pas impérative (voir supra Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2) 1254 Voir supra Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 1, § 2 . B et Sect° 2. 1255 Cour d’appel de Paris 6 mai 1994, Dr. sociétés, 1994, n°140, note H. Le Nabasque. 1256 H. Le Nabasque, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, II. A. 1. 1257 La procédure est néanmoins éligible conventionnellement (Dossier ANSA n°3254).

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280

571 - Si le domaine d’application impérative de la procédure de l’article 1843-4 du

Code civil est apprécié largement en droit positif (A), il nous semble que, conformément

aux vœux de la doctrine et des praticiens, les pactes d’actionnaires demeurent hors de

ce domaine (B), ce qui ne prive pas les partenaires de la faculté d’élire

conventionnellement cette procédure ainsi qu’ils le font très fréquemment en pratique.

A. La faveur jurisprudentielle pour l’élargissement du domaine d’application impérative

de l’expertise

572 - L’examen des conditions d’application de l’expertise de l’article 1843-4 du

Code civil, telles que ces dernières résultent de ce texte ainsi que des dispositions du

droit des sociétés qui y renvoient, devrait permettre de dégager la finalité particulière de

cette procédure (a). Si cette finalité ne ressort pas à l’évidence des dispositions légales,

elle se déduit de la jurisprudence récente, laquelle a élargi le domaine d’application

impérative de la procédure aux clauses d’exclusion statutaires (b). L’analyse de cette

jurisprudence constitue alors un préalable nécessaire pour envisager l’éventuelle

appartenance des pactes d’actionnaires au domaine d’application impérative de cette

procédure.

a) Les conditions d’application de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

573 - Les dispositions légales qui renvoient expressément à l’article 1843-4 du Code

civil1258 imposent, dans leur ensemble1259, la mise en oeuvre de l’expertise en cas de

désaccord entre les parties1260 sur l’évaluation des droits sociaux à l’occasion de la

sortie d’un actionnaire de la société. Aussi diverses que puissent être les causes de

cette sortie1261, elles ont pour point commun d’engendrer, soit une cession forcée pour le

cédant, soit un rachat forcé à la charge de la société. C’est essentiellement dans ce

dernier cas que l’expertise est imposée par le législateur en matière de sociétés par

actions, s’agissant du rachat forcé des titres du cédant, à la charge de la société, à

1258 Voir notamment art. 1862 al. 3 C. civ. et art. L 223-14 al. 3, L 227-18 al. 1 et L 228-24 al. 2 C. com. s’agissant du refus d’agrément du cessionnaire. Voir également (la liste n’étant pas exhaustive), les art. 1844-12 C. civ et L 235-6 C. com. (nullité de la société) et l’art. 1869 C. civ. (retrait d’un associé de société civile). 1259 La procédure est supplétive dans les SAS s’agissant du rachat forcé des actions consécutif au défaut d’agrément statutaire ou de l’exclusion statutaire d’un associé (art. L 227-18 al. 1 C. com). 1260 Exceptionnellement, pour une application d’office de l’expertise dans le cadre de la SARL sans qu’il soit besoin de constater un désaccord entre les parties, voir l’art. L 223-14 al. 3 C. com (en ce sens, Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°847). 1261 Le retrait, le décès, l’exclusion d’un actionnaire ou encore une cession spontanée soumise à agrément.

Page 281: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

281

défaut d’agrément statutaire1262. Remarquons que dans cette hypothèse, comme dans la

plupart des autres hypothèses prévues par la loi, l’organisation de la cession ou du

rachat forcé est laissée à l’initiative des actionnaires, lesquels s’entendent pour stipuler

dans les statuts une disposition supplétive expressément admise par le législateur.

574 - La condition relative à l’existence d’une contestation sur la valeur des droits

sociaux est appréciée strictement en jurisprudence1263. C’est ce désaccord qui est au

cœur du dispositif et rend impérieuse la mise en œuvre de l’expertise. Peu importe en

effet le caractère forcé de la cession ou du rachat si les parties parviennent à s’entendre

sur le prix1264. L’expertise s’avère ainsi impérative parce qu’il s’agit de mettre fin à une

situation de blocage. Cela explique que dans le prolongement de la nature d’ordre public

de la disposition, un juge, le président du tribunal de commerce exclusivement1265,

puisse procéder lui-même à la désignation de l’expert, par une ordonnance statuant en

la forme des référés et sans recours possible1266. En outre, l’évaluation de l’expert

s’impose aux parties ainsi qu’au juge sauf erreur grossière1267. Si la finalité de cette

procédure est claire : « purger définitivement le débat sur la valeur des droits

sociaux »1268 pour sortir d’une impasse1269, la doctrine est divisée quant à son

fondement.

Un premier courant, soutenu en particulier par le Professeur Mortier1270, voit dans cette

procédure la poursuite d’un impératif économique. Le souci du législateur serait alors de

préserver la sécurité des transactions en assurant la liquidité des titres, et en ce sens,

faire en sorte que « la personne sur laquelle pèse la charge d’un rachat ou d’une

cession forcés ne puisse pas s’y dérober en rendant impossible la détermination du

1262 Art. L228-24 al. 2 C. com. 1263 Précisons que la contestation doit être actuelle au moment où le président du tribunal est sollicité (Cass. com. 30 novembre 2004, n°03-15278, SCI Notre-Dame c/ X et Autres, Bull. Joly, 2005, p. 400, note H. Le Nabasque). Voir également Cass. 3ème civ. 6 décembre 2000, Bull. Joly, 2001, p. 295, note J.-F. Barbiéri, refusant le bénéfice de l’expertise au tiers cessionnaire de droits sociaux non agréé. 1264 Voir en ce sens les propos du Rapporteur Etienne Dailly au cours des travaux préparatoires à la loi du 4 janvier 1978, relatés par R. Mortier, Dr. sociétés, 2009, comm. 93 sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008. 1265 Cass. com. 30 novembre 2004, deux espèces précitées ; Cass. 1ère civ. 25 novembre 2003, Dr. sociétés, 2004, comm. 95, F.-G. Trébulle et Cass. 1ère civ. 25 janvier 2005, Dr. sociétés, 2005, comm. 62, F.-G. Trébulle. Voir également, dernièrement, Cass. com. 9 février 2010, n°09-10.800. 1266 Excluant tout recours, même contre l’ordonnance du président du tribunal refusant de désigner un exper, voir Cass. com. 11 mars 2008, Dr. Sociétés, 2008, n°94, note Mortier. 1267 Cass. com. 4 novembre 1987, JCP, 1988.II.21050, note A. Viandier (arrêt de principe). Egalement Cass. com. 19 avril 2005, JCP, éd. E, 2005, 1390, note H. Lécuyer, précité. 1268 J. Moury, « Des ventes et des cessions de droits sociaux à dire de tiers (étude des articles 1592 et 1843-4 du Code civil) », Rev. sociétés, 1997.455, n°3. 1269 J. Moury, « Jeux d’ombres sur la détermination du prix par les tiers estimateurs des articles 1592 et 1843-4 du Code civil », Rev. sociétés, 2005.513, précité, n°5. 1270 R. Mortier, Dr. sociétés, 2009, comm. n°93, sous Cour d’appel de Paris 9 déc embre 2008, précité. Voir précédemment, du même auteur, Dr. sociétés, 2008, comm. 23 sous Cass. com. 4 décembre 2007 (n°06-13.912, Quillard c/ Arues) ; Dr. sociétés, 2008, comm. 47 sous Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007 et Dr. sociétés, 2008, comm. 177 sous Cass. com. 4 décembre 2007 (n°06-13.913, Jacqmin c/ Arues).

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prix »1271. Pour cet auteur, l’expertise ne vise donc pas à protéger l’une des parties à la

cession, « le tiers estimateur de l’article 1843-4 n’est pas un chevalier blanc du juste

prix »1272, sa fonction est de surmonter les « blocages contractuels »1273.

Au contraire, le second courant, dont le plus fervent défendeur est le Professeur

Moury1274, soutient que cette procédure d’expertise a été mise en place par le législateur

pour protéger les intérêts de l’actionnaire cédant. C’est sans aucun doute un tel impératif

de protection de l’actionnaire contre la société qui a conduit le législateur de 1966 à faire

de cette expertise le procédé légal d’évaluation des droits sociaux au profit de l’héritier

de l’associé décédé, du retrayant ou du cédant, toute clause contraire étant inopposable

à ce dernier1275. L’expert est ainsi, selon ces auteurs1276, en charge de déterminer la

juste valeur des titres devant revenir à l’actionnaire, lequel, lorsqu’il est exclu, ne doit

pas pour autant être spolié ou lorsqu’il est retrayant, demeurer prisonnier de la

société1277 en raison de ce qu’on lui imposerait une valeur de rachat bien inférieure à la

valeur vénale1278.

Il semble bien que la ratio legis réside dans l’un de ces deux impératifs1279 entre lesquels

il est difficile mais pourtant nécessaire de trancher1280 puisqu’ils conduisent à une

appréhension différente du domaine ainsi que du régime de l’expertise d’ordre public.

575 - S’agissant de l’appartenance des cessions forcées d’origine purement

conventionnelle au domaine d’application impérative de l’article 1843-4 du Code civil, la

doctrine était réticente à voir s’imposer cette procédure en dehors des cas prévus par la

loi1281. A l’appui de cette position, les auteurs relevaient certaines décisions pour

1271 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008. 1272 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007. 1273 R. Mortier, op. cit. Voir également J. Mestre, « Quelques éclairages récents sur le rôle du juge dans la vie des sociétés », Rev. Lamy Dr. aff., 2009, n°40, n°11 et A. Viandier, évoquant la notion d’« hygiène juridique » (JCP, éd. E, 1988, II. 15212, note sous Cass. com. 4 novembre 1987). 1274 J. Moury, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note sous Cass. com. 5 mai 2009. Voir précédemment, du même auteur, Rev. sociétés, 2008, p. 341 ; Rev. sociétés , 2005, p. 513 et Rev. sociétés , 1997, p. 455, précités. 1275 En ce sens, J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°2 et 3, citant notamment, Hémard, Terré et Mabilat, Sociétés commerciales, t. 1, 1972, n°320. 1276 Voir également C. Roca, note sous Cass. com. 26 novembre 1996, Bul. Joly, 1997, p. 133 ; H. Le Nabasque, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009 et A. Lienhard, D., 2009, p. 1349, note sous Cass. com. 5 mai 2009. 1277 J. Moury, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007, n°7. 1278 J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°5 et 22. Ce fondement rejoint logiquement celui qui justifiait la théorie du droit au juste prix du débiteur d’un pacte de préemption avant que la Loi de 1966 n’admette expressément la validité des clauses d’agrément statutaires dans les SA et ne prévoie corrélativement, en cas de refus d’agrément, une obligation de rachat à la charge de la société à un prix déterminé, en cas de désaccord entre les parties, par application de l’article 1843-4 du Code civil ((voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 1, Sect° 2, § 2. B). 1279 Pour un cumul de ces deux impératifs, voir M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, Economica, 2009, n°216. 1280 A. Couret, Bull. Joly, 2009, p. 728, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1281 En ce sens notamment, M. Germain, Traité de droit commercial - Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1083 ; A. Couret, L. Cesbron, B. Provost, P. Rosenpick, J.-C. Sauzey, « Les contestations portant sur la valeur des droits sociaux », Bull. Joly, 2001, p. 1045, n°14 ; J. Moury, Rev.

Page 283: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

283

lesquelles, il nous semble que les cessions en cause ne présentaient pas un caractère

forcé pour l’une ou l’autre des parties1282. Mais la lettre du texte ne précise pas l’origine

que doit avoir la cession et selon l’adage, « là où la loi ne distingue pas, on ne doit pas

distinguer » si bien que le doute était permis quant à cette appartenance1283. En outre,

certains juges s’étaient déjà prononcés en faveur de l’intégration des cessions forcées

prévues par les statuts dans le champ d’application impérative de l’article 1843-4 du

Code civil1284 en se fondant expressément sur l’esprit de la loi, lequel serait de protéger

les droits du cédant1285.

Finalement, confrontée à une situation de désaccord entre associés sur le prix dans le

cadre d’une cession forcée d’origine conventionnelle pour laquelle les statuts ne

renvoyaient pas à l’article 1843-4 du Code civil, la Cour de cassation a admis, dans

deux arrêts remarqués du 4 décembre 2007, l’application impérative de la procédure

d’expertise au détriment de la clause statutaire d’évaluation.

b) L’application impérative de la procédure de l’article 1843-4 du Code civil aux clauses

d’exclusion statutaires

576 - Par ces arrêts du 4 décembre 20071286, rendus dans deux espèces similaires

mettant en cause la même société, la chambre commerciale de la Cour de cassation a

élargi le domaine d’application impérative de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

aux clauses d’exclusion statutaires.

En effet, alors que les statuts d’une société civile stipulaient une clause de cession

forcée en cas de perte d’une qualité considérée comme essentielle au maintien des

associés dans la société et prévoyaient une méthode conventionnelle de calcul du prix

de rachat, est cassé, pour violation de l’article 1843-4 du Code civil, l’arrêt qui retient

que « dès lors que M. X est exclu en application des dispositions statutaires et que les

sociétés, 2005.513, n°3, 7 et 10, précité et F.-X. Lucas, Bull. Joly, 2008.216 note sous sous Cass. com. 4 décembre 2007, précité. 1282 Cass. com. 26 novembre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 133, note C. Roca (cession judiciaire, s’imposant aux deux parties) ; Cour d’appel de Paris 6 mai 1994, précitée (pacte de préemption extra-statutaire). Voir également Cour d’appel de Douai 24 février 1983, Rev. sociétés, 1983. 337, note D. Randoux. 1283 Du même avis, H. Le Nabasque, commentaire précité sous Cour d’appel de Paris 6 mai 1994 et C. Roca, note précitée sous Cass. com. 26 novembre 1996. 1284 Considérant que les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil l’emportent sur une clause statutaire d’évaluation, voir Cour d’appel de Paris 25ème ch. section A, 10 mai 1985, Morin c/ Morin, D., 13 juin 1985, flash. Voir également, Cass. 1ère civ. 2 juin 1987, D., 1987. IR. 151 (retrait statutaire dans une société en participation). 1285 Cour d’appel de Paris 25ème ch. section A, 10 mai 1985, Morin c/ Morin, précitée. 1286 Cass. com. 4 décembre 2007, pourvoi n°06-13912, Qu illiard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13 913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, (non publié), Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier, précités.

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284

statuts comportent une clause d’évaluation des droits sociaux, ces règles statutaires

l’emportent sur l’article 1843-4 du Code civil »1287.

577 - Cette jurisprudence, dont la solution ne fait aucunement référence aux

circonstances de l’espèce, semble poser un principe général selon lequel l’expertise de

l’article 1843-4 du Code civil s’impose en cas de contestation entre les parties sur le prix

dans le cadre de l’application d’une clause d’exclusion statutaire, quand bien même les

parties auraient-t-elles stipulé dans les statuts une méthode conventionnelle de

détermination du prix. Cette solution a suscité de vives réactions parmi la doctrine1288 et

les praticiens1289, lesquels sont partagés quant à la portée à lui conférer.

578 - Certains auteurs ont attribué à ces arrêts une portée maximale, y voyant la

reconnaissance par la jurisprudence du principe d’application impérative de l’expertise

aux cessions conventionnelles qui réunissent les deux conditions tenant au caractère

forcé de la cession et au désaccord entre les parties sur le prix1290, lequel vaudrait tout

autant, selon un auteur1291, pour les cessions prévues dans les statuts que pour celles

organisées dans des pactes extra-statutaires.

Au contraire, d’autres auteurs ont minimisé la portée de ces arrêts en insistant sur les

particularités des espèces, très similaires, dans le cadre desquelles la chambre

commerciale avait eu à se prononcer1292. Ils n’ont ainsi vu dans cette jurisprudence

qu’une solution d’espèce en raison notamment de ce que l’associé de société civile,

tenu de céder ses titres en vertu de la clause statutaire d’exclusion, avait parallèlement

invoqué, contre la société, le droit de s’en retirer pour justes motifs, sur le fondement de

l’article 1869 du Code civil, lequel renvoie expressément à la procédure d’expertise à

défaut d’accord1293. Il s’avère, en outre, que la clause des statuts de la société civile qui

prévoyait la cession forcée de ses titres par l’associé qui perdrait sa qualité de salarié

dans une société anonyme d’exploitation du groupe, organisait le rachat des titres en

cause, par cette même société d’exploitation, au prix calculé selon la méthode statutaire.

Il en résulte, selon un auteur, que la méthode d’évaluation statutaire n’était pas prévue

1287 Cass. com. 4 décembre 2007, n°06-13912, Quilliard c/ Sté Arues, précité. 1288 Notamment R. Mortier, Dr. sociétés, 2008, comm. 23, sous Cass. com. 4 décembre 2007, pourvoi n°06-13912, précité, qualifiant cette jurisprudence de « bombe à retardement ». 1289 Notamment, R. Dammann et S. Périnot, Bull. Joly, 2008, p. 844, note sous sous Cass. com. 4 décembre 2007, précité. 1290 En ce sens, sous ces arrêts, voir R. Mortier, op. cit., (critiquant très fortement la solution, sur le fond) ; H. Hovasse, JCP, éd. E, 2008, 1159 et M.-L Bélaval, I. Orsini et R. Salomon, D., 2008, p. 1231 (moins critiques), et S. Schiller et J.-M. Leprêtre, Les Echos, 21 mai 2008 (dénonçant les risques pratiques). 1291 R. Mortier, op. cit. 1292 En ce sens, F.-X. Lucas, Bull. Joly, 2008, p. 216, précité ; J. Moury, Bull. Joly, 2008, n°2, p. 216, précité et R. Dammann et S. Périnot, op. cit. 1293 F.-X. Lucas, op. cit. et J. Moury, op. cit., n°2.

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285

pour le rachat des titres par la société civile elle-même1294, la procédure d’expertise étant

en tout état de cause impérative en matière de retrait légal1295.

Certains praticiens ont, quant à eux, insistant également sur les particularités de

l’espèce, interprété de manière restrictive ces arrêts comme visant, par l’application de

la procédure d’expertise, à protéger spécifiquement les minoritaires tenus de céder leurs

titres à des conditions statutaires qu’ils se seraient vues imposer1296. Ils relèvent en effet

que dans ces affaires, la clause figurant dans les statuts de la société civile, et relative

aux modalités de calcul du prix de rachat par la société d’exploitation des titres de

l’associé exclu, avait été modifiée à la majorité renforcée dans un sens défavorable à ce

dernier1297.

Il apparaît que, bien que divisée quant à la portée de cette jurisprudence, la doctrine

dans son ensemble s’entend pour analyser la solution, sans l’approuver nécessairement

pour autant1298, comme le souhait de la chambre commerciale de protéger l’associé

contraint de céder ses titres en vertu d’une clause statutaire. Les recommandations de

l’avocat général allaient d’ailleurs en ce sens puisque ce dernier soutenait que

l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil vise à « protéger les associés contraints de

quitter une société non cotée »1299. En outre, comme le remarquent certains, « il serait

injuste que l’actionnaire dont la cession des titres est organisée par les statuts bénéficie

d’un statut moins protecteur » que celui prévu par la loi, en cas de retrait volontaire d’un

associé de société civile, ou encore, en cas d’offre public de retrait ou de retrait

obligatoire dans les sociétés cotées1300.

579 - Le doute quant à la portée de ces arrêts s’est ensuite dissipé lorsque le

Président de la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est lui-même très

clairement expliqué sur le sens de la solution énoncée : « l’article 1843-4 du Code civil

s’applique même lorsque le retrait obligatoire découle non pas de la loi mais des

statuts »1301. Ainsi, par ces arrêts du 4 décembre 20071302, et au-delà des spécificités de

1294 J. Moury, op. cit., n°2. 1295 Il est toutefois remarquable que la chambre commerciale s’est abstenue de viser l’article 1869 du Code civil dans sa solution. Or, cette omission paraît délibérée dans la mesure où dans l’une des deux espèces, la chambre statue au sujet d’un retrait légal et pleinement volontaire sous le visa de cet article (voir Cass. com. 4 décembre 2007, n°06-1391, Jacqmin c/ Sté SCF Ar ues (non publié), R. Mortier, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, précité). 1296 R. Dammann et S. Périnot, op. cit. 1297 R. Dammann et S. Périnot, op. cit. 1298 Voir notamment la critique de R. Mortier, op. cit. 1299 S. Schiller et J.-M. Leprêtre, op. cit. 1300 En ce sens, M.-L Bélaval, I. Orsini et R. Salomon, op. cit. Rappelons à ce titre que la procédure d’expertise est écartée pour les cessions intervenant sur un marché réglementé (Cour d’appel de Paris 3 juillet 1998, JCP, éd. E, 1998, p. 1880). 1301 « La jurisprudence récente de la Cour de cassation », Claire Favre, Président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, in « La pratique de l’évaluation irrévocable à dire d’expert (articles 1592 et 1843-4 du Code civil) », Gaz. Pal., 2009, p. 3.

