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TITRE IV LE NANTISSEMENT CHAPITRE 1 er – NOTIONS FONDAMENTALES SECTION 1. DEFINITION GENERALITES 1. Le gage est un contrat par lequel une personne (soit le débiteur, soit un tiers agissant pour le débiteur) remet une chose à une autre personne (soit le créancier, soit un tiers convenu entre les parties) pour garantir la bonne exécution d’une ou de plusieurs obligations (article 2071 alinéa 1 er du Code civil) 1 . Le gage a pour but de procurer à un créancier une sûreté sur un bien meuble et donne lieu à un privilège sur le prix de réalisation de la chose nantie (article 2073 du Code civil et article 20-3° de la loi hypothécaire). Par dérogation au principe fixé par l’article 12 de la loi hypothécaire, le privilège n’est pas attaché à la qualité de la créance ; il découle d’une convention née de la volonté des parties et pouvant garantir toutes créances quelconques. 2. Le mot « gage » désigne la convention qui donne naissance à la sûreté. En pratique, on appelle également « gage » la chose elle-même qui en constitue l’assiette. 3. L’objet du gage sera toujours un bien meuble, corporel ou incorporel. SECTION 2. DISTINCTIONS A. Le nantissement et l’antichrèse 4. A l’origine, le nantissement était un terme générique visant diverses formes de sûretés conventionnelles par lesquelles un débiteur remet une chose à un créancier pour garantir une obligation 2 . C’est pourquoi l’article 2072 du Code civil énonce que : « Le 1 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1008. 2 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1007.

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TITRE IV

LE NANTISSEMENT CHAPITRE 1er – NOTIONS FONDAMENTALES SECTION 1. DEFINITION – GENERALITES 1. Le gage est un contrat par lequel une personne (soit le débiteur, soit un tiers agissant pour le débiteur) remet une chose à une autre personne (soit le créancier, soit un tiers convenu entre les parties) pour garantir la bonne exécution d’une ou de plusieurs obligations (article 2071 alinéa 1er du Code civil)1. Le gage a pour but de procurer à un créancier une sûreté sur un bien meuble et donne lieu à un privilège sur le prix de réalisation de la chose nantie (article 2073 du Code civil et article 20-3° de la loi hypothécaire). Par dérogation au principe fixé par l’article 12 de la loi hypothécaire, le privilège n’est pas attaché à la qualité de la créance ; il découle d’une convention née de la volonté des parties et pouvant garantir toutes créances quelconques. 2. Le mot « gage » désigne la convention qui donne naissance à la sûreté. En pratique, on appelle également « gage » la chose elle-même qui en constitue l’assiette. 3. L’objet du gage sera toujours un bien meuble, corporel ou incorporel. SECTION 2. DISTINCTIONS A. Le nantissement et l’antichrèse 4. A l’origine, le nantissement était un terme générique visant diverses formes de sûretés conventionnelles par lesquelles un débiteur remet une chose à un créancier pour garantir une obligation2. C’est pourquoi l’article 2072 du Code civil énonce que : « Le

1 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1008. 2 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1007.

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nantissement d’une chose mobilière s’appelle gage. Celui d’une chose immobilière s’appelle antichrèse ». 5. L’antichrèse est une forme de sûreté réelle portant sur un immeuble ; cette forme est tombée en désuétude, car elle requérait la dépossession du débiteur3. Elle a été supplantée par l’hypothèque4. 6. L’une des caractéristiques du nantissement, et partant du gage, est, en principe, la dépossession du débiteur quant à la chose nantie et la mise en possession de cette chose entre les mains du créancier5 (ou d’un tiers convenu). B. Les différentes formes de gage et leurs sources 7. L’on distingue plusieurs formes de gage : - le gage civil, lorsque l’obligation garantie est de nature civile (articles 2073 à 2084

du Code civil) ; - le gage commercial, lorsque l’obligation garantie est de nature commerciale (loi du

5 mai 1872) ; - le gage sur fonds de commerce, qui est une forme de sûreté sans dépossession

dont l’objet est un fonds de commerce (loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que l’agréation et l'expertise des fournitures faites directement à la consommation) ;

- le gage dit de la « facture », qui est une forme de gage civil ou commercial portant

sur une créance constatée par une facture (loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que l’agréation et l'expertise des fournitures faites directement à la consommation) ;

- le warrant (loi du 18 novembre 1862 portant institution du système des

warrants) ;

3 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1096 ; voir les articles 2085 à 2091 du Code civil. 4 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 232 ; voir cependant, Cass. fr., 18 décembre 2002, J.T., 2005, note BEGUIN. 5 Sur les origines historiques de l’exigence de la dépossession, voy. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1010 ; en droit comparé, voy. D. LECHIEN, « Questions de droit comparé des sûretés réelles », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 213 et suiv.

