323
Introduction Dans ce mémoire, nous allons présenter, de façon comparative, la réactualisation de certains motifs mythologiques dans la littérature hellénique et francophone du XX e siècle. Plus précisément, nous allons, d’abord, nous appuyer sur l’œuvre du poète grec Yannis Ritsos et le recueil Quatrième Dimension (constitué de dix-sept monologues dramatiques, dont douze mythologiques), qui marque un tournant décisif et étonnant de son évolution, vu son strict engagement politique. En second lieu, nous allons examiner comment les mêmes sujets sont traités par certains auteurs francophones 1 , comme Anouilh, Bauchau, Bertière, Cocteau, Gide, Giraudoux, Sartre, et Yourcenar. 1 Notre recherche a été basée dans la production littéraire française et belge d’expression française contemporaines. 1

Thesis Ritsos Full

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Thesis Ritsos Full

Introduction

Dans ce mémoire, nous allons présenter, de façon comparative, la réactualisation de certains motifs mythologiques dans la littérature hellénique et francophone du XXe siècle. Plus précisément, nous allons, d’abord, nous appuyer sur l’œuvre du poète grec Yannis Ritsos et le recueil Quatrième Dimension (constitué de dix-sept monologues dramatiques, dont douze mythologiques), qui marque un tournant décisif et étonnant de son évolution, vu son strict engagement politique. En second lieu, nous allons examiner comment les mêmes sujets sont traités par certains auteurs francophones1, comme Anouilh, Bauchau, Bertière, Cocteau, Gide, Giraudoux, Sartre, et Yourcenar.

La production littéraire de Ritsos et de ses contemporains s’inscrit dans le mouvement du modernisme, qui correspond à une série d’évolutions dans l’histoire de l’art et de la littérature, du début de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à la fin de la première moitié du XXe siècle. En Grèce, quand on parle de modernisme en poésie, on parle principalement de la Génération de 1930. Mario VITTI (1995 : 22) explique que ce terme « désigne de façon générale et conventionnelle les nouveaux écrivains qui parurent pendant la période 1930-1940 ». Dans la Génération de 1930 sont classées, parmi d’autres, les grandes figures de Giorgos Seferis, d’Odysseas Elytis, de Nikiforos Vrettakos, de Nikos Eggonopoulos, d’Andreas Embirikos et bien sûr, la figure de Yannis Ritsos. Ces poètes vécurent les moments historiques du début du XXe siècle et leurs premières œuvres parurent dans l’entre-deux-guerres ou pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ayant tous connu l’horreur de la guerre, ils expriment dans leurs œuvres les vicissitudes de l’époque. Elytis, par exemple, fera la guerre en Albanie, comme officier de l’armée hellénique. Seferis, en tant que diplomate, occupera divers postes en Grèce et à l’étranger. Ritsos, atteint de tuberculose, passera la période de l’Occupation dans un état piètre.

1 Notre recherche a été basée dans la production littéraire française et belge d’expression française contemporaines.

1

Page 2: Thesis Ritsos Full

Les caractéristiques principales de la poésie de la Génération de 1930 sont l’ostracisme de la rime et de la ponctuation et la catalyse de toute convention grammaticale et syntaxique. L’expérimentation (et notamment la libération du vers) s’associe, selon BEATON (1994 : 199), à la recherche de nouvelles thématiques. Le vocabulaire de cette poésie ne vise pas à embellir le texte. On y trouve, au contraire, des mots et des phrases antipoétiques, ainsi que des images surréelles, provocatrices, associatives et ambiguës. Dans l’œuvre plusieurs poètes de cette génération littéraire, on remarque aussi la présence de l’élément paradoxal et surtout la libération de la fantaisie et le manque total de logique. Trois de quatre poètes illustres du XXe siècle, Kavafis, Seferis et Ritsos puisent leur inspiration à la tradition antique. Ils se rendent vers l’Antiquité grecque et intègrent, chacun à sa propre façon, dans leur poésie diverses motifs mythologiques, tandis que Elytis renonce le mythe et emploie dans son œuvre la méthode de la mythogénèse2.

L’objectif de ce travail est d’examiner, en premier plan, la réactualisation du mythe par Ritsos et, en second plan, chercher les mêmes thématiques dans un autre univers, celui de la littérature occidentale, voire francophone. La question de l’usage du mythe n’est pas raisonnable pour un poète engagé comme Ritsos, ainsi que pour les poètes étrangers. La forte connotation du mythe a poussé ces auteurs à l’adopter. Cet argument nous a semblé suffisant pour lancer une recherche des sources dans la production littéraire francophone du XXe siècle, qui, une fois effectuée, nous a amenées à plusieurs œuvres littéraires – notamment à des pièces théâtrales – dont les protagonistes étaient, majoritairement des Atrides ou des Labdacides (surtout les personnages de Clytemnestre, d’Électre et d’Antigone). On a même retrouvé les Atrides dans un roman policier, écrit en 1977 (MAGNAN 1995). Ce courant prouve que le mythe antique demeure fort et solide au-delà des frontières linguistiques, culturelles, terrestres et temporelles. L’universalité et la perpétuité du mythe a été le point de départ de ce travail.

2 Par exemple, comment une fille se métamorphose en arbre.

2

Page 3: Thesis Ritsos Full

Notre recherche a confirmé qu’au sein de la littérature francophone du XXe siècle – et surtout dans le théâtre – la présence des éléments mythologiques est récurrente. Les auteurs décident d’employer le mythe – qui sert de système référentiel commun – en le réactualisant. Malheureusement, la réglementation du mémoire ne permet pas d’y intégrer toutes les sources francophones trouvées, ni de faire, en vue d’une perspective globale, la présentation d’autres textualisations du mythe chez Ritsos ou dans la littérature néo-hellénique. Nous avons donc procédé à une délimitation des sources. Notre critère de sélection fut l’association des héros mythiques figurant chez Ritsos aux héros des textes francophones. La moitié des sources francophones sélectionnées sont des réactualisations du mythe des Atrides, étant donné que Ritsos consacre la moitié de ses monologues mythologiques à la Maison d’Atrée. Les textes choisis sont : Feux et Electre ou la chute des masques de Marguerite Yourcenar, Apologie pour Clytemnestre de Simone Bertière, Tu étais si gentil quand tu étais petit et Antigone de Jean Anouilh, Électre et La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, Les mouches de Jean-Paul Sartre, Ajax, Philoctète, Thésée et Perséphone d’André Gide, Antigone de Henry Bauchau et Antigone de Jean Cocteau. Le seul monologue ritsien non associé à un texte francophone est celui de Chryssothémis, dont nous n’avons pas pu trouver des traces3 dans la production littéraire francophone contemporaine.

3 Nous avons détecté seulement deux références à Chryssothémis, dans l’Apologie pour Clytemnestre et dans l’Électre. Chez BERTIÈRE (2007 : 259), Clytemnestre mentionne que Chryssothémis mourut à cause d’une fièvre. Chez GIRAUDOUX aussi, Clytemnestre dit que Chryssothémis aimait les fleurs (2010 : 120).

3

Page 4: Thesis Ritsos Full

Chacun des auteurs francophones emploie le mythe différemment. Nous distinguons deux types de réactualisation. Le premier est celui dont l’objectif est d’intégrer le mythe dans l’univers de l’auteur, voire le franchiser, ou, aux propres mots de Marguerite YOURCENAR (19934 : 14), le parisianiser – comme le fait, par exemple, Jean GIRAUDOUX avec le « garçon d’honneur » dans son Électre (2010) – et vise à présenter une version du mythe plus moderne, en conservant ses traits distinctifs. Une approche extrêmement intéressante est celle de Simone BERTIÈRE (2007) qui se sert de l’arrière-plan du mythe des Atrides pour textualiser la facette féministe de Clytemnestre. Chez SARTRE (2011), les Érinyes sont métamorphosées en mouches, tandis que chez ANOUILH (2003), elles sont devenues musiciennes. Chez GIRAUDOUX (2010), elles sont des petites filles qui grandissent tout au long de la pièce. Le second type contient des textualisations où les figures mythiques servent de masque. Les auteurs se cachent derrière le mythe, en l’occurrence, afin de s’exprimer indirectement ou plus librement, ce qui est, notamment, le cas de YOURCENAR (1971 ; 1993). YOURCENAR, porte le masque du mythe, généralement, pour parler de son vécu et, particulièrement, pour adoucir, par exemple dans Feux (1993), une crise passionnelle.

4 Dans ce travail, toute référence porte la date de publication de l’édition consultée, qui ne correspond pas nécessairement à celle de la première publication des ouvrages.

4

Page 5: Thesis Ritsos Full

Dans toutes les textualisations francophones (ainsi que chez Ritsos) on trouve, inévitablement, des éléments non-mythologiques, comme des allusions directes ou latentes au christianisme. Par exemple, la Clytemnestre de YOURCENAR (Ibid.) parle du Mont-Athos et le Créon d’ANOUILH (2011) mentionne des prêtres. On y trouve encore des éléments dits « occidentaux », comme, par exemple, les appellations latines des héros ou des dieux. Le paradigme de SARTRE (2011), qui ne parle jamais de Zeus, mais de Jupiter est démonstratif de cette tendance et de l’écart culturel entre les représentants de deux littératures. De la même façon que Yannis Ritsos, les auteurs francophones emploient librement des anachronismes. Comme Hélène boit du café, Phèdre fume des cigarettes et Chryssothémis donne un entretien chez Ritsos, ainsi, l’Antigone d’Anouilh met du rouge à lèvres et du parfum, une femme serre la cravate de son fils chez Sartre, la Phèdre de Yourcenar descend les escaliers du métro et la Clytemnestre de Bertière parle des Macbeth.

La méthode suivie dans ce mémoire est celle de l’analyse littéraire et de la confrontation des sources. Le travail sera divisé en deux parties, la première (A) consacrée à la Quatrième Dimension et la seconde (B) aux textes francophones. Chaque partie sera, également, subdivisée en chapitres. Dans la partie A, le premier chapitre introductif concernera le poète Yannis Ritsos. Pour cela, nous allons nous appuyer sur les avis de ses exégètes. Rappelons qu’aujourd’hui, nous avons déjà quatorze volumes d’œuvres complètes de Ritsos et il reste encore des œuvres inédites. De prime abord, nous allons présenter la division de son œuvre en périodes chronologiques, relevant les périodes différentes de sa création poétique, proposées par les exégètes afin de rendre l’étude de son œuvre moins difficile. Suite à la division en périodes, nous allons exposer les dimensions principales de son écriture et les caractéristiques essentielles des éléments qui y figurent, dans le but d’approcher de sa pensée poétique et faciliter l’interprétation des monologues.

5

Page 6: Thesis Ritsos Full

Nous allons mettre en relief l’exposition des avis de la critique par rapport au choix du mythe par un poète engagé. Dans l’œuvre entière de Ritsos, le lecteur ainsi que le chercheur peuvent facilement remarquer une relation particulière entre les événements de sa vie et les événements historiques. Ritsos vécut plusieurs moments cruciaux de l’histoire néo-hellénique, lesquels ont laissé leur empreinte dans la totalité de son œuvre. Ayant une conscience politique, comme citoyen actif et membre du Parti Communiste (KKE), Ritsos n’a pas hésité à s’en tenir à ses convictions ni à en assumer les conséquences comme ses exils, lesquels auront des répercussions sur sa poésie. En l’occurrence, dans la Quatrième Dimension, l’élément mythique se mêle harmonieusement à l’autobiographique et l’historique.

Avant la présentation et l’analyse des monologues, le statut de la quatrième dimension conféré au temps doit être défini. Le temps et son écoulement impitoyable sont le fil conducteur de la réflexion poétique. Cette délimitation et la définition du sujet du recueil, démontrent que l’expression de la pensée poétique derrière la facette du mythe et sous la forme du monologue, ainsi que la mise en page, ne sont pas des choix hasardeux. Ici, il est indispensable de donner la description stylistique, les caractéristiques et les fonctions du genre littéraire du monologue et des personnes parlantes et muettes dans le cadre de la poésie monodramatique. La Quatrième Dimension est un recueil de longs poèmes en prose dont la structure ressemble plus à celle des monologues dramatiques, étant donné qu’ils sont introduits par un prologue et suivis par un épilogue qui proposent des instructions concernant la mise en scène. Il y a toujours deux protagonistes, dont l’un est le personnage parlant et l’autre le récepteur muet du monologue-confession. Le premier parle des ravages du temps, raconte des souvenirs du passé heureux ou pénibles, fait le bilan de sa vie et, dans le cas d’Agamemnon, d’Électre, de Chryssothémis, d’Ismène, d’Ajax, d’Hélène et de Phèdre, meurt à la fin du monologue.

6

Page 7: Thesis Ritsos Full

Malgré les thématiques qui tournent autour de la mort et des expériences pénibles, « Le poète est là pour nous rappeler que la vie prime sur les idées, à quel point aussi les individus viennent de loin. », comme Grandmont souligne très ponctuellement (RITSOS 2001 : 9). Cette phrase concentre le but du recueil, qui n’est autre que de démontrer qu’à l’antipode de l’omnipotence du Temps destructif, on retrouve une grande force opposée, celle du flux vital, qui est en mouvement perpétuel. Ce dipôle entre la vie et la mort correspond à la propre oscillation du poète, que l’on exposera en détail dans le premier chapitre de ce travail.

Les trois chapitres suivants porteront sur l’analyse des monologues de la Quatrième Dimension. Les figures mythiques seront classées en trois catégories conceptuelles. Chaque catégorie s’étendra sur un chapitre, dont le prélude sera chaque fois la présentation générale du héros, selon la tradition antique. Par la suite, nous allons présenter l’interprétation du monologue ritsien. Nous allons présenter d’abord le cycle des Atrides, dont on retrouve six monologues dans le recueil. Nous avons fait un « ravaudage » des six récits pour en « construire » un septième, celui de Clytemnestre, laquelle est la présente / absente du recueil. Elle ne prononce pas de monologue, néanmoins, elle est présente, d’abord, en tant que personnage muet dans Agamemnon et puis en tant que personnage, par excellence, de référence dans les récits de ses enfants. Les monologues de ces derniers seront présentés, dans ce travail, selon leur âge. Ainsi, le monologue d’Iphigénie précèdera les monologues d’Électre, suivis de ces de Chryssothémis et d’Orèste.

7

Page 8: Thesis Ritsos Full

Faisant une sorte de pont entre la famille d’Agamemnon et la guerre de Troie, nous allons présenter, par la suite les héros du cycle troyen : Hélène, Ajax et Philoctète. Selon Meraklis (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 519), le monologue d’Hélène pourrait faire partie des monologues des Atrides, vu qu’elle fut la source de leur malheur. C’est pour cette raison que L’Hélène précède d’Ajax et de Philoctète. On tend à considérer Ajax en tant qu’homologue d’Agamemnon, car les deux guerriers sont en crise et marchent vers leur mort qui a lieu dans l’épilogue. De la même manière, on considère Philoctète homologue d’Orèste, vu le dilemme face auquel se trouvent les personnages et la grande décision qu’ils sont censés prendre.

Le quatrième et dernier chapitre de cette partie portera sur les héros « isolés ». Plus précisément, il comportera les monologues d’Ismène (seule représentante des Labdacides), de Perséphone (seule des dieux) et de Phèdre (qui représente les Maisons d’Athènes et de Crète). Dans Ismène, Ritsos révèle une héroïne à la recherche d’identité. Perséphone est le monologue le plus court de la Quatrième Dimension et traite du sujet de la lutte éternelle entre la vie et la mort. Phèdre, écrite en 1974-1975 et ajoutée au recueil en 1978, est la confirmation d’une passion fatale et destructrice d’une femme envers son beau-fils.

La partie B de ce mémoire concernera l’esquisse des portraits des héros dans la sélection de textes francophones. Nous avons décidé de commencer notre présentation des textualisations francophones par les deux œuvres de Marguerite Yourcenar (Chapitre 5), dont l’usage du mythe ressemble le plus à celui de Ritsos.

8

Page 9: Thesis Ritsos Full

Dans les trois chapitres qui succèdent, nous allons dessiner les portraits des héros, en forme des éventails ouverts, suivant l’ordre de la partie précédente. Dans le sixième chapitre, nous exposerons le portrait des Atrides, selon les textualisations de Simone BERTIÈRE (2007), de Jean GIRAUDOUX (2010), de Jean-Paul SARTRE (2011) et de Jean ANOUILH (2003). Le septième chapitre présentera les trois héros de Troie (Hélène, Ajax et Philoctète), d’après : l’Apologie pour Clytemnestre (BERTIÈRE 2007), La guerre de Troie n’aura pas lieu (GIRAUDOUX 2005), Ajax et Philoctète (GIDE 1948 ; 2009). L’huitième et dernier chapitre de ce mémoire sera consacré aux trois héros « isolés » (Ismène, Perséphone et Phèdre). Le cas du personnage d’Ismène est assez particulier, car nous allons dessiner son portrait d’après des textualisations francophones d’Antigone. Le texte francophone associé à la Perséphone ritsienne sera le livret de l’opéra homonyme de Stravinsky, écrit par André Gide.

Pour conclure ce mémoire, nous allons procéder à la construction potentielle de ponts entre la réactualisation du mythe dans la littérature néo-hellénique et la littérature francophone contemporaines et plus précisément parmi les sources repérées. Nous allons suivre le parcours linéaire des chapitres d’analyse et esquisser les portraits intertextuels des héros, en signalant les réaménagements de l’élément mythologique, propres à chaque auteur. La confrontation des sources primaires démontrera l’omnipotence des sèmes mythiques, l’universalité du mythe, qui dépasse les frontières spatio-temporelles et la prédominance de la culture grecque à l’égard des autres cultures européennes.

9

Page 10: Thesis Ritsos Full

Dans ce travail, nous proposerons notre propre traduction des passages provenant des sources primaires ou secondaires dont la langue originale est autre que le français. Cela vaut, pour les passages de la Quatrième Dimension5, les avis de la critique, ainsi que pour toute source antique, dont nous avons consulté le texte original. Notons que, exceptionnellement, toute référence aux textes originaux de la tragédie est faite à des vers et pas à des pages, pour des raisons de précision.

Dans la partie en annexe de ce mémoire, le lecteur trouvera un tableau chronologique, contenant toutes les dates cruciales de la vie de Yannis Ritsos (selon sa biographe Angeliki KOTTI 2009) et celles des événements historiques, ainsi que quelques photos du poète.

5 Certains monologues du recueil ont été traduits en français, mais nous avons décidé de proposer une traduction plus proche du texte original.

10

Page 11: Thesis Ritsos Full

Partie A : Yannis Ritsos, Quatrième Dimension et Mythe

11

Page 12: Thesis Ritsos Full

1 Yannis Ritsos

Ce premier chapitre est dédié à Yannis Ritsos. De prime abord, nous allons présenter l’œuvre de Ritsos, divisée en périodes selon les exégètes, et ses caractéristiques, afin d’obtenir une vue globale de son écriture. En deuxième lieu, nous allons voir pourquoi ce poète attaché à la gauche – et donc qualifié de progressiste – se cache volontaire derrière le(s) mythe(s) – et quel(s) mythe(s) choisit-il – pour s’exprimer. Pour conclure notre « initiation ritsienne » et avant de procéder à l’analyse des monologues, nous allons définir la notion de la quatrième dimension et présenter le recueil, ainsi que ses motifs et caractéristiques essentiels.

1.1 Périodes et caractéristiques de son œuvre

Yannis Ritsos, poète inlassable pendant sept décennies et travaillant poussé par un besoin viscéral plutôt que par loisir, a laissé un corpus énorme d’œuvres publiées ainsi qu’inédites. C’est dans l’expression poétique qu’il trouva son refuge et c’est grâce à elle qu’il trouva le moyen d’exprimer sa douleur ou son bonheur, de saisir les moments historiques et aussi de protester tacitement. Les exégètes ont divisé son œuvre en périodes afin de faciliter leur étude. Nous avons choisi de suivre la division proposée par Chryssa PROKOPAKI (2000), dont l’étude est plus récente que celle de Giorgos VELOUDIS (1977)6.

6 La division en cinq périodes, proposée par Veloudis, en 1977, ne comportant la totalité de l’œuvre du poète, est considérée comme incomplète par rapport à celle de Prokopaki.

12

Page 13: Thesis Ritsos Full

NOYAU EXISTENTIEL

NOYAU IDÉOLOGIQUE

  NOYAU POÉTIQUE

PROKOPAKI discerne six périodes, dont la première s’étend de 1930 à 1936. Le jeune poète subit l’influence des poètes consacrés, comme Palamas, Varnalis, Sikelianos et surtout de Karyotakis, dont Ritsos imite le style ironique, voire sarcastique à forte tonalité existentielle. Prokopaki note que dans ces poèmes on détecte aussi l’influence du futurisme maïakovskien (2000 : 12). Les aspects principaux dans ses premiers recueils, Tracteurs et Pyramides, sont l’expression de la douleur du poète causée par la perte de sa mère et de son frère aîné, ainsi que la ruine économique de sa famille. Durant cette période, le jeune Ritsos traite aussi des sujets tels que la mort, la maladie ou l’amour impossible (VELOUDIS 1977 : 12). On y remarque souvent des motifs cauchemardesques de solitude ou de l’élévation des hommes au rang de sujets historiques. Sa tendance à s’identifier à la figure du Christ est aussi remarquable7. Le poète n’est pas indifférent aux vicissitudes historiques. En 1936, il compose Épitaphios, chant funèbre d’une mère et protestation sociale. Son langage rhétorique et pompeux est un mélange de démotique et de katharévoussa8, plein d’expressions lyriques ou prosaïques.

L’OSCILLATION PERPÉTUELLE CHEZ RITSOS

7 PREVELAKIS explique la notion du Christomorphisme chez Ritsos (1992 : 27).

8 Katharévoussa, la langue puriste, s’oppose à la langue démotique qui est plutôt la langue quotidienne. Ici, il faut remarquer que la deuxième était notamment utilisée par la classe ouvrière et surtout par des personnes en faveur de la gauche. Le choix de la katharévoussa par Ritsos n’est qu’une expression d’ironie.

13

Page 14: Thesis Ritsos Full

Introversion ExtraversionChagrin du je. Affirmation du

nous.Nostalgie du passé.

Poésie visionnaire.

14

Page 15: Thesis Ritsos Full

Dans les schémas ci-dessus on voit les différentes fonctions de la poésie au service du psychisme ritsien. Le poète oscille entre le je poétique et le nous. Le ton nostalgique de ses poèmes montre clairement son désir de se plonger au passé, ainsi que son besoin de se tourner vers l’avenir. La poésie pour lui est à la fois l’art en tant qu’art et, au sens restreint, son abri. Cette double oscillation, temporelle et fonctionnelle, suivit la pensée poétique de Ritsos aeterno.

La deuxième période, 1937-1943, est, historiquement, la période de la consolidation de la dictature d’Ioannis Metaxas (08/1936 - 01/1941). C’est aussi la période de l’explosion lyrique de Ritsos (PROKOPAKI 2000 : 12) et celle où l’élément mythologique fait timidement sa première apparition dans sa poésie, mêlé à l’élément autobiographique. Le vers de Ritsos devient libre, à longueur variée mais pas arbitraire, et la réalité se mêle aux éléments surréels. L’œuvre de référence de cette période est Le chant de ma sœur (1937), poème long où explose le chagrin de Ritsos pour sa sœur Loula (internée à l’asile psychiatrique), devenue son principal point d’appui après la mort de leur mère. Ici, il faut noter que Le chant de ma sœur fut le poème qui enthousiasma Kostis Palamas au point qu’il écrivit en devise de consécration la phrase célèbre : « Poète, on s’écarte pour que tu passes9 » (Ibid. : 13). L’oscillation du poète est manifestée aussi dans la Symphonie printanière (1938) où l’amour le fait sortir de la tristesse du passé.

9 La traduction de la phrase « Παραμερίζουμε, ποιητή, για να περάσεις » de Palamas en français est donnée par nous-mêmes.

15

PoésieArt en tant qu’art (fonction universelle).

Abri-point de départ fonction existentielle).

Page 16: Thesis Ritsos Full

Prokopaki note que Ritsos découvre dans cette période son style personnel (Ibid.) à tonalité basse et en langue familière qui ressemble plus ou moins à celle de la « conversation quotidienne » (Ibid.). Dans ces années apparurent aussi ses premiers poèmes courts. Dans ses recueils écrits durant les années 1942-1943 et notamment dans La dernière centenaire avant l’Homme – écrit en 1942 et publié en 1961 – l’espoir de la Résistance contre les occupants commence à transparaître (Ibid. : 13-14).

16

Page 17: Thesis Ritsos Full

La troisième période d’expression poétique de Yannis Ritsos commence à la fin de l’Occupation en 1944 et se poursuit jusqu’en 1955. C’est la décennie où le poète fit l’expérience de l’exil mais aussi du bonheur de la vie familiale car sa fille vient au monde. Les poèmes de cette période parlent de la lutte pour la liberté et de la vie en exil. Sa mission consiste à exprimer la vérité d’un peuple opprimé. En 1945, Ritsos écrit la Grécité, poème qui se nourrit des souvenirs du poète de la tragique période précédente et de la grandeur de la Résistance. Dans la Grécité, il y a aussi des allusions à la Guerre Civile (1946-1949) qui commença à la même période. Ritsos utilise toujours le vers libre avec une utilisation sporadique de pentédécasyllabes pour exprimer la lamentation. La Grécité fut mise en musique par Mikis Theodorakis et les Grecs connaissent encore aujourd’hui plusieurs de ses parties par cœur. Suite à la popularité de cette synthèse, Ritsos est très souvent surnommé « le poète de la Grécité ». Le contenu de la Grécité traduit la conscience de l’époque de vivre un moment historique. Les événements du passé se prolongent dans le présent de telle façon qu’une relation analogique se construit pour montrer que le passé est toujours vivant pour le poète.

La quatrième période de l’œuvre de Ritsos se situe, selon Prokopaki, entre 1956 et 1966 (Ibid. : 17). Veloudis situe le début de la quatrième période d’écriture du poète en février 1956, suite à une série de réaménagements idéologiques et politiques (VELOUDIS 1977 : 18-19). Cette période est surtout connue comme « la période de la Quatrième Dimension », mais se caractérise aussi par une profusion extraordinaire d’autres poèmes. Le poète est à la recherche de nouvelles manières d’expression. Le schéma proposé ci-dessous correspond à la tripartition des œuvres de cette période proposée par Veloudis (Ibid. : 18-21) :

Trois Cycles CritèresA. Le cycle des objets. Poèmes courts.B. Le cycle des chants de chœur.

Plusieurs personnes parlantes, un seul credo.

C. Le cycle de la Quatrième Dimension.

Une personne parlante qui relate ses états d’âme devant un récepteur muet.

17

Page 18: Thesis Ritsos Full

Le cycle des objets comporte les poèmes courts quasi minuscules que l’on retrouve dans les recueils Témoignages A΄ et Témoignages B΄ de 1957-1965 (Ibid. : 18-19). L’humanisation des objets est un élément caractéristique de ces poèmes. Les « objets » de Ritsos ne sont pas des objets définis par leur seule fonction utilitaire, mais sont plutôt les réceptacles de l’énergie des personnes qui en font usage (Ibid. : 19). Le deuxième cycle est celui des chants de chœur. Il comporte six œuvres. Les sujets traités sont la guerre, la mort, le deuil, la dévastation, les biens de la paix, prononcés sur un ton pathétique, par des groupes de personnes âgées, hommes et femmes (Ibid.). Cette plainte est compensée ailleurs par un élan combatif. Le but du poète ici est de présenter les réactions du peuple face à l’adversité historique (Ibid. : 18-21), élément typique de sa propre oscillation. Le cycle de la Quatrième Dimension10 est le cycle des longs poèmes en prose dont la thématique porte sur les ravages du temps et la mort inévitable. Les héros se mettent face à leur vérité, règlent leurs comptes avec le passé et font le bilan de leur vie.

10 Nous allons explorer l’univers de la Quatrième Dimension en détail dans le chapitre homonyme (1.3).

18

Page 19: Thesis Ritsos Full

La cinquième période de l’œuvre de Ritsos couvre les années 1967-1971 selon Prokopaki (Ibid. : 18-19)11. Ces années sont extrêmement difficiles pour le poète qui, de nouveau en exil, doit faire face, épaulé par ses camarades, à la violence et au fanatisme politiques. Ritsos durant cette période traite des sujets sur la vanité et sur la mort (Ibid. : 20). VELOUDIS (1977 : 21) note qu’à partir de 1971, le poète démontre par sa production qu’il n’avait pas encore épuisé toutes les manières d’expression au fil des années. Dans les années suivantes, il renoue avec la tradition populaire et écrit les Dix-huit distiques de la patrie amère entre 1968 et 1970 et Hymne et thrène pour Chypre en 1974.

PROKOPAKI (2000 : 21) discerne une sixième période entre 1972 et 1983. Le poète découvre sans cesse de nouvelles manières d’expression. L’enchevêtrement de l’autobiographique, de l’historique, du social et du sensuel caractérise cette période. Des œuvres comme le Chef-d’œuvre monstrueux, Les Érotiques, Graganda, Devenir, Clocher, Triptyque italien, Phèdre etc. dévoilent l’univers du poète plein de sagesse historique et de vitalité débordante, où le contact du corps humain avec les choses produit une « parole charnelle » qui couvre tout le spectre du réel (Ibid.).

11 VELOUDIS (1977 : 21) propose une cinquième période qui dure jusqu’en 1976, en intégrant toute la période de sept ans de la dictature des Colonels (1967-1974). PROKOPAKI (2000) ne prolonge pas la cinquième période qu’à la fin de l’assignation du poète à domicile, en 1971.

19

Page 20: Thesis Ritsos Full

Les derniers écrits publiés de Ritsos sont les recueils Tard, bien tard dans la nuit (1988) et Secondes (1988-1989). En 2009, Eri Ritsou confia au Musée Benaki les archives de son père, qui comportent aussi des œuvres inédites et qui sont en cours de classement par les exégètes.

1.2 Ritsos face au mythe et ses choix critiques

Après une lecture de la Quatrième Dimension, une des questions les plus souvent posées par le lecteur autant que par l’exégète, porte sur l’usage du mythe. Pourquoi Ritsos, un poète qui, à ses propres mots, considérait « comme un titre de gloire d’être tenu pour le premier poète ouvrier » (MÉTOUDI 1989 : 163) s’inspire de la tradition antique pour composer les deux tiers de ce recueil ? Dans une tentative de définir, d’abord, cette tendance du poète et de se faciliter, ensuite, l’interprétation des textes, nous allons nous appuyer sur la critique et présenter les points les plus ponctuels de l’argumentation des exégètes par rapport à l’élément mythique dans la poésie ritsienne et notamment dans la Quatrième Dimension.

20

Page 21: Thesis Ritsos Full

RITSOS lui-même avoue, dans Monochordes (PROKOPAKI 2000 : 401), que le mythe lui a servi de masque12. La plupart des exégètes partagent l’opinion selon laquelle l’élément mythique dans son œuvre – et notamment dans la Quatrième Dimension – est relié harmonieusement aux éléments autobiographique et historique. La présence significative de l’élément autobiographique est visible dans la totalité de l’œuvre de Ritsos et se justifie par le fait que le poète refusait de rédiger ses mémoires ou son journal13. Veloudis démontre que cette spécificité de l’élément autobiographique est due à la spécificité de la vie du poète, à travers le destin peu ordinaire de Ritsos (ENTREPRISE DES ÉCRIVAINS GRECS 1979 : 17-18). Dans un laps de temps relativement court, la famille du poète fut victime de l’effondrement économique, de la mort, de la tuberculose et de la démence (Ibid. : 18). Il explique que les origines de ce style d’expression doivent être placées à l’an crucial 1921, année du décès de la mère et du frère aîné de Ritsos (Ibid.). En ce temps-là, le poète n’était qu’un enfant, qui à ce jeune âge, cherchait la consolation dans la poésie. Ces circonstances, note Veloudis, ont conduit le poète à la « confessionnalisation autobiographique » et dans les années suivantes ces références seront transformées en toute conscience (Ibid. : 18-19).

12 VELOUDIS (1991 : 113) cite aussi ce vers des Monocordes au début de son article.

13 Sauf les Calendriers d’exil, écrits entre 1948 et 1951 et Le chef-d’œuvre monstrueux, écrit en 1977.

21

Page 22: Thesis Ritsos Full

VELOUDIS (1984 : 51), présente cinq raisons possibles, selon lesquelles le poète se tourne vers le mythe : son passage de la scène du Théâtre National, ses tentatives de traduction d’Antigone sophocléenne, sa première connaissance avec l’œuvre de Kavafis, sa familiarisation avec les lieux du drame ancien et son vécu. Il rajoute que les premières traces mythiques chez Ritsos datent de la seconde période de son œuvre, de 1936 à 1946 (Ibid. : 51-52), mais il précise que ces traces disparaissent pendant la période de la résistance et de l’exil qui suivent (1946-1956), car « […] la dureté du vécu ne supporterait pas de tissu mythique. » (Ibid. : 53).

Par rapport à la Quatrième Dimension, Veloudis développe une théorie sur la relation des éléments mythique, autobiographique et historique. Il prouve le lien entre mythe et vécu par la présentation des analogies des Atrides14 et des Ritsos. Selon lui, le père Ritsos se cache derrière Agamemnon, Nina, la sœur du poète porte le masque de Chryssothémis et l’on retrouve Loula derrière la facette d’Iphigénie (Ibid. : 56). Il parle plutôt d’une identification de conscience, conceptuelle et poétique entre la maison des Atrides et la maison des Ritsos (ENTREPRISE DES ÉCRIVAINS GRECS 1979 : 21). Concernant les anachronismes de Ritsos (tels que le cendrier d’Agamemnon, les pilules d’Hélène, ou la brosse à dents de Clytemnestre), il note qu’ils sont « une première intervention consciente15 du poète au mythe » (Ibid. : 58) et plutôt des aggiornamentos de celui-ci.

14 Ici, Veloudis se réfère exclusivement aux Atrides. Rappelons que l’identification aux Ritsos vaut aussi pour le cas d’autres héros, par exemple, Ismène, Ajax, Perséphone, ou Phèdre.

15 Les italiques dans tous les passages de VELOUDIS (1984) sont du texte original.

22

Page 23: Thesis Ritsos Full

Quant à l’élément historique, Veloudis explique que « […] tout d’abord, "histoire" pour Ritsos veut dire : présent. » (Ibid. : 59). L’amalgame de l’historique et du mythique selon Veloudis (Ibid. : 67), « se base en effet, mais pas exclusivement » à l’association de la décennie de Troie et des décennies 1936-1946 et 1946-1956. Or, Ritsos s’appuie sur le mythe à « l’époque de la déstalinisation, de la condamnation du culte de la personnalité, qui entraîne après soi ou facilite, sous prétexte de la décennie mythique de Troie, la critique, de deux décennies historiques, 1936-1946 et 1946-1956 […] des "temps difficiles", tout à fait différents que l’avant-guerre, qui dictent le "bon masque" du mythe. » (VELOUDIS 1991 : 115). En plus, « la topographie mythique des poèmes de la Quatrième Dimension se réfère à la biographie contemporaine de leur poète – et ce mélange rend la langue mythique de sa poésie encore plus inventive. » (Ibid.).

23

Page 24: Thesis Ritsos Full

Peter BIEN (1980 : 68) trouve dans les poèmes mythologiques de Ritsos des liens entre « son vécu personnel » et « les expériences de sa nation ». Selon Bien, « Le mythe dans son œuvre, n’est pas une évasion, ni un déroutement ; c’est une apocalypse. » (Ibid.). Bien développe une problématique autour de la question de l’usage du mythe. Il fait trois hypothèses et arrive, reductio ad absurdum, à une sorte de conclusion. Il décline l’hypothèse selon laquelle le poète fait usage du mythe parce qu’il préfère le passé au présent et il hésite de décider si « le chaos de la vie moderne l’oblige à s’orienter vers le mythe, comme un moyen qui lui offre une sorte de cohérence, comme l’a fait James Joyce dans son Ulysse ? » (Ibid. : 84). Mais, il est persuadé que le mythe peut rendre l’expérience personnelle commune et l’inverse (Ibid.). C’est par cette idée qu’il conclut sa problématique, disant que le mythe est « la façon la plus économique pour parler de l’expérience grecque entière. » (Ibid.). Selon Bien, cela se justifie par le reconnaissable du mythe aux Grecs, malgré ses diverses variations. Il ajoute que « le mythe l’aide de rester dans la tradition grecque, lorsqu’en même temps il la renouvelle. » (Ibid. : 84-85). Cela devient bien évident, si l’on prend en considération le choix d’une thématique telle que le mythe – très bien connu par tous16 et déjà exploité par toute une somme d’écrivains grecs ou étrangers – et l’introduction de la structure monologique du recueil, nouveauté propre à Ritsos.

16 Rappelons que les Grecs n’ont jamais cessé d’apprendre les légendes et les mythes (même à travers des fables et des contes), malgré les diverses circonstances historiques difficiles de la première moitié du XXe siècle.

24

Page 25: Thesis Ritsos Full

Chryssa Prokopaki parle de l’oscillation, ou de la « division pénible » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 309), en tant que caractéristique de l’œuvre ritsienne. Les monologues de la Quatrième Dimension sont composés selon le principe triadique de la thèse, l’antithèse et la synthèse. Prokopaki schématise leur structure notionnelle : « Le monologue commence d’une thèse généralement admissible, qui va être réfutée. Au début, le refus ressemble à l’hérésie, à la rébellion. […] À travers des conflits et des réfutations consécutives, le héros arrivera, pourtant, à la thèse de départ, celle qu’il a voulu refuser. » (Ibid. : 309). Elle évoque – comme Peter BIEN (1980 : 84) – l’idée de rendre le sentiment personnel commun (ou universel, pour le cas du mythe) afin de sortir de son dilemme : « "la faiblesse" cherche la reconnaissance personnelle et collective, ceci est le stimulant de la synthèse poétique. » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 309).

En outre, Prokopaki développe l’idée du lien entre événements mythiques et contemporains. Elle explique que des problèmes comme « [la] soif pour le pouvoir, [les] inimitiés, [les] sacrifices humaines, [la] vanité, [les] conflits » (Ibid. : 280) existent bel et bien de nos jours. Ceci s’accorde avec la première phrase de l’introduction de son Anthologie de Yannis Ritsos, où elle écrit que « Si quelqu’un voulait lire l’histoire du siècle, il la trouverait à son entité dans la poésie de Ritsos […] » (PROKOPAKI 2000 : 9). Elle note que l’usage du mythe est allégorique et que, malgré les références à l’antiquité, le poète parle toujours du présent (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 313).

Stephanos DIALISMAS écrit que Ritsos, vise à attribuer au mythe, hors de son sens atemporel, un second sens, historique précis (1984 : 57). Selon Dialismas, les poèmes de thématique mythique fonctionnent à deux niveaux : le premier est le contemporain, du point de vue du poète, enrichi des expériences de son vécu (Ibid. : 57-58) ; le second, déjà signalé par Prokopaki, est l’intemporel et l’universel, étant donné que tout événement mythique est potentiel (Ibid. : 58), dans la mesure où le cycle de la vie continue toujours.

25

Page 26: Thesis Ritsos Full

Victor Sokoliuk, distingue aussi deux niveaux de fonctionnement du mythe chez Ritsos, celui « de l’"élargissement" du cadre traditionnel du mythe, de manière que la mythologie aide le lecteur à pénétrer plus profondément dans les problèmes de l’époque contemporaine et le niveau où […] se pose le problème des relations de l’individu avec l’environnement social. » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 391). Les héros mythiques de la Quatrième Dimension sont simultanément des gens contemporains (Ibid. : 391-392). Sokoliuk introduit le schéma d’un escalier et de deux couloirs, représentatif de la coexistence des deux univers (passé / présent) chez Ritsos. Nous avons intégré dans notre texte le schéma original de Sokoliuk (Ibid. : 393) en ajoutant la traduction française des termes y figurant :

Par la suite nous traduisons la propre explication du schéma par Sokoliuk lui-même :

L’espace ici est le « rien17 » […] Le temps est signalé par l’éternité, à laquelle s’associe le destin18. Dans l’espace pivotent deux « couloirs » temporels diamétralement opposés : le « couloir » de l’époque contemporaine et le « couloir » du passé. Les « couloirs » se lient d’un « escalier » […] Sur cet « escalier » […] se fait la rencontre du présent avec le passé, car les deux « couloirs » pivotent autour de leur axe, c’est-à-dire autour de la base de vie primordiale, qui est le seul point immobile et immuable.

17 Les italiques sont du texte original.18 Ici et dans le schéma ci-dessus, nous traduisons comme « destin »,

le mot « μοίρα » du texte grec.

26

Espace

(« rien 

Temps(éternité - de

stin)

Époque contemporaine

Pass Histoire

Page 27: Thesis Ritsos Full

Le mouvement cyclique se complète par le mouvement propulsif des « couloirs » vers la direction d’un avenir indéterminé, et cela constitue au fond l’histoire. » (Ibid.).

Sokoliuk note encore que Ritsos, en employant des figures du mythe dans diverses périodes historiques, voit l’histoire grecque en tant que « […] ensemble unique […] » dans lequel coexistent « […] des mythes anciens, des traditions byzantines, des légendes des klephtes et armatoles et des guérilleros des années 1940 au vingtième [sic] siècle. » (Ibid. : 396).

Michalis Meraklis écrit qu’au fil du temps, la matière mythique a la « disponibilité » de couvrir plusieurs situations similaires – personnelles, collectives, sociales ou historiques – (Ibid. : 519). Il base ce propos sur l’usage libre des anachronismes et l’ « […] âge parfois fabuleuse en durée de ses héros. » (Ibid.).

1.3 La quatrième dimension et la Quatrième Dimension

1.3.1 Définitions

[…] Une sensation comme quand un inexpérimenté lit de la constitution de la matière et de l’antimatière, de la division de l’atome ou de la quatrième dimension, – une sensation embrouillée d’admiration et de fatigue, d’omnipotence et d’insignifiance, d’obscurité minutieuse et d’immortalité. Une sensation, enfin, de l’inexplicable unicité de l’homme – de ses besoins et de ses capacités. En un mot, on dirait : quelque chose d’apocalyptique, si l’on n’en avait pas peur de tels mots. […] (RITSOS 1976 : 309).

27

Page 28: Thesis Ritsos Full

Le passage cité ci-dessus est tiré de l’épilogue du poème Le pont (Ibid. : 295-309), écrit en 1959. D’après ces premiers indices donnés par le poète, la quatrième dimension est, d’abord, un état, une situation fondée de contradictions et basée sur des oxymores. À cette dimension, l’enthousiasme se mélange à la fatigue, la puissance perd son importance et le temps s’est dépassé. L’homme y est perçu à sa faiblesse et grandeur totale, d’où l’adjectif « apocalyptique », avec la double signification du terme en grec, celui qui révèle et, au sens métaphorique, voire philosophique, celui qui est relatif à l’Apocalypse (entendue ici en tant qu’événement majeur, sans connotation religieuse).

Les exégètes ont proposé plusieurs définitions potentielles de la quatrième dimension. Victor Sokoliuk écrit que la quatrième dimension de Ritsos est « […] la découverte de cet élément commun qui fraternise et unit toutes les époques historiques. » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 394). Michalis Meraklis indique qu’il s’agit du Temps, selon la théorie de la relativité et les mathématiques (Ibid. : 522), lequel assimile à un « grand rongeur qui croque et détruit tout » (Ibid.). Kostas Papageorgiou écrit qu’elle provient de la dimension qu’obtiennent les objets, une fois détachés de limitations fixées par les propres dimensions matérielles (Ibid. : 563). Vaggelis KASSOS, dans sa lecture (2000 : 17), reprend ces deux définitions, mais il diffère d’opinion, car, pour lui, la quatrième dimension n’est autre que la Poésie. Selon Kassos, ce propos est à but double. D’abord, la quatrième dimension revendique, à l’aide des objets, la reconstruction d’ « un "éclat", qui fonctionne en tant que contradiction à la stabilité obscure des espaces clos où ont lieu les monologues […] » (Ibid. : 17-18). En deuxième lieu, le poète expose « le problème de l’art, c’est-à-dire de la vie entière et de la création, ainsi que le problème de la position de l’artiste dans le monde.19 » (Ibid. : 18). Notons encore une définition potentielle, celle de Christos Alexiou (dans MAKRYNIKOLA et BOURNAZOS 2008 : 150), selon lequel, la quatrième dimension « s’identifie d’habitude à la [dimension] mythique. »

19 Kassos indique que cette citation provient de l’essai « De Maïakovski » (dans RITSOS 1974).

28

Page 29: Thesis Ritsos Full

1.3.2 Le recueil de poèmes

1.3.2.1 Description et structure

La Quatrième Dimension (197220) est le sixième des quatorze21 tomes collectifs de poèmes de Yannis Ritsos. C’est un recueil composé de seize longs poèmes en prose (dix-sept depuis 1978), introduits22 par un prologue en guise d’instructions de mise en scène et complétés par un épilogue en guise de katharsis, dont les douze mythologiques. Selon VELOUDIS (1977 : 20), le cycle de la Quatrième Dimension aurait comporté plusieurs synthèses que les dix-sept finalement choisies23. Il traite ces monologues de « prolixes » (Ibid.) et il détecte les notions de leur thématique par le biais de leur pertinence historique (Ibid.).

20 Date de la première publication du tome. Toute référence et citation dans ce mémoire renvoie à la sixième édition (1978).

21 Le quatorzième tome (ΙΔ') a paru chez Kedros en 2007.22 Clarté hivernale et Quand vient l’étranger n’ont pas de prologue et

d’épilogue.23 VELOUDIS (1977 : 32) cite les œuvres : Adieu (1957), Le conducteur

de l’ascenseur (1958), Le gardien du phare (1958), Le pont (1959), Le dernier et le premier de Lidice (1969), Delphi (1961-1962) et Le temps des bergers (1961) qui ne sont pas inclus dans le volume de la Quatrième Dimension et nomme ce cycle, le « cycle de la Quatrième Dimension » parce que la majorité des œuvres ont la forme du monologue. N’oublions pas de préciser que toute étude sur la Quatrième Dimension, écrite avant 1978, ne comporte pas le monologue Phèdre (1974-1975), qui a été ajouté à la sixième édition du recueil (voir colophon dans RITSOS 1978).

29

Page 30: Thesis Ritsos Full

Meraklis (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 519) signale que les poèmes sont classés thématiquement et pas chronologiquement dans le recueil, qui s’ouvre avec quatre poèmes non mythologiques : La fenêtre, Clarté hivernale, Chronique et La sonate au clair de lune. La plongée dans le mythe commence avec les monologues des Atrides (Agamemnon, Orèste, La maison morte, Le retour d’Iphigénie, Sous l’ombre de la montagne et Chryssothémis), continue avec Perséphone, Ismène – seule représentante de la maison de Labdacos – et les héros de Troie (Ajax, Philoctète, L’Hélène) et se clôture avec Phèdre. À la fin de la Quatrième Dimension on retrouve le non mythologique Quand vient l’étranger, qui, selon Meraklis est un poème « hors du temps […] et le plus optimiste. » (Ibid. : 521).

Les poèmes ont la forme du monologue dramatique (légitimée par le prologue et l’épilogue24), mais nous hésitons à les classifier dans ce genre, parce que les personnages manquent d’action (δράσις). De la même manière, nous ne pouvons pas les classer parmi les monologues intérieurs, parce que chaque fois, les personnes parlantes adressent le monologue à un récepteur muet25 qui, avec ses réactions et son langage corporel, les soumet à cet état d’endoscopie.

24 Meraklis signale qu’il ne faut pas se tromper de la forme du prologue et de l’épilogue. Ils sont aussi de la poésie (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 517).

25 Selon KARATASSOU (2004 : 199), « Les personnes parlantes inventent plein de méthodes pour manipuler les réactions des récepteurs de leur monologue et en général elles combinent plusieurs tactiques qui servent le même but : maintenir le silence du récepteur. »

30

Page 31: Thesis Ritsos Full

Meraklis appelle « dramatis personae »26 les personnes parlantes, majoritairement des femmes âgées (Ibid. : 517) et souligne l’attirance du poète par le mythe et plus précisément celui des Atrides, dont presque la moitié27 des héros figurant dans le recueil (Ibid. : 519). Mais précisons cependant que c’est toujours Ritsos28 qui parle derrière des différentes figures mythiques. Le mythe se confond aux expériences contemporaines et à l’histoire des Ritsos (PROKOPAKI 2000 : 17).

Le ton est le ton confessionnel de la communication quotidienne, qui couvre, selon Prokopaki (Ibid.), une réflexion quasi philosophique. Le lexique est le lexique sui generis de Ritsos, une langue simple et quotidienne, soigneusement ponctuée, qui, néanmoins, ne manque de sentiment, ni de lyrisme.

1.3.2.2 Le temps et les objets

26 Pourtant, cette appellation nous paraît contradictoire par rapport à l’absence d’action.

27 Les six monologues des Atrides sont : Agamemnon, Orèste, La maison morte (Électre), Le retour d’Iphigénie, Sous l’ombre de la montagne (Électre) et Chryssothémis. Selon Meraklis (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 519), on peut encore y ajouter L’Hélène (en tant que responsable de la guerre de Troie et source des malheurs des Atrides).

28 Nous considérons le tissu mythique en tant qu’oignon, dont le bulbe est le poète et les tuniques sont les masques qu’il porte. Or, même si, derrière la facette d’Électre (tunique extérieure), par exemple, on retrouve Loula Ritsou (tunique intérieure), on retrouvera, également, derrière elle, le poète lui-même (bulbe).

31

Page 32: Thesis Ritsos Full

Les monologues du recueil traitent principalement du sujet majeur du ravage provoqué par l’écoulement du temps. Les personnes parlantes se réfèrent aussi à la responsabilité, aux trahisons, à l’amour, aux fautes du passé, aux remords et surtout à la mort et aux morts. La notion du temps de la quatrième dimension se repose quelque part au milieu du dipôle du temps historique et du temps métaphysique (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 522). Meraklis précise que le temps est perçu tantôt comme puissance destructrice, tantôt comme « ordre », dans lequel Ritsos se positionne lui-même (Ibid. : 523). Pour DIALISMAS, le temps est « anéantissant » et il détruit tout sauf la mémoire et ceux qui réussissent à sentir l’essence de la vie et donc envisager la mort en tant que source vivifiante (1984 : 59). PAPAGEORGIOU (2009 : 10) note que le temps de la quatrième dimension « ne s’écoule pas horizontalement, mais il monte verticalement », morcelé, sans durée, ni cohérence, pareil aux mémoires des personnes parlantes.

RITSOS dans l’ « Introduction des "Témoignages" » (1974 : 100) parle du rôle des objets dans ce recueil29 de poèmes courts. Les objets « […] simples, tangibles, incroyables et apaisants ([sont] des petits accumulateurs de l’utile énergie humaine, des petits mythes quotidiens), qui prennent part à un drame qui ne les concerne pas. » PROKOPAKI (2000 : 17) note que, débarrassés de leur fonction utilitaire, sont en interaction permanente avec les personnages. Meraklis (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 540), va plus loin, disant que les objets, en tant qu’éléments indispensables de la vie de l’homme, mènent aussi leur propre lutte contre la mort. PAPAGEORGIOU (2009 : 9) attribue l’adjectif « consumés » aux objets qui ont perdu leur fonctionnement utilitaire. Selon lui, ces objets se caractérisent par une « rancune énorme » et forcent les héros à creuser dans leur mémoire (Ibid.).

29 Ce qui vaut pour les objets dans Témoignages, vaut aussi pour les objets dans les monologues de la Quatrième Dimension.

32

Page 33: Thesis Ritsos Full

2 Les Atrides

Les Atrides étaient les descendants maudits des Tantalides. Chaque génération, commençant par Tantale lui-même, a une tradition de massacres familiaux. Tantale a tué son fils Pélops et l’a offert en dîner aux dieux. Les fils jumeaux de Pélops, Atrée et Thyeste, ont tué leur demi-frère, Chrysippe. Thyeste a commis un adultère avec l’épouse d’Atrée et ce dernier lui a tué ses fils et il les lui a offerts en repas. Égisthe, fils de Thyeste et de Pélopia, fille de Thyeste, a tué Atrée (SMITH 1870a : 36, 57-58, 407-408).