Page 286: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

286

l’espèce, la Cour de cassation a manifestement souhaité élargir le domaine d’application

impérative de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil aux cessions forcées

organisées par les statuts.

L’élargissement du champ d’application impérative de cette expertise a été confirmé par

la jurisprudence ultérieure1303, dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du

10 septembre 2009 notamment, lequel énonce que l’expertise de l’article 1843-4 du

Code civil est applicable aux cessions qui se trouvent imposées par des règles

législatives ou statutaires1304. La doctrine s’en trouve confortée dans son analyse selon

laquelle le fondement du caractère d’ordre public de l’expertise de l’article 1843-4 du

Code civil tient au souci de protéger l’actionnaire cédant1305, a fortiori lorsque ce dernier

est minoritaire1306.

Cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 10 septembre 2009 est en outre et surtout

remarquable en ce qu’il confirme le maintien des pactes extra-statutaires hors du

domaine d’application impérative de la procédure d’expertise, conformément à l’avis

d’une fraction significative de la doctrine et aux attentes des praticiens.

B. L’exclusion souhaitée des pactes d’actionnaires

580 - Tandis que se confirme, en droit positif, l’appartenance des clauses d’exclusion

statutaires au domaine d’application impérative de l’expertise de l’article 1843-4 du Code

civil, une fraction non négligeable de la doctrine1307, sensible aux craintes des

praticiens1308, se révèle réticente à l’idée d’une intégration des pactes d’actionnaires

dans ce domaine.

1302 Cass. com. 4 décembre 2007, pourvoi n°06-13912, Qu illiard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13 913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier, précités. 1303 Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque ; D., actualité 17 septembre 2009, A. Lienhard ; JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet et BRDA, 19/09, inf. 1. Précisons qu’un autre arrêt (Cass. com. 5 mai 2009, H. Le Nabasque, Bull. Joly, 2009, p. 1018 ; J. Moury, Rev. sociétés, 2009, p. 503 ; A. Lienhard, D., 2009, p. 1349 ; R. Dammann et S. Périnot, D., 2009, p. 2170 et R. Mortier, Dr. sociétés, 2009, comm. 114) est invoqué comme étant confirmatif de l’appartenance des clauses d’exclusion statutaires au domaine d’application impérative de l’expertise (en ce sens, H. Le Nabasque, op. cit. et J. Moury, op. cit., n°15). Cet arrêt ne nous semble toutefois pas sig nificatif à cet égard dès lors qu’en l’espèce, les statuts renvoyaient expressément à l’article 1843-4 du Code civil en cas de contestation sur la valeur des rachat des titres de l’associé exclu (sur cet arrêt, voir infra, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. A. b). 1304 Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, précité. 1305 J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, n°15. 1306 H. Le Nabasque, op. cit. Voir également, sous Cass. com. 5 mai 2009 : A. Lienhard, op. cit; R. Dammann et S. Périnot, op. cit. et R. Mortier, op. cit. Notons à ce titre que le Professeur Mortier critique l’application de l’expertise sur ce fondement et suggère que la théorie de l’abus de majorité aurait du être exploitée. 1307 Voir notamment, N. Rontchevsky et Ph. Lauzeral, « Prix de cession d’actions : le contrat ou l’expert », La Tribune, 27 juin 2008, p. 22, cité par A. Couret, Bull. Joly, 2009, p. 728, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1308 R. Dammann et S. Périnot, Bull. Joly, 2008, p. 844, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007.

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Plusieurs arguments, convaincants selon nous, peuvent en effet justifier du maintien des

pactes extra-statutaires hors du domaine d’application impérative de l’expertise (a), ce

que certains juges du fond ont récemment confirmé (b).

a) Arguments en faveur du maintien des pactes extra-statutaires hors du domaine

d’application impérative de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

581 - Au lendemain des arrêts précités de la chambre commerciale de la Cour de

cassation du 4 décembre 20071309, les praticiens se sont fortement inquiétés des

conséquences que cette jurisprudence pourrait avoir pour la pratique des pactes

d’actionnaires. Alors que de nombreux auteurs s’employaient en vain, on l’a dit, à

minimiser la portée de ces arrêts au regard des cessions forcées organisées par les

statuts, d’autres se fondaient, de façon assez convaincante, sur certains arguments pour

mettre les pactes d’actionnaires à l’abri de cette « bombe à retardement »1310.

582 - Les praticiens sont les premiers à avoir vivement réagi et décelé dans ces

arrêts l’intention particulière de la chambre commerciale de protéger les cédants

minoritaires susceptibles de se voir imposer une modification statutaire des conditions

d’évaluation du prix de rachat forcé de leurs titres1311. Au contraire, les pactes étant

adoptés, modifiés et supprimés, comme toute convention, selon la règle de l’unanimité, il

n’existe aucun risque que les conditions de mise en œuvre des cessions forcées qu’ils

organisent échappent à la volonté des partenaires. Cette proposition est corroborée1312

par le caractère supplétif de cette expertise, en cas de contestation sur la valeur de

rachat, dans les cessions forcées organisées par les statuts de SAS1313 pour lesquelles

les conditions de mise en œuvre ne peuvent être modifiées qu’à l’unanimité1314. Le

Professeur Couret soutient également cet argument tout en ajoutant que dans le cadre

des relations d’affaires dans lesquelles s’inscrivent les pactes d’actionnaires, les

partenaires n’ont pas besoin d’être protégés, peu important par ailleurs que l’un d’entre

eux soit dans une situation de domination sur l’autre1315. Il est d’ailleurs remarquable,

1309 Cass. com. 4 décembre 2007, pourvoi n°06-13912, Qu illiard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13 913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier, précités. 1310 Selon l’expression employée par le Professeur Mortier pour qualifier la solution énoncée par les arrêts du 4 décembre 2007 (R. Mortier, Dr. sociétés, 2008, comm. 23, précité). 1311 R. Dammann et S. Périnot, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007 suivie de D., 2009, p. 2170, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1312 En ce sens égalemment, R. Dammann et S. Périnot, note précitée D., 2009, p. 2170. 1313 Art. L 227-18 al. 1 C. com renvoyant aux art. L 227-14 C. com. (clause d’agrément statutaire), L 227-16 C. com. (clause d’exclusion statuaire) et L 227-17 C. com. (clause d’exclusion statuaire consécutive au changement de contrôle d’un actionnaire personne morale). 1314 Art. L 227-19 C. com renvoyant aux art. L 227-14, -16 et -17 C. com. 1315 A. Couret, op.cit., II.

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288

nous l’avons développé, que les minoritaires ne sont pas nécessairement ceux qui ont le

plus faible pouvoir de persuasion dans la négociation des pactes d’actionnaires, ainsi

que le démontrent notamment les pactes conclus au profit des investisseurs dans les

opérations de capital-investissement1316.

583 - Par ailleurs, l’application impérative de l’expertise de l’article 1843-4 du Code

civil aux pactes d’actionnaires se heurte à l’objection, soulevée par un auteur, selon

laquelle « ce texte régit le rapport de droit qui s’établit, dans certaines situations prévues

par le législateur ou selon ce qu’admet aujourd’hui la Chambre commerciale par les

statuts, entre un associé et la société, celle-ci étant tenue de racheter les droits sociaux

de celui-là »1317. Cette affirmation est conforme au fondement historique de la

disposition, lequel vise la protection de l’actionnaire sortant, ou des ayants droit de ce

dernier, contre la société1318. Cette protection pourrait bien être devenue bilatérale en

droit positif, selon certains auteurs, selon lesquels la procédure peut jouer au bénéfice

de la société, tenue au rachat à défaut d’agrément, lorsqu’il est à craindre que

l’actionnaire cédant ne convienne d’un prix exorbitant avec la complicité du cessionnaire

pressenti1319. Il en résulte que l’expertise n’a aucunement vocation à s’appliquer à la

cession forcée ou au rachat forcé entre actionnaires organisé par une convention extra-

statutaire à laquelle la société est tierce. Pour cette même raison, nous pensons, en

particulier, que la procédure d’expertise n’est pas impérative en matière de pactes

d’agrément extra-statutaires, dans le cadre desquels, à la différence des clauses

d’agrément statutaires, le bénéficiaire du dispositif, auquel incombe l’obligation de rachat

à défaut d’agrément, est un autre actionnaire et non pas la société.

584 - Enfin, il importe de relever, qu’en pratique, la valeur vénale ne constitue pas

toujours la juste rémunération des titres de l’actionnaire exclu ou retrayant. En effet, il

existe de nombreuses situations dans lesquelles les actionnaires entrent au capital

d’une société à des conditions préférentielles (le Professeur Le Nabasque emploie à ce

titre l’expression de « prix “cassé” » 1320), ce qui justifie que ces actionnaires en sortent à

des conditions grevées des mêmes décotes1321. Cela se vérifie particulièrement

1316 Voir supra, Partie I, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 2. 1317 J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°17. Dans le même sens, M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1083. 1318 J. Moury, débats sur « 3ème thème : La mise en application des clauses contractuelles et statutaires définissant la méthodologie d’évaluation », p. 15 et s. in « La pratique de l’évaluation irrévocable à dire d’expert (articles 1592 et 1843-4 du Code civil) », Gaz. Pal., 2009, p. 2 et s. 1319 En ce sens, Cl. Champaud et D. Danet, note sous Cour d’appel de Paris, 1re ch. A, 30 octobre 2007, RTD com., 2008 p. 127. Voir également, J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°5. 1320 H. Le Nabasque, note précitée, B. 1. 1321 H. Le Nabasque, note précitée, B. 1. En ce sens également, J.-C. de Lasteyrie, débats précités, Gaz. Pal., 2009, p. 15 et s.

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s’agissant des conditions de sortie organisées par les pactes d’actionnaires, lesquelles

doivent être appréciées globalement, les prix de rachat qui y sont garantis étant en

général subordonnés au respect de certains engagements. Corrélativement, des

conditions défavorables de sortie, au regard de la valeur vénale des titres, se justifient

pleinement lorsque les dispositions du pacte poursuivent un but coercitif. Nous en

trouvons une illustration dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 mai 2008, dans

lequel les juges du fond ont relevé que les promesses d’achat et de vente, conclues

entre le repreneur et le cédant dans le cadre d’une cession de contrôle, visaient

précisément à dissuader les partenaires de mettre fin, de manière anticipée, à leur

période de collaboration, en stipulant des contreparties financières volontairement

désavantageuses1322.

C’est justement dans le cadre d’un pacte extra-statutaire organisant une période

intermédiaire de collaboration entre le cédant et le repreneur, à la suite de la cession du

contrôle d’une société, que la Cour d’appel de Versailles a récemment confirmé le

maintien des pactes d’actionnaires hors du domaine d’application impérative de l’article

1843-4 du Code civil.

b) La confirmation jurisprudentielle du maintien des pactes d’actionnaires hors du

domaine d’application impérative de l’article 1843-4 du Code civil

585 - Aussi convaincants que puissent être les arguments avancés par la doctrine et

par les praticiens au soutien de la non-appartenance des pactes d’actionnaires au

domaine d’application impérative de l’expertise, la confirmation de cette thèse par la

Cour de cassation est d’autant plus attendue que cette dernière se montre, au contraire,

favorable à l’extension du domaine impératif de cette procédure.

586 - Un premier pas vers une confirmation en jurisprudence a été effectué par les

juges de la Cour d’appel de Versailles, dans l’arrêt précité du 10 septembre 20091323,

lequel confirme l’appartenance des cessions forcées statutaires au domaine d’ordre

public de l’expertise et, surtout, le maintien des pactes d’actionnaires hors de ce

domaine.

Dans le cadre d’une cession d’actions conférant le contrôle d’une société à la filiale d’un

groupe, le cédant se voit remettre, par le holding de ce groupe, des actions dans une

société intermédiaire, laquelle contrôle la filiale cessionnaire, et est nommé 1322 Cour d’appel de Paris 20 mai 2008, 3ème ch. section A, n°06/11163, Micouleau c/ SA Artémis, Ju risdata n°2008-365472. 1323 Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, D., 2009, AJ, p. 2220, note A. Lienhard ; BRDA, 19/09, inf. 1 ; Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque et JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet, précités.

Page 290: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

290

administrateur de cette société intermédiaire. Le montage permet ainsi au cédant, qui

conserve la qualité de PDG de la société dont il a cédé le contrôle, de continuer à gérer

efficacement cette dernière. Parallèlement à la cession de contrôle, le cédant et la

société holding du groupe cessionnaire concluent un pacte aux termes duquel ces

derniers se consentent des promesses croisées de vente et d’achat portant sur les

actions de la société intermédiaire, moyennant un prix déterminable selon une formule

conventionnelle, chacun des partenaires étant libre de lever l’option d’achat ou de vente

une fois que le cédant aura cessé tout mandat social au sein du groupe cessionnaire.

Cet événement réalisé, le holding lève l’option d’achat et le cédant réclame alors le

bénéfice de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil. Les juges du fond écartent

l’application de ce texte après avoir rappelé que « l’article 1843-4 n’est applicable que

lorsque la cession des parts sociales n’est pas spontanément voulue par les parties,

mais se trouve imposée par des règles législatives, statutaires ou extra-statutaires ; qu’il

n’est pas applicable en cas de promesse de vente librement consentie selon un prix

déterminable sur des éléments objectifs ».

La solution est clairement énoncée en des termes qui laissent parfaitement entendre la

volonté des juges de trancher le débat en se prononçant contre la soumission impérative

des pactes d’actionnaires à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil1324. A ce titre, il

convient de préciser que la référence, faite dans l’arrêt, aux cessions imposées par des

« règles […] extra-statutaires » renvoie aux règles éventuellement édictées par le

règlement intérieur et non pas aux dispositions conventionnelles stipulées dans les

promesses de cessions entre actionnaires1325. Il apparaît que de telles promesses de

cession librement consenties entre actionnaires ne remplissent pas la condition tenant

au caractère forcé de la cession ou du rachat, à laquelle est subordonnée l’application

impérative de la procédure d’expertise1326. Les juges opposent en effet radicalement les

cessions spontanées, que l’on peut qualifier encore de cessions volontaires ou

consensuelles, et les cessions, d’origine également conventionnelle, mais présentant un

caractère forcé, seules visées par l’article 1843-4 du Code civil.

Cette limite qu’assigne la Cour de Versailles à l’emprise de la procédure d’ordre public

devrait être accueillie avec soulagement par les praticiens et approuvée par la doctrine

dès lors que l’ensemble des pactes d’actionnaires devrait pouvoir échapper à

l’application impérative de l’expertise. L’arrêt l’établit expressément pour les pactes qui

organisent l’exclusion d’un actionnaire sous la forme de promesses unilatérales de

1324 Voir également, A. Lienhard, commentaire précité sous Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009. 1325 Du même avis, H. Le Nabasque, se fondant sur la tournure de l’arrêt, commentaire précitée sous Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, (note de pas de page n°1). 1326 On peut en déduire que les promesses de vente ou d’achat entre actionnaires stipulées dans les statuts n’appartiennent pas non plus au domaine impératif de l’expertise (H. Le Nabasque, op. cit., II. A - 2).

Page 291: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

291

cession sous condition1327. Il reste désormais à attendre que la Cour de cassation

confirme cette solution, ce sur quoi l’on peut se montrer optimiste1328.

587 - A ce titre, il semble bien que la chambre commerciale de la Cour de cassation

vient de confirmer, de manière encore timide, le caractère non-impératif de la procédure

de l’article 1843-4 du Code civil en matière de pactes d’actionnaires dans un arrêt du 24

novembre 20091329.

Les associés dirigeants d’une SARL avaient consenti, au profit de l’associé majoritaire,

une promesse de cession de leurs titres pour le cas où ils cesseraient leurs fonctions,

les modalités de détermination du prix étant précisées dans le pacte. L’associé

majoritaire avait obtenu en justice l’exécution forcée de la promesse au prix déterminé

selon la formule stipulée dans le pacte. En appel, les juges décident qu’est mal fondée

la demande des associés sortant tendant à obtenir le bénéfice de la procédure

d’expertise au motif que « le litige ne trouve pas sa source de la contestation entre

associés d’une disposition statutaire, mais dans l’inexécution par l’une des parties de

son obligation contractuelle »1330. La chambre commerciale approuve ainsi la Cour

d’appel d’avoir rejeté cette demande après que cette dernière ait relevé « par référence

aux stipulations précisant les modalités de calcul du prix de cession, que celui-ci était

déterminable et que la cession était devenue parfaite dès la levée de l’option » et « ainsi

fait ressortir que le prix n’avait fait l’objet d’aucune contestation antérieure à la

conclusion de la cession ».

Il apparaît que dans cette affaire, c’est davantage la Cour d’appel qui prend position en

faveur du maintien des promesses extra-statutaires de cession de titres hors du champ

d’application de l’expertise que la chambre commerciale, laquelle se contente

d’approuver l’arrêt par une décision de rejet, pour certains, empreinte de prudence et

dénuée de toute portée de principe au regard de l’article 1843-4 du Code civil1331. Il est

vrai que ce qui ressort avant tout de la solution de la chambre commerciale, c’est

l’affirmation, bien connue en droit commun, selon laquelle, dès lors que la méthode

conventionnelle stipulée dans la promesse respecte l’exigence de détermination du prix,

la levée de l’option par le bénéficiaire emporte la formation définitive de la vente. Mais

cette solution implique en outre que la vente est parfaite au prix ainsi déterminé dans la 1327 Lesquelles sont couramment qualifiées de promesses de rachat forcé, le terme forcé ne revêtant pas dans cette expression la même signification que celui qu’il revêt s’agissant de la condition d’application de l’expertise (voir supra, Partie II, Titre 1, Chap. 2, Sect° 1). 1328 A. Lienhard, op. cit. Egalement H. Le Nabasque, selon lequel la solution s’imposait avec la force de l’évidence en l’espèce (op. cit., II. B). 1329 Cass. com. 24 novembre 2009, D., 2009, AJ, p. 2924., A. Lienhard ; JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet et JCP, éd. E., 2010, 1146, note G. Mouy. 1330 Nous ne disposons pas à ce jour d’une reproduction intégrale de l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 16 septembre 2008 confirmé par le présent arrêt de la Cour de cassation. 1331 En ce sens, A. Lienhard et G. Mouy, obs. précitées sous Cass. com. 24 novembre 2009.

Page 292: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

292

promesse. Or, cette considération concerne de près l’article 1843-4 du Code civil

puisqu’elle signifie que le promettant, dont l’engagement de céder au prix convenu dans

la promesse est définitif dès la conclusion de cette dernière, ne peut plus élever aucune

contestation sur le prix, ainsi qu’il en est dans les promesses de droit commun.

Autrement dit, le promettant ne bénéficie pas automatiquement de la procédure

d’expertise. La référence ainsi faite par la chambre commerciale à l’absence de

contestation sur le prix antérieurement à la conclusion de la cession pourrait être

interprétée1332 comme un rappel de ce que les parties auraient pu recourir

spontanément, avant la conclusion de la promesse, à l’expertise de l’article 1843-4 du

Code civil si elles n’étaient pas parvenues à s’entendre sur une méthode d’évaluation.

588 - Cette confirmation par les juges du fond1333 et, plus timidement, par la Cour de

cassation1334, de ce que les pactes d’actionnaires se placent en dehors du champ

d’emprise automatique de l’article 1843-4 du Code civil est significative de la faible

influence qu’exerce l’environnement sociétaire sur les pactes d’actionnaires à cet égard.

Toutefois, si en raison de son fondement d’ordre public, lequel réside dans la protection

de l’actionnaire cédant contre la société, l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil ne

s’impose pas d’office dans le cadre des pactes d’actionnaires, il est de pratique très

courante, pour les partenaires, de recourir conventionnellement à cette expertise1335.

Or sur ce point, l’évolution qui s’est opérée en jurisprudence, dans le prolongement des

arrêts précités du 4 décembre 20071336, en faveur de la reconnaissance de l’autonomie

de l’expert, dans l’exercice de sa mission, au regard des méthodes d’évaluation

stipulées par les parties1337 n’est pas de nature à rassurer les praticiens1338 qui prévoient

le recours conventionnel à cette expertise dans le but de garantir précisément

l’application de la méthode de valorisation sur laquelle les partenaires se sont entendus

dans le pacte. Il existe en effet un doute, en droit positif, quant à la possibilité pour les

partenaires d’écarter l’indépendance de l’expert lorsqu’ils élisent conventionnellement la

procédure de l’article 1843-4 du Code civil dans leurs pactes.

