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1 Thomas Gaston Albert BEVILLE alias Paul NIGER 21 décembre 1915 à Basse-Terre, Guadeloupe 22 juin 1962 à Deshaies, Guadeloupe Rachel BEVILLE est la nièce d’Albert BEVILLE Thomas Gaston Albert BEVILLE est né le 21 décembre 1915 d’un père Noir, Raoul BEVILLE, avocat, dont il à hérité le goût de la connaissance, de la culture, l’esprit d’engagement, le respect du peuple et des gens de modeste condition. Raoul BEVILLE était le fils de d’Alphonse BEVILLE, esclave affranchi à l’âge de 16 ans le 12 octobre 1839. Scolarisé à la Guadeloupe, Raoul dut partir à Bordeaux terminer ses études secondaires puisque, seul élève de couleur de sa classe, il était le souffre douleur des autres. Il obtint sa licence de lettres à l’université d’Aix en Provence, ainsi que sa licence en droit, en décembre 1884, à l’Université de Pari s. Il s’initia aussi à l’art de l’escrime. Raoul avait épousé une blanche créole, Edmée MICHEL (1871-1923), une pianiste de talent et de grande sensibilité qui avait remporté un prix Léopold BELLAN. Une rencontre privée d’ordre symbolique des unions (blanc-noir ; noir-blanche) légales et illégales, paisibles ou problématiques dans la Guadeloupe post esclavagiste de 1850 à 1914… Les différentes étapes d’un itinéraire riche et varié d’Albert BEVILLE à Paul NIGER --les années au lycée Carnot Albert BEVILLE après des études primaires à Basse- Terre, intégra le lycée Carnot. Excellent élève, esprit calme, mesuré réfléchi, Albert BEVILLE était considéré comme un vrai maitre à penser par ses condisciples (Philogène PERICARPIN, Sylvie VENUTOLO, Guy TIROLIEN, pour ne citer qu’eux). Ses trois dernières années d’études secondaires particulièrement brillantes, lui valurent le prix du Gouverneur en 1936. *…+ Ecoutons Michel FEUILLARD, vulcanologue, et citoyen d’honneur de la ville de Saint- Claude, neveu d’Albert BEVILLE. « Au lycée de Pointe à Pitre, le proviseur avait pris l’habitude de célébrer, au mili eu de l’année scolaire, la Saint-Charlemagne.*…+ La cérémonie du lycée Carnot consistait à rassembler les meilleurs élèves de la dixième à la terminale, pour un grand banquet annuel. L’occasion était offerte au meilleur élève de la terminale d’être honoré en prenant la parole devant les plus hautes autorités de la colonie. En cette année 1936, après les mots de

Thomas Gaston Albert BEVILLE alias Paul NIGER

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Thomas Gaston Albert BEVILLE alias Paul NIGER 21 décembre 1915 à Basse-Terre, Guadeloupe

22 juin 1962 à Deshaies, Guadeloupe

Rachel BEVILLE est la nièce d’Albert BEVILLE

Thomas Gaston Albert BEVILLE est né le 21 décembre 1915 d’un

père Noir, Raoul BEVILLE, avocat, dont il à hérité le goût de la

connaissance, de la culture, l’esprit d’engagement, le respect du

peuple et des gens de modeste condition. Raoul BEVILLE était le fils de

d’Alphonse BEVILLE, esclave affranchi à l’âge de 16 ans le 12 octobre

1839. Scolarisé à la Guadeloupe, Raoul dut partir à Bordeaux terminer

ses études secondaires puisque, seul élève de couleur de sa classe, il était le souffre douleur

des autres. Il obtint sa licence de lettres à l’université d’Aix en Provence, ainsi que sa licence

en droit, en décembre 1884, à l’Université de Paris. Il s’initia aussi à l’art de l’escrime. Raoul

avait épousé une blanche créole, Edmée MICHEL (1871-1923), une pianiste de talent et de

grande sensibilité qui avait remporté un prix Léopold BELLAN. Une rencontre privée d’ordre

symbolique des unions (blanc-noir ; noir-blanche) légales et illégales, paisibles ou

problématiques dans la Guadeloupe post esclavagiste de 1850 à 1914…

Les différentes étapes d’un itinéraire riche et varié d’Albert BEVILLE à Paul NIGER --les années au lycée Carnot

Albert BEVILLE après des études primaires à Basse-Terre, intégra le lycée Carnot. Excellent élève, esprit calme, mesuré réfléchi, Albert BEVILLE était considéré comme un vrai maitre à penser par ses condisciples (Philogène PERICARPIN, Sylvie VENUTOLO, Guy TIROLIEN, pour ne citer qu’eux). Ses trois dernières années d’études secondaires particulièrement brillantes, lui valurent le prix du Gouverneur en 1936. *…+

Ecoutons Michel FEUILLARD, vulcanologue, et citoyen d’honneur de la ville de Saint-Claude, neveu d’Albert BEVILLE. « Au lycée de Pointe à Pitre, le proviseur avait pris l’habitude de célébrer, au milieu de l’année scolaire, la Saint-Charlemagne.*…+ La cérémonie du lycée Carnot consistait à rassembler les meilleurs élèves de la dixième à la terminale, pour un grand banquet annuel. L’occasion était offerte au meilleur élève de la terminale d’être honoré en prenant la parole devant les plus hautes autorités de la colonie. En cette année 1936, après les mots de

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bienvenue du proviseur et des invités. *…+ C’est Albert BEVILLE, élève de philosophie qui eut l’honneur de présenter le discours d’usage. »

Extrait du discours prononcé par Albert BEVILLE, élève au lycée Carnot*, le jour de la Saint-Charlemagne

« Nous entendons dire de partout que la jeunesse est inquiète, qu’elle a peur de l’avenir, qu’aussitôt que le jeune homme pense à choisir une carrière il achoppe car les places sont prises et il ira grossir les rangs des chômeurs intellectuels. Les faits sont tels. Mais à quoi bon criera l’impossible au lieu de chercher loyalement la cause du mal pour y porter remède, pourquoi laisser croitre ‘’le tedium vitae’’ lorsque la vie a quelque chose encore qui vaut qu’elle soit vécue. Si l’existence est dure qu’il nous soit permis comme au poète des Fleurs du Mal ‘’de trouver un goût suave au vin le plus amer’’. Ah oui… malheur { l’homme seul, malheur { celui qui n’a pour le soutenir qu’un extérieur fugitif, malheur { celui qui ne trouve ni dans son esprit, ni dans son âme l’énergie que seule peut apporter la culture désintéressée. Cultivons-nous donc, travaillons notre jardin, derrière l’avocat sans cause et le médecin sans clientèle, il faut qu’il y ait l’homme riche d’un haut idéal moral et intellectuel qui lui permette de tout surmonter et de se surpasser lui-même. » Le baccalauréat en poche, il poursuit ses études au lycée Montaigne à Bordeaux, puis au lycée Louis-Le-Grand à Paris, prépare le concours d’entrée à l’école Nationale de la France d’Outre-Mer (ENFROM) et étudie le droit en même temps.