Les Atrides, et plus précisément, la génération d’Agamemnon ont interpellé les poètes et les écrivains depuis l’époque d’Homère. Le drame atridien se situe parmi les mythes grecs les plus populaires, ce qui est évident si l’on prend en considération la pléthore de textualisations de leur mythe au fil des siècles.

2.1 Agamemnon

Agamemnon, fils d’Atrée et d’Aéropé, Roi de Mycènes et chef des Achéens, a sacrifié sa fille Iphigénie (Iphianassa) pour que le vent lui soit favorable et qu’il puisse atteindre Troie comme chef de l’armée. De retour à Mycènes, il a été assassiné par son épouse, Clytemnestre, à l’aide Égisthe. Son fils, Orèste, pour se venger, a commis le matricide de Clytemnestre et le meurtre d’Égisthe. PAUSANIAS LE PÉRIÉGÈTE30 écrit que : «Ἀγαμέμνον[α] […] κατεφόνευσεν Αἴγισθος.»31

2.1.1 Agamemnon ou la désillusion du pouvoir

30 Dans son œuvre Description de Grèce (2.16.6), version numérisée du texte disponible via le lien : http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.019%3Abook%3D2%3Achapter%3D16%3Asection%3D6, consulté le 14 juin 2013.

31 « Égisthe […] assassina Agamemnon. »

33

Page 34: Thesis Ritsos Full

Agamemnon (1966-1970), la réactualisation d’Agamemnon eschyléen par Ritsos, est le premier monologue mythologique dans l’ordre du recueil32 et le premier monologue des Atrides. La rédaction commence avant le coup d’État des colonels et s’achève pendant la dictature. Agamemnon ritsien, par rapport à son origine mythique, porte tout un arsenal d’énoncés héroïques, viriles, de cruauté, de pouvoir, d’un personnage sans scrupule, vainqueur et hybristique.

Pourtant, le poète y révèle un personnage en crise, avec la double signification du terme κρίσις en grec – crise comme discernement et crise comme état émotionnel. Il se sert du mythe en l’occurrence (retour au foyer et meurtre du chef), comme fil directeur, pour déployer sa propre conception du personnage. Il développe les différents états d’âme du polémarque et il l’éclaire de l’intérieur. Ainsi, il nous permet de constater l’absurdité de toute guerre mais aussi la défaite des protagonistes-mêmes par la force destructrice du temps.

L’espace-temps du monologue est le palais mycénien. Le drame se déroule dans une journée d’hiver ensoleillée. Le chef fatigué revient de Troie. Il ne conserve presque plus de caractéristique héroïque de son passé glorieux. Il essaye de combler le fossé que son absence a créé entre lui et son épouse et il fait le bilan de la guerre et de sa vie. Sa parole reflète son détachement à l’égard de son statut de Roi, de guerrier et de chef militaire, mais aussi de père, d’amant et d’époux.

Clytemnestre, présente tout au long de la scène, est le destinataire du monologue. Occupée par la préparation des derniers détails du meurtre, elle montre avec des gestes ses réactions aux paroles de son époux. Elle tue Agamemnon dans la tranquillité et en silence. Après l’acte odieux, pâle, mais toujours calme, elle pose sur le mur la bouée avec l’inscription « Lachesis » et elle refait ses cheveux. Ce détail démontre qu’elle a assassiné Agamemnon de sang froid.

32 Chronologiquement, le premier monologue du recueil est La sonate au clair de lune (1956).

34

Page 35: Thesis Ritsos Full

Ritsos respecte le temps, ainsi que les grandes parties structurales de la tragédie. Le récit est cyclique. Le point de départ et d’arrivée est toujours le mythe et la réactualisation se positionne au milieu. Le mythe demeure solide et fort dans toutes ses facettes, soit directement, soit de manière indirecte. La parole poétique fait son trajet du passé vers le présent et réciproquement. La première dizaine de lignes du prologue sert de condensation des 1306 premiers vers de la tragédie33 et l’épilogue correspond à l’épisode du meurtre du chef et à la fin d’Agamemnon eschyléen (ESCHYLE 1992a : vv. 1319-1650). Le reste du prologue et le monologue constituent la réactualisation ritsienne. Depuis le prologue, avant même l’arrivée du polémarque à Mycènes, tout est déjà bien organisé pour le meurtre qui va avoir lieu à l’épilogue. Le monologue lui-même sert de préparation pour le meurtre.

Le texte ritsien ne comporte pas certains épisodes de la tragédie. Chez Ritsos, la fin de Cassandre – dite « la femme folle » (RITSOS 1978 : 57, 69) – reste vague. Cassandre n’est pas assassinée, certes, mais en délire, elle crie : « Citoyens d’Argos, tard, très tard […] » (Ibid. : 69). Peut-être, en dehors du texte, c’est également « très tard » pour elle aussi. Agamemnon eschyléen encourage son épouse à bien traiter l’étrangère (par crainte de l’hybris), tandis que le ritsien lui propose de la garder soit pour servante, soit pour nourrice d’Orèste (Ibid. : 58). Dans le prologue, les cris de Cassandre, quand elle prédit les malheurs qui suivront, sont « incompréhensibles, en langue étrangère » (Ibid. : 57). Dans l’épilogue, au moment exact du meurtre, « on entend en grec parfait la voix de la femme étrangère » (Ibid. : 69) qui confirme la mort du chef.

33 Toute numérotation de vers suit celle de l’édition philologique consultée (Ici : ESCHYLE 1992a).

35

Page 36: Thesis Ritsos Full

La partie des apologies et des vanteries de Clytemnestre et d’Égisthe, qui se clôture l’Agamemnon eschyléen (ESCHYLE 1992a : vv. 1348-1650), ne s’y est pas intégrée. Clytemnestre n’est pas nommée, elle est appelée « épouse du polémarque » (RITSOS 1978 : 57) ou juste « femme » (Ibid. : 57, 68, 69). Égisthe apparaît dans l’épilogue en tant qu’ « Un homme, beau, tête nue, en uniforme militaire, une grande épée sanglante à la main […] [qui] prend la casquette [d’Agamemnon] […] [et] la porte à l’inverse. La queue de cheval [est] sur son visage. Comme un masque. » (Ibid. : 69).

36

Page 37: Thesis Ritsos Full

Le polémarque, autrefois omnipotent et impitoyable, maintenant fatigué et déçu par la vanité de la gloire, renonce à toutes les facettes de son statut. Son malaise est la cause de la coupure des attaches et ses réactions sont les effets du malaise. Le détachement se fait en plusieurs étapes et il est conscient, absolu et définitif. D’abord, il décline son statut royal. Incapable de faire cesser les acclamations du peuple lui-même, il demande à son épouse de s’en occuper (Ibid. : 57-58). Les acclamations lui sont insupportables. Le peuple l’acclame mais les applaudissements sont plutôt un élément hybristique pour lui, étant donné les crimes qu’il a commis avant de rentrer victorieux. Puis, il se détache de son statut paternel : « Tu l’as très bien pensé de les34 renvoyer à leurs chambres, – je ne pouvais plus les voir. » (Ibid. : 58). Il ne veut pas voir ses filles, pourtant, il demande où est Orèste. Ensuite, il renonce à tous les butins de la guerre (Ibid. : 58-59). Il s’éloigne de l’archétype homérique, où la cause de la grande dispute avec Achille (HOMÈRE [1866] : 3-10) fut le partage des butins. Agamemnon ritsien donne sa propre opinion par rapport à cet épisode. Il ne parle pas de conflit, mais de fatigue. Ne voulant plus son sceptre – « lourd », car il a le poids du pouvoir – il se détache de son statut du chef (RITSOS 1978 : 59). Enfin, il renonce aux statuts de l’amant et de l’époux. Il refuse même Cassandre, son butin le plus précieux : « […] prends-la pour servante ou pour nourrice de notre fils […] – pas dans ma chambre, non, j’ai besoin d’une chambre toute vide […] Et, bien sûr, notre chambre je te la cède. » (Ibid. : 58). La décision de renoncer à la chambre conjugale est due à la force destructrice du temps. Il veut garder le souvenir de la jeune Clytemnestre et vice-versa. Cela explique sa pudeur pour son corps vieilli quand elle veut l’accompagner au bain. En plus, il exprime sa volonté de passer le reste de sa vie à la campagne. Après avoir vu l’atrocité de la guerre, il préfère vivre éloigné et seul. Le jugement conscient du chef de se retirer à la campagne se heurte à un deuxième

34 Il se réfère à ses filles, Électre et Chryssothémis.

37

Page 38: Thesis Ritsos Full

jugement, aussi conscient, celui de son épouse (l’assassinat), qu’il ignore35.

Suite à sa crise émotionnelle, Agamemnon soulève les questions de la mort au champ de bataille et de la gloire posthume : « Me voilà, donc, moi qui ne t’a même apporté cette joie […] qui pourrait, hélas, racheter […] des milliers de meurtres, secrets ou visibles, des milliers d’erreurs et de tombes. [Qu’ils soient] loin de moi tels héroïsmes ; » (Ibid. : 63). En théorie, Agamemnon admire la mort glorieuse, mais, en pratique, son éloge aux héros morts cache sa propre gratitude d’avoir survécu. Son attitude démystifie encore plus a fortiori la figure mythique de l’Atride et démontre un caractère mou et las, totalement opposé à celui du héros homérique et eschyléen. La démystification, à son tour, démontre l’absurdité de la guerre.

Au début du monologue, le polémarque remarque une fourmi descendre le mur. Il s’identifie à elle parce que tous deux portent une charge énorme par rapport à leur taille. La fourmi porte le poids de ce qui lui est nécessaire pour vivre et Agamemnon porte le poids de ce qui le tuera. Il est jaloux de l’existence de la fourmi, insignifiante par rapport à la sienne. Le récit continue et la fourmi réapparaît après le meurtre, dans l’épilogue. Tandis que l’héros sera réduit en poussière, la fourmi, plus puissante que le chef une fois invincible, va continuer sa vie insignifiante. L’infiniment petit et vital chez Ritsos vaut mieux que toute acquisition éphémère. À la fin, la gloire, la beauté, la richesse et l’amour vont faire apparaître leur vrai visage vain. Le noyau de la vie extrahumaine persiste malgré toute mort individuelle. Dans l’univers de la Quatrième Dimension, la conception du monde et de la nature qui préexistait des hommes et qui continuera d’exister après leur mort est considérée comme une touche de lumière, une semence d’optimisme et d’espoir sur le paysage noirci par toute mort individuelle.

35 Remarquons que le fait que, dans la tradition antique (ainsi que dans les textualisations contemporaines), le public connaît du début le meurtre qui va clôturer l’œuvre nous fait rappel du principe de l’ironie tragique, élément crucial au sein du drame, ainsi que dans le cas des monologues mythologiques du recueil.

38

Page 39: Thesis Ritsos Full

Clytemnestre accueille le polémarque avec tous les honneurs. Les tapis rouges, étendus tout au long de l’escalier, connotent le jaillissement du sang et, de la même manière que chez Eschyle, prédisent le meurtre commis à la fin. Les tapis sont mentionnés trois fois. La première image du monologue est celle des tapis rouges sur le grand escalier du palais. Le chef cite les paroles de Clytemnestre au moment où elle a commandé aux servantes d’étendre les tapis « pour que toute la route devienne rouge […] » (Ibid. : 60) à l’arrivée du Roi. Ce dernier admet son malaise de marcher sur ces tapis. Ayant pris conscience de la vanité de la campagne militaire de Troie, il ne se considère pas vainqueur et donc marcher sur les tapis de la gloire consiste pour lui en une hybris de plus. Le pressentiment de la mort est encore une raison de son malaise : « J’ai vu devant moi les servantes déplier d’autres tapis rouges comme si elles poussaient les roues du destin. » (Ibid.).

Le bain fatal apparaît cinq fois avant l’assassinat. Agamemnon demande à Clytemnestre de lui préparer le bain (Ibid. : 58, 60). Toutefois, l’élément aquatique est pour lui purifiant et relaxant. L’idée du bain le purifie du sentiment visqueux (causé des limaces dans sa tente à Troie) et le calme des frissons d’angoisse (quand il marche sur les tapis rouges). Au moment de la vision absolue, Agamemnon décrit le bain (Ibid. : 62). Puis, avant d’y entrer, il se demande si l’eau aura refroidi (Ibid. : 67, 68). Dans l’épilogue, une sixième allusion au bain (Ibid. : 68) nous confirme qu’Agamemnon et Clytemnestre y sont entrés ensemble et indique – indirectement – que le meurtre va avoir lieu.

39

Page 40: Thesis Ritsos Full

Agamemnon, suite à une prise de conscience totale et terrible – qui se passe peu avant sa mort et qui le conduira, évidemment, à cette dernière – acquiert la vision globale du monde, de la vie, des choses et surtout de la mort. Il rumine ses mémoires de la guerre et il critique son passé. Il se réfère à des héros iliadiques – Achille, Patrocle, Philémon, Antiloque et Ion – et à Hélène. Le choix de ces héros n’est du au hasard. Tous ces guerriers sont morts à Troie. Philémon, Antiloque et Ion, trois soldats mineurs (et imaginaires, avaient, comme Agamemnon, pressenti leur mort. Chacun a réagi différemment : « Antiloque a défié, par ses railleries, son calme et sa tempérance. Philémon a dit "Je me prépare" ; rien d’autre. » (Ibid. : 64). Ion, la veille de sa mort, a découvert que son verre était incassable. Agamemnon l’a cherché le lendemain, mais il avait disparu et il a cru qu’il n’avait donc jamais existé et qu’il n’était qu’une hallucination de l’ivresse. La référence à Hélène connote la force de l’usure du temps et le vain combat d’y échapper. Agamemnon décrit le rite du maquillage d’Hélène. Pourtant, « […] son visage n’est plus celui pour lequel on a commencé [la campagne], on a lutté […] C’est comme si, au-dessous des couleurs merveilleuses de son art féminin, elle couvre ou endort amèrement sa propre mort. Et elle le sait. » (Ibid. : 65).

Agamemnon a ramené à Clytemnestre une bouée avec l’inscription « Lachesis », trouvé dans la mer. Lachesis fut une des trois Μοῖραι (divinités du fatum personnel de chaque être humain), celle qui décidait l’avenir et coupait à sa volonté le fil de la vie des hommes. La bouée, volontairement offerte à Clytemnestre est conçue comme signe de salut, qui, avec une telle inscription, représente ici l’avenir. Clytemnestre, comme une autre Lachesis, connaît déjà l’avenir et coupera le fil de vie de son époux selon sa volonté. L’offre consciente de la bouée est la réaction d’Agamemnon face au pressentiment de la mort.

40

Page 41: Thesis Ritsos Full

Le polémarque fait le bilan de sa vie. Il regrette son passé iliadique, parce qu’il a laissé la vie s’échapper et secoué par des états d’âme du dernier moment héroïque, montre sa faiblesse. Il évoque l’idée que les événements du passé ont eu lieu, pour qu’il découvre un jour leur vanité (Ibid. : 62). Il semble aller volontairement vers la mort. Au moment de la vision absolue, il avoue qu’il distingue même l’heure de sa propre mort. En outre, il soupçonne son épouse quand elle insiste pour l’accompagner au bain : « Je pense que tu ne m’écoutes pas ; – comme si tu avais hâte. […] Il n’est pas nécessaire de venir avec moi ; je parviens seul […] » (Ibid. : 67). Les derniers mots du chef signalent l’insistance de Clytemnestre et l’issue de l’histoire : « J’y vais. Toi reste ; – ce n’est pas nécessaire. Tu insistes ? – Viens » (Ibid.).

2.2 Clytemnestre

Clytemnestre, fille de Tyndare et de Léda, était la sœur de la belle Hélène et des Dioscures, Castor et Pollux. Pendant l’absence d’Agamemnon à Troie, elle commença une affaire avec Égisthe, qui sera son complice au meurtre du polémarque. Clytemnestre tue son époux pour se venger du sacrifice de son aînée, Iphigénie (Eschyle, Agamemnon). Après le meurtre elle se marie à Égisthe et règne à Mycènes jusqu’à sa mort par l’épée de son fils, Orèste.

2.2.1 Le silence polyphonique de Clytemnestre

41

Page 42: Thesis Ritsos Full

Clytemnestre ne prononce jamais son propre monologue dans la Quatrième Dimension. Pourtant, elle est présente dans les six monologues du recueil liés aux Atrides. Le choix de cette présentation indirecte de Clytemnestre par Ritsos s’explique par le fait que la Maison d’Atrée est l’équivalent poétique de la Maison ritsienne, et donc, une telle figure de mère et d’épouse ne pourrait pas s’identifier avec la figure absolument sacrée d’Eleftheria Vouzounara. En outre, Ritsos s’intéresse plutôt aux antihéros. Clytemnestre, à cause de son profil mythique, ne pourrait pas servir l’intention du poète. Son image opaque et obscure est illustrée de façon fragmentaire par l’intermédiaire des paroles des membres de sa famille. Dans ce chapitre, nous allons assembler toutes les pièces du puzzle, afin de reconstituer36 son monologue potentiel, de mettre en lumière cette figure-clé de femme, de mère, d’épouse horrible et de Reine et de se faciliter, davantage, à la comparaison avec les figures clytemnestriennes des œuvres francophones.

Dans le prologue d’Agamemnon, elle est « belle, rigide, imposante » (RITSOS 1978 : 57) et le polémarque lui caresse soigneusement les cheveux pour ne pas les défaire. Dans l’épilogue du texte, après le meurtre, Clytemnestre, « pâle, grande, magnifique » (Ibid. : 69) s’approche du miroir pour refaire ses cheveux.

36 C’est dans ce but que, exceptionnellement, dans ce chapitre, nous faisons un usage abusif de citations longues, tirées de tous les six monologues des Atrides.

42

Page 43: Thesis Ritsos Full

Dans La maison morte, le récit d’Électre nous renvoie au moment de l’annonce de la victoire glorieuse d’Agamemnon à Troie et de son arrivée. Le Messager dit qu’Agamemnon arrivera ayant « une blessure au milieu du front […] comme un nouvel œil exquis, d’où la mort surveillait tout, et dès-lors le maître voyait jusqu’au bout des paysages, des choses, des gens, comme si tout était de verre transparent […] » (Ibid. : 101-102). Les paroles du Messager évoquent l’idée de la transparence acquise grâce à / à cause de la mort. Devenu un auteur de crimes par excellence, Agamemnon n’est plus épouvanté par l’horreur de la mort. Ritsos exprime la même idée dans son Agamemnon, où le polémarque lui-même parle du troisième œil qui « […] te marque de l’éclat de la solitude et de l’unicité – l’ultime arrogance et humilité. » (Ibid. : 64). Agamemnon, le chef de la vaniteuse campagne militaire, revient victorieux, après avoir semé la mort à Troie. Il a sacrifié Iphigénie pour satisfaire son ambition. Il a versé le sang de sa fille avant de partir et puis, pendant le massacre iliadique, il a vu plusieurs morts de guerriers, d’ennemis, d’amis et surtout de gens innocents. Après avoir pris, lui-même, comme un moissonneur, tant de vis, et après avoir commis toute sorte de cruauté, il a acquis la vision transparente de la mort. De la même manière que nous l’avons vu plus haut (Cf. p. 23 du présent), dans Agamemnon, le chef, peu avant sa mort, acquit la vision absolue du monde. Suite à ce moment de clarté exécrable, le polémarque devient capable de voir à travers les choses et les gens37.

37 Cet élément nous fait déjà penser à la transparence du verre, une notion-clé que Clytemnestre reprend dans La maison morte.

43

Page 44: Thesis Ritsos Full

Citons en parenthèse ici un passage d’Agamemnon, où le chef, pendant le moment de la vision absolue et peu avant d’entrer au bain, se réfère lui-même à la notion de transparence de verre : « Petit à petit, tout dépouillât, calmât, devint de verre, les murs, les portes, tes cheveux, tes mains – une transparence de verre exquise – ni le souffle de la mort l’embue ; derrière le verre tu discernes le Rien indivisible – enfin quelque chose d’intègre – cette première intégrité, invulnérable, comme l’inexistence. » (RITSOS 1978 : 62). Pour Agamemnon, cette vision de la transparence arrive juste avant sa mort et c’est la présence de méprise qui le pousse à faire le bilan de sa vie dans le monologue homonyme et qui lui permet de voir le monde d’un regard plus solide et moins ambitieux de celui de sa jeunesse.

Revenons à La maison morte. Électre raconte qu’ « On écoutait tous (nous aussi) comme pétrifiés, inquiètes tous et penchés et sans larmes, comme s’ils étaient jadis devenus de verre et tous voyaient, et ils se voyaient eux-mêmes avec leur squelette nue dans le verre, elle aussi de verre, fragile, sans [avoir] plus aucun abri. » (Ibid. : 102). Les gens confrontent leur vérité. Face à la vision de la mort et l’idée d’une victoire acquise par toutes ces morts individuelles et toutes les cruautés de la guerre, les gens prennent conscience de leur fragilité, de leur nature humaine et de la seule vérité de l’homme, qui, évidemment, est sa mortalité.

Électre nous cite la réaction de Clytemnestre à l’annonce du Messager :

44

Page 45: Thesis Ritsos Full

« Qu’il vienne le maître – dit-elle la maitresse notre mère. Qu’il soit bien venu. Lui aussi de verre. De verre. De verre. Le voilà, – nous aussi on le connaît cet œil-là – nous l’avons, le voilà, nous aussi au milieu du front. Nous aussi, nous l’avons bien apprise la mort. Nous savons. Nous voyons. Lui premier il nous l’a apprise. Nous les premiers on l’a vue. Qu’il soit bien accueilli le maître de verre avec son épée de verre par son épouse de verre, par ses enfants de verre, par ses sujets de verre, ramenant avec lui des troupeaux de morts de verre, des butins de verre, des esclaves de verre, des trophées de verre. […] Préparez les nourritures de verre, les vins de verre, les fruits de verre ; il arrive notre maître de verre. Il arrive. » […] La vieille nourrice qui, à un moment donné, l’avait retenue [Clytemnestre] quand elle allait s’évanouir, la soignait maintenant avec un silence expérimenté, la couvrait de son ombre savant sous les grands dômes de ses yeux dilatés. (Ibid. : 102-103).

Clytemnestre reprend l’idée de la transparence du verre et l’applique sur l’entièreté de l’univers qui l’entoure. Elle déclare que son époux n’est pas le seul à avoir ce troisième œil. Agamemnon leur a appris la mort quand il a sacrifié Iphigénie, sa fille bien-aimée. Employant plusieurs fois le syntagme nominal « de verre38 », Clytemnestre met l’accent sur la vanité d’Agamemnon. S’il ne visait qu’à la satisfaction de son ambition, ni le sacrifice, ni la campagne militaire, ni aucun de ces malheurs n’auraient jamais eu lieu. On constate que le malaise de Clytemnestre est peut-être provoqué parce qu’elle souhaiterait plutôt recevoir l’annonce de la mort du père sans remords qui lui avait tuée sa fille et qu’elle détestait.

38 Nous traduisons ainsi l’adjectif γυάλινος, -η, -ο du texte original, qui se réfère à la matière de verre.

45

Page 46: Thesis Ritsos Full

Le Messager parti, « La maîtresse a oublié de parer ses enfants. Elle est entrée au bain. Elle l’a rempli d’eau chaude mais elle n’est pas lavée. Bientôt elle s’est enfermée dans sa chambre et elle s’est maquillée devant le miroir rouge, rouge, toute pourpre, comme un masque, comme une morte, comme une statue, comme une meurtrière ou bien une assassinée. » (Ibid. : 103). La préparation de la Reine est une référence indirecte au meurtre d’Agamemnon. Dans le passage précédent, Clytemnestre dit que le chef sera bien accueilli au foyer. Même si le lecteur ne distingue immédiatement le ton ironique de cette phrase, il le comprend peu après, quand Électre cite presque toute la préparation du meurtre.

Nous avons une référence très ponctuelle au bain fatal. Clytemnestre a préparé le bain mais pas pour soi-même. Puis, elle est allée se pomponner. Le rite de l’effrayant maquillage pourpre est associé aux préparations du meurtre. Évidemment, les teints rouge et pourpre nous renvoient à la couleur du sang. Clytemnestre applique la couleur sanglante à son visage et en même temps elle porte le masque du meurtrier. La transformation de son apparence extérieure est le reflet de son état d’âme. En plus, la couleur du sang sur son visage nous renvoie à la tragédie eschyléenne, où elle confesse que les gouttes jaillies du sang d’Agamemnon sur sa figure étaient comme un doux arrosage noir, comme une pluie divine (ESCHYLE 1992a : vv. 1364-1368). En outre, selon un point de vue complètement différent, on peut émettre l’hypothèse que le choix de ce teint souligne justement l’essence royale de ce meurtre. Pour conclure, la caractérisation « comme une meurtrière ou bien une assassinée » accentue, effectivement, la punition de Clytemnestre et sa fin sans gloire.

46

Page 47: Thesis Ritsos Full

Dans Sous l’ombre de la montagne « la grande fille célibataire de plus ou moins 70 ans » (RITSOS 1978 : 137), que nous devons identifier avec Électre, fait un voyage mental dans sa mémoire et se souvient des dernières années de ses parents. Le contexte du monologue est imaginaire par rapport au mythe. Électre n’y prend pas en compte la vraie fin de ses parents – le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre et le meurtre de Clytemnestre par Orèste. Par contre, elle dessine ici leurs portraits de vieillesse. Elle parle à sa nourrice des ravages du Temps et de la présence dominante de la mort. Le portrait du père bien-aimé est court, bien intentionné et plein de respect :

Parfois j’observais le père qui vieillissait – toujours beau, pourtant moins rapide et puissant – une autre beauté – et je voyais sous sa peau la figure de la mort respirant avec les narines fines, comme avec les branchies d’un poisson long, invisible qui voilait dans son sang en le suçant, ou d’ailleurs je voyais déjà appliquée sur sa figure doré, tragique, immobile, exquis, étincellent le masque de la mort. (Ibid. : 142).

Le portrait de la mère, assez long et détaillé, occupe un espace significatif dans le monologue. Il nous présente le quotidien de Clytemnestre – qui fait le contrepoids d’Agamemnon, selon la phrase qui introduit sa description : « Par contre la mère […] » (Ibid.) – en âge avancé. Le temps n’a pas traité de la même manière le couple. Avec l’âge, Clytemnestre a enlaidi et essaye de cacher les dégâts du temps sur son visage et son corps, tandis qu’Agamemnon reste « toujours beau » (Ibid.). On peut conjecturer qu’Agamemnon, en tant qu’homme, Roi et guerrier par excellence, n’aurait pas besoin de conserver l’image de sa jeunesse, mais il aurait besoin de la maturité pour être encore plus respecté. Il est évident qu’un personnage, tel que celui décrit ici, qui se sent la mort même dans son propre corps – et qui l’a semée sans remords au passé – ne pourrait être effrayé par les ravages du temps, ni par la mort elle-même. La description de Clytemnestre passe de son apparence extérieure vers son univers intérieur. Citons :

47

Page 48: Thesis Ritsos Full

Par contre la mère après son dernier accouchement était devenue laide ; son front plein de taches de rousseur ; ses seins avaient perdu leur forme – elle le savait et elle le cachait et elle était embêtée, capricieuse, presque antipathique ; […]

Pourtant la mère, pendant des heures, se regardait immobile, elle aussi à la même position, mais sans compromis, dans le large miroir métallique ; elle utilisait des brindilles de laurier carbonisées pour se maquiller les yeux – je le sentais à cause de l’odeur quand j’entrais dans sa chambre – cela m’embêtait puisque le laurier s’était toujours destiné pour les fronts des athlètes et des poètes ; – elle utilisait encore diverses herbes étranges, secrètement ramassés au décours de la lune, herbes qu’irritent la peau et donnent au visage un teint rouge et sauvage comme un masque de théâtre. Un soir elle m’a vu l’observer à travers le miroir, peut-être qu’elle a senti mon regard sur son dos, et elle sursauta ; elle a fait un geste comme si elle sautait tout d’un coup un escalier qui devrait, à coup sûr, tôt ou tard, le descendre, ou comme si elle voyait mes yeux dans un profond, puits noir pareils à deux cercles blancs qui se dilataient petit à petit et l’un entrait dans l’autre jusqu’à ce qu’ils se mêlaient et occupaient le tout cercle de l’eau dans la profondeur morte. Elle aurait blanchie alors l’eau, large et neutre comme la vérité, et elle aurait vu la mère dans l’eau blanche, irréfutable son visage sombre, et a dit alors d’une voix affreuse comme [si la voix venait] de l’intérieur d’un puits : « l’as-tu vu alors toi aussi que j’ai vieilli ? » et d’un coup elle devint de nouveau simple et belle et aimée comme avant tant d’années, avant son propre meurtre et avant les petits meurtres impénétrables du temps.

48

Page 49: Thesis Ritsos Full

Dès lors, elle ne se maquillait plus – elle s’est abandonnée. Nous les femmes on vieillit plus vite, on apprend plus vite. Que faire avec ce savoir ? où le laisser ? et à quoi ça sert ? Elle s’est beaucoup adoucie la mère, (et elle était dure, – tu te rappelles ?) et je dis qu’il n’était plus nécessaire la vengeance de mon frère à une telle heure de fatigue absolue, de son exhaustion, quand le rage était plus parti, et aussi son remord et son repenti et toute la passion qui peut-être justifiait les crimes d’avant. Elle ne s’est pas presque défendue et peut-être qu’elle l’a vu comme une belle excuse d’une mort tragique, sinon héroïque, parce que elle n’a poussé qu’un cri, si chère à son son, comme intentionnel, comme imitation de la douleur de la vie entière et elle a focalisé ses yeux avec une maîtrise de soi et avec une expression de tendresse indéfinie, à sa bague qui avait trop élargi au médius. Elle ne supporterait pas de mourir la mère, comme nous mourons, sur un lit, empêtrée dans ses blancs cheveux desséchés, comme capturée dans la toile d’une araignée blanche. (Ibid. : 142-145).

49

Page 50: Thesis Ritsos Full

Dans ce passage, Électre, qui, rappelons-le, n’était pas très attachée à sa mère (mais avait un grand faible pour Agamemnon) applique un regard critique à l’apparence de Clytemnestre. Cette dernière n’était plus la belle et puissante Reine. Le temps l’avait transformée à une femme quelconque d’un certain âge moyen. Elle le savait bien et elle se cachait derrière le masque du maquillage. Le teint rouge nous renvoie encore une fois, comme chez La maison morte, à la couleur du sang. Électre associe le masque du maquillage avec le masque du théâtre, probablement, pour démontrer le contre nature de cette figure artificielle qui possède, peut-être, un certain degré de ridicule. Électre raconte l’instantané d’une soirée où elle observait la mère se maquiller. Ses gestes saccadés la trahissent et montrent son étonnement et sa pudeur. Après un moment de perplexité, Clytemnestre adresse la parole à sa fille. Électre dit que soudain sa mère redevenait celle qui était avant les crimes du passé. Peut-être qu’elle a pu voir l’image réel de sa mère derrière le maquillage. Après cet évènement Clytemnestre cesse de se soigner et de se maquiller. Ayant accepté l’omnipotence du Temps, elle se laisse à sa merci.

50

Page 51: Thesis Ritsos Full

Le point important du passage est la référence à la mort de Clytemnestre. Il y a un ton de remord dans la mention de l’épisode du meurtre. Électre semble avoir regretté son rôle à la préparation de l’assassinat – n’oublions pas qu’elle était l’instigatrice principale qui a poussé Orèste à commettre le crime. Les paroles d’Électre expriment sa considération pour Clytemnestre, construite au fil des années. Elle applique les caractérisations « tragique » et « héroïque » par rapport à la mort de sa mère. Elle apprécie le fait qu’elle n’a pas essayé se défendre, peut-être parce qu’au fond elle savait qu’elle devrait être punie pour son crime horrible. La question de la gloire à titre posthume, valeur extrêmement importante pour le monde antique peut, bel et bien se poser sur cette version du meurtre de Clytemnestre. Cette espèce de mort glorieuse, qualitative des héros homériques et tragiques, consistait, en général, une de plus grandes valeurs de l’antiquité grecque. Même les grands guerriers préféraient de mourir jeunes en bataille – pour obtenir la gloire posthume – que de finir leurs jours paisiblement et naturellement.

Le portrait électrien de Clytemnestre est suivi d’un épisode de la vie quotidienne. Un jour, un jeune berger passe chez eux avec son troupeau d’oies. Citons le passage :

51

Page 52: Thesis Ritsos Full

Elle était dure la mère. Un midi un berger passait devant la maison avec ses oies, (il leur avait coupés les bords des ailes pour qu’elles ne puissent pas voler). La mère se pendit à la fenêtre et marchandait des oies malgré qu’elle n’y était jamais accoutumée – elle disait quelque chose pour le dîner de samedi – je n’entendais pas bien, juste par le son de sa voix j’ai compris que le berger avait 19 ans, [il était] brun et beau ; j’ai ouvert la fenêtre, et alors, j’ai vu les oies se soulever d’un coup vers le ciel et j’ai réussi de saisir les yeux de la mère, dilatés, effrayés, dans l’ombre qui jetèrent exactement sur son visage les oies qui se soulevèrent, obscurité dense, de sorte que pour un instant elles couvèrent le soleil. Et le berger demandait à la mère de lui payer son troupeau puisque – disait-il – elle l’avait effrayé. Mais elle a ordonné les gardes de flageller le berger ; – jamais de ma vie je ne l’avais revue si courroucée. Et véritablement, ils le flagellèrent. (Ibid. : 145).

Le passage cité est démonstratif de la cruauté de Clytemnestre. Il n’est pas de hasard que dans le monologue, l’épisode des oies suit la description de la mère et il n’est pas de hasard que cette description se termine avec l’élévation de Clytemnestre au grade d’un personnage héroïque. On peut parler d’un double-face de Clytemnestre. D’une part la femme et mère d’âge moyen impuissante devant la puissance du Temps et de la Justice, et d’autre part, la Reine cruelle, effrayante et vindicative. Les oies ont valeur d’augure, elles sont oraculaires, vu qu’elles annoncent la mort d’Agamemnon. La mutilation des ailes renvoie, éventuellement, à un détail du mythe. Il s’agit de la coupure des mains d’Agamemnon par Clytemnestre. Même si leurs ailes sont coupées, les oies sentent le danger et elles volent pour échapper au regard effrayant de Clytemnestre.

52

Page 53: Thesis Ritsos Full

Dans Le retour d’Iphigénie, Ritsos, derrière la facette d’Iphigénie, dessine l’image de Clytemnestre-mère tendre. Dans son monologue Iphigénie se réfère quatre fois à sa mère. La première référence concerne l’image de deux perroquets empaillés. Les perroquets de Clytemnestre criaient le mot « lumière » à n’importe quelle occasion. Iphigénie montre son dégoût pour l’insistance de sa mère à l’entraînement des oiseaux vu que cette réaction fut contre l’image qu’elle avait pour elle :

Sur la table, là au fond, à la seconde galerie, ils apparaissent pendus à l’inverse en fil jaune deux oiseaux multicolores tués, – ce sont peut-être deux des trois perroquets de la mère, que (tu te rappelles ?) elle ne leur avait enseigné que le mot « lumière » ; et encore « lumière », chaque saison, chaque heure, et quand ils se réveillaient parfois la nuit « lumière » et « lumière » et « lumière » quoique les lampes soient éteintes qu’il n’y ait pas de lune, surtout quand il n’y ait pas de lune.

Ceci m’embêtait comme entêtement personnel de la mère qui ne convenait guère à ses yeux grands et triste, à sa grande beauté ou à notre crédulité de l’époque. (Ibid. : 118).

L’image des perroquets criant le mot « lumière » et l’insistance de Clytemnestre à l’enseignement de ce mot connotent son refus d’accepter la vérité – le sacrifice de son aînée bienaimée. Remarquons ici que, hors du contexte mythique, Le retour d’Iphigénie traite le quotidien sous le coup d’État militaire. Dans ce cadre, les oiseaux tués renvoient au peuple (sinon aux camarades du KKE) qui a lutté contre la junte et qui n’a jamais perdu l’espoir de la libération. Rappelons que Ritsos, toujours engagé à la gauche, écrit ce monologue entre novembre 1971 et août 1972 (Ibid. : 133), période au cœur du septennat d’horreur. Nous n’allons pas développer davantage encore cet aspect ici étant donné qu’il ne nous intéresse pas dans le cadre de notre travail.

53

Page 54: Thesis Ritsos Full

Iphigénie se souvient de la période de sa maladie où elle restait enfermée depuis longtemps et elle portait les bijoux de sa mère. Elle se rappelle d’un collier orné de masques tragiques et comiques reliées l’une à l’autre par leurs oreilles. Elle dit que sa mère ne le portait presque jamais, soit puisqu’elle le respectait, soit puisqu’elle le craignait. Elle ne le portait jamais puisqu’elle voulait éviter le destin malheureux de ses enfants.

Je pouvais essayer devant le miroir les bijoux de la mère pendant des heures – boucles d’oreille longues comme les queues des étoiles filantes ; bracelets de vipères parallèles jusqu’au coude ; ce collier aux masques l’un à côté de l’autre, un tragique, un comique, reliés par l’haut de leurs oreilles ; – celui-ci, très rarement, la mère le portait, – comme si elle le respectait ou elle le craignait. J’aimais leur étrangeté froide, cette dissimulation sage sous leur élégante surface artificielle. (Ibid. : 122-123).

Puis, on passe à un souvenir anachronique d’un carnaval, où Clytemnestre, faisant elle-même un masque en papier, l’avait déguisée en cerf : « Elle avait jadis préparé un bel masque de biche peut-être pour cacher mes boutons. » (Ibid. : 123). Un jour elle avait trouvé le masque soigneusement conservé dans un des tiroirs de sa mère : « Ce masque, je l’ai trouvé hier dans un tiroir de la mère, enveloppé de coton et de bel papier en soie, attaché des rubans azurés. » (Ibid. : 124). Clytemnestre ne voulait pas cacher les boutons de sa fille comme la logique nous impose de constater. Son but était de faire cacher l’identité d’Iphigénie. La référence au cerf renvoie directement au mythe et à la transformation d’Iphigénie en cerf par Artémis. En plus, le porte de masque pour cacher son identité fait allusion au poète-même, qui se cache derrière des masques mythiques pour s’exprimer (et, en sens élargi, éviter la censure).

54

Page 55: Thesis Ritsos Full

Le souvenir du masque revient à la fin du monologue. Iphigénie n’a jamais porté de nouveau ce masque. La mère l’avait conservé pour ses propres raisons. Iphigénie remarque l’omniscience et le courage de Clytemnestre. Elle raconte à son frère des instantanés de son enfance, en y introduisant plusieurs anachronismes [ex. « Un jour de l’An, peu avant la grande campagne militaire […] » (Ibid. : 130)]. Elle avoue à Orèste que leur mère l’aimait plus que ses filles et que les filles étaient jalouses, à cause du statut privilégié du fils unique. Puis, elle ajoute en alternance des détails de l’image et du caractère de Clytemnestre. Elle commente son affection et sa tendresse envers Orèste, qui s’explique par l’axiome que le fils est toujours le bien-aimé de la mère. Elle mentionne aussi qu’elle a trouvé le cheval de bois d’Orèste caché sous le lit de Clytemnestre et elle a pensé « bizarrement » (Ibid. : 131) au Cheval de Troie.

La troisième fille de Clytemnestre, Chryssothémis, qui est la fille la plus sous-estimée des Atrides, dans le monologue homonyme, fait plusieurs références à sa mère et leur relation. D’après le monologue, Clytemnestre n’était pas du tout attachée à cette fille. En effet, elle était, comme pour les autres membres de la famille, indifférente envers elle. Chryssothémis révèle, parmi d’autres, la thématique de l’enfant ignoré, obsédé de ne pas être apprécié par le parent. Chryssothémis avoue que, à cause de sa solitude, elle parlait souvent avec la lune. « Une nuit la mère m’a surprise en fragrant délit : "Avec qui bavardes-tu ?". "Je chassais le chat pour qu’elle ne mange pas les poissons rouges", répondis-je. "Imbécile !", dit la mère ; "tu ne grandiras jamais". » (Ibid. : 167).

55

Page 56: Thesis Ritsos Full

Chryssothémis raconte les réactions de Clytemnestre à l’annonce du sacrifice d’Iphigénie : « Une autre nuit […] la mère semblait courroucée, le père aussi, et ma sœur aînée ; ils parlaient à haute voix […] ils n’y arriveraient pas ; ils s’étouffaient ; l’un suffoquait l’autre ; » (Ibid. : 168). Clytemnestre et Agamemnon se disputaient concernant la décision du sacrifice, prise par le chef. Malgré son indifférence envers Chryssothémis, Clytemnestre voulait sauver son autre fille. Chryssothémis se rappelle qu’en ce moment une chauve-souris est entrée dans la pièce et sa mère l’a chassée avec une serviette à la main. Chryssothémis dit : « Je l’ai trop aimée la mère à cette attitude – bien que de nouveau hautaine, agressive, imposante, – avec la serviette blanche flottante à sa main – comme un oiseau avec une aile, qui ne pouvait plus voler. Dans ces grands yeux brûlait en secret l’envie de partir en pleine nuit […] » (Ibid.). Chryssothémis, suite à cet instantané, a pris une autre serviette et l’a mise sur l’autre main de sa mère. L’idée fut de lui mettre la seconde aile qui lui manquait. Clytemnestre rit et tout à coup a demandé à sa fille si elle était folle.

Ensuite Chryssothémis se réfère aux objets de sa mère. Elle dit qu’elle avait trouvé une robe jaune de Clytemnestre et sa brosse à dents. Elle se rappelle du fatum tragique de sa famille et fait le bilan des malheurs atridiens : « Et j’ai pleuré pour la mère, pour son amant, pour son époux, pour la petite fille tuée, pour mon autre sœur, […] Je pleurais plutôt pour la fuite paisible de mon frère ; » (Ibid. : 174).

56

Page 57: Thesis Ritsos Full

L’élément significatif de Chryssothémis est la référence à la mort et aux funérailles de Clytemnestre. Dans le monologue la référence aux funérailles précède la référence au meurtre de la mère. Nous allons présenter les deux événements en ordre logique. Chryssothémis se rappelle que la veille du meurtre Électre a donné à Orèste l’épée. Après, elle racontera que sa mère punissait les autres, mais, elle n’était jamais punie pour ses propres crimes. Le matricide est raconté comme suit : « La pauvre mère a tout payé d’un coup. Je ne l’avais jamais vue pleurer ou prier. Juste, le dernier moment, ses sombres yeux sont arrêtés énormes, étonnés, magnifiques, comme s’ils avaient surpris tout le sens de la vie, toute la vanité de quelconque pouvoir, et peut-être tout le sens de la beauté – toujours impossible, pourtant vécue. » (Ibid. : 184).

Selon Chryssothémis, au jour des funérailles de Clytemnestre, un papillon se balança sur le cercueil – très lourd, orné de fleurs et de perles et traîné de six chevaux – et tout d’un coup, le cercueil perdit son poids et il s’envola. Elle met l’accent sur le poids du cercueil pour souligner l’horreur du matricide. Elle dit que le papillon prit le cercueil sur ses épaules et se disparût. Elle s’éloigne du mythe disant qu’Orèste, après le repas des funérailles, « […] partit, – chassé, dit-on, par les Erinyes. » (Ibid. : 173). Chryssothémis soutient que la fuite d’Orèste n’était pas à cause des Erinyes. Il est difficile de déterminer la cause la fuite d’après ses paroles, car elle ne donne aucun indice.

57

Page 58: Thesis Ritsos Full

Pour compléter le portrait de Clytemnestre nous avons choisi de repérer Orèste à la fin. Le monologue se situe chronologiquement la veille du matricide. Le fils fait, à son tour, le portrait de la mère. Orèste dit à Pylade que sa mère n’a pas du tout vieilli et qu’elle est toujours belle « […] peut-être puisqu’elle surveille le temps et elle l’accomplit39 chaque instant, – je veux dire qu’elle se rajeunit connaissant la jeunesse qu’elle perd ; – peut-être c’est pour ça qu’elle la récupère. » (Ibid. : 78). Il dit que sa mère pouvait prononcer les mots les plus insignifiants donnant la plus grande importance. Elle fut compréhensive et indulgente envers tous et tout. Orèste admet qu’il l’admirait et que son arrogance lui faisait peur. Il admet aussi qu’il avait peur de perdre sa mère. Il est très attaché à sa mère (comme le poète) et ébloui, il construit un portrait de Clytemnestre quasi érotique, ce qui rend son devoir encore plus tragique et dur. Il avoue qu’Électre enviait la mère éternellement belle et jeune et que chaque fois qu’elle surprenait une coquetterie de Clytemnestre, elle était en colère. Orèste, dessine les portraits complètement contradictoires des deux femmes et puis il les confronte. Comme nous allons le voir de plus près dans le chapitre relatif à Orèste, le héros accentue les caractéristiques négatives d’Électre (obsession de la vengeance, attachement au passé, refus de la beauté et de la joie, haine) et passe sous silence celles de la mère charmante, précieuse et indulgente.

La dernière référence que le fils-matricide fait à sa mère sert de résumé de l’attitude de cette dernière : « Tout est un amour – magie et éblouissement, (comme disait une fois la mère), quand les feuilles de la nuit larges, charnues et fraîches, touchent nos fronts et le fruit qui tombe est un message défini et non transmis comme le cercle, le triangle ou la losange. » (Ibid. : 83).

39 Ou « agit sur lui (le temps) ».

58

Page 59: Thesis Ritsos Full

Dans ce chapitre nous avons présenté les différentes nuances de Clytemnestre d’après les yeux de son époux et de ses enfants. Nature oscillée, Clytemnestre est présentée en double-face. Parfois elle est la mère tendre et parfois la meurtrière impitoyable. Elle possède les qualités du héros tragique (Cf. acquisition de la gloire posthume) mais elle est vindicative (Cf. elle tue de sang froid Agamemnon pour prendre sa vengeance). Ritsos l’éclaire de l’intérieur, comme les autres héros, et la textualise de façon objective. Quoiqu’elle soit jugée coupable, le poète nous montre aussi son autre côté, ainsi que son côté de victime. La présence de Clytemnestre dans les six monologues des Atrides est significative et constante. Absente physiquement (ou muette dans le cas d’Agamemnon), elle est omniprésente dans la mémoire et la pensée des personnes parlantes. Malgré son crime terrible, elle demeure toujours le noyau de la famille. Cela se justifie par sa relation avec ses enfants. Nous remarquons une certaine affection envers son fils et trois comportements différents envers ses filles. Elle aime beaucoup son aînée, rappelons que tuant Agamemnon, elle prend vengeance pour Iphigénie. Sa relation avec Électre est difficile puisque cette dernière est jalouse du physique sans âge de sa mère. Quant à Chryssothémis, Clytemnestre – quand elle n’est pas indifférente – ne perd pas d’occasion pour l’offenser.

Son comportement inégal envers ses enfants est aussi une cause de conflits entre eux. Nous avons vu que les filles étaient jalouses de leur frère qui privilégiait de sa tendresse maternelle. Pourtant, la jalousie de l’enfance fut transformée en affection dans leur vie adulte. Dans leurs monologues nous remarquons que toutes les trois sœurs montrent une certaine tendresse envers Orèste. Iphigénie s’identifie avec lui, étant donné que leur destin fut commun. Tous deux doivent servir un but pour le bien-être de la famille et de la patrie. Électre, plutôt hostile envers le sexe féminin, est très attachée à lui, vu qu’il représente pour elle l’image du père assassiné et il est le seul qui peut prendre sa vengeance. Chryssothémis pleure pour la destinée malheureuse de son frère.

59

Page 60: Thesis Ritsos Full

La relation entre les filles paraît aussi problématique. Citons deux exemples ponctuels de cette situation, tirés l’un du monologue d’Iphigénie et l’autre du monologue de Chryssothémis. L’aînée raconte que quand elle était malade (et avait la figure pleine de boutons) ses sœurs l’avaient en horreur : « Je suis devenue très laide. Toute la sympathie que mes sœurs m’avaient montrée pendant ma maladie fut transformée en abomination. Elles évitaient de me regarder comme si j’étais la cause de quelque chose qu’elles ne voulaient pas avouer comme si j’avais trahi un de leurs secrets. » (Ibid. : 122). Chryssothémis, la sœur marginale et la seule à soigner Électre pendant son trouble mental, considère un petit napperon tricoté par sa sœur comme le cadeau le plus précieux de sa vie : « Une fois, pendant sa maladie, […] elle a décousue une vieille couverture de lin croulante […] et elle a créé avec l’aiguille […] un petit napperon ; – elle me l’a fait cadeau – (malgré sa raison perdue, elle avait rappelé mon anniversaire). Je n’ai jamais reçu un cadeau plus précieux. » (Ibid. 184). Cet épisode est le seul démonstratif de l’affection d’Électre pour un autre membre de sa famille que le père ou le frère.

2.3 Iphigénie

60

Page 61: Thesis Ritsos Full

Iphigénie ou Iphianassa, selon la version la plus connue du mythe, était la fille qu’Agamemnon a sacrifiée avant de partir pour l’expédition à Troie. D’après une autre version du mythe, moins connue, elle était fille de Thésée et d’Hélène, adoptée par Clytemnestre (SMITH 1870b : 618). Elle a été la victime de la guerre de Troie, car son père, Agamemnon, a décidé de la sacrifier, comme dicté par Calchas, pour que le vent devienne favorable et la flotte parte vers Ilium. Artémis l’a sauvée et emmenée à son sanctuaire à Tauride, en laissant à sa place une biche40. Le sacrifice d’Iphigénie est l’enjeu de la tragédie Iphigénie à Aulis d’Euripide. Après les meurtres d’Agamemnon et de Clytemnestre, Orèste, suite à un oracle d’Apollon, alla à Tauride pour ramener la statue d’Artémis à Athènes et se débarrasser des Erinyes. Une fois les deux Atrides réunis et échappé du Roi Thoas de Tauride, ils vont, à l’ordre d’Athéna, construire le nouveau sanctuaire d’Artémis à Brauron, dont prêtresse sera Iphigénie. Les aventures à Tauride et le voyage en Grèce constituent le noyau de l’autre œuvre euripidienne, Iphigénie à Tauride.

2.3.1 Iphigénie ou le sacrifice vain

40 Dans SMITH (1870b : 618), on retrouve d’autres variations du mythe, selon lesquelles, Artémis a laissé à la place d’Iphigénie soit une ourse, soit un taureau, soit une vieille femme.

61

Page 62: Thesis Ritsos Full

Le monologue de la fille aînée d’Agamemnon et de Clytemnestre est écrit entre novembre 1971 et août 1972 à Samos et à Athènes (RITSOS 1978 : 133). Ritsos exprime à travers ses œuvres tout son être y inclus les évènements marquants de sa vie et surtout les évènements historiques de son époque. Faisant une lecture historico-politique du monologue, on peut découvrir sous la facette du mythe le présent pénible du pays. Historiquement, on se trouve au cœur du septennat d’horreur. Ritsos vient d’être assigné à domicile à Karlovassi de Samos. Mythologiquement, le monologue se situe après la fuite d’Iphigénie et d’Orèste de Tauride et l’arrivée à Argos, la veille du départ pour Brauron. Le retour d’Iphigénie est un texte plein de connotations politiques, mettant en évidence l’expérience et le quotidien de la dictature et de l’exil. Ritsos, caché derrière Iphigénie, parle de son œuvre poétique et de l’engagement politique. Le retour de l’Atride renvoie aussi au retour de Loula Ritsou des États-Unis (1933), après la fin de son mariage (KOTTI 2009 : 66). La thématique du sacrifice, déjà délibérée chez EURIPIDE (1992c), a une triple connotation, qui renvoie, évidemment, au sacrifice de l’héroïne pour son pays, mais aussi au sacrifice de Loula pour sa famille et au sacrifice du poète pour ses opinions politiques.