1332 Voir en ce sens, A. Lienhard, op. cit. 1333 Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, D., 2009, AJ 2220, note A. Lienhard ; BRDA, 19/09, inf. 1 et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, et JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet, précité. 1334 Cass. com. 24 novembre 2009, précité. 1335 Rappelons que dans les espèces ayant donné lieu aux arrêts susvisés de la Cour d’appel de Versailles du 10 septembre 2009 et de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 24 novembre 2009, la clause de détermination du prix figurant dans le pacte ne renvoyait pas conventionnellement à l’expertise en cas de désaccord ou de difficulté quant à son application. 1336 Cass. com. 4 décembre 2007, pourvoi n°06-13912, Qu illiard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13 913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier, précités. 1337 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, précité. 1338 Voir notamment, R. Dammann et S. Périnot, D., 2009, p. 2170 sous Cass. com. 5 mai 2009.

Page 293: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

293

§ 2. Le doute quant au caractère impératif de l’ind épendance de l’expert de

l’article 1843-4 C. civ.

589 - La doctrine a toujours été divisée quant à la marge de manœuvre dont jouit

l’expert de l’article 1843-4 du Code civil en présence de directives d’évaluation prévues

contractuellement par les parties à la cession1339. La jurisprudence, après être demeurée

pendant un certain temps relativement confuse, affirme désormais clairement la totale

indépendance de l’expert au regard des clauses d’évaluation statutaires. Cette récente

affirmation résulte d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en

date du 5 mai 20091340, statuant sur l’étendue des pouvoirs de l’expert désigné dans le

cadre d’une procédure d’exclusion statutaire, pour laquelle il est désormais établi que

l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil est impérative en cas de désaccord entre les

parties sur le prix de rachat1341 et a été confirmée depuis1342.

590 - Cette jurisprudence suscite une vive inquiétude pour la pratique actuelle des

pactes d’actionnaires qu’il convient toutefois selon nous de relativiser. L’enjeu est certes

important dès lors que les signataires de pactes renvoient très fréquemment à la

procédure de l’article 1843-4 du Code civil afin que l’expert applique et soit donc tenu,

précisément, par les directives contractuelles d’évaluation prescrites à son attention. Et,

il est permis de douter, au regard de la jurisprudence relative à l’élection conventionnelle

1339 En faveur de l’autonomie de l’expert, voir D. Randoux, Le juste prix des biens et services dans les relations commerciales et industrielles, th. Lille, 1973, p. 688 et note sous Cour d’appel de Douai 24 février 1983, Rev. sociétés, 1983, p. 337 et D. Gibirila, note sous Cass. com. 19 avril 2005, Defrénois, 2005, n°38243. Contra, J.-J. Daigre, note sous Cass. 1 ère civ. 20 décembre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 247 ; J. Honorat et H. Hovasse, Defrénois, 1998. 679, note sous Cass. com. 10 mars 1998 ; R. Mortier, « Le tiers estimateur » in La sortie de l’investisseur, Litec, 2007, Vol. 1, p. 99 et s. et « Le prix de cession d’une prise de participation temporaire », Dr. sociétés, Actes prat., 2007, dossier 6, n°58 et Lamy Sociétés commerciales, 2009, n°848. 1340 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, précité. 1341 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1 . A. Notons qu’en l’espèce, les statuts renvoyaient expressément à l’article 1843-4 du Code civil en cas de contestation sur la valeur des rachat des titres de l’associé exclu. 1342 Voir dernièrement, Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.668, numéro JurisData : 2010-051670, confirmant Cour d’appel de Paris, 9 décembre 2008, 3ème ch. section A, (affaire M. P. Deyglun c/ Sté Civile des Mousquetaires), cité infra.

Page 294: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

294

d’autres dispositifs d’ordre public en droit privé1343, de la possibilité de se ménager une

application partielle d’un tel dispositif1344.

Toutefois, s’il s’avère sur ce point que l’ordre public sociétaire est susceptible d’exercer

une influence sur le recours conventionnel à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil

dans les pactes d’actionnaires, rendant cette pratique dangereuse au regard de l’objectif

de prévisibilité recherché par les partenaires, cette influence éventuelle peut, en tout état

de cause, être écartée par une simple modification de la pratique pour s’en remettre à

un tiers évaluateur par application de l’article 1592 du Code civil en lieu et place de la

procédure de l’article 1843-4 du Code civil.

591 - L’affirmation récente de l’indépendance de l’expert de l’article 1843-4 du Code

civil (A) laisse ainsi planer un doute quant à la possibilité d’écarter conventionnellement

cette indépendance dans les pactes d’actionnaires (B).

A. L’indépendance de l’expert

592 - Si, en vertu du principe de la liberté contractuelle, les parties à une cession de

droits sociaux ont toute liberté pour fixer, même à l’avance, les modalités de

détermination du prix, cette liberté est parfois écartée par l’ordre public, lequel impose,

dans les conditions et pour les raisons impérieuses ci-dessus développées, une

procédure particulière de fixation du prix par un tiers expert.

593 - L’esprit même de la procédure de l’article 1843-4 du Code civil, dont il est

désormais bien établi qu’il vise à protéger l’actionnaire tenu à la cession forcée de ses

titres, implique assurément que l’expert bénéficie d’une certaine marge d’appréciation

dans la fixation du prix1345. Mais l’application impérative de cette procédure est

conditionnée par l’existence d’un désaccord entre les parties, or une telle contestation

ne peut, semble-t-il, émerger entre ces dernières lorsqu’elles se sont d’ores et déjà

entendues sur la méthode de détermination du prix1346.

1343 Au regard du statut des baux commerciaux, voir Cass. ass. plén. 17 mai 2002, RTD. civ., 2003, p. 85, obs. J. Mestre et B. Fages. S’agissant de la Loi sur le crédit à la consommation, voir Cass. 1ère civ. 29 octobre 2002, obs. précitées J. Mestre et B. Fages, selon lequel « attendu que rien n’interdit aux parties de soumettre volontairement les opérations de crédit qu’elles concluent aux dispositions régissant le crédit à la consommation édictées par la loi du 10 janvier 1978 qui est alors applicable dans son entier ». (Précédemment, voir Cass. 1ère civ. 23 mars 1999, Bull. civ., I, n°108, p. 71 et RJDA, 5/99, n°597 (1 ère esp.), Cass. com. 4 février 1992, RJDA, 5/92, n°425 et Cass. 1 ère civ. 9 décembre 1997, RJDA, 4/98, n°491). 1344 On parle de dépeçage du dispositif. 1345 En ce sens notamment, D. Randoux, op. cit. et J. Moury, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 216, n°7. 1346 En ce sens notamment, R. Mortier, Dr. sociétés, 2008, comm. 23 et 177, précités sous Cass. com. 4 décembre 2007, Dr. sociétés, 2008, comm. 47, sous Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007 ; Dr.

Page 295: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

295

Il apparaît donc que c’est au niveau du point d’équilibre entre l’ordre public sociétaire et

l’autonomie de la volonté1347 que se situe le débat, d’une grande actualité, relatif à

l’efficacité des directives données contractuellement par les parties à l’expert désigné en

application de l’article 1843-4 du Code civil, lequel débat a reconquis l’intérêt de la

doctrine1348 à la suite des arrêts précités de la chambre commerciale de la Cour de

cassation du 4 décembre 20071349, avant que cette même chambre ne le tranche

définitivement dans un arrêt en date du 5 mai 20091350 dont la diffusion immédiate par la

Cour révèle l’importance, puis le confirme encore dernièrement dans un arrêt en date du

16 février 20101351.

594 - La chambre commerciale de la Cour de cassation avait énoncé par le passé,

dans deux arrêts en date du 29 juin 19931352 et du 19 avril 20051353, le principe de la

liberté de l’expert de l’article 1843-4 du Code civil en des termes quasi-identiques : ce

dernier a toute latitude pour déterminer la valeur des droits sociaux selon les critères

qu’il juge opportuns. Malgré la clarté de la solution énoncée, ces arrêts ne permettaient

toutefois pas de conclure à l’autonomie de l’expert au regard des directives prescrites à

son attention par les parties.

La portée de l’arrêt du 19 avril 2005 est en effet grandement affaiblie par le fait, qu’en

l’espèce, aucune formule de valorisation des titres n’était stipulée dans le pacte

organisant le rachat forcé des titres et renvoyant conventionnellement, en cas de

désaccord sur le prix, à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil.

Quant à l’arrêt du 29 juin 1993, il est plus riche d’enseignements dans la mesure où il

statuait dans le cadre d’un GFA dont les statuts définissaient la méthode de calcul de la

valeur des parts cédées tout en renvoyant à l’expertise en cas de contestation sur le

prix. La chambre commerciale y approuve la Cour d’appel d’avoir écarté la méthode

statutaire, après avoir constaté l’existence d’un désaccord entre les parties sur

l’application de la formule d’indexation, l’expert ayant toute latitude pour évaluer les

parts. Mais en l’espèce, les statuts organisaient une méthode d’évaluation statutaire

destinée, semble-t-il, à être évincée au profit de l’expertise en cas de désaccord. Il ne

sociétés, 2009, comm. 93, sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, et Dr. sociétés, 2009, comm. 114, sous Cass. com. 5 mai 2009. 1347 J. Moury, Rev. sociétés, 2008, p. 341, note sous Cass. com. 4 décembre 2007, n°1. 1348 Sur ce débat, voir A. Couret, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, I. 1349 Cass. com. 4 décembre 2007, pourvoi n°06-13912, Qu illiard c/ Sté Arues (publié au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury ; Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas et pourvoi n°06-13 913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier, précités. 1350 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, précité. 1351 Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.668 (a ffaire Sté Civile des Mousquetaires c/ M. P. Deyglun), Numéro JurisData : 2010-051670, précité. 1352 Cass. com. 29 juin 1993, Dr. sociétés, 1993, n°158, note Th. Bonneau. 1353 Cass. com. 19 avril 2005, précité, JCP, éd. E, 2005, 1390, note H. Lécuyer.

Page 296: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

296

s’agissait donc pas, pour la chambre commerciale, de confronter les pouvoirs de l’expert

aux stipulations conventionnelles destinées à encadrer la mission de ce dernier1354.

595 - Par ailleurs, les arrêts précités de la chambre commerciale en date du 4

décembre 20071355 n’enseignent rien, selon nous, quant à l’étendue des pouvoirs de

l’expert1356 bien qu’ils aient été interprétés en ce sens, de manière extensive, par

plusieurs auteurs1357. Non seulement on peut penser qu’il n’y avait aucune

« concurrence possible »1358 entre les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil et la

clause d’évaluation statutaire, laquelle portait en l’espèce sur le rachat des titres par une

société autre que la société émettrice1359, mais encore, ainsi que l’a confirmé le

Président de la chambre commerciale lui-même, la question soumise à la chambre ne

portait pas sur les pouvoirs de l’expert. Madame Favre précise en effet que la Cour de

cassation « ne pouvait pas se poser la question de savoir si l’expert qui avait été

désigné devait ou non appliquer le clause statutaire déterminant le mode d’évaluation

des parts. [Elle n’en n’était] pas là du raisonnement »1360.

596 - Il convient d’envisager au préalable les termes du débat relatif à

l’indépendance de l’expert au regard des directives d’évaluation qui lui sont imposées

par les parties (a) pour apprécier la solution récemment affirmée par la chambre

commerciale de la Cour de cassation en faveur de la totale autonomie de l’expert (b).

a) Les termes du débat relatif à l’indépendance de l’expert de l’article 1843-4 du Code

civil

597 - Le débat relatif à l’autonomie dont dispose l’expert de l’article 1843-4 du Code

civil dans l’exercice de sa mission s’intègre naturellement dans le cadre de celui, plus 1354 En ce sens R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, 1 et H. Le Nabasque, op. cit., I. B. 2, note n°17. 1355 Cass. com. 4 décembre 2007, deux espèces précitées. 1356 Contrairement à ce que laisse entendre la formule de la solution énoncée : « Viole l’article 1843-4 du Code civil, l’arrêt qui retient que […] ces règles statutaires l’emporteraient sur l’article 1843-4 du Code civil ». 1357 Voir notamment, R. Mortier, déplorant que ces arrêts condamnent, selon l’auteur, « toute méthode contractuelle, statutaire ou extra-statutaire, d’évaluation des droits sociaux, dès lors qu’elle résulte d’un accord antérieur à l’acte de cession ou de rachat », notes précitées sous Cass. com. 4 décembre 2007, Dr. sociétés, 2008, comm. 23 suivie de Dr. sociétés, 2008, comm. 177. Voir également, H. Hovasse, JCP, éd. E, 2008, p. 1159, note sous Cass. com. 4 décembre 2007 et J.-J. Daigre, Bull. Joly, 2008.214, note précitée sous Cass. 1ère civ. 20 décembre 2007. 1358 En ce sens, J. Moury, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 216, n°3. 1359 Rappelons que la clause d’évaluation figurant dans les statuts de la société civile concernait le rachat forcé des parts sociales imposé conventionnellement à la société anonyme anciennement employeur de l’associé exclu de la société civile. 1360 « La jurisprudence récente de la Cour de cassation », Claire Favre, Président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, in « La pratique de l’évaluation irrévocable à dire d’expert (articles 1592 et 1843-4 du Code civil) », Gaz. Pal., 2009, p. 3.

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297

général, relatif au fondement de la procédure d’expertise1361. Les défenseurs de

l’impératif de protection de l’actionnaire cédant à l’égard de la société se prononcent en

faveur de l’autonomie de l’expert tandis que ceux qui défendent l’impératif économique

soutiennent, au contraire, que l’expert est tenu par les prescriptions des parties.

598 - Le Professeur Moury avance ainsi, en faveur de l’autonomie de l’expert au

regard des directives que les parties prétendent imposer à ce dernier, un argument à la

logique imparable : l’assujettissement de l’expert aux méthodes conventionnelles

tiendrait en échec l’accomplissement même de la mission de ce dernier dès lors que,

« réduit à un rôle de simple de calculateur, il parviendrait a priori nécessairement au

montant même que conteste l’associé sortant »1362. L’auteur réserve cependant

l’hypothèse d’une contestation portant exclusivement sur la mise en œuvre des

modalités préalablement fixées, dans le cadre de laquelle l’intervention d’un tiers

indépendant pourrait se concevoir pour trancher le seul différend. Mais la frontière entre

la contestation portant sur la mise en œuvre de la formule d’évaluation et celle portant

sur les critères d’évaluation eux-mêmes nous semble être trop ténue, en raison de la

complexité des méthodes en cause, pour que cette nuance puisse être retenue en

pratique1363. Le Professeur Moury soutient en revanche que, si les parties parviennent à

s’entendre sur la désignation de l’expert, ainsi que le prévoit l’article 1843-4 du Code

civil, rien ne s’oppose à ce que ces dernières stipulent dans la convention de nomination

de cet expert une méthode ou des directives d’évaluation qui s’imposeront à ce

dernier1364. Mais une telle l’hypothèse reste assez théorique tant les chances sont

faibles, à ce stade de la procédure, que les parties s’accordent sur une méthode

d’évaluation alors qu’elles sont justement en désaccord sur le prix.

599 - Au contraire, les tenants de l’assujettissement de l’expert aux directives que les

parties ont souhaité imposer à ce dernier, parmi lesquels figure en première position le

Professeur Mortier, invoquent la liberté contractuelle et le respect de la parole

donnée1365. Ils relèvent que le caractère impératif de l’article 1843-4 du Code civil est

limité au domaine de la contestation. Or la méthode conventionnelle d’évaluation

1361 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1 , A. a. 1362 J. Moury, notes précitées sous Cass. com. 4 décembre 2007, n°7 et sous Cass. com. 5 mai 2009, n°22. 1363 J. Moury, op. cit. 1364 J. Moury, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007, n°5. En ce sens également, Lamy Sociétés Commerciales, 2009, n°850. 1365 R. Mortier, notes précitées sous Cass. com. 4 décembre 2007, Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007 et 9 décembre 2008 et Cass. com. 5 mai 2009. Voir également, M. Mekky, « Les clauses relatives au prix dans les cessions de droits sociaux », Rev. Lamy dr. civ., 2008, p. 64 et s. et H. Hovasse, JCP, éd. E, 2008, p. 1159, note sous Cass. com. 4 décembre 2007 ainsi que les praticiens, R. Dammann et S. Périnot, D., 2009, p. 2170, note sous Cass. com. 5 mai 2009.

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298

stipulée dans les statuts, laquelle a été antérieurement approuvée par les actionnaires

lors de la constitution de la société ou l’entrée de ces derniers au capital de la société,

ne peut être purement et simplement écartée au motif qu’elle soulève, dans son

application, des points de divergence. Une fois que les actionnaires ont donné leur

accord à l’application ultérieure de la clause d’évaluation statutaire, ce consentement ne

peut être révoqué unilatéralement. Admettre le contraire et « briser [ainsi] la loi des

parties reviendrait à transformer l’article 1843-4 en instrument de contentieux »1366, ce

qui aboutirait à une grande insécurité des relations juridiques1367 contre laquelle il est

naturel que les praticiens s’élèvent1368. Conformément à son analyse du fondement de la

procédure de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil comme répondant à un

impératif économique, le Professeur Mortier avance que l’expert n’est pas censé

« pourfendre les prévisions contractuelles [mais qu’il est] est au service du contrat »1369.

Selon l’auteur, l’article 1843-4 du Code civil organiserait ainsi l’intervention de l’expert

« non pas en cas de repentir d’une partie décidée à violer sa parole donnée, mais en

cas d’impossibilité des parties, le moment venu, à convenir d’un prix »1370 et cela de

manière à « surmonter les blocages contractuels »1371. Le Professeur Mortier en déduit

logiquement que « le forçage ne doit avoir lieu qu’à la stricte et à l’exacte mesure du

désaccord »1372, ce dont il conclut que l’article 1843-4 du Code civil « laisse à l’accord de

volonté toute latitude pour s’exprimer »1373, l’expert n’intervenant que pour trancher les

points litigieux1374.

600 - Ce débat doctrinal était en outre alimenté par une jurisprudence demeurée

pendant longtemps incertaine jusqu’à ce que la Cour de cassation ait l’occasion de se

prononcer sur la force contraignante des prescriptions données par les parties à l’expert.

b) L’affirmation par la jurisprudence de l’autonomie de l’expert de l’article 1843-4 du

Code civil

601 - Une telle situation s’est présentée, pour la première fois, devant la chambre

commerciale de la Cour de cassation dans une affaire concernant le groupe de

1366 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007. 1367 R. Mortier, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1368 R. Dammann et S. Périnot, commentaire précité, sous Cass. com. 5 mai 2009. 1369 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007. 1370 R. Mortier, op. cit. 1371 R. Mortier, op. cit. 1372 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008. 1373 R. Mortier, « Le tiers estimateur » in La sortie de l’investisseur, Litec, 2007, Vol. 1, précité, n°22. 1374 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, admettant la possibilité que l’accord amiable ne soit que partiel .Voir également, H. Hovasse, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007 et D. Poracchia, Bull. Joly, 2009, p. 540, note sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008.

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299

distribution Intermarché, ce groupement ayant donné lieu antérieurement, dans le cadre

d’espèces similaires, à plusieurs arrêts de la Cour d’appel de Paris caractérisant une

divergence d’opinion des juges sur la question de l’autonomie de l’expert au sein de

cette même cour.

Rappelons, à titre liminaire, le cadre juridique qui est identique dans l’ensemble de ces

décisions. Les franchisés du groupement Intermarché ont la possibilité, sous certaines

conditions, de devenir associé de la Société civile des Mousquetaires. Corrélativement,

les statuts de cette société prévoient l’exclusion1375 de tout associé dont le contrat de

franchise prendra fin et, qu’en cas de désaccord sur le prix de rachat, l’expert désigné

en application de l’article 1843-4 du Code civil déterminera la valeur de remboursement

des parts dans le respect des statuts et du règlement intérieur de la société.

602 - Dans un premier arrêt en date du 23 novembre 20051376, la Cour d’appel de

Paris a annulé, après avoir rappelé que la compétence du président du tribunal est

limitée au choix du nom de l’expert, l’ordonnance aux termes de laquelle le président du

tribunal donnait à l’expert, désigné conformément à l’article 1843-4 du Code civil,

mission de déterminer la valeur réelle des droits sociaux sans être tenu par les critères

définis par les statuts et le règlement intérieur de la société. Sur le point, qui nous

intéresse ici, de savoir si l’expert est tenu par les prescriptions statutaires et du

règlement intérieur stipulées à son attention par les parties, les juges ne se prononcent

pas clairement1377 mais semblent hostiles à voir l’expert être soumis à de telles

prescriptions conventionnelles. Statuant sur renvoi dans le cadre de cette affaire, une

autre formation de la même cour affirme, dans un arrêt en date du 9 décembre 20081378,

l’autonomie totale de l’expert, énonçant, de manière on ne peut plus explicite, qu’« Il

résulte des termes mêmes de ces dispositions impératives [article 1843-4 du Code civil]

qu’il appartient à l’expert de déterminer lui-même, selon les critères qu’il juge appropriés

à l’espèce, sans être lié par la convention ou les directives des parties la valeur des

droits sociaux litigieux », ce dont elle conclut que l’expert n’a pas commis d’erreur

grossière en écartant les directives d’évaluation contenues dans les statuts et le

règlement intérieur.