Rachel BEVILLE Le destin d’Albert BEVILLE alias Paul NIGER Editions Nestor p.29, 91

--La guerre de 1939-1945

La « Colo » ou Ecole Nationale de la France d’Outre-mer - Avenue de l’Observatoire, Paris VIème-

La guerre de 1939-1945 rattrape Albert BEVILLE à l’issue de sa première année à l’école coloniale – L’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer – L’ENFROM. La déclaration de guerre avec l’Allemagne a lieu le 3 septembre 1939. Dès le 16 septembre on le retrouve mobilisé, dans un groupe de préparation militaire supérieure, composé d’une majorité d’étudiants, dans la 46ème compagnie d’Infanterie basée à Laval en Mayenne. *…+

Il aura le grade d’Officier. *…+ les troupes allemandes se dirigent vers Bordeaux. Là, sur le bord de la Loire, Albert BEVILLE et ses hommes font tout pour arrêter les troupes allemandes et les obliger à se fixer dans la région, afin de stabiliser le front sur la Loire. *…+ La France signe l’Armistice avec l’Allemagne le 21 juin 1940. Albert BEVILLE est décoré de la croix de guerre pour ses succès sur la Loire et pour avoir tout fait pour stopper les allemands. Démobilisé, Albert BEVILLE poursuit donc ses études à « Colo » et obtient le Brevet de l’Ecole Nationale de France d’Outre-Mer (ENFROM). Nommé administrateur des Colonies, il

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est affecté au Ministère de la France d’Outre-Mer en attendant qu’il obtienne un poste en Afrique.

Rachel BEVILLE ‘’Le destin d’Albert BEVILLE alias Paul NIGER’’ Editions Nestor novembre 2016 p.31-33

« Paul NIGER… avait abordé l’Afrique avec des yeux non d’Antillais mais d’authentique fils de l’Afrique… découvrant le continent originel avec un cœur d’Afrique battant sous l’uniforme d’administrateur des colonies » Guy TYROLIEN

--Albert BEVILLE : à la découverte de l’Afrique, terre de ses Ancêtres ; sa rencontre avec le fleuve Niger

Paris est déjà libéré et Albert BEVILLE est affecté à Porto-Novo, au Dahomey, l’actuel BENIN et il peut enfin, le cœur vibrant d’émotion, réaliser le rêve qu’il portait depuis si longtemps : Fouler le continent-mère, la terre de ses Ancêtres, la grande Afrique berceau de l’humanité, l’Afrique à laquelle l’histoire devait réserver tant de malheurs et d’épreuves. *…+ Et en décembre 1944, soit 4 mois après son

arrivée, c'est-à-dire la germination, la maturation de la réflexion et la rapidité de la prise de conscience, il compose le poème Initiation qu’il publiera en 1954, aux Editions Seghers à Paris, sous le pseudonyme de Paul NIGER. Paul, en hommage aussi à son épouse guyanaise Mme Paule MEDAN, belle femme noire, intelligente, cultivée et dévouée, fille d’un inspecteur de Centrale et dont Albert était fort amoureux. Niger, comme le nègre en lui fièrement revendiqué et assumé, c'est-à-dire Niger Nigrorum, le nègre des nègres. Niger, comme l’énigme de la vie de la mort et du destin Niger, comme le fleuve Niger. .Le fleuve Niger Paul NIGER donc, un pseudonyme qui permit à Albert BEVILLE d’endosser le masque de l’initié et de s’imprégner de la puissance du fleuve pour donner libre cours à sa parole poétique, dans la « danse des masques sacrés réservée aux initiés, à ceux qui détiennent les secrets des ancêtres, des récits mythiques et des rituels religieux ». *…+ Louis FAIDHERBE (1818-1889) et joseph GALLIENI (1849-1916) dirigèrent la pénétration coloniale française en Afrique… Avec toutes les actions et les conséquences que l’on sait… Albert BEVILLE, le guadeloupéen, arrive lui aussi en Afrique, dans un tout autre état d’esprit. Sur le terrain. Dans la trame complexe des jours et des découvertes.

Rachel BEVILLE Le destin Albert BEVILLE alias Paul NIGER Editions Nestor 2016 p. 35-38

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Okpanachi SUNDAY

S’il y a un écrivain qui souffre d’un oubli injuste, c’est le guadeloupéen Paul NIGER. De son vrai nom Albert BEVILLE, il prit le nom de Paul NIGER à son contact avec l’Afrique. Auteur d’un recueil de poèmes et de deux romans, tous les trois situés en Afrique, l’écrivain est jusqu’ici passé sous silence par les critiques de la littérature de la rencontre antillo-africaine.

Les observateurs sont plus attirés par ses activités politiques que par ses écrits littéraires. *…+ Si le militantisme indépendantiste de Paul NIGER le signalait à l’attention des patriotes guadeloupéens et évidemment à celle des services secrets français, peu d’intellectuels africains reconnaissent de nos jours ce nom. Paul NIGER était de ces antillais, qui, ayant assisté à l’anéantissement du mythe entourant la civilisation occidentale par la barbarie de la Deuxième Guerre mondiale avait succombé à la tentation de se retourner vers l’Afrique. Paul NIGER est :

1) « A mi-chemin entre Aimé CESAIRE qui ne connaissait pas l’Afrique et Léopold Sedar SENGHOR qui en est originaire »

2) « Ses écrits en Afrique sont d’une valeur certaine pour l’étude des rapports entre l’Afrique et l’imaginaire profond (Antillo-Haïtien)

Okpanachi SUNDAY School of Basics Studies Nigeria PEUPLES NOIRS PEUPLES AFRICAINS N°49 année 1986

--Amitié ou relation d’Albert BEVILLE alias Paul NIGER avec diverses personnalités de la Renaissance culturelle et politique du monde noir… Claude WAUTHIER 1923-2018

Dans l’ouvrage « L’AFRIQUE DES AFRICAINS inventaire de la Négritude » de Claude WAUTHIER, p.185-186, nous apprenons les rencontres entre Ezéchiel MPHAPELE*, écrivain d’Afrique du Sud, Thomas DIOP, Jacques RABEMANANJARA** et Paul NIGER. Les discussions passionnées auxquelles ils se livraient avaient comme thème principal : ‘’La place de l’écrivain et de l’artiste noir au sein de leurs pays respectifs’’, pays à composante

majoritairement noire d’une part et sociétés multiraciales d’autre part…

Rachel BEVILLE Le destin d’Albert BEVILLE alias Paul NIGER Editions Nestor p. 98

*Ezéchiel MPHAHLELE, ou Es’kia MPHAHLELE 1919-2008, romancier, essayiste, nouvelliste était un opposant aux lois instaurant la ségrégation raciale dans l’enseignement et à l’université. C’est un africain connu comme étant le père de l’humanisme africain et l’une des figures fondatrices de la littérature

africaine moderne. ** Jacques RABEMANANJARA 1913-2005 était un poète et un homme politique malgache d’envergure. Il fut un héros de l’indépendance malgache et l’une des grandes figures du monde politique et littéraire de Madagascar. L’Académie française lui a décerne en 1988, le grand prix de Francophonie pour l’ensemble de son œuvre.