Iphigénie et Orèste passent la nuit dans une grande pièce de la demeure familiale, « assis l’un presque en face de l’autre […] Ils ne parlent pas – comme s’ils se trouvaient en veillée ou la veille d’une séparation. » (RITSOS 1978 : 115). La statue d’Artémis apparaît dans la scène en tant que « bûche brûlée, ressemblant, en quelque sorte à un tronc féminin sans mains ni pieds. » (Ibid.). Le prologue nous informe par rapport aux autres membres de la famille : « Il paraît que leurs deux sœurs [Électre et Chryssothémis] seraient parties à la campagne. Les restes [Agamemnon et Clytemnestre] sont partis aux tombes à tholos. » (Ibid.) et Pylade, qui a déjà quitté ses cousins, ne supportant plus être complice au meurtre de Clytemnestre.

62

Page 63: Thesis Ritsos Full

Se référant aux souvenirs de son enfance, Iphigénie met en lumière les relations entre Clytemnestre et ses enfants. D’abord, elle parle du comportement de la mère envers les enfants, tel que l’on a vu dans le chapitre consacré à Clytemnestre (Cf. pp. 32, 34-35 du présent). La figure d’Orèste est significative. Le fils unique, le cadet de la famille, est l’objet d’affection maternelle et, en même temps, la cause de jalousie entre les filles. Malgré le jeune de leur âge, les trois sœurs avaient bien remarqué que Clytemnestre fut toujours plus douce et plus attentionnée envers Orèste que par rapport à elles. Ici, nous pouvons mettre un parallèle avec la référence à Anaxibie, la mère de Pylade. Toutes deux, Anaxibie et Clytemnestre montraient une tendresse particulière envers leurs garçons et cette dernière n’avait pas envie de le cacher de ses autres enfants. Les mémoires d’Iphigénie lui semblent si lointaines qu’elle pense qu’elles sont fausses : « De temps en temps tout ce qui s’est passé me semble qu’il ne s’est pas passé. N’en penses-tu ainsi aussi ? » (RITSOS 1978 : 131).

Les motifs des ravages du temps et de la vanité figurent, encore une fois, parmi les enjeux du monologue. Iphigénie remarque les ravages du temps sur les objets. Cette réflexion la conduit à penser aux morts et à leur présence éternelle dans le palais d’antan. Éloignée des choses et des situations, elle cherche la cause du malheur de sa famille, s’adressant directement à Orèste : « Dis-moi, donc, pourquoi tout cela ? – c’était quoi ? c’est quoi ? – Meurtres, campagnes militaires, vengeances contre vengeances, bateaux coulés, villes désertes […] sur la colonne un aveugle de marbre avec une lyre debout soulignant […] l’absence de tout sens. » (Ibid. : 120). Évidemment, Iphigénie fait allusion à Homère, dont l’œuvre a glorifié la guerre vaine de Troie.

63

Page 64: Thesis Ritsos Full

Chez EURIPIDE (1992c), la balance incline du côté du bien du pays et Iphigénie choisit volontiers le sacrifice pour la patrie. Éloignée temporellement des événements à Aulide, Iphigénie se rend compte de l’inutile du sacrifice (ce qui vaut autant pour le sacrifice de Ritsos) et le ridiculise. Elle se souvient avoir un panier de fleurs en papier collé sur ses épaules, ou un programme de théâtre et qu’elle devait marcher vers l’arrière pour que les spectateurs le voient, ou avoir deux ailes de papier énormes qui se décollaient de temps en temps à cause de leur poids en lui blessant la peau (RITSOS 1978 : 121). Elle s’identifie à son frère disant que tous deux n’étaient que des pions dans les mains des autres. Elle a été la victime sacrificielle d’Agamemnon et Orèste a été manipulé par Électre : « Je le sais, – [on a fait] la même chose avec toi, mon cher ; peut-être pire. On t’avait collé deux couteaux sur les paumes. On ne t’avait pas pour voler, comme moi, mais pour courir. Depuis ces années-là nous sommes des malades aux soins des tiers. » (Ibid.). Iphigénie constate que sa destinée, ainsi que celle de son frère, ont été décidées depuis leur enfance, constat qui reflète l’idée que toute leur vie ils se préparaient inconsciemment par leurs manipulateurs pour accomplir leurs tâches : le sacrifice pour la réalisation d’une ambition et pour la vengeance contre vengeance.

Chez Ritsos, Clytemnestre avait fait elle-même un masque de cerf pour sa fille. Iphigénie explique qu’un été elle a été très malade, le visage plein de boutons et ses sœurs l’abominaient parce qu’elle était devenue laide. Ritsos y introduit l’anachronisme du carnaval et du déguisement pour réactualiser la partie du mythe qui veut Iphigénie transformée en cerf pas Artémis. Alors, Iphigénie se rappelle que le carnaval suivant de sa maladie, Clytemnestre a eu l’idée de la déguiser en cerf pour cacher ses boutons. Il est intéressant de présenter ce qu’Iphigénie raconte par rapport à ce masque :

64

Page 65: Thesis Ritsos Full

Dès que je l’ai porté je me sentis couler dans un fond obscur, d’où pourtant je pouvais voir plus clairement. Il sentait de couleur à l’huile, de carton et de colle de poisson ; et en plus d’une odeur d’espace conservé et nécessaire. Il me dérangeait au début une certaine touche abrasive sur mes joues – comme si j’y convenais pas. Un peu après l’application s’effectua sans grande peine. Je me sentais une protection lointaine et sérieuse et une certaine liberté.

Ce bon masque presque m’enlevait la responsabilité de tout geste. Je n’étais plus moi ; j’étais l’autre ; et sous l’autre, ou dans l’autre, j’étais moi entière, seulement moi. Je pouvais faire des sauts que je ne déciderais jamais avant. Je profitais d’une agilité, d’une élégance, d’une virtuosité stricte. Mes mots, passant par la galerie de la bouche étrangère, prenaient une autre hardiesse et un autre écho. Parlant la langue des cerfs (vu que les cerfs ne parlent pas) je découvrais soudainement et je prononçais des vérités surprises et des sons plus profonds que je ne connaissais pas, je ne les imaginais pas. Et j’avais un sens particulier du mot « source », et peut-être aussi une coquetterie secrète que je la trouverais inappropriée pour moi avant. (Ibid. : 123-124).

65

Page 66: Thesis Ritsos Full

Dans le passage ci-dessus, Ritsos exprime l’idée de la liberté derrière le masque. Il s’agit d’une conception fondamentale de ce qui est vraiment la Quatrième Dimension. Le poète se cache derrière des figures mythiques et se sert d’elles en tant que moyen ou intermédiaire d’expression. Les paroles d’Iphigénie dévoilent, le but que sert le masque. Iphigénie raconte son expérience d’abord d’après ses sens et ensuite d’après ses sentiments. Elle commence par le sens olfactif. Le rapport de l’odeur du masque nous renvoie à sa nature artificielle et nous rappelle qu’il s’agit de quelque chose d’inventé, créée par Clytemnestre, comme l’on voit plus haut dans le texte. Elle continue avec le sens du toucher, en décrivant ses sentiments une fois le masque porté. Puis, elle parle de ses états d’âme. Elle se sentait protégée et libre. Le masque la dynamisait et elle se voyait capable de faire des choses dont elle avait peur avant. Nous remarquons un motif d’identité double ou latente. Iphigénie dit qu’avec le masque sur le visage elle n’était plus elle, et tout de suite elle ajoute qu’elle se sentait plus complète avec le masque et qu’elle est devenue une autre. À la fin du passage, avec la référence à la langue, elle revient aux sens, cette fois de l’ouïe. Elle parle la langue des cerfs. On constate qu’il s’agit plutôt de la langue de ceux qui se cachent derrière des masques. Elle explique que, de la même manière qu’elle pouvait faire des choses qu’elle hésitait de faire avant, elle était aussi capable de prononcer des choses et surtout des « vérités », pour employer le propre mot du texte, qu’elle ne pouvait, ou ne connaissait pas avant. Ici, on retrouve l’idée que la vérité peut être exposée plus facilement derrière un masque. Le lien entre les paroles de l’héroïne et le but du poète est extrêmement significatif. Ritsos écrit les douze monologues mythologiques de la Quatrième Dimension rendant les figures mythiques ses propres porte-paroles. Dans ce passage, le poète s’exprime, par la figure d’Iphigénie et cette dernière s’exprime, à son tour, par son masque de cerf. On peut schématiser ce lien avec trois cercles concentriques. Au centre nous avons l’expression de la vérité en portant un masque. Autour du centre, on peut mettre un petit cercle qui correspond à Iphigénie et encore un plus grand cercle correspondant à Ritsos 

66

Page 67: Thesis Ritsos Full

Ritsos

Iphigénie

MasqueVérité

C’est ce masque polyvalent qu’Iphigénie retrouve conservé dans le tiroir de sa mère (Ibid. : 124) et qu’elle prend avec elle à Brauron (Ibid. : 132). Notons ici, qu’à part du masque de cerf, Iphigénie a porté aussi le masque de la mort, car, pendant son séjour à Tauride, tout le monde la croyait morte. La période de Tauride est donc considérée par l’héroïne comme période d’exil, qui correspond, évidemment, à la période de déportation de Ritsos. Iphigénie dit que la situation lui convenait bien, puisque ainsi, elle a pu grandir librement, loin des regards indiscrets (Ibid.).

Peu après, Iphigénie met en relief son propre sacrifice pour l’honneur de la patrie en y ajoutant un ton d’ironie et sans revenir à celui de son frère pour l’honneur de la famille : « "Finissez-vous en" […] "Ça ne fiat rien car que c’est pour mon 4 1 pays ; car c’est pour que nos 4 2 navires partent, ça ne fait rien pour moi". Et je vis l’admiration et la tristesse dans leur regard (ainsi au moins j’ai voulu exploiter ma mort – si possible). » (Ibid. : 129). Porter le masque de cerf transforme le sacrifice à une sorte de théâtre. Iphigénie admet que le « […] drame s’est fini ; – il n’y a plus de spectateurs et d’auditeurs. » (Ibid.).

41 Format du texte original.42 Format du texte original.

67

Page 68: Thesis Ritsos Full

Ritsos insiste sur la description spatiale et notamment sur la présence et l’absence de lumière. Au début du prologue, il décrit en détail la « […] grande lampe de pétrole, suspendue, dorée […] » (Ibid.). De son côté, Iphigénie, en tant que personne parlante, elle est obsédée du mot lumière : « Hier soir j’ai entendu de nouveau ce mot derrière les murs : "lumière", "lumière", "lumière", "lumière" […] » (Ibid. : 131). Tout au long du monologue, elle revient aux perroquets43 de Clytemnestre (Cf. p. 31 du présent), dont elle prendra les cages vides avec elle à Brauron (RITSOS 1978 : 118, 131, 132, 133). Elle se réfère à la lumière chaque fois qu’elle arrive à une impasse, après des moments de doute, ou après des souvenirs pénibles. La lumière est l’élément qui éclaire, purge, change et embellit tout :

Et de nouveau « lumière » ; – une pause ; – « lumière » ; – une autre pause. Je la sentis : elle correspondait à quelque chose en moi, plus profondément que la mémoire. Mes yeux cherchaient malgré moi dans l’obscurité pour un arbre, une cheminée, un insecte, une étoile différente ou les barres du jardin, le petit feu de colline en colline, quelque chose dont je pourrais dire « merci ». (Ibid. : 131).

La lumière et la voix du perroquet reviennent quand Iphigénie a une sorte de vision d’Agamemnon et de ses chevaux blancs : « Le matin je les vis en vrai les chevaux du père, maigres, vieillis, blessés […] Ils étaient aveugles. Le muletier me salua. Et j’entendis de nouveau cette voix : "lumière", "lumière", plus douce maintenant, plus clémente, plus triste » (Ibid. : 132). Iphigénie clôture le monologue avec une dernière référence ponctuelle à la lumière. L’éclat luminaire révèle son espoir :

43 Rappelons que la connotation des perroquets est, selon notre interprétation du monologue, fortement politique. Les oiseaux représentent, probablement, des camarades du KKE, eux aussi sacrifiés pour la patrie pendant le septennat, comme Iphigénie.

68

Page 69: Thesis Ritsos Full

Regarde, le jour se lève. Ceci n’est-ce pas la lumière ? (bien qu’on ne l’entende pas). Regarde, comment l’eau resplendit paisible dans le verre. Un consentement doux brille pareillement sur ton propre visage – quel bel éclat. Peut-être nous deux qui nous avons connu qu’il n’existe aucune consolation dans le monde, peut-être, exactement pour cela, nous deux (même chacun séparément) réussirons de nouveau à consoler et peut-être à nous consoler. (Ibid. : 132).

Les dernières paroles d’Iphigénie marquent son nouveau départ. Elle sait qu’elle va se séparer de son frère parce que chacun doit accomplir son destin. Elle doit rentrer à Brauron pour servir la déesse et Orèste doit continuer sa vie loin des mémoires du passé. L’épilogue nous informe de ce qui suivit. Iphigénie et Orèste se saluent silencieusement et elle part emportant avec elle la statue d’Artémis et son masque de cerf.

69

Page 70: Thesis Ritsos Full

Toute la problématique du sacrifice et du déguisement renvoie au quotidien du poète pendant l’État militaire, à son image public de poète engagé et du poète-ouvrier et à ses conflits avec le KKE. Ritsos parle du « nouvel esclavage » (Ibid. : 116) pour se référer à son assignation à domicile. Il regarde les exploits communistes de distance et parle de la perte de la liberté : « Que tard, que bien qu’on apprend la loi de la perte (de la perte permanente et légitime) et l’autre [loi] du retour, plus profonde (le la non-perte). » (Ibid. : 119). Il décrit les dictateurs en tant que trois hommes qui « […] discutent, gesticulent, marchent livrés à l’indéfini qu’une fois on a demandé avec obstination de définir en actes et en mots. » (Ibid. : 120). Il parle aussi des conflits entre lui et les camarades du KKE : « Ils évitaient de me regarder […] comme si j’avais trahi quelque secret. » (Ibid. : 122). Pendant l’exil il découvre le besoin de se détacher de son image public : « Et alors je désirais […] de jeter par terre ma statue au milieu de la place (et qui soi-disant le regarde ?) […] » (Ibid. : 125). Ritsos fut un poète-ouvrier. Dans Le retour d’Iphigénie, il compare l’écriture poétique aux « […] exercices les plus difficiles de l’harpe. » (Ibid. : 126). Il décrit encore le rythme ordinaire de son quotidien (Ibid. : 126-127). Le masque de cerf qu’Iphigénie n’a plus porté et que Clytemnestre « […] avait conservé pour ses propres émotions […] » (Ibid. : 129) n’est autre que les poèmes engagés de Ritsos, émouvants pour le KKE. Iphigénie quitte le pays natal avec ses souvenirs les plus chers et Ritsos, qui ne perd jamais l’espoir et attend toujours le changement, déclare dans l’épilogue que « La lumière brille plus que ce qu’elle devrait. » (Ibid. : 132-133).

2.4 Électre

70

Page 71: Thesis Ritsos Full

Selon Hyginus (SMITH 1870b : 8), quand Alète, le fils d’Égisthe a pris le pouvoir, après l’annonce du sacrifice d’Orèste à Tauride, Électre44 est allée à Delphes, où elle a trouvé son frère et Pylade. Une fois rentrés à Mycènes, Orèste tua Alète et Électre se maria à Pylade. SMITH (Ibid.) écrit que les tragiques ont utilisé cette histoire de manière « très libre » et considère Électre de Sophocle comme la version tragique du mythe la plus complète. Électre, dans la tragédie, est la fille qui, aveuglée du désir de se venger pour l’assassinat de son père, devient la complice d’Orèste au matricide de Clytemnestre et au meurtre d’Égisthe.

2.4.1 L’Électre « voilée » de la Quatrième Dimension

Parmi les six monologues du recueil associés à la Maison d’Atrée, Électre, la personne parlante non-nommée des monologues La maison morte (1959) et Sous l’ombre de la montagne (1960), est le seul cas de personne parlante qui revient dans deux monologues. Elle apparaît aussi dans les autres quatre monologues des Atrides, pas comme personnage central, mais, soit en tant que voix lointaine45, soit en tant que personne référenciée46. Dans l’ordre du recueil, La maison morte est précédé par Orèste (1962-1966), suivi de Retour d’Iphigénie (1971-1972), de Sous l’ombre de la montagne, et de Chryssothémis (1967-1970), qui clôture le cycle des Atrides. Électre n’est jamais le récepteur muet d’un monologue dans le recueil, ce qui renforce l’hypothèse que ce personnage est si significatif pour le poète, qu’il ne peut, en aucun cas, lui couper la parole. En outre, si l’on prend en considération la composante autobiographique, on retrouve, derrière l’image d’Électre, Loula Glezou-Ritsou, la sœur bien-aimée du poète et son point d’appui depuis son enfance.

44 Aussi connue sous le nom de Laodice.45 Dans Orèste.46 Dans Agamemnon, Le retour d’Iphigénie et Chryssothémis.

71

Page 72: Thesis Ritsos Full

Chaque monologue mythologique du recueil est titré du nom de la personne parlante47. Le cas de ces deux monologues, en l’occurrence, est assez spécifique, car le titre n’est pas indicatif de l’identité de la personne parlante. Cette dernière, on l’identifie avec Électre, selon les indices et les allusions apportées par le texte. Dans La maison morte, la personne parlante se présente au récepteur de son monologue et précise son identité sans jamais révéler son nom (Ibid. : 93). Dans Sous l’ombre de la montagne, les indices d’identification se trouvent dans le prologue, où le narrateur explique que celle qui parle est « la grande fille célibataire […] la vierge éternelle » (Ibid. : 137).

Dans toute variation du mythe, Électre, la fille très attachée au père, hostile envers la mère et figure féminine vierge et hystérique48 par excellence, est l’instigatrice principale des assassinats de Clytemnestre et d’Égisthe. Son image communiquée par la tradition antique est plutôt négative. Ritsos met en pleine lumière les différentes facettes de l’héroïne, hors de ce qui nous est déjà connu. Il la représente plus humaine, repentie, calme, mature et surtout libérée de la colère et de la haine, caractéristiques héritées de la tragédie. Autre nouveauté ritsienne est la mise en scène d’une Électre en âge avancé. Dans notre cadre d’analyse, nous allons signaler les manifestations de l’élément autobiographique – très prononcé notamment dans La maison morte – et démontrer comment la personnalité de l’héroïne se reconstruit à travers les années et comment elle (re)qualifie les événements du passé ayant acquis une vision des choses globale et distante.

2.4.1.1 La maison morte ou le bilan d’Électre

47 Sauf Philoctète, où le héros nommé est le personnage muet et c’est Néoptolème qui parle.

48 D’après le point de vue psychanalytique moderne.

72

Page 73: Thesis Ritsos Full

La maison morte est le monologue le plus autobiographique du recueil. Le titre est indicatif du parallèle entre les Atrides et les Ritsos. Si la maison des Ritsos chancela (après la mort49 du frère aîné et de la mère), elle s’effondra à cause de la passion du père pour les jeux de cartes (Kotti 2009 : 34) et elle s’écroula à l’attaque du poète par la tuberculose en 1926 (Ibid. : 50) et à l’entrée d’Eleftherios et de Loula à Dafni50, suite à des troubles mentaux. Après la mort du père Ritsos en 1936 (Ibid. : 80), ils ne survivront que les trois plus jeunes membres de cette famille : les deux sœurs (Nina et Loula) et le frère cadet (Yannis). La maison des Ritsos « meurt » aussi financièrement. Les Ritsos ne récupéreront jamais leurs terres et richesses perdues…

La maison morte est aussi le seul monologue du recueil, dont le titre est suivi d’un sous-titre51 explicatif. Il nous informe qu’il s’agit de l’ « histoire imaginaire et authentique d’une très ancienne famille grecque » (Ritsos 1978 : 93). Le narrateur anonyme du prologue et de l’épilogue joue aussi le rôle du récepteur muet du monologue. On apprend par le prologue qu’elles ne sont plus en vie que deux sœurs de la grande famille, dont l’une souffrit, à un moment donné, de troubles mentaux et a perdu les sens du temps et de l’espace. Le narrateur précise que cette dernière, la sœur aînée52 (Électre), est la personne parlante et que l’autre sœur (Chryssothémis) s’est retirée dans sa chambre. La vieille femme parle de sa vie à présent, des membres de sa famille, de l’événement marquant du meurtre d’Agamemnon, de l’impact de celui-ci et du cycle de la vie qui continue malgré les atrocités. Dans l’intervalle du récit, on retrouve plusieurs allusions directes à la vie des Ritsos, tantôt des souvenirs, tantôt d’images autobiographiques.

49 Mimis Ritsos et Eleftheria Vouzounara décédèrent en août et en novembre 1921 respectivement, tous deux atteints de tuberculose (KOTTI 2009 : 37 et 40). Le poète ne surmonta jamais leur perte.

50 Eleftherios Ritsos se fut admis à l’asile psychiatrique d’Attique en 1932 et Loula le suivit en 1936 (Ibid. : 65-66 et 79).

51 Le sous-titre est aussi une manifestation du lien entre les deux familles, la mythique (« imaginaire ») et la réelle (« authentique »).

52 Électre est la sœur aînée par rapport à Chryssothémis.

73

Page 74: Thesis Ritsos Full

Cette Électre se distingue de la tragique, fameuse pour ses thrènes, sa colère et son désir de se venger. Détachée de sa vengeance, elle est en quête de contact humain : « Tout nous a quitté » (Ibid. : 96, 97). À travers son regard des événements distant, elle exprime une sorte de refus du passé. C’est à cause de ce refus que le narrateur va se demander dans l’épilogue : « Et moi, pourquoi j’essayais donner un sens aux paroles de la folle ? » (Ibid. : 111).

Le récit s’ouvre par les descriptions de la demeure et de la colline qui surplombe la maison. Le poète, derrière la facette d’Électre, transfère l’impact physique du poids du destin terrible de sa famille à la maison et à la colline. La maison est « immense » (Ibid. : 93), vidée des meubles, des tapis et des objets (Ibid. : 93-94) et froide [« Et ces deux chambres que l’on a gardées [sont] les plus froides, les plus dépouillées […] » (Ibid. : 95)]. La colline est protectrice (tandis que dans Sous l’ombre de la montagne elle est plutôt hostile). Ritsos introduit une espèce de syncrétisme religieux, quand l’héroïne, « au moment où tout semble comme perdu » (Ibid. : 96), voit un homme sympathique (que l’on identifie à Christ) se promener à la colline. La référence à l’homme n’est qu’un appel à la consolation chrétienne.

Un des enjeux du monologue est, bien entendu, le meurtre d’Agamemnon. Électre conte l’incident de manière fragmentaire et sans ordre logique. Elle commence par le moment du meurtre (Ibid. : 97), puis suit l’annonce de l’arrivée d’Agamemnon (Ibid. : 101-102) et les préparations de Clytemnestre (Ibid. : 102-103) et après les conséquences de l’assassinat (Ibid. : 104). Dans l’intervalle de ces épisodes Ritsos ajoute des descriptions de la vie du peuple, représenté ici par les servantes et les soldats (Ibid. : 97-101, 104-105). La structure du récit basée sur des paires d’images opposées est typique chez Ritsos53.

53 Peter Bien dans son article « La vache d’"Orèste" » (dans KOKORIS 2009 : 115-120) analyse le modus operandi de ce type de récit, qui caractérise tous les monologues de la Quatrième Dimension.

74

Page 75: Thesis Ritsos Full

Électre relate la fuite des servantes par l’escalier, le moment où elles se sont rendu compte de l’événement. Un détail frappant est le fait qu’elles faisaient attention en descendant, comme si elles le descendaient pour la première fois (Ibid. : 97), détail qui souligne leur stupéfaction et qui renvoie au jaillissement du sang au marbre. Le rôle de l’escalier est extrêmement important. Il constitue le passage d’un état à l’autre. Par rapport à la fuite des servantes, il fonctionne en tant que moyen de sortie et de sauvetage de l’espace souillé. Il est l’intermédiaire qui les conduit de l’état horrible de l’intérieur vers l’état plus paisible et sécurisé de l’extérieur. Cet élément de l’escalier-intermédiaire revient plusieurs fois tout au long du récit, toujours en tant que pont entre, à la fois les souvenirs et le présent, le réel et l’imaginaire. Le nettoyage de l’escalier après le meurtre est significatif. Le sang jaillit du marbre sans cesse (car le meurtre d’Agamemnon est perçu comme l’ouverture du cercle vicieux des Atrides). L’image de l’escalier le jour du meurtre nous amène au moment où le messager annonce la victoire et l’arrivée glorieuse d’Agamemnon, après le massacre troyen, tel que l’on a vu dans le chapitre relatif à Clytemnestre (Cf. pp. 26-27 du présent). Électre insiste54 sur la réaction de sa mère à l’annonce et sur les préparations de cette dernière pour l’accueil (et le meurtre) du polémarque. L’hystérologie d’Électre est, probablement, due à l’importance du meurtre en tant que tel. Le souvenir de l’assassinat est plus vif dans sa mémoire que celui des réactions de Clytemnestre (qu’elle n’a pas pu comprendre tout de suite, n’imaginant pas la possibilité de l’assassinat). Égisthe (lui aussi anonyme) est décrit « comme un adultère couronné, comme un usurpateur doré d’un pouvoir étranger, sauvage par sa lâcheté et dangereux par sa peur […] » (RITSOS 1978 : 104).

54 Le détail des réactions de Clytemnestre n’est pas visible dans Agamemnon d’Eschyle.

75

Page 76: Thesis Ritsos Full

Néanmoins, le peuple (y comprises les servantes) continue sa vie contre l’impact de l’histoire qui frappe les puissants (Ibid. : 97-101). Dans le récit, on retrouve des références à des moments paisibles du passé, avant le meurtre, ainsi que des instantanés entre les servantes et les soldats d’Agamemnon. Le poète déploie ici une thèse antimilitariste. Il montre un mode de vie différent de celui de son époque. Les servantes accueillent les soldats, elles les soignent, elles s’unissent à eux et leur donnent une nouvelle naissance dans un monde différent, plus paisible et heureux que le monde guerrier. Cet aspect trouve sa justification dans l’idée de nourrir les hommes d’une manière différente, dans un monde différent, afin d’éviter des guerres futures. D’ailleurs, il y exprime l’importance de la figure maternelle. Le message antimilitariste est bien relatif au récit d’Électre. En tous deux cas, la guerre met les gens face à face à soi et, inévitablement, les met en contact avec la mort.

76

Page 77: Thesis Ritsos Full

Suite à la fuite des servantes, Électre répète la phrase : « Tous nous ont quitté » (Ibid. : 104). C’est le motif de la solitude absolue. Les humains ont abandonné les deux sœurs à cause de la fortune de leur famille. Mais, au fil des années, la nature et le temps ont couvert cet événement et, à présent, tout est oublié. Pourtant Électre n’a pas oublié son passé à elle. Une allusion au matricide de Clytemnestre est démonstrative de l’air repenti d’Électre. Citons le passage : « Tant des détails et aussi tant de précision (n’est-ce pas donc un signe de balance ?) avec cette sensation de l’inévitable, comme si tout ce qui s’est passé et ce qui a suivi étaient nécessaires – la sensation de l’inéluctable et de l’irresponsable […] » (Ibid. : 105). Son ton est sec et son point de vue des événements distancié. Les meurtres sont qualifiés en tant que « inéluctables » et « irresponsables ». C’est la notion de la μοῖρα (destin) chez les Anciens et chez Ritsos. À présent, ayant une vision des choses plus globale, Électre prend conscience du fait que le meurtre d’Agamemnon était, entre autres, la vengeance de sa mère pour le sacrifice d’Iphigénie et à son tour, le matricide de Clytemnestre était la vengeance pour le meurtre d’Agamemnon. Or, l’emploi de l’adjectif « irresponsables » se réfère au fait des assassinats en tant que tels. Personne ne pouvait éviter les événements horribles de ce cercle vicieux. À travers le passage du temps, l’accent se met sur la vanité du massacre familial des Atrides. Dans la pensée de l’héroïne il y a un va-et-vient incessant de souvenirs du passé. Pourtant, il n’est pas facile de trouver le bout du fil. Plongée dans le passé, elle souffre de son poids suffocant, ruminant sans cesse les souvenirs horribles, qui l’ont exclue du monde des vivants.

77

Page 78: Thesis Ritsos Full

Après le ruminement des souvenirs, nous remarquons un fort refus de l’impact de l’atrocité et une tentative d’embellissement des faits accomplis de la part d’Électre : « Ah, je n’ai rien vu, ni me souviens ; juste cette sensation exquise, si fine, que la mort nous a accordée, de voir la mort jusqu’à son profondeur transparent. » (Ibid. : 106). On peut voir les descriptions des instantanés familiaux idylliques (Ibid. : 107-108) qui suivent en tant que moments imaginaires, que soit l’héroïne aurait souhaité vivre avec sa famille, soit le poète lui-même en imaginait pour adoucir sa propre vie. Dans cette partie du récit, on retrouve plusieurs références autobiographiques et allusions directes ou indirectes aux Ritsos55. À ce point, l’escalier est le moyen de passage de la famille d’une salle à l’autre pour se réunir autour de la table et dîner ensemble en pleine sérénité.

De retour au présent, elle s’adresse directement à la personne muette. Elle le remercie pour la visite et lui dit d’assurer son oncle que tout se passe bien à Argos. Elle propose à l’homme de revenir pour qu’elle puisse alors lui montrer l’arsenal et le bouclier de son père, la salle de bain terrible, ainsi que « le tunnel souterrain d’où les douze polémarques barbus, travestis en femmes, s’étaient enfuis avec leur chef pâle, qui, bien que mort, il les a conduit infailliblement vers la sortie » (Ibid. : 109). La référence aux douze polémarques ne semble pas être mythologique. Le chef pâle et mort semble faire allusion au Christ et les douze polémarques aux Douze Apôtres. Ce constat ne nous paresserait pas du tout étrange, étant donné la tendance de Ritsos vers le christomorphisme (surtout pendant sa jeunesse). Mais ici, nous allons proposer une explication plus probable. Ritsos en 1957 avait traduit en grec le poème Les douze d’Alexandr BLOK (1920). Le sujet du poème est la marche sur les routes de Petrograd, en plein hiver, de douze soldats bolchéviques, qui, comme le poème révèle à sa fin, sont conduits par le Christ.

55 Malheureusement, le cadre de ce mémoire ne nous permet pas de faire une lecture autobiographique détaillée du monologue.

78

Page 79: Thesis Ritsos Full

Peu avant la fin du monologue, elle fait se réfère à l’étoile du berger, qui scintille toujours au même endroit, comme une gomme qui tente d’effacer une faute ineffaçable (RITSOS 1978 : 109-110). Électre achève son récit se référant encore une fois au Christ, chef des douze polémarques. Le fait qu’Il les a conduits à la sortie, malgré le fait qu’il fût mort est mis en évidence. « […] la plupart de fois, la sortie, est une autre mort, nécessaire, maline et inéluctable. » (Ibid. : 110). Elle veut aussi que son oncle sache qu’elle et sa sœur vont bien.

Dans l’épilogue, on retrouve la réaction de l’homme aux paroles d’Électre. Il l’a quittée en hochant la tête. Il avoue qu’il n’avait rien compris et qu’il en avait peur. Il se demande par rapport à l’identité du chef mort et il ne pense pas qu’il s’agit du Christ, ni d’Agamemnon. Puis, en mêlant des références autobiographiques et mythologiques, il commence à penser que la vieille femme qui lui parlait, tout à l’heure, était folle. Les doutes de la personne muette, présentés dans l’épilogue, peuvent, d’une part, renforcer effectivement nos propos par rapport à l’identité de la personne parlante et d’autre part, par rapport à l’identité du chef mort.

2.4.1.2 Sous l’ombre de la montagne ou l’acheminement d’Électre vers la mort

79

Page 80: Thesis Ritsos Full

Dans Sous l’ombre de la montagne, d’après le prologue (Ibid. : 137), Électre (toujours anonyme56), âgée de 70 ans, se confesse à sa vieille nourrice impassible, de 100 ou 200 ans. Elle la prie de ne pas éteindre la lumière et de rester auprès d’elle. Il y a deux niveaux de lecture du monologue, l’existentiel et le politique. Ritsos continue la problématique de La maison morte, cette fois transférée à la montagne57. Le poids de la montagne n’est autre que le poids du destin de la famille tragique58. Ainsi, on distingue deux mouvements dialectiques, celle des éléments naturels (l’eau de l’aqueduc et la pierre de la montagne) et celle des classes sociales, représentées ici par la fille du Roi et sa nourrice, qui sont égales devant la fin imminente. Le drame est perçu à travers la topographie. On considère la pierre en tant que destin taillé par l’eau de l’aqueduc, qui représente le flux vital continu.

56 Dans le prologue on la présente comme « la grande fille célibataire » (RITSOS 1978 : 137).

57 La montagne s’identifie à la colline de La maison morte.58 Tragique à la double signification du terme, provenant de la

tragédie (Atrides) mais aussi ayant un destin terrible (Ritsos).

80

Page 81: Thesis Ritsos Full

La montagne est présentée comme un obstacle entre la maison et le monde extérieur. Sa présence, tout à fait différente de celle dans La maison morte, est négative, voire hostile. L’aqueduc, qui travaille à l’intérieur de la montagne, est qualifié positivement. L’eau coule libre et érode la pierre sans tenir compte de la puissance de la montagne. Le volume de la montagne cache la lumière et Électre est envahie par un sentiment de peur puéril. Enfant dans l’obscurité et avant de dormir, elle avait la peur que l’ombre de la montagne pourrait pénétrer la maison et pour maîtriser sa crainte, elle pensait à l’aqueduc. L’aqueduc possède un sème significatif, étant donné que l’écoulement abondant de l’eau est conçu comme élément purifiant, qui a la force de rincer, couvrir et nettoyer le paysage des malheurs et surtout du jaillissement du sang, produits par les crimes du passé. On constate que l’aqueduc fut une source d’espoir et de soulagement pour l’héroïne pendant les jours horribles du passé. Le mouvement de l’eau impétueuse de l’aqueduc, à la fois destructif et purifiant, qu’on peut également envisager comme une représentation du cycle imperturbable de la vie.

81

Page 82: Thesis Ritsos Full

Électre avoue qu’elle avait « le pressentiment éternel qu’après minuit douze hommes masqués auraient décapité les deux lions de pierre de la porte, – comme cela s’est passé » (Ibid. : 138). On tend d’établir un lien entre cette référence et celle des douze polémarques dans La maison morte. Dans les deux cas, on a affaire à des fortes connotations historico-politico-sociales. On envisage les lions comme un emblème représentatif du pouvoir et leur décapitation comme démolition de la royauté. D’une part, on constate qu’il s’agit d’une allusion au poème de BLOK (1920), de la même manière que l’on a vu chez La maison morte. D’autre part, on considère que l’intemporalité du mythe et la réalité de l’histoire s’enchevêtrent pour exprimer la crainte éternelle de la classe dirigeante envers une révolution probable – compte rendu aussi la référence à un nuage-trière, qui se traduit en tant que menace d’une révolution (RITSOS 1978 : 138). Après avoir réalisé des voyages aux pays du bloc de l’Est peu de temps avant l’écriture du monologue et après avoir traduit, quelques années auparavant, Les douze de Blok, Ritsos, toujours en tant que poète engagé, ne pourrait que faire l’éloge des exploits communistes.

Le récit continue avec des allusions aux lamentations d’Électre pour les membres de sa famille. On distingue une image de la personne parlante habituée au deuil depuis son enfance : « […] pour m’habituer avec cette robe noire empruntée à la nuit […] depuis mes dix ans » (Ibid.), image qui nous renvoie, évidement, au poète lui-même. Électre fait une tentative de confession. On a affaire à un appel à la compassion de la part du récepteur du monologue. Elle exprime l’envie de parler du passé, quoiqu’elle prenne conscience de l’omnipotence du temps et de la vanité du ruminement des souvenirs. Elle a un malaise et elle a besoin de se défouler. Pourtant, à présent, rien ne peut changer et la confession est avortée parce que le temps a enlevé l’essence aux choses et ses ravages sont irrévocables.

82

Page 83: Thesis Ritsos Full

Électre parle de leur survie. Elle fait allusion aux étés torrides du passé. Le malaise estival et la sueur ressentie entraîne des images de Troie et du sacrifice d’Iphigénie. La suffocation provoquée par la chaleur est l’explicitation, plutôt naïve, de la cause de la campagne militaire et souligne effectivement son caractère vain et inutile. Le malaise et la sueur ont dirigé les polémarques vers la mer pour qu’ils se nettoient et échapper au péril de la montagne. Encore une fois, l’eau est un élément de purification, mais aussi de sortie du danger. L’image des noyés et de la fille sacrifiée, renvoient aux victimes de la guerre et à Iphigénie. Parlant de la sueur, Électre se réfère aux bains publics, aux corps des athlètes et aux sculptures des dieux. Nous remarquons une tendance vers l’adoration du corps masculin nu, signe d’une sexualité opprimée par le deuil précoce. Toute référence au corps aboutit à la mort. Selon Électre, même les sculptures meurent59, à cause de l’usure de la matière. Cette idée peut exprimer une sorte d’athéisme très contemporain. Peu après, elle va affirmer l’omnipotence de la mort disant que « La mort flotte en nous ou nous flottons depuis notre naissance dans ses eaux secrètes » (Ibid. : 142).

59 À ce sujet, Prokopaki (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 312), note que la démolition des idoles, comme les lions ou la mort des statues peut, également, faire allusion à la déstalinisation.

83

Page 84: Thesis Ritsos Full

Électre, après l’affirmation de l’omnipotence de la mort arrive à l’état de la réfutation de la réalité. Dans une tentative d’adoucir son vécu et d’éliminer le meurtre de son père bienaimé, elle fait les portraits de ses parents en âge avancé, déjà explicités dans le chapitre consacré à Clytemnestre (Cf. p. 28 du présent). La description du polémarque vieilli vient en conflit avec la tradition, vu qu’il a été assassiné avant de vieillir. On remarque une certaine clémence de la part d’Électre envers l’image du père vieilli mais « toujours beau » (RITSOS 1978 : 142). Le vieux Agamemnon avait conservé sa prestance et sa beauté. L’élément significatif de cette description est la référence au masque étincellent, qui renvoie au masque funèbre en or d’Agamemnon, conservé aujourd’hui au musée de Mycènes. Le masque, symbole du pouvoir et de la puissance du Roi s’identifie ici avec le masque de la mort. L’identification s’associe, probablement, à la sanglante période iliadique du chef. L’image du poisson qui nage dans son propre sang fait allusion au meurtre du polémarque dans le bain.

Par la suite du récit, nous remarquons une attitude de comparaison entre le père et la mère. Quant à Clytemnestre, on détecte une certaine rancune et une hostilité de la part d’Électre. Elle reste insensible envers le vieillissement de sa mère « enlaidie » (Ibid. : 143), lequel attribue à sa culpabilité et à sa dureté. On a des références à la manière dont Clytemnestre essayait de conserver sa jeunesse. Électre nous informe qu’après le meurtre, sa mère a cessé de se maquiller et elle s’abandonna aux ravages du temps. L’épisode des oies suit, d’une part, démonstratif de la dureté de Clytemnestre et, d’autre, présage prémonitoire du meurtre d’Agamemnon. L’ascension des oies se passe à cause de Clytemnestre, parce qu’elle représente déjà le crime horrible, contre les lois physiques. Notons que la figure maternelle de la nourrice remplace celle de la monstrueuse Clytemnestre.

84

Page 85: Thesis Ritsos Full

Électre s’adresse directement à sa nourrice : « Qui a vécu tout cela ? Comment tout cela s’est passé ? Comment tout cela s’est achevé ? C’est nous, vraiment, qui l’avons vécu ? Combien de siècles auparavant ? Et l’angoisse : un rien. Et la douleur : un minimal stigmate obscure […] » (Ibid. : 146). C’est l’antithèse par rapport aux souvenir du passé terrible. Après avoir parlé du passage et des ravages du temps, elle essaie de repousser et supprimer le temps.

Ritsos introduit une grande digression anachronique, où il entremêle plusieurs détails de l’histoire mondiale du XXe siècle, telles que successions des Rois, histoires anecdotiques, recrutements des soldats, références qualifiées toutes de vaines et d’inutiles. Son but ici est de démontrer, d’abord, l’omnipotence du temps, qui fait les gens oublier facilement le passé et, deuxièmement, de parler de toutes les possibilités d’un régime. Ritsos, rappelons-le, est un poète engagé, qui ne reste pas indifférent envers les fermentations politiques. Il veut distinguer la vérité du mensonge historique, ainsi, son Électre se distancie de ces événements : « Comme si tout se passait dans un autre monde, hors du temps. Comme si rien ne se passait – ce ne s’est pas passé. » (Ibid. : 147). Les allusions aux faits historiques contemporains et aux propres réactions de l’héroïne face à l’histoire dévoilent son trouble. La tendance de mettre l’histoire en lumière se répète, par le biais d’autres références anachroniques d’événements historiques bien connus ou obscures.

85

Page 86: Thesis Ritsos Full

Électre achève ces références disant que l’oubli détruit les souvenirs et que la mémoire reste vide (Ibid. : 148). Le premier hyménée d’Électre est la coïncidence avec une suspension du temps du poème. Après la fatigue historique, elle s’imagine dans un paysage pur et solitaire, en quête de la sensation érotique annulée. L’épisode de la dendrogamie et du doigt ensanglanté d’Électre renvoie à la défloration symbolique de l’héroïne, qui voulait dépasser les limites de sa solitude. Cet épisode évoque le discours du doigt. Électre se réfère aux doigts d’un guitariste (qui, raffinés, ressemblaient aux siens60), des ouvriers (bâtisseurs du monde) et aux doigts de l’écuyer, par lequel elle était attirée mais elle l’a repoussé à cause de son infériorité sociale. Le regret de sa virginité éternelle et le constat de l’absence d’alliance est le deuxième hyménée d’Électre. Enfin, elle dit que le fait qu’elle ne supportait pas de porter des bagues fut la cause de son célibat.

Ensuite, Électre fait le bilan de la vie de la nourrice, qui a travaillé, a fondé une famille à elle et a vu ses enfants mourir à la guerre. Elle compare sa vie inactive, de privation et de virginité avec celle de la nourrice, active et utile, et qui a accepté toute douleur. Toutes deux ont souffert différemment, mais elles ont un point significatif en commun : elles ont partagé l’expérience de la mort de leurs proches.

60 Et, également, aux doigts de Ritsos.

86

Page 87: Thesis Ritsos Full

Ayant pris conscience de la mort qui approche, elle veut se préparer. Elle demande donc à la nourrice de ne pas mourir avant elle et de prendre soin de ses funérailles. Elle l’ordonne de ne plus allumer le feu, ni les lampes et de laisser le froid conquérir la maison. Elle lui propose même de préparer leurs cercueils pour qu’elles soient prêtes le moment venu. Électre, d’une attitude arrogante, soutient que les autres vont reconnaître son corps grâce à son bracelet de neuf saphirs et à sa figure royale. Elle prie la nourrice de rester avec elle et lui demande pardon de l’avoir frappée avec le balai. Le monologue s’achève avec Électre suppliant la nourrice d’attendre. La nourrice, représentante de la classe ouvrière, prend sa vengeance en quittant Électre. La mort est égale pour toutes les deux mais chacune doit faire face à elle seule. Nous remarquons que, à la fin, dialectique des classes échoue et la lutte des classes continue à l’infini.

Dans l’épilogue on lit que suppliant la nourrice, Électre est tombée dans son cercueil et elle y est restée immobile. Un passager a trouvé son cadavre après une semaine. L’épilogue se clôture avec des détails anachroniques. Le narrateur nous informe qu’on a mis le bracelet d’Électre au Musée. L’élément aquatique, dont la présence est significative dans les deux monologues d’Électre, revient dans l’épilogue en tant que pluie qui purifiait le paysage d’une ancienne souillure. La pluie du présent est analogue à l’aqueduc ancien. Elle purifie l’atmosphère, nettoie le paysage et donne de l’espoir. Or, l’élément aquatique représente le parcours incessant du cycle de la vie.

87

Page 88: Thesis Ritsos Full

Les ravages du temps, les événements horribles et les morts individuelles n’affectent pas la nature. Le monde, qui existait avant nous, continuera bel et bien d’exister après notre mort. On retrouve cette idée très souvent chez Ritsos et notamment dans la Quatrième Dimension. Il s’adresse à la nature pour trouver son espoir perdu à cause de la mort qui sévit autour de lui. La puissance de la nature est le seul élément qui peut faire face à l’omnipotence de la mort et qui peut redonner de la vie.

2.5 Chryssothémis

Chryssothémis, troisième fille d’Agamemnon, est l’Atride la plus méconnue, sinon inconnue. Chez HOMÈRE, on retrouve une référence à Chryssothémis, dans la rhapsodie I' de l’Iliade, où Agamemnon promet à Achille de lui offrir une de ses filles « Khrysothémis [sic], Laodicè [sic] et Iphianassa » (1866 : 154) comme épouse, si ce dernier joint les Achéens à Troie. Chez SOPHOCLE, Chryssothémis essaye de remettre Électre en raison : « […] le temps long ne t’a-t-il pas appris de ne pas te plonger dans un pathos vide et vain ? » (1992c : 52). Chryssothémis n’apparaît dans aucune autre textualisation littéraire antique du mythe des Atrides, mais elle apparaît dans le livret de l’opéra Elektra61 de Richard Strauss (190962), écrit par l’autrichien Hugo Von Hofmannsthal et basé sur la tragédie homonyme de Sophocle.

2.5.1 Chryssothémis ou l’observatrice invisible

61 Elektra, n’appartenant à la littérature francophone, en tant que texte allemand, ne pourrait pas faire partie de ce mémoire.

62  OPERNFÜHRER/OPERA GUIDE: THE VIRTUAL OPERA HOUSE, 2011, Elektra, http://www.opera-guide.ch/opera.php?id=352&uilang=en, consulté le 23 juillet 2013.

88

Page 89: Thesis Ritsos Full

La rédaction de Chryssothémis commence peu après le coup d’État des colonels, en mai 1967, à Yaros, puis à Léros et à Samos et s’achève en juillet 1970 (RITSOS 1978 : 188). Le monologue a été rédigé pendant l’exil et l’assignation à résidence du poète. C’est un des monologues des plus longs et les plus psychologiquement chargés du recueil. Privé de sa liberté à cause de ses opinions politiques et ayant un goût prononcé pour les personnages marginaux, Ritsos se sert du personnage méconnu et marginalisé de Chryssothémis pour parler de son présent historique et de l’expérience de l’exil. Son long récit est un texte politique, qui, hors du témoignage historique, pose les questions de l’isolation, de la privation de liberté et de la prise de position, active ou passive, face aux événements. Prokopaki note que dans Chryssothémis l’acte héroïque « […] s’évapore et est décrite comme vain effort héroïque ou discours absurde. » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 324). Chryssothémis exprime ses états d’âme et présente les événements du point de vue de l’observateur silencieux et invisible. Chryssothémis est aussi le monologue de l’enfant déprécié, qui invente des compagnies fantastiques (à la fois la lune, le chat ou le poisson rouge) et qui n’hésite d’envoyer une lettre à soi-même pour lutter contre l’isolement et l’exclusion. Chryssothémis est la fille attachée à une famille – et notamment à une mère – indifférente, dont le manque la fait souffrir. La perte de cette mère horrible est l’événement le plus important et le plus amer de sa vie. Encore une fois, le poète démontre le grand impact de la figure maternelle à ses enfants, même s’il s’agit de Clytemnestre. Les références de Chryssothémis aux membres de sa famille sont nombreuses. L’Atride marginale y montre sa grandeur d’âme et ses bonnes intentions envers tous, même s’ils l’ont blessée.

89

Page 90: Thesis Ritsos Full

Dans un manuscrit de 1967, Ritsos donne au monologue le titre « Chryssothémis et les Euménides » (CENTRE NATIONAL DU LIVRE, MINISTRE DE LA CULTURE ET DU TOURISME 2009 : 70). Dans la tragédie homonyme d’ESCHYLE (1992b), Orèste, chassé par les Érinyes et à la recherche d’expiation pour le matricide, va au tribunal. Ici, Chryssothémis, en tant qu’observatrice objective, à l’instar d’un juge63, parle à une jeune journaliste des membres de sa famille, qui sont tous bénéficiés des circonstances atténuantes, grâce à sa bienveillance Son récit est rétrospectif et son centre est la perte de la mère. Ainsi, Chryssothémis commence par des allusions à l’enterrement de Clytemnestre (RITSOS 1978 : 162).

Selon le prologue, une journaliste visite la vieille Despina64 pour faire une interview. Le monologue s’ouvre avec la stupéfaction de l’héroïne marginale face à l’intérêt de la journaliste : « Personne jamais ne se souvient de moi. » (Ibid. : 161). Chryssothémis parle des bienfaits de sa liberté, obtenue grâce à son insignifiance aux yeux des autres (Ibid.). Elle est devenue l’observatrice, par excellence. Grâce à sa transparence et sa non-importance – en tant que personnage actif – elle a tellement cultivé sa faculté d’observatrice, en se focalisant, sur des objets et des détails insignifiants pour les autres. Or, elle attribue une grande importance à un objet insignifiant, qui représente le destin des Atrides (Ibid. : 161-162). Il s’agit d’un verre oublié de fleurs fanées dont l’eau est moisie. Elle parle de l’inévitable. Il serait inutile de nettoyer le verre, parce que rien ne pourrait changer le destin, ni rincer la souillure. Ce destin terrible a conduit à la disparition de la famille : « Ils partirent. Il ne reste plus rien. Ils ont tout dispensé pour leur renommée et pas pour eux-mêmes – (peut-être soi-disant nous aussi ?). Ils ne se repentirent pas. D’ailleurs, chaque fois il était tard pour se repentir. Il n’était pas nécessaire. » (Ibid. : 162).

63 Rappelons l’étymologie du nom « Chryssothémis » (littéralement : la Justice d’Or), composé de l’adjectif χρυσοῦς, -ῆ, -οῦν (d’or, doré) et du nom Θέμις, -ιδος. Selon la mythologie, Thémis, fille d’Ouranos, fut la mère des Moirai et des Horae et la personnification de la Justice (KONSTANTINIDIS 1999 : Θέμις).

64 Despina : dame, maîtresse de la maison.

90

Page 91: Thesis Ritsos Full

Tout au long du récit, de la même manière que dans les autres monologues, on a des séquences d’images allant du passé vers le présent, du négatif vers le positif, de la mort vers la vie, de l’historique vers le personnel, du douloureux vers l’indolore et vice-versa. Ainsi, de la description d’un paysage mort et abandonné65, on passe à l’épisode des moulins. Chryssothémis, observatrice silencieuse, de l’intérieur autant que de l’extérieur, observe par sa fenêtre la vie qui continue en dehors de leur maison, représentée par l’image de « deux, trois, sept, seize, dix-neuf » moulins (Ibid. : 164). Électre, très chargée des événements, dont elle faisait partie active, n’a pas pu voir les moulins et donc la vie qui continue malgré leurs atrocités familiales. Cela s’explique par l’épisode suivant, où sa robe est tachée par d’eau. Chryssothémis lui propose de la nettoyer mais Électre refuse la purification du nettoyage et dit que « l’eau ne laisse pas de taches. » (Ibid. : 165). Effectivement, Électre parle du meurtre dans le bain, au sens inversé. Chryssothémis remarque que cette tache a englouti sa sœur et qu’elle est devenue toute bleue (Ibid.). D’un autre point de vue, on voit cet épisode comme un signe prémonitoire de l’implication d’Électre au matricide de Clytemnestre. Électre porte, en quelque sorte, la tache de son acte sanglant. Le détail que seulement l’un de ses sandales restait blanc, nous explique que, malgré sa participation au meurtre, elle ne l’a pas commis elle-même.

