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UFR DE SCIENCES DES ORGANISATIONS – ECOLE DOCTORALE DE GESTION - CREPA THESE pour l’obtention du titre de docteur en Sciences de Gestion Arrêté du 7 août 2006 Présentée et soutenue publiquement par PHILIPPE MOURICOU STRATEGIE ET IMITATION CONCURRENTIELLE : Une étude des pratiques des programmateurs des radios musicales françaises JURY Directeur de thèse : Monsieur Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université Paris-Dauphine Rapporteurs : Monsieur Pierre-Yves GOMEZ Professeur à l’EM LYON Business School Monsieur Xavier LECOCQ Professeur à l’IAE de Lille Suffragants : Monsieur Pierre ROMELAER Professeur à l’Université Paris-Dauphine Monsieur Valery ZEITOUN Directeur du label AZ, Universal Music France MERCREDI 9 DECEMBRE 2009

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UFR DE SCIENCES DES ORGANISATIONS – ECOLE DOCTORALE DE GESTION - CREPA

THESE

pour l’obtention du titre de docteur en Sciences de Gestion Arrêté du 7 août 2006

Présentée et soutenue publiquement par

PHILIPPE MOURICOU

STRATEGIE ET IMITATION CONCURRENTIELLE :

Une étude des pratiques des programmateurs des radios musicales françaises

JURY

Directeur de thèse : Monsieur Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université Paris-Dauphine

Rapporteurs : Monsieur Pierre-Yves GOMEZ Professeur à l’EM LYON Business School

Monsieur Xavier LECOCQ Professeur à l’IAE de Lille

Suffragants : Monsieur Pierre ROMELAER Professeur à l’Université Paris-Dauphine

Monsieur Valery ZEITOUN Directeur du label AZ, Universal Music France

MERCREDI 9 DECEMBRE 2009

2

L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans

les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

4

Remerciements

’écriture d’une thèse est une tâche trépidante qui n’a rien d’un exercice solitaire. Au

cours des années passées à réaliser ce travail, j’ai eu l’occasion d’accumuler une longue

série de dettes que je serais bien en peine de rembourser. La liste des personnes sans

lesquelles je n’aurais pu mener à bien ce projet est sans fin. Ces quelques mots me

permettront de les remercier.

Mes premiers remerciements sont adressés au professeur Bernard de Montmorillon, mon

directeur de thèse. La patience dont il a fait preuve à mon égard a été infinie et si ses

remarques ont parfois été pour moi une source d’insomnies, c’est parce qu’elles ont stimulé et

largement enrichi ma réflexion. Ce travail n’aurait pas pu aboutir sans ses encouragements et

sans sa bienveillance. Il n’aurait probablement pas été le même si Bernard de Montmorillon

n’avait pas partagé avec moi sa passion pour la théorie des conventions et pour les écrits de

René Girard. Ces quelques mots sont peu de choses en comparaison du soutien qu’il m’a

apporté et du temps qu’il m’a accordé.

Je souhaite également à exprimer, ici, toute ma gratitude envers le professeur Pierre Romelaer

qui m’a prodigué de précieux conseils lors de la pré-soutenance de cette thèse. Nos échanges

continus au fil de ces années, qu’ils soient formels, à l’occasion des séminaires doctoraux du

CREPA, ou informels, au détour d’un couloir ou lors d’une discussion dans la salle des

doctorants, ont largement contribué à me transmettre le virus de la recherche. Pierre Romelaer

reste pour moi un modèle d’intégrité, d’exigence et de curiosité.

Mes plus sincères remerciements aux professeurs Xavier Lecocq et Pierre-Yves Gomez dont

les travaux ont été pour moi une source d’inspiration et qui m’ont fait l’honneur de faire partie

de mon jury de thèse en acceptant d’en être les rapporteurs. Je tiens aussi à remercier très

sincèrement Valery Zeitoun, directeur du label AZ au sein d’Universal Music France, pour

avoir accepté de participer à l’évaluation ce travail.

L

5

Valery Zeitoun fait partie de ces personnes passionnées par leur métier que j’ai eu l’occasion

de rencontrer durant la phase de terrain de ce travail doctoral. Qu’ils officient dans des radios

musicales ou dans des maisons de disques, ces professionnels ont su me communiquer leur

enthousiasme. Je voudrais ici à saluer tout particulièrement Laurent Bouneau, directeur des

programmes de Skyrock, qui a eu la gentillesse de m’ouvrir les portes de l’industrie musicale

et Pierre Lebrun, ancien directeur de la programmation musicale de Fun Radio et de RTL2,

qui m’a accordé énormément de temps. Je me dois par ailleurs de remercier, Sébastien Lebois,

directeur des programmes d’Alouette et Richard Colin (programmateur de la station Voltage

au moment de la collecte des données) avec qui j’ai pris énormément de plaisir à échanger

bien après nos entrevues. Je n’ai jamais eu la sensation d’aller travailler lorsque j’allais

réaliser les entretiens qui ont alimenté le corpus de cette thèse. C’est probablement la raison

principale pour laquelle j’ai prolongé la phase de collecte des données plus longtemps que je

ne l’aurais fait si je m’en étais tenu aux préconisations des ouvrages de méthodologie sur

lesquels je me suis appuyé.

Le travail de terrain nécessite de la rigueur, dans mon cas, il a également été source de plaisir.

J’ai d’ailleurs trouvé dans le groupe de travail « Jeunes chercheurs RADIO » plusieurs

personnes avec qui partager cette passion pour la radio et qui, comme moi, consacraient leurs

travaux académiques à ce secteur. Je rendrai un hommage particulièrement appuyé à Béatrice

Donzelle qui, plusieurs années durant, a consacré une réelle énergie à l’animation de ce

groupe.

J’ai eu la chance de bénéficier du soutien de plusieurs institutions. L’université Paris-

Dauphine et le centre de recherche CREPA m’ont offert un environnement particulièrement

épanouissant. Etudiant, j’ai eu la chance d’y rencontrer des enseignants qui m’ont donné le

goût de la recherche et dont certains sont aujourd’hui devenus de véritables amis. Allocataire

de recherche et moniteur, j’ai pu m’intégrer à une équipe soudée d’enseignants-chercheurs.

Je tiens à saluer Stéphanie Dameron, professeur à l’Université Paris Dauphine, pour la

confiance qu’elle m’a témoigné en m’accueillant dans l’équipe pédagogique de

l’enseignement de management stratégique ainsi que pour sa gentillesse et ses conseils avisés

tant en matière de pédagogie que de recherche.

6

Mes amitiés vont également à Henri Isaac, aujourd’hui directeur de la recherche à l’ESC

Rouen. Passionné de musique, de nouvelles technologies et de politique, Henri fait partie de

ces empêcheurs de penser en rond qui apportent énormément à tous ceux qu’ils côtoient.

Parmi les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer au CREPA, j’adresse ici mes plus

profonds remerciements au professeur Jean-François Chanlat, actuel directeur du centre, et au

professeur Michel Kalika qui l’a précédé. Tous deux ont toujours porté un regard intéressé à

mes travaux et m’ont prodigué de précieuses remarques.

Eric Campoy, Charlotte Fillol, Emmanuel Josserand et Serge Perrot figurent également parmi

les membres du laboratoire avec lesquels j’ai eu beaucoup de plaisir à vivre ces années de

thèse. Je trouve aussi l’occasion de rendre hommage à Ana Druméa et à Florence Parent qui

ont rendu plus agréable encore mon parcours au CREPA.

Le travail doctoral est parfois ponctué de doutes. Je tiens donc à remercier l’ensemble des

doctorants – actuels et anciens – de l’Université Paris Dauphine avec qui j’ai eu l’occasion

d’avoir des échanges stimulants. Mes amitiés vont notamment à Hanane Beddi, Loréa

Hireche, Anouck Adrot, Thibault Bardon, Céline Berard, Marie Bia, Mantiaba Coulibaly,

Julien Cusin, Christophe Elie-Dit-Cosaque, Amine Ezzerouali, Lionel Garreau, Antoine

Harfouche, Aurélie Leclercq, Benjamin Taupin, Céline Viala, Dimbi Ramonjy et Isabelle

Walsh. Je pense aussi à Cécile Belmondo, Frédérique Dejean, Raphael Dornier, Marie Perez,

Julie Tixier et Christophe Torset qui m’ont transmis leur expérience et leur amour de la

recherche. Un merci tout particulier à celles et à ceux qui m’ont soutenu dans la dernière ligne

droite de la rédaction en acceptant de prendre en charge le travail de relecture et de double

codage : Anouck Adrot, Hanane Beddi, Céline Berard, Loréa Hireche et Benjamin Taupin.

Toutes les erreurs qui se trouvent encore dans le document sont bien évidemment les miennes.

Si ce travail n’aurait pu voir le jour sans le soutien de l’Université Paris Dauphine, je me dois

également de mentionner l’Université Paris-Sud et la faculté Jean Monnet où j’ai trouvé un

cadre de travail propice à l’enseignement et à la recherche au cours de mes deux années

d’ATER. Mes salutations les plus sincères sont adressées aux professeurs Sandra Charreire-

Petit et Florence Durieux ainsi qu’à l’ensemble des enseignants-chercheurs et doctorants du

PESOR. J’ai pris énormément de plaisir à participer aux séminaires de ce laboratoire qui ont

été pour moi des moments vivifiants d’échange et de réflexion.

7

J’ai récemment eu l’honneur d’intégrer l’Institut Supérieur de Gestion (ISG) en qualité de

professeur permanent. Je tiens particulièrement à remercier Anne-Marie Rouane (directrice

générale), le professeur Gérard Koenig (conseiller scientifique de l’école), Benoit Lorel

(directeur académique) et Maral Muratbekova-Touron (directrice du département Systèmes,

Décision, Organisation) pour leur confiance.

Ces années de thèse m’ont par ailleurs permis de rencontrer de nombreux chercheurs dans le

cadre des séminaires NVivo que j’ai pris plaisir à animer à Dauphine mais aussi à l’Université

Saint-Joseph (Beyrouth), à l’ESCEM (Tours-Poitiers) ou encore à HEC Genève. Ces

moments ont été l’occasion de discussions passionnantes autour des méthodologies

qualitatives et de l’analyse des données. Mes amitiés vont particulièrement à Géraldine de La

Rupelle (ESCEM) avec qui j’ai désormais la chance de travailler sur plusieurs projets de

recherche.

L’isolement que peut parfois ressentir un chercheur à certaines phases de son travail, si

nécessaire à la production scientifique soit-il, peut parfois être éprouvant. Ces moments

auraient pu être douloureux si je n’avais pas eu à mes côtés des amis fidèles, patients et

enthousiastes. Ces derniers ne réalisent probablement pas à quel point leur présence a été pour

moi essentielle. Les quelques mots qui vont suivre me permettront donc de remercier Marc-

David Choukroun, Eléonore De La Varde, Clément Lacoin, Erwan Le Gal, Pierre Moure et

Fabien Sécherre. Un merci particulier à Erwan et Fabien qui ont accepté de prendre en charge

une partie du fastidieux travail de relecture de la thèse. Je tiens par ailleurs à saluer Julien

Marthon, aujourd’hui animateur sur la station parisienne Ouï FM, qui n’a probablement pas

été étranger au choix du sujet de cette recherche.

Mes proches ont eu à subir mes absences, les semaines sans nouvelles, les vacances

studieuses. C’est à ma famille que je consacrerai donc mes derniers mots de remerciements.

J’adresse toute ma reconnaissance à mon grand-père qui a souvent redouté que je ne

parvienne pas à terminer ce projet, à ma grand-mère, à mon grand-oncle et à ma grand-tante.

J’ai également une pensée émue pour mon père, aujourd’hui disparu, et bien sûr, pour ma

mère qui, malgré la distance géographique, n’a jamais cessé de m’épauler.

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Sommaire

Remerciements ................................................................................................................................................ 4

Introduction générale ..................................................................................................................................... 12

Première partie : Revue de la littérature

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent .............................................................................................................. 26

1. Quelques éléments de définition ............................................................................................................. 28

2. Une critique théorique ............................................................................................................................. 32

3. Des réalités empiriques ........................................................................................................................... 41

4. Vers une approche explicative et tournée vers les pratiques ................................................................. 52

Résumé du chapitre 1 ....................................................................................................................................... 67

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation ........................................................................................................ 68

1. Les approches instrumentales de l’imitation ........................................................................................... 69

2. Les approches évaluatives de l’imitation ................................................................................................. 86

3. Raisons et pratiques d’imitation concurrentielle ................................................................................... 121

Résumé du chapitre 2 ..................................................................................................................................... 122

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude ............................................................................... 124

1. Un creuset commun .............................................................................................................................. 125

2. Une information en cascade ................................................................................................................. 137

3. La théorie des conventions .................................................................................................................... 141

4. Incertitude et pratiques d’imitation concurrentielle ............................................................................. 148

Résumé du chapitre 3 ..................................................................................................................................... 150

Synthèse de la première partie ..................................................................................................................... 152

1. Ancrage théorique de la problématique................................................................................................ 153

2. Présentation du cadre analytique ......................................................................................................... 155

9

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle ......................................... 162

1. Le champ d’étude .................................................................................................................................. 163

2. Méthodes de recherche ......................................................................................................................... 190

Résumé du chapitre 4 ..................................................................................................................................... 229

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation .............................................................................................. 230

1. Un contexte incertain ............................................................................................................................ 237

2. Une imitation encouragée et facilitée ................................................................................................... 253

3. Contexte et imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 270

Résumé du chapitre 5 ..................................................................................................................................... 272

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle ........................................................... 274

1. Les pratiques instrumentales de l’imitation .......................................................................................... 277

2. Les pratiques évaluatives de l’imitation ................................................................................................ 298

3. Pratiques d’imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 313

Résumé du chapitre 6 ..................................................................................................................................... 314

Discussion : De l’imitation à la différenciation .............................................................................................. 316

1. Discussion des résultats du chapitre 5................................................................................................... 317

2. Discussion des résultats du chapitre 6................................................................................................... 319

3. Discussion transversale ......................................................................................................................... 324

4. Retour à la littérature ............................................................................................................................ 327

Conclusion générale ..................................................................................................................................... 332

1. Synthèse de la recherche ....................................................................................................................... 334

2. Contributions, limites et perspectives ................................................................................................... 336

10

Références

Bibliographie ................................................................................................................................................ 348

Liste des synthèses ....................................................................................................................................... 370

Liste des encadrés ........................................................................................................................................ 371

Liste des tableaux ......................................................................................................................................... 372

Liste des schémas ......................................................................................................................................... 373

Table des matières ....................................................................................................................................... 374

Glossaire radiophonique............................................................................................................................... 384

Annexes

Annexe 1 : Les modèles de rationalité selon Romelaer et Lambert (2001, p.217) .......................................... 389

Annexe 2 : Les differents formats selon Delaveau .......................................................................................... 391

Annexe 3 : Composition du panel Yacast en 2006 ......................................................................................... 400

Annexe 4 : Déroulement des interviews et guide d’entretien ......................................................................... 401

Annexe 5 : Grille de codage des « topics » ...................................................................................................... 404

Annexe 6 : Codage de deux entretiens ............................................................................................................ 409

Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes (codage analytique) ............................................................................... 410

Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage ........................................................................................... 412

12

Introduction générale

Il est sept heures, nous sommes le jeudi 30 juillet 2009, vous écoutez Alouette. »

Stan et Clarisse, les deux animateurs de la tranche matinale d’Alouette, première

radio du Grand-Ouest, lancent le flash d’informations et annoncent les disques qui vont être

diffusés. Derrière l’apparente décontraction des deux animateurs, la tension est réelle dans les

locaux de la station. Comme tous les ans à la même époque, Sébastien Lebois, le directeur des

programmes, fait les cent pas. Alors que sur l’antenne, les chansons se suivent entrecoupées

de jingles annonçant « toujours plus de hits », les résultats des sondages Médiamétrie tardent

à arriver. Ces sondages, Sébastien les attend, les redoute, les espère depuis plusieurs mois.

Des mois passés à travailler à vue, ici, dans ce bureau situé à proximité du centre commercial

Hyper U des Herbiers (Vendée). Dans ce bureau, il a écouté les disques envoyés par les labels

parisiens, négocié avec les attachés de presse pour faire venir les artistes, ajusté

continuellement sa grille des programmes pour tisser un lien de proximité avec les auditeurs,

scruté les moindres mouvements de ses concurrents pour élaborer sa playlist. Sébastien est un

perfectionniste. L’angoisse devient de plus en plus pesante.

Il repense au chemin parcouru depuis sa prise de fonctions en 2003. A ses débuts comme

animateur sur « Radio Alouette » dans les années quatre vingt dix. A la mue entamée par la

station qui, d’une mini radio généraliste, est devenue une puissante radio musicale devançant,

sur sa zone de diffusion, les plus grands réseaux nationaux. Soudain, le doute. Et si les

résultats d’audience étaient en deçà des espérances de Bertrand de Villiers, président et

actionnaire majoritaire d’Alouette ?

De ces résultats dépendront la valeur de l’espace publicitaire commercialisé par Alouette, les

recettes de la station, ses perspectives de développement. De ces résultats dépendra également

l’avenir professionnel de Sébastien. Au même moment, à Lyon, Tourcoing, Orléans, Reims,

d’autres directeurs des programmes, directeurs d’antenne, et programmateurs officiant dans

d’autres radios indépendantes ressentent les mêmes angoisses.

«

Stratégie et imitation concurrentielle

13

La situation des grandes radios musicales nationales n’est guère plus confortable. Confrontés

à une baisse tendancielle de l’audience, les professionnels du secteur perçoivent les limites du

« Top 40 », un modèle inventé aux Etats-Unis qui est fondé sur la répétitivité et dont ils ne

sont jamais véritablement parvenus à s’émanciper.

Pour Alouette, cette vague de sondage est celle du succès. Avec plus de 470 000 auditeurs, la

radio atteint son record historique et conquiert la place de première radio indépendante de

France. Alouette est une des premières radios régionales françaises à frôler le point

d’audience national. L’heure n’est pourtant pas à l’autosatisfaction. Il faut déjà penser à la

suite, à la grille de rentrée, au renouvellement de la playlist, à l’organisation d’un grand

concert gratuit pour les auditeurs de la station. Et toujours cette inquiétude sur l’avenir de la

radio musicale.

L’arrivée d’Internet, les nouvelles habitudes d’écoute de la musique en ligne, la concurrence

des autres médias ont profondément rebattu les cartes. Plus que jamais, les goûts du public

sont mouvants et changeants. L’élaboration du programme musical est un problème insoluble.

Dans l’univers de la radio musicale, l’incertitude n’est pas un concept, c’est une expérience de

tous les jours. Ces acteurs en ont la certitude, ils vont devoir se réinventer… mais comment ?

Faute de pouvoir répondre à cette question, ils s’observent, se talonnent, s’imitent. Jamais les

radios n’ont été aussi standardisées, jamais les formats musicaux – en théorie très différents –

n’ont été en réalité aussi poreux.

De l’incertitude à l’imitation

La situation dans laquelle sont plongés les professionnels de la radio est révélatrice d’un

phénomène plus général lié à l’influence de l’incertitude sur les comportements et sur les

décisions individuelles. Lorsqu’ils ne peuvent déduire le futur du passé, lorsqu’ils ne

disposent pas d’un référentiel suffisamment convaincant, les individus se trouvent incapables

de décider de façon isolée (Gomez, 1996, p.78). Pour agir malgré tout, ils devront observer

les comportements adoptés dans leur entourage, s’en remettre à autrui. L’imitation procure

des repères. Cette idée, centrale dans la description keynésienne du fonctionnement des

marchés financiers (Keynes, 1934 [1969], 1937 [2002]), constitue le socle d’une approche, la

théorie des conventions (Gomez, 1996 ; Orléan, 2004b), qui a fait de l’imitation l’un de ses

principaux centres d’intérêt.

Introduction générale

14

Largement partagée avec les chercheurs appartenant au courant de la sociologie néo-

institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Tolbert et Zucker, 1983), cette idée dissimule

cependant une grande variété dans les objets qui peuvent être imités. Comme le souligne

Schnaars (1994), l’imitation peut, au-delà des produits, également porter sur des éléments tels

que les technologies, les pratiques managériales, les modes d’organisation, les procédures ou

encore les stratégies. Cette diversité des objets potentiellement imitables est perceptible dans

les développements empiriques qui découlent des théories de la diffusion ou de la littérature

néo-institutionnaliste1.

Le tableau qui suit permet d’illustrer la diversité des objets potentiellement imitables en

reprenant quelques exemples de travaux récents consacrés à l’imitation inter-

organisationnelle.

Tableau 1

De la diversité des objets imitables

Domaine concerné Objet imité Travaux emblématiques

Développement

durable Rapports environnementaux Pour Aerts, Cormier et Magnan (2006), les

entreprises allemandes définissent le contenu de leurs rapports environnementaux en imitant des modèles dans leur industrie.

Gouvernance Rémunération des dirigeants Pour Brandes, Hadani et Goranova (2006), les grandes entreprises américaines s’imitent les unes les autres pour définir le niveau des stock-options attribuées aux dirigeants. Cette tendance conduit à une augmentation générale du niveau des stock-options attribuées.

Marketing Lancement de nouveaux produits

Pour Srinivasan, Haunschild et Grewal (2007), les lancements de produit des constructeurs de caméscopes aux Etats-Unis entre 1991 et 1999 s’expliquent largement par l’existence de comportements imitatifs.

Ressources Humaines Politique de recrutement des dirigeants

Williamson et Cable (2003) montrent que les politiques de recrutement des dirigeants des grandes entreprises américaines sont largement définies par l’imitation de modèles, en particulier lorsqu’il existe des administrateurs communs entre l’organisation modèle et l’organisation imitatrice.

1 Ces deux courants de littératures seront présentés dans la première partie de la thèse (chapitres 1 et 2).

Stratégie et imitation concurrentielle

15

Tableau 1 (suite)

De la diversité des objets imitables

Domaine concerné Objet imité Travaux emblématiques

Stratégie Décisions d’alliance Garcia-Pont et Nohria (2002) mettent en avant l’existence d’une imitation entre les constructeurs automobiles. L’imitation serait particulièrement prononcée entre concurrents positionnés sur une même niche du marché.

Fusions Stearns et Allan (1996) expliquent la vague de fusion au sein des entreprises américaines (début des années quatre-vingt) par l’imitation. Le mouvement aurait été initié par des organisations marginales (en termes de statut social) puis se serait institutionnalisé par effet boule de neige.

Positionnement concurrentiel

Les radios américaines s’imitent, que ce soit pour adopter un nouveau positionnement concurrentiel (format), ou pour décider d’abandonner l’ancien (Greve, 1995, 1996, 1998).

Programmes de Qualité Totale

Lorsqu’elle est tardive, l’adoption des programmes de qualité totale par les hôpitaux américains est, selon Westphal, Gulati & Shortell (1997), largement guidée par des motivations liées à la légitimité.

Stratégie d’internationalisation

Comme le montrent Henisz et Delios (2001), les multinationales japonaises ont tendance à imiter les choix les plus fréquemment réalisés (en particulier lorsque les modèles appartiennent au même secteur d'activité). Les organisations les moins expérimentées ont plus souvent recours à l'imitation que les autres.

Stratégies de diversification Les stratégies de diversification des laboratoires pharmaceutiques chinois sont, selon Vermeulen et Wang (2005), largement définies par imitation.

Palmer et Barber (2001) reviennent quant à eux sur les stratégies de diversification des entreprises américaines durant les années soixante. Les pionniers sont souvent des entreprises dirigées par des personnes n'appartenant pas au « système ». En matière de diversification, les entreprises imitent des modèles qui appartiennent à leur réseau social.

Systèmes

d’information Adoption d’un ERP Selon Pupion et Leroux (2006), l'adoption d'un ERP

par les entreprises françaises procède rarement d'un calcul « coût / avantage ». Les attributs perçus de l'ERP et son adoption préalable par d'autres entreprises sont en revanche déterminants.

Usages d’un SIRH L’étude de cas menée par Tixier (2004) fait ressortir qu’au sein d’un même groupe, les usages du Système d’Information RH se diffusent entre les filiales par imitation.

Introduction générale

16

Nous nous focaliserons, dans cette recherche, sur des problématiques stratégiques liées au

positionnement des radios musicales françaises (format) et aux décisions de programmation

musicale. Nous chercherons ainsi à cerner les raisons qui sous-tendent l’imitation, à

comprendre l’influence de l’incertitude et à expliquer de quelle manière l’imitation contribue

à la stratégie des radios.

Imitation et stratégie

Transposée aux problématiques stratégiques (positionnement, gestion du portefeuille

d’activités, structures organisationnelles ou encore modalités de développement), la question

de l’imitation est source de controverses. Nombreux sont les auteurs qui ont défendu l’idée

que, pour être meilleure que ses concurrents, l’entreprise se devait d’adopter une stratégie

originale (Porter, 1996). Selon ces théoriciens, les imitateurs se condamneraient à des

performances réduites, s’enfermeraient dans une « malédiction des suiveurs » (Demil et

Lecocq, 2006). La mise en parallèle de cette conception et de l’observation des

comportements des organisations, fait apparaître un véritable paradoxe que nous prendrons

pour point de départ et auquel nous consacrerons le premier chapitre de la thèse. Dans la

réalité en effet, les entreprises s’imitent, y compris pour élaborer leur stratégie : « Et pourtant,

ils s’imitent » pourrait-on dire à propos des stratèges en paraphrasant Galilée qui, à l’issue du

procès au cours duquel il avait été contraint de renier ses convictions scientifiques aurait

murmuré « Et pourtant, elle tourne » à propos de la Terre.

Au cours de cette recherche, nous avons cherché à comprendre ce qui pouvait pousser des

décideurs, en l’occurrence des programmateurs radio, à reprendre des solutions mises en place

par leurs concurrents et à expliquer de quelle manière leurs pratiques d’imitation

concurrentielle pouvaient alimenter la stratégie de l’organisation. Pour mener ce projet, nous

nous sommes intéressés aux pratiques d’imitation (ce que font les décideurs lorsqu’ils imitent

leurs concurrents), aux raisons individuelles qui les sous-tendent (pourquoi les décideurs

imitent leurs concurrents) et aux modèles de rationalité (les représentations théoriques de la

rationalité humaine dans lesquelles elles s’inscrivent).

Cette démarche s’inscrit dans un courant de recherche émergent, la stratégie en pratiques

(« strategy-as-practice ») et est inspirée de la sociologie compréhensive de Weber (1921

[1995]).

Stratégie et imitation concurrentielle

17

Nous avons ainsi défini la problématique suivante :

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?

Cette problématique est déclinée en deux questions de recherche :

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ? De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement – le contexte, influent-ils sur les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation concurrentielle ?

L’intérêt que nous portons aux pratiques d’imitation concurrentielle et aux raisons dans

lesquelles elles trouvent leur origine s’inscrit dans le prolongement de recherches ayant insisté

sur le manque de micro fondations des travaux consacrés à l’imitation, et plus généralement, à

la conformité inter-organisationnelle. Les travaux existants se sont, en effet, surtout focalisés

sur les conséquences des phénomènes d’imitation concurrentielle sur la performance des

organisations (imitées ou imitatrices) et sur leurs chances de survie respectives. Ils ont par

ailleurs insisté sur le fait que l’imitation pouvait être à l’origine d’un mouvement de diffusion

des innovations ou d’homogénéisation des organisations dans une population donnée.

Afin de compléter cette vision, DiMaggio (1995) a, dans un commentaire consacré à la

sociologie néo-institutionnelle, appelé de ses vœux l’émergence d’une microsociologie des

institutions2. Cette préoccupation semble partagée par Montmorillon (1999) qui voit dans la

théorie mimétique de Girard (1972, 1982) un moyen de comprendre les « rationalités

mimétiques » individuelles qui sont à l’œuvre dans la théorie des conventions.

L’orientation microscopique et compréhensive de ce travail marque donc une rupture par

rapport aux recherches antérieures. Poser le problème de l’imitation concurrentielle en termes

de pratiques, c’est concevoir la stratégie comme le produit d’actions et d’interactions

d’individus placés en situation d’incertitude. Poser le problème de l’imitation concurrentielle

en termes de pratiques, c’est aussi s’intéresser à la façon dont ces acteurs, au fil de leurs

hésitations et de leurs décisions quotidiennes construisent, fabriquent la stratégie de leurs

organisations. En mettant entre parenthèses les questions liées aux conséquences de

2 Un plaidoyer qui a été, par la suite, prolongé par un ensemble de travaux consacrés à l’entrepreneur institutionnel où la question de l’imitation, centrale dans les travaux fondateurs de la sociologie néo-institutionnaliste, est progressivement devenue périphérique.

Introduction générale

18

l’imitation et à ses objets pour nous focaliser sur la question du comment (traduite ici par

l’intérêt que nous portons aux pratiques) et sur la question du pourquoi (qui transparait dans

l’intérêt que nous portons aux raisons et aux modèles de rationalité), nous n’entendons pas

invalider les travaux antérieurs mais apporter un éclairage complémentaire permettant

d’améliorer la compréhension des phénomènes d’imitation concurrentielle. Cette orientation

nous permettra de mobiliser des travaux issus de champs de recherche très éloignés les uns

des autres mais qui ont tous abordé ces points.

Démarche générale de la thèse

Notre démarche peut être qualifiée d’abductive. Par un va-et-vient entre les enseignements

tirés des théories existantes et l’observation du terrain, nous chercherons d’une part à mieux

comprendre le contexte et les pratiques d’imitation concurrentielle, et d’autre part à éclairer la

façon dont elles contribuent à la fabrication de la stratégie dans les organisations. Le schéma

qui suit propose un aperçu de l’architecture de la recherche.

Schéma 1

Architecture de la thèse

Première partie

Revue de la littérature

Chapitre 1

Et pourtant, ils s’imitent

Chapitre 2

Les deux approches de

l’imitation

Chapitre 3

Imitation et

incertitude

Synthèse de la première partie

Introduction générale

Chapitre 4

Champ étudié et méthodologie

Chapitre 5

Un contexte propice à

l’imitation

Chapitre 6

Une typologie des pratiques d’imitation

Discussion des résultats

Deuxième partie

Méthodologie et résultats

Conclusion générale

Abd

ucti

on

Stratégie et imitation concurrentielle

19

Par souci de clarté, nous avons fait le choix de présenter les éléments théoriques issus de la

littérature avant la partie empirique de la recherche. Ce choix ne correspond par réellement au

processus au cours duquel la recherche a été réalisée. Les deux étapes ont en effet été menées

en parallèle du fait de notre démarche abductive.

Première partie de la thèse : Revue de la littérature

Le chapitre 1 ouvrira la partie théorique de la thèse et prendra pour point de départ

l’opposition qui existe entre la critique théorique dont l’imitation a souvent été l’objet et sa

fréquence en management. Il permettra de formuler la problématique générale de la thèse, de

définir les principaux concepts sur lesquels nous nous appuierons et de préciser l’ancrage de

la recherche dans le courant, plus général, de la stratégie en pratiques (Chanal, 2009 ;

Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski et Spee, 2009 ; Johnson, Melin et Whittington, 2003 ;

Johnson, Langley, Melin et Whittington, 2007 ; Whittington, 2002, 2006). Sur la base d’une

comparaison des théories consacrées à l’imitation concurrentielle, deux axes d’analyse de la

littérature seront distingués. Ils feront l’objet des deux chapitres suivants.

Le chapitre 2 s’intéressera aux raisons qui poussent les décideurs à imiter leurs concurrents. Il

aura pour objectif de montrer que les théories existantes se sont focalisées sur des explications

partielles de l’imitation et qu’elles sont en réalité complémentaires. La dichotomie entre les

raisons « instrumentales » et les raisons « évaluatives » que nous emprunterons à Boudon

(2003), sera utilisée comme un fil directeur permettant d’articuler les théories mobilisées.

Certaines de ces théories s’appuient sur une conception instrumentale de la rationalité

humaine. Les raisons individuelles qu’elles mettent en avant pour expliquer les phénomènes

d’imitation concurrentielle peuvent être liées à la volonté des stratèges de profiter de

l’expérience d’autrui, de diminuer leurs coûts de recherche et développement ou de se

prémunir des conséquences négatives d’une décision malencontreuse. Les autres théories que

nous présenterons se fondent, quant à elles, sur une conception évaluative de la rationalité

humaine. Elles peuvent, par exemple, faire appel à des explications insistant sur la quête

d’identité sociale des décideurs ou à des considérations liées à la légitimité des organisations.

Le chapitre 3 proposera un axe de lecture complémentaire. Il sera consacré à la relation entre

la notion d’incertitude et l’imitation. Si cette idée a fréquemment été mise en avant dans la

littérature, nous verrons que les théories existantes n’appréhendent pas l’incertitude de la

Introduction générale

20

même façon. Au-delà de l’incertitude, c’est la question du rapport des individus au contexte

dans lequel ils doivent décider et agir qui sera abordée.

Les éléments théoriques développés dans la première partie de la thèse feront l’objet d’une

synthèse qui permettra de formuler un cadre d’analyse et de justifier nos questions de

recherche.

Deuxième partie de la thèse : Méthodologie et résultats

Le chapitre 4 consistera en une présentation du champ d’étude (les radios musicales

françaises et leurs programmateurs) et des méthodes utilisées. Par leurs décisions

quotidiennes, les programmateurs façonnent le format musical des stations dans lesquelles ils

opèrent et contribuent, par leurs pratiques, à la fabrication du positionnement stratégique de

leurs organisations respectives. Nous verrons que ce champ d’étude se pose comme un bon

point d’observation pour étudier les pratiques d’imitation concurrentielle. En effet, de

nombreuses controverses, liées à un supposé plagiat de la programmation de NRJ par les

radios régionales indépendantes, ont animé le secteur depuis 2004. Pour étudier les pratiques

d’imitation des programmateurs et la façon dont elles alimentent la stratégie des radios, nous

avons choisi de déployer une méthodologie qualitative inspirée de la théorie enracinée

(Strauss et Corbin, 2004). Une série d’entretiens semi-directifs (Demers, 2003 ; Romelaer,

2005) a été menée avec les programmateurs des principales radios musicales françaises. Les

radios visitées représentent environ 75% de l’audience des radios musicales en France. Ces

entretiens ont été complétés par des entretiens de contexte réalisés auprès de dirigeants et

d’animateurs de radios, de professionnels de l’industrie musicale (directeurs de label,

directeurs de la promotion ou attachés de presse) et par des données secondaires (documents

internes, articles de presse, relevés de diffusions en radio, etc.). Les entretiens ont fait l’objet

d’une analyse de contenu réalisée à l’aide du logiciel NVivo 8. Le processus d’analyse s’est

décomposé en trois phases (Richards, 2005) : codage signalétique, codage descriptif et codage

analytique. Ces étapes correspondent à une progression dans la conceptualisation. Un double

codage a été pratiqué pour garantir la fiabilité du processus d’analyse. L’analyse a permis de

faire émerger deux types de résultats en réponse aux deux grandes questions de recherche

formulées à l’issue de la revue de littérature.

La question du lien entre incertitude et imitation sera traitée dans le chapitre 5. L’étude du

contexte dans lequel évoluent les programmateurs permettra de montrer de quelle manière le

Stratégie et imitation concurrentielle

21

caractère imprévisible des goûts musicaux du public est générateur de doutes et d’hésitations

chez les programmateurs. Pour sortir de ces situations d’indécidabilité, les programmateurs

utilisent des outils de recherche musicale et mobilisent un ensemble de normes partagées dans

leur environnement professionnel, que nous qualifions « d’orthodoxie du Top 40 ». Ces

normes, qui permettent de définir les « ingrédients d’un tube » n’apportent cependant que des

réponses partielles aux questions récurrentes des programmateurs. L’imitation d’autrui pourra

alors devenir un moyen d’autant plus fréquemment utilisé par les programmateurs pour se

forger des certitudes qu’elle sera largement promue par les attachés de presse mandatés par

les maisons de disques et rendue plus simple par l’existence d’un outil de suivi des diffusions

musicales en radio (Yacast).

Dans ce contexte où l’incertitude trouve son expression dans les doutes et les hésitations des

décideurs, on pourra être surpris par la diversité des pratiques d’imitation concurrentielle. Ces

pratiques, fondées sur des raisons individuelles bien différentes, seront identifiées et analysées

dans le chapitre 6. La typologie que nous présenterons est articulée autour de la dichotomie

« pratiques instrumentales » versus « pratiques évaluatives ». Les neuf pratiques types qui

seront présentées ne répondent pas aux mêmes questionnements, ne donnent pas lieu à

l’imitation des mêmes modèles et ne mobilisent pas les mêmes « raisons ». Les explications

présentées comme mutuellement exclusives par la littérature sont donc complémentaires :

elles trouvent leur expression dans des pratiques concomitantes.

Ces résultats permettront d’amorcer une discussion générale consacrée à la contribution des

pratiques d’imitation concurrentielle à la fabrication de la stratégie. Les pratiques d’imitation

concurrentielles identifiées dans la typologie permettent, chacune à sa manière, de lever des

doutes et des hésitations chez les programmateurs. Ces derniers semblent alors plus enclins à

se singulariser en diffusant des disques inconnus du public. Les résultats de notre étude

consacrée aux radios musicales et à leurs programmes suggèrent que l’imitation peut

constituer un préalable à la différenciation en rassurant les décideurs. Précisons ici que le

terme différenciation n’est pas à entendre dans son acception portérienne mais comme une

démarche visant à se singulariser de ses concurrents. La complémentarité de l’imitation et de

la différenciation a déjà été soulignée par Deephouse (1999) qui, au travers du concept

d’équilibre stratégique (« strategic balance »), défendait l’idée que la clé du succès résiderait

dans une position intermédiaire consistant à être partiellement identique et différent. Notre

analyse est quelque peu différente. De par son ancrage dans le courant de la stratégie en

Introduction générale

22

pratiques et sa posture compréhensive, elle insiste davantage sur les raisons individuelles et la

contribution des pratiques d’imitation à l’élaboration de la stratégie que sur leur influence en

matière de performance.

Cette démarche a un intérêt théorique : elle permet, par l’intégration d’explications théoriques

parcellaires et leur mise en rapport avec le réel, de mieux comprendre les phénomènes

d’imitation concurrentielle en management. Les praticiens pourront trouver, dans nos

résultats, une occasion de prendre du recul tant sur leurs propres pratiques que sur la façon

dont elles contribuent à la stratégie de leur organisation et la façonnent.

En conclusion, les apports et les limites de la recherche seront mis en évidence. Ils

permettront d’esquisser des perspectives qui pourront orienter des travaux futurs.

24

Première partie

Revue de la littérature

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent p.26

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation p.68

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude p.124

Synthèse de la première partie p.152

26

Chapitre 1

Et pourtant, ils s’imitent

« C’est un bétail servile et sot à mon avis que les

imitateurs ; on dirait des brebis qui n’osent

avancer qu’en suivant la première et qui iraient

sur ses pas jeter dans la rivière. »

Jean de La Fontaine, Clymène, 1671.

ette réplique d’Apollon dans Clymène, l’unique comédie écrite par Jean de La Fontaine,

pourrait presque figurer parmi les préceptes d’un manuel de management stratégique.

Perçue comme un non-sens stratégique, l’imitation se trouve, en effet, souvent exclue du

champ de la stratégie.

A l’instar de Michael Porter qui dans un article séminal intitulé « What is Strategy ? »

assimilait les tendances mimétiques des dirigeants à un recul de la réflexion stratégique au

profit de considérations bassement opérationnelles (Porter, 1996, p.11), une importante

littérature considère que dans une perspective de constitution d’avantage compétitif, le propre

de la stratégie d’une organisation doit être de différer de celle menée par les concurrents. Il

s’agira alors de répondre aux contraintes de l’environnement par l’adoption d’un

positionnement concurrentiel original (Ansoff, 1987 ; Porter, 1982 [2004]), d’activer des

ressources uniques auxquelles les concurrents n’auront pas accès (Barney, 1991), d’innover…

en un mot, d’être différent. L’imitation, qui consiste à reproduire ou à chercher à reproduire

une apparence, un acte, un geste d’autrui, à refaire ce que quelqu’un d’autre a déjà fait avant

soi, ne présenterait donc qu’un faible intérêt.

Dans un environnement devenu changeant et hostile (D'Aveni, 1995), elle représenterait, plus

que jamais, une stratégie vouée à l’échec (Bourgeois et Eisenhardt, 1988). Les entreprises qui,

telles des démons de Gerasa, s’engouffreraient dans l’impasse stratégique du mimétisme

seraient d’ailleurs frappées d’une « malédiction des suiveurs » (Demil et Lecocq, 2006) et

C

Première partie : Revue de la littérature

27

condamnées à des performances médiocres (Barreto et Baden-Fuller, 2006 ; Westphal et al.,

1997).

Malgré l’existence de contre-exemples, montrant par exemple une relation positive entre le

conformisme des entreprises du secteur informatique américain et leurs performances

financières et commerciales (Geletkanycz et Hambrick, 1997) et la fréquence de pratiques de

gestion, telles le « benchmarking » ou la veille concurrentielle, qui dissimulent souvent des

comportements imitatifs, le discours dominant s’est institutionnalisé. Comme le résument les

auteurs de ce manuel de référence en management stratégique : « une entreprise [qui] a la

même stratégie que ses concurrents n’a pas de stratégie » (Johnson, Scholes, Whittington et

Fréry, 2005, p.7).

Ce chapitre permettra de positionner la recherche dans le champ du management stratégique.

Il aura également pour objectif de préciser les notions clés que nous utiliserons et d’apporter

une justification théorique à notre sujet de recherche et à notre problématique.

Les notions d’imitation et de mimétisme ont jusqu’ici été utilisées de façon indifférenciée.

Ces deux notions sont cependant distinctes et nécessitent que nous entreprenions un effort de

définition. La section 1 nous amènera à préciser l’objet de la recherche : nous traiterons ici

d’imitation et nous intéressons aux raisons qui poussent des décideurs à s’imiter les uns les

autres.

La section 2 nous permettra de nous effacer derrière les critiques les plus souvent formulées à

l’égard de l’imitation. Stratégie de seconde zone pour certains théoriciens du leadership et

pour les défenseurs de l’avantage du premier entrant (« first-mover advantage »), l’imitation

est décrite comme extrêmement dangereuse par Michael Porter, les partisans de l’approche

par les ressources et certains théoriciens de la croissance endogène.

Ces critiques pourraient laisser à penser que l’imitation est un phénomène marginal dans le

monde des affaires. Il n’en est rien. La section 3 nous donnera donc l’occasion de dresser un

panorama des travaux qui tendent à souligner son omniprésence parmi les organisations. En

dépit de son désintérêt stratégique et de sa dangerosité supposée, l’imitation se pose en effet

comme un comportement récurrent.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

28

C’est à partir de ce paradoxe que sera présentée, en section 4, la démarche de cette recherche.

Malgré les critiques théoriques, les stratèges s’inspirent des solutions mises en œuvre par

leurs concurrents, notamment pour élaborer leur stratégie. Quelles sont leurs intentions ?

Quelles sont leurs pratiques de l’imitation ? Comment ces pratiques contribuent-elles à la

stratégie de l’organisation ? Voilà posées quelques-unes des questions qui seront abordées

dans la thèse.

1. QUELQUES ELEMENTS DE DEFINITION

En envisageant que les décisions réalisées dans certaines organisations puissent avoir une

influence sur d’autres organisations, les recherches consacrées à l’imitation ou au mimétisme

inter-organisationnel s’inscrivent, par construction, dans une critique du postulat d’autonomie

des agents économiques. Elles se placent ainsi dans la filiation naturelle de la sociologie

économique de Mark Granovetter (1985) ou des approches conventionnalistes (Orléan, 2001)

qui prennent, chacune à leur manière, le soin d’encastrer les agents économiques dans un

système de relations.

A l’instar de DiMaggio et Powell (1983) qui décrivent, sans s’enliser dans une définition

fastidieuse, l’impact que peuvent avoir les phénomènes mimétiques sur l’homogénéisation

des pratiques, des structures et des stratégies dans un champ organisationnel donné, rares sont

néanmoins les recherches qui définissent clairement les concepts de mimétisme et d’imitation

inter-organisationnels (Baize 1996)3.

Cet effort est d’autant plus nécessaire que, transposés au domaine du management stratégique,

les termes utilisés renvoient à des postulats différents sur l’organisation. Leur utilisation est

donc susceptible d’orienter le chercheur dans des voies qui influenceront sa façon

d’appréhender les phénomènes qu’il étudie. Cette partie sera donc l’occasion, non seulement

de clarifier les termes utilisés, mais aussi, à la manière du voyageur qui, avant d’entreprendre

son périple déclarerait le contenu de ses bagages en passant à la douane, de soumettre à

l’appréciation du lecteur les présupposés qui imprègneront ce travail.

3 Cette auteure insiste, par ailleurs sur les différences entre les notions d’imitation et celles de copie/contrefaçon qui concerne davantage les produits que ses orientations stratégiques. Voir notamment Baize (1999).

Première partie : Revue de la littérature

29

1.1. LE MIMETISME ET LA MEMETIQUE

A l’origine cantonné au monde animal, le mimétisme recouvre « un ensemble de situations où

il existe une ressemblance entre une chose et un animal, ou entre deux animaux, soit d’une

même espèce, soit de deux espèces différentes » (Baudonnière, 1997, p.7). Le poisson clown

et son anémone, le caméléon prenant la couleur de son environnement immédiat, la seiche se

confondant avec le sable sont trois exemples de mimétisme animal.

Par extension, le terme est largement utilisé pour caractériser des situations de ressemblance

faisant intervenir des organisations ou des êtres humains et impliquant des phénomènes de

contagion. Pour expliquer ces phénomènes, les auteurs utilisant le concept de mimétisme

proposent souvent des explications dénuées de rationalité (au sens ou elles ne postulent pas

que les individus qui s’imitent aient des raisons particulières de le faire). On retrouve par

exemple cette idée chez Tarde (1890 [2001], 1893 [1999]) qui explique les phénomènes de

contagion par l’existence de lois auxquelles obéiraient des individus placés, bien malgré eux,

dans un état proche du somnambulisme. Une idée proche est développée par Le Bon (1895

[2003]) dans sa Psychologie des Foules qui désigne une tendance naturelle des êtres humains

à s’imiter les uns les autres caractérisée par une « âme de la foule ». Comme nous pouvons le

voir, ces explications ont pour point commun de faire appel à de mystérieuses forces

psychologiques ou culturelles (Hedström, 1998).

a) La mémétique (théorie des mèmes)

On pourra trouver, dans la mémétique (ou théorie des mèmes), la version la plus aboutie de

cette vision du monde. Ce n’est pas à partir de travaux en sciences sociales que s’est

développée cette théorie mais à partir de l’intuition d’un homme, le biologiste Robert

Dawkins (1978), concluant son ouvrage Le gène égoïste par une extension de la théorie de

l’évolution de Darwin.

Postulant l’existence d’entités, les mèmes, se répendant par imitation, Dawkins décrit un

mécanisme de diffusion de cerveau à cerveau, semblable au processus de diffusion des gènes

pour les êtres vivants. Cette perspective permettrait d’étudier l’évolution culturelle et sociale

de l’être humain. Les quatre premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven, le

concept de « produit star » de la matrice BCG, le « Business Process Reingenering » : autant

d’éléments ayant fait leur apparition dans la sphère sociale, managériale ou culturelle et

pouvant être désignés par le concept de mème.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

30

b) Les limites de la mémétique : du mimétisme à l’imitation

Comme le souligne Erner (2008), la mémétique appréhende la question de l’homogénéité et

des ressemblances au niveau de l’espèce humaine. Les individus possèderaient un ensemble

de mèmes (un mèmotype), équivalent socioculturel du patrimoine génétique, sur lequel ils

n’auraient pas de prise. Cette orientation est clairement revendiquée par Susan Blackmore,

grande admiratrice de Dawkins : il existerait des raisons mémétiques qui permettraient

d’expliquer l’évolution humaine (Dawkins et Blackmore, 2006). Comme le montre l’étude de

O’Mahoney (2008), unes des rares à transposer la mémétique dans l’univers du management,

il s’agit de comprendre comment sont transposés les mèmes ou encore d’étudier leur

modification progressive au fil des copies.

Lorsqu’elle est mobilisée en Sciences de Gestion, cette perspective revient à affirmer, avec les

théoriciens de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977), et dans une moindre

mesure avec les tenants de l’approche par le contrôle externe (Pfeffer et Salancik, 1978), que

l’organisation n’a finalement que peu de prise sur son devenir, que celui-ci résulte davantage

des évolutions aléatoires de l’environnement, des pressions externes auxquelles elle doit faire

face, ou de processus de sélection lui échappant.

1.2. L’IMITATION, UNE INTENTIONNALITE

Poser le problème des ressemblances inter-organisationnelles en termes d’imitation revient à

l’opposé, à réintroduire une part de construction dans la destinée de l’organisation. Dans son

sens le plus commun, l’imitation consiste en l’action de reproduire ou de chercher à

reproduire (une apparence, un acte, un geste d’autrui). Imiter, c’est refaire ce que quelqu’un

d’autre a déjà fait avant soi. Comme l’explique le psychologue Pierre-Marie Baudonnière,

« l’imitation suppose que le comportement modèle soit décodé et interprété de façon

suffisamment correcte pour que production et reproduction soient perçues comme

semblables » (Baudonnière, 1997, p.43).

A la différence du mimétisme, elle procède donc d’une intentionnalité et obéit à une

« sélectivité des comportements (on n’imite pas n’importe qui, n’importe quoi, n’importe

quand) » (Baudonnière, 1997, p.7). Parler d’imitation, c’est admettre l’idée que les imitateurs

puissent avoir quelques raisons de dupliquer les comportements, les attitudes ou encore les

décisions de leurs modèles.

Première partie : Revue de la littérature

31

a) L’imitation inter-organisationnelle

L’imitation inter-organisationnelle pourra alors se définir par la séquence suivante

(Haunschild, 1993) : (1) une première organisation adopte une pratique donnée à la date t ; (2)

une seconde organisation est exposée à ce modèle et (3) adopte la pratique en t + x (x

désignant un laps de temps positif). La présence de similitudes entre plusieurs organisations

n’est pas suffisante pour conclure à l’existence de comportements imitatifs chez les

organisations. Comme le soulignent Thompson (1967), Haunschild (1993), Padioleau (2002)

ou encore Webb et Pettigrew (1999), ces dernières peuvent être exposées aux mêmes

problèmes et aux mêmes conditions environnementales. Il semble donc nécessaire d’ajouter à

la définition de Haunschild (1993) une condition : l’existence d’un lien de causalité entre

l’adoption de la pratique par la première organisation et son adoption par la seconde.

b) L’imitation concurrentielle

Ancrée dans le champ de la stratégie, cette recherche s’intéressera à une forme particulière

d’imitation inter-organisationnelle : l’imitation entre organisations concurrentes (désormais

qualifiée « d’imitation concurrentielle »). Au plan théorique, cette question a fait l’objet de

nombreux développements. La section qui suit est consacrée aux écoles les plus critiques vis-

à-vis de l’imitation concurrentielle. Le contraste saisissant entre les critiques académiques qui

vont être exposées, et les travaux empiriques mettant en exergue la fréquence des

comportements imitatifs dans la vie des organisations, en général, et dans leur stratégie, en

particulier, permettra d’amorcer notre réflexion.

Au cours de ce travail, nous chercherons à cerner les raisons qui peuvent pousser les stratèges

à imiter leurs concurrents, à mieux connaître leurs pratiques d’imitation concurrentielle, à

comprendre de quelle manière elles contribuent à la stratégie des organisations.

c) L’imitation réflective et la contrefaçon : deux concepts voisins

Notre définition de l’imitation fait intervenir le concept d’intentionnalité. Cette approche, qui

se justifie par l’intérêt que nous porterons aux raisons individuelles qui sous-tendent

l’imitation, n’est pas la seule possible. Des concepts voisins, qui sortent du champ d’analyse

de la recherche, vont maintenant être présentés afin de lever toute source éventuelle

d’ambiguïté.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

32

Une autre perspective, différente de celle que nous adoptons, pourrait consister à s’intéresser

au degré de similitude entre un modèle et un original. Consacrant ses travaux à l’imitation de

produits, Baize (1999, p.78) définit l’imitation comme une stratégie de l’entreprise consistant

« à emprunter à un produit original certaines de ses caractéristiques » tout conférant à son

offre « des caractères qui lui sont spécifiques parmi lesquels, notamment, la marque propre à

l’entreprise imitatrice. » Le concept d’imitation « réflective » de Baize implique alors une

part d’apprentissage et une volonté de l’imitateur de faire en sorte « que son produit soit

considéré comme étant au moins un équivalent de l’original, c'est-à-dire comme un

concurrent direct et durable. » A l’opposé, la contrefaçon serait destinée à leurrer le

consommateur et consisterait en « la reproduction à l’identique d’un produit original ou, plus

précisément, de ses signes distinctifs » (Baize, 1999, p.76).

2. UNE CRITIQUE THEORIQUE

L’analyse des approches les plus critiques à l’égard de l’imitation inter-organisationnelle

permet de faire émerger trois grands types de critiques.

Un premier argument replace l’imitateur dans un rôle de stratège de seconde catégorie et

décrit, à l’opposé, le leader comme être innovant, créatif, visionnaire, susceptible de résister

au piège de l’imitation. Un effort de déconstruction nous amènera à souligner la filiation entre

cette approche et des travaux plus anciens consacrés à la psychologie des foules.

Un second argument insiste sur le caractère contre-productif des stratégies d’imitation pour

l’organisation qui imite ses concurrents. Il émane de recherches ancrées dans le champ de la

stratégie. Dans les travaux consacrés à l’avantage du premier entrant, comme dans certaines

analyses de Michael Porter, émerge en effet l’idée que les entreprises auraient intérêt à se

différencier, à innover, à pratiquer l’anti-conformisme. Afin de ne pas sombrer dans la

caricature, nous verrons que le caractère normatif de ces analyses est largement amendé dans

certains de leurs développements.

Un troisième argument insiste sur les retombées négatives et collectives des stratégies

d’imitation. L’imitation serait en effet susceptible de plonger des industries toute entières

dans un cercle vicieux qui se traduirait par une baisse des profits pour l’ensemble des

concurrents. En supprimant les incitations à innover, elle nuirait plus globalement à l’intérêt

de la société dans son ensemble.

Première partie : Revue de la littérature

33

2.1. UNE ATTITUDE DE SECONDE ZONE POUR LES STRATEGES

S’éloignant du présupposé « rationaliste » qui imprégnait les premiers travaux sur le dirigeant

d’entreprise (Fayol, 1916 ; Taylor, 1911), de nombreux auteurs ont consacré leurs recherches

à la thématique du leadership.

Si le manager est parfois défini comme « ayant la responsabilité d’une organisation »,

comme « investi d’une autorité formelle dont découle un statut qui conduit à différentes

formes d’interrelations et d’accès à l’information » (Mintzberg, 1989)4, le leader demeure

quant à lui souvent insaisissable. Cette difficulté de définition tient à l’ambiguïté d’un concept

(Pfeffer, 1977) qui renvoie à la fois à des traits de personnalité, à des processus de groupe, à

une position sociale, à une relation de pouvoir, etc. (Bass et Stogdill, 1990). Comme le

résume Bennis (1991, p.11), en considérant le leadership comme une caractéristique

personnelle, « le leadership c’est comme la beauté : difficile à définir mais reconnaissable

quand on la voit ». Parallèlement à des travaux qui, dans un effort de rigueur scientifique ont

différencié plusieurs types de leadership et cherché à étudier leurs effets, certains auteurs ont

tenté de capter l’essence du leadership sur la base de comparaisons entre le leader et

l’administrateur.

La question « les administrateurs et les leaders sont-ils différents ? », posée par Abraham

Zaleznik (1977) tient alors plus de la figure rhétorique que d’une véritable interrogation : la

réponse est bien évidemment positive. A en croire ce professeur à la Harvard Business

School, le monde des affaires serait peuplé de deux sortes d’individus qui divergeraient dans

leurs motivations, leur parcours personnel, leur façon de voir le monde et leur psychologie5.

Alors que l’administrateur a tendance à se concevoir comme le « conservateur et le

régulateur d’un ordre existant »6 (Zaleznik, 1977, p.74), le leader demeure un être à part, plus

proche de l’artiste. Cette opinion est partagée par Warren Bennis (1991, p.15) pour qui les

« leaders ne sont pas du tout des êtres ordinaires. Ils défrichent les terres vierges, là ou

demain commence à prendre forme. » Alors que l’administrateur copie, le leader est un

original. Alors que l’administrateur gère les affaires courantes, le leader développe des

4 Cité par (Calvo-Ryba, 2004, p.2) 5 “The truth of the matter, as I see it, however, is that just as managerial culture is different from entrepreneurial culture that develops when leaders appear in organization, manager and leaders are very different kinds of people. They differ in motivation, personal history, and in how they think and act.” (Zaleznik, 1977, p.70) 6 “Managers see themselves as conservators and regulators of an existing order of affaires with which they personally identify and from which they gain rewards”

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

34

nouveautés. Alors que l’administrateur accepte le statu quo, le leader le défie. Alors que

l’administrateur imite, le leader crée (Bennis, 1991, p.51).

Patricia Pitcher (1996), sur la base de trois idéaux-types, file, quant à elle, la métaphore de

l’artiste, de l’artisan et du technocrate. Visionnaire, créatif et imaginatif, le dirigeant

« artiste » est aidé dans la mise en œuvre de sa stratégie par des « artisans ». A la figure du

leader « artiste » s’oppose celle d’un « technocrate » méthodique, fastidieux, psychorigide,

incapable de tracer sa propre voie, reproduisant des solutions éculées.

En faisant du leader un être ayant la caractéristique de tracer sa propre voie, indépendamment

des choix réalisés par autrui, ces théoriciens du leadership rejoignent « l’image familière d’un

individu isolé […] qui est contenue dans notre représentation de la horde originelle » (Freud,

1921 [2006], p.212). Largement développée par Freud, cette conception appréhende le chef

comme un « opérateur de totalisation du collectif » (Dupuy, 2003, p.58), comme une

« résurrection » du père de la horde primitive : « Même à l’état isolé, ses actes intellectuels

étaient forts et indépendants, sa volonté n’avait pas besoin d’être renforcée par celle des

autres […]. A l’aube de l’histoire humaine, il représentait ce surhomme dont Fietzsche

n’attendait la venue que dans un avenir éloigné. […] Le chef est doué d’une nature de maître,

son narcissisme est absolu, mais il est plein d’assurance et indépendant. » (Freud, 1921

[2006], pp.213-214). Dans la plus pure tradition nietzschéenne, le chef se doit d’être libre.

Libre parce qu’indépendant. Indépendant parce qu’asocial. Envisager qu’un leader puisse

avoir recours à l’imitation reviendrait à atteindre à son indépendance, à s’éloigner de la

représentation familière du chef de horde telle qu’explicitée par Freud. La stratégie, la

création et l’innovation demeurent donc le pré carré des leaders, le suivisme, le conformisme,

l’imitation étant réservés à la horde primitive des managers.

2.2. UNE STRATEGIE ININTERESSANTE POUR LES ORGANISATIONS IMITATRICES

S’éloignant de la vision, pour le moins normative, défendue par les travaux qui viennent

d’être cités, les recherches consacrées au « first-mover advantage », qu’elles s’inscrivent dans

le champ de la stratégie et du marketing, étudient les retombées positives ou négatives

associées au statut d’innovateur, à la position de pionnier. (Kerin, Varadarajan et Paterson,

1992 ; Lieberman et Montgomery, 1988, 1998 ; Szymanski, Troy et Bharadwaj, 1995).

Première partie : Revue de la littérature

35

Cet avantage pourra notamment se traduire par une part de marché supérieure à celle détenue

par les suiveurs (Kalyanaram, Robinson et Urban, 1995 ; Kerin et al., 1992) à laquelle seront

souvent corrélés les bons résultats financiers de l’entreprise (Mueller, 1986, 1997). Il sera

d’autant plus fort que la demande sera incertaine et la technologie changeante (Zhou, 2006).

Les imitateurs qui entreront plus tardivement sur le marché devront supporter des coûts plus

importants pour conquérir une position concurrentielle viable (Bowman et Gatignon, 1996).

L’encadré 1 présente une synthèse des mécanismes permettant d’expliquer pourquoi les

pionniers peuvent espérer jouir d’un avantage concurrentiel.

Encadré 1

Mécanismes explicatifs de l'avantage des premiers entrants

1) Permettant à l’entreprise pionnière de bénéficier d’un avantage de coût, les mécanismes économiques peuvent trouver leur source dans des économies d’échelle, un effet d’expérience (Robinson et Fornell, 1985) ou dans le coût marginal croissant des investissements publicitaires (qui augmente le coût relatif supporté par les suiveurs).

2) Les mécanismes de préemption (« preemption mecanisms ») renvoient à un accès privilégié aux ressources stratégiques. De par sa position de pionnier, l’entreprise pourra accéder aux meilleurs emplacements (Lieberman et Montgomery, 1988) et en faire l’acquisition à un coût souvent inférieur à celui que supporteront ses concurrents. Ces mécanismes peuvent être à l’origine, soit d’un avantage de coût, soit d’un avantage de différenciation.

3) Les mécanismes technologiques peuvent désigner des innovations dans les produits ou les procédés de fabrication autant que des innovations dans l’organisation. Ils peuvent, là encore, être au cœur d’un avantage de coût ou de différenciation.

4) Source de différenciation, les mécanismes comportementaux renvoient aux coûts de transfert supportés par les consommateurs en cas de changement de fournisseur, au statut de « standard du marché » (Carpenter et Nakamoto, 1989) obtenu par le premier entrant, ainsi qu’aux effets de réseau et de réputation.

D’après Kerin et al. (1992)

Une entreprise pionnière ayant rencontré le succès a néanmoins de fortes chances d’être

imitée. Soulignant le rôle moteur de l’innovation dans le développement économique,

l’économiste Joseph Schumpeter avait déjà observé ce phénomène qui s’insérait, selon lui,

dans un processus de destruction créatrice : dans chaque industrie, l’innovation et l’imitation

constituent les deux moteurs de la concurrence à laquelle se livrent les entreprises.

Parce qu’il aura appris à fabriquer des produits d’une qualité supérieure, le pionnier pourra

espérer évincer ses concurrents et jouir d’une rente de monopole. Cette rente demeurera

cependant temporaire. Le pionner sera bientôt imité par des entreprises qui apprendront à

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

36

fabriquer des versions alternatives de son innovation. Le pionnier « a en quelques sortes

vaincu, ouvert un chemin pour d’autres aussi ; il a créé un projet que ces derniers peuvent

copier. Ils peuvent le suivre, ils le suivront, d’abord à quelques-uns, puis par masses

entières » (Schumpeter, 1935 [1999], p.199). C’est par cette mécanique que les anciens

produits sont remplacés par les nouveaux, et que les avancées technologiques se diffusent au

sein de l’économie.

Sans remettre en question les avantages associés à la position de « first-mover », plusieurs

auteurs estiment que des entrants tardifs peuvent parfois obtenir des performances (en termes

de part de marché et de profitabilité) supérieures à celles obtenues par les pionniers (Hoppe,

2000 ; Lieberman et Montgomery, 1988, 1998 ; Tellis et Golder, 1996). Ces travaux seront

détaillés un peu plus loin dans la revue de littérature. La situation est ainsi résumée par Porter

dans L’avantage concurrentiel (Porter, 1986 [2003], p.134) : « Il est fréquent que le

précurseur s’empare d’un avantage durable par les coûts en se réservant les meilleurs

emplacements, en embauchant avant les autres le meilleur personnel, en obtenant un accès

aux fournisseurs les plus recherchés ou en prenant des brevets. De fait, dans certains

secteurs, seul le premier à bouger peut acquérir un avantage substantiel par les coûts. Dans

d’autres secteurs, les firmes qui attendent peuvent obtenir certains avantages dans le

domaine des coûts, parce que la technologie change rapidement ou parce qu’elles peuvent

étudier et imiter à bon compte les actions entreprises par le précurseur. »

Les dirigeants seraient donc bien mal avisés de se couper, a priori, de l’expérience de leurs

concurrents. Porter soutient ainsi que « l’orgueil ne devrait pas empêcher d’exploiter

l’apprentissage des concurrents. […] Il existe un grand nombre de moyens de s’approprier

l’apprentissage des concurrents : rétro-ingénierie des produits, étude de documents publiés

tels que les fichiers des brevets et les articles de journaux, entretien de relations avec leurs

fournisseurs pour accéder au savoir-faire et connaître leurs derniers moyens de production

achetés » (Porter, 1986 [2003], p.131).

Doit-on voir dans ces propos une réhabilitation de l’imitation en matière de stratégie ? Ne

nous y trompons pas : si les auteurs orthodoxes soulignent parfois certains de ses bienfaits

potentiels, ils s’accordent à cantonner l’imitation dans un rôle accessoire. Derrière cet

apparent paradoxe, nous retrouvons la dichotomie « stratégie » versus « efficacité

opérationnelle » reprise par Porter (1996) : L’imitation pourra permettre à l’entreprise de

Première partie : Revue de la littérature

37

conduire ses activités de façon plus efficace que ses rivaux (efficacité opérationnelle) mais ne

devra pas occulter l’essentiel de la stratégie, choisir un positionnement clair et différent de

celui adopté par les concurrents.

2.3. UNE STRATEGIE DANGEREUSE POUR LA COLLECTIVITE

En dépit de son absence d’intérêt stratégique, l’imitation conserve un potentiel de nuisance

bien réel : « une imitation ‘facile’ entraîne une rapide disparition des rentes »7 (Teece, Pisano

et Shuen, 1997, p.526). Si certains auteurs viennent apporter quelques nuances8, cette

conception demeure la plus largement répandue dans la littérature stratégique. Les effets

négatifs de l’imitation ne se limitent cependant pas à l’entreprise pionnière (niveau micro-

économique), ils remettent également en cause la dynamique de l’industrie (niveau méso-

économique), éloignent la collectivité d’une solution optimale et compromettent la croissance

économique (niveau macro-économique).

a) Une menace pour l’avantage concurrentiel

La nocivité de l’imitation pour le pionnier, déjà soulignée par Schumpeter (1935 [1999]), a

notamment été observée par Armour et Teece (1978) qui, dans un article devenu célèbre, ont

montré que les avantages retirés par l’utilisation de la structure multi-divisionnelle

s’amenuisaient à mesure que celle-ci était communément adoptée. Le monde des affaires

regorge d’innovateurs déchus, de pionniers rattrapés et dépassés par leurs concurrents : Intel

dans le domaine de la production de barrettes de mémoire pour PC (imité par des concurrents

japonais), Macintosh pour les OS à interface graphique (imité par Microsoft et son célèbre

Windows) sont deux exemples d’entreprises ayant dû faire face aux effets dévastateurs de

l’imitation (Ma et Karri, 2005, p.71).

En réduisant la capacité des innovateurs à soutenir un avantage concurrentiel, l’imitation

constituerait une menace pour leur performance (Hitt, Ireland et Hoskisson, 2007 ; Sirmon,

Arregle, Hitt et Webb, 2008). Et Koenig (1999, p.221) d’estimer, à la suite de Rumelt (1984),

que « la capacité d’une entreprise à soutenir un avantage concurrentiel dépend de la facilité

avec laquelle elle peut être imitée par d’autres. »

7 "Easy imitation implies the rapid dissipation of rents.” 8 Sur la base de la théorie des jeux, Conner (1995) démontre que des externalités de réseau peuvent amener un innovateur à encourager des imitateurs pour imposer un standard technique, lancer une mode, etc. Le risque est néanmoins d’enfermer l’industrie toute entière dans un standard alors qu’une meilleure alternative serait disponible (Farrell et Saloner, 1985).

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

38

Plusieurs auteurs ont alors tenté d’élaborer des réponses possibles parmi lesquelles la mise en

place de manœuvres visant à rendre l’imitation faiblement payante afin de « défendre sa

position contre des imitateurs ou des nouveaux venus » (Porter, 1982 [2004], p.188) telles que

le positionnement dans un groupe stratégique protégé par des fortes barrières à la mobilité

(Porter, 1979), la mise en place de protections légales tels que les brevets (Coyne, 1986),

l’adoption de stratégies complexes en termes de nombre de décisions et d’interactions entre

ces décisions (Rivkin, 2000) ou de stratégies de ruptures difficilement réplicables (Dumoulin

et Simon, 2005). De leur côté, d’autres contributeurs semblent privilégier des stratégies

d’évitement en préconisant aux entreprises victimes d’imitation de trouver d’autres sources

d’avantage concurrentiel ou de s’internationaliser (Hitt, Tihanyi, Miller et Connelly, 2006 ;

Morrow, Sirmon, Hitt et Holcomb, 2007).

Les développements les plus poussés sont néanmoins à inscrire au crédit des tenants des

approches par les ressources et par les compétences (Barney, 1991 ; Dierickx et Cool, 1989 ;

Peteraf, 1993 ; Rumelt, 1984 ; Teece et al., 1997 ; Wernerfelt, 1984). S’éloignant du postulat

d’homogénéité et de mobilité des ressources (voir notamment Koenig, 1999 ; Priem et Butler,

2001), ces auteurs se sont souvent attachés à mettre en lumière les conditions sous lesquelles

les ressources d’une entreprises peuvent constituer une source d’avantage concurrentiel. Selon

Barney (1991) la rareté, la valeur (la capacité d’une ressource à permettre l’exploitation d’une

opportunité ou la neutralisation d’une menace), la non-substituabilité et le caractère

difficilement imitable d’une ressource sont de nature à permettre la constitution d’un avantage

concurrentiel9.

Comme l’explique Barney, plusieurs éléments peuvent être de nature à gêner et à rendre

coûteuse l’imitation d’une ressource par des concurrents (Barney, 1991, 2001). C’est par

exemple le cas de conditions historiques particulières qui ne se répéteront pas, d’une

imbrication dans des mécanismes sociaux et organisationnels complexes, mais surtout d’une

ambiguïté causale (Lippman et Rumelt, 1982 ; Reed et DeFillippi, 1990) empêchant les

concurrents « d’identifier avec certitude les causes de l’efficience du leader » et de mettre en

9 Notons ici que, dans la conception proposée par Barney, l’avantage concurrentiel ne saurait être durable en ce qu’il pourrait être remis en cause par une évolution majeure de l’environnement (une révolution technologique par exemple). La Resource-based « view » privilégie donc la notion d’avantage soutenable (capable de résister aux tentatives d’imitation des concurrents).

Première partie : Revue de la littérature

39

lumière les « moteurs de son avantage concurrentiel » (Forgues et Lootvoet, 2006, p.199)10.

Dès lors, constituer un avantage concurrentiel sur la base de routines (Nelson et Winter,

1982), de compétences largement tacites (Teece et al., 1997), de ressources et de compétences

fortement ancrées dans les processus de l’entreprise et étroitement liées à ses autres ressources

(Dierickx et Cool, 1989 ; Teece et al., 1997) constituent des moyens de se prémunir de la

menace incarnée par des imitateurs potentiels.

Cette volonté de maintenir un certain degré d’ambiguïté causale pour gêner les imitateurs

potentiels est susceptible de placer l’organisation en situation de « double-bind ». La

codification du savoir (conversion du savoir tacite en savoir explicite) a souvent été décrite

comme un préalable indispensable au transfert de connaissances et à l’apprentissage

organisationnel (Bierly et Chakrabarti, 1996 ; Nonaka et Takeuchi, 1995 ; Szulanski, 1996).

En rendant explicite le savoir tacite, l’organisation facilite néanmoins l’imitation et fragilise

son avantage concurrentiel (Schulz et Jobe, 2001 ; Zander et Kogut, 1995). La codification du

savoir doit donc s’accompagner, pour la firme innovatrice, d’un effort de protection légale de

ses innovations (García-Muiña, Pelechano-Barahona et Navas-López, 2008).

Remettant en question le nécessaire effort de protection vis-à-vis des imitateurs, McEvily et

ses collègues (2000) avancent l’idée que plus un concurrent aura du mal à imiter une

ressource, plus il aura tendance à essayer de trouver une ressource de substitution qui pourra

constituer une menace plus sérieuse pour l’avantage concurrentiel. L’imitation pourrait donc,

selon ces auteurs, constituer un « moindre mal » compte tenu des retombées négatives liées au

développement, par des concurrents, d’une ressource de substitution.

10 Dans toute la littérature consacrée aux barrières à l’imitation, l’ambiguïté causale est probablement le concept ayant fait l’objet du plus grand nombre de travaux empiriques. Pour autant, comme le notent Powell, Lovallo et Caringal (2003) à la suite de King et Zeithaml (2001, 2003), les résultats tendant à prouver une corrélation positive entre ambiguïté causale et performance de l’entreprise demeurent, en l’état actuel, très peu convaincants. Au-delà des défis méthodologiques suscités par la mesure de l’ambiguïté causale, une question théorique majeure demeure non résolue : l’ambiguïté causale peut certes réduire l’imitabilité d’une ressource ou d’une compétence, mais elle peut également rendre plus difficile l’exploitation (en interne) de la dite ressource ou compétence (King et Zeithaml, 2001, 2003 ; Powell et al., 2003). Dès lors, l’influence de cette variable sur la performance de l’entreprise apparaît complexe.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

40

b) Un jeu auquel tout le monde perd

Au-delà de l’entreprise imitée, ce sont les profits de l’industrie toute entière qui peuvent être

affectés par l’imitation (Nelson et Winter, 1982 ; Porter, 1982 [2004]). Dans l’esprit de la

tragédie des communaux11 l’imitation, lorsqu’elle se généralise, est considérée comme le

pillage d’une ressource (d’une innovation) partagée : les imitateurs perdraient de vue l’intérêt

commun en négligeant les retombées négatives de leurs décisions sur les autres. L’imitation

généralisée aurait ainsi contribué à plonger le secteur cimentier français dans une crise de

surcapacité (Dumez et Jeunemaitre, 1995, 1996).

Dans l’industrie, l’imitation est par ailleurs susceptible d’enclencher un cercle vicieux, « une

concurrence à somme nulle, des prix fixes où orientés à la baisse, une pression sur les coûts

de nature à compromettre la capacité des entreprises à réaliser des investissements à long

terme » (Porter, 1996, p.64). En s’imitant les unes les autres, les entreprises chasseraient sur

les mêmes terres stratégiques, entreraient en compétition pour conquérir les mêmes clients et

s’adresser aux mêmes marchés. Cette augmentation de l’intensité concurrentielle aurait, bien

sûr, pour conséquence de minorer la capacité des firmes à générer des profits (Cool, Roller et

Leleux, 1999 ; Whalen, 1992).

Les entreprises auraient donc renoncé à la stratégie, victimes de l’angoisse que ressentent

leurs managers à l’idée de faire des choix clairs. Focalisés sur leurs tableaux de bords,

obsédés par un climat (réel ou fantasmé) d’hyper-compétition, enfermés dans leur quête

d’efficacité opérationnelle et inondés d’informations relatives aux décisions prises par leurs

concurrents, ces derniers auraient succombé au piège des « best-practices » et de l’imitation

renonçant, du même coup, à l’essence de la stratégie. Ils se seraient engagés dans une

concurrence fondée sur la seule efficacité opérationnelle aux résultats dramatiques. Pour sortir

de ce cercle vicieux, Koenig (1999, p.218) préconise de privilégier des stratégies de

distinction qui mettent « en présence des firmes dont les systèmes de ressources sont

profondément différents et qui sont capables d’offrir des produits aux caractéristiques

fonctionnelles […] contrastées » à des stratégies de différenciation ne visant qu’à

11 Phénomène bien connu des économistes, la « tragédie des communaux » renvoie à l’idée que « lorsqu’il existe une ressource commune, que tout le monde peut utiliser gratuitement et librement, aucun usager ne pense aux possibles effets négatifs de ses actes sur les autres » (Stiglitz, 2006, p.228). Popularisée par Garrett Hardin (1968), l’expression renvoie explicitement aux « communaux », terrains sur lesquels les paysans anglais faisaient paître leurs moutons au moyen-âge : focalisé sur son propre intérêt, chaque paysan y envoyait de plus en plus de moutons. Les moutons étant de plus en plus nombreux, l’herbe disparaissait, créant un résultat sous-optimal pour l’ensemble de la collectivité.

Première partie : Revue de la littérature

41

« poursuivre la concurrence sur d’autres variables que le prix. » Les secondes d’instaurer un

simple partage du marché (jeu à somme nulle) là où les premières sont susceptibles de

développer la demande (jeu à somme positive).

c) La croissance économique compromise

Opposant innovation à imitation, de nombreux économistes ont tenté – dans le prolongement

des travaux de Schumpeter – de mettre en exergue les effets négatifs d’une politique

économique encourageant l’imitation sur la croissance économique. Des modèles de

croissance endogène, étudiant les effets de l’innovation et de l’imitation sur l’économie, ont

ainsi été proposés. Là encore l’imitation est souvent décrite comme une voie à ne pas suivre.

En diminuant le retour des investissements en recherche & développement réalisés par les

innovateurs, elle rendrait l’innovation moins attractive et viendrait compromettre la

croissance économique12. Selon Davidson et Segerstrom (1998), qui sont sur ce point rejoints

par Zeng (2001) un gouvernement qui déciderait d’encourager l’imitation par une politique de

subventions, augmenterait certes le bien-être des consommateurs (qui pourraient ainsi

bénéficier d’une offre plus large à des prix plus bas) mais conduirait à ralentir la croissance en

décourageant les innovateurs.

3. DES REALITES EMPIRIQUES

Nous allons maintenant voir qu’en dépit de son caractère anti-stratégique supposé, l’imitation

est très courante en management. Les comportements imitatifs sont susceptibles de concerner

des pans très divers de la vie des organisations tels que le choix du lieu d’implantation (Baum,

Li et Usher, 2000), les décisions d’implanter un progiciel intégré de gestion (Pupion et

Leroux, 2006), le choix d’un banquier d’affaire pour chapeauter une acquisition (Haunschild

et Miner, 1997), l’adoption de tel ou tel régime fiscal (Pupion et Montant, 2004), la fixation

du niveau de stock-options attribués aux dirigeants (Brandes et al., 2006) ou encore la

décision d’entrer dans un consortium (Bolton, 1993).

12 Un argument fréquemment attribué à Arrow (1962) permet d’apporter quelques nuances. En diminuant les rentes associées l’innovation, l’imitation aurait certes un impact négatif sur les profits des entreprises pionnières mais elle les inciterait également à continuer à innover pour conserver leur avance. Dans une économie placée en situation d’équilibre, l’imitation pourrait donc avoir un effet bénéfique (Aghion, Harris et Vickers, 1997 ; Aghion, Harris, Howitt et Vickers, 2001 ; Aghion, Bloom, Blundell, Griffith et Howitt, 2005 ; Zhou, 2009).

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

42

Les décisions stratégiques ne font pas figure d’exception : les radios américaines s’imitent

pour déterminer leur positionnement stratégique (Greve, 1996, 1998), les firmes américaines

s’imitent pour décider de leur structure organisationnelle (Fligstein, 1985 ; Palmer, Jennings

et Zhou, 1993), les multinationales asiatiques s’inspirent de l’expérience de leurs

compétiteurs pour établir leurs stratégies d’internationalisation (Guillén, 2002, 2003 ; Henisz

et Delios, 2001).

Selon les industries étudiées, les comportements imitatifs peuvent être plus ou moins

courants, et plus ou moins tolérés. Dans une étude consacrée à l’industrie hôtelière, Baum et

Ingram (1998) citent ainsi un article tiré de la presse professionnelle aux allures de « pousse

au crime ».

« Un professionnel qui ne visite pas et n’inspecte pas au moins dix hôtels par an est un fainéant. Quand je parle d’inspection des hôtels, je veux dire qu’il faut que vous commenciez par le toit et que vous descendiez jusqu’aux fondations et que vous identifiez tous les bons points de l’offre proposée par le manager de l’hôtel. » 13

Hotel Monthly, Octobre 1939, cité par Baum et Ingram (1998, p.1000)

Au-delà de cet exemple anecdotique, les théories de la diffusion (section 3.1) et les travaux

consacrés aux modes managériales (section 3.2) rendent compte, non seulement de

l’importance du phénomène imitatif en Sciences de Gestion, mais aussi de sa diversité.

Les théories de la diffusion et des modes managériales sont deux ensembles conceptuels qui

ont été façonnés par l’agrégation de très nombreux travaux empiriques consacrés à des

secteurs d’activités divers et s’intéressant à des situations où l’imitation est susceptible de

porter sur des objets très différents.

Ni les théories de la diffusion, ni les travaux consacrés aux modes managériales ne

constitueront le socle conceptuel de la thèse. Leur présentation aura ici pour objectif de

souligner la régularité des phénomènes d’imitation en Sciences de Gestion. Au risque de nous

éloigner du fil directeur de ce chapitre, nous avons fait le choix de présenter de façon

approfondie ces courants afin de ne pas les caricaturer. Les deux courants de recherche seront

synthétisées à la fin des sections 3.1 et 3.2 par le biais d’encadrés de synthèse.

13 “Any hotel man who does not visit and inspect at least ten hotels a year is slipping. When I say inspect the hotels, I mean that you must start at the roof and go to the basement and listen to the good points the manager has to offer.”

Première partie : Revue de la littérature

43

3.1. L’APPORT DES THEORIES DE LA DIFFUSION

Les théories de la diffusion peuvent constituer une porte d’entrée dans l’étude des

phénomènes d’imitation. Le concept de diffusion a, en effet, souvent été mobilisé, en sciences

sociales, pour expliquer l’homogénéité (Strang et Meyer, 1993). Depuis les travaux

fondateurs de Ryan et Gross (1943) consacrés au phénomène de diffusion du maïs hybride,

des chercheurs, officiant dans des disciplines variées, se sont ainsi intéressés à la façon dont

se diffusent des innovations, telles que le téléphone, les tests de dépistage de la tuberculose,

les croyances religieuses, les kidnappings, l’organisation multi-divisionnelle, la stratégie de

diversification, etc.

Ce domaine de recherche, hétéroclite dans ses objets et dans ses champs disciplinaires de

rattachement a largement été façonné par Rogers qui, par les éditions successives de son

ouvrage Diffusion of innovations (Rogers, 1962, 1983, 1995, 2005 ; Rogers et Shoemaker,

1971) a contribué à la visibilité, à l’agrégation de travaux disparates et à la construction de la

plateforme conceptuelle que nous désignons aujourd’hui par le label « théorie de la

diffusion » en proposant un modèle universel de diffusion des innovations.

Le terme innovation est utilisé pour désigner ce qui se diffuse. Dans le domaine des Sciences

de Gestion, il pourra s’agir d’une nouvelle pratique (comme l’attribution de stock-options aux

dirigeants ou la mise en place de cercles de qualité), d’une nouvelle technologie, d’une

nouvelle structure organisationnelle ou d’une nouvelle stratégie (Strang et Soule, 1998). A la

suite de Westphal et ses collègues (1997), il convient de préciser que les modalités d’adoption

de ces innovations peuvent différer d’une organisation à une autre : les entreprises peuvent,

par exemple, adapter des pratiques de qualité totale en fonction de leurs propres spécificités.

a) Principe général

La diffusion est définie comme un « processus par lequel une innovation se communique au

travers de certains canaux au fil du temps parmi les membres d’un système social » (Rogers,

2003)14. Parmi les différents facteurs susceptibles d’influer sur le processus de diffusion,

l’imitation joue un rôle essentiel.

14 “We defined diffusion as the process by which an innovation is communicated through certain channels over time among the members of a social system.”.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

44

Comme le souligne Granovetter (1978, 2000b) dans un de ses premiers travaux, la propension

à l’imitation est différente selon les individus ou selon les organisations : certains acteurs

seraient plus moutonniers que les autres. Prenant l’exemple d’une émeute, le père de la

sociologie économique explique, par exemple, que chaque participant potentiel a besoin

d’attendre qu’un certain nombre d’individus s’y soient engagés préalablement avant de s’y

engager à son tour.

Ce seuil, à partir duquel l’individu décide d’adopter une innovation est défini comme la

proportion d’individus, dans son groupe de référence, ayant fait ce choix avant qu’il ne le

fasse à son tour. Pour les premiers adoptants, ce seuil est proche de 0% : ils adoptent

l’innovation même si personne ne les a précédé. Pour les adoptants tardifs en revanche, ce

seuil est proche de 90% : ils ont besoin que la plupart des individus qui composent leur

environnement social aient adopté l’innovation avant de l’adopter à leur tour. Dans la réalité

cependant, peu d’individus se montrent aussi radicaux ou aussi conservateurs : les individus

ont des seuils moyens, et différents les uns des autres. Nous avons tous un seuil à partir

duquel nous pouvons décider de quitter une réunion publique ennuyeuse (alors que la

politesse ou la timidité nous inciteraient à y rester), de voter pour un candidat à une élection

(non seulement en raison d’une pression sociale mais aussi pour ne pas gaspiller notre vote),

de contribuer à la propagation d’une rumeur, etc. C’est la distribution de ces seuils qui

conditionne la façon dont chaque innovation se diffuse.

b) Du déclenchement du processus de diffusion

Les changements de l’environnement constituent souvent un facteur déclencheur du processus

de diffusion. Selon Fligstein (1990), la politique « antitrust » du gouvernement fédéral

américain aurait ainsi initié la diffusion des stratégie de diversification, les firmes américaines

voyant leurs possibilités d’intégration verticale réduites. Ces stratégies auraient préalablement

été adoptées par des « innovateurs déviants » avant de se diffuser plus largement, par

contagion.

Dans la définition des phénomènes de contagion qu’il propose, Burt (1987) fait entrer en jeu

deux individus (ou deux organisations) respectivement désignés par les termes ego et alter.

L’ego, qui n’a pas encore adopté l’innovation entre en contact avec l’alter, l’ayant déjà

adoptée, et l’adopte à son tour. Cette définition est très proche de celle proposée par

Haunschild (1993) pour caractériser l’imitation.

Première partie : Revue de la littérature

45

Ne connaissant pas avec précision les coûts et les bénéfices associés à l’adoption d’une

innovation (Burt, 1987), les membres d’une organisation sont supposés imiter ce qui est fait

dans d’autres organisations ou ce qui apparaît comme tel, au travers par exemple des discours

des dirigeants (Westney, 1987).

c) De l’observabilité : avantages perçus et transposabilité

L’observabilité d’une pratique est une condition à son imitation (Haunschild, 1993). En

exposant certaines innovations organisationnelles, les grands médias et la presse managériale

peuvent, de la même façon qu’ils contribuent à la dissémination des modes vestimentaires

(Warnier et Lecocq, 2007), contribuer à la diffusion d’innovations managériales, notamment

en relayant les expériences réussies par certaines entreprises pionnières. Les médias jouent

alors un rôle de régulateurs institutionnels de l’innovation (Hirsh, 1972).

Selon Burns et Wholey (1993), la diffusion de la structure matricielle parmi les hôpitaux

américains aurait ainsi largement été influencée par la presse écrite. En « donnant à voir »

certaines pratiques, les cabinets de conseil et les formations en management peuvent

également contribuer à la diffusion d’innovations managériales (Strang et Soule, 1998). Dans

le même ordre d’idée, les prestataires informatiques et les fabricants de matériel auraient,

selon Dos Santos et Peffers (1998), impulsé le processus de diffusion des premières

plateformes de e-commerce aux Etats-Unis. L’observabilité peut également être plus

immédiate. Une entreprise a ainsi plus de facilité à répliquer une décision prise par des

entreprises opérant sur la même zone géographique (Burns et Wholey, 1993 ; Davis et Greve,

1997 ; Greve, 1995, 1998 ; Gygax et Griffiths, 2007). Ce facteur est néanmoins supposé jouer

un rôle moins important avec l’essor d’Internet et des technologies de l’information et de la

communication (Rogers, 2003).

Il serait réducteur d’assimiler les organisations à des moutons de Panurge répliquant

mécaniquement les décisions prises par autrui. Ces dernières adoptent en effet les innovations

en fonction des avantages qu’elles leur associent, de leur pertinence de leur compatibilité avec

des valeurs, des normes, des besoins, ou des expériences passées. Comme le remarquent

Strang et Soule (1998), la perception des avantages associés à une innovation est souvent liée

aux caractéristiques de l’organisation adoptante : les dirigeants d’une grande organisation

adopteront probablement plus rapidement une innovation leur permettant de mieux gérer les

flux d’information qu’une nouvelle pratique sociale telle que les « beer bash Fridays ».

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

46

Même si elles ne mettent pas forcément en œuvre, a priori, des dispositifs formalisés

d’évaluation des innovations qu’elles adoptent, les organisations peuvent asseoir leurs

décisions sur l’observation de leurs concurrents. Cette observation figure parmi les résultats

proposés par Pupion et Leroux (2006), qui s’intéressent aux phénomènes de diffusion des

ERP parmi les PME françaises. Même si la plupart des entreprises interrogées par les deux

auteurs expliquent n’avoir pas formellement évalué les coûts et les bénéfices de l’innovation

avant son adoption, les attributs perçus de l'ERP et son adoption préalable par d'autres

entreprises (en particulier lorsqu’elle a été couronnée de succès) semblent, en revanche, jouer

un rôle déterminant. L’imitation de modèles ayant réussi est alors susceptible d’être à

l’origine d’un effet boule de neige (Strang et Macy, 2001). La question de la transposabilité

des pratiques imitées a souvent été décrite comme étant centrale dans les processus de

décision, en particulier lorsque ce sont des décisions stratégiques qui sont en jeu. Ces

dernières doivent, en effet, être pertinentes au regard des forces et des faiblesses de

l’entreprise et des menaces et opportunités de l’environnement… ce qui limite leur

transposabilité. Les organisations peuvent alors se fonder sur l’existence de caractéristiques

organisationnelles communes, telles que la taille (Fligstein, 1991 ; Haunschild et Beckman,

1998 ; Kraatz, 1995, 1998 ; Lant et Baum, 1995), ou l’exposition à des conditions

environnementales comparables (Greve, 1998) pour sélectionner les innovations à adopter.

Comme nous le verrons dans le chapitre 2, l’imitation de modèles sélectionnés en fonction de

leurs similitudes peut également trouver une explication dans des théories issues de la

psychologie sociale.

d) La diffusion et les réseaux sociaux

Les interactions sociales ont souvent été décrites comme un élément renforçant l’homogénéité

au sein d’un système social (Coleman, Katz et Menzel, 1966). Véritables canaux de

communication interpersonnels, les réseaux sociaux faciliteraient la diffusion en favorisant

l’imitation (Granovetter, 2000a ; Rogers, 2003).

Comme le précise Huault (2004b, p.49), en suivant Laumann, Galskeiwicz et Marsden

(1978), le réseau social est appréhendé comme « un ensemble d’instances, de nodes (telles

que des personnes, des organisations, des groupes sociaux, etc.), liées par des relations

sociales formelles ou informelles, fondées sur l’amitié, le transfert de ressources ou d’autres

axes de solidarité. »

Première partie : Revue de la littérature

47

Les liens sociaux des dirigeants des entreprises ont ainsi fait l’objet de plusieurs travaux

empiriques consacrés aux processus de diffusion. Prolongeant l’étude qualitative de Useem

(1979, 1984) qui mettait en exergue les pratiques d’observation et de réplication des

dirigeants, Galaskiewicz et Wasserman (1989) soulignent, par exemple le rôle des réseaux

sociaux dans la politique de dons à des organismes à but non lucratif des entreprises de la

région de Minneapolis. Les deux chercheurs parviennent à établir que les dons versés par une

entreprise à un organisme sont plus importants lorsque l'organisme a déjà reçu des dons

émanant d'entreprises dans lesquels les managers ou les dirigeants ont des contacts. Ces

contacts peuvent être noués avec des entreprises du même secteur d’activité ou d’autres

industries (Geletkanycz et Hambrick, 1997), par exemple dans le cadre de clubs privés

(Palmer et Barber, 2001 ; Stearns et Allan, 1996), d’associations professionnelles

(Geletkanycz et Hambrick, 1997), ou de participations à des conseils d’administration (Davis,

1991 ; Guillén, 2002 ; Haunschild et Beckman, 1998 ; Henisz et Delios, 2001 ; Palmer et

Barber, 2001 ; Palmer et al., 1993).

Cette dernière idée est confirmée par Haunschild et ses collègues (Haunschild, 1993 ;

Haunschild et Beckman, 1998) qui parviennent à établir que les entreprises imitent des

modèles avec lesquels elles ont des administrateurs en commun pour fixer leur politique

d’acquisition. Des résultats comparables ont été obtenus par des chercheurs s’intéressant aux

« poison pills »15 (Davis, 1991 ; Davis et Greve, 1997), aux contributions versées dans le

cadre de campagnes électorales (Mizruchi, 1992), à l’adoption de la forme multi-divisionnelle

(Palmer et al., 1993), à la mise en place d’une stratégie de diversification (Palmer et Barber,

2001), aux processus décisionnels (Westphal, Seidel et Stewart, 2001), à la taille du

portefeuille d’actifs des fonds américains de capital risque (Gygax et Griffiths, 2007), au

montant des primes d’acquisition (Haunschild, 1994) ou encore aux pratiques de recrutement

des dirigeants (Williamson et Cable, 2003).

De la même façon que les virus se diffusent plus rapidement dans des milieux urbains très

peuplés que dans des milieux ruraux, la densité du réseau social se présente comme un facteur

accélérant la diffusion des innovations (Davis et Greve, 1997). Une innovation aura, par

ailleurs, plus de chances de se diffuser lorsqu’elle aura été adoptée préalablement par une

15 Dispositions juridiques permettant de protéger les actifs stratégiques de l’entreprise en cas de prise de contrôle non désirée.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

48

organisation fortement encastrée (Davis, 1991), c'est-à-dire ayant de nombreux liens avec

l’extérieur.

Au-delà des liens sociaux, les liens financiers (appartenance à un même groupe ou à un même

groupement d’intérêt économique, participations croisées) contribuent eux-aussi à la

dynamique de diffusion (Bourgeois, 2007 ; Westphal et Zajac, 1997). Dans sa célèbre étude

des « poison pills », Davis (1991) montre ainsi que les entreprises ont tendance à imiter des

modèles avec lesquels elles ont des participations croisées. Dans le cas des entreprises

asiatiques, l’appartenance à un même « keiretsu » ou à un même « chaebol »16 (Guillén, 2003)

facilite l’imitation et permet d’expliquer les processus de diffusion. Les stations de radio

américaines imitent les stations détenues par le même groupe ou des concurrents de ces

dernières (Greve, 1995, 1996, 1998). Dans le même esprit, Bourgeois (2007), au travers d’une

étude de cas consacrée à l’entreprise La Redoute, montre comment la maison mère PPR

encourage sa filiale à mettre en place, par mimétisme des outils « à la mode » telles que

l’évaluation 360°.

Comme le notent Haunschild et Beckman (1998), les différents facteurs contribuant à la

diffusion peuvent se substituer ou se renforcer les uns les autres. L’influence des liens sociaux

constitués par les administrateurs est ainsi moins importante chez les entreprises de grande

taille (qui sont supposées avoir accès à d’autres sources d’information). Elle se renforce, en

revanche, lorsque l’entreprise modèle a fait l’objet d’une couverture médiatique importante.

Les modalités de diffusion sont donc susceptibles de varier en fonction de l’environnement,

des caractéristiques des organisations adoptantes ou de l’innovation considérée.

16 Equivalents coréens des keiretsus japonais, ensemble d'entreprises, opérant dans différents secteurs d’activité qui entretiennent entre elles des participations croisées.

Première partie : Revue de la littérature

49

Synthèse 1

Points essentiels des théories de la diffusion en Sciences de Gestion

Auteurs clés : Rogers ; Davis ; Haunschild / Champs disciplinaires : Variés / Niveaux d’analyse : Divers

� Les théories de la diffusion s’intéressent aux modalités et aux processus de diffusion des innovations au sein de population d’organisations.

� Une perturbation de l’environnement est souvent à l’origine de l’apparition de nouvelles pratiques, structures ou stratégies désignées par le terme « innovations ».

� L’adoption d’une innovation est génératrice d’incertitude pour les organisations car elles ne connaissent pas avec précision les coûts et les bénéfices associés.

� Les organisations adoptent les innovations en fonction des coûts et des bénéfices

qu’elles perçoivent mais aussi par imitation, on parle alors de contagion.

� Des facteurs tels que la proximité géographique, l’exposition médiatique, les liens

sociaux constitués par les dirigeants et les administrateurs (interlock ties) viennent alors jouer un rôle déterminant dans la diffusion des innovations.

3.2. L’IMITATION ET LES MODES MANAGERIALES

Les Sciences de Gestion constituent une discipline qui se consacre, souvent de façon

exclusive, à la construction d’outils et à la formulation de prescriptions censées permettre

l’amélioration de la performance. Comme le regrette Isaac, la question de la provenance des

concepts et des méthodes de gestion a souvent été périphérique (Isaac, 2000).

Tel est pourtant l’objet des travaux consacrés aux modes managériales qui, et c’est leur

originalité par rapport aux travaux consacrés à la diffusion des innovations, appréhendent, de

façon complémentaire des facteurs économiques (recherche de performance) et des facteurs

institutionnels, liés par exemple à la recherche de légitimité (Bardon, 2007). Ils permettent

donc de dépasser le biais rationaliste « pro-innovation » qui caractérisait les travaux issus des

théories de la diffusion.

a) Les phases génériques des modes managériales

« Management par projet », « qualité totale », « reeingenering », « benchmarking »,

« knowledge management » sont quelques exemples d’instruments de gestion soumis au

phénomènes de modes (Bourgeois, 2006) dont l’efficacité a souvent été mise en doute

(Abrahamson, 1996 ; Midler, 1986 ; Staw et Epstein, 2000).

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

50

Si elles diffèrent dans leur « cycle de vie » (Abrahamson et Fairchild, 1999) ces modes

résultent d’un accord tacite ou formel entre producteurs et consommateurs de savoir

managérial (Huczynski, 1993). Elles obéissent aux phases standard que sont la création, la

sélection, la légitimation, et la dissémination (Abrahamson, 1996). Ces phases donnent lieu à,

et sont le produit des, interactions entre plusieurs « communautés » telles que les médias, les

consultants, les gourous du management, la communauté académique (Bardon, 2007 ;

Suddaby et Greenwood, 2001).

Les nouveaux instruments trouvent souvent leur origine dans des facteurs sociaux,

économiques, politiques ou technologiques (Abrahamson, 1996 ; Thévenet, 1985). A l’origine

de leur création on peut trouver des managers souhaitant répondre à des besoins spécifiques

ou des « offreurs de savoir » qui peuvent les développer sur la base de connaissances plus

anciennes. Ces instruments sont ensuite sélectionnés et portés à la connaissance de tous,

notamment par les médias (tels que la presse professionnelle et managériale) qui créeront des

discours visant à légitimer la nouvelle technique. La volonté de se forger des certitudes sur la

base d’une pensée déjà formulée (Bourgeois, 2006 ; Midler, Moire et Sardas, 1984), la

recherche de nouveauté par de managers frustrés et s’ennuyant au travail (Abrahamson, 1996

; Midler, 1986) mais aussi la foi dans les bienfaits des instruments nouvellement crées

(Bourgeois, 2006, 2007) constituent, par la suite, de puissants leviers de dissémination des

modes managériales qui peuvent, d’ailleurs, se transformer en concepts « fourre-tout » et

regrouper des pratiques très différentes (Giroux, 2006).

b) Une dissémination des modes managériales

En suivant Bourgeois (2007), on est cependant frappé par le rôle de l’imitation dans la

diffusion des modes managériales. A l’image de Toyota, dont les pratiques de qualité totale

sont souvent imitées17, certaines entreprises jouent ainsi le rôle de « fashion setters » et

contribuent au renforcement des modes managériales (Abrahamson, 1996). C’est en

particulier le cas des grandes entreprises (Midler, 1986) qui viennent apporter une certaine

caution aux instruments de gestion qu’elles adoptent.

c) Des facteurs économiques et socio-psychologiques

Il serait réducteur de présenter les managers adoptant des nouveaux instruments de gestion

comme de simples « victimes de la mode ». Comme le remarque Abrahamson (1996), des

17 Cas Valeo, Ascometal Sollac et Rexam dans la thèse de Christophe Bourgeois (2007)

Première partie : Revue de la littérature

51

motifs rationnels (liés à des facteurs économiques ou technologiques et allant dans le sens

d’une recherche de performance pour l’organisation) existent, en particulier dans le cas d’une

adoption précoce.

Pour autant, ces motifs ne recouvrent qu’une part infime des raisons pour lesquelles des

managers peuvent décider de succomber aux instruments à la mode et doivent être complétés

par des facteurs d’ordre psychosociologiques, « liés aux décideurs en tant qu’individus »

(Bardon, 2007, p.9). Ces facteurs permettent d’expliquer pourquoi des innovations, dont les

retombées positives sont loin d’être avérées, peuvent se disséminer (Abrahamson et

Rosenkopf, 1993).

Les managers peuvent ainsi voir en l’adoption de techniques à la mode un moyen d’accélérer

leur carrière en se présentant comme étant à la pointe de ce qui se fait de mieux ou comme

soucieux de l’intérêt des actionnaires (Huczynski, 1993). Ce type d’attitude peut ainsi se

traduire par des augmentations de salaire (Staw et Epstein, 2000). Les nouvelles pratiques

peuvent, par ailleurs, être perçues comme des remèdes miracles (Gill et Whittle, 1992), ou

s’inscrire dans un besoin de différenciation et de conformité (Bardon, 2007).

Synthèse 2

Points essentiels des travaux consacrés aux modes managériales

Auteur clé : Abrahamson / Champ disciplinaire : Sciences de Gestion Niveaux d’analyse : Champ organisationnel du savoir managérial

� Les modes managériales véhiculent des pratiques de gestion dont l’efficacité a souvent été mise en doute.

� Leur cycle de vie obéit à quatre grandes phases génériques (création, sélection, légitimation, dissémination) qui font intervenir plusieurs communautés.

� L’imitation joue un rôle central dans la phase de dissémination.

� Des facteurs technico-économiques coexistent alors avec des facteurs institutionnels liés à la notion de légitimité.

� A la recherche de performance qui est celle de l’organisation viennent également se greffer des facteurs socio-psychologiques liés aux motivations individuelles des managers.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

52

4. VERS UNE APPROCHE EXPLICATIVE ET TOURNEE VERS LES PRATIQUES

Malgré certaines préconisations théoriques qui poussent les entreprises à adopter une stratégie

différente de celle de leurs concurrents, les sections qui précèdent montrent que les

comportements imitatifs font partie intégrante de la prise de décision stratégique. Comment

s’en étonner ? L’imitation a été mise en évidence dans de nombreux domaines de la vie des

organisations. La stratégie ne fait pas figure d’exception.

De façon provocante, la question qui attirera notre attention pourra se formuler de façon

suivante : Pourquoi des stratèges, exposés aux principes orthodoxes de la stratégie au cours de

leurs études ou de leurs lectures (le discours dominant qui valorise l’innovation et stigmatise

l’imitation est largement diffusé par la presse managériale) se risquent-ils à imiter leurs

concurrents ? Quelles sont les raisons qui poussent ces praticiens à faire de l’imitation un pan

essentiel de leur stratégie ?