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Prélude à une catastrophe L’Algérie, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane

Une succession d’événements et des mouvements sociaux traumatiques L’accession à l’indépendance des colonies françaises d’Afrique

Des années difficiles : 1958-1962

« Sous la IVème République, les Hommes politiques qui parlent au nom des Antillais et des Guyanais veulent pousser la logique de l’assimilation jusqu’{ gommer toute différence législative et économique entre la France et leur pays. Ils considèrent l’assimilation comme une marche vers le progrès »

Serge Mam-Lam-Fouk Professeur d’histoire contemporaine Retraité de l’Université de Guyane

Les Antilles des années 50-60 Daniel GUERIN 1904-1988 Voudra-t-on me suivre aujourd’hui dans une contrée déshéritée

entre toutes, car l’histoire semble l’avoir fourvoyée dans une impasse, dont, au premier abord, on n’est pas bien sûr qu’elle puisse jamais sortir ? *…+ s’agit-il *…+ uniquement des îles éparpillées dans la mer des Antilles ou (mer des Caraïbes) ? Notre contrée engloberait-elle certains territoires continentaux limitrophes *…+ tels que les trois

Guyanes où le Honduras britannique ? *…+ Ne sont-ils pas les fragments d’un continent effondré ? *…+ Elles sont aujourd’hui encore, non pas antillaises, mais françaises, anglaises, américaines, hollandaises, espagnoles. Elles n’ont pas cessé d’appartenir à leur métropole d’origine. Dès le premier abord, elles donnent au visiteur une surprenante impression de vétusté. *…+ Les hommes ont été émancipés, on ne les mène plus guère à coup de fouet, mais la société esclavagiste a, pour une large part, survécu. *…+ Et Joseph ZOBEL fait dire à un ancien esclave martiniquais : « Quand je fus revenu de l’ivresse de ma libération, je dus constater que rien n’était changé pour moi ni pour mes compagnons de chaines… Je restai comme tous les nègres dans ce pays maudit ; les békés gardaient la terre, toute la terre du pays, et nous continuons à travailler pour eux… » (Tiré de la rue Cases-Nègres). *…+ En bref, les Antilles servent de marchés à peu près exclusifs pour les denrées alimentaires et les produits fabriqués métropolitains qu’elles échangent contre leur sucre (et dans une moindre mesure, contre leurs bananes). *…+ les îles sont mises dans l’impossibilité de se fournir ailleurs que sur le marché métropolitain, même quand les prix du dit marché, aggravés des frais de transport, sont très supérieurs à ceux d’autres pays et la qualité des produits nettement inférieure. *…+ Les tarifs de fret de la Compagnie Générale Transatlantique, qui a le monopole de fait du trafic sont très chers. Les produits français, grâce à la politique de malthusianisme de nos industriels sont parmi les plus coûteux du monde.

Daniel GUERIN Les Antilles décolonisées Editions Présence Africaine année 1956

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--28 septembre 1958 : le ‘’OUI’’ au référendum constitutionnel L’émissaire du Général de GAULLE, André MALRAUX, avait promis aux dirigeants de la gauche des départements d’Outre-mer un certain degré de décentralisation. A condition qu’ils appellent à voter ‘’oui’’ au référendum instituant la Cinquième République. Les communistes de la Réunion, de Guadeloupe, et de Martinique, le PPM d’Aimé CESAIRE et le PSG de Justin CATAYEE n’ont rien vu venir. Justin CATAYEE, était d’autant plus difficile à contenir qu’il s’était senti trahi par le général de GAULLE qu’il avait rejoint dans la Résistance. Blessé sur le front, il avait reçu la distinction de Compagnon de la Libération.

Jean Marc PARTY France Antilles 27 juin 2017

« Le sang coule aux Antilles sous domination française. Ainsi donc les vieilles colonies empruntent donc le chemin de la ‘’rébellion’’ […] La fiction Antilles françaises, la formule « pour l’Antillais, il n’y a pas de problème » sont remises en question. Et c’est tant mieux »

Frantz FANON article paru dans El Moudjahid

La question antillaise s’internationalise par le jeu des réseaux politiques existants et des convergences idéologiques. Cuba, à partir de 1959, est devenue l’une des destinations privilégiées. L’île de Fidel CASTRO est considérée comme l’un des centres possibles de la révolution socialiste et nationaliste du tiers-monde. En 1960, les premières mesures du dispositif répressif de l’autonomisme antillais sont prises par l’impulsion personnelle du premier ministre Michel DEBRE .

Jean Pierre SAINTON La décolonisation improbable Editons Jasor p. 270-271

--Emeutes les 20, 21, 22 décembre 1959 en Martinique : Trois morts Le 20 décembre 1959 à la suite d’un banal accident de circulation entre un Français André BALDIE et un Martiniquais Frantz MOFFAT, Fort-de-France, capitale de la Martinique, est le théâtre d’une révolte populaire.

Pendant trois nuits, du 20 au 22 décembre 1959, au cours de ces incidents que l’on qualifiera plus tard d’émeutes, des manifestants des quartiers populaires, de plus en plus nombreux, s’opposent aux forces de l’ordre. A l’issue de ces événements, trois jeunes martiniquais sont tués par balles, Christian MARAJO, 15 ans, Edmond Eloi VERONIQUE dit Rosil, 20 ans, Julien BETZI, 19 ans. C’est un épisode de l’histoire contemporaine martiniquaise qui ne figure pas dans les manuels scolaires. Une page sombre qui garde sa part d’ombre.