1375 Précisons qu’il s’agit d’une procédure d’exclusion stricto sensu, prononcée par l’assemblée générale. 1376 Cour d’appel de Paris 23 novembre 2005, 14ème ch. A, Sté civile des Mousquetaires (SCM) c/ Deyglun, Rev. sociétés, 2006, p. 193, note I. Urbain-Parleani. 1377 L’arrêt énonce que : « même s’il apparaît que le premier juge a précisé la mission de l’expert pour faire échec à la disposition des statuts ci-dessus rappelée et lui permettre de procéder en toute liberté à l’évaluation qu’il est seul apte à faire, il n’avait pas ce pouvoir ». 1378 Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, 3ème ch. section A, M. P. Deyglun c/ Sté Civile des Mousquetaires, D., 2009, p. 96, note A. Lienhard ; Bull. Joly, 2009, p. 540, note D. Poracchia et Dr. sociétés, 2009, comm. n°93, R. Mortier, par la suite confirmé par Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.66 8, numéro JurisData : 2010-051670.

Page 300: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

300

Cependant, dans un arrêt intermédiaire en date du 14 novembre 20071379, statuant sur

des faits similaires, la Cour d’appel de Paris ne s’est pas contentée d’annuler

l’ordonnance du président du tribunal en ce qu’elle s’était prononcée sur les critères

d’évaluation mais a clairement affirmé, à l’opposé de ce que semblait indiquer l’arrêt

antérieur du 23 novembre 2005, confirmé ultérieurement par l’arrêt du 9 décembre 2008

précité, que l’expert est tenu par la méthode de calcul que les statuts et le règlement

intérieur lui imposent. La Cour énonce en effet que le président du tribunal « ne pouvait

sans excès de pouvoir préciser dans sa motivation la mission de celui-ci [l’expert] en

indiquant que ce dernier devait “procéder en toute liberté”, et en “écartant l’application

de la méthode de calcul prévue dans les statuts”, alors au contraire que ce sont

justement les statuts qui doivent le guider ». Cet arrêt du 14 novembre 2007, accueilli

avec enthousiasme par les auteurs qui avaient conféré, tout en le déplorant, une portée

maximale à la solution énoncée par les arrêts précités de la chambre commerciale du 4

décembre 2007, était de nature à réconforter les praticiens. Le Professeur Mortier, en

particulier, avait émis le vœu que cet arrêt marque le début d’un revirement de la Cour

de cassation en faveur de l’affirmation de la primauté de la liberté contractuelle1380.

603 - C’est toutefois le contraire qui s’est récemment produit lorsque la chambre

commerciale a cassé cet arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 novembre 2007,

confirmant alors la solution énoncée, par une autre formation de cette même cour, dans

l’arrêt précité du 9 décembre 2008. Après avoir rappelé les termes de l’article 1843-4 du

Code civil, la chambre commerciale décide en effet, dans un arrêt en date du 5 mai

2009, qu’« En ce cas, seul l’expert détermine les critères qu’il juge les plus appropriés

pour fixer la valeur des droits, parmi lesquels peuvent figurer ceux prévus par les

statuts »1381. La Cour de cassation tranche ainsi nettement en faveur de la primauté de

l’ordre public sociétaire sur la liberté contractuelle, conformément à la thèse avancée par

une partie de la doctrine1382. Mais la solution semble quelque peu dépasser la pensée

de ces auteurs en ce qu’il ne serait pas même possible, pour les parties qui parviennent

1379 Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007, 14ème ch. A, Sté civile des Mousquetaires (SCM) c/ Crégniot, Dr. sociétés, 2008, comm. 47, R. Mortier. 1380 R. Mortier, notes précitées sous Cass. com. 4 décembre 2007, Dr. sociétés, 2008, comm. 23 suivie de Dr. sociétés, 2008, comm. 177. 1381 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, précité. L’arrêt enseigne également, au niveau procédural, par exception à l’absence de tout recours possible contre la décision désignant l’expert, que « le pourvoi est recevable contre une décision qui constate un excès de pouvoir et en tire les conséquences ». Ce revirement s’impose logiquement à la suite de l’affirmation de l’indépendance de l’expert (contra antérieurement Cass. 1ère civ. 6 décembre 1994, D., 1995.IR.40). 1382 Notamment J. Moury, notes précitées. Approuvant également la solution, voir A. Lienhard, D., 2009, p. 1349.

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301

à s’entendre sur la désignation de l’expert, de convenir de quelques directives

d’évaluation à l’attention de ce dernier dans l’acte de désignation1383.

604 - Le Professeur Mortier déplore quant à lui que la « bombe à retardement »1384,

dénoncée à la suite de la jurisprudence précitée du 4 décembre 2007, soit en cours

d’explosion et s’apprête ainsi à anéantir, par une réaction en chaîne, bon nombre de

clauses d’évaluation statutaires, à commencer par celles stipulées dans le cadre de la

structure Intermarché1385. Cette solution qu’il taxe d’« absolutisme jurisprudentiel »1386

fait, selon lui, de l’expert un « despote éclairé »1387 dans la mesure où, par ailleurs,

l’évaluation de ce dernier ne peut être remise en cause qu’en cas d’erreur grossière1388,

laquelle est rarement retenue en jurisprudence1389, le juge ne pouvant alors jamais se

substituer à l’expert pour réaliser l’évaluation1390. Il en résulte, selon le Professeur

Mortier une « insécurité juridique sans précédent en la matière »1391.

Malgré ces critiques, la chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé la

totale autonomie de l’expert dans l’exercice de sa mission, au regard des directives

statutaires données contractuellement par les parties, dans un arrêt en date du 16

février 2010 rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9

décembre 2008 précité, également relatif au groupement Intermarché1392.

605 - D’autres auteurs invitent à relativiser la portée de cette évolution

jurisprudentielle en ce qu’elle ne condamne pas toute méthode statutaire d’évaluation

1383 R. Mortier, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, 2°. Egalement D. Poracchia, note précitée sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, II. 1384 R. Mortier, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007, Dr. sociétés, 2008, comm. 23. 1385 R. Mortier, notes précitées sous Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008 et Cass. com. 5 mai 2009. 1386 R. Mortier, note précitée sous Cass. com. 4 décembre 2007, Dr. sociétés, 2008, comm. 23. 1387 R. Mortier, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, 2°. 1388 Le professeur Viandier définit l’erreur grossière comme celle « qu’un technicien normalement soucieux de ses fonctions ne saurait commettre » (A. Viandier, JCP, 1988.II.21050, note sous Cass. com. 4 novembre 1987). Peuvent également fonder un recours en annulation de l’évaluation, selon le droit commun, le dol, la violence ou le défaut d’indépendance (sur ce point, voir dernièrement, Cour d’appel de Paris 29 mai 2008, n°07-506, 3 ème ch. B, Gamet c/ FCPR Axa Private Equity Fund, BRDA, 20/08, Inf. 13). 1389 Voir, Cass. com. 4 novembre 1987, JCP, 1988.II.21050, note A. Viandier, précité, et Cass. com. 19 avril 2005, précité, JCP, éd. E, 2005, 1390, note H. Lécuyer. Il est désormais établi que cette erreur n’est pas constituée par le non respect, par l’expert, des directives conventionnelles d’évaluation (En ce sens expressément Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, précité, confirmé par Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.668, numéro JurisData : 2010-051670 ). 1390 Cass. 1ère civ. 25 novembre 2003, Dr. sociétés, 2004, comm. 95, F.-G. Trébulle ; Cass. 1ère civ. 25 janvier 2005, Dr. sociétés, 2005, comm. 62, F.-G. Trébulle et Cass. 1ère civ. 28 juin 2007, Dr. sociétés, 2007, comm. 193, note R. Mortier, cassant les arrêts par lesquels la Cour d’appel avait elle-même procédé à l’évaluation. De plus, lorsqu’ils annulent l’évaluation de l’expert, les juges n’ont pas le pouvoir de désigner d’office le nouvel expert (Cass. 1ère civ. 25 novembre 2003, précitée), la procédure tout entière doit alors être réitérée, en commençant par une tentative d’accord des parties sur la désignation du nouvel expert (voir toutefois un arrêt isolé dans lequel le tribunal compétent avait lui-même procédé à la nomination, Cass. 3ème civ. 6 novembre 2002, Dr. sociétés, 2003, n°65, note F.-X. Lucas). 1391 R. Mortier, op. cit. 1392 Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.668, N uméro JurisData : 2010-051670, confirmant Cour d’appel de Paris 9 décembre 2008, 3ème ch. section A, M. P. Deyglun c/ Sté Civile des Mousquetaire précité.

Page 302: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

302

convenue par anticipation1393. L’arrêt de la chambre commerciale du 5 mai 2009 énonce

en effet que parmi les critères que l’expert « juge les plus appropriés […] peuvent figurer

ceux prévus par les statuts »1394. Les clauses de valorisation ne sont donc pas inutiles,

un auteur assure à ce titre que « la Cour ne cherche certainement pas à marginaliser les

hypothèses d’évaluation encadrée par des méthodes prédéfinies, dont il ne serait pas

sain non plus que l’expert se méfie systématiquement, et sans doute même ce dernier

sera-t-il enclin à les suivre tant qu’elles lui sembleront de nature à conduire à la valeur

réelle des droit sociaux »1395. Mais il n’en reste pas moins que ce n’est plus qu’un

« zeste d’utilité »1396 que ces clauses de valorisation conservent, dès lors qu’elles cèdent

en cas de contestation entrant dans le domaine d’application impérative de l’expertise.

Ces clauses n’offrent donc plus aux actionnaires la prévisibilité, et partant, la sécurité

recherchée1397.

606 - Il convient désormais de s’interroger sur la portée que cette jurisprudence est

susceptible d’avoir sur la pratique, omniprésente et associée à des enjeux financiers

considérables1398, qui consiste pour les partenaires à élire conventionnellement la

procédure de l’article 1843-4 du Code civil dans leurs pactes. Ce faisant, les partenaires

conviennent de faire appliquer par l’expert la méthode d’évaluation sur laquelle ils se

sont entendus afin de se garantir contre tout risque éventuel d’indéterminabilité du prix,

laquelle tiendrait à l’incapacité des partenaires de liquider ou de s’entendre sur la

liquidation de la formule de calcul le moment venu.

Certes, il est désormais établi que les pactes d’actionnaires échappent à l’emprise

automatique de la procédure d’expertise, solution dont on attend sereinement une

confirmation expresse et de principe par la Cour de cassation1399. Mais il n’est pas pour

autant acquis que les partenaires puissent, en plaçant conventionnellement leur pacte

sous l’empire de l’article 1843-4 du Code civil, tout en éludant une partie du dispositif en

ce qu’il repose sur l‘autonomie de l’expert, bénéficier de la double garantie d’obtenir un

prix qui respecte à la fois l’exigence légale de détermination et qui soit conforme à la

méthode de fixation choisie par eux.

Le caractère impératif de l’indépendance de l’expert est en effet susceptible de rejaillir

sur les pactes d’actionnaires et déjouer les prévisions des partenaires. Mais il faut 1393 A. Lienhard, D., 2008, AJ. 16, note sous Cass. com. 4 décembre 2007et commentaire précité sous Cass. com. 5 mai 2009 ; M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon, D., 2008, p. 1231, note sous Cass. com. 4 décembre 2007 et A. Couret, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1394 Cass. com. 5 mai 2009, précité. 1395 A. Lienhard, commentaire précité sous Cass. com. 5 mai 2009. 1396 H. Le Nabasque, Bull. Joly, 2009, p. 1018, note précitée sous Cass. com. 5 décembre 2007, 5 mai 2009, Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009. 1397 H. Le Nabasque, op. cit. 1398 A. Couret, op. cit. 1399 Voir supra, Partie II, Titre 2, Chap. 2, Sect° 2, § 1 . B. b.

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303

relativiser cette influence dans la mesure où, d’une part, elle n’est qu’éventuelle, les

doutes étant sérieux quant au caractère absolu de l’indépendance de l’expert, et d’autre

part, elle peut être aisément contournée par un changement de pratique au profit de

l’article 1592 du Code civil.

B. Les doutes quant au caractère absolu de l’indépendance de l’expert

607 - Il convient à titre liminaire, avant de s’interroger sur la possibilité pour les

partenaires d’appliquer partiellement le régime de l’expertise de l’article 1843-4 du Code

civil, de rejeter l’idée avancée par certains selon laquelle cette expertise ne pourrait être

appliquée conventionnellement en dehors de son domaine impératif.

Un auteur en particulier, le Professeur Moury, soutient en ce sens que les domaines

d’application des articles 1843-4 et 1592 du Code civil ne s’interpénètrent pas et que

toute référence, non équivoque, faite par les parties à une cession consensuelle à

l’article 1843-4 du Code civil, en dehors donc du champ d’application impérative de ce

dernier, est susceptible d’être requalifiée par le juge en une stipulation en faveur de

l’article 1592 du Code civil1400. L’auteur s’appuie notamment sur une certaine

interprétation de deux arrêts anciens de la Cour d’appel de Douai du 24 février 19831401

et de la Cour de cassation du 4 novembre 19871402.

Cette opinion est toutefois isolée et contredite par la jurisprudence ultérieure1403. Si l’on

laisse de côté un arrêt critiqué ayant admis l’application conventionnelle de l’expertise à

une cession portant sur des biens autres que des titres sociaux1404, un arrêt de la

chambre commerciale de la Cour de cassation du 19 avril 20051405 admet, dans le

principe, l’élection de cette procédure faite par les partenaires dans un pacte

d’actionnaires contenant une promesse de cession de titres1406. Une fraction importante

de la doctrine confirme cette possibilité de s’en remettre à l’article 1843-4 du Code civil

1400 J. Moury, « Jeux d’ombres sur la détermination du prix par les tiers estimateurs des articles 1592 et 1843-4 du Code civil », Rev. sociétés, 2005.513, n°9 et 10 et Rev. sociétés, 2009, p. 503, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°18. 1401 Cour d’appel de Douai 24 février 1983, Rev. sociétés, 1983. 337, note D. Randoux, précité. 1402 Cass. com. 4 novembre 1987, JCP, 1988.II.21050, note A. Viandier, précité. Interprétant au contraire cet arrêt comme confirmant la possibilité pour les parties d’appliquer conventionnellement l’expertise, voir M. Germain, Traité de droit commercial – Les sociétés commerciales, T. 1, Vol. 2, 19ème éd., 2009, LGDJ, n°1083, p. 72. 1403 Voir notamment, Cass. com. 26 novembre 1996, Bul. Joly, 1997, p. 133, note C. Roca, précité ; Cass. com. 30 novembre 2004, n°03-13756, SA Ternetix et aut re c/ SA Néopost France, Defrénois, 2005, p. 890, note H. Hovasse, précité ; Cass. com. 19 avril 2005, JCP, éd. E, 2005, 1390, note H. Lécuyer, précité et Cass. com. 24 novembre 2009, D., 2009, AJ, p. 2924, A. Lienhard ; JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet et JCP, éd. E., 2010, 1146, note G. Mouy, précité. 1404 Cass. com. 30 novembre 2004, n°03-13756, SA Ternetix et autre c/ SA Néopost France, précité. 1405 Cass. com. 19 avril 2005, précité. 1406 En ce sens notamment, H. Le Nabasque, note précitée, II. B.

Page 304: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

304

en dehors de son domaine impératif1407, tout en concédant, pour certains auteurs1408,

que l’article 1592 du Code civil constitue le cadre plus naturel de l’élection

conventionnelle1409.

608 - S’il ne fait aucun doute que les signataires de pactes d’actionnaires sont libres

de décider d’appliquer conventionnellement l’expertise, une incertitude subsiste, en droit

positif, quant à la possibilité pour les partenaires de ne se soumettre que partiellement

au dispositif d’ordre public.

Or, la pratique quasi-systématique, consistant à prévoir l’intervention de l’expert de

l’article 1843-4 du Code civil pour appliquer la clause d’évaluation conventionnelle en

cas de difficulté de mise en œuvre de cette dernière par les partenaires et éviter ainsi

l’écueil de l’indétermination du prix, revient à éluder une partie du régime de l’expertise,

en ce qui concerne, précisément, l’autonomie récemment affirmée de l’expert.

La jurisprudence n’a pas encore été amenée à statuer sur la question, rappelons que

dans les espèces ayant donné lieu aux arrêts susvisés de la chambre commerciale de la

Cour de cassation en date du 5 mai 20091410 et du 16 février 20101411, la référence faite

dans la clause statutaire d’exclusion à la procédure d’expertise était indifférente dès lors

que cette dernière procédure y était d’application impérative1412.

609 - Nous n’adhérons pas à l’opinion d’une fraction non négligeable de la

doctrine1413 qui, condamnant par principe la validité du dépeçage conventionnel d’un

1407 Voir notamment, M. Germain, op. cit.; B. Fages, « La détermination du prix dans les cessions de titres sociaux. Exposé des règles générales sur fond de jurisprudence récente », Rev. Lamy dr. aff., 2006, p. 65 ; H. Le Nabasque, op. cit, II. A et B ; A. Couret, Bull. Joly, 2009, p. 728, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, II ; Mémento Expert Cession de parts et actions, n°37453 et Lamy Sociétés commerciales, n°847 et 848. 1408 En ce sens, R. Mortier, « Le tiers estimateur » in La sortie de l’investisseur, Litec, coll. Colloques et débats, 2007, Vol. 1, p. 102; M. Germain, op. cit.; H. Le Nabasque, op. cit., II. A - 1 (note de bas de page n°32) et A. Couret, op. cit. 1409 Il semble que dans l’esprit des praticiens, au contraire, le recours conventionnel à la procédure de l’article 1843-4 du Code civil est plus proche de la situation que ces derniers souhaitent créer dans la mesure où le texte vise expressément la cession de droits sociaux et l’existence d’un désaccord, éléments qui coïncident avec la volonté des partenaires de rendre l’expertise applicable en cas d’émergence d’une contestation au moment de la liquidation de l’application de la méthode conventionnelle (En ce sens, H. Le Nabasque, op. cit., II. B. 1/). 1410 Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury ; Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret et Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, précité. 1411 Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.668 (a ffaire Sté Civile des Mousquetaires c/ M. P. Deyglun), numéro JurisData : 2010-051670, précité. 1412 Voir également, H. Le Nabasque, op. cit., I. B. 2. b. 1413 Notamment, B. Fages, op. cit. ; H. Le Nabasque, op. cit., I. B. 2. b et II ; A. Couret, op. cit., II ; Mémento Expert Cession de parts et actions, F. Lefebvre, 2009-2010, n°37453 ; Lamy Sociétés commerciales, 2009, n°848 (qui ne vise pas expressément la mise à l’éca rt de l’autonomie de l’expert) et J. Moury, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009, n°18 (lequel se prononc e contre la possibilité d’élire conventionnellement la procédure, nous l’avons dit mais vise tout de même l’hypothèse dans l’absolu).

Page 305: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

305

dispositif d’ordre public1414, se prononce contre l’efficacité du recours conventionnel

partiel à l’article 1843-4 du Code civil1415.

L’élection conventionnelle partielle du régime de l’article 1843-4 du Code civil serait au

contraire valable et efficace1416 selon nous. Nous rejoignons donc l’avis des auteurs1417

et praticiens1418 qui soutiennent que l’autonomie de l’expert, affirmée par la Cour de

cassation dans les arrêts précités du 5 mai 2009 et du 16 février 20101419, n’est pas

impérative dans le cadre des pactes d’actionnaires se référant à la procédure de l’article

1843-4 du Code civil1420. On peut relever, à ce titre, la prudence dont fait preuve la Cour

de cassation dans la formule énoncée dans l’arrêt du 5 mai 2009 : « seul l’expert

détermine les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits, parmi

lesquels peuvent figurer ceux prévus par les statuts »1421, alors que « les hauts

magistrats connaissaient parfaitement tous les éléments du débat doctrinal »1422. Les

méthodes extra-statutaires telles que celles pouvant figurer dans le règlement intérieur

ne sont notamment pas visées. Et certains praticiens se demandent même si la formule

ne vise pas, avant tout, à réaffirmer, comme cela était mis au premier plan dans les

divers arrêts des juridictions de fond ayant statué relativement au Groupement

Intermarché1423, que les juges n’ont pas compétence pour donner des directives à suivre

par l’expert dans l’exercice de sa mission1424.