4.1. UN APERÇU DE LA RECHERCHE

De par leur enracinement dans le champ des Sciences Sociales, les Sciences de Gestion ont

vocation à expliquer les actions individuelles, les comportements collectifs et organisationnels

auxquels elles sont confrontées. Cet objectif est particulièrement fort lorsque les

comportements analysés semblent, à première vue, contre-intuitifs ou irrationnels. C’est

précisément la situation à laquelle nous sommes confrontés lorsqu’il est question d’imitation

concurrentielle. Notre recherche cherchera donc à répondre à une question souvent posée

(Haunschild, 1993 ; Lieberman et Asaba, 2006) : « pourquoi observe-t-on des comportements

imitatifs chez les organisations ? »

a) Démarche générale

La réponse que nous proposerons prolongera une conception défendue par Miner et Raghavan

(1999). Ces deux auteurs conçoivent, en effet, l’imitation inter-organisationnelle comme le

produit de décisions d’individus plutôt que comme le fruit de processus échappant à leur

contrôle. Nous appréhenderons donc l’imitation concurrentielle au travers des décisions

individuelles. Comme nous allons le voir, la littérature consacrée à ce sujet est abondante.

Elle devient pléthorique si, comme nous allons chercher à le faire, on y intègre des travaux

s’éloignant du champ des Sciences de Gestion.

Première partie : Revue de la littérature

53

Pour faciliter cet exercice, les travaux théoriques existants seront regroupés en fonction des

modèles de rationalité qu’ils mobilisent. La revue de littérature permettra de formuler nos

questions de recherche et de guider la présentation des résultats.

Dans la partie empirique de cette recherche, nous nous intéresserons à un champ d’étude très

concerné par les questions liées à l’imitation concurrentielle : les radios musicales françaises.

Une attention particulière sera portée aux programmateurs qui ont la charge de décider des

disques qui sont diffusés par la radio musicale dans laquelle ils officient.

Parfois accusées d’avoir renoncé à la découverte de nouveaux talents (Blachas, 2004 ; Sok,

2007), les radios musicales françaises sont depuis 2004 placées au cœur d’une controverse

opposant NRJ aux radios indépendantes. En effet, le leader du secteur accuse régulièrement

les radios indépendantes de plagier sa programmation musicale.

La problématique de notre recherche pourra donc se formuler de la façon suivante :

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?

b) Une démarche ancrée dans le courant de la stratégie en pratiques

Par leurs décisions de programmation, les programmateurs contribuent largement au

positionnement concurrentiel des radios pour lesquelles ils travaillent. En effet, en décidant

des disques qui seront diffusés, les programmateurs rendront le programme plus ou moins

attractif vis-à-vis de certaines cibles démographiques. C’est cette audience qui sera ensuite

commercialisée aux annonceurs.

Notre intérêt pour des décisions quotidiennes d’individus qui, bien que n’ayant pas la fonction

de directeurs généraux, contribuent à la formulation de la stratégie rejoint les préoccupations

de la vaste communauté des chercheurs qui s’inscrivent dans le courant de la stratégie en

pratiques (« strategy as practice »). Ce courant de recherche a, depuis plusieurs années, pris le

parti le parti « d’humaniser » la recherche en stratégie (Jarzabkowski, Balogun et Seidl,

2007). Comme le remarque Langley dans un entretien publié par la Revue Française de

Gestion (Rouleau, Allard-Poesi et Warnier, 2007a, p.194), ce n’est pas forcément au niveau

de la direction générale que « la véritable stratégie se fait ou que se trouvent les ingrédients

du succès d’une stratégie réussie. La stratégie se fait-elle vraiment dans les réunions de la

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

54

haute direction ? Elle se fait peut-être autant, sinon davantage, dans les activités de tous les

jours, dans les opérations de base de l’entreprise. »

Il s’agira alors de privilégier des niveaux d’analyse microscopiques (individus, décisions

individuelles) par opposition aux niveaux d’analyse plus agrégés adoptés dans des recherches

centrées sur des organisations, des processus18 ou des populations d’organisations19

(Golsorkhi, 2006b ; Jarzabkowski et al., 2007 ; Whittington, 2006). L’émergence de ce

courant de recherche prolonge le « practice-turn », un mouvement entamé dès les années

soixante-dix en Sociologie et en Anthropologie qui voit la société plus comme le résultat des

interactions sociales quotidiennes des individus que comme le produit de structure sociales

(Chanal, 2009 ; Rouleau, Allard-Poesi et Warnier, 2007b).

Dès lors, la stratégie ne sera plus appréhendée comme quelque chose que « les organisations

ont » mais comme quelque chose que « les gens font » (Johnson et al., 2003). Une idée

formalisée Jarzabkowski, Balogun et Seidl (2007) au travers de la notion de praxis, « des flux

d’activités qui se déroulent dans un contexte donné, qui sont socialement construits et qui ont

des répercussions stratégiques sur l’avenir et la survie d’une organisation, d’un groupe

d’organisations ou d’une industrie »20.

Avec la stratégie en pratiques, c’est le quotidien qui devient stratégique. La notion de

pratiques pourra, par exemple, renvoyer les outils et les artefacts utilisés par les individus

dans leur travail de fabrication de la stratégie (Jarzabkowski, 2005). Nous appréhenderons ici

cette notion dans un sens un peu plus large puisque nous étudierons à la fois ce que les

programmateurs font lorsqu’ils imitent leurs concurrents, mais aussi les raisons qui les

poussent à le faire. Notre étude des pratiques d’imitation concurrentielle s’appuiera donc, non

seulement sur une compréhension des comportements imitatifs mais aussi sur leur explication

en fonction des raisons qui les sous-tendent.

18 Niveau micro-économique. 19 Niveau méso-économique. 20 “Situated, socially accomplished flows of activity that strategically are consequential for the direction and survival of the group, organization or industry” (Jarzabkowski et al., 2007, p.11)

Première partie : Revue de la littérature

55

c) Une démarche abductive

Si l’orientation consistant à mobiliser l’approche par le courant de la stratégie en pratiques

pour étudier les phénomènes d’imitation concurrentielle est originale, elle rejoint un certain

nombre de préoccupations déjà exprimées dans des travaux antérieurs. Ces travaux, même

s’ils adoptent des niveaux d’analyse plus agrégés, ne peuvent être écartés car ils partent

souvent de raisons individuelles pour expliquer les phénomènes qu’ils décrivent.

Pour réaliser cette recherche, nous avons donc fait le choix d’adopter une « stratégie

hybride » de production de la connaissance (Weingart, 1997) qui consiste en un va-et-vient

permanent entre littérature et données. La conceptualisation qui guidera la présentation des

chapitres théoriques est donc le résultat de cette démarche que nous qualifions, à la suite de

Koenig (1993), de Blaikie (2007) ou encore de Charreire et Durieux (2003), d’abductive.

Comme le remarque Fillol (2007, p.2), une telle démarche permet « d’éviter une distorsion

trop grande entre les construits théoriques et la réalité observée. En effet, l’étude empirique

présente presque toujours des spécificités ou des phénomènes non planifiés ex-ante, qui

viennent troubler la démarche initialement prévue. La démarche abductive permet, dans une

certaine mesure, d’intégrer ces phénomènes non identifiés et d’assurer plus avant la

cohérence entre la conceptualisation et le terrain. »

4.2. AU DELA DES FORMES D’IMITATION

Les travaux consacrés à l’imitation concurrentielle qui adoptent des perspectives intégratives

ont souvent, pour articuler les théories qu’ils mobilisent, tenté de mettre en lumière plusieurs

formes d’imitation. Si cette orientation ne sera pas celle de notre recherche (nous nous

intéresserons davantage aux modèles de rationalités à l’œuvre) elle constitue néanmoins un

point d’entrée incontournable à toute étude traitant des phénomènes d’imitation

concurrentielle.

A ce titre, le travail de Haunschild et Miner (1997) a considérablement fait progresser la

connaissance en distinguant plusieurs comportements imitatifs chez les organisations. Ce

travail pionnier, qui consiste en une analyse quantitative des décisions d’acquisition de firmes

américaines, fait aujourd’hui figure de référence dans la littérature consacrée à l’imitation en

stratégie.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

56

La typologie proposée par les auteurs souffre cependant d’un certain nombre de limites qui

tiennent d’une part à son incomplétude et d’autre part à l’absence de caractère mutuellement

exclusif des idéaux-types qu’elle propose.

a) La typologie de Haunschild et Miner et ses développements

A l’issue d’un important travail de synthèse de la littérature existante, les deux chercheuses

parviennent à identifier trois formes d’imitation.

La première forme d’imitation est qualifiée d’imitation fondée sur la fréquence (« frequency

based imitation »). L’organisation imitatrice réplique ici une pratique, une structure ou une

décision largement répandue. On pourra trouver un exemple d’imitation fondée sur la

fréquence dans une étude réalisée par Burns et Wholey (1993) où l’adoption préalable de la

structure matricielle par une large proportion d’organisations du secteur conditionne son

adoption par les hôpitaux américains. D’autres recherches empiriques soulignant l’existence

de ce type de comportement ont été réalisées, notamment par Henisz et Delios (2001)

s’agissant des stratégies d’internationalisation des firmes multinationales japonaises. Selon

Miner et Raghavan (1999), cette forme d’imitation, lorsqu’elle se généralise, peut constituer

une puissante source d’homogénéisation au sein d’une population d’organisations.

On parle d’imitation fondée sur les caractéristiques du modèle (« trait based imitation »)

lorsque l’organisation imitatrice réplique une pratique, une structure ou une décision

préalablement adoptée par des organisations ayant certaines caractéristiques (Haunschild et

Miner, 1997). Les modèles peuvent ainsi être sélectionnés en fonction de leur prestige, de leur

taille importante (Baum et al., 2000), de leur proximité géographique (Davis et Greve, 1997 ;

Gygax et Griffiths, 2007), de leur positionnement stratégique (Fiegenbaum et Thomas, 1995 ;

Rhee, Kim et Han, 2006) ou encore, des caractéristiques qu’ils partagent avec l’organisation

imitatrice. Ces similitudes peuvent, par exemple, être liées à la taille des organisations (Baum

et al., 2000 ; Lant et Baum, 1995), à leur structure capitalistique (Greve, 1996), au type de

marché sur lequel elles sont implantées (Greve, 1998) ou à l’existence d’administrateurs

communs (Haunschild, 1993).

L’imitation fondée sur les résultats (« outcomes-based imitation ») est identifiée lorsque

l’organisation imitatrice réplique une pratique, une structure ou une décision s’étant

distinguée par ses bienfaits pour les organisations qui l’ont préalablement adoptée. Ce

Première partie : Revue de la littérature

57

phénomène est notamment mis en évidence par Haveman (1993) dans une étude consacrée

aux stratégies de diversification des banques américaines ou par Lu (2002) dans une recherche

traitant des stratégies d’internationalisation des multinationales japonaises. L’évaluation des

résultats attendus pouvant différer d’une organisation à une autre (notamment en raison d’une

difficulté d’accès aux information ou de différences dans l’interprétation des signaux), cette

forme d’imitation ne génère pas forcément d’homogénéité au sein d’une population

d’organisations (Miner et Raghavan, 1999).

Dans leur recherche consacrée aux comportements imitatifs dans l’industrie automobile

britannique, Rhee, Kim et Han (2006) suivent la voie tracée par Miner et Anderson (1999) qui

invitaient les chercheurs à compléter la typologie initiale et à découvrir de nouvelles formes

d’imitation. Rhee et ses collègues identifient ainsi une nouvelle forme d’imitation qu’ils

qualifient d’imitation fondée sur la confiance (« confidence based imitation »). Les

organisations imiteraient ainsi les pratiques, les structures et les décisions en fonction de la

confiance qu’elles leur attribueraient, cette dernière étant inversement proportionnelle aux

variations observées dans le groupe d’organisations prises pour modèle.

b) Les limites de la typologie

Les nombreux travaux empiriques mobilisant la typologie de Haunschild et Miner (1997)

soulignent sa pertinence dans l’identification des comportements imitatifs. Les résultats variés

auxquels parviennent ces recherches empiriques montrent, par ailleurs, qu’un travail

complémentaire est nécessaire pour mieux comprendre le contexte dans lequel se déroule

l’imitation.

Dans un article relatif aux stratégies d’alliance des constructeurs automobiles, Garcia-Pont et

Nohria (2002) mobilisent ainsi des éléments propres au secteur étudié afin d’expliquer

pourquoi les organisations pratiquent une imitation fondée sur les caractéristiques (similitudes

dans le positionnement) plutôt qu’une imitation fondée sur la fréquence.

En dépit de son succès cette typologie souffre néanmoins d’une limite d’ordre théorique liée

au fait que les idéaux-types proposés par les auteurs ne sont pas mutuellement exclusifs21.

21 Rappelons, ici, qu’en suivant les préconisations émises par Weber (1921), des idéaux-types devraient permettre de rassembler l’ensemble des caractéristiques les plus distinctives caractérisant l’objet étudié.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

58

Par exemple, on voit mal ce qui pourrait empêcher une organisation de reprendre la pratique

la plus répandue autour d’elle (« frequency based imitation ») au motif qu’elle aurait

préalablement démontré ses bienfaits (« outcomes based imitation »).

Ce problème tient, à notre sens, au caractère équivoque de la notion de « forme d’imitation »

utilisée par les auteurs. Il n’est en effet pas précisé si la notion est censée renvoyer à des

comportements imitatifs observés chez des organisations ou aux raisons individuelles qui leur

sont sous-jacentes. Cette confusion a une conséquence dommageable : la typologie sert

davantage à décrire les comportements imitatifs qu’à les expliquer. Comme le notent

Lieberman et Asaba (2006), à la suite de Haunschild (1993) : les raisons qui pourraient

expliquer la tendance des organisations à s’imiter les unes les autres demeurent assez

obscures.

Afin de lever cette difficulté, nous nous proposons ici de distinguer les deux volets. Par

l’appellation comportements imitatifs, nous désignerons désormais les variations qui peuvent

exister dans la façon qu’ont les organisations de reprendre des pratiques, des structures ou des

stratégies préalablement mises en place par d’autres organisations. Ce premier volet doit être

dissocié de l’étude des raisons qui poussent les stratèges à imiter leurs concurrents. Dans

notre recherche, les raisons individuelles que nous étudierons donneront lieu à différentes

pratiques d’imitation concurrentielle.

Si elle est cohérente avec le niveau d’analyse microscopique qui est celui du courant de la

stratégie en pratiques, cette orientation n’est pas sans conséquences sur la présente recherche.

Elle obéit, en effet, à un fondement ontologique amenant à considérer que seuls les individus

humains peuvent être à l’origine d’intentions, de décisions, ou de croyances et revient, dans le

cas présent, à appréhender les comportements imitatifs comme étant le produit exclusif des

raisons individuelles. Dès lors, l’influence des phénomènes écologiques (où l’organisation est

contrainte par son environnement), mais aussi celle des phénomènes collectifs intra-

organisationnels auront tendance à sortir de notre champ d’analyse.

Aussi réductrice soit-elle, cette hypothèse nous semble acceptable dans le cas d’une étude

consacrée aux programmateurs radio qui – le plus souvent – décident seuls des disques

diffusés sur leurs antennes. Nous allons maintenant voir que les raisons individuelles qui

Première partie : Revue de la littérature

59

poussent les décideurs à imiter leurs concurrents peuvent renvoyer à des conceptions plus

générales de la rationalité humaine (les modèles de rationalité).

4.3. DES RATIONALITES MULTIPLES

Aborder la question des raisons qui poussent des acteurs stratégiques à répliquer des

stratégies, des structures ou des pratiques préalablement adoptées par leurs concurrents

conduit à poser la question des rationalités qui sous-tendent l’action humaine. Un exercice

indispensable mais périlleux tant cette notion demeure insaisissable.

Nous allons tout d’abord tenter de faire le point sur la façon dont les chercheurs travaillant sur

le sujet et ayant essayé d’articuler plusieurs cadres théoriques ont pu traiter ce problème.

Nous nous appuierons, par la suite, sur les travaux de Boudon pour arrêter notre grille de

lecture de la littérature.

a) A la recherche des raisons de l’imitation

Comme nous l’avons vu en présentant les travaux relatifs aux modes managériales et aux

théories de la diffusion, les travaux consacrés à l’imitation concurrentielle ont souvent

cherché à apporter des éléments permettant d’expliquer les phénomènes qu’ils décrivent. Ces

explications peuvent cependant se fonder des conceptions de la rationalité très différentes : les

« facteurs d’ordre psychologique » sur lesquels insistent les théoriciens des modes

managériales n’ont en effet rien de commun avec la volonté de bénéficier de retombées

positives qui animent les imitateurs dans les théories de la diffusion.

A l’instar de Bernard de Montmorillon (1999) qui, dans un article consacré à la théorie des

conventions, met en avant l’existence d’une « rationalité mimétique » en s’appuyant les

travaux de René Girard, les recherches existantes sont souvent relativement restrictives : Elles

ne mobilisent qu’un seul type d’explication pour étudier les comportements imitatifs. La

difficulté à capter les raisons de l’imitation ne résulte pas d’un déficit de concepts et de

travaux sur le sujet, mais de la coexistence de nombreuses explications présentées comme

mutuellement exclusives car ancrées dans des modèle de rationalité différents.

Les démarches intégratives de Lieberman et Asaba (2006), d’une part, et de Paauwe et

Boselie (2005), d’autre part, ont l’immense mérite de tenter d’articuler les travaux existants

en faisant ressortir les postulats – trop souvent implicites – sur lesquels ils reposent. Ces

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

60

auteurs reconnaissent, en effet, l’existence de différentes formes de rationalité guidant les

comportements imitatifs. Ils mettent en parallèle des modèles de rationalité ancrés dans une

tradition économique et orientés vers la quête de performance et des approches ancrées dans

la sociologie néo institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott, 1995 ; Tolbert et Zucker,

1983) mobilisant les notions de normes et de légitimité. Si cette approche a le mérite de la

simplicité, plusieurs raisons peuvent amener à penser qu’elle n’est pas entièrement

satisfaisante.

Les principales limites dans cette opposition tiennent au fait qu’elle tend, d’une part, à

encourager l’idée que les motivations guidées par la légitimité seraient forcément

« irrationnelles » au sens où elles iraient à l’encontre de la performance de l’organisation22 et,

d’autre part, qu’elle revient à considérer que la recherche de performance exclurait toute autre

considération chez les décideurs. La réalité est bien plus subtile et l’opposition de

l’économique et du social nous semble d’autant plus réductrice (et dangereuse) que l’on

pourra trouver dans les travaux relatifs à la construction sociale des marchés (Callon, 1998 ;

Garcia-Parpet, 1986 ; Granovetter, 2000c) ou, dans un registre opposé, dans les recherches

consacrées à l’analyse économique des comportements sociaux (e.g. Becker, 1996) des ponts

entre les deux domaines.

b) Vers un prolongement et un élargissement

Pour dépasser cette limite, c’est la notion même de rationalité qu’il convient d’interroger en

prenant pour point de départ la définition très large de ce concept retenue par la sociologie

classique (Weber, 1921 [1995]) : les individus ont « des raisons » d’agir, étudier la rationalité

revient à rechercher ces raisons. Comme nous le voyons, cette approche déborde largement de

l’acception néo-classique dans laquelle des comportements sont décrits comme rationnels dès

lors qu’ils sont guidés par un principe de maximisation.

L’idée qui est reprise ici ne consiste pas à affirmer que les individus ne sont jamais guidés par

des principes de maximisation ou d’optimisation (de leur utilité personnelle ou de la

performance de l’organisation par exemple), mais qu’ils peuvent parfois être guidés par

22 Une lecture fréquente, en dépit des clarifications apportées par DiMaggio (1995).

Première partie : Revue de la littérature

61

d’autres raisons. C’est précisément cette conception qui est défendue par Boudon dans sa

critique de la théorie du choix rationnel (Boudon, 1979 [2001], 1999, 2003)23.

Dans un ouvrage récent, il met en évidence six postulats constituant l’axiomatique (trop

restrictive selon lui) de cette conception de la rationalité (notés P1 à P6 dans le schéma qui va

suivre). Ces postulats ont pu, par la suite, être complétés ou amendés pour servir de base à

d’autres écoles de pensée (toutes ne seront pas présentées ici).

Parmi les conceptions proposant des versions modifiées de la Théorie du Choix Rationnel, on

retrouve la théorie de la rationalité limitée (March et Simon, 1958 ; Simon, 1982) qui

substitue au postulat de maximisation (noté P6) un postulat de satisfaction (noté P6’). Cette

conception part de l’idée suivante : plutôt que de chercher la meilleure solution possible, les

individus essaient de trouver une solution suffisamment satisfaisante à la suite de quoi ils

arrêtent d’explorer de nouvelles alternatives.

Le schéma 2 propose une représentation schématique fondée sur le recensement réalisé par

Boudon.

23 Nous désignons par théorie du choix rationnel l’école de pensée qui, à la suite de Bentham (1801) notamment, tend à considérer que les actions, les décisions et les comportements des individus sont essentiellement guidés par leur volonté de maximiser leur intérêt personnel (utilité). On pense évidemment à l’économie néo-classique et aux théories micro-économiques s’appuyant sur la notion d’homo oeconomicus mais aussi aux prolongements qu’elles ont pu trouver, au travers de l’hypothèse d’opportunisme dans la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1994) ou du modèle REMM utilisé par la théorie positive de l’agence (Jensen et Meckling, 1994, 1998). Comme nous l’avons précisé plus tôt, les sciences économiques ne constituent cependant pas le champ d’application exclusif de la théorie du choix rationnel. On trouvera ainsi dans les travaux de Becker qui propose des explications microéconomiques des comportements humains, un exemple d’application de la théorie du choix rationnel dans le champ de la Sociologie.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

62

Schéma 2

Principaux postulats relatifs à la rationalité identifiés par Boudon

Représentation établie à partir de Boudon (2003, pp.19-28)

P1 : Individualisme Tout phénomène social est le produit d’actions, de décisions et de comportements… individuels.

P2 : Compréhension Ces actions, ces décisions et ces comportements peuvent être compris

(s’il prend soin de s’informer suffisamment) d’un observateur extérieur. C’est cette compréhension permettra d’expliquer phénomène étudié

Implique

Permet de poser mais n’oblige pas à poser

Implique

Permet de poser mais n’oblige pas à poser

P3 : Rationalité Les actions, les décisions et les comportements des individus sont le produit de raisons qui

peuvent être plus ou moins clairement perçues par l’individu.

Implique

Permet de poser mais n’oblige pas à poser

P4 : Conséquentialisme (ou instrumentalisme) Les raisons qui guident actions, les décisions et les comportements des individus sont

orientés par les conséquences qu’ils envisagent (mais ils peuvent se tromper).

Implique

Permet de poser mais n’oblige pas à poser

P5 : Egoïsme Les individus s’intéressent en priorité aux conséquences de leurs actions,

décisions et comportements qui les concernent personnellement.

P6 : Maximisation L’individu connaît et compare les

avantages et les inconvénients de chaque action, décision ou comportement possible. Il choisit l’alternative la plus avantageuse.

P6’ : Satisfaction Faute de connaître et de pouvoir comparer

les avantages et les inconvénients de chaque action, décision ou comportement possible. L’individu choisit la première

alternative qu’il juge suffisamment satisfaisante (Simon, 1982).

Permet de poser mais n’oblige pas à poser

Implique

Permet de poser mais n’oblige pas à poser

Implique

Première partie : Revue de la littérature

63

Sur la base de ce travail de mise en lumière des principaux postulats utilisés pour concevoir la

rationalité humaine, Boudon propose une typologie des grandes écoles de la sociologie. Une

version partielle de cette présentation sera reprise dans le tableau qui va suivre.

Avant de poursuivre, notons néanmoins que dans l’esprit de Boudon, chaque postulat

implique ceux qui le précèdent. Le postulat de maximisation (P6) n’a par exemple de sens que

si l’on accepte l’idée d’une conduite égoïste des individus (P5)24 qui n’a elle-même de sens

que si l’on accepte l’idée d’une rationalité instrumentale (P4). Les postulats sont liés par des

« relations d’implication ascendante ». La réciproque n’est pas vraie. En effet, on peut tout à

fait accepter l’idée d’une rationalité instrumentale (P4) et rejeter le postulat (P5). P4 permet

de poser P5 mais n’oblige pas à le faire. En conséquence, les écoles de pensée allant le plus

loin dans l’acceptation des postulats identifiés par Boudon seront aussi les plus restrictives.

Tableau 2

Postulats sous-jacents à quelques grandes écoles de pensée

Postulats Ecole de pensée

Aucun Holisme

P1 Individualisme méthodologique

P1 + P2 Sociologie compréhensive (au sens de Weber)

P1 + P2 + P3 Modèle rationnel général

P1 + P2 + P3 + P4 Fonctionnalisme (forme principale)

P1 + P2 + P3 + P4 + P5 Utilitarisme diffus

P1 + P2 + P3 + P4 + P5 + P6 Théorie du choix rationnel

P1 + P2 + P3 + P4 + P5 + P6’ Théorie de la rationalité limitée

Repris de Boudon (2003, p.27)

c) Une dichotomie : approches instrumentales et approches évaluatives

Pour construire notre grille de lecture, nous avons souhaité prolonger et élargir la distinction

opérée par Paauwe et Boselie (2005) entre une imitation « compétitive » (supposée être

guidée par des motivations « rationnelles » au sens de la théorie du choix rationnel) et une

imitation « non-compétitive » (guidée par d’autres formes de rationalité). 24 Cette idée pourrait être remise en cause, notamment à la lecture de Romelaer et Lambert (2001) qui considèrent que dans le cadre d’une décision d’investissement, la rationalité substantive peut certes se traduire par la volonté d’un décideur de maximiser son utilisé espérée mais aussi par celle de trouver le meilleur investissement au regard d’un objectif préexistant (le dit objectif n’étant pas forcément un objectif « égoïste »).

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

64

Cette démarche a nécessité que nous interrogions la notion de rationalité. Sur la base de la

catégorisation de Boudon (2003), nous distinguerons deux grandes approches dans les

recherches ayant cherché à expliquer les comportements imitatifs.

Nous regrouperons sous l’appellation « approches instrumentales » les explications qui

partent du postulat que les comportements imitatifs ont une finalité déterminée par les

conséquences attendues par les acteurs stratégiques. Nous retrouvons une acception de la

rationalité très proche de celle posée par Max Weber (1921 [1995], p.55) au travers de la

notion de rationalité en finalité (« zweckrationalität ») qui appréhende l’action sociale comme

le produit « des expectations du comportement des objets du monde extérieur ou de celui

d’autres hommes ». En suivant Boudon (2003), cette définition – correspondant aux

approches fondées, ad minima sur les postulats P1 + P2 + P3 + P4 – permet certes d’inclure

les conceptions dérivées de l’utilitarisme (choix rationnel et rationalité limitée) mais ne se

limite pas à ce dernier.

Comme l’indique Weber (1921 [1995]) dans la typologie qui ouvre Economie et Société, il

existe des formes de rationalité qui ne sont pas instrumentales. Les sujets peuvent ainsi croire

en des valeurs, choisir de s’y conformer ou être influencés par des règles. Les approches de

l’imitation concurrentielle renvoyant à des explications des comportements imitatifs qui, tout

en s’inscrivant dans le modèle de rationalité générale, ne sont pas fondées sur le postulat de

conséquentialisme (P4) seront ici qualifiées « d’approches évaluatives ». On retrouve la

notion weberienne de « wertrationalität » ou encore celle « d’appropriateness » présente chez

March et Olsen (1989) puis chez March et Simon (1993). En reprenant la grille de Boudon,

les approches évaluatives de l’imitation concurrentielle sont situées dans l’espace [(P1 + P2 +

P3) – (P1 + P2 + P3 + P4)].

D’autres découpages auraient pu être envisagés. Dans un article consacré aux rationalités

guidant les décisions d’investissement, Romelaer et Lambert (2001) se proposent ainsi de

dissocier les rationalités optimisatrices des rationalités exploratrices. Alors que les premières

supposent l’existence de raisons définies a priori chez les décideurs, les seconde se forment

une fois la décision prise (en faisant intervenir d’autres individus ou en fonction des

conséquences observées de la décision). A l’intérieur de ces grandes catégories, ils recensent

plusieurs modèles utilisés dans les théories existantes. L’annexe 1 présente une synthèse de

Première partie : Revue de la littérature

65

cette recherche et établit une comparaison entre les grandes catégories utilisées par ces deux

auteurs et celles qui sont utilisées ici.

4.4. ARTICULATION DE LA REVUE DE LA LITTERATURE

Aux critiques adressées aux imitateurs par les théoriciens du management stratégique, nous

avons opposé l’omniprésence des comportements imitatifs : pour lever ce paradoxe, certains

auteurs ont distingué les motifs rationnels guidant la différenciation à une imitation supposée

s’inscrire dans une forme d’irrationalité chez les stratèges. Une interrogation demeure : les

stratèges sont-ils à suffisamment irrationnels pour ignorer délibérément les prescriptions de la

pensée dominante ? Compte tenu de la fréquence des stratégies d’imitation et de la diversité

des formes d’imitation, répondre par la positive serait à notre sens hasardeux.

Pour sortir de théories normatives aux fondements empiriques parfois contestables, il importe

de mieux comprendre le phénomène d’imitation en stratégie, de cerner les raisons des

imitateurs, d’adopter une démarche à vocation compréhensive. Tel sera l’objet de cette

recherche qui, au travers d’une étude qualitative consacrée aux programmateurs des radios

musicales françaises, articulera différentes conceptions de l’imitation en identifiant différentes

pratiques d’imitation concurrentielle et en analysant de quelle façon elles contribuent à la

stratégie des organisations.

En préalable à ce volet empirique, nous mobiliserons différents courants théoriques issus des

Sciences de Gestion, de l’Economie mais aussi de la Sociologie et de la Psychologie sociale.

Cette orientation, résolument multi-paradigmatique, revient à affirmer, avec Desreumaux

(2004, p.30), que la stratégie « est une discipline largement emprunteuse ». Plus

généralement, il nous semble que la diversité des théories mobilisées constitue la condition

sine qua non à une compréhension globale des phénomènes imitatifs en management

stratégique.

Si plusieurs conceptions existent, dans la littérature, quant aux modes de rationalité à l’œuvre

en matière d’imitation concurrentielle, il convient de préciser que ces explications sont

considérées comme mutuellement exclusives par des théories à vocation plus générale. Afin

de décloisonner ces travaux, nous chercherons à les articuler au sein un cadre d’analyse

intégrateur.

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent

66

Le chapitre 2 sera organisé autour de la dialectique « approches instrumentales » versus

« approches évaluatives » de l’imitation. Ce fil directeur sera prolongé et complété dans le

chapitre 3 qui s’intéressera à la notion d’incertitude. En effet, l’incertitude est souvent

considérée comme le principal facteur permettant d’expliquer l’existence de comportements

imitatifs au sein de population d’individus ou d’organisations. En conclusion de la première

partie de la thèse, le cadre d’analyse sera présenté. Il permettra de préciser et de justifier nos

questions de recherche.

Première partie : Revue de la littérature

67

RESUME DU CHAPITRE 1

Notre recherche prend pour point de départ l’opposition entre les prescriptions émanant de la littérature dominante en stratégie et les conclusions de travaux empiriques soulignant l’omniprésence des comportements imitatifs. Après avoir distingué les termes imitation et mimétisme, les approches les plus critiques vis-à-vis de l’imitation sont synthétisées. Stratégie de seconde zone dans certains travaux consacrés à la thématique du leadership, stratégie moins payante que l’innovation pour les tenants du « first mover advantage », stratégie dangereuse dans la théorie des ressources et dans certains travaux consacrés à la croissance endogène, l’imitation demeure pourtant très fréquente.

Les comportements imitatifs concernent des domaines très divers de la vie des organisations dont certains ont une dimension stratégique indéniable (positionnement, diversification, internationalisation). L’imitation est par ailleurs au cœur des phénomènes de dissémination des modes managériales et, plus généralement, de diffusion des innovations. Des facteurs tels que la proximité géographique, l’observabilité, les liens sociaux, viennent alors accélérer les processus de diffusion. Si la vision des théoriciens de la diffusion est très clairement ancrée dans un paradigme rationaliste, celle des théoriciens des modes managériales est plus nuancée en ce qu’elle fait intervenir des facteurs liés, par exemple, à la notion de légitimité.

Le contraste entre la littérature stratégique dominante et la fréquence de l’imitation concurrentielle nous amène à nous approprier une question souvent traitée dans la littérature : « pourquoi observe-t-on des comportements imitatifs chez les organisations ? »

L’approche adoptée dans cette recherche consiste à s’intéresser aux pratiques d’imitation concurrentielle et aux raisons qui poussent les stratèges à privilégier une orientation – l’imitation concurrentielle – souvent décriée. Dans la partie empirique de ce travail, une attention particulière sera portée à un champ organisationnel très concerné par les phénomènes d’imitation : les radios musicales françaises. Nous étudierons plus précisément la sélection des disques diffusés effectuée par les programmateurs. La programmation musicale a, en effet, été au centre de plusieurs controverses relatives au plagiat dont NRJ, première radio musicale de France, serait la victime. Notre problématique peut dès lors être formulée comme suit : « En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ? »

L’abondance de la littérature consacrée à l’imitation concurrentielle permet la construction d’un cadre d’analyse intégrateur. Centré sur de la notion de rationalité, celui-ci sera articulé autour de la dialectique « approche instrumentales » versus « approches évaluatives » de l’imitation concurrentielle. Précisons que cette grille de lecture a été élaborée à l’issue d’un processus de va-et-vient entre la théorie et les données collectées dans le cadre de la recherche. Présenté en conclusion de la première partie, ce cadre d’analyse permettra de synthétiser la littérature consacrée à l’imitation et de préciser les questions de recherche de notre travail.

68

Chapitre 2

Les deux faces de l’imitation

« Si j'avais du talent on m'imiterait. Si l'on

m'imitait, je deviendrais à la mode. Si je

devenais à la mode, je passerais bientôt de

mode. Donc il vaut mieux que je n'aie pas de

talent. »

Jules Renard

’intérêt porté par le monde académique aux phénomènes d’imitation n’est pas nouveau.

Dès la fin du 19ème siècle, Gabriel Tarde plaçait l’imitation au cœur des relations

sociales et décrivait des Lois de l’imitation (Tarde, 1890 [2001]). Comme l’explique Dupuy

(2003), une tradition française bien établie tend ainsi à considérer que l’imitation obéit à sa

propre logique ; logique qui permettrait d’expliquer les phénomènes de foule (Crocq,

Doutheau et Sailhan, 1987 ; Le Bon, 1895 [2003]).

Cette tradition a cependant fait l’objet de plusieurs critiques. Selon Dupuy (2003), elle

propose un « lecture holographique [qui] suggère mais n’explique rien ». Pour Hedström

(1998) elle se limite à des explications pseudo-scientifiques qui ne parviennent à produire que

des labels (mimétisme, esprit de la foule, etc.) peinant à cacher notre ignorance. Pour ces deux

auteurs, ce sont le manque de micro fondations de la tradition française autant que sa tendance

à adopter une lecture purement irrationnelle de l’imitation qui sont en cause.

Les travaux qui vont être présentés dans ce chapitre ont pour point commun de concevoir

l’imitation comme un comportement découlant de raisons individuelles. Les concepts qu’ils

proposent permettent d’expliquer pourquoi les décideurs imitent leurs concurrents en mettant

en évidence des raisons individuelles. Ce chapitre a pour objectif de présenter et de comparer

ces raisons et de les replacer dans les modèles de la rationalité humaine plus généraux dans

lesquels elles s’inscrivent. En l’absence de théorie susceptible de faire l’unanimité au sein de

L

Première partie : Revue de la littérature

69

la communauté scientifique, nous prendrons le parti de l’éclectisme et chercherons à articuler

ces raisons les unes par rapport aux autres.

Ce travail de comparaison, d’articulation et d’intégration est rendu nécessaire par le fait que

les développements théoriques que nous allons analyser s’inscrivent dans des courants de

recherche relativement cloisonnés. Il constitue, selon nous, un préalable indispensable à une

étude des pratiques d’imitation concurrentielle. Comme nous allons le voir, les raisons

individuelles mises en avant par les théories consacrées à l’imitation ont souvent été

considérées comme mutuellement exclusives. Nous défendons l’idée qu’elles sont en réalité

complémentaires.

Dans cette littérature abondante, qui pourrait rapidement se transformer en labyrinthe

conceptuel, la question de la rationalité constituera notre fil d’Ariane. En prolongement de la

dichotomie entre rationalité instrumentale et rationalité évaluative présentée dans le chapitre

1, nous mettrons en perspective les approches instrumentales (section 1) et les approches

évaluatives de l’imitation (section 2).

A l’issue de chaque section, un tableau de synthèse sera proposé. Il récapitulera les principaux

enseignements des théories mobilisées en mettant en évidence les raisons individuelles

qu’elles placent à l’origine des phénomènes d’imitation. Ce chapitre s’achèvera sur une

synthèse générale consacrée aux raisons des décideurs qui imitent leurs concurrents et aux

prolongements qui seront donnés à cette synthèse de la littérature dans la partie empirique de

la thèse (section 3).

1. LES APPROCHES INSTRUMENTALES DE L’IMITATION

Défenseurs d’une conception utilitariste de l’imitation concurrentielle, de nombreux

chercheurs ont insisté sur les retombées positives de l’imitation concurrentielle pour

l’organisation imitatrice. Nous retrouvons ici la notion « d’imitation rationnelle » développée

par Hedström (1998, p.307) : « en imaginant que les autres acteurs agissent de façon

rationnelle et évitent les alternatives qui ont échoué, le décideur peut prendre de meilleures

décisions […] en imitant le comportement d’autrui »25.

25 “Rational imitation hence refers to a situation where an actor acts rationally on the basis of beliefs that have been influenced by observing the past choices of others. To the extent that other actors act reasonably and avoid alternatives that have proven to be inferior, the actor can arrive at better decisions than he or she would make otherwise, by imitating the behaviour of others.”

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

70

Cette définition soulève, selon nous, plus de questions qu’elle n’en résout. Le libellé

« imitation rationnelle » utilisé par Hedström, tend tout d’abord à réduire la notion de

rationalité à une conception fortement teintée d’utilitarisme. Dans le chapitre précédent, nous

avons cherché à défendre – en nous appuyant sur les travaux de Boudon (2003) – l’idée que

les décideurs, même lorsqu’ils ne sont pas guidés par une volonté d’atteindre le meilleur

résultat possible, peuvent néanmoins avoir de « bonnes raisons » d’imiter leurs concurrents.

Nous avons ainsi considéré que la recherche de retombées positives n’était qu’une explication

possible à intégrer dans une série d’approches plus larges – qualifiées d’approches

instrumentales – qui lient l’imitation aux conséquences attendues par les acteurs (que celles-ci

leur soient bénéfiques ou non, que ces derniers soient clairvoyants ou bien qu’ils se trompent).

La seconde question soulevée par la définition de Hedström renvoie à un problème bien

connu dans le champ des Sciences de Gestion. Réduire la question des retombées positives de

l’imitation à la performance de l’organisation apparaît, en effet, très réducteur : les décideurs

ne sont pas forcément des agents altruistes exclusivement guidés par la recherche de

performance organisationnelle. Ces derniers pourront instrumentaliser l’imitation de leurs

concurrents à leur propre profit en vue de protéger leur carrière ou encore d’asseoir leur

réputation. La dichotomie entre intérêt de l’organisation et intérêt des managers,

abondamment explorée par la théorie positive de l’agence, constituera le fil directeur de cette

première section consacrée aux approches instrumentales de l’imitation. Dans un premier

temps (1.1), nous relierons l’imitation aux conséquences attendues par les décideurs pour leur

organisation. Dans un second temps (1.2), l’imitation sera reliée aux conséquences attendues

par les décideurs pour eux-mêmes.

A l’issue de cette section consacrée aux approches instrumentales de l’imitation, nous nous

intéresserons aux approches évaluatives.

1.1. L’IMITATION ET SES CONSEQUENCES POUR L’ORGANISATION

Afin de comprendre pourquoi les organisations s’imitent, on pourra partir des conséquences

négatives de l’imitation sur l’avantage des concurrents. En imitant ses rivaux, la firme peut

chercher à les neutraliser (Porter, 1982 [2004]) ou vouloir se prémunir de sanctions émanant

des parties prenantes (Meyer et Rowan, 1977 ; Zucker, 1987)26. Cette explication ne remet

26 La littérature néo-institutionnelle, qui fait largement intervenir l’idée d’une quête de légitimité des organisations à la source des stratégies d’imitation, sera traitée plus largement dans le chapitre 4.

Première partie : Revue de la littérature

71

pas en cause le paradigme dominant : elle se contente de décrire l’imitation comme une

stratégie purement défensive. Malgré ses inconvénients supposés, l’imitation serait un moyen

de se protéger d’évènements pouvant remettre en cause la survie de l’organisation (point a).

Les travaux consacrés à l’avantage des entrants tardifs, à l’apprentissage vicariant ainsi que

certaines explications fondées sur la notion de légitimité marquent une rupture profonde en ce

sens qu’ils ne décrivent plus l’imitation comme une stratégie potentiellement inefficace et

adoptée « malgré tout », mais comme une stratégie gagnante pour l’organisation (points b et

suivants).

a) Des actions et des réactions

Partant du concept de destruction créatrice introduit pas Schumpeter (1935 [1999]), nombreux

sont les auteurs qui ont décrit l’imitation comme un moyen utilisé par les organisations pour

détrôner le leader d’un secteur d’activité (Hun, Smith, Grimm et Schomburg, 2000). En

imitant rapidement les décisions fructueuses de leurs rivaux, les stratèges peuvent ainsi

espérer réduire la durée de l’avantage concurrentiels de ces derniers (D'Aveni, 1995 ; Hun et

al., 2000 ; Porter, 1982 [2004], 1986 [2003]).

Des travaux empiriques consacrés aux stratégies d’internationalisation d’entreprises

canadiennes et européennes s’implantant aux Etats-Unis (Flowers, 1976), d’entreprises

américaines du secteur du textile (Yu et Ito, 1988) et d’agences de publicité américaines

(Terpstra et Yu, 1988) viennent accréditer cette idée. Ces résultats sont synthétisés par Delios,

Gaur et Makino (2008, p.177) : « Les entreprises qui imitent leurs concurrents cherchent à

minimiser la menace qu’elles perçoivent vis-à-vis de leur position […]. Si une entreprise ne

suit pas les stratégies d’expansion de ses concurrents, elle court le risque de perdre du

terrain tandis que son concurrent accumulera de nouvelles capacités, des informations, de

l’expérience et pourra conquérir de nouveaux marchés »27. L’imitation peut alors constituer

un moyen de maintenir un certain degré de parité concurrentielle (Garcia-Pont et Nohria,

2002).

27 “Firms engage in such imitative actions to minimize the perceived threat to their competitive position in domestic and international markets. If a firm does not follow the expansion moves of its competitors, it risks losing competitive ground as the competitor may accumulate new capabilities, information, experience and markets”

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

72

L’utilisation de ce type de stratégie déborde largement la sphère du management. Cette

démarche est, par exemple, très fréquente en politique. Largement utilisée par Bill Clinton

durant sa campagne présidentielle de 1994, la triangulation « consiste à “coller” aux

positions du camp opposé lorsqu’elles sont jugées majoritaires dans l’opinion, afin d’en

neutraliser l’impact électoral négatif » (Montebourg et Ferrand, 2009, p.4). Pour Bill Clinton

et son conseiller Dick Morris, il s’agissait alors de neutraliser le camp républicain sur les

questions sociétales pour faire des questions économiques (terrain sur lequel les démocrates

avaient une avance) le thème principal de la campagne.

b) Le calcul des imitateurs

Pour le courant théorique du « late mover advantage », l’imitation n’est plus qu’une stratégie

défensive. Ces recherches ont insisté sur les avantages dont peuvent espérer bénéficier les

organisations qui arrivent tardivement sur un marché. En dehors du cas particulier des

industries à effets de réseau qui rendent profitable à tous l’imitation (Dutton et Freedman,

1985 ; Katz et Shapiro, 1985), plusieurs motivations rationnelles peuvent en effet pousser une

organisation à imiter ses concurrents (Cho, Kim et Rhee, 1998 ; Golder et Tellis, 1993 ;

Lieberman et Montgomery, 1988). Les recherches de Golder et Tellis (1993) et de Lilien et

Yoon (1990) parviennent ainsi à démontrer empiriquement l’existence d’avantages pour les

entrants tardifs. La stratégie d’entrée tardive a, par exemple, fréquemment été adoptée avec

succès par Microsoft (Schnaars, 1994 ; Zhang et Markman, 1998). Précisons néanmoins que

l’existence de facteurs contribuant à la réussite des suiveurs, ne confère pas au « late mover

advantage » un caractère automatique et immuable. De ces travaux, souvent issus du champ

du Marketing, nous verrons que nous pourrons tirer des conclusions largement transposables à

la thématique de la présente recherche.

Une diminution des dépenses de recherche et développement

Si l’innovation présente un coût, matérialisé notamment par des dépenses en recherche et

développement (R&D), il est généralement admis que ces dépenses se justifient par les

bénéfices associés au statut d’innovateur. Ce présupposé est partiellement amendé par

Mansfield et ses collègues (Mansfield, 1985 ; Mansfield, Schwartz et Wagner, 1981).

Les imitateurs parviendraient ainsi à réduire de 30% le temps consacré au développement du

même produit par les innovateurs et de 35% leurs coûts de R&D (Mansfield et al., 1981).

Force est de constater que les occasions de s’inspirer des avancées technologiques des

concurrents ne manquent pas : publication des brevets, articles et colloques de recherche,

Première partie : Revue de la littérature

73

presse professionnelle, débauchage de personnel. Ce mécanisme permettra également à

l’imitateur de bénéficier d’un « round d’observation » qui lui évitera de supporter des

dépenses relatives à la mise au point de produits n’ayant pas de potentiel (Schnaars, 1986,

1994). Comme le remarque Schnaars, l’évaluation du potentiel d’un produit est, en effet, un

exercice difficile a priori.

A ces éléments liés à l’innovation viennent s’ajouter des facteurs technologiques : les suiveurs

peuvent bénéficier de technologies plus perfectionnées que les pionniers et, de ce fait, les

enfermer dans des standards voués à l’obsolescence (Schnaars, 1994).

Des consommateurs à la mémoire courte

Les éléments qui précèdent incitent l’entrant tardif à se concentrer sur des dépenses

promotionnelles lui permettant d’acquérir une meilleure notoriété que le pionnier (Cooper,

1982) et ce d’autant plus facilement que les consommateurs ont souvent la mémoire courte.

Zhang et Markman (1998) soulignent ainsi l’existence d’un « effet poisson rouge »28. Au

travers d’expériences réalisées en laboratoire, ils parviennent à la conclusion que les attributs

des produits commercialisés par les entrants tardifs sont mieux mémorisés que ceux des

premiers entrants. Shankar, Carpenter et Krishnamurthi (1998) ajoutent un élément

d’importance : le suiveur n’aura pas, à la différence du pionnier, à éduquer le consommateur

afin de créer de nouvelles habitudes. Il pourra donc intégralement s’attacher à proposer une

offre répondant mieux aux attentes des clients que celles des concurrents.

Des succès inégaux

En suivant les conclusions proposées par Shamsie, Phelps et Kuperman (2004), l’entrée

tardive ne serait cependant pas une voie à conseiller dans tous les cas de figure. Dans un

article intitulé « mieux vaut tard que jamais », ces trois chercheurs s’intéressent en effet aux

facteurs permettant d’expliquer les différences de performances au sein d’une population

d’entrants tardifs.

Ces performances disparates peuvent, selon eux, s’expliquer par trois types d’éléments.

Les opportunités restant à conquérir sur le marché constituent le premier type d’explication

invoqué par ces chercheurs. La performance d’un entrant tardif dépend de facteurs externes.

On retrouve ici « la métaphore de la pomme juteuse » introduite par Theodore Levitt (1966) :

28 La mémoire d’un poisson rouge ne serait que de trois secondes environ.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

74

si la pomme est assez juteuse, il n’est pas forcément nécessaire d’être le premier à croquer

dedans. Tout le problème est de savoir si, dans le futur, les opportunités disponibles seront

suffisamment nombreuses et intéressantes pour justifier une entrée tardive. Selon qu’ils

entrent sur le marché juste après le pionnier ou en queue de peloton, tous les concurrents ne

seront pas dans des situations aussi favorables. Forts de cette observation, Shankar et ses

collègues (1999) préconisent alors aux suiveurs de privilégier une entrée en phase de

croissance du cycle de vie.

D’autres explications renvoient, quant à elles à la dimension interne. Le succès d’un entrant

tardif dépendra des ressources à sa disposition. Plus une organisation sera capable de déployer

rapidement un stock important de ressources sur un marché, plus elle pourra bénéficier des

retombées positives associées à une entrée tardive. Ces ressources auront, par exemple, pu

être acquises lors d’expériences passées dans des secteurs d’activité présentant certaines

similitudes avec celui dans lequel l’organisation essaiera de pénétrer.

L’adoption d’un positionnement marqué fait, par ailleurs, partie des recommandations

adressées par Porter pour éviter l’enlisement dans la voie moyenne. Cette prescription serait

particulièrement importante pour les entrants tardifs qui devront être clairement différenciés

(Shamsie et al., 2004 ; Urban, Carter, Gaskin et Mucha, 1986 ; Zhang et Markman, 1998), ou

pour l’introduction d’innovations (Shankar et al., 1998) en vue de bénéficier d’un avantage.

Synthèse 3

Points essentiels des travaux consacrés au « late-mover advantage »

Auteurs clés : Schnaars, Golder et Tellis, Lieberman et Montgomery Champs disciplinaires : Economie Industrielle ; Marketing

Niveaux d’analyse : Firmes, secteurs

� Plusieurs travaux viennent remettre en cause l’universalité du « first mover advantage » en soulignant que les entrants tardifs peuvent eux aussi espérer bénéficier de retombées positives. De ce fait, de nombreuses entreprises ont surpassé les pionniers dans leurs secteurs respectifs.

� Au-delà des économies en R&D, les entrants tardifs peuvent profiter du travail

d’éducation des consommateurs réalisé par les pionniers, développer une offre correspondant davantage à leurs besoins pour atteindre un niveau de notoriété plus

important que ceux qui les ont précédé.

� D’un point de vue technologique, ils peuvent profiter de technologies plus avancées et enfermer les pionniers dans des standards dépassés.

� Néanmoins, l’avantage des entrants tardifs ne revêt aucun caractère automatique : il dépend des opportunités restant à conquérir sur son marché (problématique de l’ordre d’entrée sur un marché), des ressources de la firme, et de la clarté de son positionnement.

Première partie : Revue de la littérature

75

c) Un apprentissage par procuration (apprentissage vicariant)

Les premiers travaux décrivant les organisations comme des systèmes capables d’adaptation,

et donc d’apprentissage (Cyert et March, 1963 ; March et Simon, 1958), ont profondément

contribué à la structuration du champ des Sciences de Gestion. Qu’ils conçoivent

l’apprentissage comme un phénomène holiste ou comme une dynamique collective résultant

d’une interaction entre apprentissage individuel et apprentissage organisationnel (Fillol,

2006), qu’ils le décrivent comme un processus intentionnel ou comme un processus non

intentionnel (Huber, 1991), les travaux existants ont souvent insisté sur le rôle joué par les

expériences passées (Cyert et March, 1963) et par les routines (Levinthal et March, 1993 ;

Levitt et March, 1988 ; Nelson et Winter, 1982) dans ce processus souvent incrémental. Au

sein de l’organisation, l’apprentissage donne lieu à une tension entre l’exploitation de routines

existantes et l’exploration, plus risquée, de routines nouvelles (March, 1991). Cette tension

sera d’autant plus forte que les gains retirés, à court terme, par une organisation ayant choisi

d’allouer ses ressources au perfectionnement de ses « anciennes » routines pourront aller de

pair avec une diminution de ses chances de survie, à plus long terme (March, 1991).

Des expériences empruntées

L’imitation vient, dans une certaine mesure, apaiser cette tension. Identifié par les

psychologues au niveau individuel (Bandura, 1977 ; Bandura, 1986), l’apprentissage vicariant

permet à l’organisation d’acquérir une « expérience de seconde main » (Huber, 1991 ; Huff,

1982) en profitant du travail d’exploration réalisé par autrui (Levinthal et March, 1993).

L’organisation entrera ainsi en contact avec une myriade de stratégies et de pratiques qui lui

étaient jusqu’alors inconnues, et pourra copier celles qui auront rencontré le succès. Au-delà

des pratiques imitées, l’observation d’autrui pourra également permettre à l’organisation de

construire un savoir plus abstrait (Miner et Mezias, 1996).

Le concept d’apprentissage vicariant demeure néanmoins difficile à définir. A l’instar de

Srinivasan, Haunschild et Grewal (2007, p.18), de nombreux auteurs qualifient

d’apprentissage vicariant tout comportement conduisant « la firme à modifier son

comportement en réponse au comportement d’autres firmes ». Une définition vague qui

empêche de distinguer clairement imitation, diffusion, mimétisme et apprentissage vicariant

mais qui établit un compromis dans une communauté ayant longtemps débattu du caractère

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

76

intentionnel et instrumental de l’apprentissage29. Dans cette recherche, on parlera

d’apprentissage vicariant (ou d’apprentissage par procuration) lorsqu’un acteur stratégique

trouvera, dans l’imitation, un moyen d’apprendre de ses concurrents en vue d’améliorer les

performances de son organisation.

Cette définition nous amène à souligner une deuxième difficulté, renvoyant cette fois ci à ses

conséquences sur la performance des organisations apprenant par procuration. Ce problème

est notamment soulevé par Denrell (2003) qui apporte de nombreuses nuances aux

conclusions portées par les travaux antérieurs vantant les bienfaits de l’apprentissage

vicariant30. Pour ce chercheur, l’échantillon pris comme référence par les organisations

imitatrices revêt souvent un caractère biaisé. La population des organisations faisant office de

modèles résulte, en effet, d’un processus de sélection complexe ayant conduit à éliminer les

organisations les moins performantes : dans l’échantillon retenu par les imitateurs, il ne reste

que des entreprises ayant survécu.

Ce biais d’échantillonnage, combiné à la tendance naturelle de la presse managériale et des

enseignants en Gestion à se focaliser sur les entreprises ayant réussi, peut conduire les

organisations imitatrices à reprendre, sur la base de cas atypiques, des pratiques risquées

ayant contribué au déclin de nombreuses autres organisations. De façon plus prosaïque, les

organisations peuvent également se tromper en copiant des pratiques et des routines qu’elles

croient bénéfiques mais dont les effets sur leurs propres performances seront en réalité

négatifs (Levitt et March, 1988 ; Miner et Haunschild, 1995). S’il y a bien une forme de

calcul de la part des imitateurs, il n’est pas évident que ces derniers soient systématiquement

en mesure de tirer profit de l’expérience de leurs concurrents. Il s’agira alors de mettre en

évidence les conditions sous lesquelles l’apprentissage par procuration pourra être bénéfique à

l’organisation.

29 On renverra le lecteur à la contribution de Huber (1991) pour une synthèse de ces échanges. 30 Voir notamment Argote et al. (1990) et Darr et al. (1995) sur la relation entre apprentissage vicariant et productivité, Beckman et Haunschild (2002) sur la capacité des entreprises imitatrices à diminuer le coût de leurs acquisitions, Haunschild et Sullivan (2002) sur les effets de l’apprentissage vicariant sur la diminution du nombre d’accidents par certaines compagnies aériennes, Baum et ses collègues sur la relation entre apprentissage vicariant et survie des organisations (Baum et Ingram, 1998 ; Baum et al., 2000 ; Ingram et Baum, 1997).

Première partie : Revue de la littérature

77

Les clés d’un apprentissage par procuration réussi

Pour un observateur extérieur, la mesure de la performance d’une organisation n’est pas chose

facile (Denrell, 2003) : au problème d’accès à l’information, lié notamment aux asymétries

d’informations bien connues des théoriciens de l’agence (Demsetz, 1973), vient

s’ajouter l’interprétation parfois difficile des observations. Il importe donc de sélectionner les

modèles les plus pertinents par rapport à une problématique donnée. Par exemple, les réseaux

de garde d’enfants au Canada ont tendance à aligner leurs décisions d’implantation sur celles

réalisées par de grandes entreprises en croissance (Baum et al., 2000).

La sélection sera d’autant plus efficace que l’organisation apprenante aura été exposée à des

expériences diverses et variées. De par leur fonction de transmission d’information, les liens

sociaux (« network ties », section 3.1 du chapitre précédent) pourront permettre à

l’organisation non seulement de prendre connaissance des différentes stratégies alternatives

possibles dans un contexte donné mais également d’observer les résultats de ces stratégies

dans plusieurs contextes (Westphal et al., 2001). Les sièges dans des conseils

d’administration feraient, comme le montrent les entretiens réalisés par Beckman et

Haunschild (2002), figure de poste d’observation privilégié pour des dirigeants cherchant à

explorer des voies nouvelles. Les résultats du volet quantitatif de cette recherche corroborent,

par ailleurs, l’idée selon laquelle ces comportements contribuent au succès de l’entreprise

imitatrice31. Dès lors, la possibilité pour une organisation d’apprendre par procuration dépend

largement de sa position sociale (Cohen et Levinthal, 1990 ; Levitt et March, 1988).

A la problématique de la diversité des expériences sur lesquelles s’appuie l’apprentissage

s’ajoute celle de leur pertinence. Une attention particulière sera alors portée aux manœuvres

stratégiques des concurrents directs (Abrahamson et Rosenkopf, 1993 ; Miner et Haunschild,

1995). Ces derniers sont en effet souvent dotés de ressources comparables à celles détenues

par l’organisation et doivent faire face aux mêmes contraintes environnementales (Peteraf et

Shanley, 1997). En guise de synthèse, Guillén (2003), dans une recherche empirique

consacrée à des entreprises coréennes, insiste ainsi sur la capacité des organisations à

apprendre de leurs expériences passées, des expériences des autres entreprises de leur chaebol

(avec lesquelles elles entretiennent des liens sociaux) et, dans une moindre mesure, des

expériences des concurrents officiant dans leur secteur d’activité.

31 Les décisions étudiées ont trait au montant payé pour réaliser une acquisition.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

78

Quels effets au niveau des populations d’organisations ?

Au-delà de l’organisation imitatrice, l’apprentissage par procuration pourra également avoir

des conséquences sur des populations d’organisations. On parlera alors de « population level

learning » pour désigner « un changement systématique dans la nature et dans la

combinaison des routines au sein d’une population donnée d’organisations » (Miner et

Haunschild, 1995, p.118)32. Au sein d’une population donnée, les organisations apprendraient

en s’imitant les unes les autres, ce qui permettrait à de nouvelles routines de s’imposer. Les

effets combinés de l’imitation et d’un processus de sélection tendant à faire disparaître les

organisations ne s’adaptant pas (on retrouve l’influence du courant de l’écologie des

populations) contribueraient à l’homogénéisation de la population (McKendrick, 2001 ; Miner

et Haunschild, 1995).

Synthèse 4

Points essentiels des travaux consacrés à l’apprentissage vicariant

Auteurs clés : Levitt et March, Haunschild, Baum, Ingram / Champs disciplinaires : Stratégie, Organisation Niveaux d’analyse : organisations & populations d’organisations

� Prolongeant des travaux de psychologues tentant à prouver l’existence d’une forme

d’apprentissage par l’imitation chez les individus, un important champ de recherche a relié apprentissage organisationnel et imitation au travers du concept d’apprentissage vicariant (ou apprentissage par procuration).

� Les organisations pourraient, par imitation, bénéficier des expériences d’autrui. L’imitation contribuerait ainsi à l’exploration de nouvelles routines.

� Si plusieurs auteurs insistent sur les avantages associés à ce type d’apprentissage (augmentation des chances de survie, gain en productivité et en qualité, etc.) il convient de préciser que les organisations imitatrices peuvent aussi subir un certain nombre de retombées négatives liées au caractère biaisé de l’échantillon qu’elles prennent pour référence. Ce dernier ne comprend, en effet, que des organisations ayant « survécu ».

� Une attention particulière sera alors portée à l’hétérogénéité des expériences

empruntées par l’organisation imitatrice et à leur transposabilité. Les liens sociaux de l’organisation pourront ainsi lui permettre d’accéder à une myriade d’expériences qui seront d’autant plus facilement transposables qu’elles auront été réalisées dans des entreprises opérant dans des contextes comparables (des concurrents par exemple).

� L’apprentissage vicariant est également susceptible de modifier la physionomie du secteur d’activité dans son ensemble en contribuant à l’homogénéisation des pratiques. On parle alors de « population-level learning ». Si ses processus sont bien connus, ses effets, sur la profitabilité des firmes du secteur, demeurent encore méconnus.

32 “A systematic change in the nature and mix of organizational action routines in a population of organizations”

Première partie : Revue de la littérature

79

d) De la légitimité

Un troisième argument peut être avancé pour témoigner des retombées potentiellement

positives de l’imitation pour l’organisation. En imitant des modèles légitimes et largement

acceptés, les organisations pourraient maintenir et accroitre leur légitimité. Si elle s’inscrit

dans le prolongement des théories néo-institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983 ; Meyer et

Rowan, 1977) et de l’écologie des organisations (Hannan et Caroll, 1992), cette idée en est

une présentation instrumentale et rationaliste. Comme nous le verrons dans la section que

nous consacrerons aux théories néo-institutionnelles, la notion de légitimité est

principalement utilisée par des auteurs adoptant une approche évaluative de l’imitation

concurrentielle.

Certains pourront considérer que les travaux qui décrivent l’imitation comme un moyen de se

légitimer en vue d’acquérir certaines ressources procèdent à un détournement des thèses néo-

institutionnelles ou écologiques. Force est de constater qu’il existe une ambiguïté sur les types

de rationalités à l’œuvre dans les travaux fondateurs de ces courants. S’ils opposent les

motivations économiques aux motivations institutionnelles d’adoption d’une structure

organisationnelle, Meyer et Rowan (1977) semblent néanmoins mobiliser des modèles de

rationalités ancrés dans une conception instrumentale.

« Les organisations qui, dans leur structure, mettent en place des éléments qui sont socialement légitimés et rationnalisés maximisent leur propre légitimité et améliorent leurs ressources mais aussi leurs chances de survie. »33

Meyer et Rowan (1977)

e) Vers un compromis ?

S’opposant aux auteurs qui mettaient en avant les retombées négatives de l’imitation pour

l’organisation (chapitre 1), les travaux qui viennent d’être présentés insistent, en prenant le

soin de formuler certaines nuances, sur les conséquences positives que peut avoir cette

stratégie sur la performance de l’entreprise. A la question « Faut-il imiter ses concurrents ? »,

les uns, les plus nombreux il est vrai, répondent par la négative, les autres par la positive. Ces

positions tranchées n’éclairent que faiblement les praticiens (Durand et Calori, 2006) : Qui

doit-on croire ? Faut-il imiter ou se différencier ?

33 “Organizations that incorporate societally legitimated rationalized elements in their formal structures maximize their legitimacy and increase their resources and survival capabilities.”

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

80

La théorie de l’équilibre stratégique : une tentative avortée

A défaut de réponse définitive, le travail de David Deephouse (1999) pourra faire office de

jugement de Salomon : l’efficacité maximale résiderait en l’adoption d’un positionnement de

compromis, à mi chemin entre imitation et différenciation. Dans leur activité quotidienne, les

stratèges seraient donc placés dans une tension entre conformisme et différenciation, le

« competitive cusp » (Porac, Thomas et Baden-Fuller, 1989). Un point partout, la balle au

centre ? Pas vraiment.

Malgré le caractère consensuel de sa réponse Deephouse ne semble pas être parvenu à

remporter l’adhésion des partisans du « conform or perform ». A l’exception notable de

Eapen et Krishnan (2009) qui montrent que l’imitation peut avoir des effets différenciés sur la

performance des entreprises (les petites entreprises semblent ici mieux profiter de l’imitation

que les grandes), ces derniers ont en effet continué à alimenter la communauté scientifique en

résultats tendant à prouver l’inefficacité de l’imitation en stratégie (Barreto et Baden-Fuller,

2006 ; Demil et Lecocq, 2006). Si les travaux les plus récents témoignent d’une meilleure

connaissance de l’imitation concurrentielle, le message principal reste conforme aux

prescriptions initiales.

Changer de perspective

La démarche de Deephouse, qui consistait à attaquer les approches orthodoxes de l’imitation

sur la relation entre imitation et performance organisationnelle, se solde donc par un demi

échec. Le chercheur parvient, certes, à apporter quelques nuances dans un débat où les

positions étaient jusqu’alors extrêmement tranchées mais peine à faire évoluer la pensée

stratégique normative dominante. Cette impasse justifie, à notre sens, l’adoption d’une

démarche plus compréhensive. La question ne sera pas ici de savoir si l’imitation est

profitable, ou non, à l’organisation, mais d’améliorer notre connaissance des pratiques

d’imitation concurrentielle et des rationalités sous-jacentes. Sans exclure la quête de

performance organisationnelle, il importe de cerner d’autres motivations possibles.

Telle sera la caractéristique commune des théories qui vont maintenant être analysées. La

section 1.2 conserve une conception instrumentale de la rationalité mais insiste sur les raisons

personnelles qui peuvent pousser le décideur à imiter ses concurrents. Les approches traitées

en section 2 adoptent une autre perspective en insistant sur des raisons ancrées dans des

conceptions évaluatives de la rationalité humaine pour expliquer les phénomènes d’imitation.

Première partie : Revue de la littérature

81

1.2. L’IMITATION ET SES CONSEQUENCES POUR LE DECIDEUR

L’imitation peut être instrumentalisée par les stratèges à des fins personnelles. Comme dans la

théorie normative de l’agence (Jensen et Meckling, 1994), l’intérêt des individus peut parfois

prendre le pas sur l’intérêt de l’organisation. Selon Brandenburger et Polak, (1996) maximiser

l’utilité d’autrui et maximiser sa propre utilité ne conduisent ni aux mêmes décisions, ni aux

mêmes comportements.

a) Un moyen de maintenir sa propre réputation

Le glissement d’une imitation rationnelle, fondée sur la recherche de profit ou d’avantage

concurrentiel de la firme, vers une imitation, toujours aussi rationnelle mais cette fois ci

guidée par les calculs individuels des décideurs est, pour la première fois opéré par Akerlof

(1980) et Jones (1984) qui, chacun à sa manière, cherchent à intégrer la dimension

réputationnelle dans le calcul des individus. Plusieurs années plus tard, le travail de David S.

Scharfstein et Jeremy C. Stein propose, au travers d’une tentative de modélisation des

décisions d’investissement de gestionnaires de fonds (Scharfstein et Stein, 1990), le point de

départ d’une nouvelle génération de modèles inspirés de la théorie de l’agence et insistant sur

une forme de conformisme, très intéressée, chez les intervenants financiers.

Un domaine a priori très éloigné de la stratégie d’entreprise, qui ouvre cependant la voie à de

nombreux développements permettant d’alimenter une réflexion, plus générale, sur les motifs

de la prise de décision individuelle. Scharfstein et Stein imaginent un monde dans lequel les

gestionnaires de fonds seraient inégalement doués : certains seraient mieux à même que

d’autres de détecter les signaux leur permettant d’anticiper l’évolution future des marchés

financiers. Aux « smart managers », bien informés, s’opposent les « dumb managers » dont

les « tuyaux » sont plus que douteux (Scharfstein et Stein, 1990, p.466).

Les bonnes informations ont la particularité d’être liées à la réalité du marché et d’être

concordantes : elles sont auto corrélées. Afin de passer pour des « smart managers », les

gestionnaires ont intérêt à imiter les décisions prises par autrui. Cette attitude leur permettra

de maintenir leur réputation sur le marché du travail ce qui aura, pour eux, une conséquence

sonnante et trébuchante : l’idée que se font des observateurs extérieurs des qualités de chacun

fixe en effet le montant des rémunérations individuelles. Elle impacte également la capacité à

trouver un emploi dans le futur.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

82

Les gestionnaires de portefeuille ont donc à cœur de maintenir leur réputation, en imitant

leurs homologues afin de minimiser les conséquences que pourrait avoir une décision

malencontreuse et isolée sur leur propre avenir professionnel. Pour reprendre la célèbre

maxime de Keynes, « mieux vaut avoir tort avec la foule que raison contre elle ». Une idée

simple et percutante, qui s’est rapidement répandue au sein de la communauté des chercheurs

s’intéressant au monde de la finance et de la banque. Dans une recherche empirique quasi

prémonitoire, Rajan (1994) a par exemple soutenu l’idée que c’est ce type d’attitude qui a

conduit, au début des années quatre vingt dix, les banques de Nouvelle Angleterre à accorder

trop facilement des crédits à des ménages qui se sont, par la suite, révélés incapables de faire

face à leurs échéances. Le phénomène est également décrit par Trueman (1994) qui dénonce

la propension des analystes de marchés à proposer des prévisions qu’ils savent biaisées afin

de ne pas s’éloigner de l’avis de leurs confrères et ainsi, maintenir leur propre réputation.

Dans un effort de conceptualisation, Douglas Bernheim (1994), propose de généraliser ces

résultats. Le problème se poserait à tous les individus devant se soumettre à une évaluation de

leurs compétences ou de leurs prédispositions personnelles. Ces éléments sont difficilement

observables. L’évaluation intègre une large part de subjectivité ce qui cause une distorsion

dans le comportement des individus évalués.

Devant rendre des comptes à des rédacteurs en chef qui ne sont pas au contact direct de

l’évènement, les journalistes cherchent, par exemple, à coller au consensus lorsqu’ils rendent

compte d’une information. Comme l’explique Timothy Cook (2005, p.78) dans un ouvrage

consacrée à la construction de l’information, « La compétition journalistique n’incite pas les

reporters à dénicher des « scoop » exclusifs mais à développer une aversion au risque fondée

sur la présomption que la gloire qu’ils pourraient tirer d’une exclusivité serait beaucoup

moins grande que les ennuis qu’ils devraient subir si jamais leur scoop était remis en

question ou s’ils devaient passer à côté de la grosse information couverte par tout le

monde. »

Dans le même ordre d’idée, les managers intermédiaires étudiés par Prendergast (1993) ont

tendance à faire des recommandations ne remettant pas en question les croyances de leurs

supérieurs hiérarchiques afin de ne pas entraver leur progression dans l’entreprise. L’attitude

de ces « yes men » remet pourtant en cause l’exactitude de l’information des dirigeants et nuit

à la bonne marche de l’entreprise.

Première partie : Revue de la littérature

83

Dans la plus pure tradition des modèles d’agence, il importe alors de définir le contrat et la

structure de rémunération les plus à même d’inciter les agents à privilégier l’intérêt de la

firme à leur ambition personnelle (Khanna, 1997 ; Khanna et Slezak, 2000).

b) Quelques précisions relatives à la théorie de l’agence

Les modèles qui viennent d’être présentés revendiquent une filiation avec la théorie de

l’agence. Le sharing the blame effect serait une manifestation particulière d’un problème plus

général, le problème d’agence, résultant d’une divergence entre l’intérêt d’un mandant (le

principal) et de son mandataire (l’agent). Comme le précise Charreaux (1999), à la suite de

plusieurs auteurs (Eisenhardt, 1989 ; Jensen, 1983 ; Jensen et Smith, 1985) la théorie de

l’agence a donné naissance à deux traditions de recherches bien différentes.

La théorie positive de l’agence s’intéresse, historiquement, à la relation entre propriétaires et

dirigeants pour analyser le fonctionnement de l’entreprise. La firme est alors décrite comme

un ensemble de relations d’agences. Il s’agit de mettre en évidence, parfois de façon

empirique, les arrangements et les mécanismes institutionnels permettant de réduire les

conflits d’intérêt : c’est bel et bien le problème de l’efficience qui est posé.

Dans la théorie normative de l’agence, la question de l’organisation est souvent secondaire. Il

s’agit d’abord d’étudier de façon formalisée des contrats d’agence susceptibles de réduire le

risque d’aléa moral. Les problématiques débordent fréquemment de la thématique du conflit

d’intérêt entre actionnaires et dirigeants.

Si ces deux courants divergent dans leurs disciplines de rattachement, dans leurs objets, dans

leur conception de la nature humaine (rationalité substantive pour la tradition normative,

rationalité limité et créativité des acteurs pour la tradition positive), ou encore dans leur

conception de l’incertitude, c’est probablement dans leur forme que le contraste est le plus

saisissant. Le degré de formalisation et d’abstraction des travaux issus de la tradition

normative tranche radicalement avec le caractère très littéraire des analyses proposées par la

tradition positive.

Les travaux présentés dans cette section pourront donc faire office de « bizarrerie ». Ils

partagent certes avec le courant normatif une conception substantive de la rationalité, une

démarche analytique fondée sur l’abstraction et la formalisation, mais ils viennent alimenter

une réflexion plus compréhensive liée au comportement des individus dans l’organisation.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

84

Synthèse 5

Points essentiels des modèles d’agence de l’imitation

Auteurs clés : Scharfstein et Stein / Champ disciplinaire : Economie Niveau d’analyse : Individus

� Lorsqu’ils sont soumis à une évaluation subjective, les individus ont tendance à s’imiter les uns les autres en vue de maximiser leur réputation personnelle.

� Ce phénomène est particulièrement courant chez les intervenants financiers qui, lorsqu’ils imitent les décisions de leurs pairs, peuvent passer pour des individus bien informés.

� Il est également observé chez les journalistes, qui couvrent souvent une information de la même façon que leurs collègues, ou chez les managers intermédiaires qui émettent des préconisations correspondant aux attentes de leurs supérieurs hiérarchiques.

� Dans tous ces cas, le maintien de réputation permet aux individus de bénéficier de perspectives de carrière favorables.

� Ces initiatives individuelles allant à l’encontre de l’intérêt de l’organisation, il est nécessaire de mettre en place des contrats et des incitations permettant d’aligner les

intérêts.

La section qui s’achève est consacrée à des courants théoriques qui appréhendent l’imitation

comme le fait d’individus capables de tenir compte des conséquences de leurs actions et de

leurs décisions. Ces théories ont été regroupées en trois grandes approches qui ont fait l’objet

d’encadrés de synthèse : (1) « late mover advantage », (2) apprentissage par procuration, (3)

modèles d’agence de l’imitation.

Les deux premières approches insistent sur les retombées positives de l’imitation pour

l’organisation imitatrice. Les modèles d’agence de l’imitation, au travers du concept de

« sharing the blame effect », soulignent quant à elles le fait que les décideurs peuvent se

montrer égoïstes et s’intéresser davantage aux effets de l’imitation sur leur propre situation

personnelle que sur la bonne marche de leur organisation.

Les raisons individuelles qui sont mises en avant par des théories serviront de base à notre

étude des pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales

françaises. De ces théories, nous ne conserverons donc que leur dimension individuelle. Le

tableau qui suit dresse une vue d’ensemble de ces courants en reprenant leurs enseignements

tant au niveau individuel qu’aux niveaux organisationnel et populationnel.

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Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

86

2. LES APPROCHES EVALUATIVES DE L’IMITATION

Les travaux qui ont été présentés dans la section précédente, qu’ils insistent sur les

conséquences de l’imitation attendues par les décideurs pour l’organisation ou pour eux-

mêmes, présentent un point commun : ils considèrent que les comportements imitatifs ont une

finalité déterminée par les conséquences attendues par les acteurs stratégiques.

A ces approches instrumentales, il est possible d’opposer des approches évaluatives faisant

intervenir des explications fondées sur le désir, la légitimité des modèles ou l’identité, qu’elle

soit sociale ou organisationnelle. Dans cette littérature, le modèle (d’une organisation ou d’un

groupe d’organisations) sera perçu comme un étalon de mesure influençant les actions et les

décisions du stratège. Sans attendre ou anticiper de conséquences particulières, les décideurs

s’aligneront sur des normes de comportement observables dans leur environnement immédiat.

L’imitation sera ici normative, fondée sur ce qui semble approprié (March et Olsen, 1989) et

non performative.

Bien qu’elles aient pour point commun de rejeter le postulat de conséquentialisme, les

théories qui vont suivre ne mobilisent pas les mêmes unités d’analyse. Nous invitons le

lecteur à passer outre ces incompatibilités théoriques apparentes, pour se focaliser sur les

raisons mises en avant par les auteurs qui, une fois transposées au monde du management

stratégique, constitueront autant de pistes permettant de comprendre les phénomènes

d’imitation concurrentielle.

Notre exploration des approches évaluatives de l’imitation commencera par l’étude de

l’œuvre de René Girard (1972, 1982) et à sa théorie mimétique (section 2.1). Au vu des

limites souvent attribuées à cette pensée, nous retrouverons la notion de légitimité si chère au

courant néo-institutionnaliste (section 2.2). A la faveur d’un glissement du niveau d’analyse

(nous passerons d’un niveau organisationnel à un niveau individuel), la notion d’identité

sociale apparaitra comme étant en mesure d’expliquer certains comportements imitatifs dans

des groupes d’individus (section 2.3) mais aussi dans des groupes d’organisations (section

2.4).

Première partie : Revue de la littérature

87

2.1. UNE RIVALITE MIMETIQUE

Comme l’explique Dupuy (2003) plusieurs auteurs français ont relié l’imitation, à une forme

de fascination, souvent inconsciente, pour un modèle (Paicheler et Moscovici, 1984). Cette

affirmation rejoint la thèse défendue par René Girard, dont l’œuvre gravite autour d’une idée

fixe désignée indistinctement par les termes « désir emprunté », « désir métaphysique »,

« désir triangulaire », « désir de seconde main » ou « désir mimétique ». Pour Girard,

l’imitation trouverait sa source dans la part de sauvagerie, d’obscurité, propre à chaque être

humain. Tels Dr Jekill se changeant en Mr Hyde, les individus verraient périodiquement cette

animalité primaire refaire surface.

a) Un désir mimétique, une violence primaire

L’existence de rivalités enfantines serait la preuve du caractère inné de l’imitation chez l’être

humain : « Mettez un certain nombre de jouets, tous identiques, dans une pièce vide, en

compagnie du même nombre d’enfants : il y a de fortes chances que la distribution ne se fasse

pas sans querelles » (Girard, 1978, p.17).

Au travers d’une relecture d’œuvres littéraires (Girard, 1961), de mythes antiques (Girard,

1972) ou de textes bibliques (Girard, 1978, 1982), ce philosophe français, expatrié aux Etats-

Unis, cherche à bâtir une théorie, la théorie mimétique, capable de mettre en lumière les

fondements des premiers rites et des premières institutions.

Une relation triangulaire

Au commencement de la pensée girardienne, il y a le désir, un désir intermédié qui n’existe

que dans le cadre d’une relation triangulaire entre l’objet, le sujet et le médiateur (Girard,

1961). Comme l’explique Ehrmann (1963, p.111), « au lieu que le sujet désire un objet sans

intermédiaire, il a besoin, pour s'assurer de la validité de son désir, de la garantie que lui

offre un tiers, l'Autre, que Girard appelle le médiateur. » Chez Girard, le désir d’un individu

pour un objet est donc révélé et exacerbé par le désir d’un autre pour le même objet, c’est un

désir mimétique. L’imitation, qui capte le désir d’autrui, est dès lors encouragée par la

proximité du modèle et du sujet : « le désir s’amplifie avec la proximité des individus »

(Hirigoyen, 2007).

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

88

« Le désir est essentiellement mimétique, il se calque sur un désir modèle ; il élit le même objet que ce modèle. Le mimétisme du désir enfantin est universellement reconnu. Le désir adulte n’est en rien différent, à ceci près que l’adulte, en particulier dans notre contexte culturel, a honte, le plus souvent, de se modeler sur autrui ; il a peur de révéler son manque d’être. Il se déclare hautement satisfait de lui-même ; il se présente en modèle aux autres ; chacun va répétant : “Imitez-moi” afin de dissimuler sa propre imitation. »

René Girard (1972, p.205)

Cette idée est représentée par le schéma suivant :

Schéma 3

La structure du désir selon Girard

D’après Grote (2003, p.117)

Un modèle obstacle

Loin d’être génératrice d’harmonie, cette tendance naturelle, qualifiée « d’hypermimétisme

humain » (Girard, 2003, p.31), est porteuse de rivalité et de violence : lorsque deux désirs

portent sur le même objet, ils se télescopent, se font concurrence. Par la théorie du « modèle-

obstacle », Girard explique que le désir conduit les individus dans l’impasse de leurs désirs

adverses. Dès lors, imiter l’autre devient une façon de l’anéantir, d’en devenir le double

monstrueux.

On pourra trouver, dans la vie des affaires, de nombreuses illustrations de cette théorie du

« modèle-objet » (Hirigoyen, 2007), et interpréter les décisions de certains dirigeants non

comme le produit d’une réflexion stratégique mais comme la traduction d’un désir mimétique.

En octobre 2006, Bernard Arnault décidait ainsi de lancer une fondation Louis-Vuitton dédiée

à la création artistique (Mouricou, 2007). Cette décision intervenait six mois après une

initiative similaire de son concurrent de toujours, François Pinault, à la tête du groupe PPR.

Malgré les affirmations de Bernard Arnault pour qui « toute comparaison avec d’autres

initiatives ne serait pas pertinente »34, on ne peut qu’être frappé par la grande proximité de

ces décisions, révélatrice de la rivalité entre ces deux figures emblématiques du capitalisme 34 « Arnault défie Pinault dans l’art contemporain », l’Expansion, 2 octobre 2006.

Modèle Sujet

Objet

Première partie : Revue de la littérature

89

français. Faute de pouvoir triompher de son concurrent, Bernard Arnault aurait-il cherché à en

devenir le double monstrueux ?

Une compétition

La théorie de l’équivalence structurelle (Burt, 1982, 1983, 1987), qui lie elle aussi imitation et

compétition, vient apporter quelques éléments de réflexion complémentaires. Lorsque deux

personnes occupent des positions similaires dans le système social, elles deviennent, selon

Burt, interchangeables aux yeux des autres membres du système. Tel est le cas lorsque deux

sœurs d’âges proches essaient d’obtenir les meilleures notes dans les mêmes matières et y

sont encouragées par leurs parents ou lorsque deux étudiants travaillent sur le même sujet et

reçoivent les enseignements des mêmes professeurs. Toute tentative de l’un des deux

individus pour se distinguer positivement de l’autre est interprétée comme un avantage. Le

pionnier est alors imité par le second qui cherche à maintenir sa position sociale : la rivalité

devient mimétique.

b) Une violence contagieuse

La violence et le sacré (1972) permet à René Girard de proposer une illustration de sa théorie

mimétique en mobilisant le mythe d’Œdipe : derrière la prophétie (selon l’Oracle, Œdipe est

condamné à tuer son père pour épouser sa mère), on retrouve le désir mimétique du fils pour

ce qui constitue l’objet du désir du modèle (sa mère pour son père). Personnage tragique,

Œdipe ne parvient pas à échapper à son propre désir mimétique et tue cet inconnu rencontré

au hasard des chemins, Laïos, son père.

« Dans la rencontre d’Œdipe et de Laïos au carrefour, il n’y a d’abord ni père, ni roi ; il n’y a que le geste menaçant d’un inconnu qui barre son chemin au héros, il y a ensuite le désir de frapper, le désir qui frappe cet inconnu et qui se dirige, aussitôt, vers le trône et l’épouse, c'est-à-dire vers les objets qui appartiennent au violent. Il y a, enfin, l’identification du violent comme père et roi. C’est la violence, en d’autres termes, qui valorise les objets du violent. »

René Girard (1972, p.203)

La rivalité est telle que la haine réciproque des rivaux conduit à la destruction de l’objet des

désirs (dans le mythe, Jocaste, veuve de Laïos, mère et épouse d’Œdipe, finit par se pendre

lorsqu’elle découvre la vérité). Une relecture comparable du mythe hindou des Brahmanas est

proposée dans un ouvrage plus récent (Girard, 2003). La violence du désir mimétique a ceci

de particulier qu’elle est contagieuse : les deux individus qui désirent la même chose sont

bientôt rejoints par un troisième, puis par un quatrième. C’est l’effet boule de neige.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

90

Cette violence, annihile les différences entre individus - Girard souligne, par exemple,

l’indifférenciation sexuelle dans le mythe des Bacchantes (Girard, 1972) - et plonge la société

dans le chaos. Pour arrêter la crise, il faut tromper la violence, la détourner, la polariser contre

une victime unique. Cette assertion permet à Girard d’ajouter à la théorie mimétique un

nouveau pan : une théorie du bouc émissaire. Le sacrifice du bouc émissaire a donc pour

fonction de rassasier la soif de violence des individus, de mettre un terme à la crise en

réinstaurant une différence entre le sacrifiable et le non sacrifiable.

« Le miracle du sacrifice, c’est la formidable “économie” de violence qu’il réalise. Il polarise contre une seule victime toute la violence qui, un instant plus tôt, menaçait la communauté entière »

René Girard (2003, p.26)

Le schéma 4 reprend cet enchainement d’évènements. Après une synthèse de la théorie

mimétique de Girard, nous nous interrogerons sur la portée de cette théorie pour les Sciences

de Gestion. Cette réflexion nous conduira à élargir notre champ d’analyse de la littérature et à

nous intéresser à d’autres courants théoriques qui, comme Girard, mettent en avant des

raisons individuelles ancrées dans un modèle évaluatif de la rationalité humaine pour

expliquer les phénomènes d’imitation.

Schéma 4

Du désir mimétique au sacrifice chez René Girard

Désir Mimétique

(deux individus)

Violence

Contagion

Crise

Sacrifice

Première partie : Revue de la littérature

91

Synthèse 6

Points essentiels de la théorie mimétique

Auteur clé : René Girard / Champ disciplinaire : Anthropologie / Niveau d’analyse : individus et société

� Les être humains ont un « désir mimétique » qui les pousse à désirer les choses désirées par autrui. Le désir pour un objet s’inscrit donc dans une relation triangulaire « modèle – objet – sujet ».

� Lorsque deux individus désirent la même chose, ils entrent en concurrence (théorie du

modèle obstacle). La violence qui découle de cette rivalité prend le pas sur l’objet du désir.

� Pour la théorie de l’équivalence structurelle, la proximité sociale de deux individus les place en situation de compétition. Toute tentative de l’un pour se distinguer positivement aux yeux des autres membres du système sociale est alors imitée par l’autre. La rivalité devient mimétique.

� Cette violence est contagieuse, elle plonge la communauté dans une crise. La violence est d’autant plus grande que sont abolies les différences entre les individus.

� Le sacrifice d’un bouc émissaire permet de mettre un fin à cette spirale de violence en rétablissant une différence entre le sacrifiable et le non sacrifiable.

� Le sacrifice est ensuite répliqué puis ritualisé afin de prévenir toute nouvelle éruption de violence mimétique.

� Il aurait existé une violence ancestrale à laquelle on aurait mis fin par un sacrifice. Cette crise sacrificielle originelle aurait donné naissance au fait religieux.

Quels enseignements pour les Sciences de Gestion ?

L’œuvre de Girard est dense, complexe. La présentation qui vient d’en être faite est forcément

réductrice. Le pan métaphysique de la pensée girardienne qui relie sacrifice et naissance du

fait religieux et qui est, selon nous, indissociable de la foi catholique animant l’auteur, a ici

été écarté.

En dépit de sa position particulière, à l’intersection du littéraire, du scientifique et du

religieux, l’œuvre de Girard demeure une lecture stimulante pour les chercheurs en Sciences

de Gestion. Comme l’expliquent Desmond et Kavanagh (2003), l’analyse girardienne pourrait

éclairer d’un jour nouveau l’existence de formes organisationnelles (qui seraient les plus à

même de réduire la violence mimétique de leurs membres) ou les mécanismes de harcèlement

en entreprise. Plus proches de la thématique de la recherche, les auteurs soulignent que la

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

92

théorie du modèle obstacle pourrait apporter des micro fondations aux théories néo-

institutionnelles (Touron, 2005) ou à la théorie des conventions (Montmorillon, 1999).

Mobilisée dans des champs très divers de la théorie des organisations, la théorie mimétique

est supposée permettre une analyse des conflits de succession dans les entreprises familiales

(Grote, 2003 ; Hirigoyen, 2007) ou de l’éthique des affaires (Grote et McGeeney, 1997) ; une

minimisation des risques relationnels et informationnels dans les réseaux d’entreprise

(Simonnet, 2006) ou une analyse de l’adoption précoce des normes comptables anglo-

saxonnes par certaines entreprises françaises (Touron, 2005). Précisons néanmoins qu’aucune

des recherches qui viennent d’être citées n’apporte de base empirique sérieuse à la théorie

mimétique35.

Un point de départ stimulant

L’analyse de Girard insiste sur le rôle du modèle dans les comportements imitatifs et décrit

une relation imitative qui n’est ni objectale (sujet – objet), ni exclusivement interindividuelle

(sujet à sujet) mais triangulaire, le modèle jouant un rôle de révélateur du désir d’autrui.

Girard demeure néanmoins évasif sur les critères de sélection du modèle. On aimerait, par

ailleurs, avoir plus d’explications quant aux motivations qui poussent les individus à s’imiter

les uns les autres ; l’auteur se contentant, en effet, de souligner le caractère instinctif de

l’imitation en insistant sur l’existence de comportements imitatifs chez les jeunes enfants.

Même si les modèles de rationalité sur lesquels elle repose semblent bien éloignés de la

conception classique, la question des raisons qui poussent les individus à s’imiter les uns les

autres demeure périphérique dans la théorie mimétique. Pour Girard, l’essentiel est ailleurs :

le désir mimétique est générateur de violence, la violence est contagieuse, le sacrifice d’un

bouc émissaire vient mettre un terme à cette spirale destructrice.

Plusieurs approches théoriques, issues de la sociologie des organisations ou de la psychologie

sociale, sont en revanche susceptibles d’éclaircir cette question.

35 L’étude qualitative réalisée par Philippe Touron (2005) est ancrée dans le paradigme néo-institutionnel. La théorie mimétique y est surtout présentée comme un prisme intéressant pour interpréter les résultats de la recherche et comme une piste potentielle pour des travaux ultérieurs.

Première partie : Revue de la littérature

93

2.2. L’IMITATION ET LA LEGITIMITE

C’est par exemple le cas du courant néo-institutionnaliste qui affirme la prégnance des

institutions pour comprendre les faits économiques et sociaux (Huault, 2004a ; Meyer et

Rowan, 1977 ; Scott, 1995), marquant ainsi une rupture profonde par rapport aux conceptions

néo-classiques fondées sur une représentation individualiste et maximisatrice des

comportements humains. Si la perspective néo-institutionnelle insiste sur « l’inscription

politique, culturelle, cognitive voire relationnelle des organisations » (Huault, 2004a, p.1),

force est de constater qu’elle rassemble des courants très différents qui semblent avoir

beaucoup de mal à s’entendre sur une définition du terme « institution ». Les chercheurs

s’accordent généralement à décrire « l’institution » comme un produit des représentations et

des comportements individuels mais aussi comme un cadre orientant ces représentations et

ces actions. L’accent est souvent mis sur la durée de vie extrêmement longue des institutions.

Ces considérations générales sont souvent précisées par des classifications permettant de

distinguer plusieurs catégories d’institutions.

Cette section ne prendra pas part aux débats propres à ce champ, pas plus qu’elle ne tentera de

les synthétiser36. Au risque de présenter une vision tronquée de cette tradition de recherche,

nous nous focaliserons sur les travaux abordant les thématiques du mimétisme et de

l’imitation concurrentielle. En effet, les questions liées au conformisme au sein de populations

d’organisations (DiMaggio et Powell, 1983) et les enjeux liés à la légitimité des organisations

(Suchman, 1995) constituent des objets d’analyse traditionnels dans le courant sociologique

de la théorie néo-institutionnelle.

Au cours des dernières années, sous la pression de plusieurs auteurs (DiMaggio, 1988 ;

Oliver, 1991), ce courant a cependant progressivement étendu son champ d’analyse (Acquier

et Aggeri, 2006 ; Lounsbury, 2008). Ses développements théoriques actuels tendent à affiner

des concepts tel que le bricolage institutionnel (Campbell, 2004) ou l’entrepreneur

institutionnel (Hwang et Powell, 2005).

36 On renverra ainsi le lecteur aux états de l’art proposés par Bendrine et Demil (1998) et par Huault (2002).

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

94

a) L’isomorphisme et les pressions institutionnelles

Selon Scott (1995), les dimensions normatives, coercitives et cognitives de l’environnement

constituent les trois piliers de l’analyse néo-institutionnelle : ils exercent une influence sur les

organisations. La théorie néo-institutionnelle marque donc un intérêt particulier pour

l’influence de l’environnement sur l’organisation (Livian et Baret, 2002). En se conformant à

cette influence, les organisations gagnent en légitimité, ce qui peut leur permettre d’accéder à

certaines ressources et de voir leur chances de survie augmenter (Meyer et Rowan, 1977 ;

Scott, 1987 ; Zucker, 1987). Cet intérêt conféré au conformisme organisationnel constitue le

point de départ de la réflexion entamée par DiMaggio et Powell (1983) qui cherchent à savoir

pourquoi, dans un champ donné37, les organisations deviennent similaires.

Pour caractériser le processus d’homogénéisation des organisations, DiMaggio et Powell (tout

comme Hannan et Freeman, 1977) mobilisent le concept d’isomorphisme, « un processus

contraignant qui dans une population donnée, force une unité à ressembler aux autres unités

faisant face aux mêmes contraintes environnementales »38. A la différence du phénomène

décrit par Hannan et Freeman (qualifié par DiMaggio et Powell d’isomorphisme

concurrentiel), l’isomorphisme institutionnel n’est pas le fruit d’un processus de sélection

naturelle, mais résulte des différentes pressions institutionnelles auxquelles sont confrontées

les organisations. Ces pressions institutionnelles peuvent être regroupées en trois grandes

catégories : les pressions coercitives, normatives et mimétiques.

Certains relecteurs ont précisé que ces différentes pressions pouvaient interagir et s’auto-

renforcer. C’est le cas de Desreumaux (2004) qui souligne que le processus isomorphique est

par nature dynamique. Aussi, il est parfois difficile de dissocier, dans la réalité, les différentes

pressions isomorphiques (Mizruchi et Fein, 1999).

Les pressions coercitives

Les pressions coercitives ont trait à l’environnement légal encadrant les activités de

l’organisation. L’idée essentielle est que, face à une législation identique (fiscalité, protection

de l’environnement, droit du travail, normes comptables), les organisations d’un même champ

auront tendance à adopter les mêmes pratiques, à se doter des mêmes structures, à suivre les 37 Le champ organisationnel est défini comme « un groupe d’organisations constituant une sphère particulière de la sphère institutionnelle. Il rassemble les fournisseurs, les consommateurs, les autorités de régulation et les organisations qui opèrent dans le même domaine d’activité » (DiMaggio et Powell, 1983, p.148). 38 “Isomorphism is a constraining process that forces one unit in a population to resemble other units that face the same set of environmental conditions” (Hawley, 1968 ; cité par DiMaggio et Powell, 1983 : 149).

Première partie : Revue de la littérature

95

mêmes stratégies. Les structures organisationnelles et les modes d’action découlent ainsi,

dans une large mesure, des règles édictées par des acteurs dotés d’un pouvoir de surveillance

et de sanction tels que l’Etat (Tolbert et Zucker, 1983) ou les agences gouvernementales

(Meyer et Rowan, 1977 ; Scott, 1995). Ces pressions coercitives peuvent également émaner

de parties prenantes contrôlant des ressources dont dépendent les organisations (Mizruchi et

Fein, 1999). Le pouvoir de sanction des investisseurs sera ainsi d’autant plus grand que

l’accès au capital sera difficile (Aerts et al., 2006).

Les pressions normatives

Les pressions normatives résultent principalement de la professionnalisation du champ

d’activité. Le comportement des organisations n’est pas contraint, mais orienté par des

normes qui, selon DiMaggio et Powell, permettent de distinguer les pratiques considérées

comme « professionnelles » de celles qui ne le sont pas. On retrouve ici l’idée, chère aux

conventionnalistes, de règles de comportements auxquelles souscriraient les acteurs en vue de

rationaliser leurs actions. Les actions individuelles seraient dictées, non seulement par une

logique d’efficacité, mais également par un standard de « professionnalisation » proche du

principe de crédit d’opinion en vigueur dans la cité de l’opinion esquissée par Boltanski et

Thévenot (1991).

Dans un ouvrage consacré à la presse, Cook (2005) offre une illustration de cette idée. La

citation d’experts, l’exposition de points de vue différents, la volonté de s’en tenir aux faits

font ainsi partie intégrante de ce qu’il est convenu d’appeler « l’éthique des journalistes ». Ces

pressions normatives ne se cantonnent d’ailleurs pas aux grands médias. Comme l’a montré

Bird (1992), les personnes officiant dans des tabloïds distribués dans les supermarchés

américains se définissent, elles aussi, comme des journalistes et adhèrent aux mêmes rites

d’objectivité que les journalistes des médias traditionnels.

Une attention particulière peut alors être portée aux institutions – telles que les associations

professionnelles, les instituts de formation, la presse professionnelle, les cabinets de conseil

ou les banquiers d’affaire – qui sont susceptibles, à la manière de Johnny Appleseed39, de

diffuser les « bonnes pratiques » et de normer les comportements au sein du champ

39 La comparaison est empruntée à Haunschild (1994). Johnny Appleseed (de son vrai nom John Chapman, 1774-1845) est un personnage bien connu dans la littérature enfantine anglo-saxonne. Pionnier, missionnaire et écologiste, il a contribué à la diffusion de la culture de la pomme en plantant des pommiers dans de nombreux Etats américains, en apprenant aux personnes qui croisaient son chemin à fabriquer du cidre et en leur vendant des pommiers selon un principe proche du microcrédit.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

96

organisationnel. On pourra trouver dans les travaux de Hirsch (1986), Espeland et Hirsch

(1990) et Stearns et Allan (1996) un prolongement de ces réflexions. Ces auteurs montrent

que les innovations managériales sont souvent, dans un premier temps, adoptées par des

dirigeants n’appartenant pas à l’élite managériale et n’ayant pas fréquenté les grandes écoles

ou par des organisations marginales dans le champ organisationnel et donc supposées être

moins exposées aux pressions normatives.

Les pressions mimétiques

Au fil de leur existence, les organisations ont tendance à négliger l’efficacité réelle des

pratiques, des structures ou des stratégies qu’elles adoptent (Palmer et al., 1993), en

particulier lorsqu’elles doivent faire face à des situations caractérisées par un fort degré

d’incertitude et d’ambiguïté (DiMaggio et Powell, 1983 ; Meyer et Rowan, 1977 ; Powell,

1991). Mues par une quête de reconnaissance, les organisations cherchent alors à adopter les

pratiques qui ont déjà rencontré le succès ailleurs et à suivre un modèle, une autre

organisation qui, précisent DiMaggio et Powell, peut n’avoir aucune envie d’être copiée.

L’organisation imitée (le modèle) est choisie en fonction de sa forte légitimité. Dans une

industrie donnée, il est ainsi fréquent de voir le leader du secteur ou un compétiteur aux

performances supérieures à la moyenne jouer le rôle de « leader d’opinion ». Le modèle verra

alors sa structure, certaines de ses pratiques, ou sa stratégie, se diffuser au sein du champ

organisationnel. Néanmoins, comme le montrent Labianca et Fairbank (2005), au travers

d’une étude de cas consacrée à une université américaine, il peut arriver que des organisations

n’imitent pas une autre organisation légitime en particulier, mais un groupe d’organisations

légitimes (en l’occurrence, celles qui appartiennent au « Top 20 » des « Business Schools »

établi par l’hebdomadaire Business Week).

Les pressions mimétiques – qui émanent des organisations du champ autant qu’elles

s’exercent sur elles – peuvent également jouer en l’absence d’incertitude. En effet, lorsqu’une

proportion significative d’organisations aura adopté une « innovation », celle-ci sera admise

et progressivement adoptée par les autres organisations ce qui contribuera à son

institutionnalisation (Burt, 1987 ; Tolbert et Zucker, 1983).

Zucker (1977) et March (1981) soutiennent alors que les pratiques les plus répandues et les

plus communément admises au sein du champ organisationnel sont parfois adoptées de façon

Première partie : Revue de la littérature

97

quasi inconsciente. A mesure qu’une innovation s’institutionnalise, elle peut acquérir le statut

de règle, son adoption n’étant plus simplement du ressort de l’organisation (Meyer et Rowan,

1977).

b) Un concept central : la légitimité

Dans l’analyse de DiMaggio et Powell, la légitimité intervient de deux façons distinctes dans

le processus mimétique : d’une part dans l’identification des structures, des pratiques et des

stratégies à imiter (celles qui ont préalablement été adoptées par une organisation légitime) ;

d’autre part dans la quête de légitimité à laquelle se livrent les organisations (Huault, 2002 ;

Suchman, 1995). La conformité étant un facteur susceptible d’accroitre la légitimité des

organisations (Dacin, 1997 ; Deephouse, 1996), une organisation pourra imiter une pratique,

adopter une structure ou une stratégie donnée en vue de se légitimer au sein de son champ

organisationnel d’appartenance (Scott, 1987),. La légitimité nouvellement acquise par

l’organisation imitatrice pourra lui permettre d’accéder à certaines ressources (des capitaux

par exemple) et ainsi contribuer à sa performance à long terme (Allouche et Huault, 2003 ;

Dacin, 1997 ; Deephouse, 1996, 1999 ; Meyer et Rowan, 1977 ; Scott, 1987).

Un statut objectif de l’organisation, créé subjectivement par les acteurs

Il n’est donc pas surprenant de voir le concept de légitimité faire l’objet d’une attention

particulière chez les néo-institutionnalistes. Statut conféré par des acteurs sociaux (Ashforth et

Gibbs, 1990 ; Deephouse, 1996 ; Pfeffer et Salancik, 1978), la légitimité d’une organisation

s’observe lorsque ses actions et les valeurs qu’elle affiche sont en cohérence avec les attentes

des acteurs de son environnement social. A la suite de Suchman (1995), on considérera que la

légitimité repose sur « une impression largement partagée que les actions d’une entité sont

désirables, convenables et adéquates, par rapport à un système de normes, de valeurs et de

croyances sociales »40. La légitimité est donc associée au statut objectif d’une organisation et

créée subjectivement et collectivement par les acteurs sociaux.

Les processus de légitimation : la typologie de Suchman

Au-delà de cette définition, Suchman (1995) identifie trois grands processus par lesquels

peuvent se créer la légitimité d’une organisation : (1) la légitimité pragmatique, résultant de la

satisfaction des demandes et des attentes des parties prenantes ; (2) la légitimité normative,

qui est le produit d’une évaluation morale de l’organisation et de ses activités par des tiers ; et

40 “Legitimacy is a generalized perception or assumption that the actions of an entity are desirable, proper or appropriate within some socially constructed system of norms, values, beliefs and definitions” (Suchman, 1995, p.574)

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

98

(3) la légitimité cognitive qui sera liée au taken-for-granted de l’organisation dont l’existence

et la position seront considérées comme normales, évidentes, allant de soi (Aldrich et Fiol,

1994 ; Jepperson, 1991 ; Kostova et Zaheer, 1999).

C’est à ce dernier processus que DiMaggio et Powell (1983) font référence lorsqu’ils

analysent les pressions mimétiques contribuant à l’isomorphisme institutionnel dans un

champ organisationnel donné.

Synthèse 7

Points essentiels de la théorie néo-institutionnelle

Auteurs clés : DiMaggio et Powell, Scott / Champ disciplinaire : Sociologie des organisations Niveaux d’analyse : organisation et champ organisationnel

� L’isomorphisme institutionnel est un processus permettant d’expliquer les similitudes entre des organisations appartenant à un même champ.