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- le gage de la police d’assurance vie (articles 117 et 118 de la loi du 25 juin 1992

sur le contrat d’assurance terrestre) ; - le gage d’instruments financiers placés sous un régime de fongibilité (article 5 de

l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 favorisant la circulation des instruments financiers et la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financier) ;

- le gage sur titres émis par des sociétés commerciales (Code des sociétés) ; - le gage de droits intellectuels. SECTION 3. IMPORTANCE ECONOMIQUE 8. Le gage a été originairement réglementé par le Code civil, mais de manière sommaire, en raison du peu d’importance reconnue à l’époque à la fortune mobilière. L’expansion de celle-ci aux XIXème et XXème siècles, ainsi que l’accumulation des richesses industrielles et manufacturières ont conduit à la constitution de stocks de marchandises et ont entraîné un recours croissant à la technique du gage. Cette technique permet au commerçant dont les capitaux sont investis en biens affectés à son exploitation, de mobiliser ces derniers pour obtenir, par le crédit, les liquidités nécessaires au fonctionnement de son entreprise. Parallèlement, le développement considérable des valeurs mobilières a permis de plus en plus fréquemment l’octroi de facilités bancaires garanties par des titres. 9. Les formalités prescrites par le Code civil étaient cependant peu adaptées aux nécessités du commerce. L’exigence d’un écrit enregistré, la dépossession du débiteur ou les formalités de réalisation du gage civil constituaient des freins indéniables au recours à cette sûreté. Le législateur a, par conséquent, assoupli les formalités du gage civil par l’introduction des nouvelles formes de gage que sont, notamment, le gage commercial, le warrant ou le gage sur fonds de commerce. Il a assoupli également les formalités de constitution du gage sur créances en réformant les articles 1690 et 2075 du Code civil, par la loi du 6 juillet 1994.

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Enfin, plusieurs lois promulguées dans le domaine financier ont conduit à favoriser grandement le recours aux sûretés portant sur des instruments financiers, créances ou espèces. 10. La pratique a, de surcroît, développé d’autres formes de garanties conventionnelles portant sur des choses mobilières, telles que le versement d’une somme d’argent à titre de garantie ou la cession de la propriété d’un bien à titre fiduciaire. Ces conventions ont toutefois longtemps présenté sous certains aspects une sécurité juridique moindre que le gage. Dans le domaine financier, en tous cas, elles sont désormais largement consacrées par la loi. CHAPITRE II – LE GAGE CIVIL SECTION 1. CARACTERE DU CONTRAT DE GAGE A. Introduction 12. Le gage est un contrat - réel, - accessoire, - unilatéral. B. Caractère réel § 1. Solution traditionnelle 13. L’on enseigne traditionnellement que le contrat de gage est un contrat réel6. La Cour de cassation l’a affirmé à plusieurs reprises7.

6 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1013, 1046 et 1047 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 244-245. 7 Cass., 1er juin 1878, Pas; 1878, I, 279; Cass., 11 juillet 1907, Pas., 1907, I, 328 ; Cass., 10 juillet 1941, Pas., 1941, I, 295 ; voy. la jurisprudence citée par A.M. STRANART, « Chron. de jur. », Rev. Banque, 1975, p. 237, note 24.

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Dès lors que le gage est considéré comme un contrat réel, l’on en déduira que : - avant la remise de la chose, ou en l’absence de toute tradition, le contrat de gage

n’est pas valablement formé entre les parties ; - l’échange des consentements ayant éventuellement précédé la remise de la chose

n’est qu’une promesse de gage8 ; - pour déterminer le moment où le gage a été constitué, il faut se placer non à la

date du contrat (même si celui-ci a été enregistré), mais à la date de la remise de la chose ;

- si la remise de la chose a lieu en période suspecte précédant la déclaration de

faillite du débiteur, alors que l’obligation garantie existe déjà, le gage vient alors garantir une obligation née antérieurement et sera inopposable à la masse des créanciers (article 17-3° de la loi sur les faillites), même si la chose est remise en vertu d’un contrat qui fut conclu simultanément à la naissance de l’obligation garantie ; ce contrat ne constitue en effet qu’une promesse de gage. Seule la remise de la chose donne naissance au gage lui-même. Il en va de même du gage constitué en période suspecte par le biais d’un mandat irrévocable consenti lors de la naissance des créances garanties. En effet, un tel mandat ne peut conférer au gage un effet rétroactif9.

La solution s’impose également, non seulement sur le fondement de l’article 17-3°

de la loi sur les faillites, mais également sur le fondement de l’article 17-1° de la même loi, qui sanctionne les actes faits à titre gratuit ou sans contrepartie suffisante, lorsque le gage est constitué par une société mère, tombée ultérieurement en faillite, pour garantir les dettes antérieurement contractées par sa filiale envers le créancier gagiste10. Rappelons que c’est le tribunal de commerce qui doit fixer la date du début de la cessation de paiements (article 14 de la loi sur les faillites).