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--Années 1950-1960 : La Guyane à la recherche de son identité, la départementalisation remise en cause

Léon Gontran DAMAS Michel LOHIER

Au cours des années 1950, des groupes nationalistes se firent entendre pour critiquer la départementalisa tion française. Le folkloriste Michel LOHIER (1891-1973) et le poète Léon Gontran DAMAS (1912-1978) militèrent pour l’affirmation d’une identité guyanaise, fondée sur des valeurs qui lui sont particulières, dont le concept de Négritude. Leurs revendications qui s’inscrivaient dans un contexte de décolonisation en Asie et en Afrique, et dans la valorisation de la négritude et de la créolité les poussèrent à demander plus d’autonomie. Sous la Vème République et l’arrivée au pouvoir du Général de GAULLE, la politique guyanaise vit naitre une opposition entre les « départementalistes et les autonomistes ». Les premiers espéraient développer et étendre le système français en Guyane, alors que les autonomistes exigeaient davantage de pouvoirs décisionnels. A partir des années 1960, le clivage entre « départementalistes » et « autonomistes » s’accentua et se radicalisa ; on vit apparaitre des mouvements séparatistes. Comme on pouvait s’y attendre, les préfets français combattirent les nationalistes guyanais et ce qu’ils qualifiaient d’ « aventure indépendantiste », en censurant la presse et en employant au besoin la répression armée pour contrecarrer les grèves, les manifestations et les émeutes. A cette époque, les nationalistes guyanais étaient témoins des poussées de fièvres nationalistes dans les pays voisins qui accédaient à l’indépendance, comme le Guyana en 1966 et le Surinam en 1975.

Guyane française : données historiques http://www.axl.ca/amsudant/guyanefr3.htm

--6 septembre 1960 le Manifeste des 121 - le droit à l’insoumission Le mot « insoumis » s’est imposé dans le vocabulaire politique quand, le 6 septembre 1960, Vérité-Liberté, un journal semi-clandestin, rend publique la Déclaration sur le droit l’insoumission dans la guerre d’Algérie, le Manifeste des 121, dans lequel s’exprime une solidarité politique et morale avec les insoumis et les déserteurs refusant de faire cette guerre, solidarité qui s’étend aux militants des réseaux de soutien au FLN, aux avocats membres des collectifs de défense des Algériens, aux intellectuels, éditeurs et journalistes engagés sur le front de l’information contre l’ordre et la défense coloniales. Comme le souligne alors François MASPERO : « Certains de ses rédacteurs ont fait remarquer que pour la première fois dans le monde, on ne réclamait plus seulement le droit du peuple à ne plus être opprimé, mais le droit à ne plus opprimer lui-même »

Nils ANDERSSON Le Club de Médiapart 6 septembre 2017

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« Sans doute nous sommes entrés dans une ère de décolonisation mais il est des Français dans l’Atlantique comme dans le Pacifique, dans l’Océan Indien comme sur le Continent américain. Soutenons ces Français, donnons-leur, quelles que soient leurs origines, des raisons qui justifient leur sentiment et leur volonté de demeurer Français ».

La doctrine Michel DEBRE premier ministre de la Vème République du 8 janvier 1959 au 14 avril 1962

--15 octobre 1960 : L’ordonnance Michel Debré, « un texte scélérat »

L’ordonnance pose que «les fonctionnaires de l’Etat en service dans les DOM dont le comportement est de troubler l’ordre public peuvent être sur la proposition du préfet et sans autre formalité, rappelés d’office en Métropole par le ministre dont ils dépendent pour recevoir une nouvelle affectation. Cette décision de rappeler

est indépendante des procédures disciplinaires dont ces fonctionnaires peuvent faire l’objet. Elle est notifiée par l’intermédiaire du Préfet qui peut prendre toutes mesures nécessaires à son exécution » Cet exil revêtait deux cas de figure :

1) Exil hors de leurs départements vers la France, l’Afrique ou la Corse. 2) Interdiction de séjour aux Antilles ou dans leur département pour ceux qui étaient en

France ou ailleurs : - Yvon LEBORGNE, professeur de philosophie fut exilé en Corse. - Antoine COMBE, un autre professeur de philosophie fut forcé de s’exiler au Congo. - Alain PLENEL, recteur de la Martinique fut expulsé de l’île pour avoir dénoncé la répression sanglante de décembre 59 en Martinique. - Georges MAUVOIS, Armand NICOLAS, Walter GUITTAUD, Guy DUFOND, membres du parti communiste préfèrent démissionner que de s’exiler. - Edouard GLISSANT fut interdit de séjour dans son île natale tout comme Marcel MANVILLE et Albert BEVILLE. Cette ordonnance a été prise dans le contexte des années 60 qui ont vu l’accession à l’indépendance de l’Indochine en 1954, de la Tunisie et du Maroc en 1956 et des colonies françaises d’Afrique.

Rachel BEVILLE ‘’le destin d’Albert BEVILLE alias Paul NIGER’’ Editions Nestor novembre 2016 p. 76-77

--24 mars 1961 : Une grève où le sang coule, La fusillade du Lamentin, trois tués

Le 24 mars 1961, les mitraillettes des gendarmes, une fois de plus faucheront des dizaines de travailleurs agricoles (3 morts, 25 blessés) dans les rues de la ville du Lamentin. *…+ C’est la grève qui commence, cette année là à l’appel de la CGT. Elle est marchante, c’est la tradition. Les ouvriers se déplacent dans l’île

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pour entrainer leurs camarades. *…+ Le 24 mars, cela provoque un important rassemblement au bourg du Lamentin. Dans l’après-midi vers 16 heures, Roger AUBERY, un des plus gros békés martiniquais, traverse le bourg en jeep, narguant les grévistes. Il est pris à partie et se réfugie dans une maison occupée par un métropolitain. L’atmosphère est explosive. *…+ Les gendarmes interviennent alors pour dégager Roger AUBERY. Sous le commandement du Commissaire de Police BASTE, les gendarmes mitraillent la foule (plus de 1200 personnes) en pleine rue de la ville. On compte 3 morts et 25 blessés. Les victimes sont Suzanne MARIE-CALIXTE (24 ans), couturière qui sortait de l’église. Alexandre LAURENCINE (21 ans) et Edouard VALIDE (26 ans), tous deux ouvriers agricoles.

Armand NICOLAS ‘’Histoire de la Martinique de 1939-1971’’ Editions L’Harmattan tome 3 2006 p205-206

--1eret 2 avril 1961 : Deuxième congrès du PCG « sur l’émancipation de toute tutelle coloniale »

Le deuxième congrès du PCG qui eut lieu les 1eret 2 avril 1961 à la mairie de Pointe-à-Pitre, réclame dans sa motion finale l’émancipation de la Guadeloupe de toute tutelle coloniale, tout en demeurant un territoire français, mais doté de son parlement et de son exécutif. Elle renouvelle ainsi sa demande d’autonomie en union avec la France.

--10 avril 1961 : Colloque à Basse-Terre sur « la question politique antillo-guyanaise » avec des personnalités anticolonialistes Après le colloque sur l’assimilation tenu les 1er et 2 avril 1958 au cinéma Renaissance de Pointe à Pitre, c’est le journal Le Progrès social qui organise le 10 avril 1961 à Basse-Terre un colloque sur « la question politique antillaise » avec des personnalités anticolonialistes de Martinique, Guyane et Guadeloupe, en particulier le Guyanais Justin CATAYEE (député de la Guyane), le Martiniquais Georges GRATIANT, et Rosan GIRARD de Guadeloupe.