65 Le paysage décrit correspond à celui du pays juste après le coup d’état et l’établissement du nouveau régime.

91

Page 92: Thesis Ritsos Full

Le récit, en tant que texte politique, contient la description du déclanchement du coup des colonels et des allusions aux premiers effets du changement de régime et les réactions à celui-ci, comme la panique du peuple et l’atrocité des forces militaires (Ibid. : 162-163). Après l’établissement du régime et les premières réactions, on passe à un état de silence (Ibid. : 163-164). Le silence est perçu en tant qu’acceptation du régime. Pour la personne parlante, le silence est une forme de liberté. Cet énoncé fait allusion au quotidien de la période de la dictature. Qui n’obéit pas au régime, est privé de sa liberté : « Puis rien. Non plus de malédictions et non plus d’applaudissements. Seule forme de liberté restait le silence. » (Ibid. : 163). La description de ce quotidien horrible est suivie de plusieurs images de mort et d’abandon (Ibid. : 164). Le quotidien isolé de Chryssothémis se met en parallèle avec le quotidien de Ritsos pendant l’exil. Le poète exprime l’idée de la distorsion des gens lorsqu’ils obtiennent de pouvoir, ainsi que l’idée de la crainte du nouvel état politique : « On avait tous peur. Et peut-être eux66 encore plus. » (Ibid. : 165). Peu avant la fin du monologue, Chryssothémis explique à la journaliste que malgré le progrès a gardé chez elle les lampes de pétrole (Ibid. : 180). Ce détail n’est pas hasardeux. Il s’agit d’une forte connotation politique, concernant le régime. Ritsos, gauchiste et donc progressiste, ne pourrait qu’aimer toute forme de progrès. Ici, derrière le masque mythique, il explique que tandis que l’on a connue la progression (ici, les lampes électriques), il préfère le vieux à la nouveauté, car « […] les choses neuves permettent de voir, à travers les changements, ce qu’on appelle l’immuable. » (Ibid.)

66 Le pronom « eux » se réfère aux représentants du nouveau régime.

92

Page 93: Thesis Ritsos Full

Chaque fois que le récit arrive à une impasse historique, on passe à des images paisibles de la vie quotidienne, comme par exemple l’épisode anachronique, où Clytemnestre a donné à Chryssothémis un billet de loterie et elle a gagné un vase chinois. Chryssothémis étonnée parce que pour une seule fois elle avait de la chance. Malgré son invisibilité, Chryssothémis est devenue une figure héroïque que l’histoire n’a pas oubliée. En même temps, on peut lier cet épisode à la déportation de Ritsos. Il a eu la « chance » d’être exilé, mais ainsi, il est devenu un personnage actif de l’histoire.

Chryssothémis fait, à travers ses souvenirs, les portraits des Atrides. Elle raconte l’épisode du conflit entre Clytemnestre et Agamemnon par rapport au sacrifice d’Iphigénie, tel que l’on a vu dans le chapitre relatif à Clytemnestre (Cf. pp. 32-33 du présent). On remarque une attitude indifférente (bidirectionnelle) entre Chryssothémis et son père. Au contraire, elle est totalement attachée à sa mère, dont elle cherche toujours (en vain) la récompense et l’approbation. Pendant le conflit Clytemnestre a chassé une chauve-souris avec une serviette à la main. Chryssothémis, maladroitement, lui mit encore une serviette à l’autre main, pour lui donner des ailes (RITSOS 1978 : 168-169). On considère cette action comme une tentative de sauver la mère de son destin, ou encore, de l’aider à s’y échapper.

93

Page 94: Thesis Ritsos Full

Chryssothémis attribue, de façon très claire, toute la responsabilité du matricide à Électre : « Mon frère […] "Nos seuls rames – dit-il – sont peut-être les étoiles ; mais elles aussi nous ne les tenons pas, – comment pourrait-on ?". […] Ma sœur aînée n’a pas compris. Elle lui a donné l’épée cachée sous son tablier. » (Ibid. : 181). La fin de Clytemnestre est narrée comme suit : « […] ses yeux obscures se sont arrêtés énormes, étonnés, exquis, comme si elle avait conçu d’un coup le sens entier de la vie, toute la vanité de quelconque pouvoir, peut-être le sens entier de la beauté – toujours impossible, et pourtant vécue. » (Ibid. : 184). Chryssothémis raconte, anachroniquement, les funérailles de sa mère (Ibid. : 173) et parle de la fuite d’Orèste : « Après le dîner67, notre frère partit, – chassé, on a dit, par les Erinyes. Pas du tout. Il s’est éloigné silencieusement, juste un peu plus songeur et quelque peu penché. » (Ibid.). Après la mort de la mère, Chryssothémis trouve le courage de farfouiller ses objets. Le contact avec les objets de Clytemnestre est une tentative de ressembler à son modèle, qui n’est autre que sa mère. Chryssothémis est une pâle copie de Clytemnestre et vit à travers ses souvenirs d’elle. Si Clytemnestre n’était pas morte, Chryssothémis n’oserait jamais toucher ses objets. La broche à dents de Clytemnestre, un petit objet quotidien, une fois que Chryssothémis l’approche, change de taille et devient énorme. L’objet qui touchait une partie du corps de la mère – et précisément ses dents – devient hostile envers la fille et reprend sa taille minuscule, une fois que Chryssothémis prend conscience que la puissance de sa mère n’existe plus. C’est le moment où elle commence à pleurer : « Et j’ai pleuré pour la mère, pour son amant, pour son époux68, pour la jeune fille massacrée, pour mon autre sœur […] Je pleurais encore plus pour la fuite silencieuse de mon frère ; […] » (Ibid. : 174).

67 En Grèce, traditionnellement, après les funérailles, la famille donne un dîner et l’on serve de la soupe au poisson. RITSOS n’oublie pas de mentionner : « l’odeur de céleri, de carotte et de pomme de terre bouillie. » (1978 : 173).

68 Elle est si détachée d’Agamemnon qu’elle ne l’appelle pas « père ».

94

Page 95: Thesis Ritsos Full

Attachée à Clytemnestre et indifférente envers Agamemnon, Chryssothémis a une relation spéciale avec le reste de la famille. Elle raconte ses mémoires amères d’enfance. Elle ne recevait pas de cadeaux et vivait sous l’ombre de ses sœurs, dont les anciennes poupées abîmées lui servaient de jouets (Ibid. : 169-170). Or, elle gardera un petit napperon, brodé par Électre elle-même pendant sa maladie, comme l’unique et le plus précieux cadeau de sa vie (Ibid. : 184-185). Elle accuse Électre pour le matricide, mais elle la soigne pendant sa folie. Elle fait allusion à deux épisodes relatifs. Au premier, Électre, porte une des casques d’Agamemnon pour protéger ses cheveux des rats et au second, elle barbouille son visage de charbon et se lamente. Rétrospectivement, Chryssothémis raconte son moment de gloire l’épisode où elle est punie, après avoir pris l’initiative d’amener de la nourriture à sa sœur punie.

Invisible et insignifiante aux yeux des autres, elle regarde son reflet dans un vieux miroir. Le miroir, selon RITSOS (1986 : 13), a dix connotations possibles et peut faire allusion, parmi d’autres, au narcissisme, au dédoublement, à l’identification et à la reconnaissance de soi. Ici, l’emploi du miroir renvoie à la reconnaissance de soi : « […] je n’ai rien vu – rien, que de la lumière, – une lumière obscure, comme si j’étais moi-même [faite] entière de lumière. J’ai, alors, compris, (ou, plutôt, rappelé) que j’étais toujours lumière. […] J’ai connu la belle vanité, la sage, la presque heureuse ; » (RITSOS 1978 : 171-172). Chryssothémis n’avait jamais vu son image dans les yeux des autres. Elle a pris elle-même l’initiation de se regarder dans le miroir et se rencontrer avec son image. Ainsi, elle découvre une autre image, propre à elle et autre que celle de Clytemnestre. Chryssothémis découvre encore un érotisme élémentaire, car le miroir reflète également sa libido réfutée : « Les autres filles passaient toute la journée au dessous des grands pins […] (les taches de lumière qui couraient sur les murs et sur le miroir de la chambre ancienne, étaient peut-être de la rondeur de leurs genoux), quand moi, oubliée, seule, fière d’une fierté céleste, je lisais encore et encore la lettre que j’avais écrite à moi-même. » (Ibid. : 178).

95

Page 96: Thesis Ritsos Full

Quand Chryssothémis regarde son passé de distance et prend conscience que la vie continue, elle déclare qu’elle n’attend plus rien d’autre. Elle accepte son fatum et fait preuve de modestie en demandant pardon de n’avoir pas accompli d’actes héroïques. L’épilogue nous communique ce qui se passe après le départ de la journaliste. L’entretien s’est publié après la mort de Despina et a eu un grand succès, tel qu’il y avait souvent des personnes laissant des fleurs à la tombe de Despina.

2.6 Orèste

Orèste, fils unique d’Agamemnon et de Clytemnestre, après le meurtre de son père, a été envoyé à Phocide par sa sœur Électre, afin d’être sauvé d’Égisthe (SMITH 1870c : 41-42). De retour à Mycènes, Orèste a assassiné les meurtriers de son père, selon l’oracle d’Apollon (ESCHYLE 1992c ; SOPHOCLE 1992c). Après le matricide, Orèste devient fou (EURIPIDE 1992e). Chassé par les Erinyes, il est allé au tribunal à Aréopage et a été jugé innocent par Athéna (ESCHYLE 1992b). Pour s’expier de la souillure du matricide, Athéna l’a ordonné de ramener la statue d’Artémis de Tauride à Athènes (EURIPIDE 1992d). À Tauride, Orèste retrouva sa sœur Iphigénie et la ramena avec lui en Grèce (Ibid.).

2.6.1 Orèste ou l’acuité du dilemme

96

Page 97: Thesis Ritsos Full

Orèste est le monologue le plus personnel du recueil, écrit entre 1962 et 1966 (RITSOS 1978 : 89), juste avant le coup d’État des colonels. Ritsos y règle ses comptes avec le Parti Communiste (KKE) et il s’y reflète son déchirement face au le dilemme entre le devoir imposé par le destin (qui est chaque fois : le parti politique pour le poète, Électre pour l’Orèste ritsien et Apollon pour le tragique) et le désir de mener une vie simple, savourant des joies simples et paisibles. Orèste est, l’héros divisé, par excellence69. Quand il oscille entre agir et ne pas agir, on voit, au fond, le poète se révolter contre le poids imposé par son engagement politique et lutter pour sa part de la forteresse. L’espace-temps du monologue est une nuit estivale mycénienne. Orèste et Pylade passent la veille du meurtre à la campagne et ils glissent, à l’aube, dans le palais. Le premier parle au second et de l’autre côté des murailles on entend Électre crier.

L’Orèste ritsien s’écarte des tragiques70 où c’est Apollon qui impose à Orèste le devoir du meurtre. Chez Ritsos il y a l’absence totale du divin. Le devoir est dicté par Électre – laquelle se rapproche plutôt de la sophocléenne, sauf que, ici, elle n’est pas la complice de son frère, mais l’instigatrice du matricide. Son image est négative presque tout au long du récit. Orèste dessine son portrait de femme « […] ascétique, répulsive […] seule, déliée. » (Ibid. : 79) et met l’accent sur son attachement (vain) au passé. C’est peu avant la fin du monologue qu’il lui donne raison : « Elle se tut enfin la pauvre. Dans son silence j’entends presque sa raison, – [Électre est] sans protection dans sa colère, si lésée […] emmurée dans sa justice étroite. » (Ibid. : 86).

69 Au sein de la tragédie grecque.70 Choéphores et Euménides d’ESCHYLE (1992c ; 1992b), Électre de

SOPHOCLE (1992c), Électre et Orèste d’EURIPIDE (1992b ; 1992e).

97

Page 98: Thesis Ritsos Full

L’Orèste ritsien décline des Choéphores, car le héros refuse de faire des libations sur la tombe d’Agamemnon et d’y laisser une boucle de ses cheveux [« […] pas de libations aujourd’hui. Je ne veux pas me couper les cheveux […] », (Ibid. : 74)], comme l’ont fait l’eschyléen et le sophocléen (ESCHYLE 1992c : vv. 167-179 ; SOPHOCLE 1992c : vv. 900-904)71. Il n’est pas aveuglé par la colère comme le sophocléen, il n’arrange pas avec Électre à propos de l’assassinat comme chez Eschyle (Choéphores), Sophocle et Euripide (Électre) et il n’est pas le héros fou et tourmenté par les Érinyes (Euménides d’Eschyle et Orèste d’Euripide). Pourtant, il y a des analogies entre l’Orèste ritsien et les tragiques. Il s’agit plutôt des détails dont se sert le poète. En ce qui concerne le profil psychologique du héros, il a la même fragilité que chez Euripide (Orèste). En plus, on le voit entrer le palais avec Pylade et apporter à sa mère son propre lécythe funéraire : « Levons maintenant ce lécythe de mon cendre soi-disant ; – la scène de la reconnaissance va bientôt commencer. » (RITSOS 1978 : 88), comme l’eschyléen (ESCHYLE 1992c : vv. 671-684) et le sophocléen (SOPHOCLE 1992c : vv. 1108-1236).

71 On retrouve le motif de la reconnaissance par la boucle coupée chez Électre d’Euripide (1992b : vv. 513-531). Pourtant, Électre euripidienne n’est pas persuadée que la boucle vient des cheveux de son frère. « Le réaliste Euripide n’accepte pas licentia poetica d’éléments opposés au rationalisme. » (Ibid. : 162).

98

Page 99: Thesis Ritsos Full

Afin de nous faciliter à notre analyse, nous allons diviser le monologue en deux parties, selon l’accompagnement des lamentations électriennes. La présence et l’absence de la voix est notre paramètre de base pour l’interprétation du monologue. Dans la première partie (RITSOS 1978 : 73-83) la parole est accompagnée de la voix. Ensuite, il y a une rupture : « Écoute ; elle a arrêté. » (Ibid. : 83). Puis, dans la deuxième partie, le récit continue dans le silence (Ibid. : 83-89) et le héros fait mûrir sa décision. Orèste développe sa problématique durant les lamentations de sa sœur. Plus Électre crie, plus Orèste se révolte. Dès que la voix disparaît, il prend sa décision. Dans le but de préciser l’effet de la voix sur Orèste, on peut associer la première partie du monologue à la nuance musicale de fortississimo (pour signaler que le son est au diapason) et la deuxième à la pause (pour signaler le silence). Le contraste sonore est représentatif de la division du héros. La katharsis arrive dans l’épilogue : malgré son dilemme, Ritsos demeure fidèle à ses deux devoirs, ce qui se justifie par son choix de rester un poète engagé jusqu’à la fin de sa vie. Orèste reconnaît son destin et justifie son choix de commettre les meurtres de Clytemnestre et d’Égisthe.

99

Page 100: Thesis Ritsos Full

Propre volonté :Pylade / Vie privée

FuturVie /

Engagement poétique

Devoir imposé : Électre / KKEPasséMort / Engagement politique

La première partie du récit est marquée par le thrène électrien. Orèste se réfère neuf fois à la voix72 « insupportable » (Ibid. 73). Électre est « pendue à sa voix comme le battant de la cloche » (Ibid. 74). La voix commande la vengeance, ce qui amène Orèste à faire deux tentatives de révolte contre le destin imposé. La première est quand il reconnaît qu’il n’est pas prêt à accomplir son devoir : « […] une vie entière on me préparait et je me préparais pour cela. Et maintenant […] je ne me sens pas du tout prêt. […] complètement étranger face à la mission à laquelle les autres m’ont voué. » (Ibid. 74). Il connaît bien son destin, mais, se sentant manipulé, il se soulève. Sa deuxième révolte se déroule quand, ne supportant plus la voix, il pense à partir. « Que veut-on de moi ? On en crie "Vengeance. Vengeance". Qu’on la prenne soi-même, alors, vu que c’est sa vengeance qui les nourrit. » (Ibid. 80). C’est le moment où l’on voit de façon claire la thèse du poète face au Parti Communiste : « Je me sens que maintenant […] c’est l’heure de ma démission définitive. Je ne veux pas être leur sujet, leur employé, leur instrument, ni leur chef. J’ai une vie à moi et je dois la vivre. » (Ibid. 81).

Le dilemme apparaît après la première révolte. C’est, en fait, la collision de deux forces contradictoires, celle du devoir imposé (le meurtre pour Orèste et l’engagement politique pour Ritsos) et de sa propre volonté (mener une vie paisible, ce qui vaut pour tous les deux) : « Il me semble que deux attractions opposées s’associent à nos deux pieds, et l’une attraction se distancie de plus en plus de l’autre élargissant notre enjambement jusqu’au dépècement ; » (Ibid. : 75). Il est divisé entre la vie et la mort et entre le passé et le futur. Nous proposons ci-dessous une schématisation du dilemme 

:

72 Chez SOPHOCLE (1992c), Orèste demande six fois à sa sœur de garder le silence (vv. 1236, 1238, 1259, 1288, 1322 et 1372).

100

« ORÈSTE »

Page 101: Thesis Ritsos Full

Propre volonté :Pylade / Vie privée

FuturVie /

Engagement poétique

Devoir imposé : Électre / KKEPasséMort / Engagement politique

Le schéma proposé ci-dessus, représente la pendule du héros. La partie hachurée renvoie à la branche du « devoir imposé », où l’on retrouve le devoir du poète envers le Parti Communiste. La branche droite, titrée « propre volonté » comprend l’envie de vivre la vie, débarrassé du devoir. « Orèste »73 se trouve au centre du mécanisme de la pendule. L’oscillation de la pendule s’associe à l’oscillation mentale de Ritsos / Orèste.

73 En guillemets, car il est en même temps le poète et le héros tragique.

101

Page 102: Thesis Ritsos Full

Orèste fait les portraits contradictoires d’Électre et de Clytemnestre. C’est une critique amère contre sa sœur, où il énumère un par un les éléments négatifs de son caractère, mettant l’accent sur son attachement au passé, sur sa conception spéciale de justice et surtout sur son obsession de se venger. La question posée ici est « Comment et avec quoi renouvelle-t-elle ce pathos de vengeance et la voix du pathos, quand toutes les échos la démentent et la raillent ; […] » (Ibid. : 76). La position d’Électre est opposée à celle d’Orèste. Ce dernier remarque une familiarisation entre la terre et l’infini. Bien que les nuages sur le ciel et le fermier sur la terre soient deux images différentes, ils constituent un ensemble. Le céleste et le terrestre liés créent le miracle de la vie qui se reflète sur les yeux d’une vache74. Au contraire, Électre « […] ne comprend rien. […] elle insiste à préparer de l’hydromel et des nourritures pour les morts […] Elle invoque tout le temps leur infaillibilité75 […] » (Ibid. : 77). Pour Orèste, la vie ne s’arrête pas au meurtre de son père. Électre refuse de suivre le flux vital. Du même, le devoir qu’elle dicte est contre la vie.

Quant au portrait de la mère, on remarque l’inverse. Il se compose d’éléments positifs accentués et d’éléments négatifs dissimulés. Il y a un grand éblouissement de la part du fils envers elle. Sa voix, en contraste avec celle d’Électre, est « si contemporaine, quotidienne, juste […] » (Ibid. : 78). Le portrait est splendide et quasi érotique. Le fils y exprime aussi la peur de perdre la mère : « […] je craignais toujours qu’elle allait disparaître de nos yeux, plutôt qu’elle allait monter au ciel […] » (Ibid.), ce qui dérive, probablement, de l’adoration de Ritsos pour la figure maternelle. Pour lui, la mère est, en somme, « Si simple et convaincante […] puissante […] imposante et inexplorée. » (Ibid. : 79).

74 Nous allons, par la suite, analyser l’image de la vache selon l’interprétation de Peter Bien [« La vache d’"Orèste" », dans KOKORIS (2009 : 115-120)].

75 Ici, l’appel à l’infaillibilité est une allusion à Agamemnon et au passé du KKE.

102

Page 103: Thesis Ritsos Full

Il compare les deux femmes. La beauté de la mère et « sa jeunesse éternelle » (Ibid.) sont aux antipodes de la « […] vieille fille […] adonnée au refus de la beauté et de la joie […] » (Ibid.). Électre « Elle nourrit sa colère de l’intensité de sa propre voix […] » (Ibid.). Elle est « Complètement aveugle, emprisonnée dans son aveuglement. » (Ibid. : 80). Tandis que par rapport à Clytemnestre, il y a une sorte de sympathie de la part d’Orèste car elle a déjà acquis la connaissance de la mort et « […] elle voit l’inépuisable, l’impraticable et l’inchangé. » (Ibid. : 81). Elle a commis l’assassinat d’Agamemnon et a donc dépassé les limites de la vie et de la mort. Le fils tentera même de l’acquitter : « […] et ce grand voile noir du bain – qui l’a tissé ? – […] ce n’est pas la mère qui l’a tissé. » (Ibid. : 84).

Il ne se sent plus de la haine. La vengeance pour lui est vaine, étant donné de l’inévitable de la mort. Il renforce son argument en élargissant la notion de l’usurpation. Il se rend compte de l’ « […] innocence de tous les usurpateurs. » (Ibid. : 81), car « […] nous sommes tous usurpateurs de quelque chose […] du peuple, […] des trônes, […] de l’amour ou de la mort ; et ma sœur [est] usurpatrice de ma propre vie ; et moi de la tienne76. » (Ibid.).

76 Il s’adresse à la personne muette (Pylade).

103

Page 104: Thesis Ritsos Full

Dans la deuxième partie du récit, on le voit revendiquer la vie : « Tout [est] amour – magie et éblouissement […] » (Ibid. : 83). Cette idée est exprimée juste avant la tombée du silence. Une fois les lamentations arrêtées, on arrive à une « Grande tranquillité, infaisable ; » et le silence est « une délivrance » (Ibid.). On passe directement à l’affirmation de la vie et à des images qui représentent le mouvement éternel du flux vital. Malgré les tragédies personnelles du passé, les meurtres et les morts individuelles, les gens ordinaires continuent leur vie. L’écoulement de la vie se met en parallèle avec l’écoulement de l’eau, qui a son tour, fait allusion à l’assassinat d’Agamemnon dans le bain. Le glissement de l’eau constitue « […] le rythme récurrent de la vie ; » (Ibid. : 84). Le cœur de l’homme devient le centre du monde d’où l’on voit tout. Cela manque à Électre et c’est en ce point-là qu’Orèste essaie de lui donner raison, parce qu’il se rend compte qu’en profondeur, elle, aussi, est en quête d’une vie paisible « […] peut-être elle rêve d’un lieu innocent avec des animaux naïfs, des maisons blanchies à la chaux, des odeurs de pain grillé et des roses. » (Ibid. : 86).

L’Orèste est structuré sur un système binaire d’images contradictoires et paradoxales, mais complémentaires au fond, dont la plus paradoxale est celle d’une vache (qui revient trois fois dans le monologue). Peter Bien, dans son article « La vache d’"Orèste" »77 (dans KOKORIS 2009 : 115-120), considère la première référence à la vache en tant que « […] symbole qui pousse la terre à se familiariser avec l’infini serein. » (Ibid. : 117).

77 La traduction française des passages cités de l’article de Bien est de nous.

104

Page 105: Thesis Ritsos Full

L’image revient avant la fin du monologue (RITSOS 1978 : 86-88). La vache « […] a bu de l’eau du ruisseau léchant de sa langue sanglante, cette autre langue fraîche de son reflet aquatique, comme si elle léchait […] sa blessure de l’intérieur, comme si elle léchait la grande blessure silencieuse et ronde du monde ; » (Ibid. : 86). Selon Bien, cette image reflète l’épée avec laquelle Orèste tuera les usurpateurs (dans KOKORIS 2009 : 118), ce qui se justifie aussi par la suite du texte : « […] – peut-être qu’elle se désaltéra – peut-être ce n’est que notre propre sang qui nous désaltère – qui sache ? » (RITSOS 1978 : 86).

Le sang de la vache disparaissait comme s’il passait « […] dans l’invisible veine du monde ; » (Ibid. : 87). Comme si la vache connaissait la vérité : « […] que notre sang ne disparait pas, rien ne disparait pas, rien, rien ne disparait pas dans ce grand rien […] Ce rien est notre infinité familière. » (Ibid.). Selon Bien, « Orèste est prêt de laisser le recueillement et de procéder décisivement à une action selon la conception compliquée de la vie que la pensée lui a offerte. » (dans KOKORIS 2009 : 119). Il va donc accepter son destin et commettre les meurtres, parce qu’il choisit « […] la connaissance et l’acte de la mort qui fait monter la vie. » (RITSOS 1978 : 89).

Dans les dernières lignes du monologue on retrouve la réponse au dilemme : « Allons-y – pas pour mon père, pas pour ma sœur […] pas pour la vengeance, pas pour la haine […] ni pour la punition […] mais peut-être pour le complètement d’un temps défini, pour que le temps reste libre, peut-être pour une victoire inutile […] pour qu’il respire (si possible) ce lieu. » (Ibid.). Par rapport à la décision d’Orèste, Bien note qu’il s’agit d’une action catastrophique, faite de gens mortels d’un infini dont une partie est la catastrophe et que cette action de peut être conçue qu’en tant que positive (dans KOKORIS 2009 : 119).

105

Page 106: Thesis Ritsos Full

Le dilemme résolu, les deux hommes entrent dans le palais. Les derniers mots d’Orèste sont : « Allons-y maintenant. Je reconnais mon destin. Allons-y. » (RITSOS 1978 : 89). L’épilogue nous confirme que les meurtres78 viennent bien d’avoir lieu. Bien indique que les meurtres sont « immédiatement absorbés » (dans KOKORIS 2009 : 120) par le flux vital. On peut y ajouter que cette absorbation est la katharsis d’Orèste. À la fin du monologue on retrouve la troisième référence à la vache qui regarde le ciel du milieu de la porte des lions. L’interprétation de Bien ici est que la vache, le symbole paradoxal, mais unificateur, surveille tout (Ibid.).

78 Ritsos ne donne pas beaucoup de détails, mais l’on constate que les meurtres ont lieu selon Euripide (Électre), où le meurtre de Clytemnestre suivit celui d’Égisthe.

106

Page 107: Thesis Ritsos Full

3 Le cycle mythologique de Troie

Le cycle de Troie est un des trois grands cycles de la mythologie grecque. Les deux autres sont l’argonautique et le cycle de Thèbes. LESKY (1983 : 132-133) explique que la plupart de ces textes sont perdus et nous ne connaissons que des informations citées dans des textes littéraires ou critiques. Le cycle épique de Troie contenait toute l’épopée relative aux événements de la guerre de dix ans. À part d’Iliade et d’Odyssée, toute autre œuvre est perdue. Les Chants cypriens présentaient les événements avant la guerre dans onze livres (Ibid. : 135). Les aventures des héros après la guerre et leur voyage de retour étaient narrés dans les cinq livres des Nostoi (Ibid. : 137-138).

3.1 Hélène

Hélène, fille de Zeus (ou de Tyndare) et de Léda, était l’épouse de Ménélas, frère d’Agamemnon, Reine de Sparte et mère d’Hermione. Cette femme de beauté divine a été la cause de la guerre de Troie. Chez Homère (Iliade), Hélène a été enlevée et amenée à Troie par Paris. Euripide, dans la tragédie homonyme, se sert de la version de Stésichore (SMITH 1870b : 106), selon laquelle, Hélène n’a jamais été à Troie, mais elle a passé la décennie de la guerre en Égypte.

3.1.1 L’Hélène79, la beauté désastreuse et une ascension

79  On tend d’employer le nom propre introduit par l’article défini, malgré la discordance syntaxique que ceci provoque en français, afin de rester fidèle au texte original.

107

Page 108: Thesis Ritsos Full

Le monologue d’Hélène (1970) est le seul monologue éponyme du recueil introduit par l’article défini. On considère l’emploi de l’article comme un élément qui tend à déterminer la personne parlante, à la distinguer des autres héros qui apparaissent dans le recueil et surtout à indiquer et à signaler son unicité. Sur ce propos, Georges Giatromanolakis, dans son article « "L’Hélène" de Yannis Ritsos : Un poème politique » (dans BROZE, COULOUBARITSIS et alii 2004 : 253-268) note, par rapport à l’emploi de l’article défini au titre que « […] cette Hélène n’est pas tellement l’Hélène mythique et qu’il ne s’agit pas tellement de l’Hélène communément connue, mais d’une certaine Hélène précise, peut-être plus particulière ou, si l’on peut dire, plus familière. » (Ibid. : 256). Le poème fut publié individuellement en 1972 avec la dédicace « À la mémoire de NINA [sic] ma sœur » (RITSOS 1972 : 7), retirée de l’édition du tome collective de la Quatrième Dimension. Nina (Anna) Ritsou, fut la sœur aînée du poète, femme de grande beauté, décédée le 8 février 1970 (KOTTI 2009 : 223).

108

Page 109: Thesis Ritsos Full

Ritsos utilise la méthode de l’enrichissement narratif afin de développer dans son texte des détails tirés directement et incontestablement de la tradition épique. Plus précisément, il textualise, à sa façon, l’épisode de la teichoscopie et du duel entre Ménélas et Pâris, emprunté à Iliade, lequel se relie dans le monologue avec l’épisode – crée par le poète – de l’ascension d’Hélène. Il est évident que la tragédie d’Euripide aurait aussi été une des sources de Ritsos, cependant, dans son propre texte on retrouve au moins trois éléments majeurs qui nous renvoient directement à Homère : Hélène ne fait aucune allusion au temps et au lieu de la tragédie (située après la fin de la guerre au palais de Protée en Égypte) ; au contraire, elle raconte minutieusement l’épisode de la teichoscopie (tiré d’Iliade) et dans son récit, elle mentionne même la rhapsodie relative (Γ'). Malgré la mention de certains personnages d’Hélène sophocléenne, comme par exemple Protée, Thésée et Teucer parmi d’autres, on n’a presque aucun lien évident80 avec la tragédie homonyme, (RITSOS 1978 : 272).

80  Giorgos Kendrotis dans son article « Hélène ou la troisième rose : une approche comparative et interprétative » (dans KOKORIS 2009 : 265-276) structure et développe son interprétation du monologue uniquement selon les lignées de la tragédie et propose une comparaison avec l’œuvre homonyme de Goethe. Dans notre essai d’interprétation du texte ritsien, nous allons nous appuyer sur l’œuvre homérique afin de construire le profile de l’héroïne.

109

Page 110: Thesis Ritsos Full

Hélène de Ritsos vit, comme les autres héros du recueil, dans le monde contemporain, ce qui s’accentue au moyen des anachronismes, soigneusement éparpillés, tout au long de son monologue. Elle prend des médicaments, elle boit du café, elle fume, la Police arrive chez sa maison quand elle meurt et même son corps est collecté par une ambulance. Ritsos la place dans sa chambre, la ruine de son ancien « temple de luxure », étant extrêmement âgée et vieillie, marquée des ravages du temps. Cet élément constitue la plus grande divergence des archétypes homérique et euripidéen. Si l’on voulait donner un sous-titre explicatif au monologue, on dirait qu’il s’agit d’un jeu de l’idole (Hélène) entre être (εἶναι) et paraître (φαίνεσθαι). Hélène est textualisée, comme déjà mentionné, à sa grande vieillesse, peu avant sa mort (qui advient à la fin de son monologue). Elle connaît mieux que toute autre personne la vanité de la guerre et elle la reprouve. On la voit solitaire, abandonnée et détachée de tout. En outre, on considère que ce monologue est homologue d’Agamemnon, en ce qui concerne le détachement complet de l’héroïne.

Le récit d’Hélène est une série de souvenirs de toute sa vie, y compris sa jeunesse (avant son enlèvement), la période de la guerre de Troie (notamment l’épisode du duel entre Ménélas et Pâris), la période post-iliadique (vie paisible de retour à Sparte), ainsi que son présent (vie solitaire avec ses servantes) et ses deux ascensions. Les enjeux principaux du monologue sont la solitude, l’effondrement et notamment la prise de conscience de la vanité des événements du passé. Elle fait le bilan de sa vie, d’ailleurs glorieuse et partage ses souvenirs les plus vifs et chers avec la personne muette. Elle parle de son présent malheureux et de sa souffrance à cause des dégâts du temps sut sa beauté et sa santé. Elle parle aussi de la présence des morts dans sa maison et elle explique sa relation avec ses servantes.

110

Page 111: Thesis Ritsos Full

Dans son monologue, Hélène, comme nous verrons par la suite, insiste à la description de son seul moment de liberté absolue : le moment où elle a marché sur les remparts de Troie, durant le duel entre son époux, Ménélas, et son amant, Pâris. On considère cette scène en tant qu’ascension. La scène aux remparts de Troie renvoie directement au texte iliadique est se situe peu avant la fin du texte. Dans L’Hélène, on détecte deux mouvements ascensionnels. Le premier, d’origine psycho-sémantique (fixation sur un objet, ici sa bague en pierre noire), prépare le deuxième, qui est vraiment une ascension salvatrice et libératrice, car il offre à l’héroïne la possibilité d’une première conception globale du réel.

(A)      (A')

  T E M P S

111

Vie Mort

Hélène

Passé

(+ / -)

Avenir

(?)

Présent

(-)

Balancement(s)

Page 112: Thesis Ritsos Full

Tout au long de son monologue, Hélène traverse toute la gamme temporelle. Son esprit oscille entre le passé, le présent et un certain avenir (la mort). Le schéma proposé ci-dessous dessine, selon notre interprétation, l’oscillation de l’héroïne. La barre horizontale représente le temps et les lignes verticales la vie (passé) et la mort (avenir). Hélène est positionnée au milieu (présent) et oscille entre les deux autres dimensions du temps. On suppose qu’elle se trouve dans un état hybride, entre la vie et la mort. Elle n’est pas morte, mais pas véritablement vivante. Étant au sommet de la balance, on la représente en tant que sphère qui va et vient vers ses souvenirs et à la fois vers ses pensées pour l’avenir, dans une tentative d’établir un équilibre sur la balance. Les signes négatifs et positifs dans les carrés dessinent les sentiments de l’héroïne envers les différentes périodes du temps. Elle regarde son passé de façon à la fois positive et négative. Le présent pour elle est plutôt de qualité négative. Quant à l’avenir, le point d’interrogation employé indique, d’abord, l’incertitude, sinon l’incapacité de juger des événements qui ne sont pas encore passés et, en second lieu, reflète le motif de la mort, de facto inévitable, mais pas forcement négative.

Dans le prologue, on a la description de la vieille maison et du jardin, abandonnés et presque détruits, où règnent les insectes et les mauvaises herbes. La personne muette – un homme pas nommé qui rentre après être longtemps absent – redécouvre le palais en état d’effondrement et rend visite à Hélène, qui, à la façon de sa maison, conserve très peu de son image glorieuse du passé. Le fait qu’Hélène doit confirmer à la personne parlante son identité : « Oui, oui, – c’est moi. » (Ibid. : 269), souligne son désespoir face au visiteur, témoin de sa déchéance physique et de sa solitude.

112

Page 113: Thesis Ritsos Full

Un des objets les plus importants pour Hélène, comme déjà évoqué, est sa bague avec pierre noire. La bague constitue le lien avec le passé. Une fois somatisée, Hélène expérience la montée vers le plafond de sa chambre. Elle a l’impression que le noir de la pierre augmente et remplit la chambre d’eau noire et qu’elle s’enfonce dans un fond d’en haut, d’où elle observe tout. La somatisation de la bague dans l’esprit de la personne parlante est le moyen qui révèle le sentiment de la parution de l’élément aquatique, ainsi que l’impression du déplacement dans l’air. Selon Prokopaki (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 348-359), toute sorte de montée, de vol et d’ascension chez Ritsos, signale, en général, l’inversement du mythe de la Chute. Cette scène est, plutôt, considérée en tant qu’effet psychosomatique, qui permet à Hélène, par le biais de la montée imaginaire, d’abord, la distanciation et, ensuite, la vue claire et globale des choses. On doit remarquer, néanmoins, que cette vue à distance n’est qu’un instantané, étant donné que, par la suite, elle essaie de rationaliser « […] "ce n’est qu’une pierre, une petite, pierre précieuse". Tout le noir se contracte alors, sèche et prend place comme un nœud infirme, – je le sens ici, un peu plus bas dans ma gorge. » (RITSOS 1978 : 270).

113

Page 114: Thesis Ritsos Full

Hélène, se référant au statut de guerrier de la personne muette, soulève la question de l’héroïsme et de la guerre et les condamne en tant que vains. La personne muette semble réagir et peut-être s’apprête à partir : « Ne te fâche pas de nouveau. Reste encore un peu. » (Ibid.). Hélène explique que lorsque le temps passe, on peut regarder les choses à distance et distinguer l’important de l’insignifiant (y compris la prise de conscience de la vanité des guerres) : « Les choses ont perdu leur importance, elles se sont vidées ; D’ailleurs ont-elles jamais eu une ? […] Alors, aucune importance aux faits ou aux choses […] » (Ibid. : 271). La non-importance s’applique aussi aux personnes. Le fait qu’Hélène oublie ou confond les noms des gens les plus connus : « Pâris, Ménélas, Achille, Protée, Théoclymène, Teucer, Castor, Pollux […] Thésée, Pirithoos, Andromaque, Cassandre, Agamemnon […] » (Ibid. : 272) exprime la vanité de leur existence et de leurs actions. Elle explique que leurs noms ne sont plus que « […] des sons, juste des sons, sans image, sans leur idole sur un vitre, sur un miroir de fer […] » (Ibid.). Elle mentionne des personnes (mortes) qui, à un certain moment, ont eu une grande importance dans sa vie, afin de souligner le fait de l’oubli. Peu après, elle va plus loin : « Il n’y a plus de mots et de noms ; je ne distingue que quelques sons […] » (Ibid. : 273). L’oubli d’Hélène, présenté partiellement comme conséquence de la vieillesse, apparaît de la même manière par rapport aux noms des lieux : « Les restes, comme s’ils n’étaient rien – ont disparu. Argos, Athènes, Sparte, Corinthe, Thèbes, Sicyone, – des ombres de noms ; je les parle ; ils sonnent comme coulés dans le non-accompli. » (Ibid. : 279). Les changements, qui ont eu lieu au fil du temps, ont fait ces lieux changer complètement, jusqu’au point de perdre toute ressemblance aux paysages mythiques dont Hélène parle. Elle se trouve dans un état de détachement absolu de ses souvenirs. Ceci se justifie par ses propres mots quand elle parle de l’usure du corps et quand elle se réfère à l’effondrement de sa maison. Ultérieurement dans son récit, elle va revenir à l’enjeu de la vanité : « Comment tout était insignifiant, sans but et durée et essence – des richesses, des guerres, des gloires et des rancunes, des bijoux et ma propre beauté. Que des légendes stupides, des

114

Page 115: Thesis Ritsos Full

colombes et des Troies [sic] et des amours et des galanteries. », (Ibid. : 275), et déclarer l’insignifiance des événements de son passé. Si Agamemnon acquiert la vision absolue grâce à / à cause de la mort, Hélène l’acquiert grâce à / à cause de la perte de sa beauté.

Elle impute aux morts l’atmosphère asphyxiante de sa maison : « Dans cette maison l’air est devenu lourd et inexplicable, peut-être à cause de la présence naturelle des morts. » (Ibid. : 273). Les morts, dont les esprits sont notamment observables à travers les objets « […] ne nous blessent plus, – et c’est bizarre – n’est-ce pas ? – pas tant pour eux, mais pour nous, – leur intimité neutre avec un espace qui les a rejetés et qu’ils ne contribuent pas aux charges de son entretien ni à l’ennui de son usure, eux, parfaits et inchangés, juste comme un peu plus grands. » (Ibid. : 274). Les morts sont décrits en tant que personnes délaissés qui cohabitent avec elle et qui se déplacent dans l’atmosphère de cette maison en abandon. Pourtant, son détachement est tel qu’elle n’est même pas attachée à eux : « Je ne sais pas pourquoi les morts vivent ici, sans la sympathie de personne ; je ne sais pas ce qu’ils veulent et pourquoi ils rôdent dans les chambres […] Ils occupent beaucoup de place, ils s’allongent n’importe où, si sots, eux aussi, comme nous, seulement un peu plus calmes. […]Les servantes […] ne les entendent pas. » (Ibid. : 274-275). En ce point, on peut ajouter aussi qu’elle est la seule à pouvoir sentir l’aura des morts, probablement puisqu’elle se trouve dans un état entre la vie et la mort, tandis que ses servantes sont beaucoup plus jeunes qu’elle.

115

Page 116: Thesis Ritsos Full

Une autre question significative abordée par Hélène est celle du rôle des servantes. Un lien quasi étrange entre elles est mis en évidence dans le récit. Cette relation reflète, effectivement, la lutte des classes, amis à partir d’un autre point de vue, plus psychologique sinon féministe, pourrait faire allusion à l’antagonisme et la jalousie du sexe féminin. Lisant le monologue, on a l’impression que les servantes sont devenues les maîtresses de la maison. Leur comportement envers Hélène est assez abusif. Elles ont approprié ses objets, vêtements et bijoux, elles ont détruit ses statues, très souvent elles l’ignorent quand elle demande quelque chose, ou elles l’oublient : « […] les servantes s’énervent inexplicablement avec moi, elles jettent le balai ici, au milieu de ma chambre […] "Un café", (je ne demande que du café ; je ne veux rien de plus). Elles prétendent de ne pas entendre. […] Elles ne répondent pas. Je les entends siroter leur café dans mes tasses en porcelaine […] » (Ibid. : 275). Elle y revient peu après : « Les servantes me détestent. Je les entends […] prendre mes dentelles, mes bijoux, mes talents d’or […] mes clés […] D’ailleurs elles dessinent avec le crayon noir de mes sourcils, des grandes moustaches sur mes statues, ou leur mettent à la tête une casque très ancienne ou le pot de chambre. », (Ibid. : 277). Hélène soulève aussi la question de l’avidité des servantes, qui n’hésitent même de vider les meubles de la maison.

116

Page 117: Thesis Ritsos Full

On classifie les vols et les appropriations des objets parmi les manifestations des conflits sociaux. Cependant, nous remarquons d’autres éléments, qui expriment une sorte de mépris au féminin, qu’on pourrait qualifier de bidirectionnel. L’épisode du rituel du maquillage, exemple précis de la nature de cette relation, marque une des tentatives des servantes à ridiculiser et humilier leur vieille maîtresse : « Elles l’avaient maquillé [mon visage] en vert, avec la bouche noire. "Merci", leur ai-je dit, comme si je n’avais rien aperçu d’étrange. Elles riaient. » (Ibid.). De sa part, Hélène se positionne par rapport aux servantes et manifeste sa patience. Elle n’est pas touchée d’insultes et de vandalismes. Elle se dit que : « "un jour nous allons mourir", ou plutôt : "un jour vous allez mourir" ; et ceci fut une vengeance certaine et une peur et une consolation. » (Ibid.). Nous considérons cet énoncé en tant qu’allusion directe à renommée de la Belle Hélène, intouchable par le temps et ineffaçable au fil des siècles. Ajoutons, d’emblée, que l’idée de l’immortalité, peut, dans ce cas, renvoyer à l’immortalité, à la plasticité et à l’universalité du mythe en tant que tel, dont on retrouve partout des traces littéraires, depuis l’époque d’Homère jusqu’à nos jours.

D’ailleurs, Hélène se présente en tant que combattante contre l’usure du temps : « Moi, comme tu le sais, je conservais encore mon ancienne beauté par un miracle (mais aussi avec des colorations, des herbes et des pommades, de jus de citron et d’eau de concombre). » (Ibid. : 276). Elle indique qu’elle a renoncé à l’arsenal cosmétique après la mort de son époux. Selon sa propre description, on se rend compte que le temps ne fut pas du tout clément envers sa beauté de nature divine : « Des grandes verrues sont apparues sur mon visage. Des poils épais ont rempli ma bouche […] » (Ibid.). Cette image démystifie absolument l’image de l’idole de Troie. Suite à cet énoncé, on remarque que la personne muette tend à partir : « Ne pars pas. Reste encore un peu. Il y a beaucoup de temps que je ne parle pas. Personne ne vient me voir. Tous ont eu hâte de partir. » (Ibid. : 276-277). Selon ce dernier passage cité, on assume que la raison de son abandon fut la perte de sa beauté.

117

Page 118: Thesis Ritsos Full

En ce qui concerne sa relation avec les hommes, exploitée dans la plupart de textualisations du mythe, l’Hélène ritsienne développe un point de vue différent. Son côté féminin est assez sensible, tout d’abord quand elle s’adresse avec affection à la personne muette : « Toi comment vas-tu ? Es-tu toujours à l’armée ? Prends soin de toi. » (Ibid. : 270) et aussi : « Ne voudrais-tu que je sonne, pour qu’on t’apporte quelque chose ? » (Ibid. : 285). Elle démontre même son instinct maternel envers les hommes, quand elle se rappelle ses amants à l’heure de leur sommeil et avoue que « Alors je les aimais, en fait, comme si je les avais mis au monde. […] je voulais le prendre en moi pour les protéger, ou m’accoupler ainsi avec tout leur corps. » (Ibid. : 282). Par rapport à Ménélas, Hélène fait une description détaillée de sa vieillesse et avoue qu’il lui manque. Quant à Ulysse, elle l’imagine – toujours jeune – à Ithaque, à côté de Pénélope.

Peu avant la fin de son monologue, Hélène arrive au point le plus important, à son souvenir le plus cher, id est le moment de son ascension aux remparts de Troie. Elle fait également allusion à Pâris, dont la mort fut l’effet de la providence des dieux. Le récit relève de l’épisode de la teichoscopie, tiré de la troisième rhapsodie d’Iliade. Chez Homère, on attribue à Hélène trois rôles distincts : le rôle de la tisseuse au début de la rhapsodie : « [Iris] […] trouva Hélène dans sa demeure, tissant une grande toile double, blanche comme le marbre […] » (HOMÈRE [1866] : 49) ensuite celui de l’informatrice de Priam : « ― Viens, chère enfant, approche, assieds-toi auprès de moi […] Dis-moi le nom de ce guerrier d’une haute stature ; […] » (Ibid. : 50) et enfin celui de la femme aux côtés de Pâris blessé : « ― Viens ! Alexandros t’invite à revenir. » (Ibid. : 56). Ritsos textualise la rhapsodie en met en relief le moment de la liberté absolue de l’héroïne. Une fois montée sur les remparts, Hélène se libère de tous et de tout et, en même temps, elle provoque tous, car elle devient une cible facile. Ce moment de justification unique apparaît sous forme d’ascension instantanée :

118

Page 119: Thesis Ritsos Full

[…] moi, en haut, sur les remparts, au-dessus des têtes des mortels, éthérée, charnelle, sans appartenir à personne, sans avoir besoin personne, comme si j’étais (indépendante moi) l’amour entier, – libérée de la peur de la mort et du temps, une fleur blanche sur mes cheveux, une fleur entre mes seins, et une autre sur les lèvres […] On pouvait me flécher de deux côtés. Je faisais la cible marchant lentement sur les murs […] Alors j’ai jeté les deux fleurs de mes cheveux et de mes seins […] aux deux côtés du mur avec un geste totalement tolérant. Et alors les hommes […] se ruaient l’un contre l’autre […] pour attraper ces fleurs, pour me les offrir – mes propres fleurs. (Ibid. : 283-284).

Giatromanolakis remarque que « Hélène nie l’histoire, ou […] ne semble pas émue par l’histoire. » (dans BROZE, COULOUBARITSIS et alii 2004 : 266). Prokopaki81, qui cite Giatromanolakis, indique qu’il s’agit des fleurs de la naissance, de l’amour et de la mort (Ibid. : 267). Pourtant, Giatromanolakis considère qu’il s’agit, plutôt, des fleurs de l’amour, de la révolution et de la poésie, mettant l’accent sur la troisième rose, qui, connotant la poésie, signifie aussi la liberté personnelle (Ibid.), ce qui relève, bien entendu, d’une lecture politique du monologue (qui n’est pas le propos du présent travail). Nous considérons que la scène d’ascension est la plus significative pour Hélène. C’est par rapport à ce souvenir qu’elle prononce ses derniers mots avant de mourir : « … Et cette scène, sur les remparts de Troie, – eussè-je vraiment montée aux cieux laissant tomber de mes lèvres – ? Parfois j’essaie même à présent, ici allongée sur le lit, d’ouvrir les mains, marcher à la pointe des pieds – marcher sur l’air, – la troisième fleur – » (RITSOS 1978 : 288).

81 Dans « La marche vers Graganda ou les aventures de la vision » qui se trouve dans MAKRYNIKOLA 1981 : 276-372. La citation de Giatromanolakis est de la p. 364.

119

Page 120: Thesis Ritsos Full

Après avoir raconté tout ce qu’elle avait à dire, Hélène – qui, rappelons-le, avait prié cinq fois l’homme de rester encore un peu avec elle – permet à la personne muette de partir : « Là tu peux partir. La nuit est tombée. J’ai envie de dormir, – fermer les yeux, dormir, ne pas voir dehors ni dedans, oublier la peur du sommeil et la peur de l’éveil. » (Ibid. : 287).

L’épilogue nous informe que la personne muette, pensant Hélène endormie, est en train de partir, quand, surpris par les cris des servantes, apprend sa mort. Hélène est morte et sa maison fermée par la Police. Les servantes sont parties volant tout ce qui était de valeur. Le poème se clôture avec la phrase « Où irait-il maintenant ? » (Ibid. : 289) qui se réfère à la personne muette. Hélène tout au long de son récit lui avait parlé de sa solitude. Sa confession pourrait servir d’une sorte de « baptême » pour la personne muette, qui, après la mort d’Hélène, allait, probablement, expérimenter la même condition d’isolement, mais aussi la même prise de conscience qu’elle.

3.2 Ajax

Ajax, fils de Télamon, fut un des grands guerriers de Troie et Roi de Salamis. Dans SMITH (1870a : 86-87), on retrouve la description complète du héros, selon les sources antiques, notamment l’Iliade et la tragédie homonyme de SOPHOCLE (1992a). « Grand » est l’épithète homérique attribué à Ajax (SMITH 1870a : 86). Ajax dans l’épopée est toujours comparé à Achille, par rapport aux compétences de guerrier, le courage et la beauté (Ibid.). Hors de ses faits d’armes, Ajax est connu pour sa querelle avec Ulysse et pour sa fin tragique. Ajax manifeste sa colère profonde quand Ulysse reçoit les armes d’Achille. Il décide de tuer Ulysse et les Atrides, Agamemnon et Ménélas. Athéna, comme le révèle SOPHOCLE (1992a : vv. 51-73), le rend fou et Ajax tue enfin les troupeaux de moutons. Le lendemain, il prend conscience de ses actes et, malgré les efforts de Tecmesse et du Chœur, il se jette sur son épée et se suicide (Ibid. : vv. 430-480, 481-596, 815-865).

120

Page 121: Thesis Ritsos Full

3.2.1 Ajax ou la désillusion de la vertu guerrière

Ritsos écrit Ajax à Léros et à Samos d’août 1967 à janvier 1969 (RITSOS 1978 : 243). Comme les autres trois monologues des guerriers, Ajax traite les problèmes du pouvoir. Si Agamemnon présente un polémarque fatigué et dégoûté de son statut, qui admire l’insignifiance d’une fourmi, Ajax est plutôt la démystification du héros homonyme, la chute d’un grand guerrier, qui perd sa raison à cause de sa colère. Ajax de Ritsos souffre des troubles mentaux et révèle toutes ses faiblesses. Il s’est emparé de manie, il a des hallucinations visuelles et il réagit de façon schizophrénique. Il ne supporte pas d’être l’objectif des railleries des autres. Il se plaint à Tecmesse pour tout et distribue des responsabilités à tout le monde. Ajax est isolé, il se sent trahi et humilié puisqu’Ulysse a reçu les armes d’Achille. Il se rend compte de la vanité de la gloire mais, marche, pourtant, vers son destin tragique, le suicide. Le récit d’Ajax n’est qu’un long au revoir à sa compagne et à Eurysacès. Tout au long du monologue, Ajax demande à Tecmesse de fermer les portes et les fenêtres, parce que, à cause de son délire de persécution, il a l’impression qu’on le guette et qu’on veut lui faire du mal. À la fin du monologue, il l’ordonne de les ouvrir et il sort.