§ 2. Remise en question de la solution traditionnelle

8 Voy. notamment Cass., 7 avril 1967, Pas., 1967, I, 926 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 249. 9 Anvers, 5 novembre 1996, R.W., 1997-1998, p. 301. 10 Cass., 9 mars 2000, Bull., 2000, p. 542 ; Lar. Cass., 2000, p. 127 ; R.D.C.B., 2000, p. 782, note LEUNEN ; R.W. 2000-2001, p. 622.

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14. L’analyse traditionnelle faisant du gage, un contrat réel a été remise en question de manière générale11 ou seulement pour le gage sur choses incorporelles non représentées par un titre négociable, telles les créances ordinaires12. Selon cette doctrine, le gage serait un contrat consensuel qui se trouve valablement formé entre les parties dès l’échange des consentements. Avant que le législateur, lors de la réforme des articles 1690 et 2075 du Code civil, n’adopte cette analyse en matière de créances ordinaires, un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles13 l’avait déjà consacrée, mais la Cour de cassation n’avait jamais eu l’occasion de se prononcer. 15. La doctrine traditionnelle confère au gage le caractère d’un contrat réel pour les raisons suivantes14 : - d’une part, la dépossession se justifierait pour des raisons de publicité, à savoir par

le souci d’avertir les tiers de l’existence du gage. On aperçoit immédiatement que ce premier fondement ne concerne que les relations à l’égard des tiers et ne concerne pas les parties ;

- d’autre part, la dépossession se justifierait également par le souci de protéger le

créancier gagiste contre son débiteur en raison de l’inexistence d’un droit de suite en matière mobilière : la dépossession est de nature à empêcher que le débiteur ne constitue un nouveau gage ou n’aliène le bien.

16. Les tenants de la thèse du consensualisme font valoir, d’une part, que le même souci de protection devrait alors exister davantage à l’égard de l’acheteur, alors pourtant que la vente est un contrat consensuel. D’autre part, ils aperçoivent mal pourquoi la convention précédant la remise de la chose ne serait qu’une « promesse » de gage de sorte qu’un nouvel échange de consentements serait nécessaire lors de la remise de la chose pour faire naître le gage. Ils font observer que par cette prétendue « promesse », les parties se sont complètement et définitivement mises d’accord sur la créance garantie et sur le nantissement, de telle sorte que tous les éléments de leur volonté commune de s’obliger quant à la constitution de la sûreté sont présents dans et dès cette convention. La remise de la chose ne s’accompagnant d’aucune expression de volonté nouvelle, elle 11 Voy. A.M. STRANART, « Le gage, contrat réel : une fiction ? », J.T., 1976, p. 237. 12 Voy. J. VAN COMPERNOLLE, in Les sûretés, Colloque ULB – Feduci, 1983, n° 24 à 31, p. 74 à 79 ; D. LECHIEN, « La mise en gage des créances non incorporées dans un titre », R.D.C., 1990, p. 3 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 256-257. 13 Bruxelles, 13 janvier 1989, R.D.C., 1990, p. 20 ; Comp. Ph. COLLE, « La mise en gage d’une créance non incorporée dans un titre négociable », J.T., 1992, p. 377. 14 Ph. COLLE, « La mise en gage d’une créance non incorporée dans un titre négociable », J.T., 1992, p. 377.

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ne peut donc constituer un nouveau contrat (le gage) ; elle ne représente en réalité que l’exécution de l’engagement déjà formé, exécution que le créancier pourrait d’ailleurs obtenir en nature par la remise forcée de l’objet15. Il reste que, dans l’état actuel du droit positif, le gage reste considéré comme un contrat réel, hormis lorsqu’il porte sur des créances ordinaires, en ce sens que le consentement du constituant de la sûreté n’est censé être parfait que lorsqu’il s’accompagne de la remise de l’objet concerné, réellement ou symboliquement. Il s’agit encore aujourd’hui, avant toute chose, d’un mode de protection du consentement du constituant, jugé insuffisant en soi à former valablement le contrat. § 3. Le gage sur créance : contrat consensuel depuis l’entrée en

vigueur de la loi du 6 juillet 1994 17. La controverse relative au caractère réel ou non du contrat de gage a en tout état de cause été résolue par le législateur pour ce qui concerne le gage sur créance ordinaire, par la modification qu’il a apportée à l’article 2075 du Code civil. La loi du 6 juillet 1994 (dont l’intitulé16 ne laisse pas présager de son contenu) a eu pour effet de donner au gage sur créance le caractère d’un contrat consensuel. L’article 2075 du Code civil prévoit désormais que le créancier est mis en possession de la créance engagée par la conclusion de la convention de gage ». Ce texte est fondé sur une fiction selon laquelle la mise en possession (requise par l’article 2076 du Code civil) a lieu par la conclusion du contrat de gage, ce qui donne au contrat de gage sur créance le caractère d’un contrat consensuel17.