--22-23 avril 1961 : Congrès fondateur du « Front antillo-guyanais pour l’Autonomie » le (FAGA) à l’Hôtel de l’Europe, Paris

A l’initiative de Marcel MANVILLE, Ephraïm MARIE-JOSEPH, Edouard GLISSANT et Albert BEVILLE, les assises du Front Antillo-Guyanais peuvent être considérées comme l’acte fondateur du nationalisme politique antillo-guyanais. Près de 600 personnes ont fait le déplacement à l’Hôtel de l’Europe pour participer aux travaux du FAGA et suivre les

interventions de Rosan GIRARD, GLISSANT, BEVILLE, MANVILLE, MARIE-JOSEPH et AKO (représentant des ouvriers antillais CGT Renault)

Page 10: Thomas Gaston Albert BEVILLE alias Paul NIGER

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--21 juillet 1961 : Dissolution du Front des Antilles-Guyane pour l’Autonomie, le (FAGA)

Le gouvernement, inquiet du succès du discours émis par le Front Antillo-Guyanais pour l’Autonomie dans la communauté antillo guyanaise en France et aux Antilles-Guyane décide la dissolution du Front le 21 juillet 1961. Il faut dire que les personnalités de premier plan en sont membres et semblent capables de mobiliser la population sur l’objectif d’autonomie. Les leaders sont le député guyanais Justin CATAYEE, le guadeloupéen

Albert BEVILLE qui est administrateur colonial, l’avocat martiniquais Marcel MANVILLE, l’écrivain martiniquais Edouard GLISSANT, lauréat du prix Renaudot, l’ancien secrétaire général du Parti communiste martiniquais Camille SYLVESTRE, et le martiniquais Cosnay MARIE-JOSEPH, fonctionnaire du trésor. Germain BEAUTIN ‘’Roland THESAUROS L’itinéraire inachevé du nationalisme guadeloupéen’’

p. L’Harmattan janvier 2020

--7 septembre 1961 : L’interdiction de quitter le territoire métropolitain, faite à six ‘’agitateurs’’, par la direction générale de la sureté ; Procès de Marcel MANVILLE en décembre 1962 à Aix-en-Provence Le 18 décembre 1962, comparution de Marcel MANVILLE (1922-1998) qui répond d’outrages à agent dans l’exercice de ses fonctions devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence. Marcel MANVILLE soutient, n’avoir jamais reçu, avant les faits du 23 janvier 1962, cette notification : « Interdiction de sortie du territoire métropolitain ». Le 23 janvier 1962, Marcel MANVILLE alors qu’il se rendait de Paris à Bangui (République Centrafricaine) pour défendre le leader de l’opposition au gouvernement de ce pays, il fut interpellé par la police, qui lui signifia l’interdiction de quitter le territoire métropolitain. Cette interdiction qui émanait de la direction générale de la sûreté datait du 7 septembre 1961 et touchait cinq autres ‘’agitateurs’’ : un guadeloupéen, M. Albert BEVILLE, administrateur de la France d’outre-mer ; deux martiniquais, l’écrivain Edouard GLISSANT, et M. Gilbert GRATIANT, professeur agrégé ; un guyanais, M. ROMAIN, ingénieur des travaux publics ; enfin M. Alain PLENEL, de Lannion (Côtes-du-Nord), agrégé de géographie.

-Procès de Marcel MANVILLE-, tribunal correctionnel d’Aix en Provence 18 décembre 1962, Le MONDE le 19 décembre 1962

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--18 mars 1962 : Signature des accords d’Evian, le cessez-le-feu en Algérie A la fin du mois de janvier 1961, des Français d’Algérie créent une organisation paramilitaire clandestine, l’OAS (Organisation armée secrète). Cette organisation va utiliser la violence pour saper les négociations entre le gouvernement français et les nationalistes algériens. Le 18 mars 1962, les accords d’Evian entre le gouvernement français et le GPRA sont signés. C’est la fin de la guerre d’Algérie. Le 1erjuillet les algériens choisissent par référendum l’indépendance. Le 5 juillet 1962, l’indépendance de l’Algérie est proclamée.

Germain BEAUTIN ‘’Roland THESAUROS L’itinéraire inachevé du nationalisme guadeloupéen’’ p. 96 L’Harmattan janvier 2020

--Le 14 juin 1962 : Le préfet de Guyane René ERIGNAC, (4 septembre 1909-1ermai 2002), fait matraquer la foule

Justin CATAYEE, en Guyane voulait imposer à tout prix son Statut Spécial.

Le gouvernement qui ne pouvait ignorer les promesses d’André MALRAUX, freinait des quatre fers. Le 14 juin 1962, le Préfet René ERIGNAC avait fait tirer sur la foule après avoir dit qu’une poignée de

manifestants ne pouvait faire le poids face à une rafale de mitrailleuse. Pour des raisons à ce jour inconnues, la 5ième flotte américaine faisait des manœuvres au large des côtes de Guyane. Intervenant à l’Assemblée Nationale le 20 juin 1962, Justin CATAYEE interrompu par le Président Jacques CHABAN-DELMAS, répliquait : « Président, c’est peut être la dernière fois que je parle dans cette enceinte ! ».

Justin CATAYEE, député de la Guyane du 30 n0vembre 1958 au 22 juin 1962

Cette phrase prophétique résonne toujours au fil des ans au Palais Bourbon. C’est pourquoi il se retrouvait le 22 juin 1962 avec Albert BEVILLE dans le Boeing « Château de Chantilly ». Ils étaient attendus à 8 heures au Progrès Social. On ne les verra jamais !

Félix RHODES Bagatelles avant et après un massacre Editions NESTOR p. 47

Conclusion : En 1962, il ne reste plus de l’ancien empire colonial français que quelques « confettis » correspondant aux départements et territoires d’Outre-mer (DOM – TOM) situés en Amérique, en Océanie et dans le Pacifique, où les revendications indépendantistes vont resurgir périodiquement.

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‘’Ce n’est pas le passé qui produit la vision actuelle que nous avons de ce passé. C’est notre présent et nos intérêts présents qui produisent notre vision du passé’’

René MENIL

Le crash du vol 117 Air France sur les hauteurs de caféière à Deshaies

le 22 juin 1962

22 juin 1962 /22 juin 2020, il y a 58 ans, un avion d’Air France en provenance de Paris, via Lisbonne, se crashait sur la montagne de Deshaies, à 04h30

L’avion un Boeing 707, baptisé Château de Chantilly, s’écrase sur le Morne du Dos d’Âne à Deshaies, alors qu’il est en approche de l’aéroport du Raizet. L’accident fait 113 morts. 103 passagers et 10 membres d’équipage. L’avion n’affiche alors que 963 heures de vol et avait fait l’objet d’une inspection la semaine précédente.