� Les organisations se conforment aux pressions intentionnelles. Elles peuvent ainsi bénéficier d’une légitimité accrue, accéder à des ressources, voir leurs chances de survie augmenter.

� L’isomorphisme institutionnel résulte de trois types de pressions : coercitives,

normatives, mimétiques.

� Les pressions mimétiques exercent leur influence lorsque les situations sont caractérisées par un fort degré d’incertitude. Les organisations sont alors tentées d’imiter un modèle à forte légitimité afin de se légitimer.

� Elles peuvent également jouer en l’absence d’incertitude lorsque les organisations imitent, de façon inconsciente, des modèles ou reprennent des pratiques généralement acceptées.

� Parce qu’elle lui permet d’accéder à certaines ressources, la légitimité d’une organisation peut contribuer à sa performance.

� L’analyse de DiMaggio et Powell renvoie à la notion de légitimité cognitive (taken-for-

granted). Une organisation est légitime lorsque les acteurs considèrent son existence comme normale et allant de soi.

c) Des développements empiriques conséquents

De tous les pans de la théorie néo-institutionnelle, les questions liées aux pressions

mimétiques et au rôle central de la légitimité sont indiscutablement celles qui ont suscité le

plus de développement empiriques41. S’ils mobilisent explicitement le cadre conceptuel

41 Une attention jugée disproportionnée par Mizruchi et Fein (1999) qui pointent, en outre, un manque de rigueur dans les mesures utilisées dans les 26 articles qu’ils analysent.

Première partie : Revue de la littérature

99

proposé par les néo-institutionnalistes et mettent en exergue la quête de légitimité des

organisations, certains de ces travaux font référence à plusieurs approches théoriques.

La théorie néo-institutionnelle a ainsi été combinée à la théorie de l’écologie des populations

(Fligstein, 1985 ; Lee et Pennings, 2002), à la théorie de l’agence (Brandes et al., 2006 ;

Davis, 1991), à la théorie des ressources, à la théorie des réseaux sociaux (Galaskiewicz et

Wasserman, 1989) ou aux théories de la diffusion (Palmer et al., 1993 ; Webb et Pettigrew,

1999).

La grande diversité de cette littérature est également perceptible dans le choix des terrains et

des pratiques étudiés. Les pressions mimétiques et la quête de légitimité des organisation

conditionnent les pratiques de recrutement des dirigeants (Williamson et Cable, 2003) ou

l’adoption d’un mode de rémunération pour ces derniers (Brandes et al., 2006 ; Westphal et

Zajac, 1994), de pratiques telles que la mise en place de « poison pills » (Davis, 1991), de

programmes de qualité totale (Westphal et al., 1997), la mise en place d’une démarche de

certification (Guler, Guillén et Macpherson, 2002), le montant des dons attribués à des

organismes non lucratifs (Galaskiewicz et Wasserman, 1989).

Certains de ces résultats viennent, par ailleurs, confirmer les prédictions d’Oliver (1991) qui

envisageait la possibilité de voir des décisions stratégiques se diffuser par imitation.

L’imitation concurrentielle peut ainsi avoir pour objet la structure organisationnelle (Burns et

Wholey, 1993 ; Fligstein, 1985 ; Lee et Pennings, 2002 ; Palmer et al., 1993), le

positionnement stratégique (Greve, 1995, 1996, 1998), les modalités de développement

retenues par l’organisation (Stearns et Allan, 1996), ou encore la stratégie internationale de

l’entreprise (Guillén, 2002, 2003 ; Henisz et Delios, 2001 ; Webb et Pettigrew, 1999).

L’imitation de pratiques largement répandues

Malgré quelques exceptions notoires42, la relation entre la fréquence d’une pratique, d’une

structure, ou d’une stratégie au sein d’un champ organisationnel et son adoption a été établie

par de nombreux travaux. Ces résultats viennent confirmer l’existence d’une « imitation

fondée sur la fréquence » (Haunschild et Miner, 1997 ; Williamson et Cable, 2003). Henisz et

Delios (2001) montrent que le choix d’un pays d’implantation par une entreprise japonaise et

largement conditionné par le nombre d’entreprises s’étant déjà installées dans ce pays.

42 A titre d’exemple, Davis (1991) parvient à des résultats non significatifs lorsqu’il étudie le lien entre la mise en place de poison pills par une organisation et la fréquence de telles pratiques dans son industrie.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

100

Cette relation est particulièrement forte lorsqu’une décision stratégique43 a préalablement été

adoptée par des organisations qui appartiennent au même secteur d’activité que l’organisation

imitante (Fligstein, 1985 ; Henisz et Delios, 2001 ; Palmer et al., 1993).

Des phénomènes d’imitation concernant des décisions stratégiques ont ainsi été mis en

lumière chez les radios musicales américaines (Greve, 1995, 1996, 1998), les agents de

crédits américains (Haveman, 1993), chez les cabinets d’expertise comptable aux Pays-Bas

(Lee et Pennings, 2002).

L’imitation comme moyen de légitimation

Prolongeant le travail fondateur de Tolbert et Zucker (1983), à propos de l’adoption de la

réforme du service civil par les municipalités américaines, plusieurs recherches mettent en

exergue la fonction légitimatrice de l’imitation. Conformément aux propositions néo-

institutionnalistes, les organisations adoptent des pratiques, des structures organisationnelles,

ou des stratégies largement diffusées afin de se légitimer au sein de leur champ

organisationnel d’appartenance. Ces motivations institutionnelles seraient particulièrement

saillantes lors des phases finales du processus de diffusion (Burns et Wholey, 1993 ; Westphal

et al., 1997), durant lesquelles l’innovation a acquis une valeur symbolique liée à son statut de

taken-for-granted (Westphal et Zajac, 1994).

Dans une étude consacrée à l’adoption des programmes de qualité totale par les hôpitaux

américains, Westphal, Gulati et Shortell (1997) mettent en évidence la relation entre le

conformisme des organisations et leur légitimité. Si la démarche des chercheurs, consistant à

s’appuyer sur les notes attribuées par le JCAHO44 aux hôpitaux est contestable, notons ici

qu’il s’agit d’une des rares tentatives de mesure directe de la légitimité. Les résultats de

l’étude montrent que la mise en place tardive de programmes de qualité totale améliore la

notation des hôpitaux alors qu’elle détériore leurs performances.

S’intéressant à la communauté médicale britannique, Broadent, Jacobs et Laughlin (2001)

montrent, de leur côté, que la crainte d’une perte de légitimité peut, elle aussi, être à l’origine

de comportements imitatifs. Les acteurs de la communauté médicale adopteraient de

nouvelles pratiques comptables et financières de crainte de se trouver isolés. Les spécificités

43 Décisions liées au positionnement, à la stratégie corporate (diversification, internationalisation) ou au choix d’une structure organisationnelle. 44 Joint Commission on the Accreditation of Healthcare Organizations.

Première partie : Revue de la littérature

101

du cas étudié par les trois auteurs laissent néanmoins planer certaines interrogations quant à la

nature, coercitive ou mimétique, des pressions institutionnelles à l’œuvre. Les pratiques qu’ils

étudient s’inscrivent, en effet, dans les réformes successives du système de santé introduites

par le gouvernement britannique.

Les deux cas étudiés par Touron (2005) permettent de lever cette ambigüité. Le chercheur

s’intéresse à l’adoption de normes comptables américaines par deux grandes entreprises

françaises (Rhone Poulenc et Saint-Gobain) dans les années soixante-dix. Cette période

précède la création l’International Accounting Standard Committee (IASC). D’autres normes

comptables étaient alors préconisées par les autorités de régulation françaises. C’est ici la

quête de légitimité, traduite par la volonté des entreprises d’afficher leur dimension

internationale, qui est décrite comme le facteur essentiel ayant conditionné l’adoption des

normes comptables américaines.

Lorsqu’elle est liée à une quête de légitimité de l’organisation, l’imitation peut néanmoins

demeurer superficielle. Whestphal et Zajac (1994) soulignent ainsi le caractère largement

cérémoniel de l’adoption de système incitatifs de rémunération à destination des dirigeants

par les grandes entreprises américaines.

S’intéressant aux politiques de prévention du harcèlement moral mises en œuvre par les

municipalités finlandaises, Salin (2008) aboutit à des conclusions comparables et s’étonne

d’une tendance manifeste au « copier/coller » dans les documents officiels : ce sont souvent

les mêmes expressions, voire les mêmes paragraphes, qui sont utilisés par les municipalités

pour attester de leurs bonnes pratiques. Cette pratique, utilisée par ces collectivités en vue de

maintenir leur légitimité, laisse planer un sérieux doute quant à la mise en œuvre effective des

politiques de prévention du harcèlement moral.

L’imitation de modèles légitimes

Même si les organisations imitées ne sont pas toujours celles qui sont les plus admirées

(Labianca et Fairbank, 2005), plusieurs travaux viennent accréditer l’idée d’une sélection des

modèles en fonction de leur légitimité.

Dans le cadre d’un travail consacré aux agents de crédits d’assurances britaniques, Webb et

Pettigrew (1999) montrent, par le biais d’une méthodologie originale (étude longitudinale

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

102

combinant données qualitatives et quantitatives), que les stratégies d’internationalisation de

Prudential et General Accident (les deux leaders du secteur) sont largement reprises par les

concurrents du secteur. Reprenant des extraits d’entretiens réalisés auprès de managers, les

deux chercheurs font par ailleurs état d’une forme d’admiration à l’égard de ces deux

entreprises. Cette dernière observation est cohérente avec l’idée d’une sélection des modèles

sur la base de leur légitimité.

La dimension qualitative de l’étude de Webb et Pettigrew permet d’appréhender la légitimité

des modèles comme un statut leur étant conféré par des acteurs extérieurs. Dans leur grande

majorité, les travaux qui cherchent à intégrer cette dimension le font cependant de façon

indirecte en considérant que les modèles légitimes sont des organisations sélectionnées en

fonction de leur taille ou de leurs bonnes performances.

Pour décider de leurs lieux d’implantation, les banques japonaises de la région de Tokyo

auraient ainsi eu, au début du siècle, tendance à choisir leurs modèles sur la base de leur taille

(Greve, 2000) : « l’isomorphisme peut ainsi se produire lorsque des organisations de petite

taille scrutent le comportement d’organisations de taille plus importante en vue d’obtenir des

indications quant aux comportements normaux appropriés aux grandes organisations et, en

imitant ces dernières, deviennent plus homogènes » (Greve, 2000, p.831)45. Ce résultat rejoint

ceux obtenus par Haunschild & Miner (1997) et par Williamson et Cable (2003) et qui ont été

évoqués plus tôt (imitation fondée sur les caractéristiques du modèle / chapitre 1 / section 4).

Partant du principe que l’existence de modèles de grande taille constitue un facteur

contribuant à la dynamique isomorphique, certains chercheurs ont, par extension, posé et

vérifié l’hypothèse selon laquelle l’influence des pressions mimétiques serait plus forte dans

les industries fortement concentrées (Aerts et al., 2006 ; Westphal et al., 2001).

La légitimité peut également être attribuée par les acteurs du champ à des organisations en

raison de leurs bonnes performances commerciales et financières. Henisz et Delios (2001)

démontrent ainsi que dans le cadre de leur stratégie d’internationalisation, les multinationales

japonaises ont tendance à choisir les mêmes pays d’implantation que ceux précédemment

retenus par des organisations leaders dans leur secteur d’activité. Dans un article intitulé

45 “Mimetic isomorphism can result when initially different small organizations look to large organizations for clues on what behaviors are normal for a large organization and, by imitating those behaviors, be- come more homogeneous.”

Première partie : Revue de la littérature

103

« follow the leader », Haveman (1993) souligne, quant à elle, que les agents de crédits

américains ont tendance à répliquer les décisions d’entrée sur de nouveaux marchés de leurs

concurrents les plus performants. Stearns et Allan (1996) intègrent l’imitation des leaders

dans un modèle plus général, expliquant la vague de fusions-acquisitions aux Etats-Unis dans

les années quatre-vingt. Initiée par des organisations marginales (en termes de statut), à la

suite d’une évolution de l’environnement, la vague est amorcée lorsque les pionniers sont

copiés en raison de leurs bonnes performances financières. Les fusions-acquisitions

s’institutionnalisent, ce qui a pour conséquence de créer un effet boule de neige

(« bandwagon effect ») auquel un nouveau choc environnemental viendra mettre un terme.

Dans le cas de groupes multinationaux, certaines filiales peuvent également jouer le rôle de

modèle. Prolongeant les propositions de Kostova et Zaheer (1999), l’existence d’un

mimétisme intra-organisationnel a ainsi été vérifiée (Davis, Desai et Francis, 2000 ; Kostova

et Roth, 2002 ; Lu, 2002 ; Tixier, 2004). Pour élaborer leurs stratégies d’internationalisation,

les filiales les moins expérimentées ont, par exemple, tendance à imiter d’autres unités du

même groupe (Lu, 2002), en particuliers lorsque les initiatives mises en place par ces

dernières ont été couronnées de succès. Ce constat amène certains auteurs à identifier un

phénomène de dualité institutionnelle : les filiales subissent des pressions qui émanent à la

fois de leur environnement externe et interne (Davis et al., 2000 ; Kostova et Roth, 2002 ;

Tixier, 2004).

Du lien entre incertitude et imitation

Sans reprendre dans le détail les travaux cités dans le chapitre précédent, rappelons, enfin, que

plusieurs chercheurs ont cherché à établir un lien entre imitation et incertitude, rejoignant

ainsi les propositions de DiMaggio et Powell (1983), mais aussi de Keynes (1934, 1937), des

théoriciens de conventions (Gomez 1996, Orléan 2004) et de l’information en cascade

(Banerjee 1992, Bickchandani, Hirshleifer et Welch, 1998).

Malgré l’importance de l’argument fondé sur l’incertitude dans les théories consacrées à

l’imitation, force est néanmoins de constater le faible nombre de travaux cherchant à établir

empiriquement cette relation. Si certaines tentatives sont couronnées de succès (Gygax et

Griffiths, 2007 ; Haunschild et Miner, 1997), les résultats sont souvent peu significatifs. Pour

ne citer qu’un seul exemple, Haunschild (1994) dans une étude consacrée aux primes

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

104

d’acquisitions versées par les entreprises américaines, ne parvient pas à mettre en évidence le

rôle catalyseur de l’incertitude dans les phénomènes d’imitation.

Le caractère mitigé de ces résultats laisse suggérer une relation complexe entre incertitude et

imitation, ne pouvant se traduire par une simple corrélation. Un autre élément d’explication

possible réside dans la définition de l’incertitude qui est adoptée. En effet, les travaux

empiriques existants assimilent souvent l’incertitude à un état objectif de la nature46 et ne

s’appuient pas sur les travaux existants (Koopmans, 1970 ; Milliken, 1987 ; Williamson,

1994) pour distinguer différents types d’incertitude.

Partant du principe que l’incertitude n’est pas appréhendée de la même façon par toutes les

organisations, Henisz et Delios (2001), dans leur étude consacrée aux stratégies

d’internationalisation de entreprises multinationales japonaises, font ainsi apparaître une

relation positive entre l’inexpérience des entreprise et leur propension à l’imitation. De son

côté Greve (1995) parvient à établir que les stations de radio détenues par des grands groupes

médias, supposées avoir accès à plus d’informations et donc être moins exposées à

l’incertitude, pratiquent moins l’imitation que les autres.

Des limites récurrentes

Sans nier la force de conviction de ces travaux empiriques, il est possible de noter certaines

limites en regrettant, à la suite de Mizruchi & Fein (1999), que la théorie néo-institutionnelle

y soit souvent reprise de façon succincte, réductrice, pour ne pas dire caricaturale. La

dimension souvent symbolique et cérémonielle de la citation de l’article séminal de DiMaggio

et Powell offre ainsi la parfaite illustration des thèses néo-institutionnalistes (DiMaggio,

1995).

« En l’espace de quelques années, l’article est devenu une sorte de citation rituelle pour appuyer l’idée qu’en fait, les organisations seraient un peu bizarres et que les individus ne seraient jamais rationnels, alors que figurent dans le sous-titre de l’article les termes de “rationalité collective” » 47

DiMaggio (1995, p.395)

46 Par exemple, Haunschild (1994) s’appuie sur la variance dans les cours des entreprises faisant l’objet d’une acquisition. 47 “Within a few more years, the paper had turned into a kind of ritual citation, affirming the view that, well, organizations are kind of wacky, and (despite the presence of "collective rationality" in the paper's subtitle) people are never rational.”

Première partie : Revue de la littérature

105

La limite la plus importante des travaux empiriques existants réside dans le caractère indirect

des mesures qu’ils proposent : la plupart des travaux n’appréhendent pas directement les

phénomènes dont ils sont supposés rendre compte (Mizruchi et Fein, 1999). La seule

constatation que les pratiques se diffusent est souvent considérée comme une preuve

irréfutable de la quête de légitimité des organisations et de l’institutionnalisation des pratiques

(Lee et Pennings, 2002 ; Scott, 1995).

Compte tenu de la diversité des théories consacrées aux phénomènes d’imitation

concurrentielle, plusieurs explications pourraient néanmoins s’appliquer aux cas étudiés. Un

chercheur constatant que les organisations imitent souvent des modèles connaissant des

performances exceptionnelles pour déterminer leur stratégie internationale, pourrait certes

voir dans son observation une validation de l’argument néo-institutionnaliste fondé sur la

légitimité (la performance conditionne la légitimité d’une organisation, les organisations les

plus légitimes sont imitées), mais il pourrait aussi y voir une validation de l’idée, chère aux

théoriciens de la diffusion, que le succès de l’organisation imitée constitue un indicateur des

bienfaits de la stratégie adoptée.

Adoptant des méthodologies quantitatives, la majorité des travaux empiriques existants

ignore, enfin, les micro fondations de la théorie néo-institutionnelle (lesquelles sont

longtemps restées implicites).

d) A la recherche de micro fondations

A la lecture des travaux néo-institutionnalistes, on pourra, en effet, être frappé par la porosité

de la frontière individu/organisation : les individus apparaissant en ombre portée de la quête

de légitimité animant les organisations. Au travers de reformulations des théories néo

institutionnalistes, certains auteurs semblent d’ailleurs faire preuve d’un anthropomorphisme

assumé. Selon Mintzberg et ses collègues (1999, p.299), l’isomorphisme mimétique renvoie à

la volonté des organisations de « convaincre tout le monde qu’elles sont aussi à la pointe de

ce qui se fait de mieux. » Pour Barthélemy (2002, p.52), il les conduit à « copier les

concurrents directs qu’elles admirent le plus ».

Les explications théoriques de la sociologie néo-institutionnelle demeurent cependant

désincarnées : la perception des individus y faisant figure de boite noire (Hasselbladh et

Kallinikos, 2000). Partant du constat que les individus ont longtemps fait partie de la face

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

106

cachée de la théorie néo-institutionnelle, Powell et DiMaggio (1991, p.16), esquissent alors un

véritable programme de recherche : « Trop peu d’efforts ont été entrepris pour rendre

explicites les fondements micro du néo-institutionnalisme. […] Certes, la dimension macro du

néo-institutionnalisme est fondamentale. Il n’en demeure pas moins que toute

macrosociologie repose sur une microsociologie, aussi tacite soit-elle. En conséquence, pour

comprendre pleinement le néo-institutionnalisme, il est nécessaire d’éclairer ces

postulats. »48

La question des fondements micro du néo-institutionnalisme est particulièrement sensible dès

lors qu’est mobilisé le concept de légitimité. Comme le remarque Deephouse (1996), la

légitimité peut à la fois se concevoir comme une propriété objective associable à une

organisation ou comme un processus au cours duquel les acteurs sociaux interviennent

collectivement et subjectivement. L’étude de la légitimité comme processus conduit alors à

postuler un mode de rationalité alternatif à la conception classique sur les individus.

2.3. UN CONFORMISME DE GROUPE : LES THEORIES DE L’IDENTITE SOCIALE

La quête de légitimité des organisations serait-elle le pendant de la quête d’identité animant

les individus ? C’est ce que semblent soutenir les chercheurs Vermeulen et Wang (2005) et

Massini, Lewin et Greve (2005) qui mobilisent les théories de l’identité sociale pour apporter

le complément théorique interindividuel qui manquait à l’analyse néo-institutionnaliste du

mimétisme inter-organisationnel.

48 “There as been little effort to make neoinstitutionalism’s microfoundations explicit […]. We agree that the macro side of neoinstitutionalism […] is central. Yet any macrosociology rests on a microsociology, however tacit. It follows from this that to understand neoinstitutionalism, it is necessary to bring these assumptions to light.”

Première partie : Revue de la littérature

107

Schéma 5

Les théories de l’identité sociale comme micro-fondation de l’isomorphisme mimétique

Les théories de l’identité sociale s’intéressent à la relation entre l’identité d’un individu et son

appartenance (ou sa non-appartenance) à un groupe ou à une catégorie sociale. Compte tenu

de l’importance de cette littérature, il serait impossible d’en proposer ici un panorama

exhaustif. En complément des travaux fondateurs de Tajfel et Turner (Tajfel et Turner, 1986 ;

Turner, 1985), plusieurs ouvrages de synthèse permettent néanmoins d’en dégager un aperçu

global (Abrams et Hogg, 1988 ; Brown, 2000 ; Hogg, 2001, 2003).

a) De l’identité personnelle et de l’identité sociale

Les recherches qui mobilisent le concept d’identité sociale ont pour point commun de

considérer l’identité d’un individu comme multidimensionnelle. Elles procèdent donc

systématiquement à la distinction de l’identité personnelle (« personal self ») qui à trait aux

caractéristiques distinctives d’un individu (par comparaison aux autres individus) et de

l’identité sociale (« social self » ou « relational self ») qui renvoie son à appartenance à une

ou à plusieurs catégorie(s) sociale(s) (Brewer et Gardner, 1996).

Champ organisationnel

(organisations)

Groupe (individus)

Isomorphisme

Pressions mimétiques

Légitimité cognitive

Identité sociale

« Social self »

Auto catégorisation

Comparaison sociale « Ingroup / Outgroup »

« Related attribute similarity »

Comparaison ascendante

« taken-for-granted »

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

108

Le processus de catégorisation

Pour simplifier leur environnement, les individus sont amenés à le segmenter en catégories

rassemblant des objets perçus comme étant similaires sur certaines dimensions. Chaque

information est alors reliée rapidement à une catégorie préexistante au lieu d’être traitée de

façon isolée et unique. Ce phénomène, bien connu des chercheurs en sciences cognitives, est

illustré par Hogg (2001) de façon éloquente : sans avoir recours à une quelconque

catégorisation, un individu qui rencontrerait une créature dotée de quatre pattes, d’une

imposante crinière et de dents menaçantes serait probablement plongé dans l’embarras le plus

total. L’utilisation de la catégorie « lion » ne rendra pas la situation moins délicate : elle

permettra tout de même à l’individu de lui donner du sens, d’avoir une idée de ce qui risque

de lui arriver, de cerner les actions à mettre en œuvre.

Le monde social n’échappe pas au processus de catégorisation. Nous utilisons des critères tels

que l’appartenance à une organisation, l’âge ou la nationalité pour constituer des catégories

sociales (Tajfel et Turner, 1986). Une catégorie sociale rassemblera alors une collection de

caractéristiques typiques censées représenter ses membres (Turner, 1985). Les individus

appartenant à la catégorie sociale des « joueurs de football » pourront par exemple être définis

par un certain nombre d’éléments relatifs à leur équipement (tenue, ballon), à une dextérité

particulière dans la pratique de ce sport, à leur esprit sportif, etc. Ce processus se traduit par

une dépersonnalisation de la perception qu’ont les individus du monde social (Turner, Hogg,

Oakes, Reicher et Wetherell, 1987) : l’autre n’est plus perçu comme un individu unique mais

comme un membre plus ou moins représentatif de sa catégorie sociale. Les caractéristiques

prototypiques prennent alors le pas sur les caractéristiques individuelles (Hogg, 2001 ; Hogg

et Hains, 1996).

Comme tout processus de catégorisation, la catégorisation sociale permet à l’individu de

construire une représentation simplifiée de la réalité. Elle lui permet également de se situer

cognitivement dans son environnement social (Ashforth et Mael, 1989). Pour permettre cette

simplification du monde réel, les individus auront à opérer une segmentation la plus claire

possible qui se traduira par une augmentation des similarités perçues entre les membres d’une

même catégorie sociale et par une augmentation des différences perçues entre des catégories

sociales différentes.

Première partie : Revue de la littérature

109

Le groupe

Le groupe constitue l’objet d’étude privilégié de la psychosociologie. La question de ses

frontières a été traitée à de nombreuses reprises et plusieurs démarches ont pu être adoptées :

nombre d’individus, nombre d’interactions, caractère direct ou indirect des relations, critères

objectifs tels que le territoire occupé par une tribu, les liens de parenté, etc.

En matière d’identité sociale, la solution adoptée est toute autre : le groupe se présente comme

un ensemble d’individus se définissant et étant définis par les autres comme des membres

d’une même catégorie sociale (Tajfel et Turner, 1986). Parce qu’il n’existe que par les

représentations que les individus se font des autres et d’eux-mêmes, le groupe est un construit

cognitif. Les représentations des individus pouvant différer, tout en conservant un certain

degré de convergence, les frontières du groupe seront par définition poreuses et imprécises.

Schéma 6

Le groupe comme une catégorie sociale

Dans ses Lois de l’imitation, Gabriel Tarde (1890 [2001]) proposait une conception très

différente du groupe et y voyait « une collection d’êtres en tant qu’ils sont en train de s’imiter

entre eux ou en tant que, sans s’imiter actuellement, ils se ressemblent et que leurs traits

communs sont des copies anciennes d’un même modèle. »

Sans faire de l’imitation un élément permettant de définir le groupe, les théories de l’identité

sociale pointent également l’existence d’un conformisme de groupe trouvant sa source dans

les processus par lesquels un individu est amené à définir sa propre identité sociale en relation

avec l’appartenance à un groupe particulier (identification sociale).

b) Les processus d’identification sociale

L’identification sociale s’opère au travers de deux processus cognitifs distincts :

l’autocatégorisation et la comparaison sociale (Abrams et Hogg, 1988).

Catégories

Catégories sociales

Groupe

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

110

Le processus d’autocatégorisation

Par l’autocatégorisation, les individus sont amenés à se positionner dans leur environnement

social, à définir leur groupe d’appartenance, « l’ingroup » (ou endogroupe) et leur groupe de

non appartenance, « l’outgroup » (ou exogroupe). Cette idée s’inscrit dans le prolongement

des travaux de Cooley (1902) qui partait du principe que les individus s’intéressaient à la

façon dont ils sont perçus. Le groupe de référence est défini comme la perception par un

individu de sa position relative par rapport à d’autres individus (Hyman, 1942). Un groupe

pourra alors être plus ou moins attractif, en fonction du désir des individus de le rejoindre et

du sentiment d’appartenance éprouvé par ses membres (French et Raven, 1959).

Comme dans le processus de catégorisation sociale décrit plus haut, l’autocatégorisation

s’accompagne d’une dépersonnalisation : en nous catégorisant de la même façon que nous

catégorisons les autres, nous nous dépersonnalisons (Turner, 1999 ; Turner et al., 1987) et

définissons notre propre identité (« self concept ») par rapport aux caractéristiques les plus

saillantes de notre groupe d’appartenance (Brewer, 1991). Par exemple, un individu

s’identifiant au groupe des parents sera amené à associer à sa propre identité les

caractéristiques les plus évidentes permettant de définir ce qu’est un « parent » telles que

conduire un monospace, connaître les paroles de la comptine « Une souris verte », etc.

(Elsbach, 1999).

Plusieurs expériences menées auprès d’étudiants américains (Aron, Aron, Tudor et Nelson,

1991 ; Powell, Koput et Smith-Doerr, 1996) ont confirmé l’existence de tels mécanismes

(identification à un groupe, association des caractéristiques prototypiques à sa propre

identité).

Le processus de comparaison sociale

Par le processus de comparaison sociale, les individus sont amenés à se comparer à d’autres

(Festinger, 1954). Il s’agit pour chaque individu d’élaborer une image de soi (« self esteem »)

positive en se comparant à autrui (Tajfel et Turner, 1986 ; Turner et al., 1987), en percevant

son groupe social d’appartenance comme différent et meilleur que les autres. Le rôle joué par

l’endogroupe (groupe social d’appartenance) est alors double (Brewer et Gardner, 1996).

D’une part, il apporte aux individus une base leur permettant de s’évaluer et d’évaluer les

autres. D’autre part, il permet de définir leur identité sociale en cohérence à l’endogroupe et

par opposition à l’exogroupe. L’utilisation du « nous » (« nous les français », « nous les

Première partie : Revue de la littérature

111

femmes », « nous les chercheurs en Sciences de Gestion ») marque la frontière entre

« ingroup » et « outgroup ».

Des comportements discriminatoires à l’égard des individus extérieurs au groupe social et de

favoritisme à l’égard des membres appartenant au groupe, pourront alors constituer des

moyens d’asseoir une identité sociale positive (Abrams et Hogg, 1988 ; Stangor et Thompson,

2002 ; Wills, 1981).

c) Un conformisme de groupe

La catégorisation du monde social a une influence sur la perception qu’ont les individus des

autres et d’eux-mêmes. Les membres d’une même catégorie se perçoivent comme

relativement similaires, et distincts des autres catégories sociales.

Au-delà des perceptions

Les processus de catégorisation et d’autocatégorisation sont également supposés orienter les

comportements des membres du groupe. Les caractéristiques prototypiques influeraient sur

les attitudes, les émotions et les comportements des individus. L’influence de ce conformisme

intra-groupe est supposée aller croissante avec le degré d’identification des individus à leur

groupe (Doosje, Ellemers et Spears, 1999).

Plusieurs auteurs (Suddaby et Greenwood, 2001 ; Wheeler et Zuckerman, 1977) soulignent,

en outre, que les individus se comparent à des modèles avec lesquels ils partagent déjà

certaines caractéristiques dans un domaine donné (« related attribute similarity »). Un nageur

aura d’autant plus tendance à se comparer à d’autres nageurs lorsque ces derniers atteindront

des résultats sportifs comparables aux siens et qu’ils auront à peu près le même âge que lui

(Zanna, Goethals et Hill, 1975).

En matière de stratégie d’entreprise, l’argument proposé par les approches fondées sur la

comparaison sociale est complété par l’idée que les stratégies développées par des entreprises

appartenant à la même industrie, faisant face aux mêmes contraintes environnementales, ayant

une taille comparable et mobilisant les mêmes ressources sont susceptibles d’êtres plus

facilement transférables (Westphal et al., 2001).

Il a ainsi été démontré que les managers des laboratoires pharmaceutiques chinois calquaient

leurs décisions de diversification sur les stratégies adoptées par des entreprises de taille

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

112

comparable à la leur (Vermeulen et Wang, 2005). Cette idée, selon laquelle le partage de

certaines caractéristiques (en l’occurrence la taille) faciliterait l’imitation rejoint les

prédictions de Scott (1992, p.258). Nous retrouvons également les conclusions avancées par

Fligstein (1991) à l’issue d’une étude des stratégies de diversification des entreprises

américaines, par Haunschild et Beckman (1998) à propos des politiques d’acquisition, par

Kraatz (1995, 1998) à propos du contenu des formations proposées par les écoles américaines

et par Lant et Baum (1995) à propos des pratiques de gestion des hôtels de la région de

Manhattan.

La théorie de la distinction optimale

La quête de conformisme des individus par rapport à leurs alter ego, membres de l’ingroup,

est à mettre en perspective avec leur volonté de se différencier par rapport aux individus qui

ne font pas partie de leur groupe social (Brewer, 1991, 1993) : la volonté d’être conforme et la

volonté d’être différent constitueraient donc les deux faces de Janus d’une même quête

d’identité sociale chez les individus (théorie de la distinction optimale). Ces deux dynamiques

auraient pour conséquence d’accroitre les similarités à l’intérieur d’un même groupe et

d’accroitre les différences entre des groupes sociaux distincts (Jetten, Spears et Manstead,

1999).

Schéma 7

Conformisme intra-groupe et différenciation inter-groupe

Des résultats empiriques mitigés

De nombreux travaux ont cherché à mettre en évidence l’existence d’un conformisme intra-

groupe (voir Cialdini et Goldstein, 2004 pour une synthèse de ces résultats) susceptible de

concerner émotions, attitudes, opinions ou encore comportements. Abrams et ses collègues

(Abrams, Wetherell, Cochrane, Hogg et Turner, 1990) ont par exemple répliqué l’expérience

« de la petite lumière » imaginée par Sherif (1935) en prenant soin de constituer des groupes

sociaux distincts chez les sujets. Les résultats sont conformes aux prédictions théoriques

mentionnées plus haut : les opinions des sujets ont d’autant plus tendance à s’éloigner de

Première partie : Revue de la littérature

113

celles des autres dès lors qu’ils perçoivent ces derniers comme extérieurs à leur propre groupe

social.

Comme en témoignent les résultats obtenus par Terry et Hogg (1996), la relation entre le

comportant d’un individu et son degré d’identification d’un individu à un groupe social

semble cependant plus difficile à établir. Lors d’expériences menées dans une université

australienne auprès d’étudiants, les deux auteurs ont cherché à montrer que les normes

comportementales du groupe avaient une influence sur le comportement des individus. Les

expériences se focalisaient sur deux types de comportements : la pratique d’une activité

sportive et l’utilisation d’une crème solaire. Si l’influence du groupe semble réelle sur les

intentions de comportement des individus (intention de pratiquer une activité sportive ou

d’utiliser une crème solaire), elle demeure néanmoins difficile à prouver dès lors que l’on

s’intéresse au comportement réel de ces derniers (pratique effective d’une activité sportive,

utilisation réelle d’une crème solaire). Si le contact régulier avec des amis sportifs a pu donner

envie aux sujets qui ont participé l’expérience de faire du sport, ces derniers n’ont pas semblé

enclins à les imiter effectivement.

On peut se demander si les résultats auraient été différents si l’expérience avait porté sur

d’autres types de comportements (consommation de drogue, ou d’alcool par exemple). En

outre, la difficulté à faire le lien entre appartenance à un groupe et comportement tient

probablement à la nature pluridimensionnelle et changeante de l’identité sociale (Turner,

1999) : un même individu peut s’identifier, en fonction du contexte, à différents groupes

sociaux (parfois simultanément).

Un statut social

Comme précédemment mentionné, le processus de comparaison social permet aux individus

de s’évaluer et d’améliorer leur estime-de-soi. Se pose alors la question du choix du modèle

pour établir cette comparaison. Selon Festinger (1954), les individus auraient tendance à

adopter un principe de « comparaison sociale ascendante » (« upward comparison ») visant à

se comparer à meilleur que soi.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

114

Cette idée a été vérifiée empiriquement au travers d’expériences menées auprès de groupes

d’étudiants (Wheeler, 1966)49 et de joueurs de bridge (Nosanchuk et Erickson, 1985)50. Elle

pourra venir appuyer la thèse tardienne selon laquelle les innovations se diffuseraient des

« classes supérieures » vers les « classes inférieures » (Tarde, 1890 [2001]). Dans un ouvrage

provocateur et caustique, le sociologue Thorstein Veblen (1899 [2007]) décrivait également

des phénomènes de ce type. Cherchant à améliorer leur statut social, les consommateurs

auraient tendance à s’identifier aux classes les plus privilégiées et à imiter leurs habitudes de

consommation, quitte à supporter des coûts plus élevés (émulation pécuniaire).

Ces derniers, membres d’une classe de loisirs feraient quant à eux l’acquisition de biens hors

de prix afin de se distinguer des classes défavorisées. Le prix prohibitif étant de nature à

décourager les consommateurs les moins fortunés, il constituerait la garantie pour les

membres des classes favorisées de voir leur statut social se maintenir51. On parle alors de

consommation ostentatoire.

« Dans toute bonne société industrielle, l’assise la plus fondamentale du bon renom, c’est la puissance pécuniaire ; le moyen de briller en ce domaine, et par là de se faire ou de garder une réputation, c’est d’avoir du loisir et de consommer pour la montre. »

Thorstein Veblen (1899 [2007], p.57)

49 De faux résultats à un test écrit sont remis aux étudiants. Les étudiants sont placés dans des petits groupes et obtiennent systématiquement la note médiane et un classement de 4/7. Le chercheur demande alors à chaque étudiant de quelle autre personne il aimerait connaître la note. La plupart des étudiants demandent à connaître la note obtenue par la personne étant classée juste avant eux. 50 Des joueurs de bridge peuvent s’entretenir avec d’autres joueurs à propos du jeu et de ses stratégies. La plupart des joueurs demandent à obtenir des conseils émanant de joueurs plus expérimentés et bien meilleurs qu’eux-mêmes. 51 La relation positive (à qualité équivalente) entre la consommation d’un produit et son prix, qualifiée « d’effet Veblen », a suscité de très nombreuses recherches en marketing (Bagwell et Bernheim, 1996 ; Braun et Wicklund, 1989) dont la présentation déborderait largement du cadre de la recherche.

Première partie : Revue de la littérature

115

Synthèse 8

Points essentiels des théories de l’identité sociale

Auteurs clés : Festinger ; Tajfel, Turner, Hogg / Champ disciplinaire : Psychologie sociale Niveaux d’analyse : individu et groupes d’individus

� Les individus sont mus par une quête d’identité sociale positive qui les amène à se positionner dans leur environnement social.

� Par un processus d’auto-catégorisation, ils associent à leur propre identité des traits qu’ils perçoivent comme étant caractéristiques de leur groupe social d’appartenance (ingroup).

� Par un processus de comparaison sociale, ils se comparent à d’autres individus afin de construire une identité sociale positive. Ils perçoivent les caractéristiques de l’ingroup comme très différentes de celles des autres groupes.

� Ces processus sont supposés engendrer un conformisme intra-groupe. Les membres d’un même groupe social s’imiteraient les uns les autres et adopteraient les mêmes opinions, attitudes et comportements.

� La volonté de se distinguer des autres groupes sociaux (comparaison sociale) aurait pour conséquence l’accroissement des différences entre les groupes sociaux (théorie de la distinction optimale).

� Le processus de comparaison sociale ascendante permet d’envisager la possibilité d’une imitation des groupes de statut social élevé par les groupes de faible statut social. Cette idée est cohérente avec les phénomènes décrits par Veblen et Tarde.

2.4. LES GROUPES STRATEGIQUES COGNITIFS : IDENTITE ET STRATEGIE

En stratégie, des développements empiriques conséquents viennent accréditer l’idée d’une

convergence stratégique des entreprises perçues par leurs dirigeants comme identiques.

Rompant avec une tradition « objective » issue de l’Economie Industrielle qui tendait à

appréhender les groupes stratégiques comme des groupes d’organisations poursuivant la

même stratégie et faisant face aux mêmes conditions environnementales (Hunt, 1972 ; Porter,

1979), la littérature consacrée aux « groupes stratégiques cognitifs » voit en l’environnement

concurrentiel « une représentation mentale composée principalement de catégories de

concurrents perçus comme similaires » (Dornier, 2004, p.40).

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

116

a) Les groupes stratégiques cognitifs

Devant faire face à l’incertitude et étant dotés de capacités cognitives limitées, les dirigeants

des entreprises catégoriseraient ainsi leur environnement concurrentiel par un mécanisme

similaire à celui décrit précédemment (Dutton et Jackson, 1987). Cette opération de

catégorisation, étudiée empiriquement par Reger et Huff (1993), permettrait notamment aux

dirigeants de produire une image simplifiée de l’environnement de leur organisation afin de le

rendre intelligible. Produits de ce processus de catégorisation (Peteraf et Shanley, 1997), les

groupes stratégiques perçus par le dirigeant ne sont pas forcément composés de firmes en

concurrence directe les unes avec les autres (Labianca et Fairbank, 2005) et peuvent n’être

que partiellement liés à la réalité matérielle de la concurrence (Lant et Baum, 1995 ; Porac et

Thomas, 1990). Cette dernière remarque est importante étant donné que la façon dont les

dirigeants se représentent leur environnement a une influence tant sur leurs décisions

stratégiques (Porac et Thomas, 1990 ; Porac et al., 1989) que sur la structure de l’industrie

(Johnson et Hoopes, 2003 ; Porac, Thomas, Wilson, Paton et Kanfer, 1995).

Même si la référence aux théories de l’identité sociale est, pour les auteurs à l’origine du

courant des « groupes stratégiques cognitifs », loin d’être systématique, ces deux champs

apparaissent comme grandement complémentaires. Alors que certaines questions sont propres

au courant des « groupes stratégiques cognitifs » (concordance ou diversité des

représentations concurrentielles, lien avec la performance), de nombreux centres d’intérêts

sont partagés avec les théoriciens de l’identité sociale. Il en est ainsi de la relation entre

l’appartenance à un groupe et les comportements (ici étudiés sous l’angle des décisions

stratégiques). De la même façon que les individus se catégorisent dans un groupe social

donné, les dirigeants définissent leur groupe stratégique cognitif d’appartenance en comparant

les traits les plus saillants de leur organisation aux caractéristiques prototypiques du groupe

(Porac et al., 1989). Les autres membres du groupe peuvent alors être perçus comme des

concurrents directs (Porac et Thomas, 1990 ; Porac et al., 1989)52.

52 Cette idée est amendée par Johnson et Hoopes (2003) qui expliquent que des stratégies de coopération peuvent exister à l’intérieur du groupe, en particulier lorsqu’il existe des effets de réseau.

Première partie : Revue de la littérature

117

b) Une identité de groupe

En intégrant l’idée que les organisations, tout comme les individus, ont une identité (Albert et

Whetten, 1985 ; Dutton et Dukerich, 1991 ; Dutton, Dukerich et Harquail, 1994 ; Fiol et Huff,

1992)53, Peteraf et Shanley (1997) développent le concept d’identité du groupe stratégique :

un système de compréhension réciproque, et de croyances communes (Porac et al., 1989),

entre les membres d’un même groupe stratégique cognitif, au regard de ses caractéristiques

prototypiques54. En présence d’organisations à statut élevé, lorsque les organisations sont

localisées au même endroit, ou lorsque les liens sociaux sont denses entre ces dernières, elles

peuvent s’identifier à leur groupe cognitif d’appartenance.

Peteraf et Shanley expliquent que ces dernières ont alors tendance à imiter les attitudes et les

orientations les plus saillantes dans leur groupe cognitif ce qui contribuera à la convergence

stratégique. Les dirigeants copient la stratégie des organisations appartenant au même groupe

que la leur, en particulier lorsqu’ils ne considèrent pas ces dernières comme des concurrents

directs (Johnson et Hoopes, 2003).

c) Le groupe stratégique, un espace de comparaison sociale

Le groupe stratégique d’appartenance est un groupe de référence. Par un processus proche de

la comparaison sociale, les dirigeants ont ainsi tendance à faire preuve d’une certaine myopie

stratégique en se comparant, non pas avec toutes les entreprises du secteur, mais seulement

avec celles qui sont situées dans leur propre groupe stratégique (Fiegenbaum et Thomas, 1995

; Mbengue, 1992 ; Porac et al., 1989 ; Vermeulen et Wang, 2005).

Incarné par des organisations prototypiques considérées par les dirigeants comme

particulièrement représentatives (Mbengue, 1992 ; Porac et al., 1989), le groupe constituerait

un espace cognitif propice à l’imitation. Les résultats proposés par Dornier (2004), qui

montrent notamment que les voyagistes français considèrent que l’imitation est une pratique

plus répandue à l’intérieur de leur propre groupe stratégique cognitif que dans le secteur pris

dans son ensemble, permettent d’accréditer cette idée.

53 Une réponse utilisée par ses membres à la question : « quelle genre d’organisation sommes-nous ? » (Albert et Whetten, 1985), un ensemble de caractéristiques distinctives, stables et centrales permettant de définir l’organisation. 54 On remarquera que cette conception implique que les représentations concurrentielles des dirigeants convergent, au moins dans une certaine mesure.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

118

Dans le même état d’esprit, Paniagiotou (2007) met en exergue la fréquence des pratiques de

« benchmarking », consistant à se comparer à des organisations de son propre groupe et à les

imiter. Les réponses stratégiques adoptées par les membres d’un même groupe à un choc de

l’environnement identique ont, par ailleurs, tendance à converger. Le même constat est réalisé

Barreto et Baden-Fuller (2006) qui montrent que les banques portugaises ont tendance à

imiter les organisations appartenant à leur groupe de référence.

Pour certains auteurs néanmoins, le lien entre groupe de référence et propension à l’imitation

est plus subtil. Les innovateurs et les imitateurs auraient des groupes de référence différents :

les innovateurs auraient tendance à se comparer à d’autres entreprises innovantes du secteur

alors que les imitateurs se compareraient à des entreprises moyennes (Massini et al., 2005).

DeSarbo et Grewal (2008) viennent également nuancer ces conclusions en reconnaissant, à la

suite de Reger et Huff (1993) et de McNamara et ses collègues (2003), que certaines

entreprises peuvent être associées de façon plus forte que d’autres aux caractéristiques

typiques du groupe (« core firms »). Les « secondary firms », qui occupent une position plus

périphérique, serait ainsi au contact d’autres groupes stratégiques cognitifs et soumis à des

influences multiples. L’intersection de ces différents groupes est appréhendée au travers du

concept de « groupe stratégique hybride ».

Synthèse 9

Points essentiels de l’approche par les Groupes Stratégiques Cognitifs

Auteurs clés : Reger & Huff, Porac et Thomas / Champ disciplinaire : Stratégie Niveaux d’analyse : organisations, groupes d’organisation, industrie

� Les décideurs catégorisent leur environnement stratégique en groupes stratégiques pour le rendre intelligible.

� Les groupes stratégiques cognitifs rassemblent des concurrents perçus comme

similaires.

� Les entreprises qui appartiennent au même groupe stratégique cognitif peuvent se considérer comme des concurrents directs.

� Les entreprises d’un même groupe stratégique cognitif peuvent développer une identité de groupe à l’origine d’une convergence stratégique.

� Elles vont alors imiter les caractéristiques prototypiques de leur groupe et prendre ce dernier comme référence.

� Ce processus proche de la comparaison sociale explique l’existence de pratiques de

« benchmarking » intra-groupe.

Première partie : Revue de la littérature

119

La section qui se termine est consacrée à des courants théoriques qui s’éloigne de la

conception instrumentale de la rationalité humaine et ont une approche évaluative de

l’imitation. Ces théories ont été regroupées en quatre grandes approches qui ont fait l’objet

d’encadrés de synthèse : (1) théorie mimétique, (2) sociologie néo-institutionnelle, (3)

théories de l’identité sociale et (4) théorie des groupes stratégiques cognitifs.

Comme le montre le tableau qui va suivre, ces théories n’adoptent pas le même niveau

d’analyse. La théorie mimétique et les théories de l’identité sociale situent leurs analysent au

niveau des individus et des groupes d’individus alors que la sociologie néo-institutionnelle et

la théorie des groupes stratégiques cognitifs se placent davantage sur un niveau

organisationnel et populationnel.

En faisant état de différentes raisons à l’origine des phénomènes d’imitation, ces approches

théoriques ont une dimension individuelle qui les rend compatible avec la perspective qui

anime notre recherche. Les raisons individuelles qu’elles mettent en avant nous permettront

d’étudier les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales

françaises.

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Première partie : Revue de la littérature

121

3. RAISONS ET PRATIQUES D’IMITATION CONCURRENTIELLE

Ce chapitre nous a permis de dresser un panorama assez large des théories qui se sont

intéressé à la thématique de l’imitation. Notre objectif était ici de comparer ces approches en

faisant ressortir les raisons individuelles qu’elles plaçaient au cœur des phénomènes

d’imitation. Même lorsque ces théories ne traitent pas du sujet particulier de l’imitation

concurrentielle et adoptent une perspective plus globale, elles nous livrent des enseignements

qui peuvent être mobilisés dans le cadre de notre recherche.

Cet exercice de revue de la littérature a pour finalité de nous permettre, sur la base des raisons

individuelles mises en évidence, d’identifier des pratiques d’imitation concurrentielle chez les

programmateurs des radios musicales et d’analyser de quelle façon elles contribuent à la

fabrication de la stratégie des radios musicales (nous retrouvons ici l’orientation « stratégie as

practice de notre recherche »).

Deux grandes approches ont pu être identifiées dans la littérature en fonction des modèles de

rationalité dans lesquels s’inscrivent les théories recensées : aux approches instrumentales de

l’imitation, nous avons opposé les approches évaluatives. Nous conserverons cette dichotomie

lorsque nous chercherons à articuler le cadre d’analyse de la recherche et que nous

présenterons nos résultats.

Le chapitre qui va suivre prolongera notre revue de littérature. Au-delà des raisons

individuelles au cœur des phénomènes d’imitation, il s’intéressera à un concept récurrent dans

la littérature : l’incertitude. Comme nous avons pu le constater lorsque nous avons présenté

les théories néo-institutionnelles, l’incertitude a pu être décrite comme la principale variable à

l’origine de l’imitation. Nous allons voir que cette idée n’est pas propre à la sociologie néo-

institutionnelle et qu’elle est présente dans de nombreux courants de recherche.

En dépit de cet intérêt commun pour l’incertitude, ces courants ne conçoivent pas de la même

manière les situations qu’ils décrivent. En conséquence, les comportements d’imitations

auxquels ils s’intéressent et les raisons individuelles qu’ils décrivent ne sont pas les mêmes.

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation

122

RESUME DU CHAPITRE 2

Le premier chapitre de la thèse se concluait à la fois sur un paradoxe (malgré les préconisations souvent émises par les chercheurs en stratégie, les organisations s’imitent) et sur l’ouverture d’une perspective : cerner les rationalités qui sous-tendent les pratiques d’imitation permettrait, à la fois de mieux comprendre les phénomènes d’imitation concurrentielle, mais aussi d’éclairer leur contribution à la stratégie des organisations.

Tel est l’objet du chapitre 2 qui, au travers de la distinction « approches instrumentales » versus « approches évaluatives » de l’imitation se propose d’opérer une première classification des raisons misent en avant dans la littérature existante pour expliquer les comportements imitatifs des organisations et/ou des individus.

Défenseurs d’une conception instrumentale de l’imitation, les travaux recensés en section 1 ont pour point commun de proposer des théories de l’imitation sur les conséquences prévues ou attendues par les décideurs.

Stratégie défensive permettant d’anéantir l’avantage concurrentiel des concurrents, l’imitation pourrait aussi, dans certains cas, contribuer à la performance des organisations imitatrices. Cet « avantage des entrants tardifs » pourrait ainsi trouver sa source dans une diminution des coûts de Recherche et Développement permise par l’imitation, dans la capacité des imitateurs à bénéficier des dernières avancées technologiques, ou dans des mécanismes liés au comportement des consommateurs. Ces arguments sont complétés par les avancées des recherches s’inscrivant dans le courant de « l’apprentissage vicariant », qui associent imitation et apprentissage organisationnel, et par certaines recherches qui considèrent que l’imitation, en permettant à l’organisation de se légitimer au sein de son environnement, constituerait un moyen d’accéder à certaines ressources et d’améliorer les chances de survie de l’organisation. Au-delà de ces conséquences attendues, qui concernent l’organisation, des facteurs plus individuels, liés à la volonté des stratèges de maximiser leur réputation personnelle, peuvent également permettre d’expliquer pourquoi les stratégies d’imitation sont si fréquentes.

En insistant sur la dimension évaluative des rationalités qui sous-tendent l’imitation, les recherches qui font l’objet de la section 2 marquent un tournant radical par rapport aux approches qui ont ouvert ce chapitre. Les émotions, le désir, la quête de légitimité et d'identité sont ainsi à l'origine de comportements imitatifs pouvant, en Sciences de Gestion, expliquer l'existence de stratégies d'imitation concurrentielle.

Inné chez l'être humain, le désir mimétique pousserait les individus à s’approprier des objets possédés par autrui. Dans cette relation triangulaire (objet - sujet - modèle), l'autre peut se poser comme un obstacle à l'accomplissement du désir individuel. Il y a rivalité mimétique : il s’agit de nier l’existence de l’autre en devenant son double monstrueux.

L’imitation concurrentielle peut également trouver son origine dans la quête de légitimité à laquelle se livrent les organisations. Confrontées à des situations caractérisées par un fort degré d’incertitude, les organisations imitent souvent des modèles à forte légitimité (comme par exemple les leaders de leur secteur d’activité). Elles peuvent également imiter les pratiques les plus largement répandues dès lors que celles-ci seront « taken-for-granted » c'est-à-dire perçues dans l’industrie comme normales, allant de soi.

Première partie : Revue de la littérature

123

RESUME DU CHAPITRE 2 (SUITE)

Pour certains auteurs, la quête de légitimité animant les organisations est à mettre en parallèle à la quête d’identité sociale des individus. Les théories de l’identité sociales mettent ainsi en exergue des comportements imitatifs à l’intérieur des groupes sociaux. Après avoir défini leur groupe d’appartenance par un mécanisme d’auto catégorisation, les individus ont en effet tendance à répliquer les caractéristiques les plus saillantes chez les autres membres de leur groupe. En outre, ces derniers se comparent plus facilement avec les autres membres, ce qui peut, encore une fois, expliquer les comportements imitatifs intra-groupe. L’imitation est alors un moyen de renforcer son identité sociale et de se différencier des autres groupes sociaux.

Malgré des résultats empiriques mitigés, les théories de l’identité sociale peuvent trouver un terrain d’application en Sciences de Gestion au travers du concept de « groupe stratégique cognitif ». Les dirigeants catégorisant leur environnement concurrentiel en vue de le rendre intelligible ont tendance à regrouper les concurrents qu’ils perçoivent comme étant similaires dans des « groupe stratégiques ». Par opposition aux approches fondées sur des caractéristiques objectives, on parlera de « groupes stratégiques cognitifs ».

Les entreprises appartenant à un même groupe stratégique, qui se perçoivent souvent comme des concurrents directs, peuvent alors développer une identité de groupe à l’origine d’une convergence stratégique. Comme le groupe social, le groupe stratégique est en effet un espace de comparaison sociale où se développent des pratiques d’imitation concurrentielle comme le « benchmarking ».

Avant d’articuler ces théories au sein du cadre analytique intégrateur qui sera présenté lors de la synthèse de la première partie de la thèse, il est nécessaire de s’intéresser à un facteur de contexte fréquemment décrit comme étant à l’origine des comportements d’imitation. Le chapitre 3 sera ainsi consacré aux liens entre imitation et incertitude.

124

Chapitre 3

L’imitation comme produit de l’incertitude

« Conscients du peu de valeur de notre jugement

individuel, nous veillons à l’aligner sur le

jugement de tous les autres, sans doute mieux

informés. »

John Maynard Keynes, « Théorie générale de l’emploi », 1937.

ans les approches présentées dans le précédent chapitre, l’imitation est appréhendée

comme le produit de raisons individuelles. Une donnée essentielle n’a pas encore été

analysée : le contexte. Tel sera l’objectif de ce chapitre. A l’instar d’Herbert Simon, père de la

rationalité limitée, nombreux sont les auteurs qui refusent d’envisager les décisions

individuelles en ignorant le contexte environnant. Chez Simon, c’est autant le caractère limité

des capacités du cerveau humain que le caractère incertain de l’environnement qui justifient le

rejet du modèle de rationalité véhiculé par l’économie néo-classique. Une façon d’affirmer,

avec Paul Valery, que dans un monde changeant, peuplé d’acteurs mal connus et peu

prévisibles, les décideurs sont contraints de « tenter de vivre »55.

Ce chapitre sera consacré aux approches théoriques qui ont placé l’incertitude au cœur des

comportements imitatifs. L’idée selon laquelle l’imitation constituerait ainsi un moyen de

surmonter des situations caractérisées par un fort degré d’incertitude (Cyert et March, 1963 ;

March, 1981 ; March et Olsen, 1989) est une thèse largement reprise dont on pourra trouver,

dans les expériences pionnières menées par Sherif et Asch, un creuset commun auquel sera

consacrée la section ouvrant ce chapitre.

55 C’est à Romelaer et Lambert (2001) que nous devons cette référence et son utilisation dans une réflexion consacrée à l’incertitude.

D

Première partie : Revue de la littérature

125

Les sections suivantes seront consacrées aux théories qui en découlent, qu’il s’agisse des

travaux consacrés aux phénomènes d’information en cascade (section 2) ou de ceux issus de

la théorie des conventions (section 3). Cet intérêt porté à l’incertitude ne nous amènera

cependant pas à renoncer à la dichotomie « approches instrumentales » versus « approches

évaluatives » qui nous a jusqu’ici servi de fil conducteur. Les travaux consacrés à

l’information en cascade restent ainsi ancrés dans une conception performative et

instrumentale. A l’opposé, la théorie des conventions s’appuie sur une conception de la

rationalité fondée sur ce qui semble approprié (March et Olsen, 1989).

Ces éléments théoriques viendront alimenter le cadre d’analyse qui sera présenté à l’issue de

la première partie de la thèse. Ce cadre analytique aura plusieurs objectifs : (1) il permettra de

préciser et de justifier les questions de recherche de ce travail, (2) il nous orientera dans la

définition des grandes catégories de l’analyse des données, (3) il guidera la restitution de nos

résultats.

1. UN CREUSET COMMUN

Au commencement, il y a l’incertitude, sorte de brouillard empêchant l’exercice de la

rationalité substantive par les individus. Ceux-ci doivent alors s’en remettre à d’autres

mécanismes pour engager leurs actions. Pour les managers il pourra s’agir de réaliser en

interne de certaines tâches (Williamson, 1994), de réduire les coûts de recherche (Cyert et

March, 1963 ; Levitt et March, 1988), de répliquer des décisions passées (Podolny, 1994), de

s’en remettre à des routines (March et Simon, 1993), de recourir à des experts extérieurs tels

que des consultants ou des banquiers d’affaire (Haunschild, 1994)… ou d’imiter les actions

d’autrui.

1.1. DE L’INCERTITUDE

Concept central dans la littérature consacrée à la théorie des organisations, l’incertitude a pu

faire l’objet de plusieurs définitions. A la suite de Milliken (1987), il nous semble possible

d’identifier trois grandes approches.

1. L’incertitude peut, tout d’abord se concevoir comme un déficit d’informations à

propos des relations de cause à effet qui peuvent exister dans le monde du

management (Lawrence et Lorsch, 1967).

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

126

2. Elle peut par ailleurs être définie comme une incapacité à prévoir les conséquences

potentielles d’une décision (Duncan, 1972).

3. L’incertitude a, enfin, pu être définie comme une incapacité des individus à assigner

des probabilités à des états futurs de la nature. Cette définition est par exemple

adoptée par des auteurs classiques comme Pfeffer et Salancik (1978).

Nous retrouvons dans cette dernière définition la conception introduite par Knight (1921) qui,

au travers d’un ouvrage court, Risk, Uncertainty and Profit, fait entrer de façon fracassante

l’incertitude dans le monde statique et certain de l’économie néo-classique. L’incertitude

découle ici de l’incapacité des agents à connaître le lendemain.

a) Un problème spécifiquement humain

Ce problème, nous explique Knight, ne se pose qu’aux êtres dotés de conscience : Seuls les

êtres humains (et peut-être certains animaux précise-t-il) sont capables de voir les « choses

venir ». Cette méconnaissance du lendemain les empêche d’adopter le schéma causal

classique « stimulus / réaction » puisque le stimulus n’existe pas encore au moment de la

réaction. En fait, le stimulus existe… mais d’une façon particulière : il s’agit d’une image,

d’une représentation.

« Fous percevons le monde avant de réagir à celui-ci, et nous réagissons non pas à ce que nous percevons, mais toujours à ce que nous anticipons. »56

Knight (1921, p.201)

S’ils sont doués d’une capacité d’anticipation, les êtres humains n’en sont pas pour autant

infaillibles. Nous pouvons nous tromper et, la plupart du temps, nous nous trompons. Nos

sources d’erreurs sont multiples et peuvent découler d’une piètre connaissance du présent,

d’une information approximative sur les conséquences de nos actions ou de notre incapacité à

respecter nos plans initiaux et à agir comme prévu. Knight se refuse cependant à conclure à

une ignorance totale du lendemain. Notre connaissance (ou notre ignorance) du lendemain est,

selon lui, toujours partielle.

56 “We percieve the world before we react to it, and we react not to what we perceive, but always to what we infer.”

Première partie : Revue de la littérature

127

b) L’incertitude, entre certitude et ignorance

Dans nos expériences de la vie de tous les jours, nous sommes ainsi placés sur un continuum

entre certitude totale et ignorance absolue. Et Knight de présenter quatre types de situations

rendant plus ou moins facile le travail d’anticipation.

Dans le premier type de situations, il sera possible d’anticiper le futur à l’aide de probabilités

a priori (ou probabilités objectives). Ces probabilités sont liées à des propriétés structurelles

de la situation. Ainsi, lorsque je lance un dé (pour peu que le dé soit non pipé), je sais que

structurellement, la probabilité de tomber sur l’une des six faces s’élève à un sixième.

Ces situations sont, selon Knight, extrêmement rares dans la vie de tous les jours. Elles le sont

encore plus dans la vie des affaires. Aussi sommes-nous souvent amenés à formuler des

prévisions à propos du futur en mobilisant des informations passées, en observant un

échantillon représentatif, etc. Les situations du deuxième type permettent l’utilisation de

probabilités statistiques.

Schéma 8

Les quatre degrés d'incertitude selon Knight

Les éléments nécessaires à la construction de probabilités statistiques ne sont pas toujours

disponibles. Il s’agira alors, pour les individus désireux de se projeter dans le futur, de

formuler des estimations en fonction de leur intuition, de leurs sentiments. On se situe ici très

loin de la rigueur mathématique qui était permise dans les deux précédentes situations. Les

probabilités utilisées ne sont alors plus objectives, mais subjectives.

Les trois types de situations qui viennent d’être étudiés reposent sur une hypothèse

commune : la liste des évènements possibles est connue. Elles sont donc au cœur des

phénomènes appréhendés par les travaux qui s’inscrivent dans la tradition des « théories de la

Utilisation

de probabilités

a priori

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Utilisation

de probabilités statistiques

Estimations

Opinions

Situations

de risque (ou incertitude simple)

Situations

d’incertitude radicale

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

128

diffusion » et tendent à considérer, avec Rogers (2003, p.6)57 que l’incertitude renvoie au

nombre d’alternatives que les individus perçoivent et associent à un évènement particulier et

aux probabilité relatives de ces alternatives. Les différences concernent les moyens mis en

œuvre pour mesurer les probabilités de réalisation de chaque évènement et la fiabilité de ces

dernières (les probabilités a priori étant supposées plus fiables que les estimations). Pour

appréhender ces trois types de situations de façon formelle, économistes et statisticiens ont

crée de nombreuses astuces mathématiques permettant, en fait, d’avoir une vision assez

« certaine » de l’incertitude, de la réduire à un « simple » problème de calcul de risque.

Ces « tours de passe-passe » ne doivent néanmoins pas occulter l’existence d’une autre forme

d’incertitude, beaucoup plus profonde en ce qu’elle ne laisse aux individus aucun moyen de

connaître (ou même de se représenter) la liste des évènements possibles. Le futur n’est

d’aucune manière déductible du présent : c’est l’incertitude radicale (« true incertainty »).

Impossible à mesurer de façon scientifique, l’incertitude radicale élimine toute possibilité de

traitement statistique.

c) Des objets divers, des expériences individuelles variées

Comme le remarque Williamson (1994), prolongeant les travaux de Koopmans (1957),

l’incertitude à laquelle sont confrontés les managers peut avoir plusieurs objets. Le fondateur

de la théorie des coûts de transaction distingue ainsi l’incertitude primaire (qui concerne les

évolutions de l’environnement général de l’organisation), l’incertitude secondaire (qui

concerne spécifiquement les actions des autres acteurs économiques, et des concurrents) et

l’incertitude comportementale (qui concerne le comportement des co-contractants actuels et

potentiels de l’organisation et renvoie au risque d’opportunisme). D’autres situations peuvent

néanmoins être susceptibles d’être génératrices d’incertitude, comme par exemple l’apparition

d’une innovation (Rogers, 2003) dont les bienfaits sont a priori méconnus des individus.

L’incertitude ne saurait cependant se définir, exclusivement, comme un état objectif de la

nature. S’intéressant aux décisions stratégiques, Daft, Sormunen et Don (1988) définissent

l’incertitude perçue comme le différentiel entre l’information disponible et l’information

nécessaire pour prendre une décision. Ces auteurs insistent sur deux facteurs

environnementaux susceptibles d’influencer l’incertitude perçue par les managers : la

57 “Uncertainty is the degree to which a number of alternatives are perceived with respect to the occurrence of an event and the relative probabilities of these alternatives.”

Première partie : Revue de la littérature

129

complexité de l’environnement (qui s’accroit à mesure qu’augmente le nombre de paramètres

et d’évènements extérieurs à prendre en compte), et son instabilité.

Pour autant, et comme le souligne Milliken (1987), l’incertitude perçue est susceptible de se

traduire par différents problèmes posés aux managers. L’incertitude perçue par les managers

pourra les placer en situation de manque d’information sur les changements en cours dans leur

environnement, les placer dans l’incapacité de prévoir les conséquences de ces changements

sur leur organisation ou encore d’établir une réponse à mettre en œuvre. Cette différence dans

la façon de concevoir l’incertitude sera au cœur de notre analyse dans la deuxième partie de la

thèse.

S’ils mobilisent la notion d’incertitude (sans forcément adopter la même conception), les

travaux existants qui sont consacrés à la relation entre imitation et incertitude revendiquent

souvent une filiation avec les expériences fondatrices de la Psychologie Sociale. La section

qui suit leur sera consacrée.

1.2. DES TRAVAUX FONDATEURS

Par leurs travaux fondateurs, Sherif (1935) et Asch (1951) ont largement inspiré les

développements théoriques consacrés à la relation entre incertitude et imitation.

a) L’expérience de Sherif

Comment réagir à l’incertitude ? Telle est la question de départ qu’adopte Muzaref Sherif,

chercheur à Columbia et père fondateur de la Psychologie Sociale. Son expérience dite de la

« caverne des voleurs » (Sherif, 1935) est l’une des premières à s’intéresser à la relation entre

imitation et incertitude. Ses résultats sont bien connus : lorsqu’ils doivent faire face à

l’incertitude, les êtres humains ont tendance à se référer aux opinions d’autrui. Placés dans

une salle obscure, les participants à l’expérience doivent estimer la distance les séparant d’une

petite lumière. L’estimation est rendue plus difficile par un effet visuel connu des astronomes,

l’effet autocinetique, qui donne l’illusion du mouvement58. Pour reprendre les termes de

Sherif, « le stimulus est ambigu ».

Lorsqu’ils doivent proposer des estimations de façon autonome, les sujets ont tendance à se

créer une norme personnelle, une fourchette à l’intérieur de laquelle se situent leurs réponses.

58 Cette impression de mouvement est très forte lorsque l’on observe une étoile isolée sur un ciel uniforme. Les raisons qui la provoquent font encore aujourd’hui l’objet de débat au sein de la communauté scientifique.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

130

Cette fourchette est susceptible de différer largement d’un individu à un autre. La situation est

ensuite modifiée. Les sujets sont placés en groupes et ils doivent communiquer, à haute voix,

leurs estimations aux autres participants. Les sujets ont alors tendance à s’imiter les uns les

autres et à faire converger leurs estimations autour d’une norme sociale propre à chaque

groupe. On parle de normalisation. Les groupes peuvent, par ailleurs, voir émerger des leaders

d’opinion, des individus ayant plus d’influence que les autres dans la détermination de la

norme sociale.

Lorsque le déroulement est inversé (la séance est dans un premier temps collective puis

individuelle) il est intéressant d’observer que les sujets ont tendance à conserver la norme

collective pour construire leurs estimations individuelles. Les conclusions de l’expérience

sont résumées par Moscovici (1979) dans sa Psychologie des minorités actives : la

convergence résulte de l’incertitude des participants quant à l’exactitude de leurs réponses.

b) L’expérience de Asch

Les individus peuvent également s’imiter lorsque la réponse à la question qui leur est posée

est évidente. Telle est la conclusion à laquelle parvient Asch à l’issue d’une série

d’expériences devenues célèbres (Asch, 1951, 1971). Un sujet est placé dans un groupe de 7 à

9 personnes. Il ignore que ses acolytes ont été mandatés par le chercheur pour l’induire en

erreur. L’expérience parait simple : il s’agit de comparer une barre test à trois autres barres

pour retrouver celle qui a la même longueur.

Schéma 9

L'expérience de Asch

A B C

Première partie : Revue de la littérature

131

L’expérience est répétée selon un déroulement invariable : le cobaye est systématiquement

l’avant dernier à prendre la parole. Deux fois sur trois, les complices du chercheur annoncent

de façon unanime la même mauvaise réponse. Dans un tiers des cas, le cobaye imite la

majorité dans des réponses qu’il sait, à l’évidence, être les mauvaises.

1.3. KEYNES, LE PREMIER CONVENTIONNALISTE

Dans la sphère économique et managériale, comme dans toute activité humaine, les individus

s’imitent, en particulier lorsqu’ils doivent faire face à des situations d’incertitude (expérience

de Shérif). De tous les pères de la pensée économique, John Maynard Keynes est

probablement celui qui rejette avec le plus de vigueur le postulat d’information parfaite cher

aux néo-classiques et aux libéraux.

Il aura fallu dix années, passées à rédiger son Treatise on Probability (1921), pour que

Keynes se résolve finalement à accepter l’existence du brouillard opaque de l’incertitude

radicale et renonce à objectiver les perceptions subjectives des décideurs par un jeu de

probabilités. Un constat d’échec qui marque le point de départ de la pensée keynésienne. Non,

l’incertitude n’est définitivement pas escamotable par les statistiques. Dès lors, l’essentiel

n’est plus de raccrocher les wagons du modèle d’information parfaite mais d’en modifier les

hypothèses pour s’intéresser au comportement des décideurs devant faire face à ce mur

infranchissable. Aux agents économiques rationnels de l’Economie orthodoxe s’opposent les

agents ignorants, moutonniers, sujets à la panique et sensibles aux rumeurs de l’Economie

keynésienne.

a) Le marché foule

Cette idée est particulièrement saillante dans le chapitre 12 de la Théorie Générale de

l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie (1934 [1969]) qui, au travers de la métaphore du

concours de beauté, offre au lecteur une véritable « théorie dans la théorie ». Ce texte, connu

pour être le premier chapitre achevé de la Théorie Générale, constitue aujourd’hui un socle

fréquemment utilisé par les chercheurs s’intéressant à la relation entre incertitude et imitation.

Au-delà de son point de départ, consistant à affirmer que le futur n’est aucunement déductible

du passé, son originalité réside probablement dans la volonté de l’auteur de fonder sa théorie

sur une psychologie des foules empruntée à Freud. Keynes vouait en effet une admiration au

père de la psychanalyse qui, comme le révèle Bernard Maris, appréciait en retour les écrits de

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

132

cet économiste considéré de son vivant comme un iconoclaste et comme un empêcheur de

penser en rond (Maris, 2007 ; Maris et Dostaler, 2009).Résolument humains, les décideurs

économiques – et en particuliers les investisseurs sur les marchés financiers - sont selon

Keynes en proie à l’hystérie collective et aux esprits animaux. Ce décor, fait de psychologie et

d’incertitude radicale, est également marqué par la coexistence de deux types d’individus. A

la foule aveugle et moutonnière s’opposent des spéculateurs cherchant à anticiper ses

mouvements.

b) Des investisseurs moutonniers

L’incertitude est donc radicale. Keynes ne se contente pas seulement, à la suite de Knight,

d’émettre la distinction entre le probabilisable et le non probabilisable. Il s’intéresse aux

conséquences d’une connaissance incertaine sur les comportements individuels et collectifs.

« Je n’entend pas simplement distinguer ce que l’on considère comme certain, de ce qui est seulement probable. Le jeu de la roulette n’est pas, en ce sens, sujet à l’incertitude […]. Le sens que je donne à ce terme est celui qu’il revêt lorsque l’on qualifie d’incertains la perspective d’une guerre européenne, le niveau du prix du cuivre ou du taux d’intérêt dans vingt ans, l’obsolescence d’une invention récente ou la place des classes possédantes dans l’échelle sociale pendant les années soixante-dix. Pour toutes ces questions, il n’existe aucune base scientifique sur laquelle construire le moindre calcul de probabilité. Simplement : on ne sait pas. »

Keynes (1937 [2002], p.250)

Ne disposant d’aucune base sérieuse pour établir leurs prévisions les individus doivent se fier

à leur intuition, « faire confiance » (Maris, 2007) ou, pour paraphraser Robert Sugden (1989,

p.89), délaisser les axiomes du choix rationnel pour « quelque chose de plus ».

Incapables de décider de façon autonome, les individus peuvent alors imiter ce qu’ils

observent dans leur entourage.

« Conscients du peu de valeur de notre propre jugement individuel, nous veillons à l’aligner sur le jugement de tous les autres, sans doutes mieux informés. Cela signifie que nous cherchons à nous conformer à l’attitude de la majorité ou de la moyenne. La psychologie d’une société faite d’individus qui, tous, cherchent mutuellement à s’imiter, nous conduit à ce qu’il convient d’appeler très précisément un jugement de convention. »

Keynes (1937 [2002], p.250)

Convention, le terme est désormais explicite. Très présent dans la Théorie Générale, il n’a

cependant pas encore acquis le sens que lui donneront les conventionnalistes. Comme le

remarque Bernard Maris, il est utilisé par Keynes comme un synonyme de « confiance ». S’en

Première partie : Revue de la littérature

133

remettre à la convention, c’est donc pour Keynes avoir confiance. Avoir confiance, tout

d’abord, en la poursuite du présent. Avoir confiance, ensuite, en la capacité de l’opinion à

synthétiser les informations disponibles. Avoir confiance, enfin, en la validité des

informations détenues par autrui. La confiance est néanmoins précaire. Aveugle, moutonnière,

ignorante, la foule est sujette à toutes les paniques, sensible à toutes les rumeurs. Elle est en

proie à l’hystérie. Ses sautes d’humeur sont souvent violentes.

« Une évaluation conventionnelle, fruit de la psychologie de masse d’un grand nombre d’individus ignorants, est exposée à subir des variations violentes à la suite des revirements soudains qui suscitent dans l’opinion certains facteurs dont l’influence […] est en réalité assez petite. Les jugements manquent en effet des racines profondes qui leur permettraient de résister solidement. »

Keynes (1934 [1969], p.169)

c) Des loups dans la bergerie

Lieu d’expression privilégié des tendances mimétiques des agents économiques, les marchés

financiers voient également opérer des acteurs d’un tout autre type, des investisseurs

professionnels qui « se soucient beaucoup moins de faire à long terme des prévisions serrées

du rendement escompté d’un investissement […] que de deviner peu de temps avant le grand

public les changements futurs de la base conventionnelle » (Keynes, 1934 [1969], p.170).

Calculateurs et rationnels, ces investisseurs professionnels doivent faire face à une incertitude

moins radicale que le grand public, les mouvements de foule étant plus facilement prévisibles

que les fondamentaux de l’économie.

Ce système dans lequel « chacun cherche à découvrir ce que l’opinion moyenne croit être

l’opinion moyenne » (Keynes, 1934 [1969], p.171) s’apparente alors à un concours de beauté

dans lequel les lecteurs d’un journal doivent voter, non pas pour la candidate qu’ils trouvent la

plus jolie, mais pour celle qui rassemblera le plus de suffrages.

Une opinion moutonnière et ignorante, des spéculateurs retors et calculateurs. Faut-il voir

dans cette dichotomie une trace de l’élitisme avéré de Keynes59 ? Probablement, mais pas

seulement. Le gout de Keynes pour la spéculation l’a amené à diriger la National Mutual Life

59 Le lecteur souhaitant se plonger dans la biographie de Keynes pourra se référer à l’ouvrage d’Alain Minc (2006), Une sorte de diable, les vies de John M. Keynes.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

134

Insurance Company. Le spéculateur du chapitre 12 de la Théorie Générale ressemble trait

pour trait au John Maynard Keynes de la City.

Calculateur, il joue « avec le futur, activité qui terrorise la majorité de la population, qui se

situe plutôt du côté des rentiers, des prudents, de ceux qui n’ont pas d’esprits animaux ou

d’abondante libido » (Maris, 2007, p.38). Derrière la théorie, l’autoportrait d’un Keynes

schizophrène condamnant, dans ses écrits académiques, les pratiques de spéculations qui sont

les siennes dans ses activités extra-académiques.

« Du point de vue de l’utilité sociale l’objet de placements éclairés devrait être de vaincre les forces obscures du temps et de percer le mystère qui entoure le futur. En fait l’objet inavoué des placements les plus éclairés est à l’heure actuelle de “voler le départ”, comme le disent si bien les Américains, de piper le public, et de refiler la demi-couronne fausse ou décriée. »

Keynes (1934 [1969], p.171)

d) Un héritage disputé

De par sa clairvoyance, son ton caustique, la personnalité hors-norme de son auteur, le

chapitre 12 de la Théorie Générale a donné naissance à plusieurs courants de recherche.

S’inspirant de la métaphore keynésienne du concours de beauté, la théorie des jeux de

coordination (ou théorie des jeux évolutionnistes) s’intéresse à des situations dans lesquelles il

importe d’agir comme autrui (Lewis, 1969 ; Schelling, 1960). Le problème est alors de se

coordonner sur une solution unique. L’élément incertain est ici le comportement des autres

acteurs économiques (incertitude secondaire au sens de Koopmans).

La théorie de l’information en cascade et la théorie des conventions font, quant à elles, peser

un tout autre type d’incertitude sur les individus. Ces derniers ne connaissant pas les états de

la nature (incertitude primaire au sens de Koopmans), ils cherchent à obtenir des informations

manquantes ou à rationaliser leurs propres actions par l’imitation d’autrui.

e) Les jeux de coordination

Des automobilistes peuvent choisir de rouler à gauche… ou à droite, tant qu’ils s’accordent

pour rouler du même côté (Schelling, 1960). Des collègues peuvent décider de prendre leur

pause café à 10h ou à 10h30… tant qu’ils prennent leur pause au même moment (Batifoulier,

2001). Nous pouvons utiliser un mot, plutôt qu’un autre (Lewis, 1969)… l’essentiel est de

parler le même langage pour que la communication puisse s’établir. Comme le remarque

Première partie : Revue de la littérature

135

Chiappori (2004), il ne s’agit pas, ici, de renoncer totalement au principe de rationalité mais

de souligner que ce dernier, dans un contexte de pluralité des équilibres, conduit à une

indécidabilité. Tel est le point de départ de la théorie des jeux de coordination qui s’appuie

largement sur les travaux d’un linguiste et philosophe, David K Lewis.

Parce qu’il n’existe pas de solution individuelle sans solution collective, les individus doivent,

se coordonner sur une réponse unique : ils ont une « préférence pour la conformité »

(Batifoulier et Larquier, 2001). Comme dans le concours de beauté keynésien, le problème

porte sur les décisions d’autrui, elles-mêmes conditionnées par les prédictions de ces derniers

sur nos propres décisions : « la prédiction ne porte pas sur le phénomène lui-même mais sur

les prédictions des autres, y compris leurs prédictions sur nos propres prédictions, et ainsi de

suite à l’infini » (Chiappori, 2004, p.108). Pour sortir de l’impasse, ces derniers devront tenter

de prévoir le comportement d’autrui pour s’aligner sur ce dernier.

Cette idée est à l’origine de « l’approche stratégique des conventions »60 qui définit la

convention comme une régularité de comportement R dans une population donnée

d’individus, « un équilibre stable dans un jeu qui admet deux, ou plus, équilibres stables »

(Sugden, 1986, p.32) qui implique qu’ « une partie au moins de la réponse à la question

“Pourquoi chacun fait-il R ?” se trouve dans : “Parce que tous les autres font R” ».

La convention permet de lever l’incertitude en proposant « un accord non explicite »

(Batifoulier et Larquier, 2001, p.11), dont l’adoption permet aux individus d’atteindre une

solution mutuellement avantageuse. Dès lors, une convention se définira comme « la solution

d’un problème de coordination qui, ayant réussi à concentrer sur elle l’imagination des

agents, tend à se reproduire avec régularité » (Dupuy, 1989). La répétition du jeu permet,

selon Lewis de renforcer la convention en constituant un savoir collectif. Nos collègues de

bureau devant définir leur horaire de pause auront d’autant plus tendance à se retrouver à

10h30 qu’ils auront le souvenir de s’être retrouvé à cette même heure la dernière fois que s’est

posé le problème.

60 Le terme « approche stratégique des conventions » est emprunté à Batifoulier et Larquier (2001) pour distinguer une tradition ancrée dans la théorie des jeux visant à résoudre un problème de coordination d’une tradition issue de l’Economie hétérodoxe et de la Gestion, la théorie des conventions, qui appréhende la convention comme un moyen utilisé par les individus pour rationnaliser leurs propres actions en situation d’incertitude.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

136

Encadré 2

Les six conditions de Lewis

Soit une régularité de comportement (R). On parlera de convention si et seulement si :

� Chacun se conforme à R.

� Chacun anticipe que tout le monde s’y conforme.

� Cette croyance est auto-réalisatrice et auto-renforçante.

� Tous les individus préfèrent une conformité générale.

� Il existe au moins une alternative à R.

� Les conditions qui viennent d’être énoncées sont connues de tous.

D’après Lewis (1969)

Le problème de coordination est plus complexe lorsque les joueurs ne peuvent s’appuyer sur

un antécédent. C’est par exemple le cas dans le film Maman j’ai encore raté l’avion et je suis

perdu dans Few-York lorsque le jeune Kevin et ses parents essaient de se retrouver sans

pouvoir communiquer. La coordination s’effectue finalement au pied de l’immense sapin du

Rockfeller Center. Dans ce « jeu du rendez-vous », c’est un élément exogène qui rend cette

solution plus évidente que les autres : l’action se déroule le jour de Noël. Le Rockfeller

Center fait alors office de « point focal », il est une « alternative plus saillante focalisant

l’attention des joueurs » (Schelling, 1960).

Comme le soulignent Metha, Stermer et Sugden (1994), il est possible de distinguer plusieurs

degré de saillance en fonction de la capacité des joueurs à intégrer dans leur raisonnement les

répercutions de leurs propres actions. Un individu pourra ainsi adopter la première solution

qui lui vient à l’esprit (saillance de premier ordre), il pourra aussi adopter la solution qu’il

imagine être la plus évidente chez l’autre joueur (saillance de deuxième ordre). Il pourra enfin

adopter la solution qu’il imagine être adoptée par l’autre joueur lorsque ce dernier cherchera à

se mettre à sa place (saillance de troisième ordre). Les développements théoriques et les

expérimentations empiriques sur ce thème constituent, à n’en pas douter, une voie de

recherche féconde et stimulante61. L’impossibilité des individus d’observer directement les

actions d’autrui (par exemple lorsque les joueurs agissent de façon simultanée) est ici une

condition sine qua non à l’existence du jeu de coordination.

61 On renverra notamment le lecteur à l’ouvrage passionnant édité par les chercheurs du laboratoire Forum de Nanterre (Batifoulier, 2001).

Première partie : Revue de la littérature

137

Dès lors, les individus ne s’imitent pas les uns les autres, mais s’alignent sur une solution

qu’ils imaginent être la solution collective. Il est donc difficile de relier ces développements à

la thématique de la recherche.

f) L’information en cascade et les conventions

Des clients potentiels d’un restaurant se fient au nombre de personnes déjà installées dans la

salle pour estimer la qualité de la cuisine servie dans l’établissement (Banerjee, 1992). Des

cabinets de conseil justifient leur démarche de certification par les pratiques en vigueur chez

les entreprises de service (Isaac, 1996a). Ces deux exemples, empruntés respectivement aux

théoriciens de l’information en cascade et aux conventionnalistes sont quant à eux totalement

liés aux conséquences de l’incertitude sur les comportements imitatifs des agents.

Incapables de trouver par eux même une solution optimale, ils voient en l’imitation d’autrui

un moyen de sortir du brouillard. Rompant avec le présupposé d’autonomie cher aux

économistes néo-classiques, la rationalité devient mimétique (Montmorillon, 1999),

autoréférentielle (Orléan, 2004b). Convient-il, pour autant, de renoncer à toute forme de

calcul ? La réponse est, à notre sens, négative. S’ils diffèrent dans les degrés d’incertitude

qu’ils appréhendent (risque pour les théories de l’information en cascade, incertitude radicale

pour la théorie des conventions), ces deux champs se distinguent également par les modèles

de rationalité qu’ils mobilisent.

A la logique instrumentale visant à s’accaparer les informations détenues par autrui (théories

de l’information en cascades, section 2) s’oppose la logique de justification au cœur de la

théorie des conventions (section 3).

2. UNE INFORMATION EN CASCADE

Lorsque Warren Buffet achète une action, le cours s’envole (Hirshleifer et Teoh, 2003). Cette

observation témoigne de l’intérêt porté à la question de l’imitation par le monde de la finance

de marché. A l’instar de Bruno-Laurent Moschetto, plusieurs auteurs ont souligné le caractère

moutonnier du comportement des intervenants financiers (Moschetto, 1997, 1998).

Cette préoccupation a donné naissance aux théories de l’information en cascade et au courant

du « herd behavior » (littéralement comportement de troupeau) dans lequel les calculs

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

138

individuels doivent « faire avec » l’incertitude. Dans le prolongement des observations

formulées par Keynes, ces travaux cherchent souvent à démontrer que les comportements

mimétiques modifient les équilibres, et à savoir si certains donneurs d’ordres parviennent à en

tirer profit.

Si la réponse apportée à la première question est bien souvent positive, la seconde question est

encore soumise à débat et à discussions. Dans la perspective compréhensive qui anime ce

travail, l’essentiel sera cependant de comprendre les raisons pour lesquelles les intervenants

financiers s’imitent les uns les autres. Au cœur de cette approche, on trouve une idée,

formulée par Orléan (1986) à la lecture des thèses keynésiennes : dans un système où tous les

agents n’ont pas les mêmes informations, chacun plagie celui qui est supposé être le mieux

informé. Une idée simple, qui est le point de départ de nombreux développements

conceptuels.

a) Une source d’information

A la suite de Bikhchandani et ses collègues, on désignera par les termes « information en

cascade » toute situation dans laquelle il est optimal, pour un individu ayant observé les

actions de ceux qui l’ont précédé, d’agir de la même façon en ignorant ses propres

informations (Bikhchandani, Hirshleifer et Welch, 1992).

Si l’agent économique a bien accès à des informations imparfaites et privées (il est le seul à

les détenir), ce dernier est conduit à les ignorer en supposant que les autres sont mieux

informés que lui-même. L’imitation devient donc un moyen de mettre la main sur les données

qui ne sont pas en sa possession (Banerjee, 1992 ; Bikhchandani et al., 1992). Cet accès

demeure fragile : l’équilibre qui en résulte est donc précaire et susceptible d’être modifié à

l’arrivée d’une nouvelle information ou lorsqu’une évolution des conditions extérieures, aussi

minime soit-elle, se produit (Bikhchandani et Sharma, 2000).

Plusieurs auteurs remarquent également que les agents économiques n’ont pas la même

influence selon le niveau de crédibilité qui leur est attribué par les autres (Bikhchandani,

Hirshleifer et Welch, 1998 ; Moschetto, 1997, 1998). On retrouve ici l’idée du « leader

d’opinion » chère aux théoriciens des modes managériales. Certains agents peuvent également

recevoir des informations avant les autres.

Première partie : Revue de la littérature

139

On pourra alors, à la suite de Hirshleifer, Subrahmanyam et Titman (1994), considérer que la

conformité peut-être subie et non pas recherchée. Le fait que les agents les moins bien

informés agissent de la même manière que les mieux informés avec du retard pouvant être

expliqué par accès tardif à l’information et non par une stratégie d’investissement guidée par

l’imitation.

b) De l’imitation restreinte et de l’imitation totale

Les phénomènes d’information en cascade ne sont pas automatiques sur les marchés

financiers (Bikhchandani et Sharma, 2000). Leur probabilité d’apparition dépendra de

nombreux éléments au premier rang desquels figure l’incertitude ambiante matérialisée par le

bruit du signal initial (Bikhchandani et Sharma, 2000 ; Hirshleifer, 2001 ; Hirshleifer et Teoh,

2003). L’imitation peut, par ailleurs, être restreinte ou totale (Moschetto, 1998). L’intervenant

adoptant un comportement imitatif restreint va confronter ses anticipations à l’opinion du

marché et l’intégrer partiellement. L’imitation est alors un moyen d’alimenter des

anticipations préexistantes, pouvant se fonder sur des informations déjà détenues par

l’intervenant.

L’imitation totale est, quant à elle, le fruit d’agents conscients de leur retard par rapport à

l’opinion du marché : il s’agit alors de s’aligner sur cette dernière afin de maximiser ses gains.

Dans les deux cas, ces comportements viennent renforcer le phénomène et constituent une

externalité négative pour la collectivité (Bikhchandani et Sharma, 2000) car ils contribuent à

la promotion d’informations partielles. Des individus altruistes (mais en l’occurrence, peu

rationnels), ignoreraient l’opinion du marché pour se fier à leurs informations privées, ce qui

améliorerait la qualité générale du signal véhiculé par le marché. Nous nous trouverions alors

dans la situation, décrite par la majorité des modèles de la finance de marché orthodoxe, dans

lesquels le cours des valeurs permet de synthétiser toute l’information disponible à un

moment donné. Même si les phénomènes d’information en cascade sont une situation

extrême, les tendances moutonnières des agents financiers, parce qu’elles empêchent

l’agrégation parfaite de l’information disponible, nous amènent à faire le deuil de la

configuration idéale décrite par Modigliani et Miller. Dans ce type de contexte, les agents

peuvent difficilement prendre des décisions éclairées.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

140

c) La place du bluff

Une fois acceptée l’idée que les agents ont conscience de l’influence de leurs actions (qui

peuvent être décodées et perçues par les autres comme une source d’information), on peut

aisément imaginer que ces derniers vont tenter de retourner la situation à leur avantage et

chercher à induire quelques « pigeons » en erreur afin de faire évoluer les cours à leur

avantage (Moschetto, 1998). Le bluff sera une démarche d’autant plus payante que la

réputation des meneurs sera bonne et que les autres agents auront accès à des informations de

piètre qualité. La possibilité de tirer profit du bluff sur les marchés financiers est cependant

loin d’être mise en évidence de façon empirique.

Synthèse 10

Points essentiels des théories de l’information en cascade

Auteurs clé : Banerjee, Bikhchandani, Hirshleifer, Welch Champs disciplinaires : Economie, Finance de marché / Niveau d’analyse : Individus

� Les individus ne détiennent pas les mêmes informations à propos de l’état du marché.

� En imitant autrui, un intervenant financier peut s’approprier des informations qui ne sont pas en sa possession.

� L’attitude rationnelle d’agents ignorant leurs informations privées et imitant autrui peut conduire à des phénomènes d’information en cascade dont on trouve l’illustration dans le comportement de clients potentiels d’un restaurant évaluant la qualité de l’établissement au regard du nombre de clients déjà installé.

� Tous les intervenants n’ont pas la même influence : les leaders d’opinion sont perçus par les autres comme mieux informés.

� Les phénomènes d’information en cascade sont instables car ils reposent sur des bases précaires. Ils empêchent, par ailleurs, la parfaite agrégation de l’information disponible et rendent donc difficile une prise de décision éclairée des agents.

� Conscients de leur propre influence, certains agents peuvent alors chercher à bluffer de façon à manipuler l’évolution des marchés financiers à leur propre avantage.

Première partie : Revue de la littérature

141

3. LA THEORIE DES CONVENTIONS

La situation qui précède vient pousser la conception standard de la rationalité dans ses

derniers retranchements. L’incertitude entrave les capacités optimisatrices des agents. A

défaut de ne pouvoir agir selon les canons du modèle néo-classique, ces derniers substituent

un principe de satisfaction à la règle standard de maximisation. La rationalité devient limitée

(Simon, 1976). S’il y a bien calcul de la part des agents économiques, celui-ci ne peut se faire

de façon autonome. L’imitation fait alors office de « plug-in » à l’axiomatique rationaliste

néo-classique en lui rajoutant un appendice social. Dans les théories de l’information en

cascade, cet appendice social est un véritable fardeau pour la collectivité car il empêche les

individus d’agir dans l’intérêt de la collectivité.

Plus familière aux chercheurs en Sciences de Gestion, l’approche systémique des conventions

(désormais théorie des conventions) vient questionner, de façon plus radicale, l’édifice néo-

classique. Selon Gomez (1994, 1996, 1997, 1999 ; Gomez et Jones, 2000), le problème posé

par l’incertitude n’est, en effet, pas un problème de calcul rationnel mais de rationalisation des

comportements individuels. Les individus devront alors mobiliser un dispositif cognitif

collectif, la convention (Favereau, 1989), pour aligner leurs actions sur un modèle considéré

comme raisonnable, comme normal. Les questions relatives à l’efficacité deviennent ici

subalternes. Il s’agit de faire quelque chose… à défaut de ne rien faire du tout, d’agir malgré

tout (Gomez, 1996, p.171).

La présentation qui suit utilisera les travaux de Gomez comme fil conducteur62. Précisons ici

que l’ambition affichée par l’auteur, est de proposer un modèle général alternatif au modèle

néo-classique fondé sur le marché et décliné dans la théorie de l’agence et dans la théorie des

coûts de transaction. Une ambition jugée démesurée par Romelaer (1999) qui reproche au

modèle formulé par Gomez son incapacité à rendre compte de l’ensemble des phénomènes

organisationnels et sa propension à se focaliser sur des situations « extrêmes » d’incertitude

radicale pour proposer un modèle à vocation universelle.

62 Les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991), même s’ils constituent une contribution majeure à l’école conventionnaliste, ne seront pas traités en détail car l’imitation y occupe une approche moins centrale que dans les travaux de Gomez.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

142

3.1. UN MOYEN D’AGIR MALGRE TOUT

Comme dans les théories présentées précédemment, l’existence de situations d’incertitude fait

figure de point de départ de la théorie des conventions. Avec la théorie des conventions, le

calcul devient impossible. Comme le note Gensse (2003, p.18), « le contexte dans lequel les

acteurs inscrivent leur action n’est pas risqué mais incertain, au sens de F.H. Knight ». Le

problème n’est plus, pour reprendre l’exemple de Schelling (1960), de choisir entre rouler à

gauche et rouler à droite : en situation d’incertitude radicale, les individus ne savent plus

distinguer leur gauche de leur droite.

Cette incertitude est liée à la fois à l’incapacité des individus de prévoir les états futurs de la

nature, mais aussi à leur incapacité cognitive de prévoir tous les comportements des autres.

On retrouve ici la dialectique classique « incertitude primaire » versus « incertitude

secondaire » proposée par Koopmans (1957) et qui imprégnait déjà la métaphore keynésienne

du concours de beauté (Keynes, 1934 [1969]).

a) Des décisions raisonnables, plutôt que des décisions rationnelles

Le calcul des individus n’est pas seulement handicapé par l’incertitude, il est rendu

impossible. Dès lors, et pour reprendre une interrogation formulée par Isaac (2003, p.8),

« comment agir si rien n’est prévisible ? »

Le choix individuel n’est rendu possible que par l’existence de repères, les conventions, « un

ensemble de critères implicites ou explicites auxquels un individu se réfère au moment de

décider » (Gomez, 1996, p.173). Les individus escamoteront alors la question du « pourquoi »

pour se concentrer sur la question du « comment » (Isaac, 1996b). La décision ne peut plus

être isolée, autonome. L’existence d’autrui apporte des balises. Le mimétisme social devient

un moyen de se soustraire à l’incertitude car le savoir d’autrui est contenu dans la convention.

Gomez tient enfin sa revanche sur Robinson Crusoé63, personnage rationnel, autonome,

informé, et emblématique de l’économie libérale. Isolé sur l’île déserte de son utilité privée, il

doit pour agir mobiliser, ô comble, un système de référence collectif : « Le souverain qu’il

croit être est impuissant. Plus il est souverain, autonome, moins il est capable de trancher

seul » (Gomez, 1996, p.170).

63 La métaphore de Robinson et Vendredi est fréquemment utilisée par les microéconomistes pour modéliser une société simple, fondée sur l’échange marchand et la maximisation sous contrainte.

Première partie : Revue de la littérature

143

Dans une perspective foucaldienne, l’hypothèse de rationalité des individus est alors écartée

au profit d’une hypothèse de rationalisation. Il s’agit moins de décider de façon rationnelle

que de rendre raisonnables ses actions à l’aide des règles de comportements véhiculées par la

convention.

« Dans le cadre conventionnaliste, s’imiter ou imiter ce que l’ont croit être le comportement normal, est la solution raisonnable à l’incertitude »

Gomez (1997, p.67)

Ces règles n’existent cependant que parce que les acteurs ont la conviction que les autres vont

s’y conformer : elles se construisent par imitation réciproque. Cette situation est, en suivant

Sigal (1973, p.37), comparable à celle connue des rédacteurs de journaux qui doivent

sélectionner les évènements dont ils vont rendre compte. « Le jugement du groupe amène une

certaine dose de certitude dans le monde incertain du journaliste. Aucun journaliste n’est en

mesure de connaître le sens d’un évènement, de savoir s’il s’agit ou non d’une information,

ou si les sources sont fiables. »64 Le fait de traiter les mêmes nouvelles que les collègues,

d’utiliser les mêmes sources permet alors « d’authentifier l’information », de rationaliser la

décision.

b) Des conventions aux normes, du raisonnable au légitime

Progressivement, la convention peut s’enraciner, se cristalliser (Orléan, 1997, 2004a ; Sugden,

1986). Les individus vont l’adopter « parce qu’ils croient que c’est leur devoir d’agir ainsi »

(Orléan, 2004a, p.17). La convention acquiert alors un caractère normatif renforcé par la

crainte de sanction sociale éprouvée par les adopteurs (Sugden, 1986). Il ne s’agit plus

simplement de rationaliser ses actions mais de les légitimer aux yeux d’autrui en se

conformant au modèle de comportement. La convention dote les individus de droits et de

devoirs réciproques : « chaque participant se trouve obligé à l’égard des autres de se

conformer à la convention et exerce à l’égard des autres un droit identique à ce qu’ils se

conforment » (Orléan, 2004a, p.23).

64 “This group judgment… imparts a measure of certainty to the uncertain world of the newsman. If no newsman knows what an event means, whether or not it is news, or who the reliable sources are, then reaching some agreement with colleagues on what is news and how to write a story about it helps to authenticate the news.” (Sigal, 1973, p.37)

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

144

3.2. UN TRIPTYQUE : CONVENTIONS, CONVICTION ET LIBERTE

Véritable « système d’information » (Gomez, 1996), la convention transmet des messages qui

sont souvent considérés comme des évidences par les individus. Pour autant, et comme en

rend compte Mercier (2003, p.183), il ne s’agit pas d’une donnée exogène au système social :

« l’individu est convaincu du comportement des autres, de “ce qu’il faut faire”, donc il

adopte la convention et en l’adoptant il renforce sa propre conviction. » La convention

s’apparente donc à une prophétie auto réalisatrice, elle transmet une « conviction sur sa

propre généralisation » (Gomez, 1997, p.68). Injustifiable, autrement que par la référence à

autrui, elle est par ailleurs souvent implicite et rarement questionnée. N’ayant pas d’existence

autonome, « elle se manifeste au cours de la mise en œuvre de l’action par des individus qui

font partie d’une entreprise, d’un groupe, d’une communauté ou plus généralement d’une

organisation » (Isaac, 1996b, p.9).

Selon le modèle conventionnaliste développé par Gomez (Gomez, 1994, 1996, 1997), il est

possible d’analyser une convention au travers de sa morphologie. Cette dernière est composée

d’un énoncé, qui constitue le discours sur les formes d’actions, et d’un dispositif matériel, qui

organise l’action des acteurs.

a) L’énoncé

Le principe supérieur commun est l’élément de justification ultime, apparaissant comme une

évidence pour les adopteurs. A la différence de Boltanski et Thévenot (1991) qui recensaient

un nombre limité de « cités » et de principes supérieurs associés, les travaux dont il est ici

question ne cherchent pas à définir a priori une liste de principes universels. Les deux

approches ont cependant pour ambition commune d’appréhender les critères permettant de

justifier l’action individuelle.

La distinction entre adopteurs permet à chacun de se positionner dans l’environnement social.

Elle établit une hiérarchie des acteurs et attribue sa place à chacun.

La sanction fixe la limite entre le normal et le hors-la-convention. Elle offre aux adopteurs

des repères sur les conséquences d’un non respect de la convention. Elle fait de cette dernière

un ordre autorégulé.

Première partie : Revue de la littérature

145

b) Le dispositif matériel

La fréquence permet de savoir si les individus sont fréquemment en contact avec la

convention ou non.

La technologie est relative à la façon dont sont diffusées et formatées les informations

véhiculées par la convention.

La négociation porte sur le degré de tolérance à l’interprétation de la convention et sur le

degré d’autonomie laissé aux individus dans l’interprétation.

c) La cohérence et la dynamique des conventions

Les six éléments qui précèdent permettent de décrire une convention. Comme le note Isaac

(2003), ils ne suffisent pas à expliquer pourquoi les individus adoptent une convention plutôt

qu’une autre. L’espace social se posant, en effet, comme un lieu de compétition entre

conventions alternatives.

Pour qu’une convention soit généralement adoptée par les individus, elle devra être plus

convaincante que les conventions alternatives, ne pas faire l’objet de suspicion. Comme le

notent De Vos, Lobet Maris et Rousseau (2005, p.11), « cette force de conviction est […]

l’élément majeur à même d’expliquer l’adhésion des acteurs à la convention. Plus ces

derniers percevront la convention comme cohérente – c'est-à-dire correspondant à une réalité

– plus ils y adhéreront et plus la convention se maintiendra dans le temps. »

La force de conviction d’une convention, un gage d’efficacité de cette dernière, résidera dans

la cohérence entre son énoncé et son dispositif matériel. Afin d’éviter toute « suspicion » sur

la cohérence d’une convention, l’énoncé et le dispositif matériel ne doivent pas être

contradictoires, dissonants (Gomez, 1994, 1996). Sous l’effet de la suspicion, la convention

peut soit se modifier (et corriger son incohérence), soit renforcer son principe supérieur

commun, soit s’effondrer et s’effacer au profit d’une convention alternative. On parle alors de

crise conventionnelle (Isaac, 2000 ; Isaac, 2003). Selon Amblard (2003a), la présence

d’individus dissidents, préférant adopter la convention alternative, l’inadéquation du discours

délivré par la convention face aux transformations contextuelles (des situations d’incertitude

nouvelles), où les stratégies délibérées de certains acteurs peuvent venir menacer la

convention en place.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

146

d) Les conventions de qualification et les conventions d’effort

La théorie des conventions propose un modèle alternatif au modèle néo-classique et

notamment à la théorie des coûts de transaction dont le problème principal est celui du choix

entre deux alternatives : le marché et l’entreprise.

Par le concept de convention de qualification, la théorie des conventions se pose comme une

théorie des règles du jeu économique. Apprises par mimétisme, les conventions de

qualification organisent l’échange et contribuent à déterminer les comportements normaux

des co-échangistes. Elles permettent, par exemple, aux agents économiques de déterminer si

une prestation est chère ou bon marché, aux clients d’un restaurant de choisir le montant du

pourboire accordé au serveur d’un restaurant, au médecin et à son patient d’organiser leur

relation, au banquier et à l’emprunteur de connaître les modalités de négociation d’un prêt.