15 STRANART, Sûretés, n° 17. 16 Loi « modifiant la loi du 17 juin 1991 portant organisation du secteur public du crédit et de la détention des participations du secteur public dans certaines sociétés financières de droit privé, ainsi que de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit ». Cette loi avait pour objet principal de modifier le statut de la C.G.E.R. et de certaines de ses filiales. Le gouvernement y a introduit des amendements visant à réformer notamment les articles 1690 et 2075 du Code civil afin d’assouplir les formalités de cessions et de mises en gage de créances dans le contexte de projets de titrisation évoqués à l’époque (voy. sur cette genèse, P.A. FORIERS, (éd), La cession de créances, Introduction, Ed. du Jeune Barreau, 1995, p. 11, I ; P. WERY, op. cit., p. 12 et suiv.). 17 VAN OMMESLAGHE, “Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage de créances”, J.T., 1995, n° 20.

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18. Cette réforme s’applique expressément au gage sur créance, mais ne s’applique pas aux autres meubles incorporels, telles les actions nominatives de sociétés commerciales ou les droits intellectuels18. C. Caractère accessoire – Le gage pour sûreté de « toutes

sommes dues ou à devoir » § 1. Exposé du principe et de ses limites 19. La notion d’accessoire est une notion fondamentale pour toutes les formes de sûretés conventionnelles qu’elles soient personnelles (comme le cautionnement) ou réelles (comme le gage ou l’hypothèque). 20. Le gage, comme toute sûreté conventionnelle, est l’accessoire de l’obligation principale garantie ; cela signifie qu’il en est partiellement dépendant. Il en découle que le sort du gage est, en principe, lié à celui de l’obligation principale. Ainsi, par exemple, la nullité de la créance garantie entraîne la disparition du gage. 21. Cette dépendance n’est toutefois pas sans limites : - le gage obéit à des règles propres pour la question de sa validité ; - le gage peut avoir une cause distincte de la cause de l’obligation garantie ; - la naissance et la vie du gage ne dépendent pas nécessairement de l’existence de

l’obligation garantie ; l’obligation principale ne doit exister qu’au moment de la constitution du gage.

§ 2. L’arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 1974 22. Cette dernière règle a été dégagée par la Cour de cassation dans son fameux arrêt « Mengal ».

18 Voy. par exemple, en matière de brevets, l’article 46 de la loi du 28 mars 1984 et, en matière de marques, les articles 11-C et 15-A nouveaux de la loi uniforme Benelux sur les marques, tels que modifiés lors de l’adoption du Protocole du 2 décembre 1992 portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques – Voy. A. VERBEKE et I. PEETERS, Voorrechten, hypotheken en andere zekerheden, permanent documentatiesysteem, 1995, n° 2, p. 175, n° 458-459.

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Dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt, la question se posait de savoir s’il est possible de constituer valablement un gage pour sûreté d’une créance encore inexistante, comme par exemple pour sûreté de « toutes sommes dues ou à devoir » dans la mesure où les sommes « à devoir » sont nécessairement des créances futures. Après de multiples rebondissements judiciaires, la Cour de cassation, statuant en chambres réunies, par son arrêt du 28 mars 197419, rejeta le pourvoi dirigé contre l’arrêt prononcé par la Cour d’appel de Bruxelles le 25 février 197220. La Cour de cassation décida que le gage (en l’occurrence un gage sur fonds de commerce) peut être, en vertu de l’article 1130 alinéa 1er du Code civil, « constitué pour la garantie de dettes conditionnelles ou futures, sous la seule réserve (que ces dettes) soient déterminées ou déterminables au moment de la constitution de la sûreté ». La Cour a jugé que « les créances futures ont un caractère suffisamment déterminé ou déterminable - si la convention instituant la sûreté permet de les définir, - et s’il résulte des éléments de la cause qu’elles sont effectivement de celles que les

parties avaient entendu assortir de la garantie ». La possibilité de garantir par un gage actuel une dette future, montre bien la portée exacte du caractère accessoire de ce contrat : ce caractère gît exclusivement dans l’exigence que pareil contrat ne puisse être exécuté (et non pas conclu) en l’absence d’obligation principale garantie. L’exigence est donc satisfaite dès lors que l’acte constitutif de la sûreté permet de définir l’obligation garantie et que l’obligation pour laquelle le créancier poursuit l’exécution est bien comprise parmi les obligations que les parties avaient entendu garantir par la sûreté. Au regard du critère de déterminabilité ainsi défini, la constitution d’un gage « pour toutes sommes » est valable, à condition que l’acte constitutif contienne un élément quelconque rendant ultérieurement possible la détermination de la créance garantie. C’est ce que Van Gerven exprimait déjà en exigeant que la constitution de la sûreté s’inscrive dans un « cadre général préétabli » (« een vastgesteld algemeen kader »)21.