121

Page 122: Thesis Ritsos Full

L’espace-temps du monologue est relativement court et chronologiquement insignifiant par rapport à la tragédie. On se trouve au lendemain du carnage des troupeaux grecs, avant le suicide d’Ajax. Ritsos ne précise pas le lieu exact, on suppose, pourtant, qu’il s’agit d’une demeure, car le héros parle de portes et de fenêtres et de grilles des fenêtres (RITSOS 1978 : 231). Ritsos décrit dans le prologue le corps « robuste » (Ibid.) d’Ajax, qui s’étend parmi d’ustensiles de cuisine brisés et d’animaux massacrés. Ajax « […] semble fatigué, comme s’il venait de se remettre d’une ivresse qui a duré toute la nuit. » (Ibid.). Le poète met en relief l’expression « d’indisposition » (Ibid.) du héros et insiste sur la description de son apparence pour souligner son état psycho-mental, complètement contradictoire à son physique viril. Ajax s’adresse à Tecmesse, « Une femme, aux traits étrangers […] » (Ibid.). Le prologue nous informe que le jeune Eurysacès est aussi présent « Sa position [de Tecmesse] est un peu bizarre – comme si elle cachait derrière elle un petit enfant. » (Ibid.).

L’Ajax ritsien révèle plusieurs convergences par rapport à son origine mythique (Iliade et Ajax sophocléen). Le monologue est basé sur la tragédie et, plus précisément, correspond aux vers 284-875 de SOPHOCLE (1992a). Au lendemain du massacre, Ajax ritsien se rétablit de sa manie. Ajax sophocléen dit à la déesse Athéna qu’il a pendu Ulysse (en réalité un bélier) pour le torturer (Ibid. : vv. 105-106). Dans le prologue de RITSOS, on retrouve « […] un bélier blanc, pendu debout sur le pieu […] » (1978 : 231). Ajax ritsien dit par rapport au bélier : « Regarde ce bélier blanc, – quels [yeux] silencieux, quels [yeux] tristes, ses yeux, mon dieu – un petit Ai-Yannis82 – c’est eux qui m’ont appris l’humiliation paisible. » (Ibid. : 239). Dans l’épilogue le narrateur nous informe que « On ramasse les animaux massacrés. Et le bélier blanc aux yeux tristes. » (Ibid. : 242).

82 Saint-Jean.

122

Page 123: Thesis Ritsos Full

Chez SOPHOCLE (Ibid. : vv. 312-329), il demande à Tecmesse de lui raconter ce qui s’est passé la veille. Ajax prend conscience des événements et demande de voir Eurysacès et Teucer (Ibid. : vv. 340-340, vv. 541-542 ; RITSOS 1978 : 234-235). Il s’indigne d’avoir massacré les animaux au lieu des Atrides et d’Ulysse (Ibid. : 234 ; SOPHOCLE 1992a : vv. 364-367). Il exprime sa colère envers ces derniers, et notamment envers les deux Atrides, qui ont donné les armes d’Achille à Ulysse (Ibid. : vv. 445-449 ; RITSOS 1978 : 236-237). Ajax tragique quitte la demeure en assurant Tecmesse et le Chœur qu’il sera bientôt débarrassé de son malheur (SOPHOCLE 1992a : vv. 690-692). Il dit qu’il va laver son épée à la mer pour s’expier de son acte sanglant (Ibid. : 656-660 ; RITSOS 1978 : 242). La katharsis du héros n’est autre que le suicide. Avant de perdre sa vie, l’Ajax sophocléen salue le Soleil [sic] et pense à sa patrie, Salamis (SOPHOCLE 1992a : vv. 856-861). De la même manière, Ajax ritsien dit : « Quelle belle journée, – ô éclat du soleil, rivière dorée – Au revoir, femme. » (RITSOS 1978 : 242).

123

Page 124: Thesis Ritsos Full

L’aspect principal du monologue ritsien est la demande constante d’Ajax à Tecmesse d’enfermer les portes et de tuer une mouche qui l’embête. Ajax répète sept fois la phrase « Ferme les portes, ferme les fenêtres, verrouille l’enclos […] » soit pour garder les insectes et les Atrides en dehors de la demeure (Ibid. : 231, 235), soit pour ne pas entendre les moqueries des autres (Ibid. : 231, 239), et pour ne pas faire montrer, d’une part, le massacre des animaux et, d’autre part, son humiliation et sa faiblesse (Ibid. : 233, 234, 240). À la fin de son monologue et avant de sortir, il va demander à Tecmesse l’inverse : « Ouvre les portes, ouvre les fenêtres, déverrouille l’enclos […] » (Ibid. : 242). Également, Ajax de SOPHOCLE demande à Tecmesse de fermer la porte quand Eurysacès entre la scène (vv. 578-579) et répète l’ordre peu après (v. 596). La grande mouche noire et répulsive, dont parle Ajax, n’est autre que sa propre conscience. Comme les Érinyes, ou encore les mouches d’Orèste chez SARTRE (2011), sa conscience le torture tacitement et le conduit, pas à pas, à sa mort. Il la voit grandir sur le mur (RITSOS 1978 : 231), aiguiser ses ongles sur la corne d’un bœuf (Ibid. : 232) ou faire du bruit (Ibid. : 240). Ajax, affaibli, demande à Tecmesse de tuer la mouche. Les paroles d’Ajax révèlent la stupéfaction de Tecmesse, qui ne voit, probablement, pas la mouche : « Pourquoi es-tu pétrifiée ainsi ? […] Femme, qu’est-ce que tu regardes ainsi ? La mouche – tue-la. » (Ibid. : 231, 234).

124

Page 125: Thesis Ritsos Full

Ajax est humilié et déshonoré. Il est furieux envers soi-même parce qu’il a honte de son mauvais état. En crise, il se détache de son passé glorieux et accuse les Atrides : « Je ne veux rien de tout cela – qu’est-ce le profit soi-disant ? – il ne me manquait plus que cela. Mes exploits anciens me paraissent comme des mensonges. D’autres ont usurpé tous les prix destinés à moi, au moyen des sorts astucieux et des vénalités. » (Ibid. : 236-237). Il montre sa faiblesse et son trouble mental, quand, au milieu d’une hallucination, il demande une couverture à Tecmesse : « Écoute, – ils rient de nouveau dans le jardin. N’est-ce pas ? Tais-toi. Tais-toi. Femme, j’ai froid. Amène-moi une couverture. Il fait froid n’est-ce pas ? » (Ibid. : 239). Enfin, il renonce à la gloire face à l’omnipotence de la mort : « Quoi faire de gloires, de prix, d’éloges. Ce n’est rien. Notre échec et la moquerie [n’est] rien. Ils se perdent avec nous. […] Seule sa mort est son égal. Tout autre [chose n’est que de] éclat facile, accommodements, prétextes, aveuglements volontaires. » (Ibid. : 241).

Le trouble d’Ajax et sa colère envers les autres polémarques reflète l’amertume de Ritsos pour le Parti Communiste. Le poète, engagé au parti depuis sa jeunesse, se sent trahi par ses camarades, qui passent sous silence son combat, de la même manière que les Atrides ignorent les grands exploits d’Ajax : « Soi-disant les Atrides ne se rappellent plus de ça ? » (Ibid. : 237). C’est pour cela qu’Ajax demande de sortir les animaux morts de la chambre : « Oh, toujours ainsi, j’ai dispensé toute ma force se battant contre des fantômes, gagnant des victoires totalement imaginaires, conquérant des cités dorées, inexistantes, inexistantes, inexistantes. » (Ibid. : 239).

Le héros essaie de se calmer évoquant des images de la vie paisible : « Je veux me rappeler de quelque chose de bon – une journée ensoleillée à Salamis, alors qu’on calfatait les nouvelles charpentes au bord de la mer, et l’odeur suave du bois plané flottait sur l’atmosphère, et plus haut au petit bois de pins déliraient les cigales. J’ai envie. Je ne peux pas. » (Ibid. : 240). Ce n’est qu’avant la fin du récit, qu’il se rappelle de Salamis et de sa mère (Ibid. : 241-242).

125

Page 126: Thesis Ritsos Full

Dans l’épilogue, un marin – au lieu du Messager sophocléen – nous informe de la mort d’Ajax. Tecmesse est toujours à la porte. Des servants entrent, sortent les animaux hors de la chambre et nettoient le sol. Parmi les servants, il y a une grande femme voilée, qui balaye avec un grand balai (Ibid. : 242-243). On conclut que cette figure de servante représente de destin (la moira) du héros.

3.3 Philoctète

Philoctète, disciple d’Hercule, fut le meilleur archer parmi les guerriers de Troie. À cause d’une mauvaise blessure au pied, d’une flèche vénéneuse ou, selon d’autres, de la morsure d’un serpent, ses compagnons de Troie l’ont abandonné à Lemnos, ne supportant l’odeur de sa blessure infectée. La dixième année de la Guerre de Troie, Ulysse et Diomède83 rentrèrent à Lemnos pour lui demander de les rejoindre, car l’oracle dicta que la Troie ne tombera jamais sans l’aide de Philoctète (SMITH 1870c : 303-304).

3.3.1 Philoctète ou la dialectique du masque

Philoctète a été rédigé à Athènes et à Samos de 1963 à 1965 (RITSOS 1978 : 265), avant le coup d’État des colonels, mais après le premier exil du poète. C’est un monologue à part, parce que la personne référenciée au titre n’est pas la personne parlante, mais le récepteur muet du monologue. Selon le Professeur Dimitris N. Maronitis, Philoctète est le monologue le plus énigmatique du recueil (dans KOKORIS 2009 : 332), vu la transformation totale dont le mythe est susceptible. La version ritsienne de Philoctète diverge du modèle sophocléen. Ceci, devient évident, tout d’abord par l’abstraction du titre, mais aussi, par la référence aux armes de Philoctète : « […] le grand bouclier bien travaillé aux représentations des exploits d’Hercule, et les trois lances fameuses […] » (RITSOS 1978 : 247). Maronitis souligne l’absence des autres personnages de la tragédie (Ulysse, Hercule, Marchand, Chœur) (dans MAKRYNIKOLA et BOURNAZOS 2008 : 47-48 ; dans KOKORIS 2009 : 335-336).

83 Selon SOPHOCLE (1991 : v. 1433), les ambassadeurs ont été Ulysse et le fils d’Achille, Néoptolème.

126

Page 127: Thesis Ritsos Full

En bref, chez Ritsos, on se trouve, probablement, à Lemnos (RITSOS 1978 : 247). Un jeune homme s’adresse à un homme mûr. Pour Peter BIEN (1980 : 122), la discussion de deux hommes est la paire contradictoire de la jeunesse et de la vieillesse. La description du personnage âgé anonyme, qui est « […] beau, barbu, mature, au visage d’une spiritualité virile ; » (RITSOS 1978 : 247) sied autant à Philoctète et à Ritsos lui-même84. Le poète révèle aussi l’identité de l’autre, qui sera la personne parlante du monologue. Le jeune homme « […] fort, aux yeux fougueux, curieux et érotiques. Il a quelque chose des traits d’Achille […] comme s’il était son fils, Néoptolème. » (Ibid.). D’un premier coup d’œil, on se rend compte que le jeune ressemble à son interlocuteur, au moins à l’extérieur, remarque qui va nous servir sous peu, afin de déterminer la vraie identité des personnages.

84 Ritsos, né en 1909, aurait 54-57 ans quand il écrivait Philoctète.

127

Page 128: Thesis Ritsos Full

D’après le prologue, Philoctète a déjà raconté son malheur à Néoptolème et, maintenant, c’est ce dernier qui prend la parole. Le monologue s’ouvre avec le jeune critiquant des exploits de la génération précédente, celle de son père et de Philoctète (Ibid. : 248-249). Ultérieurement, il parle de ses parents. Achille est le père imposant et sévère, qui se montre massif aux yeux du fils : « L’ombre du père était si grand ; elle ombrageait la maison entière […] alors je croyais que pour voir le jour je devrais passer ma tête à travers ses jambes ; » (Ibid. : 250-251). Quant à la mère, Déidamie était « […] une ombre transparente, légère et lointaine – une tendresse présente dans son absence permanente. […] Quoi qu’elle touchait devenait soudain de musique lointaine […] » (Ibid. : 251, 254). La notion de la transparence conférée à la mère, ne peut qu’être un innuendo latent à sa mort. Ces preuves, l’allusion à l’âge, les deux descriptions, l’oscillation entre jeunesse et maturité, ainsi que le bilan des exploits du passé et les portraits des parents, nous renvoient à une celle personne, qui n’est autre que Yannis Ritsos. Or, notre position est que, dans Philoctète, le poète discute avec soi-même. Il fait le bilan des exploits communistes de la période précédente, il remet en question ses propres décisions (notamment par rapport à l’engagement politique) et, comme dans son Orèste, il règle ses comptes avec le KKE, tout cela du point de vue de sa jeunesse. On a donc affaire à une sorte d’ « autocensure » et de purification, car Ritsos préfère de voir les choses d’un œil plus innocent et pur, celui de sa jeunesse.

128

Page 129: Thesis Ritsos Full

Néoptolème nous fait connaître la cause de la « retraite » de Philoctète, à laquelle se réfère deux fois. Selon Néoptolème, Philoctète s’est éloigné, sous le prétexte de la morsure du serpent, parce qu’il avait besoin d’être seul : « […] douleur du corps ou de l’âme ; – bon prétexte cette morsure de serpent (peut-être le serpent du savoir ?) rester seul et être, – toi, et personne d’autre – soit ne pas être, entortillé dans un cercle, comme le serpent en mordant sa queue. » (Ibid. : 249). La deuxième fois, la retraite de Philoctète est perçue en tant choix volontaire et sage. Néoptolème dit que, étant lui-même entouré de ses proches, il a connu la solitude et il a appris d’entendre son silence. C’est dans ce cadre qu’il place la décision85 de Philoctète de s’abstenir de la guerre : « Peut-être toi aussi, à un tel moment, ami respectable, tu aurais décidé de t’éloigner. Alors, je crois que tu as laissé le serpent du sanctuaire te mordre. Tu savais, d’ailleurs, qu’on a besoin seulement de nos armes, et pas de nous-mêmes (comme tu as dit). » (Ibid. : 261). La connotation ici est claire. Les deux passages démontrent la manière dont le poète a été traité par le KKE. Pour rappel, Philoctète est rédigé en même temps qu’Orèste. La base autobiographique et le cachet politique sont mis en relief dans tous deux monologues.

Néoptolème fait le bilan de l’actualité au camp de Troie / politique. Il parle des conditions austères du quotidien qui ressemble à celui de l’exil (Ibid. : 254), du passage impitoyable du temps (Ibid. : 256) et prédit le plan du Cheval de Troie (Ibid. : 257). Il se réfère aussi à la fatigue des guerriers au fil des années (Ibid. : 258) et rappelle à Philoctète la cause de l’expédition :

85 Dans le monologue, Ritsos souligne que l’éloignement du héros a été de sa propre volonté, tandis que le mythe nous apprend le contraire.

129

Page 130: Thesis Ritsos Full

[…] eux aussi ils sont partis avec la naïveté charmante et la vanité secrète de changer le monde. Ils sont partis tous ensemble, chacun séparément, et ils l’ont vu et le voyaient : chacun pour sa propre cause, une ambition particulière, abritée sous une grande idée, un but commun, – abri transparent sous lequel on distinguait mieux le propre déchirement de chacun, la misère et la petitesse de tous. (Ibid. : 259).

Nous avons jadis évoqué deux fois le lien entre Philoctète et Orèste. De sa part, Philoctète révèle aussi un personnage divisé. Son dilemme s’expose tout au long du monologue et est résolu dans l’épilogue. Le héros oscille entre position active et passive. Il est censé de décider s’il va rejoindre les Achéens, comme Néoptolème le conseille, ou non. Le jeune lui offre un masque. Comme déjà mentionné au début du monologue, il l’admire d’être retraité sous le prétexte de la morsure du serpent. Or, pour Néoptolème, la douleur de Philoctète n’était qu’un masque. Ainsi, il lui propose de reporter le masque : « Je ne la dénoncerai à personne la douleur fière de ta sainteté solitaire. Personne ne se rendra compte ni personne jamais ne craindra de la joie intouchée de la liberté. Le masque de l’action que je t’ai clandestinement apporté dans mon havresac, couvrira ton visage transparent, lointain. Porte-le. Allons-y. » (Ibid. : 263). Il lui propose, selon Maronitis, de se cacher derrière « […] un masque qui le protégera des regards violents de ceux qui ne soupçonnent et ne peuvent pas admirer son visage ascétique et libéré. » (dans MAKRYNIKOLA et BOURNAZOS 2008 : 51 ; dans KOKORIS 2009 : 341).

130

Page 131: Thesis Ritsos Full

Donc, si l’on applique ici notre constat par rapport à l’identité des personnages, on arrivera à voir que le jeune Ritsos, choisirait l’action derrière le masque. Mais qu’est-ce que « Philoctète »86 choisira ? Néoptolème clôture le monologue à ces mots : « Pour cette heure, au moins, reste près de nous. Ça on l’a besoin plus que tes armes. Et tu le sais. Voici le masque que je t’ai apporté. Porte-le. On y va. » (RITSOS 1978 : 264). Le narrateur de l’épilogue nous révèle la réaction de Philoctète : « Le barbu calme, prit le masque et l’a laissé par terre. Il ne l’a pas porté. Son visage petit à petit se transforme. Il devient plus jeune, plus positif, plus présent. Comme s’il copie le masque. » (Ibid. : 264-265). L’isolement a permis à Philoctète d’acquérir la connaissance absolue des choses, ce qui témoigne l’adjectif « transparent » que Néoptolème lui attribue. Or, il connaît déjà la vanité de cette guerre, mais pourtant il suivit son destin : « C’était comme s’il ne suivait pas le Jeune mais ses armes. » (Ibid. : 265). Maronitis explique que s’il va rejoindre ses compagnons il le fera sans masque (dans MAKRYNIKOLA et BOURNAZOS 2008 : 52 ; dans KOKORIS 2009 : 342). Ainsi, continue Maronitis, « […] le poète Philoctète s’alliera au guerrier, au combattant Philoctète. Les circonstances l’imposent. Le double engagement de Ritsos l’impose : poétique et en même temps politique. » (Ibid.).

86 En guillemets, pour signaler en même temps le personnage de Philoctète et le poète lui-même.

131

Page 132: Thesis Ritsos Full

4 Cas d’héros particuliers

4.1 Les Labdacides

La Maison de Thèbes a, comme celle de Mycènes, un fatum tragique, qui se caractérise de massacres familiaux. Œdipe, tua son père Laïos, se maria à sa mère, Jocaste, et fut le père d’Étéocle, Polynice, Antigone et Ismène. Une fois la vérité révélée par Tirésias (SMITH 1870c : 16), Œdipe s’aveugla et Jocaste se suicida (Ibid.). L’hybris d’Œdipe suivit ses enfants. Ses fils seront tués pendant l’expédition de « sept chefs » (SMITH 1870b : 53). Antigone sera enterrée vivante par Créon, après avoir enterré Polynice. Ismène est la fille qui vit à l’ombre de sa sœur, Antigone, comme l’Atride Chryssothémis, qui vit derrière Électre. Chez SOPHOCLE (1992b), Ismène fait le contrepoids d’Antigone, car elle la conseille de ne pas agir contre la volonté de Créon. Ismène préfère de s’abstenir des conflits et vivre sa vie tacitement.

4.1.1 Ismène ou à la recherche d’une identité

132

Page 133: Thesis Ritsos Full

Ismène, écrit à Athènes (septembre-décembre 1966) et à Samos (décembre 1971) (RITSOS 1978 : 226), est le seul monologue du recueil lié aux Labdacides. Le mythe de la famille d’Œdipe n’influence pas le poète autant que le mythe des Atrides. Le choix du poète de s’abstenir des Labdacides se justifie par le mythe lui-même, qui veut le fils parricide épouser sa mère. Ritsos, pour qui l’image de la mère prend des dimensions sacrées, ne pourrait jamais s’exprimer à travers la figure, par exemple, d’Œdipe ou de Jocaste. Pourtant, il choisit Ismène, un des personnages « obscures » du mythe, marginal et supplanté par sa sœur. Remarquons qu’Ismène est aussi la seule survivante de la famille. Donc, le poète se servit de ces deux avantages, pour créer son Ismène, vieille, seule et oubliée. Pourtant, Ismène est une observatrice intégrée dans l’action. On n’a pas affaire à un personnage tel que celui de Chryssothémis, qui est plutôt ignorée par les autres personnages du drame87. Ismène est présente dans le mythe, en tant que personnage secondaire.

Chez SOPHOCLE (1992b), Ismène est celle qui refuse d’aider Antigone enterrer Polynice et choisit d’obéir au Roi. Elle essaie même de faire dissuader sa sœur (vv. 49-68). Ismène met en évidence la faiblesse du sexe féminin (vv. 78-79) et exprime sa crainte pour les conséquences de la démarche dangereuse d’Antigone. Sophocle révèle une relation plutôt problématique entre les deux femmes. Antigone dit deux fois à sa sœur qu’elle va la détester encore plus, si elle n’annonce pas son plan d’enterrer leur frère (vv. 86-87 et 93). Ismène décide de suivre sa sœur à la mort, mais Antigone avoue qu’Ismène n’a pas été impliquée à l’enterrement et qu’elle aime avec des actions et pas avec des paroles (vv. 536-537, 540-541).

87 Dans Électre de SOPHOCLE (1992c : vv. 871-927), c’est Chryssothémis qui annonce à Électre le retour d’Orèste. Pourtant, Électre l’ignore.

133

Page 134: Thesis Ritsos Full

Chez Ritsos, de la même façon que les autres héros du recueil, Ismène fait le bilan de sa vie et dessine, en plus, l’esquisse psychographique de sa sœur, ce qui nous fait connaître le personnage d’Antigone ritsienne, malgré le fait qu’elle ne possède pas son propre monologue dans la Quatrième Dimension. Ismène parle du passé et notamment de sa relation avec sa sœur et Hémon. La relation entre les deux sœurs nous semble osciller entre amour et compassion et jalousie et rancune. Cette oscillation se met en relief par la forme circulaire du récit, qui s’articule autour des personnages d’Antigone et d’Hémon et se justifie par les épisodes de « déguisement » (l’échange de vêtements entre Ismène et Hémon, la transformation du corps mort d’Antigone en copie d’Ismène et le déguisement d’Ismène en Antigone à la fin du monologue).

Le visiteur de la vieille Ismène est un jeune commandant, dont le père travaillait autrefois pour la famille (Ibid. : 207). L’homme « semble extrêmement touché, flatté et presque érotiquement bouleversé envers la maîtresse aimable, trop maquillée et serrée dans son corset […] » (Ibid.) et se trouve dans une position délicate, stupéfait et maladroit. Ismène prend la parole « […] pour combler le vide ou éviter l’approche de quelque chose d’indécent et pourtant inévitable » (Ibid.). Un courant d’érotisme latent se détecte entre les deux protagonistes. Le commandant est fasciné par la figure d’Ismène. Quant à elle, soit elle (re)voit aux yeux du jeune son intérêt érotique du passé (à savoir le père du commandant), soit elle est flattée de l’attention qu’elle attire.

Ismène pose la question du temps et de la temporalité :

134

Page 135: Thesis Ritsos Full

Les grands pendules sur les murs se sont arrêtés – personne ne les règle ; et si parfois je me pose devant ceux, ce n’est pas pour regarder l’heure, mais mon propre visage, reflété dans leur vitre, bizarrement blanc, de plâtre, apathique, comme hors du temps, tandis que dans leur profondeur obscure les aiguilles arrêtées, exactement derrière mon reflet, sont un bistouri immobile qui n’a plus de blessure à ouvrir, n’a plus rien à m’enlever – peur ou espoir, attente et impatience. (Ibid. : 207-208).

135

Page 136: Thesis Ritsos Full

Elle développe sa réaction avec le temps, se servant des horloges. Elle n’a plus envie de compter le temps, vu que ce dernier ne peut plus la toucher. Le temps, toujours en tant que force destructrice, a enlevé à l’héroïne ce qu’elle avait de plus précieux, qui n’était autre que son temps à elle, sa jeunesse et sa famille. À présent, il n’y a plusde pire blessure que le temps pourrait lui provoquer. Cette réflexion la conduit à penser à soi. Elle explique à l’homme que les lourds bijoux qu’elle porte, symboles de son état social d’ailleurs, sont ses seuls liens avec la vie. Autrement dit, c’est grâce à son passé qu’elle est encore vivante. Elle dit qu’elle a l’impression que si elle les enlevait, elle serait volatilisée (Ibid. : 208). Peu avant la fin de son monologue, Ismène explique qu’elle trouve une sorte de consolation dans ses souvenirs : « La mémoire est, certainement, une sorte d’abri. Mais elle aussi s’épuise, elle a besoin des nouvelles images, même aléatoires, même étrangères. » (Ibid. : 221). Les bijoux, objets d’une autre ère, lient l’héroïne avec les (bons) moments du passé. On entend cette allusion en tant de connotation politique. On a affaire à une personne de classe sociale supérieure, qui, quoique sa position n’ait plus rien de la gloire du passé, choisit de conserver le lien au passé et de garder les petits signes pour se distinguer de la masse. L’idée de la chute sociale88 se lie aux images d’effondrement qui suivent. Ismène parle du silence et de l’état des objets qui s’écroulent l’un après l’autre. Ces images mettent en relief l’omnipotence de la mort. Dans la logique des paires d’images contradictoires, on passe, d’emblée, aux images du feu et des flammes, associées à la description du corps humain et des allusions à l’acte physique. La référence à la flamme érotique rappelle à Ismène sa sœur, qui constitue l’envers de toute chose liée au contact physique.

88 Cette idée peut également faire allusion à la chute économico-sociale de la famille du poète.

136

Page 137: Thesis Ritsos Full

Ismène raconte des souvenirs du passé et parle de sa sœur. Dans son récit l’accent est mis sur la figure d’Antigone et sur les épisodes du déguisement (pareille occurrence dans Le retour d’Iphigénie) qu’on retrouve dans l’intervalle. Ismène est à la fois gentille et cruelle envers sa sœur. Elle se réfère trois fois à Antigone, mais, on a l’impression que, en effet, tous les détails du récit font allusion à elle. Ismène de Ritsos agit à la fois comme Ismène et Antigone tragiques : le monologue s’ouvre avec la description de l’atmosphère érotique entre les protagonistes, élément diamétralement contradictoire au caractère d’Antigone mais se clôture avec Ismène s’habiller de manière austère comme sa sœur. Si l’on voulait schématiser le développement de la pensée d’Ismène, on opterait plutôt pour le schéma le suivant :

Le grand cercle du schéma proposé ci-dessus correspond au récit cyclique d’Ismène. Au centre, nous avons dessiné un petit cercle, dont l’indication « A » fait allusion à Antigone. De chaque côté, les flèches bidirectionnels signalent les différentes parties de la narration qui tourne autour du personnage d’Antigone.

En pratique, on retrouve la première description d’Antigone et une attaque à son caractère (éthos) quand Ismène démystifie son acte héroïque d’enterrer Polynice :

137

A

Page 138: Thesis Ritsos Full

Oh, ma sœur réglait tout avec un « il faut »89 ou « il ne faut pas »90, comme si elle était le précurseur de cette religion future qui a divisé le monde en deux (celui d’ici et celui de là-bas), qui a divisé le corps humain en deux, jetant l’à partir de la taille.

Je la plaignais beaucoup. Elle a presque failli faire du mal à moi-même. Si on l’a tant glorifiée c’était parce qu’elle les a épargnés de faire le même. En sa personne Sur son visage on a honoré morte leur position adverse ; –ils se sont auto-pardonnés, disculpés et calmés.

Si elle avait vécu, oh, sûrement, ils l’auraient détestée. Sa seule pensée était la mort. Et à présent je dis : dès qu’elle savait qu’il n’y avait pas moyen de l’éviter, au lieu de l’attendre lourdement, en vieillissant inutilement, elle a préféré la devancer, la provoquer même, au nom d’une bravoure maline et audacieuse, inversant la peur de toute sa vie et envie en héroïsme, en inversant sa propre mort inéluctable en immortalité minable, oui, oui, minable, malgré toute sa splendeur éblouissante. (Ibid. : 210-211).

89 Format du texte original.90 Format du texte original.

138

Page 139: Thesis Ritsos Full

Dans le passage cité ci-dessus, Ismène exprime son propre point de vue par rapport à sa sœur et à son acte contre l’ordre de Créon. La description d’Ismène dessine une Antigone tout à fait différente de la sophocléenne. L’allusion anachronique au christianisme par rapport au corps est une forte connotation de la virginité d’Antigone, valeur très prononcée aussi dans la tradition antique. Ismène affirme que sa sœur a agi contre le Roi pour son propre profit. Antigone avait peur de la mort et voulait agir in antecessu. Ismène l’accuse plutôt d’avoir essayé lui faire mal. Selon le récit, Antigone a, d’une certaine manière, provoqué sa propre condamnation à mort. Cette idée, développée par Ismène, annule l’héroïsme de sa sœur. Antigone est accusée d’être obsédée par l’idée et la peur de la mort, ce qui a comme effet son échappement à la vie (y compris l’acte physique, en tant qu’élément revigorant, rejeté par Antigone). Ceci se justifie d’une part par l’allusion à la dévotion chrétienne et d’autre part par le passage suivant, où Ismène s’attaque directement à l’attitude d’Antigone et à sa relation avec Hémon. Citons : « Jamais de sa vie elle n’a laissé Hémon lui toucher la main. Toujours coincée comme si elle perdait quelque chose, repliée sur soi, la main dans la manche de l’autre, le dos collé sur le mur, les sourcils froncés […] Jamais de sa vie elle n’a porté un bijou ; même sa bague des fiançailles elle l’a caché dans une boîte […] » (Ibid. : 211). La différence entre les deux sœurs est évidente. De sa part, Ismène comme plus frivole, elle veut vivre sa vie jusqu’au bout, rester loin des problèmes et gagner la sympathie des autres, tandis qu’Antigone, tourmentée par ses pensées et son dilemme, préfère l’isolation.

139

Page 140: Thesis Ritsos Full

La seconde référence à Antigone est après le premier épisode de déguisement. Ismène se rappelle que sa sœur avait fui chez le père du commandant pour trois jours et que ce dernier l’a ramenée chez-elle (Ibid. : 212). Ce souvenir nous renvoie à un détail du mythe des Labdacides, abordé dans Œdipe à Colone (SOPHOCLE 1992d). Créon a enlevée Antigone et Thésée l’a sauvée et ramenée à son père (Ibid. : vv. 816-1118). Cette combinaison pourrait être révélatrice de l’identité du commandant. Toujours en critiquant la dévotion de sa sœur, Ismène dit : « Ma sœur on dirait qu’elle avait honte d’être femme. Peut-être ça c’était son malheur. Et peut-être c’est pour cela qu’elle mourut. Chacun d’entre nous voulait peut-être être autre chose de ce que l’on est. » (RITSOS 1978 : 212). Ismène exprime la thèse de la supériorité du sexe masculin, comme chez SOPHOCLE (1992b : vv. 78). Antigone, quoiqu’après la mort de ses frères elle soit la première héritière du trône de Thèbes, reste toujours en position inférieure par rapport à Créon, parce qu’elle est femme. Ensuite on passe à l’épisode de la mélasse. Ismène relate qu’une nuit elle a surpris sa sœur manger sub rosa de la mélasse91. Elle n’a pas révélé la vérité quand on a cherché le coupable et alors deux servantes ont été punies. En plus, elle dit de sa sœur qu’elle avait peur du péché. À travers ce court épisode, Ritsos esquisse un climat de connivence entre les deux sœurs. Cet épisode est analogue de ceux de la tragédie où Créon demande à Antigone qui a enterré Polynice et Ismène essaie de prendre une partie de la responsabilité sur elle (SOPHOCLE 1992b : 534-535).

La troisième référence à Antigone est relative à ses états d’âme après l’aveuglement du père. Ismène fait aussi allusion à la Sphinx :

91 L’épisode du vase de mélasse est un détail autobiographique. Ritsos dans son énnealogie Iconostase d’héros anonymes, raconte le même épisode en tant que souvenir de son enfance. Il parle de sa vieille et très maigre tante Olga, qu’il avait trouvée une nuit dans la cuisine manger de la mélasse.

140

Page 141: Thesis Ritsos Full

Ma sœur maigrissait au jour le jour ; elle devenait plus dure ; elle pâlissait ; elle évitait Hémon et moi. Elle sortait seule les après-midis. Peut-être elle allait jusqu’aux portes de Thèbes, peut-être elle discutait avec cette femme au corps de lion. Ses yeux92 te dévisageaient avec deux questions froides, même si elle ne te regardait pas. [Il était] évident qu’elle attendait quelque chose d’urgent. Les nuits nous ne dormions pas. (RITSOS 1978 : 225).

Antigone revient encore quand Ismène parle de son frère, que l’on identifie avec Polynice, car « Ce fut lui qui alla chez les Argiens. » (Ibid. : 217). Ce frère avait une énorme collection de boucles de ceinture, qu’il avait pilées aux ceintures des morts. Selon Ismène, Antigone avait une faiblesse pour ce frère, parce qu’il avait le même caractère qu’elle et partageait la même conception de la justice : « Lui et elle étaient absolus, susceptibles, injustes. Je veux dire [qu’] ils avaient une conception de la justice très personnelle. Ils ne voyaient pas le droit des autres ou l’injustice générale. Ainsi ils se sont perdus eux et les autres. » (Ibid. : 217). Ismène accuse Antigone et Polynice d’égoïsme et d’injustice. D’après leur sœur, ils se sont eux-mêmes conduits vers leur mort à cause de leur ego, tandis qu’elle, aussi égoïste mais de façon moins prononcée, plutôt modérée, elle a choisi de se taire pour éviter les conflits potentiels.

Ismène indique en tant que signe de malchance qu’un jour le grand chandelier de la salle à manger fut brisé : « Dès-lors tu pouvais tout attendre. » (Ibid. : 226). Dans une telle atmosphère d’images d’abandon et d’effondrement, suivies d’images de mort, Ismène décide de parler de l’enterrement de Polynice : « J’ai vu ma sœur dans la cour à l’aube – marquée par la destinée – toute pâle. Ses mains, sa robe, ses cheveux couverts de terre. […] Il ne reste plus rien. Seule la Sphinx de pierre sur le rocher hors des portes de Thèbes, indifférente, imperturbable – elle ne pose plus de questions. » (Ibid. : 227).

92 Les yeux de Sphinx.

141

Page 142: Thesis Ritsos Full

Ismène se souvient de Jocaste et de ses objets qui appartiennent tous maintenant aux morts. Ismène dit qu’elle se peigne devant le miroir et qu’elle regardait le reflet des morts sur sa surface. Le miroir ici reflète l’invisible. Ismène dans le but de souligner la disparition de la Maison des Labdacides (et Ritsos, de son côté, pour sa famille) explique que les morts se trouvent partout dans la maison et autour des objets et qu’elle doit même marcher sur eux pour se déplacer. Suite à l’image de la maison morte, on passe à une image de floraison pour décharger l’atmosphère. Les œillets du jardin signalent l’arrivée du mois de mai. On constate qu’il y a un parallèle entre la nature – morte en hiver – qui renaît au printemps et la maison – aussi morte – des Labdacides. Or, les fleurs donnent de l’espoir à Ismène, car elle se rend compte que malgré l’atmosphère de l’intérieur qui sent la mort, à l’extérieur le miracle de la vie continue. Le père du commandant l’aidait au jardinage. Elle dit au jeune homme d’assurer son père qu’elle ne l’oublie jamais (Ibid. : 216). Cet énoncé est un innuendo direct, qui connote et révèle la nature de la relation d’Ismène et du père du commandant. Ismène à travers le détail de l’écharpe de sa mère et du mauvais pressentiment que cette écharpe pourrait tuer Jocaste, fait, indirectement, allusion à la mort de sa mère.

142

Page 143: Thesis Ritsos Full

Ismène continue exprimant ses idées à propos de la nature du pouvoir. Elle exprime sa peur en face de la responsabilité et condamne le pouvoir. Elle parle du « profit » d’être aveuglé et fait allusion à Œdipe : « […] peut-être il était mieux qu’il s’est aveuglé – peut-être qu’ainsi au moins il a pu regarder vers son intérieur, se rappeler petit à petit ce qu’il n’avait pas vu ; et peut-être qu’ainsi, il l’a, véritablement, vu ; » (Ibid. : 220). Elle désapprouve le comportement de son père et semble croire que dès son aveuglement il a changé sa manière de penser de la même façon qu’il a été censé de changer sa manière de sentir les choses. Elle continue faisant des allusions politiques : « Et toujours, à la fin, chacun est gouverné de ce qu’il gouverne. […] les tyrans devient au jour le jour plus tyrans. » (Ibid. : 220). Ensuite, elle exprime sa position politique qui tend vers l’apolitisme, quoiqu’elle sache qu’il s’agit d’une utopie : « Il vaut mieux donc de ne pas gouverner ni d’être gouverné (comment ?) – il suffit cette gouvernance qui nous marque avant même notre naissance ; il suffit la mort qui nous guette ; » (Ibid. : 220). En ce qui concerne Œdipe, Ismène reviendra à l’événement de son aveuglement mettant, cette fois, l’accent sur le jaillissement du sang : « Tout d’un coup tout devint rouge, tout rouge aux petites taches vertes, rouges aussi les assiettes avec un trou au milieu. » (Ibid. : 225).

Hors du ruminement de ses souvenirs, Ismène vit un moment de réfutation de ses vécus. Elle ne peut pas croire qu’elle a vécu toutes ces situations : « Est-ce moi soi-disant ? Fus-je moi ? » (Ibid. : 221). Cette attitude est complétée par diverses allusions politiques et historiques qui font le bilan de l’histoire grecque depuis l’antiquité jusqu’à la période de l’écriture du monologue (1971). Ritsos transmet à travers la parole d’Ismène toute l’horreur et la vanité des guerres. On distingue encore une référence par rapport à la thèse du poète dans la société. Il exprime son indignation d’être obligé par le KKE de participer à des manifestations et de faire des choses contre sa volonté :

143

Page 144: Thesis Ritsos Full

Parfois on nous obligeait de réciter des poèmes devant des étrangers. Nous, des enfants, on ne voulait pas. On pleurait. Parfois d’offrir un bouquet de fleurs à un vieillard laid maigre au faux dentier. Parfois on nous sortait nous aussi au balcon pour saluer la foule. Parfois on nous cachait en bas aux sous-sols avec les grandes jarres. (Ibid. : 224)

La succession d’images de la vie du passé et des souvenirs pénibles est constante. Ismène se souvient des moments paisibles et des instantanés avec le père du commandant et avec Jocaste. Puis, elle se souvient du cheval d’Hémon, qui mourut une semaine après son maître et après, elle parle de la vanité des événements du passé, des « héroïsmes inutiles » et de « la voracité de la gloire » (Ibid. : 219). L’apparition d’un oiseau dans la salle à manger se lie à une réflexion concernant la culpabilité : « Toujours les innocents (n’en pensez-vous ?) ont l’air des coupables. Vous le savez vous aussi – je suis certaine. » (Ibid. : 219). Ce passage est un exemple typique d’inversion de sens, module typique dans l’écriture de Ritsos.

Le second grand enjeu du monologue est la thématique du déguisement, qui revient cinq fois. D’abord, Ismène se souvient d’une nuit où les filles et les garçons ont décidé d’échanger leurs vêtements. Pour Ismène cela signifiait « […] une plénitude étrange, une liberté maladroite […] » (Ibid. : 211). Au contraire, Antigone « […] vêtue de ses vêtements noirs, restait au coin, pétrifiée, réprobatrice, antipathique. » (Ibid. : 211) ; nous remarquons, encore une fois, l’éloignement d’Antigone de toute activité sociale. Antigone n’avait aucune envie de se déguiser. Elle ne voulait guère masquer, ni « changer » son identité. Ismène avait échangé des vêtements avec Hémon. Or, on remarque des connotations directes d’un érotisme latent, qui, à travers le « déguisement », devient indubitable : « Hémon portait ma robe et il était si à moi que j’ai dansé dans la fontaine et les eaux coulaient sur mes cheveux, sur mes épaules, sur mes joues, comme si je pleurais – on dit ; » (Ibid. : 212).

144

Page 145: Thesis Ritsos Full

Le second épisode du déguisement, suit la mort d’Antigone et d’Hémon. Ismène parle de la préparation des corps pour l’enterrement. Elle avait maquillé le visage d’Antigone et lui avait mis des bijoux : « Ma sœur n’a été jamais si belle, que [quand elle était] morte ; […] Ainsi, maquillée, parée, elle avait obtenue une étrange ressemblance à moi. "Comme elle ressemble à Ismène" dit silencieusement une fille. Morte, elle était finalement devenue femme. » (Ibid. : 213). On se retrouve de nouveau dans un jeu de rôles. Ismène en préparant sa sœur pour l’enterrement crée de son corps une copie de soi-même. On envisage cette action comme une tentative d’échange d’identité entre elles. Ismène parle d’Hémon et de la beauté du corps nu du mort. Les femmes qui faisaient la préparation s’attardaient en lavant soigneusement les parties de son corps. Ismène exprime son envie de l’habiller de ses vêtements de nouveau, comme elle l’avait jadis fait la soirée du « déguisement ». Nous remarquons encore une fois l’élan érotique d’Ismène pour le fiancé de sa sœur. On a l’impression qu’elle tend de transformer le corps d’Antigone en copie du sien dans une tentative d’enterrer avec Hémon quelque chose d’elle, comme une sorte de souvenir.

Le troisième épisode de déguisement fait allusion à Tirésias, l’aveugle clairvoyant. Antigone avait peur de lui, comme la plupart des anciens qui croyaient que le futur constituait toujours une menace. Au contraire, Ismène dit : « Moi je l’aimais. Un jour il m’a touché le menton, m’a levé le visage. "Tu serais plus belle – m’a-t-il dit – si tu étais un garçon". "J’en suis", dis-je. On rit tous les deux comme des complices. » (Ibid. : 224). Ici, Ismène fait allusion à l’hermaphrodisme de Tirésias, la présence duquel provoquait soit la peur, soit le mépris et en même temps indique un déguisement latent.

145

Page 146: Thesis Ritsos Full

À la fin du monologue, Ismène revient au présent et s’adresse à la personne muette. Elle répète une phrase du début du monologue qui décrit l’atmosphère silencieuse : « Un fossé de silence – comme vous l’avez dit. » (Ibid. : 227). Puis, elle lui montre une porte qui conduit à sa chambre et elle lui propose de se retrouver à minuit pour qu’elle lui donne quelque chose à apporter à son père. Ismène ordonne que l’homme lui frappe sept fois la porte. Enfin, elle lui propose de lui donner quelques uns des costumes d’Hémon et son épée d’or, d’ivoire et des rubis, qu’on considère en tant que quatrième référence au déguisement.

Le long épilogue nous informe de ce qui suit et contient le dernier déguisement d’Ismène. Elle demande à sa nourrice d’aller accorder la pendule. Puis elle enlève son maquillage, ses vêtements et ses bijoux. Ritsos introduit des détails du corps très mature et de la peau abîmée de l’héroïne. Ensuite, elle commence à se maquiller, elle porte une robe rouge et ses bijoux et s’allonge dans un fauteuil rouge. À minuit, on frappe la porte mais elle n’ouvre pas. Elle va devant le miroir et elle se maquille le visage en blanc et les yeux en noir. Puis, elle porte une robe d’Antigone, met la boucle de Polynice à sa ceinture et elle s’allonge à son lit. « Immobile. Calme. [Elle] ferme les yeux. [Elle] sourit. Est-elle endormie ? De la salle du côté on entend l’horloge. » (Ibid. : 228). D’après les dernières phrases de l’épilogue citées ci-dessus, on conclut qu’Ismène se suicide à la fin du monologue et après sa mort le temps recommence à couler. On établit un parallèle de la scène du « dernier déguisement » d’Ismène en Antigone avec la scène de « déguisement » du corps d’Antigone tel que l’on a vu plus haut (Cf. p. 83 du présent). Or, Ismène se déguise en Antigone parce qu’au fond du cœur elle souhaiterait avoir quelque chose de la gloire de sa sœur même le moment de sa mort. Le monologue d’Ismène est la critique amère de sa sœur. Néanmoins, à la fin, elle devient Antigone. Sur ce, Prokopaki se demande si Ismène « […] fait de nouveau sa sœur disparaître, en organisant la mimesis93 parfaite […] » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 280).

93 Les italiques sont de nous.

146

Page 147: Thesis Ritsos Full

4.2 Perséphone

Perséphone fut la fille de Déméter et de Zeus. SMITH donne l’étymologie de son nom, qui « […] dérive de φέρειν φόνον, "apporter" ou "causer la mort" […] »94 (1870c : 204). Perséphone a été enlevée par son oncle Plouton, Roi du Monde d’en Bas. On retrouve des allusions à l’enlèvement de Perséphone dans le seconde et le treizième Hymne homérique à Déméter (GOOLD 1914 : 288-325, 436-437), dans la Théogonie d’Hésiode (Ibid. : 144), ainsi que chez Hérodote (GOOLD 1921 : 484-485). Plouton enleva la belle Perséphone lorsqu’elle ramassait des fleurs et l’amena au Monder d’en Bas. SMITH explique que Zeus avait promis Perséphone à Plouton (1870a : 960), sans tenir Déméter au courant. Déméter, furieuse, a cherché sa fille partout sur terre. Zeus, note SMITH (Ibid. ; Id. 1870c : 204), a obligé Plouton de retourner Perséphone à sa mère. Plouton lui a donné un pépin de grenade à manger en l’obligeant de passer un tiers ou la moitié de l’année au Monde d’en Bas (Ibid. ; Id. 1870a : 960). La période de l’année que Perséphone passait au Monde d’en Bas, traditionnellement, l’hiver, est considérée comme la période stérile de l’année, car Déméter ne bénit pas la terre à cause de sa tristesse pour sa fille. SMITH remarque que cette idée s’appliquait à la fertilité en général (Ibid.).

4.2.1 Perséphone ou la victoire de la vie sur la mort

Perséphone est le monologue le plus court du recueil, rédigé entre Athènes, Éleusis, Diminio, Corinthe et Samos de décembre 1965 à décembre 1970 (RITSOS 1978 : 203). Le monologue commence au moment du retour de Perséphone du Monde d’en Bas. Ritsos y introduit une dialectique de la lumière. Perséphone exprime de la lutte incessante de la lumière contre l’obscurité. Tout au long de son monologue elle raconte ses souvenirs et essaie de (se) persuader qu’elle allait mieux au Monde d’en Bas : « À vrai dire, – j’allais bien là-bas. Je m’y suis habituée. Ici, je n’en peux plu ; c’est trop la lumière – elle me rend malade. » (Ibid. : 191).

94 Nous traduisons de l’anglais : « […] “to bring” or “to cause death” […] » (SMITH 1870c : 204).

147

Page 148: Thesis Ritsos Full

Kaklamanaki note qu’il traite, également, du sujet de l’introversion, comme effet d’une expérience telle que l’enlèvement et le séjour à un lieu étranger (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 462). Preuve de cela peut être la différence de deux mondes qui ne concerne pas seulement la luminosité, mais aussi le son. L’obscurité est silencieuse. Ainsi, Perséphone dit qu’elle appelait Plouton « silencieusement » (RITSOS 1978 : 197) et que Cerbère n’aboyait pas (Ibid. : 198). Kaklamanaki remarque aussi que « Le retour de Ritsos aux racines, est lié habituellement au "retour" des personnages mythiques ou historiques à leur passé. » (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 459). On peut employer ce concept particulièrement à Perséphone et le lier au vécu du poète. Ritsos commence la rédaction avant le coup d’État et l’achève pendant son assignation à domicile. Dans l’intervalle, il s’est déporté à Léros et à Yaros. Or, le poète revit l’expérience de l’exil, qui est encore plus douloureuse cette fois, à cause de l’aggravation de sa santé. De retour de Yaros, Ritsos sera opéré (KOTTI 2009 : 156-157). Ainsi, à part l’expérience de l’exil, il donna aussi sa lutte contre la mort et il la gagna.

148

Page 149: Thesis Ritsos Full

D’après le prologue, Perséphone vient de rentrer à la demeure paternelle et parle à « son ami la plus fidèle, l’humide Cyanée la sacrifiée. » (RITSOS 1978 : 191). Selon Ovide Cyanée95, était la nymphe qui a essayé de sauver Perséphone au moment de l’enlèvement et a été métamorphosée en eau, pour ne pas révéler l’incident à Déméter. Ritsos décrit Perséphone fatiguée du voyage, ayant un malaise à cause de la chaleur et de la lumière, « […] Elle reste allongée sur le vieux canapé, dans une chambre spacieuse, fraîchement blanchie à la chaux, à l’étage d’en haut, avec les volets des trois fenêtres et de la porte du balcon fermés. » (Ibid.).

95 Ovide décrit la métamorphose de Cyanée dans Metamorphoseon Liber Quintus (vv. 425-437) comme suit : « At Cyane, raptamque deam contemptaque fontis / iura sui maerens, inconsolabile vulnus / mente gerit tacita lacrimisque absumitur omnis / et, quarum fuerat magnum modo numen, in illas / extenuatur aquas: / olliri membra videres, / ossa pati flexus, ungues posuisse rigorem; / primaque de tota tenuissima quaeque liquescunt, / caerulei crines digitique et crura pedesque / (nam brevis in gelidas membris exilibus undas / transitus est); post haec umeri tergusque latusque / pectoraque in tenues abeunt evanida rivos; / denique pro vivo vitiatas sanguine venas / lympha subit, restatque nihil, quod prendere possis. ». La citation est tirée de l’édition électronique du texte, disponible via le lien : http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.02.0029%3Abook%3D5%3Acard%3D409, consulté le 15 juillet 2013.

149

Page 150: Thesis Ritsos Full

Monde d’en Haut

Monde d’en Haut

Le motif de la lumière apparaît du début du prologue de façon négative. Perséphone est « […] très pâle, comme fatiguée de voyage, comme malade à cause de la grande différence de climat, de lumière, de chaleur. » (Ibid.). Elle décrit la lumière en tant que « […] dépouillante, inaccessible ; elle montre tout et elle cache tout ; » (Ibid.). Quand Perséphone se réfère à la maladie de son oncle, elle l’attribue à la lumière et à la chaleur (Ibid. : 192). Notons ici qu’elle a été enlevée une journée ensoleillée (Ibid. : 195). Faisant la comparaison de deux mondes, elle avoue à Cyanée : « Je n’en peux plus ici. Cette lumière pascale, est mortelle. Tire les rideaux. Grand, impitoyable, hostile été. » (Ibid. : 192). À la fin de son monologue, elle demande de nouveau à Cyanée de tirer les rideaux. Elle insiste : « Cette lumière me pique avec des milliers des aiguilles, elle m’aveugle. Je ne le supporte pas. » (Ibid. : 203).

Dans l’épilogue, le narrateur raconte qu’au moment où Cyanée était sur le point de tirer les rideaux, Perséphone les a brusquement entrouvertes et est restée extasiée sous la lumière : « Elle est restée ainsi, dans la lumière aveuglante, comme une statue qui peu à peu reprend vie. » (Ibid. : 203). Au Monde d’en Bas, Perséphone a connu l’oubli : « […] mon nom était étranger ; et mes amies étrangères ; étrangère la lumière d’en haut avec les maisons carrées tout blanches, avec les fruits charnus, multicolores, affectés et insolents, avec cette bouche fragile et, vorace des céréales. » (Ibid. : 195). Maintenant, de retour au Monde d’en Haut, la lumière aveuglante, mais révélatrice, petit à petit, décolore ses mémoires et les fait fondre. Ainsi, Cerbère devient « […] un grand chien noir (peut-être lui ?) tenant entre ses dents un panier de fruits multicolores. » (Ibid. : 203) qu’elle regarde par la fenêtre et Plouton, lui, devient un « […] beau nageur, bronzé […] » (Ibid.).