Plus fondamentalement, nous pensons que l’autonomie de l’expert a d’autant moins de

raison de s’imposer en matière de pactes d’actionnaires que l’impérativité de l’expertise

n’y est pas justifiée au regard du fondement d’ordre public assigné à cette procédure de

protection de l’actionnaire cédant à l’égard de la société1425. Le recours conventionnel à

1414 Ces auteurs élèvent ainsi en principe général, une solution appliquée par la jurisprudence à certains dispositifs d’ordre public, et selon lequel, dans le choix du recours conventionnel à un régime d’ordre public, les parties seraient confrontées à la « logique du “tout ou rien” » (H. Le Nabasque, op. cit.). Dans cette perspective, dès lors que les parties décident d’emprunter conventionnement un mécanisme d’ordre public, elles s’en remettent nécessairement au régime impératif de ce dernier dans son intégralité. Pour une condamnation du dépeçage contractuel du statut des baux commerciaux, voir Cass. ass. plén. 17 mai 2002, RTD. civ., 2003, p. 85, obs. J. Mestre et B. Fages, précité, et s’agissant de la Loi sur le crédit à la consommation, voir notamment Cass. 1ère civ. 29 octobre 2002, obs. J. Mestre et B. Fages, précitées. 1415 Mis de côté le cas des pactes d’actionnaires conclus dans le cadre spécifique de la SAS pour laquelle la procédure de l’article 1843-4 C. civ. ne présente qu’un caractère supplétif (art. L 227-18 C. com.). En ce sens, H. Le Nabasque, op. cit., I. A. 2. 1416 En ce sens, en matière de pacte de préférence, voir H. Le Nabasque, op. cit., II. A. 1. 1417 A. Lienhard, D., 2009, p. 1349, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1418 R. Dammann et S. Périnot, D., 2009, p. 2171, note précitée sous Cass. com. 5 mai 2009. 1419 Cass. com. 5 mai 2009 et 16 février 2010, précités. 1420 R. Dammann et S. Périnot, op. cit. 1421 Cass. com. 5 mai 2009, précité. 1422 A. Lienhard, op. cit. 1423 Voir notamment, Cour d’appel de Paris 23 novembre 2005, 14ème ch. A, Sté civile des Mousquetaires (SCM) c/ Deyglun, Rev. sociétés, 2006, p. 193, note I. Urbain-Parleani, précitée et Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007, 14ème ch. A, Sté civile des Mousquetaires (SCM) c/ Crégniot, Dr. sociétés, 2008, comm. 47, R. Mortier. 1424 R. Dammann et S. Périnot, op. cit. 1425 Voir également, A. Couret et Th. Jacomet, « Les pièges des pactes d’actionnaires : questions récurrentes et interrogations à partir de la jurisprudence récente », RJDA, 10/08, p. 951, n°26.

Page 306: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

306

l’article 1843-4 du Code civil dans les pactes répond assurément au souci des

partenaires de « surmonter les blocages contractuels »1426, l’expert ne devant intervenir,

selon la volonté de ces derniers, que pour trancher les points litigieux susceptibles

d’émerger lors de la mise en œuvre de la méthode d’évaluation sur laquelle ils se sont

entendus.

Il ne nous semble donc pas que l’intangibilité du régime de l’expertise de l’article 1843-4

du Code civil se prolonge hors de son domaine impératif. Mais, si tel était toutefois le

cas, la jurisprudence devrait être amenée à se prononcer à l’avenir sur ce point, les

partenaires pourraient aisément contourner l’éviction qui en résulterait des prescriptions

faites dans leurs pactes pour l’évaluation du prix de cession.

610 - En l’état actuel du droit positif, les partenaires seront bien avisés, pour

s’assurer au mieux de la validité de leur pacte au regard de l’exigence de détermination

du prix autant que de la bonne application ultérieure de la méthode conventionnelle

d’évaluation sur laquelle ils se sont entendus, de recourir exclusivement à la procédure

de l’article 1592 du Code civil1427. Le Professeur Le Nabasque confirme en ce sens

qu’« il est urgent d’abandonner, fût-ce par précaution, toute référence au mécanisme de

l’article 1843-4 dans les pactes et d’adopter celui de l’article 1592 du Code civil »1428.

611 - Il ne fait aucun doute, en effet, que dans le cadre de l’application de ce

mécanisme de détermination du prix de vente par un tiers, dénommé arbitre1429, les

partenaires peuvent librement aménager la mission de ce dernier en lui donnant, en

particulier, des indications sur la méthode d’évaluation à suivre ainsi que les critères et

éléments à retenir pour la valorisation des droits sociaux. La jurisprudence a eu

l’occasion de confirmer à plusieurs reprises que de telles prescriptions s’imposent au

tiers1430. Toutefois, ce dernier disposant, selon une jurisprudence récente et critiquée1431,

d’un pouvoir d’interprétation des prescriptions et autres clauses du contrat se rattachant

1426 R. Mortier, note précitée sous Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007, à propos du fondement de la procédure de l’article 1843-4 du Code civil, qui réside, selon l’auteur, dans un impératif économique. 1427 Sur ce régime, voir Mémento Expert Cession de parts et actions, F. Lefebvre, 2009-2010, n°3745 et s. 1428 H. Le Nabasque, note précitée, II. B. 2/. Voir également, A. Couret, op. cit., III. 1429 Art. 1592 C. civ. Rappelons à ce titre, qu’il s’agit aucunement d’une procédure d’arbitrage au sens juridictionnel. 1430 Cass. com. 8 avril 1999, JCP, éd. G, 1999.II. 10136, note A. Viandier ; Cass. com. 6 juin 2001, Dr. sociétés, 2001, comm. 170, Th. Bonneau et Cass. com. 19 décembre 2006 n°1476, Baude c/ Sté Sodi camb, RJDA, 4/07, n°365, 2 ème esp. Voir également, Cour d’appel de Paris 29 mai 2008, n°07-506, 3 ème ch. B, Gamet c/ FCPR Axa Private Equity Fund, précité, BRDA, 20/08, Inf. 13. 1431 Sur cette question, voir « 4. Le produit fini de l’expertise irrévocable ou la difficile obligation de trancher », E. Brochier et M. Nussenbaum, in Colloque de l’EFB du 25 janvier 2007, Gaz. Pal., 16-17 avril 2008, précité.

Page 307: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

307

à sa mission d’évaluation1432, il est recommandé aux partenaires de préciser

expressément l’étendue du pouvoir d’interprétation dont ils souhaitent investir le tiers.

De plus, sous réserve de l’erreur grossière1433, la décision du tiers de l’article 1592 du

Code civil s’impose aux parties et au juge dans les mêmes conditions que celle de

l’expert de l’article 1843-4 du Code civil, à cette différence près tenant à absence

d’autonomie du tiers arbitre.

612 - Enfin, la disposition de l’article 1592 du Code civil s’avère suffisamment souple

pour que la procédure puisse être adaptée aux besoins des partenaires. Ces derniers

sont notamment libres de conditionner la mise en œuvre du mécanisme par l’émergence

d’un désaccord entre eux ou de difficultés quant à l’application de la formule

conventionnelle de calcul.

On prête généralement au mécanisme de l’article 1592 du Code civil le défaut de ne pas

présenter une garantie suffisante au regard de l’exigence de détermination du prix dès

lors que si le tiers ne peut ou ne veut déterminer le prix, il n’y a point de vente1434. Mais

en pratique, il faut relativiser les garanties qu’offre l’article 1843-4 du Code civil à cet

égard1435. En outre, il est possible de verrouiller les conséquences d’une éventuelle

défaillance du tiers désigné en application de l’article 1592 du Code civil en prévoyant

de réamorcer la procédure de désignation1436 si ce tiers manque à sa mission1437 et

éventuellement, que dans un tel cas, la désignation du nouveau tiers sera faite par le

juge des référés1438. Une telle précaution laisse toutefois subsister une différence

irréductible avec le régime de l’article 1843-4 du Code civil1439, laquelle tient à ce que la

1432Cour d’appel de Paris 17 septembre 2004, RTD. civ., 2005, p. 154, obs. P-Y. Gautier (précisons que la Cour de cassation n’a pas été amenée à se prononcer dans le cadre de cette affaire qui s’est conclue par une transaction). Voir également, Cour d’appel de Paris 29 mai 2008, précité, lequel semble poser comme condition que le tiers ne soit pas ainsi amené à trancher des points de droit. 1433 Cass. com. 9 avril 1991, RTD com., 1992.215, obs. Cl. Champaud et Danet ; Cass. com. 6 juin 2001, Dr. sociétés, 2001, n°170, note Th. Bonneau, précité et Cass. co m. 4 février 2004, Rev. sociétés, 2004, p. 863, note J. Moury. 1434 Art 1592 C. civ. Voir également, concluant dans un tel cas à la nullité de la vente, Cass. com. 9 mai 1985, Bull. Joly, 1985, p. 788. 1435 En ce sens, le Professeur Couret relève qu’il arrive en pratique que l’expert de l’article 1843-4 du Code civil soit empêché de réaliser sa mission du fait de la mauvaise volonté d’un tiers par exemple (A. Couret, op. cit., II). 1436 Rappelons que le mode de désignation du tiers doit être précisé dans l’acte de cession sous peine de nullité (Cour d’appel de Paris 23 mai 1986, D., 1987, somm. p. 390). 1437 Voir également en ce sens, H. Le Nabasque, op. cit. 1438 Pour un exemple, voir Cass. com. 26 juin 1990, affaire Société Unitec International c/ M. Portugais et autres, précité, Rev. sociétés, 1991, p. 96, note I. Urbain-Parleani. 1439 Dans le cadre du renvoi à l’article 1843-4 du Code civil, la vente est valablement formée dès le moment où les partenaires conviennent de l’application de l’article 1843-4 du Code civil (Mémento Expert Cession de parts et actions, F. Lefebvre, 2009-2010, n°37455 et Cass. com. 30 novembre 2004, n°03-13756, SA Ternetix et autre c/ SA Néopost France, précité).

Page 308: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

308

cession organisée par le pacte n’est valablement formée qu’une fois que le prix est

effectivement déterminé par le tiers arbitre1440.

Conclusion du Chapitre 2

613 - Malgré certains doutes qui subsistent en droit positif à la suite de l’évolution

récente de la jurisprudence, l’influence de la prohibition des clauses léonines et de

l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil sur le régime des stipulations relatives au prix

dans les pactes d’actionnaires organisant des cessions ou des acquisitions d’actions est

faible.

614 - Ainsi la menace de la nullité, au titre de la prohibition des clauses léonines,

pour les pactes de retrait qui confèrent à leur bénéficiaire une option de vente à prix

garanti est-elle en net recul malgré le manque de clarté des fondements sur lesquels

repose l’évolution opérée par la jurisprudence en la matière.

615 - En effet, l’application de la réglementation des clauses léonines aux cessions

de droits sociaux ne va pas de soi. Elle est vivement critiquée en doctrine tant au niveau

de la logique consistant à associer mécaniquement la réalisation d’une moins-value sur

la cession de titres à la contribution aux pertes sociales, qu’au plan de la lettre du texte,

laquelle prohibe la seule exonération totale de contribution aux pertes, non acquise par

le bénéfice d’une faculté de cession à prix garanti, ou encore, au niveau de l’esprit de la

réglementation, la prohibition ne se justifiant que dans les rapports collectifs que les

actionnaires entretiennent avec la société.

C’est bien ce domaine d’application que la jurisprudence semble avoir consacré

lorsqu’elle a affranchi de la réglementation des clauses léonines, il y a plusieurs dizaines

d’années, les promesses unilatérales d’achat à prix plancher figurant dans les pactes

d’actionnaires dont l’objet est d’assurer une transmission d’actions. Si cet

affranchissement a par la suite été étendu aux promesses croisées de rachat et de

vente organisant, dans le cadre de conventions de portage, la rétrocession d’actions, la

jurisprudence n’a pas pour autant placé hors du domaine de l’article 1844-1 alinéa 2 du

Code civil l’ensemble des promesses de rachat à prix plancher entre actionnaires. Mais

il reste que pour celles qui demeurent soumises à la prohibition, la jurisprudence a

1440 En ce sens, Cass. 1ère civ. 24 novembre 1965, JCP, éd. G, 1996.II.14602, note Gaury ; Cass. com. 16 octobre 1984, Bull. Joly, 1984, p. 1197 ; Mémento Expert Cession de parts et actions, op. cit., n°37455 et R. Mortier, « Le tiers estimateur » in La sortie de l’investisseur, Litec, coll. Colloques et débats, 2007, Vol. 1, p. 101. Contra, H. Le Nabasque, selon lequel faute pour le tiers arbitre d’être en mesure d’effectuer l’évaluation, la vente, valablement formée ab initio, devient caduque (H. Le Nabasque, op. cit, spéc. note de bas de page n°43).

Page 309: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

309

remarquablement infléchi sa position depuis 2004, puisqu’elle en admet désormais la

validité sous certaines conditions.

616 - La jurisprudence distingue ainsi deux séries de conditions applicables aux

promesses unilatérales de rachat à prix plancher non affranchies de la réglementation,

l’une s’appliquant à un type d’opération particulier et l’autre générale, lesquelles sont

quasiment toujours réunies en pratique. En effet, soit la promesse est stipulée au profit

d’un actionnaire dont le profil s’apparente à celui d’un bailleur de fonds, ainsi qu’il en est

en général de l’investisseur dans le cadre des opérations de capital-investissement ou

du porteur dans le cadre des conventions de portage et alors, la promesse à prix

plancher est validée si le bailleur de fonds a érigé le bénéfice d’une telle promesse en

condition de son concours financier, ce qui est pratiquement toujours le cas compte tenu

de la fonction essentielle que remplit la promesse dans ce type d’opération. Dans toutes

les autres situations, la promesse est validée sous la condition que la faculté d’exercice

de l’option par le bénéficiaire soit encadrée dans le temps, ce qui est également quasi-

systématique.

Ainsi la jurisprudence en arrive-t-elle à admettre largement la validité des promesses de

rachat à prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines même si le

fondement des solutions qu’elle énonce reste incertain.

617 - Par ailleurs, le renforcement du domaine d’application impérative et de la

portée de la procédure d’expertise de l’article 1843-4 du Code civil, opéré par l’évolution

récente de la jurisprudence, ne devrait avoir, selon nous, aucune influence sur les

pactes d’actionnaires, ou, à tout le moins, qu’une influence modérée s’agissant de

l’opportunité de la pratique du recours conventionnel à l’expertise par les partenaires.

618 - D’une part, ce renforcement, qui s’est d’abord manifesté par l’extension

jurisprudentielle du domaine d’application impérative de l’expertise aux cessions

forcées, d’origine conventionnelle, stipulées dans les statuts, n’est pas de nature à

atteindre de manière automatique les même cessions organisées par les pactes

d’actionnaires. Cette évolution jurisprudentielle établit en effet que le fondement de

l’expertise d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil réside dans l’impératif de

protection de l’actionnaire cédant contre la société, a fortiori lorsque ce dernier est

minoritaire. Or, une telle protection n’a pas de raison d’être dans les cessions extra-

statutaires entre actionnaires, lesquelles sont étrangères aux rapports collectifs

entretenus par les actionnaires avec la société. C’est en ce sens que des juges du fond

se sont récemment prononcés en excluant du domaine d’application impérative de

Page 310: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

310

l’expertise les cessions spontanées entre actionnaires réalisées en exécution d’une

promesse de cession extra-statutaire, ce que la Cour de cassation commence à

confirmer timidement.

619 - Par ailleurs, dans le prolongement de la tendance jurisprudentielle récemment

initiée, la Cour de cassation a conféré au caractère d’ordre public de la procédure

d’expertise une portée maximale en affirmant que, dans l’exercice de sa mission,

l’expert est indépendant et autonome au regard des méthodes d’évaluation

conventionnelles. Or, cette autonomie pourrait être de nature à déjouer les prévisions

contractuelles des partenaires lorsque, comme bien souvent, ces derniers élisent

conventionnellement cette procédure dans le but, précisément, de faire appliquer par

l’expert les méthodes d’évaluation sur lesquelles ils se sont entendus. Il existe de

sérieux doutes en droit positif quant au caractère impératif de l’indépendance de l’expert

en matière de pactes d’actionnaires. Certains auteurs se fondent sur un principe général

d’interdiction du dépeçage conventionnel des dispositifs d’ordre public en droit privé

pour rejeter la possibilité pour les partenaires d’élire conventionnellement la procédure

d’expertise tout en écartant l’autonomie de l’expert. Nous pensons, pour notre part, que

l’indépendance de l’expert n’est pas plus impérative en matière de pactes d’actionnaires

que ne l’est, à l’égard de ces derniers, l’application de la procédure d’expertise elle-

même. Mais en l’état actuel du droit positif, il reste plus prudent pour les partenaires, afin

de s’assurer de l’application des méthodes conventionnelles qu’ils ont définies,

d’abandonner la pratique du recours conventionnel à l’expertise de l’article 1843-4 du

Code civil au profit des dispositions plus souples et mieux établies de l’article 1592 du

Code civil. L’efficacité de cette alternative, dans l’éventualité d’une reconnaissance, par

la jurisprudence, du caractère absolu de l’indépendance de l’expert est, en tout état de

cause, significative d’une influence très modérée de la procédure de l’article 1843-4 du

Code civil sur les pactes d’actionnaires, laquelle ne s’applique pas automatiquement à

ces derniers.

Page 311: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

311

Conclusion du Titre 2

620 - Les pactes d’actionnaires qui organisent des cessions ou des acquisitions

d’actions ne subissent qu’une faible influence de l’environnement sociétaire,

conformément au degré modéré de la dépendance au contrat de société qui les

caractérise.

621 - On note, en effet, la présence discrète de l’environnement sociétaire, en toile

de fond, dans le nécessaire respect de la limite irréductible posée par le corollaire du

principe de libre négociabilité des actions, le droit pour l’actionnaire de ne pas rester

prisonnier de ses titres, d’une part, et de la condition générale relative à la non-

contrariété à l’intérêt social, d’autre part. Au-delà de ces deux conditions, relativement

souples, l’ordre public sociétaire ne devrait avoir aucune incidence sur les pactes qui

organisent des cessions ou des acquisitions d’actions. S’il existe toutefois des

incertitudes, en droit positif, quant à l’influence que sont susceptibles d’exercer sur ces

derniers, les deux règles tenant à la prohibition des clauses léonines et à l’expertise de

l’article 1843-4 du Code civil, cette influence est assurément en recul et tend à

disparaître.

Les pactes d’actionnaires qui organisent des cessions ou des acquisitions d’actions sont

ainsi essentiellement soumis au droit commun de la vente et des avant-contrats et font

une large place à la liberté contractuelle, ce qui est significatif d’une dépendance

modérée au contrat de société.

622 - En premier lieu, le principe-même de la validité des pactes qui réduisent la

liberté qu’ont les actionnaires d’acquérir ou de céder des titres, est reconnu, au moins

implicitement, pour quasiment tous ces types de pactes, par la jurisprudence.

Seuls certains pactes relatifs aux cessions de titres sont un minimum encadrés par le

principe de libre négociabilité des actions, d’une manière bien établie en droit positif. Les

juges s’assurent essentiellement de ce que les pactes qui réduisent la liberté dont

jouissent les actionnaires de céder leurs titres, à tout moment, à la personne de leur

choix et sans entrave, n’ont pas pour effet, dans leur mise en œuvre, de tenir en échec

toute possibilité de cession, ce qui rendrait en pratique le débiteur prisonnier de ses

titres. Ces pactes présentant un risque atténué d’arbitraire de la part de l’un ou l’autre

des partenaires, il en résulte un encadrement souple de leurs modalités. A ce titre, les

pactes de préférence et d’agrément extra-statutaires sont pleinement affranchis de la

procédure légale d’agrément dont il est toutefois fréquent, en pratique, qu’ils s’inspirent

conventionnellement. Au-delà des quelques conditions qui encadrent la procédure de

Page 312: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

312

mise en œuvre de certains de ces pactes, au regard du garde-fou que constitue le droit

pour tout actionnaire de ne pas demeurer prisonnier de ses titres, les partenaires sont

suffisamment protégés par le droit commun. Il est d’ailleurs remarquable que,

contrairement à ce qui est parfois évoqué, le principe de libre négociabilité des actions

n’induit aucunement un droit au juste prix pour l’actionnaire cédant.

Les partenaires bénéficient ainsi d’une grande liberté contractuelle dans l’aménagement

des pactes relatifs aux cessions et acquisitions d’actions.

623 - S’agissant en particulier des stipulations relatives au prix, l’influence, encore

incertaine en droit positif, de la prohibition des clauses léonines et de l’expertise de

l’article 1843-4 du Code civil tend à s’effacer. En effet, la modicité de l’incidence de

l’ordre public sociétaire sur les pactes relatifs aux cessions et aux acquisitions d’actions

se traduit par le recul de la prohibition des clauses léonines, au regard de la stipulation

de promesses unilatérales de rachat à prix plancher entre actionnaires, d’une part, et

par le maintien des pactes d’actionnaires à l’abri du mouvement jurisprudentiel de

renforcement du caractère d’ordre public de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil,

d’autre part.