19 Pas., 1974, I, 776. 20 J.T., 1972, p. 246. 21 VAN GERVEN, Beginselen, Handels en Economisch Recht, Deel I, Ondernemingsrecht, p. 463 et 475.

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23. La référence à pareil cadre général préétabli peut se faire dans l’acte constitutif par la mention de ce que la sûreté garantit toutes sommes nées dans le cadre des relations d’affaires entre les parties, ou en vertu des opérations bancaires et financières que les parties viendraient à conclure, ou encore en raison des ouvertures de crédit et du fonctionnement des comptes entre le créditeur et le constituant. La nécessité pour la créance en vertu de laquelle l’exécution est poursuivie, d’être « de celles que les parties avaient entendu assortir de la garantie », présente deux aspects distincts mais complémentaires. D’une part, les effets d’une sûreté doivent se situer dans le champ contractuel issu de la volonté commune des parties, étant admis que le concept de « prévisibilité raisonnable » fait partie de la déterminabilité des créances garanties22. D’autre part, elle est la manifestation de la portée du principe de l’accessoire tel que le comprend la Cour de cassation ; c’est au moment de l’exécution qu’il faut vérifier à l’aide des éléments de la cause si les créances pour lesquelles celle-ci est demandée, faisaient partie de ce champ contractuel. 24. Nulle juridiction ne conteste dès lors qu’un droit de gage pour sûreté de toutes sommes dues ou à devoir par le débiteur au créancier est valable si l’acte de gage permet de déterminer les créances garanties. Selon un jugement rendu le 24 juin 2002 par le tribunal de commerce de Ypres, la référence faite dans l’acte à la relation d’affaires entre les parties représente un critère suffisant de déterminabilité des créances principales. Le tribunal précise que la validité de la sûreté ne se trouve pas atteinte par la fusion du créancier gagiste avec une société repreneuse de son activité, pour autant que les créances à rembourser par le biais de la réalisation de la garantie ne naissent pas d’une relation d’affaires entièrement nouvelle23. 25. L’arrêt Mengal – on l’a vu – a été rendu à propos d’un gage sur fonds de commerce. Mais sa formule volontairement large et souple rend l’enseignement qu’il consacre applicable à toutes les sûretés24 sous la réserve de l’hypothèque pour laquelle la question était controversée jusqu’à l’adoption de la loi du 13 avril 1995 modifiant la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire25. Cette loi introduit un nouvel article 51bis dans la loi sur le crédit hypothécaire afin de permettre la constitution d’hypothèques pour sûreté de créances futures. Il est remarquable de constater que le législateur a subordonné cette validité à ce que « les créances garanties soient déterminées ou déterminables », en reprenant le critère dégagé par la Cour de cassation dans l’arrêt Mengal.

22 Voy. VAN GERVEN, op. cit., p. 479. 23 R.W., 2003-2004, p. 111. 24 Voy. STRANART, Sûretés, n° 18. 25 M.B. 7 juin 1999.

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§ 3. L’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 1966 26. Le gage présente également, dans une certaine mesure, une autonomie de cause par rapport au contrat principal. Un arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 196626 autorise cette déduction. 27. Les faits qui y ont conduit peuvent être résumés comme suit. Séduit par l’employée d’un fonds de commerce ayant pour activité le débit de boissons, un client habituel décide d’acquérir ce fonds, sur l’offre de sa propriétaire. En garantie du paiement de ses obligations, l’acquéreur remet à la venderesse une certaine quantité de titres en gage. Pour des raisons obscures, l’opération échoue par la suite. L’acheteur poursuit alors la nullité de la convention de cession de fonds de commerce, reconnaît et même invoque à l’appui de sa demande que son consentement reposait sur une cause illicite, contraire aux bonnes mœurs, la vente ayant pour seul but de lui permettre d’entretenir avec l’employée du bar des relations sexuelles hors mariage. 28. La vente était donc nulle, de nullité absolue, et le prix convenu, en principe, ne devait pas être payé. Qu’en est-il en ce cas du contrat de gage ? Faut-il considérer que, privé d’obligation principale comme cause, le gage serait simplement caduc, ou même nul ab initio, mais sans atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, car, en soi, la cause conçue abstraitement comme l’obligation de payer le prix d’achat d’un fonds de commerce n’est pas immorale ? Faut-il au contraire considérer que le gage, comme contrat, a une cause propre, constituée des mobiles déterminants du consentement à conférer la sûreté, et non abstraitement identifiée comme étant seulement l’existence d’une obligation principale à garantir ? Selon la première analyse, l’application des adages « Nemo auditur turpitudinis suam allegans » et « In pari causa turpitudinis cessat repetitio » doit être écartée et les biens remis en gage doivent être restitués au constituant, alors que selon la seconde, le juge peut, s’il constate que les mobiles déterminants propres au gage sont illicites, laisser les parties dos à dos et refuser la restitution s’il estime qu’ainsi l’ordre social troublé serait plus convenablement restauré. 29. C’est ce qu’en l’espèce les juges du fond avaient décidé, sans encourir la censure de la Cour suprême. Pas de restitution donc des titres gagés, en raison de l’immoralité de la cause propre de la sûreté, considérée concrètement. En l’occurrence, les mobiles déterminants immoraux avaient conduit tout à la fois à la conclusion de la convention principale et à la conclusion de la sûreté. En fait, ces mobiles étaient donc semblables. En 26 R.C.J.B., 1967, p. 5, avec la note J. DABIN, « In pari causa turpitudinis cessat repetitio – fondements, conditions et champ d’application de l’adage ; quid pour les choses données en gage ».