Le monologue reflète le déchirement de Perséphone, que l’on peut schématiser ainsi :

150

PDébut du monologu

e

Page 151: Thesis Ritsos Full

Monde d’en

Monde d’en

Elle n’appartient pas au Monde d’en Haut, ni au Monde d’en Bas, mais elle oscille entre les deux. Dans son récit, elle exprime son envie de s’installer au Monde d’en Bas : « Tiens-moi, – lui96 disais-je ; – laisse-moi être seulement l’un – soit le demi ; – l’entier demi (quel que soit), pas les deux, les désunis et les irréconciliables, parce qu’il ne me reste que d’être l’incision – c’est-à-dire de ne pas être – qu’un seul coup de couteau vertical et la douleur de tréfonds […] » (Ibid. : 196). Finalement, après le geste décisif de tirer les rideaux et de se laisser à la lumière, elle fait partie du Monde d’en Haut.

Ritsos réactualise le mythe de Perséphone en conservant des traits évidents, comme la référence à Cyanée, ou encore l’allusion au panier de fleurs (Ibid. : 191, 194), au narcisse (Ibid. : 194-195), la mention des grains de grenade que Plouton lui donnait à manger (Ibid. : 196), ainsi que la référence à Cerbère (Ibid. : 198-199, 203). Mais, il en introduit aussi des détails plus obscurs. Perséphone dit que le chien d’Hadès la laisse « […] lui passer sur son poil rugueux des fleurs d’asphodèles, de marguerites, de menthe ; » (Ibid. : 199). À la description du Monde d’en Bas, on retrouve encore une référence à la menthe : « Là-bas, […] quelques peupliers cendrés seulement dans le jardin souterrain, les cyprès noirs, les saules stériles, la menthe sauvage et quelques grenadiers. » (Ibid. : 196). La menthe renvoie, évidemment, à la Nymphe Mintho, maîtresse de Plouton, que Perséphone a métamorphosé au plant menthe (SMITH 1870b : 319, 1091).

96 À Plouton.

151

Fin du monologu

e

P

Page 152: Thesis Ritsos Full

Dans son récit Perséphone rumine ses souvenirs, de la même manière que les autres héros du recueil. Elle raconte sa première rencontre avec Plouton, quand il est venu leur rendre visite et est tombé malade à cause du climat différent. Kaklamanaki écrit (dans MAKRYNIKOLA 1981 : 465), que cet oncle est Zeus, mais, selon le mythe, lui, il est son père et apparemment, la description de l’homme qui « […] avait quelque chose de cendré […] » (RITSOS 1978 : 192), dont la « […] carrure [était] brune, large, forte […] » (Ibid.) et dont la « […] poitrine était foncée […] » (Ibid. : 193), devrait, a fortiori, s’appliquer à Plouton lui-même. Cet argument se renforce par le récit, vu l’attirance érotique de Perséphone envers lui :

Je craignais que son poil ne prenne feu, – la bougie [était] si près […] L’oncle a surpris mon regard. J’ai eu honte. […] Trois mois plus tard il a envoyé à la mère […] un tas de ses vieux vêtements pour les pauvres. Aussitôt j’ai reconnu son corps. Un pantalon […] Je le regardais pendant des heures, le touchais de mes mains ; je pensais à le voler, à le cacher sous mon matelas, à le porter. (Ibid. : 192-193).

Dans la version ritsienne de l’enlèvement, Perséphone, lorsqu’elle admirait « […] un narcisse jamais vu, de cent couleurs, de cent tiges ; » (Ibid. : 194-195), a vu la réflexion des chevaux de Plouton dans l’eau et il lui a paru « […] comme si cette fleur [l’] avait engloutie. » (Ibid. : 195). Ritsos mentionne aussi l’épisode de la défloration de Perséphone, ainsi que les grains de grenade avec lesquels le dieu l’a trompée :

« As-tu peur ? », m’a-t-il dit (qu’ils ont faibles les plus forts ; – ils craignent toujours qu’on n’ait pas assez peur d’eux, – les beaux, les insoupçonnés dans leur arrogance enfantine). « Oui, je lui ai dit, – j’ai peur », et lui il m’a serré encore plus contre lui, si fort que j’ai senti le poil de son bras pénétrer dans me pores comme si j’étais liée à son corps par des milliers de minuscules racines – pas du tout liée, puisque j’étais adonnée. […]

152

Page 153: Thesis Ritsos Full

Il m’égrenait des grenades de ses propres mains. Ses doigts noircissaient encore plus. Les grains de la grenade luisaient sombres comme des flacons en verre pleins de sang. Il me donnait à manger dans sa paume entre les grandes jarres et les tabourets de pierre, pour ne pas oublier de rentrer chez lui. (Ibid. : 196).

Il n’omet de se référer à Cerbère, l’effrayant chien-gardien du Monde d’en Bas. Prima facie, Perséphone décrit Cerbère négativement : « Seulement un chien (qui, de plus, n’aboie pas), un vilain chien, le sien, sombre avec des dents de travers, avec deux grands yeux vagues, fidèles et étrangers, sombres comme des puits, – où on ne distingue ni ton visage, ni tes mains, ni son visage. » (Ibid. : 198). Suite d’un épisode où le chien l’a sauvée d’un serpent (Ibid. : 199), elle commence à le trouver sympathique et elle est contente de « […] sa soumission trapue […] » (Ibid.).

4.3 Phèdre

Phèdre fut l’une des filles du Roi Minos de Crète et de Pasiphaé. Sa sœur, Ariane, a aidé Thésée sortir du Labyrinthe et ce dernier lui a promis de l’épouser de retour à Athènes. Pourtant, il l’a abandonée à Naxos. SMITH (1870a : 283) donne les diverses variantes du mythe d’Ariane : soit Thésée l’a laissée vivante à Naxos, soit Artémis l’a tuée au moment de l’accouchement des fils jumeaux de Thésée. Une des versions les plus connues, laquelle figure également chez SMITH (Ibid.), est celle où Thésée l’a oubliée à Naxos, choqué par la mort de son père. Enfin, il a épousé sa sœur, Phèdre. Quant à elle, Phèdre est tombée amoureuse du jeune Hippolyte, fils de Thésée et de l’Amazone nommée Antiope ou Hippolyte (SMITH 1870c : 230). Hippolyte a repoussé son amour, Phèdre l’a accusé de viol, laissant une note à son époux et elle s’est suicidée. Thésée, en colère, demanda à Poséidon de tuer son fils. SMITH (Ibid.) note que Poséidon envoya un taureau au bord de la mer, au moment où Hippolyte passait par là. Ses chevaux, effrayés, renversèrent son char et le traînèrent jusqu’à sa mort.

153

Page 154: Thesis Ritsos Full

4.3.1 Phèdre ou le désir dévastateur

Le monologue Phèdre est écrit à Athènes et à Karlovassi d’avril 1974 à juin 1975 (RITSOS 1978 : 315) et a été ajouté à l’édition de 1978 du recueil. Ritsos choisit de le placer à la fin des monologues mythologiques et avant Quand vient l’étranger, qui clôture la Quatrième Dimension. Vu les convergences avec La sonate au clair de lune97 que Phèdre révèle, on les considère homologues. À ce sujet, notons que La sonate au clair de lune (1956) est, chronologiquement, le premier poème du recueil, tandis que Phèdre, écrite presque vingt ans plus tard, clôture le cycle de la Quatrième Dimension, ce qui renforce encore plus l’argument de l’homologie. Remarquons encore que Phèdre, ayant « […] peut-être plus de quarante ans […] » (Ibid. : 295), est la plus jeune parmi les personnes parlantes féminines du recueil, avec Iphigénie (dont Ritsos ne précise pas l’âge, mais que l’on considère relativement jeune, vu le mythe) et la « jeune » (Ibid. : 203) Perséphone.

97 Dans La sonate au clair de lune, monologue non-mythologique du recueil, une femme âgée déclare également à un jeune homme son désir, qu’elle renonce à la fin du poème. Le caractère de ce monologue est strictement politique, adouci par des injections d’un érotisme latent dérivant de la part de la Femme en Noir.

154

Page 155: Thesis Ritsos Full

Phèdre est le seul98 monologue du recueil introduit d’une dédicace, à Yannis Tsarouchis, peintre, hagiographe et ami du poète. La dédicace est une information-clé pour à l’interprétation du monologue. La peinture de Tsarouchis célèbre le jeune, beau corps masculin. Notons que Yannis Tsarouchis réalisa des dessins inspirés de Phèdre (CENTRE NATIONAL DU LIVRE, MINISTRE DE LA CULTURE ET DU TOURISME 2009 : 88-89). La représentation du corps n’est pas non plus étrangère99 à Ritsos, nature artistique, excellent observateur et peintre amateur. Phèdre est un texte plein de descriptions, qui se focalisent sur certaines parcelles particulières du corps, notamment les extrémités (surtout les pieds) et les contours du visage. On peut constater qu’il s’agit soit des descriptions des toiles déjà réalisées, soit des esquisses pour des toiles futures, ou, simplement, de l’expression de l’admiration du poète envers l’art et la nature.

98 La dédicace du monologue L’Hélène in memoriam de Nina Ritsou a été enlevée de l’édition du tome collectif (RITSOS 1978) et se trouve uniquement dans l’édition individuelle du texte (RITSOS 1972).

99 Ritsos, notamment pendant ses exils, créait des figures – souvent nues – sur des pierres et des pièces de bois qu’il ramassait du bord de la mer, ou encore sur les paquets de ses cigarettes.

155

Page 156: Thesis Ritsos Full

Le monologue est précédé d’un distique significatif d’Hippolyte100 euripidéen : « …. [sic] Si les dieux le veulent, il est naturel que les mortels se trompent.101 » (Ibid. : 293). En général, Ritsos marche sur les pas d’EURIPIDE (1993). Dans Hippolyte102, c’est la nourrice qui révèle la vérité au jeune homme et lui, il n’a aucune interaction avec Phèdre. Cette dernière, chez RITSOS (1978), invite son beau-fils à sa pièce pour lui parler. Le prologue et monologue de Phèdre correspondent aux vers 1-731 d’EURIPIDE (1993). Le monologue, par rapport à la tragédie, s’arrête au moment du départ d’Hippolyte et de l’entrée de Phèdre au palais. Dans l’épilogue, on retrouve la suite de la tragédie (Ibid. : vv. 732-1089). Thésée arrive et découvre son épouse pendue (RITSOS 1978 : 314-315). Chez EURIPIDE, Phèdre a la lettre d’accusation d’Hippolyte à la main (1993 : vv. 856-858). Chez RITSOS, Thésée la retrouve sur la ceinture de la morte (1978 : 315) et, ab irato, chasse son fils de la maison. Le récit ritsien s’arrête ici. Dans sa Phèdre, il ne réactualise pas les derniers vers de la tragédie, qui comportent la révélation du complot tricoté par Phèdre et la mort tragique d’Hippolyte dans les bras de son père (EURIPIDE 1993 : vv. 1090-1466).

100 Il s’agit de la tragédie complète Hippolyte Stéphanéphore. Aujourd’hui, nous n’avons que des fragments de l’autre tragédie euripidienne, Hippolyte Voilé.

101 Le poète traduit en grec moderne ce passage d’EURIPIDE : «[…] ἀνθρώποισι δὲ θεῶν διδόντων εἰκὸς ἐξαμαρτάνειν.» (1993 : vv. 1433-1434).

102 On parle d’Hippolyte Stéphanéphore. Notons que dans Hippolyte Voilé, la tragédie perdue d’Euripide, Phèdre fait la déclaration à Hippolyte.

156

Page 157: Thesis Ritsos Full

Ritsos associe deux thèses contradictoires dans le monologue. D’une part, on voit Phèdre, au crépuscule de sa jeunesse, prise d’un désir ardent pour la vie et l’amour et, d’autre part, on voit le jeune et bel Hippolyte s’abstenir de la vie et consacrer sa jeunesse à la chasse et à Artémis. Quand Phèdre lui parle de son amour, fait des allusions directes à l’acte sexuel et s’humilie devant son beau-fils, le langage de corps d’Hippolyte démontre son dégoût et son choc psychologique. Nous distinguons aussi un certain syncrétisme religieux. Ritsos entremêle des éléments du paganisme aux éléments chrétiens. Ainsi, Hippolyte, consacré au culte d’Artémis, porte au cou une chaîne avec une croix, symbole chrétien par excellence. Phèdre lui vole cette chaîne et la petite croix devient son propre, empruntons le terme, Golgotha, car son amour unilatéral provoque le mépris d’Hippolyte. Le monologue est sa confession / déclaration avant la mort, qu’elle fait sciemment pour racheter son péché. En même temps, le monologue est une dernière tentative de changer l’avis du jeune. Une fois Hippolyte la rejette103, la souillure du péché ne peut que d’être rincée qu’au moyen de la mort. Phèdre a conscience de la situation et choisit la mort et la vengeance. Sa lettre d’adieu à Thésée l’exprime clairement : « "Ton fils, le fils d’Antiope, a essayé de me violer." » (RITSOS 1978 : 315). Le suicide est une démarche désespérée qui aura, également, des conséquences désastreuses pour Hippolyte, qui perdra, lui aussi, sa vie.

103 Dans le monologue, le rejet devient évident par l’absence de réactions de la part d’Hippolyte.

157

Page 158: Thesis Ritsos Full

On a divisé le monologue en deux grandes parties structurales, afin de se faciliter à l’analyse. La première comporte toutes les tentatives de Phèdre de s’approcher d’Hippolyte (Ibid. : 295-303). La seconde partie est la marche de l’héroïne vers la katharsis (Ibid. : 303-314) dans l’épilogue (Ibid. : 315). Dans le prologue, on retrouve les informations de mise en scène, ainsi que les descriptions des protagonistes du drame. L’espace-temps du monologue est un après-midi printanier (Ibid. : 295). Phèdre nous informe que tout se passe à Trézène (Ibid. : 300). En attendant le bien-aimé, Phèdre se berce dans un fauteuil à bascule104 (Ibid. : 295). Hippolyte revient de la chasse, « […] beau, tout en sueur, aux longs cheveux dorés en désordre. » (Ibid.). Elle allume une cigarette, geste anachronique qui révèle un personnage en impatience et que le narrateur qualifie de « provocateur », et adresse la parole au jeune homme (Ibid.).

104 RITSOS décrit en plein détail Phèdre se bercer dans son fauteuil avec rythme et tâter ses tétins (1978 : 295). L’insistance à cette description n’est pas au hasard, car il fait allusion à une version du mythe où Phèdre, après le suicide, est condamnée d’être pendue et d’osciller à l’infini.

158

Page 159: Thesis Ritsos Full

Sa tactique est de s’approcher d’Hippolyte, essayant de le séduire. Tout d’abord, elle remarque qu’il a rougi à cause du soleil et elle lui dit sur un ton suave, et maternel : « […] tu ne m’as pas écoutée […] » (Ibid.) et, d’emblée, elle va un pas plus loin : elle tente de le toucher sous prétexte de lui enlever un duvet d’épines de ses cheveux (Ibid. : 296). Sa troisième tentative est de le rapprocher en lui parlant de la chasse. Nous en distinguons trois niveaux. Au début, elle lui avoue son envie de se déguiser pour l’accompagner à la chasse (Ibid. : 297-298). Cette idée n’est guère innocente, car Phèdre n’omet pas de faire, en même temps, allusion à l’acte sexuel : « […] regarder tes beaux gestes indépendantes, intégrés dans un but précis, dans une intention, avec cette précision et l’aisance qu’apporte l’exercice et l’expérience. J’aurais tellement envie de te connaître dans une fixation totale, dans ce qui échappe plus de la discipline vers l’extase. » (Ibid. : 298). Elle n’hésite pas d’assimiler l’acte aux mouvements synchronisés des danseurs, pour conclure que « […] c’est peut-être pour cela que les amoureux […] marchent si lentement, avec tant de précaution, se tenant par la taille […] » (Ibid.). À un deuxième niveau, elle avoue qu’elle aimerait jouer le rôle de l’appât et devenir son « gibier rare » (Ibid.). Phèdre, revendique directement la flamme d’Hippolyte. Voyant l’indifférence du jeune homme envers sa précédente allusion obscène, elle parle de la chasse pour attirer son attention. Troisièmement, elle va encore plus loin : « Est-ce que tu offres tous tes gibiers à Artémis ? […] tu pourrais peut-être dédier quelque chose à moi aussi. » (Ibid.). Pourtant, Hippolyte demeure indifférant. Un hapax dans le recueil : une figure divine, Artémis, revêt, aux yeux de Phèdre, le statut de la rivale imbattable.

159

Page 160: Thesis Ritsos Full

Ainsi, elle tente de l’émouvoir : « Il ne fallait guère venir à Trézène. Ici tout est à toi. […] À Athènes […] l’espace était à moi. […] Ici tu es le maître […] Ton aise m’étouffe. » (Ibid. : 300). Elle transfère son trouble à la maison, de la même manière que, dans Sous l’ombre de la montagne, Électre fait le transfert du poids du destin des Atrides à la montagne. Elle somatise donc la maison et la rend partie de ses fantasmes : « Cette maison est pleine de ton ombre. Cette maison est corps, – je le touche, il me touche, il colle sur moi, notamment les nuits. […] La maison est corps ; c’est ton corps, avec le mien. […] les draps traînent derrière mes pieds comme après l’acte ; » (Ibid. : 300-301). Elle ne peut donc accomplir son désir de s’unir avec lui que par l’intermédiaire de ses objets105.

105 Chez EURIPIDE (1993), la nourrice propose à Phèdre une sorte d’élixir pour la délivrer de sa douleur, dont un des ingrédients est un objet quelconque propre à Hippolyte. D’un point de vue symboliste, qu’on ne pourrait, pourtant, pas appliquer sur tel texte, l’objet qui appartient à la personne aimé suscite toute une somme de connotations.

160

Page 161: Thesis Ritsos Full

À ce point, Ritsos introduit l’objet de « culte » de l’héroïne, id est la chaîne avec la croix d’Hippolyte, volée par Phèdre. Cette chaîne fonctionne dans le monologue comme suit. Tout d’abord, elle est protectrice et elle crée un lien symbolique entre Hippolyte et sa déesse. En plus, elle est un lien entre le jeune homme et Phèdre, car elle la conserve comme une sorte de butin précieux : « […] je [la] porte les nuits dans mon lit lorsque Thésée est absent […] je [la] serre contre ma poitrine. » (Ibid. : 302). Son acte de voler l’objet protecteur révèle l’intention de fragiliser Hippolyte, dans sa foi, afin de réussir son plan. Elle raconte en détail l’épisode de la recherche de la chaîne perdue et le lie à un fantasme obscène. Elle narre que lorsque le jeune cherchait sa chaîne au-dessous des meubles, elle observait le flux du sang sous sa peau faisant des pensées obscènes (Ibid. : 301). Elle avoue : « Je m’agenouillais moi aussi, ainsi, côte à côte, tous deux à quatre pattes […] maladroitement, extasiés devant un inconnu exploit attendu […] moi l’expérimentée, la tourmentée, et toi l’ignorant, l’arrogant, le drôlement innocent, l’adorablement innocent. » (Ibid. : 301-302). Et par le biais de l’imagination elle va encore plus loin : « Autrefois [tu étais] tombé par terre, face contre terre […] profond, inquiet, pénétrant comme si tu faisais l’amour. Et ce fut moi le plancher sur lequel tu te jetais, et je te sentais en moi […] » (Ibid. : 302). Il s’agit d’une seconde somatisation de son désir de contact physique, cette fois à travers la chaîne qui, serré contre soi laisse ses empreintes sur sa peau. Cela devient encore plus évident par la suite du récit, où Phèdre suppose que si le jeune embrassait la marque de la croix sur sa peau, le Crucifié allait se ressusciter (Ibid. : 302). Résurrection, pour Phèdre, signifie renoncement et pas union (Ibid.). Enfin, elle associe la chaîne au mystère de la communion106. La chaîne mouillée de vin tache le couvert et Phèdre prend des tranches de pain pour l’essuyer (Ibid.). Elle voit des gouttes rouges partout qu’elle associe au sang, « Heureusement […] invisible. » (Ibid. : 303). La chaîne, substitut d’Hippolyte, conduit Phèdre à commettre un péché (porter et serrer la chaîne contre soi). Pour expier ce péché, elle se confesse. La

106 Selon le protocole de l’Église Orthodoxe.

161

Page 162: Thesis Ritsos Full

communion, voire le pain mouillé de vin qui renvoi au « sang et au corps du Christ », permet d’expier ce péché.

La première partie du récit se clôture avec Phèdre confirmer que son amour ne peut que rester impossible : « […] et la compréhension la plus profonde de notre différence ne facilite pas les choses ; ne supprime pas nos différences et nos présomptions séparées. » (Ibid. : 303). Au long de cette partie, Phèdre a posé plusieurs fois indirectement la question du contrôle du désir et elle a essayé de faire changer l’avis d’Hippolyte, par rapport à une histoire potentielle entre les deux, mais sa tentative a échoué. Dans la seconde partie du monologue, on suivit l’héroïne à sa marche vers la katharsis.

De la même manière que dans le reste du recueil, la thématique du déguisement est présente. Plus précisément, on remarque toute une problématique autour du masque. Derrière la nostalgie de Phèdre pour Athènes : « Je chuchotais leurs noms – rue Akadimias, Panepistimiou, Stadiou, rue Aiolou. […] C’est ça – je chuchotais […] moi je ne suis pas là dedans 107 […] je suis partie108 […] » (Ibid. : 304-305) on entrevoit son désir de dominer Hippolyte comme elle dominait sa maison à Athènes. Ainsi, elle se réfère à un voyage de courte durée à Athènes : « […] j’étais rentrée plus triste, vieillie et comme humiliée dans une fierté enragée, compter, contrôler mes gestes selon vos mesures […] sans érafler ton petit doigt ni le mien. » (Ibid. : 305). On suppose encore que Ritsos parle de sa situation actuelle : « […] aucune liberté ne se gagne sans un sacrifice quelconque de notre part […] » (Ibid. : 304).

107 Format du texte original.108 Format du texte original.

162

Page 163: Thesis Ritsos Full

D’ici, dérive toute une problématique concernant le masque, qui s’applique autant à Ritsos, qu’à Phèdre et Hippolyte. L’héroïne préfère la nuit, dont les ombres servent de masque : « Toute la journée j’attends la nuit […] » (Ibid. : 306). En même temps, le visage d’Hippolyte est couvert de poussière. Phèdre dit qu’elle attend la nuit pour que les ombres lui couvrent le visage (Ibid. : 295). Elle développe l’idée du masque en tant qu’élément indispensable des humains : « Le matin […] notre premier geste […] [est] d’étendre la main de prendre notre masque sec du table de nuit de l’appliquer sur notre visage comme des coupables […] Et toute la journée sentir la colle sécher, se décoller […] » (Ibid. : 308). Elle s’attaque à Hippolyte, qui lui aussi, porte un masque, celui de la chasteté : « […] et en plus avoir la peur que le masque entier aille se décoller […] ne pas tomber dans ton assiette de poulet à la sauce tomate, au moment exact où tu dis "je n’ai pas du tout faim" ; pour que ta sauvage faim nue ne se montre pas. » (Ibid.). Selon ce passage, Hippolyte prétend que son abstention du contact physique est volontaire. Ainsi, Phèdre lui dit : « Il fait sombre. Je ne vois plus ton visage. Tant mieux. Je ne vois pas ton masque (parce que toi aussi tu portes de masque) […] » (Ibid. : 309). Remarquons que Phèdre, avec la confession s’est révélée. Elle a jeté son masque comme elle a fièrement déclaré : « Moi j’ai confessé. Je n’ai pas gardé le saint, le humble mensonge. Le masque je l’ai déchiré et je l’ai jeté devant tes pieds ; je ne l’ai pas percé, je ne l’ai pas recouvert de mon visage. » (Ibid. : 309-310). Au contraire, Hippolyte demeure « voilé » jusqu’à la fin. Dans l’épilogue, on le verra écouter « […] tacitement sa condamnation […] » et s’agenouiller (Ibid. : 315).

163

Page 164: Thesis Ritsos Full

Quant à Phèdre, sa marche vers la pendaison se fait en étapes et devient évident par des signes prémonitoires qu’elle révèle. Dans la première partie du récit, on remarque le premier innuendo : « "La seule consolation (dit souvent ma nourrice) est de songer jour et nuit à notre mort". Mais à quand ? » (Ibid. : 300). Après la confession (vaine109), Phèdre fait la « répétition » de sa propre mort, comme un acteur répète son numéro avant le spectacle. Elle imagine le monde après sa mort. Elle parle de la ville d’Athènes et de sa maison (Ibid. : 304-305). Elle exprime l’envie de « […] s’enfermer dans son propre noyau, [d’] être comme un grain de blé dans la terre. » (Ibid. : 306). L’idée de préférer une existence insignifiante et minuscule, nous rappelle l’Agamemnon ritsien, jaloux d’une fourmi. Phèdre assimile, pourtant, son image à une image très significative, celle d’une femme en grossesse avancée (Ibid.). Maintenant, Phèdre ne parle plus d’acte sexuel, mais du contrecoup de celui-ci. Une fois l’acte achevé, on passe à un état de cristallisation et de transformation du désir en chagrin pétrifiée : « Et les draps mouillés d’eaux tièdes, de sperme et de sueur, et les robes, les sous-vêtements, jetés sur le placard par terre et les autres dans les coffres ou dans les armoires, contractés coulent, coulent de petites gouttes qui se figent immédiatement, se cristallisent, stalactites, stalagmites dans des grottes profondes en nous […] » (Ibid. : 307). Le désir inaccompli de Phèdre est un feu, qui se liquéfie. Le produit de cette liquidation se cristallise, prend la forme des stalactites et des stalagmites et, ainsi, passe à l’état de quelque chose de palpable. Un présage de ce qui se passera aussitôt est la référence de Phèdre à « […] un nœud dans le cou, qui t’empêche de parler […] une sorte d’attaque cardiaque ; » (Ibid. : 307-308). Il devient clair que Phèdre recherche la katharsis à travers la mort : « Ô peur et réjouissance de la fin, – que tout finisse, toi et moi et notre différence. Quels sentiments stupides, mon dieu, si hypertrophiés, – et ils ne nous laissent même pas un minime espace libre propre à nous, pour faire un pas, même vers notre mort. » (Ibid. : 308). Ultérieurement, elle s’identifie à l’image d’une femme « millénaire » (Ibid. : 310) qui tricote une énorme

109 On considère la confession vaine, étant donné que Phèdre n’a pas réussi son plan.

164

Page 165: Thesis Ritsos Full

chaussette noire et qui n’est autre que Clotho, la Moira qui file le fils de vie. L’identification n’est pas fortuite. Phèdre a les fils de leurs vies en main. La vie d’Hippolyte dépend de sa décision finale. Elle connaît très bien que si elle l’accuse, il sera bientôt mort. Phèdre annonce directement sa décision de se suicider : « […] je m’approprie ma mort volontiers ; […] Belle mort. […] La mort parfaite, la paisible, l’extrême est aveugle, sourde et muette, comme le blanc absolu. […] La nuit s’étend comme un suicide universel. Elle livre les corps nus à une immense morgue de marbre. » (Ibid. : 311-312). Avant de quitter la chambre elle dira à Hippolyte que « [La] Seule injustice est la vie elle-même. Et la mort [est] la seule justice définitive, même si l’on y arrive toujours tard. » (Ibid. : 314).

La dernière démarche avant le suicide est de renvoyer Hippolyte. Elle lui demande cinq fois de partir et c’est à ce point qu’elle révèle les réactions du jeune à sa confession / déclaration : « Pourquoi tu es resté ainsi comme pétrifié dans une attitude de réprobation et avec peut-être une expression de mépris et de chasteté souillée. » (Ibid. : 312). Elle lui dit deux fois d’aller se laver pour se purifier de ce qu’il vient d’entendre (Ibid. : 312-313, 314). Elle révèle que la nourrice lui a raconté tous les détails du corps du jeune, auquel elle songe souvent (Ibid. : 313) : « Souvent, distraite, je te dessine tout nu au derrière de mes paquets de cigarettes. Puis je remplis le dessin de petites marguerites, pour te cacher et c’est comme si je couvre de fleurs un mort beau. » (Ibid.). Cela prédit, évidemment, la mort prématurée d’Hippolyte et Phèdre, avec les fleurs dessinées, lui offre une sorte de funérailles. Phèdre ne va pas mourir sans assurer sa vengeance. Parlant du masque elle avait dit : « Ô bel idiot, – rappelle-toi : ceux qui ont beaucoup souffert, savent se venger […] » (Ibid. : 309). Maintenant, elle menace le jeune homme : « J’ai préparé la vengeance. Tu vas voir. Dommage – tu ne pourras pas t’en souvenir pour longtemps. » (Ibid. : 314).

165

Page 166: Thesis Ritsos Full

Partie B : Le Mythe dans une sélection d’œuvres francophones

166

Page 167: Thesis Ritsos Full

5 La Grèce de Marguerite Yourcenar

Dans ce mémoire, nous avons choisi d’étudier les figures du mythe dans Feux et Électre ou la chute des masques de Marguerite Yourcenar. Nous allons présenter ces œuvres séparément, à cause de leur particularité : La réactualisation yourcenarienne se rapproche de celle de Ritsos, étant donné que tous deux, chacun pour ses raisons110, utilisent la figure mythique en tant que masque, qui leur permet de s’exprimer librement. Évidemment, faute de preuve, nous ne pouvons, en aucun cas, soutenir que le poète grec a été inspiré par l’écrivain belge, qui écrit ces deux œuvres entre 1935 et 1944, plus ou moins quinze ans avant la rédaction du premier monologue mythologique de la Quatrième Dimension.

Yourcenar s’inspire de ses mémoires de jeunesse. Elle a connu bien et a beaucoup aimé la Grèce. Elle y a passé des longs séjours, elle a été liée à des intellectuels tels qu’Embirikos et Dimaras et a même essayé de traduire en français de la poésie antique lyrique, ainsi qu’une partie de l’œuvre de Kavafis. L’œuvre de Yourcenar, à son entité, ne manque pas d’éléments grecs ; soit un prénom, un toponyme, un mot ou encore l’allusion à des personnages historiques et mythiques. Par rapport à ses œuvres inspirées de l’Antiquité grecque, Yourcenar a avoué que « Le mythe était pour [elle] une approche de l’absolu. » (GALEY 1980 : 87).

5.1 Feux ou l’incendie d’un pathos

110 Nous avons déjà vu que Ritsos se cache derrière le mythe pour toute une somme de raisons. YOURCENAR, quant à elle, utilise le mythe (dans Feux) pour couvrir une crise émotionnelle, voire « passionnelle » (1993 : 11). Électre ou la chute des masques semble suivre la même lignée et recouvrir du tissu mythique le vécu.

167

Page 168: Thesis Ritsos Full

Le recueil Feux a été écrit de retour de Grèce, en 1935, et comprend neuf nouvelles, introduites et suivies par des « proses lyriques » (Ibid.). Feux, un livre « condamné111 » est, aux propres mots de son auteur, « Produit d’une crise passionnelle […] » (YOURCENAR 1993 : 11). On peut détecter cet état de crise par la mise en page des nouvelles, qui sont écrites en un seul paragraphe de texte suivi. Le chargement psychologique qui légitime l’adjectif « passionnelle » est évident par le contenu de Feux, qui traite du sujet de « […] l’amour total, s’imposant à sa victime à la fois comme une maladie et comme une vocation […] » (Ibid.). Mais qu’est-ce que cet amour a à voir avec l’Antiquité grecque ? La réponse se trouve dans la table des matières de Feux. Yourcenar a choisi de textualiser des personnages de l’histoire et des héros mythiques qui ont tous vécu une sorte d’amour total, soit un désir fatal, mais qui ont connu, au même degré d’acuité, la trahison, la perte et la séparation de l’objet de leur désir112. Ainsi, les protagonistes antiques de Feux sont Phèdre, Achille113, Antigone, Lé(ai)na, Phédon, Clytemnestre et Sappho. En ce lot grec antique, Yourcenar ajoute Marie-Madeleine, personnage du Nouveau Testament, qui a aussi vécu un grand pathos.

Feux est un mélange d’éléments autobiographiques et d’histoire contemporaine, emballé du tissu mythique et enrichi d’allusions chrétiennes. L’universalité du mythe sert de masque du vécu et de l’histoire. Dans sa « Préface » (Ibid. : 12-13), Yourcenar nous donne des indices qui aident au développement des pistes de lecture :

111 Le recueil Feux s’ouvre ainsi : « J’espère que ce livre ne sera jamais lu. » (Ibid. : 23).

112 Si on lit Feux en parallèle avec la biographie de Yourcenar (SAVIGNEAU 1990), nous allons retrouver plusieurs indices qui conduisent à une seule hypothèse (toujours sans preuve) : que ce livre a, probablement, été écrit suite à la coupure des attaches entre son auteur et le poète Andréas Embirikos. Néanmoins, ce type de lecture est hors du sujet de ce mémoire.

113 Achille est, en effet, le personnage central dans « Achille ou le mensonge » (Ibid. : 31-43) et dans « Patrocle ou le destin » (Ibid. : 45-53). Pour cette raison, nous allons présenter les deux nouvelles comme un seul ensemble.

168

Page 169: Thesis Ritsos Full

Phèdre […] c’est l’ardente coupable que nous tenons de Racine. Achille et Patrocle sont vus moins d’après Homère que d’après les poètes, les peintres et les sculpteurs qui s’échelonnent entre l’antiquité homérique et nous […]. Antigone est prise telle quelle au frame antique, mais de tous les récits qui s’égrènent dans Feux, ce cauchemar de guerre civile et de révolte contre une autorité inique est peut-être le plus chargé d’éléments contemporains ou quasi anticipatoires. […] Le monologue de Clytemnestre incorpore à la Mycènes homérique une Grèce rustique du temps du conflit gréco-turc de 1924 ou de l’équipée des Dardanelles114.

Dans le cadre de notre travail, nous allons nous pencher sur les nouvelles qui peuvent être associées115 aux monologues de la Quatrième Dimension, à savoir : « Phèdre ou le désespoir » ; « Achille ou le mensonge » ; « Patrocle ou le destin » ; « Antigone ou le choix » ; « Clytemnestre ou le crime » et esquisser les portraits des héros.

5.1.1 « Phèdre ou le désespoir »

114 Dans le passage cité, nous avons enlevé les descriptions des nouvelles qui ne font pas partie de ce travail.

115 Chez Ritsos, il n’y a pas de monologue d’Achille, ni de Patrocle. Pourtant, nous intégrons dans notre travail leurs nouvelles yourcenariennes, parce que les héros appartiennent au cycle mythologique de Troie.

169

Page 170: Thesis Ritsos Full

La Phèdre de Yourcenar, une femme contemporaine, subit le mariage à Thésée, afin d’échapper à son destin, « […] comme sainte [sic] Marie l’Égyptienne payait avec son corps le prix de son passage ; » (Ibid. : 25). Elle a un désir obscur et ardent pour son beau-fils, tel que l’on connaît de la tragédie euripidienne. Hippolyte, quand à lui, est le jeune chasseur chaste et distancié. Phèdre souffre : « Elle se grise du goût de l’impossible, se seul alcool qui sert toujours à tous les mélanges du malheur. » (Ibid. : 26). Ces statuts d’épouse, de mère et de femme se heurtent l’un contre l’autre : « Dans le lit de Thésée elle a l’amer plaisir de tromper en fait celui qu’elle n’aime pas. Elle est mère : elle a des enfants comme elle aurait des remords. […] » (Ibid. : 26-27).

Chez Yourcenar, le départ de Thésée est perçu en tant que mort. Or, sa Phèdre connaît le veuvage : « Débarrassée de Thésée, elle porte son espérance comme une honteuse grossesse posthume. » (Ibid. : 27). De la même manière que dans la tradition116, de retour de Thésée, « […] elle s’invente joie par joie le viol dont elle accuse Hippolyte, de sorte que son mensonge est pour elle un assouvissement. […] Elle prend du poison, puisqu’elle est mithridatisée contre elle-même ; la disparition d’Hippolyte fait le vide autour d’elle ; aspirée par ce vide, elle s’engouffre dans la mort. » (Ibid. : 27-28). Avant le suicide, Phèdre « […] se confesse […] pour avoir une dernière fois le plaisir de parler de son crime. » (Ibid. : 28). Yourcenar explique qu’elle va rejoindre ses ancêtres, pour lesquels « […] la faute est une innocence. » (Ibid.), dans le but de souligner le passé sanglant de sa Maison.

116 Pour le cas de Yourcenar, il serait légitime de parler de tradition grecque, latine et contemporaine, étant donné qu’en dehors des sources antiques, elle connaît toute réactualisation du mythe, des latins aux contemporains. En plus, l’auteur elle-même fait, dans la « Préface », allusion à la Phèdre racinienne.

170

Page 171: Thesis Ritsos Full

Ici, le suicide de Phèdre n’est qu’une action désespérée (jadis évoqué par le titre), qui ne vise pas à la vengeance mais, plutôt, à sa délivrance : « C’est à cause de lui qu’elle est morte ; c’est à cause d’elle qu’il n’a pas vécu ; il ne lui doit que la mort ; elle lui doit les sursauts d’une inextinguible agonie. » (Ibid.). On constate qu’une des proses lyriques qui précèdent la nouvelle exprime, effectivement, l’état d’âme de l’héroïne : « Absent, ta figure se dilate au point d’emplir l’univers. Tu passes à l’état fluide qui est celui des fantômes. Présent, elle se condense ; tu atteins aux concentrations des métaux les plus lourds, de l’iridium, du mercure. Je meurs de ce poids quand il me tombe sur le cœur. » (Ibid. : 23), sauf qu’Hippolyte, selon le mythe et la nouvelle, n’a jamais « tombé sur son cœur ».

5.1.2 Achille ou l’hybridation entre le masculin et le féminin

Nous percevons les nouvelles d’Achille et de Patrocle en tant qu’ensemble. Dans la première, Yourcenar se sert de l’épisode de Scyros et présente Achille chercher son vraie identité. Dans la seconde, elle révèle le thrène du guerrier pour la perte de Patrocle et le rival avec l’Amazone Penthésilée, également hybride.

5.1.2.1 « Achille ou le mensonge »

171

Page 172: Thesis Ritsos Full

On se trouve à Scyros, au Palais de Lycomède, où Thétis avait caché Achille, déguisé en fille, pour qu’il ne parte pas à Troie. Yourcenar révèle un personnage hybride par excellence. Tout d’abord, Achille fut le fruit de l’union d’un homme, Pelée, et d’une Néréide, Thétis : « On retrouvait en lui les traits de ce père grossier revêtus d’une beauté qu’il ne tenait que d’elle […] » (Ibid. : 32). En deuxième lieu, on l’a enfermé dans une tour de jeunes filles : « […] il venait de sortir de collège des Centaures : fatigué des forêts, il rêvait de chevelures ; las de gorges sauvages ; il rêvait à des seins. […] Achille venait risquer ici la chance unique d’être autre chose que soi. » (Ibid.). En troisième lieu, ou pour mieux le dire, en pratique, on voit Achille osciller entre deux femmes – Déidamie et Misandre117, filles de Lycomède – et se mettre en quête de son vraie identité : « L’amour de Déidamie, la jalousie de Misandre refaisaient de lui le dur contraire d’une fille. […] Achille et Déidamie se haïssaient comme ceux qui s’aiment ; Misandre et Achille s’aimaient comme ceux qui se haïssent. » (Ibid. : 33). Notons que les descriptions de deux femmes sont contrastes, car Déidamie représente la féminité, tandis que sa sœur a, plutôt, des caractéristiques masculines.

117 Misandre est une invention propre à Yourcenar. Par rapport à l’étymologie de « Misandre », nous avons fait diverses hypothèses. Soit il provient de ἥμισυ (demi) + ἀνὴρ (homme) pour mettre en relief que, en tant que femme, elle est un homme incomplet, voire inachevé, soit, étant donné l’hybridation, elle est en moitié homme et femme. D’ailleurs, le nom peut être dérivé de μισῶ (haïr) + ἀνὴρ (homme) ou ἀνδρεία (gloire), afin de démontrer celle qui déteste, en l’occurrence, les mâles et la gloire. Enfin, la notion du « demi » peut se référer à l’un de deux Andrés qui entouraient alors Yourcenar, Embirikos et Fraigneau. Quel que soit le cas, le personnage de Misandre, partenaire idéale, est une conception d’hybride, dont le but est de remplir le vide.

172

Page 173: Thesis Ritsos Full

Les futurs compagnons d’Achille « […] avertis par une lettre anonyme […] » (Ibid. : 34) viennent le chercher à Scyros. Achille, jaloux de l’intérêt de Déidamie pour Patrocle, l’étrangle. C’est en ce moment que le personnage « divisé » de Misandre, l’aide fuir. Pendant la fuite Achille retrouve sa vraie identité. La nouvelle se clôture avec les réactions de ses compagnons, une fois arrivé à leurs barques : « Patrocle tendit les bras, crut reconnaître Déidamie ; Ulysse secoua la tête ; Thersite éclata de rire Personne ne se doutait que cette déesse n’était pas femme. » (Ibid. : 39).

5.1.2.2 « Patrocle ou le destin »

On se trouve pendant la guerre de Troie, après la mort de Patrocle. La nouvelle s’ouvre avec les descriptions des héros iliadiques :

Cassandre hurlait sur les murailles, en proie à l’horrible travail d’enfanter l’avenir. […] Hélène peignait sa bouche de vampire d’un fard qui faisait penser à du sang. […] Iphigénie était morte, fusillée par ordre d’Agamemnon […] Pâris avait été défiguré par l’explosion d’une grenade ; Polyxène venait de succomber au typhus dans l’hôpital de Troie ; les Océanides agenouillées sur la plage n’essayaient plus d’écarter les mouches bleues du cadavre de Patrocle. […] Achille ne quittait plus sa tente jonchée d’ombres […] (Ibid. : 46).

Yourcenar présente un Achille choqué par la mort de son ami. Dans la nouvelle, la thématique de la mort est un élément-clé, qu’on peut associer à la Quatrième Dimension et fortifier, ainsi, l’argument de la vanité de la guerre. Yourcenar écrit par rapport à Achille : « Contre l’eau mouvante, animée, informe, Achille défendait les pierres et le ciment qui servent à faire des tombes. » (Ibid. : 48).

173

Page 174: Thesis Ritsos Full

L’Amazone Penthésilée, une femme / guerrier, s’associe à Achille, en ce qui concerne son identité hybride. L’Amazone lui rappelle, d’abord son hybridation et puis les malheurs qui l’ont trouvé à cause des femmes. Il commence par accuser Thétis « […] d’avoir fait de lui un métis à mi-chemin entre le dieu et l’homme […] il lui gardait rancune de l’avoir tout enfant mené aux bains du Styx pour l’immuniser contre la peur […] » (Ibid.). Yourcenar explique que le héros « […] en voulait aux filles de Lycomède de n’avoir pas reconnu dans son travesti le contraire d’un déguisement. » (Ibid.), parce que, ainsi, son identité a été révélée. Enfin, Achille « […] ne pardonnait pas à Briséis l’humiliation de l’avoir aimé. » (Ibid.). Pour ces raisons, Achille tue l’Amazone de sang froid. La phrase finale de la nouvelle fait allusion à encore une hybridation, celle de Patrocle : « [Penthésilée] était le seul être au monde qui ressemblait à Patrocle. » (Ibid. : 50).

5.1.3 « Antigone ou le choix »

L’Antigone de Feux « […] est prise telle quelle au drame grec […] » (Ibid. : 12-13). Yourcenar, selon la tradition antique, révèle un personnage ascétique : « Elle refuse l’aumône de Thésée qui lui offre des vêtements, du linge frais, une place dans la voiture publique pour rentrer à Thèbes […] » (Ibid. : 56). Son voyage est perçu comme celui de Saint-Pierre à Rome « […] pour s’y faire crucifier. » (Ibid.).

De retour à Thèbes, Antigone envisage le dilemme entre ses deux frères : « Même vivant, le cadavre officiel d’Étéocle, refroidi par ses succès, est momifié déjà dans le mensonge de la gloire. Même mort, Polynice existe comme la douleur. […] Vaincu, dépouillé, mort, il a atteint le fond de la misère humaine : rien ne s’interpose entre eux, pas même une vertu, pas même un point d’honneur. » (Ibid. : 58).

174

Page 175: Thesis Ritsos Full

Antigone prend la décision d’enterrer Polynice. Sa décision, une acte d’affection et d’amour fraternel est, pour Yourcenar, un Golgotha : « […] elle porte son crucifié comme on porterait une croix. » (Ibid.). Ainsi, Antigone est « […] victime d[u] droit divin […] » (Ibid. : 59) et sa condamnation à mort est un retour « […] au pays des sources, des trésors, des germes. » (Ibid. : 59-60).

À la fin de la nouvelle, Créon découvre Hémon et Antigone pendus ensemble : « Liés l’un à l’autre come pour peser plus lourd, leur va-et-vient les enfonce chaque fois plus avant dans la tombe, et ce poids palpitant remet en mouvement la machinerie des astres. » (Ibid. : 61). Cette fin exprime l’idée de l’amour total, qui dépasse même les frontières entre la vie et la mort.

5.1.4 « Clytemnestre ou le crime »

La nouvelle se base sur l’Agamemnon eschyléen : Clytemnestre se confesse devant les Juges. L’assassine yourcenarienne, plus cruelle que jamais et fière de son acte hideux, raconte son crime, en bref : « J’ai tué cet homme avec un couteau, dans une baignoire, avec l’aide de mon misérable amant qui ne parvenait même pas à lui tenir les pieds. » (Ibid. : 119). Arrogante, Clytemnestre déclare aux Juges : « […] pas une de vos femmes [n’a] une nuit de sa vie rêvé d’être Clytemnestre. […] Vous êtes venus ici pour que la scène du meurtre se répète sous vos yeux un peu plus rapidement que dans la réalité […] » (Ibid. : 119-120).

175

Page 176: Thesis Ritsos Full

Ainsi, elle rumine toute sa vie, depuis sa naissance, jusqu’au meurtre et narre de nouveau son acte terrible avec de plus amples détails. Son enfance et sa jeunesse n’a été qu’une préparation pour le mariage à Agamemnon. Sa vie conjugale était paisible et ordinaire. Néanmoins, Clytemnestre n’ignorait pas la possibilité d’adultère de la part de son époux, car : « […] les hommes ne sont pas faits pour passer toute leur vie à se chauffer les mains au feu d’un même foyer : il est parti vers des nouvelles conquêtes, et il m’a laissée là […] » (Ibid. : 121). Pendant la période iliadique, on la tenait au courant des « aventures » d’Agamemnon. Petit à petit, Clytemnestre devint jalouse des veuves qui n’avaient « […] plus que la terre pour rivale [et qui savaient] au moins que leur homme couchait seul. » (Ibid. : 122).

Pendant l’absence d’Agamemnon, Clytemnestre vécut la solitude absolue. Ayant besoin de combler ce vide, elle avoue : « Je finissais par regarder au même œil que lui le cou blanc des servantes. Égisthe galopait à mes côtés dans les champs en friche ; son adolescence coïncidait avec mon temps de veuvage ; […] Je le regardais moins comme un amant que comme un enfant que m’aurait fait l’absence ; » (Ibid. : 122-123). Égisthe, donc, n’a été qu’une « solution d’urgence » pour elle. En fait, il a été encore une victime, car Clytemnestre avait « […] besoin de lui pour savoir jusqu’à quel point celui que [elle aimait] était irremplaçable. » (Ibid. : 123). Yourcenar présente une caricature d’Égisthe, qui n’a rien à voir avec la figure de l’usurpateur cruel qu’on connaît traditionnellement. Égisthe yourcenarien est si lâche et mou qu’il pleure à l’annonce du retour du polémarque (Ibid. : 124).

176

Page 177: Thesis Ritsos Full

En attendant l’arrivée du chef, Clytemnestre a pensé de « […] tuer Égisthe, faire laver le bois du lit […] sortir du fond d’une malle la robe que je portais au moment du départ, supprimer enfin ces dix ans comme un simple zéro dans le total de mes jours. En passant devant la glace […] je m’aperçus ; et cette vue m’a rappelé que j’avais les cheveux gris. » (Ibid.). Clytemnestre, afin de persuader ses Juges, laisse entendre que les ravages du temps ont fait d’elle « […] une espèce de cuisinière obèse […] » (Ibid.) et défavorable, évidemment, au Roi. Dans ce sens, elle n’hésite pas de dire qu’elle allait se suicider pour ne pas déplaire Agamemnon, mais elle ne l’a pas fait parce qu’elle voulait « […] le revoir avant de mourir. » (Ibid.). Et pour aller encore plus loin, elle souhaiterait qu’Agamemnon soit au courant de son affaire et vienne la tuer pour qu’elle obtienne, au moins, « […] une place dans sa pensée. » (Ibid. : 125).

Agamemnon rentre vainqueur avec Cassandre, « […] l’espèce de sorcière turque qu’il avait choisie pour sa part de butin […] » (Ibid.) et presque ignore son épouse. Cette dernière remarque que Cassandre est enceinte et décide de prendre sa vengeance. Le meurtre du polémarque a lieu dans la baignoire : « Je frappai maladroitement un premier coup qui ne réussit qu’à entailler l’épaule ; […] je lui portai le second coup qui lui fendit le front. […] il a très peu saigné. J’ai versé plus de sang en accouchant de son fils. Après sa mort, nous avons tué sa maîtresse […] (Ibid. : 128).

Dans son récit, la meurtrière révèle une nouveauté propre à Yourcenar : Agamemnon n’a pas été mutilé. Clytemnestre explique aux Juges que son époux tué, « […] qui pendant dix ans ne s’est pas donné la peine de prendre un congé de huit jours pour revenir de Troie, il est revenu de la mort. J’ai eu beau lui couper les pieds pour l’empêcher de sortir du cimetière. » (Ibid. : 129).

177

Page 178: Thesis Ritsos Full

À la fin, on trouve une sorte de maxime qui, d’une part, condense, peut-être, la notion et la nature du châtiment de Clytemnestre et, d’autre part, exprime l’universalité du mythe (car l’histoire se répétera) et l’éternité du châtiment (allusion, plutôt, catholique au châtiment éternel) : « […] les morts ne restent pas en repos : […] je retrouverai cet homme dans un coin de mon enfer : de nouveau, je crierai de joie sous ses premiers baisers. Puis, il m’abandonnera […] Alors, il reviendra pour me narguer : il caressera devant moi sa jaune sorcière turque habituée à jouer avec les os des tombes. Que faire ? On ne peur pourtant pas tuer un mort. » (Ibid. : 129-130).

5.2 Électre ou la chute des masques

Dans l’ « Avant-propos » d’Électre ou la chute des masques, Marguerite YOURCENAR présente l’histoire des Atrides et commente toute réactualisation de leur mythe depuis Homère et Seneca, jusqu’à O’Neill, Sartre et elle-même (1971 : 9-22). Yourcenar s’aperçoit que « Comme un nœud de serpents qui sans cesse se reforme, les aventures d’Électre et des siens épousent tour à tour tous les aspects de la famille criminelle au cours des siècles. » (Ibid. : 9), ce qui souligne l’universalité et la plasticité du mythe.

La version yourcenarienne du mythe électrien a été écrite en 1944. Le sous-titre de la pièce est indicatif pour le développement d’une piste de lecture. Électre, plus maline et manipulatrice que jamais, fait, à l’aide de Pylade, le complot qui conduit aux meurtres de Clytemnestre et d’Égisthe. Yourcenar se base sur la version euripidienne du mythe, selon laquelle, Électre, prétendant qu’elle est enceinte, invite sa mère et Égisthe chez elle. La grande nouveauté de cette réactualisation que le vrai père d’Orèste n’est autre qu’Égisthe.