Les incertitudes qui subsistent en la matière, en droit positif, ne cachent pas un net recul

de l’influence de ces règles sur les pactes d’actionnaires. Il apparaît que cette limitation

du rayonnement de la prohibition des clauses léonines, énoncée à l’article 1844-1 alinéa

2 du Code civil, et de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil sur les pactes tient à la

reconnaissance progressive, par la jurisprudence, de ce que ces règles n’ont aucune

raison d’être dans le cadre de l’aménagement des acquisitions ou cessions de titres

entre actionnaires, lesquelles ne concernent pas les relations entretenues collectivement

par ces derniers avec la société.

624 - Au-delà des difficultés liées au caractère confus de la jurisprudence relative à

la prohibition des clauses léonines et à l’incertitude quant aux fondements des solutions

énoncées, cette prohibition est incontestablement en recul. La jurisprudence en arrive à

admettre largement la validité des promesses de rachat à prix plancher entre

actionnaires en distinguant entre celles qui sont affranchies de la réglementation en

raison de leur objet : organiser une transmission ou une rétrocession d’actions, et les

autres, qui sont bien concernées, quant à elles, par la réglementation mais échappent à

la prohibition à des conditions systématiquement réunies en pratique, qu’il s’agisse, pour

un bailleur de fonds, d’avoir conditionné son investissement au bénéfice d’une faculté de

désengagement à prix garanti, ou, dans toutes les autres promesses, que l’exercice de

l’option soit encadré dans le temps. Plus fondamentalement, il semble que les pactes

Page 313: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

313

qui contiennent des promesses de rachat d’actions à prix plancher entre actionnaires ne

sont pas de nature à menacer le bon fonctionnement de l’organisation sociale en ce que

ce dernier requiert une soumission à l’aléa social des actionnaires dans leurs relations

collectives avec la société. La jurisprudence tend à le reconnaître progressivement, et

l’on assiste, corrélativement, à la disparition de l’influence de la prohibition des clauses

léonines sur les pactes d’actionnaires.

625 - En outre, si le domaine d’application impérative de l’expertise de l’article 1843-

4 du Code civil a été élargi et la portée de cette procédure renforcée, ce qui marque une

consolidation de l’ordre public sociétaire, il en résulte, par contraste, un recul de

l’influence de l’environnement sociétaire à cet égard, sur les pactes d’actionnaires. Il

ressort en effet du fondement de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil révélé par

cette jurisprudence, lequel tient à l’impératif de protection de l’actionnaire cédant à

l’égard de la société, que les pactes d’actionnaires se situent hors du domaine

d’application impérative de l’expertise. Pour cette même raison, nous pensons que dans

le cadre du renvoi conventionnel à l’article 1843-4 du Code civil, l’indépendance de

l’expert ne s’impose pas aux partenaires, lesquels peuvent toujours, par précaution,

modifier leur pratique en faveur de l’application des dispositions de l’article 1592 du

Code civil.

626 - On le voit, l’appréciation que fait la jurisprudence des impératifs d’ordre public

qui fondent les règles énoncées aux articles 1844-1 alinéa 2 et 1843-4 du Code civil se

particularise et tend à libérer les pactes d’actionnaires de l’emprise de ces règles.

Page 314: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

314

CONCLUSION DE LA PARTIE II

627 - A l’issue de ces développements, il apparaît que l’environnement sociétaire

exerce une influence certaine sur le régime des pactes d’actionnaires. Cette influence

résulte de la dépendance, qui présente une forme de rapport d’accessoire à principal

révélée dans la première partie de cette étude, dans laquelle le pacte d’actionnaires se

place au regard du contrat de société. En effet, la dépendance du pacte d’actionnaires

au contrat de société a pour conséquence que le premier subit l’attirance des règles qui

régissent le second, ce qui ne veut pas dire que le pacte est soumis à ces règles

exactement dans les mêmes termes que le contrat de société mais que,

nécessairement, l’ordre public sociétaire marque de son empreinte le régime du pacte.

Cela se retrouve dans les conditions générales de validité des pactes d’actionnaires

énoncées par la jurisprudence : la non-contrariété à « une règle d'ordre public [ce qui

inclut en particulier l’ordre public sociétaire], à une stipulation impérative des statuts ou à

l'intérêt social »1441.

628 - De plus, cette influence sociétaire s’avère être plus ou moins intense d’un type

de pacte à un autre, ainsi que nous l’avions pressenti, conformément à la variabilité du

degré de dépendance qui imprègne la dimension d’accessoire du contrat de société que

revêt le pacte d’actionnaires.

Or, dans la mesure où tous les pactes sont soumis à la même base minimale d’emprise

de l’environnement sociétaire, laquelle tient au respect du domaine réservé aux statuts,

de la supériorité hiérarchique du contrat de société ainsi que de la condition de non-

contrariété à l’intérêt social, la variation d’intensité de l’influence sociétaire réside

nécessairement dans l’impact des règles relevant de l’ordre public sociétaire. Pour

mesurer la vigueur de cet impact éventuel, il convient alors de s’interroger, au préalable,

sur le fondement d’ordre public de chaque règle, de manière à vérifier si cette dernière

conserve sa raison d’être dans les relations individuelles entre actionnaires aménagées

par le pacte, puis, dans l’affirmative, d’apprécier les conditions qui encadrent le pacte de

manière à assurer le respect par ce dernier de la règle d’ordre public. Ainsi, l’influence

de l’ordre public sociétaire sur le pacte d’actionnaires est-elle d’autant plus soutenue

que les règles d’ordre public s’appliquent au pacte et induisent pour ce dernier un

encadrement rigoureux et proche de celui auquel le contrat de société est lui-même

soumis au regard de ces règles.

1441 Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, 781 note J.-J. Daigre et Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu, précités.

Page 315: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

315

629 - A ce titre, et très logiquement, il apparaît que les pactes caractérisés par une

dépendance marquée au contrat de société subissent plus rigoureusement l’emprise de

l’ordre public sociétaire que les pactes qui se placent dans un rapport de dépendance à

ce dernier d’une intensité plus modérée. Dans la première partie de cette étude, nous

avions pu identifier les trois vecteurs de rattachement du pacte d’actionnaires au contrat

de société que sont le droit de vote, la qualité d’actionnaire et le capital social, les deux

premiers imprimant aux pactes dont ils sont l’objet un degré de dépendance marqué au

contrat de société et le dernier vecteur, un degré de dépendance modéré. La seconde

partie de cette étude nous a alors permis de caractériser ces degrés de dépendance et

d’opérer une classification des pactes d’actionnaires sous cet angle.

630 - Ainsi, les pactes qui aménagent l’exercice du droit de vote et la perte de la

qualité d’actionnaire des partenaires subissent-ils une emprise rigoureuse de l’ordre

public sociétaire, dans le prolongement du caractère marqué de leur dépendance au

contrat de société.

La forte intensité de cette dépendance que présentent les conventions de vote et les

pactes qui organisent la cession forcée des titres d’un actionnaire, soit l’exclusion

entendue au sens large, ou l’inaliénabilité temporaire des titres d’un actionnaire tient à

ce que ces derniers affectent la société dans son fonctionnement, dans sa structure

et/ou dans son fondement-même. Ces pactes subissent en conséquence l’influence des

principes destinés à protéger les droits propres et fondamentaux de l’actionnaire ainsi

que la poursuite de l’intérêt commun : le droit de vote, le droit de rester dans la société

et le droit de ne pas demeurer prisonnier de ses titres ainsi que les principes assurant la

répartition des pouvoirs au sein des organes sociaux : le principe de hiérarchie et de

spécialité des organes sociaux et celui de la révocabilité ad nutum de certains dirigeants

dans la société anonyme. Ces principes donnent lieu à un encadrement ferme, plus ou

moins bien établi selon les pactes. Ainsi, les conditions qui encadrent les conventions de

vote et les pactes d’exclusion sont-elles mieux arrêtées en jurisprudence que celles qui

s’appliquent aux pactes d’inaliénabilité.

La dépendance marquée au contrat de société de ces pactes se caractérise alors dans

ce que la marge de souplesse dont les partenaires bénéficient pour réduire la liberté

d’exercice de leur droit de vote, s’engager à devoir céder leurs titres dans certaines

conditions ou à ne pas céder leurs titres pendant un certain temps, au regard des

principes gouvernant le fondement, le fonctionnement et la structure de la société est à

la mesure de celle dont ils bénéficient dans le cadre du contrat de société, pour exercer

leur droit de vote et aménager leurs droits de rester dans la société et de ne pas

demeurer prisonnier de leurs titres. Cela est manifeste pour les pactes d’exclusion dont

Page 316: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

316

les conditions sont le pendant des conditions qui entourent la validité des clauses

d’exclusion statutaires et visent à protéger l’actionnaire exclu de tout arbitraire. Cette

projection de la marge de liberté dont bénéficie l’actionnaire dans le cadre du contrat de

société sur la pacte est également remarquable dans l’application de la théorie de l’abus

du droit de vote pour apprécier le respect par la convention de vote de la condition

relative à la non-contrariété à l’intérêt social.

631 - Au contraire, les pactes d’actionnaires qui organisent des cessions ou des

acquisitions d’actions subissent une faible influence de l’environnement sociétaire,

laquelle tient essentiellement, pour certains de ces pactes, au respect de l’exigence

minimale et irréductible posée par le corollaire du principe de libre négociabilité des

actions, le droit pour l’actionnaire de ne pas rester prisonnier de ses titres.

Ainsi, les pactes de non-agression et de retrait, qui suppriment ou réduisent la liberté

qu’on les actionnaires d’acquérir des titres sont essentiellement soumis au droit

commun, les promesses de rachat à prix plancher, en particulier, étant largement

validées par la jurisprudence, malgré les incertitudes qui entourent les fondements du

recul de la prohibition des clauses léonines. De même, les pactes anti-dilution, clauses

d’offre alternative et clauses d’entraînement, qui restreignent la libre négociabilité des

actions par le mécanisme de la promesse unilatérale de vente sous condition, sont

essentiellement soumis au droit commun de la vente et des avant-contrats.

Seuls les pactes de préférence et d’agrément, lesquels limitent, avant tout projet de

cession, le choix du débiteur dans la personne de son cessionnaire éventuel sont un

minimum encadrés dans leur mise en œuvre, d’une manière bien établie en droit positif,

afin de s’assurer qu’ils n’ont pas pour conséquence, en pratique, de tenir en échec toute

possibilité de cession de ses titres par l’actionnaire débiteur.

Il apparaît que, dans le cadre des pactes qui organisent des cessions ou des

acquisitions d’actions, le risque d’arbitraire est atténué et les partenaires sont

suffisamment protégés par le droit commun des contrats, tandis que le contrat de

société n’est pas particulièrement menacé dans son fondement, son fonctionnement ou

sa structure, sauf fraude ou caractère contraire à l’intérêt social du pacte. Ces pactes

font donc une large place à la liberté contractuelle. Ils ne relèvent notamment pas du

domaine d’application impérative de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil, faute

d’emporter une obligation de cession ou de rachat forcé des titres d’un actionnaire à

l’égard de la société, seule situation justifiant l’impératif d’ordre public de protection de

l’actionnaire cédant contre la société. Les partenaires sont bien entendu libres de

recourir conventionnellement à cette procédure afin de se garantir l’application par

l’expert de la méthode de calcul de prix sur laquelle ils se sont entendus. Toutefois, en

Page 317: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

317

l’état actuel d’incertitude quant au caractère absolu de l’indépendance de l’expert, il est

plus prudent pour les partenaires de prévoir l’intervention du tiers de l’article 1592 du

Code civil.

632 - A l’issue de ces développements, nous pouvons confirmer que l’intensité de

l’influence de l’environnement sociétaire subie par les pactes d’actionnaires est dictée

par la force du rapport de dépendance dans lequel ces derniers se placent au regard du

contrat de société. C’est l’ampleur de l'intrusion que chaque pacte réalise au cœur de la

structure et du fonctionnement du contrat de société, fondement de ce rapport de

dépendance, qui justifie que certains des principes de l’ordre public sociétaire régissant

le contrat de société conservent leur raison d’être en dehors des statuts dans les

relations inter-individuelles d’actionnaires aménagées par le pacte. S’agissant d’autres

principes, en revanche, on assiste en jurisprudence à un recul certain de la prohibition

des clauses léonines et de l’influence de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil sur

les pactes d’actionnaires corrélativement à la reconnaissance progressive de la

spécificité des impératifs d’ordre public qui fondent ces principes, lesquels perdent toute

raison d’être dans le cadre des cessions ou acquisitions d’actions entre actionnaires

organisées par les pactes.

Quant à la conformité ou la non-contrariété à l’intérêt social, nous pensons, qu’en raison

du caractère imprécis de cette notion, elle est impuissante à fonder une condition

générale et objective de validité des pactes d’actionnaires et doit être circonscrite à

l’encadrement des conventions de vote. Nous rejoignons ainsi l’avis du Professeur

Lucas, selon lequel « l’on ne peut faire de la conformité à l’intérêt social une condition de

validité des pactes d’actionnaires. L’intérêt social est à vrai dire une notion trop floue

pour que sa méconnaissance puisse constituer à elle seule un motif d’invalidation. […]. Il

ne faut pas perdre de vue que, d’une manière générale, le reproche de ne pas respecter

l’intérêt social n’est jamais en lui-même un grief pertinent. Il faut, pour qu’il accède à la

vie juridique, l’incarner dans une construction plus consistante telle celle qui permet

d’annuler une délibération infectée par un abus de majorité »1442.

1442 F.-X. Lucas, Bull. Joly, 2007, n°4, p. 479, note sous Cour d’appel de Pari s 15 décembre 2006, affaire SNCM, précité.

Page 318: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

318

CONCLUSION GENERALE

633 - Les propositions qui suivent concluront cette étude :

634 - 1/ Le pacte d’actionnaires se présente par essence, de par son objet et ses

causes, comme une forme d’accessoire du contrat de société.

Les pactes d’actionnaires ont tous pour objet matériel, de manière alternative ou

cumulative, l’un des éléments constitutifs de la structure et du fonctionnement de la

société : les actions qui composent le capital social et/ou le droit de vote, dont l’exercice

contribue à l’orientation collective du pouvoir au sein de la société. En outre, les pactes

d’actionnaires trouvent, à double titre, leur cause, entendue sous les acceptions

efficiente et finale de la notion, dans la qualité réciproque d’actionnaire des partenaires.

D’une part, la cause catégorique du pacte réside dans la confiance mutuelle attachée à

la qualité d’actionnaire des signataires. D’autre part, le pacte d’actionnaires a pour

cause-fonction l’aménagement des relations réciproques entre actionnaires.

Les fondements de cette dimension d’accessoire du contrat de société que revêt le

pacte d’actionnaires tiennent donc, non seulement à l’emprunt, par ce dernier, de sa

matière au contrat de société, mais encore, à sa raison d’être, laquelle réside dans la

qualité réciproque d’actionnaires des partenaires. Ainsi, la dépendance du pacte

d’actionnaires au contrat de société se caractérise-t-elle, de la manière la plus évidente,

par la caducité qu’entraîne, pour le pacte, la transformation du contrat de société ou la

perte de la qualité d’actionnaire d’un partenaire, quelle qu’en soit l’origine.

635 - 2/ Cette dimension d’accessoire, qui est par essence commune à tous les

pactes d’actionnaires et transcende la diversité de ces derniers, est toutefois à

géométrie variable. Elle repose sur divers facteurs de rattachement au contrat de

société que sont l’exercice du droit de vote, la détention des actions ou la qualité

d’actionnaire des partenaires, lesquels impriment, selon qu’ils s’immiscent plus ou moins

profondément dans le fondement, la structure ou encore le fonctionnement de la société,

divers degrés de dépendance dans la relation pacte - contrat de société. Les pactes

relatifs à l’exercice du pouvoir et à la perte de la qualité d’actionnaire se situent dans un

fort degré de dépendance au contrat de société. Ils interfèrent en effet directement avec

le fonctionnement, la structure et le fondement-même du contrat de société et sont, à ce

titre, davantage susceptibles de tomber sous l’emprise des règles de l’ordre public

sociétaire qui régissent ces différents aspects du contrat de société que ne le sont les

pactes qui organisent des cessions ou des acquisitions d’actions.

Page 319: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

319

636 - 3/ A la variabilité de la dimension d’accessoire du contrat de société que

présentent les pactes d’actionnaires est logiquement associée une influence variable de

l’environnement sociétaire sur les pactes.

L’identification du facteur de rattachement du pacte au contrat de société permet ainsi

de déterminer l’intensité du degré de dépendance dans lequel se place le pacte et la

force de l’emprise de l’ordre public sociétaire qui en résulte pour ce dernier. La

jurisprudence se révèle être, d’une manière générale et par-delà la casuistique, en

cohérence avec cette variabilité proportionnelle de l’influence de l’environnement

sociétaire sur les pactes. Elle est en effet homogène au regard des grandes catégories

de pactes que permettent de former, à raison de l’intensité du degré de dépendance

qu’ils impriment, les trois facteurs de rattachement au contrat de société sur lesquels les

pactes sont susceptibles de porter. Les pactes caractérisés par une dépendance

marquée au contrat de société bénéficient ainsi d’une marge de liberté limitée à la

mesure de celle offerte par le contrat de société pour l’exercice du droit de vote ou

l’aménagement de la perte de la qualité d’actionnaire. Au contraire, les pactes

caractérisés par une dépendance modérée au contrat de société, lesquels organisent

des cessions ou des acquisitions d’actions, sont plus largement libérés des contraintes

auxquelles est soumis le contrat de société au regard du principe de libre négociabilité

des actions. C’est sous cet angle qu’il est possible de trouver une unité et une rationalité

dans la jurisprudence relative aux pactes d’actionnaires et d’anticiper les évolutions

probables de cette jurisprudence.

637 - 4/ Cette influence de l’environnement sociétaire sur les pactes n’est toutefois

pas automatique. Toute règle de l’ordre public sociétaire relevant du fonctionnement, de

la structure ou même du fondement du contrat de société ne trouve pas nécessairement

à s’appliquer aux pactes susceptibles d’interférer avec l’un de ces aspects du contrat de

société. La jurisprudence est en effet amenée à se prononcer, au préalable, sur le

fondement du principe défendu par l’ordre public sociétaire de manière à justifier de

l’impérativité de ce dernier pour le pacte d’actionnaires en cause. Ainsi, la jurisprudence

tend-elle à reconnaître, en matière de promesses de rachat à prix plancher entre

actionnaires présentant un caractère léonin, que la prohibition ne leur est pas applicable

en ce que cette dernière est dépourvue de raison d’être dans le cadre de pactes

organisant des cessions d’actions entre actionnaires. Il en est de même de l’application

de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil aux pactes d’actionnaires, peu important

le degré de dépendance de ces derniers au contrat de société, dès lors que

l’impérativité de cette expertise dans le cadre des relations individuelles entre

Page 320: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

320

actionnaires est sans fondement. En revanche, la jurisprudence ne s’est jamais attachée

à définir la notion d’intérêt social, ce qui laisse une certaine marge d’appréciation aux

juges, source de souplesse mais également d’incertitude.

638 - 5/ Cette étude de l’influence de l’environnement sociétaire sur les pactes

d’actionnaires met en évidence, au-delà du cadre particulier des aménagements extra-

statutaires entre actionnaires, certaines tendances fondamentales qui animent le droit

des sociétés.

On assiste à un recul de la vigueur des principes d’ordre public sociétaire. Ce recul

passe, d’une part, par l’affirmation, par la jurisprudence et de plus en plus par le

législateur, du caractère non absolu des droits reconnus comme propres aux

actionnaires, ces derniers pouvant valablement renoncer, sous certaines limites, à la

protection qui leur est offerte. Ainsi, le droit de vote, le droit de rester dans la société ou

la libre négociabilité des actions peuvent-ils être aménagés par leur titulaire tant dans

les statuts que dans les conventions extra-statutaires entre actionnaires. Seuls les

principes « qui ont pour objet le fonctionnement de l’institution sociétaire » dans la

société anonyme1443, tels que le principe majoritaire et ceux assurant la répartition des

pouvoirs au sein des organes sociaux conservent un caractère absolu. Ce recul de

l’ordre public sociétaire se confirme, d’autre part, par la tendance jurisprudentielle à la

reconnaissance du particularisme d’autres principes dont l’impérativité ne se justifie pas

en dehors des relations entretenues collectivement par les actionnaires avec la société.