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droit, il a fallu néanmoins vérifier leur portée séparément. Cette distinction peut receler une importance considérable, notamment lorsque la sûreté est constituée par un tiers bailleur de gage : les mobiles ayant déterminé ce dernier à conclure le contrat peuvent être totalement différents de ceux ayant présidé à la conclusion de l’obligation principale par le débiteur. Les premiers peuvent être illicites alors qu’il n’en serait rien des seconds, et inversement. Les effets de ces situations sur la survie des conventions principale et accessoire sont donc vérifiés distinctement. D. Caractère unilatéral 30. Le gage est un contrat unilatéral parce qu’il n’engendre d’obligation qu’à charge du créancier27. Les obligations mises à charge du débiteur par l’article 2080 alinéa 2 du Code civil, qui dispose que « De son côté, le débiteur doit tenir compte au créancier des dépenses utiles et nécessaires que celui-ci a faites pour la conservation du gage », n’altèrent pas le caractère unilatéral du gage. Ce sont des obligations qui ne naissent pas du contrat de gage, mais d’un fait casuel postérieur à sa naissance du contrat de gage. 31. Il en découle que : - le créancier gagiste ne peut invoquer l’exception d’inexécution ; dès que le

constituant a remis la chose, il a exécuté toutes les obligations qui lui incombent ; - l’action en résolution de l’article 1184 du Code civil n’est pas ouverte aux

parties ; des sanctions spécifiques existent cependant en faveur du créancier, telles la déchéance du terme prévue par l’article 1188 du Code civil selon lequel « Le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsqu’il a fait faillite, ou lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu’il avait données par le contrat à son créancier » ; ou en faveur du débiteur, telle la déchéance pour abus du créancier prévue par l’article 2082 alinéa 2 du Code civil aux termes duquel « le débiteur ne peut, à moins que le détenteur du gage n’en abuse, en réclamer la restitution qu’après avoir entièrement payé, tant en principal qu’intérêts et frais, la dette pour sûreté de laquelle le gage a été donné ».

- l’article 1325 du Code civil, imposant, pour la constitution de preuves régulières,

la confection d’un original par partie dans les contrats synallagmatiques, est inapplicable.

27 Voy. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1014.

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SECTION 2. CONDITIONS DE VALIDITE DU GAGE A. Le consentement des parties 32. Le droit commun des contrats s’applique. Le consentement du débiteur et celui du créancier sont requis. 33. Si le gage est constitué par un tiers, généralement appelé « tiers bailleur de gage » (article 2077 du Code civil), le consentement du débiteur n’est pas requis. Dans ce cas, il s’établit deux groupes de rapports juridiques distincts l’un de l’autre28, outre le contrat principal donnant lieu à l’obligation garantie : - les rapports entre le créancier et le tiers bailleur du gage, qui sont régis par le

contrat de gage, - les rapports entre le débiteur de l’obligation garantie et le tiers bailleur de gage,

qui s’analysent généralement en un mandat, une gestion d’affaires ou une autre convention ou relation justifiant l’appui du tiers.

34. Le tiers bailleur de gage n’est tenu que « propter rem » ; il ne devient pas débiteur de l’obligation garantie. Le créancier n’a de recours que sur la chose affectée en gage par le tiers constituant. Si le bien est réalisé, le tiers constituant du gage dispose d’un recours à l’encontre du débiteur sur la base de la subrogation29. B. La capacité des parties § 1. Dans le chef du constituant (débiteur ou tiers bailleur de gage) 35. Le constituant doit avoir la capacité d’aliéner : - le gage établit un droit réel sur la chose au profit du créancier (ce qui implique un

démembrement du droit de propriété) ;

28 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, 1028. 29 Liège,18 novembre 1994, J.L.M.B., 1995, p. 1262.

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- le gage peut résulter en une aliénation de la chose en cas de réalisation du gage par le créancier.