Le « marché pur », fondé exclusivement sur la compétition et la transmission des

informations par l’intermédiaire d’un système de prix, n’est, dès lors, qu’un cas extrême : une

convention de très faible complexité (Gomez, 1994).

Référentiel commun des parties prenantes, la convention d’effort traite quant à elle d’un

problème bien connu des théoriciens de l’agence : l’existence d’intérêts potentiellement

antagonistes entre les « stakeholders » (souvent restreints, dans la théorie de l’agence, aux

seuls actionnaires et salariés). Le problème d’agence est cependant élargi et déplacé. La

question n’est plus de savoir par quels moyens brider l’opportunisme potentiel des agents,

mais d’expliciter les règles de comportement normal de chacun. La convention permettra, par

exemple, de désigner « le tire au flanc par antithèse du salarié normal » (Gomez, 1997,

p.73) : elle fournira un référentiel permettant de mesurer la validité des actions individuelles.

3.3. UN MONDE DE CONVENTIONS

En véhiculant des guides comportementaux, les conventions permettraient aux individus de se

soustraire à l’incertitude et amèneraient à reformuler certains problèmes de gestion. Plusieurs

auteurs ont donc mobilisé le cadre conceptuel conventionnaliste pour éclairer des domaines

tels que la gestion budgétaire (Zécri, 2001, 2003), la relation client-producteur (Marion, 1997,

2003), la comptabilité (Amblard, 2003b), le management des connaissances (De Vos et al.,

2005). Ces approches cherchent avant tout à proposer une lecture nouvelle dans leurs

domaines respectifs, à reformuler certaines questions anciennes, à étendre le champ des

possibles. Lorsqu’il existe, le volet empirique a avant tout une fonction illustrative, visant à

Première partie : Revue de la littérature

147

démontrer la pertinence du cadre conceptuel. Elles participent ainsi à une reformulation de

l’objet de la gestion : même si sa capacité d’action est limitée, le rôle du gestionnaire est de

manipuler des conventions, de construire des convictions partagées (Gomez, 1996), de

dépasser les paradoxes (Isaac, 2003), d’apporter « l’huile de coude qui fait prendre la

mayonnaise de l’action collective » (Montmorillon, 1999, p.194).

Dans une perspective plus compréhensive, la théorie des conventions a également été

mobilisée pour expliquer certains phénomènes organisationnels in situ. Isaac (1996a, 1996b,

2000) a ainsi cherché à déconstruire les logiques de certification dans les activités de service.

Mercier (2003), de son côté, a mis en lumière le rôle de la compétition entre deux conventions

dans le processus de changement organisationnel à la RATP. Si certains mécanismes, tels que

la rationalisation des décisions au travers de règles de comportement ont pu retenir l’attention

des chercheurs (voir ainsi Véran, 2003), les objets étudiés sont le plus souvent des

conventions en place et relativement cristallisées. L’imitation réciproque supposée être au

cœur de la construction des conventions semble exclue du champ des travaux empiriques qui

voient plus dans la théorie des conventions une théorie des règles et des rationalisations

qu’une théorie de l’imitation. En se focalisant sur les relations intra-organisationnelles

(conventions d’effort) ou sur les règles de l’échange économique (conventions de

qualification), la théorie des conventions semble, par ailleurs exclure de son spectre d’analyse

les relations entre concurrents d’un même secteur, et donc les phénomènes d’imitation

concurrentielle.

A l’opposé des travaux empiriques existants, cette recherche retiendra essentiellement de la

théorie des conventions les éléments relatifs à l’imitation des individus et à la logique de

rationalisation qui sera mise en perspective aux explications proposées par les autres théories

présentées dans cette revue de littérature.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

148

Synthèse 11

Points essentiels de la théorie des conventions

Auteur clé : Gomez, Orléan Champ disciplinaire : Sciences de Gestion / Niveau d’analyse : Individus / Conventions

� Il existe des situations caractérisées par un tel degré d’incertitude que les individus ne peuvent agir de façon rationnelle.

� Les individus cherchent alors à agir malgré tout en adoptant des comportements

raisonnables. La convention apporte aux individus une règle de comportement normal.

� Les conventions sont le produit d’une imitation généralisée et réciproque des individus. Elles sont auto-réalisatrices et auto-renforçantes.

� Une convention est composée d’un énoncé (qui constitue le discours sur les formes d’actions) et d’un dispositif matériel (qui organise l’action des individus).

� Pour qu’une convention soit généralement adoptée, elle doit être plus convaincante que les conventions alternatives. La conviction d’une convention trouvera sa source dans sa cohérence interne. Les différents éléments de son énoncé et de son dispositif matériel ne devront pas être dissonants.

� L’analyse de Gomez a d’abord porté sur les règles de l’échange économique (conventions de qualification) avant de traiter du fonctionnement de l’organisation (conventions d’effort).

� Dans leurs développements empiriques, les conventionnalistes ont surtout cherché à réinterpréter la gestion à l’aune de la théorie des conventions. De façon plus marginale, certains chercheurs ont mobilisé cette approche pour étudier certains phénomènes organisationnels in situ.

� Les éléments liés à l’imitation réciproque et à la logique de rationalisation qui sous-tend l’imitation demeurent, à l’heure actuelle, exclu du champ des recherches empiriques conventionnalistes.

4. INCERTITUDE ET PRATIQUES D’IMITATION CONCURRENTIELLE

Ce chapitre s’est focalisé sur un concept, l’incertitude, qui a souvent été placé au cœur des

phénomènes d’imitation concurrentielle. Pour les théories de l’information en cascade, les

individus s’imitent parce qu’ils n’ont pas accès aux informations pertinentes pour prendre une

décision éclairée. La situation qu’appréhendent les conventionnalistes est plus complexe :

l’incertitude est radicale, les individus sont placés en situations d’indécidabilité. L’effet est

cependant le même : les individus s’imitent. Si le comportement que décrivent les deux

théories est identiques, les raisons individuelles qui permettent de l’expliquer sont bien

différentes : accès à l’information pour Banerjee (1992), Bikhchandani, Hirshleifer et Welch

(1992) ; rationalisation pour Gomez (1994, 1996), Isaac (1996, 2000) et l’école

Première partie : Revue de la littérature

149

conventionnaliste. Nous tenons là une piste intéressante pour l’étude des pratiques d’imitation

concurrentielle. Si l’incertitude recouvre un ensemble divers de situations, il est possible

d’envisager qu’elle soit à l’origine d’une variété de pratiques traduisant autant de raisons

individuelles différentes.

Cette piste est d’autant plus stimulante que, comme le précise Milliken (1987), un même

contexte d’incertitude pourra faire l’objet d’interprétations individuelles différentes. Les

acteurs pourront ainsi avoir des difficultés à prévoir l’évolution de leur environnement, à

anticiper les conséquences de ces évolutions sur leur propre situation ou ne pas être en mesure

de déterminer une réponse adaptée.

Cette thématique trouvera son prolongement dans une des deux questions de recherche qui

seront formulée dans la synthèse de la littérature qui va suivre. Elle sera traitée d’un point de

vue empirique dans le chapitre 5.

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude

150

RESUME DU CHAPITRE 3

Les développements théoriques auxquels il est fait référence dans ce chapitre viennent replacer les décisions individuelles et les rationalités qui sous-tendent l’imitation en contexte. Les décisions des individus peuvent, en effet, être entravées par la précarité des informations dont ils disposent. Placés en situation d'incertitude, les individus agissent par défaut et s'imitent les uns les autres.

Prolongeant les travaux de Knight sur les différents types d'incertitude et les expériences pionnières de Sherif et Asch – qui mettent en évidence les conséquences de l'incertitude sur les comportements mimétiques des individus – plusieurs courants théoriques lient incertitude et imitation.

Il convient néanmoins de distinguer des approches qui, à l'instar des théories de l'information en cascade, conservent l'hypothèse de rationalité calculatoire, de travaux s'en éloignant radicalement (théorie des conventions). On retrouve ici la dichotomie entre « approches instrumentales » et « approches évaluatives » qui nous a jusqu’ici servi de fil directeur.

On retrouve d’ailleurs cette idée dans la description du fonctionnement des marchés financiers opérée par Keynes : aux spéculateurs calculateurs s'opposent les investisseurs privés plus moutonniers. Un même contexte, caractérisé par une incertitude, mais des rationalités bien différentes.

Pour la théorie de l'information en cascade, c'est la volonté des agents économiques de s'accaparer des informations détenues par autrui qui les poussent à s'imiter. Tant pis si cela doit les conduire à ignorer leurs propres informations. L’attitude rationnelle de ces individus choisissant d’écarter les informations dont ils disposent pour imiter autrui peut conduire à des phénomènes d’information en cascade dont on trouve l’illustration dans le comportement de clients potentiels d’un restaurant évaluant la qualité de l’établissement au regard du nombre de clients déjà installés. Ces phénomènes d’information en cascade sont instables car ils reposent sur des bases précaires. Ils empêchent, par ailleurs, la parfaite agrégation de l’information disponible et rendent difficile une prise de décision éclairée des agents.

Certains agents particulièrement calculateurs peuvent alors chercher à bluffer de façon à manipuler l’évolution de l’opinion de la foule.

Le point de départ adopté par les conventionnalistes est différent. Il existerait ainsi des situations caractérisées par un tel degré d’incertitude que les individus ne pourraient procéder à aucune forme de calcul. Plongés dans le brouillard le plus opaque, ces derniers chercheraient à agir malgré tout en adoptant les comportements raisonnables véhiculés par les conventions. Produits d’une imitation généralisée et réciproque des individus les conventions se rapprochent des prophéties auto-réalisatrices keynesiennes : elles sont auto-renforçantes. Leur multiplicité les place néanmoins en situation de concurrence : Pour qu’une convention soit adoptée, elle doit être plus convaincante que les conventions alternatives.

152

Synthèse de la première partie

Ebauche d’un cadre d’analyse et

formulation des questions de recherche

otre recherche trouve son point de départ dans un paradoxe : alors que les stratégies

d’imitation ont fait l’objet de critiques théoriques, elles ont souvent été observées chez

les organisations. Ce décalage entre prescriptions théoriques et résultats empiriques nous a

incité à nous intéresser aux micro fondations de l’imitation concurrentielle. Nous avons donc

fait le choix d’une démarche inspirée de la stratégie en pratiques. Cette recherche a pour

objectifs de comprendre les raisons qui animent les décideurs lorsqu’ils imitent leurs

concurrents, d’identifier leurs pratiques d’imitation concurrentielle et d’analyser la façon dont

elles contribuent à la fabrication de la stratégie.

En matière d’imitation concurrentielle, le « practice-turn » pourrait se révéler être une piste

de recherche d’autant plus fructueuse que, faute d’ancrage microscopique, les recherches

empiriques existantes ont souvent ignoré la dimension individuelle des théories qu’elles

mobilisent. A titre d’exemple, les travaux reprenant le concept de pressions mimétiques

(DiMaggio et Powell, 1983) ont rarement observé directement les comportements imitatifs

qui sont, dans la théorie, supposés être l’émanation d’une forme de rationalité fondée sur ce

qui semble approprié et s’inscrire dans le prolongement de la quête de légitimité des

organisations. Cette limite récurrente débouche sur une validation souvent partielle des

théories de l’imitation concurrentielle qui ne sont appréhendées qu’au travers des processus

qu’elles décrivent et jamais des raisons individuelles qu’elles postulent.

La première partie de la thèse a présenté une revue de la littérature consacrée à l’imitation.

Elle nous a permis de mobiliser des travaux issus des Sciences de Gestion, de l’Economie, de

la Sociologie et de la Psychologie Sociale. Ces théories sont, à notre sens, pertinentes pour

entamer une étude des pratiques d’imitation concurrentielle et des raisons individuelles dont

elles sont l’expression.

N

Première partie : Revue de la littérature

153

Nous allons maintenant proposer une synthèse de la revue de littérature. Cette section obéit à

deux objectifs. Nous chercherons tout d’abord à apporter un ancrage théorique à la

problématique que nous avons formulée dès l’introduction de la thèse et qui tient compte du

champ d’étude retenu dans cette recherche (les radios musicales et leurs programmateurs).

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?

Cette section de synthèse de la revue de littérature va nous permettre de mettre en évidence et

de justifier les postulats qui imprègnent notre recherche (section 1). Nous avancerons, ensuite,

un cadre analytique qui aura vocation à être complété et amendé par les résultats de la

recherche (section 2). Ce cadre analytique permettra de préciser nos questions de recherche et

de guider la restitution des résultats.

1. ANCRAGE THEORIQUE DE LA PROBLEMATIQUE

L’ancrage de notre recherche dans le courant de la stratégie en pratiques n’est pas neutre

quant à ses postulats. Ces derniers renvoient au lien entre pratiques et stratégie (postulat n°1)

et à l’articulation des notions de rationalité et de pratiques (postulat n°2).

Postulat n°1

Afin de prolonger les travaux consacrés aux formes d’imitation (Haunschild et Miner, 1997),

nous avons souhaité articuler notre étude autour de la notion de pratiques d’imitation

concurrentielle en nous intéressant à ce que les individus-stratèges font lorsqu’ils imitent leurs

concurrents. Nous rejoignons ici un champ de recherche émergent, le courant de la stratégie

en pratiques, qui considère que les décisions individuelles et quotidiennes contribuent à

façonner la stratégie des organisations. Cette conception se traduit par le postulat suivant :

Postulat n°1 : Les pratiques d’imitation concurrentielle contribuent à la formulation de la stratégie de l’organisation.

Il ne s’agit, bien évidemment, pas de réduire la stratégie de l’organisation aux seules décisions

individuelles. La formulation de la stratégie fait intervenir de nombreux facteurs

environnementaux et organisationnels. Elle est également influencée par des processus

écologiques.

Le postulat n°1 traduit une ambition revendiquée par les tenants du courant de la stratégie en

pratiques : apporter un éclairage microscopique dans un domaine de recherche longtemps

dominé par des travaux adoptant des niveaux d’analyse plus agrégés.

Elaboration d’un cadre d’analyse et formulation des questions de recherche

154

S’il ne résulte pas d’une volonté de remettre profondément en cause les travaux existants,

notre intérêt pour les pratiques est guidé par l’idée qu’une meilleure compréhension des

actions et des interactions individuelles est susceptible de faire progresser la connaissance des

phénomènes d’imitation concurrentielle en management.

Il ne s’agit pas, non plus, d’affirmer que la stratégie d’une organisation ne résulterait que de la

seule imitation. Les organisations innovent, se différencient de leurs concurrents. Nous

chercherons ici à réintégrer les phénomènes d’imitation concurrentielle dans un champ, celui

du management stratégique, qui a eu trop souvent tendance à négliger leur importance.

Postulat n°2

Un second postulat imprègne ce travail. Il consiste à affirmer – tant avec Hedström (1998)

qu’avec Miner et Raghavan (1999) – que l’imitation est un lieu d’expression des rationalités

individuelles. Ce postulat reprend une idée omniprésente chez les tenants du courant de la

stratégie en pratiques puisqu’il conduit, d’une part à appréhender les pratiques (en

l’occurrence, les pratiques d’imitation concurrentielle) comme le produit des actions et des

décisions des individus qui en sont les initiateurs et d’autre part à considérer que ces dernières

procèdent d’une intentionnalité (Chia et MacKay, 2007).

Nous retrouvons ici les trois premiers axiomes de la catégorisation de Boudon (2003)

présentée dans le premier chapitre de la thèse : individualisme (tout phénomène social est le

produit d’actions, de décisions et de comportements individuels), compréhension (ces actions,

ces décisions et ces comportements peuvent être compris d’un observateur extérieur pour peu

qu’il prenne le soin de s’informer suffisamment), rationalité (les actions, les décisions et les

comportements des individus sont le produit de raisons qui peuvent être plus ou moins

clairement perçues par l’individu). Le deuxième postulat sur lequel se fonde notre recherche

peut dès lors être formulé de la façon suivante :

Postulat n°2 : Les pratiques d’imitation concurrentielle sont le lieu d’expression de raisons individuelles.

La diversité des explications théoriques présentées dans la revue de littérature nous conduit à

insister sur le caractère pluriel des rationalités à l’œuvre en matière d’imitation

concurrentielle.

Première partie : Revue de la littérature

155

Il ne s’agit pas d’affirmer que les pratiques d’imitation concurrentielle sont forcément guidées

par un calcul individuel ou qu’elles obéissent à une logique exclusivement instrumentale. Ces

dernières peuvent en effet s’inscrire dans une quête de légitimité ou d’identité sociale ou

rendre plus « raisonnables » des décisions prises en situation d’incertitude. De même, nous ne

chercherons pas à affirmer que les décideurs sont forcément totalement conscients des raisons

qui les poussent à imiter leurs concurrents. Comme le notent Warnier et Lecocq (2007), ces

derniers ne sont d’ailleurs pas forcément capables d’évaluer leur degré de différenciation et de

similarité avec les autres acteurs de l’industrie. Il s’agit simplement d’admettre que les

imitateurs ne sont pas les otages impuissants de forces sociales, psychologiques ou

mémétiques qui les dépasseraient (ce point a été développé dans le chapitre 1 lors de la

distinction entre mimétisme et imitation et dans le chapeau introductif du chapitre 2).

2. PRESENTATION DU CADRE ANALYTIQUE

La revue de la littérature de cette recherche vise à établir un cadre d’analyse qui a vocation à

être complété et amendé dans la seconde partie. Il permettra également de préciser la

problématique en définissant les questions de recherche qui guideront la restitution des

résultats. Précisons à ce stade qu’en raison du caractère hybride de notre stratégie de

recherche, le cadre analytique qui va maintenant être présenté est le produit d’un va-et-vient

constant entre théorie et terrain. Sa formulation résulte donc, dans une certaine mesure, d’un

exercice de rationalisation a posteriori.

Présentation du cadre d’analyse

Sur la base de la dichotomie « approches instrumentales » versus « approches évaluatives » de

l’imitation, le chapitre 2 nous a permis d’articuler plusieurs courants de recherche faisant

intervenir – de façon centrale ou périphérique – la notion d’imitation. Au-delà des différences

dans les niveaux d’analyses qu’ils adoptent (individus, organisations, groupes d’individus,

populations d’organisations), ces travaux ont en commun d’appréhender l’imitation comme le

produit (au moins partiel) de décisions individuelles faisant intervenir des raisons. Aux

théories qui mettent en exergue les conséquences attendues par les décideurs pour expliquer

les comportements imitatifs (ces conséquences pouvant concerner l’organisation ou renvoyer

à l’intérêt personnel des acteurs) s’opposent les explications qui s’inscrivent dans une forme

de rationalité fondée sur ce qui semble approprié (March et Olsen, 1989). Ces dernières

pourront faire intervenir le désir mimétique des individus, la légitimité des modèles ou des

Elaboration d’un cadre d’analyse et formulation des questions de recherche

156

pratiques imités ou des phénomènes liés à l’identité sociale (qu’elle soit individuelle ou

organisationnelle).

Le chapitre 3 a prolongé cette grille de lecture en y intégrant un autre élément, l’incertitude.

La description keynésienne du fonctionnement des marchés financiers – dans lesquels des

spéculateurs dotés d’un réel sens du calcul se distinguent des investisseurs privés plus

moutonniers – nous a permis d’introduire deux courants théoriques : les modèles

d’information en cascade et la théorie des conventions. Si ces deux approches s’intéressent à

la relation entre imitation et incertitude, elles ne reposent pas sur la même conception de la

rationalité humaine. Les théoriciens de l’information en cascade insistent, en effet, sur les

bénéfices attendus par les imitateurs en matière d’accès aux informations alors que la théorie

des conventions intègre l’imitation dans une réflexion plus large liée à la rationalisation et à la

justification des décisions individuelles en situation d’incertitude.

Cette différence découle, selon nous, de la conception de l’incertitude retenue par les auteurs.

A l’incertitude radicale de la théorie des conventions s’oppose le risque encadrant les

décisions individuelles dans les modèles d’information en cascade.

Les développements théoriques qui viennent d’être synthétisés nous permettent de présenter

le cadre d’analyse suivant (schéma 10). Les éléments liés aux raisons individuelles y sont

articulés autour de la dichotomie « rationalités instrumentales » versus « rationalités

évaluatives ».

Ces raisons sont étroitement liées au contexte dans lequel les individus décident et agissent.

Ce contexte peut être caractérisé par un degré plus ou moins fort d’incertitude. Ces raisons

trouvent leur terrain d’expression dans les pratiques d’imitation concurrentielle et donne lieu à

des pratiques d’imitation concurrentielle.

C’est cette notion qui nous permettra de faire la jonction entre un niveau d’analyse individuel

et un niveau d’analyse organisationnel. En suivant le postulat n°1, ces pratiques sont

supposées contribuer à la stratégie des organisations.

Première partie : Revue de la littérature

157

Schéma 10

Présentation d’un cadre d’analyse intégrateur

Problématique et questions de recherche

La contribution des pratiques d’imitation concurrentielle à la stratégie des organisations

constitue le fil directeur de notre travail. Sur la base de ce cadre d’analyse, deux questions de

recherche peuvent être formulées afin de préciser la problématique de la thèse.

La première question de recherche vise à explorer la relation entre raisons et pratiques

d’imitation concurrentielle. Il s’agira de dépasser des travaux consacrés aux formes

d’imitation qui peuvent donner le sentiment de proposer des descriptions relativement

désincarnées. Cette limite est d’autant plus gênante que les explications relatives aux raisons

individuelles qui sous-tendent l’imitation sont nombreuses dans la littérature et le plus

souvent décrites comme mutuellement exclusives. Notre première question de recherche sera

donc formulée comme suit :

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ?

Niv

eau

Indi

vidu

el

Pratiques d’imitation concurrentielle

Stratégie de l’organisation

Orientées par les conséquences attendues pour l’organisation - Diminution des coûts de R&D - « Late-mover advantage » - Apprentissage par procuration Orientées par les conséquences attendues pour le décideur - « Sharing the blame effect » Accès à des informations privées (« herd behavior »)

Niv

eau

Org

anis

atio

nnel

Raisons instrumentales

Désir mimétique - Relation triangulaire objet/modèle/sujet Quête de légitimité - Légitimité du/des modèle(s) - « Taken-for-grantedness » Identité sociale des individus Rationalisation de décisions prises dans un contexte incertain

Sous-tendent

Contribuent à

Raisons évaluatives

Incertitude

Elaboration d’un cadre d’analyse et formulation des questions de recherche

158

L’incertitude a souvent été désignée comme le principal facteur à l’origine des

comportements d’imitation des individus et/ou des organisations (chapitre 3 de la revue de la

littérature). Peu d’auteurs ont cependant cherché à expliciter la relation entre incertitude et

imitation. Au-delà de l’absence de consensus liée à l’opérationnalisation de la « variable »

incertitude traduisant une réelle difficulté à définir et à mesurer ce concept (Delios et Henisz,

2003 ; Delios et al., 2008 ; Garcia-Pont et Nohria, 2002 ; Haunschild et Miner, 1997), ces

travaux sont souvent parvenus des résultats peu significatifs ou au pouvoir explicatif très

limité (en comparaison de l’importance de cette variable dans la littérature).

Pour mieux comprendre le contexte dans lequel apparaissent les pratiques d’imitations, nous

partirons de la distinction entre des situations de risques, que nous supposons être plus

propices à l’exercice de raisons instrumentales chez les acteurs, et des situations d’incertitude

radicale, plus souvent liées à des approches évaluatives de la rationalité. Dès lors, nous

formulerons la question de recherche suivante :

De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement – le contexte, influent-ils sur les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation concurrentielle ?

Les deux questions de recherche que nous venons de formuler nous permettrons d’orienter la

restitution des résultats.

Présentation de la deuxième partie de la thèse

La deuxième partie de la thèse sera consacrée au pan empirique de la recherche. Le chapitre 4

permettra de présenter notre champ d’étude : les radios musicales et leurs programmateurs. Le

champ d’étude ayant largement influencé notre stratégie de collecte et d’analyse des données,

nous avons fait le choix de présenter nos orientations méthodologiques à la suite du secteur

étudié.

L’analyse permet de faire émerger deux types de résultats qui correspondent aux deux grandes

questions de recherche que nous venons de formuler. La question du lien entre incertitude et

imitation, et plus généralement, le rôle joué par le contexte dans lequel évoluent les décideurs

fait l’objet du chapitre 5. Nous montrerons que le caractère imprévisible des goûts musicaux

du public est générateur de doutes, d’hésitations et quelquefois d’angoisses chez les

programmateurs. Pour sortir de ces situations d’indécidabilité, les programmateurs mobilisent

un ensemble de normes partagées dans leur environnement professionnel, que nous qualifions

Première partie : Revue de la littérature

159

« d’orthodoxie du Top 40 ». Ces normes n’apportent cependant que des réponses partielles

aux questions récurrentes des programmateurs. L’imitation pourra alors devenir un moyen

d’autant plus fréquemment utilisé par les programmateurs pour se forger des certitudes qu’elle

sera encouragée (par les attachés de presse officiant dans les labels) et facilitée (par

l’existence d’outils et de liens sociaux facilitant l’observabilité des décisions des concurrents).

Ce contexte, où l’incertitude trouve son expression dans les doutes et les hésitations des

décideurs, laisse apparaître des pratiques d’imitation concurrentielle diverses. Ces pratiques,

fondées sur des raisons individuelles bien différentes, vont être identifiées et analysées dans le

chapitre 6 au travers d’une typologie. L’analyse des entretiens permet d’identifier neuf

pratiques types définies au travers de propriétés et de dimensions. Les explications présentées

comme mutuellement exclusives par la littérature apparaissent donc comme complémentaires

et concomitantes.

Ces résultats permettront alors d’amorcer une discussion générale consacrée à la contribution

des pratiques d’imitation concurrentielle à la fabrication de la stratégie.

160

Deuxième partie

Méthodologie et résultats

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle p.162

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation p.230

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle p.274

Discussion : De l’imitation à la différenciation p.316

Conclusion générale p.332

162

Chapitre 4

Les programmateurs radio,

praticiens de l’imitation concurrentielle

« And there goes the last DJ

Who plays what he wants to play

And says what he wants to say

Hey, hey, hey

And there goes your freedom of choice

There goes the last human voice

There goes the last DJ ».

Tom Petty, “The Last DJ”

otre recherche s’intéresse à la façon dont des décideurs reproduisent des décisions

adoptées chez leurs concurrents et concourent à faire de l’imitation un pan essentiel de

la stratégie de leur organisation. Afin de comprendre les raisons pour lesquelles certains

managers peuvent être amenés à répliquer les décisions prises par un ou par plusieurs

concurrents, notre attention se portera sur les pratiques d’imitation concurrentielle et sur les

raisons individuelles dont elles sont l’expression. Ce chapitre obéit à un double objectif. Il

s’agira d’une part de présenter le champ d’étude que nous avons retenu (section 1) et d’autre

part d’expliciter et de justifier le « design » de la recherche et nos principales orientations

méthodologiques (section 2).

L’étude de terrain de notre recherche est consacrée aux radios musicales et à leurs

programmateurs. Le secteur de la radio a fait l’objet de peu d’études en Sciences de Gestion.

En dépit d’un poids économique relativement faible (un peu plus de 1,3 milliards d’euros en

2009, 742 millions d’euros en ne prenant en compte que les recettes publicitaires65), ce

65 Source : Etude sectorielle XERFI 700 - Radio, juillet 2009.

N

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

163

secteur semble particulièrement adaptée à la thématique de la recherche. Depuis 2004 en effet,

les radios musicales ont été au centre de nombreuses polémiques liées aux comportements

imitatifs supposés de certaines d’entre elles. Le choix de ce champ d’étude est cohérent avec

l’intérêt que nous portons aux pratiques d’imitation et à leur impact sur la stratégie des

organisations. Le positionnement d’une radio musicale est, en effet, intimement lié à sa

programmation : Les programmateurs participent donc, au travers de leurs décisions de tous

les jours à l’élaboration de la stratégie.

Cette conception a des implications sur le « design » et sur l’esprit général de la recherche.

Elle permet d’une part de justifier l’adoption d’une perspective stratégie en pratiques (Chanal,

2009 ; Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski et Spee, 2009 ; Johnson et al., 2003 ; Johnson et al.,

2007 ; Whittington, 2002, 2006) et nous conduit, d’autre part, à adopter une démarche

inspirée de la théorie enracinée (Richards, 2005 ; Strauss et Corbin, 2004). Nous exposerons

alors les choix méthodologiques qui ont guidé la recherche. Comme nous le verrons, la

démarche de collecte des données et le processus d’analyse ont largement été influencés par

les spécificités du champ étudié. La section 2 nous permettra donc de présenter et de justifier

les orientations méthodologiques de la recherche.

1. LE CHAMP D’ETUDE

Cette première section vise à présenter le champ d’étude retenu pour mener cette recherche.

Elle permettra au lecteur de s’immerger dans le quotidien des programmateurs radio. La

section 1.1 dresse un panorama du secteur de la radio en France. Nous préciserons notre objet

d’étude dans la section 1.2 puisque nous y traiterons des problématiques liées à la

programmation musicale et aux programmateurs.

1.1. LA RADIO EN FRANCE

De nombreuses études ont été consacrées à la production musicale. La radio semble, quant à

elle, n’avoir fait l’objet que d’un nombre plus faible de recherches (Ahlkvist et Fisher, 2000).

Dans cette littérature, une proportion importante de travaux prolonge la voie ouverte par

Peterson et Berger (1975) en abordant des thématiques liées à la production culturelle, à la

culture de masse, à la diversité des programmes (Berland, 1990, 1993 ; Berry et Waldfogel,

1999a, 1999b, 2001 ; Lee, 2004 ; Rothenbuhler, 1985 ; Rothenbuhler et Dimmick, 1982 ;

Rothenbuhler et McCourt, 1992). Dans ces recherches, les aspects liés aux modèles

économiques en vigueur dans l’industrie et au fonctionnement des radios sont souvent traités

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

164

de façon parcellaire. L’essentiel de l’attention des chercheurs demeure consacrée au contenu

des programmes. Une littérature peu abondante, ancrée dans les champs de l’Economie

Industrielle et des Sciences de Gestion s’intéresse à la radio pour traiter des questions liées à

la constitution des champs organisationnels (Leblebici, Salancik, Copay et King, 1991), à la

diffusion des innovations (Rossman, 2003, 2004) ou encore à l’imitation inter-

organisationnelle (Greve, 1995, 1996, 1998 ; Mouricou, 2006). Ces travaux offrent au lecteur

des éléments contextuels relatifs au secteur dans leurs parties méthodologiques. Le panorama

qui va suivre s’appuiera également sur des ouvrages à caractère historique – qu’ils émanent de

chercheurs (Cheval, 1997 ; Leblebici, 1995 ; Leblebici et al., 1991), de praticiens (Brochand,

2006 ; Fisher, 2007) ou de journalistes (Mantoux et Simmat, 2008) – mais aussi d’articles

issus de la presse professionnelle et d’entretiens réalisés auprès d’acteurs du secteur dans le

cadre de la recherche.

Dans un premier temps (point a), nous synthétiserons quelques éléments sectoriels nécessaires

à la compréhension des enjeux actuels du champ d’étude. Ces éléments seront complétées par

un bref historique du secteur (point b).

a) Quelques éléments sectoriels

Dans son Histoire de la communication moderne, Patrice Flichy (2004) inscrit la définition

d’une première base économique de développement de la radio au crédit de l’américain David

Sarnoff, responsable technique d’American Marconi : « En 1916, il envoie une note à son

directeur général sur le “radio music box”. “J’ai en tête, écrit-il, un plan de développement

qui ferait de la radio un bien de consommation domestique dans le même sens que le piano ou

le phonographe. L’idée est d’apporter de la musique dans les foyers grâce à la TSF” »

(Flichy, 2004, p.150). Comme le révèle Lyons (1966), l’employé pressent déjà « les bases de

l’exploitation industrielle du procédé et son potentiel publicitaire considérable » (Cheval,

1997, p.25). Il suffira de dix ans pour que la TSF devienne un des principaux supports de la

culture de masse. Dès lors, les développements techniques de la TSF (invention de la bande

FM en 1935, introduction de la stéréo en 1960, invention du transistor, du RDS, radio

numérique) accompagneront l’affirmation du modèle économique de la radio.

Le modèle économique d’une radio commerciale

Selon Leblebici et ses collègues, l’activité d’une radio commerciale consiste en la production

d’un contenu (programme) en vue d’attirer une audience afin de vendre du temps d’antenne à

des annonceurs potentiels (Leblebici, 1995 ; Leblebici et al., 1991).

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

165

« En radio, on a affaire à deux types de clients : les annonceurs et les auditeurs. La particularité, c’est qu’un groupe de clients est en quelque sorte un produit, qu’on va vendre au deuxième. »

Entretien réalisé avec le directeur marketing d’un réseau national

Ce modèle économique, que partagent la radio commerciale et la télévision commerciale, a

parfois fait l’objet de formulations malencontreuses. En 2004, Patrick Le Lay, alors PDG de

TF1, avait ainsi déclenché une vive polémique en expliquant « vendre du temps de cerveau

humain disponible » à des annonceurs comme Coca-Cola66.

En France, comme au Canada, au Japon ou en Australie, les radios commerciales privées

coexistent avec des radios de service public et des radios associatives dont l’essentiel du

revenu provient de financements publiques. Aux Etats-Unis, des modèles économiques

alternatifs ont émergé depuis le début des années 2000. Ainsi, des bouquets de radios par

satellite proposent désormais aux auditeurs des formules par abonnement en leur promettant

des programmes sans publicité et sans aucune forme de censure (Fisher, 2007).

L’encadré 3 synthétise quelques éléments quantitatifs relatifs au secteur de la radio en France

et à ses évolutions actuelles. Comme nous allons le voir, le CSA distingue plusieurs

catégories de fréquences propres aux différents types d’acteurs (radios périphériques

historiques, réseaux nationaux, radios indépendantes, radios associatives, franchisés).

66 Source : Les Dirigeants français et le Changement : Baromètre 2004, ouvrage collectif des associés d’EIM, éditions Huitième jour.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

166

Encadré 3

L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres

� En 2008, le secteur de l’édition et de la diffusion de programmes radiophoniques représentait plus de 1,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires provenant majoritairement des recettes publicitaires (742 millions d’euros soit 6,5% des recettes publicitaires tous médias confondus). Les ressources de Radio France (565 millions d’euros) émanent principalement de la redevance audiovisuelle (88,6% du CA de Radio France). De leur côté, les radios commerciales privées tirent leurs ressources, de façon quasi-exclusive, de la publicité. 67

� Le sondage réalisé par Médiamétrie pour la période « Avril-Juin 2009 » révèle que 80,9% des français écoutent la radio quotidiennement (critère d’audience cumulée, lundi-vendredi). La durée d’écoute moyenne s’établit à 180 minutes. Quatre grands groupes (Radio France, NRJ, RTL, Lagardère) concentrent 68,6% de l’audience (critère de part d’audience). Les programmes musicaux drainent, quant à eux, 51,7% de l’audience (critère de part d’audience, PDA du GIE « Les Indépendants » incluse).68

� Les sondages les plus récents mettent en lumière une baisse tendancielle de l’audience des radios musicales nationales au profit des radios généralistes. Cette évolution n’est pas sans conséquences sur les performances financières des radios musicales. Le 28 août 2009, le groupe NRJ annonçait ainsi un recul de 18,5% pour ses activités radio au premier semestre 2009 par rapport à la même période en 200869

� Pour le cabinet Xerfi et pour de nombreux observateurs du secteur, cette évolution est liée au développement des nouveaux supports d’écoute de musique (baladeurs mp3, streaming, etc.) Les investissements réalisés par les radios musicales sur Internet n’ont, pour l’instant, par réussi à enrayer la chute tendancielle de l’audience. Les entreprises du secteur placent aujourd’hui tous leurs espoirs dans le développement de la radio numérique (les premières fréquences numériques devraient entrer en vigueur à la fin 2009).

� Depuis 1989, la régulation des radios est sous la responsabilité du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Le CSA est chargé d’attribuer les fréquences, d’autoriser l’exploitation d’une radio à l’issue d’un appel à candidature, de veiller à l’expression du pluralisme. Il contrôle le respect des principes fondamentaux du droit de la communication et des règles de la concurrence.

� Le CSA distingue 5 catégories de radios (hors service public).

� La catégorie A rassemble les radios associatives (ex : Radio Ici et Maintenant, Radio Béton). Pour l’essentiel, leurs ressources proviennent du fonds de soutien à l’expression radiophonique. Elles peuvent être complétées par des rentrées publicitaires dans la limite de 20% du chiffre d’affaires.

� La catégorie B rassemble les radios locales commerciales (ex : Champagne FM, Radio Star Marseille). La desserte de opérateurs de cette catégorie ne peut pas excéder 6 millions d’habitants.

� La catégorie C rassemble les franchisés des réseaux nationaux (ex : NRJ Montpellier). Ces stations ont l’obligation de diffuser un programme d’intérêt local. Elles réalisent donc des « décrochages locaux ».

� La catégorie D rassemble les radios musicales thématiques à vocation nationale (ex : Fun Radio, Chérie FM).

� La catégorie E concerne uniquement RTL, Europe 1 et RMC (les trois radios « périphériques » historiques).

67 Source : Etude sectorielle XERFI 700 - Radio, juillet 2009. 68 Source : Médiamétrie, 126 000 Radio, septembre-octobre 2007, www.mediametrie.fr 69 Source : Communiqué de presse de NRJ du 27 aout 2009.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

167

L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres

� En 2006, les fréquences étaient réparties comme suit

Les recettes publicitaires

La mesure des audiences radio est réalisée en France par l’Institut Médiamétrie. Chaque

année, 126 000 interviews téléphoniques sont

et plus, entre les mois de septembre et juin. Les résultats sont publiés

L’audience des radios en Île-de

l’audience des radios est également mesurée pendant les mois de juillet et août. Une enquête

spécifique, réalisée sur la base de 13

L’audience des radios locales est mesurée dans le cadre d’une enquête spécifique

Médialocales, dont les résultats sont publiés une fois par an.

Trois principaux critères sont u

1. Le critère d’audience cumulée

moins une fois dans la journée. Il ne tient pas compte de la durée d’écoute.

2. Le critère de durée d’écoute

auditeurs d’une station.

3. La part d’audience mesure la part que représente l’écoute d’une station dans l’écoute

globale du média radio.

70 www.mediametrie.fr

Catégorie D31%

Catégorie E15%

: Méthodologie et résultats

Encadré 3 (suite)

L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres

En 2006, les fréquences étaient réparties comme suit :

Source : www.csa.fr (données 2006)

La mesure des audiences radio est réalisée en France par l’Institut Médiamétrie. Chaque

année, 126 000 interviews téléphoniques sont menées auprès de la population âgée de 13 ans

et plus, entre les mois de septembre et juin. Les résultats sont publiés70

de-France donne lieu à une publication spécifique. Depuis 2006,

l’audience des radios est également mesurée pendant les mois de juillet et août. Une enquête

spécifique, réalisée sur la base de 13 500 interviews téléphoniques est réalisée à cet effet.

L’audience des radios locales est mesurée dans le cadre d’une enquête spécifique

Médialocales, dont les résultats sont publiés une fois par an.

critères sont utilisés pour mesurer l’audience.

critère d’audience cumulée mesure le nombre d’auditeurs ayant écouté la station au

moins une fois dans la journée. Il ne tient pas compte de la durée d’écoute.

critère de durée d’écoute indique la durée d’écoute quotidienne moyenne des

ne station.

mesure la part que représente l’écoute d’une station dans l’écoute

du média radio.

Catégorie A24%

Catégorie B16%

Catégorie C14%

: www.csa.fr (données 2006)

La mesure des audiences radio est réalisée en France par l’Institut Médiamétrie. Chaque

auprès de la population âgée de 13 ans

quatre fois par an.

France donne lieu à une publication spécifique. Depuis 2006,

l’audience des radios est également mesurée pendant les mois de juillet et août. Une enquête

iques est réalisée à cet effet.

L’audience des radios locales est mesurée dans le cadre d’une enquête spécifique :

mesure le nombre d’auditeurs ayant écouté la station au

moins une fois dans la journée. Il ne tient pas compte de la durée d’écoute.

indique la durée d’écoute quotidienne moyenne des

mesure la part que représente l’écoute d’une station dans l’écoute

Catégorie B16%

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

168

L’audience est mesurée par station, mais aussi par agrégat (ex : radios de service public,

radios privées commerciales, radios privées associatives, etc.) et par couplage (un couplage

étant une offre publicitaire regroupant plusieurs stations).

L’essentiel du chiffre d’affaires des radios commerciales provient de la publicité. L’audience

d’une station conditionne ses recettes publicitaires : plus une station est écoutée, plus le prix

que les annonceurs seront disposés à débourser pour louer son espace publicitaire (temps

d’antenne consacré à la diffusion des spots publicitaires) sera important. L’espace publicitaire

des radios est commercialisé par des régies publicitaires, qui sont souvent intégrées à des

groupes radios à l’image de NRJ Régie (Groupe NRJ), IP (Groupe RTL), Lagardère Publicité

(Groupe Lagardère) ou Skyrégie (Skyrock). Le rapport entre les recettes publicitaires d’une

station et sa part d’audience est appelé « Power Ratio ». Il permet de comparer les

performances des différentes régies publicitaires.

b) Un bref historique

Les sections qui suivent permettront d’établir un bref historique des évolutions de la radio en

France.

Au commencement… les radios périphériques

Jusqu’en 1981, l’Etat français bénéficie d’un monopole sur la radiodiffusion. Au fil de ses

évolutions, la Radiodiffusion française (RDF) devient Radio France. En 1964, la

radiodiffusion française est organisée autour de quatre stations : France Inter, France

Musique, France Culture et Radio 7 (Cheval, 1997 ; Mantoux et Simmat, 2008). Dans les

faits, les auditeurs peuvent accéder à une offre commerciale privée alternative au service

public. Depuis de nombreuses années, des stations telles que Radio Luxembourg (devenue

RTL), Europe n°1, Sud Radio ou Radio Monte-Carlo font partie du paysage radiophonique

français. Ces radios peuvent déroger au droit français parce que leurs émetteurs sont situés à

l’extérieur du territoire national71. Dans les faits ces radios « périphériques », qui sont censées

être des radios étrangères, ont des studios basés à Paris. En outre, la participation financière

de l’Etat Français au capital de ces radios72, à défaut d’être le signe d’un contrôle total, révèle

le caractère fictif de leur indépendance économique et éditoriale.

71 RTL émet ainsi depuis de Grand-Duché du Luxembourg, Europe 1 depuis la Sarre Allemande, Sud Radio depuis Andorre et RMC depuis la principauté de Monaco (en fait, à partir d’une parcelle de territoire monégasque située à Roumoules, dans les Alpes-de-Haute-Provence). 72 Via la Sofirad (RMC, Europe 1 et Sud Radio) ou Havas, présent dans le capital de la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT), actionnaire à 49,9% de RTL (Mantoux et Simmat, 2008).

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

169

Les « périph’ » proposent un programme hétérogène mêlant informations, fictions

radiophoniques, émissions musicales en public, etc. Avec le développement du transistor,

l’essor du « Rock’n’roll », du « Jazz » et de la musique « Pop », des émissions musicales

thématiques destinées au jeune public sont mises à l’antenne : « En 1966, parmi les jeunes de

15 à 20 ans, 46% disposaient personnellement d’un récepteur et 62% de cette tranche d’âge

écoutaient la radio tous les jours ou presque, souvent pour suivre leur émission préférée :

“Salut les copains” sur Europe n°1 » (Cheval, 1997, p.83)

1981 : Apparition des premières radios musicales

Dès la fin des années soixante-dix apparaissent des stations pirates, pour la plupart reliées au

mouvements étudiants, sociaux, écologistes, syndicaux ou politiques (Brochand, 2006). Ce

n’est qu’avec l’ouverture de la bande FM en 1981, et l’attribution des premières autorisations

en décembre 1982, que naissent les premières radios locales privées. Soustraites aux lois de

l’économie de marché, ces radios ont l’interdiction de diffuser de la publicité jusqu’en 1984.

Les stations qui émettaient auparavant de façon pirate doivent souvent se regrouper sur une

même fréquence par paquet de deux, trois ou quatre : beaucoup s’y refusent. Dans cette

situation de cacophonie, plusieurs stations dépassent allègrement les puissances d’émission

autorisées, diffusent illégalement de la publicité, utilisent des fréquences non attribuées et

constituent des réseaux pour diffuser un programme essentiellement musical.

Particulièrement visée par les autorités, NRJ, qui lors de sa création, émet depuis une chambre

de bonne située près des Buttes Chaumont à Paris73, organise en décembre 1984 une

manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes au nom de la défense de la

musique. La dramatisation est « extrême », « calculée » (Cheval, 1997, p.82) : l’organisation

de la manifestation est confiée à DBO, une célèbre agence de publicité. Créée par Jean-Paul

Baudecroux, jeune héritier de la marque cosmétique Rouge Baiser, cette « Nouvelle Radio

Jeune » s’inspire largement des recettes utilisées par les radios musicales américaines. En

quelques mois, Baudecroux a réussi à poser les bases de ce qui deviendra un véritable

« Empire des ondes » (Mantoux et Simmat, 2008). Au cœur de la réussite de NRJ, un sens

implacable du marketing, un esprit entrepreneurial et des pratiques souvent à la limite de la

légalité, mais surtout, des connexions politiques robustes avec le parti socialiste et son jeune

porte-parole, Bertrand Delanoë.

73 Le choix de la localisation n’est pas réalisé par hasard : l’endroit est situé en altitude ce qui permet à NRJ de couvrir tout Paris. NRJ abandonnera la « rue du Télégraphe » en février 1984 pour l’avenue d’Iéna dans le VIIIe arrondissement de Paris (Mantoux et Simmat, 2008).

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

170

Un formatage progressif des radios musicales

Comme l’explique ce professionnel rencontré dans le cadre de la recherche, les radios

généralistes ont, avec la libéralisation de la bande FM, entamé une coexistence avec des

radios musicales de plus en plus thématiques.

« La première étape, c’était “à chacun son émission”, c’était les radios généralistes. Les jeunes avaient leur émission à la fin de journée, les ménagères avaient une émission entre dix heures et midi… Et puis… une émission a été prise et on en a fait une radio. C’était l’étape FRJ. Et après, c’est devenu : “à chacun sa radio”. C'est-à-dire qu’on a pris une émission et on en a fait une radio. Voilà… le “hit” de dix-sept heures sur RTL est devenu FRJ. Et après “à chacun sa radio”, il y a une étape qui est “à chacun sa musique”. On prend une musique, et on en fait une radio… »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’un réseau national

Les historiens de la radio (Cheval, 1997 ; Flichy, 2004) s’accordent à relier l’invention du

transistor et l’essor du « Rock’n’roll » à la dynamique de spécialisation des radios. En

permettant la miniaturisation et la mobilité des postes de radio, le transistor introduit de

nouvelles pratiques d’écoute de la musique. Dans ce « foyer juxtaposé », « chaque membre de

la famille peut écouter la musique qu’il souhaite dans sa chambre » (Flichy, 2004, p.230). Ce

nouveau mode de communication individuelle de la musique qui trouvera son prolongement

naturel dans l’arrivée du baladeur permet une spécialisation des contenus radiophoniques.

Dans la filiation directe des radios communautaires américaines (Fisher, 2007, p.26) qui dès

les années soixante s’étaient engagées dans une dynamique de spécialisation, les stations

françaises, avec plusieurs décennies de retard, entament donc la diffusion de contenus

musicaux thématiques afin d’attirer des audiences spécifiques.

La renaissance des radios « indépendantes »

Au début des années 90, le paysage radiophonique français entre dans une dynamique de

concentration. Des réseaux musicaux nationaux rassemblent un nombre croissant de

franchisés et tombent progressivement sous le contrôle de grands groupes médias.

Si quelques programmes locaux tels que Vibration à Orléans ou Radio Scoop à Lyon

parviennent à concurrencer les réseaux nationaux, de nombreuses radios locales

commerciales, héritières des radios libres de 1981, connaissent de graves difficultés

financières que certains relient à des manœuvres anticoncurrentielles des réseaux nationaux.

Le verbatim suivant est extrait du corpus de la recherche.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

171

« La radio s’est trouvée en dépôt de bilan et a fermé. On a gardé une fréquence, qu’après on a sous-traité à Fun. Fun Radio avait lancé son réseau et voulait mettre une antenne ici. Et vu que ça ne se trouve pas comme ça une fréquence, on avait une fréquence qu’on n’exploitait pas. Donc on a loué sa fréquence à Fun jusqu’en… 2001 ou 2002. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante

Des stations locales se résignent alors à rejoindre des réseaux nationaux. D’autres

s’organisent et mutualisent leurs ressources. Les tentatives de dumping entreprises par NRJ

sur plusieurs marchés locaux et le développement du réseau Rire et Chansons, en dépit des

règles fixées par la législation et le CSA, ne seraient pas étrangères à la fronde des radios

locales (Brochand, 2006).

« Combien de locales sont mortes quand FRJ est arrivé ? L’exemple le plus typique c’est Menton, Platine FM. Radio qui cartonnait, qui marchait très bien et qui avait commencé à avoir des antennes ici. FRJ est arrivé, la radio a coulé. En six mois, elle déposait le bilan. FRJ vendait des spots à 10 Francs à l’époque. Hein… la radio s’est écroulée en six mois. Et combien de radios sont mortes comme ça ? Voilà… si FRJ existe, c’est grâce aux radios locales. Ils ont racheté des fréquences enfin… »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante d’Île-de-France

Crée en 1992, le GIE « Les Indépendants » organise la résistance. Douze radios locales

s’associent alors pour proposer aux annonceurs nationaux une offre publicitaire commune

aujourd’hui commercialisée par TF1 Publicité. Le GIE rassemble désormais plus de cent

vingt stations locales et régionales. Outre les recettes publicitaires qu’il génère, le GIE peut

conseiller les radios adhérentes en matière de programmation musicale ou encore négocier des

tarifs préférentiels auprès de prestataires (studios d’enregistrement de jingles par exemple).

Emblématique de l’essor des radios locales, le groupe Start, construit sur la base du succès de

la radio orléanaise Vibration, contrôle aujourd’hui de nombreuses stations74. Ces acteurs

locaux et régionaux viennent désormais contester le leadership des réseaux nationaux. Le

verbatim qui suit est extrait d’un entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un

important label musical.

74 Forum (Centre) Voltage (Paris), Black Box (Bordeaux), Sun (Lyon), Latina (Paris), Wit FM (Bordeaux), Sud Radio (Grand Sud), Ado FM (Paris) et Vitamine (Marseille).

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

172

« Ces radios de province sont locales, en l’occurrence, ça peut être Radio 6 qui est basée à Calais… ou régionales, Alouette par exemple qui est basée aux Herbiers mais dont la zone d’émission est sur neuf départements… ou Vibration qui est une radio qui est basée à Orléans et qui émet aussi bien à Tours qu’à Cholet, à Blois, à Orléans, jusqu’aux portes de Paris quand il fait beau. Voilà. Ce sont de grosses radios qui sont des radios leaders, toutes dans leur domaine, et qui génèrent énormément d’audience. »

Entretien réalisé avec le directeur de la promotion d’un label appartenant à une major

Les éléments qui viennent d’être présentés permettent de cerner les enjeux actuels du secteur

de la radio en France et d’en retracer l’histoire. Notre champ d’étude ne concerne cependant

pas l’ensemble du secteur de la radio mais se porte sur une catégorie particulière de radios, les

radios musicales, et sur un type particulier d’acteurs, les programmateurs. La section qui va

suivre leur est consacrée.

1.2. DU LIEN ENTRE PROGRAMMATION MUSICALE ET STRATEGIE

La population des radios musicales françaises se caractérise par une très grande hétérogénéité,

tant en termes de « taille » (des « petites » radios locales coexistent avec des réseaux

régionaux et nationaux) que de format (des formats très spécialisés coexistent avec des

formats relativement généralistes). Des émissions parlées viennent entrecouper la

programmation. S’il est vrai que le modèle du « Zoo morning show », mettant en scène un

animateur principal et des personnages secondaires qui interagissent avec les auditeurs, est

directement importé des Etats-Unis, l’existence d’émissions de libre antenne en soirée est une

spécificité typiquement française (Glevarec 2005 ; Turner 1993). La présence de ces

émissions parlées ne doit pas occulter le fait que l’essentiel du temps d’antenne des radios

musicales demeure consacré à la musique (Glevarec 2005).

Comme l’explique Berland (1990, p.182) : « La musique n’est pas le véritable produit d’une

radio, mais un moyen utilisé par la radio pour constituer son audience, le produit qui est

commercialisé par la radio aux annonceurs en échange de recettes publicitaires. »75 Le plus

souvent confiée au programmateur, au directeur de la programmation ou directeur des

programmes, la programmation musicale conditionne l’audience de la station et se pose

comme l’élément essentiel de la stratégie concurrentielle d’une radio musicale.

75 “Music programming is not the main commodity produced by radio, but is rather the means to the production of radio real commodity – the audience – to be sold to advertisers in exchange for revenue to the broadcaster.” (Berland, 1990, p.182)

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

173

Après avoir défini la notion de format musical (point a), nous nous intéresserons au rôle du

programmateur dans l’élaboration de la programmation musicale (point b). La mécanique

« Top 40 », un ensemble de techniques élaborées aux Etats-Unis dès le début des années

cinquante aux Etats-Unis, sera ensuite présentée (point c). Nous conclurons en soulignant la

saillance de la thématique de la recherche (l’imitation concurrentielle) dans le champ

opératoire étudié (point d)

a) Le format musical et la programmation

Accompagnant la dynamique de spécialisation des radios américaines, la presse

professionnelle du secteur de la radio et le FCC (l’autorité de régulation américaine) ont mis

en place des nomenclatures permettant de classifier les contenus radiophoniques par

« formats ».

Une définition de la notion de format

En suivant Lee (2004, p.327) on considèrera qu’un format « est composé de titres issus du

même sous-genre musical (rock alternatif, musique urbaine, country, gospel…) »76, par

extension, le terme est également utilisé pour désigner des contenus parlés (on parle alors de

formats « talk »). La classification qui suit (encadré 4) est présentée par Jérôme Delaveau,

professionnel du secteur aujourd’hui directeur des programmes de Hit Radio (une station

musicale du Maroc). Cette classification s’inspire des nomenclatures américaines. Elle est

proposée dans une version plus détaillée en annexe 2.

76 “A format consists of music drawn from closely related sub-genres of music [alternative rock, urban, adult contemporary, country, Spanish, gospel) or by extension a talk format such as “sports” or “news/talk” (Lee, 2004, p.327)

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

174

Encadré 4

Les principaux formats musicaux aux Etats-Unis

� Les formats peuvent être classifiés en fonction du genre musical auquel ils se rattachent.

� Les formats CHR et AC demeurent relativement généralistes. Des sous-formats, plus spécialisés, peuvent leur être rattachés.

� Les formats Rock/Alternative et Urban renvoient quant à eux à des univers musicaux bien identifiés (respectivement le « Rock » et l’univers « Rap/R’n’B/Soul »).

� Les formats « Oldies » sont consacrés à des titres de « back catalogue » (titres relativement anciens).

D’après Jérôme Delaveau (Annexe 2)

Les formats ne sont pas seulement des instruments permettant d’analyser le positionnement

des stations de radio. Ils contribuent également à la standardisation et à la rationalisation des

pratiques radiophoniques (Berland, 1990, 1993), chaque radio définissant son format en

fonction de l’audience qu’elle souhaite atteindre. Charge au programmateur de décliner ce

dernier au travers de ses choix musicaux. Il serait cependant illusoire d’appréhender le format

comme un moule rigide qui s’imposerait au programmateur. Le caractère extrêmement poreux

des formats actuels laisse en effet la possibilité au programmateur d’influer largement sur le

positionnement stratégique de sa station au travers de ses décisions musicales quotidiennes.

Des positionnements poreux

Le Rapport sur la diversité musicale dans le paysage radiophonique établi en 2003 par

l’Observatoire de la Musique souligne un « effet d’endogamie » dans les programmations

musicales des radios. Sur 31 radios « observées », 19 avaient en commun au moins 50% de

leur playlist. Dans une réflexion consacrée aux évolutions dans l’industrie musicale, le

praticien Borey Sok (2007) estime que cette standardisation des « playlist » est en grande

partie responsable de l’engouement des consommateurs de musique pour le téléchargement de

fichiers musicaux sur Internet : « Les jeunes ne se sont pas tournés sur Internet uniquement

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

175

pour son offre et sa gratuité. La forte concentration des médias a poussé ce public à utiliser le

Web comme un médium alternatif aux médias classiques. Des chaînes comme MTV ou MCM

et des stations comme FRJ ou FUF RADIO ont les parts d’audience les plus importantes. Ce

qui ne signifie pas que leur programmation soit “riche” et de “qualité”. Au contraire, les

playlists se voient de plus en plus réduites. » (Sok, 2007, p.31). Le phénomène semble

particulièrement prononcé chez les radios jeunes.

Il peut sembler paradoxal de voir des stations positionnées sur des formats musicaux

différents adopter la même programmation musicale. Loin d’augmenter la diversité de l’offre

musicale, le formatage a, selon certains auteurs, tendance à diminuer la richesse de l’offre

musicale en radio : « l’organisation de l’audience par formats musicaux a pour effet de

rationaliser le marché de la radio. Cette démarche pourrait nécessiter une diversification de

la production musicale et une programmation plus variée… lorsqu’on étudie l’évolution des

formats musicaux, on peut constater que c’est l’inverse qui s’est produit » (Berland, 1993,

p.109). Barnard (1989) invoque quant à lui une « orthodoxie professionnelle » combinant

formatage et recherche musicale, pour expliquer l’homogénéisation des playlists. Il n’est donc

pas rare d’entendre un même titre diffusé sur de très nombreuses radios positionnées sur des

formats différents. Comme le résumait en 2004 le publicitaire Christian Blachas (2004) dans

un éditorial au vitriol, « la différence se fait [désormais] sur des notions ténues : musique du

début des années 80, du milieu des années 80, de la fin des années 80. […] Toujours les

mêmes tubes, les mêmes standards. Et toujours cette dictature de la playlist qui enlève à la

radio la spontanéité qui est pourtant sa raison d’être ».

Décrire le formatage comme la cause exclusive de l’homogénéisation des programmations

musicales serait néanmoins réducteur. L’apparition de titres difficilement classables dans un

genre musical particulier rend, en effet, la notion de genre musical de plus en plus relative.

Les exemples de fusions « Electro/Rock », « Rap/Rock », « Electro/rap » deviennent de plus

en plus fréquents. En 2003 le groupe de Rock Linkin’ Park fait ainsi participer le rappeur Jay

Z à son titre Numb. Le titre est alors programmé sur de nombreuses radios parmi lesquelles

figurent notamment Europe 2, Ouï FM, Le Mouv’ (formats « Rock »), NRJ (formats

généraliste), Fun Radio (format « Dance ») et Skyrock (format « Rap »)77.

77 Données Yacast.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

176

En 2004 c’est le groupe pop Starsailor connait un succès inespéré avec une version

« Electro » de son titre « Four to the Floor » élaborée par le DJ Thin White Duke.

L’expérience est répétée avec un groupe de « Rock », The Killers, qui par l’intermédiaire de

remixes parvient à être programmé sur Contact, une station « Dance » du Nord de la France,

dont le directeur des programmes assume les « écarts » de format.

« Il y a de plus en plus de clubs où les DJ’s passent du “R’n’B”. Bon, je pense que là on va arriver vers le bout et je pense que là, un nouveau son finira par arriver. Là nous par exemple, on est beaucoup sur ces fusions “Rock-Electro” ou “R’n’B-Electro”… parce qu’on sent bien que ça peut remplacer… enfin on y fait attention. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante thématique

En 2007, Mika parvient à être l’artiste le plus programmé en mêlant influences Pop, Rock et

Electro : la clé d’une programmation sur de nombreuses radios aux formats différents. Le

phénomène est désormais renforcé par l’apparition de « Bootlegs », montages réalisés par des

internautes combinant plusieurs titres souvent issus de genre musicaux différents.

Cette porosité des positionnements accentue, à notre sens, le rôle du programmateur dans

l’élaboration de la stratégie. Loin d’être un simple opérateur, il doit désormais constamment

interpréter et questionner le format musical, quitte à s’éloigner, par moments, du

positionnement revendiqué par sa station.

b) Le programmateur, un acteur stratégique

Le positionnement concurrentiel de la station est donc susceptible d’évoluer au gré des choix

musicaux du programmateur. Comme le révèle l’extrait suivant, les changements de

positionnement correspondent souvent à l’arrivée d’un nouveau programmateur.

« Je suis revenu il y a trois ans, trois ans et demi. On m’a appelé, j’étais directeur des programmes d’une radio Suisse. On m’dit : “bah est-ce que tu voudrais venir faire la même chose chez nous ?” Je dis que je n’avais pas prévu spécialement de revenir mais pourquoi pas. Et donc, quand je suis arrivé, la première année, en programmation : Renault, Axel Red, “Manhattan – Kaboul”. Et là, je joue Renault et Axel Red sur la radio. Et là, j’ai plein de gens qui viennent me voir en me disant : “Eh oh, c’est pas le genre de la maison”. Et moi je dis “ok mais bon, je le joue quand même parce que ça va être un tube énorme et je veux passer des énormes tubes”. Et ça a été marrant quoi… et le disque on l’a joué et effectivement, ça a été un tube énorme. La première année, tu dois forcer le respect par le travail. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

177

Une décision sous influence

Les décisions des programmateurs sont souvent largement commentées à l’intérieur des

radios. Le caractère artistique et subjectif de la programmation expose parfois ces acteurs

stratégiques à de nombreuses critiques. Ces interventions peuvent parfois émaner des

dirigeants de la station et être « subies » par les programmateurs.

« Le principe… et c’est vrai que parfois c’est usant… c’est que quoi que tu décides, tu auras toujours 15 000 mecs autour de toi qui seront persuadés qu’ils ont tout compris à la musique et pour eux, tes choix sont forcément nuls. Après quand tu en fais ton métier, tu as une autre approche… tu choisis moins en fonction de tes goûts à toi et plus en fonction de ce que tu imagines des attentes des gens qui écoutent la radio. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio musicale indépendante

Les programmateurs font aussi l’objet d’une attention particulière des attachés de presse

mandatés par les maisons de disques qui cherchent à voir leurs productions diffusées en radio.

Au-delà de la redevance78 versée par les radios et réparties aux ayants-droits au prorata de

leurs diffusions, l’exposition d’un titre en radio est supposée générer des ventes et surtout de

déclencher un cercle vertueux. Lorsqu’une radio entre un titre dans sa programmation, le titre

gagne des places dans « l’Airplay » (le classement des titres les plus diffusés en radio).

« L’Airplay » est scruté par tous les professionnels du secteur, qu’il s’agisse des producteurs

de l’industrie musicale, des distributeurs ou des autres programmateurs. Ce point sera

largement traité dans le chapitre 5 de la thèse.

Des registres de programmation divers

Au-delà de ces contraintes légales qui s’imposent à toutes les stations, les programmateurs

sont susceptibles de concevoir leur métier de différentes façons. C’est à cette conclusion que

parviennent Ahlkvist et Faulkner (2002) au travers d’une étude qualitative consacrée à des

programmateurs officiant dans des radios américaines. Après avoir réalisé une trentaine

d’entretiens, les deux chercheurs parviennent à faire émerger plusieurs « répertoires » qui

correspondent à quatre façons très différentes d’appréhender le métier de programmateur.

78 Depuis le 1er janvier 2008 le taux de rémunération est compris entre 4 et 7% du chiffre d’affaires selon la situation économique de la radio (décision publiée au Journal officiel du 6 novembre 2007). Le taux était précédemment de 4,25% pour toutes les radios.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

178

Pour certains répondants, la programmation musicale est avant tout affaire de passion. Il

s’agira pour le programmateur de mettre à l’antenne les disques qu’il préfère, de réaliser un

travail d’éducation musicale des auditeurs. Cette attitude correspond au « répertoire

subjectif ».

Pour d’autres, les instruments marketing permettent à la programmation de gagner en

scientificité et en objectivité. La programmation doit alors s’aligner strictement sur une

demande des auditeurs supposée pré existante. La programmation de nouveautés est perçue

comme un risque inutile, le suivisme clairement revendiqué. Le programmateur n’est que la

courroie de transmission de la volonté des auditeurs. Il s’agit du « répertoire objectif ».

Les programmateurs qui s’inscrivent dans le « répertoire populiste » travaillent souvent pour

le compte de stations locales communautaires. Leur principal objectif sera de faire évoluer

leur format dans le sens des attentes de leur audience locale. Si cette orientation vers les

auditeurs les rapproche des programmateurs du « répertoire objectif », ils s’en différencient en

ce qu’ils considèrent l’acte de programmation comme une forme d’artisanat où l’empathie

doit primer sur l’utilisation des instruments de recherche. Comprendre son audience, la

connaître, savoir anticiper sur ses goûts musicaux, constituent alors l’essentiel des qualités

d’un bon programmateur.

Enfin, pour une quatrième catégorie d’acteurs, l’essentiel sera de s’aligner sur l’agenda

promotionnel des maisons de disques. Les attachés de presse mandatés par les major

compagnies sont perçus comme des partenaires de travail. Dans ce répertoire qualifié par

Ahlkvist et Faulkner (2002) de « synergique », les objectifs des radios et des maisons de

disques sont perçus comme étant similaires et le programmateur cherchera à maximiser la

valeur ajoutée promotionnelle de sa station.

La typologie élaborée par Ahlkvist et Faulkner (2002) permet de mettre en lumière les

différentes attitudes possibles chez les programmateurs radio. Ces derniers évoluent

néanmoins dans un univers normé, reprenant des techniques et des méthodes élaborées pour la

plupart aux Etats-Unis.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

179

c) Un univers normé

Quel que soit leur format, les radios musicales reprennent en effet très largement la

mécanique du « Top 40 », un ensemble de techniques et d’instruments élaborés au début des

années cinquante aux Etats-Unis. Conçu aux Etats-Unis au début des années cinquante

(Leblebici et al., 1991) sur des radios comme KLIF (Dallas) ou KOWH (Omaha), le « Top

40 » repose sur la multidiffusion, au cours d’une même journée, d’une liste de titres limitée

(« playlist »). Dans ce flux musical, les titres sont entrecoupés de « jingles », l’animateur

intervenant de façon parcimonieuse pour annoncer la programmation, lancer les publicités,

animer des jeux téléphoniques avec les auditeurs, annoncer quelques informations et surtout,

donner une personnalité à l’antenne.

Aux succès du moment, diffusés très fréquemment sur l’antenne, se mêlent des titres plus

anciens et des standards (« golds »). Comme l’expliquent Leblebici et ses collègues (1991), ce

modèle économique a permis de réduire considérablement les coûts de fonctionnement des

radios musicales, le disc-jockey étant chargé de la réalisation technique de son émission, de

l’animation et du standard avec les auditeurs. L’invention du « Top 40 », souvent attribuée à

l’américain Todd Storz, fait aujourd’hui office de mythe fondateur chez les professionnels du

secteur. A l’instar de pionniers décrits par Stinchcombe (1965) qui façonnent, à leur image,

les organisations de leur secteur, Todd Storz a définitivement laissé son empreinte dans le

fonctionnement de toutes les radios musicales actuelles.

Todd Storz, le père du « Top 40 »

L’anthologie de la radio proposée par Mark Fisher (2007) donne des bases historiques

sérieuses à ce mythe. C’est en 1949, dans un paysage radiophonique sinistré par l’arrivée de

la télévision que Todd Storz fait l’acquisition de KOWH, une petite station de radio du

Nebraska à l’audience confidentielle. L’euphorie des premiers jours laisse rapidement la place

à une sévère désillusion : le programme, composé d’émissions parlées (religieuses

notamment) et d’émissions musicales thématiques (musique classique, country) peine à attirer

de nouveaux auditeurs. Les recettes publicitaires se tarissent.

La légende veut que ce soit en observant les clients d’un restaurant glisser des pièces dans le

« jukebox » que Todd Storz ait posé les bases de la radio musicales moderne. « Je me suis

rendu compte que les gens écoutaient leur chanson préférée encore et encore… » (Fisher,

2007, pp.8-9). Fasciné, Storz aurait également observé la serveuse du restaurant, qu’on aurait

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

180

pu croire lassée d’entendre les mêmes disques toute la journée, adopter le même

comportement à la fin de la journée. Convaincu que la clé du succès résidait dans la répétition

des disques préférés des auditeurs, Storz commença par programmer, en 1951, l’émission

« Your Hit Parade » entre neuf heures et onze heures, tous les matins sur KOWH, un

classement des quarante chansons les plus populaires du moment. Rompant avec la croyance

selon laquelle il ne fallait pas diffuser un même titre plus d’une fois durant la même journée,

Todd Storz aurait alors demandé aux animateurs de sa tranche matinale de diffuser les

chansons classées dans « Your Hit Parade ». D’une émission spécifique, le « Top 40 » est

devenu une mécanique d’antenne.

Au-delà de la mécanique du « Top 40 », on doit également à Todd Storz l’introduction

d’innovations telles que les jingles chantés entrecoupant les disques, le ton très particulier des

animateurs de radios musicales, l’utilisation d’un bruit de machine à écrire en fond sonore des

flashs infos et la programmation de ces derniers deux minutes avant l’heure fixe pour délivrer

l’information « deux minutes avant tout le monde ».

Le mode de fabrication du flux musical

Le mode de fabrication du programme musical est, lui aussi, extrêmement standardisé

(Ahlkvist et Fisher, 2000). Dans un ouvrage consacré à la « success story » NRJ, les

journalistes Aymeric Mantoux et Benoit Simmat (2008) décrivent le choc des cultures

provoqué par l’arrivée d’un consultant américain dans la balbutiante NRJ.

« Dès son arrivée, le premier jour, Fergusson commence par diviser la grande horloge murale du studio en autant de parts qu’il existe d’heures. […] Sur chaque morceau, il colle trois pastilles rouges à distance égale. Parallèlement, il trie les disques et en sélectionne certains qui se voient frappés d’une pastille de la même couleur. Les disques “rouges” sont les tubes du moment à passer souvent et à intervalles réguliers : Stevie Wonder, Peter et Sloane, Gilbert Montagné… Les jours suivants, Fergusson arrive avec de nouvelles pastilles de couleur qui sont insérées entre les rouges. Il y a les “jaunes” pour les nouveaux tubes (en progression), les “violettes” pour des 45-tours dont on ne sait pas bien s’ils peuvent marcher […] et puis les “vertes”, pour les nouveautés de la semaine. Enfin, les “golds”, pour les grands standards que FRJ, comme ses concurrentes, diffuse toujours. On programme chaque heure un maximum de “rouges” suivis des “verts”, des “jaunes”, des “violets” et enfin des “golds”. Cookie Dingler (Femme libérée) et Scorpions (Still Loving You) côtoient Jeanne Mas (Toute première fois) puis Jermaine Jackson et Pia Zadora (When The Rain Begins to Fall), et enfin… un bon vieux Dalida par exemple. »

D’après Mantoux et Simmat (2008, p.127)

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

181

Ce jour de 1984 à NRJ, Ted Fergusson introduit trois outils, utilisés depuis très longtemps par

les FM américaines : la playlist, les taux de rotation et les horloges. Il découple également la

fonction de programmation musicale de celle d’animation pour la confier à Max Guazzini,

nommé directeur des programmes.

La playlist est une liste de disques qui sont diffusés quotidiennement sur l’antenne. Les

programmateurs des radios reçoivent en permanence les dernières productions musicales

qu’ils doivent décider d’incorporer, ou non, à leur playlist (Rossman, 2004).

Un même titre est souvent diffusé à plusieurs reprises au cours d’une même journée. On

appelle « taux de rotation » le nombre de passages quotidiens. Les titres sont regroupés en

plusieurs catégories en fonction des taux de rotation. Comme nous l’explique ce

programmateur, un label permet de désigner chaque catégorie (ici les « nouveautés », les

« chauds », les « bouillants »).

« Dans la façon dont tu les fabrique avec tes catégories de titres : tu as les “golds”, les nouveautés, tu as les chauds, tu as les bouillants… c’est tout un bazar. »

Entretien avec le programmateur d’une station indépendante

D’ordinaire, les plus grands succès du moment (les « hits ») sont les titres qui sont

programmés le plus souvent sur une radio. A l’opposé, les « golds » (titres relativement

anciens considérés comme des standards) et les « nouveautés » feront l’objet d’un taux de

rotation plus faible.

Dans la programmation quotidienne d’une station, les disques s’enchaînent en fonction d’un

canevas très rigide. Véritable squelette de chaque heure, « l’horloge » organise l’alternance

des différentes catégories de titres sur l’antenne. Il pourra s’agir, par exemple, de diffuser

systématiquement un titre appartenant à la catégorie « bouillants » en début de chaque heure,

d’enchainer sur un titre issu de la catégorie « nouveautés », puis sur une intervention de

l’animateur, une plage de publicités, un « chaud », une « nouveauté », etc.

Chaque catégorie est donc mobilisée un certain nombre de fois au cours d’une même journée,

et contient un nombre de titres limité. Le ratio « nombre d’appels quotidiens de la catégorie /

nombre de titres contenus dans la catégorie » permet de définir le taux de rotation.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

182

La mécanique est résumée, en entretien, par ce programmateur :

« On a une catégorie d’ “actifs” qui tournent toutes les cinq heures… en fait on en a un par heure et il y en a cinq dedans. Fous on est une radio quand même “Pop-Rock” et pas une radio jeune style FRJ. Je pense que sur FRJ, ça sera cinq “actif” avec deux appels dans l’heure. Grosso modo ça va revenir toutes les deux heures et demi. Ou même plus que ça… parfois encore plus pour certaines radios jeunes. Il y a une radio qui nous ressemble un petit peu en Alsace. D’après ce que j’ai cru comprendre et décortiquer, ils auraient une playlist de neufs titres en ‘actifs’ avec deux appels dans l’heure. Ce qui fait un retour toutes les 4h30. »

Entretien avec le directeur d’une radio indépendant du Ford-Est de la France

L’augmentation des taux de rotation constitue une évolution générale depuis plusieurs

dizaines d’années : à la fin de l’année 1994, l’entrée en playlist par NRJ du premier succès de

Scatman John avec un taux de rotation de six passages quotidiens faisait figure de fait

rarissime. Aujourd’hui, les programmateurs de NRJ n’hésitent plus à diffuser les plus grands

« hits » du moment à un rythme pouvant aller jusqu’à dix-huit passages jour. Malgré cette

évolution générale il convient de remarquer que les taux de rotation sont susceptibles de

varier considérablement d’une station à une autre. Les radios positionnées sur des formats

adultes ont ainsi tendance à pratiquer des taux de rotation plus faibles tandis que les radios

destinées à des publics plus jeunes proposent des programmes beaucoup plus répétitifs. Ces

pratiques sont en cohérence avec la durée d’écoute habituellement plus longue pour les radios

adultes que pour les radios jeunes. Dans une étude consacrée aux radios musicales

américaines, Rossman (2003) constate, par ailleurs, que les radios détenues par de grands

groupes de communication (Clearchannel, Emmis Communication) ont tendance à pratiquer

des taux de rotation plus élevés que les stations indépendantes.

La recherche musicale

Comme l’explique Turner (1993), l’instinct du programmateur a progressivement laissé place

à des méthodes supposées plus « objectives » pour élaborer la playlist. Des instruments de

« recherche musicale » ont ainsi été développés pour « minimiser les risques en évitant

l’innovation » (Ahlkvist et Fisher, 2000, p.304). Deux outils sont particulièrement utilisées :

l’auditorium et le « call-out » (Ahlkvist et Faulkner, 2002).

L’auditorium consiste à rassembler des auditeurs pour leur faire évaluer les différents

éléments qui composent le programme (Ahlkvist et Fisher, 2000). Passionné de radio, Marc

Fisher (2007, pp.271-272) nous plonge dans l’ambiance d’un auditorium.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

183

« Une cinquantaine de personnes avaient pris place autour de tables sur lesquelles on retrouvait des sucreries, des bouteilles de Coca-Cola, des Brownies et de petits boitiers noirs électroniques sur lesquelles on pouvait lire l’inscription “Analyseur de perception”. Il n’y avait ni DJ, ni directeur de la programmation dans la salle. Ces cinquante personnes, recrutées par téléphone et sélectionnées parce qu’elles étaient représentatives de l’audience de la station sur des critères de sexe, d’âge, d’appartenance ethnique et de préférences musicales allaient définir la playlist de WBIG, la station « senior » du district de Washington. Ces personnes étaient payées 65 dollars pour cette séance qui allait durer deux heures trente. Elles allaient passer deux heures à écouter des sept-cent clips sonores, de sept secondes chacun, tirés des titres les plus populaires de leur jeunesse et de leur vie d’adulte. Elles ne savaient pas quelle station avait financé l’opération… mais la plupart d’entre elles s’en douteraient assez vite. Elles allaient entendre les Beatles et Carly Simon, les Supremes, Fleetwood Mac, Elvis, Abba, encore les Beatles, à nouveau des productions Mottown. Extrait sonore après extrait sonore, jusqu’à ce qu’elles aient l’impression d’avoir écouté tous les disques jamais enregistrés. Elles seraient probablement surprises de reconnaitre la plupart de ces chansons à partir d’extraits aussi courts. A l’aide de leur boîtier individuel, on leur demanderait d’attribuer une note, comprise entre zéro et cent, afin d’indiquer si elles souhaiteraient entendre la chanson à la radio ou si l’écoute de cette dernière les feraient immédiatement zapper. Les câbles des ordinateurs auxquels étaient reliés les boîtiers disparaissaient sous une cloison séparant la salle de réunion d’une autre pièce. Une autre pièce dont la porte était fermée. Une autre pièce dans laquelle les dirigeants de WBIG, assis, dégustaient des club-sandwichs en scrutant l’écran géant sur lequel apparaissaient les résultats en temps réel. »

D’après Fisher (2007, pp.271-272)

Reproduits auprès de différents groupes, les « auditos » sont souvent pratiqués une fois par an

par les stations musicales. Ils permettent surtout de définir la base de « golds ». Si certains

titres, comme ceux appartenant au répertoire des Beatles, constituent des classiques

incontournables, les choix peuvent s’avérer plus difficiles lorsqu’il s’agit de sélectionner des

titres moins connus. Le recours aux « auditos » permet ainsi de trier le bon grain de l’ivraie.

Marc Fisher (2007) révèle que lors de sa campagne électorale de 1992, Bill Clinton a pris soin

de faire tester différents hymnes de campagne possibles. Le candidat démocrate a ensuite

adopté une chanson du groupe Fleetwood Mac intitulée « Don’t Stop Thinking About

Tomorrow » dont les résultats aux tests se sont avérés meilleurs que ceux obtenus par

n’importe quel autre titre (à l’exception des chansons des Beatles).

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

184

Signe des temps, Hillary Clinton, avant de solliciter les suffrages des sympathisants

démocrates lors des primaires de 2008 a adopté une autre méthodologie en demandant aux

internautes de choisir parmi une dizaine d’hymnes de campagne potentiels, tous pré-

sélectionnés par des consultants. A l’issu d’une opération très médiatisée, c’est finalement la

chanson « You and I » de Céline Dion qui a été retenue.

Introduits en France au début des années quatre vingt-dix, le « call-out » procède de la même

logique que l’auditorium. Différence notoire, il s’agit d’une enquête réalisée par téléphone sur

un panel d’auditeurs représentatifs du public de la station. Après avoir écouté un court extrait

musical, le sondé doit répondre à une série de questions visant à évaluer la notoriété du titre,

l’engouement ou la lassitude qu’il suscite chez les auditeurs, etc. Dans une interview télévisée

accordée en 1993 à l’émission « Radio Mag » de MCM, Jean-Eric Valli, alors président de la

station orléanaise Vibration, précise son utilisation de ces tests :

« Ça nous apporte des informations sur certains morceaux de musique qu’on passe depuis longtemps et pour lesquels on ne sait plus vraiment si l’auditeur les aime ou pas. En revanche, ça ne nous sert pas du tout sur les nouveautés, sur euh… C’est à nous d’investir en quelques sortes. De faire un pari, de voir si ça plait aux auditeurs, de jouer un morceau si ça leur plait, de le retirer si ça ne leur plait pas. Mais ça nous donne des informations… par exemple une info toute simple, c’est de savoir quand les gens en ont marre d’entendre un morceau. Fous, en temps qu’animateurs de radio, on entend le morceau toute la journée… donc on en a très vite marre. L’auditeur écoute deux ou trois heures par jour, par séquences de vingt minutes… il en a peut être marre lui au bout de trois mois. »

Source : « Reportage consacré à Vibration (Orléans) », Radio Mag, MCM, 1993.

Très onéreux, ces outils ont longtemps été réservés aux stations appartenant à des grands

groupes médias qui pouvaient ainsi réaliser des économies d’échelles (Ahlkvist et Faulkner,

2002). Comme le relate Tristan Jurgensen, directeur de Médiapanel sur le site d’information

professionnelle « RadioActu », certains d’entre eux ont d’ailleurs fait le choix de réaliser ces

enquêtes en interne. C’est par exemple le cas du pôle radio France du groupe RTL.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

185

« Mediapanel a été créée dès 1997 par Axel Duroux, alors patron de RTL2, pour réaliser premières études musicales de cette radio. En 1998, les équipes de Fun Radio et RTL2 ont été rapprochées et les services de Mediapanel ont été étendus à l’antenne de Fun Radio, avec – en plus des activités de recherche initiales – la création d’une unité d’études qualitatives pour travailler sur le contenu des matinales et des libre-antennes. Forte de cette expérience sur les deux radios musicales du groupe, Médiapanel est devenue à partir de 2001, une filiale étude à part entière : l’élargissement de ses services à RTL et la construction d’un terrain d’appels interne d’une vingtaine de positions lui ont permis d’acquérir l’autonomie, l’expérience et la réactivité nécessaire à son développement. »

Source : « Mediapanel – Entretien avec Tristan Jurgensen, directeur exécutif », RadioActu, 25 juillet 2006

En France, ces outils deviennent de plus en plus utilisés par les stations locales qui n’hésitent

plus à s’associer afin de mutualiser les coûts.

Une information partagée

Si les programmateurs des réseaux nationaux les plus importants peuvent parfois être associés

au développement de certains artistes, l’essentiel des disques est envoyé par les attachés de

presse des labels. Chaque jour, les programmateurs reçoivent ainsi des envois promotionnels

émanant des maisons de disques. Ces colis contiennent des disques qui, souvent, ne sont pas

encore sortis dans le commerce (certains d’entre eux ne sortiront jamais).

« C’est les maisons de disques qui envoient les disques. Elles signent les disques, les envoient aux radios, et si le titre marche, elles le mettent en vente… si le titre ne marche pas, elles le mettent à la poubelle. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio musicale indépendante

Les radios locales se sont souvent plaintes de ne pas avoir accès aux mêmes titres que les

grands réseaux nationaux. Depuis 2004, le syndicat national des éditeurs phonographiques

(SNEP) a mis en place le dispositif Tite-Live (également connu sous le nom de « Music

Center ») qui permet aux médias d’avoir accès à la quasi-totalité des catalogues via Internet.

Les radios, nationales comme locales, peuvent ainsi avoir accès à un vaste catalogue en

version numérique.

Pour construire leur « playlist », les programmateurs musicaux des radios ont souvent les

yeux rivés sur le classement des meilleures ventes de disques. Cette information est partagée

par l’ensemble des acteurs du secteur (Anand et Peterson, 2000). Etablis en France par

l’institut Ifop, les classements de ventes d’albums, de singles et de compilations sont mis en

ligne le mardi soir sur Internet. Ils sont repris par l’hebdomadaire « Musique Info Hebdo »,

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

186

principal titre de la presse professionnelle, tous les vendredis. Les classements des meilleures

ventes ne constituent cependant par l’unique source d’information utilisée par les

programmateurs. Ceux-ci peuvent en effet consulter le classement des titres les plus diffusés

en radio (« Airplay ») réalisé en France par la société Yacast, les critiques de la presse

musicale nationale et internationale, les argumentaires émanant des attachés de presse, etc.

Encadré 5

Yacast : Un partenaire incontournable de l’industrie radiophonique

Créée en 2000, la société Yacast est aujourd’hui un partenaire incontournable des acteurs de

l’industrie radiophonique. Spécialisée dans la fourniture d’études musicales et publicitaires,

elle a développé une technologie de reconnaissance informatique d’extraits sonores et visuels.

36 radios ont donc été « mises sur écoute » par l’entreprise qui réalise la « pige » musicale et

publicitaire (annexe 3). Le panel comprend également les principales chaînes de télévision

généralistes et musicales.

Les services de l’entreprise sont utilisés par l’autorité de régulation pour veiller au strict

respect des obligations de diffusion de quotas de chansons francophones et de nouveaux

talents par les radios ou par les annonceurs qui souhaitent obtenir des informations relatives

aux investissement publicitaires réalisés sur chaque média.

Ils sont également utilisés par l’industrie musicale pour suivre les diffusions musicales sur les

radios et télévisions. Depuis 2001, le classement Muzicast est réalisé sur la base des

diffusions musicales en radio pour le compte du Syndicat National des Editeurs

Phonographiques (SNEP). Il tient compte de l’audience des stations du panel.

Les radios abonnées au service Yacast peuvent également consulter la liste des titres diffusés

sur les radios concurrentes. Dans le cadre d’une diversification de ses activités, l’entreprise

propose aujourd’hui aux radios de diffuser leurs programmes sur Internet. La technologie de

reconnaissance musicale est, par ailleurs, au cœur d’un service permettant aux utilisateurs de

téléphones mobiles de télécharger en direct la sonnerie correspondant au titre diffusé sur leur

radio préférée.

Source : « Les écrans inspirent encore les Start-up », L’Expansion, mars 2006.

Des contraintes légales

Enjeu culturel, la programmation musicale a souvent été au cœur du débat politique. Dès les

années soixante, les producteurs s’inquiètent du recul de la chanson française dans les

programmes radiophoniques et appellent les pouvoir publiques à engager une réflexion afin

de garantir la diversité musicale (Brochand, 2006). Le 1er février 1994, l’amendement Pelchat,

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

187

voté par l’assemblée nationale dans le cadre de la discussion autour de la loi Carignon,

impose un quota de 40% de chansons françaises entre 6h30 et 22h30. La moitié des diffusions

doit alors être réservée à de jeunes talents79. Appliquée dès le 1er janvier 1996, cette loi est

dans un premier temps dénoncée par les grandes radios musicales dont le succès est avant tout

fondé sur la diffusion de disques anglo-saxons. Des aménagements sont ensuite prévus par le

législateur (loi du premier août 2000) afin de permettre à certaines stations de déroger au

régime général. Les radios jeunes peuvent ainsi diffuser 35% de titres francophones dont 25%

de nouveaux talents ; les radios spécialisées dans la « mise en valeur du patrimoine musical »

peuvent quant à elle diffuser 60% de titres francophones dont 10% de nouvelles productions

avec au minimum un titre par heure en moyenne. Depuis 1996, le CSA adresse régulièrement

des mises en demeure pouvant déboucher sur des sanctions financières aux radios ne

respectant pas les quotas de diffusion d’œuvres francophones80.

Les développements qui précèdent permettent de dresser un panorama relativement complet

du champ d’étude retenu. Nous allons voir qu’il constitue un bon point d’observation pour

une étude qui, comme la nôtre, est consacrée aux phénomènes d’imitation concurrentielle.

d) Moutonnières les radios musicales ?

La porosité des formats musicaux a été évoquée plus haut : en 2003, 19 des 31 radios étudiées

par l’Observatoire de la Musique avaient en commun au moins 50% de leur playlist. Pour

expliquer cette convergence, on pourra se référer aux travaux de chercheurs américains qui

empruntent aux néo-institutionnalistes DiMaggio et Powell (1983, 1991) le concept

d’isomorphisme institutionnel. Il s’agit alors de montrer qu’en situation de forte incertitude,

l’utilisation des mêmes outils (la recherche musicale par exemple), la mobilisation des mêmes

consultants et des mêmes sources d’information (la presse professionnelle et « l’Airplay »

notamment) constituent des sources d’isomorphisme (Berland, 1993 ; Rothenbuhler, 1985 ;

Turner, 1993). Les contraintes environnementales, la réglementation en matière de diffusion

de quotas de chansons françaises ou l’effort de promotion entrepris par les maisons de

disques, constituent également des éléments d’explication possibles des similitudes de

programmation entre les radios.

79 Loi du 30 septembre 1986 modifiée. Lettre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel n°113, 1999. Un « nouveau talent » est un artiste ayant entamé sa carrière après 1974 et n’ayant pas encore obtenu deux disques d’or sur deux albums distincts. 80 Ces décisions sont publiées au Journal Officiel et sur le site Internet du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (www.csa.fr).

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

188

Les professionnels français de la radio ont souvent invoqué une autre raison, plus proche de la

thématique de la recherche, en dénonçant les tendances mimétiques de leurs concurrents.

Cette controverse prend d’autant plus de sens que des phénomènes d’imitation ont déjà été

notifiés chez les radios américaines (Greve, 1995, 1996, 1998 ; Schnaars, 1994). Comme le

relèvent Ahlkvist et Fisher (2000), l’imitation est extrêmement courante dans l’industrie des

médias. Sous couvert de « nothing succeeds like success » (Ahlkvist et Fisher, 2000, p.304),

les programmateurs de télévision, eux aussi, s’inspirent souvent de ce qui a été expérimenté

par les concurrents (Bielby et Bielby, 1994). Des comportements similaires ont été observés

chez les journalistes (Gans, 1979 [2004 ; Sigal, 1973). Interrogeant des reporters sur leur

manière de décider des sujets à couvrir, le chercheur Thimothy Cook (2005, p.79) s’était ainsi

vu répondre : « Tu commences avec une idée d’histoire pour la journée… en regardant dans

le Washington Post, dans le Few York Times, dans le Washington Times, ou dans USA Today.

Je dois lire cinq journaux par jour. Je reçois le Post à la maison et c’est la première chose

que je lis… donc ça me permet de savoir ce qui fera la une du jour. »81

Une polémique

Le service proposé par la société Yacast, qui permet aux managers de connaître la liste

exhaustive des disques diffusés sur l’antenne de leurs concurrents, a souvent été désigné par

les grandes radios musicales comme un instrument facilitant le parasitisme. Ainsi, en février

2004, NRJ (alors première radio musicale de France en nombre d’auditeurs quotidiens)

dénonçait dans un communiqué de presse « le clônage de sa programmation » opéré par

certaines radios locales et appelait les pouvoirs publics à engager une réflexion « afin que les

instruments mis en place pour mesurer la diversité musicale ne deviennent pas, par la

livraison à tout le marché de données qui relèvent du secret de fabrication, un instrument

d’appauvrissement du pluralisme musical. »

Des affirmations dénoncées par les stations locales qui expliquaient, chiffres à l’appui que «

les deux-tiers des 18 radios indépendantes du panel Yacast présentent une programmation

musicale originale par rapport à FRJ, pour la moitié ou plus de leurs diffusions musicales du

semestre » avant de conclure de façon laconique : « Les accusations de FRJ sont pour le

81 “You start out with an idea of the story of the day… by looking at the Washington Post, the Few York Times, the Wall Street Journal, the Washington Times, USA Today. I guess I read five papers every day. I get the Post at home and it’s the first thing I see, soi t shapes my impressions of what might be the flow of news today.” (Cook, 2005, p.79)

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

189

moins affectées d’une sérieuse « marge d’erreur »82. Plus récemment83, Frédéric Pau, alors

directeur des programmes de NRJ revendiquait sa posture d’innovateur en affirmant «

démarrer de nombreux jeunes artistes ».

Quelques éléments explicatifs

Plusieurs caractéristiques propres aux décisions de programmation musicale permettent

d’expliquer la récurrence de l’imitation concurrentielle dans le champ opératoire étudié : la

réversibilité des actions, leur faible intensité et leur spécificité.

Nous allons utiliser la grille proposée par Bensebaa (2000) dans le cadre d’un article consacré

aux concepts d’actions et de réactions stratégiques pour les mettre en évidence. Le chercheur

attire notre attention sur quatre caractéristiques des actions stratégiques influant sur une

possible imitation par des concurrents : irréversibilité, spécificité, innovation, et intensité. Ces

quatre caractéristiques et leurs effets sur l’imitation concurrentielle sont détaillés dans le

tableau suivant.

Tableau 5

Caractéristiques des actions stratégiques et imitation

Définition Impact sur l’imitation

Irréversibilité de l’action Les actions engagées ont un coût élevé et sont irréversibles.

Imitation faible

Intensité de l’action Les actions sont perçues par les concurrents comme menaçantes.

Imitation faible

Spécificité de l’action Les actions font partie du « répertoire habituel » des firmes présentes dans le secteur. Les concurrents peuvent les comprendre facilement.

Imitation forte

Caractère innovant

de l’action

L’action exploite l’incertitude en introduisant une nouvelle variable dans le jeu de la concurrence.

Imitation forte

D’après Bensebaa (2000)

De par leur coût minime, les décisions de programmation musicale peuvent être considérées

comme réversibles. Elles font, par ailleurs, partie de l’activité habituelle d’une radio musicale

et pourront être facilement comprises et interprétées par les concurrents. En ce sens, elles

pourront être considérées comme fortement spécifiques. 82 12 février 2004, Communiqué de Presse du SIRTI, « Les chiffres démentent les accusations de NRJ » 83 Musique Info Hebdo daté du 21 septembre 2007.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

190

Prise de façon isolée, il est peu probable qu’une décision d’entrée en « playlist » puisse se

traduire par une remise en cause significative des positions concurrentielles dans le secteur.

L’intensité des décisions de programmation étudiées dans cette recherche peut donc être

présumée faible. Sans trancher, a priori, sur le caractère innovant d’une décision de

programmation, il semble raisonnable d’avancer que la réversibilité, la spécificité et la faible

intensité des actions étudiées seront de nature à faciliter leur imitation. Une autre

caractéristique, propre à toutes les activités de médias peut également expliquer la fréquence

de l’imitation concurrentielle dans les décisions de programmation musicale : l’activité d’un

média rend particulièrement observable les choix réalisés dans l’organisation par ses

concurrents ce qui facilite l’imitation (Greve, 1998).

La première partie de ce chapitre nous a permis de présenter notre champ d’étude : les radios

musicales françaises et leurs programmateurs. Comme nous allons le voir, ce champ d’étude a

fortement influencé les choix méthodologiques qui ont été réalisés pour mener à bien notre

étude empirique. La section qui va suivre leur est consacrée.

2. METHODES DE RECHERCHE

En dépit de son faible poids économique, le secteur étudié semble être particulièrement

pertinent dans la perspective d’une recherche consacrée à l’imitation concurrentielle. Afin

d’étudier les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs et d’analyser la façon

dont elles contribuent à la stratégie des radios musicales, nous avons déployé une

méthodologie qualitative. Cette section nous permettra de faire le point sur les orientations

méthodologiques de la recherche. Avant de les présenter dans le détail, les quelques éléments

qui vont suivre nous permettrons de préciser l’unité d’analyse retenue dans cette recherche.

Unité d’analyse de la recherche

Nous avons ici décidé de nous focaliser sur un aspect de la stratégie des radios musicales : les

décisions d’entrées en « playlist » réalisées par les programmateurs. Intimement liées au

format, les décisions de programmation constituent le principal élément qui influe sur le

positionnement concurrentiel des radios musicales. Certains pourraient s’étonner de voir

abordée la thématique de l’imitation concurrentielle au travers de « si petites décisions ». Si,

prises isolément, les décisions de programmation musicale ne peuvent prétendre au

qualificatif de stratégique, ces dernières, lorsqu’elles sont appréhendées de façon globale,

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

191

concourent à la définition du format musical et donc du positionnement concurrentiel de

chaque station. Elles entrent donc, à notre sens, dans le champ du management stratégique.

Les décisions d’entrées en « playlist », de par leur observabilité, leur fréquence et leur

réversibilité, sont facilement imitables (et comme nous le verrons, souvent imitées) par les

concurrents. Deux éléments supplémentaires nous ont conduits à nous intéresser à ces

décisions. D’une part, elles sont facilement comparables d’une organisation à une autre et

permettent à un observateur extérieur d’identifier assez facilement les comportements

mimétiques (à la différence des autres éléments du programme qui peuvent être partiellement

imités et partiellement adaptés). Elles sont, d’autre part, directement imputables à un acteur, le

programmateur.

Organisation de la section méthodologique

Cette section, qui précède les chapitres de restitution des résultats, permettra de présenter et

de justifier les orientations méthodologiques de la recherche. Nous insisterons sur la

cohérence méthodologique que nous avons essayé de donner à ce travail.

Définie par Richard et Morse (2007) comme l’alignement entre la stratégie de recherche, les

orientations guidant la collecte des données et celles qui guident leur analyse, la notion de

cohérence méthodologique invite le chercheur à penser globalement son projet de recherche.

« Les mêmes données – nous expliquent les deux auteurs (Richards et Morse, 2007, p.35) –

pourront être interprétées différemment par des chercheurs n’utilisant pas les mêmes

méthodes, et des techniques d’analyses similaires (le codage par exemple) employées par des

chercheurs ne s’inscrivant pas dans la même perspective pourront aboutir à des résultats très

différents parce que chaque chercheur a sa propre manière de penser. »84

84 “The same sorts of data will be interpreted differently by researchers using different methods, and similar data analysis techniques (e.g. coding) employed by researchers using different methods will have quite different analytic results, because each researcher is thinking a different way.”

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

192

Schéma 11

Cohérence méthodologique

La section 2.1 nous permettra de présenter notre stratégie de recherche : celle-ci consiste en

une démarche abductive s’inscrivant, d’une part dans le courant de la stratégie en pratiques

(Chanal, 2009 ; Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski, 2004, 2005 ; Jarzabkowski et Spee, 2009 ;

Jarzabkowski et al., 2007 ; Johnson et al., 2003 ; Johnson et al., 2007 ; Whittington, 2002,

2006) et mobilisant, d’autre part, les techniques et les procédures de la théorie enracinée

(Richards, 2005 ; Strauss et Corbin, 2004).

La section 2.2 reviendra sur la collecte des données. Comme nous le verrons, plusieurs types

de sources ont constitué le corpus de la recherche. Au-delà des entretiens semi directifs

(Demers, 2003 ; Romelaer, 2005) que nous avons réalisés auprès des programmateurs, des

interviews ont été menées avec des observateurs privilégiés du secteur. Pour collecter ces

données, nous avons essayé de tenir compte des spécificités du champ étudié. Ces données

déclaratives sont complétées par l’utilisation de données secondaires et par des contacts plus

informels avec les professionnels du secteur.

La section 2.3 sera, quant à elle, consacrée au processus d’analyse des données. Une analyse

thématique du corpus a été pratiquée à l’aide du logiciel NVivo 8. Le codage que nous avons

réalisé s’est déroulé en plusieurs phases (codage signalétique, codage descriptif, codage

analytique) qui marquent une progression dans l’abstraction et la conceptualisation. Une fois

l’analyse achevée, un double codage a été réalisé afin de garantir la fiabilité du processus.

Stratégie de recherche

(section 2.1)

Analyse des données

(section 2.3)

Collecte des données

(section 2.2)

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

193

2.1. STRATEGIE DE RECHERCHE

Notre stratégie de recherche se caractérise par son positionnement dans le courant de la

stratégie en pratiques (Chanal, 2009 ; Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski, 2004, 2005 ;

Jarzabkowski et Spee, 2009 ; Jarzabkowski et al., 2007 ; Johnson et al., 2003 ; Johnson et al.,

2007 ; Whittington, 2002, 2006). Cette orientation n’est pas sans conséquences sur les

fondements épistémologiques de notre projet. Nous partageons l’idée, développée par

Johnson, Langley, Melin et Whittington (2007) que les méthodologies qualitatives sont plus

adaptées que des approches quantitatives fondées sur l’utilisation de bases de données ou

l’envoi de questionnaires pour capter l’essence des pratiques stratégiques et comprendre les

raisons individuelles qui les sous-tendent.

Si la thématique générale de notre recherche, l’imitation concurrentielle, n’est pas un sujet

inexploré en Sciences de Gestion, l’orientation « par la pratique » que nous avons souhaité

donner à ce travail marque une rupture importante par rapport à la littérature existante. Sans

nous couper des travaux antérieurs (nous avons fait le choix d’une démarche abductive), il

nous a donc semblé indispensable de nous ouvrir très largement aux préoccupations

quotidiennes des programmateurs radio afin de comprendre leurs pratiques d’imitation

concurrentielle. Notre volonté de laisser émerger des idées et des concepts du terrain nous a

amenés à faire le choix d’une démarche de recherche inspirée de la théorie enracinée.

La théorie enracinée nécessite la mise en œuvre d’un très long processus de collecte des

données et conduit à réaliser une analyse minutieuse de ces dernières. Malgré sa lourdeur,

cette démarche nous a semblé constituer un passage obligé dans notre étude des pratiques

d’imitation concurrentielle.

a) Une approche tournée vers les pratiques

Les raisons qui nous ont amené à étudier les phénomènes d’imitation concurrentielle sous

l’angle des pratiques et des raisons individuelles qui les sous-tendent ont largement été

développées dans les chapitres qui précèdent. Cette démarche qui consiste à étudier la

stratégie au travers de ce que « les gens font » (Whittington, 2006, p.627) et ambitionne

d’apporter des micro fondations à des théories plus agrégées (Golsorkhi, 2006b) est celle du

courant de la stratégie en pratiques.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

194

Les fondements épistémologiques de la stratégie en pratiques

Les présupposés épistémologiques de l’approche par les pratiques ont longtemps été occultés

par l’objet d’étude original qu’elle proposait. Selon Chia et MacKay (2007), ce courant de

recherche obéit pourtant à quatre grands piliers.

(1) La stratégie en pratiques considère d’abord que toutes les pratiques sont réductibles

aux actions des acteurs stratégiques dont ils sont supposés être les initiateurs. Le choix

d’un niveau d’analyse « microscopique » constitue un des traits caractéristiques de

cette approche, par opposition aux niveaux d’analyses plus agrégés adoptés dans des

recherches centrées sur des populations d’organisations (niveau méso-économique) ou

dans des recherches consacrées au contenu de la stratégie. Chia et MacKay (2007),

voient dans l’emphase donnée aux individus, à leurs pratiques et aux régularités qui en

découlent l’héritage de l’individualisme méthodologique.

(2) Le niveau microscopique qui est adopté ne doit pas conduire à un traitement asocialisé

et décontextualisé des pratiques d’imitation concurrentielle. Il s’agira ainsi de

valoriser aussi bien l’individu qui pratique, que l’environnement social,

organisationnel et inter-organisationnel, de cette pratique (Gomez, 2006) : les

praticiens de la stratégie seront alors observés comme des individus sociaux,

interagissant dans un contexte où se fabrique la stratégie. Si les pratiques sont le

produit des individus, elles les dépassent car elles sont socialement, culturellement et

institutionnellement enracinées (idée de trans-individualité).

(3) On trouve également dans l’orientation « stratégie en pratiques » l'idée que le monde

social est explicite et peut être décrit, de façon relativement stable, par des catégories,

des concepts, des représentations s'appuyant souvent sur des données qualitatives.