178

Page 179: Thesis Ritsos Full

L’Électre de Yourcenar est éloignée du palais et mariée au jardinier Théodore118, lequel elle manipule selon sa volonté. La pièce commence au moment où elle attend ses complices, Orèste et Pylade. Elle a tous les traits de l’héroïne tragique. Elle attend toujours le jour de la vengeance et semble avoir perdu le sens du temps : « Quel jour sommes-nous, Théodore ? » (Ibid. : 27). La différence sociale entre elle et son époux est évidente. Quand Théodore demande à Électre de prendre soin des animaux de la ferme, elle répond : « Tu appartiens à la race des paysans qui ôtent timidement leur bonnet en présence du maître. » (Ibid. : 29).

Le personnage de Pylade est très significatif, car c’est lui le complice principal, qui à son tour, manipule, avec Électre, Orèste. Ce dernier est le lien entre Électre et Pylade. Électre n’omet pas d’exprimer son amour pour son frère et de souligner que : « Je l’aime plus que toi, puisque je connais mieux ses faiblesses... » (Ibid. : 42). Pylade exprime l’idée qu’Orèste « […] est entre [lui et Électre] comme une espèce de premier enfant. » (Ibid. : 43), ce qu’Électre n’aime pas du tout : « Assez ! […] » (Ibid.). Pourtant, elle avoue à Théodore qu’elle aime son frère comme un enfant (Ibid. : 30). Théodore répond que c’est parce qu’elle n’a pas un enfant à elle et il fait allusion à l’enfant qu’il souhaiterait avoir avec elle. Électre, vexée et le traitant comme un chien, lui dit : « Deviens-tu fou ? Et de quel droit aurions-nous ensemble un enfant ? […] L’enfant c’est toi. Il faut te mettre le nez sur les choses, pour que tu comprennes. » (Ibid. : 31). Elle explique à Pylade qu’elle a beaucoup souffert à cause de l’absence d’Orèste, car, rappelons-le, c’était elle qui l’avait renvoyé chez leur ami. Néanmoins, cette souffrance n’était qu’un détail de son plan : « L’absence du petit était à la fois mon chef-d’œuvre et mon supplice […] » (Ibid. : 39). Sur cela, Pylade lui parle de la souffrance d’Orèste et fait la comparaison de deux Atrides. Pour lui, le visage d’Électre a été plus viril que celui de son frère (Ibid. : 40).

118 Le prénom chrétien « Théodore », qui signifie littéralement « cadeau divin » est une nouveauté propre à Yourcenar.

179

Page 180: Thesis Ritsos Full

L’action se développe à partir de la troisième scène du premier acte. Pylade arrive et discute les détails du plan avec Électre. Cette dernière avoue qu’elle utilise Théodore et qu’elle ne lui fait pas confiance (Ibid. : 35). Elle révèle le plan du meurtre à Pylade et décrit sa mère :

[Clytemnestre] viendra se réconcilier avec moi après cinq années d’absence, frotter son fard contre mes joues, déplorer avec moi ce mariage sordide auquel elle m’a forcée, s’apitoyer sur ce taudis où elle me fait vivre, constater avec joie que mes vingt-cinq ans sont plus fanés que ses quarante-sept. Elle viendra seule. Elle n’a pas peur. Elle apportera peut-être dans un panier du rhum ou des confitures. Depuis qu’elle vieillit, elle aime à jouer la châtelaine avec les pauvres. Je l’ai vue de loin, deux ou trois fois marchant dans le chemin de Nauplie, avec sur la tête une ombrelle rose. Elle n’avait personne avec soi, pas même une servante. Et les enfants du petit village s’accrochaient à ses jupes, comme Orèste à moi, quand nous étions enfants. (Ibid. : 36).

Pylade rappelle à Électre que ce qu’ils sont en train d’organiser « […] s’appelle un matricide. » (Ibid.). Pourtant, pour elle, c’est plutôt « […] un acte de justice. » (Ibid. : 37). Plus tard, Pylade traite le meurtre de « […] besogne des bouchers […] » et de « […] petite formalité […] » (Ibid. : 41). Ces appellations ajoutent un ton ironique au meurtre. De sa part, Pylade est motivé parce qu’il veut reprendre la possession de ses « […] biens confisqués par Égisthe […] » (Ibid. : 38).

Orèste est plutôt décrit comme un enfant mou devant le dilemme. Quand on lui explique le plan du meurtre (qu’il doit sortir de sa cachette et tuer Clytemnestre de sang froid), il semble être complètement perdu :

180

Page 181: Thesis Ritsos Full

Ici, dans cette chambre, derrière cette porte ? […] Ici, dans cette chambre… Derrière cette porte… Je ne pourrai jamais. […] Je m’étais habitué à l’idée de tuer une femme couchée dans le lit royal avec l’assassin de mon père, avec l’usurpateur qui nous vole notre héritage, avec le tyran qui supplicie nos amis… […] Mais je ne peux pas la tuer si je la vois de tout près. […] Je ne peux pourtant pas la tuer si je me souviens que je suis son enfant. […] Je ne puis tout de même pas tuer la femme qui m’a montré à me servir de ma cuillère et de mon couteau. (Ibid. : 45, 46, 47).

Sur ce, Électre, très amère, l’assure qu’il ne va pas la reconnaître parce qu’elle a « […] affreusement grossi. » (Ibid. : 46). Pylade, plutôt intéressé de tuer Égisthe propose à Orèste de lui donner « […] un coup de main […] » (Ibid. : 47) avec le meurtre de l’usurpateur. Mais, pour Électre, Clytemnestre doit mourir. Électre établit un parallèle entre le matricide et la messe : « Ce qui va se passer ici est une espèce de messe où il convient que tous participent. Il s’agit bien des liens du sang. » (Ibid.). Nous distinguons un certain syncrétisme religieux : « ÉLECTRE, se signant :119 Au nom du Père… Au nom du Fils… Oui, Dieu a puni leur adultère en le rendant stérile120. » (Ibid.). En effet, Dieu, aux yeux d’Électre, s’identifie à la figure du père. Elle décrit Agamemnon au moment de sa mort « Pensif comme une statue d’église… Tranquille comme un Dieu. » (Ibid. : 50).

119 Les petites capitales et les italiques sont du texte original.120 Ici, elle se réfère aux enfants de Clytemnestre par Égisthe.

181

Page 182: Thesis Ritsos Full

La deuxième partie de la pièce s’ouvre avec Électre donnant les détails finals du plan. Puis, elle accueille très chaleureusement sa mère. Clytemnestre montre d’intérêt maternel à sa fille, mais Électre, toujours hostile, l’accuse d’être la cause de sa misère (Ibid. : 56). À son tour, Clytemnestre l’accuse de l’avoir privée de la présence d’Orèste (Ibid.) et parle de son crime. Pour la Clytemnestre yourcenarienne, l’assassinat d’Égisthe a été « […] une amputation sanglante […] » (Ibid. : 57) inévitable, car Agamemnon avait des ambitions dangereuses (Ibid. : 59). La dispute de la mère et la fille, par rapport au meurtre du père et à la fidélité de Clytemnestre à Égisthe finit avec l’étranglement de cette dernière par Électre (Ibid. : 60-61).

Égisthe arrive peu après et reconnaît Orèste. Électre lui annonce la mort de Clytemnestre et prononce sa virginité révélant son plan (Ibid. : 66). Égisthe l’informe que Clytemnestre allait bientôt mourir, souffrant « […] d’un mal incurable. » (Ibid. : 67) et avoue qu’il n’a jamais eu l’intention de tuer Orèste (Ibid. : 71). Petit à petit il met la vérité en lumière (Ibid. : 72), mais Électre croit qu’il ment pour ne pas mourir (Ibid.). Orèste, choqué, se rend compte qu’Égisthe est l’homme auquel il « […] ressembler[a] dans vingt ans… » (Ibid. : 75), le frappe et s’adresse à Électre : « Électre… Ton bras Électre… […] Ne pars pas sans moi… […] » (Ibid.). Les trois complices décident de partir ensemble et Orèste déclare : « Je suis le frère d’Électre. » (Ibid. : 76). Puis ils quittent rapidement la maison et Égisthe crie à ses gardes. Il leur dit qu’il a été « […] blessé par des bandits. » (Ibid. : 77). Ses dernières paroles font référence à Orèste, son fils : « N’oublie pas de répéter plus tard que j’aurais soutenu jusqu’au bout les droit d’Orèste, la candidature d’Orèste… D’Orès-te [sic]… Compris ? » (Ibid.). L’action se clôture avec l’arrêt de Théodore, qui doit expliquer aux gardes d’Égisthe sa « […] présence sur le lieu du crime. » (Ibid. : 78).

182

Page 183: Thesis Ritsos Full

À la fin de la pièce chacun des personnages enlève son masque. Électre n’est qu’une grande manipulatrice et matricide. Pylade aide ses amis pour son propre profit, Orèste se dépend de sa sœur et de son ami et Théodore prend sur lui toute la responsabilité du crime. Quant aux « victimes », tous deux acceptent leur punition. Égisthe s’élève au rang du héros tragique / bon chrétien, car il accepte volontairement le coup de grâce par son fils et il supporte ses droits.

183

Page 184: Thesis Ritsos Full

6 Les Atrides francophones

Le destin tragique des Atrides (notamment la version des Choéphores d’Eschyle et les Électres de Sophocle et d’Euripide), a beaucoup inspiré les auteurs francophones. Dans le cadre de notre travail, nous allons présenter les portraits de la famille d’Agamemnon, d’après quatre textualisations modernes, à savoir : l’Apologie pour Clytemnestre de Simone Bertière, l’Électre de Jean Giraudoux, Les Mouches de Jean-Paul Sartre, et Tu étais si gentil quand tu étais petit de Jean Anouilh. Nous avons choisi de commencer l’esquisse du profil du héros à partir de la réactualisation de Bertière, qui nous semble la plus intéressante, car elle le démystifie totalement. Par la suite, nous allons présenter les trois pièces de théâtre en ordre chronologique.

6.1 Agamemnon

Dans les œuvres modernes choisies, Agamemnon, « le Roi des Rois » comme on l’appelle, apparaît traditionnellement, soit en tant que victime de son épouse horrible (point de vue d’Électre), soit en tant qu’homme sans scrupules, cruel et infidèle (point de vue de Clytemnestre). Chez BERTIÈRE (2007), on découvre une esquisse d’Agamemnon peu ordinaire. Bertière développe le point de vue plutôt féministe de la meurtrière et présente le côté obscur du polémarque, mettant l’accent sur ses défauts, tels que les pièges du sacrifice d’Iphigénie et de l’adultère avec Cassandre. Chez SARTRE (2011) et GIRAUDOUX (2010), on trouve, également, des références posthumes à Agamemnon et dans les deux pièces, on a une apparition de son fantôme / cadavre.

La Clytemnestre bertiérienne décrit sa première rencontre avec Agamemnon et Ménélas. Les Atrides venus, parmi d’autres, à Sparte pour qu’Hélène choisit un époux :

184

Page 185: Thesis Ritsos Full

[…] bombaient le torse, gonflaient les pectoraux, serraient la croupe, cambraient les mollets, faisaient rouler les biceps et craquer les jointures des doigts. Leurs muscles bandés à l’extrême ressemblaient à des serpents enchevêtrés et la tension tordait leurs visages en des rictus grimaçants. L’animosité entre eux était dense, compacte, palpable. (BERTIÈRE 2007 : 76).

Dès qu’Hélène a choisi Ménélas, Agamemnon a demandé à Tyndare de lui donner Clytemnestre pour épouse (Ibid. : 78-79). L’héroïne explique qu’il l’a choisie parce qu’elle était « […] après Hélène, le plus beau parti de Grèce. » (Ibid. : 83). Elle avoue qu’elle a été une très bonne épouse pour l’Atride (Ibid. : 114-115), mais, lui, il la considérait plutôt comme une pièce de terre, un animal ou un objet : « J’étais son bien, je lui appartenais au même titre que le palais, les terres, les cavales, les bœufs, les trésors, qui passaient pour les plus beaux de Grèce. » (Ibid. : 115). À la naissance de leur aînée, Iphigénie, Agamemnon, déçu, déclara : « J’espérais que de ma semence naîtrait un fils semblable à moi. […] Débrouille-toi pour me faire un fils la prochaine fois. » (Ibid. : 117, 120).

Dans son apologie, l’assassine parle du caractère et de la vie privée du polémarque. Il aimait ruminer à ses visiteurs l’histoire de sa dynastie (Ibid. : 122) et mettait l’accent sur les apparences, car il prétendait toujours que tout allait bien, même s’il n’allait pas (Ibid. : 122-123). « Trop gonflé de son importance, il ne craignait pas assez les dieux pour échapper à l’hubris [sic], au sentiment que sa richesse faisait de lui un être supérieur et à la conviction qu’à ce titre, tout lui était permis. Il ne comprenait pas les autres, pour l’excellente raison qu’il ne cherchait pas à les comprendre. » (Ibid. : 123). Bertière révèle un personnage arrogant, hybristique et très sûr de soi. Aux propres mots de l’héroïne, Agamemnon « […] courait […] les yeux fermés, vers son destin. » (Ibid.), qui n’était autre que la mort.

185

Page 186: Thesis Ritsos Full

Selon son épouse, Agamemnon a atteint Troie, parce que l’enlèvement d’Hélène consistait une insulte pour la famille (Ibid. : 136-137). Il a trompé Clytemnestre disant qu’il allait marier Iphigénie à Achille, au moment où le sacrifice de la fille a été jadis décidé. Clytemnestre explique qu’il avait menti « […] faute d’oser [l’] affronter. » (Ibid. : 148). Il a tué leur fille de sang froid et avec une « […] cruauté essentielle […] » (Ibid. : 152). Clytemnestre compare Agamemnon et Égisthe (Ibid. : 171-174). Ce dernier était, effectivement, un « anti-Agamemnon » (Ibid. : 171), poli, gentil et souple. De retour de Troie, l’Agamemnon de Bertière fait allusion aux tapis rouges et craint l’hybris (Ibid. : 214-215), comme le tragique. Il est distancié et détaché de son épouse, comme le ritsien (Ibid. : 214).

Dans l’Électre de GIRAUDOUX (2010), le Jardinier nous informe que le chef « […] glissa [dans la piscine], revenant de la guerre, et se tua, tombant sur son épée. » (Ibid. : 14). Électre avoue qu’elle aime tous ses traits qui viennent de son père et déteste, évidemment, les traits qui viennent de Clytemnestre (Ibid. : 56-57). Le fantôme-cadavre du chef a apparu une nuit à sa fille. Électre explique à Orèste que leur père a, en fait, été assassiné, car « […] il y avait sur le soulier une boucle qui répétait : je ne suis pas la boucle de l’accident, je suis la boucle du crime. » (Ibid. : 84). Pendant une dispute avec Clytemnestre, Électre révèle que, juste avant le meurtre, Agamemnon, « Père courageux, il s’est offert tout entier ! Et [elle] l’ [a] touché. […] De [s]a joue contre sa joue, [elle a] appris la chaleur de [s]on père. » (Ibid. : 114-115). Clytemnestre avoue, finalement, que le Roi n’a pas glissé dans la baignoire mais il a été assassiné. Ainsi, Clytemnestre l’a puni le Roi « […] pompeux, indécis, niais. » (Ibid. : 123).

186

Page 187: Thesis Ritsos Full

Chez SARTRE (2011), Jupiter dessine le portrait du polémarque. Il dit qu’il était « […] un bon homme. » et que sa seule faute était de n’avoir pas permis les exécutions capitales devant le public (Ibid. : 111). Pourtant, il avoue à Égisthe que ce dernier lui est plus cher qu’Agamemnon (Ibid. : 197). Un soldat décrit Agamemnon comme « […] un royal bon vivant, qui faisait, bon an mal an, ses cent vingt-cinq kilos. » (Ibid. : 186) et lui attribue l’épithète « sacré » (Ibid. : 189).

Jean ANOUILH (2003) base sa réactualisation sur les Choéphores. La Violoniste / Érinys décrit le bain fatal comme « […] baignoire en porphyre, en forme de trèfle à quatre feuilles, [où Clytemnestre se baigne] dans du lait d’ânesse, tous les matins. » (Ibid. : 15). La Contrebassiste / Érinys dévoile que Clytemnestre « […] a pu prouver [au tribunal] qu’elle vengeait sa fille. » (Ibid. : 18). Clytemnestre raconte que :

Quand il est revenu avec cette putain qu’il avait ramenée de Troie, tout gonflé de gloire, ridicule, avec ses décorations, debout sur son char de vainqueur – il a fallu d’abord que je lui mente pour l’amener jusqu’à la piscine, loin de ses gardes – que je la délace en ronronnant, sa cuirasse d’or, pour que nous puissions le saigner commodément. (Ibid. : 24-25).

Selon Électre le polémarque, a été assassiné ainsi :

[Clytemnestre] avait tendu son voile pour qu’ [Agamemnon] s’y empêtre les jambes, ils l’ont fait tomber de tout son long ! Avec sa cuirasse qu’elle n’avait pas fini de lui enlever, dans un grand bruit ridicule de casseroles… De tout son long sur les dalles, [Agamemnon] qui était si fort ! Alors seulement ils ont eu le courage de lui sauter dessus et de le saigner. (Ibid. : 50).

187

Page 188: Thesis Ritsos Full

Anouilh intègre dans sa pièce le passage d’Eschyle, où Électre fait appel à son père mort pour aider elle et son frère prendre leur vengeance. Elle conclut la « prière » faisant « […] le signe de croix121 […] » (Ibid. : 54), geste qui dévoile un certain syncrétisme religieux. Électre, en disputant avec sa mère, révèle qu’Agamemnon a essayé parler à ses assassins au moment du meurtre, et répète que :

[Clytemnestre] lui avait pris les jambes dans son écharpe, en minaudant, comme pas jeu, le caressant, et hop ! Ils l’ont fait tomber de tout son long et ils lui ont sauté dessus. […] Et après ils l’ont mutilé ! […] Et elle brandissait ce morceau d’ [Agamemnon], l’insultant et riant comme une possédée et après, elle l’a jeté aux chiens ! (Ibid. : 135-136).

Clytemnestre ajoute sur cela, qu’à Sparte, c’était une tradition de mutiler ses ennemis pour qu’ils ne rentrent pas se venger et précise que le morceau d’Agamemnon jeté aux chiens était celui qu’elle détestait le plus (Ibid. : 136). Selon le point de vue de Clytemnestre qui essaie de convaincre que le meurtre a eu un bon impact à la ville, « Agamemnon était un roi dur et borné. » (Ibid. : 99).

6.2 Clytemnestre

Le roman de BERTIÈRE (2007) est le « verdict d’acquittement » de la meurtrière, car la Clytemnestre bertiérienne est la seule122 qui réussit à convaincre que son crime a été un acte de justice. L’Apologie pour Clytemnestre est, en même temps, son apologie (posthume) devant le tribunal et une biographie détaillée des Atrides. Dans vingt chapitres thématiques (voir « Table des matières » dans Ibid. : 123), Bertière raconte l’histoire des Maisons de Tyndare et d’Atrée, selon le point de vue de sa protagoniste. Elle dévoile le « bon » côté méconnu de Clytemnestre, héroïne, traditionnellement, détestée.

121 Les italiques sont du texte original.122 Parmi les Clytemnestres des œuvres sélectionnées et repérées

dans ce travail.

188

Page 189: Thesis Ritsos Full

Le roman s’ouvre avec la présentation de l’héroïne par elle-même : « Je m’appelle Clytemnestre, reine d’Argos. Vous me connaissez bien. Voici trois mille ans que vous me montrez du doigt en frémissant d’indignation. Avec l’aide de mon amant, j’ai tué mon époux, Agamemnon, à son retour de la guerre de Troie. Et j’ai péri de la main de mon fils, Orèste. » (Ibid. : 9). Elle se plaint d’être considérée comme « […] la méchante, l’exception monstrueuse […] [la] femelle tueuse de mâle, [le] dragon, [la] murène ou [la] vipère, […] [le] monstre, terrifiant et grotesque à la fois. » (Ibid.). La Clytemnestre de Bertière parle de tout et de tous. Elle se compare avec Hélène, sa sœur et la source du mal des Atrides et avoue qu’elle a grandi sous son ombre. Elle se réfère à son enfance, à sa jeunesse, à sa vie conjugale avec Agamemnon, à ses enfants, à la période iliadique, à sa vie avec Égisthe, au meurtre du chef et aux séquelles de celui-ci.

Elle raconte sa dispute avec Agamemnon par rapport au sacrifice d’Iphigénie. Elle lui avait proposé de se retirer de l’expédition (Ibid. : 150) mais lui, rempli d’ambition, n’a pas changé d’avis. Clytemnestre explique que dès qu’on a essayé de ajouter à l’expédition « […] une couleur patriotique […] » (Ibid. : 155), Agamemnon pourrait être acquitté d’avoir tué Iphigénie pour le bienfait commun. C’était sa nourrice, Mélaena, qui l’a consolée pour la mort de sa fille (Ibid. : 156-161). Mélaena après ces événements a décidé de quitter Clytemnestre. Ainsi, avec Agamemnon parti à Troie et Tyndare mort, Clytemnestre explique qu’elle n’avait pas autre choix que de se jeter dans les mains d’Égisthe (Ibid. : 162) pour trouver de soulagement.

189

Page 190: Thesis Ritsos Full

À côté d’Égisthe, Clytemnestre a découvert sa sensualité et, petit à petit, a commencé à se sentir plus sûre de soi, car son amant était « […] à [s]on service. » (Ibid. : 191). Elle « […] détenai[t] le pouvoir par délégation. » (Ibid.), car Agamemnon était loin et son amant « […] s’occupait […] des fonctions d’intendant. » (Ibid.). Elle explique qu’elle a décidé d’envoyer Orèste à Phocide, parce qu’elle croyait qu’Électre, qui voulait se passer pour « […] gardienne du foyer […] » (Ibid. : 194) à l’absence du père, était une mauvaise influence pour le petit garçon (Ibid. : 193-194).

Le temps passait et Clytemnestre organisait le plan du meurtre avec Égisthe. Le temps du retour venu, Égisthe a commencé d’hésiter et, alors, Clytemnestre a déclaré : « Je prends tout sur moi. C’est ma123 vengeance, pour la mort qu’il a infligée à ma fille. […] Je te demande seulement d’être là pour me porter de secours en cas de danger. » (Ibid. : 209). À partir de cette explication les premières disputes avec Égisthe ont fait leur apparition, car ce dernier voulait aussi se venger de ses frères (Ibid. : 209). Clytemnestre présente en plein détail comment elle a dirigé Agamemnon au bain fatal. D’abord, elle a prononcé un discours pompeux pour l’accueillir (Ibid. : 213-214) et puis, elle l’a persuadé de l’accompagner au lieu du crime (Ibid. : 216-217). Elle l’a tué à l’aide d’Égisthe :

[Égisthe] me tendit une épée et je frappai deux fois. Agamemnon poussa deux cris, puis ses membres s’affaissèrent. Il ne comprit pas ce qui lui arrivait. […] D’un troisième coup, je le vouai aux dieux souterrains. […] D’un geste machinal, j’essuyai l’épée sanglante sur la tête d’Agamemnon, moins pour prévenir sa vengeance que pour éteindre le feu de cette chevelure étincelante que j’avais toujours détestée. (Ibid. : 218-219).

123 Les italiques sont du texte original.

190

Page 191: Thesis Ritsos Full

Dans une apologie à l’eschyléenne, Clytemnestre avoue qu’elle n’avait pas besoin de faire le mettre passer pour un accident (Ibid. : 221). Elle cite ses propres paroles, fière de son acte : « J’ai tout fait, je ne le nierai pas, pour qu’il ne pût ni fuir, écarter la mort. » (Ibid.). Elle a tué son époux mais ayant conscience que le sang se paye avec du sang : « […] le salaire du meurtrier est la mort. » (Ibid. : 231). Elle se réfère aussi à ses remords et aux Érinyes. (Ibid. : 230-236) et dévoile qu’après le meurtre, elles l’ont laissée tranquille pour aller torturer Orèste et le convaincre de se venger pour son père (Ibid. : 235-236).

Agamemnon mort, Clytemnestre est resté seule Reine d’Argos et a été forcé de se remarier à cause de la misogynie des Grecs (Ibid. : 243-244). « En épousant Égisthe au plus vite, je coupais court à toutes les spéculations. » (Ibid. : 244). Après le mariage, ils ont commencé à disputer de nouveau, car Égisthe, dans le but de prendre légitimement la place du Roi assassiné, souhaiterait de prendre sur lui une partie de la responsabilité du meurtre, ce que Clytemnestre n’acceptait guère (Ibid. : 247-248).

Au contraire, elle a volontiers accepté sa propre mort par la main d’Orèste, comme une sorte de katharsis : « La mort me lavait de mes fautes. Le meurtrier, désormais, c’était lui. » (Ibid. : 290).

191

Page 192: Thesis Ritsos Full

Dans son Électre (2010) GIRAUDOUX met l’accent sur la querelle entre mère et fille. Les petites filles (Érinyes) décrivent l’assassine effrayée de tout et mettant du rouge et du sang sur sa figure (Ibid. : 16-17). Clytemnestre et Électre disputent pendant toute la pièce parce que cette dernière affirme que sa mère a laissé le petit Orèste tomber de son bras. Électre l’accuse d’être une mauvaise mère et Clytemnestre se défend disant qu’Électre avait poussé le bébé. Égisthe, secrètement amoureux d’Électre, arrange son mariage au jardinier. Quand Électre accepte le mariage, Clytemnestre change d’avis et essaie de l’annuler. Elle menace même le jardinier : « Tu risques ta vie, jardinier, si tu t’obstines ! […] Épouse Électre, jardinier, et tu es tué ! » (Ibid. : 45). Elle n’avoue pas à ses enfants qu’elle n’a pas d’amant (Ibid. : 88-89). Quand elle sent le danger de la mort, elle demande à Électre de l’aider et déclare son droit d’aimer (Ibid. : 89-92), sans révéler le nom de son amant (Ibid. : 94). Peu avant la fin du deuxième acte, Clytemnestre avoue que la mort d’Agamemnon n’a pas été un accident (Ibid. : 123-124) et qu’elle l’a tué parce qu’elle le détestait depuis toujours et parce qu’elle voulait savourer les joies de la chair (Ibid. : 123). À la fin de la pièce, Clytemnestre et Égisthe ont été assassinés par Orèste (Ibid. : 129-130).

192

Page 193: Thesis Ritsos Full

Chez SARTRE (2011), Électre décrit sa mère comme une « […] grosse et grande femme aux cheveux teints. Elle a des lèvres grasses et des mains très blanches, des mains de reine qui sentent de miel. » (Ibid. : 130-131). Clytemnestre exprime librement son cynisme en déclarant que, après avoir commis le meurtre d’Agamemnon, elle n’a plus rien à craindre (Ibid. : 139). Clytemnestre raconte le meurtre d’Agamemnon devant Électre et l’Étranger (Orèste) et montre sa cruauté : « Il y a quinze ans, j’étais la plus belle femme de Grèce. Vois mon visage et juge ce que j’ai souffert. Je te le dis sans fard ! ce n’est pas la mort du vieux bouc que je regrette ! Quand je l’ai vu saigner dans sa baignoire, j’ai chanté de joie, j’ai dansé. Et aujourd’hui encore, après quinze ans passés, je n’y songe pas sans un tressaillement de plaisir. » (Ibid. : 141). Orèste, tout seul, tue Clytemnestre dans sa chambre. Le meurtre est commis hors de la scène et Électre nous informe que « […] [s]es ennemis son morts […]. » (Ibid. : 207, 208).

Le cas de Tu étais si gentil quand tu étais petit (ANOUILH 2003) est un peu différent. Anouilh situe le drame également dans l’époque contemporaine. Sa nouveauté est que les deux couples « assassins » (Clytemnestre / Égisthe et Électre / Orèste) sont devenus des acteurs du théâtre qui représentent chaque soir, à l’accompagnement d’un orchestre de violonistes, leur tragédie devant un public. Ils sont tous fatigués, sauf Électre, qui s’amuse en tuant chaque soir les assassins de son père.

193

Page 194: Thesis Ritsos Full

Les violonistes / Érinyes décrivent Clytemnestre et Égisthe comme « […] couple extrêmement vulgaire […] » (Ibid. : 15), au top du jet-set actuel (Ibid. : 17). Clytemnestre raconte les événements du passé « […] avec une sorte de rancune sourde.124 » (Ibid. : 24). Elle parle de sa relation avec Égisthe, adultère et secrète pendant l’absence d’Agamemnon (Ibid.) et narre l’épisode du meurtre de celui-ci. Cruelle, elle révèle qu’il a été difficile de faire proclamer Égisthe Roi à la place de l’assassiné (Ibid. : 25) et que « Il a fallu jouer la comédie sur [s]a fille égorgée, en appeler aux Dieux, acheter ceux qui étaient à vendre, les moins dangereux, et faire peur aux autres avec [s]a garde de nubiens qui [l’] entouraient pendant tous ces beaux discours – l’épée nue. » (Ibid.). En plus, en accusant Électre d’avoir tout fait pour sembler le plus misérable possible (Ibid. : 29), elle déclare qu’elle n’a « […] pas été une mère heureuse !... » (Ibid. : 29).

Par rapport à Orèste, Clytemnestre dit à Égisthe que son fils leur provoquerait toujours des problèmes et « Chaque année, le rapprochant de l’âge de l’homme, l’aurait rendu plus dangereux. […] Orèste vivant, ils pouvaient former un parti, troubler l’État. » (Ibid. : 77). La meurtrière dévoile qu’Orèste est, en effet, le fils d’Égisthe (Ibid. : 78). En disputant avec ce dernier, elle se présente comme la plus belle femme de la ville, Reine et fille de Roi, pour souligner l’infériorité d’Égisthe (Ibid. : 80-81). Elle l’accuse, davantage, de ne l’avoir pas défendue quand Orèste est venu prendre sa vengeance (Ibid. : 86-87). Peu avant le meurtre, Clytemnestre crie qu’elle veut vivre (Ibid. : 101). Égisthe, pour la calmer, lui rappelle : « […] tu sais bien que nous ne mourrons pas vraiment, que cela recommence tous les soirs. » (Ibid.). Quittant la scène, Clytemnestre maudit Électre et donne le signe à Orèste pour aller la chercher dans le palais : « Tu n’auras jamais d’hommes, a petite Électre, ma demi-portion – et moi j’en ai eu un, beau, fort et vivant, qui a fait vivre mon ventre et qui m’a fait chaud ! […] Tu me retrouveras sur le lit de mon amant, Orèste ! Tu peux me suivre. » (Ibid. : 137)

6.3 Iphigénie

124 Les italiques sont du texte original.

194

Page 195: Thesis Ritsos Full

Iphigénie, dans les œuvres francophones joue toujours le rôle de la victime innocente, de la même manière que dans les modèles antiques. Chez BERTIÈRE (2007), Clytemnestre narre sa dispute avec Agamemnon, par rapport au sacrifice de la fille. Elle cite les paroles d’Iphigénie, avant d’être saignée (Ibid. : 152-154) par Agamemnon lui-même :

« Je n’ai pas, hélas ! la voix magique d’Orphée pour toucher les cœurs et faire pleurer les rochers. Je n’ai, pour t’attendrir, que mes supplications et mes larmes. Ne me fais pas mourir avant le temps. Il est si doux d’avoir les yeux ouverts à la lumière. Ne me voue pas aux séjours souterrains. La première, je t’ai appelé mon père ; et toi, ma fille. […] Pourquoi serais-je, moi, la victime des amours de Pâris et d’Hélène ? Vois le chagrin de ma mère […] Ne me condamne pas, par pitié, à quitter la lumière de ce monde. » (Ibid. : 150-151).

Dans la version giralducienne du mythe (GIRAUDOUX 2010), Électre accuse Clytemnestre d’avoir « […] déjà conduit une fille au supplice. » (Ibid. : 41). Clytemnestre, au moment de son apologie, parle du jour du sacrifice mais elle met, plutôt, l’accent sur Agamemnon (Ibid. : 123). Chez SARTRE (2011), Électre fait appel à sa sœur aînée et à Agamemnon, leur demandant un signe d’acceptation du matricide qui est sur le point d’être commis (Ibid. : 164-165). Dans Tu étais si gentil quand tu étais petit (ANOUILH 2003), Orèste se réfère à Agamemnon, disant qu’il « […] a sacrifié sa fille pour du vent. » (Ibid. : 112).

6.4 Électre

195

Page 196: Thesis Ritsos Full

Simone BERTIÈRE (2007) consacre à Électre le dix-septième chapitre de son roman. Clytemnestre parle de sa relation avec cette fille, qui : « […] n’était plus que plaintes, gémissements, récriminations et menaces, contre une cible de prédilection : moi, sa mère. » (Ibid. : 259). Mélaena conseillait la jeune mère de montrer à Électre plus d’affection mais la fille était déjà hostile (Ibid.). Clytemnestre décrit Électre pas jolie, au « visage aigu » et aux « yeux durs », de « teint piqueté de taches de rousseur » et insignifiante pour Agamemnon (Ibid. : 260). À caractère dur, Électre ne s’entendait avec personne, elle était « solitaire » et « introvertie » (Ibid. : 261). Elle comportait comme si elle était la mère d’Orèste et elle « […] se reconstruisait, autour de l’image magnifiée de son père, une famille imaginaire dont [Clytemnestre était] exclue. » (Ibid. : 261). Sa mère et Égisthe décident de ne pas la marier pour qu’elle ne donne pas naissance à un vengeur (Ibid. : 263). En plus, elle aussi ne souhaiterait pas se marier car elle mettait en évidence sa virginité. Sa chasteté « […] la valorisait à ses propres yeux, et plus encore à ceux d’autrui […] en restant vierge, elle se gardait pour la vengeance. Car la vengeance est guerre. Et […] pour une femme la guerre est incompatible avec le mariage. […] Elle se voulait Érinys, vouée à me torturer, à boire le sang de ma vie. » (Ibid. : 264-266).

Électre préférait de manger avec les servantes et de s’habiller comme une (Ibid. : 266). Elle avait jugé Agamemnon innocent pour le sacrifice d’Iphigénie, car son père n’avait pas d’autre choix (Ibid. : 269). Clytemnestre explique qu’Électre « […] pratiquait la provocation. Elle engageait des discussions à n’en plus finir, pour nous faire perdre patience, pour que nous proférions contre elle des menaces qui seraient portées à notre discrédit. » (Ibid. : 270). Elle menaçait elle-même Clytemnestre et Égisthe, déclarant que si elle le pouvait, elle allait les tuer (Ibid. : 273). Clytemnestre la considère en tant que personnage dédoublé :

196

Page 197: Thesis Ritsos Full

Il y avait d’un côté la jeune fille abîmée de chagrin, convoquant l’ombre de son père à grands renforts d’incantations sur sa tombe et réclamant son frère en sanglotant. Celle-là était vraie, authentique, émouvante. Et puis il y avait la provocatrice, combative, insolente, ergoteuse, qui se grisait de mots, de gestes théâtraux. Celle-là n’était pas spontanée, elle se forçait. Son désir de vengeance s’épuisait en insultes, autrement dit en simulacres, parce qu’elle n’était pas capable d’agir. (Ibid. : 275).

Clytemnestre explique l’impact de la mort d’Agamemnon à Électre : « Le meurtre […], la privant d’une vie de femme qui l’eût mûrie, la figea dans un état d’adolescence prolongée. (Ibid.).

L’Électre de GIRAUDOUX (2010), protagoniste du drame homonyme, a des traits de la tragique. La nouveauté de la réactualisation giralducienne est, évidemment, la folie d’Électre, une sorte de schizophrénie, aux termes contemporains, selon laquelle, l’héroïne insiste que sa mère a laissé ou a fait Orèste, son frère jumeau125, tomber de son bras. À son tour, Clytemnestre se défend en disant soit qu’Électre a fait tomber le bébé, soit qu’elle a choisi de protéger Électre. La dispute de deux femmes, par rapport à ce sujet, se répète plusieurs fois tout au long de la pièce.

La première description d’Électre se fait par l’Étranger (Orèste) qui révèle un souvenir de son enfance :

125 Le détail qu’Électre et Orèste sont jumeaux est une invention propre à Giraudoux, car selon le mythe, Orèste, le cadet de la famille, naquît après Chryssothémis et, donc, Électre était son aînée.

197

Page 198: Thesis Ritsos Full

Et je me rappelle aussi beaucoup, beaucoup de pieds nus. Aucun visage, les visages étaient haut dans le ciel, mais des pieds nus. J’essayais, contre les franges, de toucher leurs anneaux d’or. Certaines chevilles d’esclaves. Je me rappelle surtout deux petits pieds tout blancs, les plus nus, les plus blancs. Leur pas était toujours égal, sage, mesuré par une chaîne invisible. J’imagine que c’était ceux d’Électre. J’ai dû les embrasser, n’est-ce pas ? Un nourrisson embrasse tout ce qu’il touche. (Ibid. : 13).

La seconde description d’Électre provient des Petites Filles (Érinyes) : « PREMIÈRE PETITE FILLE. Électre s’amuse à faire tomber Orèste des bras de sa mère. / DEUXIÈME PETITE FILLE. Électre cire l’escalier du trône pour que son oncle, Égisthe, le régent, s’étale sur le marbre ! / TROISIÈME PETITE FILLE. Électre se prépare à cracher à la figure de son petit frère Orèste, si jamais il revient. »126 (Ibid. : 17). La troisième description de l’héroïne se fait par Le Président, personnage inventé par l’auteur : « Elle ne fait rien. Elle ne dit rie. Mais elle est là. […] Elle a à craindre l’ennemi le plus redoutable du monde, qui ne laissera rien d’elle, qui la rongera jusqu’aux os, l’alliée d’Électre : la justice intégrale. » (Ibid. : 21, 24). Le jardinier exprime, également, son avis : « Électre est la plus belle fille d’Argos. […] Électre est pieuse. Tous les morts sont pour elle. » (Ibid. : 21, 25). L’Étranger (Orèste) signale à ses interlocuteurs de la seconde scène du premier acte que « Si Agamemnon vivait, le mariage d’Électre serait la cérémonie de la Grèce […] » (Ibid. : 20).

126 Les italiques et les petites capitales, ainsi que le point après le nom du personnage parlant sont du texte original.

198

Page 199: Thesis Ritsos Full

La reconnaissance d’Orèste a lieu dans la sixième scène du premier acte. Électre reconnaît son frère quand il lui révèle son nom (Ibid. : 52). Pour provoquer Clytemnestre elle prétend qu’elle vient de se marier au jeune étranger et se vante que « Quand [elle] enlève [s]a main de sa boucle, [Orèste] dit son nom sans arrêt. » (Ibid. : 54). Elle propose à Orèste d’imaginer qu’ils sont des orphelins (Ibid. : 55) et exprime toute sa haine envers sa mère (Ibid. : 57), en déclarant à son frère que « […] toute cette haine [qu’elle a en elle], elle [lui] rit, elle [l’] accueille, elle est [s]on amour pour [lui]. » (Ibid. : 58). Elle révèle à Orèste que leur père a été assassiné (Ibid. : 84) et affirme que c’était Agamemnon lui-même qui lui a parlé du meurtre : « Son cadavre cette nuit m’est apparu […] » (Ibid.).

Électre renonce à son statut féminin quand Clytemnestre lui demande de prendre sa part lorsqu’Orèste la presse de lui donner le nom de son amant : « Je ne suis inscrite à l’association des femmes. » (Ibid. : 90). Au contraire, elle se croit remplaçante d’Agamemnon : « S’il n’est plus là, je suis sa remplaçante. » (Ibid. : 109). Quand Clytemnestre dit qu’elle n’a pas vu son père depuis l’âge de cinq ans (Ibid. : 112), Électre, furieuse, dévoile qu’elle avait pris sa vengeance a priori, en se couchant avec Agamemnon le jour de son retour, avant qu’il entre au bain fatal (Ibid. : 114-115). Avec son insistance, elle instruit le procès de sa mère et fait Clytemnestre avouer que la mort du chef n’a pas été un accident (Ibid. : 119-124).

Après le meurtre, les Euménides commencent à torturer Électre, qui se sent ravie parce qu’elle a, enfin, pris sa vengeance pour l’assassinat de son père :

PREMIÈRE EUMÉNIDE. Tu n’es plus rien ! Tu n’as plus rien ! […] ÉLECTRE. J’ai ma conscience, j’ai Orèste, j’ai la justice, j’ai tout. / DEUXIÈME EUMÉNIDE. Ta conscience ! […] Désormais c’est toi la coupable. / ÉLECTRE. J’ai Orèste. J’ai la justice. J’ai tout. / TROISIÈME EUMÉNIDE. Orèste ? Plus jamais tu ne reverras Orèste. […] ÉLECTRE. J’ai la justice. J’ai tout. (Ibid. : 131-132).

199

Page 200: Thesis Ritsos Full

L’Électre des Mouches (SARTRE 2011) se rapproche de l’sophocléenne : elle vit avec son haine et attend avec impatience l’arrivée de son frère bien-aimé (Ibid. : 127). Elle se présente à Philèbe (Orèste) comme la servante qui lave le linge de Clytemnestre et d’Égisthe (Ibid. : 129-130). Quand Orèste lui révèle sa vraie identité, Électre ne le croit pas (Ibid. : 173). Nous distinguons un érotisme latent entre frère et sœur, ce qui rend la situation plus compliquée. Électre insiste que son frère est mort et refuse la proposition de fuir avec l’étranger (Ibid. : 174-175). Elle ne reconnait pas son frère jusqu’au moment où Orèste, décidé, lui demande de le cacher dans le palais pour tuer les usurpateurs (Ibid. : 183). Notons que dans cette version du mythe, Orèste est l’aîné d’Électre : « Orèste, tu es mon frère aîné et le chef de notre famille, prends-moi dans tes bras, protège-moi, car nous allons au-devant de très grands souffrances. » (Ibid. : 184). Après le meurtre d’Égisthe, Électre renonce au plan du matricide mais Orèste ne la prend pas en considération (Ibid. : 206). Après le matricide, ils passent la nuit au sanctuaire d’Apollon. Petit à petit, les mouches (Érinyes) séparent le frère et la sœur. Électre quitte Orèste et se repent pour que Jupiter la sauve des Érinyes (Ibid. : 240-241).

Tu étais si gentil quand tu étais petit (ANOUILH 2003) s’ouvre et se clôture avec Électre assise sur l’estrade et à l’attente de son frère (Ibid. : 9, 156). Au début de la pièce, les violonistes / Érinyes blâment la classe supérieure (dont partie fait la famille d’Agamemnon) et la présentent comme une sorte de bourgeoisie française gâtée (Ibid. : 10-12). En bref, pour elles, les représentants de la classe supérieure (Électre comprise) ne sont que des fainéants qui, n’ayant autre chose à faire, ruminent les malheurs du passé. Plus précisément, elles accusent les enfants d’ingratitude envers leurs parents et soulignent que les valeurs anciennes n’existent plus à nos jours (Ibid. : 11-13).

200

Page 201: Thesis Ritsos Full

Égisthe démystifie Électre lui disant que dix ans qu’elle attendait son frère, elle « [finissait] par [s’] endormir, recroquevillée dans un coin de muraille, surprise, au premier coq, de trouver [s]on châle étendu sur [elle] pour [la] protéger du froid de la nuit. » (Ibid. : 20) et il l’informe que lui veillait de la recouvrir (Ibid. : 21). Lorsqu’Électre, Clytemnestre et Égisthe disputent, ce dernier dit qu’ils sont débarrassés de l’ « œil noir » (Ibid. : 26) d’Électre, quand ils ont commencé à l’ignorer. Électre avoue qu’elle était à la cuisine avec les bonnes et qu’elle faisait la servante sciemment, « […] pour qu’on dise : "Ils lui font faire la vaisselle à la petite Électre, la fille du roi qu’ils ont tué ! Et le soir ils la font coucher dans les soupentes, au-dessus des écuries, sur une paillasse, à même le sol !" » (Ibid. : 27).

En offrant des libations à la tombe d’Agamemnon, Électre demande le conseil du Chœur des esclaves. Elles la conseillent de prier pour qu’Orèste vienne (Ibid. : 34-37). Par la suite, elle reconnaît la boucle de son frère et Le Chœur fait appel aux Parques [sic] pour « Que la haine paye la haine ! Que le sang paye le sang, et pour un coup, un autre coup. » (Ibid. : 39).

Parlant avec Orèste, avant la reconnaissance, Électre se présente comme « trop maigre », « trop laide » et aux « mains rouges » (Ibid. : 43). Elle reconnait son frère au visage de l’étranger par la couleur de ses cheveux (Ibid. : 44-45) et puis, elle fait apparaître les premiers signes de son trouble mental, car « Elle lui demande soudain, comme une femme : […] C’est bon de me sentir collée à toi ? Tu peux serrer, tu peux toucher : c’est toi ! (Elle demande encore, soupçonneuse, soudain :) Tu n’as jamais serré d’autres filles, c’est vrai ? Tu ne m’as pas menti ? »127 (Ibid. : 47). Électre demande à son frère de saigner leur mère : « Tu vas lui crever son ventre […] son ventre gras d’odalisque trop nourrie… » (Ibid. : 48). Puis, elle revient à sa relation avec Orèste et développe l’idée des noces :

127 Les italiques du passage sont du texte original.

201

Page 202: Thesis Ritsos Full

Mon seul homme que j’aurai jamais ! Ce soir ce seront nos noces. […] Bien sûr nous ne pourrons jamais le faire, leur geste ignoble, leur frottaille, leur gymnastique, leurs cris de truie qu’on égorge, leurs soupirs à fendre l’âme après – mais nous ferons l’amour tout de même, petit frère, tous les deux, serrés l’un contre l’autre ce soir ; en les regardant gigoter dans leur sang et leurs tripes sorties, emmêlés, lui et sa pute, une dernière fois. » (Ibid. : 49-50).

Électre annonce le plan final du meurtre à Orèste (Ibid. : 53) et adresse une prière à Agamemnon parce que « Ça serait plus gentil. » (Ibid. : 54). Sa thèse est que « Chez son ennemi il n’y a rien à comprendre – jamais ! […] Dès que tu l’aperçois, tu tires – c’est ton ennemi, voilà tout ! […] La vie est la guerre ! » (Ibid. : 103-104). Quand elle se rend compte qu’Orèste essaie d’éviter les meurtres, elle l’accuse de lâcheté : « Lâche ! Lâche ! Mon frère est un lâche et je n’ai plus rien ! Lâche ! Gonzesse ! » (Ibid. : 106).

Orèste commet, enfin, le matricide et se trouve en crise. Électre, également en délire, prend son frère dans ses bras, comme un enfant, elle lui chante et elle prétend d’être sa mère :

Fais dodo Colas mon p’tit frèreFais dodo, tu auras du lolo…Maman est en hautQui fait du gâteauPapa est en bas…  […] Je suis ta maman. Je te berce. Ma poitrine est

toute petite, mais je t’emboîte tout de même bien. Tu sens mon odeur ? Tu la connais petit choit ? Tu es mon petit garçon et je t’ai sorti de mo ventre. Je te tiendrai toujours. Je te protégerai toujours de tout. […] Je suis beaucoup trop étroite, trop maigre – elles ont des hanches, toutes ces femmes ! mais on m’a ouvert le ventre pour te sortir de moi et j’aurai toujours du lait pour toi, moi ! Mes seins je n’ai pas besoin d’aller les montrer au bal ! Ils peuvent s’abîmer et pendre comme ceux des chèvres, à force d’être sucés. Cela m’est égal. C’est seulement fait pour te faire vivre, petit chiot. (Ibid. : 141-142).

202

Page 203: Thesis Ritsos Full

Orèste quitte sa sœur : « Adieu ma petite sœur haineuse, deviens grande, si tu le peux. Notre enfance est finie… » (Ibid. : 144), en lui disant que sa haine lui « […] servira de famille. » (Ibid.) et, à la fin, Électre reprend sa position sur l’estrade et attend que le spectacle recommence (Ibid. : 157).

6.5 Orèste

Clytemnestre de BERTIÈRE (2007) parle d’Orèste, en le nommant « vengeur » (Ibid. : )

203

Page 204: Thesis Ritsos Full

7 Les héros troyens francophones

7.1 Hélène

7.2 Ajax

7.3 Philoctète

204

Page 205: Thesis Ritsos Full

8 Ismène, Perséphone et Phèdre francophones

8.1 Ismène

8.2 Perséphone

8.3 Phèdre

205

Page 206: Thesis Ritsos Full

Conclusion

Dans ce mémoire nous avons étudié la réactualisation du mythe dans la Quatrième Dimension de Yannis Ritsos et dans une sélection de textes francophones. Nous avons, d’abord, dessiné les portraits des héros ritsiens par rapport à leurs origines mythiques et, ensuite, nous avons fait l’esquisse de ces personnages d’après les textes francophones. Pour conclure ce mémoire, nous allons procéder à la confrontation de nos sources primaires et voir si la construction de ponts entre les deux productions littéraires est possible.

Une grande partie de ce mémoire a été consacrée à la Maison d’Atrée et, plus précisément, à la génération d’Agamemnon. Nous avons étudié de façon individuelle chaque un des membres de cette famille tragique. Chez Ritsos, comme nous l’avons déjà évoqué plusieurs fois, se développe un lien entre le fatum tragique des Atrides et la tragédie de la famille du poète. Ritsos utilise une technique propre à lui, celle du mélange des éléments autobiographique, mythologique et historique, qui met le mythe à jour en conservant ses caractéristiques essentielles et qui le rend universel, les sèmes mythiques reflètent l’homme ordinaire d’aujourd’hui.

Le but de ce recueil n’est pas de moderniser le mythe, ni de parler de la souffrance des personnages. Si l’on voulait résumer la Quatrième Dimension, on dirait qu’elle révèle, deux forces opposées ; d’une part, celle du Temps impitoyable et destructif et, d’autre part, celle du flux vital perpétuel et incessible.

206

Page 207: Thesis Ritsos Full

Bibliographie

Sources primaires

Sources grecques

ΑΙΣΧΥΛΟΣ, 1992α, Αγαμέμνων, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 11), 179 σ.[Eschyle, 1992a, Agamemnon, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 11), 179 p.]

ΑΙΣΧΥΛΟΣ, 1992β, Ευμενίδες, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 15), 121 σ.[Eschyle, 1992b, Euménides, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 15), 121 p.]

ΑΙΣΧΥΛΟΣ, 1992γ, Χοηφόροι, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 14), 124 σ.[Eschyle, 1992c, Choéphores, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 14), 124 p.]

ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ, 1992α, Ελένη, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 53), 184 σ.[Euripide, 1992a, Hélène, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 53), 184 p.]

ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ, 1992β, Ηλέκτρα, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 41), 167 σ.[Euripide, 1992b, Électre, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 41), 167 p.]

ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ, 1992γ, Ιφιγένεια η εν Αυλίδι, μτφρ. Κ. Γεωργουσόπουλος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες», 31), 187 σ.[Euripide, 1992c, Iphigénie à Aulis, traduit par K. Georgousopoulos, Athènes, Cactus (Collection

207

Page 208: Thesis Ritsos Full

« Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 31), 187 p.]

ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ, 1992δ, Ιφιγένεια η εν Ταύροις, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 39), 166 σ.[Euripide, 1992d, Iphigénie à Tauride, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 39), 166 p.]

ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ, 1992ε, Ορέστης, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 40), 190 σ.[Euripide, 1992e, Orèste, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 40), 190 p.]

ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ, 1993, Ιππόλυτος, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 139), 177 σ.[Euripide, 1993, Hippolyte, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 177), 192 p.]

ΡΙΤΣΟΣ Γιάννης, 1972, Η Ελένη, Αθήνα, Κέδρος, 40 σ.[Ritsos Yannis, 1972, L’Hélène, Athènes, Kedros, 40 p.]

