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Henri de Lubac Théologie dans l’Histoire tome I. La lumière du Christ Théologie DESCLÉE DE BROUWER 1990 Tome I

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  • Henri de Lubac

    Thologie

    dans lHistoire

    tome I. La lumire du Christ

    Thologie

    DESCLE DE BROUWER

    1990 Tome I

  • II. ANTHROPOLOGIE TRIPARTITE

    1. Saint Paul : corps, me, esprit . . . . . . . . . . . . 117

    2. Tradition patristique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128

    1. Les deux premier sicles : Irnae . . . . . . . . . 128

    2. Origne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

    3. DOrigne Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

    3. De saint Augustin nos jours . . . . . . . . . . 148

    1. Spirituels mdivaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148

    2. Thomas dAquin dans la Tradition . . . . . . . . 153

    3. Renaissance et Rforme . . . . . . . . . . . . . . . . 162

    4. Priode moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

    4. LEsprit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

    1. Le lieu de la mystique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

    2. La morale intgre dans la mystique . . . . . . . 186

    3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

  • 1. Le cur , peut-on dire, de la huitime batitude ; ce mot qui prend une signification

    ontologique pour dsigner la ralit la plus radicale et la plus authentique de ltre humain.Cf. Roger ARNALDEZ, Trois messages pour un seul Dieu, Albin Michel 1983, p. 62 et 64.

    2. La traduction de L. Segond disait de mme : Que le Dieu de paix nous sanctifie lui-mmetout entiers, et que tout votre tre, lesprit, lme et le corps, soit conserv irrprhensible,lors de lavnement de notre SeigneurJsus-Christ !

    1. Saint Paul :

    corps, me, esprit

    La distinction de la vie morale et dune vie proprement spirituelle se pr-sente frquemment, au cours de la tradition chrtienne, sous la forme dunehirarchie. Elle se fonde volontiers sur une anthropologie tripartite, recon-naissable travers la diversit des vocabulaires et dans des milieux de culturetrs divers. Cette tripartition ne doit videmment pas tre comprise commeimpliquant dans lhomme trois substances, ni mme trois facults : elle ydiscerne plutt comme une triple zone dactivit, de la priphrie au centre,ou, pour reprendre un mot traditionnel et irremplaable, au cur 1 . Ellesoppose une anthropologie plus courante, bipartite, qui parat offrir biendes penseurs, bien des sages , chrtiens ou non, un cadre ou un supportsuffisant. Elle sy oppose, ou plutt comme nous le verrons, elle la complte.

    Chez maints auteurs, maintes poques, cette anthropologie se rattache ex-pressment quelques textes de lcriture, Ancien et Nouveau Testament, etplus particulirement un texte de saint Paul, cit avec prdilection. Au mo-ment de conclure sa premire lettre aux Thessaloniciens, lAptre leur adres-sait un souhait : Que le Dieu de la paix vous sanctifie totalement, et quevotre tre entier, lesprit, lme et le corps, soit gard sans reproche lav-nement de notre Seigneur Jsus Christ (1 Thess. 5, 23, trad. de la Bible deJrusalem 2). Ce verset a pass dans certains textes liturgiques : ainsi, dans leLiber mozarabieus saeramentorum (Frotin, n 18) ; ainsi encore, dans la Li-turgie romaine daujourdhui (Lectio brevis des Complies du jeudi). Cepen-

  • dant, il semble avoir embarrass nombre de commentateurs modernes, quiprennent peine, de diverses manires, comme si ctait pour eux une obliga-tion, lui enlever toute porte.

    Pour les uns, ce nest l quune formule alors courante, banale, et il ny au-rait point lui chercher une signification prcise, ni nen tenir aucun comptedans lexpos de la doctrine paulinienne. Ainsi Prat, Dibelius et Findlay. Dau-tres font observer que cest le seul endroit des ptres o ces trois lmentsfigurent cte cte ; ainsi D. Buzy et Dewailly-Rigau 3. Dautres encorenous disent quon aurait tort de croire que ce texte implique une divisiontripartite dans lanthropologie paulinienne : ainsi W. David Stacey, qui prendappui sur une observation de John A.T. Robinson. Prudent, Robinson contes-tait seulement quil sagit dans 1 Thess. 5, 23 de trois lments bien dis-tincts ; la langue de Paul, observait-il non sans quelque vraisemblance, estbien trop fluide pour cela 4 . Stacey en conclut que dans la phrase de lAptreil n' y a qu retenir les deux mots loteleij (per omnia) et lklhron (in-teger) ; ces deux mots seuls indiquent le vritable sens : Paul met laccentsur lentiret de cette conservation quil souhaite ses correspondants ; cest tout lhomme qui est gard ; et esprit, me et corps soulignent simple-ment la totalit de cette conception Lhomme sous chacun de ses aspects,lhomme dans sa totalit, doit tre gard 5 . Stacey ne se demande pas (etcest la seule chose qui nous intresse ici) pourquoi, en vue dexprimer cettetotalit de lhomme, Paul tient numrer trois lments, ou trois aspects, ousi lon veut trois termes, plutt que deux, ou que quatre.