(4) Les chercheurs se revendiquant de ce courant de recherche ont, enfin, tendance à

considérer que l’action humaine (et donc la stratégie) procède d’une intentionnalité

(même si certains éléments de la stratégie peuvent échapper aux acteurs). Une

conception « cartésienne » qui n’implique pas que les décisions stratégiques soient

forcément rationnelles, au sens de la théorie néo-classique, mais qui postule que des

rationalités sont à l’œuvre dans la formulation de la stratégie.

Une mise en pratique… de la stratégie en pratiques

Le tableau suivant montre comment ces quatre principes, identifiés par Chia et MacKay mais

imprégnant l’ensemble des travaux s’inscrivant dans l’école de la « stratégie en pratiques »,

ont été intégrés à la présente recherche.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

195

Tableau 6

Les fondements de la stratégie en pratiques dans la recherche

Principe Application à la recherche

>iveau d’analyse microscopique Etude des programmateurs et de leurs décisions d’entrée en playlist pour mieux comprendre l’imitation concurrentielle

Contextualisation des pratiques Importance donnée au contexte (question de recherche n°1 - chapitre 5)

Potentiel explicatif des catégories conceptuelles Construction de concepts sur la base des données de terrain et de la littérature existante (stratégie hybride)

Intentionnalité des décisions stratégiques Rôle clé du programmateur. Choix d’étudier l’imitation plutôt que le mimétisme. Postulat d’individualisme et de rationalité.

b) Une démarche inspirée de la théorie enracinée

Les recherches s’inscrivant dans le champ de la « stratégie en pratiques » mobilisent de façon

quasi-systématique des méthodologies qualitatives (Johnson et al., 2007). Elles s’appuient

fréquemment sur les méthodes et les procédures de la théorie enracinée (pour un exemple

récent, voir Jarzabkowski et Seidl, 2008). Au fil des contributions empiriques successives, la

théorie enracinée semble être devenue le compagnon méthodologique privilégié de la

« stratégie en pratiques ».

Afin d’appréhender la façon dont les professionnels de la radio « pratiquent » l’imitation

concurrentielle aux travers de leurs décisions de programmation, une démarche inspirée de la

théorie enracinée a été adoptée.

La théorie enracinée : un bref aperçu

Développée à la fin des années soixante par Barney Glaser et Anslem Strauss, la théorie

enracinée est née d’une quadruple ambition (Charmaz, 2000 ; Kelle, 2005) : (1) Rompre avec

la division artificielle opposant théorie et recherche de terrain ; (2) dépasser la vision selon

laquelle les recherches qualitatives seraient moins « rigoureuses » que les recherches de type

quantitatif en détaillant des méthodes et des procédures d’analyses qui n’avaient jusqu’à lors

jamais été formalisées ; (3) envisager la collecte et l’analyse des données comme des

processus simultanés et inter-reliés ; (4) permettre aux recherches qualitatives de sortir de la

simple description en proposant des méthodes à même de faciliter la conceptualisation,

l’élaboration de théories qui dérivent des données.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

196

Emprunté à Royer et Zarlowski (2003), le tableau qui suit propose une comparaison de la

démarche de la théorie enracinée à deux autres démarches possibles (l’expérimentation et

l’ethnographie).

Tableau 7

Présentation de quelques démarches de recherche

Démarche Expérimentation Ethnographie Théorie enracinée

Objectif principal de la

recherche

Tester des relations causales Décrire, expliquer ou comprendre un phénomène social particulier dans son environnement naturel

Elaborer une théorie explicative d’un phénomène social en se fondant sur la mise en évidence de régularités

Mise en œuvre de la

démarche

Test d’hypothèses, souvent effectué en laboratoire, sur des petits échantillons homogènes

Analyse d’un cas en profondeur

Etudes de cas multiples

Collecte des données (voir

Royer et Zarlowski, 2003)

Dispositif strictement contrôlé de recueil des données qui se concrétise par un plan d’expérience dans lequel les facteurs explicatifs varient, les autres restant constants, de manière à isoler leur impact sur la variable dépendante.

Processus flexible où la problématique et les informations collectées peuvent évoluer

Méthode principale : observation continue du phénomène dans son contexte.

Méthode secondaire : tout type.

Processus itératif avec des allers-retours entre les données, les analyses et les théories.

Méthodes utilisées : entretiens ainsi que tout autre type de méthode, notamment exploitation de sources documentaires, observation.

Analyse Analyse quantitative notamment analyse de variance.

Analyse qualitative essentiellement.

Analyse qualitative avec possibilité d’utiliser des analyses quantitatives de manière complémentaire.

Références Campbel et Stanley (1966) Cook et Campbell (1979) Spector (1981)

Atkinson et Hammersley (1994) Jorgensen (1989) Van Maanen (1983) Reeves Sanday (1983)

Glaser et Strauss (1967) Strauss et Corbin (1990, 1994)

D’après Royer et Zarlowski (2003, p.143)

De l’abduction en théorie enracinée

En suivant Kelle (2005) et Blaikie (2007), il convient ici de préciser qu’en insistant sur le

caractère abductif de la démarche, la description qui est faite de la théorie enracinée renvoie

davantage aux écrits les plus récents Strauss et Corbin qu’aux travaux fondateurs de Glaser et

Strauss. Ces derniers préconisaient, en effet, une démarche résolument tournée vers

l’induction en proposant de mettre la littérature existante de côté afin de « s’assurer que

l’émergence des catégories ne soit pas contaminée » (Glaser et Strauss, 1967, p.37).

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

197

La question de savoir s’il fallait mener, ou non, une revue de la littérature avant de réaliser le

travail de terrain a donné lieu à une vive controverse entre les deux pères de la théorie

enracinée dans les années quatre-vingt dix, Glaser (1992) défendant, dans un ouvrage au ton

polémique, la ligne originelle inductiviste en utilisant l’argument de la contamination (Kelle,

2005). A la suite de Charmaz (2000), on pourra considérer ces deux positions comme

complémentaires : les techniques et les procédures d’analyse proposées par Strauss et Corbin

(2004 ; 1990) ne devant pas exonérer le chercheur des mises en garde de Glaser (1992) qui

insiste sur la nécessaire interaction avec les données et incite ses lecteurs à ne pas chercher à

faire entrer « de force » les données dans des catégories préexistantes. Au-delà des querelles

propres au champ de la théorie enracinée, tous les auteurs s’accordent sur le fait que ce sont

bien la créativité, l’ouverture d’esprit et l’imagination qui doivent guider le chercheur

lorsqu’il analyse des données.

Se pose alors une question pratique bien connue des chercheurs qualitativistes lorsqu’ils

doivent analyser leurs données : Faut-il analyser les données en fonction d’une grille

théorique prédéfinie ou partir du terrain ? Dans notre recherche, nous avons cherché à

produire une grille d’analyse développée à partir des données et reprenant les thématiques les

plus pertinentes par rapport à la question des pratiques d’imitation concurrentielle. Du cadre

d’analyse que nous avons présenté précédemment, nous avons retenu l’idée qu’il existait

plusieurs raisons individuelles susceptibles d’être à l’origine des comportements d’imitation

(dichotomie rationalité évaluative, rationalité instrumentale) et qu’il convenait de s’intéresser

au contexte d’incertitude afin de les comprendre. A l’intérieur de ce cadre, nous avons tenté

de faire émerger les principaux concepts des données. Théorie et données ont donc joué, dans

notre recherche, des rôles complémentaires.

Une approche réaliste

Comme le remarque Charmaz (2000, p.514), « la plupart des chercheurs en théorie enracinée

font comme si leurs données avaient un statut objectif. Strauss et Corbin évoquent la “réalité

des données” et nous expliquent que “les données ne mentent pas” ». Cette approche,

qualifiée par Silverman (2000) de « réaliste » s’oppose aux approches « narratives » en ce

qu’elle appréhende les données comme un point d’entrée dans une réalité extérieure au

chercheur. Selon Kelle (2005, p.2) cette conception constituait déjà une des racines du

positivisme :

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

198

« Lors de la naissance des sciences naturelles modernes aux XVIIe et XVIIIe siècles, les tous premiers empiristes, comme Bacon et Locke étaient persuadés que les théories légitimes étaient celles qui dérivaient de données observables. »

A la critique « d’empirisme naïf », les tenants de la théorie enracinée objectent que

l’utilisation de plusieurs sources de données et d’interviews réalisées avec plusieurs types de

répondants permet la confrontation des perspectives. Par ailleurs, la comparaison et

l’échantillonnage théorique (Glaser, 1978 ; Glaser et Strauss, 1967) qui constituent des

procédures fondamentales de la théorie enracinée offrent au chercheur la possibilité de

s’abstraire de ses données afin de construire une « théorie » ne se limitant pas à une simple

description des données (Glaser, 2002). Les techniques et les outils les plus formels, tels que

le codage axial et le codage sélectif (Strauss et Corbin, 2004 ; Strauss, 1987 ; Strauss et

Corbin, 1990) permettent, en outre, de formaliser la démarche d’analyse afin d’en assurer la

reproductibilité85. Ces techniques et outils, qui seront mis en œuvre dans le cadre de cette

recherche, seront exposés plus loin.

Une approche interprétativiste ?

Sans remettre en cause les éléments qui précèdent, certains chercheurs en Sciences de Gestion

mobilisant la théorie enracinée revendiquent parfois une affiliation au paradigme

interprétativiste pour attester, à la suite de Walsham (1995), du caractère socialement

construit de notre connaissance de la réalité et utiliser, à la suite de Klein et Myers (1999), les

représentations des acteurs du terrain comme un point d’entrée imparfait dans cette réalité.

L’interaction entre le chercheur et les acteurs de terrain est alors décrite comme la condition

nécessaire à l’élaboration de données qui « n’attendent pas d’être récolées comme des

rochers sur le bord de la mer » (Klein et Myers, 1999, p.74).

Si la présente recherche partage certaines des préoccupations mises en exergue par Klein et

Myers pour caractériser le paradigme interprétativiste (volonté de contextualisation,

raisonnement dialogique, interaction avec les acteurs de terrain pour collecter les données,

triangulation des interprétations et vérification des déclarations des répondants) elle n’a pas

pour objet d’étude les interprétations des acteurs. Ces dernières sont supposées permettre

d’appréhender la réalité des pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs radio.

85 Il convient ici de préciser que plusieurs auteurs ont, au début des années 2000, développé une conception « constructiviste » de la théorie enracinée, alternative à la convection « objective ». On pourra notamment renvoyer le lecteur au dialogue Charmaz / Glaser (Charmaz, 2000 ; Glaser, 2002).

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

199

Les critères de validité propres au courant de la théorie enracinée

L’ancrage dans la théorie enracinée n’est pas sans conséquence sur les critères de validité

applicables à la recherche. Ces critères sont présentés par Strauss et Corbin et synthétisés par

Douglas (2003).

Tableau 8

Critères de validité d’une recherche en théorie enracinée

Critère Question posée

Adhérence La théorie est-elle cohérente avec le terrain (l’aire substantive au sens de Glaser) étudié ?

Intelligibilité Est-ce que des personnes extérieures au terrain peuvent comprendre la théorie élaborée ?

Possibilité de généralisation Est-ce que la théorie développée s’applique à un nombre élevé de situation dans l’aire substantive étudiée ? Plus la variété des situations étudiées est importante, plus la théorie gagne en possibilité de généralisation.

Contrôle Est-ce que la théorie permet à l’utilisateur un certain degré de contrôle sur les structures et les processus des situations quotidiennes qui évoluent dans le temps ?

Fiabilité du processus Le lecteur a-t-il suffisamment d’éléments pour savoir si les critères précédents sont remplis ? Le processus de recherche est-il cohérent ?

D’après Bandeira-de-Mello et Garreau (2008), adapté de Strauss et Corbin (2004)et Douglas (2003)

Au-delà des résultats de la recherche, les chercheurs en théorie enracinée insistent sur l’effort

de restitution du processus qui doit être opéré. Un soin particulier devra être apporté au détail

des dispositifs de collecte et d’analyse des données pour permettre au lecteur de se faire son

opinion sur la validité de la recherche qui lui est soumise. L’analyse des données faisant appel

aux capacités d’interprétation du chercheur (à sa « sensibilité théorique » pour paraphraser

Glaser), ces choix sont par nature contestables : une raison suffisante pour les mettre en

évidence et faciliter le dialogue avec ses pairs.

Au critère de fiabilité des résultats qui prévaut dans la recherche positiviste, hypothético-

déductive (et souvent quantitative), les chercheurs en théorie enracinée opposent donc une

volonté de fiabilité du processus de recherche qui n’implique pas forcément que deux

chercheurs travaillant sur le même terrain parviennent à des conclusions similaires.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

200

Synthèse 12

Points essentiels de notre stratégie de recherche

� Notre stratégie de recherche se caractérise par un double positionnement dans le courant de la stratégie en pratiques et celui de la théorie enracinée. Une méthodologie qualitative a donc été mise en œuvre.

� La recherche prend pour thématique centrale la question des pratiques d’imitation concurrentielle. Compte tenu de la rupture que représente cette orientation par rapport à la littérature existante, il nous a semblé nécessaire de faire en sorte que des concepts puissent émerger des données. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en œuvre les méthodes et les procédures de la théorie enracinée (version Strauss et Corbin).

� Nous adoptons une approche réaliste et considérons que les pratiques d’imitation concurrentielle existent et sont indépendantes des représentations du chercheur. La collecte et l’analyse des données permettront de les identifier.

� Notre stratégie d’accès au réel est abductive. La littérature nous a permis d’établir un cadre général et de préciser nos centres d’intérêts (pratiques, raisons, dichotomie entre raisons instrumentales et évaluatives, incertitude). A l’intérieur de ce cadre très général, nous avons essayé de faire émerger des concepts à partir des données.

Nous avons à présent clarifié notre stratégie de recherche. Les deux sections qui suivent

seront respectivement consacrées à la collecte (2.2) et à l’analyse (2.3) des données.

2.2. COLLECTE DES DONNEES

Un dispositif inspiré de celui préconisé par les chercheurs en théorie enraciné Strauss et

Corbin (2004) a été déployé. Cette approche appréhende la collecte et l’analyse des données

comme des processus difficilement dissociables. « A mesure que nous, chercheurs en théorie

enracinée, définissons nos catégories et développons nos construits théoriques, nous

constatons l’existence de “vides” dans nos données, et de “trous” dans nos théories. Alors,

nous retournons sur le terrain et collectons de nouvelles données pour combler ces ‘vides’ et

ces “trous” théoriques » (Charmaz, 2000, p.519). Ce processus est appelé « échantillonnage

théorique » : la collecte des données est réalisée en vue de construire une théorie. Ce n’est pas

la représentativité statistique qui est recherché mais la capacité de l’échantillon à permettre

l’établissement de comparaisonset le questionnement (Romelaer, 2005). Il s’agira donc de

rechercher une variété de situations à même de faciliter le travail de conceptualisation.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

201

Quatre grands principes ont donc guidé la collecte des données : l’intérêt des données par

rapport à la thématique de la recherche, la volonté de comparaison (nous amenant à intégrer

des certains cas atypiques), la recherche de saturation (la collecte s’est arrêtée lorsque les

données nouvellement collectées n’apportaient plus de nouveaux éléments déterminants) et un

souci de triangulation (permettant la comparaison des sources et des points de vue sur les

situations étudiées).

Résolument ancrée dans une perspective réaliste, cette recherche appréhende les pratiques

d’imitation concurrentielle comme des réalités extérieures au chercheur. La collecte des

données place donc le chercheur en situation d’observateur externe. Pour étudier la pratique

de l’imitation concurrentielle et mettre en lumière les raisons qui animent un décideur

lorsqu’il imite ce qui se fait dans une autre organisation, une population atypique a été

retenue : les programmateurs des radios musicales françaises. Les décisions étudiées ont trait

à l’entrée en programmation d’un nouveau titre.

Comme nous le verrons dans le chapitre 5, les décisions de programmation font l’objet d’une

forte incertitude : les nouveautés qui sont intégrées à la playlist sont par définition inconnues

des auditeurs même si elles peuvent être interprétées par des artistes confirmés. Parce qu’elles

sont difficilement identifiables par le public, ces nouveautés ne peuvent pas être

immédiatement testées par l’intermédiaire d’un dispositif de recherche musicale (« call-out »

ou auditorium).

« Les tests, ça ne marche pas. Tu vois le dernier single de M ? Les paroles c’est ‘Je suis M’. La voix du mec est quand même hyper identifiable. On a fait des tests… les gens n’identifient pas. Pour te dire… »

Entretien informel réalisé auprès d’un directeur artistique en major

Compte tenu du rôle central du programmateur dans les décisions étudiées et du niveau

microscopique de l’analyse, l’entretien constitue un passage quasi-obligatoire. Tenant compte

des questions liées à la validité des données, notamment à cause des biais introduits par les

répondants, des problèmes de mémoire, de rationalisation a posteriori, d’éventuelles

difficultés pour les répondants à évoquer des pratiques sujettes à controverse, il a été procédé

à une triangulation des données (Moran-Ellis, Alexander, Cronin, Dickinson, Fielding, Sleney

et Thomas, 2006).

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

202

La triangulation obéit ici à un double objectif : il s’agit d’une part de corroborer les

informations recueillies auprès des programmateurs, d’autre part de compléter ces

informations en vue de pouvoir dresser un tableau plus fidèle à la réalité des pratiques

d’imitation concurrentielle. Les entretiens menés auprès des programmateurs ont donc été

complétés par des données secondaires mais aussi par des entretiens formels menés auprès

d’observateurs privilégiés du secteur (entretiens de contexte), des rencontres plus informelles

avec des professionnels de la radio ou de l’industrie musicale et des séances d’observation

informelles (visites de radios, participation à un comité d’écoute, déjeuners avec des

animateurs, etc.).

a) Entretiens réalisés auprès de programmateurs

Vingt-cinq entretiens ont tout d’abord été réalisés auprès de programmateurs dans des radios

musicales nationales et locales. D’une durée moyenne de 75 minutes, ces entretiens se sont

déroulés entre le 20 février 2004 et le 27 avril 2006. Ils ont permis de collecter des

informations relatives à plus de 250 décisions de programmation.

Echantillonnage théorique

Les radios visitées sont sélectionnées en fonction de leur pertinence par rapport à la

thématique de la recherche et non en fonction de critères visant à garantir une représentativité

statistique (Miles et Huberman, 2003 ; Romelaer, 2005 ; Strauss et Corbin, 2004). « L’idée ici

n’est pas du tout d’avoir une représentativité statistique et un échantillon complet. L’idée est

d’avoir exploré suffisamment la variété des situations. » (Romelaer, 2005, p.106).

Selon Strauss et Corbin (2004, p.241), une particularité de ce type d’échantillonnage tient à

son caractère incrémental et évolutif : « plutôt que d’être prédéterminé avant le début de la

recherche, [il] évolue durant le processus. » Les critères orientant le « casting » des

programmateurs interrogés dans le cadre de cette recherche ont donc évolué au fur et à mesure

que se dessinaient de nouvelles pistes, que certains répondants étaient recommandés par

d’autres : « dans cette forme d’échantillonnage, le choix de la prochaine source de données

est déterminé par la théorie qui est en train de prendre forme » (Gibbs, 2002, p.167).

Le panel « Yacast » (une trentaine de stations, annexe 3) a permis d’établir une première liste

de radios potentiellement intéressantes pour la recherche. Cette démarche a eu le mérite de

permettre l’identification de radios indépendantes régionales moins connues que les réseaux

nationaux.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

203

Plusieurs critères ont ensuite été utilisés pour restreindre l’échantillon. Les radios parlées et

les radios « spé »86 ont été écartées. Parmi les radios musicales, seules les stations consacrant

une part non négligeable de leur programmation musicale à des nouveautés (et pratiquant

régulièrement des entrées en playlist) ont été retenues. Les radios ne programmant que des

« golds » (telles que Nostalgie ou Mona FM à Lille) ont donc été exclues du panel.

Il a, dans un premier temps, été envisagé de compléter le panel Yacast par l’ajout de radios et

de webradios associatives. Les premières prises de contact ont fait apparaître que les

différences dans les méthodes utilisées et dans l’organisation interne de ces stations auraient

rendu les comparaisons délicates avec les radios musicales commerciales. En revanche, la

liste initiale de radio a été complétée par des stations indépendantes ne faisant pas partie du

panel Yacast (dont certaines n’étaient que très récemment entrées dans une dynamique de

professionnalisation). Ces stations ont été sélectionnées en fonction de leur proximité (en

termes de formats) avec les radios indépendantes du panel Yacast n’ayant pas souhaité

participer à la recherche.

Pour prolonger les entretiens les plus riches, certaines radios ont été visitées une deuxième

fois (notamment dans les réseaux nationaux qui sont moins nombreux que les radios locales).

Certaines radios ont également pu être visitées une seconde fois, en début et en fin de collecte

des données, lorsque la personne en charge de la programmation avait été remplacée. Les

répondants rencontrés sont les personnes chargées de décider des entrées en playlist. Selon les

stations, ils peuvent occuper la fonction de Directeur Général des Programmes, de Directeur

des Programmes, de Directeur de la Programmation Musicale, de Directeur d’Antenne ou de

Programmateur. Le terme « programmateur » que nous utilisons dans cette recherche est à

prendre dans une acception globale : le programmateur est la personne qui décide des entrées

en programmation, quel que soit l’intitulé exact de sa fonction dans l’entreprise.

La plupart des répondants ont été contactés sur recommandation d’animateurs, d’employés

des radios ou d’autres programmateurs. Des contacts ont également été pris lors du salon

annuel « Le Radio! » aux mois de février 2005 et 2006, par mail ou par téléphone.

86 Le terme est utilisé par les professionnels du secteur pour désigner les radios musicales très spécialisées telles que Nova, TSF, Radio Classique ou Fip.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

204

Encadré 6

Liste des stations visitées dans le cadre des entretiens avec les programmateurs

� Réseaux musicaux nationaux : Chérie FM, Europe 2, Fun Radio, NRJ, RFM, RTL2, Skyrock87

� Radios indépendantes faisant partie du panel Yacast : Alouette, Champagne FM, Contact FM, Hit West, Ouï FM, Kiss FM, Radio 6, Radio Star, Scoop, Voltage FM88

� Radios indépendantes ne faisant pas partie du panel Yacast : Evasion FM, Maritima, RVM.

Sur la base des données Médiamétrie, nous pouvons estimer que les radios visitées

correspondent environ à 75% de l’audience des radios musicales89. L’encadré 7 apporte des

éléments descriptifs complémentaires relatifs à la composition de l’échantillon.

87 Nostalgie, Rire et Chansons et MFM n’ont pas été sollicités. Le Mouv’ n’a pas souhaité donner suite. 88 Top Music, Radio FG et les radios du groupe Start n’ont pas souhaité donner suite. 89 Les part d’audience exactes des stations indépendantes ne sont pas communiquées au public. L’estimation a été réalisée sur la base des sondages nationaux Médiamétrie sur la période 2004 – 2007. En tenant compte des audiences cumulées communiquées par les radios indépendantes et des données Médiamétrie, nous estimons que les radios indépendantes visitées représentent 60% de la part d’audience du GIE les indépendants (les radios du groupe Start mises à part, nous avons eu la chance d’avoir réalisé des entretiens avec les programmateurs des principales radios indépendantes françaises). Le terme « part d’audience des radios musicales » que nous utilisons ici correspond au cumul des parts d’audience des « programmes musicaux », du « Groupement les Indépendants » et de la station « Le Mouv’ » qui figurent dans les communiqués de presse trimestriels de Médiamétrie.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

205

Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs

Thématique musicale de la station

Fonction du répondant

� Les chiffres correspondent au nombre d’entretiens

Déroulement des entretiens

En cohérence avec les conseils formulés par Demers

questions (phase introductive)

confiance (voir annexe 4). Elles

parcours dans l’entreprise, le format m

du caractère relativement sensible du sujet de la recherche dans ce secteur d’activi

(polémique « NRJ / Les Indépendants

communiqué aux répondants :

dans les radios » (des exemples de phrases d’entame sont proposés dans l’anne

Hits12

Variétés2

Pop-6

Directeurgénéral

1

Directeurprogrammation

Directeurgénéral des prog.

2

Directeurdes prog.

4

Directeurd'antenne

2

Programmateur6

: Méthodologie et résultats

Encadré 7

Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs

de la station Public visé par la station

Type de radio

iffres correspondent au nombre d’entretiens

En cohérence avec les conseils formulés par Demers (2003) et Romelaer (2005)

questions (phase introductive) sont très générales et visent avant tout à mettre le répondant en

voir annexe 4). Elles concernent les fonctions occupées par le répondant, son

parcours dans l’entreprise, le format musical et la cible de sa radio. Notons que compte tenu

du caractère relativement sensible du sujet de la recherche dans ce secteur d’activi

NRJ / Les Indépendants »), le sujet exact de la recherche est rarement

: « je travaille sur la façon dont travaillent les programmateurs

(des exemples de phrases d’entame sont proposés dans l’anne

-Rock6

Rap-R'n'B1

Dance4 Jeunes

8

Adultes5

Directeur de laprogrammation

musicale10

Réseauxnationaux

13

Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs

par la station

Type de radio

(2005) les premières

sont très générales et visent avant tout à mettre le répondant en

concernent les fonctions occupées par le répondant, son

usical et la cible de sa radio. Notons que compte tenu

du caractère relativement sensible du sujet de la recherche dans ce secteur d’activité

»), le sujet exact de la recherche est rarement

je travaille sur la façon dont travaillent les programmateurs

(des exemples de phrases d’entame sont proposés dans l’annexe 4).

Généraliste15

Radiosindépendantes

12

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

206

Après cette phase introductive très peu directive, l’entretien consiste en l’écoute de plusieurs

extraits musicaux (d’une trentaine de secondes) issus de la programmation musicale de la

radio visitée90. En moyenne, dix extraits sont soumis à l’écoute du répondant pour chaque

entretien. Après l’écoute de chaque extrait, il est demandé au répondant de raconter

l’historique du titre dans la programmation de sa station et d’expliquer les raisons de son

entrée en playlist. Là encore, les questions sont relativement ouvertes et se résument souvent à

« parlez-moi un peu de ce titre… »

Les titres proposés à l’écoute sont choisis parmi les disques les plus fréquemment diffusés par

la station et ont été entrés dans la programmation au cours des semaines précédant

l’entretien91. Des relances sont effectuées lorsque les thèmes de la recherche sont évoqués

spontanément par le répondant (imitation, concurrents, doutes/incertitudes, etc.)92 La majeure

partie de l’entretien est donc consacrée à des situations concrètes de programmation, ce qui

est cohérent avec l’orientation « stratégie en pratiques » qui guide ce travail.

Initialement, l’utilisation d’extraits musicaux avait pour objectif d’inciter le répondant à

éteindre la radio (souvent allumée au moment de la rencontre), de façon à faciliter le travail de

retranscription. Ce « protocole » semble avoir trois avantages qui n’avaient pas été prévus :

(1) son caractère ludique favorise la mise en confiance du répondant et évite une certaine

lassitude, (2) il sollicite la mémoire auditive, particulièrement développée chez les

professionnels de la radio, (3) il rappelle le déroulement d’une réunion de travail ordinaire

entre un responsable de la programmation et un chargé de promotion d’une maison de disque.

Chaque entretien est donc organisé en une dizaine de séquences correspondant aux extraits

soumis à l’écoute du répondant et renvoyant à autant de décisions d’entrée en programmation.

Comme le montre le tableau suivant, les entretiens réalisés dans les radios indépendantes ont,

en moyenne, permis d’aborder un plus grand nombre de décisions d’entrée en programmation

que ceux réalisés dans les radios nationales.

90 Avant l’entretien, le service Yacast est utilisé pour savoir à quelle fréquence chaque titre est diffusé sur la radio au moment de l’entretien et pour savoir d’autres radios avaient déjà commencé à diffuser le titre lors de son entrée en playlist. 91 La sélection est réalisée, soit à partir de l’écoute prolongée de la radio avant l’entretien, soit à partir des données Yacast. 92 On renverra, là encore, le lecteur à l’annexe 2.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

207

Tableau 9

Nombre de décisions abordées par les répondants

Radios indépendantes Réseaux nationaux Toutes radios

>ombre d’entretiens 13 12 25

>ombre de décisions

abordées au cours des

entretiens

156 97 253

Moyenne

décisions / entretien

12 8 10

b) Entretiens de contexte

Au-delà des entretiens réalisés auprès des programmateurs, nous avons souhaité rencontrer

des observateurs privilégiés du secteur. Une volonté de contextualisation et de triangulation a

donc animé la collecte des données. Une quinzaine d’entretiens de contexte ont été réalisés

auprès d’observateurs privilégiés de l’industrie (animateurs, attachés de presse en maison de

disques, directeurs de la promotion, chargés de promotions extérieurs, directeurs de label,

directeurs artistiques). D’une durée moyenne de 80 minutes, ces entretiens se sont déroulés

entre le 22 août 2005 et le 19 janvier 2007.

La plupart des répondants ont été cités lors d’un entretien préalablement réalisé auprès d’un

programmateur (qui a le plus souvent facilité la prise de contact). Après une question

introductive, « pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste votre travail ? », le répondant

évoque des situations au cours desquelles il a été en contact avec des programmateurs radio.

Là encore, les conseils de Demers (2003) et de Romelaer (2005) ont été mobilisés.

« Une question descriptive est une source beaucoup plus riche de données que ne l’aurait été une question directe […] plus abstraite [qui] aurait sans doute suscité une réponse reflétant davantage la dernière lecture ou la dernière formation que les pratiques réelles. Dans le champ de la gestion, les gens connaissent le jargon à la mode et l’utilisent ; les histoires qu’ils racontent sur ce qu’ils font et la façon dont ils le font sont, en général, plus riches. »

D’après Demers (2003, p.189)

Les relances permettent aux répondants de parler du secteur de la radio et de ses enjeux, mais

aussi, leurs relations avec les radios et les programmateurs.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

208

c) Données secondaires

Les données déclaratives ont été complétées par des données secondaires issues des relevés de

programmation réalisés par l’Institut Yacast, glanées dans la presse professionnelle (Musique

Info Hebdo, RadioActu, Le Mag Radio), économique et généraliste, et d’une cinquantaine

d’e-mails envoyés par des attachés de presse aux programmateurs radios dans le cadre de

leurs actions de promotion. Parce qu’ils offrent un aperçu des pratiques concrètes de

promotion des attachés de presse, ils permettent de trianguler les données obtenues lors des

entretiens de contexte.

d) Conversations et observations informelles

Enfin, la phase de collecte des données a donné lieu à de nombreux contacts informels avec

les acteurs du secteur (programmateurs, animateurs, directeurs des programmes, directeurs de

label, attachés de presses, directeurs artistiques) qui ont pu prendre la forme de déjeuners,

d’entretiens informels, de conversations téléphoniques, de visites de radios, d’observations de

réunions de programmation. Des contacts informels nous ont notamment permis de

communiquer aux répondants les premiers résultats de la recherche93 et de leur soumettre nos

premières analyses.

Ces rencontres ont donné lieu à des prises de notes et ont pu faciliter les prises de contacts en

vue d’entretiens ou les prolonger. Elles ont en outre permis d’améliorer notre compréhension

du secteur de la radio et de l’industrie musicale. Compte tenu de leur caractère informel, ces

données n’ont pas fait l’objet d’une analyse structurée.

Synthèse 13

Données collectées

Une volonté de triangulation a guidé la collecte. Le corpus se décompose comme suit :

� 25 entretiens semi-directifs réalisés avec les programmateurs.

� 15 entretiens de contexte réalisés auprès d’observateurs privilégiés du secteur.

� Données secondaires composées, notamment, d’une cinquantaine d’e-mails échangés entre les programmateurs et des attachés de presse du secteur.

� Contacts informels avec les professionnels du secteur (déjeuners, visites de radios, échanges de mails, conversation téléphoniques). Ces contacts ont permis de communiquer aux répondants les premiers résultats de la recherche.

93 Les documents transmis sont les communications présentées à l’AIMS et à EGOS (Mouricou, 2006, 2008) et l’article publié dans la Revue Française de Gestion (Mouricou, 2006).

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

209

2.3. ANALYSE DES DONNEES

Les données déclaratives et une partie des données secondaire (e-mails entre les

programmateurs et les attachés de presse) ont fait l’objet d’une analyse thématique. Cette

section nous permettra d’en retracer le cheminement.

Les points (a) et (b) sont consacrés aux grandes étapes de notre codage. Pour coder les

données, nous avons utilisé le logiciel NVivo 8 auquel nous consacrons le point (c). En fin

d’analyse, un double codage a été réalisé afin de garantir la fiabilité du processus d’analyse.

Le point (d) nous permettra d’expliquer de quelle manière nous avons réalisé ce double

codage et d’en présenter le résultat.

a) Codage des données

Les données qualitatives ont fait l’objet d’une analyse thématique prenant la forme d’un

codage. Cette opération « consiste à découper les données en unités d’analyse, à définir les

catégories qui vont les accueillir, puis à placer (ranger ou catégoriser) les unités dans ces

catégories » (Allard-Poesi, 2003, p.246). Une fois organisées de façon hiérarchique, les

catégories et les sous-catégories forment un dictionnaire des thèmes. Comme le remarquent

Richard et Morse (2007), ce type d’analyse peut être intégré à différentes démarches de

recherche. Il prolonge ici la démarche inspirée de la théorie enracinée dans laquelle nous nous

inscrivons. En lien avec les préconisations de Strauss et Corbin (2004) ce travail d’analyse a

d’ailleurs été initié dès la collecte des données afin de faciliter l’échantillonnage théorique.

Certains chercheurs ont pu reprocher au codage de consister en un morcèlement des données,

empêchant le chercheur de donner du sens « au tout »94, il est généralement admis que

l’analyse de contenu thématique permet de faciliter le traitement de données qualitatives qui

sont, par définition, plus volumineuses et moins structurées que des données quantitatives

(Miles et Huberman, 2003). Ce travail de « découpage » est d’ailleurs clairement revendiqué

par Strauss et Corbin qui définissent le codage comme : « Les processus analytiques par

lesquels les données sont fractionnées, conceptualisées et intégrées pour produire de la

théorie » (Strauss et Corbin, 2004, p.20).

94 Voir notamment les critiques de Lincoln, relayées par Charmaz (2000)

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

210

Parce qu’il permet la mise en relation de passages traitant des mêmes sujets, ou pouvant être

reliés aux mêmes concepts, le codage facilite le travail de comparaison au cœur de l’approche

par la théorie enracinée. C’est en effet par la comparaison (de différentes personnes, de

données émanant des mêmes personnes mais recueillies à des moments différents, de

différentes situations, cas ou incidents, de différentes catégories) que les concepts du

dictionnaire des thèmes sont affinés, que leurs propriétés (les éléments qui permettent de les

caractériser) peuvent être mises en lumière (Glaser, 1978 ; Glaser et Strauss, 1967 ; Strauss et

Corbin, 2004 ; Strauss et Corbin, 1990).

Schéma 12

Codage et analyse des données qualitatives

Adapté de Deschenaux (2007)

Les différentes étapes du processus d’analyse des données vont être détaillées. Comme il

n’existe pas de modèle standard d’analyse des données qualitatives, cette démarche résulte

d’essais, d’erreurs, de lectures et de rencontres avec d’autres chercheurs95. Ce processus

d’analyse est probablement perfectible. Aussi, les éléments qui suivent n’ont pas pour objet

de légitimer de quelque façon cette recherche mais de garantir une certaine « traçabilité » des

résultats obtenus et d’assurer une certaine reproductibilité de la démarche.

95 Je tiens ici à remercier tout particulièrement Stéphanie Dameron, Rodrigo Bandeira De Mello, Charlotte Fillol, Hanane Beddi, Loréa Hireche, Géraldine de La Rupelle et Lionel Garreau.

Corpus

Thème 1

- Code 1.1

- Code 1.2

- Code 1.3

Thème 2

- Code 2.1

- Code 2.2

Dictionnaire des thèmes

Résultats de la recherche

Déstructuration et décontextualisation des données

Restructuration et recontextualisation des données

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

211

a) Les grandes étapes du codage

Dans un ouvrage postérieur au Discovery Book co-écrit avec Anslem Strauss, Glaser (1978)

cherche à préciser et à opérationnaliser la théorie enracinée. Pour développer une sensibilité

théorique (« theoretical sensivity »), le chercheur propose de distinguer les « substantive

codes » des « theoretical codes ». L’idée est simple : il s’agit d’entamer l’analyse par une

première phase de codage très proche des données (c’est le rôle des « substantive codes »). Le

codage ainsi obtenu sert de base à une seconde phase d’analyse permettant d’atteindre un

niveau de conceptualisation supérieur (c’est le rôle des « theoretical codes »).

Indépendamment des différents débats ayant pu animer la communauté des chercheurs en

théorie enracinée, la nécessité d’entamer l’analyse par un codage très fin et très proche des

données a souvent été utilisée.

On retrouve cette idée chez Strauss et Corbin (2004) chez qui le codage ouvert et la micro-

analyse constituent un préalable à une analyse approfondie (codage axial et codage sélectif),

chez Miles et Huberman (2003) qui distinguent deux niveaux de codage, ou encore chez

Richards (2005).

Il existe probablement autant de démarches de codage que de recherches qualitatives. En

suivant Richards (2005), trois grandes étapes ont été distinguées afin de dépasser

progressivement le stade de la description pour faciliter la conceptualisation : (i) codage

signalétique ; (ii) codage par « topics » (ou codage descriptif) ; (iii) codage analytique.

Le codage signalétique a permis de classer et d’organiser les données. Le codage des

« topics » a eu pour objectif de recenser les différents sujets discutés par les répondants lors

des entretiens et de regrouper les passages traitant des mêmes sujets. Le codage analytique a

permis de définir les grandes catégories de l’analyse pour les relier à leurs propriétés et à leurs

dimensions. Il a également permis de sélectionner les catégories centrales de l’analyse et de

les relier aux autres catégories pour construire une « théorie » enracinée dans les données.

Les éléments qui suivent permettront au lecteur de voir de quelle manière ces différentes

étapes ont été mises en pratique. Ce sont les entretiens réalisés auprès des programmateurs,

qui ont fait l’objet du codage le plus approfondi.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

212

(i) Codage signalétique

Le codage signalétique ne résulte pas, à proprement parler, d’une analyse des données. Il

consiste en un classement des informations qui permettra de faciliter l’analyse. Cette étape

précède également les analyses de données quantitatives (Gibbs, 2002, p.129) : « les

informations ainsi organisées permettent de décrire un cas » (Richards, 2005, p.90).

Le terme cas qui est utilisé par Richards ne correspond pas à la définition généralement

retenue en Sciences de Gestion. Il s’agit d’une observation, d’un cas clinique qui correspond,

dans la présente recherche, à une décision de programmation musicale. En tout, ce sont plus

de 250 décisions d’entrée en playlist qui ont été analysées.

Chaque passage est donc relié à une décision par le biais code signalétique. Les codes

signalétiques sont définis par des attributs (tableau 10). Ces informations sont notamment

utilisées pour donner des éléments de contexte au lecteur lorsque des verbatims sont cités

dans la recherche : la fonction du répondant, le type de radio (réseau national ou radio

indépendante) et le format (généraliste ou thématique).

Tableau 10

Liste des attributs utilisés lors du codage signalétique

Types d’attributs Détail

Attributs liés à la chanson Nom de l’artiste

Titre

Label

Date de sortie

Chanson française (oui / non)

Nouveau talent (oui / non)

Attributs liés à la radio Nom de la radio

Type de radio (réseau / indépendant)

Format

Cible

Nombre d’auditeurs quotidiens (audience cumulée)

Attributs liés au programmateur Nom du répondant

Intitulé de la fonction

Date de l’entretien

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

213

(ii) Codage descriptif

Pour Strauss et Corbin, le codage ne saurait se résumer à un simple étiquetage des données :

le nom d’un code ne doit pas être une simple description du texte. Une reformulation

théorique est nécessaire : le texte est toujours un exemple d’un phénomène plus général. Cette

prescription est parfois difficile à mettre en pratique. Elle nécessite que le chercheur ait

préalablement acquis une connaissance approfondie de ses données. Richards (2005) et

Charmaz (2000) proposent donc de débuter l’analyse en recensant les différents sujets

évoqués par les répondants de façon ouvertement descriptive de façon à bien dissocier

description et conceptualisation. Cet exercice permet d’organiser les données en rassemblant

les passages traitant des mêmes sujets au sein des mêmes nodes.

Les nodes sont définis de façon totalement inductive (analyse de contenu "ad hoc" selon

Romelaer, 2005), pour être ensuite regroupés par grands thèmes. La question à se poser à la

lecture du passage à analyser est toujours la même : « De quoi ce passage parle-t-il ? » Tous

les entretiens, qu’il s’agisse de ceux réalisés avec les programmateurs ou des entretiens de

contexte, ont fait l’objet d’un codage descriptif.

Schéma 13

Un exemple de codage des « topics »

Dans l’exemple qui précède, le répondant, directeur des programmes d’un très important

réseau national, évoque, parmi d’autres sujets, les attachés de presse mandatés par les maisons

de disques pour faire la promotion de leurs artistes. La première partie de cet extrait a donc

été codée à l’aide du code « Attachés de presse ».

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

214

Suivant les conseils de Richards, les « topics » ont été organisés en catégories et sous-

catégories. Le code « attachés de presse » est ainsi intégré à une catégorie plus générale

intitulée « promotion et maisons de disques ».

Au total, 390 codes descriptifs ont été utilisés (à l’exception des codes descriptifs renvoyant,

nominativement, à des acteurs du champ, ces éléments sont présentés en annexe 5). Les codes

descriptifs sont organisés en sept grandes catégories : contexte, programmation musicale,

concurrents & industrie, imitation concurrentielle, industrie musicale, artistes, chansons96.

Le codage descriptif des entretiens s’est fait en quatre étapes. Dans un premier temps, le

codage de dix entretiens réalisé avec les programmateurs a permis de faire émerger les

principaux codes descriptifs. Ces codes ont ensuite été revisités pour être regroupés dans des

catégories plus larges. Afin de garantir une certaine stabilité des règles de codage, un mémo a

été rédigé. Les autres entretiens ont alors été codés. Dans un dernier temps, les dix premiers

entretiens ont été retravaillés pour intégrer les modifications apportées aux codes descriptifs et

aux règles de codage associées.

Le schéma qui suit permettra au lecteur d’avoir une vue synthétique du contenu de l’ensemble

des entretiens réalisés avec les programmateurs. Le graphique est établi à l’aide du logiciel

NVivo 8 sur la base d’une matrice croisant les sept grandes catégories de codes descriptifs

(après consolidation) et l’attribut « type de radio » (qui présente deux modalités :

indépendant, réseau).

96 Les catégories « artistes », « chansons » et « industrie musicale » ont été regroupées dans un méta-thème intitulé « les ingrédients d’un tube » qui fera l’objet d’une analyse dans le chapitre 5.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

215

Schéma 14

Synthèse du codage descriptif

Réseaux nationaux Radios indépendantes

Encadré 8

Commentaire rapide du schéma 14

Le schéma qui précède synthétise le codage descriptif des entretiens réalisés avec les

programmateurs. Si le nombre de mots codés sous chacune des catégories ne traduit pas

forcément l’importance accordée par les répondants à chaque thématique, cette mesure permet

d’offrir un aperçu global du corpus au lecteur. Plusieurs éléments méritent d’être soulignés.

Nous ne constatons pas de différence significative dans les sujets évoqués par les

programmateurs officiant dans des réseaux et ceux officiant dans des radios indépendantes. Le

thème le plus présent dans les entretiens est celui de la programmation musicale et de ses

outils (playlists, places en playlist, horloges, rotations, tests, quotas, etc.). L’imitation

s’impose comme le deuxième sujet le plus présent dans le corpus.

Les entretiens menés dans les radios indépendantes ont, en moyenne, duré plus longtemps que

ceux réalisés dans les réseaux nationaux ce qui explique qu’ils soient, globalement, plus

riches.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

216

Encadré 8 (suite)

Commentaire rapide du schéma 14

Parmi les différences les plus significatives, on remarquera que les éléments relatifs à la

programmation musicale (playlist, horloges, Selector, tests, etc.) sont davantage évoqués par

les répondants qui officient dans des radios indépendantes. Deux éléments sont, à notre sens,

susceptibles d’expliquer cet écart. 1) Dans les réseaux nationaux les tâches liées à l’entrée des

disques en playlist (écoute des singles, relations avec les labels, etc.) sont souvent dissociées

des tâches liées à la gestion opérationnelle de la programmation (utilisation du logiciel

Selector, programmations quotidiennes). Les premières sont confiées au directeur des

programmes ou au directeur de la programmation musicale. Les secondes à un ou à plusieurs

programmateurs. Dans les radios indépendantes, où cette division des tâches n’est pas

effective, les répondants ont donc tendance à passer plus de temps à détailler les aspects

techniques liés à la programmation. 2) Plusieurs codes intégrés à la catégorie

« programmation musicale » ont trait aux outils de recherche musicale (« call-out »,

auditorium). Les répondants officiant dans les radios indépendantes qui n’ont souvent pas

accès à ces outils ont souvent évoqué l’utilisation qu’ils pourraient faire des tests, leur coût et

l’intérêt que ces derniers pourraient représenter dans leur radio.

A l’inverse, les éléments relatifs aux artistes sont davantage explicités par les répondants

travaillant dans des réseaux nationaux. Ces programmateurs ont en effet souvent évoqué leurs

relations personnelles avec les artistes (sujet qui concerne moins les programmateurs des

radios indépendantes).

Le codage des « topics » permet de s’imprégner des données, il constitue donc une étape

importante de l’analyse. L’annexe 6 propose la retranscription de deux entretiens et le détail

des codes descriptifs utilisés.

Cette étape du codage permet par ailleurs de « réduire » les données en sélectionnant les

passages les plus directement reliés à la thématique de la recherche. Des codes « marqueurs »

ont été crées pour repérer ces passages. Ils sont utilisés lorsque les répondants expliquent

avoir imité un ou plusieurs concurrents, décrivent un état d’incertitude relatif à un titre

particulier, manifestent un certain nombre de doutes ou font part de leurs certitudes ou de leur

volonté de se différencier de leurs concurrents.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

217

Sur les 253 décisions de programmation évoquées lors des entretiens, 68 ont été identifiées

comme faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle (une synthèse quantifiée sera

présentée au lecteur en début de chapitre 5). Ces passages ont fait l’objet d’une analyse

approfondie « semi-formatée » (Romelaer, 2005, p.123) : leur comparaison permet de

préciser, de compléter et d’articuler les éléments mis en évidence dans la littérature en

apportant des éléments de réponse aux questions de recherche énoncées précédemment.

(iii) Codage analytique

L’étape de codage analytique vise à identifier, dans les données, un certain nombre de

catégories d’analyse et à constituer un réseau de thèmes sur la base de relations potentielles. A

mesure que les catégories émergent des données, les premiers résultats sont reliés à la

littérature existante (Orton, 1997), qui pourra être plus ou moins volumineuse selon que l’on

s’inscrive dans la démarche proposée par Strauss et Corbin (2004) – c’est le cas ici – ou dans

celle de Glaser (1978).

Comme le note Richards (2005), cette partie du codage est la plus stimulante

intellectuellement, mais aussi la plus longue et la plus difficilement formalisable. Elle doit

permettre au chercheur – qui a apprivoisé son corpus dans les étapes précédentes – d’agréger

et de donner du sens à ses données (l’auteure utilise la métaphore du « décollage »). Le va-et-

vient continu entre données et littérature a nécessité un re-codage régulier des premiers

entretiens analysés (approche « complète » selon Romelaer, 2005). Le dictionnaire des thèmes

a ensuite été approfondi et stabilisé.

Conformément aux prescriptions de Strauss et Corbin, deux activités ont eu une importance

particulière durant les premières phases d’analyse (codage ouvert) : la micro-analyse et la

comparaison systématique.

Comme le notent Bandeira-de-Mello et Garreau (2008, p.14), « la production de micro-

analyses consiste en la déconstruction d’éléments de données : mots, groupes de mots

lorsqu’il s’agit de données textuelles. L’objectif est de comprendre ce qui est contenu dans les

propos de l’acteur mais qui n’est pas rapporté de façon explicite afin de faire émerger des

catégories potentielles et d’augmenter le nombre de voies d’interprétations possibles. » Si

certaines des pistes seront abandonnées, d’autres pourront être approfondies durant les phases

d’analyse ultérieures.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

218

Encadré 9

Un exemple de passage ayant fait l’objet d’une micro-analyse

Citation du programmateur :

« En fait… euh… c’est ma politique de ce que j’appelle : “La politique du mouton”. C'est-à-dire que je laisse les radios le démarrer et quand ça marche un petit peu sur toutes les grosses radios, et bah je suis derrière quoi. Oui j’appelle ça la politique du mouton. Je suis le troupeau. Il y a un troupeau qui se met en place autour du morceau et moi je laisse FRJ le faire, je laisse tout le monde le faire. Et quand je vois que tout le monde le rentre, et beh je le rentre. Parce que… je ne trouve pas ça spécialement comme un tube. Je le dis sincèrement. Je ne trouve pas qu’à première écoute ça passe auprès des auditeurs. Je pense que sur un morceau comme ça, il faut un lavage de cerveau de la télé, des grosses radios pour que nous on puisse le jouer derrière. Si moi demain je joue ça, je trouve que je perds ma crédibilité au niveau des nouveautés. Voilà… mais ça je pense que Ze Pequeno, peut-être que dans six mois on ne saura même plus qui c’est quoi. »

[Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une radio locale généraliste]

Micro-analyse (extrait d’un mémo rédigé en début de recherche) :

Focus sur l’expression : « politique du mouton »

- L’expression est une sorte d’oxymore. Le terme politique témoigne du caractère réfléchi, prémédité de la démarche. Elle donnerait lieu à une forme de calcul (c’est politique).

- Il s’oppose au deuxième terme, mouton, plutôt péjoratif. Le mouton est un animal souvent dépeint comme un idiot, suivant « bêtement » le troupeau.

Quelques pistes :

- Le fait de se comparer à un mouton n’est pas forcément très flatteur pour le répondant. On peut imaginer que ce programmateur ne soit pas très fier de se comporter comme un mouton. Qu’il préférerait être plus innovant. L’imitation, une stratégie adoptée à regret ?

- L’hypothèse d’une forme de provocation, sur fond de rivalité NRJ / Les Indépendants, peut également être formulée : « je suis un mouton… et je vais vous expliquer pourquoi en vous montrant que je ne suis peut-être pas aussi bête que certains ont pu le dire. »

- Cette dernière hypothèse semble confirmée par la suite du verbatim dans lequel le répondant porte un jugement artistique assez négatif sur le disque dont il est question (d’ailleurs, il avait raison… on en entend plus parler de ce groupe)… et sur la radio l’ayant démarré.

- A approfondir par la suite : l’opposition d’une démarche préméditée à un comportement décrit comme irrationnel indique qu’il faudra certainement s’intéresser à la question de la rationalité des individus.

Comme en témoigne l’encadré qui précède, une attention particulière a été portée aux

métaphores, aux comparaisons et aux analogies utilisées par les répondants pour effectuer ce

travail de micro-analyse. La méthode de la comparaison constante vise à dépasser le caractère

idiosyncrasique de chaque situation. Il s’agit de comparer les cas les uns aux autres, de

commencer à identifier certaines propriétés et certaines dimensions des catégories

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

219

conceptuelles issues des données. Les codes sont alors organisés, classifiés et reliés les uns

aux autres à l’aide du logiciel (Bandeira-de-Mello et Garreau, 2008).

Strauss et Corbin insistent, par ailleurs sur plusieurs réflexes permettant de systématiser le

codage ouvert et de ne pas passer à côté d’éléments qui pourraient se révéler essentiels. La

méthode du flip-flop vise ainsi à inverser un énoncé : « le répondant me dit que la piètre

qualité du titre interprété par Ze Pequeno le conduit à adopter sa ‘politique du mouton’ mais

que se passerait-il s’il avait affaire à un titre artistiquement plus qualitatif ? Ce cas de figure

est-il présent dans un des cas étudiés ? Si ce n’est pas le cas, serait-il intéressant d’aller

poursuivre la collecte des données dans ce sens ? ».

Les grandes catégories de l’analyse ont été définies conjointement aux questions de recherche.

Une attention particulière a donc été portée aux pratiques d’imitation concurrentielle et

notamment aux raisons poussant les programmateurs à imiter des concurrents et aux critères

qu’ils utilisent pour sélectionner leurs modèles. Cette phase de l’analyse a permis de faire

émerger une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle qui sera présentée dans le

chapitre 6 de la thèse.

En parallèle, une partie de l’analyse s’est articulée autour du contexte incertain dans lequel se

prennent les décisions de programmation et aux doutes qui sont ceux des programmateurs

lorsqu’ils doivent entrer un disque en playlist. La construction du dictionnaire des thèmes

reprend l’esprit de la démarche de codage axial proposée par Strauss et Corbin (2004) en ce

qu’elle vise à définir des concepts au travers de leurs propriétés et de leurs dimensions. Notre

approche s’en éloigne cependant car les propriétés et les dimensions sont déterminées de

façon abductive (là où Strauss et Corbin préconisaient d’utiliser un paradigme de codage

défini a priori). Le dictionnaire des thèmes est proposé en annexe 7.

Dans un dernier temps, la mise en relation des grandes catégories du dictionnaire des thèmes

(codage sélectif) a permis d’apporter des éléments de recherche à la première question de

recherche (contribution de l’imitation concurrentielle à la stratégie des organisations).

Concrètement, le codage sélectif nous a amené à mettre en évidence une tension entre

imitation et différenciation à laquelle nous consacrerons une part importante de notre

discussion générale.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

220

Schéma 15

Démarche adoptée pour le codage analytique

b) L’utilisation du logiciel N-Vivo

Comme le souligne Gibbs (2002), les développements des logiciel NUD*IST et N-Vivo ont

largement été influencés par la théorie enracinée97. Plusieurs outils informatiques sont

aujourd’hui à la disposition du chercheur souhaitant entreprendre une recherche qualitative.

Dans une communication ultérieure, le même auteur (Gibbs, 2003) rappelle que ces logiciels

ne réalisent pas l’analyse à la place du chercheur. Ils se contentent de lui épargner la gestion

manuelle des documents et des codes, étape qui pourrait rapidement se révéler extrêmement

fastidieuse et consommatrice de temps. Comme le révèle, non sans une certaine ironie, Kathy

Charmaz (2000), cette remarque est parfois source de déception chez les étudiants. Elle a

cependant le mérite d’insister sur le caractère profondément « humain » d’une analyse des

données qualitatives qui repose avant tout sur la créativité, l’empathie et les intuitions du

chercheur.

Un esprit critique pourrait trouver dans les éléments qui précèdent une forme d’aveu du

manque de rigueur des méthodologies qualitatives. L’essentiel de notre propos est ailleurs :

l’utilisation d’un logiciel d’analyse des données, quel qu’il soit, ne saurait constituer une

garantie de la fiabilité de l’analyse. Cette notion n’ayant pas forcément le même sens selon les

démarches de recherche mobilisées (Douglas, 2003).

Un aperçu sommaire des fonctions permettant de coder des documents va maintenant être

proposé. L’utilisation des fonctions « modèles » et « matrices » ne sera que rapidement

évoquée ici. Les matrices seront utilisées dans le cadre de la présentation des résultats.

97 Lyn Richards, qui a participé à la conception des deux logiciels se définit elle-même comme une chercheuse en théorie enracinée.

Microanalyses et

comparaisons

Codage

axial

Codage

sélectif

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

221

Les documents

A l’exception des conversations et observations informelles réalisées au cours de la collecte,

chaque source de donnée, qu’il s’agisse d’entretiens, d’e-mails, d’articles ou de communiqués

de presse, a donné lieu à la création d’un document. Les documents indexés dans le logiciel

peuvent ensuite être codés et analysés.

Des documents de travail (mémos) ont également été créés tout au long de l’analyse. Ces

mémos ont pu être reliés à un document particulier (par exemple pour intégrer des notes

prises au cours de l’entretien) ou à un code (par exemple permettre de développer une idée

particulière).

Les noeuds

Le codage permet d’identifier et de regrouper les passages qui renvoient aux mêmes idées ou

aux mêmes concepts. Dans N-Vivo, les nœuds sont la manifestation informatique des codes.

Le nœud n’est pas simplement un nom apposé sur un ou plusieurs passages de texte. Il permet

la jonction entre des passages de texte tirés des données et des concepts : « le nom du nœud

n’est qu’un raccourci pour exprimer l’idée ou le concept que les différents passages codés ont

en commun » (Gibbs, 2002, p.58).

Un même nœud pourra donc coder des passages issus de plusieurs documents. Inversement,

un document pourra être codé par plusieurs nœuds. Des liens pourront être établis entre

plusieurs nœuds, ou entre un nœud et un mémo explicatif rédigé par le chercheur en vue

d’une restitution ultérieure.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

222

Schéma 16

Un document codé par plusieurs nœuds

D’après Gibbs (2002, p.63)

Afin d’élaborer un dictionnaire des thèmes, les nœuds sont regroupés au sein d’une

arborescence (nœuds hiérarchiques). Ce dictionnaire des thèmes peut être complété et modifié

à mesure que l’analyse progresse. Aux premiers stades de l’analyse, certains nœuds peuvent

ne pas encore avoir été reliés à une catégorie mère (nœuds libres)98.

En parallèle à l’arborescence du dictionnaire des thèmes, les « cases nodes » permettent de

regrouper les extraits qui renvoient à la même entreprise, au même projet, à la même

personne. Dans la présente recherche, les « case nodes » ont été utilisés pour coder chaque

décision d’entrée en programmation évoquée en entretien. Le « case node » intitulé

« Champagne FM / Gnarls Barkley – Crazy » regroupe donc l’ensemble des passages

renvoyant à la décision d’entrer le titre Crazy du groupe Gnarls Barkley par le programmateur

de la radio Champagne FM. Au total, 253 « case nodes » ont été crées. Ils correspondent aux

253 décisions d’entrée en programmation discutées durant les entretiens.

Requêtes, matrices et quantification des données qualitatives

Lors des dernières phases du codage, les requêtes et les matrices ont été utilisées pour

approfondir nos analyses. L’utilisation de matrices a notamment permis de quantifier un

certain nombre d’éléments relatifs au codage (nombre de passage codé, pourcentage de

documents codés, nombre de « case nodes » codés, etc.). Les matrices ont servi de base à

98 Certains « nœuds libres » ont été utilisés comme des marqueurs durant l’analyse afin, par exemple, de recenser les passages les plus explicites et les plus imagés et faciliter la sélection des verbatims intégrés dans le document final de la thèse.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

223

l’élaboration des graphiques qui viendront alimenter la présentation des résultats. Ces

éléments quantitatifs n’ont pas le même statut que les nombreux verbatims qui vont être

repris.

Ils ne doivent pas être considérés comme des éléments de « preuve » mais comme un moyen

de synthétiser l’ensemble du corpus (la présentation exhaustive des données étant par

définition impossible compte tenu du caractère extrêmement volumineux des données

qualitatives). Ces éléments nous semblent particulièrement utiles pour donner une idée au

lecteur du volume de données ayant servi à l’élaboration des résultats. Plus qu’une

représentativité statistique, ils permettent de traduire le caractère plus ou moins récurrent

d’une observation dans les données.

Nous reprenons ici une piste avancée par Johnson, Langley, Melin et Whittington dans un

écrit consacré aux méthodologies déployées dans les travaux du champ « stratégie en

pratiques » (Johnson et al., 2007, pp.77-78). La quantification de données qualitatives doit

permettre d’éclairer l’analyse et ne pas conduire à masquer les éléments permettant une

compréhension détaillée du terrain et du travail de fabrication de la stratégie.

c) Double codage

Dans un souci d’adhérence entre la grille d’analyse et les données, nous avons procédé à un

double codage des données. Comme le rappellent Gavard-Perret et Helme-Guizon (2008,

p.273), il s’agit de « faire réaliser l’analyse par au moins deux personnes différentes. Si ces

« codeurs » […] obtiennent la même codification/catégorisation du corpus, alors on peut

estimer avoir des assurances sur l’objectivité des résultats. » L’idée générale est que la

fiabilité de l’analyse est plus grande lorsque deux codeurs sont d’accord dans l’attribution de

catégories conceptuelles à des segments de données que lorsqu’ils sont en total désaccord.

Un désaccord total des codeurs pourrait en effet signifier que les catégories conceptuelles sont

ambigües, mal définies qu’elles couvrent des réalités suffisamment différentes pour remettre

en cause leur cohérence interne, ou encore que l’assignation des codes aux segments de

données a été faite au hasard par les analystes.

Si le double codage est une pratique largement préconisée par les ouvrages de méthodologie,

la littérature actuelle n’offre que peu de détails quant à sa mise en pratique (Grawitz, 2001).

L’absence de consensus relatif à l’opérationnalisation du double codage a une conséquence

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

224

fâcheuse en ce qu’elle rend difficilement comparables les taux de fiabilité annoncés par

différents chercheurs. En conséquence, il serait dangereux d’accepter l’idée d’un seuil rigide

en dessous duquel la fiabilité d’une analyse qualitative devrait être remise en question

(Richards, 2005). Si le taux de fiabilité est bel et bien un instrument de mesure, il se

rapproche davantage du « mètre élastique »99 que de l’outil de précision.

Faute de pouvoir proposer une méthode indiscutable, il nous semble essentiel de présenter au

lecteur les détails de la méthode utilisée pour réaliser le double codage. Tel sera l’objet des

points qui vont suivre.

Objectif du double codage : codage ouvert versus codage fermé

La théorie enracinée reconnaît une part de subjectivité dans l’analyse qualitative liée à la

nécessaire interprétation des données par le chercheur. Les problèmes de la fiabilité et de la

traçabilité du processus d’analyse font néanmoins partie des préoccupations de ces

chercheurs. C’est dans cet esprit qu’a été pratiqué le double-codage dans la présente

recherche. Ce point de départ nous a amené à privilégier un codage fermé en proposant aux

codeurs une version simplifiée de la grille du dictionnaire des thèmes.

Double codage intra-codeur versus double codage inter-codeurs

Si la révision des codes et des documents codés a fait partie intégrante du processus d’analyse

des données, nous n’avons pas pratiqué de codage intra-codeur (codage du même corpus à des

moments différents pour attester de la stabilité des règles de codage). Cette pratique est, nous

semble-t-il, particulièrement adaptée à des démarches d’analyses fondées sur une grille de

codage définie a priori à l’aide de la littérature et constituée de catégories marquées par un

fort degré d’abstraction. Le processus de révision constant que nous avons mis en œuvre pour

analyser les données (méthode complète selon Romelaer, 2005) a, à l’opposé, permis de faire

émerger des catégories conceptuelles enracinées dans les données et de les opérationnaliser.

Le double-codage qui a été réalisé a nécessité l’intervention de deux codeurs extérieurs. Nous

tenons ici à remercier Hanane Beddi100 et Benjamin Taupin101 pour leur aide précieuse.

99 Nos remerciements vont à Pierre Romelaer pour cette comparaison. 100 Hanane Beddi a soutenu sa thèse en 2008 à l’Université Paris-Dauphine sous la direction du professeur Pierre Romelaer. Elle a été recrutée en 2009 par l’EM Normandie en qualité d’enseignant-chercheur. 101 Benjamin Taupin est allocataire de recherche au CREPA (Université Paris Dauphine). Il poursuit sa thèse sous la direction du professeur Isabelle Huault.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

225

Périmètre retenu

Seuls les passages ayant fait l’objet d’une analyse approfondie ont fait l’objet d’un double

codage. Le double codage a porté sur 50 des 68 décisions de programmation faisant intervenir

une part d’imitation concurrentielle (chaque codeur extérieur a pris en charge 25 décisions).

Les décisions ayant fait l’objet d’un double codage ont été choisies au hasard et réparties

aléatoirement entre les deux codeurs extérieurs.

A la différence de certains chercheurs qui communiquent des entretiens codés aux codeurs

extérieurs (ces derniers doivent alors indiquer s’ils sont d’accord ou non), nous avons fait le

choix de transmettre des documents vierges. Cette méthode nous parait être la moins biaisée.

Le double codage n’a pas porté sur l’ensemble des codes mais seulement sur la partie

analytique (les codes descriptifs ont, ici, été mis de côté) soit 28 codes. Les codes ayant fait

l’objet du double codage renvoient à trois grandes catégories : le modèle (3 code), les doutes

et hésitations du programmateur (14 codes) et les pratiques d’imitation concurrentielle (9

codes). Concernant les pratiques d’imitation concurrentielle, il a été demandé aux codeurs

extérieurs d’utiliser la catégorie mère pour double coder les entretiens. Les descripteurs

opérationnels associés à chaque catégorie n’ont pas été utilisés dans le cadre du processus de

double codage mais ont été communiqués aux codeurs extérieurs sur la notice qui leur a été

remise à titre informatif.

La décision de ne retenir qu’une partie des codes est justifiée par deux types de

considérations : (1) Les codes descriptifs constituent davantage un outil de travail permettant

à l’analyste d’atteindre des degrés de conceptualisation supérieurs qu’un résultat, à

proprement parler, de l’analyse des données. (2) Nous avons, par ailleurs, cherché à simplifier

la tâche des codeurs externes qui auraient probablement connu des difficultés à intégrer

l’ensemble du dictionnaire des thèmes et des règles de codage associées.

Pré-formatage

Les données ont fait l’objet d’un pré-formatage avant d’être transmises aux codeurs externes.

Cette méthode a l’avantage d’apporter une réponse au problème de compatibilité des

« styles » de codage (les chercheurs peuvent en effet avoir pris l’habitude de coder plus ou

moins largement leurs données).

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

226

Nous avons choisi, en début de l’analyse, de ne pas suivre une préconisation souvent présente

dans la littérature (voir notamment Allard-Poesi, 2003) et qui aurait consisté à fixer, de façon

rigide, une unité de codage (ligne, paragraphe, mot…). Cette option a été écartée car la plus

grande flexibilité permise par l’utilisation des logiciels d’analyse des données permet, à notre

sens, de produire des analyses au plus près des données.

L’option, proposée par NVivo, qui consiste à retenir le caractère comme unité pour le double

codage a également été écartée.

Mode de calcul du taux de fiabilité inter-codeurs

Le mode de calcul du taux de fiabilité inter-codeurs que nous avons adopté est repris de Miles

et Huberman (2003, p.126). D’autres méthodes de calcul existent. Elles permettent d’éliminer

la concordance aléatoire (Cohen, 1960 ; Rust et Coil, 1994). Nous avons fait le choix

d’adopter la méthode la plus couramment utilisée en Sciences de Gestion.

Encadré 10

Le taux de fiabilité inter-codeurs selon Miles et Huberman

La question est dès lors de définir ce qu’est un accord et ce qu’est un désaccord. La encore,

des pratiques différentes coexistent chez les chercheurs qualitatifs.

Nous avons fait le choix de considérer qu’il y avait accord entre les deux codeurs à chaque

fois que ces derniers assignaient le même code au passage concerné. D’autres approches

privilégient d’inclure dans le nombre d’accords les situations où les deux codeurs choisissent

de ne pas attribuer un code donné au même passage (c’est la méthode utilisée dans la fonction

double-codage du logiciel NVivo 8).

Nous avons, par ailleurs, considéré qu’il y avait désaccord dans les deux cas suivants : (1) un

code est utilisé par le premier analyste et pas par le codeur extérieur ; (2) un code n’est pas

utilisé par le premier analyste et est utilisé par le codeur extérieur (certains chercheurs ne

prennent en compte que le premier cas).

A la différence d’autres chercheurs qui, en cas de désaccord, se laissent la possibilité de

revenir sur leur codage initial et/ou d’engager une discussion avec le codeur extérieur afin de

Taux de fiabilité inter-codeurs = Nombre d’accords

Fombre d’accords + Fombre de désaccords

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

227

faire converger les points de vue (l’idée est alors d’éliminer toutes les incompréhensions et les

oublis liés à l’inattention d’un des deux codages), nous n’avons modifié ni le codage initial, ni

le double codage réalisé par les codeurs extérieurs. Le taux de fiabilité qui va être livré est

donc un indicateur brut.

Résultats du double codage

Nous arrivons à un taux de fiabilité inter-codeurs de 84 % qui nous amène à considérer que le

processus de codage est relativement fiable102. Les détails du calcul sont synthétisés dans le

tableau suivant.

Tableau 11

Détails du calcul du taux de fiabilité inter-codeurs

Codeur ext. n°1 Codeur ext. n°2 Total

Nombre de décisions codées 25 25 50

Nombre de segments de texte 97 102 299

Nombre d’accords 102 99 201

Nombre de désaccords 10 28 38

Total accords + désaccords 112 127 239

Taux de fiabilité 91% 78% 84%

Nous pouvons observer un fort décalage entre les taux de fiabilité obtenus par la comparaison

du codage initial avec les codages réalisés par les deux codeurs extérieurs. Le résultat obtenu

avec le deuxième codeur extérieur s’explique, selon nous, par le fait que celui-ci n’a été mis

au contact de la grille d’analyse qu’au travers du document présenté en annexe 8. Le premier

codeur a quant à lui pu bénéficier d’informations plus nombreuses quant au secteur d’activité,

au vocabulaire spécifique utilisé par les répondants et à la grille d’analyse. Une réunion

préparatoire de deux heures a en effet été organisée avant le double codage afin de lever

toutes les ambigüités résiduelles.

L’étude du codage réalisé par le deuxième codeur extérieur montre, en outre, que ce dernier a

eu tendance à coder très largement (malgré le préformatage des données). La variation entre

102 Romelaer (2005) place à 80% le seuil à partir duquel une analyse qualitative peut être considérée scientifique.

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle

228

les styles de codage n’entame, à notre sens, pas l’adhérence de la grille aux données mais

pose certaines questions relatives à l’utilisation du double codage.

Un tel dispositif évalue, en effet, plusieurs dimensions du travail d’analyse des données : au-

delà de l’adhérence entre la grille d’analyse et le corpus, le taux de fiabilité est impacté par les

différences dans les styles de codage, la connaissance préalable du secteur d’activité et de la

problématique, la façon de préformater les données avant le double codage, la façon qu’ont

les répondants de structurer leurs propos, etc. Ces éléments nous amènent à préconiser la mise

en place de « briefing » avec les codeurs extérieurs, en amont du double codage, mais aussi à

relativiser la signification du taux de fiabilité qui est, selon nous, difficilement comparable

d’une recherche à une autre et d’un codeur extérieur à un autre.

Nous venons de présenter les orientations méthodologiques de notre recherche. Nous allons, à

présent, pouvoir détailler les résultats de la recherche

Synthèse 14

Point essentiel du processus d’analyse des données

� Les données ont fait l’objet d’un codage thématique semi-émergent réalisé à l’aide du logiciel NVivo 8.

� Le processus de codage reprend les trois étapes décrites par Richards (2005) : codage signalétique, codage de « topics », codage analytique. Ces trois étapes correspondent à une progression dans le travail d’abstraction et de conceptualisation.

� La phase de codage analytique mobilise très largement les techniques et les procédures de la théorie enracinée (Strauss et Corbin, 2004). Après une phase ouverte consistant en une série de microanalyses et de comparaisons, nous avons repris à Strauss et Corbin la dyade codage axial – codage sélectif. Le codage axial a permis de définir les principaux concepts de l’analyse en identifiant leurs propriétés et leurs dimensions (typologie des pratiques d’imitation du chapitre 6). Le codage sélectif a permis de mettre en relation les différentes catégories de l’analyse avant de proposer une théorie plus explicative.

� Une fois l’analyse réalisée, un processus de double codage a été mis en place afin de garantir la fiabilité du processus d’analyse. Ce double codage a fait intervenir deux codeurs extérieurs qui ont chacun codé 25 décisions de programmation musicale faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle. Le taux de fiabilité inter-codeurs atteint 84% ce qui nous amène à considérer que le processus d’analyse des données est satisfaisant.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

229

RESUME DU CHAPITRE 4

Pour mener cette recherche, un champ opérationnel original a été retenu : les radios musicales françaises. La saillance de la thématique de l’imitation concurrentielle dans ce secteur a constitué le principal critère ayant guidé ce choix.

Cette population se caractérise par une très grande hétérogénéité tant en termes de zones d’émission (des stations locales concurrencent les grands réseaux nationaux) que de positionnements (des formats très spécialisés coexistent avec des formats relativement généralistes). En dépit de ces différences, toutes les radios musicales commerciales reprennent très largement la mécanique du « Top 40 », un ensemble de techniques et d’instruments élaborés au début des années cinquante aux Etats-Unis.

Confiée au programmateur ou au directeur des programmes, la programmation musicale a progressivement fait l’objet d’une rationalisation : des outils de recherche (« call-out » et auditoriums) sont désormais utilisés par les programmateurs. Ces derniers doivent par ailleurs respecter la législation relative aux quotas de chansons d’expression francophone et répondre aux sollicitations des attachés de presse mandatés par les maisons de disques.

L’homogénéisation des programmations des radios musicales est aujourd’hui un fait établi. Pour expliquer cette tendance, certains auteurs ont pointé du doigt les comportements imitatifs des radios musicales. Cette thèse semble étayée par les polémiques propre aux secteurs opposant NRJ et les radios indépendantes ainsi que par certaine des spécificités de cette industrie. L’imitation semble en outre facilitée par l’existence de l’outil « Yacast » qui permet aux programmateurs de connaître la liste exhaustive des disques diffusés sur l’antenne de leurs concurrents. La thématique de la recherche semble donc particulièrement saillante dans le champ opérationnel retenu.

Un dispositif inspiré de celui préconisé par les chercheurs en théorie enracinée Strauss et Corbin (2004) a donc été déployé. Une trentaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de programmateurs officiant dans des radios musicales entre le 20 février 2004 et le 27 avril 2006. Ils ont été complétés par des entretiens de contexte et des données secondaires.

Les données qualitatives font l’objet d’un codage thématique. Le logiciel N-Vivo a été utilisé pour faciliter l’analyse des données. Reprenant la démarche décrite par Richards (2005) une phase de codage relativement descriptive a précédé l’analyse : ce codage des « topics » a eu pour objectif de recenser les différents sujets discutés par les répondants lors des entretiens et de regrouper les passages traitant des mêmes sujets. Il a par ailleurs permis d’opérer une réduction des données en repérant les extraits spécifiquement consacrés à l’imitation.

Pour réaliser le codage « analytique », qui n’a pu s’amorcer qu’une fois que la phase descriptive était bien avancée, la dyade « codage axial / codage sélectif » a été empruntée à Strauss et Corbin (2004). Le codage axial a permis de définir les grandes catégories de l’analyse pour les relier à leurs propriétés et à leurs dimensions. Le codage sélectif a permis de sélectionner les catégories centrales de l’analyse et de les relier aux autres catégories pour construire une « théorie » enracinée dans les données.

Un dispositif de double codage – dont les modalités de mise en œuvre sont précisées – a enfin été mis en place pour garantir fiabilité du processus d’analyse des données.

230

Chapitre 5

Un contexte propice à l’imitation

« Alors c’est simple : Pour faire du chiffre en

local, tu prends la playlist de FRJ, la playlist de

Chérie FM et tu passes l’un, l’autre, l’un,

l’autre… Ah, c’est comme ça que c’est abordé

en local ! »

Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national adulte

omme l’illustre cette citation, tirée d’un entretien réalisé auprès du programmateur d’un

réseau national à destination des adultes, les répondants n’ont aucune difficulté à

évoquer la thématique de la recherche. Les personnes rencontrées lors de la phase de collecte

des données ont fréquemment donné leur avis sur la controverse ayant opposé NRJ au GIE

« Les Indépendants » en prenant parti soit pour NRJ, soit pour les radios locales.

« C’est de pire en pire. Je n’ai plus envie d’en parler, j’en ai trop parlé. De toutes les façons, ils finiront par le payer ! On trouvera d’autres moyens de… ils le paieront à un moment donné. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes de FRJ

« Quand j’entends FRJ dire qu’on les copie tu vois…Ce qu’il oublie de dire, c’est que la plupart du temps, on entre les nouveautés avant lui. Tu peux être sûr que quand je rentre une nouveauté, dans les 15 jours qui suivent, lui, il la rentre. […] Moi je pense que FRJ, c’est un faux débat. Je pense que c’est lui qui copie et pas nous ! Je pense qu’on l’a prouvé à maintes reprises, qu’on le prouvera encore. L’avenir nous fera… nous fera et nous donnera raison. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante généraliste

En cohérence avec les résultats de travaux antérieurs (Greve, 1995, 1996, 1998) et avec les

éléments ayant conduit à choisir l’industrie radiophonique comme champ d’étude, l’imitation

semble être un comportement très répandu en matière de programmation musicale.

C

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

231

Ce constat est d’ailleurs partagé par les observateurs du secteur interrogés dans le cadre des

entretiens de contexte. « Quand FRJ rentre… en général… et ça, c’est le problème de

duplication dont se plaint FRJ… et il a raison Roberto103 – assène le directeur général de la

filiale française d’une major de l’industrie musicale – quand FRJ rentre un titre, il y a

beaucoup de provinces qui le rentrent. C’est sûr ! C’est bien pour nous sauf qu’il faut faire la

queue chez FRJ. »

Au-delà de cette polémique, déjà largement évoquée dans cette thèse, quels sont les

enseignements qui peuvent être tirés de l’étude de l’industrie radiophonique dans une

recherche consacrée à la place de l’imitation en stratégie et aux pratiques d’imitation

concurrentielle ?

Notre restitution des résultats se déroulera en deux temps, qui correspondent aux deux

questions de recherche qui ont été énoncées précédemment. Les questions de recherche sont

reprises dans le tableau 12 qui figure sur la page suivante.

Le premier axe est lié au contexte dans lequel se déroulent les pratiques d’imitation

concurrentielle. La littérature consacrée à ce phénomène – dans le prolongement notamment

des théories néo-institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983, 1991), des expériences

pionnières menées par les psychosociologues Asch (1951, 1971) et Sherif (Sherif, 1935), ou

encore de la description keynesienne du fonctionnement des marchés financiers (Keynes,

1934 [1969], 1937 [2002]) – a énormément insisté sur le rôle d’un facteur de contexte,

l’incertitude, pour expliquer les comportements imitatifs des individus et des organisations.

Cette question fera l’objet de ce premier chapitre de résultats.

Notre deuxième axe renverra à l’étude des pratiques d’imitation qui est, selon nous, rendue

nécessaire par l’existence d’explications mutuellement exclusives dans la littérature (postulant

chacune des raisons très différentes chez les individus) et qui peuvent, à première vue,

sembler incompatibles tant elles sont ancrées dans des conceptions de la rationalité

divergentes. L’étude des pratiques d’imitation se justifie également à nos yeux par l’intérêt

que portent par les chercheurs travaillant sur la thématique de l’imitation concurrentielle à la

question des formes d’imitation. Les limites de ces travaux – qui ont été détaillées dans le

103 Roberto Ciurleo, directeur général des programmes de NRJ de 2004 à 2007, est beaucoup intervenu dans les médias pour dénoncer le supposé plagiat de la programmation musicale de NRJ par les radios locales.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

232

premier chapitre de la thèse – doivent nous encourager à adopter un angle d’analyse

microscopique, à étudier ce que les décideurs font lorsqu’ils imitent des concurrents et à

comprendre les raisons qui les poussent à agir ainsi. L’observation in situ des pratiques

d’imitation concurrentielle sera alors susceptible d’améliorer notre connaissance des

phénomènes d’imitation, d’homogénéisation et de diffusion en apportant un regard

complémentaire aux travaux adoptant des niveaux d’analyse plus agrégés.

Plus globalement, la discussion générale reviendra sur la problématique de la thèse et sera

consacrée à la façon dont les pratiques d’imitation des programmateurs des radios musicales

sont susceptibles d’alimenter la stratégie des organisations du secteur. Au-delà des enjeux liés

à la question théorique de la fabrication de la stratégie, c’est sur ce point que résideront

l’essentiel des apports managériaux de notre recherche.

Tableau 12

Rappel des questions de recherche et axes de restitution des résultats

Questions de recherche Axes de restitution des résultats

Question

De quelle façon l’incertitude environnante – et

plus généralement – le contexte, influent-ils sur les

raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation

concurrentielle ?

Chapitre 5

Analyse des facteurs de contexte susceptibles d’encourager et de faciliter l’imitation concurrentielle chez les programmateurs.

Immersion dans les doutes des programmateurs et dans leurs perceptions de l’incertitude environnante.

Question

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle

sont-elles le terrain d’expression de différentes

raisons individuelles ?

Chapitre 6

Construction d’une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle.

Articulation de la typologie autour de la dichotomie rationalités instrumentales / rationalités évaluatives.

Problématique générale

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle

des programmateurs contribuent-elles à la

stratégie des radios musicales françaises ?

Discussion générale

Analyse du rôle joué par l’imitation dans la fabrication de la stratégie des radios musicales.

Discussion plus générale sur la place de l’imitation en stratégie.

Avant d’entrer dans le détail de la restitution des résultats de la recherche, il nous paraît

nécessaire d’apporter au lecteur des éléments de synthèse liés à l’analyse des données.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

233

a) Une rapide synthèse des données

S’il est difficile de procéder à une quantification du phénomène a l’aide de données

qualitatives et déclaratives, il est possible de remarquer que 68 des 253 décisions étudiées au

travers des entretiens réalisés auprès des programmateurs renvoient explicitement à des

comportements imitatifs (26,9%). Les comportements imitatifs ont été plus fréquemment

identifiés au cours des entretiens menés auprès des radios musicales indépendantes qu’auprès

des réseaux (45 cas d’imitation concurrentielle chez les indépendants contre 23 chez les

réseaux nationaux). Cet écart tient principalement au fait que le nombre de décisions de

programmation abordées lors des entretiens menés au sein des radios locales et régionales est

globalement plus élevé que le nombre de décisions de programmation abordées avec les

programmateurs officiant dans des réseaux nationaux.

Tableau 13

Nombre de décisions abordées par les répondants

Radios indépendantes Réseaux nationaux Toutes radios

>ombre de décisions

abordées au cours des

entretiens

156 97 253

>ombre de décisions

identifiées comme

imitation concurrentielle

45 23 68

Part de l’imitation

concurrentielle 28,8 23,7 26,9

Dans ces cas « typiques » qui ont été identifiés comme faisant intervenir une part d’imitation

concurrentielle, les répondants ont expliqué avoir constaté l’entrée en programmation d’une

chanson sur une ou plusieurs radio(s) concurrente(s) avant d’entamer sa diffusion et

établissent un lien de causalité entre ces deux évènements104.

La définition de l’imitation que nous avons retenue est plus restrictive que celle adoptée en

2003 lors de la rédaction du rapport de l’Observatoire de la Musique. Ses auteurs se

contentaient, en effet, de recenser les titres qui pouvaient figurer sur plusieurs playlists. Nous

considérons ici que des radios peuvent diffuser les mêmes titres sans pour autant s’être

imitées les unes les autres. L’adoption des mêmes critères de sélection ou l’exposition à des

104 Nous retrouvons ici la définition de l’imitation qui a été proposée dans le premier chapitre de ce travail sur la base des travaux de Haunschild (1993).

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

234

mêmes conditions environnementales peuvent aussi être à l’origine de similarités dans la

population étudiée.

Le choix d’une méthodologie qualitative reposant sur des entretiens n’est pas sans poser un

certain nombre de questions liées, par exemple, à la tendance des répondants à rationaliser a

posteriori leurs décisions ou encore à la difficile généralisation des résultats. Dans le cas

présent, elle permet néanmoins de gagner en rigueur dans l’identification des comportements

imitatifs et, comme nous allons le voir, de mieux cerner les logiques qui sont à l’œuvre.

Contrairement aux études quantitatives antérieures consacrées à l’étude des formes

d’imitation concurrentielle, le lien entre adoption par le modèle et par l’imitateur est ici mis

en évidence105.

« Beh pour la petite histoire, je n’avais pas le disque. Là, je l’ai entendu, pour le coup sur FRJ. J’ai entendu ça un samedi après-midi et je me suis dis : “c’est quoi ce truc de malade ?” »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio régionale généraliste

Lorsqu’ils ont expliqué avoir imité un ou plusieurs concurrents, les répondants ont souvent

identifié la ou les radio(s) ayant joué le rôle de modèle. Comme le révèlent les graphiques

suivants, il serait réducteur de considérer que l’imitation ne concerne que des radios locales

prenant pour modèle le leader du secteur (NRJ) : les entretiens font ressortir que les

programmateurs locaux peuvent également s’imiter les uns les autres, ou encore s’inspirer des

programmations de réseaux nationaux thématiques tels que Fun Radio, Europe 2 ou Skyrock.

Les réseaux nationaux peuvent, également, scruter les programmations de leurs concurrents

ou se servir des playlists des radios indépendantes, en particulier lorsqu’ils sont à la recherche

de nouveautés.

105 Sur ce point, on pourra par exemple renvoyer le lecteur à la discussion proposée par Rhee, Kim et Han (2006) en conclusion de leur article consacrée aux comportements imitatifs dans le secteur automobile britannique.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

235

Modèles imités par les programmateurs

b) Le contexte, une donnée souvent oubliée

La diversité des modèles imités par les programmateurs interrogés laisse supposer une grande

variété des pratiques d’imitation et des raisons individuelles qui les sous

présenter cette partie de l’analyse

des éléments de réponse à une

littérature.

De quelle façon l’incertitude environnante contexte, influent-ils sur les d’imitation concurrent

Une attention particulière sera donc portée aux éléments de contexte qui sont susceptibles

d’encourager l’imitation chez les programmateurs radio. A la manière de l’enquêteur

commençant par étudier minutieusement la scène du crime avant d’en reconstituer le

déroulement, d’en cerner le mobile et d’en identifier les auteurs, cette étape constituera le

point de départ de notre étude des

existante s’est beaucoup intéressée aux conséquences de l’imitation concurrentielle en termes

d’homogénéisation des stratégie

(DiMaggio et Powell, 1983), de diffusion des innovations

managériales (Abrahamson, 1991, 1996)

des entreprises (Deephouse, 1999)

Elle devient moins abondante lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs de contexte qui peuvent

faciliter ou encourager les comportements imitatifs.

Une sélection de concurrents

13%

Un concurrent en particulier

46%

: Méthodologie et résultats

Schéma 17

Modèles imités par les programmateurs (68 décisions)

texte, une donnée souvent oubliée

La diversité des modèles imités par les programmateurs interrogés laisse supposer une grande

d’imitation et des raisons individuelles qui les sous

présenter cette partie de l’analyse, ce premier chapitre de présentation des résultats apportera

une question de recherche formulée à l’issue de la revue de la

De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement s sur les raisons qui sous-tendent les

d’imitation concurrentielle ?

Une attention particulière sera donc portée aux éléments de contexte qui sont susceptibles

d’encourager l’imitation chez les programmateurs radio. A la manière de l’enquêteur

mmençant par étudier minutieusement la scène du crime avant d’en reconstituer le

déroulement, d’en cerner le mobile et d’en identifier les auteurs, cette étape constituera le

point de départ de notre étude des pratiques d’imitation concurrentielle.

s’est beaucoup intéressée aux conséquences de l’imitation concurrentielle en termes

stratégies, des pratiques, des structures dans un champ organisationnel

, de diffusion des innovations (Rogers, 2003)

(Abrahamson, 1991, 1996), d’amélioration ou de détérioration des performances

(Deephouse, 1999) ou de leurs chances de survie (Demil et Lecocq, 2006)

abondante lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs de contexte qui peuvent

faciliter ou encourager les comportements imitatifs.

Une tendance générale41%

La diversité des modèles imités par les programmateurs interrogés laisse supposer une grande

d’imitation et des raisons individuelles qui les sous-tendent. Avant de

, ce premier chapitre de présentation des résultats apportera

question de recherche formulée à l’issue de la revue de la

et plus généralement – le tendent les pratiques

Une attention particulière sera donc portée aux éléments de contexte qui sont susceptibles

d’encourager l’imitation chez les programmateurs radio. A la manière de l’enquêteur

mmençant par étudier minutieusement la scène du crime avant d’en reconstituer le

déroulement, d’en cerner le mobile et d’en identifier les auteurs, cette étape constituera le

d’imitation concurrentielle. La littérature

s’est beaucoup intéressée aux conséquences de l’imitation concurrentielle en termes

, des structures dans un champ organisationnel

(Rogers, 2003) et des modes

, d’amélioration ou de détérioration des performances

(Demil et Lecocq, 2006).

abondante lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs de contexte qui peuvent

Une tendance générale

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

236

c) De l’observabilité

Lorsqu’il est question des facteurs de contexte qui sont à l’origine des phénomènes

d’imitation, l’explication la plus fréquemment adoptée tient au caractère incertain de

l’environnement. En restreignant l’accès à l’information, l’incertitude encouragerait

l’imitation car les décideurs y verraient un moyen de s’accaparer des informations

difficilement accessibles autrement (Banerjee, 1992). Ces derniers n’étant par ailleurs pas

capables de fonder leurs décisions sur des éléments tangibles, permettant une évaluation

précise des risques et des conséquences, ils chercheraient à rationnaliser leurs actions en se

conformant à des modèles existants (Gomez, 1994, 1996). Malgré l’importance accordée à

l’incertitude dans les théories existantes, le lien entre incertitude et imitation a, néanmoins,

rarement fait l’objet d’études de terrain. A l’instar de Haunschild et Miner (1997), les

chercheurs ayant tenté d’établir un lien positif entre imitation et incertitude sont souvent

parvenus à des résultats peu convaincants.

On pourra trouver, dans le travail de Greve (1998) notamment, une seconde piste de départ

liée, cette fois, à l’observabilité des comportements et des décisions des autres organisations.

L’idée est simple : puisque l’imitation implique une observation du modèle par l’imitateur

(Haunschild, 1993), il est logique qu’elle soit facilitée dans des contextes où les informations

relatives aux décisions des concurrents sont plus facilement accessibles. La proximité

géographique, l’appartenance à un même groupe ou encore l’exposition médiatique du

modèle constitueraient des éléments accentuant la probabilité de voir apparaitre des

comportements imitatifs.

Sans adopter une démarche purement déterministe qui consisterait à appréhender les

comportements imitatifs des radios musicales à la lumière exclusive du contexte dans lequel

elles opèrent, il nous semble indispensable de commencer la présentation de nos résultats en

tentant d’identifier des facteurs susceptibles d’encourager et de faciliter l’imitation dans le

champ organisationnel.

Ce premier chapitre de présentation des résultats sera organisé en deux sections. Nous nous

intéresserons, dans un premier temps, à la notion d’incertitude et verrons que l’activité de

programmation musicale confronte les individus à des choix dont ils ont du mal à évaluer les

risques et les conséquences potentielles. Si l’existence d’une orthodoxie professionnelle les

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

237

accompagne dans leur prise de décision, elle ne constitue qu’une réponse partielle à leurs

doutes. En dernier recours, les décideurs peuvent alors s’inspirer des solutions expérimentées

par leurs concurrents. Notre attention se portera ensuite sur un ensemble de facteurs

susceptibles d’encourager et de faciliter l’imitation au sein des radios musicales françaises.

Par leurs arguments promotionnels et la pratique des partenariats, les acteurs de l’industrie

musicale semblent ici jouer un rôle clé. Leur influence est renforcée par l’existence

d’éléments facilitant l’imitation en rendant observables par les programmateurs les décisions

de leurs concurrents. Nous pourrons alors conclure ce chapitre en ouvrant une discussion qui

sera prolongée à l’issue de la deuxième partie de la thèse.

1. UN CONTEXTE INCERTAIN

Pourquoi tel artiste est-il parvenu à séduire le public ? Peut-on prévoir le succès commercial

d’un disque ? Existe-t-il une formule magique pour composer des « hits » ?

Les réponses à ces questions ne manquent pas. Au cours des entretiens, les programmateurs,

ont pu mettre en avant le talent des artistes, la qualité de la production ou encore le travail

remarquable de promotion orchestré par la maison de disques pour expliquer les raisons du

succès d’un tube. Si l’énumération de facteurs pouvant permettre de comprendre, a posteriori,

la réussite d’un projet semble être un exercice facile, il semble en revanche beaucoup plus

complexe de prévoir, a priori, les chances de succès d’un disque inconnu du public. Ces

interrogations récurrentes, partagées avec les professionnels de l’industrie musicale,

constituent pourtant le cœur de l’activité de programmation musicale. « Comment on sait que

le titre est un tube ou pas ? – s’interroge ainsi le directeur d’un grand label – En fait, on ne le

sait pas. On a juste l’intuition que c’est un bon titre. Avec un peu… voilà, à force d’écouter

des titres, on a une certaine intuition. »

Parce qu’ils doivent essayer de deviner quels seront les disques qui susciteront un

engouement particulier dans le public – permettant ainsi d’accroitre l’audience de la station –

les programmateurs sont quotidiennement confrontés à l’incertitude. « C’est à nous d’investir

en quelques sortes – résumait Jean-Eric Valli, président du groupe Start, dans une interview

télévisée datant du milieu des années quatre-vingt dix106 – De faire un pari, de voir si ça plait

aux auditeurs, de jouer un morceau si ça leur plait, de le retirer si ça ne leur plait pas. »

106 Reportage de RadioMag (MCM) consacré à la station régionale Vibration (1995).

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

238

La tâche est d’autant plus difficile que les goûts du public sont souvent changeants et

insaisissables. Comme l’explique un interlocuteur rencontré dans le cadre de la recherche :

« On ne sait pas vraiment ce qu’ils attendent les consommateurs. C’est toujours délicat avec

la musique. Bien sûr qu’on saura qu’ils attendent un Madonna… et encore… ça peut ne pas

marcher ! »107 Les échecs répétés d’artistes considérés comme des valeurs sûres ont, en effet,

amené les programmateurs radio à se poser plus de questions qu’auparavant : « Maintenant, je

pense que c’est encore plus dur qu’avant. Même quand tu as un nom, tu peux passer à côté.

Les derniers morceaux de Michael Jackson, ils n’ont pas marché – se souvient ainsi le

directeur d’antenne d’une radio indépendante d’Île-de-France – Et pourtant, c’était quand

même Michael Jackson. Il a eu de “l’Airplay”108, forcément ! Mais ça n’a pas fait grand-

chose ! »

L’incertitude environnante est cependant indissociable de la perception et du ressenti des

programmateurs. Nous allons voir qu’elle peut se traduire par des doutes, des hésitations, des

inquiétudes ou des angoisses qui sont susceptibles de favoriser l’émergence de

comportements imitatifs.

« Des fois, quand on est un peu hésitant sur un titre, c’est bien de se fier aux autres. C’est vraiment lorsqu’on a des interrogations ou des doutes. On peut avoir des doutes, des inquiétudes… donc voilà. Des inquiétudes, j’en n’ai pas énormément. Mais euh… des doutes oui, c’est normal. »

Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio indépendante

« Quand tu as un doute comme ça, tu n’es pas starter. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio indépendante

1.1. LES DOUTES DU PROGRAMMATEUR

Le contexte d’incertitude dans lequel ils doivent prendre leurs décisions est à l’origine d’un

certain nombre de doutes chez les programmateurs. Ces hésitations sont d’autant plus

difficiles à surmonter que les professionnels du secteur mettent souvent un point d’honneur à

écarter leur sensibilité artistique personnelle afin de privilégier les goûts des auditeurs :

« Dans la mesure du possible, on essaie de ne pas trop mettre nos goûts trop en avant –

assure ainsi ce directeur des programmes – On ne fait pas de la radio pour nous ! On fait de

la radio pour les auditeurs qui nous écoutent ! Vous, vous pouvez très bien trouver un titre

moyen et l’auditeur lambda, lui, il peut trouver ça très bien. »

107 Entretien réalisé avec un attaché de presse. 108 Airplay : diffusions en radio

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

239

a) « Les voies du public sont impénétrables »

Prévoir la réaction du public à propos d’un titre n’est cependant pas chose aisée. Amené à

commenter sa décision tardive d’entrée en playlist d’un single de Nolwenn Leroy, une artiste

française révélée au public par une émission de télé-réalité, ce programmateur dans une radio

locale explique : « Autant j’ai apprécié énormément, autant je me suis dit au départ… comme

ça n’avait pas marché précédemment puisqu’on l’avait reçue plusieurs fois Folwenn. Je me

suis dit… Peut-être que je suis sceptique sur euh… comment les gens vont apprécier

Folwenn ? Est-ce qu’ils vont adhérer de suite ? Même si je trouvais que l’album était

excellent. »

Les programmateurs des radios indépendantes ne sont pas les seuls à avoir fait part de leurs

doutes. A NRJ, où un comité d’écoute se réunit chaque semaine pour sélectionner les disques

qui intégreront la playlist, les désaccords au sein de l’équipe de direction se traduisent souvent

par une mise à l’écart des artistes concernés : « Evanescence on a été un peu retardataires là-

dessus. On a eu le truc très tôt entre les mains, on l’a eu avant tout le monde et puis… et puis

dans notre comité d’écoute, il y avait une personne qui doutait et on n’a pas rentré

Evanescence au début. »

Comme le résume, de façon laconique, le directeur des programmes d’un grand réseau

national : « les voies du public sont souvent impénétrables ». L’allusion religieuse est assez

révélatrice de la situation dans laquelle sont placés les programmateurs. Ces derniers en sont

souvent réduits à devoir « croire » en un titre sans forcément être capables de fonder leur

décision sur des éléments tangibles. A la question « pourquoi avez-vous entré ce disque ? », la

première réponse apportée par les répondants se résume souvent à un sibyllin : « j’y croyais ».

b) « Ce qui m’a fait douter… »

Lorsqu’ils doivent décider d’entrer, ou non, un titre dans leur playlist, les doutes des

programmateurs peuvent se cristalliser sur différents éléments. Dans l’extrait qui suit, ce sont

les sonorités inspirées des années quatre-vingt d’un titre de Najoua Belyzel, une chanteuse

française ayant connu son premier succès commercial au cours de l’année 2005, qui sont à

l’origine des hésitations de ce directeur des programmes.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

240

« Alors ça… c’est le dilemme. Un son… à un moment, une conviction profonde que c’est un titre différent avec un vrai refrain, une mélodie. Et la peur de le jouer parce que c’est tellement différent… et voilà. Donc on se pose la question. On se dit : “Comment on va y aller ? Est-ce qu’on va y aller ? Pourquoi on devrait y aller ?” Et là, on attend un peu. On traîne. On n’est pas forcément les premiers dessus.»

Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’un réseau national

Une sonorité nouvelle, un déficit de notoriété de l’artiste, ou des échecs passés sont autant

d’éléments pouvant faire hésiter un programmateur et l’amener à écarter un disque… parfois

pour y revenir par la suite…

c) Des alternatives nombreuses

Le caractère pléthorique de la production musicale n’est pas sans compliquer la tâche de nos

décideurs. Quotidiennement, ce sont plusieurs dizaines de nouvelles productions qui leur sont

soumises. Le plus souvent, ces nouveautés font l’objet d’envois physiques des labels ou de

visites promotionnelles de leurs attachés de presse. Dans les radios locales et associatives, les

programmateurs peuvent accéder au « Media Music Center », une plateforme numérique

commune utilisée par les maisons de disques pour permettre l’accès à leurs dernières

productions. En complément du « circuit officiel », certains professionnels ont, en outre, mis

en place leur propre réseau d’approvisionnement par l’intermédiaire de DJs ou de

programmateurs officiant dans des radios étrangères (on parle alors d’import).

De façon plus occasionnelle, les programmateurs des grandes radios sont parfois associés, en

amont, à des projets en cours. Si les alternatives sont généralement connues des

programmateurs (nous ne sommes pas dans une situation d’incertitude radicale au sens de

Knight), c’est semble-t-il leur nombre qui complexifie la tâche des programmateurs. Cette

difficulté est renforcée par le nombre restreint des places en playlist.

« Il n’y a pas tant de places que ça en playlist, on ne peut pas tout développer ! La playlist, c’est soixante titres. Donc euh… quand on sait qu’on reçoit en moyenne entre trente et quarante titres par jour. Bien évidement, on ne peut pas tout passer. Les choix sont parfois difficiles, parfois douloureux et puis, il y a des fois des choses qu’on écarte…»

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

241

Comme l’indique un article paru dans le supplément Radio et Télévision du Monde, « cette

liste de chansons fait l'objet de toutes les attentions : analysée à la loupe, composée au

scalpel, elle doit parfaitement correspondre à la communauté d'auditeurs visée, et renforcer

l'identité de la station »109. Le problème du nombre de places disponibles est alors renforcé

par une contrainte liée au respect d’équilibres musicaux définis en fonction du format de la

radio. « Il y a des moments on doit renoncer parce que aussi, quand on construit la playlist, il

faut des équilibres – nous précise ce répondant. Il suffit qu’on ait deux, trois choses “R’n’B”

à côté pour se dire : Bon bah celui-là, il est évidemment de trop, on ne peut pas le mettre là

maintenant donc on va le laisser et puis on verra bien hein. C’est ce qu’on fait sur quantité de

titres. »

d) L’angoisse du sondage

Omniprésents en période normale, les doutes et les hésitations des programmateurs se

transforment en véritable angoisse lors des périodes de sondage. Les données utilisées par

l’Institut Médiamétrie pour arrêter les résultats d’audience des radios ne sont, en effet,

collectées que pendant quelques semaines chaque année. Durant ces périodes, les craintes des

programmateurs peuvent être de nature à les empêcher de prendre toute décision. « En

période de sondages, généralement, les mecs freezent la playlist quoi – s’énerve ce directeur

de label qui aimerait bien entendre certains de ses jeunes artistes plus régulièrement à la radio.

C'est-à-dire qu’ils jouent leurs tubes et ils ne switchent pas. Et fait, ces périodes de sondages,

c’est les quinze jours où ils sont notés et les mecs sont tétanisés. Ils ne changent plus rien

quoi… Ils passent le Bac et ils font : “Alors… le disque de Placebo est-ce qu’il teste ? Ok, on

va jouer le Placebo !” Et nous on va leur dire : Oui mais tu pourrais jouer le nouveau

Placebo. Ça fait quand même deux mois qu’on est sur celui-là… et eux : “Fon non non, il

teste ! Tu comprends, j’attends la vague Médiamétrie.” »

Véritable examen de passage, le sondage Médiamétrie est régulièrement comparé par les

professionnels du secteur au baccalauréat.

109 « Le matraquage musical des radios jeunes », Le Monde RADIO-TELEVISIOF daté du 16 juin 2005.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

242

« Cette angoisse là est absolument insupportable. On arrive en juillet, on se demande : “Est-ce qu’on a le bac ? Est-ce qu’on est recalés ?” Tous les ans, on vit cette angoisse et des fois, on a des bonnes surprises… et puis d’autres fois, on en a des mauvaises. Il faut apprendre à avoir la victoire modeste, et la défaite modeste également. C'est-à-dire que… il faut essayer de relativiser. Quand vous vous êtes plantés, vous vous dites : “Bon, on va s’y remettre, on va repartir au combat”. Quand vous avez réussi, il faut rester simple, rester humble. Parce que là, on ne sait jamais ce qui se passera l’année suivante. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio locale

Les propos de ce répondant, un programmateur expérimenté, traduisent une certaine distance.