André LESIEUR

Le commandant de bord est André LESIEUR, un des pilotes les plus expérimentés de la compagnie française. Alors âgé de 42 ans, c’est un pilote décoré de la Seconde Guerre mondiale. Il a rejoint Air France en 1946 et totalise plus de 15 000 heures de vol dont 1800 en Boeing 707. Il a été plusieurs fois le pilote de l’avion présidentiel lors de voyages du Général de GAULLE dont celui aux Etats-Unis et au Canada en avril 1960.

Des personnalités politiques anticolonialistes L’avion avait à son bord, le député guyanais et membre fondateur du Parti Socialiste Guyanais Justin CATAYEE. Beaucoup estime que sa présence dans cet avion pose question. A bord de cet avion se trouvait le Guadeloupéen Albert BEVILLE, administrateur des

colonies, mais surtout membre fondateur du Front des Antilles-Guyane pour l’autonomie. A l’issue de cette création, il publie un pamphlet intitulé ‘’Les Antilles et la Guyane à l’heure de la décolonisation’’ Quelques semaines plus tard le Front fut dissous et BEVILLE interdit de séjour aux Antilles et rétrogradé administrativement. Il y avait à son bord, le jeune martiniquais Roger TROPOS président de la section de l’AGEM à Caen et Membre du Front Antillo-Guyanais pour l’autonomie. Tomy THALY, jeune martiniquais qui travaillait activement au sein de l’AGEM et qui devait jouer un rôle particulier dans le programme d’action aux Antilles.

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--Commission STORA : le rapport invalide la thèse de l’attentat dans le crash de juin 1962

Le 22 juin 1962, en vol de nuit, à 04 h 30, le Boeing 707-331 de la compagnie Air-France Château de Chantilly,

en provenance de Paris via Lisbonne et les Açores, sur le point d’atterrir à l’aéroport du Raizet-Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), s’écrase dans la forêt sur la colline de Deshaies. Il n’y a aucun survivant parmi les 103 passagers et 10 membres d’équipage. Selon les explications officielles, l’accident serait dû à une panne de VOR (Système de radio-guidage) de l’aéroport du Raizet et à une défaillance de l’ADF (automatic direction finder) de l’appareil lié aux mauvaises conditions météorologiques. Cependant les pécheurs auraient déclaré avoir vu l’appareil explosé en plein vol. La thèse de l’attentat n’a jamais pu être démontrée, mais elle fut soutenue par certains commentateurs. La raison en est que, parmi les passagers, se trouvaient deux militants anticolonialistes et autonomistes notoires : le Guadeloupéen Albert BEVILLE dit Paul NIGER qui avait réussi curieusement à s’embarquer alors qu’il était interdit de séjour aux Antilles et le député de Guyane Justin CATAYEE, qui rentrait précipitamment après la terrible répression d’une manifestation.

Rapport du 21 novembre 2016, remis à la ministre de l’Outre-mer Ericka BAREIGTS

Si la thèse de l’accident n’a pu être démontrée, celle de l’attentat { laissé des doutes

« L’accident est plausible mais il y a tant de faits troublants autour de lui que l’on ne peut pas s’empêcher de penser { l’hypothèse d’un attentat politique ».

Thèse de René BENELUS

Deux députés de la Guadeloupe (dont Paul LACAVE) sont invités à ne pas prendre cet avion là.

Un interdit de séjour en Guadeloupe, (Albert BEVILLE) est autorisé à partir ce jour là. Un commerçant de Basse-Terre est invité à débarquer à Lisbonne. La Guyane est l’eldorado qui remplace la perte du Sahara et Justin CATAYE ne veut

pas cette solution accompagnée de l’exil des pieds noirs d’Algérie. Mururoa est l’autre nécessité pour la France avec comme relai pour les porteurs de

bombe, le Raizet en Guadeloupe. Des pécheurs ont vu l’explosion de l’avion en vol. Il a plu des sièges d’avion sur la commune et dans la mer. Le nez de l’Avion est intact. Justin CATAYE venait de se faire couper le micro par Jacques CHABAN-DELMAS à

l’Assemblée Nationale et aurait déclaré que ‘’c’était la dernière fois qu’il s’adressait

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à la France’’. Le lendemain, il prenait l’avion pour rejoindre Cayenne, Ville morte ce 22 juin 1962.

Aimé CESAIRE rencontre Justin CATAYE à Orly, mais les versions divergent sur les propos tenus par les deux hommes politiques.

Delà, à conclure à un attentat ! Je vous laisse juge ! René BELENUS

Extrait du discours prononcé par Edouard GLISSANT après le crash de Deshaies

« Nos pays… ces terres si petites et si pleines de souffrance… dont l’étroitesse géographique fait rire souvent et leur attire les sarcasmes de quelques inconscients ont su produire tout au long de leur histoire des hommes aux dimensions du monde, tels Louis Delgrès ou Toussaint Louverture. Albert BEVILLE était de ceux-l{, de cette race d’hommes qui ne transigent point avec leur conscience, de ces hommes qui

savent, en toutes circonstances préférer la voie du devoir à celle des avantages. Après avoir mis à la disposition des Jeunes Républiques Africaines son expérience et ses talents d’organisateur, il avait répondu présent { l’appel des Antilles, sacrifiant sans l’ombre d’une hésitation une brillante et exceptionnelle carrière dans la haute administration. […] Pour nous étudiants sa mort en fait aujourd’hui un exemple qui s’impose { nous, dont nous devrons nécessairement nous inspirer pour mener la dure lutte qui nous attend aux côtés de nos peuples. Albert BEVILLE nous aura appris, et c’est l{ l’essentiel, { savoir renoncer, quand l’intérêt de nos peuples l’exige, soit { des avantages, soit { un attentisme lâche, voire une retraite facile ». Edouard GLISSANT Discours prononcé au nom de l’Association des Etudiants martiniquais (AGEM) à la soirée commémorative d’Albert BEVILLE, Justin CATAYEE et Roger TROPOS à Paris. Palais de la Mutualité le 6 juillet 1962.

DEUIL AUX ANTILLES : Morts au rendez-vous de la patrie… Il est bien que les Antillais et les Guyanais commémorent en même temps et d’une seule et même ferveur Albert BEVILLE, Justin CATAYEE et Roger TROPOS. Deux de ces hommes, Albert BEVILLE et Justin CATAYEE, étaient de mes amis, et la veille même de leur mort, et sans que je puisse me douter que c’était pour la dernière fois, il m’avait donné d’entendre leur voix. Pendant une heure, le matin du tragique envol, j’avais eu avec BEVILLE, dans les bureaux de ‘’Présence Africaine’’, une confiante et amicale conversation, et j’avais pu apprécier une fois de plus les qualités de l’homme, sa délicatesse, son intelligence, sa lucidité. Et le même jour, en fin de matinée, je recevais de Justin CATAYEE, un coup de téléphone qui devait se révéler plus tard le coup de téléphone de l’adieu.