1443 M.-Ch. Monsallier, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°890 et s.

Page 321: Thèse Le Pacte d'actionnaires C. Leroy

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V. Principaux arrêts

Cass. com. 16 février 2010, pourvoi n°09-11.668 (af faire Sté Civile des Mousquetaires c/ M. P. Deyglun), Numéro JurisData : 2010-051670 Cass. com. 9 février 2010, pourvoi n°09-10.800 Cass. com. 19 janvier 2010, Dr. sociétés, 2010, comm. 70, D. Gallois-Cochet. Cass. com. 24 novembre 2009, D., 2009, AJ, p. 2924, A. Lienhard, JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet, JCP, éd. E., 2010, 1146, note G. Mouy. Cour d’appel de Versailles 10 septembre 2009, D., actualité 17 septembre 2009, note A. Lienhard, BRDA, 19/09, inf. 1, Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, JCP, éd. E., 2010, 1200, note M.-L. Coquelet Cour d’appel de Paris 29 mai 2008, n°07-506, 3 ème ch. B (affaire Gamet c/ FCPR Axa Private Equity Fund), BRDA, 20/08, Inf. 13. Cour d’appel de Lyon 14 mai 2009, 3ème ch. B, (affaire FGI SARL c/ Saint-André SA), Dr. sociétés, 2010, comm. 6, H. Hovasse Cass. com. 5 mai 2009, Rev. sociétés, 2009, p. 503, note J. Moury, Bull. Joly, 2009, p. 728, note A. Couret, Bull. Joly, 2009, p. 1018, note H. Le Nabasque, D., 2009, p. 2170, note R. Dammann et S. Périnot. Cass. com. 28 avril 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 136, H. Hovasse, RTD. civ., 2009, p. 525, note B. Fages. Cass. com. 17 mars 2009, RTD. com., 2009, p. 383, note P. Le Cannu et B. Dondero. Cass. com. 3 mars 2009, Dr. sociétés, 2009, comm. 110, M.-L. Coquelet.

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Cour d’appel de Paris, 9 décembre 2008, 3ème ch. section A, (affaire M. P. Deyglun c/ Sté Civile des Mousquetaires), D., 2009, A.J. 96, obs. A. Lienhard, Bull. Joly, 2009, p. 540, note D. Poracchia, Dr. sociétés, 2009, comm. n°93, R. Mortier. Cour d’appel de Paris 1er juillet 2008, 3ème ch. A, Rev. sociétés, 2008, p. 786, note D. Poracchia. Cour d’appel de Paris 20 mai 2008, 3ème ch. section A, n°06/11163, Micouleau c/ SA Artémis , Jurisdata n°2008-365472. Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, Bull. Joly, 2009, p. 40, note P. Le Cannu. Cass. com. 6 mai 2008, Bull. Joly, 2008, p. 779, note Th. Massart. Cass. com. 8 avril 2008, Dr. sociétés, 2008, comm. n°129, note H. Hovasse. Cass. 3ème civ. 27 mars 2008, RDC, 2008, p. 734, note D. Mazeaud, JCP, éd. N, 2008, p.1299, note G. Pillet. Cass. com. 11 mars 2008, Dr. Sociétés, 2008, n°94, note Mortier. Cass. com. 12 février 2008, Bull. Joly, 2008, p. 266, note Th. Massart. Cass. 1ère civ. 20 décembre 2007, Bull. Joly, 2008.214, note J.-J. Daigre. Cass. com. 18 décembre 2007, JCP, éd. E, 2008, p. 1516, note R. Mortier, Dr. sociétés, 2008, comm. 55, H. Hovasse, RTD. civ., 2008, p. 297, note B. Fages Cass. com. 4 décembre 2007, - pourvoi n°06-13912, Quilliard c/ Sté Arues (publi é au Bulletin), Rev. sociétés, 2008, p. 341, note J. Moury, Bull. Joly, 2008, p. 216, note F.-X. Lucas, JCP, éd. E, 2008, p. 1159, commentaire H. Hovasse, Bull. Joly, 2008, p. 844, commentaires R. Dammann et S. Périnot, D., 2008, AJ. 16, A. Lienhard, D., 2008, p. 1231, note M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon, - pourvoi n°06-13913, Jacqmin c/ Société SCF Arues, Dr. sociétés, 2008, comm. 177, note R. Mortier. Cour d’appel de Paris, 3ème ch. A, 4 décembre 2007, Bull. Joly, 2008, n°4, p. 307, note B. Fages. Cour d’appel de Paris 14 novembre 2007, 14ème ch. A, (affaire Sté civile des Mousquetaires (SCM) c/ Crégniot), Dr. sociétés, 2008, comm. 47, R. Mortier.

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Cass. com. 6 novembre 2007 (affaire SNCM), Rev. sociétés, 2008, p. 89, note J. Moury, D., 2008, p. 1024, note B. Dondero, Bull. Joly, 2008, p. 125, note X. Vamparys, Dr. sociétés, 2008, comm. n°10, obs. H. Hovasse, Les Echos, n°20053, 23 novembre 2007, p. 12, Ph. Delebecque. Cass. 1ère civ. 31 octobre 2007, JCP, éd. N, 2008, 1064, note R. Mortier. Cass. com. 23 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 239, note L. Godon, D., 2009, p. 323, obs. J.-Cl. Hallouin. Cour d’appel de Versailles 9 octobre 2007, Bull. Joly, 2008, p. 39, note P. Mousseron. Cass. com. 10 juillet 2007, Dr. sociétés, 2007, n°179, obs. H. Hovasse. Cass. 1ère civ. 28 juin 2007, Dr. sociétés, 2007, comm. 193, note R. Mortier. Trib. com. Paris 25 juin 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1203, note F.-X. Lucas. Cour d’appel de Paris 27 mars 2007, Bull. Joly, 2007, p. 1002, note F.-X. Lucas. Cass. com. 20 mars 2007, JCP, éd. G, 2007.I. 179, n°3, chron. J.-J. Caussain, F l. Deboissy et G. Wicker. Cass. com. 20 février 2007, n°05-12.366, Dungler c/ Garon, inédit. Cass. com. 19 décembre 2006 : - pourvoi n°05-10.199 F-D, Sté coopérative d'approv isionnement Paris Est (Scapest) c/ Sté ITM Entreprises, RJDA, 4/07, n°365, 1 ère esp., - pourvoi n°05-10.197 , Sté coopérative d'approvisionnement Paris Est (Scapest) c/ Stés Tomblaine distribution et Sonédis, RTD Com., 2007, p. 169, obs. P. Le Cannu, - pourvoi n°05-10.198 , SA SCAPEST c/ SA ITM Entreprises, n°Jurisdata : 20 06-036780, - pourvoi n°03-21.042, Baude et autres c/ Sté Sodic amb et autres, RJDA, 4/07, n°365, 2 ème esp. Cour d’appel de Paris 15 décembre 2006 (affaire SNCM), D., 2007, p. 2045, note J. Moury, Bull. Joly, 2007, n°4, p. 479, note F.-X. Lucas, RTD com., 2007, p. 169, note P. Le Cannu. Cass. 3ème civ. 29 novembre 2006, Rev. sociétés, 2007, p. 319, note B. Dondero. T. com. Paris 17 octobre 2006 (affaire SNCM), Dr. sociétés, 2007, 137, comm. H. Hovasse, Bull. Joly, 2007, p. 72, note F.-X. Lucas. Cass. com. 3 octobre 2006, JCP, éd. E, 2006, p. 1903.

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Cass. ch. mixte 26 mai 2006, JCP, éd. G, 2006, n°36, II.10142, p. 1652, note L. Lev eneur, RTD. civ., 2006, chron. 1, p. 550, note J. Mestre et B. Fages, Rev. Lamy Dr. aff., 2006/8, n°406, D. Velardocchio, et Defrénois, 2006, p. 1206, n°38433-41, obs. E. Savaux. Cass. com. 23 mai 2006, n°670 F-D, Dreano c/ Partuc ci, RJDA, 11/2006 n°1140 (relatif à une SARL). Cass. com. 22 novembre 2005, JCP, éd. E, 2006, 1463, note A. Constantin. Cour d’appel de Paris 23 novembre 2005, 14ème ch. A, (affaire Sté civile des Mousquetaires (SCM) c/ Deyglun), Rev. sociétés, 2006, p. 193, note I. Urbain-Parleani. Cour d’appel de Paris 18 octobre 2005, n°04-4322, 3 ème ch. A, Hermann c/ Vileghe, RJDA, 7/06, n°791. Cass. com. 27 septembre 2005 (Sté Financière de Marcory c/ Sté Sofipharm, n°04-12168), RJDA, 12/05, n°1359, 1 ère esp. Cass. com. 27 septembre 2005, (affaire BSA Bourguoin), Bull. Joly, 2006, n°1, p. 92, note A. Couret, Rev. sociétés, 2005, comm. 210, H. Lécuyer. Cass. com. 19 avril 2005, JCP, éd. E, 2005, 1390, note H. Lécuyer. Cass. com. 8 mars 2005 : - pourvoi n°02-17.692, Bull. Joly, 2005, p. 955, note P. Le Cannu, - pourvoi n°02-11.462, inédit. Cass. com. 22 février 2005 (affaire Laurent c/ CRCAM du Morbihan, dite également affaire Textinlinger), Rev. sociétés, 2005, p. 353, note P. Le Cannu, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque. Cass. com. 22 février 2005 (affaire Gontard c/ M. Jean Papelier), Bull. Joly, 2005, p. 961, note F.-X. Lucas, JCP, éd. E, 2005, n°938, note H. Hovasse, Dr. sociétés, 2005, comm. 107, G. Trébulle, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque. Cass. 1ère civ. 25 janvier 2005, Dr. sociétés, 2005, comm. 62, F.-G. Trébulle. Cour d’appel de Paris 14 décembre 2004, n°03-21818, 3ème ch. A, Verdrand c/ Gilliand, BRDA, 20/05, inf. 6. Cass. com. 30 novembre 2004 : - pourvoi n°03-13756, (affaire SA Ternetix et autre c/ SA Néopost France, Defrénois, 2005, p. 890, note H. Hovasse, - pourvoi n°03-15278, SCI Notre-Dame c/ X et Autres , Bull. Joly, 2005, p. 400, note H. Le Nabasque. Cass. com. 16 novembre 2004, Rev. sociétés, 2005, p. 593, note H. Le Nabasque.

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Cour d’appel de Nancy 20 octobre 2004 : - n°98-3311, 2ème ch. com., affaire Rousselot c/ SA ITM Entreprises, RJDA, 10/05, n°1115, - affaire M. Chaffournais et a. c/ Epoux Rifaut, JCP, éd. E, 2005.446, M.-A. André et J. Raynard. Cour d’appel de Versailles 14 octobre 2004, RJDA, 5/05, n°574. Cour d’appel de Paris 17 septembre 2004, RTD. civ., 2005, p. 154, obs. P-Y. Gautier. Cass. com. 26 mai 2004, JCP, éd. E, 2004, 1344, note A. Viandier. Cass. com. 28 avril 2004, RJDA, 2004/8-9, n°983. Cass. com. 4 février 2004, Rev. sociétés, 2004, p. 863, note J. Moury. Cass. com. 7 janvier 2004, Bull. Joly, 2004.544, note P. Le Cannu. Cour d’appel d’Aix-en-Provence 5 décembre 2003, Bull. Joly, 2004, p. 1077, note A. Cerati-Gauthier. Cass. 1ère civ. 25 novembre 2003, Dr. sociétés, 2004, comm. 95, F.-G. Trébulle. Cass. com. 1er juillet 2003, n°1095 F-D, Sté Eurodec c/ Sté Group e Choisy Inc, RJDA, 5/04 n°574. Trib. com. Paris 10 juin 2003, Jurisdata n°2003-228 800. Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, JCP, éd. G, 2003.I.186, n°7 et s., note J. Rochfeld. Cass. 3ème civ. 15 janvier 2003, Contrats, conc., consom., 2003, comm. 71, obs. L. Leveneur. Cour d’appel de Poitiers 12 novembre 2002, JCP, éd. E, 2003, n°17-18, p. 737. Cass. 3ème civ. 6 novembre 2002, Dr. sociétés, 2003, n°65, note F.-X. Lucas. Cass. com. 2 juillet 2002, LPA, 2002, n°215, p. 15, note P. Mousseron. Trib. com. Paris 25 juin 2002, Juris-Data n°2002-19 6978. Cour d’appel de Paris 12 avril 2002, JCP, éd. E, 2002, p. 979. Cour d’appel de Versailles 17 février 2002 (affaire Gontard c/ M. Jean Papelier), RJDA, 8-9, n°890. Cass. 1ère civ. 19 mars 2002, JCP, éd. G, 2003.I.122, n°15 et s., note A. Constantin .

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Cour d’appel de Paris 21 décembre 2001 : - n°01-9384, 25 ème ch. A, (affaire Banque de Vizille), Bull. Joly, 2002, p. 509, note H. Le Nabasque, Rev. sociétés, 2002, p. 89, commentaire Y. Guyon, - n°1999/18069, 25 ème ch. B, (affaire BSA Bourguoin), Bull. Joly, 2002, p. 499, note Th. Massart, Cass. 1ère civ. 6 juin 2001, RTD civ., 2002, p. 88 J. Mestre et B. Fages, RTD civ., 2002, p. 115, obs. P.-Y. Gautier, Cass. com 6 juin 2001, Dr. sociétés, 2001, comm. 170, obs. Th. Bonneau. Cour d’appel de Paris 27 mars 2001, JCP, Ed. N., 2002, 1237, note F.-X. Lucas. Cass. 3ème civ. 6 décembre 2000, Bull. Joly, 2001, p. 295, note J.-F. Barbiéri. Cour d’appel de Versailles 7 septembre 2000, Bull. Joly, 2000, p. 1175. Cour d’appel de Toulouse 10 juin 1999, JCP, éd. E, 2000, 1620, note J.-J. Daigre. Cour d’appel de Paris 18 février 2000, Bull. Joly, 2000, p. 727, note P. Le Cannu. Cass. com. 16 novembre 1999 (affaire Gontard c/ M. Jean Papelier), JCP, éd. E, 1999, p. 2067, note Y. Guyon. Cass. com. 19 octobre 1999, JCP, éd. E, 1999, p. 2067, note Y. Guyon. Cour d’appel de Versailles 17 juin 1999, RTD com., 1999, p. 900, obs. Y. Reinhard. Cass. 2ème civ. 8 avril 1999, Dr. sociétés, 1999, comm. 111, note Th. Bonneau, JCP, éd. G, 1999.II. 10136, note A. Viandier. Cass. com. 9 février 1999 (arrêt Château d’Yquem), JCP, éd. E, 1999, p. 724, note Y. Guyon, Bull. Joly, 1999, p.566, note J.-J. Daigre. Cour d’appel de Paris 10 décembre 1998, Bull. Joly, 1999, p. 482, note J.-J. Daigre. Cour d’appel de Paris 3 juillet 1998, JCP, éd. E, 1998, p. 1880. Cour d’appel de Paris 16 juin 1998, Bull Joly, 1998, p. 1155, note J.-P. Dom. Cass. com. 19 mai 1998, Bull. Joly, 1998, p. 1060, note P. Scholler.

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Cass. com. 21 octobre 1997, Bull. Joly, 1998, p. 40, note P. Le Cannu. Cass. com. 8 juillet 1997, Bull. Joly, 1997, p. 980, note E. Lepoutre. Cass. com. 26 novembre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 133, note C. Roca. Cour d’appel de Paris 22 octobre 1996 (affaire Gontard c/ M. Jean Papelier), Bull. Joly, 1997, p. 15, note P. Le Cannu. Cour d’appel de Paris 18 octobre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 11, note N. Rontchevsky. Cour d’appel de Paris 17 octobre 1996, Bull. Joly, 1996, p. 807, note A. Couret. Cass. com. 15 octobre 1996, Bull. Joly, 1997, p. 126, note Th. Massart. Cass. com. 4 juin 1996, JCP, 1996, éd. E.II.849, note Y. Guyon. Cass. com. 26 mars 1996, Rev. sociétés, 1996, p. 793, note L. Godon Cass. com. 12 mars 1996, (affaire Martin c/ Sté Cam Galaxy), Bull. civ., IV, n°88, p. 73, D., 1996, somm. 347, note J.-Cl. Houin. Cass. com. 12 mars 1996, (affaire Sté Nollet et Cie et autres c/ M. Salon et autres), RTD. com., 1996, p. 897, note J. Mestre, Bull. Joly, 1996, p. 576, note J.-J. Daigre. Cass. com. 13 février 1996, Rev. sociétés, 1996, p. 781, note J.-J. Daigre. Cour d’appel de Paris 15 décembre 1995, Dr. sociétés, 1996, n°113, p. 14. Cour d’appel de Paris 30 juin 1995 (arrêt Métaleurop), JCP, éd E., 1996, n°795, p. 69, note J.-J. Daigre. Cass. com. 3 mai 1995, Bull. Joly, 1995, p. 863, note A. Couret. Cass. com. 13 décembre 1994, JCP, éd. E, 1995.II.705, note Y. Paclot. Cass. com. 24 mai 1994 (affaire SDBO), Bull. Joly, 1994, p. 797, note P. Le Cannu. Cour d’appel de Paris 6 mai 1994, Dr. sociétés, 1994, n°140, note H. Le Nabasque, RTD. com., 1995, p. 804, note L. Alfandréri et M. Jeantin. Cass. com. 26 avril 1994, Defrénois, 1994, p. 1024, obs. J. Honorat.

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Cass. com. 31 mars 1994, Rev. sociétés, 2004, p. 317, note P. Le Cannu. Cass. com. 15 février 1994, Bull. Joly, 1994, p. 508, note D. Velardocchio. Cass. com. 4 janvier 1994 (arrêt de Gaste), Bull. Joly, 1994, p. 249, note J.-J. Daigre, Defrénois, 1994, 556, obs. P. Le Cannu. Cass. 3ème civ. 15 décembre 1993, Defrénois, 1994, art. 35845, obs. Ph. Delebecque, JCP, éd. N, 1995.II.31, note D. Mazeaud, D., 1995, p. 87, obs. L. Aynès. Cass. com. 29 juin 1993, Dr. sociétés, 1993, n°158, note Th. Bonneau. Cour d’appel de Montpellier 17 décembre 1992, Bull. Joly, 1993, p. 649, note P. Le Cannu. Cass. 1ère civ. 16 décembre 1992, Dr. sociétés, 1993, n°30, obs. T. Bonneau. Cass. com. 7 juillet 1992, JCP, éd. G, 1993.II.3652, n°16, obs. A. Viandier et J. -J. Caussain. Cass. com. 12 juin 1992, Rev. sociétés, 1992, p. 750. Cass. com. 19 mai 1992, Bull. Joly, 1992, p. 779, note P. Le Cannu. Cass. com. 14 février 1992 (arrêt Vitama), JCP., éd. E, 1992.II.301, note A. Viandier. Cour d’appel de Versailles 11 juillet 1991, Bull. Joly, 1991, p. 1008, note P. Le Cannu. Cass. com. 9 avril 1991, RTD com., 1992.215, obs. Cl. Champaud et Danet. T. com. Paris 12 février 1991, Bull. Joly, 1991, p. 591, note M. Jeantin. Cass. 1ère civ. 29 octobre 1990, Bull. Joly, 1990, p. 1053. Cass. com. 26 juin 1990, BRDA, 19/90, p. 11. Cass. com. 26 juin 1990 (affaire Société Unitec International c/ M. Portugais et autres), Rev. sociétés, 1991, p. 96, note I. Urbain-Parleani. Cour d’appel de Paris 14 mars 1990, Bull. Joly, 1990, p. 353. Cass. com. 16 janvier 1990, RTD civ., 1990, p. 463, note J. Mestre.

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Trib. com. Versailles, 2 mai 1989, Bull. Joly, 1989, p. 615, note Y. Sexer. Cour d’appel de Paris 30 mars 1989, JCP, éd. E., 1989. I. 18713. Cass. com. 7 mars 1989, RTD civ., 1990, p. 70, note J. Mestre et J. Schmidt-Szalewski. Cass. com. 20 février 1989, D., 1989, IR, p. 60. Cass. com. 10 janvier 1989, Bull. Joly, 1989, p. 256, note P. Le Cannu. Cour d’appel de Versailles 1er décembre 1988, JCP, éd E, 1989.15517, n°8. Cass. com. 4 octobre 1988, Bull. Joly, 1988, p. 863. Cour d’appel d’Angers 20 septembre 1988, Bull. Joly, 1988, p. 850. Cour d’appel de Paris 7 juin 1988, Rev. sociétés, 1989, p. 246, note S. Dana-Démaret. Cass. com. 4 novembre 1987, JCP, 1988.II.21050, note A. Viandier. Cour d’appel de Paris 23 juillet 1987, Bull. Joly, 1087, p. 701. Cour d’appel de Paris 23 juin 1987, Bull. Joly, 1987, p. 70. Cass. com. 2 juin 1987, Rev. sociétés, 1988, p. 223, note J. Mestre. Cass. 1ère civ. 2 juin 1987, D., 1987, IR, p. 151. Cass. 1ère civ. 7 avril 1987, JCP, éd. G, 1988.II.21006, note M. Germain. Cass. com. 24 février 1987 (affaire Rivoire et Carret / Lustucru), Bull. Joly, 1987, p. 213, note P. Le Cannu. Cass. com. 22 juillet 1986, JCP, éd E., 1986.II.414, obs. A.Viandier et J.-J. Caussain. Cass. 1ère civ. 22 juin 1986, Bull. Joly, 1986, p. 862, note P. Le Cannu. Cass. com. 3 juin 1986, Rev. sociétés, 1986, p. 585, note Y. G. Cour d’appel de Paris 23 mai 1986, D., 1987, somm., p. 390.