Les résultats des sondages y sont décrits comme temporaires et relativement aléatoires. Pour

la plupart des programmateurs en revanche, le sondage est directement lié à leurs décisions de

programmation. A l’instar de ces deux programmateurs qui officient sur un réseau national

thématique, la diffusion de nouveautés est souvent décrite comme une attitude risquée à

proscrire : « Fous, ça on la connaît la sanction ! Dès qu’on prend des libertés en matière de

programmation, de nouveautés et tout, on se tape des sondages intermédiaires de m…. Donc

d’un côté on nous reproche euh… de favoriser toujours les mêmes artistes, de jouer toujours

la même chose mais dès qu’on joue des nouvelles choses, les gens ne nous écoutent plus. »

Au-delà du sondage en lui-même, ce sont souvent les conséquences d’une mauvaise

performance qui sont redoutées. Lors des entretiens, celles-ci ont pu être reliées à la carrière

du programmateur ou à la survie de l’organisation dans son ensemble.

« Je suis conscient qu’il y a des sondages. Les sondages sont le résultat de notre travail et ont des conséquences sur le taux de remplissage et le prix de nos spots. Et il y a 1 600 salariés qui sont liés à cette marque. Donc on ne peut pas faire n’importe quoi. Un titre pas très bon, l’inconnu, tout ça… c’est du zapping. Mais en même temps… la peur… ou le doute… le doute, la peur… par moments la peur… c’est très bon parce qu’un titre qui interpelle autant, c’est qu’il a quelque chose. »

Entretien réalisé auprès du directeur général et des programmes d’un réseau national

e) Doutes et hésitations des programmateurs : une synthèse

Quatorze types de doutes et d’hésitations chez les programmateurs ont été identifiés lors de

l’analyse des données. Il nous semble possible de distinguer les éléments relatifs à la décision

elle-même (choix d’une alternative, contraintes à intégrer dans la prise de décision, avis

personnel), des éléments qui portent sur les conséquences anticipées ou redoutées de la

décision.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

243

Tableau 14

Doutes et hésitations exprimés par les programmateurs

Doute / hésitation Verbatim illustratif

Doutes et

hésitations

portant sur la

décision

Alternatives trop nombreuses « Il y avait Kayliah avec “Quand une fille est love” qui était joué sur pas mal d’autres radios. Et puis, il y avait plein d’autres titres qui se ressemblaient un peu tous… c’était compliqué. »

Avis divergent de l’équipe ou des supérieurs hiérarchiques

« Alors ça j’ai un peu un regret. C’est un morceau que je connais depuis longtemps puisqu’il passait sur une radio américaine qui s’appelle KTU, qui est la radio “Dance” de Few-York. Et en fait, j’aimais bien. Et je me suis laissé convraincre par mon équipe… et ils n’étaient pas d’accord avec moi. »

Eloignement de la chanson par rapport au format

« C’est euh… d’abord c’est un super titre. C’est créatif ! C’est artistique ! C’est original ! Mais c’est vrai que théoriquement, ce n’est pas notre matière première. »

Mauvais résultats aux tests « Dans le style musical, je sais que dans les tests qu’on a fait, il ressortait que tout ce qui était “R’n’B” machin, ça n’accrochait pas trop. C’est ce qui ressort des tests donc bon… quand on tombe sur un truc comme ça, on est méfiants. »

Méfiance vis-à-vis de son propre jugement ou de sa propre lassitude

« Des fois, j’en parle avec des attachés de presse que je connais bien et régulièrement, il y a des titres qui arrivent, j’écoute et je me dis “Oh c’est super… mais c’est trop bien… mais ça ne marchera pas”. Et là c’était un peu ça. Et ils sont dégoutés. Ou bien : “C’est trop classe ! C’est bien mais ton morceau, il est trop classe”. Je me méfie un peu de ce que je peux aimer moi. »

Pas accès aux tests « Fon et puis, c’était Sinsemilia aussi. Parce que nous, on l’a joué très tôt. Donc c’était : “Est-ce que je le baisse parce que mes auditeurs sont lassés ?” Et là… d’où l’utilité des tests… mais là je ne les avais pas. »

Pas de places en playlist « Il y a un moment, je ne peux pas rentrer quinze mille artistes. Je n’ai pas quinze mille places. Le problème, c’est qu’à un moment donné, toute décision de programmation devient une décision politique. On fait de la politique, c’est clair ! On touche quatre millions de personnes. Tout le monde veut passer ! »

Quotas à respecter « On revient toujours sur la notion de quotas français. Et là, d’ailleurs c’était le cas présent. On avait Brett avec… c’était quoi ce titre… “Trois nuits par semaine” une reprise. Et ça s’épuisait un peu. Et il me fallait un titre à monter en rotation. »

Réserves artistiques « Moi perso, je trouve ça nul ! Moi, en tant que programmateur, ça n’apporte rien. J’ai trouvé ça lourdingue, la chanson lourdingue, j’ai détesté la voix du mec. »

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

244

Tableau 14 (suite)

Doutes et hésitations exprimés par les programmateurs

Doute / hésitation Verbatim illustratif

Doutes et

hésitations

portant sur la

décision

(suite)

« Trucs en développement » (in vivo) « Bon, il y a des trucs en développement c’est compliqué. L’inconnu tout ça. Quand FRJ s’y met, on se dit bon… c’est déjà ça. »

Doutes et

hésitations

portant sur les

conséquences

de la décision

Craintes des conséquences d’une mauvaise décision pour la radio

« Je suis conscient qu’il y a des sondages. Les sondages sont le résultat de notre travail et ils ont des conséquences sur le taux de remplissage et sur le prix de nos spots. Et il y a 1600 salariés qui sont liés à cette marque. Donc on ne peut pas faire n’importe quoi. »

Craintes des conséquences d’une mauvaise décision pour le répondant

« Fon mais j’avais peur de me planter. Si je me plante trop souvent… au bout d’un moment… je me fais dégager aussi. »

Craintes portant sur la réaction des auditeurs

« On avait peur que l’auditrice de base se dise : “oh la la c’est la même chose.” Et ça… pffff… c’est vraiment un truc à part dans notre programme. Est-ce que c’était vraiment intéressant d’être là au rendez-vous tout de suite ? On a attendu un peu. »

Peur de perdre en crédibilité « Pour moi, Amel Bent, elle vient de “A la recherche de la nouvelle star”… elle n’avait pas la légitimité “R’n’B”. Mais euh… bon… je ne veux pas perdre en crédibilité vis-à-vis de mes auditeurs. Elle, elle n’était pas crédible au début. »

Synthèse 15

L’incertitude, une expérience quotidienne pour les programmateurs

� Le contexte d’incertitude dans lequel les programmateurs doivent prendre leurs décisions est à l’origine de doutes et d’hésitations.

� Les programmateurs peuvent ainsi avoir l’impression d’être en décalage avec les goûts du public (métaphore : « les voies du public sont impénétrables ») et en sont réduit à « croire » au potentiel des disques qui leurs sont soumis sans disposer d’éléments tangibles pour appuyer leur jugement.

� La tâche est rendue plus complexe encore par le caractère pléthorique de la production musicale. Les programmateurs ne sont pas en mesure d’étudier toutes les alternatives qui sont à leur disposition.

� Des sondages sont réalisés plusieurs fois par an pour mesurer l’audience des radios. Ces périodes sont décrites comme très angoissantes par les répondants. L’angoisse est d’autant plus forte que, prise isolément, une décision de programmation peut difficilement être reliée au résultat d’audience de la radio.

� L’analyse des entretiens réalisés auprès des programmateurs fait ressortir quatorze types de doutes et d’hésitations chez les programmateurs.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

245

1.2. UNE REPONSE PARTIELLE : « L’ORTHODOXIE DU TOP 40 »

Conscients de devoir naviguer « à vue », certains répondants ont développé de véritables

martingales à l’image de ce programmateur qui a établi une théorie « du petit piano » pour

décider des disques à intégrer à la programmation de sa radio : « Quand on ausculte un petit

peu le phénomène, quand on décompose le titre, et si on le joue par exemple sur un petit

piano… on s’aperçoit qu’il y a une chanson dedans. Un truc qu’on peut fredonner sous la

douche. Tout simplement. Et ça, c’est valable sur plein d’autres choses. […] Ce qui prouve

bien ma théorie du petit piano, c’est que, quelle que soit après l’instrumentation et les trucs

qu’on utilise, s’il y a une chansonnette, une mélodie qui se retient : ça passe. »

La plupart des programmateurs se réfèrent néanmoins à « l’orthodoxie du Top 40 », un

ensemble de normes et d’outils imaginés au milieu des années cinquante aux Etats-Unis, pour

réaliser leurs choix. Comme nous l’avons vu plus tôt, ce modèle continue à servir de référence

dans les radios musicales. Playlist, horloges, rotations se sont aujourd’hui banalisées. Et si les

« call-out », ces études marketing réalisées auprès de panels d’auditeurs en vue de tester les

disques, demeurent cantonnés aux réseaux musicaux nationaux et régionaux les plus

importants, c’est plus à cause de leur coût prohibitif qu’en raison d’une volonté délibérée des

radios indépendantes. « Fous, on n’a pas les « callout » – confie ainsi le directeur des

programmes d’une station régionale leader sur sa zone de diffusion. Ça coûte très très cher…

J’espère enfin… je tanne la direction pour y arriver un jour. Aujourd’hui, ça ne fait pas

partie de nos priorités… euh… même si ça fait partie de mes priorités (rires). »

Véhiculée par le recours à des consultants américains et le fort « turn-over » dans l’industrie,

cette orthodoxie professionnelle contribue à l’homogénéisation du secteur, d’une part en

définissant plusieurs formats types110 mais aussi en conduisant les programmateurs à

appliquer un certain nombre de critères de sélection vis-à-vis de la production musicale. Ces

critères étant partagés, les programmateurs peuvent prendre les mêmes décisions de façon

autonome. Le même disque pourra alors être sélectionné par deux programmateurs sans qu’ils

se soient imités mais parce qu’ils auront appliqués les mêmes règles de décision.

110 En renverra le lecteur souhaitant avoir le détail des principaux formats utilisés aux Etats-Unis à l’annexe 1. Voir également Mitchell, Lister et O'Shea (2009) et la classification opérée par l’institut de mesure d’audience américain Arbitron http://www.arbitron.com/home/formats.htm.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

246

C’est ce qui transparait dans le verbatim suivant, tiré d’un entretien réalisé dans une station

indépendante généraliste souvent désignée par NRJ comme imitant sa programmation.

« Je ne pense pas qu’on copie FRJ. Quand tu regardes nos playlists, chacun a un petit peu ses exclus. Alors forcément, euh… une radio “Top 40” ressemble à une autre radio “Top 40”. Parce que c’est une radio “Top 40” ! Donc voilà… les “hits”, à un moment donné, il n’y a en a pas 36 000. »

Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une radio indépendante généraliste

a) Les « ingrédients d’un hit »

« Myriam Abel c’était un bon titre. Le refrain est bon… il y avait tous les ingrédients »

explique un programmateur lorsqu’il évoque le disque d’une artiste issue d’une émission de

télé-réalité. Nous retrouvons ici une métaphore souvent utilisée par les répondants assimilant

le « hit » à une recette de cuisine111. La qualité d’une chanson découlerait alors des

ingrédients ayant « servi » à sa fabrication. La durée du disque (pas plus de trois minutes et

trente secondes), la puissance du refrain, l’existence de gimmicks, la notoriété de l’artiste sont

autant d’éléments utilisés par les professionnels rencontrés dans le cadre de la recherche pour

définir un « hit ».

Nous retrouvons ici un phénomène proche du processus normatif décrit par DiMaggio et

Powell (1983, p.152) pour qui les membres d’une profession s’accordent souvent « pour

définir les conditions et les méthodes et pour établir une base cognitive légitime à leurs

activités »112. Comme le note Dejean (2005, p.87), « la norme ne contraint pas le

comportement […] mais l’oriente en servant de critère de décision. » C’est sur ce caractère

obligatoire que se fonde la distinction opérée par l’auteure entre norme et règle.

L’analyse des entretiens nous a conduit a regrouper les « ingrédients d’un hit » en trois

grandes catégories : (1) les éléments liés à la chanson, (2) les éléments liés aux artistes, (3) les

éléments liés au travail de promotion et à l’implication de la maison de disques.

111 Les termes « hits » et « tubes » semblent utilisés par les répondants de façon indifférenciée. 112 “We interpret professionalization as the collective struggle of members of an occupation to define the conditions and methods of their work, to control the production of producers, and to establish a cognitive base of legitimation for their occupational autonomy.”

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

247

Encadré 11

Les « ingrédients d’un hit »

Eléments liés à la chanson en elle-même :

Un « hit » est « cross-over » (il plait à toutes les cibles démographiques) : « ça plaît à tout le monde. Le gamin de cinq ans, il danse comme ça devant ses parents, le père qui en a quarante, il tape sur le volant quand il entend la chanson en allant au boulot, et puis… les gens ont envie d’écouter ça. »

Un « hit » se définit par sa construction et par son refrain : « Quand je l’ai écouté, je me suis dit “voilà un titre bien calibré, bien foutu, qui va tout de suite à l’essentiel…” Des couplets courts, des refrains sympas… c’est le plus important le refrain, quand tu chantes un titre, tu chantes le refrain, pas les couplets ! »

Un « hit » est facilement mémorisable. Il pourra, par exemple, intégrer des « gimmicks » (des éléments récurrents) ou être construit sur la base d’un « sample »113 déjà connu : « C’est ce qui fait que tu retiens, c’est le “gimmick” sonore la mélodie ! »

Eléments propres aux interprètes :

Un « hit » doit être facilement identifiable. Le timbre de la voix de l’interprète jouera ici un rôle crucial : « Il faut savoir que… en termes de musique, l’identification, c’est très important. Il y a beaucoup de choses qui passent partout. Tout n’est pas forcément annoncé par les animateurs, parce que sinon, ils ne feraient que ça… et ça ne serait pas très drôle. Donc l’identité sur un titre, c’est très important ! Quand les gens peuvent identifier tout de suite de qui ça vient, ça permet une notoriété beaucoup plus rapide sur le titre donc forcément... Ça permet d’aller beaucoup plus vite sur un titre. En l’occurrence, la voix de la fille est très remarquée. Il suffit qu’elle chante, on sait tout de suite que c’est Evanescence. »

Selon l’orthodoxie professionnelle dans laquelle s’inscrivent les programmateurs, un artiste déjà connu du public a plus de chances de faire un « hit » qu’un nouveau talent : « Ouais ça c’est… pour le coup c’est une valeur sûre. C’est Africanism114, c’est connu… »

113 Un « sample » est un extrait d’une chanson souvent assez ancienne qui a été utilisé pour construire la base musicale d’une nouvelle production. Le titre « Hung Up » de Madonna (sorti en 2005) est ainsi construit sur la base d’un sample tiré de « Gimme! Gimme! Gimme! (A Man After Midnight) », une chanson du groupe Abba sortie en 1979. 114 Production du DJ français Bob Sinclar.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

248

Encadré 11 (suite)

Les « ingrédients d’un hit »

Eléments liés au travail de promotion et à l’implication de la maison de disques :

Un « hit » ne peut se concevoir sans un appui promotionnel et marketing de la maison de disques : « Tu regardes comment ça se passe, s’il y a de la pub à la télé, comment le disque est perçu. »

Sans être nécessairement lié au parcours d’un disque en radio, les moyens octroyés par la maison de disques pour la réalisation d’un clip peuvent être un indicateur de l’implication financière du label : « Moi, si c’est ça, je me dis que la maison de disques se donne les moyens, qu’il y a du budget derrière, qu’ils vont peut-être mettre le clip en avant… Le clip, c’est très important ! Moi, je regarde souvent… souvent, tu as des clips qui sont… je ne parle pas sur des grosses grosses maisons de disques… mais même remarque pour les bonnes maisons de disques, tu as des disques que tu sens assez bien et qui démarrent un petit peu mais derrière, tu n’as pas le budget et tu n’as pas les moyens forcément pour tourner un clip. »

Ce travail de développement marketing peut également s’inscrire dans le cadre d’une promotion liée (par exemple lorsque le titre a été retenu pour figurer sur la bande originale d’un film ou d’un spot publicitaire) : « Moi je pensais que c’était un énorme tube, et que l’environnement s’y prêtait : Le film arrivait en France. »

L’approche de la musique induite par « l’orthodoxie du Top 40 » conduit les programmateurs

à appréhender les productions musicales qui leur sont soumises en analysant leurs

caractéristiques afin de savoir si elles possèdent tous les « ingrédients d’un hit ».

Cette approche conduit à définir le « hit » de façon « objective », comme un disque répondant

aux critères de sélection présentés dans l’encadré 11. « L’orthodoxie du Top 40 » pose un

ensemble de normes qui orientent les décisions individuelles.

Les critères de sélection communs à toutes les radios musicales permettent de réduire le

nombre d’alternatives, de faire un premier tri, d’établir une liste réduite des titres pouvant

potentiellement être programmés par la radio. Nous allons voir qu’ils ne constituent

néanmoins qu’une réponse partielle.

b) Des alternatives équivalentes

Des titres perçus comme équivalents pourront, alors, prétendre à une même place en playlist.

Comme dans les jeux de pure coordination (Lewis, 1969), l’incertitude découle ici de

l’existence de plusieurs options indifférenciées. Pour s’opérer, la sélection finale devra sortir

du cadre étriqué du choix rationnel autonome (Orléan, 2004a ; Sugden, 1989). Place à

l’intuition, à la sensibilité artistique… ou encore à l’imitation.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

249

A la définition « objective » du « hit » conduisant les programmateurs à définir un « bon

titre » (un « hit », un tube) comme un titre répondant à un ensemble de critères (qui sont

d’ailleurs assez peu souvent remis en question), s’en ajoute une autre, plus tautologique :

« c’est un “hit” donc tout le monde le joue, tout le monde le joue donc c’est un “hit” ».

L’adoption d’un titre par autrui sera alors perçue comme un indicateur de sa qualité :

« D’accord, c’est un joli titre – admet ainsi le directeur des programmes d’une station

indépendante en évoquant le premier single de James Blunt, un artiste britannique qui a connu

son premier succès à l’été 2005115. Mais est-ce que c’est un “hit” aujourd’hui ? Pas trop. Pas

trop. Il ne tourne pas énormément. Mais il tournerait aujourd’hui à la fois… il doit tourner

sur Europe 2. Mais il tournerait à la fois sur FRJ, sur Europe 2, sur RTL 2, et sur les locales,

on considèrerait que c’est un “hit”. Un gros “hit”. »

Loin de permettre aux acteurs de décider en totale autonomie, l’orthodoxie professionnelle

semble renforcer leur interdépendance. Le caractère incomplet des normes de sélection

héritées du modèle « Top 40 » place les programmateurs devant un choix insurmontable.

« Alors Hillary Duff, moi j’ai regardé un peu les classements internationaux. Je n’étais pas fan, fan, fan, du morceau au début. J’ai regardé les classements, j’ai vu qu’elle marchait bien à l’étranger, qu’elle était numéro un aux Etats-Unis. En même temps, j’étais à la recherche de nouveautés internationales “Pop-Rock” parce que je savais que la “Pop-Rock” arrivait. J’avais plusieurs titres possibles… Honnêtement, j’ai vu que deux trois radios l’avaient démarré. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format musical généraliste

Même si la plupart d’entre eux explique privilégier « les goûts des auditeurs », les

programmateurs ont souvent beaucoup de difficultés à faire abstraction de leurs jugements

personnels. La situation est particulièrement délicate lorsque les critères de sélection

véhiculés par l’orthodoxie professionnelle vont à l’encontre de leur sensibilité artistique.

115 L’entretien a été réalisé avant l’été.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

250

L’extrait suivant fait apparaître ce « double-bind » auquel peuvent parfois être confrontés les

décideurs.

« Enorme titre. Totalement évident… alors que foncièrement c’est de la soupe…Moi j’aime bien mais… ça ne me touche pas…Ça ne me touche pas plus que ça…Parce que c’est une chanson pfff… plus formaté que ça, il n’y a pas. Mais c’est bien hein… Mais bon, la chanson est américaine hein. Ça aurait pu être Whitney Houston, ça aurait pu être n’importe qui. C’est pour ça, que j’aime bien hein… Mais ça ne me fait ni chaud ni froid. »

Entretien réalisé auprès du directeur de la programmation musical d’un réseau national destiné aux adultes

Placés en situation d’indécidabilité, les programmateurs peuvent alors utiliser l’imitation pour

trancher.

Synthèse 16

« L’orthodoxie du Top 40 » : un référentiel incomplet

� Pour pouvoir prendre des décisions malgré l’incertitude environnante, les programmateurs se réfèrent à un ensemble de méthodes, d’outils et de critères de sélection. Nous qualifions cet ensemble de normes professionnelles « d’orthodoxie du Top 40 »

� « L’orthodoxie du Top 40 » permet notamment de cerner des caractéristiques supposées permettre d’identifier les « hits » (« les ingrédients d’un hit »).

� Ces critères sont néanmoins incomplets : (1) le volume de la production musicale place les programmateurs devant des alternatives équivalentes, (2) le « hit » n’est pas seulement définit de façon objective mais aussi de façon tautologique (en fonction de sa diffusion par les autres radios), (3) les critères peuvent être contredits par la sensibilité artistique du programmateur.

1.3. LES QUOTAS, UNE DIFFICULTE SUPPLEMENTAIRE

Nous venons de voir que l’incertitude entourant les décisions des programmateurs et les

doutes qui en découlent pouvaient trouver une réponse dans l’existence de normes communes

(« l’orthodoxie du Top 40 »). Compte tenu de l’abondance des productions qui sont soumises

aux programmateurs, cette réponse n’est cependant que partielle. Les programmateurs

peuvent alors faire intervenir l’imitation pour réaliser leurs choix.

Cet équilibre précaire peut être modifié lorsque les programmateurs doivent intégrer une

donnée nouvelle, le respect de la législation relative aux quotas de chansons d’expression

francophone et de nouveaux talents. Ce système de quotas, issu d’un amendement présenté

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

251

par le sénateur Michel Pelchat en 1994 (article 12 de la loi n° 94-88 du 1er février 1994),

oblige les radios à réserver une part significative de leur programmation à des œuvres

francophones (actuellement, entre 35 et 50% des diffusions en fonction du format de la radio),

et à des nouveaux talents. En cas de non respect de ces obligations, des sanctions peuvent être

décidées par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (elles consistent la plupart du temps en

une amende mais peuvent également se traduire par une suspension temporaire des

émissions).

Au cours des entretiens, cette règle a occasionné de nombreux commentaires. Une minorité de

répondants a expliqué ne pas éprouver de difficulté particulière à « faire [ses] quotas ». Le

respect des contraintes légales a alors été décrit comme une question essentiellement

technique : « Fous ça ne nous embête pas trop – estime le programmateur d’une station

indépendante du Sud de la France. Je calibre en fonction des horloges. Il me faut tant de

français dans l’heure. »

Pour la majorité des programmateurs, le respect de la législation pose pourtant de réelles

difficultés. Comme l’explique cet interlocuteur, qui officie sur une radio indépendante d’Île-

de-France, « la musique française, chez nous, c’est là où on se pose le plus de questions.

Quand c’est français c’est compliqué ». Parfois perçus comme moins qualitatifs que les

productions internationales, les titres français ont souvent été décrits comme risqués.

« C'est-à-dire qu’aujourd’hui, quand vous programmez un titre en français sur une radio telle que la nôtre, vous vous mettez un petit peu en porte-à-faux. C'est-à-dire que vous affaiblissez le programme. »

Entretien réalisé auprès du directeur d’antenne d’une radio indépendante

Le problème est encore plus complexe lorsque « la production n’est pas en face ». En effet, si

la production francophone est riche dans certains genres musicaux tels que la variété ou le

« R’n’B », elle se fait – aux dires des répondants – moins abondante en matière de « Rock »

ou de « Dance Music ». Certains programmateurs peuvent donc éprouver des difficultés à

respecter les quotas tout en maintenant les équilibres musicaux inhérents à leur format. La

législation est alors susceptible d’homogénéiser les décisions prises par les acteurs du secteur

– à la manière des pressions coercitives qui viennent contribuer à l’isomorphisme au sein d’un

champ organisationnel donné (DiMaggio et Powell, 1983) – mais aussi de venir renforcer les

comportements imitatifs des acteurs du secteur.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

252

« Ça devient un problème, et là depuis quelques mois je trouvais que c’était assez difficile, parce que bon… avec les fusions dans les maisons de disques, ils envoient un petit peu moins de CDs. On sent bien que ça s’appauvrit. Ça tire plutôt vers le bas que vers le haut. Et euh… pour des restrictions de budget. Et nous, à l’arrivée, on est tributaires des maisons de disques et des envois qu’on nous fait parvenir. Donc si on reçoit trois titres français et que sur ces trois là, il n’y en a aucun qui : 1) rentre dans le cadre de la couleur qu’on veut donner à la radio, 2) qui n’a pas la connotation tube ou “hit”, on est un petit peu coincés pour faire du quota. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste

a) Des difficultés récurrentes

Les difficultés à respecter la législation semblent être plus importantes pour programmateurs

officiant dans des radios positionnées sur des formats thématiques (particulièrement « Rock »

et « Dance ») : « C’est compliqué parce que la musique qu’on diffuse, en général, elle n’a pas

une grosse expression francophone » explique le directeur des programmes d’une station

indépendante spécialisée dans la « Dance ». Des propos confirmés par un autre

programmateur officiant sur une radio du même type : « Bien sûr, Daft Punk, Bob Sinclar,

David Guetta ou Martin Solveig, ce sont des artistes français… mais leurs productions… elles

sont en anglais. Alors que ce sont les artistes français qui vendent le plus de disques dans le

monde, et nous, on ne peut pas les compter dans nos quotas. C’est vraiment débile parce que

dans notre cas, cette loi, elle n’est pas au service de la création française. »

Cette impression est partagée par le directeur de la programmation musicale de cette radio

« Rock » parisienne : « Je pense qu’on est en France, on est un média français, on se doit de

défendre la production française. Moi je suis complètement pour ça, c’est normal. Après,

c’est l’adaptation qui en a été faite. Ca, c’est beaucoup plus discutable. On a parlé de

production par exemple. Quand on parle de quotas, on ne parle pas de production, on parle

de quotas de chansons chantées dans la langue française. C’est complètement différent. Et ça

peut être contraignant à certains moments. Et ça dépend aussi du format. Alors, c’est sûr que

dans un format “Rock”, ce n’est pas facile du tout. »

Si elles peuvent s’appuyer sur la discographie d’artistes français reconnus, les radios

positionnées sur des formats « adultes » butent, quant à elles, sur l’obligation de diffusion de

« nouveaux talents ».

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

253

« Fous, les formats adultes, on a aussi les quotas de nouvelles productions. Tout ce qui est au dessus de six mois ne compte plus comme nouvelle production. Donc de toutes façons, sur un format adulte, je ne peux pas me contenter de jouer Patrick Bruel, Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national ciblant les adultes

b) Les quotas de chansons françaises : une source de difficultés

Pour respecter leurs obligations, ces programmateurs ont alors tendance à sélectionner des

titres francophones éloignés de leur format musical. Les radios positionnées sur une

thématique « Rock » pourront ainsi s’orienter vers des titres plus « Pop » et les radios

« Dance », vers des titres « R’n’B ». « Ce disque, s’il n’y avait pas la loi des quotas, ne

passerait pas sur la radio – confie le directeur des programmes d’une radio « Dance » à

propos d’un titre « R’n’B » interprété par un artiste français. C’est ce qu’il y a de moins pire et

qui se rapproche le plus de notre format. Donc il faut que ça bouge un peu, euh… et euh…

que ce soit à peu près bien produit. Donc là, ça correspond tout à fait et donc, on l’a rentré.

Mais c’est évident que s’il n’y avait la loi des quotas, on ne le jouerait pas. »

En s’éloignant de leur positionnement d’origine, certains répondants semblent avoir le

sentiment de se mettre en danger et d’affaiblir leur format. Pour limiter les risques, ils

privilégient alors des entrées tardives en playlist.

Synthèse 17

Difficultés inhérentes aux quotas de chansons françaises

� Les radios doivent réserver une certaine part de leurs programmes à des productions d’expression française (entre 35 et 50% des diffusions musicales).

� Certains répondants ont fait état de leurs difficultés à respecter ces obligations légales. Ceux-ci officient, le plus souvent, dans des radios spécialisées dans des genres musicaux où les artistes francophones sont peu représentés (« Rock », « Dance »).

� Devant s’éloigner de leur format de prédilection, ces programmateurs ont souvent tendance à pratiquer l’imitation concurrentielle.

2. UNE IMITATION ENCOURAGEE ET FACILITEE

Nous avons vu que le contexte d’incertitude dans lequel évoluent les programmateurs permet

d’expliquer, au moins en partie, les comportements imitatifs observés dans le secteur. Compte

tenu du caractère incertain et changeant des goûts du public, les programmateurs ne disposent

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

254

pas de bases solides sur lesquelles fonder leurs décisions. En proie aux doutes et aux

hésitations, ces derniers mobilisent souvent des normes véhiculées par l’orthodoxie

professionnelle du « Top 40 ». L’importance de la production musicale et la législation

relative aux quotas de chansons d’expression française confèrent à ces normes un caractère

incomplet. Les programmateurs peuvent alors imiter leurs concurrents pour surmonter leurs

doutes et leurs hésitations.

L’incertitude environnante n’est pas le seul élément influençant les comportements imitatifs

dans le secteur étudié. Ces derniers semblent en effet être encouragés par les pratiques de

promotion des acteurs de l’industrie musicale, et facilités, notamment par l’existence des

services proposés par Yacast, une société spécialisée dans la fourniture d’études musicales et

publicitaires. Si l’outil permet aux programmateurs d’observer en temps réel l’évolution des

playlists de leurs concurrents, il constitue également un instrument de veille et de contrôle

utilisé par l’industrie musicale. Comme l’explique le directeur de la promotion d’un label

musical, le service a très rapidement été utilisé par les maisons de disques pour suivre les

diffusions de leurs artistes sur le média radio.

« Yacast étant l’institut qui pige ces radios pour euh… le CSA et pour les maisons de disques… c’est une espèce de mouchard formidable pour savoir ce qui se passe en temps réel sur nos artistes. Oui… ça nous coûte très cher mais en même temps, c’est un vrai contrôle de suivi de programmation. »

Entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un important label

Sur Yacast, les labels peuvent suivre en temps réel les diffusions de disques réalisées sur un

panel de radios incluant, en plus des principaux réseaux nationaux, les radios locales les plus

écoutées ou considérées comme les plus représentatives du paysage radiophonique

indépendant (annexe 3). Ce sont les acteurs de l’industrie musicale qui décident de la

composition du panel. Occasionnellement, un suivi ponctuel d’une radio peut être mis en

place (souvent à la demande de l’autorité de régulation en vue de veiller au respect de la

législation relative aux quotas de chansons françaises). En plus du service de suivi en temps

réel, les données de Yacast sont utilisées afin de construire des classements hebdomadaires

des diffusions radio (« Airplay »). Ces derniers sont disponibles sur le site Internet de Yacast

et repris dans Musique Info Hebdo, l’hebdomadaire de référence du secteur. Si « l’Airplay »

est utilisé par les professionnels de l’industrie musicale pour décider des quantités de disques

à mettre à la disposition des distributeurs, il leur permet aussi de vérifier que les radios

musicales respectent bien leurs engagements de diffusions d’artistes.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

255

« On a donc ce mouchard… Appelons les chats par leur nom… qui arrive le lundi et qui est basé sur une semaine complète allant du vendredi au jeudi de la semaine précédente. Sur toutes les radios qui sont yacastées et qui sont donc… Alors ce tableau de bord arrive donc le lundi. On a ces radios qui sont donc en même temps… supervisées par le CSA en termes de quotas. 40% ou 30% et 20% de nouveaux talents. Donc on a ce tableau qu’on regarde le lundi. Si on a mis une opération à l’antenne quelques jours avant ou quelques semaines avant… bon on a demandé aux programmateurs de nous soutenir sur l’artiste, en fonction des opérations sur leur antenne, des choses qu’ils vont offrir à leurs auditeurs. Il est clair que si le lundi, on n’a pas ce qu’ils nous ont annoncé par téléphone… on va se fâcher. »

Entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un important label

2.1. LA RADIO, C’EST LE « NERF DE LA GUERRE »

Interlocuteurs privilégiés des programmateurs, les attachés de presse sont mandatés par les

maisons de disques pour aller défendre les dernières productions des labels. « En musique –

nous explique un jeune attaché de presse officiant dans un label spécialisé sur les artistes

internationaux – on ne sait jamais vraiment ce qu’attendent les consommateurs. Bien sûr

qu’on saura qu’ils attendent le dernier Madonna… et encore… ça peut ne pas marcher ! Le

seul truc, c’est qu’avant les consommateurs, il y a des programmateurs, des journalistes en

presse. Et on a besoin d’eux pour véhiculer… pour atteindre le public. C’est un peu le

péage… sauf qu’il n’y a pas d’argent. » Et le directeur de la promotion d’un autre label

d’ajouter : « Plus on entend parler d’un artiste, plus on l’entend, plus on l’écoute, plus on

génère ou pas d’envie d’acheter le disque, de se le procurer. »

Parce qu’ils jouent le rôle d’une courroie de transmission entre l’offre musicale et les goûts du

public, les médias font l’objet du travail de promotion des maisons de disques. Placés sous

l’autorité du directeur de la promotion, les attachés de presse sont le plus souvent spécialisés

par support (presse écrite, radio, télévision, Internet). Pour certains projets – souvent jugés

moins prioritaires que les autres – le travail de promotion peut être externalisé et confié à des

promoteurs indépendants. La radio permet souvent d’enclencher la dynamique promotionnelle

d’un titre. Comme l’explique cet attaché de presse, « c’est un peu le début de la chaîne… on

va dire d’un tube. Ça passe globalement par la radio en premier ». Une idée largement

reprise par l’ensemble des répondants travaillant pour l’industrie musicale :

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

256

« La radio, […] c’est le nerf de la guerre… Sur certains objectifs, quand tu n’as pas de radios, tu es coincé sur tout le reste ! Parfois, on va se dire : “Tiens, il nous manque telle radio en province, il faut essayer absolument de l’avoir dans les quinze jours qui viennent.” Tu vois et donc… le travail, après, c’est de les appeler. De faire tout le travail pour que ça se fasse et d’être le plus convaincant possible. »

Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des réseaux

a) De l’intérêt de figurer dans le panel Yacast

Toutes les radios n’ont pas la même importance. Parmi les radios musicales, NRJ bénéficie de

certains privilèges liés à son statut de première radio musicale de France. « FRJ, c’est un

énorme réseau national, qui en plus déclenche des ventes – explique ainsi un attaché de

presse. C’est lui qui fait vendre mais pas uniquement hein. C’est lui, c’est Fun, c’est Sky…

voilà. Mais bien sûr, FRJ, on touche plusieurs millions de contacts d’un coup. »

Les stations musicales thématiques et les grandes radios périphériques ne font cependant pas

l’objet d’un désintérêt. Elles sont régulièrement sollicitées pour programmer des productions

entrant dans leur format ou susceptibles de plaire à leur cible : « Sky fait vendre beaucoup de

“Rap” et de “R’n’B”. Sur un titre de “Rap”, si tu n’as pas Sky, tu es mal barré. Europe 2 fait

vendre de l’album, ils ne font absolument pas vendre de single. RTL 2 fait vendre de l’album.

Euh… Fun, pour l’instant, vu qu’ils ont changé totalement de format, on va voir ce qu’ils vont

faire. »

La situation des radios indépendantes semble plus hétérogène. Si les stations régionales les

plus importantes sont régulièrement en contact avec les maisons de disques, les « petites »

radios souffrent d’un désintérêt de la filière musicale lié au fait qu’elles ne figurent pas dans

le panel Yacast. A l’instar de cet attaché de presse, les professionnels de l’industrie du disque

rencontrés lors des entretiens de contexte ont parfois pu admettre une certaine inégalité de

traitement parmi les radios en la justifiant par des impératifs promotionnels : « il n’y a que

quelques radios dans le Yacast et ces radios, elles ont des privilèges que les autres n’ont pas.

En termes de promo, d’opérations, d’espace pub acheté… Parce que comme elles ont cette

visibilité dont on a besoin, parce qu’aujourd’hui, ce listing de Yacast qu’on reçoit toutes les

semaines sert d’outil de travail aux gens de télé, les télés regardent Yacast pour savoir quels

sont les artistes qui marchent et les magasins aussi. »

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

257

Une situation qui est souvent mal vécue par les programmateurs des stations indépendantes

non « yacastées » qui s’estiment méprisés par les majors parisiennes.

« En fait, ce qui est dur c’est qu’il y a des catégories en radio : “Yacast” ou “Pas Yacast”. Voilà ! Quand tu es “Yacast”, c’est un peu plus facile et quand tu n’es “pas Yacast”, c’est un peu plus difficile. Fous, on n’est “pas Yacast” ! On mérite d’être “Yacast”… au dernier Médiamétrie, on fait 118 000 auditeurs. Fous, les attachés de presse qu’on nous envoie… c’est souvent des stagiaires. Et ces stagiaires bon… il y en a qui sont gentils mais… non, il y en a, tu sens que ce sont des stagiaires pff… Ils t’appellent, ils ne sont au courant de rien… »

Entretien réalisé auprès du directeur d’antenne d’une radio locale généraliste

Malgré la surveillance permanente qui lui est associée, le statut de « radio Yacast » est donc

perçu positivement par les professionnels du secteur en raison des avantages qu’il procure.

Certaines radios ne figurant pas dans le panel ont d’ailleurs mis en place, via des parties

dédiées sur leurs sites Internet accessibles par mot de passe, des outils permettant aux attachés

de presse d’obtenir le détail de leur programmation.

b) Un travail de conviction

Les relations que développent les attachés de presse et les programmateurs sont susceptibles

de varier très largement. Si certains interlocuteurs insistent sur le partage d’une passion

commune pour la musique ou sur une confiance instaurée par de longues années de

collaboration, d’autres mettent en avant l’existence d’intérêts partagés et d’un échange de

bons procédés. Au cours des entretiens de contexte, les professionnels de l’industrie du

disque, qu’ils occupent la fonction d’attaché de presse, de promoteur indépendant, de

directeur de la promotion ou de directeur de label, ont souvent détaillé les arguments utilisés

lors de leurs rendez-vous professionnels avec les programmateurs. Au-delà des différences

dans le type de relations qu’ils entretiennent avec les programmateurs, leur rhétorique

s’articule généralement autour des trois piliers de « l’orthodoxie du Top 40 » : (1) le titre, (2)

l’artiste, (3) l’appui marketing et promotionnel.

« On arrive et puis, par le relationnel, tu arrives, tu fais écouter ton disque, tu amènes des éléments convaincants… Les éléments, ça peut être soit des éléments marketing qui peuvent intervenir à savoir : “On va mettre tant de campagne en télé, on va avoir un gros dispositif dessus.” Ça peut être des éléments liés au titre ou à l’artiste… ça peut les inciter mais surtout, de plus en plus et depuis quelques années, il y a la notion du marketing qui est rentrée dans les radios et ça, c’est un énorme problème. »

Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des réseaux

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

258

Lors de leurs rencontres avec les attachés de presse, les programmateurs émettent souvent des

jugements artistiques relatifs aux productions qui leur sont soumises. Les disques suscitant un

engouement particulier chez les professionnels ont, évidemment, plus de chance d’être

programmés que les autres. Insistant sur la dimension artistique de la programmation, le

dirigeant d’un grand groupe médias français décrit, par exemple, les programmateurs comme

« des gens qui d’un seul coup craquent pour des chansons et ont envie de les mettre en

avant ».

Néanmoins, comme le souligne un attaché de presse rencontré en fin de recherche, les

programmateurs peuvent parfois mettre de côté leurs goûts personnels : « les programmateurs

ne sont pas obligés d’aimer ce qu’ils jouent. » Les attachés de presse tentent de les convaincre

du potentiel des titres dont il a la charge : « ils doivent sentir qu’ils peuvent jouer un futur

tube ; qu’ils peuvent miser sur quelqu’un qui leur rapportera des auditeurs plus tard. »

Ayant bien compris le rôle des radios musicales pour enclencher le cycle promotionnel, les

directeurs de labels cherchent parfois à maximiser, non seulement le nombre de radios qui

programment leurs productions, mais aussi la fréquence de passage. Cette stratégie peut

cependant se révéler néfaste pour l’industrie musicale : « la problématique d’une très forte

rotation, c’est… à double tranchant. Parce qu’au bout d’un certain temps, ton disque, les

gens se fatiguent de l’avoir entendu » explique un directeur de la promotion. Les réserves

exprimées par ce répondant prennent, chez un autre attaché de presse, la forme d’un constat

amer :

« On a créé nous même cet espèce d’entonnoir dans lequel on s’est glissés. Ce qui a fait qu’à force de vouloir, nous les maisons de disques, avoir une uniformité dans les radios… dans les radios, si tu as 20 stations, tu voulais que ton titre soit joué sur les 20. Et tu voulais que ce soit le maximum de rotations ! A un moment donné, comment tu veux que les mecs ils aillent acheter ton disque ? Ils zappent et ils ont la radio ! »

Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des réseaux musicaux

Utilisé par les dirigeants des maisons de disques comme un instrument de contrôle permettant

de vérifier que les programmateurs respectent leurs engagements en termes de nombre de

diffusions, l’outil Yacast sert également de tableau de bord pour mesurer l’efficacité du travail

promotionnel réalisé par les attachés de presse. « Moi je veux des résultats… dans le Yacast –

martèle un directeur de label. “L’Airplay” me fait vendre. Toutes les semaines, je fais une

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

259

réunion “Commando Airplay”, parce que j’aime bien les trucs qui tapent116. C’est le lundi,

juste avec les attachés de presse radio. On cible : “Qu’est-ce qu’on fait ? Où sont les

plateaux de province ? Ok, qui on amène ? On amène untel… ok, je veux deux priorités ou

deux développements qui rentrent chez lui ! Il y a un concert Alouette ? On peut amener

qui ?” Et derrière, je rentre des nouveaux disques. »

c) L’argument « qui tue »

Pour les maisons de disques, le classement hebdomadaire établi par Yacast est, à la fois, un

outil de travail interne et un support permettant d’accélérer la diffusion d’un titre. « Tous les

programmateurs sont bloqués sur le Yacast » poursuit ainsi notre interlocuteur avant d’être

rejoint par un membre de son équipe : « FRJ, ça ne te fait pas toujours vendre plein de

disques, mais par contre, FRJ va t’aider à pousser les autres en disant : “P…, FRJ y est

arrivé”. Mais moi, je ne leur dis jamais. Parce qu’ils le voient... ils le voient sur le Yacast. »

Pour les programmateurs qui n’auraient pas les yeux rivés sur les classements Yacast, les

attachés de presse ont pensé à organiser une séance de rattrapage. « Souvent – confie un

programmateur – l’argument premier d’une maison de disques, c’est de dire : “Oui mais

Europe 2 part dessus, ou FRJ part dessus… ou FRJ le joue…” donc c’est important. » Lors

d’un entretien, un autre programmateur a d’ailleurs affiché une certaine ironie en se

réjouissant de ne plus avoir besoin de consulter Yacast « parce que les maisons de disques ne

se gênent pas pour dire “c’est rentré sur FRJ !” »

Comme le montrent les documents suivants, des e-mails sont quotidiennement envoyés aux

programmateurs par les attachés de presse afin de les tenir informés des entrées en playlist,

qu’elles soient avérées ou hypothétiques.

116 Au cours des entretiens, la quasi-totalité des professionnels de l’industrie musicale rencontrés dans le cadre de la recherche ont évoqué l’existence de réunion du même type dans leurs organisations respectives.

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

260

Encadré 12

E-mail envoyé à de nombreux programmateurs dans des radios indépendantes

Africanism toujours au top !

From: UpMusic, Promo (WMI, France) Sent: Friday, May 13, 2005 3:18 PM "Zookey " premier tube extrait de l'album Africanism produit et mixé par Bob Sinclar est depuis aujourd'hui n°1 des clubs en France ! En playlist sur Fun radio , Skyrock, FG et bientôt NRJ ! Clip en télé à partir du 26 mai Sortie commerciale le 14 juin Album déjà dans les bacs.

Encadré 13

E-mail envoyé à plusieurs programmateurs dans des radios indépendantes

Infos entrées Fun Radio

De : [email protected] Envoyé : mercredi 23 novembre 2005 11:17 Cc : [email protected] Pour information : FUN RADIO entrera en PL dès demain à 3/J les deux titres suivants : RICKY MARTIN « I don’t care » BOW WOW « Let me hold you »

Encadré 14

E-mail envoyé à un programmateur

MP3 Ze Pequeno

Sent: Wednesday, June 22, 2005 3:02 PM

Bonjour xxx Voici le titre de Ze Pequeno « Le centre du monde » sur NRJ début Juillet c'est une grosse priorité pour moi c'est là raison pour laquelle je te l'envoi sous format MP3 pour que tu l'as rapidement, si tu pouvais commencer quelques passages avant NRJ se serait top !!! Voilou, xxx Je compte sur toi pour Ze pequeno Je t'embrasseeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

261

Pour cet attaché de presse, l’idée est avant tout de rassurer les programmateurs : « Tu dois

toujours les rassurer : “C’est rentré sur telle radio”, “ça rentre sur telle radio”, “le clip est

rentré sur M6”, “il va faire telle émission de télé”, “on va mettre une campagne de pub en

place sur TF1”, “il va faire Star Academy”. Et petit à petit, le programmateur prend

confiance et décide de miser à son tour dessus… »

Néanmoins, du côté des programmateurs, les informations transmises par les attachés de

presse sont parfois sujettes à caution. Selon ce directeur de la programmation musicale, ce jeu

de dupes s’apparente à une vente de voiture d’occasion : « On va voir le mec d’Europe 2, on

lui dit “FRJ va s’y mettre”, en même temps on va voir FRJ en disant : “Europe 2 va s’y

mettre”. C’est comme dire : “attention, j’ai une belle voiture, elle est d’occaz, si vous ne me

l’achetez pas, j’ai un client qui arrive dans cinq minutes” et c’est pas vrai du tout… mais

c’est comme ça. C’est un peu le jeu des enchères aussi… »

L’image de la voiture d’occasion est révélatrice du type de relations qu’entretiennent les

programmateurs et les attachés de presse. Comme dans une vente de voiture, il existe une

asymétrie d’information qui peut être exploitée par une des parties. Cette métaphore est

d’ailleurs reprise par le directeur de la promotion d’un label afin de se différencier de ses

confrères les moins scrupuleux.

« Si vous avez un attaché de presse qui va dire : “J’ai FRJ, j’ai Europe 2, j’ai Fun !”… lui il va vérifier. Et si vous annoncez des choses et que derrière ce n’est pas programmé… quel est l’intérêt ? Vous biaisez des relations ! Vous mettez… on va reprendre l’histoire de vendeur d’occasions, vous mettez du sucre dans le moteur ! Et là c’est foutu ! Transparence, honnêteté. Vous avez un artiste, vous voulez le faire entrer en programmation sur une radio, et bien vous lui donnez tout l’argumentaire honnête que vous avez. Si derrière, FRJ en effet dit, lors d’un rendez-vous : “Je vais y aller”. Et bien vous l’annoncez. “Ils vont y aller, je ne peux pas te dire quand mais j’ai la garantie de leur part qu’ils vont y aller”. C'est-à-dire que certains médias me disent clairement euh… quand j’annonce une entrée FRJ à venir et qu’elle n’est pas encore faire, ils me disent «très bien”. Et ils le savent. C'est-à-dire que si l’entrée n’est pas officielle sur FRJ, je ne l’annonce pas. Euh… après je ne pousse personne. »

Entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un label

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

262

d) Un discours à l’efficacité variable

Au-delà des doutes qu’ils peuvent avoir sur la véracité des informations transmises par leurs

interlocuteurs dans les labels, les programmateurs ont souvent fait part d’une certaine

exaspération en évoquant une forme de harcèlement. Les programmateurs interrogés ont, en

outre, souvent remis en cause la pertinence des informations qui leur sont transmises : « Là

par exemple – s’énerve un programmateur en consultant sa boite mails – “Martin Rappeneau

– L’âge d’or ; Entrée MFM ce samedi” on en a rien à f… “son nouveau single est déjà en

playlist sur Chérie FM, RFM, RTL et France Bleu Île-de-France”, alors France Bleu Île-de-

France, ça nous intéresse vachement ! » En outre, la référence continue des attachés de presse

à NRJ est parfois interprétée par les programmateurs comme une remise en cause de leurs

compétences.

« Leur argument préféré qui n’en est strictement pas un pour nous, c’est : “Roberto adore”. Je veux dire… ce n’est pas un argument… il faut qu’ils arrêtent de se servir de cette phrase. Ce qui est absurde, c’est que c’est comme si c’était… Un label de qualité ! C’est débile parce que… ce serait supposer qu’il aurait le goût absolu, l’oreille absolue. Alors que quand on connaît le fonctionnement de FRJ ou le fonctionnement des programmations… Alors nous, pour nous énerver, il n’y a rien de mieux à faire ! »

Entretien réalisé auprès de l’équipe de programmation d’un réseau national

Les réactions, parfois vives, des programmateurs amènent certains chargés de promotion à

manier l’argument « joué sur NRJ » avec beaucoup de prudence. « Il faut faire attention, je

veux dire – nous révèle ainsi cette attachée de presse – il ne faut pas trop le brandir. Il ne faut

pas qu’ils aient l’impression que… mais oui, ça aide. Quand la première radio de France

entre le titre, ça aide. »

Réciproquement, la diffusion d’un disque sur des radios indépendantes peut être de nature à

faciliter une entrée en programmation sur NRJ : « De la même manière – poursuit ainsi notre

interlocutrice – bon… si Radio 6 entre un disque, ça ne va pas pousser FRJ à le rentrer. Par

contre, quand le disque est joué sur Alouette, Scoop, Voltage, Vibration, là ça peut avoir un

impact. Mais il faut en avoir un certain nombre. »

e) Les contreparties et les partenariats

En complément de leur discours promotionnel, les attachés de presse peuvent également offrir

des contreparties aux radios en échange de la diffusion de leurs artistes. La mise à disposition

de lots à faire gagner à l’antenne (disques, places de concerts, etc.), l’organisation

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

263

d’opérations de promotion, de venues d’artistes dans les studios de la radio, de concerts privés

pour les auditeurs de la station ou encore la participation à des concerts multi-artistes

organisés par la radio constituent autant d’éléments pouvant être consentis pour appuyer la

programmation d’un titre.

« Sur cet artiste dont tu me parles, j’ai aussi promis que j’allais les aider s’ils croyaient en nous. Enfin voilà, c’était un développement à long terme. On n’est pas là pour rentrer un titre juste pour rentrer un titre. Le genre de promesses, c’est qu’il y aura du marketing pour les aider, des campagnes de pub, que si l’artiste fait une tournée on trouvera sûrement un concert où emmener leurs auditeurs qu’il soit en France ou à l’étranger, donc voilà. Plein de petits trucs comme ça, des concours… style “James Blunt emmène tes auditeurs à Londres”. Là on paie tout ! On paie le voyage, la chambre d’hôtel, les billets de concert. »

Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des radios

L’achat de publicités par une maison de disques en échange d’entrées en playlist sur une radio

apparaît comme une pratique marginale. Les partenariats noués entre les acteurs de l’industrie

du disque et les radios ont, néanmoins, une réelle dimension sonnante et trébuchante : « Des

responsables promo qui travaillent en achetant des pubs… je vais vous dire un truc, moi, j’en

ai connu. Aujourd’hui, je ne les connais plus. Ils ont disparu – explique le dirigeant d’un

important label… avant d’ajouter. Par contre, quand un artiste est programmé sur la radio et

que vous appelez le programmateur en disant : “On va soutenir ta programmation en prenant

une campagne de pub”, alors là… très bien ! Parce que… vous lui témoignez votre

confiance. »

Dans le prolongement ultime de leurs pratiques d’échange promotionnel, les maisons de

disques ont mis en place, depuis les années quatre-vingt dix, des dispositifs de partenariats.

En échange d’une diffusion massive, une radio peut associer son image à celle d’un artiste,

apposer son logo sur les albums, les affiches de concert ou encore, apparaître dans les spots

publicitaires diffusés à la télévision pour promouvoir l’artiste.

Particulièrement demandeurs de ce type d’opérations, les réseaux musicaux nationaux se sont

engagés dans une compétition acharnée dans le but de nouer un maximum de partenariats :

« la concurrence est très rude – souligne un programmateur dans une station indépendante

peu concernée par ces problématiques. Ils se tirent la bourrent pour avoir les partenariats

parce qu’ils ont une rage de ces partenariats. Parce que pour eux, c’est super important

d’avoir un logo associé… »

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

264

A l’instar de cette attachée de presse, certains répondants peuvent alors déplorer une certaine

marchandisation de leurs relations avec les programmateurs.

« [Avant] c’était du vrai travail de promotion : tu arrivais, avec tes informations, tes trucs et compagnie, et puis tu arrivais à convaincre la personne qu’à qualité égale, avec un projet… parce que je n’aime pas dire produit… mais un projet d’Universal, de Sony… que le tiens était meilleur. Mais à partir d’un moment, c’est Fègre117, quand il était chez Sony… qui a été chez CBS à l’époque… qui a décidé que maintenant, il fallait acheter les radios… d’une certaine manière. »

Entretien réalisé auprès d’une attachée de presse en charge des réseaux musicaux

Effet pervers, les programmateurs n’ayant pas réussi à obtenir le partenariat qu’ils

convoitaient auraient tendance à boycotter certains artistes ou à adopter une position de

suiveur. « Les mecs sont tellement plein d’égo… que… quand c’est un partenariat chez untel,

l’autre ne veut pas le jouer – déplore le directeur d’une grande maison de disques ayant

décidé d’abandonner le système des partenariats. Ils disent : “Voilà, tu l’as donné à

[quelqu’un d’autre] et donc, tant pis.” » Une tendance confirmée par les entretiens réalisés

auprès des programmateurs et des attachés de presse.

« C'est-à-dire que nous, on sera peut-être pressés mais eux, ils prendront leur temps. Ils vont attendre, peut-être, que le partenaire fasse son travail au départ et puis après, ils suivront. Il y a plein de choses comme ça. »

Entretien réalisé auprès d’une attachée de presse en charge des réseaux musicaux

Parce qu’elle a pour objectif de créer une relation exclusive entre un artiste et une radio, la

pratique des partenariats est à l’origine de comportements imitatifs chez les programmateurs

qui, à l’instar de ce directeur de la programmation musicale dans un réseau national adulte,

ont tendance à attendre que le média partenaire prenne en charge tous les risques associés au

développement d’un nouvel artiste.

« Quand j’ai pas envie de faire un travail sur un titre, je ne le fais pas ! […] Quand je sais que la maison de disques va donner l’interview, le partenariat et machin à un concurrent. Eh beh écoute, mon grand […] c’est pas moi qui vais donner les premiers coups de pioche pour faire baisser l’inconnu sur ce titre alors que j’ai rien [en échange]. Tu as un partenaire, c’est un grand garçon, vous avez un deal… qu’il fasse son travail, moi j’arrive derrière ! »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national ciblant les adultes

117 Actuel directeur général d’Universal Music France.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

265

Synthèse 18

Une imitation encouragée par les maisons de disques

� Pour les maisons de disques, les diffusions radiophoniques revêtent une importance capitale. Les acteurs de l’industrie musicale ont à leur disposition l’outil Yacast pour suivre le développement de leurs projets.

� Les stations qui figurent dans le panel font donc l’objet d’une attention particulière de la part des attachés de presse. Elles bénéficient de contreparties promotionnelles en échange de leur soutien.

� Certains attachés de presse peuvent tenter d’instrumentaliser l’imitation en encourageant les programmateurs à s’inspirer des décisions de leurs concurrents.

2.2. UNE IMITATION FACILITEE

Nous venons de voir que les acteurs de l’industrie musicale, par leur travail de promotion,

encouragent les comportements imitatifs des radios. Précisons néanmoins qu’ils ne font que

contribuer à un phénomène plus large. Désigner Yacast comme la source de ces

comportements serait également réducteur. Comme l’explique ce directeur de la

programmation, les radios n’ont pas attendu l’arrivée des services proposés par Yacast pour

prêter une oreille attentive aux programmations opérées par leurs concurrents : « moi, j’ai

commencé comme stagiaire. Mon premier job, c’était d’écouter Fun Radio toute la journée et

de noter tous les disques qu’ils passaient avec toutes les heures. Donc quand j’entends dire

que c’est la faute à Yacast, ça me fait bien rigoler. »

a) Yacast, une source d’information

Dans toutes les radios visitées lors de la collecte des données, les programmateurs ont

expliqué pouvoir accéder au service Yacast, prendre connaissance des classements

(classement général et classements thématiques) établis sur la base des diffusions réalisées par

les radios du panel ou consulter en temps réel les programmations des autres radios.

Au même titre que les classements de ventes de disques, la presse musicale ou les appels

téléphoniques des auditeurs reçus au standard de la station, l’outil est utilisé au quotidien

comme une source d’information. « Avec Yacast – explique ce directeur d’antenne – je

regarde ce que font mes petits concurrents. Ça me permet de voir les entrées en playlist. C’est

de se dire “Tiens, FRJ est parti là-dessus ! Tiens, Europe 2 est parti là-dessus !” Et de se dire

euh… après on pèse le pour et le contre. Fous on a ce disque là, on en fait quoi ? : “Est-ce

qu’on le rentre ? Est-ce qu’on ne le rentre pas ?” »

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

266

En raison du caractère restreint du panel Yacast, l’utilisation de cette source d’information

tend à orienter l’attention des programmateurs vers une sélection de concurrents (la

composition du panel Yacast est présentée en annexe 3). Cet effet loupe est renforcé par la

pondération mise en place dans l’élaboration des classements de diffusions (repris de façon

hebdomadaire par Musique Info Hebdo) qui est réalisée sur la base des résultats d’audience

communiqués par Médiamétrie118. Les décisions des programmateurs opérant dans les

réseaux nationaux (qu’ils soient musicaux ou généralistes) bénéficient donc d’une exposition

plus forte que celles des radios indépendantes.

Ce biais potentiel amène parfois les programmateurs à interpréter les données du classement

avec prudence : « Je ne le trouve pas très fiable le [classement] général – affirme ainsi un

programmateur en région. Je dirais que c’est une source sûre, sur le Yacast général, pour les

dix premiers. C’est comme pour les dix premiers du Top 50. Quand c’est dans les dix

premiers du Yacast, ya pas de souci à se faire. Au-delà, après… euh… vu les points de

pondération qu’ont certains réseaux tels que Skyrock, Europe 1, France Inter ou des locales

comme Ouï FM… il faut quand même se méfier sur certains titres. »

Les classements Yacast sont souvent utilisés comme un rétroviseur hebdomadaire par les

programmateurs. L’accès en temps réel aux décisions des concurrents est, quant à lui, un outil

de veille utilisé quotidiennement. Une pratique qui semble être préconisée auprès des radios

locales par le GIE « Les Indépendants ».

« Yacast, je regarde assez souvent… tous les jours en fait… ça me permet de voir ce qui marche en ce moment… plus ou moins ce que les gens veulent entendre. Parce que… d’après les gens du GIE, du Yacast et tout ce qui s’en suit, ce qui est dans le Yacast, c’est vraiment ce que les gens ont envie d’entendre. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio locale ne faisant pas partie du panel Yacast

Particulièrement critique à l’égard de Yacast, NRJ a souvent considéré que la mise à

disposition des relevés de programmation en temps réel favorisait les comportements imitatifs

des radios concurrentes. Dans son communiqué de presse du 9 février 2004 intitulé « Halte au

clônage », la première radio musicale de France estimait ainsi que « La mise en place par

l’Institut YACAST, qui intervient pour de nombreux acteurs de la filière musicale (SFEP,

CSA, Ministère de la Culture et de la Communication, SACEM, SRF, SIRTI, UPFI…), 118 Le critère utilisé est celui du Quart d’heure moyen : nombre d’auditeur moyen pour le quart d’heure sur la période étudiée.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

267

d’instruments informatiques instantanés qui donnent des relevés exhaustifs de l’intégralité de

la diffusion des titres diffusés sur FRJ conduisent à de telles pratiques, puisque ces relevés

sont fournis à toutes les stations concurrentes qui le souhaitent et qui peuvent également

disposer des horloges de programmation et des rotations. »

Ce sentiment de plagiat, qui transparaît également dans les entretiens réalisés auprès des

responsables de la station, a conduit NRJ à demander à ce que ses relevés de programmation

ne soient plus accessibles en temps réel. Une décision largement commentée dans les autres

radios.

« Aujourd’hui, FRJ en est rendu à enlever ses rotations live sur Yacast. Je ne sais pas si tu le sais mais tu te mets en live sur Yacast, tu n’as plus les rotations en temps réel de FRJ. Tu sais pourquoi ? Bon voilà, c’est tout ! Il rentrait un titre, le lendemain il y a 52 radios qui le rentrent. Donc à un moment donné, quand tu fais une radio, tu as besoin d’avoir une plus value. Une différence avec les autres. Parce que si ta radio elle a le même goût que les autres, il n’y a aucun intérêt à venir la consommer. »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national

b) Le rôle du GIE « Les Indépendants »

Dans les radios locales, un deuxième élément contribue à l’observabilité des décisions

réalisées dans d’autres organisations et peut donc faciliter l’imitation.

En organisant des conventions annuelles et en mettant à la disposition des radios qui le

souhaitent l’expertise d’un conseiller aux programmes, le GIE « Les Indépendants » facilite

l’échange d’informations. Au cours des conventions annuelles du GIE, les programmateurs

qui officient dans les radios indépendantes peuvent développer des liens sociaux et continuer

à échanger régulièrement. Cette pratique est favorisée par l’idée, assez répandue parmi les

indépendants, que la concurrence émane avant tout des réseaux nationaux implantés à Paris.

Chaque année, des conventions sont organisées par le GIE « Les indépendants ». Au cours de

ces évènements, les acteurs des radios locales peuvent se rencontrer, échanger avec les

dirigeants de la régie publicitaire qui commercialise l’offre commune, entamer une réflexion

sur leurs programmes. Au cours de l’année, des remises de prix sont également organisées

pour récompenser les radios les plus performantes du groupement. A l’instar des Grammy

Awards dans l’industrie musicale (Anand et Watson, 2004), ces rencontres jouent le rôle

d’évènements configurateurs de champ (Lampel et Meyer, 2008). Elles permettent non

seulement aux acteurs de se rencontrer, de faire des affaires mais aussi de nouer des liens

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

268

sociaux. Ces réunions sont également l’occasion de légitimer et de diffuser « l’orthodoxie du

Top 40 ».

« Alors, chaque année. Le GIE fait une convention, avec les 112 radios réunies. Et la semaine dernière c’était le cas. Donc je suis monté pour y assister. Donc ce séminaire, c’est d’abord une soirée festive. On mange, on rigole, on discute. Enfin bref, on joue ensemble comme des gamins. Et le lendemain, c’est plus sérieux, on parle de régie publicitaire, de chiffre d’affaire, de tests musicaux, de choses un peu plus rébarbatives. Voilà, donc il y a les gens de Lagardère119 qui nous expliquent un petit peu leurs méthodes de travail, il y a quelqu’un qui s’occupe du format musical et qui aide des radios qui ont un petit peu de mal à mettre en place leur format musical, les camemberts, les horloges Selector, etc. »

Entretiens réalisé auprès du directeur d’antenne d’une station indépendante

En marge des réunions de travail, les échanges d’informations auxquels se livrent les

professionnels concernent souvent les aspects liés à la programmation musicale.

« Quand il y a des réunions, on se croise… ou bien aux conventions. On s’échange beaucoup d’infos par rapport aux maisons de disques surtout. “Alors toi ? Telle maison de disques ? Ils t’appellent un petit peu ?” ou “Avec machin tu fais des opés ?” Ça, c’est bien ! On se refile des infos, des petits tuyaux. »

Entretiens réalisé auprès du directeur des programmes d’une station indépendante

Les échanges entamés lors des conventions du GIE peuvent se poursuivre toute l’année. Un

véritable réseau semble s’être constitué entre les programmateurs de province. « Je contacte

beaucoup Laurent à Lyon – explique ainsi ce directeur des programmes dans une importante

station régionale. Comme Laurent peut m’appeler aussi. On échange nos trucs. D’ailleurs

quand on se parle, c’est souvent : “Tiens, tu montes quoi toi en ce moment ? Qu’est-ce que tu

aimes bien dans ce que tu as reçu ?” »

Si les radios locales ont, semble-t-il, toujours refusé de coordonner volontairement leurs

programmations, les échanges auxquels se livrent leurs programmateurs sont souvent le point

de départ à des comportements imitatifs.

119 L’offre publicitaire nationale du GIE « Les Indépendants » était, au moment de la collecte des données, commercialisée par la régie publicitaire « Lagardère Active Publicité » (qui commercialisait également les radios du groupe Lagardère Active : Europe 1, Europe 2 et RFM). Depuis 2008, le GIE a décidé d’arrêter sa collaboration avec Lagardère et est désormais commercialisé par TF1 Publicité. Selon les dirigeants du groupement, les recettes nettes du GIE (50 millions d’euros) étaient en dessous de la valeur réelle de son offre (70 à 80 millions d’euros). Source : Jean-Éric Valli : «La radio reste le média de crise», Le Buzz Media, interview donnée au Figaro.fr le 16 juin 2009. http://tiny.cc/NJms7

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

269

« Je connais un peu Seb d’Alouette qui est sympa. J’ai beaucoup d’affinités avec Laurent qui est un ami. Je l’ai vu la semaine dernière. Très bons contacts avec Valérie de Contact. Euh… des fois elle m’envoie des trucs de fous. Un truc dont j’avais parlé à Laurent, hormis le disque de Hard-fi… Un truc à côté duquel il était passé à l’époque c’était Phoenix. Je l’avais vu, je lui avais dit : “Oh, tu sais quoi Phoenix…” Il l’avait rentré et il m’avait appelé : “Oh p… ouais”. Tu sais, tu reçois plein de trucs, tu zappes des fois. Sur Phoenix c’était ça. Et après, on parle un peu de prog, de ce qui marche chez lui. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio indépendante

Ces échanges sont d’autant plus réguliers que ces radios n’opèrent généralement pas sur la

même zone géographique et ne sont pas en concurrence les unes avec les autres. A l’opposé,

les échanges entre réseaux nationaux ou entre réseaux nationaux et radios locales sont quasi

inexistants. Comme le révèle le directeur des programmes d’un grand réseau thématique, les

relations sont courtoises mais distantes : « Euh, on se voit aux réunions Médiamétrie. On se

croise aussi aux concerts, aux soirées des labels parfois, dans des jurys pour des prix.

Roberto, je l’appelle Etienne Daho, parce qu’il me fait penser à Etienne Daho… on s’entend

bien… mais te dire qu’on s’appelle et qu’on se voit, non. »

Depuis plusieurs années, le GIE « Les Indépendants » a, par ailleurs, mis à la disposition de

ses radios adhérentes un conseiller aux programmes. Ce dernier se définit lui-même comme

un Saint-Bernard : « Moi je suis un Saint-Bernard moi ! J’appelle ça un Saint-Bernard… je

suis un bon gros toutou qui arrive avec son petit tonneau et qui dit : Voilà, moi je suis là pour

vous aider. Je n’ai aucun intéressement dans l’affaire… c’est encore mieux. Et en fait, à

chaque fois, je dis : “Voilà, si vous voulez que je vous aide… je vous aide !” »

De par sa position centrale dans le GIE, le conseiller aux programmes est en contact avec de

nombreux programmateurs et peut transmettre les bonnes pratiques mais également intervenir

directement dans la constitution des playlist : « je suis là, je chapote certaines radios, je

vérifie. Sur certaines je fais la playlist, c'est-à-dire que c’est moi qui décide des titres à

rentrer… ça je peux le faire. »

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

270

Synthèse 19

Une imitation facilitée par l’existence de Yacast et les liens sociaux des programmateurs

� Deux facteurs contribuent à l’observabilité des décisions réalisées par les programmateurs. Ils facilitent donc l’imitation concurrentielle au sein du secteur.

� En utilisant le service Yacast, les programmateurs peuvent accéder aux relevés de programmation d’un panel de radios nationales et indépendantes. Cette source d’information est utilisée quotidiennement par les répondants.

� De par leurs liens sociaux, les répondants peuvent également être au contact des décisions réalisées par d’autres programmateurs. Les programmateurs des radios indépendantes s’échangent ainsi très régulièrement leurs informations.

3. CONTEXTE ET IMITATION : UNE CONCLUSION PROVISOIRE

Le champ des radios musicales françaises constitue un terrain opportun pour étudier les

phénomènes d’imitation concurrentielle et les pratiques qui les sous-tendent. Dans ce

chapitre, nous avons cherché à accréditer l’analyse selon laquelle le contexte incertain dans

lequel évoluent les programmateurs musicaux était à l’origine d’angoisses et de doutes. Si

l’existence d’une orthodoxie professionnelle permet aux acteurs de « vivre avec »

l’indécidabilité qui caractérise les décisions de programmation, elle ne constitue pas une

réponse définitive. En effet, les normes professionnelles auxquelles souscrivent les

programmateurs demeurent incomplètes, notamment lorsque les décideurs doivent intégrer

dans leurs décisions les contraintes liées aux obligations de diffusion d’artistes francophones.

Les éléments développés dans ce chapitre soulignent l’interaction qui peut exister entre

comportements imitatifs, normes professionnelles et contraintes réglementaires. C’est cette

interaction qui peut amener les décideurs à douter et à hésiter. Ils pourront alors voir en

l’imitation de leurs concurrents un moyen d’apaiser leurs angoisses. L’imitation sera alors

d’autant plus fréquente qu’elle sera instrumentalisée par les attachés de presse à des fins de

promotion et facilitée d’une part par l’existence de l’outil Yacast permettant de suivre en

temps réel les manœuvres des concurrents et d’autre part par l’existence préalable de liens

sociaux permettant de faire circuler l’information relative aux entrées en playlist des autres

programmateurs. Ces éléments sont synthétisés dans le schéma 18 qui reprend les principaux

résultats de ce chapitre.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

271

Les spécificités du terrain observé et l’orientation consistant à n’étudier qu’un seul contexte

confèrent aux résultats de l’étude un caractère difficilement généralisable. Ces résultats sont

néanmoins riches d’enseignements permettant de relire la littérature existante et qui pourront

trouver leur prolongement dans des travaux futurs.

Schéma 18

Représentation graphique des résultats du chapitre 5

Deux pistes de discussion seront proposées au lecteur lors de la discussion générale de la

thèse. La première traite de l’interaction entre comportements imitatifs, normes

professionnelles et contraintes réglementaires. L’observation du secteur permet, nous semble-

t-il, de venir compléter la vision néo-institutionnelle traditionnelle qui appréhende les

« pressions institutionnelles » comme indépendantes et statiques. La seconde piste de

réflexion ouverte par les résultats proposés dans ce chapitre est liée à la relation entre

incertitude et information qui, trop souvent, reste un point obscure dans la littérature

consacrée à l’imitation concurrentielle.

Orthodoxie « Top 40 »

« Les ingrédients d’un hit »

Contraintes de diffusion

des « quotas français »

Rendent incomplète Imitation

des concurrents

Travail de promotion des

attachés de presse

Accès aux décisions des concurrents

(Yacast)

Facilitent

Encouragent

Partenariats

Liens sociaux (GIE)

Doutes et incertitudes

« Toujours la même

chanson »

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation

272

RESUME DU CHAPITRE 5

La thématique de la recherche est largement évoquée par les répondants au cours des entretiens. Sur 253 décisions de programmation discutées en entretiens, près de 27% font intervenir une part d’imitation concurrentielle (décision prise par le modèle, observation par l’imitateur, adoption par l’imitateur, lien de cause à effet). Il ressort également une grande variété des modèles imités. Les programmateurs pouvant imiter un concurrent particulier, un groupe de concurrents ou s’aligner sur une tendance générale.

Nous avons cherché à approfondir la littérature existante, qui met en avant deux conditions – l’incertitude et l’observabilité des décisions du modèle – pour comprendre les phénomènes d’imitation concurrentielle. Notre attention s’est donc portée sur l’analyse de facteurs de contexte.

De cette partie de l’analyse, il ressort que le caractère imprévisible des goûts musicaux du public est générateur de doutes, d’hésitations et quelques fois d’angoisses chez les programmateurs.

Pour sortir de ces situations d’indécidabilité, les programmateurs ont cherché à développer des outils de recherche musicale et mobilisent un ensemble de normes partagées dans leur environnement professionnel, que nous qualifions « d’orthodoxie du Top 40 ».

Ces normes, qui permettent de définir les « ingrédients d’un tube » n’apportent cependant que des réponses partielles aux questions récurrentes des programmateurs, en particulier lorsque ces derniers sont contraints de s’éloigner de leur format de prédilection afin de respecter leurs obligations légales de diffusion de chansons francophones.

L’imitation d’autrui devient un moyen d’autant plus fréquemment utilisé par les programmateurs pour se forger des certitudes qu’elle sera largement promue par les attachés de presse mandatés par les maisons de disques et facilitée, tant par l’utilisation d’un outil de suivi des diffusions musicales en radio que par l’existence préalable de liens sociaux parmi les programmateurs des radios régionales indépendantes.

De ces résultats, il ressort qu’au-delà du contexte dans lequel ils évoluent, l’incertitude est pour les programmateurs une expérience de tous les jours liée à leur perception de leur environnement. Ce résultat nous amène à privilégier une approche perceptuelle et subjectiviste de l’incertitude, plutôt qu’une approche tendant à la définir exclusivement comme un état objectif de la nature. L’immersion dans les doutes et les hésitations des programmateurs apparaît comme un préalable nécessaire à une compréhension de leurs pratiques d’imitation concurrentielle.

L’étude du champ organisationnel des radios musicales fait, par ailleurs, ressortir une interdépendance des pressions institutionnelles. C’est ici l’interaction entre une orthodoxie professionnelle incomplète se heurtant aux contraintes légales qui est à l’origine des doutes et des hésitations des programmateurs.

Enfin, deux types de facteurs influençant l’imitation ont été mis en évidence. Les comportements imitatifs des radios peuvent être encouragés par les acteurs de l’industrie musicale) ou facilités, d’une part, par l’accès au service Yacast et, d’autre part, par l’existence de liens sociaux entre les programmateurs.

Dans ce contexte où l’incertitude trouve son expression dans les doutes et les hésitations des décideurs, on pourra être surpris par la diversité des pratiques d’imitation concurrentielle. Cette diversité des pratiques va nous conduire, dans le chapitre suivant, à construire une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs.

274

Chapitre 6

Une typologie des pratiques

d’imitation concurrentielle

« En fait… euh… c’est ma politique de ce que

j’appelle : “La politique du mouton”. C'est-à-

dire que je laisse les radios le démarrer et

quand ça marche un petit peu sur toutes les

grosses radios, et bah je suis derrière quoi. »

Entretien réalisé avec un programmateur

e chapitre qui précède insiste sur le rôle du contexte. Ce n’est pas tant l’incertitude que

sa perception par les programmateurs qui est susceptible d’expliquer pourquoi ces

derniers vont imiter leurs concurrents. Les doutes et les hésitations des programmateurs

peuvent néanmoins être à l’origine de pratiques d’imitation très différentes. L’objectif de ce

chapitre est d’identifier ces pratiques et de mettre en évidence les raisons individuelles sur

lesquelles elles se fondent. En présentant une typologie de ces pratiques, nous répondrons ici

à une des deux questions de recherche formulées à l’issue de la première partie de la thèse.

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ?

Comme nous allons le voir, les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation

concurrentielle peuvent renvoyer à des conceptions instrumentales ou calculatoires de la

rationalité. Nous retrouvons ici la dichotomie autour de laquelle était articulé le chapitre 2 de

la thèse. Cette articulation sera conservée dans la typologie que nous allons maintenant

présenter puisque nous distinguerons des pratiques « instrumentales » et des pratiques

« évaluatives ». Nous pourrons alors comparer les pratiques des professionnels du secteur de

la radio aux explications proposées dans la littérature pour expliquer les phénomènes

d’imitation concurrentielle. Nous verrons également que certaines pratiques d’imitation

concurrentielle sont situées à l’intersection des rationalités instrumentales et des rationalités

L

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

275

évaluatives. Au total neuf idéaux-types de pratiques d’imitation concurrentielle ont été

identifiés. Les quatre premiers s’inscrivent dans une conception « plutôt instrumentale ». Cinq

autres idéaux-types sont, à l’opposé, la traduction d’une approche « plutôt évaluative » de la

rationalité. La construction de cette typologie des pratiques d’imitation a nécessité

l’identification de plusieurs propriétés et dimensions. En effet, à la différence des démarches

reprenant fidèlement le canevas proposé par Strauss et Corbin, nous avons fait le choix

d’identifier au travers de l’analyse des données les propriétés qui nous semblaient les plus

pertinentes d’un point de vue tant empirique que théorique. Cette approche est cohérente avec

la démarche abductive qui caractérise ce travail de recherche. Les propriétés et les

dimensions120 utilisées pour construire la typologie sont présentées dans l’encadré suivant.

Elles ont été regroupées en trois catégories : (1) Propriétés cognitives ; (2) Acteurs et

contexte ; (3) Propriétés relatives au(x) modèle(s). Lors du codage, ces propriétés ont fait

office de descripteurs opérationnels permettant de construire et d’opérationnaliser la grille

d’analyse.

Encadré 15

Propriétés utilisées pour construire la typologie

���� Propriétés cognitives : Les pratiques d’imitation qui vont être présentées sont l’expression des raisons des programmateurs qui s’inscrivent, elles mêmes, dans des modèles de rationalité. La démarche des programmateurs peut, par ailleurs, être délibérée et traduire une volonté préalable des décideurs d’attendre que leurs concurrents programment un disque avant de l’incorporer à leur playlist ou, à l’opposé, s’inscrire dans un cadre plus émergent. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les répondants ont souvent, au cours des entretiens, exprimé des doutes liés à un environnement perçu comme incertain. Nous nous intéresserons à la nature des

doutes et des incertitudes exprimés par les répondants.

���� Acteurs et contexte : Notre analyse conduira, par ailleurs, à identifier des régularités concernant les acteurs (qui imite ?) et les facteurs de contexte qui conditionnent chaque pratique d’imitation concurrentielle.

���� Propriétés relatives au(x) modèle(s) : Une des questions soulevée par l’étude de la littérature et traitée notamment par les travaux relatifs au forme d’imitation a trait au(x) modèle(s) qui sont imités. Si l’objet d’étude de la recherche – l’imitation concurrentielle – limite notre champ d’étude aux seuls concurrents, nous verrons que ces modèles peuvent être désignés selon plusieurs critères. La fonction jouée par le(s) modèle(s) est également susceptible de varier très largement d’une pratique d’imitation concurrentielle à une autre.

120 Selon Strauss et Corbin (2004), les propriétés et les dimensions permettent de définir une catégorie conceptuelle. Les propriétés sont de nature discrètes (ex : rouge, vert, bleu) et les dimensions, qui sont de nature continue (ex : très clair – très foncé), permettent d’introduire une variation dans la catégorie conceptuelle.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

276

Les deux sections qui vont suivre vont permettre de présenter les pratiques d’imitation

concurrentielle identifiées dans notre typologie. Sur les 68 décisions de programmation

musicale faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle, 35 donnent lieu à une pratique

instrumentale et 33 à une pratique évaluative. Le tableau 15 offre un premier aperçu de la

typologie des pratiques d’imitation concurrentielle. Les éléments qu’il synthétise feront

l’objet d’une présentation plus approfondie dans les sections 1 et 2 de ce chapitre.

Tableau 15

Un premier aperçu de la typologie des pratiques d’imitation concurrentielle121

Pratiques instrumentales 35 Pratiques évaluatives 33

L’imitation comme source d’information :

L’imitation permet au programmateur d’accéder aux résultats des tests (« call-out ») ou aux informations relatives au choix des singles et à l’agenda promotionnel des maisons de disques. 5

L’imitation comme révélateur de tendance :

La diffusion d’un titre par les concurrents est un indicateur de « ce que les gens veulent entendre ». A partir d’un titre, les programmateurs procèdent à une généralisation et décrivent une tendance plus générale. 4

L’imitation comme forme de parasitisme :

Par une entrée tardive en playlist, le programmateur espère bénéficier de retombées positives liées à la diffusion d’un titre par un concurrent (« lavage de cerveau », externalisation de la prise de risque). 26

L’imitation comme moyen

d’entrer dans la norme :

La diffusion par les concurrents est à l’origine d’un sentiment d’obligation chez le programmateur auquel l’imitation permet de répondre. 4

L’imitation comme moyen de

maintenir la parité concurrentielle :

L’imitation permet de neutraliser un concurrent lorsque ce dernier a pris une avance sur la diffusion d’un titre. Elle permet également de ne pas subir de désavantage concurrentiel lorsqu’un titre est perçu comme risqué. Dans les deux cas, il s’agit de rétablir une forme d’équilibre entre la radio et ses concurrents. 2

L’imitation comme session de rattrapage :

Lorsqu’ils ont préalablement écarté un disque en raison de réserves artistiques et qu’ils l’entendent sur une autre radio, les programmateurs peuvent procéder à une nouvelle écoute. Sur la base d’éléments qu’ils n’avaient pas pris en compte initialement, ils peuvent revenir sur leur décision initiale et imiter leurs concurrents. 13

L’imitation comme argument d’autorité :

L’adoption préalable par autrui permet aux programmateurs de se justifier auprès de leur hiérarchie en cas de remise en question de leur décision ou de mauvais tests. 2

L’imitation comme moyen de se rassurer :

En proie au doute, les programmateurs s’aligneront sur une tendance générale ou copieront des modèles qu’ils connaissent afin de se rassurer. 10

L’imitation comme révélateur de désir :

En entendant un nouveau titre sur une radio concurrente, les programmateurs ressentent un désir d’appropriation dont l’imitation est la traduction. 4

121 Les chiffres correspondent aux nombre de décisions de programmation concernées.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

277

1. LES PRATIQUES INSTRUMENTALES DE L’IMITATION

Les pratiques d’imitation concurrentielle traduisant l’exercice de rationalités instrumentales

chez les programmateurs s’inscrivent le plus souvent dans une démarche délibérée consistant,

pour le programmateur, à écarter a priori un disque et à attendre qu’il soit programmé par une

ou par plusieurs autres radios (nous verrons que certaines exceptions peuvent exister). Au

cours des entretiens, des propos du type « j’avais vraiment envie de savoir comment une radio

comme Skyrock allait réagir », « ce que j’attendais sur Green Day, c’était le démarrage sur

Europe 2 car c’était important qu’Europe 2 démarre le morceau » ou « le titre est bien… je

vais attendre que les autres fassent leur travail » ont pu traduire le caractère délibéré de ces

pratiques d’imitation.

« J’ai dis, voilà tu sais quoi, j’ai dit à l’attaché de presse : Tu sais quoi, c’est pas moi qui vais t’aider sur ça… fais le rentrer par les autres et ne t’inquiète pas, je suivrai. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une station indépendante du Sud de la France

Lorsqu’il est question des pratiques instrumentales, l’imitation concurrentielle est largement

guidée par les conséquences qu’en attendent les programmateurs. Ces derniers peuvent

espérer bénéficier de retombées positives ou chercher à contourner des obstacles qui

pourraient nuire à leur organisation ou à leur situation personnelle.

L’analyse des données nous a conduits à identifier quatre idéaux-types de pratiques

d’imitation concurrentielle fondées sur une rationalité instrumentale. L’imitation peut être

appréhendée (1) comme une source d’information, (2) comme une forme de parasitisme, (3)

comme un moyen de maintenir la parité concurrentielle ou (4) comme un argument d’autorité.

Ces pratiques ont été identifiées dans 35 des 68 décisions de programmation faisant intervenir

une part d’imitation concurrentielle. Le schéma 19 propose une représentation graphique

d’une matrice croisant les quatre pratiques instrumentales d’imitation concurrentielle

identifiées au cours de l’analyse et les type de radios (stations indépendantes et réseaux

nationaux). Comme nous pouvons le voir, la pratique qui apparaît le plus fréquemment au

cours des entretiens consiste à appréhender l’imitation concurrentielle comme une forme de

parasitisme.

Ces comptages ne doivent pas être interprétés comme un indicateur de la fréquence relative de

chaque pratique d’imitation concurrentielle chez les programmateurs radio ou dans quelque

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

278

autre contexte. Ils permettent d’une part de synthétiser les données et d’informer le lecteur sur

le nombre de décisions ayant permis de construire chaque idéal-type et d’autre part d’amorcer

des réflexions sur les raisons pour lesquelles ces pratiques apparaissent plus fréquemment

chez les réseaux ou chez les indépendants.

Schéma 19

Répartition des pratiques instrumentales d’imitation concurrentielle (35 décisions)

Nombre de décisions codées (cases)

Réseaux nationaux Radios indépendantes

Les sections 1.1 à 1.4 permettent d’analyser chaque idéal-type à l’aide de verbatims tirés des

entretiens réalisés auprès des programmateurs. Chaque pratique d’imitation concurrentielle

fait l’objet d’un encadré de synthèse. En conclusion de la section 1, un tableau récapitulatif

(tableau 17) offre un aperçu des quatre pratiques d’imitation concurrentielle et met en

évidence les propriétés qui permettent de les différencier.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

279

1.1. L’IMITATION COMME SOURCE D’INFORMATION

A la manière des managers décrits par Cyert et March (1963) ou, dans un registre nettement

plus calculatoire, des agents modélisés par les théories de l’information en cascade (Banerjee,

1992 ; Bikhchandani et al., 1998), les programmateurs peuvent trouver dans l’imitation un

moyen d’être mieux informés. Dans la réalité néanmoins, les informations ne sont pas

distribuées aléatoirement : certaines radios sont connues pour être mieux informées que les

autres. Elles seront alors plus fréquemment suivies que les autres.

Les informations détenues par ces radios peuvent renvoyer à plusieurs dimensions de la

programmation musicale. De par leurs contacts privilégiés avec les maisons de disques,

certaines stations sont mieux informées que les autres des dates de sortie des albums et des

choix de singles réalisés par les directeurs de labels. L’observation de l’évolution de leur

playlist sera alors susceptible – pour les programmateurs les moins informés – de révéler ces

informations (point a). L’accès aux « tests », réservé aux stations ayant à leur disposition les

ressources financières les plus importantes, constitue, par ailleurs un motif d’imitation

récurrent chez les stations indépendantes (point b). Les programmateurs auront d’autant plus

tendance à appréhender l’imitation comme une source privilégiée d’accès à l’information

qu’ils exprimeront le sentiment de n’avoir pas accès à toutes les données qui leur

permettraient de prendre de meilleures décisions quant aux entrées en playlist. Très

logiquement, cette pratique de l’imitation concurrentielle semble plus répandue chez les

radios indépendantes122 qui sont souvent dépourvues des outils de recherche musicale et ont

un accès indirect aux labels. Les programmateurs des radios indépendantes vont alors

appréhender les actions de leurs concurrents comme un révélateur d’informations.

a) Des informations relatives aux stratégies promotionnelles des labels

Grâce à leur couverture nationale ou aux relations que peuvent entretenir leurs dirigeants avec

les acteurs de l’industrie musicale, certains concurrents bénéficient d’informations

privilégiées quant à l’agenda promotionnel des maisons de disques. Les programmateurs

portent notamment une attention marquée aux choix des singles. Un single est un

enregistrement court sur lequel figurent généralement une ou deux chansons extraites d’un

album. Ces chansons sont parfois proposées dans des versions légèrement différentes de

celles qui figurent sur l’album (« radio edit »).

122 Tous les cas recensés dans les données concernent des radios indépendantes.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

280

Utilisés pour assurer la promotion des artistes, ce sont les singles qui, en règle générale, sont

diffusés par les radios. Pour les maisons de disques, le choix des titres qui seront mis en avant

revêt une donc importance stratégique. Il est parfois réalisé en concertation avec les

programmateurs des grands réseaux nationaux (en particulier lorsque ces derniers sont

partenaires de l’artiste). Lorsqu’ils ont fortement diffusés la chanson d’un artiste sur leur

antenne et qu’ils détectent une forme de lassitude chez leurs auditeurs (« burn »), les

programmateurs peuvent chercher à « faire le switch » c'est-à-dire à entamer la diffusion du

nouveau single avant sa commercialisation.

C’est ce cas de figure qui est décrit par le répondant suivant. « Là je cherchais du français –

raconte ce jeune programmateur officiant sur une radio parisienne – Ce groupe, j’y pensais

déjà, j’avais écouté l’album, il y a plein de titres… le problème c’est que leur album est super

formaté mais… super efficace. C'est-à-dire que les titres sont tous vraiment efficaces, il y a

plein de singles possibles sur l’album. Je ne savais pas trop lequel allait sortir. » Le

répondant décrit une situation d’indécidabilité dans laquelle les différentes alternatives qui

s’offrent à lui sont perçues comme équivalentes (« il y avait plein de singles possibles »).

Ne sachant pas quel morceau retenir, il va expliquer s’être inspiré de la programmation

d’Europe 2. Selon toute vraisemblance, ce titre était voué à devenir le prochain tube du

groupe.

« J’ai écouté l’album, j’ai vu qu’Europe 2 avait fait quelques passages dessus. Je me suis dit que donc, “ils ont dû apprendre que c’était le prochain single.” Je l’ai pris sur l’album, je l’ai joué, ça a marché et voilà quoi. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une station indépendante parisienne

Dans ce type de situation, les modèles imités sont sélectionnés en fonction de leurs liens

supposés avec les acteurs de l’industrie du disque. Il pourra s’agir de réseaux nationaux ou

des radios indépendantes les plus puissantes.

b) Des informations relatives à la recherche musicale

Au-delà de la stratégie promotionnelle des maisons de disques, le comportement des

concurrents est susceptible de révéler d’autres types d’informations parmi lesquelles on

retrouve les « call-out », ces études réalisées par certaines radios auprès de panels d’auditeurs.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

281

Malgré la polémique opposant les stations du GIE « Les Indépendants » à NRJ, les

programmateurs interrogés n’ont aucune difficulté à confirmer les accusations de la première

radio de France.

Les entretiens font ressortir qu’une baisse du nombre de diffusions hebdomadaires d’un titre

est souvent interprétée comme la conséquence de mauvais tests : « Quand je vois que le

disque baisse bien – explique le directeur d’antenne d’une radio francilienne – je me dis :

Bon, là aussi, il commence à être grillé, moi aussi il faut que je le baisse. »

Comme l’indique le verbatim qui suit, cette démarche est très répandue chez les

programmateurs des radios indépendantes qui déplorent, par ailleurs, que leurs supérieurs

hiérarchiques ne consacrent pas les moyens financiers nécessaires à la mise en place de ces

outils de recherche musicale. Cette situation est parfois génératrice de frustration lorsque les

répondants se plaignent de ne pas avoir à leur disposition les outils qui leur permettraient de

travailler dans de bonnes conditions car « mine de rien, on est dans une époque de marketing,

on est là pour faire de l’audience et si un disque est grillé, il ne faut pas que le laisser hein !

Il faut l’arrêter »123.

L’intérêt porté par les programmateurs des radios indépendantes à toute information relative

aux tests est particulièrement prononcé lorsque ces derniers ont été en contact avec le

conseiller aux programmes du GIE « Les Indépendants ». Ce dernier les incite, en effet, à se

méfier du sentiment de lassitude qu’ils peuvent ressentir lorsqu’un titre figure depuis

plusieurs semaines dans leur playlist.

« Yacast, c’est bien parce que ça permet de se situer. Je pense que ça permet, à un moment donné, de savoir qu’il faut retirer un morceau. Ça permet de se dire : Tiens, ça sent peut-être le grillé, c’est peut-être le moment où on peut commencer à le baisser voir même le retirer. Parce que là… on l’a tellement… Parce que c’est ça le plus difficile ! C’est pas de rentrer un morceau, c’est de savoir quand on doit le sortir et de se dire : Voilà, ça fait quand même quatre ou cinq semaines que je le passe… moi j’en ai ras le fion, je ne sais pas si tu as envie de le retirer… mais on s’aperçoit que ça teste encore, que les gens ils en veulent encore… et ça, on ne peut pas le deviner !

123 Ces propos sont extraits d’un entretien réalisé auprès du directeur d’antenne d’une radio indépendante francilienne.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

282

Il ne faut pas oublier que quand on est programmateur, on vit vingt quatre heures sur vingt quatre dans la radio, et sept jours sur sept… Les mecs ils saturent beaucoup plus vite que n’importe quel auditeur. Ça a d’ailleurs été le gros discours chez toutes nos radios au départ. Ils allaient plus vite que la musique ! Ils allaient trop vite ! Donc les mecs, quand un morceau marchait, ils l’avaient retiré. Je leur disais : C’est absolument incroyable ! C’est comme si vous semiez et que, je ne sais pas… FRJ en l’occurrence arrive derrière et il récolte ! FRJ était beaucoup plus finot à l’époque que nos radios. C'est-à-dire qu’il arrivait au bon moment. Donc je les ai resynchronisés entre guillemets en leur disant : Attention, n’allez pas trop vite ! Vous n’êtes pas synchros avec les attentes des gens, leurs aspirations, leurs envies ! Il y a un moment donné où le clip va sortir, il va être à la radio, il va y avoir des émissions et machin… et là, il va y avoir une demande ! Et vous vous êtes déjà en amont, vous avez déjà presque fini votre… Fon, non ! Et je leur disais : Continuez, continuez ! Et combien de fois j’ai remis à l’antenne un disque qu’ils avaient bazardé euh… ouais ouais. Ils me disent : Mais ça fait six mois qu’on l’a passé, tu comprends ! Et je réponds : Beh c’est pas grave ! C’est maintenant qu’il faut que tu le passes ! »

Entretien réalisé avec le conseiller aux programmes du GIE « Les Indépendants »

Les conseils de celui qui est parfois surnommé « le coach » sont appliqués à la lettre dans

cette radio indépendante : « Le risque quand on démarre un morceau trop tôt, c’est qu’il y a

toute l’équipe qui pendant des jours va dire : Ahlala, il y en a marre de ce truc là, on en a

marre ! Et à un moment donné, le programmateur sera tellement exaspéré et tellement énervé

d’entendre tout le monde râler qu’il va le zapper… Et au moment où tout le monde le

réclame, où l’auditeur a envie de l’entendre, où les autres radios s’emparent du truc… C’est

dangereux de jouer un morceau trop tôt. Il nous faudrait la recherche musicale… mais bon

on a Yacast. »124

Une baisse des rotations est interprétée comme le résultat de mauvais tests. A l’inverse, une

diffusion par une ou par plusieurs stations concurrentes laisse souvent supposer aux

programmateurs que le disque a obtenu de bons résultats aux tests. « Je fais attention à ce

qu’ils font parce que si c’est programmé chez les jeunes [le répondant désigne les réseaux

musicaux nationaux destinés aux jeunes], je sais que ça teste bien » affirme ainsi le

programmateur d’une station locale du Sud de la France. Et ce répondant de préciser : « Je

sais que si c’est sur Fun et FRJ, ça veut dire que chez les ados ça teste bien ». Une démarche

124 Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante pop-rock.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

283

similaire est clairement revendiquée par le programmateur suivant pour qui Yacast est perçu

comme un réel filet de sécurité.

« Ce qui est dans le Yacast, c’est vraiment ce que les gens ont envie d’entendre. Alors c’est vrai que les radios font un petit peu ce qu’elles veulent aussi mais, on m’a dit qu’effectivement certaines radios faisaient de l’audit. En fait, ils appellent des gens, ils leurs passent de la musique, “est-ce que vous aimez ?”, “est-ce que vous n’aimez pas ?” Donc euh… c’est là je pense une chose qui nous permet de dire : “si on joue ce morceau là, nous on ne se trompe pas !” Même si des fois je ne suis pas d’accord avec tel ou tel morceau. Mais disons qu’ils l’ont vérifié. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une petite radio indépendante

Gardant en tête la polémique lancée en février 2004, ces professionnels se défendent

néanmoins de se livrer à un quelconque plagiat des programmations de leurs concurrents : « je

regarde… mais sans copier » insiste un répondant officiant dans une radio indépendante au

format musical généraliste. L’imitation est alors justifiée par les répondants par l’asymétrie

existant à leurs yeux dans le rapport de force qui les oppose aux grands réseaux nationaux :

« Parce que nous, on n’a pas de panels ! »

NRJ n’est pas la seule radio à être imitée par les stations indépendantes. A l’image de

Vibration, station indépendante orléanaise, certaines radios régionales sont connues pour leur

utilisation des outils de recherche musicale : « Je sais comment ils fonctionnent. Je sais que

Vibration fait des tests. Donc c’est vrai que ça m’influence aussi ». Les radios « qui testent »

constituent ainsi un groupe stratégique constamment observé par les programmateurs des

radios indépendantes : « parce qu’on sait à peu près qui teste, par relations, je me suis un peu

rencardé. »125

125 Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une radio indépendante francilienne.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

284

Synthèse 20

L’imitation comme une source d’information

� L’imitation permet d’accéder aux résultats des tests (« call-out ») ou aux informations relatives au choix des singles et à l’agenda promotionnel des maisons de disques.

� Cette pratique trouve son origine dans le sentiment des programmateurs de ne pas avoir accès aux informations pertinentes pour prendre une bonne décision. Ces derniers officient essentiellement dans des stations indépendantes et adhèrent fortement à « l’orthodoxie du Top 40 ».

� Les modèles imités sont connus pour pratiquer des tests ou avoir des relations régulières avec les maisons de disques.

1.2. L’IMITATION COMME UNE FORME DE PARASITISME

L’accès aux informations détenues par les concurrents, qu’elles renvoient aux stratégies

promotionnelles des labels ou aux résultats de tests, n’est pas la seule raison susceptible de

guider les programmateurs dans leurs pratiques d’imitation concurrentielle. Dans un registre

tout aussi instrumental, certains acteurs peuvent, en effet, chercher à tirer profit de l’entrée en

programmation d’un titre par des concurrents. Qu’il s’agisse d’externaliser les risques ou de

profiter du travail de développement entrepris par d’autres acteurs, l’imitation s’assimile ici à

une forme de parasitisme.

Cette pratique de l’imitation concurrentielle est celle qui est apparue le plus souvent au cours

de l’analyse (26 occurrences). Ce constat ne préjuge en rien de la fréquence de cette pratique

sur le terrain étudié ou dans d’autres contextes. Il indique simplement que les données

utilisées pour mener l’analyse ont été plus nombreuses (et plus riches) que pour les autres

pratiques.

a) Une démarche expérimentale

Comme le confirme ce programmateur, l’entrée en programmation d’un titre peut parfois être

conditionnée à sa diffusion par les concurrents : « Quand j’ai reçu [ce disque], je me suis dit :

Bon, c’est un bon petit morceau de « variétés »… ouais… si je vois que ça grimpe, je le

rentre. »

Pour ces répondants, l’idée est autant d’externaliser la prise de risque liée à l’entrée d’un titre

que de s’en remettre au jugement d’autrui. Le directeur d’antenne de cette radio indépendante

d’Île-de-France évoque ainsi un titre présentant de fortes similitudes avec les anciens tubes de

Tragédie, un groupe ayant connu le succès en 2004.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

285

Problème : Tragédie peine à reconquérir son public. La ressemblance n’est donc pas de nature

à rassurer le répondant. « Tragédie, aujourd’hui, ça ne marche plus ! C’est devenu ringard »

constate-t-il. Sur la base de ces vives réserves, le programmateur décide alors de conditionner

l’entrée en programmation du titre à sa diffusion par d’autres stations.

« Je me suis dit : « C’est encore un truc à la Tragédie, ça ne va peut-être pas prendre ! » Et puis après, suivant mes différents critères, j’ai vu que ça prenait bien. J’ai attendu un tout petit peu et puis… les rotations sont arrivées. »

Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une station indépendante d’Île-de-France

La tendance générale sert ici à valider ou à invalider la mise de côté initiale du morceau par le

programmateur, elle est quasi-expérimentale. L’expérience peut néanmoins être plus ciblée.

En fonction de la nature de ses hésitations, un programmateur peut en effet décider de ne

porter attention qu’aux décisions prises par un groupe restreint de concurrents ou par un

concurrent en particulier.

De par son audience et ses moyens financiers, NRJ fait régulièrement figure de modèle pour

les programmateurs qui ne disposent pas de moyens financiers aussi importants : « Parce

qu’on sait que derrière, il y a la cavalerie, qu’ils vont mettre des moyens, qu’il y a des

sous… »126. Les projets mis de côté par les programmateurs, lorsque ces derniers espérent

qu’ils seront développés par NRJ, ne sont pas choisis au hasard. Au-delà des réserves

artistiques qu’ils suscitent chez les programmateurs, ces titres sont souvent très grand public

et jugés extrêmement commerciaux par les programmateurs ou « moins faciles ».

« Quand j’ai pas d’affinité avec le projet bon, quand c’est pas un truc que je vais écouter chez moi bon, je n’écoute pas le Roi Soleil en boucle tu vois. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format généraliste

« Sur des choses un petit peu tendancieuses ou des choses un peu moins faciles, je pense que c’est plus à FRJ de déblayer le terrain. Eux ont une force de frappe qui est beaucoup plus… et après nous on y vient. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste

L’analyse du verbatim suivant fait apparaître un autre cas de figure. Il y est question d’un titre

interprété par Lemar, un chanteur de « soul music » révélé en 2005 par la version anglaise de

l’émission Star Academy. La « soul » étant traditionnellement un genre musical davantage

plébiscité par les adultes que par les jeunes, le répondant – un directeur des programmes dans

126 Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format généraliste.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

286

une radio indépendante – explique avoir souhaité attendre la réaction de Skyrock, radio

spécialement dédiée aux 15-25ans.

« En fait j’avais vraiment envie de savoir comment une radio comme Skyrock allait réagir. En fait je me demandais… je me disais : « bon, ça fait très Motown, c’est sur une cible plutôt adulte » et j’avais un doute sur les jeunes. Je voulais vraiment savoir comment une radio comme Skyrock allait se positionner : Est-ce que ce titre-là allait leur plaire ? Allait plaire aux jeunes ou rester sur une dynamique pour les adultes ? »

Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio indépendante

Malgré le caractère plus restrictif des critères de sélection du modèle, la démarche reste

expérimentale. La décision de Skyrock vient confirmer ou lever les réserves du

programmateur quant au potentiel du titre vis-à-vis du public jeune. De la même manière, un

programmateur pourra choisir d’attendre les réactions d’un concurrent spécialisé sur un genre

musical bien précis avant de décider d’entrer, ou non, un titre dans sa playlist. Nous

retrouvons cette démarche chez ce répondant, directeur artistique d’un grand réseau national,

qui utilise l’imitation lorsqu’il est confronté à un titre situé à la périphérie (ou en dehors) de sa

thématique musicale de prédilection.

« Sur ce coup, je ne suis qu’un gros suiveur ! Ah bah oui… puisqu’on est pas dans le format. Le titre est bien, il est pas très agressif… c’est pas du “R’n’B” comme on l’entend sur Fun et sur FRJ, il est bien sûr, sur ces deux playlists mais il a quelque chose d’autre. De l’authenticité… c’est un son nouveau, le mec a une attitude nouvelle, je vais attendre qu’ils fassent leur travail, je vais tester. Il teste bien ! Alors je demande un contre-test… pour savoir si je ne me trompe pas, parce que le son est quand même très éloigné de mon format à moi. Après c’est un choix éditorial. On peut très bien dire : « ça teste mais on se l’interdit parce que ce n’est pas dans le format », ou bien se dire « comme il commence à faire beau, c’est le printemps, on va essayer de le jouer et, une fois qu’on l’aura passé, on re-testera dans une semaine pour voir si les gens, l’ayant écouté au milieu de notre programme, sont toujours satisfaits. »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national

Comme nous le voyons, l’imitation n’implique pas une mise de côté des résultats des tests.