36. Seul le propriétaire du bien peut mettre fin à celui-ci30. 37. La sanction est la nullité relative du contrat qui protège uniquement le constituant incapable ; seul celui-ci peut invoquer la nullité. En cas d’annulation du contrat de gage, le créancier devra restituer l’objet du gage mais l’obligation principale subsistera en principe sauf si la constitution du gage a été déterminante de la naissance de l’obligation. Après sa déclaration de faillite, le constituant ne peut plus affecter un de ses biens en gage. Il ne peut donc plus exécuter une promesse de gage antérieurement contractée. L’article 16 de la loi sur les faillites dispose, en effet, que « le failli, à compter du jour du jugement déclaratif de faillite, est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu’il est en état de faillite. Tous paiements, opérations et actes faits par le failli et tous paiements faits au failli depuis ce jour sont inopposables à la masse ». 38. Par ailleurs, l’article 215 § 1er alinéa 2 du Code civil fait défense à l’un des conjoints de donner en gage, sans l’accord de l’autre, les meubles meublants du logement principal de la famille. A défaut d’avoir été constitué dans le respect de cette disposition légale, le gage peut être annulé à la demande du conjoint non consulté (article 224 du Code civil). Dans le même ordre d’idées, le juge de paix peut faire défense à une personne, à la demande de son conjoint, de donner en gage des biens relevant du patrimoine commun (article 1421 du Code civil) ou même, dans certaines conditions, certains de ses biens propres (article 223 du Code civil). En outre, l’article 1422 du Code confère au tribunal de première instance, saisi par l’un des époux présentant un intérêt légitime, le pouvoir d’annuler, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi, l’acte accompli par l’autre époux, notamment en fraude des droits du demandeur. Dans une espèce où des titres relevant du patrimoine commun avaient été remis en gage par un seul des époux, sans l’accord de l’autre, le tribunal de commerce de Louvain, par son jugement du 8 juin 199331, a refusé d’annuler la sûreté en considérant que la bonne foi du créancier gagiste pouvait se déduire de l’absence d’insertion dans le texte des documents constitutifs du gage, de toute mention relative au mariage du constituant. Enfin, après le dépôt d’une demande en divorce, le président du tribunal de première instance peut prononcer le même type d’interdiction (article 1280 du Code judiciaire).

30 Liège, 22 décembre 1992, J.L.M.B., 1995, p. 134. 31 A.J.T., 1999-2000, p. 388, note WAGNER.

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§ 2. Dans le chef du créancier 39. Il suffit de la capacité de s’obliger et d’accomplir des actes d’administration : - le créancier s’oblige en effet à restituer la chose mise en gage, - il s’oblige également à entretenir et à conserver la chose en vertu de l’article 2080

alinéa 1er du Code civil. § 3. Restrictions particulières 40. L’article 306 du Code pénal punit ceux qui auront tenu des maisons de prêts sur gage sans autorisation légale. Cette disposition, destinée à protéger le monopole des Caisses Publiques de Prêts (anciens Monts de Piété) organisées par la loi du 30 avril 1948, n’interdit que le prêt sur gage de choses corporelles et ne vise pas la pratique du prêt sur créances ou sur instruments financiers. 41. L’article 329 du Code des sociétés interdit à une société privée à responsabilité limitée d’avancer des fonds, d’accorder des prêts ou de donner des sûretés en vue de l’acquisition de ses parts par un tiers ou en vue de l’acquisition ou de la souscription par un tiers de certificats se rapportant à ses parts, sauf lorsque ces opérations sont effectuées, à l’aide de bénéfices distribuables, en faveur des membres du personnel de la société ou des sociétés liées dont la moitié au moins des droits de vote est détenue par les membres du personnel de la société. 42. L’article 430 du Code des sociétés prévoit la même interdiction pour les sociétés coopératives à responsabilité limitée, ainsi que l’article 629, pour les sociétés anonymes, avec la même exception, à laquelle s’ajoute cependant les opérations courantes sur titres accomplies par les entreprises régies par la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit. 43. Dans les sociétés privées à responsabilité limitée, la prise en gage par une société de ses parts ou certificats se rapportant à ses parts est assimilée à une acquisition requérant, sauf disposition plus restrictive des statuts, l’agrément de la moitié au moins des associés possédant les trois quarts au moins du capital, déduction des droits dont la prise en gage ou l’acquisition est proposée.