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Le matin, Albert BEVILLE me faisait part de son souvenir de l’avenir antillais et de son projet de se fixer à la Guadeloupe. A midi, Justin CATAYEE me disait que la situation de son pays le préoccupait ; que son peuple avait besoin de lui et l’appelait ; que, toute affaire cessante, il partait… Le lendemain, j’apprenais leur disparition { tous deux dans des conditions tragiques, des conditions presque symboliques : morts au rendez vous de la patrie… Que dire, passé la première stupeur où cette double perte nous a plongés. Que dire, sinon que nous ne mesurerons jamais assez l’étendue de la catastrophe qu’a constitué pour le monde noir tout entier l’accident du 22 juin 1962. J’ai bien connu Justin CATAYEE, pour le coudoyer tous les jours au Parlement depuis maintenant quatre ans, pour avoir été le témoin de son activité quotidienne et, je puis dire, le confident de ses pensées politiques. De lui, je dirai que ce qui frappait en lui, ce qui galvanisait son mince corps de combattant, ce qui au plus fort des remous toujours renaissants des difficultés, le remettait toujours au sommet de la vague, le laissant toujours vif à projeter et jamais las d’entreprendre, c’était la foi... Foi dans la Guyane. Foi dans les Guyanais. Foi en lui-même. Foi en l’avenir. Par quoi il était indomptable. Justin CATAYEE, cette énergie { l’état pur, cette force que rien ne pouvait détourner de son but, ni la pauvreté de ses moyens ni le sentiment de dénuement de son pays, ce feu intérieur toujours allumé, il est significatif qu’il ne se s’est pas éteint mais, telle une gerbe de force, désintégré dans le plein de sa force et comme au plus suprême de son ignition. Tout différent d’Albert BEVILLE. Si Justin CATAYEE était l’homme d’action, le politique { l’état pur, l’homme d’une idée, l’idée guyanaise, tel était Albert BEVILLE, homme de sensibilité, homme d’imagination, poète pour tout dire. Pour lui comme pour beaucoup de notre génération, l’Afrique avait non seulement été la Mère, mais la grande formatrice, et c’est par le détour de l’Afrique, qu’il s’était initié { sa propre essence, qu’il avait forgé et appréhendé la notion de lui-même. Au moment d’écrire ces lignes, je reparcours l’œuvre poétique d’Albert BEVILLE et voici que son itinéraire se déroule tout entier devant moi : L’enfance antillaise, les études parisiennes, et puis le choc, l’Afrique. Le choc répulsif, d’abord, le dégout de l’Afrique colonisée et vassalisée, l’Afrique des ‘’yesmen’’, l’Afrique du boy et de la chicote. Et puis le choc, révélatrice d’une force qui se dégage et dont la conscience chez le poète éclate en prophétisme : « il est encore des bancs dans l’église de Dieu ; il est encore des pages blanches aux livres des prophètes. Aimes-tu l’aventure, Ami ? Alors regarde ! Un continent s’émeut, une race s’éveille. Une teinte inédite peuplera l’arc-en-ciel. L’Afrique va parler… ». Choc énergétique, aussi, et de fait, quand Albert BEVILLE réaborde ses Antilles natales, c’est en homme nouveau, il a été un des ouvriers de la résurrection de l’Afrique. Il veut être un des initiateurs de la résurrection antillaise :

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« O Bochs, ô Saramaka, il faut rire de Soulouque, mais ne pas ignorer Capra-la-Mort qui donna trois fois l’assaut { la Crête-à-Pierrot et DELGRES de Saint Charles, le plus pur de mes frères, mon maître et mon idole, l’homme entre les hommes, et le père de mes pairs. » Il n’en faut pas plus pour comprendre pourquoi et comment Albert BEVILLE, ce poète, était devenu un homme politique. L{ aussi, il s’était taillé une place unique : son expérience des affaires administratives, sa connaissance du monde, sa probité intellectuelle, son tranquille courage, sa mesure, qui n’était que la pudeur de sa fermeté, tout cela faisait de lui le leader irremplaçable que ses compagnons pleurent aujourd’hui. Mais dois-je dire, qu’{ travers les péripéties de son combat d’homme politique, qui se confondait purement et simplement avec son combat d’homme, j’entends en tambour assourdi battre encore des vers d’Albert BEVILLE, le poète : « Ton règne, hélas, ô lune de raison, va déchoir sur le monde démesuré, mais puisque, parcourus lagunes et déserts, te voilà maintenant aux bords occidentaux, dis-leur, là-bas, que je veille. » Ainsi, parle le poète { la lune qui l’incite { rêver. Maintenant que son humanité s’est défaite et refaite en histoire intelligible, m’abusé-je si je dis à ses compagnons, à sa famille, à ses frères, à ses Antilles comme à son Afrique, que les vers du poète restent vrais et que, Albert BEVILLE, comme il nous en confia jadis la nouvelle, veille encore, indestructible dans son œuvre, sur nos soucis et nos combats ?

Aimé CESAIRE Hommage à Albert BEVILLE et Justin CATAYEE Présence africaine N°42 3ème trimestre 1962 p.221-222

L’assimilation vue par Albert BEVILLE « Son efficacité vient de ce qu’elle double les moyens classiques de domination pure : forces militaires et policières, écrasement économique, d’une série de mystifications, politique, culturelle, sociale, psychologique. S’il prend la précaution de créer des alliés dans toutes les couches de la société et à toutes les périodes de l’histoire, le colonisateur prolonge indéfiniment son emprise »

Albert BEVILLE Revue Esprit ‘’Les Antilles avant qu’il ne soit trop tard’’ N° 305/4 avril 1962

Pierre Mathieu SAINTON 1924-2018

Pierre SAINTON, le « père fondateur » du nationalisme guadeloupéen, considère qu’Albert BEVILLE est le « père spirituel » du nationalisme guadeloupéen : « En son honneur et à sa mémoire, je demande de le considérer comme le père spirituel historique du G.O.N.G. Son texte « Assimilation, forme suprême du colonialisme » aurait pu servir de préambule analytique aux textes fondamentaux du G.O.N.G. Quand je le relis aujourd’hui, je reconnais sa portée pertinente et sa validité pour tout essai de structuration et tout développement de la Guadeloupe aujourd’hui encore.