Lorsqu’ils disposent de ces instruments, les programmateurs peuvent les utiliser comme un

filet de sécurité.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

287

b) La « politique du mouton »

Dans la section qui précède, nous avons montré que le comportement d’autrui était une

variable intégrée délibérément par les répondants dans leur prise de décision. En effet, il

permettait de détecter le potentiel d’un titre. Pour de nombreux répondants, le statut de « hit »

ne dépend pas seulement de caractéristiques exogènes, liées à l’artiste, à la construction de la

chanson ou aux moyens alloués par la maison de disque. Il est aussi imposé au public par les

diffusions en radio.

Au cœur de cette démarche, on retrouve une conception solidement ancrée dans l’orthodoxie

professionnelle du secteur : certains tubes ont besoin de faire l’objet d’un matraquage

promotionnel et marketing auquel les diffusions en radio contribuent, en particulier lorsqu’ils

ne possèdent pas tous les « ingrédients » attendus127. Pour avoir la certitude de « jouer » des

tubes, il devient donc nécessaire de s’aligner sur les programmations musicales des autres

radios ce qui nécessite de mettre de côté, dans un premier temps, les projets les plus sensibles.

« Je ne l’ai pas joué tout de suite » se remémore un programmateur de province à propos du

premier disque d’une artiste française. « Je voulais laisser un petit peu l’auditeur s’habituer

au son. Euh… pas tellement le plus jeune parce que le jeune est très réactif. Il tourne le

bouton très facilement. L’auditeur qui est installé quoi… celui qui a le poste de radio au

dessus de la machine à café. Celui-là, il ne faut pas trop le brusquer. »

Parmi les avantages associés par les répondants à une entrée tardive en playlist, on retrouve

une idée avancée par les théoriciens de l’avantage des entrants tardifs selon laquelle

l’imitation permettrait de profiter du travail d’éducation des consommateurs réalisé par les

concurrents (Shankar et al., 1999). La métaphore du « lavage de cerveau », utilisée par

plusieurs répondants, permet ainsi de relier diffusion massive et succès commercial.

« Je crois que c’est FRJ qui l’a rentré, il y a eu ce lavage de cerveau là… et puis ça rentre

vite dans la tête» affirme, en effet, ce programmateur du Sud de la France. C’est souvent

parce qu’ils doutent de la capacité d’un titre à pouvoir séduire les auditeurs à la première

écoute que ces derniers décident de s’en remettre au « lavage de cerveau » initié, notamment,

par les grands réseaux nationaux : « Parce que… je ne trouve pas ça spécialement comme un

tube. Je le dis sincèrement. Je ne trouve pas qu’à première écoute ça passe auprès des

127 On retrouve ici la métaphore des « ingrédients d’un tube » qui a été analysée lors du chapitre précédent.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

288

auditeurs. Je pense que sur un morceau comme ça, il faut un lavage de cerveau de la télé, des

grosses radios pour que nous on puisse le jouer derrière. »

Plus explicite encore, l’image de la « politique du mouton » révèle la dimension calculatoire

et préméditée de cette pratique d’imitation. L’expression est fondée sur un oxymore où

s’opposent les termes « politique » et « mouton » (un animal souvent décrit comme dépourvu

d’esprit d’initiative).

« En fait… euh… c’est ma politique de ce que j’appelle : “La politique du mouton”. C'est-à-dire que je laisse les radios le démarrer et quand ça marche un petit peu sur toutes les grosses radios, et bah je suis derrière quoi. Je suis le troupeau. Il y a un troupeau qui se met en place autour du morceau et moi je laisse FRJ le faire, je laisse tout le monde le faire. Et quand je vois que tout le monde le rentre, et beh je le rentre. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format généraliste

Il ne s’agit plus, dès lors, de détecter les tubes mais de deviner quels seront les choix réalisés

par les programmateurs, à la manière des agents décrits par Lewis (1969) ou des spéculateurs

du concours de beauté keynésien : « C’est de demander s’ils vont se servir de cette image là…

ou est-ce qu’ils vont choisir un autre groupe. Et s’ils s’en servent, ça veut dire que voilà… ça

veut dire qu’ils vont travailler le morceau et nous, on surfe sur cette vague là. Ils ont des

priorités et nous, on est là pour savoir quelles sont leurs priorités »128.

Plutôt que d’essayer d’anticiper leurs réactions, l’entrée tardive permet de choisir les « bons

titres » - ceux qui sont diffusés par tout le monde – sans avoir à prendre en charge les risques

associés.

« Quand j’ai pas envie de faire un travail sur un titre, je ne le fais pas ! […]Le disque, je le mets quand c’est un tube et c’est parce que les gens veulent l’écouter ! C’est au moment où il est fait ! Quand le fruit est mûr je le prends ! »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musical d’un réseau national adulte

La question qui se pose renvoie alors au moment idéal d’entrée d’un titre. Pour tenter d’y

répondre, les programmateurs reprennent très souvent la courbe du cycle de vie d’un produit

pour décrire l’évolution de l’engouement des auditeurs pour un disque : à une première phase

risquée succèderait une phase d’engouement progressif puis une certaine lassitude (« burn »)

conduisant à une déprogrammation. L’entrée en playlist ne doit donc pas être trop tardive.

128 Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

289

Une préconisation partagée par une importante littérature consacrée à la question du moment

d’entrée (Lieberman et Montgomery, 1998).

« En même temps, il ne faut pas laisser les autres radios partir trop là-dessus. Donc j’ai laissé une semaine quinze jours. Et puis après toc, je commence à installer gentiment le titre. Et puis là je le joue fort… »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante du Grand Ouest

c) Une répartition des rôles

Les éléments qui viennent d’être développés mettent en évidence une grande variété des

modèles imités par les programmateurs qui adoptent une pratique instrumentale de l’imitation

fondée sur une forme de parasitisme. Si les décideurs partagent la volonté de « profiter du

travail de développement » réalisé par un ou plusieurs concurrents, ces derniers peuvent

choisir de s’aligner sur la réaction d’un concurrent particulier, d’un groupe de concurrent ou

préférer attendre qu’un morceau soit diffusé partout ailleurs pour l’entrer en playlist.

Parce qu’ils considèrent que l’attitude consistant à profiter du travail d’autrui est discutable,

les répondants ont souvent jugé utile d’apporter des éléments leur permettant de se justifier.

Des arguments relatifs au positionnement de la station ou à des contraintes techniques se

posant au programmateur au moment de la prise de décision ont alors pu être avancés.

« On n’est pas là pour euh… c’est vrai que nous ne sommes pas une radio très polémique. On ne souhaite pas, par le contenu des textes, faire passer quelconque message : sur un titre de “Rap” comme celui-là, à partir du moment où c’est trop segmentant, on préfère s’absenter… au moins dans un premier temps »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national généraliste

« Kelly Clarkson, oui on va s’y mettre. Parce qu’en fait, ce n’était pas à nous de faire le travail là-dessus. Parce que dans le sens ou ce sont des sons, des titres où nous, on a déjà l’équivalence en playlist. Et donc euh… pour nous c’est pas ultra urgent. En plus, c’est dans le bas du classement donc c’est pas très urgent pour nous. »

Entretien réalisé avec le directeur d’une radio indépendante généraliste

Des propos du type « ce n’était pas pour nous », « on a laissé les radios “Rock” faire leur

boulot… » ou encore « on a été complètement suiveurs sur ce truc… parce que là aussi, c’est

pas notre rôle » montrent – par ailleurs – que les répondants peuvent se livrer à une sorte de

répartition des rôles permettant de désigner les « starters ». Les « radios starters » semblent

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

290

alors naturellement désignées pour prendre en charge le début du travail de développement et

d’assumer – seules ou en groupe – les risques associés.

« Je vais voir mon DG, je lui dis « ça tu vas voir, ça va être dans les cinq premiers », sauf que à la base, c’est plus FRJ parce que c’est vraiment du populaire et ultra-populaire. C’est de la “dance” super basique. »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national thématique

Inversement, certains programmateurs peuvent se sentir investis d’une mission de

développement d’artistes et de projets entrant dans leur thématique de prédilection. C’est

notamment le cas pour ce membre de l’équipe de programmation de Chérie FM lorsqu’il

évoque le dernier succès de la chanteuse Natasha St-Pier.

« Prenons l’exemple de la chanson de Fatasha St-Pier : Si nous on ne joue pas ça, qui va la jouer ? C’est à nous de toute façon… qu’elle nous plaise ou pas. Alors évidemment, si elle était revenue avec un genre “Hard-Rock” et machin… évidemment que ce n’est pas le format et qu’on ne joue pas le titre… mais euh… Fatasha St-Pier, « Un ange frappe à ma porte », avec le texte que c’est, avec la mélodie que c’est bon… j’aime ou je n’aime pas… je m’en fous ! C’est à Chérie de jouer ! Ces artistes, si on n’est pas au rendez-vous pour les exposer avec leurs nouvelles chansons, qui le fera ? Ce n’est pas RFM qui le fera… ce n’est pas FRJ… FRJ dans un premier temps, ce n’est pas leur came donc ils ne le diffusent pas. »

Entretien réalisé avec un des programmateurs de Chérie FM

Le tableau suivant propose une synthèse des justifications utilisées par les programmateurs

pratiquant l’imitation sous sa forme parasitique. Il permet de les relier ces éléments de

discours aux critères utilisés pour répartir les rôles de starter et d’imitateur.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

291

Tableau 16

Critères utilisés pour la répartition des rôles et justifications

Critère

utilisé pour la

répartition des rôles

Justifications

Moyens financiers Le travail de développement de certains artistes est perçu comme coûteux (publicités, partenariats, opérations sur l’antenne…) et doit donc être confié aux radios qui bénéficient des moyens financiers les plus importants (dans ce cas, il s’agit souvent de NRJ).

Partenariat Caractère injuste de l’attribution des partenariats par les labels. Volonté de se venger des radios qui ont obtenu les partenariats que convoitait le programmateur. La radio partenaire a des avantages et donc des responsabilités à assumer parmi lesquelles figure le travail de développement.

Thématique du format Lorsque certains titres sont éloignés du format, les programmateurs considèrent que c’est aux radios spécialisées d’en assurer le développement.

Positionnement généraliste Les titres perçus comme « populaires » sont souvent « laissés à FRJ ». Ce type de propos s’accompagne généralement de jugements artistiques assez négatifs (« c’est de la soupe »).

Cible En fonction du genre musical, un titre pourra être perçu par les programmateurs comme plus ou moins risqué sur une cible particulière. Le « Rap » est ainsi perçu comme risqué sur les adultes. La « Soul » est perçue comme risquée sur les jeunes. Les répondants justifient donc leur attitude par leur volonté de tester le disque sur les cibles les plus risquées en attendant les réactions de radios thématiques (Skyrock pour les jeunes, RFM pour les adultes, Chérie FM pour les femmes, etc.)

Puissance Lorsque les titres sont jugés « moins faciles » et qu’ils nécessitent un « lavage de cerveau », les programmateurs expliquent attendre le « travail de développement » réalisé par les radios les plus puissantes (NRJ et les autres réseaux musicaux nationaux).

La pratique d’imitation dont il est ici question repose sur une forme de parasitisme consistant

à profiter du travail de développement des autres concurrents en externalisant des risques liés

à une entrée précoce d’un titre en programmation. Elle est donc clairement ancrée dans une

conception instrumentale de la rationalité. Cependant, au vu des critères utilisés par les

programmateurs pour désigner les modèles et des justifications qu’ils apportent, il est clair

que cette pratique fait intervenir des notions reliées à une conception évaluative de la

rationalité.

Ainsi, certaines radios semblent plus légitimes que d’autres pour démarrer un titre, en

particulier lorsqu’elles sont spécialisées sur un genre musical bien précis (exemple de

Skyrock avec les musiques urbaines). Sans totalement remettre en cause la distinction entre

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

292

rationalités instrumentales et rationalités évaluatives, nous retrouvons la porosité de ces deux

notions qui était déjà évoquée par Weber (1921 [1995]). Lorsque l’imitation s’apparente à une

forme de parasitisme, l’exercice de la rationalité instrumentale est conditionné par

l’acceptation de critères et de normes généralement admis.

Synthèse 21

L’imitation comme une forme de parasitisme

� Par l’entrée tardive d’un titre en playlist, l’imitateur espère bénéficier de retombées positives liées à sa diffusion par un ou plusieurs concurrents.

� Les programmateurs peuvent chercher à externaliser le risque d’un rejet du titre par une frange particulière du public ou à profiter du « lavage de cerveau » réalisé par les concurrents par leurs diffusions répétées.

1.3. L’IMITATION COMME MOYEN D’ASSURER LA PARITE CONCURRENTIELLE

L’analyse stratégique traditionnelle accorde une place centrale au concept d’avantage

concurrentiel (Porter, 1982 [2004], 1986 [2003], 1996). Si la recherche d’un avantage

concurrentiel ne saurait résumer, à elle seule, l’objectif de la stratégie, elle constitue un

élément indispensable à sa compréhension. Dans l’esprit des travaux consacrés aux actions et

réactions concurrentielles, et dans le prolongement de l’analyse portérienne qui soulignait le

caractère défensif de l’imitation, certains programmateurs semblent instrumentaliser

l’imitation en vue de neutraliser certains de leurs concurrents. La volonté de maintenir une

parité concurrentielle se retrouve également lorsque, veillant à respecter leurs obligations

conventionnelles de diffusion d’œuvres francophones, les décideurs voient dans le

conformisme un moyen de ne pas se mettre en danger. Cette pratique d’imitation

concurrentielle est très peu fréquente dans les données de la recherche puisqu’elle n’apparaît

que dans deux cas de décisions d’entrée en playlist.

a) Un moyen de neutraliser un concurrent

Bien qu’ils l’assimilent à une prise de risque, les programmateurs reconnaissent que la

diffusion d’un morceau avant les concurrents est susceptible de se traduire par une

augmentation de leur audience. Lorsqu’ils considèrent qu’un disque est susceptible de

connaître le succès, certains programmateurs vont ainsi utiliser l’imitation pour réduire

l’avance prise par les concurrents qui l’ont programmé.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

293

« Donc je positionne le titre. Je sais qu’Europe 2 est en programmation dessus aussi, je ne suis pas tout seul. Fotre principal concurrent sur la zone de diffusion, c’est Europe 2 donc je ne les laisse pas complètement partir. Je suis ! »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante

Cette pratique a été identifiée dans un entretien réalisé avec un programmateur officiant dans

une radio indépendante. Rien ne semble indiquer que, dans l’absolu, elle ne puisse pas être

adoptée dans des réseaux. La proximité des formats semble néanmoins constituer une

condition sine qua non au développement de cette pratique d’imitation concurrentielle.

b) Un moyen de se prémunir d’un désavantage concurrentiel

Dans un registre assez proche, certains répondants utilisent l’imitation pour compenser les

conséquences négatives qu’ils associent au respect de la législation relative aux quotas de

chansons françaises. Dans le chapitre précédent, nous avons souligné que cette législation

pouvait parfois amener les programmateurs de certaines radios thématiques à s’éloigner de

leur format de prédilection (en particulier lorsque ces dernières sont positionnées sur des

thématiques « Dance » ou « Rock »). Dans de telles situations, les programmateurs nous ont

parfois fait part de leur sentiment de se mettre en danger et ont évoqué leurs difficultés à

programmer des nouveaux talents francophones. Une solution peut alors consister à diffuser

les mêmes morceaux que les concurrents afin de limiter les risques.

« Bah c’est sûr que pour ce type de morceau, on est beaucoup moins starters. Parce que comme c’est pas « format », je ne vais pas m’amuser en plus de n’être pas dans mon format à jouer un morceau qui n’est pas ce que mes auditeurs attendent, à le jouer en avance. […] C’est juste le fait que quand les gens vont l’entendre chez moi, s’ils ne l’aiment pas et qu’ils vont sur une autre radio ils risquent de tomber aussi dessus. Donc au bout d’un moment, ils vont peut-être s’habituer ou bien [se dire] : moi j’aimais pas mais eux ils le passent aussi donc je vais revenir sur ma radio. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante au format « Dance »

Synthèse 22

L’imitation comme un moyen de maintenir la parité concurrentielle

� Les programmateurs cherchent à neutraliser des concurrents en imitant leurs décisions.

� Il peut s’agir de réduire l’avance prise par un concurrent particulier sur un disque particulier ou de se prémunir d’un désavantage concurrentiel par rapport aux autres concurrents.

� Dans les deux cas, il s’agit d’une stratégie défensive. Les modèles imités sont le plus souvent les concurrents directs de la radio.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

294

1.4. UN ARGUMENT D’AUTORITE

De façon marginale (deux cas), certains répondants ont souligné que l’entrée préalable d’un

titre par des concurrents pouvait être utilisée comme un argument d’autorité vis-à-vis de leur

hiérarchie ou de leurs collègues. Les relevés de programmation envoyés par les attachés de

presse permettent aux programmateurs de se justifier et d’éviter des conséquences

potentiellement négatives liées à une décision malencontreuse.

« Bien sûr que ces infos on les regarde. Prends ce titre de Angunn… si ça ne teste pas, on aura aussi cet argument là. Cet argument là, c’est un argument que nous aussi on va pouvoir dire à notre directeur général quand on se retrouvera pour une réunion de programmation. »

Entretien réalisé avec les programmateurs d’un réseau national

De l’analyse des données, il ressort que l’argument d’autorité que peut représenter la diffusion

par un concurrent légitime ou par un grand nombre de radios est souvent utilisé par les

programmateurs lorsqu’ils doivent faire face à une remise en question de leur jugement.

Ces critiques sont d’autant moins bien acceptées que les programmateurs ont souvent

tendance à considérer que leurs supérieurs hiérarchiques et leurs collègues n’ont pas leur

niveau de compétences en matière de musique. Au travers de propos tels que « Il y a quand

même une divergence importante entre mon point de vue et le sien [le répondant désigne le

directeur des programmes de la station]. Il faut que tu discutes avec lui et que tu comprennes

» ou « je n’étais pas convaincu et je ne le suis toujours pas ! C’est de la m… ! Ça n’a rien à

f… sur l’antenne. Les arguments du boss sont nullissimes », plusieurs répondants ont exprimé

de réels désaccords artistiques avec leur hiérarchie. En imitant leurs concurrents, les

programmateurs parviendront à mettre un terme à des discussions aussi difficiles

qu’interminables :

« Lorsqu’ils ont entendu le titre, les deux associés…sont arrivés dans le bureau : « Mais ça rappe, pourquoi vous voulez le rentrer, on ne va pas se mettre au “Rap” ! » et ça créait une tension. Et là : « STOP ! C’est moi et X qui décidons de la programmation » et en fait, Gorillaz était numéro un petit peu partout… ou sur les plus hautes marches des classements de toutes les radios. Donc on les a convaincus comme ça. Pour ça, c’est bien de ne pas être tout seul. »

Entretien réalisé dans une radio indépendante

Dans les réseaux nationaux et dans les grosses stations indépendantes, l’argument d’autorité

pourra, par ailleurs, permettre de donner une seconde chance à des productions qui auraient

connu de mauvais résultats aux tests : « Le boss, il pourra dire : Oh, elle ne teste pas, on la

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

295

passe à la casserole. Et moi je répondrai : Oui mais tu vois, RTL vient de le rentrer, donnons

lui encore un peu de chance. »129

Il est ici intéressant de se pencher sur les critères utilisés pour sélectionner les modèles. Si la

fréquence de diffusion (en termes de nombre de radios et de rotations) vient donner du crédit

aux arguments des programmateurs, on pourra s’étonner de voir une radio musicale s’aligner

sur une radio généraliste qui consacre l’essentiel de ses programmes aux informations ou aux

divertissements telle que RTL. Afin d’éclaircir cet apparent paradoxe, on remarquera que les

dirigeants des radios musicales sont généralement plus âgés que leurs auditeurs. Les radios

qu’ils écoutent sont souvent des radios généralistes. Pour le programmateur devant se heurter

à une divergence artistique, les diffusions sur RTL ou France Inter sont donc susceptibles de

constituer un argument efficace. Le modèle n’est pas choisi en fonction de sa pertinence –

dans l’absolu – mais en fonction de son pouvoir de conviction auprès de la hiérarchie. Et ce

programmateur d’ironiser : « Le grand patron ? euh… à part Radio Classique et Bourse FM,

je ne crois pas qu’il écoute beaucoup la radio. En musique il a dû s’arrêter… aux Beatles. »

Les programmateurs sont ici guidés par la volonté des programmateurs de se prémunir des

conséquences négatives que pourrait avoir une remise en question de leur jugement personnel

par leur hiérarchie ou par leurs collègues. Cette raison renvoie clairement à une conception

instrumentale de la rationalité. Néanmoins, comme nous l’avons remarqué lorsque nous avons

analysé les pratiques assimilant l’imitation concurrentielle à une forme de parasitisme, nous

voyons que la rationalité instrumentale fait également intervenir des notions ancrées dans des

conceptions évaluatives de la rationalité. En effet, les programmateurs cherchent à utiliser des

modèles qui sont considérés comme légitimes dans leur entourage professionnel afin

d’apporter du crédit à leurs propres décisions. Si cette pratique de l’imitation traduit une

capacité à évaluer les conséquences d’une décision et à en tenir compte, elle n’est rendue

possible que par l’exercice d’une rationalité évaluative par autrui.

129 Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

296

Synthèse 23

L’imitation comme argument d’autorité

� S’ils décident le plus souvent seul des entrées en programmation musicale, les programmateurs peuvent être placés sous l’autorité d’un directeur des programmes ou d’un directeur général.

� Lorsqu’ils décrivent ce contrôle comme imprévisibles ou fondé sur des critères discutables, les programmateurs peuvent avoir tendance à imiter des modèles perçus comme légitimes dans leur entourage personnel afin de se prémunir des conséquences d’une décision malencontreuse.

� Le plus souvent, le modèle imité est le leader du secteur.

Le tableau 17 présente une vision d’ensemble des pratiques instrumentales d’imitation

concurrentielle qui viennent d’être présentées. Il met en évidence les propriétés et les

dimensions qui permettent de différencier chaque idéal-type. Les chiffres entre crochets

correspondent au nombre de décisions de programmation concernées.

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Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

298

2. LES PRATIQUES EVALUATIVES DE L’IMITATION

A l’opposé des pratiques instrumentales de l’imitation concurrentielle qui viennent d’être

présentées, on trouve chez les programmateurs un certain nombre de pratiques qui sont la

traduction d’une forme de rationalité évaluative. Les décisions des répondants ne sont alors

pas guidées par les conséquences attendues ou redoutées de leurs décisions de programmation

mais découlent de règles, de normes, de considérations identitaires ou liées à la notion de

légitimité. On remarquera que ces pratiques s’inscrivent, de façon quasi-systématique, dans

des démarches émergentes. L’imitation n’est pas préméditée : les programmateurs n’ont pas

décidé délibérément de mettre de côté un disque afin d’attendre les réactions des concurrents

et de bénéficier de retombées positives. Cinq pratiques évaluatives de l’imitation

concurrentielle ont été identifiées au cours de l’analyse.

Sur 68 décisions de programmation faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle, 33

ont été l’occasion d’identifier des pratiques évaluatives. Cinq idéaux-types ont été construits :

(1) imitation comme révélateur de tendance, (2) imitation comme moyen d’entrer dans la

norme, (3) imitation comme session de rattrapage, (4) imitation comme moyen de se rassurer

et (5) imitation comme révélateur de désir. Dans la même logique que le schéma 19 (qui était

consacré aux pratiques instrumentales), le schéma 20 est une représentation graphique d’une

matrice présentant la répartition des pratiques évaluatives par type de radios. Les chiffres

indiqués correspondent au nombre de décisions concernées.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

299

Schéma 20

Répartition des pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle (33 décisions)

Nombre de décisions codées (cases)

Réseaux nationaux Radios indépendantes

Les sections 2.1 à 2.5 permettent d’analyser chaque idéal-type à l’aide de verbatims tirés des

entretiens réalisés auprès des programmateurs. Chaque pratique d’imitation concurrentielle

fait l’objet d’un encadré de synthèse. En conclusion de la section 2, un tableau récapitulatif

(tableau 18) offre un aperçu des cinq pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle et met

en évidence les propriétés qui permettent de les différencier.

2.1. L’IMITATION COMME REVELATEUR DE TENDANCE

Les entretiens réalisés avec certains programmateurs dans des radios indépendantes font

apparaître des processus cognitifs proches des conventions de qualification définies par

Gomez (1994, 1996). Pour de nombreux répondants, l’utilisation de Yacast est quasi-

quotidienne. « On a vraiment nous… je… on utilise les Yacast “Pop-Rock”. Donc Top Music,

Europe 2, Ouï FM, Le Mouv’, RTL 2, etc. » précise ainsi le programmateur de cette station

indépendante thématique. La diffusion par autrui est alors interprétée comme un indicateur

permettant de déceler les tendances : « ça me permet de voir ce qui marche en ce moment…

plus ou moins ce que les gens veulent entendre. »

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

300

Le raisonnement des programmateurs déborde largement du titre observé. La diffusion par

autrui qualifie la mode. Au-delà de la chanson diffusée par les concurrents – sur laquelle se

focalise l’attention du programmateur – c’est une tendance plus générale qui est révélée.

Comme dans la logique conventionnelle, le nombre d’adopteurs vient appuyer l’effort

individuel de rationalisation. Plus un titre sera adopté par un grand nombre de radios, plus sa

position dans le classement Yacast sera élevée, et plus il sera considéré comme représentatif

d’une mode par le décideur.

« J’ai vu Green Day sur Yacast et je l’ai rentré. […] Donc c’est la mode du moment, il y a eu la mode “House”, il y a eu la mode “R’n’B”, là c’est la mode “Pop-Rock”… voilà. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante du Sud de la France

La diffusion par les autres radios permet au décideur d’interpréter son environnement. Cette

grille d’interprétation a également une fonction prospective : les diffusions par les radios

permettant au programmateur d’anticiper sur les modes à venir et donc, de réduire

l’incertitude perçue sur les évolutions des goûts du public.

« Je me suis dit : Voilà, ça commence à être programmé sur pas mal de radios. Là pour le coup, nous on est partis assez vite dessus aussi. Parce qu’on trouvait que c’était assez sympa, et puis le rythme… C’est aussi ça, c’est que, d’un été sur l’autre, il y a des vagues qui s’installent. Et ça ne trompe pas. Quand des radios commencent à vous envoyer des choses qui sont très “R’n’B”, ça ne trompe pas, on va avoir un été très “R’n’B”. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante de l’Ouest de la France

L’imitation s’inscrit ici dans un processus cognitif de rationalisation des répondants servant

de base à leurs décisions de programmation. La question de savoir si les consommateurs

adhéreront effectivement aux modes qui sont supposées s’installer demeure, quant à elle,

ouverte.

Synthèse 24

L’imitation comme révélateur de tendance

� Les programmateurs interprètent le fait que leurs concurrents diffusent un titre comme le révélateur d’une tendance plus générale.

� L’imitation permet de faire en sorte que la programmation musicale corresponde à « ce que les gens veulent entendre ».

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

301

2.2. L’IMITATION COMME UN MOYEN D’ENTRER DANS LA NORME

La diffusion massive par des concurrents peut également s’interpréter comme une forme

d’obligation par les programmateurs. Relevés Yacast à l’appui, ce directeur des programmes

dans une radio indépendante de l’Ouest de la France nous précise ainsi qu’« il est hors de

question de ne pas jouer Akon, de ne pas jouer Emmanuel Moire, de ne pas jouer Daniel

Powter, de ne pas jouer Paul Cless, de ne pas jouer Amel Bent. Par exemple ! Parce que c’est

le haut du top, parce que ce sont eux qui sont les plus programmés sur toutes les radios “Top

40”. Hors de question, je ne peux pas passer à côté ! » Si la référence à une tendance

générale (« le haut des classements » dans les propos des répondants) plutôt qu’à des

comportements individuels observés chez un concurrent particulier constitue un point

commun avec la pratique évaluative d’imitation concurrentielle que nous venons d’analyser

précédemment, nous pouvons constater que les diffusions réalisées par les concurrents ne

permettent pas au décideur d’interpréter l’évolution des modes et des tendances musicales.

Elles se cristallisent pour constituer une norme susceptible de conditionner ses décisions

d’entrée en programmation.

a) Une forte adhésion à « l’orthodoxie du Top 40 »

Comme nous le voyons dans l’extrait qui précède, ce sentiment d’obligation s’accompagne

souvent d’une forte adhésion à « l’orthodoxie professionnelle du Top 40 » qui amène les

programmateurs à diffuser un titre dès lors qu’il respecte les critères de sélection constituant

les « ingrédients » et à définir le « tube » de façon tautologique131.

« Le but du jeu et l’essence même d’un tube, c’est qu’on l’entende partout. Si vous commencez un titre en disant : “Ouais j’y crois moyen mais pour marquer ma différence en jouant ce titre là”. S’il n’est joué nulle part ça vous avance à quoi ? A un moment donné un tube c’est ça ! Vous l’entendez partout, bah oui c’est un tube ! C’est énorme, c’est un tube ! »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste

Même lorsqu’ils ont exprimé un fort sentiment d’obligation, les répondants interrogés n’ont

pas été capables de décrire les conséquences que pourraient avoir un non respect de cette

obligation. Les sanctions potentielles demeurent d’autant plus floues que l’audience d’une

radio est un indicateur global qui est difficilement imputable à une décision de

programmation donnée.

131 C’est un tube donc tout le monde le joue, tout le monde le joue donc c’est un tube.

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

302

« Tu es obligé de t’y intéresser ! O-bli-gé ! - PM : Sinon quoi ? - Comment ça sinon quoi ? - PM : Tu m’as dit que tu étais obligé de t’y intéresser, qu’est-ce qui se passerait sinon ? - Euh, sinon rien, j’en sais rien…c’est obligé c’est tout. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une station indépendante francilienne

b) Une norme respectée… malgré tout

Ce sentiment d’obligation est parfois mal vécu par les programmateurs, en particulier

lorsqu’il s’accompagne de fortes réserves artistiques à l’égard d’un titre. Dans l’extrait qui va

suivre, il est question du premier single de M Pokora, un artiste français révélé au public en

2004. Malgré une production de bonne facture, le jugement d’ensemble porté par ce directeur

de la programmation est sévère. Le jeune artiste sera donc lancé par une radio concurrente, le

réseau « Rap » et « R’n’B » Skyrock. Pour autant, plusieurs éléments viennent nuancer le rejet

initial. Si le jugement artistique demeure inchangé, la diffusion sur d’autres radios (« ça

tourne pas mal en radio »), la qualité du clip et les ventes de disques justifient chez ce

programmateur une diffusion a minima (« je le joue mais sans plus »). L’adoption par

d’autres stations devient ainsi un élément permettant de nuancer sa décision.

« Pffff… sans te mentir, j’y crois pas ! Voilà, je le joue parce que je sais que ça fait plaisir aux gamines. Mais […] le mec n’est pas à la hauteur pour chanter, le texte est bidon, l’écriture musicale n’est pas terrible. Je trouve ça pas fini pratiquement. […] C’est Skyrock qui a démarré. Ils trouvent ça fabuleux, génial, ils le tournent à 60 fois/semaine. Gardez-le, moi je ne vais pas me ruer dessus. Je le joue mais sans plus. 20 passages/semaine. […] C’est quand même 11ème du top 50, je peux difficilement faire l’impasse. »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national destiné aux jeunes

S’il est difficile d’établir – au vu des données collectées – un parallèle total entre cette

pratique et les conventions d’effort telles que définies par Gomez (1996), nous pouvons

néanmoins remarquer que le pouvoir de la norme se renforce à mesure que l’adoption par

autrui se généralise. Cette idée est également présente dans de nombreux travaux néo-

institutionnalistes tendant à considérer que lorsqu’une innovation se généralise, son adoption

devient quasi-obligatoire (Burt, 1987 ; Tolbert et Zucker, 1983). Elle apparait également sous

l’appellation « imitation fondée sur la fréquence » dans de nombreux travaux consacrés aux

formes d’imitation (Haunschild et Miner, 1997).

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

303

Conformément à une tradition conventionnaliste, les individus ne sont pourtant jamais

totalement contraints par la norme : il existe une variation permettant aux « adopteurs » de se

distinguer les uns par rapport aux autres. Ce « pouvoir de négociation » se traduit ici par la

possibilité laissée aux programmateurs de définir un taux de rotation plus ou moins élevé.

Pour se singulariser, certains programmateurs auront alors tendance à marquer leur

désapprobation en appliquant une politique de « service minimum » : « Moi je fais du 3

passages jour. Le service minimum en fait. Enfin, je suis vigilant parce que sur les Yacast…

Donc je me suis dit : Quand même, je vais faire de la place chez moi. Mais je ne vais pas en

faire des tonnes. »

Synthèse 25

L’imitation comme moyen d’entrer dans la norme

� La diffusion massive par les concurrents est à l’origine d’un sentiment d’obligation chez le programmateur.

� L’imitation devient alors un moyen d’entrer dans la norme. Certains répondants expliquent « ne pas pouvoir faire autrement ».

� Lorsque l’imitation s’accompagne de vives réserves artistiques, les programmateurs peuvent appliquer une politique du « service minimum » (code in vivo) en pratiquant des taux de rotation plus faibles que ceux appliqués par les concurrents.

2.3. L’IMITATION COMME SESSION DE RATTRAPAGE

Les programmateurs peuvent parfois s’enthousiasmer pour un morceau. C’est ce type de

réaction qu’illustre le verbatim suivant tiré d’un entretien réalisé avec le programmateur d’une

station du GIE « Les Indépendants » au format généraliste. Amené à évoquer le premier

single de la chanteuse Najoua Belyzel sorti en 2005 sous le label Scorpio Music, ce répondant

parle d’un « coup de cœur ».

« C’est mon coup de cœur ! Bon on l’a joué dès le départ, pratiquement. Il y a Gil de Scorpio qui m’appelle et qui me dit : « J’ai un truc pour toi ! Pour toi ! Pour ta radio ! » Il me dit ça comme ça. Alors j’écoute le titre, et déjà, je craque tout de suite dessus. Je me dis qu’il y a tous les ingrédients d’un tube. »

Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio indépendante du Ford de la France

La chanson « Gabriel » dont il est ici question sera massivement soutenue par cette radio

locale qui figurera parmi les premières stations à la diffuser. A l’inverse, lorsque les

répondants ont un jugement artistique très négatif sur une chanson, ils sont souvent moins

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

304

enclins à démarrer sa diffusion. La mise en diffusion d’un disque par une radio concurrente

peut alors faire office de « session de rattrapage » (l’expression, utilisée par un des

répondants, a donné lieu à la création d’un code in vivo). A la différence des deux pratiques

évaluatives évoquées précédemment (imitation comme révélateur de tendance et imitation

comme moyen d’entrer dans la norme), les décisions de programmation des concurrents ne

viennent pas mettre fin aux hésitations du programmateur en le renseignant sur les tendances

musicales à venir ou en lui prescrivant un comportement à reproduire. L’entrée en playlist par

les autres stations vient introduire un doute en remettant à l’ordre du jour une question qui

avait préalablement été tranchée par le répondant. Ce cas de figure apparaît de façon

récurrente dans les entretiens (il concerne 13 décisions de programmation), aussi bien chez les

programmateurs des réseaux nationaux (8 décisions) que les programmateurs des radios

indépendantes (5 décisions).

a) Une seconde chance

Si les décisions d’autrui sont souvent utilisées à un instant t pour rationaliser les décisions

individuelles (Gomez, 1996), elles peuvent également permettre de revisiter des choix déjà

effectués. En donnant une seconde chance à un titre qu’il avait préalablement écarté, le

programmateur intègre une variable issue de l’expérience dans sa décision initiale. Nous

retrouvons ici une définition proche de celle donnée par March (1991) pour définir le

processus de rationalisation a posteriori. Comme l’expliquent Romelaer et Lambert (2001),

les raisons des individus évoluent dans le temps et, en l’occurrence, grâce au concours

d’autrui. Le programmateur pourra alors réécouter un titre qu’il avait au préalable écarté au

motif d’une incompatibilité avec le format de sa station ou en raison de vives réserves

artistiques. Comme en témoignent les verbatims suivants, l’adoption par autrui amène le

programmateur à réexaminer son choix initial.

« Et bien on l’a reçu il y a un moment. Et là, je l’ai entendu sur une autre radio – puisqu’on écoute aussi beaucoup les autres radios, il faut écouter sa radio mais aussi les autres – et donc… Je me dis «p…, c’est pas mal”. Je réécouté après sur le Tite-live. Et là, je me dis que le refrain est tellement efficace que bon… »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante de l’Ouest de la France

C’est ici une deuxième écoute, plus attentive, qui est venue faire évoluer la position initiale du

programmateur. A l’instar du répondant cité dans l’extrait qui va suivre, directeur de la

programmation d’un réseau national thématique – certains programmateurs éprouvent le

besoin de faire intervenir de nouveaux éléments pour modifier leur choix initial.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

305

En l’occurrence, c’est l’utilisation d’un outil de recherche musicale qui permet de justifier une

entrée tardive en playlist.

« A la base, je croyais que ce n’était pas pour moi, pour moi. Par rapport à mon format qui était un peu plus “pop”. J’vais pas mentir, je crois que c’est Europe 2 qui l’a démarré donc moi, j’ai suivi. Mais sinon, moi je suis en démocratie, vraiment ! Soit je ne vois pas un titre arriver, soit je ne crois pas en un titre, et après je demande aux auditeurs. Quand ils veulent quelque chose, je leur donne ! »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musical d’un réseau national adulte

Ce sont souvent les attachés de presse qui vont valoriser auprès du programmateur les

arguments susceptibles de l’encourager à revenir sur un refus. « Je n’étais pas plus intéressé

que ça et puis le directeur promo m’a dit : C’est énorme, il faut y aller, il faut y aller »

raconte un programmateur qui est finalement revenu sur son choix de départ. « Quand j’ai vu

qu’en fait ça prenait – poursuit-il – je me suis dit : tu te ramasses. »

b) Un aveu d’échec qui s’accompagne de regrets

Pour décrire son rôle auprès des programmateurs, un attaché de presse utilise la métaphore de

la session de « repêchage » : « le travail de promo, ça peut aussi être de lancer la session de

repêchage quand les programmateurs ont refusé d’entrer nos titres. » Cette métaphore peut

s’interpréter de deux façons. (1) Dans l’esprit des développements qui précèdent, on peut

considérer qu’il s’agit d’une session de rattrapage permettant de donner une seconde chance à

des titres écartés par des programmateurs. (2) Une deuxième interprétation pourrait

néanmoins consister à décrire cette pratique d’imitation concurrentielle comme un moyen mis

à la disposition des programmateurs pour revenir sur leurs erreurs d’appréciation, de « se

repêcher » (et non pas de « repêcher un titre »). Les trois extraits qui suivent tendraient plutôt

à soutenir cette lecture.

« On a eu tort, on est c…, allez hop, on le joue ! »

Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national adulte

« Mais on peut ne pas… enfin, tout le monde… (il hésite). L’erreur est humaine hein… ça arrive. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national adulte

« Ma Philosophie, c’est pas __ qui l’a chargé. Ça je peux te le dire. Tu vois, j’veux dire Amel Bent, je n’aimais pas au départ… je m’y suis mis. C’est ça l’important ! »

Entretien réalisé avec le directeur général des programmes d’un réseau national jeune

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

306

Ce type d’aveu d’échec est parfois complété par des regrets, comme chez ce directeur des

programmes qui se souvient avoir écarté un morceau sur les conseils de son équipe : « C’est

c… parce que je me dis : Là pour le coup, je n’aurais pas dû céder, j’y croyais vraiment,

j’aurais dû y aller. »

c) La « voix de la raison »

Le sentiment d’échec sera d’autant plus prononcé que le décideur considérera, a posteriori,

que les raisons qui l’ont poussé à éliminer le titre en première instance étaient infondées.

L’imitation d’autrui s’apparente ici à une « voix de la raison » (la métaphore est filée par un

des répondants) permettant de rationaliser un changement d’avis. La raison sera alors d’autant

plus forte que le nombre de radios programmant le titre sera important.

« Franchement, moi ce titre là, je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas, je le trouve mièvre, je trouve qu’il n’y a pas grand-chose dedans. Maintenant, c’est un des titres les plus diffusés en ce moment en radio. C’est la preuve qu’on ne fait pas la programmation avec la musique qu’on aime mais avec la musique qui est censée générer le plus d’audience possible. Euh… donc, j’ai écouté la voix de la raison et j’ai joué Amel Bent. Je ne l’aime pas trop, mais je le joue fort… »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste

Nous retrouvons ici un mécanisme clairement identifié par les conventionnalistes et déjà

largement évoqué tendant à souligner la fonction rationalisatrice des décisions et des

comportements d’autrui. Les individus étant placés en situation d’incertitude, ils ne peuvent

agir de façon autonome (et rationnelle au sens de la théorie du choix rationnel).

Synthèse 26

L’imitation comme session de rattrapage

� Lorsqu’ils ont préalablement écarté un titre et qu’ils constatent que celui-ci est diffusé par un par plusieurs concurrents, les programmateurs peuvent remettre en question leur décision initiale et imiter leurs concurrents.

� L’adoption par autrui permet une rationalisation a posteriori de la décision initiale par le programmateur. La décision initiale est fréquemment décrite comme une erreur. Les répondants expriment souvent des regrets.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

307

2.4. L’IMITATION COMME UN MOYEN DE SE RASSURER

Un coup de cœur du programmateur pour un disque n’est pas forcément générateur de

certitudes. Ce dernier peut, en effet, craindre que son engouement ne soit pas partagé par les

auditeurs de sa station et redouter les conséquences d’un échec pour la survie de

l’organisation. Cette pratique de l’imitation est revenue régulièrement au cours de l’analyse.

Elle apparaît dans 10 des 66 décisions faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle.

a) Un accueil des auditeurs redouté

En 2003, un DJ italien inconnu du grand public, Benny Benassi, parvient à conquérir les

premières places des charts européens. Malgré une sonorité très dure, le titre Satisfaction est

un succès commercial qui déborde largement le public habituel de la « Dance Music » et

plonge les programmateurs dans des abîmes de perplexité. L’engouement populaire suscité

par Benny Benassi est d’autant plus étonnant que les classements sont, à l’époque, largement

dominés par le « Rock » et le « R’n’B ».

« Première réaction ? Très bon titre ! Maintenant vu la nature du son… c’est quand même pas très facile de prime abord quand on reçoit ça un beau matin. A dix heures du matin, quand on vient de se réveiller, écouter de la techno, ça fait tout drôle ! Et à la fois ça… ça réveille et ça évoque quelque chose. Ça évoque tout de suite quelque chose ! Maintenant on se dit « Oulala ! » On l’a repassé une deuxième fois, on a dit « Ouais les gens qui sont à deux heures du matin dans les clubs avec vingt kilos de son et trois gin-to dans la gueule… est-ce que ce sont les mêmes qui écoutent la radio le matin à sept heures et qui vont au boulot dans leur Twingo avec leur autoradio 2x5 watts ? »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national

Ce ne sont pas sur les qualités artistiques du titre que portent les hésitations du répondant mais

sur sa réception par l’auditoire de la station. Les programmateurs rencontrés lors de l’étude de

terrain ont, en effet, appris à se méfier de leur propre avis personnel qu’ils jugent parfois en

décalage avec les goûts du grand public : « J’ai écouté… parce que ça, c’est le genre de

morceau euh… efficace mais avec un petit côté branchouille tu vois ? Et quand c’est un petit

peu trop branchouille, des fois, ça ne prend pas. C’est compliqué hein mine de rien. Comme

je te disais tout à l’heure, des fois tu as un titre, tu te dis : Il est super ce titre mais… il est

trop classe, ça ne marchera pas ! »132

132 Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une station francilienne

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

308

La programmation du titre par les concurrents sera alors vécue comme apaisante. « Ça

apporte une sécurité » rappelle ce programmateur du Sud de la France. L’imitation sera

d’autant plus rassurante qu’elle ciblera un modèle déjà connu du programmateur.

b) Un « cocon familial » apaisant

Le modèle imité est nommé, et même incarné par un programmateur auquel le répondant a

pris l’habitude de se fier. Cet univers connu confère au décideur l’impression d’évoluer dans

un « cocon familial » (cette expression a donné lieu à la création d’un code in vivo, elle

reprend les propos d’un des répondants). Les liens sociaux qui préexistent entre le décideur et

d’autres acteurs du secteur jouent ici un rôle clé. « En regardant sur Yacast, et en regardant

une radio comme Ado par exemple, je me suis aperçu que c’était à fond chez eux – nous

raconte le directeur des programmes d’une des principales stations régionales de France à

propos du premier single d’un jeune artiste américain – Et je me suis dit : Bruno Witek133, il

est à bloc là-dessus, et je pense qu’il a tout compris, donc c’est très bien. »

L’idée d’un « cocon familial apaisant » est particulièrement saillante chez les programmateurs

des radios indépendantes. L’utilisation du pronom personnel « nous » pour désigner

l’ensemble des radios indépendantes est révélateur de l’identité sociale peut peuvent partager

ces acteurs. Ce « nous » traduit également l’existence de liens sociaux entre les

programmateurs. Les liens sociaux ont pu être noués à l’occasion de collaborations passées (le

« turn-over » est très important dans le secteur), lors de rencontres organisées par le GIE

« Les Indépendants » pour les programmateurs des radios locales et régionales, au comité de

direction de Médiamétrie ou lors d’évènements organisés par les maisons de disques. Au-delà

de la légitimité que peuvent incarner certains professionnels aux yeux des répondants, il

ressort des entretiens qu’une identité sociale partagée a pu se créer, notamment au sein des

radios indépendantes les plus puissantes. Comme l’explique ce directeur des programmes

d’une radio indépendante largement leader sur sa zone d’émission, les décisions de

programmateurs connus et perçus comme semblables à soi-même viennent lever les doutes et

les hésitations : « Il y a la fibre artistique des autres programmateurs qu’on peut connaître.

Et des fois, quand on est un peu hésitant sur un titre, c’est bien de se fier aux autres. »

133 Bruno Witek a longtemps occupé la fonction de directeur des programmes des radios du groupe Start (Vibration, Forum, Voltage, Ado…). Malgré nos sollicitations répétées, nous ne sommes pas parvenus à le rencontrer pour mener un entretien.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

309

c) Une source de reconnaissance

De façon symétrique, les modèles pourront appréhender les pratiques d’imitation de leurs

alter ego comme une forme de reconnaissance et non comme une concurrence déloyale.

« Sur ce coup là, j’ai été le premier. Quand je vois que mes potes me suivent, bah j’suis content. C’est clair que ça flatte un petit peu l’ego. “Aaah, j’suis content.” Après tu oublies vite. Après tu passes à autre chose. Tu sais, moi avant quand j’étais gamin, j’étais passionné de musique. J’écoute plus la musique comme avant. Maintenant, la musique, pour moi c’est… un moyen de faire de l’audience point barre. C’est comme un magasin de chaussures qui se dit « en ce moment les Fike, ça cartonne, j’ai des Fike dans mon rayon donc je cartonne »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio francilienne

Synthèse 27

L’imitation comme moyen de se rassurer

� En proie au doute, lorsqu’ils craignent une réaction négative des auditeurs, les programmateurs voient dans l’imitation un moyen de se rassurer.

� L’imitation est d’autant plus rassurante qu’elle se porte sur des modèles connus du décideur (cette pratique est particulièrement fréquente entre les programmateurs des radios indépendantes).

2.5. L’IMITATION COMME REVELATEUR DE DESIR

Une dernière pratique évaluative a été identifiée au cours de l’analyse des données (4

occurrences). L’imitation est alors plus ciblée et porte davantage sur un modèle particulier

que sur un groupe de concurrents ou sur une tendance générale.

a) Des « oreilles baladeuses »

Passionnés par leur métier, les programmateurs écoutent en général beaucoup la radio. Des

détails qui pourraient sembler insignifiants pour n’importe quel auditeur (construction des

horloges, décrochages pour diffuser des écrans de publicité locale, opérations

promotionnelles, etc.) sont systématiquement repérés et analysés : « Moi aujourd’hui, je peux

vous dire comment bouge la prog’ de mes concurrents parce que j’ai l’oreille baladeuse…

exercée je veux dire… enfin oui j’ai les oreilles baladeuses… et aujourd’hui, dès qu’il y a un

truc nouveau, je le repère – affirme ainsi le directeur d’antenne de cette station indépendante.

Je me dis : “Tiens, Alouette a changé des trucs.” FRJ, c’est pareil ! Parce que notre oreille

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

310

est exercée, parce qu’on est dedans et qu’on sait exactement les petites retouches qu’ils font.

L’habillage antenne quand ils le changent »134.

L’écoute des concurrents peut parfois amener le programmateur à découvrir de nouveaux

titres ou de nouveaux talents. Cette situation est illustrée par les verbatims suivants :

« Pour la petite histoire, je n’avais pas le disque. Là, je l’ai entendu, pour le coup sur FRJ. J’ai entendu ça un samedi après-midi et je me suis dis : “M… c’est quoi ce truc de malade ?” Et là, je cherche, je regarde sur l’album, le single rien, je vais sur Tite-Live, rien. Je rappelle la maison de disques : “C’est quoi ce truc là ? je ne l’ai pas ?” Bon, ils mettent du temps à identifier. En fait, c’était la deuxième plage d’un single qu’ils ne m’avaient pas envoyé. Ils m’avaient juste envoyé le single sans la deuxième plage. »

Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante

« J’ai écouté ça un jour sur une radio... locale… parisienne… J’ai entendu le premier single et je me suis dit : “Fiou, c’est une bombe atomique.” J’ai donc cherché à savoir qui l’avait en France parce que, là aussi, c’est une radio qui est assez “starter”… que j’écoute de temps à autres. Ils vont chercher des trucs dans le “billboard” aux Etats-Unis etc… ils téléchargent des trucs… »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national

Ces extraits font ressortir que les programmateurs n’ont pas forcément accès à toutes les

nouvelles productions. Malgré l’existence du système Tite-Live « Music Center » et les

envois physiques des attachés de presse, ces derniers peuvent parfois ne pas avoir eu accès à

une version figurant sur une face B de single (premier des deux verbatims). Nous pouvons par

ailleurs remarquer que certaines radios diffusent, en « import »135, des disques qui ne sont pas

encore sortis en France et qui n’ont pas encore été mis à la disposition de l’ensemble de la

profession. Il est, en outre, assez fréquent – compte tenu du volume de la production musicale

– que les programmateurs passent à côté de titres pour les découvrir, par la suite, en écoutant

leurs concurrents.

b) Une envie incontrôlable

On remarquera que l’écoute de nouveautés chez les concurrents déclenche souvent un

engouement très fort chez les répondants. « C’est un coup de cœur personnel » avoue ce

directeur de la programmation musicale lorsqu’il évoque le premier titre d’un groupe de hip-

hop américain qu’il a découvert chez un concurrent. « La première fois que j’ai entendu ce

134 Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio indépendante. 135 Le terme « imports » désigne des disques sortis à l’étranger et diffusés par certaines stations thématiques alors qu’ils ne sont pas sortis en France.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

311

morceau – se remémore se programmateur en radio indépendante - je me suis dit : ça, ça va

être un carton ! » Sans préjuger des qualités artistiques des morceaux et des artistes dont il est

ici question, on pourra se demander – en s’inspirant du modèle obstacle de Girard (1972,

1982) – si l’adoption préalable par un modèle est totalement étrangère au désir exprimé par

les répondants. Cette intuition est corroborée par la volonté d’appropriation extrêmement forte

qui ressort des extraits qui vont suivre, tous deux tirés d’un entretien réalisé avec le

programmateur d’une station « Pop-Rock » indépendante.

« Alors ça, pour nous… La première fois que je l’ai entendu c’était sur Europe 2 en nouveauté. Et je me suis dit : “ça il me le faut absolument.” C’est le truc que j’ai téléchargé rapide, que j’ai mis en prog. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante thématique

L’utilisation des termes « je le veux » et « il me le faut direct » dans ces deux verbatims

suivants traduit l’immédiateté qui peut caractériser la réaction d’un programmateur lorsqu’il

écoute ses concurrents (dans les deux cas, le réseau national Europe 2). On remarquera, par

ailleurs, le caractère non délibéré de ce type de pratique qui est également très présent dans

l’analyse de l’imitation réalisée par Girard. Notons, enfin que la réappropriation du disque par

le programmateur passe souvent par une diffusion massive à laquelle sont associés des taux de

rotation supérieurs à ceux pratiqués par le modèle.

Synthèse 28

L’imitation comme révélateur de désir

� Les programmateurs découvrent parfois des disques en écoutant leurs concurrents. Certains répondants ont alors évoqué un engouement particulier : l’adoption par le modèle révèle un désir.

� Leur enthousiasme peut alors s’accompagner d’une volonté d’appropriation que vient prolonger l’imitation.

Nous avons identifié et analysé les cinq idéaux-types qui correspondent, dans notre typologie,

aux pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle. Le tableau 18 vient synthétiser ces

éléments et présente une vue d’ensemble. Il met en évidence les propriétés et les dimensions

qui permettent de différencier chaque idéal-type. Les chiffres entre crochets correspondent au

nombre de décisions de programmation concernées.

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Deuxième partie : Méthodologie et résultats

313

3. PRATIQUES D’IMITATION : UNE CONCLUSION PROVISOIRE

La typologie des pratiques d’imitation concurrentielle qui vient d’être présentée s’articule

autour de neuf pratiques types. Les quatre premières pratiques sont ancrées dans une

conception instrumentale de la rationalité qui insiste sur les conséquences attendues par les

individus et sur leur sens du calcul. Les cinq autres pratiques en appellent davantage à des

conceptions évaluatives de la rationalité fondées sur la rationalisation, l’identité, les normes

de comportement et de décisions et le désir triangulaire.

Ces conceptions sont néanmoins poreuses. Certaines pratiques semblent en effet situées à la

croisée des deux modèles. En outre, les pratiques que nous avons identifiées renvoient à des

explications s’excluant mutuellement dans la littérature. Elles sont en réalité concomitantes.

Chaque programmateur est ainsi capable de mobiliser plusieurs pratiques d’imitation

concurrentielle, renvoyant à des raisons individuelles qui peuvent être assez éloignées les

unes des autres, afin de surmonter ses doutes et ses hésitations. Ces éléments feront l’objet

d’une discussion approfondie dans la prochaine section.

RESUME DU CHAPITRE 6

Le chapitre 6 s’intéresse aux variations qui peuvent exister entre les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales. Il a pour objectif d’identifier plusieurs pratiques type et de proposer une typologie. En cohérence avec la présentation de la littérature qui a été réalisée dans le cadre du chapitre 2, notre typologie s’articule autour de la dichotomie « pratiques instrumentales versus pratiques évaluatives ».

Les pratiques instrumentales de l’imitation sont guidées par la volonté des programmateurs de bénéficier des retombées positives qu’ils associent à l’imitation ou d’éliminer certains risques qui peuvent, soit concerner la radio dans laquelle ils officient, soit venir menacer leur propre situation professionnelle. Ces pratiques supposent que les décideurs soient en mesure d’anticiper les conséquences de leurs pratiques d’imitation concurrentielle. Elles procèdent souvent d’une volonté délibérée du programmateur de mettre de côté un titre pour attendre que celui-ci entre en programmation chez un ou plusieurs de ses concurrents.

Les pratiques évaluatives procèdent, quant à elles, d’une démarche plus émergente. En imitant ses concurrents, le programmateur pourra, par exemple, entrer dans une norme, se rassurer ou encore remettre en question des choix initiaux.

Neuf idéaux-types ont été identifiés et illustrés à l’aide de verbatims tirés des entretiens réalisés avec les programmateurs. Ces pratiques sont, dans la réalité, concomitantes. Elles sont l’expression de raisons individuelles diverses qui renvoient à des explications théoriques présentées, dans la littérature, comme mutuellement exclusives.

Les programmateurs peuvent ainsi appréhender l’imitation (1) comme un moyen de s’approprier des informations détenues par leurs concurrents, (2) comme un moyen de profiter du travail de développement réalisé par les concurrents, (3) comme un moyen de maintenir sa position concurrentielle ou (4) comme un moyen de se prémunir d’une remise en cause de leur jugement par leur entourage professionnel.

L’imitation concurrentielle peut en outre (5) jouer la fonction de révélateur de tendances musicales et acquérir une dimension prospective, (6) s’inscrire dans une volonté des programmateurs d’entrer dans la norme, (7) venir remettre en cause des décisions prises préalablement, (8) donner le sentiment au programmateur qu’il évolue dans un univers protégé ou (9) révéler un engouement particulier pour des disques programmés par une autre station.

Le caractère concomitant de ces pratiques d’imitation concurrentielle s’explique, à notre sens, par la variété des doutes et des hésitations que l’environnement incertain dans lequel évoluent les décideurs est susceptible de générer. Plus qu’une donnée externe liée à une variabilité particulière du contexte ou à un manque d’expérience de l’organisation, l’incertitude est ici une expérience ressentie à laquelle les pratiques d’imitation concurrentielle sont susceptibles de répondre.

316

Discussion

De l’imitation à la différenciation

« Quand je m’examine, je me fais peur.

Quand je me compare, je me rassure. »

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord

es deux chapitres de présentation des résultats qui précèdent ont permis de répondre aux

deux questions de recherche de notre travail.

Traitant de la relation entre le contexte dans lequel évoluent les programmateurs et leurs

pratiques d’imitation concurrentielle, le chapitre 5 s’est construit autour de la notion

d’incertitude. En nous éloignant de la conception décrivant l’incertitude comme un état

objectif de la nature, nous nous sommes focalisés sur les doutes et les hésitations des

individus. Parce que les goûts du public sont changeants, parce que les conséquences d’une

décision de programmation sur l’audience sont difficilement évaluables, l’incertitude se pose

comme une expérience quotidienne pour les programmateurs. Pour décider malgré tout, les

programmateurs pourront mobiliser une orthodoxie professionnelle (« l’orthodoxie du Top

40 ») qui leur permet de définir « les ingrédients d’un hit » mais ils devront alors choisir entre

des alternatives perçues comme équivalentes : devant l’abondance de la production musicale,

les normes véhiculées par l’orthodoxie professionnelle demeurent incomplètes. La situation

est particulièrement complexe lorsque les programmateurs doivent s’éloigner de leur

positionnement musical de prédilection afin de respecter leurs obligations en matière de

diffusions d’œuvres d’expression française. L’imitation devient alors une solution d’autant

plus fréquemment adoptée qu’elle est vivement encouragée par les attachés de presse

mandatés par les labels et facilitée par l’existence de Yacast, un service de veille des

diffusions musicales réalisées par les principales radios françaises.

Au-delà du contexte, nous avons cherché à explorer la diversité des pratiques d’imitation

concurrentielle. Une typologie a donc été proposée dans le chapitre 6. Aux pratiques guidées

L

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

317

par des raisons « instrumentales », nous avons opposé les pratiques « évaluatives ». Comme

nous l’avons vu, cette dichotomie dissimule cependant un ensemble de pratiques situées à la

croisée de ces deux modèles de rationalité.

A l’issue des deux chapitres de présentation des résultats, des pistes de discussion et de

comparaison par rapport à la littérature existante ont été annoncées. Nous allons maintenant

les développer (sections I et II). Nous nous intéresserons ensuite à la façon dont les pratiques

d’imitation concurrentielle contribuent à la fabrication de la stratégie des radios musicales. Ce

chapitre fera ainsi écho à la problématique générale de la thèse qui avait été formulée de la

façon suivante :

En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?

Nous allons voir que nos résultats permettent de porter un regard renouvelé sur la tension

imitation - différenciation traitée par Deephouse (1999) au travers de la notion « strategic

balance » et par Porac, Thomas et Baden-Fuller (1989) au travers de l’idée d’un « competitive

cusp ».

1. DISCUSSION DES RESULTATS DU CHAPITRE 5

Le chapitre 5 nous a permis de souligner le fait que le contexte incertain dans lequel évoluent

les programmateurs musicaux était à l’origine d’angoisses et de doutes. Les programmateurs

peuvent alors trouver dans l’imitation un moyen de sortir de ces situations difficiles pour

décider malgré tout. Ces résultats nous ont permis de répondre à une des questions de

recherche de la thèse.

De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement – le contexte, influent-ils sur les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation concurrentielle ?

Deux pistes de discussion seront ici proposées. La première traite de l’interaction entre

comportements imitatifs, normes professionnelles et contraintes réglementaires.

L’observation du secteur permet, nous semble-t-il, de venir compléter la vision néo-

institutionnelle traditionnelle qui appréhende les « pressions institutionnelles » comme

indépendantes et statiques.

La seconde piste de réflexion ouverte par les résultats proposés dans le chapitre 5 est liée à la

difficulté de définir l’incertitude. Le lien entre imitation et incertitude est largement traité

Discussion

318

dans la littérature existante (Cyert et March, 1963 ; March, 1981 ; March et Olsen, 1989).

Conçue par DiMaggio et Powell (1983) comme un élément de contexte à l’origine de

« pressions mimétiques », elle est définie par les théories de l’information en cascade

(Banerjee, 1992 ; Bikhchandani et Sharma, 2000 ; Bikhchandani et al., 1992 ; Bikhchandani

et al., 1998) comme une situation de manque d’information et appréhendée par la théorie des

conventions au travers de l’indécidabilité dans laquelle elle plonge les individus (Gomez,

1994, 1996, 1997 ; Gomez et Jones, 2000). La démarche que nous avons adoptée consiste à ne

pas appréhender l’incertitude comme un état objectif mais à nous intéresser aux expériences et

aux perceptions des programmateurs. Nous rejoignons ici une perspective défendue par

Milliken (1987) qui nous incitait à nous immerger dans les doutes et dans les hésitations des

managers.

1.1. DES PRESSIONS INSTITUTIONNELLES INTERDEPENDANTES

De tous les pans de l’édifice néo-institutionnel, le plus visible est probablement incarné par le

triptyque « pressions normatives », « pressions coercitives », « pressions mimétiques »

développé par DiMaggio et Powell (1983, 1991). C’est également un des plus critiqués. Parmi

les reproches fréquemment adressés à ces auteurs, nous reprendrons à notre compte une

critique consacrée à un problème de cohérence interne. L’idée de pression véhicule, en effet,

une vision relativement déterministe qui est difficilement compatible avec l’idée d’une

imitation guidée par une quête de légitimité des organisations faisant nécessairement

intervenir une intentionnalité (même si ces individus demeurent invisibles dans la

présentation initiale de la théorie).

Sans reprendre le qualificatif de pression, nous pouvons néanmoins remarquer que l’imitation,

les normes et les règles semblent effectivement participer au phénomène d’homogénéisation

des programmations musicales soulignée notamment par l’Observatoire de la Musique. Pour

autant, alors que le modèle néo-institutionnel initial décrivait des pressions agissant de

manière indépendante et statique (Desreumaux, 2004), l’étude du champ opérationnel des

radios musicales et des maisons de disques donne davantage l’impression d’une interaction et

d’une dynamique qui seraient de nature à influencer les décisions des programmateurs. La

législation relative aux quotas de chansons françaises frappe les normes professionnelles

véhiculées par l’orthodoxie du « Top 40 » d’incomplétude. C’est cette incomplétude qui a

pour effet de placer les acteurs en situation d’indécidabilité.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

319

Les programmateurs peuvent alors voir en l’imitation de leurs concurrents un moyen de

surmonter leurs doutes et leurs hésitations.

1.2. INCERTITUDE ET INFORMATION : UNE TENSION

Le rôle joué par les doutes et les hésitations des programmateurs dans le déclenchement des

pratiques d’imitation concurrentielle permet d’amorcer un deuxième axe de discussion lié,

cette fois, au concept d’incertitude. Souvent appréhendée comme un état objectif de la nature

ou comme la perception d’un contexte par des individus (Milliken, 1987) l’incertitude se pose

ici comme une expérience d’indécidabilité pour les programmateurs. Expérience dont ils ont

pu rendre compte, de façon nécessairement parcellaire, au cours des entretiens.

L’incertitude a parfois été conçue comme une situation de méconnaissance des paramètres de

l’action (causes, conséquences ou réponses à adopter) à laquelle pourrait remédier l’arrivée

d’informations supplémentaires. Elle a alors été réduite à une variable, liée au caractère

changeant de l’environnement (e.g. Geletkanycz et Hambrick, 1997 ; Haunschild et Miner,

1997 ; Podolny, 1994) ou au manque d’expérience de l’organisation dans un domaine donné

(e.g. Henisz et Delios, 2001). L’imitation réciproque, en véhiculant des normes de décision et

de comportement ferait alors office de système d’information et permettrait de sortir des

situations d’incertitude.

Au vu de nos résultats, il incontestable que l’incertitude qui entoure les décisions de

programmation constitue un préalable nécessaire à l’émergence de comportements imitatifs

qui trouvent leur traduction concrète dans les pratiques d’imitation concurrentielle. Pour

autant, l’accès aux informations relatives aux décisions de programmation réalisées par les

concurrents que permet l’introduction du dispositif Yacast se pose également comme un

élément facilitant l’imitation dans le secteur observé. L’imitation concurrentielle apparait

donc comme un phénomène dual résultant à la fois d’un manque d’information (lorsque celle-

ci porte sur les paramètres de la décision) et d’un accès à l’information (lorsque celle-ci porte

sur les décisions d’autrui).

2. DISCUSSION DES RESULTATS DU CHAPITRE 6

Ces éléments ont permis d’introduire la typologie des pratiques d’imitation concurrentielle

présentée dans le chapitre 6. Neufs pratiques ont été identifiées. Quatre d’entre elles ont été

reliées à des conceptions instrumentales de la rationalité humaine. Les cinq autres s’inscrivent

Discussion

320

dans des conceptions évaluatives. Les pratiques que nous avons identifiées renvoient à des

explications s’excluant mutuellement dans la littérature. L’analyse de nos données montre, à

l’inverse, qu’elles sont concomitantes. Chaque programmateur est ainsi capable de mobiliser

plusieurs pratiques d’imitation concurrentielle, renvoyant à des raisons individuelles qui

peuvent être assez éloignées les unes des autres, afin de surmonter ses doutes et ses

hésitations.

2.1. DES RATIONALITES POREUSES

Ces modèles de rationalité semblent néanmoins relativement poreux. La pratique

instrumentale consistant pour les programmateurs à appréhender l’imitation comme une

forme de parasitisme qui permet de profiter du travail de développement réalisé par autrui

implique une certaine répartition des rôles entre les concurrents. Pour assigner les rôles de

suiveurs et de « starter », les programmateurs se justifient fréquemment en invoquant des

motifs liés à la notion de légitimité, un concept profondément ancré dans une conception

évaluative de la rationalité.

De même, la pratique – toute aussi instrumentale – consistant à utiliser l’imitation comme un

argument d’autorité permet certes aux programmateurs d’éviter d’avoir à subir les

conséquences malencontreuses qui pourraient découler d’une erreur de programmation, mais

elle n’est rendue possible que par l’existence de modèles jugés suffisamment légitimes dans

l’entourage professionnel des décideurs.

Enfin, l’étude de la pratique évaluative permettant aux programmateurs d’entrer dans la

norme laisse supposer que ces derniers anticipent des sanctions potentielles en cas de non-

respect de la norme même s’ils ne sont pas capables de les définir précisément. Cette pratique

évaluative fait donc intervenir une part d’instrumentalisation chez les décideurs.

Dans ces pratiques d’imitation concurrentielle, un des modèles de rationalité semble dominer

(rationalité instrumentale pour l’imitation comme parasitisme et comme argument d’autorité,

rationalité évaluative pour l’imitation comme moyen d’entrer dans la norme). Ces exemples

permettent néanmoins de souligner les limites de l’opposition stricte entre rationalité

instrumentale et rationalité évaluative autour de laquelle nous avons construit ce travail. Si

cette dichotomie est utile pour présenter des idéaux-types – qui, par définition, amènent le

chercheur à forcer le trait – elle dissimule une réalité plus subtile dans laquelle les conceptions

instrumentales et les conceptions alternatives semblent correspondre à des cas extrêmes situés

sur un même continuum.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

321

2.2. DES PRATIQUES CONCOMITANTES

Les neuf pratiques de l’imitation concurrentielle de la typologie coexistent chez les

programmateurs. A l’exception de la pratique consistant à appréhender l’imitation comme

session de rattrapage qui a émergé du terrain, les différentes raisons individuelles sur

lesquelles se fondent les pratiques de la typologie convergent vers des explications théoriques

présentées dans la première partie de la thèse.

Tableau 19

Ancrage théorique des pratiques identifiées dans la typologie

Pratique de l’imitation concurrentielle Ancrage théorique

Imitation comme source d’information

(instrumentale)

L’imitation est un moyen d’accéder aux informations détenues par les concurrents (théories de l’information en cascade).

Imitation comme forme de parasitisme

(instrumentale)

L’imitation est un moyen de profiter du travail de développement réalisé par les concurrents (approches fondées sur l’avantage des entrants tardifs).

Imitation comme moyen de maintenir la parité

concurrentielle (instrumentale)

L’imitation est une stratégie défensive permettant de se prémunir d’un éventuel désavantage concurrentiel (approche classique portérienne et travaux consacrés aux actions et réactions concurrentielles).

Imitation comme argument d’autorité

(instrumentale)

L’alignement sur les décisions de modèles considérés comme légitimes dans leur entourage permet aux imitateurs de se prémunir des conséquences malencontreuses que pourrait avoir une erreur personnelle sur leur propre carrière (modèles d’agence de l’imitation : « sharing the blame effect »).

Imitation comme révélateur de tendances

(évaluative)

Les décideurs interprètent les décisions de leurs concurrents comme un indicateur des modes actuelles et à venir. La tendance est perçue comme d’autant plus forte qu’elle sera corroborée par un grand nombre d’observations (par certains aspects : convention de qualification).

Imitation comme moyen d’entrer dans la norme

(évaluative)

Lorsqu’elles convergent, les décisions des concurrents se cristallisent pour constituer une norme qui s’impose progressivement aux stratèges (théorie néo-institutionnelle, imitation fondée sur la fréquence).

Les individus conservent néanmoins un pouvoir de négociation dans leur degré d’adhésion à la norme (théorie des conventions, conventions d’effort).

Imitation comme session de rattrapage

(évaluative)

Les décisions d’autrui amènent le programmateur à réexaminer son choix initial et, éventuellement, à l’invalider par l’imitation des concurrents.

Imitation comme moyen de se rassurer

(évaluative)

L’imitation de décideurs perçus comme « semblables » est rassurante pour les individus qui y voient un moyen d’affirmer leur identité sociale (par certains aspects : théories de l’identité sociale et groupes stratégiques cognitifs).

Imitation comme révélateur de désir

(évaluative)

L’adoption par autrui révèle un désir triangulaire (modèle-objet-sujet) chez le décideur (théorie mimétique de Girard).

Discussion

322

Le tableau qui précède reprend les neuf idéaux-types des la typologie et les articule avec les

approches théoriques présentées en première partie de la thèse. La quasi-totalité des

explications proposées par les courants théoriques présentés dans la revue de la littérature se

retrouvent dans une ou dans plusieurs pratiques d’imitation concurrentielle. Plus qu’une

validation des théories existantes, il faut voir dans ce résultat la conséquence de la démarche

abductive sur laquelle se fonde cette recherche et qui a conduit à compléter la revue de la

littérature à chaque fois que l’analyse faisait apparaître un élément nouveau.

L’exception la plus notable concerne l’explication fondée sur la légitimité, notion centrale

chez les auteurs du courant néo-institutionnaliste. La légitimité attribuée à une organisation

par les autres membres du champ organisationnel n’intervient – dans notre étude empirique –

que de façon secondaire pour appuyer des pratiques instrumentales consistant, pour les

programmateurs radio, à profiter du travail de développement des autres concurrents ou à

utiliser leurs décisions comme un argument d’autorité. De façon plus générale, les résultats de

la recherche suggèrent que les raisons individuelles avancées par les différents courants

théoriques – loin d’être mutuellement exclusives – sont en réalité complémentaires et

coexistent dans les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios

musicales.

Dès lors, comment expliquer que les décideurs s’orientent vers telle ou telle pratique

d’imitation concurrentielle ? Pour chaque situation, existerait-t-il une pratique d’imitation

concurrentielle qui serait plus adaptée que les autres ? S’il nous semble difficile de répondre à

ces questions, au vu des éléments empiriques qui sont en notre possession et de l’état actuel

des travaux consacrés à l’imitation concurrentielle, nous pouvons néanmoins apporter au

lecteur quelques pistes de réflexion qui pourront trouver leur prolongement dans des travaux

ultérieurs.

a) Des répertoires de pratiques assez larges

Au cours des entretiens, chaque répondant a en moyenne évoqué deux pratiques différentes

d’imitation concurrentielle. Le tableau qui suit présente le nombre moyen de pratiques

différentes évoquées par les décideurs en fonction du type de radio dans laquelle ils officient.

La différence entre le nombre moyen de pratiques différentes chez les programmateurs des

deux types de radio s’explique par le fait que les cas d’imitation concurrentielle sont plus

nombreux chez les indépendants que chez les programmateurs des réseaux nationaux.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

323

Tableau 20

Nombre moyen de pratiques d’imitation concurrentielle par décideur

Radios indépendantes Réseaux nationaux

>ombre moyen

de pratiques / décideur

2,4 1,6

Minimum 0 1

Maximum 6 3

Les données indiquent par ailleurs que les pratiques d’imitation concurrentielles d’un même

décideur peuvent être situées dans un registre instrumental et évaluatif. Nous pouvons ainsi

remarquer que lorsqu’ils ont évoqué l’imitation concurrentielle à plus d’une reprise, les

répondants ont évoqué des pratiques situées dans les deux types de rationalité. L’ancrage dans

un modèle de rationalité ne dépendrait donc pas de caractéristiques individuelles.

b) Des sources d’hésitations et de doutes différentes

Notre analyse fait ressortir que la plupart des pratiques d’imitation concurrentielle identifiées

dans la typologie trouvent leur origine dans les doutes et dans les hésitations des décideurs

(qui découlent eux-mêmes du contexte incertain dans lequel ils évoluent). En reprenant l’idée,

avancée notamment par Miles, Snow et Pfeffer (1974), que les managers réagissent – à travers

leurs actions et leurs décisions – à la façon dont ils perçoivent et interprètent leur

environnement, on pourra trouver dans la variété des pratiques d’imitation concurrentielle

recensées sur le terrain une conséquence de la diversité des doutes et des hésitations qu’est

susceptible de générer l’environnement dans lequel évoluent les programmateurs des radios

musicales.

Parmi les éléments à l’origine de pratiques instrumentales de l’imitation, nous avons souvent

retrouvé le sentiment de ne pas avoir accès aux informations pertinentes, l’impression de

manquer de moyens financiers ou de l’expertise nécessaire à une prise de décision, la crainte

de voir remise en cause la position concurrentielle de l’entreprise ou encore l’angoisse de

devoir assumer les conséquences négatives d’une décision malencontreuse

Les réserves artistiques ou les craintes liées aux réactions des auditeurs sont, quant à elles,

associées à des pratiques évaluatives de l’imitation concurrentielle.

Discussion

324

Compte tenu des spécificités du terrain observé, ce volet particulier des résultats de la

recherche semble difficilement généralisable à une réflexion plus large consacrée aux liens

entre les différents types d’incertitude perçue (Milliken, 1987) et les différentes pratiques

d’imitation concurrentielles. Ces résultats nous incitent, néanmoins, à élargir les définitions de

l’incertitude jusqu’ici retenues dans les travaux consacrés à l’imitation concurrentielle.

En appréhendant l’incertitude comme un état objectif qui serait indépendant des perceptions

individuelles et en la réduisant à un nombre très limité de variables, la littérature existante

semble difficilement en mesure d’intégrer la complexité des phénomènes d’imitation

concurrentielle ; complexité dont nous avons essayé de rendre compte dans cette recherche.

3. DISCUSSION TRANSVERSALE

Au-delà de leurs différences, ces pratiques présentent une caractéristique commune : elles

découlent des hésitations ou des doutes des décideurs. Cette section sera l’occasion de

discuter de la façon dont elles contribuent à la stratégie de chaque radio musicale.

a) Un point de départ

Les doutes et les hésitations des programmateurs constituent des éléments déclencheurs pour

les pratiques d’imitation concurrentielle. Si les programmateurs s’imitent les uns les autres,

c’est parce qu’ils doutent de leur capacité à prendre une décision éclairée (parce qu’ils n’ont

pas accès aux tests, ou que les alternatives trop nombreuses), qu’ils ont des réserves vis-à-vis

des productions qui leur sont soumises (réserves artistiques, avis divergents dans l’équipe,

éloignement de la chanson par rapport au format), qu’ils doivent respecter un ensemble de

contraintes (places en playlist, quotas) ou qu’ils redoutent les conséquences que pourraient

avoir une mauvaise décision (en termes de survie de la radio, de perte de légitimité, de baisse

d’audience, ou d’évolution de leur propre situation professionnelle).

En permettant au programmateur d’accéder à des informations qui lui échappaient, de profiter

du travail de développement réalisé par autrui, de maintenir une certaine parité

concurrentielle, de se justifier auprès de sa hiérarchie, de révéler une tendance musicale,

d’entrer dans une norme ou encore de réexaminer une décision préalable, l’imitation vient

lever ces doutes et ces hésitations. Comme le montre le verbatim suivant, les décisions des

concurrents sont perçues par les décideurs comme autant d’éléments permettant de sécuriser

leur propre programmation musicale.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

325

« Bah je dirais que c’est une source sûre, sur le Yacast général, pour les dix premiers. C’est comme pour les dix premiers du top 50. Quand c’est dans les dix premiers du Yacast, ya pas de souci à se faire. »

Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante généraliste

b) Une confiance retrouvée

Livrés à leurs doutes, de nombreux répondants ont décrit l’imitation et le service Yacast

comme une source de réconfort. « Yacast, je l’utilise quand je fais ma playlist principalement.

Ça me réconforte. Je regarde la tendance de fond » livre ainsi ce directeur des programmes

dans une radio indépendante. Ce répondant est rejoint par d’autres professionnels :

« Yacast, ça t’aide, quand tu pars sur un truc tout seul tu te dis “bon…” C’est bien de regarder quand même. »

Entretien réalisé auprès du directeur d’antenne du radio indépendante

« Des fois, quand on est un peu hésitant sur un titre, c’est bien de se fier aux autres. C’est vraiment lorsqu’on a des interrogations ou des doutes. On peut avoir des doutes, des inquiétudes… donc voilà. Des inquiétudes, je n’en ai pas énormément. Mais euh… des doutes oui, c’est normal… »

Entretien réalisé auprès du directeur des programmes du radio indépendante

Après avoir reçu une communication AIMS dérivée de la présente recherche, un

programmateur qui avait été préalablement rencontré dans le cadre d’un entretien a regretté

qu’il ne soit pas fait mention, dans nos premiers résultats, des particularités de chaque station

musicale : « Il manque juste cette petite pointe de particularité propre à chaque station de

manière proportionnelle aux convictions de chacun. »

Ce directeur des programmes a ensuite précisé sa pensée lors d’une conversation informelle,

évoquant la mise en confiance que pouvait représenter le conformisme. Des analyses plus

poussées du corpus et des entretiens complémentaires ont alors fait ressortir que lorsqu’ils se

sentaient en confiance, les programmateurs pouvaient avoir tendance à se singulariser en

sélectionnant des chansons totalement inconnues. L’imitation permettrait donc aux décideurs

de se forger des convictions, d’établir des certitudes. Elle ferait office de filet de sécurité

transposable à d’autres décisions.

Plusieurs répondants ont cherché à établir un lien entre leurs pratiques d’imitation et leur

capacité à « partir seuls sur un titre ». Le directeur des programmes de cette radio généraliste

de l’Ouest de la France défend ainsi le conformisme avec conviction : « De toutes façons, on

va toujours tourner dans le microcosme de toutes ces radios là et de voir un petit peu ce

Discussion

326

qu’elles jouent pour que nous aussi, on soit un petit peu pareil là-dessus. Quel intérêt de

jouer un titre inconnu au bataillon ? »

Et le répondant de poursuivre en insistant sur sa capacité à se distinguer : « Mais je

reviendrais là-dessus tout à l’heure parce qu’on l’a fait ! Joué un titre inconnu, partir tout

seuls, on l’a déjà fait…c’était une belle aventure… »

Comme le montre l’extrait suivant, l’imitation constitue alors un préalable à la

différenciation :

« Faire un peu comme tout le monde bon… c’est vrai que d’un côté c’est rassurant mais en même temps, ça ne m’excite pas plus que ça. Alors quand on a tout sécurisé, c’est plus facile de sortir du cadre, d’essayer de faire découvrir des choses à nos auditeurs. »

Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau thématique

Les programmateurs semblent ici placés au cœur d’une tension entre imitation et

différenciation. Les deux démarches peuvent, dès lors, être représentées comme les deux

positions extrêmes d’un même pendule qui trouverait son origine dans les doutes et les

hésitations des décideurs (schéma 21). Imitation et différentiation seraient donc deux attitudes

complémentaires qui découleraient d’une même situation de prise de décision dans des

conditions d’incertitude.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

327

Schéma 21

Une tension entre imitation et différenciation

4. RETOUR A LA LITTERATURE

La tension entre imitation et différenciation qui vient d’être identifiée chez les

programmateurs n’est pas sans conséquences sur le positionnement stratégique des radios

musicales. Ce positionnement peut alors être conçu comme le produit des doutes et des

hésitations, mais aussi des certitudes et des convictions des programmateurs.

Cette idée tend incontestablement à surévaluer la part de stratégie émergente dans la

fabrication du positionnement concurrentiel (format) des radios musicales. Elle permet

néanmoins de porter un regard renouvelé sur des options stratégiques (se conformer ou se

différencier) fréquemment décrites comme antagonistes dans la littérature stratégique. On

trouvera néanmoins dans deux travaux pionniers (Deephouse, 1999 ; Porac et al., 1989) des

exceptions notables à la pensée dominante. Cette section de retour à la littérature permettra de

comparer notre conception de la tension imitation – différenciation à celle de ces auteurs.

Dans l’étude empirique qu’ils consacrent au secteur écossais du tricot, Porac, Thomas et

Baden-Fuller (1989) constatent, parmi d’autres résultats, l’existence de pressions

contradictoires dans les représentations des dirigeants. Ces derniers font en effet état de

pressions les conduisant à imiter les organisations qui réussissent dans leur environnement

concurrentiel, mais considèrent qu’il est important de se différencier en vue d’occuper un

positionnement stratégique créateur de valeur. Pour résoudre ce dilemme, les producteurs de

Doutes, hésitations

Confiance en soi

Imiter ses concurrents

Se différencier de ses concurrents

Discussion

328

tricot mobilisent l’orthodoxie professionnelle de leur secteur (achat à des fournisseurs locaux,

cible à hauts revenus, production par petit lots, etc.) en même temps qu’ils cherchent à se

différencier en apportant, par exemple, quelques variations aux motifs traditionnels écossais.

Notons ici que les comportements imitatifs et les comportements de différenciation portent

sur des dimensions différentes de l’activité.

L’approche de Deephouse (1999) est quelque peu différente : l’auteur se détache, en effet, des

perceptions des dirigeants pour s’intéresser exclusivement à la réalité des stratégies mises en

œuvre par les banques de la région de Minneapolis (Etats-Unis) et à leurs conséquences en

termes de performance des organisations. Pour Deephouse, les banques qui réussissent le

mieux sont celles qui sont situées dans une position intermédiaire : partiellement différenciées

et partiellement identiques. L’explication proposée par cet auteur renvoie à des idées bien

établies issues de l’analyse portérienne et de la sociologie néo-institutionnelle.

En se différenciant, les banques peuvent occuper une position unique et diminuer l’intensité

concurrentielle à laquelle elles doivent faire face. En imitant leurs concurrents, elles peuvent

gagner en légitimité, ce qui leur donne accès à des ressources stratégiques (notamment

financières). Pour réaliser son étude, l’auteur a construit un indicateur global mesurant un

degré de conformité stratégique qui intègre onze variables propres au secteur étudié. Il est

donc impossible de savoir exactement sur quelles dimensions les banques cherchent à

ressembler à leurs concurrents et sur quelles dimensions elles cherchent à s’en distinguer.

Le tableau qui va suivre permet de comparer ces deux travaux dans leur conception de la

dialectique imitation – différenciation.

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

329

Tableau 21

Deux conceptions de la dialectique imitation – différenciation

Porac, Thomas et Baden-Fuller Deephouse

Concept clé « Competitive cusp » « Strategic balance »

Stratégie appréhendée

au travers…

Des représentations des dirigeants De la performance des entreprises

Secteur étudié Producteurs écossais de tricot Banques de la région de Minneapolis

Enseignement

principal

Les producteurs imitent leurs concurrents sur certaines dimensions de leur stratégie et se différencient sur d’autres.

Les banques qui réussissent sont celles qui, globalement, ne déviant que partiellement des standards de leur environnement concurrentiel.

Théories mobilisées Groupes stratégiques cognitifs (pour le cadre général de la recherche) + Analyse stratégique orthodoxe (Porter) et Sociologie néo-institutionnelle (pour la tension imitation – différenciation).

Analyse Stratégique orthodoxe (Porter, Barney) et Sociologie néo-institutionnelle.

Aports Accès aux perceptions des dirigeants.

Stratégie appréhendée sur plusieurs dimensions qui sont étudiées séparément.

Etude des implications sur la performance de l’entreprise.

Vision nuancée par rapport aux approches normative qui stigmatisaient les stratégie d’imitation.

Limites Dimension exclusivement perceptuelle.

Etude d’un seul secteur d’activité, question de la généralisation possible des résultats laissée ouverte.

Utilisation d’un indicateur global qui empêche de saisir les nuances dans la stratégie des entreprises étudiées.

Etude d’un seul secteur d’activité, question de la généralisation possible des résultats laissée ouverte.

En nous intéressant aux pratiques d’imitation concurrentielle et aux décisions quotidiennes

qui contribuent à la stratégie nous avons adopté une démarche qui diffère, à la fois de celle de

Porac et ses collègues (1989) et de celle de Deephouse (1999).

De notre étude, qui porte sur les radios musicales françaises, nous pouvons tirer

l’enseignement suivant : l’imitation peut constituer un préalable à la différenciation ; les

programmateurs ont d’autant plus tendance à se singulariser sur certaines décisions qu’ils ont

auparavant imité leurs concurrents (nous n’étudions ici qu’une seule dimension de la

stratégie : les décisions de programmation musicale).

Discussion

330

Loin de se contredire, ces enseignements se complètent. En adoptant trois perspectives

différentes (stratégie appréhendée au travers des représentations, stratégie appréhendée au

travers de ses résultats en termes de performance, stratégie appréhendée aux travers des

pratiques et des décisions quotidiennes), des résultats complémentaires ont été proposés.

Chacun à sa manière, ces résultats soulignent l’existence d’une tension entre imitation et

différenciation et y apportent des éléments d’explication.

Schéma 22

Vers une meilleure compréhension de la tension imitation – différenciation

Comme nous allons le voir dans la conclusion générale qui va suivre, la tension « imitation –

différenciation » que nous avons identifiée constitue une piste de recherche stimulante pour

des travaux futurs.

Deehouse (1999)

Imitation appréhendée au regard de ses conséquences sur la performance des organisations

Imitation appréhendée au

travers des pratiques des

acteurs stratégiques

Porac, Thomas et Baden-Fuller (1989)

Imitation appréhendée au travers des perceptions

des dirigeants

332

Conclusion générale

ls s’appellent Deezer, Spotify, MusicMe, WormMe ou Jiwa. Ces services Internet ont la

particularité de proposer l’écoute de musique à la demande sur Internet et sur téléphones

mobiles. Les modèles économiques sont encore tâtonnants (abonnement mensuel ou

financement par la publicité entre les chansons), l’accès aux catalogues est encore loin d’être

total… mais l’essentiel est ailleurs. En proposant un accès illimité et immédiat à la musique,

ces services Internet rendent la mécanique rigide des radios « Top 40 » bien contraignante

pour les consommateurs. Les radios musicales fonctionnaient selon les principes de

segmentation des audiences, de répétitivité des programmes et de sélection des chansons.

Place à l’individualisation des contenus, à la diversité des programmes et à l’abondance de

l’offre. Les règles du jeu ont changé. Les consommateurs n’entendent plus déléguer aux

programmateurs le pouvoir de choisir à leur place ce qu’ils vont écouter. Désormais, la radio

n’est plus un passage obligé pour accéder à un vaste choix musical (le schéma 23 synthétise

l’évolution des pratiques d’écoute de la musique)136.

La fin des radios musicales ? C’est le scénario défendu par la banque HSBC qui, dans une

note consacrée au secteur de la radio publiée le 12 décembre 2007137 estimait que « le modèle

d'entreprise de radio entièrement consacrée à la musique [était] en bout de course. » Moins

menacées « par la fragmentation due au numérique », les stations généralistes seraient les

seules à pouvoir tirer profit de cette évolution profonde des habitudes d’écoute en proposant

des contenus originaux. Un scénario catastrophe que certains professionnels du secteur ont

tenté d’enrayer. Pour Roberto Ciurléo, ancien général directeur des programmes de NRJ, c’est

dans la personnalisation des contenus que réside le futur de la radio. L’idée trouve sa

traduction concrète dans la création de Goom Radio en 2008, un bouquet de radios en ligne

laissant la possibilité aux internautes de créer leurs propres « Goom radios ».

136 La révolution est bien loin de s’arrêter à la musique et à la radio. Des services tels que Hulu, ou Netflix, des dispositifs comme la catch-up TV ou le vidéo-partage permettent désormais aux consommateurs d’accéder aux films et aux programmes sans être contraints par les grilles rigides des chaînes de télévision. On renverra le lecteurs aux articles « Netflix inside » par Daniel Roth (2009) et « The good enough revolution » par Robert Capps (2009) publiés dans le mensuel américain Wired. 137 Source : RadioActu, « HSBC - Des doutes sur l'avenir des stations musicales » par Eléa Vidal, 13/12/2007.

I

Stratégie et imitation concurrentielle

333

Schéma 23

La fin des radios musicales ?

Nouvel entrant dans le secteur, l’animateur et producteur de télévision Arthur, semble

partager cette idée. Le nouveau propriétaire de la radio parisienne Ouï FM entend donner les

clés de la programmation musicale aux auditeurs. Ces derniers peuvent désormais

programmer certaines tranches musicales par l’intermédiaire du site Internet Deezer. A terme,

le dirigeant envisage de généraliser le dispositif à l’ensemble de la journée. Une initiative

largement saluée par les professionnels de la communication138 mais dont l’impact sur les

audiences de la station reste encore à confirmer.

La fin des programmateurs ? Pas si sûr. Les nouvelles habitudes d’écoute de la musique

appellent néanmoins à une redéfinition profonde de leur rôle. Certains programmateurs

rencontrés dans le cadre de la recherche l’ont d’ailleurs bien compris : « Je pense qu’on arrive

dans une génération maintenant qui va aller beaucoup plus vite. Ceux qui aujourd’hui ont

entre 12 et 15 ans, qui vont commencer à être sondés par Médiamétrie, ils vont insuffler une

nouvelle donne. Eux vont vouloir consommer la musique beaucoup plus vite. Et au-delà de

ça, je dirais qu’il y a un autre élément, c’est que… comme les radios euh… aujourd’hui

138 Source : RadioActu, « Ouï FM – Prix de la meilleure initiative de diversification » par Magali Louvard, publié le 17/06/2009.

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Production musicale

Consommateurs

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Radio Musicale Programmateur Consommateur

� Prescripteurs

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Modèle de la radio musicale Nouvelles habitudes d’écoute de la musique

Conclusion générale

334

subissent de plein fouet la concurrence des Ipods et tout ça, si elles veulent rester

compétitives par rapport à ça, elles ne vont plus pouvoir traîner les disques pendant huit

mois. Va falloir que justement ce soit elles qui fassent découvrir la musique pour qu’après les

gens la téléchargent et l’écoutent sur leurs Ipods… pour que les gens aient encore envie, pour

qu’ils aient encore l’élément déclenchant qui leur fasse écouter la radio. Donc je pense que…

qu’on va commencer à entendre de plus en plus de nouveautés sur les radios en France. »139

A l’avenir, les programmateurs auraient donc un rôle de prescripteur plus développé.

Les radios musicales, telles qu’elles ont été étudiées dans cette recherche, pourraient donc

prochainement appartenir au passé. La vocation de notre travail n’est pas de proposer aux

professionnels du secteur une vision prospective de l’avenir de la radio musicale. Nous avons

ici cherché à faire le point sur une pratique généralisée dans le secteur, l’imitation

concurrentielle, tenté d’identifier des pratiques, de cerner des raisons individuelles, et

d’étudier de quelle manière elles pouvaient contribuer à la stratégie des organisations du

secteur.

Certains verront dans nos résultats des éléments permettant de justifier a posteriori la baisse

d’audience tendancielle des radios musicales et défendront l’idée que si les auditeurs sont

aujourd’hui en train de déserter le média, c’est avant tout parce que les radios musicales

proposent des offres trop standardisées (Blachas, 2004 ; Sok, 2007). Tel n’était pas l’objet de

cette recherche, tel ne sera pas le sens de notre conclusion. Après une synthèse de la

recherche, nous en présenterons les contributions et les limites. Leur comparaison permettra

de dégager plusieurs perspectives pour des recherches futures.

1. SYNTHESE DE LA RECHERCHE

Le paradoxe qui émerge de la comparaison d’un ensemble d’approches théoriques très

critiques vis-à-vis de l’imitation, et de nombreux travaux empiriques démontrant sa fréquence

dans le monde des organisations, en général, et en stratégie en particulier, a servi de point de

départ à notre recherche. Adoptant une démarche abductive, elle s’est positionnée dans le

courant de la stratégie en pratiques (« strategy as practice ») pour étudier ce que les décideurs

font lorsqu’ils imitent leurs concurrents et cerner les raisons qui les amènent à agir de la sorte.

Plus globalement, c’est bien à la question de la contribution des pratiques d’imitation

139 Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio thématique.

Stratégie et imitation concurrentielle

335

concurrentielle à la stratégie des organisations que nous avons tenté d’apporter des éléments

de réponse.

Nous avons donc formulé la problématique générale suivante : « En quoi les pratiques

d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios

musicales françaises ? »

Sur la base d’une analyse de théories issues des Sciences de Gestion, de la Sociologie, des

Sciences Economiques et de la psychologie, nous avons cherché à construire un cadre

conceptuel intégrateur permettant, d’une part de mettre en évidence l’existence de raisons

individuelles différentes au cœur des pratiques d’imitation concurrentielle, et d’autre part

d’étudier de quelle façon ces pratiques pouvaient découler d’un contexte incertain. Ce cadre

conceptuel intégrateur, présenté en conclusion de la revue de littérature, nous a permis de

formuler les deux questions de recherche suivantes : (1) « En quoi les pratiques d’imitation

concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ? » ; (2)

« En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent à la

stratégie des radios musicales françaises ? »

Pour traiter ces questions de recherche, nous avons réalisé une étude qualitative permettant

d’analyser les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales

françaises. Vingt-cinq entretiens semi-directifs ont été menés auprès de programmateurs. Ils

ont été prolongés par des rencontres et des conversations plus informelles et complétés par

une quinzaine d’entretiens de contexte réalisés avec des observateurs privilégiés du secteur

ainsi que par l’utilisation de données secondaires. Une analyse thématique de ces données a

été mise en œuvre à l’aide du logiciel NVivo 8 et a fait l’objet d’un double-codage.

A l’issue de l’analyse des données, deux grands types de résultats ont pu être distingués. Tout

d’abord, les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs découlent des doutes et

des hésitations qu’ils ressentent au contact d’un contexte incertain où les goûts du public sont,

plus que jamais, insaisissables. Une grande variation entre les pratiques peut, ensuite, être

mise en évidence. Une typologie composée de neuf pratiques d’imitation concurrentielle est

alors présentée.

Ces éléments ont permis d’amorcer une discussion plus générale sur la contribution des

pratiques d’imitation concurrentielle des décideurs dans la fabrication de la stratégie des

Conclusion générale

336

radios musicales. L’imitation apparait alors comme un préalable possible à des démarches

permettant aux radios de se singulariser dans leur environnement concurrentiel.

2. CONTRIBUTIONS, LIMITES ET PERSPECTIVES

Cette section nous permettra de détailler les contributions et les limites de la recherche. En

continuité avec la réflexion sur l’avenir du secteur qui a ouvert cette conclusion, nous

commencerons par détailler la contribution managériale de cette recherche (2.1). Par la suite,

nous distinguerons des apports et limites méthodologiques (2.2) et théoriques (2.3). Leur mise

en parallèle nous permettra d’esquisser des pistes potentielles pour des travaux futurs.

2.1. CONTRIBUTION MANAGERIALE

La recherche a, avant tout, une vocation compréhensive. Nous n’avons ni cherché à faire la

promotion de l’imitation concurrentielle, ni souhaité mettre en évidence une pratique

d’imitation qui serait meilleure que les autres. Les professionnels de l’industrie musicale, en

premier lieu les directeurs de la promotion et les attachés de presse des labels, trouveront

probablement dans nos résultats (et en particulier dans la typologie des pratiques d’imitation

proposée dans le chapitre 6) quelques pistes pour rendre plus efficaces les arguments

promotionnels qu’ils utilisent lorsqu’ils sont en contact avec les programmateurs.

Il est cependant indéniable que l’absence de dimension performative de notre étude vient

limiter sa contribution managériale autant qu’elle constitue un point de départ potentiel pour

des recherches ultérieures consacrées à la relation entre imitation concurrentielle et

performance. Remarquons néanmoins que cette limite est commune à l’ensemble des travaux

consacrés à l’étude des pratiques stratégiques. Comme l’expliquent, en effet, Jarzabkowski et

Spee (2009, p.84) à la suite de Johnson, Langley, Melin et Whittington (2007), le courant de

la « strategy as practice » s’est construit dans une volonté « d’éviter les écueils habituels de

l’analyse stratégique traditionnelle : expliquer la performance de l’entreprise sur la base de

données volumineuses en se focalisant sur un nombre limité de variables permettant, au

mieux, d’aboutir à des explications très parcellaires de la performance. »140

Cette limite ne signifie pas que les résultats proposés par ce courant de recherche soient

inutiles ou inintéressants pour des acteurs stratégiques. En effet, en permettant aux 140 “it is important that s-as-p research does not try to emulate and, hence, fall into the same traps as traditional strategy research; that is to explain firm performance based on large-scale data sets with parsimonious sets of variables that at best can give only a partial explanation of performance.”

Stratégie et imitation concurrentielle

337

professionnels de prendre du recul vis-à-vis de leurs pratiques, de les contextualiser, d’en

cerner les raisons, ces travaux permettent aux décideurs de s’engager dans une démarche

réflexive pouvant les amener à remettre en question un certain nombre de schémas qu’ils

considéraient préétablis. Cette ambition émancipatrice est notamment très présente chez

Jarzabkowski (2005, p.175) qui, après avoir étudié de quelle manière se fabriquait la stratégie

des universités britanniques, explique que « la principale contribution pratique de [sa]

recherche est de proposer aux dirigeants un ensemble de concepts et des cadres d’analyse

leur permettant de réfléchir à leurs actions quotidiennes et à leurs implications, tant sur la

dynamique de leur organisation que sur l’évolution de leur stratégie. »141

Donner des clés pour comprendre la stratégie. Rendre les clés de la stratégie aux acteurs.

Voilà comment pourrait être formulée la principale contribution managériale du courant de la

stratégie en pratiques. En permettant aux programmateurs – et aux décideurs – de mieux

comprendre leurs pratiques d’imitation concurrentielle, cette recherche a tenté se sortir du

discours « culpabilisant » qui pouvait caractériser certains travaux antérieurs. Un discours

d’autant plus difficile à vivre pour les acteurs qu’il était déconnecté de la réalité des

phénomènes d’imitation concurrentielle dans le monde des affaires. L’enseignement principal

que pourront tirer les professionnels qui liront – peut-être – cette recherche, c’est que les

pratiques d’imitation concurrentielle ont une place dans la fabrication de la stratégie.

Le message de cette recherche ne saurait se résumer à un très normatif « imitez-vous les uns

les autres ». Le message que nous souhaiterions transmettre pourrait davantage prendre la

forme suivante : « vous vous imitez, voici pourquoi et voici de quelle manière vos pratiques

d’imitation concurrentielle contribuent, à notre sens, à la stratégie de vos organisations. »

Comme nous allons maintenant le voir, la comparaison des apports et des limites de cette

recherche – qu’ils soient méthodologiques ou théoriques – permet d’envisager plusieurs

développements possibles qui pourront servir de point de départ à des travaux ultérieurs.

141 “The main practical value of this research is thus providing top managers with a set of concepts and frameworls with which to reflect upon their own actions and the implications these have for organizational dynamics and the pattern strategy takes over time.”

Conclusion générale

338

2.2. PERSPECTIVES DECOULANT DES APPORTS ET LIMITES METHODOLOGIQUES

Notre recherche a adopté une démarche qualitative en vue de permettre une meilleure

compréhension des pratiques d’imitation et des raisons qui les sous-tendent. Une quarantaine

d’entretiens ont été réalisés pour étudier les pratiques d’imitation concurrentielle des

programmateurs radio. Ils ont été complétés par l’utilisation de données secondaires et ont fait

l’objet d’un codage thématique réalisé à l’aide du logiciel NVivo.

a) Un secteur propice à l’étude des phénomènes d’imitation

concurrentielle… mais très singulier

En dépit de son faible poids économique, le secteur de la radio offre un point d’observation

idéal des phénomènes d’imitation concurrentielle. La fréquence des comportements imitatifs

chez les organisations du secteur nous a permis de mettre en œuvre une comparaison visant à

identifier plusieurs pratiques d’imitation concurrentielle mobilisant des raisons individuelles

bien différentes. Ces pratiques trouvent leur point de départ dans les doutes et les hésitations

des programmateurs qui doivent sélectionner les chansons à entrer en playlist dans un

contexte où les goûts du public demeurent incertains. Compte tenu du caractère très singulier

des préoccupations quotidiennes des programmateurs, ces doutes et ces hésitations sont

néanmoins difficilement transposables à d’autres champs d’étude. C’est la question de la

possible généralisation des résultats de la recherche qui est ici posée.

Seule la prolongation de cette recherche dans d’autres contextes pourrait y apporter une

réponse définitive. Une telle démarche permettrait, en outre, de mieux conceptualiser la

notion de doutes et d’incertitudes qui, en l’état actuel, reste cantonnée aux préoccupations

assez opérationnelles des décideurs. Une voie de recherche possible pourrait consister à

étudier des décisions relativement comparables dans des environnements proches, comme par

exemple le choix réalisé par des journalistes de traiter telle ou telle information142.

142 Une approche déjà adoptée dans des travaux antérieurs qui ne se focalisent cependant pas sur la thématique de l’imitation (Cook, 2005).