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Cass. com. 20 mai 1986 (affaire Bowater), Rev. sociétés, 1986, p. 587, note D. Randoux, JCP, éd. N, 1986.II. 221, note M. Germain. Cour d’appel de Paris, 26 mars 1986, Bull. Joly, 1986, p. 679. Cour d’appel de Paris 9 octobre 1985, Bull. Joly, 1986, § 226, p. 761. Cass. com. 2 juillet 1985 (affaire Cohen-Skalli et a. c/ SA Lustucru et a.), Bull. Joly, 1986, p. 220 et 374, note W. Le Bras. Cour d’appel de Paris 10 mai 1985, 25ème ch. section A, (affaire Morin c/ Morin), D., 13 juin 1985, flash. Cass. com. 16 octobre 1984, Bull. Joly, 1984, p. 1197. Cour d’appel d’Aix 26 juin 1984, D., 1985, p. 372, note J. Mestre. Cass. com. 16 avril 1984, Rev. sociétés, 1985, p. 411, note J. Mestre. Cass. com. 17 janvier 1984, G. P., 1984, p. 389, note Dupichot. Cour d’appel de Paris 21 décembre 1983, Dr. sociétés, 1984, 3, n°74, note M. Germain. Cass. com. 19 décembre 1983, Rev. sociétés, 1985, p. 105, note D. Schmidt. Cour d’appel de Paris 5 décembre 1983, D., 1984, IR, p. 52. Cour d’appel de Douai 24 février 1983, Rev. sociétés, 1983, p. 337, note D. Randoux. Cour d’appel d’Aix-en-Provence 28 septembre 1982, Rev. sociétés, 1983, p. 773, note J. Mestre. Cass. com. 15 juin 1982, Rev. sociétés, 1983, p. 329, note Y. Guyon. Cour d’appel de Paris 4 mai 1982, Gaz. Pal., 1983, 1, p. 152, note A.P.S. Cass. com. 17 mars 1982, RTD. com., 1982, p. 438, obs. L. Alfandéri. Cass. com. 8 février 1982, Bull. Joly, 1982, p. 970. Cass. com. 10 mars 1981, Bull. Joly, 1981, p. 449.

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Trib. com. Paris 4 mai 1981, RJ. Com., 1982, p. 7, note de Fontbressin. Cass. com. 10 février 1981, Rev. sociétés, 1982, p. 98, note Ph. Merle. Cour d’appel de Paris 20 octobre 1980 (affaire Metzger), Rev. sociétés, 1980, p. 774, obs. A. Viandier. Cass. com. 11 février 1980, Bull. civ., IV, n°70. Cass. com. 12 décembre 1978, Bull. civ. IV, n°306. TGI Dijon 8 mars 1977, RTD com, 1977, p. 521, obs. R. Houin, Rev. sociétés, 1977, p. 279, note D. Randoux. Cour d’appel de Paris 30 octobre 1976, Rev. sociétés, 1977, p. 695, note D. Schmidt. Trib. com. Paris 1er août 1974 (affaire Schneider-Marine-Firminy), Rev. sociétés, 1974, p 685, note B. Oppetit. Cass. com. 17 juin 1974, Rev. sociétés, 1977, p. 84, note D. Randoux Cour d’appel de Rouen 8 février 1974, Rev. sociétés, 1974, p. 507, obs. R. Rodière. Cass. com. 5 février 1974, Bull. civ., IV, n°51, p. 40. Cass. com. 2 février 1971, RTD. com., 1971, p. 1038, note R. Houin. Cass. com. 22 octobre 1969, Rev. sociétés, 1970, p. 288, JCP, éd G, 1970.II.n°16197, note J. Paillusseau. Cass. com. 4 juin 1966, Bull. civ., III, n°284, p. 255. Cass. 1ère civ. 24 novembre 1965, JCP, éd. G, 1996.II.14602, note Gaury. Cass. com. 11 juin 1965, RTD. com., 1965, p. 861, obs. R. Houin. Cour d’appel de Paris 22 mai 1965 (affaire Fruehauf), JCP, 1965.II.14274 bis, concl. Nepveu. Trib. com. Seine 24 janvier 1963, RJ. com., 1963, p. 106. Cass. com. 8 mai 1963, JCP, 1963.II.13283.

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Cour d’appel de Douai 24 mai 1962, JCP, 1962, 2. 12871, note Bastian. Cour d’appel de Paris 23 février 1962, D., 1963, p. 570, note J. Bigot. Cass. com. 18 avril 1961(affaire Schumann-Piquard), JCP, 1961.II.12164, obs. Bastian. Cass. com. 10 juin 1960, Rev. sociétés., 1961, 34, note Autesserre. Cass. com. 10 décembre 1957, JCP, éd. G, 1958.II.10406, note D. Bastian. Cass. civ. 7 mai 1957, Bull. civ., I, n°205. Cass. com. 22 mars 1955, Bull. civ., III, n°104. Cour d’appel de Paris 17 décembre 1954, Journ. sociétés, 1955, p. 338, note R. Plaisant. Cass. 1ère civ. 16 février 1953, Bull. civ. 1953, I, p. 57, n°61. Cour d’appel de Paris 21 novembre 1951, S., 1952, 2, 105, concl. Gégout. Cour d’appel d’Amiens 4 avril 1951, JCP, 1952.II.795, note J.-J. Daigre. Trib. com. Seine 14 mars 1951, Gaz. Pal., 1951, 1, 384. Cass. com. 14 mars 1950, JCP, 1950.II.5694, note Bastian. Cass. civ. 4 juin 1946 (Arrêt Motte), S., 1947, I, 153, note Barby, JCP, 1946.II. 3518, note Bastian. Cass. civ. 23 mai 1944, DA, 1944, 105. Cass. req. 15 novembre 1943, S., 1944.1.15, concl. Picard Cass. req. 23 juin 1941, Journ. sociétés, 1943, p. 209, note R.B. Cass. req. 9 avril 1941, JCP, 1941.II.1762, note Bastian. Trib. com. Seine, 11 janvier 1938, Journ. sociétés, 1938, p. 301, note Bosvieux.

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Cass. civ. 9 février 1937, D., 1937.1.73, note Besson. Trib. com. Roanne 23 octobre 1935, Gaz. Pal., 1935, 2, p. 902. Cour d’appel de Paris 22 février 1933, D. H., 1933, p. 258. Cass. civ. 7 avril 1932, D.P, 1933.I.153, note Cordonnier. Cour d’appel de Rennes 28 octobre 1931, S., 1932, p. 220. Cour d’appel de Paris 14 juin 1929, Gaz. Pal., 1929, 2, p. 244. Cour d’appel d’Alexandrie 17 février 1927, RTD civ., 1928, p. 210. Cour d’appel d’Alexandrie 4 janvier 1927, RTD civ., 1927, p. 732. Cass. req. 7 janvier 1925, D. H., 1925, p. 57, Grands arrêts, par F. Terré et Y. Lequette, 1994, n°173. Cass. civ. 16 juillet 1894, D., 1894, 1, p. 531. Cass. req. 14 juin 1882, DP, 1884.1.222. Cass. civ. 30 avril 1878, D.P, 1878, 1, 314. Cass. req. 12 juillet 1865, DP, 1865, 1, 475. Cass. civ. 20 avril 1858, DP, 1858, 1, 154. Cour d’appel d’Angers 29 juin 1842, D., 1842, 2, 218.

VI. Divers

Dictionnaire en ligne Larousse : www.larousse.fr CH (D.), « SEB : la famille dénonce le pacte d'actionnaires », Les Echos, 11 mai 2009, (Industrie), article de presse disponible sur : www.lesechos.fr WOJAZER (PH.), « Crédit Agricole assure que les pertes liées à Intesa Sanpaolo sont intégrées », Reuters, 11 mai 09, article de presse disponible sur : www.reuters.com

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TABLE DES MATIERES

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS ................. .....................................2

SOMMAIRE ..........................................................................................................4

INTRODUCTION ..................................................................................................5

PARTIE I. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CONT RAT DE SOCIETE : UNE FORME D’ACCESSOIRE ................... ....................................19

TITRE 1. LA DIMENSION D’ACCESSOIRE DU PACTE D’ACTIO NNAIRES...............21

Chapitre 1. Distinction du pacte d’actionnaires et du contrat de société ...............22

Section 1. La nature contractuelle du pacte d’actio nnaires ............................................ ........23 § 1. Distinction quant à l’intérêt poursuivi....... ..........................................................................................23 A. Le contrat de société ou la poursuite de l’intérêt commun.........................................................................24 B. Le pacte d’actionnaires ou la poursuite d’intérêts égoïstes .......................................................................27 § 2. Distinction quant au rayonnement de l’accord .. ................................................................................29 A. Rayonnement interne : la permanence de l’autonomie de la volonté dans le pacte d’actionnaires ...........30 B. Rayonnement externe : l’opposabilité exceptionnelle du pacte .................................................................33

Section 2. La flexibilité du pacte d’actionnaires .. .....................................................................37 § 1. Un domaine ajustable .......................... .................................................................................................37 A. La souplesse quant aux parties contractantes...........................................................................................38 B. La souplesse quant à la transmission du pacte .........................................................................................41 § 2. Un contenu évolutif........................... ....................................................................................................44 A. L’absence de formalisme dans la procédure de modification du pacte .....................................................44 B. L’atténuation contractuelle de la précarité du pacte ..................................................................................47

Conclusion du Chapitre 1 ........................... .................................................................................50

Chapitre 2. Dépendance du pacte d’actionnaires au c ontrat de société .................51

Section 1. Une existence dépendante ................ ........................................................................52 § 1. Influence de la transformation du contrat de s ociété sur le pacte ................................ ...................52 A. Le pacte d’actionnaires ne survit pas à la disparition du contrat de société ..............................................52 B. Le pacte d’actionnaires ne survit pas à la disparition ou à la transformation des actions..........................57 § 2. Influence de la perte de la qualité d’actionna ire d’un partenaire sur le pacte................... ..............59 A. La qualité d’actionnaire : une qualité essentielle au maintien du pacte .....................................................60 B. La confusion jurisprudentielle relative à l’influence de la qualité d’actionnaire ..........................................63

Section 2. Un contenu dépendant.................... ...........................................................................68 § 1. Caractère résiduel du domaine réservé aux stat uts ................................................ ..........................68 A. Un contenu encadré par le domaine réservé aux statuts...........................................................................69 B. La sanction de la violation du domaine réservé aux statuts.......................................................................72 § 2. La hiérarchie des normes sociétaires.......... .......................................................................................74 A. L’emprise des stipulations statutaires sur le contenu du pacte d’actionnaires...........................................74 B. L’efficacité en question des dispositions du pacte contraires aux statuts ..................................................77

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Conclusion du Chapitre 2 ........................... .................................................................................79

Conclusion du Titre 1.............................. ....................................................................80

TITRE 2. LES FONDEMENTS DE LA DIMENSION D’ACCESSOIR E DU PACTE D’ACTIONNAIRES ..................................... ..................................................................81

Chapitre 1. L’objet du pacte d’actionnaires........ .......................................................82

Section 1. Les pactes d’actionnaires ayant pour obj et l’exercice du pouvoir au sein de la société ............................................ ...............................................................................................84 § 1. Les principaux pactes relatifs à la gestion de la société........................................ ...........................84 A. Les pactes portant sur l’information des actionnaires................................................................................85 B. Les conventions de vote............................................................................................................................87 § 2. Illustration pratique : les pactes relatifs à l’exercice du droit de vote ........................ .....................89 A. L’orientation indirecte : les pactes relatifs à la composition des organes délibérants ................................90 B. L’orientation directe : les pactes relatifs à l’intervention dans le processus décisionnel ............................91

Section 2. Les pactes d’actionnaires ayant pour obj et la détention du capital social ..........94 § 1. Les pactes n’emportant aucun engagement de céd er ou d’acquérir des actions ....................... ...96 A. Les pactes limitant les mutations de droits sociaux dans leur principe même...........................................96 B. Les pactes limitant, avant tout projet de cession déterminé, le choix de la personne du cessionnaire......98 § 2. Les pactes ayant pour objet l’engagement de cé der ou d’acquérir des actions...................... .....100 A. Les promesses unilatérales de vente sous condition suspensive............................................................100 B. Les promesses unilatérales d’achat sous condition suspensive..............................................................103

Conclusion du Chapitre 1 ........................... ...............................................................................105

Chapitre 2. La cause * du pacte d’actionnaires ........................... .............................106

Section 1. La confiance entre actionnaires : condit ion préalable et déterminante de la conclusion du pacte ................................ ...................................................................................108 § 1. La manifestation de la confiance mutuelle entr e actionnaires : le devoir de loyauté.............. .....108 A. L’existence du devoir de loyauté entre actionnaires ................................................................................109 B. Le prolongement du devoir de loyauté entre actionnaires dans le pacte.................................................111 §2. La confiance entre actionnaires : cause catégor ique du pacte ...................................... .................115 A. Retour sur la notion de cause catégorique ..............................................................................................116 B. L’affirmation de la confiance entre actionnaires comme cause catégorique du pacte .............................120

Section 2. L’aménagement des relations réciproques entre actionnaires : cause-fonction du pacte ........................................... ............................................................................................122 § 1. Pactes d’actionnaires et partenariat homogène .. ............................................................................124 A. Les pactes permettant de perpétuer la coalition des partenaires ............................................................125 B. Les pactes visant à réorganiser la coalition des partenaires ...................................................................127 § 2. Pactes d’actionnaires et partenariat non homogè ne.......................................................................130 A. Les pactes assurant le maintien du rapport de domination......................................................................131 B. Les pactes assurant la sortie du partenaire dominant .............................................................................133

Conclusion du Chapitre 2 ........................... ...............................................................................136

Conclusion du Titre 2.............................. ..................................................................137

CONCLUSION DE LA PARTIE I.......................... .......................................................140

* La cause est ici retenue sous ses acceptions de cause efficiente et catégorique et de cause-fonction.

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PARTIE II. LE PACTE D’ACTIONNAIRES AU REGARD DU CON TRAT DE SOCIETE : DES DEGRES DE DEPENDANCE................. ...............................143

TITRE 1. LES PACTES CARACTERISES PAR UNE DEPENDANCE MARQUEE ....145

Chapitre 1. Les conventions de vote ................ .......................................................146

Section 1. Conventions de vote et caractère essenti el du droit de vote ..............................14 7 § 1. Le caractère non absolu de la prérogative de v ote................................................ ..........................148 A. L’assouplissement du caractère essentiel du droit de vote......................................................................149 B. La validité de principe de l’aménagement de l’exercice du droit de vote .................................................152 § 2. L’incidence relative de la prérogative de vote ..................................................................................155 A. La condition relative à la portée limitée de la convention de vote............................................................156 B. La condition relative au caractère non frauduleux de la convention de vote............................................160

Section 2. Conventions de vote et fonctionnement de s organes sociaux ...........................162 § 1. Conventions de vote et répartition des pouvoir s au sein des organes sociaux ...................... .....163 A. Le respect du principe de hiérarchie et de spécialité des organes sociaux .............................................163 B. Le respect du principe de révocabilité ad nutum .....................................................................................166 § 2. La condition générale relative à la non-contra riété à l’intérêt social ........................... ..................169 A. Le caractère flou de la notion d’intérêt social...........................................................................................171 B. Le relais de l’abus de droit dans l’exercice du droit de vote.....................................................................174

Conclusion du Chapitre 1 ........................... ...............................................................................177

Chapitre 2. Les pactes aménageant la perte de la qu alité d’actionnaire des partenaires........................................ .........................................................................179

Section 1. Les pactes d’exclusion de la société .... .................................................................179 § 1. Relativité du droit de rester dans la société . ....................................................................................181 A. Le fondement du droit de rester dans la société......................................................................................181 B. Le caractère non-absolu du droit de rester dans la société .....................................................................183 § 2. Les conditions des pactes de cession forcée ... ...............................................................................186 A. La condition relative aux motifs de l’exclusion .........................................................................................187 B. La condition relative à l’indemnisation de l’actionnaire exclu...................................................................190

Section 2. Les pactes de maintien forcé dans la soc iété ............................................... ........193 § 1. L’interdiction absolue de quitter la société : la clause d’inaliénabilité ........................ ..................196 A. La validité de principe des clauses d’inaliénabilité...................................................................................197 B. Les conditions de validité des clauses d’inaliénabilité .............................................................................200 § 2. Les clauses dissuasives : les clauses américai nes ou d’options croisées.......................... .........203 A. Confrontation des clauses dites d’options croisées au droit français.......................................................204 B. Les conditions de validité des clauses d’options croisées .......................................................................208

Conclusion du Chapitre 2 ........................... ...............................................................................212

Conclusion du Titre 1.............................. ..................................................................214

TITRE 2. LES PACTES CARACTERISES PAR UNE DEPENDANCE MODEREE ....217

Chapitre 1. L’influence du principe de libre négoci abilité des actions .................218

Section 1. Le caractère non absolu du principe de l ibre négociabilité des actions............220 § 1. La validité des pactes restreignant la liberté d’acquérir des actions............................ .................220

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A. La validité des pactes de non-agression..................................................................................................220 B. La validité des pactes de retrait ...............................................................................................................222 § 2. La validité de principe des pactes restreignant la libre négociabilité des actions .......................225 A. La validité de principe des pactes anti-dilution, d’offre alternative et d’entraînement ..............................227 B. La validité de principe des pactes de préférence ou d’agrément extra-statutaires ..................................231

Section 2. L’influence relative du principe de libr e négociabilité des actions ....................236 § 1. Les conditions relatives aux modalités de mise en œuvre des pactes............................... ...........236 A. La libre détermination du fait générateur et de la durée du pacte............................................................237 B. L’encadrement souple de la procédure organisée par le pacte ...............................................................239 § 2. Les conditions relatives au prix de cession ... ..................................................................................243 A. Les conditions relatives à la stipulation du prix........................................................................................244 B. Juste prix et droit de repentir ? ................................................................................................................248

Conclusion du Chapitre 1 ........................... ...............................................................................251

Chapitre 2. L’influence incertaine de l’ordre publi c sociétaire : l’exemple des clauses léonines et de l’expertise de l’article 184 3-4 du Code civil.......................253

Section 1. La confusion autour de la prohibition de s clauses léonines...............................25 4 § 1. Le recul de la prohibition des clauses léonine s...............................................................................256 A. L’affranchissement des pactes dont l’objet est d’organiser une transmission d’actions ..........................257 B. L’affranchissement des pactes dont l’objet est d’assurer une rétrocession d’actions ..............................259 § 2. L’assouplissement de la prohibition des clause s léonines ......................................... ...................263 A. Les doutes relatifs à la prohibition des clauses léonines dans les cessions de titres ..............................263 B. L’infléchissement jurisprudentiel de la prohibition des clauses léonines..................................................267

Section 2. L’incertitude quant à la portée de l’exp ertise de l’article 1843-4 du C. civ.........275 § 1. Le caractère non impératif de l’article 1843-4 C. civ. en matière de pactes d’actionnaires ....... ..279 A. La faveur jurisprudentielle pour l’élargissement du domaine d’application impérative de l’expertise.......280 B. L’exclusion souhaitée des pactes d’actionnaires .....................................................................................286 § 2. Le doute quant au caractère impératif de l’ind épendance de l’expert de l’article 1843-4 C. civ. .2 93 A. L’indépendance de l’expert......................................................................................................................294 B. Les doutes quant au caractère absolu de l’indépendance de l’expert .....................................................303

Conclusion du Chapitre 2 ........................... ...............................................................................308

Conclusion du Titre 2.............................. ..................................................................311

CONCLUSION DE LA PARTIE II......................... .......................................................314

CONCLUSION GENERALE................................ .............................................318

BIBLIOGRAPHIE ...................................... .......................................................321

I. Ouvrages Généraux, Traités et Manuels ..................................................................321

II. Thèses et Monographies .........................................................................................321

III. Ouvrages collectifs, Colloques et Rapports ............................................................323

IV. Articles, Etudes et Chroniques ...............................................................................324

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V. Principaux arrêts .....................................................................................................329

VI. Divers ....................................................................................................................341

TABLE DES MATIERES ................................. .................................................342