Pierre SAINTON ‘’Vie et survie d’un fils de Guadeloupe’’ op cit. Editions Nestor 2008 p.193

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Guy TYROLIEN, poète guadeloupéen, considère aussi que la mort d’Albert BEVILLE, c’est surtout la perte du plus brillant intellectuel anticolonialiste au moment même de la naissance du nationalisme antillais : « Dans le cas d’Albert BEVILLE il y a eu le sentiment d’une perte irréparable […] Parce que l’homme était en pleine maturité, en pleine possession de ses moyens, et ses moyens étaient considérables. […] et je pense que le travail qu’il aurait pu faire sur le plan de la défriche intellectuelle dans un pays comme le notre – et le travail est immense qui reste à faire pour essayer de comprendre les problèmes dans leur complexité – eh bien, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de Guadeloupéens qui aient été aussi favorisés par le destin pour faire un tel travail de jardinier intellectuel. […] je pense sincèrement que le pays a beaucoup perdu en la personne de ce fils disparu trop prématurément. »

Ronald SELBONNE ‘’Albert BEVILLE alias Paul NIGER’’ Ibis Rouge Editions 30/01/2013 p. 109

Edouard GLISSANT dédie son ouvrage ‘’Le Quatrième Siècle’’ à la mémoire d’Albert BEVILLE : « Nous parlions de la Maison des Esclaves ; nous évoquions les bois sculptés grâce à quoi on repérait les marrons ; il me montra les fers qu’on leur attachait aux chevilles. Mais il regardait aussi vers l’avenir : et le présent lui est à jamais interdit. Son nom et son exemple sont pour moi inséparables de la quête que nous y menons »

Edouard GLISSANT Préface ‘’Le QUATRIEME SIECLE’’ Editions du Seuil 1964 Gallimard 1997

Le député maire Aimé CESAIRE lui aussi conscient de la perte subie avec la disparition d’Albert BEVILLE, et, dans l’hommage posthume à l’occasion du premier anniversaire de sa mort déclare : « Il a été un des ouvriers de la résurrection de l’Afrique. Il veut être un des initiateurs de la résurrection antillaise. *…+ Son expérience des affaires administratives, sa connaissance du monde, sa probité intellectuelle, son tranquille courage, sa mesure, qui n’était que la pudeur de sa fermeté, tout cela faisait de lui le leader irremplaçable que des compagnons pleurent aujourd’hui ».

Cité dans Ronald SELBONNE ‘’Albert BEVILLE alias Paul NIGER’’ p. 109

Rosan GIRARD, le fondateur du Parti communiste guadeloupéen, disait qu’Albert BEVILLE « n’était pas communiste mais était un patriote guadeloupéen lucide, compétent, modéré qui n’a jamais partagé les points de vue des nationalistes extrémistes et aventuristes sur la lutte armée ». Rosan GIRARD considérait que BEVILLE était celui auquel les communistes « pouvaient confier la direction du combat de libération nationale » puisque, selon lui, il était l’un de ceux que « la France pouvait, le mieux, accepter à la tête du mouvement de libération nationale ».

Cité dans Ronald SELBONNE ‘’Albert BEVILLE alias Paul NIGER’’ p. 100

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ANNEXES : Le lycée Carnot de Pointe-à-Pitre

« Lieu mythique s’il en fut, où Albert BEVILLE alias Paul NIGER, a cheminé de concert, de la 6ème à la terminale, avec son ami et condisciple Guy TIROLIEN, sous les regards admiratifs de plus jeunes lycéens, poètes en herbe, comme Edouard MARSOLLE, et Camille ROUSSEAU, alias Louis PORTO ». La dénomination de Lycée Carnot s’est effectuée en 1895. En hommage au président Sadi CARNOT assassiné. Le lycée Carnot devenu l’élite professionnel depuis 1979, a formé l’élite guadeloupéenne : Gilbert de CHAMBERTRAND, Gratien CANDACE, Denis et Gilbert BEVILLE, Saint-John Perse, Bertène JUMINER, Albert BEVILLE alias Paul NIGER, Henri BANGOU, Sonny RUPAIRE, Félix

PROTO, Max RIPPON, etc. sont donc passés par le lycée Carnot. L’un des premiers Noirs à être scolarisé au lycée Carnot fut Hégésippe LEGITIMUS. Le ciné-théâtre : la Renaissance

Site classé monument historique l’ex ciné-théâtre : « la Renaissance » a tenu des dizaines de décennies depuis son inauguration en 1930. Bien longtemps après sa construction, le bâtiment, certes usé par le temps, est toujours debout. Edifié au début du 20ème siècle à l’emplacement d’anciennes écuries et remplaçant la salle de spectacle incendiée en 1882. La ‘’Renaissance’’ à Pointe-à-Pitre fut la première salle de cinéma de Guadeloupe avec ses 500 places.

Toute exploitation est finalement arrêtée en 2001. Le 25 janvier 2020, un important incendie ravage entièrement l’intérieur du cinéma, déjà passablement dégradé (sa façade est étayée par des poutrelles métalliques), posant la question de sa démolition.

BIBLIOGRAPHIE : Association générale des étudiants guadeloupéens (AGEG), JInnès Guadeloup, rapport sur la jeunesse guadeloupéenne, Paris L’Harmattan, 1979. Association générale des étudiants guadeloupéens (AGEG), Notre combat (1968-1976), Paris L’Harmattan 1976. BEAUTIN Germain, Préface de Jean Claude WILLIAM Roland THESAUROS L’itinéraire inachevé du nationalisme guadeloupéen, Paris, L’Harmattan, 2020 BELENUS René, SAINTON Jean Pierre, et SEMPAIRE Eliane, L’histoire des élections législatives de 1848 à 1981, dans Sept Magazine, dossiers et documents, hors-série N°1, mars 1993. BEVILLE Rachel, Le destin Albert BEVILLE alias Paul NIGER, Gourbeyre, Editions Nestor, novembre 2016. BLERALD Alain-Philippe, La question coloniale en Guadeloupe et en Martinique. Essai sur l’histoire politique, Paris, L’Harmattan, 1988. BROSSART Alain et Daniel MARAGNES, La Guadeloupe dans l’impasse, Paris, Editions caribéennes, 1981. CESAIRE Aimé, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, 1ère édition 1950. FANON Frantz, Peau noire, masques blancs, Editions du Seuil, 1952. GLISSANT Edouard, Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981. GUERIN Daniel, Algérie1954-1965 : Un combat anticolonialiste, Paris, Les amis de Spartacus, 2017. GUERIN Daniel, Les Antilles décolonisées, Paris, Présence Africaine, 1956. MANVILLE Marcel, Les Antilles sans fard, Paris, L’Harmattan, 1992 RODES Félix, Bagatelles avant et après un massacre, Gourbeyre, Editions Nestor, 2007 SAINTON Jean-Pierre, La décolonisation improbable : Cultures politiques et conjonctures en Guadeloupe et en Martinique (1943-1967), Paris, L’Harmattan, 2012. SAINTON Pierre Mathieu, Vie et survie d’un fils de Guadeloupe, Gourbeyre, Editions Nestor, 2008 SELBONNE Ronald, Préface de Christiane TAUBIRA, Albert BEVILLE alias Paul NIGER, Matoury, Editions Ibis Rouge, 2013