    La note adjointe au texte par la Bible de Jrusalem constitue une heureuseexception. Sans doute retient-elle en les unissant les deux dernires des troisconsidrations quon vient de signaler : Cette division tripartite de lhommeest unique chez Paul, qui na dailleurs pas d' "anthropologie" systmatiqueet parfaitement cohrente 6 ; ce qui, la lettre, est incontestable. Seulement,elle ne sen tient pas l ; elle ajoute assez judicieusement : Outre le corps etlme, on voit apparatre ici lesprit, qui peut tre soit le principe divin de lavie nouvelle dans le Christ, soit plutt la partie la plus haute de lhomme, ou-

    3. Dans la Bible Pirot, t. 12, p. 169. 4. Saint PAUL, ptres aux Thessaloniciens, d. du Cerf, 1954, p. 52. 5. Rev. W. David STACEY, M.A., The Pauline View of Man, Londres, 1956, 123.6. Edition de 1956, p. 1562

    116 ANTHROPOLOGIE TRIPARTITE

  • verte elle-mme linfluence de lEsprit , avec renvois Rom. 5, 5 et 1, 9, ole lecteur pourra trouver un amas de rfrences pauliniennes et autres, dontlclectisme ne prtend pas tenir lieu de commentaire. Ce qui montre tout aumoins que le souhait de lAptre aux Thessaloniciens, dans sa teneur littrale, estpris au srieux : ce qui constitue, sinon une unique, du moins une heureuse ex-ception.

    Un autre auteur plus rcent, J.W.C. Wand, aprs avoir dit : Il nest pas dou-teux que Paul parle de temps autre du corps, de lme et de lesprit, commesi de son point de vue la psychologie avait pour base une trichotomie , observeaussitt qu' dautres moments, pourtant, il parle dune faon plus populairede lme et du corps, la manire dont nous le faisons aujourdhui 7 . R-flexion curieuse plus dun titre, sur laquelle (prise dans sa traduction fran-aise) nous ferons seulement deux remarques : Paul nenvisage pas, commelauteur parat au moins linsinuer, une trichotomie psychologique , et dau-tre part, loppos de ce que nous lisions chez Prat, Dibelius et dautres, voilque ce nest plus maintenant la trichotomie de la lettre aux Thessaloniciens,mais la simple dichotomie me-corps qui est dclare banale et populaire .

    Plus rcemment encore, E. Schweizer en revenait lide dune trichotomiepopulaire, et par consquent sans intrt : Dans le fameux passage de 1Thess. 5, 23, il conviendra de comprendre pnema, ct de psuch et desma, comme un lment de lhomme avant tout au sens de lanthropologiepopulaire. Le vu de bndiction est traditionnel, peut-tre liturgique, et nesignifie pas grand-chose sur la notion de lhomme chez Paul. La combinaisonpeut tre fortuite, comme Deut. 6, 5 8.

    Exgses diverses, qui peuvent se contredire dans les dtails, mais quipresque toutes inclinent dans le mme sens.

    Il nest pas trs difficile den dceler les raisons. Pour quelques interprtes,cest avant tout, semble-t-il, le dsir de ne pas trouver saint Paul en oppositionavec notre doctrine classique , comme disait D. Buzy (op. cit., p. 170), doc-

    7. Ce que saint Paul a vraiment dit, Trad. Banine, Stock, 1970, p. 148. (d. originale anglaise,

    Londres, 1968.) 8. Esprit dans le Nouveau Testament, volume collectif Esprit , Genve, Labor et Fides,

    1971, p. 202, et note. (Traduction franaise de larticle Pneuma du Dictionnaire bibliquede Kittel) Schweizer se rfre DIBELIUS, Thessaloniker 3 et ROBINSON, The Body,1952, p. 27, note 2.

    SAINT PAUL : CORPS, ME, ESPRIT 117

  • trine qui ne compte dans lhomme que deux lments : la matire et lesprit.Nest-ce pas l, cautionne par le triple hritage de la scolastique, du cart-sianisme et, pour la France, du spiritualisme universitaire institu par VictorCousin, la doctrine qui simpose tout esprit bien fait ? Mais, pour la plupart,une autre cause apparat dterminante. Cest une sorte de phobie, aujourdhuitrs rpandue : la phobie du platonisme . Seulement, chose qui peut paratretrange, si le texte paulinien fait penser Platon, ce nest pas toujours telle-ment parce quon le lit dans lptre aux Thessaloniciens : cest, en plus duncas, parce quon le trouve cit par Origne. Do un rflexe de mfiance. PourOrigne, en effet, lcriture ne possde-t-elle pas, comme le compos hu-main, un corps, une me et un esprit ? et cette distinction nest-elle pas ma-nifestement inspire par la trichotomie de Platon 9 ? Cest de mme proposdOrigne quun excellent historien de la vie monastique, Dom Adalbert deVogu, voque la vieille trichotomie platonicienne, dabord assume parsaint Paul 10 . LAlexandrin, chacun le sait davance, est platonicien ;mais saint Paul, lui, ne peut ltre ! Si donc, ainsi que disait le P. FerdinandPrat, cette trichotomie orignienne suppose une fausse psychologie, puisquelme et lesprit de lhomme ne sont pas des principes distincts 11 , on peutbien attribuer cette fausse psychologie un Origne, mais non point en accuser saint Paul, car la trichotomie susdite constitue vraiment un chefdaccusation : na-t-on pas accus saint Justin , lui aussi, de distinguer troislments dans lhomme 12 ? Il faut donc que le mme texte, les mmes motsnaient pas du tout