ΡΙΤΣΟΣ Γιάννης, 1974, Μελετήματα: Μαγιακόβσκη – Χικμέτ – Έρενμπουργκ – Ελυάρ – «Μαρτυρίες» – «Θυρωρείο», Αθήνα, Κέδρος, 106 σ.[Ritsos Yannis, 1974, Essais : Maïakovski – Hikmet – Ehrenbourg – Éluard – « Témoignages » – « Consiergerie », Athènes, Kedros, 106 p.]

ΡΙΤΣΟΣ Γιάννης, 1976, Ποιήματα Γ', τόμος που περιλαμβάνει τις συλλογές: Σφυρίγματα τραίνων (1939-1954), Προσχέδια (1954-1960), Γενική δοκιμή (1956-1959), Αποχαιρετισμός (1957), Ο τελευταίος κι ο πρώτος του Λίντιτσε (1960), Η γέφυρα (1959), Ασκήσεις (1950-1960) και Παράρτημα (1959-1960), Αθήνα, Κέδρος, 526 σ.[Ritsos Yannis, 1976, Poèmes III, tome qui contient les recueils : Siflements des trains (1939-1954), Avant-projets (1954-1960), Épreuve générale (1956-1959), Adieu (1957), Le dernier et le premier de Lidice (1960), Le pont (1959), Exercices (1950-1960) και Annexe (1959-1960), Athènes, Kedros, 526 p.]

208

Page 209: Thesis Ritsos Full

ΡΙΤΣΟΣ Γιάννης, 1978, Τέταρτη Διάσταση, Αθήνα, Κέδρος, 335 σ.[Ritsos Yannis, 1978, Quatrième Dimension, Athènes, Kedros, 335 p.]

ΡΙΤΣΟΣ Γιάννης, 1980, Μονόχορδα, Αθήνα, Κέδρος, 74 σ.[Ritsos Yannis, 1980, Monochordes, Athènes, Kedros, 74 p.]

ΡΙΤΣΟΣ Γιάννης, 1986, Λιγοστεύουν οι ερωτήσεις, Αθήνα, Κέδρος (σειρά «Εικονοστάσιο Ανωνύμων Αγίων», 8), 104 σ.[Ritsos Yannis, 1986, Les questions diminuent, Athènes, Kedros (Série « Iconostase des héros anonymes », 8), 104 p.]

ΣΟΦΟΚΛΗΣ, 1991, Φιλοκτήτης, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 8), 150 σ.[Sophocle, 1991, Philoctète, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 8), 150 p.]

ΣΟΦΟΚΛΗΣ, 1992α, Αίας, μτφρ. Τ. Ρούσσος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 62), 162 σ.[Sophocle, 1992a, Ajax, traduit par T. Roussos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 62), 162 p.]

ΣΟΦΟΚΛΗΣ, 1992β, Αντιγόνη, μτφρ. Κ. Γεωργουσόπουλος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 12), 135 σ.[Sophocle, 1992b, Antigone, traduit par K. Georgousopoulos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 12), 135 p.]

ΣΟΦΟΚΛΗΣ, 1992γ, Ηλέκτρα, μτφρ. Κ. Γεωργουσόπουλος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 30), 146 σ.[Sophocle, 1992c, Électre, traduit par K. Georgousopoulos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 30), 146 p.]

ΣΟΦΟΚΛΗΣ, 1992δ, Οιδίπους επί Κολωνώ, μτφρ. Ε. Π. Γιαννακόπουλος, Αθήνα, Κάκτος (συλλογή «Αρχαία Ελληνική Γραμματεία "Οι Έλληνες"», 135), 208 σ.

209

Page 210: Thesis Ritsos Full

[Sophocle, 1992d, Œdipe à Colone, traduit par E. P. Giannakopoulos, Athènes, Cactus (Collection « Littérature Grecque Ancienne "Les Grecs" », 135), 208 p.]

Sources francophones et anglophones

ANOUILH Jean, 2003, Tu étais si gentil quand tu étais petit, Paris, La table ronde, 157 p.

ANOUILH Jean, 2011, Antigone, Paris, La table ronde (Collection « La petite vermillon », 300), 123 p.

BAUCHAU Henry, 1999, Antigone, Arles, Actes Sud (Collection « Babel », 362), 356 p.

BERTIÈRE Simone, 2006, Apologie pour Clytemnestre, Paris, de Fallois (Collection « Le livre de poche », 30658), 295 p.

BLOK Alexandr, 1920, Les douze, traduit du russe par S. Romoff, Paris, Éditions d’Art La Cible, n.p.

COCTEAU Jean, 1991, Antigone : suivi de Les mariés de la Tour Eiffel, Paris, Gallimard (Collection « Folio », 908), 111p.

GIDE André, 1948, Le retour de l’enfant prodigue précédé de cinq autres traités : Le traité du Narcisse – La tentative amoureuse – El Hadj – Philoctète – Bethsabé, Paris, Gallimard, 208 p.

GIDE André, 1998, Thésée, Paris, Gallimard (Collection « Folio », 1334), 113 p.

GIRAUDOUX Jean, 2005, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Paris, Larousse (Collection « Petits classiques », 23), 240 p.

GIRAUDOUX Jean, 2010, Électre : pièce en deux actes, Paris, B. Grasset (Collection « Le livre de poche », 1030), 227 p.

GOOLD G. P. (éd.), 1914, Hesiod, The Homeric Hymns and Homerica with an English Translation by Hugh G. Evelyn-White, London, William Heinemann Ltd. (Collection « The Loeb Classical Library »), 657 p.

GOOLD G. P. (éd.), 1921, Herodotus: with an English Translation by A. D. Godley in four volumes, vol. I, London, William Heinemann Ltd. (Collection « The Loeb Classical Library »), 504 p.

210

Page 211: Thesis Ritsos Full

HOMÈRE, [1866], Iliade, traduit par Leconte de Lisle, Paris, Alphonse Lemerre, 465 p.

MAGNAN Pierre, 1995, Le sang des Atrides, Paris, Gallimard (Collection « Folio », 2119), 246 p.

RITSOS Yannis, 2001, Le mur dans le miroir et autres poèmes, traduit du grec par Dominique Grandmont, Paris, Gallimard (Collection « Poésie » 354), 399 p.

SARTRE Jean-Paul, 2011, Huis clos : suivi de Les mouches, Paris, Gallimard (Collection « Folio », 807), 247 p.

YOURCENAR Marguerite, 1971, Théâtre II : Électre ou, La chute des masques – Le mystère d’Alceste – Qui n’a pas son Minotaure ?, Paris, Gallimard, 231 p.

YOURCENAR Marguerite, 1993, Feux, Paris, Gallimard (Collection « L’Imaginaire », 294), 148 p.

Sources secondaires

Monographies grecques

BEATON Roderick, 1994, Εισαγωγή στη Νεότερη Ελληνική Λογοτεχνία, μτφρ. Μαριάννα Σπανάκη και Ευαγγελία Ζούργου, Αθήνα, Νεφέλη, 452 σ.[Beaton Roderick, 1994, Introduction à la littérature grecque moderne, traduit par Marianna Spanaki et Evaggelia Zourgou, Athènes, Nefeli, 452 p.]

LESKY Albin, 1983, Ιστορία της Αρχαίας Ελληνικής Λογοτεχνίας, μτφρ. Α. Γ. Τσοπανάκη, Θεσσαλονίκη, Κυριακίδη, 1256 σ.[Lesky Albin, 1983, Histoire de la littérature Grecque Ancienne, traduit par A. G. Tsopanakis, Thessaloniki, Kyriakidi, 1256 p.]

VITTI Mario, 1995, Η Γενιά του τριάντα: Ιδεολογία και μορφή, Αθήνα, Ερμής, 355 σ.[Vitti Mario, 1995, La Génération des années trente : Idéologie et forme, Athènes, Ermis, 355 p.]

VITTI Mario, 2003, Ιστορία της νεοελληνικής λογοτεχνίας, Αθήνα, Οδυσσέας, 604 σ.[VITTI Mario, 2003, Histoire de la littérature néo-hellénique, Athènes, Odysseas, 604 p.]

ΑΘΑΝΑΣΟΠΟΥΛΟΣ Βαγγέλης, 1995, Το ποιητικό τοπίο του ελληνικού 19ου και 20ου αιώνα, τ. 2, Αθήνα, Καστανιώτης, 361 σ.

211

Page 212: Thesis Ritsos Full

[Athanasopoulos Vaggelis, 1995, Le paysage poétique du XIXe et du XXe siècle grec, vol. 2, Athènes, Kastaniotis, 361 p.]

ΑΡΑΓΚΟΝ Λουί, 1983, Ο Αραγκόν για το Ρίτσο, επιμέλεια Αικατερίνη Μακρυνικόλα, Αθήνα, Κέδρος (συλλογή «Μελέτες για τον Γιάννη Ρίτσο», 5), 165 σ.[Aragon Louis, 1983, Aragon sur Ritsos, édité par Aikaterini Makrynikola, Athènes, Kedros (Collection « Études sur Yannis Ritsos », 5), 165 p.]

ΑΡΓΥΡΙΟΥ Αλέξανδρος, 2002, Ιστορία της ελληνικής λογοτεχνίας και η πρόσληψή της, τ. 6, Αθήνα, Καστανιώτης, 472 σ.[Argyriou Alexandros, 2002, Histoire de la littérature grecque et son assimilation, vol. 6, Athènes, Kastaniotis, 472 p.]

ΒΑΓΕΝΑΣ Νάσος, 1994, Η ειρωνική γλώσσα: Κριτικές μελέτες για τη νεοελληνική γραμματεία, Αθήνα, Στιγμή, 382 σ.[Vagenas Nasos, 1994, La langue ironique : Essais critiques pour la littérature néo-hellénique, Athènes, Stigmi, 382 p.]

ΒΑΓΕΝΑΣ Νάσος, ΚΑΓΙΑΛΗΣ Τάσος, ΠΙΕΡΗΣ Μιχάλης, 1997, Μοντερνισμός και ελληνικότητα, Ηράκλειο Κρήτης, Π.Ε.Κ., 115 σ.[Vagenas Nasos, Kagialis Tasos, Pieris Michalis, 1997, Modernisme et grécité, Héraklion Crète, P.E.K., 115 p.]

ΒΕΛΟΥΔΗΣ Γιώργος, 1977, Γιάννη Ρίτσου Επιτομή: Ιστορική ανθολόγηση του ποιητικού του έργου, επιλογή και φιλολογική επιμέλεια Γιώργος Βελουδής, Αθήνα, Κέδρος, 430 σ.[Veloudis Giorgos, 1977, Yannis Ritsos Répertoire : Anthologie historique de son œuvre poétique, choix et édition philologique par Giorgos Veloudis, Athènes, Kedros, 430 p.]

ΒΕΛΟΥΔΗΣ Γιώργος, 1983, Γιάννης Ρίτσος, Προβλήματα μελέτης του έργου του, Αθήνα, Κέδρος (συλλογή «Μελέτες για τον Γιάννη Ρίτσο», 4), 206 σ.[Veloudis Giorgos, 1983, Yannis Ritsos, Problèmes d’étude de son œuvre, Athènes, Kedros (Collection « Études sur Yannis Ritsos », 4), 206 p.]

212

Page 213: Thesis Ritsos Full

ΒΕΛΟΥΔΗΣ Γιώργος, 1984, Προσεγγίσεις στο έργο του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Κέδρος (συλλογή «Μελέτες για τον Γιάννη Ρίτσο», 6), 165 σ.[Veloudis Giorgos, 1984, Approches de l’œuvre de Yannis Ritsos, Athènes, Kedros (Collection « Études sur Yannis Ritsos », 6), 165 p.]

ΓΛΕΖΟΥ-ΡΙΤΣΟΥ Λούλα, 1981, Τα παιδικά χρόνια του αδελφού μου Γιάννη Ρίτσου, καταγραφή και επιμέλεια της αφήγησης Μιχάλης Δημητρίου, Αθήνα, Κέδρος, 133 σ.[Glezou-Ritsou Loula, 1981, L’enfance de mon frère Yannis Ritsos, enregistrement et édition de la narration par Michalis Dimitriou, Athènes, Kedros, 133 p.]

ΔΗΜΑΡΑΣ Αλέξης Κ., 2000, Ιστορία της νεοελληνικής λογοτεχνίας: Από τις πρώτες ρίζες ως την εποχή μας, Αθήνα, Γνώση, 946 σ.[Dimaras Alexis K., 2000, Histoire de la littérature néo-hellénique : De ses premiers racines jusqu’à nos jours, Athènes, Gnosi, 946 p.]

ΔΙΑΛΗΣΜΑΣ Στέφανος, 1984, Εισαγωγή στην ποίηση του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Επικαιρότητα, 89 σ.[Dialismas Stefanos, 1984, Introduction à la poésie de Yannis Ritsos, Athènes, Epikerotita, 89 p.]

ΕΘΝΙΚΟ ΚΕΝΤΡΟ ΒΙΒΛΙΟΥ, ΥΠΟΥΡΓΕΙΟ ΠΟΛΙΤΙΣΜΟΥ ΚΑΙ ΤΟΥΡΙΣΜΟΥ, 2009, Γιάννης Ρίτσος: Εκατό χρόνια από τη γέννησή του, κείμενα-επιμέλεια Χρύσα Προκοπάκη, Αικατερίνη Μακρυνικόλα και Γιώργης Γιατρομανωλά-κης, Αθήνα, Ε.ΚΕ.ΒΙ., 120 σ.[Centre National du Livre, Ministre de la Culture et du Tourisme, 2009, Yannis Ritsos : Cent ans depuis sa naissance, textes-édition par Chryssa Prokopaki, Aikaterini Makrynikola et Georges Giatromanolakis, Athènes, E.KE.BI., 120 p.]

ΕΤΑΙΡΕΙΑ ΕΛΛΗΝΩΝ ΛΟΓΟΤΕΧΝΩΝ, 1979, 70 Χρόνια του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Κέδρος, 44 σ.[Entreprise des Écrivains Grecs, 1979, 70 Ans de Yannis Ritsos, Athènes, Kedros, 44 p.]

ΖΩΡΑΣ Γεράσιμος Γ., 1993, Φιλολογικά Μελετήματα, Αθήνα, Δομός, 284 σ.[Zoras Gerasimos G., 1993, Études Philologiques, Athènes, Domos, 284 p.]

213

Page 214: Thesis Ritsos Full

ΚΑΚΛΑΜΑΝΑΚΗ Ρούλα, 1999, Γιάννης Ρίτσος: η ζωή και το έργο του, Αθήνα, Πατάκης, 95 σ.[Kaklamanaki Roula, 1999, Yannis Ritsos : Sa vie et son œuvre, Athènes, Patakis, 95 p.]

ΚΑΡΑΤΑΣΟΥ Αικατερίνη, 2004, Λανθάνων διάλογος: Το είδος του δραματικού μονολόγου στην ελληνική ποίηση (19ος - 20ος αιώνας), Διδακτορική Διατριβή, Τμήμα Βυζαντινών και Νεοελληνικών Σπουδών, Λευκωσία, Πανεπιστήμιο Κύπρου, 412 σ.[Karatassou Aikaterini, 2004, Dialogue latent : Le genre du monologue dramatique dans la poésie grecque (XIXe - XXe siècle), Thèse de Doctorat, Département des Études Byzantines et Néo-Helléniques, Nicosie, Université de Chypre, 412 p.]

ΚΑΡΥΔΗ Ευτυχία, 1984, Φυλλομετρώντας σελίδες του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Οδηγητής, 206 σ.[Karydi Eftychia, 1984, Feuilletant des pages de Yannis Ritsos, Athènes, Odigitis, 206 p.]

ΚΑΣΣΟΣ Βαγγέλης, 2000, Η Τέταρτη Διάσταση του Ρίτσου: Μια ανάγνωση, Αθήνα, Καστανιώτης, 45 σ.[Kassos Vaggelis, 2000, La Quatrième Dimension de Yannis Ritsos : Une lecture, Athènes, Kastaniotis, 45 p.]

ΚΟΚΟΡΗΣ Δημήτρης, 2003, Μια φωτιά. Η ποίηση. Σχόλια στο έργο του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Σοκόλη, 118 σ.[Kokoris Dimitris, 2003, Un feu. La poésie. Commentaires sur l’œuvre de Yannis Ritsos, Athènes, Sokoli, 118 p.]

ΚΟΚΟΡΗΣ Δημήτρης, 2009, Εισαγωγή στην ποίηση του Ρίτσου: επιλογή κριτικών κειμένων και επιμέλεια Δημήτρης Κόκορης, Ηράκλειο Κρήτης, Π.Ε.Κ., 440 σ.[Kokoris Dimitris, 2009, Introduction à la poésie de Yannis Ritsos : choix de textes critiques et édition par Dimitris Kokoris, Héraklion, Crète, P.E.K., 440 p.]

ΚΩΝΣΤΑΝΤΙΝΙΔΗΣ Ανέστης, 1999, Λεξικόν Κυρίων Ονομάτων, Μυθολογικό, Ιστορικό, Γεωγραφικό: Απάντων Κυρίων Ονομάτων Αναφερομένων στην Αρχαία Ελληνική Γραμματεία, Αθήνα, Εκάτη, 540 σ.[Konstantinidis Anestis, 1999, Dictionnaire des noms propres, mythologique, historique, géographique : De

214

Page 215: Thesis Ritsos Full

tout nom propre paru dans la Littérature Grecque Ancienne, Athènes, Ekati, 540 p.]

ΚΩΤΤΗ Αγγελική, 2009, Γιάννης Ρίτσος: Ένα σχεδίασμα βιογραφίας, Αθήνα, Ελληνικά Γράμματα, 255 σ.[Kotti Angeliki, 2009, Yannis Ritsos : Une esquisse de biographie, Athènes, Ellinika Grammata, 255 p.]

ΜΑΚΡΥΝΙΚΟΛΑ Αικατερίνη (επιμ.), 1981, Αφιέρωμα στο Γιάννη Ρίτσο, Αθήνα, Κέδρος, 814 σ.[Makrynikola Aikaterini (éd.), 1981, Hommage à Yannis Ritsos, Athènes, Kedros, 1981, 814 p.]

ΜΑΚΡΥΝΙΚΟΛΑ Αικατερίνη και ΜΠΟΥΡΝΑΖΟΣ Στρατής (επιμ.), 2008, Ο ποιητής και ο πολίτης Γιάννης Ρίτσος: Διεθνές Συνέδριο : Οι εισηγήσεις, Αθήνα, Μουσείο Μπενάκη-Κέδρος, 546 σ.[Makrynikola Aikaterini et Bournazos Stratis (éditeurs), 2008, Le poète et le citoyen Yannis Ritsos : Colloque International : Les conférences, Athènes, Musée Benaki-Kedros, 546 p.]

ΜΑΚΡΥΝΙΚΟΛΑ Αικατερίνη και ΣΑΒΒΙΔΗΣ Γιώργος Π., 1981, Εργογραφία Γιάννη Ρίτσου, Χρονολόγιο εργογραφίας του Ρίτσου, Αθήνα, Κέδρος, 109 σ.[Makrynikola Aikaterini et Savvidis Giorgos P., 1981, Œuvres complètes de Yannis Ritsos, Chronologie des œuvres de Ritsos, Athènes, Kedros, 109 p.]

ΜΑΚΡΥΝΙΚΟΛΑ Αικατερίνη, 1993, Βιβλιογραφία Γιάννη Ρίτσου, 1924-1989, Αθήνα, Εταιρεία Σπουδών Νεοελληνικού Πολιτισμού και Γενικής Παιδείας, 735 σ.[Makrynikola Aikaterini, 1993, Bibliographie de Yannis Ritsos, 1924-1989, Athènes, Etereia Spoudon Neohellinikou Politismou kai Genikis Paideias, 735 p.]

ΜΑΣΤΡΟΔΗΜΗΤΡΗΣ Παναγιώτης Δ., 1987, Εγκώμιο στον ποιητή Γιάννη Ρίτσο, Αθήνα, Καρδαμίτσας, 35 σ.[Mastrodimitris Panagiotis D., 1987, Louange au poète Yannis Ritsos, Athènes, Kardamitsas, 35 p.]

ΜΠΑΡΔΑΝΗ-ΣΗΜΑΝΤΗΡΗ Σοφία, 2004, Δοκιμές στην «Τέταρτη Διάσταση» του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Γρηγόρης, 98 σ.[Bardani-Simantiri Sofia, 2004, Essais sur la « Quatrième Dimension » de Yannis Ritsos, Athènes, Grigoris, 98 p.]

215

Page 216: Thesis Ritsos Full

ΜΠΑΧΤΙΝ Μιχαήλ, 1980, Προβλήματα λογοτεχνίας και αισθητικής, μτφρ. Γιώργος Σπανός, Αθήνα, Πλέθρον, 314 σ.[Bakhtin Mikhail, 1980, Questions de littérature et d’esthétique, traduit par Giorgos Spanos, Athènes, Plethron, 314 p.]

ΜΠΗΑΝ Πήτερ, 1980, Αντίθεση και σύνθεση στην ποίηση του Γιάννη Ρίτσου, μτφρ. Γιάννης Κρητικός, επιμ. Αικατερίνη Μακρυνικόλα, Αθήνα, Κέδρος (συλλογή «Μελέτες για τον Γιάννη Ρίτσο», 3), 157 σ.[Bien Peter, 1980, Antithèse et synthèse dans la poésie de Yannis Ritsos, traduit par Yannis Kritikos, édité par Aikaterini Makrynikola, Athènes, Kedros (Collection « Études sur Yannis Ritsos », 3), 157 p.]

ΠΟΛΙΤΗΣ Λίνος, 1998, Ιστορία της νεοελληνικής λογοτεχνίας, Αθήνα, Εκδόσεις Μ.Ι.Ε.Τ, 446 σ.[Politis Linos, 1998, Histoire de la littérature néo-hellénique, Athènes, Éditions M.I.E.T., 446 p.]

ΠΡΕΒΕΛΑΚΗΣ Παντελής, 1992, Ο ποιητής Γιάννης Ρίτσος: συνολική θεώρηση του έργου του, Αθήνα, Εστία, 615 σ.[Prevelakis Pandelis, 1992, Le poète Yannis Ritsos : aperçu de son œuvre, Athènes, Hestia, 615 p.]

ΠΡΟΚΟΠΑΚΗ Χρύσα, 2000, Ανθολογία Γιάννη Ρίτσου, επιλ. Χρύσα Προκοπάκη, επιμ. Χρύσα Προκοπάκη, Αικατερίνη Μακρυνικόλα, Αθήνα, Κέδρος, 489 σ. [Prokopaki Chryssa, 2000, Anthologie de Yannis Ritsos, choix de textes par Chryssa Prokopaki, édité par Chryssa Prokopaki, Aikaterini Makrynikola, Athènes, Kedros, 489 p.]

ΤΑΪΦΑΚΟΣ Ιωάννης, 2011, Οι νεκροί πια δεν μας πονούν: Μαρτυρίες για τη ζωή και την ποίηση του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Πανεπιστημιακές Εκδόσεις Κύπρου Gutenberg, 141 σ.[Taïfakos Ioannis, 2011, Les morts ne nous blessent plus : Témoignages sur la vie et la poésie de Yannis Ritsos, Athènes, Panepistimiakes Ekdoseis Kyprou Gutenberg, 141 p.]

ΤΟΠΟΥΖΗΣ Κώστας, 1999, Γιάννης Ρίτσος. Πρώτες σημειώσεις στο έργο του: Α΄ Η σονάτα του σεληνόφωτος, Όταν έρχεται ο ξένος, Η γέφυρα, Αθήνα, Κέδρος (συλλογή «Μελέτες για τον Γιάννη Ρίτσο», 7), 175 σ.

216

Page 217: Thesis Ritsos Full

[Topouzis Kostas, 1999, Yannis Ritsos. Premières notes sur son œuvre : A΄ La sonate au clair de lune, Quand vient l’étranger, Le pont, Athènes, Kedros (Collection « Études sur Yannis Ritsos », 7), 175 p.]

ΦΙΛΟΚΎΠΡΟΥ Έλλη, 2004, Η αμείλικτη ευεργεσία. Όψεις της σιωπής στην ποίηση του Γιάννη Ρίτσου, Αθήνα, Βιβλιόραμα, 272 σ.[Filokyprou Elli, 2004, La bienfaisance impitoyable. Aspects du silence dans la poésie de Yannis Ritsos, Athènes, Vivliorama, 272 p.]

Articles de périodiques grecs

ÖZDEMIR İnce, 1988, «Συνάντηση με τον Γιάννη Ρίτσο», μτφρ. Τιτίκα Δημητρούλια, Διαβάζω, 205, σσ. 112-119.[ÖZDEMIR İnce, 1988, « Rencontre avec Yannis Ritsos », traduit par Titika Dimitroulia, Diavazo, 205, pp. 112-119.]

RICKS David, 1993, «Ρίτσος - Όμηρος: Ένας ποιητικός διάλογος», Δωδώνη, 22, σσ. 49-65.[RΙCKS David, 1993, « Ritsos - Homère : Un dialogue poétique », Dodoni, 22, pp. 49-65.]

ΑΙΛΙΑΝΟΥ Έφη, 1991, «Ο "Φιλοκτήτης" του Γιάννη Ρίτσου ή η ώρα της σιωπής», Νέα Εστία, 1547, σσ. 90-93. [Ailianou Efi, 1991, « "Philoctète" de Yannis Ritsos ou le moment du silence », Nea Hestia, 1547, pp. 90-93.]

ΒΕΛΟΥΔΗΣ Γιώργος, 1991, «Ο μύθος στο Ρίτσο», Νέα Εστία, 1547, σσ. 113-116.[Veloudis Giorgos, 1991, « Le mythe chez Ritsos », Nea Hestia, 1547, pp. 113-116.]

ΓΕΡΑΝΗΣ Στέλιος, 1991, «Η ποίηση του Γιάννη Ρίτσου: Σημειώσεις στα περιθώρια της "Τέταρτης Διάστασης"», Νέα Εστία, 1547, σσ. 127-134.[Geranis Stelios, 1991, « La poésie de Yannis Ritsos : Notes aux marges de la "Quatrième Dimension", Nea Hestia, 1547, pp. 127-134.]

ΓΙΑΤΡΟΜΑΝΩΛΑΚΗΣ Γιώργης, 1988, «Ο ποιητής και η πολιτεία», Διαβάζω, 205, σσ. 52-53.[Giatromanolakis Georges, 1988, « Le poète et la cité », Diavazo, 205, pp. 52-53.]

ΕΣΠΙΡΙΤΟΥ Θεόδωρος, 2009, «"Χρυσόθεμις" ή δεκαεννέα χάρτινοι ανεμόμυλοι», Οδός Πανός, 146, σσ. 20-24.

217

Page 218: Thesis Ritsos Full

[Espiritou Theodoros, 2009, « "Chryssothémis" ou dix-neuf moulins en papier », Odos Panos, 146, pp. 20-24.]

ΘΕΟΔΩΡΑΚΗΣ Μίκης, 1994-1995, «Για τον Γιάννη Ρίτσο», Ελίτροχος, 4-5, σσ. 49-57.[Theodorakis Mikis, 1994-1995, « À Yannis Ritsos », Elitrochos, 4-5, pp. 49-57.]

ΘΩΜΑΔΑΚΗ Μαρίκα, 1991, «Ο ερωτικός λόγος στον κύκλο των Ατρειδών του Γιάννη Ρίτσου», Νέα Εστία, 1547, σσ. 80-89.[Thomadaki Marika, 1991, « La parole érotique dans le cycle des Atrides de Yannis Ritsos », Nea Hestia, 1547, pp. 80-89.]

ΚΑΚΛΑΜΑΝΑΚΗ Ρούλα, 1995, «Η παρουσία του ήρωα στην ποίηση του Γιάννη Ρίτσου», Ομπρέλα, 31, σσ. 29-35.[Kaklamanaki Roula, 1995, « La présence de l’héros dans la poésie de Yannis Ritsos », Omprela, 31, pp. 29-35.]

ΚΑΚΛΑΜΑΝΑΚΗ Ρούλα, 1988, «Παράθυρο στην ποίηση», Διαβάζω, 205, σσ. 90-92.[Kaklamanaki Roula, 1988, « Fenêtre à la poésie », Diavazo, 205, pp. 90-92.]

ΚΑΣΣΟΣ Βαγγέλης, 1988, «Ανάμεσα στον τοίχο και στο τζάμι: (Η θέση του ποιητή μέσα στον κόσμο)», Διαβάζω, 205, σσ. 59-66.[Kassos Vaggelis, 1988, « Entre le mur et le vitre : (La place du poète dans le monde) », Diavazo, 205, pp. 59-66.]

ΚΕΝΤΡΩΤΗΣ Γιώργος, 1994-1995, «"Χρυσόθεμις" ή η Λησμονημένη: Μια θεματική προσέγγιση στο σκηνικό ποίημα του Γιάννη Ρίτσου», Ελίτροχος, 4-5, σσ. 147-166.[Kendrotis Giorgos, 1994-1995, « "Chryssothémis" ou l’Oubliée : Une approche thématique au poème théâtral de Yannis Ritsos », Elitrochos, 4-5, pp. 147-166.]

ΚΕΝΤΡΩΤΗΣ Γιώργος, 1988, «Το τρίτο ρόδο. Μια ερμηνευτική προσέγγιση της Ελένης», Διαβάζω, 205, σσ. 105-111.[Kendrotis Giorgos, 1988, « La troisième rose. Une approche interprétative d’Hélène », Diavazo, 205, pp. 105-111.]

218

Page 219: Thesis Ritsos Full

ΚΡΑΝΑΚΗ Μιμίκα, 1975, «Χρυσόθεμις του Γιάννη Ρίτσου στο Βιλνέβ-Λεζ-Αβινιόν. Παρουσίαση της Μιμίκας Κρανάκη», Τομές, 11, σσ. 58-61.[Kranaki Mimika, 1975, « Chryssothémis de Yannis Ritsos au Villeneuve-Lès-Avignon. Présentation par Mimika Kranaki », Tomes, 11, pp. 58-61.]

ΜΑΣΤΡΟΔΗΜΗΤΡΗΣ Δ. Π., 1994-1995, «Η ποίηση του Γιάννη Ρίτσου: Μια ανασκόπηση», Ελίτροχος, 4-5, σσ. 181-204.[Mastrodimitris D. P., 1994-1995, « La poésie de Yannis Ritsos : Une récapitulation », Elitrochos, 4-5, pp. 181-204.]

ΠΑΓΟΥΛΑΤΟΣ Αντρέας, 2009, «Οι Ατρείδες στην "Τέταρτη Διάσταση" του Γιάννη Ρίτσου (Προσωπεία, μεταμορφώσεις, σημαίνοντα ζώα, αντικείμενα και αινιγματικός λόγος)», Οδός Πανός, 146, σσ. 14-19.[Pagoulatos Antreas, 2009, « Les Atrides dans la "Quatrième Dimension" de Yannis Ritsos (Masques, métamorphoses, animaux significatifs, objets et parole énigmatique) », Odos Panos, 146, pp. 14-19.]

ΠΑΠΑΓΕΩΡΓΙΟΥ Κώστας Γ., 2009, «Σημειώσεις στα περιθώρια της "Τέταρτης Διάστασης" του Γιάννη Ρίτσου», Οδός Πανός, 146, σσ. 8-13.[Papageorgiou Kostas G., « Notes aux marges de la "Quatrième Dimension" de Yannis Ritsos », Odos Panos, 146, pp. 8-13.]

ΠΛΑΤΗΣ Ελευθέριος Ν., 1991, «Γενική αισθητική θεώρηση των μακρών ποιημάτων του Γιάννη Ρίτσου», Νέα Εστία, 1547, σσ. 52-59.[Platis Eleftherios N., 1991, « Général aperçu esthétique des poèmes longs de Yannis Ritsos », Nea Hestia, 1547, pp. 52-59.]

ΠΟΛΕΝΑΚΗΣ Λέανδρος, 1988, «Αγαμέμνων, Ορέστης, χωρίς Ευμενίδες», Διαβάζω, 205, σσ. 128-131.[Polenakis Leandros, 1988, « Agamemnon, Orèste, sans Euménides », Diavazo, 205, pp. 128-131.]

ΦΥΛΑΚΤΟΥ Αντρέας Κ., 1990, «Γιάννης Ρίτσος, ο άξιος της ποίησης», Ακτή, 3, σσ. 280-288.[Fylaktou Antreas K., 1990, « Yannis Ritsos, le digne de la poésie », Akti, 3, pp. 280-288.]

ΧΩΡΕΑΝΘΗΣ Κώστας, 1988, «Τα τραγικά προσωπεία ενός ποιητή», Διαβάζω, 205, σσ. 67-76 και 85.

219

Page 220: Thesis Ritsos Full

[Choreanthis Kostas, 1988, « Les masques tragiques d’un poète », Diavazo, 205, pp. 67-76 et 85.]

Monographies francophones et anglophones

ALBRECHTSKIRCHINGER Geneviève, [ca. 1991], Le monde de Jean Cocteau, Paris, Albin Michel, 269 p.

AURÉGAN Pierre, 1993, Gide, Poitiers, Nathan (Collection « Les écrivains », 20), 127 p.

BROZE Michèle, COULOUBARITSIS Lambros et alii, 2004, Le mythe d’Hélène, Bruxelles, Ousia, 293 p. 

BYRON Glennis, 2003, Dramatic Monologue, London & New York, Routledge (Series “The New Critical Idiom”), 167 p.

CALLE-GRUBER Mireille, 2001, Histoire de la littérature française du XXe siècle, Paris, H. Champion (Collection « Unichamp-Essentiel », 3), 230 p.

DUROUX Rose et URDICIAN Stéphanie, [2010], Les Antigones contemporaines : de 1945 à nos jours, « Mythographies et sociétés », Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 474 p.

ÉVRARD Franck, 2001, Antigone de Jean Anouilh, Paris, Bertrand-Lacoste (Collection « Parcours de lecture » 128), 128 p.

FRAISSE Simone, [1974], Le mythe d’Antigone, Paris, A. Colin (« Collection U prisme, Idées-Littératures », 35), 262 p.

FROIS Étienne, 1998, Antigone de Jean Anouilh, Paris, Hatier (Collection « Profil d’une œuvre », 24), 77 p.

GALEY Matthieu, 1980, Les yeux ouverts : Entretiens avec Marguerite Yourcenar, Paris, Le Centurion (Collection « Le Livre de Poche », 5577), 320 p.

GENETTE Gérard, 1979, Introduction à l’architexte, Paris, Seuil, 89 p.

GRIMAL Pierre, 1999, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 608 p.

LANGBAUM Robert, 1985, The Poetry of Experience: The Dramatic Monologue in Modern Literary Tradition, Chicago, The University of Chicago Press, 242 p.

LAYOUN Mary N., 1998, Modernism in Greece?: Essays on the Critical and Literary Margins of a Movement, New York, Pella, 234 p.

220

Page 221: Thesis Ritsos Full

MÉTOUDI Michèle, 1989, Yannis Ritsos : Qui êtes-vous?, Lyon, La manufacture (Collection « Qui êtes-vous »), 217 p.

PIERRAT Gérard, 1975, Avant l’homme, Paris, Flammarion, 160 p.

ROSEMARIN Adena, 1985, The Power of Genre, Minneapolis, University of Minnesota Press, 199 p.

SAVIGNEAU Josyane, 1990, Marguerite Yourcenar : L’invention d’une vie, Paris, Gallimard (Collection « Folio », 2495), 789 p.

SMITH William, 1870a, Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology, v. I, Boston, Little-Brown and Company, 1093 p.

SMITH William, 1870b, Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology, v. II, Boston, Little-Brown and Company, 1219 p.

SMITH William, 1870c, Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology, v. III, Boston, Little-Brown and Company, 1406 p.

VADÉ Yves, 1996, Le poème en prose et ses territoires, Paris, Belin, 349 p.

ZAROUKAS Kostas, 1992, Aspects de la poésie néo-hellénique, Paris, Saint-Germain-des-Prés, 189 p. 

Articles de périodiques francophones et anglophones

BIEN Peter, 1974, "Myth in Modern Greek Letters, with Special Attention to Yannis Ritsos’s Philoctetes", Books Abroad, Vol. 48, No. 1, pp. 15-20.

BIEN Peter, 1990-1991, "Ritsos’ Painterly Technique in Short and Long Poems", Yofiri, 11, pp. 5-11.

EISSEN Ariane and NICHOLSON-SMITH Donald, 2007, "Myth in Contemporary French Theater: A Negotiable Legacy", Yale French Studies: The Transparency of the Text: Contemporary Writing for the Stage, 112, pp. 39-49.

FRÉRIS George, 1998, « Marguerite Yourcenar et la Grèce contemporaine », Σύγκριση/Comparaison, 9, pp. 142-155.

HOBSBAUM Philip, 1975, "The Rise of the Dramatic Monologue", Hudson Review, XXVIII, pp. 227-245.

221

Page 222: Thesis Ritsos Full

JEFFREYS M[ichael], 1994, "Reading in the 'Fourth Dimension'", Modern Greek Studies, 2, pp. 61-105.

KEELEY Edmund, 1969, "Seferis and The Mythical Method", Comparative Literature Studies, Vol. 6, No. 2, pp. 109-125.

LAMBROPOULOS Vassilis, 1988, "What Makes Good Literature Good and Literature: The Politics of Evaluation Surrounding the Work of Yannis Ritsos", Literature as National Institution. Studies in the Politics of Modern Greek Criticism, Princeton, Princeton University Press, pp. 157-181.

MANN BURDICK Dolores, 1959, "Concept of character in Giraudoux’s 'Electre' and Sartre’s 'Les Mouches', The French Review, Vol. 33, No. 2, pp. 131-136.

RADER Ralph W., 1984, "Notes on Some Structural Varieties and Variations in Dramatic 'I' Poems and Their Theoretical Implications", Victorian Poetry, 22, pp. 103-120.

RADER Ralph W., 1976, "The Dramatic Monologue and Related Lyric Forms", Critical Inquiry, 3, pp. 131-151.

SESSIONS Ina Beth, 1947, "The Dramatic Monologue", PMLA, LXII, pp. 503-516.

Ressources électroniques

Ε.ΚΕ.ΒΙ., 2009, 2009: Γιάνης Ρίτσος: Εκατό χρόνια από τη γέννησή του: Ψηφιακό αρχείο: Βιογραφία: 1977: Φωτογραφία με τον Λουί Αραγκόν, http://ritsos.ekebi.gr/stoixeia.asp?year=197, τελευταία ενημέρωση στις 18 Ιουλίου 2013.[Centre National du Livre, 2009, 2009 : Yannis Ritsos : Cent ans depuis sa naissance : Archives numériques : Biographie : 1977 : Photo avec Louis Aragon, http://ritsos.ekebi.gr/stoixeia.asp?year=197, consulté le 18 juillet 2013.]

ΖΕΡΒΟΥ Αλεξάνδρα, χ.χ., «Ο φιλόμυθος Ρίτσος και οι αρχαίοι: "Επαναλήψεις" και κατοπτρισμοί», άρθρο διαθέσιμο αποκλειστικά σε ηλεκτρονική μορφή, διαμέσου του συνδέσμου: http://www.google.co.uk/url?sa=t&rct=j&q=%CE%B1%CE%BB%CE%B5%CE%BE%CE%AC%CE%BD%CE%B4%CF%81%CE%B1+%CE%B6%CE%B5%CF%81%CE%B2%CE%BF%CF%8D+

222

Page 223: Thesis Ritsos Full

%CE%BF+%CF%86%CE%B9%CE%BB%CF%8C%CE%BC%CF%85%CE%B8%CE%BF%CF%82+%CE%A1%CE%AF%CF%84%CF%83%CE%BF%CF%82&source=web&cd=2&cad=rja&ved=0CDkQFjAB&url=http%3A%2F%2Fwww.edc.uoc.gr%2Fptde%2Fptde%2Fanounc%2Fd_tomeas%2Ffilomythos-Ritsos_Zervou_Al.doc&ei=8jI_Ud29Mq-O7AaPu4GYDA&usg=AFQjCNHjaVSPLQZ77Pm-_scqA2MdeNZUGw&bvm=bvol.43287494,d.d2k, τελευταία ενημέρωση στις 02 Απριλίου 2013.[Zervou Alexandra, s.d., « Le philomythe Ritsos et les anciens : "Répétitions" et reflets », article disponible uniquement en version électronique, via le lien : http://www.google.co.uk/url?sa=t&rct=j&q=%CE%B1%CE%BB%CE%B5%CE%BE%CE%AC%CE%BD%CE%B4%CF%81%CE%B1+%CE%B6%CE%B5%CF%81%CE%B2%CE%BF%CF%8D+%CE%BF+%CF%86%CE%B9%CE%BB%CF%8C%CE%BC%CF%85%CE%B8%CE%BF%CF%82+%CE%A1%CE%AF%CF%84%CF%83%CE%BF%CF%82&source=web&cd=2&cad=rja&ved=0CDkQFjAB&url=http%3A%2F%2Fwww.edc.uoc.gr%2Fptde%2Fptde%2Fanounc%2Fd_tomeas%2Ffilomythos-Ritsos_Zervou_Al.doc&ei=8jI_Ud29Mq-O7AaPu4GYDA&usg=AFQjCNHjaVSPLQZ77Pm-_scqA2MdeNZUGw&bvm=bvol.43287494,d.d2k, consulté le 02 avril 2013.]

OPERNFÜHRER/OPERA GUIDE: THE VIRTUAL OPERA HOUSE, 2011, Elektra, http://www.opera-guide.ch/opera.php?id=352&uilang=en, consulté le 23 juillet 2013.

PAUSANIAS, [n.d.], Description of Greece, version numérisée, disponible sur Perseus Digital Library, http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0159%3Abook%3D2%3Achapter%3D16%3Asection%3D6, consulté le 14 juin 2013.

PUBLIUS OVIDIUS NASO [n.d.], Metamorphoseon Liber Quintus, édité par Hugo Magnus, version numérisée disponible sur Perseus Digital Library,

223

Page 224: Thesis Ritsos Full

http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.02.0029%3Abook%3D5%3Acard%3D409, consulté le 15 juillet 2013.

224

Page 225: Thesis Ritsos Full

Table des matières

SommaireRésumé

Remerciements

Avant-propos

225

Page 226: Thesis Ritsos Full

Introduction..................................................................1

Partie A : Yannis Ritsos, Quatrième Dimension et Mythe...................................................................................8

1 Yannis Ritsos..........................................................9

1.1 Périodes et caractéristiques de son œuvre.......9

1.2 Ritsos face au mythe et ses choix critiques.....13

1.3 La quatrième dimension et la Quatrième Dimension.......................................................................17

1.3.1Définitions....................................................17

1.3.2Le recueil de poèmes....................................18

1.3.2.1............................................Description et structure18

1.3.2.2.................................................Le temps et les objets20

2 Les Atrides............................................................21

2.1 Agamemnon.....................................................21

2.1.1Agamemnon ou la désillusion du pouvoir.....21

2.2 Clytemnestre...................................................26

2.2.1Le silence polyphonique de Clytemnestre....26

2.3 Iphigénie.........................................................37

2.3.1 Iphigénie ou le sacrifice vain........................37

2.4 Électre.............................................................43

2.4.1L’Électre « voilée » de la Quatrième Dimension....................................................................43

2.4.1.1............La maison morte ou le bilan d’Électre44

2.4.1.2.........................Sous l’ombre de la montagne ou l’acheminement d’Électre vers la mort....................49

2.5 Chryssothémis.................................................53

2.5.1Chryssothémis ou l’observatrice invisible....53

2.6 Orèste..............................................................58

2.6.1Orèste ou l’acuité du dilemme......................58

3 Le cycle mythologique de Troie............................65

226

Page 227: Thesis Ritsos Full

3.1 Hélène.............................................................65

3.1.1L’Hélène, la beauté désastreuse et une ascension.....................................................................65

3.2 Ajax..................................................................73

3.2.1Ajax ou la désillusion de la vertu guerrière..73

3.3 Philoctète........................................................76

3.3.1Philoctète ou la dialectique du masque........76

4 Cas d’héros particuliers........................................80

4.1 Les Labdacides................................................80

4.1.1 Ismène ou à la recherche d’une identité......80

4.2 Perséphone......................................................88

4.2.1Perséphone ou la victoire de la vie sur la mort89

4.3 Phèdre.............................................................93

4.3.1Phèdre ou le désir dévastateur.....................93

Partie B : Le Mythe dans une sélection d’œuvres francophones...................................................................101

5 La Grèce de Marguerite Yourcenar....................102

5.1 Feux ou l’incendie d’un pathos......................102

5.1.1« Phèdre ou le désespoir ».........................103

5.1.2Achille ou l’hybridation entre le masculin et le féminin 104

5.1.2.1.....................................« Achille ou le mensonge »105

5.1.2.2............................................« Patrocle ou le destin »105

5.1.3« Antigone ou le choix ».............................106

5.1.4« Clytemnestre ou le crime »......................107

5.2 Électre ou la chute des masques...................109

6 Les Atrides francophones...................................113

6.1 Agamemnon...................................................113

6.2 Clytemnestre.................................................116

6.3 Iphigénie.......................................................119

227

Page 228: Thesis Ritsos Full

6.4 Électre...........................................................120

6.5 Orèste............................................................120

7 Les héros troyens francophones.........................121

7.1 Hélène...........................................................121

7.2 Ajax................................................................121

7.3 Philoctète......................................................121

8 Ismène, Perséphone et Phèdre francophones.....122

8.1 Ismène...........................................................122

8.2 Perséphone....................................................122

8.3 Phèdre...........................................................122

Conclusion.................................................................123

Bibliographie.............................................................124

Sources primaires..................................................124

Sources grecques................................................124

Sources francophones et anglophones...............126

Sources secondaires..............................................127

Monographies grecques.....................................127

Articles de périodiques grecs.............................131

Monographies francophones et anglophones.....133

Articles de périodiques francophones et anglophones...............................................................134

Ressources électroniques......................................135

Annexes.....................................................................140

Annexe 1 : Chronologie de Yannis Ritsos...............140

Annexe 2................................................................142

Annexe 3................................................................142

Annexe 4................................................................143

Annexe 5................................................................143

Annexe 6................................................................144

Annexe 7................................................................144

228

Page 229: Thesis Ritsos Full

Annexes

Annexe 1 : Chronologie128 de Yannis Ritsos

128 Toute information relative à Yannis Ritsos figurante dans ce tableau provient de KOTTI (2009).

229

Page 230: Thesis Ritsos Full

1898 Naissance de Nina (Anna) Ritsou à Monemvasia.

1899 Naissance de Mimis (Dimitrios) Ritsos à Monemvasia.

1908 Naissance de Loula (Stavroula) Ritsou à Monemvasia.

1909 Naissance du poète le 1er mai à Monemvasia.1912-

13 Guerres Balkaniques.1913 Inscription à l’école primaire avec Loula.1914-

18 Première Guerre Mondiale.1915 Mimis est atteint de la tuberculose.1919-

22 Guerre Gréco-turque.

1921Déménagement à Gytheion avec Loula. Mort de Mimis en août. Mort d’Eleftheria Vouzounara en novembre.

1924 Premières publications dans L’Éducation des Enfants sous le pseudonyme « Vision Idéale ».

1925 Coup d’État de Theodoros Pangalos. Déménagement à Athènes avec Loula.

1926Première attaque de la tuberculose. Inscription à la Faculté de Droit (Université Nationale et Capodestrienne d’Athènes).

1927 Aggravation de sa santé. Hospitalisation dans des sanatoriums.

1932 Admission du père Ritsos à Dafni.1933 Retour de Loula des États-Unis.

1934 Publication des Tracteurs chez Govostis et inscription au KKE.

1936 Publication d’Épitaphios dans Rizospastis. Coup d’État d’Ioannis Metaxas le 4 août.

1937Admission de Loula à Dafni. Publication du Chant de ma sœur et reconnaissance de Palamas. Mort d’Eleftherios Ritsos.

1939 Proclamation de la Seconde Guerre Mondiale.1941 Les allemands occupent Athènes le 27 avril.1942 Le poète adhère à EAM.1944-

45 Dekemvriana.1946- Guerre Civile.

230

Page 231: Thesis Ritsos Full

49

1947 Première rencontre avec Falitsa (Garyfalia) Georgiadou.

1948 Déportation à Lemnos.1949 Transportation à Makronissos.1950 Transfert à Agios Efstratios.1952 Retour de l’exil.1954 Mariage à Falitsa Georgiadou.

1955 Naissance d’Eri (Eleftheria) Ritsou, fille unique du poète.

1956 Obtention du 1er Prix Littéraire National pour La sonate au clair de lune.

1967 Coup d’État des colonels. Déportation à Gyaros, puis à Léros.

1968 Restriction à domicile à Samos.1970 Mort de Nina Ritsou.1972 Publication de la Quatrième Dimension.1974 Metapolitefsi (Restauration de la Démocratie).

1975

Obtention du Prix International « Georgi Dimitrov » et du Grand Prix Littéraire français « Alfred de Vigny ». Proclamation au titre de docteur honoris causa de l’Université de Thessalonique.

1976Obtention du Prix Littéraire International « Seregno-Brianza » et du Prix Littéraire International « Etna-Taormina ».

1977 Voyage avec Louis Aragon à Moscou et obtention du Prix Lénine pour la paix.

1978 Proclamation au titre de docteur honoris causa de l’Université de Birmingham.

1979

Proclamation au titre de « citoyen émérite » de Nicosie et obtention du Prix International de la Paix pour la culture et la médaille soviétique de l’ « Amitié des peuples ».

1984 Proclamation au titre de docteur honoris causa de l’Université Carl Marx de Leipzig.

1985Obtention des prix italiens « Felice Mastroianni », « La città dello Stretto », du prix de l’Académie de Biella et du lauréat yougoslave « Couronne d’or ».

1986 Obtention du prix du « Poète de la paix internationale » de l’ONU. Réception de la

231

Page 232: Thesis Ritsos Full

médaille de l’Hôtel des Monnaies de France et obtention du Prix International « Lytes ».

1987Proclamation au titre de docteur honoris causa de l’Université d’Athènes. Réception de la médaille d’or de la Commune d’Athènes.

1989

Obtention de la médaille de la paix « Grigoris Lambrakis » de ΕΕΔΥΕ, de la grande étoile de l’ «Amitié des Peuples » (ΓΛΔ) et de la grande croix du bataillon de l’Archevêque Makarios III.

1990 Décès le 11 novembre à Athènes et enterrement à Monemvasia.

2009 Déclaration de l’ « Année Yannis Ritsos » pour célébrer les cent ans depuis sa naissance.

232

Page 233: Thesis Ritsos Full

Annexe 2

De gauche à droite : Eleftherios Ritsos, Eleftheria Vouzounara, Mimis, Nina et Loula. Source : CENTRE NATIONAL DU LIVRE, MINISTRE DE LA CULTURE ET DU TOURISME (2009 : 8).

Annexe 3

1949 : Ritsos (à gauche) avec l’acteur Manos Katrakis pendant leur exil à Makronissos. Source : CENTRE NATIONAL DU LIVRE, MINISTRE DE LA CULTURE ET DU TOURISME (2009 : 21).

233

Page 234: Thesis Ritsos Full

Annexe 4

1977 : Le poète avec son ami, Louis Aragon à Athènes. Source : http://ritsos.ekebi.gr/stoixeia.asp?year=197, consulté le 18/07/2013.

Annexe 5

Ritsos lit d’extraits d’Épitaphios. Source : CENTRE NATIONAL DU LIVRE, MINISTRE DE LA CULTURE ET DU TOURISME (2009 : 54).

234

Page 235: Thesis Ritsos Full

Annexe 6

1984 : Le poète entouré par le chanteur Stamatis Kokotas (à gauche) et le compositeur Mikis Theodorakis (à droite). Source : Archives personnels de Stamatis Kokotas.

Annexe 7

ca. 1985. Le poète avec sa famille. Source : CENTRE NATIONAL DU LIVRE, MINISTRE DE LA CULTURE ET DU TOURISME (2009 : 119).

235