Stratégie et imitation concurrentielle

339

Schéma 24

Pour un prolongement de la recherche dans d’autres contextes

b) De l’utilisation de données déclaratives

L’étude des pratiques d’imitation concurrentielle s’est traduite par une analyse de données

issues d’entretiens réalisés auprès des programmateurs. Pour mener à bien leur collecte, un

dispositif original, fondé sur l’écoute d’extraits musicaux, a été déployé. Cette initiative nous

a permis de nous approcher d’une situation bien connue des répondant au cours de laquelle ils

sont amenés, en présence des attachés de presse mandatés par les labels, à écouter des disques

et à exprimer leur ressenti. Elle ne doit cependant pas occulter le caractère déclaratif des

données recueillies.

Le fait que nous ayons choisi d’utiliser des données déclaratives nous a permis de dépasser

une limite souvent observée dans les travaux antérieurs qui n’identifiaient les comportements

imitatifs que sur la base d’une similitude entre les décisions du modèle et de l’organisation

étudiée (e.g. Haunschild et Miner, 1997 ; Greve 1995, 1996, 1998). Tenant compte du fait que

des organisations peuvent adopter les mêmes structures, les mêmes stratégies, les mêmes

décisions, sans forcément s’imiter (elles peuvent par exemple être exposées aux mêmes

conditions environnementales), le recours a des données déclaratives nous a permis

d’identifier, dans les propos des répondants, des liens de causalité entre les diffusions qu’ils

constataient chez leurs concurrents et leurs propres décisions d’entrée en programmation.

Le fait que l’adoption par le modèle et par l’organisation imitante ne souffre d’aucune

variation (ce sont les mêmes disques qui sont diffusés) permet, en outre, de nous focaliser sur

Apport Un champ d’étude original qui

constitue un point d’observation idéal des phénomènes d’imitation

concurrentielle.

Perspective Prolonger ce travail dans d’autres champs

opérationnels. L’étude de secteurs connexes (médias, industrie musicale) pourrait constituer une première étape.

Limite Des singularismes forts qui

rendent difficilement généralisables les résultats (en

particulier concernant les doutes et les hésitations des décideurs).

Conclusion générale

340

une forme d’imitation « pure » en évacuant la possibilité que l’imitation puisse comprendre

une part d’innovation (Baize, 1999)143.

Enfin, compte tenu de l’intérêt porté aux raisons individuelles sous-jacentes à l’imitation, il

aurait été difficilement envisageable de ne pas recourir à des données qualitatives et

déclaratives.

Notre analyse pourrait néanmoins être prolongée par une étude quantitative qui permettrait

d’étudier les pratiques d’imitation concurrentielle sur la base d’un nombre plus conséquent

d’observations. Un tel prolongement aurait également pour avantage de limiter les biais

potentiels inhérents aux données déclaratives144. Des données relatives aux décisions de

programmation musicale ont d’ores et déjà été produites par la société Yacast et utilisées par

certains chercheurs (Glevarec, 2005). L’identification des pratiques sur la base des relevés de

programmation poserait néanmoins un certain nombre de défis méthodologiques liés à la

difficulté d’accéder aux raisons individuelles (on risquerait de retrouver alors les mêmes

limites que celles rencontrées par les travaux consacrés aux formes d’imitation).

Schéma 25

Pour une utilisation de données non déclaratives

143 Ceci n’aurait pas été possible si nous avions choisi d’étudier d’autres dimensions du programme, par exemple le contenu des émissions parlées. 144 Ce problème a partiellement été résolu par l’effort de triangulation qui a animé la collecte des données (entretiens de contexte et données secondaires).

Apport Un dispositif de collecte des données original a été mis en

œuvre. L’utilisation de données déclaratives permet d’identifier avec rigueur les comportements imitatifs et de cerner les raisons

des programmateurs.

Perspective Prolonger la recherche par une étude quantitative sur la base des données

Yacast.

Limite Un nombre relativement faible de « cas d’imitation concurrentielle »

étudiés. Des biais inhérents à l’utilisation des données

qualitatives.

Stratégie et imitation concurrentielle

341

c) Une analyse centrée sur l’imitation

Pour réaliser l’analyse des données qualitatives, un codage thématique semi-émergent en trois

étapes (codage signalétique, descriptif et analytique) a été réalisé à l’aide du logiciel NVivo

(Richards, 2005). La mise en place d’un dispositif de double codage permet d’attester de

l’adhérence de la grille de codage avec les données et de garantir la fiabilité du processus de

recherche (Romelaer, 2005). Les catégories centrales de l’analyse correspondent aux

principales thématiques de la recherche : pratiques d’imitation concurrentielle, doutes et

hésitations des programmateurs, modèles imités (et critères de sélection utilisés).

Ce processus, que nous avons essayé de rendre le plus rigoureux possible, souffre néanmoins

d’une limite liée au fait qu’il soit exclusivement centré sur la question de l’imitation. En effet,

nous nous sommes attachés en discussion à décrire l’interaction entre imitation et

différenciation sans avoir procédé à une analyse approfondie des pratiques de différenciation.

Compte tenu du guide d’entretien utilisé lors de la collecte des données, nous n’aurions pas

disposé d’éléments empiriques suffisamment conséquents pour réaliser un tel ouvrage.

Notre idée essentielle est que les pratiques d’imitation concurrentielle, en permettant aux

décideurs de lever des doutes et de dépasser des hésitations, peuvent constituer le point de

départ à des démarches visant à se singulariser. Pour parvenir à une meilleure articulation des

concepts d’imitation et de différenciation et analyser de quelle façon ils interagissent, cette

idée mériterait d’être approfondie par une analyse des pratiques de différenciation. La

question serait alors de savoir s’il existe une symétrie entre pratiques d’imitation et pratiques

de différenciation, susceptible de mieux éclairer la tension à laquelle les stratèges sont

confrontés.

Conclusion générale

342

Schéma 26

Pour une étude des pratiques de différenciation

Nous allons consacrer le point suivant aux apports et aux limites théoriques de la recherche

pour déterminer deux nouvelles pistes de recherche.

2.3. PERSPECTIVES DECOULANT DES APPORTS ET LIMITES CONCEPTUELS

Nous avons, dans ce travail, cherché à articuler des théories très différentes pour construire le

cadre d’analyse de la recherche. Ces approches théoriques ont pour caractéristique commune

de placer l’imitation au cœur des relations inter-individuelles ou inter-organisationelles. De

leur comparaison, il ressort une grande complémentarité. Les théories mobilisées s’appuient,

en effet, sur des conceptions alternatives et complémentaires de la rationalité humaine. Les

raisons avancées dans la littérature étaient considérées comme mutuellement exclusives, elles

donnent en réalité lieu à des pratiques d’imitation concurrentielle qui sont concomitantes.

a) Une mise entre parenthèses des dimensions

organisationnelles et populationnelles

La première contribution théorique est liée à la meilleure compréhension des phénomènes

d’imitation concurrentielle qu’apporte la typologie des pratiques présentée dans le chapitre 6.

Cette typologie découle de la comparaison de nos 68 « cas d’imitation concurrentielle » et du

cadre conceptuel intégrateur que nous ayons construit à la suite de la partie théorique.

Le choix d’étudier les phénomènes d’imitation concurrentielle en nous focalisant sur les

pratiques des décideurs constitue une rupture par rapport à la littérature existante. Si des

tentatives d’articulation de plusieurs théories ont déjà été réalisées, celles-ci sont souvent

Apport L’analyse des entretiens a

notamment permis d’établir une typologie des pratiques d’imitation

et de souligner l’interaction imitation-différenciation.

Perspective Compléter l’étude des pratiques

d’imitation concurrentielle par une étude des pratiques de différenciation.

Analyser une éventuelle symétrie.

Limite Les catégories centrales de

l’analyse sont liées aux thématiques de l’imitation et de l’incertitude perçue (doutes et

hésitations).

Stratégie et imitation concurrentielle

343

consacrées à deux approches théoriques connexes, la sociologie néo-institutionnelle et les

théories de la diffusion, qui adoptent, toutes deux, un même niveau d’analyse populationnel

(Baron, Dobbin et Jennings, 1986 ; Bourgeois, 2007 ; Davis, 1991 ; Davis et Greve, 1997 ;

Fligstein, 1990 ; Galaskiewicz et Wasserman, 1989 ; Geletkanycz et Hambrick, 1997 ; Gygax

et Griffiths, 2007 ; Haunschild, 1994 ; Palmer et al., 1993 ; Stearns et Allan, 1996 ; Webb et

Pettigrew, 1999 ; Williamson et Cable, 2003).

De façon plus marginale, certains travaux ont cherché à intégrer des approches a priori plus

éloignées. C’est notamment le cas de Pupion et Montant (2004) et Pupion et Leroux (2006)

qui tentent d’articuler sociologie néo-institutionnelle et théorie des conventions ou de

Vermeulen et Wang (2005) qui font dialoguer théories de l’identité sociale et sociologie néo-

institutionnelle. Les difficultés d’intégration des théories exprimées par ces chercheurs

peuvent, à notre sens, trouver une réponse dans l’adoption d’une démarche centrée sur les

pratiques. En ne conservant des théories existantes que leur dimension individuelle et en

mettant en perspective les différents modèles de rationalité, nous avons montré qu’il était

possible de faire dialoguer les théories existantes afin de mieux comprendre l’imitation.

Ce choix nous à conduit, cependant, à n’appréhender les théories mobilisées qu’au travers de

leur seule dimension individuelle et cognitive. Certains pourront considérer que cette

approche est réductrice. En effet, la théorie des conventions, les théories de la diffusion, ou la

sociologie néo-institutionnelle ont la particularité d’appréhender l’imitation simultanément au

niveau individuel (au travers des raisons), au niveau organisationnel (au travers de la question

des formes d’imitation et des conséquences en termes d’organisation ou de performance) et au

niveau populationnel (au travers de la notion d’isomorphisme). L’ouverture de notre cadre

conceptuel à des conceptions différentes de la rationalité humaine a pour corollaire un ancrage

quasi exclusif dans un niveau d’analyse microscopique. Notre recherche n’apporte donc pas

d’éléments nouveaux quant aux conséquences que pourraient avoir les pratiques d’imitation

concurrentielle sur la performance des entreprises ou la dynamique sectorielle. La stratégie

n’est abordée que comme un produit (non exclusif) des décisions individuelles, l’organisation

et le secteur sont relégués au rang d’éléments de contexte.

Cette limite pourrait conduire à prolonger la recherche en étudiant les conséquences

organisationnelles et populationnelles de la dialectique imitation-différenciation présentée

dans la discussion générale de la recherche ou à revisiter les théories existantes en tenant

Conclusion générale

344

compte de la diversité des pratiques d’imitation concurrentielle. La dimension compréhensive

de notre travail pourra enfin être mobilisée dans des travaux à vocation plus normative. En

permettant de mieux comprendre les phénomènes d’imitation concurrentielle, nos résultats

pourront alimenter des projets de recherche consacrés à l’influence de l’imitation sur la

performance des organisations.

Schéma 27

Vers un renouvellement des théories existantes

b) Une tension imitation – différenciation identifiée

mais qui reste à explorer

L’analyse des données nous a permis d’étudier de quelle façon les pratiques d’imitation

concurrentielle des programmateurs étaient susceptibles de contribuer à la stratégie des radios

musicales. Constatant que l’imitation concurrentielle permettait aux programmateurs de

s’émanciper de leurs doutes et de leurs hésitations, nous avons souligné qu’elle pouvait

constituer un préalable à des démarches visant à se singulariser des concurrents. Ce résultat

vient éclairer d’un nouveau jour la problématique du « conform or perform » en apportant une

dimension cognitive au concept de d’équilibre stratégique (« strategic balance ») introduit par

Deephouse (1999). Imitation et différenciation ne sont plus alors perçues comme des

démarches antinomiques mais comme les extrémités d’une même tension au travers de

laquelle les décideurs tentent de faire avec l’incertitude environnante. Nous trouvons ici la

deuxième contribution théorique de la recherche.

Apport Un regard renouvelé sur les

phénomènes d’imitation concurrentielle induit par la dimension microscopique de

l’étude.

Perspective Possibilité d’utiliser les résultats de la

recherche pour approfondir la dimension microscopique des théories existantes et

alimenter les travaux consacrés à la relation imitation - performance

Limite Une dimension organisationnelle appréhendée exclusivement au

travers des pratiques. Une dimension populationnelle

absente.

Stratégie et imitation concurrentielle

345

La tension que nous avons identifiée mérite incontestablement des développements

conceptuels et des investigations empiriques complémentaires. Nous pouvons remarquer que

nos préoccupations rejoignent celles de Dameron et Torset (2009) qui, dans une contribution

très récente, conçoivent la fabrication de la stratégie comme un exercice de gestion de

tensions. Les auteurs identifient quatre grandes tensions : (1) travail collectif versus travail

individuel ; (2) focus sur le(s) marché(s) versus focus sur l’organisation ; (3) action versus

réflexion ; (4) analyse versus intuition. Aux tensions mises en évidence par les deux auteurs,

nous pourrions rajouter la tension imitation versus différenciation qui est au cœur de notre

travail.

Schéma 28

Une tension pour la fabrication de la stratégie

Les éléments énoncés dans le cadre de cette conclusion amènent à considérer la présente

recherche comme une étape vers une meilleure compréhension des phénomènes d’imitation

concurrentielle et de leur contribution à la stratégie des organisations. De nombreuses

questions, qui sortaient de la problématique que nous avons définie, demeurent sans réponse à

l’issue de notre travail. Elles constituent autant d’opportunités à saisir et de voies à explorer

pour des recherches futures.

Apport Mise en évidence d’une tension imitation versus differenciation

trouvant sa source dans les doutes et les hésitations des décideurs et

contribuant à la stratégie des organisations

Perspective Possibilité d’intégrer la tension imitation versus differenciation dans le cadre plus général esquissé par Dameron et Torset

(2009).

Limite

Développements conceptuels complémentaires et nouvelles

investigations empiriques nécessaires

346

Références

Bibliographie p.348

Liste des synthèses p.370

Liste des encadrés p.370

Liste des tableaux p.371

Liste des schémas p.372

Table des matières p.373

Glossaire radiophonique p.384

348

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Liste des synthèses

370

Liste des synthèses

Synthèse 1 : Points essentiels des théories de la diffusion en Sciences de Gestion ......................................... 49

Synthèse 2 : Points essentiels des travaux consacrés aux modes managériales .............................................. 51

Synthèse 3 : Points essentiels des travaux consacrés au « late-mover advantage » ....................................... 74

Synthèse 4 : Points essentiels des travaux consacrés à l’apprentissage vicariant ............................................ 78

Synthèse 5 : Points essentiels des modèles d’agence de l’imitation................................................................ 84

Synthèse 6 : Points essentiels de la théorie mimétique .................................................................................. 91

Synthèse 7 : Points essentiels de la théorie néo-institutionnelle .................................................................... 98

Synthèse 8 : Points essentiels des théories de l’identité sociale ................................................................... 115

Synthèse 9 : Points essentiels de l’approche par les Groupes Stratégiques Cognitifs .................................... 118

Synthèse 10 : Points essentiels des théories de l’information en cascade ..................................................... 140

Synthèse 11 : Points essentiels de la théorie des conventions ...................................................................... 148

Synthèse 12 : Points essentiels de notre stratégie de recherche ................................................................... 200

Synthèse 13 : Données collectées ................................................................................................................. 208

Synthèse 14 : Point essentiel du processus d’analyse des données ............................................................... 228

Synthèse 15 : L’incertitude, une expérience quotidienne pour les programmateurs .................................... 244

Synthèse 16 : « L’orthodoxie du Top 40 » : un référentiel incomplet ............................................................ 250

Synthèse 17 : Difficultés inhérentes aux quotas de chansons françaises ....................................................... 253

Synthèse 18 : Une imitation encouragée par les maisons de disques ............................................................ 265

Synthèse 19 : Une imitation facilitée par l’existence de Yacast et les liens sociaux des programmateurs ..... 270

Synthèse 20 : L’imitation comme une source d’information ......................................................................... 284

Synthèse 21 : L’imitation comme une forme de parasitisme ......................................................................... 292

Synthèse 22 : L’imitation comme un moyen de maintenir la parité concurrentielle ..................................... 293

Synthèse 23 : L’imitation comme argument d’autorité ................................................................................. 296

Synthèse 24 : L’imitation comme révélateur de tendance ............................................................................ 300

Synthèse 25 : L’imitation comme moyen d’entrer dans la norme ................................................................. 303

Synthèse 26 : L’imitation comme session de rattrapage ............................................................................... 306

Synthèse 27 : L’imitation comme moyen de se rassurer ............................................................................... 309

Synthèse 28 : L’imitation comme révélateur de désir ................................................................................... 311

Références

371

Liste des encadrés

Encadré 1 : Mécanismes explicatifs de l'avantage des premiers entrants ....................................................... 35

Encadré 2 : Les six conditions de Lewis ......................................................................................................... 136

Encadré 3 : L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres .................................................................. 166

Encadré 4 : Les principaux formats musicaux aux Etats-Unis ........................................................................ 174

Encadré 5 : Yacast : Un partenaire incontournable de l’industrie radiophonique ......................................... 186

Encadré 6 : Liste des stations visitées dans le cadre des entretiens avec les programmateurs ...................... 204

Encadré 7 : Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs .......... 205

Encadré 8 : Commentaire rapide du schéma 14 ............................................................................................ 215

Encadré 9 : Un exemple de passage ayant fait l’objet d’une micro-analyse .................................................. 218

Encadré 10 : Le taux de fiabilité inter-codeurs selon Miles et Huberman ...................................................... 226

Encadré 11 : Les « ingrédients d’un hit »....................................................................................................... 247

Encadré 12 : E-mail envoyé à de nombreux programmateurs dans des radios indépendantes ..................... 260

Encadré 13 : E-mail envoyé à plusieurs programmateurs dans des radios indépendantes ............................ 260

Encadré 14 : E-mail envoyé à un programmateur ......................................................................................... 260

Encadré 15 : Propriétés utilisées pour construire la typologie ...................................................................... 275

Liste des tableaux

372

Liste des tableaux

Tableau 1 : De la diversité des objets imitables .............................................................................................. 14

Tableau 2 : Postulats sous-jacents à quelques grandes écoles de pensée ....................................................... 63

Tableau 3 : Approches instrumentales de l’imitation : une synthèse .............................................................. 85

Tableau 4 : Approches instrumentales de l’imitation : une synthèse ............................................................ 120

Tableau 5 : Caractéristiques des actions stratégiques et imitation ............................................................... 189

Tableau 6 : Les fondements de la stratégie en pratiques dans la recherche .................................................. 195

Tableau 7 : Présentation de quelques démarches de recherche ................................................................... 196

Tableau 8 : Critères de validité d’une recherche en théorie enracinée .......................................................... 199

Tableau 9 : Nombre de décisions abordées par les répondants .................................................................... 207

Tableau 10 : Liste des attributs utilisés lors du codage signalétique ............................................................. 212

Tableau 11 : Détails du calcul du taux de fiabilité inter-codeurs ................................................................... 227

Tableau 12 : Rappel des questions de recherche et axes de restitution des résultats ................................... 232

Tableau 13 : Nombre de décisions abordées par les répondants .................................................................. 233

Tableau 14 : Doutes et hésitations exprimés par les programmateurs.......................................................... 243

Tableau 15 : Un premier aperçu de la typologie des pratiques d’imitation concurrentielle .......................... 276

Tableau 16 : Critères utilisés pour la répartition des rôles et justifications ................................................... 291

Tableau 17 : Typologie des pratiques instrumentales de l’imitation concurrentielle .................................... 297

Tableau 18 : Typologie des pratiques évaluatives de l’imitation concurrentielle .......................................... 312

Tableau 19 : Ancrage théorique des pratiques identifiées dans la typologie ................................................. 321

Tableau 20 : Nombre moyen de pratiques d’imitation concurrentielle par décideur .................................... 323

Tableau 21 : Deux conceptions de la dialectique imitation – différenciation ................................................ 329

Références

373

Liste des schémas

Schéma 1 : Architecture de la thèse ................................................................................................................ 18

Schéma 2 : Principaux postulats relatifs à la rationalité identifiés par Boudon ............................................... 62

Schéma 3 : La structure du désir selon Girard ................................................................................................. 88

Schéma 4 : Du désir mimétique au sacrifice chez René Girard ........................................................................ 90

Schéma 5 : Les théories de l’identité sociale comme micro-fondation de l’isomorphisme mimétique .......... 107

Schéma 6 : Le groupe comme une catégorie sociale ..................................................................................... 109

Schéma 7 : Conformisme intra-groupe et différenciation inter-groupe ......................................................... 112

Schéma 8 : Les quatre degrés d'incertitude selon Knight .............................................................................. 127

Schéma 9 : L 'expérience de Asch.................................................................................................................. 130

Schéma 10 : Présentation d’un cadre d’analyse intégrateur ......................................................................... 157

Schéma 11 : Cohérence méthodologique ...................................................................................................... 192

Schéma 12 : Codage et analyse des données qualitatives ............................................................................. 210

Schéma 13 : Un exemple de codage des « topics » ....................................................................................... 213

Schéma 14 : Synthèse du codage descriptif .................................................................................................. 215

Schéma 15 : Démarche adoptée pour le codage analytique .......................................................................... 220

Schéma 16 : Un document codé par plusieurs nœuds ................................................................................... 222

Schéma 17 : Modèles imités par les programmateurs (68 décisions) ........................................................... 235

Schéma 18 : Représentation graphique des résultats du chapitre 5 .............................................................. 271

Schéma 19 : Répartition des pratiques instrumentales d’imitation concurrentielle (35 décisions) ............... 278

Schéma 20 : Répartition des pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle (33 décisions) ..................... 299

Schéma 21 : Une tension entre imitation et différenciation ......................................................................... 327

Schéma 22 : Vers une meilleure compréhension de la tension imitation – différenciation ........................... 330

Schéma 23 : La fin des radios musicales ? ..................................................................................................... 333

Schéma 24 : Pour un prolongement de la recherche dans d’autres contextes .............................................. 339

Schéma 25 : Pour une utilisation de données non déclaratives .................................................................... 340

Schéma 26 : Pour une étude des pratiques de différenciation ...................................................................... 342

Schéma 27 : Vers un renouvellement des théories existantes ...................................................................... 344

Schéma 28 : Une tension pour la fabrication de la stratégie ......................................................................... 345

Table des matières

374

Table des matières

Remerciements ................................................................................................................................................ 4

Sommaire ......................................................................................................................................................... 8

Introduction générale ..................................................................................................................................... 12

Première partie : Revue de la littérature

Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent .............................................................................................................. 26

1. Quelques éléments de définition ............................................................................................................. 28

1.1. Le mimétisme et la mémétique ..................................................................................................... 29

a) La mémétique (théorie des mèmes) .............................................................................................. 29

b) Les limites de la mémétique : du mimétisme à l’imitation ............................................................ 30

1.2. L’imitation, une intentionnalité ..................................................................................................... 30

a) L’imitation inter-organisationnelle ................................................................................................ 31

b) L’imitation concurrentielle ............................................................................................................ 31

c) L’imitation réflective et la contrefaçon : deux concepts voisins ................................................... 31

2. Une critique théorique ............................................................................................................................. 32

2.1. Une attitude de seconde zone pour les stratèges ......................................................................... 33

2.2. Une stratégie inintéressante pour les organisations imitatrices ................................................... 34

2.3. Une stratégie dangereuse pour la collectivité ............................................................................... 37

a) Une menace pour l’avantage concurrentiel .................................................................................. 37

b) Un jeu auquel tout le monde perd ................................................................................................ 40

c) La croissance économique compromise ........................................................................................ 41

3. Des réalités empiriques ........................................................................................................................... 41

3.1. L’apport des théories de la diffusion ............................................................................................. 43

a) Principe général ............................................................................................................................. 43

b) Du déclenchement du processus de diffusion ............................................................................... 44

c) De l’observabilité : avantages perçus et transposabilité ............................................................... 45

d) La diffusion et les réseaux sociaux................................................................................................. 46

Références

375

3.2. L’imitation et les modes managériales .......................................................................................... 49

a) Les phases génériques des modes managériales .......................................................................... 49

b) Une dissémination des modes managériales ................................................................................ 50

c) Des facteurs économiques et socio-psychologiques ..................................................................... 50

4. Vers une approche explicative et tournée vers les pratiques ................................................................. 52

4.1. Un aperçu de la recherche ............................................................................................................. 52

a) Démarche générale ....................................................................................................................... 52

b) Une démarche ancrée dans le courant de la stratégie en pratiques ............................................. 53

c) Une démarche abductive............................................................................................................... 55

4.2. Au delà des formes d’imitation ..................................................................................................... 55

a) La typologie de Haunschild et Miner et ses développements ....................................................... 56

b) Les limites de la typologie.............................................................................................................. 57

4.3. Des rationalités multiples .............................................................................................................. 59

a) A la recherche des raisons de l’imitation ....................................................................................... 59

b) Vers un prolongement et un élargissement .................................................................................. 60

c) Une dichotomie : approches instrumentales et approches évaluatives ....................................... 63

4.4. Articulation de la revue de la littérature ....................................................................................... 65

Résumé du chapitre 1 ....................................................................................................................................... 67

Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation ........................................................................................................ 68

1. Les approches instrumentales de l’imitation ........................................................................................... 69

1.1. L’imitation et ses conséquences pour l’organisation .................................................................... 70

a) Des actions et des réactions .......................................................................................................... 71

b) Le calcul des imitateurs ................................................................................................................. 72

Une diminution des dépenses de recherche et développement ....................................................... 72

Des consommateurs à la mémoire courte ......................................................................................... 73

Des succès inégaux ............................................................................................................................. 73

c) Un apprentissage par procuration (apprentissage vicariant) ........................................................ 75

Des expériences empruntées ............................................................................................................. 75

Les clés d’un apprentissage par procuration réussi ........................................................................... 77

Quels effets au niveau des populations d’organisations ? ................................................................. 78

d) De la légitimité ............................................................................................................................... 79

e) Vers un compromis ? ..................................................................................................................... 79

La théorie de l’équilibre stratégique : une tentative avortée ............................................................ 80

Changer de perspective ...................................................................................................................... 80

Table des matières

376

1.2. L’imitation et ses conséquences pour le décideur ........................................................................ 81

a) Un moyen de maintenir sa propre réputation .............................................................................. 81

b) Quelques précisions relatives à la théorie de l’agence.................................................................. 83

2. Les approches évaluatives de l’imitation ................................................................................................. 86

2.1. Une rivalité mimétique .................................................................................................................. 87

a) Un désir mimétique, une violence primaire .................................................................................. 87

Une relation triangulaire .................................................................................................................... 87

Un modèle obstacle ............................................................................................................................ 88

Une compétition ................................................................................................................................. 89

b) Une violence contagieuse .............................................................................................................. 89

Quels enseignements pour les Sciences de Gestion ? ........................................................................ 91

Un point de départ stimulant ............................................................................................................. 92

2.2. L’imitation et la légitimité .............................................................................................................. 93

a) L’isomorphisme et les pressions institutionnelles ......................................................................... 94

Les pressions coercitives .................................................................................................................... 94

Les pressions normatives ................................................................................................................... 95

Les pressions mimétiques .................................................................................................................. 96

b) Un concept central : la légitimité................................................................................................... 97

Un statut objectif de l’organisation, créé subjectivement par les acteurs ......................................... 97

Les processus de légitimation : la typologie de Suchman .................................................................. 97

c) Des développements empiriques conséquents ............................................................................. 98

L’imitation de pratiques largement répandues .................................................................................. 99

L’imitation comme moyen de légitimation ...................................................................................... 100

L’imitation de modèles légitimes ..................................................................................................... 101

Du lien entre incertitude et imitation .............................................................................................. 103

Des limites récurrentes .................................................................................................................... 104

d) A la recherche de micro fondations ............................................................................................. 105

2.3. Un conformisme de groupe : les théories de l’identité sociale ................................................... 106

a) De l’identité personnelle et de l’identité sociale ......................................................................... 107

Le processus de catégorisation ........................................................................................................ 108

Le groupe .......................................................................................................................................... 109

b) Les processus d’identification sociale .......................................................................................... 109

Le processus d’autocatégorisation ................................................................................................... 110

Le processus de comparaison sociale ............................................................................................... 110

Références

377

c) Un conformisme de groupe ......................................................................................................... 111

Au-delà des perceptions ................................................................................................................... 111

La théorie de la distinction optimale ................................................................................................ 112

Des résultats empiriques mitigés ..................................................................................................... 112

Un statut social ................................................................................................................................. 113

2.4. Les groupes stratégiques cognitifs : identité et stratégie ............................................................ 115

a) Les groupes stratégiques cognitifs .............................................................................................. 116

b) Une identité de groupe ................................................................................................................ 117

c) Le groupe stratégique, un espace de comparaison sociale ......................................................... 117

3. Raisons et pratiques d’imitation concurrentielle ................................................................................... 121

Résumé du chapitre 2 ..................................................................................................................................... 122

Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude ............................................................................... 124

1. Un creuset commun .............................................................................................................................. 125

1.1. De l’incertitude ............................................................................................................................ 125

a) Un problème spécifiquement humain ......................................................................................... 126

b) L’incertitude, entre certitude et ignorance ................................................................................. 127

c) Des objets divers, des expériences individuelles variées ............................................................ 128

1.2. Des travaux fondateurs ............................................................................................................... 129

a) L’expérience de Sherif ................................................................................................................. 129

b) L’expérience de Asch ................................................................................................................... 130

1.3. Keynes, le premier conventionnaliste ......................................................................................... 131

a) Le marché foule ........................................................................................................................... 131

b) Des investisseurs moutonniers .................................................................................................... 132

c) Des loups dans la bergerie ........................................................................................................... 133

d) Un héritage disputé ..................................................................................................................... 134

e) Les jeux de coordination .............................................................................................................. 134

f) L’information en cascade et les conventions .............................................................................. 137

2. Une information en cascade ................................................................................................................. 137

a) Une source d’information ............................................................................................................ 138

b) De l’imitation restreinte et de l’imitation totale ......................................................................... 139

c) La place du bluff........................................................................................................................... 140

Table des matières

378

3. La théorie des conventions .................................................................................................................... 141

3.1. Un moyen d’agir malgré tout ...................................................................................................... 142

a) Des décisions raisonnables, plutôt que des décisions rationnelles ............................................. 142

b) Des conventions aux normes, du raisonnable au légitime .......................................................... 143

3.2. Un triptyque : conventions, conviction et liberté ........................................................................ 144

a) L’énoncé ...................................................................................................................................... 144

b) Le dispositif matériel ................................................................................................................... 145

c) La cohérence et la dynamique des conventions .......................................................................... 145

d) Les conventions de qualification et les conventions d’effort ...................................................... 146

3.3. Un monde de conventions........................................................................................................... 146

4. Incertitude et pratiques d’imitation concurrentielle ............................................................................. 148

Résumé du chapitre 3 ..................................................................................................................................... 150

Synthèse de la première partie ..................................................................................................................... 152

1. Ancrage théorique de la problématique................................................................................................ 153

2. Présentation du cadre analytique ......................................................................................................... 155

Deuxième partie : Méthodologie et résultats

Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle ......................................... 162

1. Le champ d’étude .................................................................................................................................. 163

1.1. La radio en France ....................................................................................................................... 163

a) Quelques éléments sectoriels...................................................................................................... 164

Le modèle économique d’une radio commerciale ........................................................................... 164

Les recettes publicitaires .................................................................................................................. 167

b) Un bref historique........................................................................................................................ 168

Au commencement… les radios périphériques ................................................................................ 168

1981 : Apparition des premières radios musicales .......................................................................... 169

Un formatage progressif des radios musicales................................................................................. 170

La renaissance des radios « indépendantes » .................................................................................. 170

1.2. Du lien entre programmation musicale et stratégie ................................................................... 172

a) Le format musical et la programmation ...................................................................................... 173

Une définition de la notion de format .............................................................................................. 173

Des positionnements poreux ........................................................................................................... 174

b) Le programmateur, un acteur stratégique .................................................................................. 176

Une décision sous influence ............................................................................................................. 177

Des registres de programmation divers ........................................................................................... 177

Références

379

c) Un univers normé ........................................................................................................................ 179

Todd Storz, le père du « Top 40 »..................................................................................................... 179

Le mode de fabrication du flux musical ............................................................................................ 180

La recherche musicale ...................................................................................................................... 182

Une information partagée ................................................................................................................ 185

Des contraintes légales ..................................................................................................................... 186

d) Moutonnières les radios musicales ?........................................................................................... 187

Une polémique ................................................................................................................................. 188

Quelques éléments explicatifs ......................................................................................................... 189

2. Méthodes de recherche ......................................................................................................................... 190

Unité d’analyse de la recherche ............................................................................................................ 190

Organisation de la section méthodologique ......................................................................................... 191

2.1. Stratégie de recherche ................................................................................................................ 193

a) Une approche tournée vers les pratiques ................................................................................... 193

Les fondements épistémologiques de la stratégie en pratiques ...................................................... 194

Une mise en pratique… de la stratégie en pratiques ....................................................................... 194

b) Une démarche inspirée de la théorie enracinée ......................................................................... 195

La théorie enracinée : un bref aperçu .............................................................................................. 195

De l’abduction en théorie enracinée ................................................................................................ 196

Une approche réaliste ...................................................................................................................... 197

Une approche interprétativiste ? ..................................................................................................... 198

Les critères de validité propres au courant de la théorie enracinée ................................................ 199

2.2. Collecte des données ................................................................................................................... 200

a) Entretiens réalisés auprès de programmateurs .......................................................................... 202

Echantillonnage théorique ............................................................................................................... 202

Déroulement des entretiens ............................................................................................................ 205

b) Entretiens de contexte ................................................................................................................ 207

c) Données secondaires ................................................................................................................... 208

d) Conversations et observations informelles ................................................................................. 208

2.3. Analyse des données ................................................................................................................... 209

a) Codage des données .................................................................................................................... 209

a) Les grandes étapes du codage ..................................................................................................... 211

(i) Codage signalétique ................................................................................................................ 212

(ii) Codage descriptif .................................................................................................................... 213

(iii) Codage analytique .................................................................................................................. 217

Table des matières

380

b) L’utilisation du logiciel N-Vivo ..................................................................................................... 220

Les documents .................................................................................................................................. 221

Les noeuds ........................................................................................................................................ 221

Requêtes, matrices et quantification des données qualitatives ...................................................... 222

c) Double codage ............................................................................................................................. 223

Objectif du double codage : codage ouvert versus codage fermé ................................................... 224

Double codage intra-codeur versus double codage inter-codeurs .................................................. 224

Périmètre retenu .............................................................................................................................. 225

Pré-formatage .................................................................................................................................. 225

Mode de calcul du taux de fiabilité inter-codeurs ............................................................................ 226

Résultats du double codage ............................................................................................................. 227

Résumé du chapitre 4 ..................................................................................................................................... 229

Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation .............................................................................................. 230

a) Une rapide synthèse des données ............................................................................................... 233

b) Le contexte, une donnée souvent oubliée .................................................................................. 235

c) De l’observabilité ......................................................................................................................... 236

1. Un contexte incertain ............................................................................................................................ 237

1.1. Les doutes du programmateur .................................................................................................... 238

a) « Les voies du public sont impénétrables » ................................................................................. 239

b) « Ce qui m’a fait douter… » ......................................................................................................... 239

c) Des alternatives nombreuses ...................................................................................................... 240

d) L’angoisse du sondage ................................................................................................................. 241

e) Doutes et hésitations des programmateurs : une synthèse ........................................................ 242

1.2. Une réponse partielle : « l’orthodoxie du Top 40 » ..................................................................... 245

a) Les « ingrédients d’un hit » .......................................................................................................... 246

b) Des alternatives équivalentes ...................................................................................................... 248

1.3. Les quotas, une difficulté supplémentaire .................................................................................. 250

a) Des difficultés récurrentes ........................................................................................................... 252

b) Les quotas de chansons françaises : une source de difficultés.................................................... 253

2. Une imitation encouragée et facilitée ................................................................................................... 253

2.1. La radio, c’est le « nerf de la guerre » ......................................................................................... 255

a) De l’intérêt de figurer dans le panel Yacast ................................................................................. 256

b) Un travail de conviction ............................................................................................................... 257

c) L’argument « qui tue » ................................................................................................................ 259

d) Un discours à l’efficacité variable ................................................................................................ 262

e) Les contreparties et les partenariats ........................................................................................... 262

Références

381

2.2. Une imitation facilitée ................................................................................................................. 265

a) Yacast, une source d’information ................................................................................................ 265

b) Le rôle du GIE « Les Indépendants » ............................................................................................ 267

3. Contexte et imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 270

Résumé du chapitre 5 ..................................................................................................................................... 272

Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle ........................................................... 274

1. Les pratiques instrumentales de l’imitation .......................................................................................... 277

1.1. L’imitation comme source d’information .................................................................................... 279

a) Des informations relatives aux stratégies promotionnelles des labels ....................................... 279

b) Des informations relatives à la recherche musicale .................................................................... 280

1.2. L’imitation comme une forme de parasitisme ............................................................................ 284

a) Une démarche expérimentale ..................................................................................................... 284

b) La « politique du mouton » ......................................................................................................... 287

c) Une répartition des rôles ............................................................................................................. 289

1.3. L’imitation comme moyen d’assurer la parité concurrentielle ................................................... 292

a) Un moyen de neutraliser un concurrent ..................................................................................... 292

b) Un moyen de se prémunir d’un désavantage concurrentiel ....................................................... 293

1.4. Un argument d’autorité ............................................................................................................... 294

2. Les pratiques évaluatives de l’imitation ................................................................................................ 298

2.1. L’imitation comme révélateur de tendance ................................................................................ 299

2.2. L’imitation comme un moyen d’entrer dans la norme ................................................................ 301

a) Une forte adhésion à « l’orthodoxie du Top 40 » ........................................................................ 301

b) Une norme respectée… malgré tout ........................................................................................... 302

2.3. L’imitation comme session de rattrapage ................................................................................... 303

a) Une seconde chance .................................................................................................................... 304

b) Un aveu d’échec qui s’accompagne de regrets ........................................................................... 305

c) La « voix de la raison » ................................................................................................................. 306

2.4. L’imitation comme un moyen de se rassurer .............................................................................. 307

a) Un accueil des auditeurs redouté ................................................................................................ 307

b) Un « cocon familial » apaisant ..................................................................................................... 308

c) Une source de reconnaissance .................................................................................................... 309

2.5. L’imitation comme révélateur de désir ....................................................................................... 309

a) Des « oreilles baladeuses » .......................................................................................................... 309

b) Une envie incontrôlable .............................................................................................................. 310

Table des matières

382

3. Pratiques d’imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 313

Résumé du chapitre 6 ..................................................................................................................................... 314

Discussion : De l’imitation à la différenciation .............................................................................................. 316

1. Discussion des résultats du chapitre 5................................................................................................... 317

1.1. Des pressions institutionnelles interdépendantes ...................................................................... 318

1.2. Incertitude et information : une tension ..................................................................................... 319

2. Discussion des résultats du chapitre 6................................................................................................... 319

2.1. Des rationalités poreuses ............................................................................................................ 320

2.2. Des pratiques concomitantes ...................................................................................................... 321

a) Des répertoires de pratiques assez larges ................................................................................... 322

b) Des sources d’hésitations et de doutes différentes .................................................................... 323

3. Discussion transversale ......................................................................................................................... 324

a) Un point de départ ...................................................................................................................... 324

b) Une confiance retrouvée ............................................................................................................. 325

4. Retour à la littérature ............................................................................................................................ 327

Conclusion générale ..................................................................................................................................... 332

1. Synthèse de la recherche ....................................................................................................................... 334

2. Contributions, limites et perspectives ................................................................................................... 336

2.1. Contribution managériale ............................................................................................................ 336

2.2. Perspectives découlant des apports et limites méthodologiques ............................................... 338

a) Un secteur singulier ..................................................................................................................... 338

b) De l’utilisation de données déclaratives ...................................................................................... 339

c) Une analyse centrée sur l’imitation ............................................................................................. 341

2.3. Perspectives découlant des apports et limites conceptuels ........................................................ 342

a) Une mise entre parenthèses des dimensions organisationnelles et populationnelles ............... 342

b) Une tension imitation – différenciation identifiée mais qui reste à explorer ............................. 344

Références

383

Références

Bibliographie ................................................................................................................................................ 348

Liste des synthèses ....................................................................................................................................... 370

Liste des encadrés ........................................................................................................................................ 371

Liste des tableaux ......................................................................................................................................... 372

Liste des schémas ......................................................................................................................................... 373

Table des matières ....................................................................................................................................... 374

Glossaire radiophonique............................................................................................................................... 384

Annexes

Annexe 1 : Les modèles de rationalité selon Romelaer et Lambert (2001, p.217) .......................................... 389

Annexe 2 : Les differents formats selon Delaveau .......................................................................................... 391

Annexe 3 : Composition du panel Yacast en 2006 ......................................................................................... 400

Annexe 4 : Déroulement des interviews et guide d’entretien ......................................................................... 401

Annexe 5 : Grille de codage des « topics » ...................................................................................................... 404

Annexe 6 : Codage de deux entretiens ............................................................................................................ 409

Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes (codage analytique) ............................................................................... 410

Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage ........................................................................................... 412

Glossaire radiophonique

384

Glossaire radiophonique

Airplay

Classement hebdomadaire des diffusions radios (« j’ai regardé l’ Airplay »). Diffusion d’un titre en radio (« j’ai vu que ce titre avait un peu d’Airplay »).

Auditorium

Séance de recherche musicale consistant à rassembler dans un même lieu un panel d’auditeurs représentatifs de la radio afin de leur faire écouter des extraits de musique et de sonder leurs réactions.

Burn

Phénomène de saturation des auditeurs à l’égard d’une chanson diffusée en radio.

Call-out

Sondage téléphonique réalisé sur un panel représentatif des auditeurs d’une station en vue de tester la programmation musicale.

Format

Positionnement d’une radio musicale. Le format est composé de titres issus du même sous-genre musical. Par extension, le terme est également utilisé pour désigner des contenus parlés (on parle alors de formats « talk »). Un format est construit en vue d’attirer une cible particulière d’auditeurs.

GIE « Les Indépendants »

Groupement de radios locales et régionales françaises proposant une offre publicitaire commune. Le GIE « Les Indépendants » mets également à la disposition des radios affiliées un ensemble de ressources (conseiller aux programmes, accords avec des studios d’enregistrement de jingles, etc.)

Gold

Chanson relativement ancienne diffusée occasionnellement par une radio musicale.

Hit

Chanson suscitant un engouement particulier chez les consommateurs et diffusée massivement par les radios musicales. Certaines radios ont d’ailleurs fait des « hits » la composante essentielle de leur programme (ex : NRJ, « hit music only »).

Références

385

Horloge

Document formel utilisé par les professionnels de la radio pour standardiser chaque heure de programme. L’horloge indique, par exemple, le moment auquel sont diffusés les écrans publicitaires et établit la répartition des diffusions de chaque catégorie de titres. L’horloge sert de base à l’élaboration des programmations musicales quotidiennes.

Labels (industrie musicale)

Un label est une structure de production de disques. Certains labels sont intégrés à une maison de disque pouvant rassembler plusieurs structures. D’autres sont indépendants des grandes maisons de disques. Chaque label est généralement organisé en trois fonctions : production, promotion et marketing.

Médiamétrie

Institut français chargé de mesurer l’audience des radios et des télévisions.

Partenariat

Accord entre une radio et un label permettant à la radio d’associer son image à un artiste ou à un groupe en échange d’une diffusion sur son antenne.

Playlist

Liste de disques diffusés quotidiennement par une radio musicale. La playlist est régulièrement actualisée par le programmateur.

Programmateur

Personne en charge de la constitution de la playlist. Le programmateur décide des disques qui sont diffusés sur l’antenne d’une radio musicale et assigne à chaque disque une fréquence de passage (appelée taux de rotation).

Quotas de chansons françaises

Les radios musicales françaises sont tenues de réserver entre 35 et 50% de leurs diffusions musicales à des productions d’expression française. Les quotas de chansons françaises incluent également une obligation de passage de « Nouveaux talents ».

Réseaux

Radios ayant une couverture nationale. Les réseaux peuvent détenir certaines fréquences en propre ou avoir noué des accords de franchise avec des opérateurs locaux. Dans certains cas, ils peuvent réaliser des « décrochages » pour émettre des programmes locaux sur créneaux horaires.

Rotation

Fréquence de passage quotidienne ou hebdomadaire d’une chanson sur une radio musicale. Le taux de rotation est définit par le programmateur. Il est généralement commun à un ensemble de disques placés par le programmateur dans une même catégorie (ex : nouveautés, récurrents, « hits », « golds », etc.)

Glossaire radiophonique

386

Selector

Logiciel utilisé par les programmateurs pour construire leurs programmations musicales quotidiennes.

Sondages

Mesure de l’audience des radios réalisée par Médiamétrie. En France, les sondages sont réalisés par téléphone auprès d’un panel représentatif de la population française. Les sondages sont publiés plusieurs fois par an et réalisé sur des périodes très spécifiques. Ils peuvent concerner l’ensemble du territoire national ou être ventilés par zone géographique.

Recherche musicale

Ensemble d’outils marketing permettant aux professionnels de la radio de tester leur programmation musical sur des panels d’auditeurs. Les deux outils principaux de recherche musicale sont l’auditorium et le « call-out ».

Top 40

Modèle de radio inventé aux Etats-Unis durant les années cinquante. Le modèle du « Top 40 » consiste en la diffusion d’une liste limitée de titres (playlist). Les titres sont généralement diffusés plusieurs fois au cours d’une même journée. Le « Top 40 » permet également de définir un ensemble de critères de sélection de titres à diffuser sur une radio musicale (nous avons parlé dans cette recherche « d’orthodoxie du Top 40 » pour désigner ces normes partagées par les professionnels du secteur). Par extension, le terme « Top 40 » est parfois utilisé par certaines radios pour qualifier leur format musical. Il correspond alors à un format généraliste consistant à diffuser les 40 succès du moment.

Yacast

Société française mettant à la disposition des acteurs de la filière musicale un service de veille des diffusions musicales en radio et en télévision. Par extension, le terme « Yacast » est également utilisé pour désigner le service en lui-même (« j’ai consulté le Yacast »).

387

388

Annexes

Annexe 1 : Les modèles de rationalité selon Romelaer et Lambert (2001, p.217) p.389

Annexe 2 : Les differents formats selon Delaveau p.391

Annexe 3 : Composition du panel Yacast en 2006 p.400

Annexe 4 : Déroulement des interviews et guide d’entretien p.401

Annexe 5 : Grille de codage des topics p.404

Annexe 6 : Codage de deux entretiens p.409

Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes (codage analytique) p.410

Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage p.412

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Annexe 1 : Les modèles de rationalité

390

Comparaison des deux approches

A l’exception des processus écologiques qui font intervenir des processus échappant au

contrôle des individus ou ne les faisant pas intervenir, l’ensemble des modèles de rationalité

utilisés par Romelaer et Lambert (2001) peuvent être classifiés dans le découpage « approches

instrumentales » / « approches évaluatives ».

A la différence des deux auteurs auxquels il est fait référence, nous ne relions pas les modèles

fondées sur les règles et les valeurs à une approche instrumentale. Nous rejoignons en ce sens

Boudon (2003) pour qui les individus peuvent adopter des règles, respecter des normes ou

adhérer à des valeurs non pas en fonction des conséquences qu’ils relient à cette adoption

mais parce qu’ils les jugent légitimes, bonnes ou appropriées.

Nous soulignons par ailleurs que des approches instrumentales s’éloignant les postulats de

maximisation et peuvent exister. Elles renvoient aux modèles de rationalités de contexte dans

lesquels les individus poursuivent des objectifs appropriés à l’aide de moyens effectifs. Cette

idée est développée par Rescher (1995) au travers de la notion de rationalité pratique.

Rationalité forte ou

substantive

Rationalité procédurale ou limitée

Rationalités influencée par les règles, les normes,

les valeurs…

Rationalité contextuelle ou pratique

Rationalité cogénérée

Rationalité écologique

Rationalités optimisatrices Rationalités

exploratoires

Distinction opérée par Romelaer et Lambert

Distinction opérée dans cette recherche

Rationalités instrumentales Rationalités évaluatives

Annexes

391

ANNEXE 2 : LES DIFFERENTS FORMATS SELON DELAVEAU

Billet publié sur le blog de Jérôme Delaveau (professionnel de la radio, ancien directeur des

programmes de Sud Radio, Contact et M6 music) le 14 octobre 2005.

Qu'est ce qu'un format de radio ?

Un format radio, ou format de programmation fait référence au contenu total diffusé sur une

station de radio. Certaines stations proposent plusieurs genres sur l'ensemble de sa grille. Au

fil du temps, les formats ont évolués et de nouveaux sont apparus. Actuellement, beaucoup de

formats radio sont concus pour toucher un segment très spécifique d'auditeurs ou certaines

niches de la population écoutant le média radio en se basant sur des critères démographiques

comme l'age, le sexe, l'éthnicité (c'est surtout vrai aux USA), au niveau social...

Les types de formats et leurs définitions

Vous trouverez ci dessous, beaucoup de formats avec leur description. J'attire votre attention

sur le fait que régulièrement on s'apperçoit qu'en France, les définitions ou les dénominations

des formats radios changent de radio en radio. Ainsi, pour mettre tout le monde d'accord, je

vais m'appuyer sur les définitions courantes sur le marché radio américain. Les définitions que

vous trouverez ci dessous étant utilisées aux Etats-Unis, au Canada et en Amérique Latine.

News, Talk et Sports

Les stations avec une programmation News/Talk proposent une forte concentration

d'informations locales, régionales, nationales, internationales ainsi que du sports, et des infos

services comme la météo et le trafic routier. En plus des infos, ces radios proposent souvent

des émissions de "talk" (des discussions autour de sujets définis) avec souvent des

interventions d'auditeurs. Aux USA, la plupart de ces radios sont disponibles sur la bande

AM. Au Canada, ce format fait son apparition sur la bande FM depuis quelques années (FM

93 à Québec ou Le FM Parlé de Montréal). En France, on a longtemps appellé ces radios, les

"généralistes" ou les "périphériques".

Les stations françaises les plus proches de ce format : France Info, RMC Infos, Europe 1.

Sports

Ce format propose une programmation relative au monde du sport. La plupart des stations

avec un format sport sont tournés vers les infos sportives, les émissions de discussion autour

du sport et bien sur une couverture en direct des évènements sportifs locaux et nationaux. Aux

Etats Unis, la plupart de ces radios sont sur la bande AM. En France, les seules radios à

Annexe 2 : Les différents formats

392

s'essayer à ce format sont Sport FM à Paris et Hits & Sports à Lyon. Elles ont choisi d'être mi-

musicales mi-talk. Et on remarque également que RMC Infos se spécialise sur le format sport

sur ses fins d'après midi.

Talk

Les stations avec ce format se concentrent sur une variété d'émissions parlées. En général les

infos peuvent être entendus en début de chaque heure dans les heures de forte écoute (matin et

retour à la maison aussi appellés AM drive et PM drive). En France, c'est plutôt la spécialité

d'Europe 1.

News/Talk-business

Egalement désigné comme News-talk-finances, ce format concentre les informations données

sur le monde du business, de la bourse, de l'économie... En France, c'est la spécialité de BFM.

Farm/agriculture

C'est une autre déclinaison du format news/talk. Les stations de ce format se concentrent sur

les informations du monde agricole. Aux heures de travail, toute la semaine, ces radios

annoncent le prix des produits agricoles, les dernières nouveautés... En dehors de ces heures,

la plupart de ces radios proposent de la musique (le plus souvent de la Country, AC ou

Oldies). Ce type de radios peut être trouvé aux USA sur la bande AM dans des petits marchés

radiophoniques (très souvent ruraux). A ma connaissance, ce type de radio n'existe pas en

France.

Political/Politique

Selon les américains, ce format est très populaire en Europe et plus spécialement en France.

Le but de ces radios serait d'offrir des informations, de donner les points de vue des

politiciens sur des sujets chauds, et de développer des discussions intellectuelles pour une plus

grande ouverture d'esprit des auditeurs. ??? Il est vrai que nous offrons beaucoup d'émissions

politique sur les radios française (Grand Jury sur RTL, etc.) mais je ne connais pas une radio

française entièrement tournée vers un discours politique. Sauf peut-être la radio d'extrême

droite, Radio Courtoisie.

C.H.R ou Contemporary Hit Radio

Egalement appellé Pop Music Radio, ou Top40, les CHR (contemporary hit radio, radio de

hits contemporains) jouent les tubes du moment ou des dernières années (ou décennies). Ce

Annexes

393

sont en général les radios préférées des jeunes auditeurs. Il y a une très forte dominance de

musique actuelle ou de nouveautés. Aujourd'hui, une bonne majorité des radios formatées

CHR, plus spécialement sur les gros marchés (grandes villes ou réseaux nationaux) orientent

leur programmation musicale vers un style musical particulier.

CHR-pop

Egalement appellé CHR-top 40. Si on le compare au format CHR-rhythmic, les éléments de

bases sont les mêmes, mais la musique sera légèrement plus orientée vers des sons rock ou

alternatifs. La playlist est composée de nouveautés, de hits actuels et de tubes popularisés

dans les 6 ou 12 derniers mois. L'audience visée est jeune adulte à adulte (15 à 35 ans). La

radio qui s'en rapproche le plus sur le marché français, c'est Europe 2.

CHR-rhythmic

Même si un grand nombre de chansons peuvent être joué en commun sur les deux formats

CHR-pop et CHR-rhythmic, la différence entre ces formats et que le CHR-rhythmic

s'inclinera plus vers les sons hip-hop, rap and dance, que vers les sons rock et alternatifs. La

playlist est composée de nouveautés, de hits actuels et de tubes popularisés dans les 6 à 12

derniers mois. L'audience visée est agalement 15-35 ans. On peut dire que les stations qui se

rapprochent le plus de ce format en France sont Skyrock et Fun Radio.

CHR-dance

Toujours orienté sur une musique populaire, ce format s'oriente plutôt vers les hits de la

dance music et les remixes dance de chansons populaires. La playlist est composée de

nouveautés, de hits actuels et de tubes populaires des dernières années. L'audience visée est

entre 15 et 35 ans. La radio qui se rapproche le plus de ce format en France, c'est Contact.

D'ailleurs ce format, je l'ai mis en place sur les émetteurs de cette radio nordiste lorsque j'ai

constaté que la spécialisation du programme musical sur la techno était caduque. La radio

avait une mauvaise image et surtout l'audience était en perte de vitesse (moins d'auditeurs, une

audience vieillissante, une stabilisation par l'apport de nouveaux émetteurs).

CHR - 80s

Ce format fait parti des derniers nés aux USA et il y fonctionne très bien. Certains pourraient

faire remarquer que ce format devrait faire parti des format "golds"; et ils auraient en parti

raison. Mais la cible reste assez jeune et à l'écoute, ces radios ont une ambiance très actuelle...

La musique jouée sur ces radios sont les tubes des années 80 et parfois du début des années

Annexe 2 : Les différents formats

394

90. Certaines radios proposent une ouverture sur la fin des années 70 (mais c'est plus rare).

L'audience visée est plus adulte (les 25-35 ans). Aucune station française ne s'est encore

spécialisée sur ce format.

CHR - español

Egalement connu sous le nom de Latin pop, ce format de niche peut être trouvé dans les

marchés radiophoniques américains ou il éxiste une forte population hispanophone et dans les

villes proches de la frontière mexicaine.On y diffuse les tubes des pays hispaniques (Mexique,

Espagne, Cuba, Amérique Latine...). Il existe une équivalence en France : Radio Latina. Mais

elle ne connait pas le succés des radios hispaniques américaines.

Autres formats CHR

Tous les formats CHR sont les rejetons du CHR : ils ont la même cible, ils contiennent tous

une partie de playlist commune mais ils ont une variation en s'inclinant vers un style musical

ou une période. Par exemple, le format CHR-alternative propose des tubes aussi bien que les

hits des artistes alternatifs. C'est par exemple, le format de la radio Le Mouv' en France. Le

format CHR-pop/rock mélange des tubes actuels avec les hits des artistes rock et/ou

alternatifs. Ce serait assez proche d'Europe 2.

Enfin, le format CHR-local pop Music propose un mélange de tubes locaux avec les grands

tubes internationaux. En fait, c'est le format CHR le plus répandu en France (Radio Scoop,

Vibration, NRJ...) car il permet d'offrir les tubes de Britney Spears comme ceux de Calogero.

Adult contemporary ou A.C

Le plus souvent appellées 'AC', les stations 'adult contemporary' sont en affinitées avec des

auditeurs de 30 ans et plus. Ces radios offrent la musique de la dernière décennie avec des

titres actuels que ce soit du rock, du r'n'b. Des artistes comme Madonna, Lionel Richie, Céline

Dion, Mariah Carey, ou Goldman pour la France par exemple sont les artistes les plus souvent

diffusés sur le format AC.

Hot AC

Les radios avec ce format ont une audience légèrement plus jeune que les autres format AC.

Plus de rythme dans la musique et plus de nouveautés différencie le HOT AC des autres AC.

Hot AC est un format hybride, entre le CHR Pop et le format AC. En France, c'est plutôt le

format de Vibration.

Annexes

395

Modern AC

Tout comme pour le format Hot AC, l'audience est lègèrement plus jeune que pour le AC. Là

aussi, la musique est légèrement plus rythmée et on peut y entendre plus de nouveautés. Le

Modern AC est un mélange de Hot AC et du format Modern Rock. La programmation

musicale se concentre principalement sur les hits des 12 derniers mois. Je en vois pas

d'équivalence de ce format sur le marché français.

Soft AC

Egalement connu sous le nom de 'easy listening' ou 'beautiful music', ce format vise les plus

de 35 ans.A la différence du format AC, la musique peut être des 40 dernières années et

consiste en une grosse majorité de ballades, de chansons d'amour d'artistes populaires, ainsi

que de musique lente et relaxante. Aucune aggressivité sur ce format.

AC - oldies

Ce format typiquement américain est un mix entre la musique typique du format AC et de la

musique Country. Il vise les plus de 30 ans et se retrouve le plus souvent dans les petites villes

ou dans les zones rurales. La musique programmée sur ce format est tirée des années 60 à 90.

Cependant, une adaptation de ce format pour la France est tout à fait envisageable.

AC-Romantica

Ce format est la version hispanique du Soft AC. La majorité des titres programmés est en

espagnol et les animateurs parlent également espagnol. Ces radios visent les plus de 30 ans

membres de la communauté hispanique.

Autres formats AC

D'autres format AC existent. Des hybrides comme le rock AC, rhythmic AC ... Pour ma part,

j'ai eu le plaisir de créer un format Rythmic AC sur Zi ONE (107.4 FM à Mouscron en

Belgique / www.tv-radio.com pour l'écouter)

Formats Rock et Alternatifs

Modern rock

Egalement connu sous le nom de 'new rock' ou 'alternative rock', ce format est ouvert sur la

musique rock alternative. Il y est offert une forte concentration de nouveautés et de hits

actuels ainsi que des titres des 6 à 12 derniers mois. La station publique jeune 'Le Mouv'

propose un format qui s'en rapproche.

Annexe 2 : Les différents formats

396

Active Rock

Les stations de ce format sont axées sur les titres rock populaires du moment et sur les tubes

rock des deux dernières décennies.

Adult alternative

Les américains surnomment souvent ce format 'triple A' ou 'AAA'. Il offre un melange des

formats 'Modern Rock' avec des titres plus progressifs, alternatifs et des classiques du rock

pour plaire à une audience plus agée que les 2 précedents formats présentés. Selon moi, c'est

plutôt le format de la station parisienne Ouï FM.

Alternative

C'est un format qui a grandi dans les radios de colléges au cours des années 80. La musique

alternative y est prépondérante et souvent la selection musicale fait la part belle aux titres non

commerciaux. On y propose beaucoup de nouveautés, peu de titres généralistes, du punk, de

la musique industrielle, du heavy métal et on y aide les artistes locaux. C'est un format

défendu sur quelques radios associatives en France comme l'excellente Radio Béton à Tours.

Classic Rock

C'est l'un des formats les plus populaires sur le territoire des USA. La plupart des marchés

radiophoniques ont leur station Classic Rock et parfois, il y en a même 2. Les playlistes des

stations 'Classic rock' proposent des hits rocks populaires des années 70, 80, 90 et pardois

quelques hits du moment. L'un des courants de ce format s'appelle 'album-oriented rock' (que

je traduirai par 'Rock tiré d'albums') ou AOR. La différence entre ces 2 formats est que les

stations 'classic rock' jouent des singles, alors que les stations AOR préférent jouer des titres

extraits d'albums d'artistes populaires (même s'ils ne sont pas sortis en singles). En France,

c'est RTL2 qui a importé le format 'Classic Rock'. Je ne connais pas de station AOR en France

(ou peut être une web radio ?).

Americana

Un genre de mélange des formats 'adult alternative' avec du blues et de la Country

progressive. Typiquement américain !

Heavy metal

Ce format est l'un des plus bruyant que j'ai pu entendre... C'est un format diffusé sur certaines

College Radios et sur des Web Radios.

Annexes

397

Additional formats

Il existe quelques déclinaisons spécifiques de ces formats alternatifs. Comme les stations

'Zydeco/Cajun' (surtout en Floride, vous l'aurez compris), 'Bluegrass music' et 'Blues music'.

En Europe, on retrouve aussi les formats 'Industrial' et 'techno' (comme par exemple Radio

Galaxy à Lille).

Les Formats Urban (ou Urbains)

Urban contemporary

La plupart du temps, il est désigné tout simplement sous le titre "urban" et il peut être connu

comme le format R&B ( littérallement 'rhythm and blues'), le style musical 'urban

contemporary' refléte largement la musique de la communauté noire aux USA. En mettant en

avant les artistes rap, hip-hop, house, soul. Ces formats 'Urban' sont principalement en affinité

avec les jeunes auditeurs. La station Urban Contemporary la plus efficace sur le marché

français, c'est ADO FM à Paris.

Urban ac

Les stations 'Urban AC' s'adressent à un public plus adulte. Les Play lists de ces radios sont

composées de plus de soul et de ballades et moins de rap ou de hip-hop.

Rhythmic oldies

Surnommées 'jammin' oldies', ces radios sont relativement nouvelles dans le monde

radiophonique. La musique programmée sur les radios de ce format incluent des vieux

standarts de la Black Music, des hits de la Motown, et pas mal de disco, et des souvenirs

'dance' des années 70, 80 et 90. Compte tenu de la loi des quotas francophones, ce type de

format est impossible à créer en France, à moins de le proposer sur une web radio.

Urban oldies

Ce format s'adresse aux USA à un public senior en proposant une programmation des artistes

black des années 50 à 70.

Format 'Oldies' et 'Nostalgia'

Oldies

Ce type de musique peut être entendu sur les stations de ce format. Il propose de ré entendre

les hits des années 50, 60 et parfois des années 70, comme par exemple Elvis Presley, les

Rolling Stones et tous les tubes du label Motown. La plupart des stations formatées 'Oldies' se

Annexe 2 : Les différents formats

398

concentrent sur la musique des années 50 et 60, mais suite à la grande popularité de ce type de

format, on trouve maintenant des radios qui se spécialisent sur une décennie ou un type

musical. Deux de ces formats les plus populaires sont expliqués un peu plus bas. Nostalgie,

qui est la station la plus 'Oldies' du paysage radiophonique français s'est plutôt spécialisée sur

les années 60, 70.

Classic hits

Jouant généralement des titres pop/rock des années 70 et 80, ces radios sont à mi chemin entre

les formats 'Oldies' et "Classic Rock". Ce format se retrouve en dehors des USA, comme par

exemple à Sydney (Australie) où WSFM affiche de très bons résultats d'audience.

Standards

Egalement appelés 'nostalgia' ou 'adult standards', ce format joue la musique populaire des

années 30 à 60 et peut s'ouvrir à des titres big band et au swing. Les artistes 'stars' de ce

format sont Tony Bennett, Nat King Cole, Natalie Cole, and Barbara Streisand. La plupart des

stations de ce format est diffusée sur la bande AM.

Big band

Ce format est proche du format 'standards' à la différence que la musique est plutôt celle des

années 20 à 40, quelelle est légèrement plus rythmée. C'est plutôt un format reservé aux

stations non-commerciales (college radio ou web radios).

Oldies - español

Très populaire sur les marchés à forte population hispanique (Los Angeles, Miami, etc.), ce

format se focalise sur les golds populaires en langue hispanique des années 50 à 70.

MOR

Une abreviation de 'middle of the road', ce format fut populaire ces dernières décennies mais

a quasiment disparu du paysage radiophoniques américain d'aujourd'hui. Ce format combinait

flashs info, talk show et musique. La musique était composée des chansons populaires du

moment (celles qui sont joués sur les radios 'Oldies" et 'Adult aujourd'hui).

Autres formats Oldies

En plus des formats expliqués plus haut, il existe encore d'autres formats 'golds' qui sont

expliqués tout au long de ce dossier. Par exemple le format ' rhythmic oldies' (voir dans le

chapitre des formats 'urban'), 'urban oldies' (voir dans les formats 'urban'), CHR-80's (voir

dans les stations 'CHR'), et 'classic rock' (voir le chapitre des formats 'rock').

Annexes

399

Il existe une grande variété de formats encore...

Je n'ai pas détaillé les formats Jazz, Classique, la multitude de formats latino (certains sont

expliqués plus haut, mais il y en a tant d'autres), les formats 'World Music', enfants, religion,

les Colléges radio...

D'ailleurs, finalement, chaque radio invente plus ou moins son propre format lorsqu'elle

élabore sa stratégie, sa cible, sa playlist, sa grille d'émission...

Annexe 3 : Composition du panel Yacast

400

ANNEXE 3 : COMPOSITION DU PANEL YACAST EN 2006

Radios périphériques et d’information

• Europe 1

• France Bleu

• France Inter

• RMC

• RTL

• Sud Radio

Réseaux musicaux

• FIP

• Fun Radio

• Le Mouv’

• MFM

• NRJ

• RFM

• Rire et Chansons

• RTL2

• Skyrock

Radios indépendantes

• Ado FM

• Alouette

• Champagne FM

• Contact FM

• Hit West

• Ouï FM

• Kiss FM

• Radio 6

• Radio FG

• Radio Star

• Scoop

• Top Music

• Vibration

• Vitamine

• Voltage

Les classements Muzicast sont établis sur la base des diffusions musicales 24h/24 et 7j/7

recensées sur les radios du panel YACAST, pondérées par l’audience réelle communiquée par

MEDIAMETRIE : Quarts d’heure moyen (base : 13 ans et +). Enquêtes 126 000+, IDF et

Medialocales.

Source : Musique Info Hebdo n°389, 5 mai 2006, p14.

Annexes

401

ANNEXE 4 : DEROULEMENT DES INTERVIEWS ET GUIDE D’ENTRETIEN

Après avoir brièvement présenté l’objet de la recherche (« Je cherche à savoir comment se

fait la programmation musicale dans les radios »), une question introductive permet

d’amorcer l’entretien. Le déroulement des entretiens consiste ensuite en l’écoute d’une

dizaine d’extraits musicaux issus de la programmation musicale de la station visitée. A partir

des réactions du répondant, des relances sont effectuées en lien avec un guide d’entretien

prédéterminé. Certaines relances peuvent venir spontanément afin d’approfondir certains

sujets.

Déroulement des entretiens réalisés avec les programmateurs

Question introductive

Le plus souvent, la question d’entame porte sur la radio visitée (surtout pour les radios

indépendantes) ou sur les fonctions occupées par le répondant (surtout pour les radios

nationales, plus connues). Lorsque l’entretien se déroule en période d’actualité chaude pour

les radios (exemple : communication des résultats d’audiences), la question d’entame peut

être modifiée.

Quelques exemples :

PM : J’aimerais bien que pour commencer cette discussion, vous me présentiez un peu Radio XXX… Répondant : En fait, Radio XXX, c’est une radio qui a été lancée début des années 80… au début des radios libres. Euh… mon patron, qui est encore le patron maintenant, euh… excusez moi…

[Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante généraliste du Sud de la France]

Présentation et question introductive

Phase introductive, présentation de la radio, fonctions et parcours du

répondant… (peu directif)

Ecoute d’un extrait musical… « parlez moi un peu de ce titre… »

Mode semi directif. Relances à partir du guide d’entretien.

Annexe 4 : Déroulement des entretiens

402

PM : On peut peut-être commencer par parler de votre radio… Répondant : YYY est positionnée par rapport à une cible particulière. Donc notre positionnement, il ne s’arrête pas à la musique… il va beaucoup plus loin. C'est-à-dire qu’on va aussi travailler sur la perception que les gens ont du produit, sur la communication qu’on peut en faire etc.

[Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante thématique du Ford de la France]

Répondant : On se tutoie hein… PM : D’accord. Alors je propose qu’on commence par parler un peu de ton travail, de la façon dont tu… Répondant : Je vais d’abord couper mon portable… propose moi d’abord de couper mon portable… PM : Alors spontanément je propose que tu coupes ton portable… (rires) Répondant : Voilà… Alors ça se passe de la façon la plus naturelle. C’est un peu paradoxal quand on connaît la puissance de tir de ZZZ. Mais c’est vraiment ça. C’est des gens qu’on appelle les programmateurs qui reçoivent des disques, et qui vont en acheter aussi, en import, et… qui écoutent d’autres radio à travers le monde, et qui d’un seul coup craquent pour des chansons et ont envie de les mettre en avant. C’est pas plus compliqué que ça ! Et alors… il faut choisir, parce que les playlist ne sont pas extensibles.

[Entretien réalisé auprès du directeur général des programmes d’un grand réseau national]

Choix des extraits musicaux

Les extraits musicaux diffusés en entretien (par l’intermédiaire d’un ordinateur portable ou

d’un téléphone portable) sont sélectionnés à partir de la programmation musicale de la radio

visitée. La radio est donc écoutée plusieurs heures durant les jours précédant l’interview. Pour

les radios intégrées au panel Yacast, les relevés de programmations ont pu être utilisés.

L’idée générale est de parvenir à un équilibre, au cours de l’entretien, entre nouveautés

programmées par la station musicale avant les radios concurrentes et entrées en playlist plus

tardives.

Relances prédeterminées

Le tableau qui suit donne propose un aperçu des thèmes explorés durant les entretiens et de

relances associées.

Annexes

403

Guide d’entretien et relances associées (principaux thèmes)

Thèmes à explorer Exemple de relances

Controverse >RJ / GIE Les Indépendants « En effet, on en a beaucoup entendu parler… vous pouvez me donner votre sentiment sur cette affaire ? »

Doutes / Incertitude « Vous n’êtes pas sûr ? Comment ça ? »

Imitation « Ah, c’est amusant, là tu m’expliques que tu y es allé après tout le monde… »

Rapports avec les attachés de presse « Ils peuvent être enquiquinants parfois ? »

Yacast, influence de la programmation des autres

radios

« Comment est-ce que tu l’utilises toi ce Yacast ? »

Cas particulier des entretiens de contexte

Les entretiens de contexte sont réalisés auprès d’observateurs privilégiés du secteur. Ces

derniers peuvent être des professionnels de la radio non programmateurs (dirigeants,

animateurs), des personnes travaillant dans des maisons de disques (directeurs de labels,

attachés de presse), des chargés de promotion indépendants, des responsables administratifs

ou politiques connaissant bien la radio et ses enjeux.

Ces entretiens sont très peu directifs et n’obéissent pas à un déroulement standard. Les

relances sont liées au « topics » figurant dans le dictionnaire des thèmes figurant en annexe 3

(les entretiens de contexte ont débuté alors que l’analyse des entretiens réalisés auprès des

programmateurs avait déjà commencé)

Annexe 4 : Codage des “topics”

404

ANNEXE 5 : GRILLE DE CODAGE DES « TOPICS »

Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau

Concurrents et Industrie Autres programmateurs Alain T.

Bruno W.

Christophe S.

Didier B.

Dominique L.

Eric D.

Jérôme D.

Laurent B.

Laurent R.

Max G.

Pascal G.

Pascal M.

Pierre L.

Rémi D.

Richard C.

Roberto C.

Sébastier L.

Valérie K.

Concurrents et Industrie Autres radios 100%

13 FM

Ado

Alouette

Black Box

Cannes Radio

Champagne FM

Chante France

Chérie FM

Contact

D !rect

Europe 1

Europe 2

FG

Forum

France Bleu

France Info

France Inter

Fun Radio

Génération

Hit West

Kiss FM

Le Mouv’

Maritima

MFM

Mona FM

NRJ

NTI

Ouï FM

Radio 6

Radio 8

Radio Scoop

Radio Star

Radios étrangères

RFM

RTL

RTL2

Skyrock

Sport FM

Start (Groupe)

Sun

Top Music

Vibration

Vitamine

Voltage

Wit FM

Annexes

405

Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau

Concurrents et Industrie Controverse NRJ-GIE

Concurrents et Industrie Crise de l’Industrie Musicale

Concurrents et Industrie CSA

Concurrents et Industrie Histoire, avenir et enjeux de la radio

Concurrents et Industrie Jalousies, « le métier »

Concurrents et Industrie Qualité de la production française

Concurrents et Industrie RadioActu – ComFM

Contexte GIE « Les Indépendants Conseiller aux programmes

Conventions annuelles, réunions

Echange d’expériences

Jeux politiques internes

Liens sociaux

Mutualisation

Professionnalisation

Rentrées publicitaires

Stratégie et fonctionnement du GIE

Contexte Radio Antenne (Programmes, Voice Track)

Claim

Format et cible (détail des formats)

Fréquences

Histoire

Résultats d’audience

Spécificités territoriales

Stratégie (concurrents directs, DG, Orga)

Contexte Répondant Biographie, anecdotes

Caractère, personnalité

Fonctions

Goûts musicaux personnels

Projets professionnels

Radios écoutées

Relations avec les autres programmateurs

Relations avec les artistes

Vie personnelle

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Attitude Débridée

Nouvelle

Punk

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Carrière Biographie

Discographie

Historique avec la radio, précédents

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Image Bonne

Branchée

Féminine

Gamine

Mauvaise

Moderne

Parisienne

Pas crédible

Pas légitime

Populaire

Propre

Wesh-wesh

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Notoriété Connu

Forte renommée

Inconnu

International

Légende

Star

Star à l’étranger

Annexe 4 : Codage des “topics”

406

Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes

Personnalité Authentique

Bon vivant

Charismatique

Charmant

Débridé

Foufou

Gentil

Hors du commun

Sensible

Super

Sympa

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes

Physique Beau mec

Bien foutu

Coupe de cheveux

Jolie

Mignonne

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes

Talent Mélodiste

Pas de talent

Showman

Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes

Voix Bien

Bizarre

De petite fille

Identifiable

Insupportable

Intéressante

Jolie

Particulière

Pas naturelle

Superbe

Vieillotte

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Album

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Avis général (Dimensions) Coup de cœur

Mitié

Négatif

Positif

Tube-hit

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Avis général (Propriétés) Accessible – Passe partout

Actuel

Aérien

Américain

Apaisant

Attachant

Audacieux

Black

Classe

Dancefloor

Différent

Dur

Dynamique

Efficace

Eighties

Energique

Entrainant

Facile à chanter

Facile à écouter

Facile à retenir

Familier

Festif

Formaté

Frais

Gentil

Gros

Identifiable

Intemporel

Intéressant

Mal foutu

Mélodique

Midinette

Annexes

407

Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons

Avis général (Propriétés) Nineties

Nouveau

Ouest

Particulier

Pas agressif

Pas facile

Pas mélodieux

Populaire

Sixties

Soleil

Spé

Strict

Surprenant

Underground

Vivifiant

Vrai

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Cible Adultes

Clubbers

Communauté tuning

Crossover

Filles – Femmes

Gamines

Garçons

Jeunes

Mômes

Niche

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Eléments du titre Boucle

Construction

Couplets

Durée

Gimmick

Mélodie

Orchestration

Pont

Production

Refrain

Rythme

Sample – reprise

Texte (apolitique, bidon, bien écrit, bon –

sympa, cul-cul, dans l’actu, démago,

émouvant, engagé, hardcore, inhabituel,

intelligent, limite, malin, rigolo)

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons

Genre musical Dance

Dancehall

Electro

Funk

Krump

Pop-rock

Ragga

R’n’B – Soul

Trash-metal

Variétés

Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Staff Auteurs

Compositeurs

Directeurs de labels

Producteurs

Les « Ingrédients d’un tube » : Industrie

musicale

Marketing BO Films

BO Pubs

Calendrier, sorties-promo

Clip

Générique TV

Publicité TV

Télé-réalité

Annexe 4 : Codage des “topics”

408

Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau

Les « Ingrédients d’un tube » : Industrie

musicale

Music business Anecdotes

Petits secrets

Nouvelles signatures

Les « Ingrédients d’un tube » : Industrie

musicale

Promotion Arguments promotionnels (Bluff, diffusion

sur les autres radios, dimension politique,

disque et artiste, échanges – négo,

implication des maisons de disques, mise

sous pression, projets communs,

relationnel, confiance, « Roberto a

adoré »)

Composition du panel Yacast

Contreparties (Argent, liners, partenariats,

petites opés, plateaux et concerts privés,

venues d’artistes, voyages à faire gagner)

Envoi de disques (envois physiques,

Titlive)

Exposition TV

Interlocuteurs (attachés de presse,

directeurs labels, managers, promo indé,

stagiaires)

Moyens de communiquer (déjeuners, e-

mails, présentations d’artistes, invitation

concerts, rendez-vous, téléphone)

Programmation musicale

Façon de travailler (généralités) Acharnement

Intuition

Prise de risque

Sensibilité personnelle

Programmation musicale Comités d’écoute, réunions de

programmation

Programmation musicale Contraintes Pression des annonceurs

Quotas de chanson française

Programmation musicale Indicateurs “Airplay”

Clubs

Expérience

Presse musicale

Recherche musicale (auditoriums, “call-

out”)

Retours internes

Retours Internet

Retours standard

Ventes de disques

Yacast

Outils Burn

Golds

Horloges

Informatique antenne, A2i

Playlist

Rotations

Selector

Annexes

409

ANNEXE 6 : CODAGE DE DEUX ENTRETIENS

Par mesure de confidentialité, ces documents ne figurent pas dans les annexes publiques.

Deux entretiens codés ont été remis aux membres du jury en vue de la soutenance de la thèse.

Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes

410

ANNEXE 7 : DICTIONNAIRE DES THEMES (CODAGE ANALYTIQUE)

Thèmes Concepts Descripteurs

Imitation Adoption par le modèle

Adoption par la radio

Décalage temporel

Exposition au modèle (écoute, Yacast,

autres infos)

Lien de causalité

Pratiques évaluatives Moyen de se rassurer Confirmation

Expertise d’autrui

Rassurant

Sentiment de reconnaissance

Pratiques évaluatives Moyen d’entrer dans la norme Adhésion à « l’orthodoxie Top 40 »

Effort minimum

Définition tautologique du tube

Evidence

Sentiment d’obligation

Pratiques évaluatives Révélateur de désir Habitudes d’écoute

Pas accès au titre

Découverte d’un titre

Engouement à la première écoute

Volonté d’appropriation

Pratiques évaluatives Révélateur de tendances C’est à la mode

C’est ce que les gens veulent écouter

Généralisation

Prévision

Pratiques évaluatives Session de rattrapage Mise de coté préalable

« La voix de la raison »

Réécoute

Regrets, aveu d’échec

Pratiques instrumentales Argument d’autorité Discussions internes, désaccords

Intuitions préalables

Volonté de se justifier

Pratiques instrumentales Maintien de la parité concurrentielle Comparaison avec les concurrents

Difficultés à respecter les quotas

Ne pas laisser le concurrent seul sur un titre

Se mettre à niveau

Se prémunir d’une fuite d’audience

Pratiques instrumentales Parasitisme Programmation conçue comme un travail

Répartition des rôles (légitimité)

Démarche expérimentale

« Lavage de cerveau »

« Politique du mouton »

Profiter du travail de développement

Réflexion sur le moment d’entrée

Vengeance, injustice

Pratiques instrumentales Source d’information Disparités dans l’accès aux infos

Disparités dans les moyens

Tests perçus comme un indicateur fiable

Volonté de faire le switch

Accès aux informations promotionnelles

Accès au résultat des tests (burn,

reconnaissance, engouement du public)

Propriétés communes Critères de désignation du modèle Accès présumé au label

Accès présumé aux tests

Cibles du(des) modèle(s)

Concurrent principal

Concurrent(s) sur le format

Concurrent(s) sur la zone

Format(s) du(des) modèle(s)

Lien sociaux, affinités

Moyens financier du(des) modèle(s)

Puissance du(des) modèle(s)

Partenariat sur un projet

Starter

Annexes

411

Thèmes Concepts Descripteurs

Propriétés communes Doutes et incertitudes Alternatives trop nombreuses

Avis divergents de l’équipe ou des

supérieurs hiérarchiques

Craintes des conséquences d’une mauvaise

décision pour la radio (audience, pub, etc.)

Craintes des conséquences d’une mauvaise

décision pour le répondant (je vais me faire

virer)

Craintes sur la réaction des auditeurs (je ne

savais pas si ça allait leur plaire)

Eloignement de la chanson par rapport au

format

Mauvais résultats aux tests

Méfiance vis-à-vis de son propre jugement

ou de sa propre lassitude (perso j’en avais

marre mais…)

Pas accès aux tests

Pas de places en playlist

Peur de perdre en crédibilité

Quotas à respecter

Réserves artistiques

« Trucs en développement »

Propriétés communes Modèles Une tendance générale

Un groupe de concurrents

Une radio

Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage

412

ANNEXE 8 : NOTICE UTILISEE POUR LE DOUBLE CODAGE

Les extraits à coder ont été préformatés dans un tableau (fichier Excel ci-joint). Tous les

extraits sont liés à des décisions qui font intervenir une part d’imitation (le

programmateur explique avoir entré un titre en partie parce que d’autres concurrents

l’avait diffusé avant lui).

Il y a trois séries de codes à utiliser pour le double-codage (version réduite par rapport au

dictionnaire des thèmes initial).

La première série est liée aux pratiques d’imitation (9 codes : P1 à P9) : Il s’agit des

catégories d’une typologie des pratiques où les programmateurs. Les quatre premières

sont dans une approche plutôt instrumentale et plutôt délibérée (mise de coté d’un

disque pour attendre délibérément qu’il soit joué ailleurs). Les cinq autres pratiques sont

dans une approche approche plutôt évaluative (identité, normes, volonté de se rassurer,

etc.) et plutôt émergente. Chaque type est associé à des propriétés et à des dimensions

que je ne vous demande pas de coder. La typologie est proposée en annexe. Les

descripteurs opérationnels qui y figurent vous permettront de repérer facilement chaque

pratique (utilisez les, en particulier lorsque vous avez un doute). La règle de codage est

la suivante : n’attribuer qu’une seule pratique par décision (codage assez large - cellules

fusionnées). Je précise qu’il y a systématiquement une pratique par extrait.

La deuxième série est liée au modèle qui est imité (3 codes : M1 à M3) : Le programmateur

peut expliquer avoir imité une tendance générale (« c’était joué partout », « je l’ai

entendu sur toutes les radios », « j’ai vu que ça montait dans Yacast ») ; un groupe de

concurrents ou un concurrent en particulier. Règle de codage : Codage plus fin, unité

d’analyse = le paragraphe (cases indiquées dans le tableau). Ne pas mettre de code si ce

n’est pas nécessaire.

La troisième série est liée aux doutes et aux hésitations du programmateur (14 codes : D1 à

D14) : L’imitation est la plupart du temps liée à des doutes et à des hésitations

exprimées par le programmateur (liée à l’incertitude du contexte). 14 doutes récurrents

ont été identifiés. Règle de codage : Codage plus fin, unité d’analyse = le paragraphe

(cases indiquées dans le tableau). Ne pas mettre de code si ce n’est pas nécessaire.

Merci encore pour votre aide.

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labl

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r un

e au

tre

radi

o pe

rmet

aux

pr

ogra

mm

ateu

rs d

e se

just

ifie

r au

près

de

leur

hi

érar

chie

en

cas

de r

emis

e en

que

stio

n de

leur

cisi

on o

u de

mau

vais

test

s.

Dém

arc

he

Dél

ibér

ée o

u ém

erge

nte

Dél

ibér

ée

Dél

ibér

ée

Dél

ibér

ée o

u ém

erge

nt

>atu

re d

es

do

ute

s et

des

ince

rtit

ud

es

Sen

tim

ent d

e ne

pas

avo

ir a

ccès

aux

in

form

atio

ns p

erti

nent

es p

our

pren

dre

une

bonn

e dé

cisi

on.

Div

ers.

Man

que

de m

oyen

s fi

nanc

ier,

él

oign

emen

t du

titr

e pa

r ra

ppor

t au

form

at,

etc.

R

egar

d pa

rfoi

s dé

sabu

sé s

ur la

pr

ogra

mm

atio

n m

usic

ale

et la

qua

lité

ar

tist

ique

des

pro

duct

ions

plé

bisc

itée

s pa

r le

s au

dite

urs.

Dif

ficu

ltés

à c

ompr

endr

e le

s go

ûts

du p

ubli

c (o

u d’

une

cert

aine

tran

che

d’âg

e).

Les

pro

gram

mat

eurs

que

l’au

dien

ce d

e le

ur

stat

ion

est m

ise

en d

ange

r ou

que

leur

s co

ncur

rent

s po

urra

ient

tire

r pr

ofit

d’u

ne b

aiss

e d’

audi

ence

.

Le

cont

rôle

eff

ectu

é pa

r la

hié

rarc

hie

est p

erçu

co

mm

e im

prév

isib

le. L

es r

espo

nsab

les

hiér

arch

ique

s so

nt d

écri

ts c

omm

e fo

cali

sés

sur

leur

s te

sts

ou

éloi

gnés

des

att

ente

s de

s au

dite

urs.

Les

co

nséq

uenc

es d

’une

déc

isio

n m

alen

cont

reus

e so

nt

elle

s au

ssi i

ncer

tain

es.

Fact

eurs

de

con

tex

te

Dis

pari

tés

dans

les

ress

ourc

es

info

rmat

ionn

elle

s de

s ra

dios

mus

ical

es.

Fort

e ad

hési

on à

« l’

orth

odox

ie T

op 4

0 ».

V

olon

té d

e fa

ire

le «

sw

itch

».

Dis

pari

tés

dans

la p

uiss

ance

de

cert

aine

s ra

dio

(cou

vert

ure,

tail

le, a

udie

nce)

. L

’im

itat

eur

est s

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nt u

n le

ader

sur

son

for

mat

m

usic

al o

u su

r sa

zon

e gé

ogra

phiq

ue.

Le

trav

ail d

es p

rogr

amm

ateu

rs e

st s

uper

visé

par

un

dire

cteu

r de

s pr

ogra

mm

es o

u pa

r le

dir

ecte

ur

géné

ral.

Mod

èles

R

ésea

ux n

atio

naux

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gro

sses

rad

ios

indé

pend

ante

s U

ne te

ndan

ce g

énér

ale

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ins

rése

aux

nati

onau

x U

n co

ncur

rent

iden

tifi

é, u

n gr

oupe

de

conc

urre

nts

ou u

ne te

ndan

ce g

énér

ale

Un

conc

urre

nt id

enti

fié

(le

plus

sou

vent

NR

J).

Cri

tère

s d

e

dés

ign

ati

on

Acc

ès p

résu

aux

labe

ls (

rése

aux

part

enai

res)

ou

util

isat

ion

prés

umée

des

te

sts

(« le

s ra

dios

qui

test

ent »

).

Fréq

uenc

e d’

adop

tion

dan

s le

cas

d’u

ne

tend

ance

gén

éral

e.

Pui

ssan

ce d

u m

odèl

e su

r un

for

mat

ou

une

cibl

e pa

rtic

uliè

re.

Les

mod

èles

son

t le

plus

sou

vent

les

conc

urre

nts

les

plus

dir

ects

de

la s

tati

on (

prox

imit

é gé

ogra

phiq

ue o

u pr

oxim

ité

du p

osit

ionn

emen

t).

Lég

itim

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attr

ibué

e au

x m

odèl

es p

ar le

s su

péri

eurs

hi

érar

chiq

ues

des

prog

ram

mat

eurs

.

Fon

ctio

n d

u

(des

)

mo

dèl

e(s)

Rév

élat

eur

d’in

form

atio

ns

Dév

elop

peur

de

proj

ets

risq

ués

Men

ace

pote

ntie

lle p

our

la s

tati

on

Aut

orit

é lé

giti

me

Des

crip

teu

rs

op

érati

on

nel

s

- A

ccès

à in

fos

/ sor

ties

et p

rom

o -

Acc

ès a

ux te

sts

- D

ispa

rité

s da

ns l’

accè

s au

x re

ssou

rces

-

Cro

yanc

e en

l’ob

ject

ivit

é de

s te

sts

- V

olon

té d

e fa

ire

le s

wit

ch

- P

rog’

per

çue

com

me

un «

trav

ail »

-

Rép

arti

tion

des

rôl

es

- M

ise

de c

oté

préa

labl

e dé

libé

rée

- P

rofi

ter

du tr

avai

l d’a

utru

i -

Pol

itiq

ue d

u m

outo

n / l

avag

e de

cer

veau

- V

olon

té d

e ne

pas

se

lais

ser

dist

ance

r -

Vol

onté

de

ne p

as s

e m

ettr

e en

dan

ger

sur

un

ti

tre

perç

u co

mm

e ri

squé

-

Obl

igat

ion

de r

espe

cter

les

quot

as a

mèn

e à

s’él

oign

er d

u fo

rmat

- P

rog’

sou

s co

ntrô

le d

e la

hié

rarc

hie

- R

emis

e en

cau

se d

u ju

gem

ent

- T

ensi

ons

inte

rnes

-

Uti

lisa

tion

d’u

n m

odèl

e fa

isan

t aut

orit

é

An

ne

xe

s

An

ne

xe

8 :

No

tice

uti

lisé

e p

ou

r le

do

ub

le c

od

ag

e

Ty

po

log

ie d

es

pr

ati

qu

es

év

alu

ati

ve

s d

e l

’im

ita

tio

n c

on

cu

rr

en

tie

lle

L

’im

itat

ion

com

me

véla

teur

de

tend

ance

[P

5]

L’i

mit

atio

n co

mm

e un

moy

en

d’en

trer

dan

s la

nor

me

[P6]

L

’im

itat

ion

com

me

sess

ion

de r

attr

apag

e [P

7]

L’i

mit

atio

n co

mm

e m

oyen

de

se r

assu

rer

[P8]

L

’im

itat

ion

com

me

révé

late

ur d

e dé

sir

[P9]

Rais

on

(s)

La

diff

usio

n d’

un ti

tre

par

les

conc

urre

nts

est u

n in

dica

teur

de

« ce

que

les

gens

veu

lent

en

tend

re »

. Les

pro

gram

mat

eurs

pe

uven

t par

fois

gén

éral

iser

en

cons

idér

ant q

u’el

le p

erm

et d

e ré

véle

r un

e te

ndan

ce m

usic

ale

plus

néra

le.

La

diff

usio

n m

assi

ve p

ar le

s co

ncur

rent

s gé

nère

un

sent

imen

t d’o

blig

atio

n ch

ez le

pr

ogra

mm

ateu

r au

quel

l’im

itat

ion

perm

et

de r

épon

dre.

Cer

tain

s ré

pond

ants

ch

erch

ent n

éanm

oins

à s

e di

stin

guer

– e

n pa

rtic

ulie

r lo

rsqu

’ils

ém

ette

nt d

e vi

ves

rése

rves

art

isti

ques

à l’

égar

d d’

un ti

tre

– en

pra

tiqu

ant d

es ta

ux d

e ro

tati

on p

lus

faib

les

que

leur

s co

ncur

rent

s.

Les

rés

erve

s ar

tist

ique

s de

s pr

ogra

mm

ateu

rs p

euve

nt le

s po

usse

r à

écar

ter

cert

ains

titr

es a

près

une

pr

emiè

re é

cout

e.

Lor

squ’

ils

cons

tate

nt q

ue la

cha

nson

es

t dif

fusé

e pa

r u

ne a

utre

rad

io (

et a

fo

rtio

ri, p

ar p

lusi

eurs

aut

res

radi

os),

le

s dé

cide

urs

peuv

ent p

rocé

der

à un

e no

uvel

le é

cout

e, f

aire

inte

rven

ir d

es

élém

ents

nou

veau

x et

rév

iser

leur

ju

gem

ent i

niti

al.

En

proi

e au

dou

te, l

es

prog

ram

mat

eurs

s’a

lign

eron

t sur

une

te

ndan

ce o

u su

r de

s m

odèl

es q

u’il

s co

nnai

ssen

t afi

n de

se

rass

urer

.

Les

pro

gram

mat

eurs

peu

vent

par

fois

couv

rir

de n

ouve

aux

titr

es e

n éc

outa

nt la

con

curr

ence

. C

es

dern

iers

sus

cite

nt u

n dé

sir

d’ap

prop

riat

ion

dont

l’im

itat

ion

est

la tr

aduc

tion

. Les

pro

gram

mat

eurs

au

ront

par

fois

tend

ance

à d

iffu

ser

plus

fré

quem

men

t le

titr

e im

ité

que

ne le

fai

sait

leur

mod

èle.

Dém

arc

he

Em

erge

nte

Em

erge

nte

Em

erge

nte

Em

erge

nte

Em

erge

nte

>atu

re d

es

do

ute

s et

des

ince

rtit

ud

es

- R

éser

ves

arti

stiq

ues

sur

un ti

tre.

Sen

timen

t de

ne

pas

« po

uvoi

r »

fair

e au

trem

ent.

L

e di

sque

a p

réal

able

men

t été

rej

eté

en r

aiso

n de

rés

erve

s ar

tist

ique

s.

Cra

inte

s su

r le

s ré

acti

ons

des

audi

teur

s et

/ou

les

cons

éque

nces

d’

une

déci

sion

mal

enco

ntre

use.

Les

pro

gram

mat

eurs

n’o

nt p

as e

u ac

cès

au ti

tre

init

iale

men

t ou

n’on

t pa

s eu

le te

mps

de

l’éc

oute

r.

Fact

eurs

de

con

tex

te

- A

dhés

ion

à l’

orth

odox

ie p

rofe

ssio

nnel

le

« T

op 4

0 ».

M

ise

de c

oté

préa

labl

e du

titr

e.

Dan

s ce

rtai

ns c

as, e

xist

ence

de

lien

s so

ciau

x en

tre

les

prog

ram

mat

eurs

. E

ngou

emen

t du

déci

deur

à la

pr

emiè

re é

cout

e.

Mod

èles

U

ne te

ndan

ce g

énér

ale.

U

ne te

ndan

ce g

énér

ale.

U

n co

ncur

rent

iden

tifi

é ou

une

te

ndan

ce g

énér

ale.

U

ne te

ndan

ce g

énér

ale

ou d

es

mod

èles

con

nus.

R

ésea

ux n

atio

naux

ou

radi

os

indé

pend

ante

s th

émat

ique

s

Cri

tère

s d

e

dés

ign

ati

on

Fréq

uenc

e de

dif

fusi

on p

ar le

s co

ncur

rent

s. C

lass

emen

ts Y

acas

t. Fr

éque

nce

de d

iffu

sion

par

les

conc

urre

nts.

C

lass

emen

ts Y

acas

t. A

ucun

cri

tère

par

ticu

lier

. L

iens

soc

iaux

et/

ou c

lass

emen

t Y

acas

t. H

abitu

des

d’éc

oute

du

prog

ram

mat

eur.

Fon

ctio

n d

u

mo

dèl

e

Rév

élat

eur

de te

ndan

ce.

Inca

rnat

ion

de la

nor

me.

Fa

cteu

r de

rem

ise

en c

ause

du

juge

men

t ini

tial

. E

lém

ent p

erm

etta

nt d

e ra

ssur

er le

cide

ur.

Rév

élat

eur

de d

ésir

.

Des

crip

teu

rs

op

érati

on

nel

s

- M

odes

mus

ical

es

- G

énér

alis

atio

n à

part

ir d

e

l’

obse

rvat

ion

d’un

titr

e -

Pou

voir

pro

spec

tif

(ex

: on

aura

un

été

très

roc

k…)

- S

enti

men

t d’o

blig

atio

n -

Déf

init

ion

taut

olog

ique

du

hit (

c’es

t un

hit p

arce

que

tout

le m

onde

le jo

ue /

tout

le

mon

de le

joue

don

c c’

est u

n hi

t)

- Fo

rte

adhé

sion

à «

l’or

thod

oxie

Top

40

» -

Eve

ntue

llem

ent :

eff

ort m

inim

um

- M

ise

de c

oté

préa

labl

e (a

rtis

tiqu

es)

- D

iffu

sion

par

aut

rui =

> r

emis

e en

ca

use

du c

hoix

init

ial

- L

a vo

ix d

e la

rai

son

- R

equa

lifi

cati

on e

n éc

hec

- R

egre

ts

- C

onfi

rmat

ion

d’un

cho

ix

- B

esoi

n d’

être

ras

suré

-

Lie

ns s

ocia

ux a

vec

les

mod

èles

-

Exp

erti

se a

ttri

buée

à a

utru

i -

Iden

tité

par

tagé

e

- D

écou

vert

e de

la c

hans

on e

n éc

outa

nt u

n co

ncur

rent

-

Eng

ouem

ent

- V

olon

té d

e s’

appr

opri

er le

titr

e -

Rot

atio

ns p

lus

élev

ées

que

chez

le

mod

èle

An

ne

xe

s

An

ne

xe

8 :

No

tice

uti

lisé

e p

ou

r le

do

ub

le c

od

ag

e

Le

s m

od

èle

s

M1

: Une

tend

ance

gén

éral

e (t

out l

e m

onde

le jo

ue, c

lass

emen

ts Y

acas

t, c’

est d

ans

les

rota

tion

s, e

tc.)

M2

: Un

grou

pe d

e co

ncur

rent

s (l

es r

adio

s je

unes

, les

rés

eaux

, les

rad

ios

rock

, les

rad

ios

indé

pend

ante

s, le

s gr

osse

s ra

dios

…)

M3

: Un

conc

urre

nt b

ien

iden

tifi

é (N

RJ,

Sky

rock

, Fun

, Vib

ra…

etc

.)

Le

s d

ou

tes

et

les

sit

ati

on

s

D1

: Alt

erna

tive

s tr

op n

ombr

euse

s (i

l y

avai

t bea

ucou

p de

dis

ques

pos

sibl

es)

D2

: Avi

s di

verg

ent d

e l’

équi

pe o

u de

s su

péri

eurs

hié

rarc

hiqu

es

D3

: Cra

inte

s de

s co

nséq

uenc

es d

’une

mau

vais

e dé

cisi

on p

our

la r

adio

(au

dien

ce, p

ub, e

tc.)

D4

: Cra

inte

s de

s co

nséq

uenc

es d

’une

mau

vais

e dé

cisi

on p

our

le r

épon

dant

(je

vai

s m

e fa

ire

vire

r)

D5

: Cra

inte

s su

r la

réa

ctio

n de

s au

dite

urs

(je

ne s

avai

s pa

s si

ça

alla

it le

ur p

lair

e)

D6

: Elo

igne

men

t de

la c

hans

on p

ar r

appo

rt a

u fo

rmat

D7

: Mau

vais

rés

ulta

ts a

ux te

sts

D8

: Méf

ianc

e vi

s-à-

vis

de s

on p

ropr

e ju

gem

ent o

u de

sa

prop

re la

ssit

ude

(per

so j’

en a

vais

mar

re m

ais…

)

D9

: Pas

acc

ès a

ux te

sts

D10

: P

as d

e pl

aces

en

play

list

D11

: P

eur

de p

erdr

e en

cré

dibi

lité

D12

: Q

uota

s à

resp

ecte

r

D13

: R

éser

ves

arti

stiq

ues

D14

: «

Tru

cs e

n dé

velo

ppem

ent

» (c

ode

in v

ivo)

Vu :

Le président M……………………………………………………………………………

Les suffragants MM………………………………………………………………………

Vu et permis d’imprimer :

Le Vice – Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine

STRATEGIE ET IMITATION CONCURRENTIELLE : UNE ETUDE DES PRATIQUES DES PROGRAMMATEURS DES RADIOS MUSICALES FRANÇAISES

En matière de stratégie, l’imitation concurrentielle a souvent été décrite comme une voie à ne pas suivre. Paradoxalement, plusieurs études empiriques ont souligné la fréquence de ce phénomène. A partir du décalage entre la théorie et la pratique, nous cherchons à analyser de quelle façon l’imitation concurrentielle contribue à la stratégie des organisations, à comprendre ce que les managers font lorsqu’ils imitent leurs concurrents. Adoptant une démarche abductive, cette recherche se positionne dans le courant de la stratégie en pratiques (« strategy as practice »). Sur la base d’une analyse de théories issues de plusieurs courants de recherche, un cadre d’analyse a été construit. Deux grandes thématiques sont abordées. L’imitation est tout d’abord décrite comme l’expression de « raisons » individuelles. Elle est ensuite appréhendée comme une conséquence de l’incertitude à laquelle sont confrontés les acteurs. Une étude qualitative consacrée aux radios musicales françaises et à leurs programmateurs a été réalisée. Une quarantaine d’entretiens ont été menés auprès de programmateurs et d’observateurs privilégiés du secteur. Ce corpus a été complété par des données secondaires et a fait l’objet d’un codage à l’aide du logiciel NVivo. L’analyse des données a fait émerger deux grands types de résultats. Tout d’abord, les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs découlent des doutes et des hésitations qu’ils ressentent au contact d’un contexte incertain où les goûts du public sont, plus que jamais, insaisissables. Une grande variation entre les pratiques peut ensuite être mise en évidence. Une typologie composée de neuf pratiques d’imitation concurrentielle a donc été construite. Ces éléments ont permis d’amorcer une discussion plus générale sur la contribution des pratiques d’imitation concurrentielle des décideurs dans la fabrication de la stratégie visant à dépasser l’opposition traditionnelle entre l’imitation et la différenciation.

Mots clés : imitation ; mimétisme ; stratégie ; pratiques ; radio

STRATEGY AND IMITATION: FRENCH RADIO PROGRAMMERS’ PRACTICES OF COMPETITIVE IMITATION

In the field of Strategic Management, competitive imitation has often been described as a way not to follow. Paradoxically several empirical studies have shown that competitive imitation is a frequent phenomena. Building on the paradox between theory and practice, we try to understand how and why managers imitate their competitors’ strategy. This research embraces the recent turn in strategy research to practice-based theorizing. Drawing on several theoretical approaches, it addresses the topic of competitive imitation. Our integrative framework highlights two research issues. First, we examine the rationales behind imitation. Second, we try to understand how imitative behaviors derive from uncertainty. We chose the French Radio Broadcasting Industry to investigate these issues. Our empirical study is based on a data set of 40 interviews and various second-hand sources. Data have been analyzed and coded using NVivo software. Our main results are the following: (1) Imitation appears to be closely linked with programmers’ perception and experience of uncertainty. (2) They have to make decisions without being able to predict which records will reach success and which records will not. In this context, nine key practices of competitive imitation have been identified and classified. These results lead us to a discussion about the way competitive imitation practices interact with business strategy. We focus on programmers’ doubts and perception of uncertainty to go beyond the opposition of imitation and innovation.

Key words: imitation ; mimicry ; strategy as practice ; radio broadcasting industry