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45. Hormis pour les opérations courantes sur titres accomplies par les entreprises régies par la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, les mêmes règles valent pour les sociétés anonymes. 46. La constitution d’une sûreté par l’une des sociétés d’un groupe pour garantir la dette d’une autre est une situation fréquente en pratique. Dans le cadre de l’examen du respect dû à l’intérêt social de la société constituante, comme dans celui de la vérification des agissements d’un futur failli pendant la période suspecte, la question de la qualification de l’acte à titre gratuit ou à titre onéreux est cruciale. Dans son arrêt du 9 mars 200032, la Cour de cassation a estimé que la circonstance que le tiers bailleur de gage a ou non le droit d’exercer un recours pour ce qu’il a payé à l’égard du débiteur dont la dette est garantie par le gage, n’est pas déterminante pour la question de savoir si le bailleur de gage a obtenu une compensation pour la dation en gage ; lorsqu’il constate que le bailleur de gage n’a obtenu aucune compensation concrète pour cet acte et n’avait qu’un intérêt général à ce que le débiteur prospère et ne fasse pas faillite, le juge peut décider que la dation en gage a été effectuée à titre gratuit33. 47. L’article 7 de la loi du 25 octobre 1919 (tel que modifié par la loi du 22 mars 1993) en matière de gage sur fonds de commerce, prévoit que le gage sur fonds de commerce ne peut être constitué qu’en faveur d’un établissement de crédit agréé dans un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un autre établissement financier défini par arrêté royal. Il en va de même de l’endossement de factures à titre pignoratif. C. L’objet du gage 48. Le principe est que le gage peut avoir pour objet toutes choses mobilières, corporelles ou incorporelles, se trouvant dans le commerce34. § 1. Le gage ne peut avoir pour objet que des choses mobilières 49. Les immeubles par destination peuvent être mis en gage soit parce que la tradition mobilisera le bien qui cessera d’être immeuble, soit dans le cadre du gage sur fonds de commerce. 50. Les meubles par anticipation ne peuvent être mis en gage en raison de ce que leur tradition n’est pas possible aussi longtemps qu’ils restent immeubles. Ainsi en va-t-il, par exemple, des fruits d’une récolte. 32 R.W., 2000-2001, p. 622; R.D.C.B., 2000, p. 782, note LEUNEN ; T.R.V., 2001, p. 94, note NAPILITANO. 33 Voir LEDOUX, « Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles » ; D.J.T., 2003, pp. 98-99. 34 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1031.

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§ 2. Le gage ne peut avoir pour objet que des choses dans le

commerce 51. Une créance d’aliments peut être mise en gage parce que son caractère insaisissable n’entraîne pas l’interdiction de son aliénation35. Or, seuls les biens incessibles en vertu de la loi ne peuvent être donnés en nantissement, comme le prévoit l’article 2071 alinéa 2 du Code civil36. § 3. Le gage peut avoir pour objet une chose mobilière corporelle 52. Il faut toutefois que cette chose soit suffisamment individualisée pour qu’elle puisse faire l’objet d’une tradition37. On en déduit qu’une chose corporelle future ne peut être mise en gage tant qu’elle n’existe pas. § 4. Le gage peut avoir pour objet une chose mobilière incorporelle 53. Depuis la modification apportée à l’article 2075 du Code civil par la loi du 6 juillet 1994, le gage sur créances ordinaires est à présent un contrat consensuel. Il est donc possible, la tradition n’en étant plus requise, de grever des créances futures. 54. S’il peut être consenti « pour toutes sommes », le gage peut aussi l’être « sur toutes créances » issues d’une relation juridique pourvu que clle-ci soit suffisamment déterminée ou déterminable. C’est ce que rappelle à bon droit le tribunal de première instance de Gand dans un jugement du 1er décembre 199938, estimant que satisfait à cette condition, le nantissement consenti par un entrepreneur à sa banque de toutes sommes qu’il pourrait réclamer à un maître de l’ouvrage en raison d’un chantier dont il a la charge. 55. Traditionnellement, il est admis que la garantie née du versement d’une somme d’argent ne peut s’analyser en un gage en raison d’incompatibilité conceptuelle entre la notion même de gage et le transfert de propriété qu’entraîne la remise de choses fongibles. 35 Liège, 13 mars 1923, Pas., 1923, II, 123 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1031-2°. 36 Tel que modifié par la loi du 18 mars 1999, article 2. 37 Voy. pour un exemple d’insuffisance d’individualisation: Civ. Anvers, 13 mai 1975, R.W., 1975-1976, col. 807, J.C.B., 1975, p. 530. 38 R.W., 2000-2001, p. 487; T.G.R., 2001, p. 27.

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Par son arrêt du 4 avril 200339, la Cour de cassation a rappelé à cet égard que la cession en propriété d’une somme d’argent par un débiteur au bénéfice de son créancier ne constitue pas une dation en gage même si elle tend à garantir le créancier. La Cour suprême ajoute que le droit de propriété ainsi acquis par le créancier a pour effet qu’en règle, le propriétaire a droit à ce que la chose produit. 56. Dans un arrêt du 20 février 2003, la Cour d’appel de Mons a considéré qu’à tout le moins, le placement de fonds sur un compte bancaire bloqué au profit exclusif d’un créancier peut être considéré comme un mécanisme préférentiel apparenté à l’escrow account, opposable aux tiers40. Cette analyse est conforme au principe déduit de l’article 1165 du Code civil, de l’opposabilité aux tiers des conventions légalement conclues entre les parties contractantes. 57. Il ne peut certes être exclu – et cela relèverait de l’interprétation de la volonté des parties abandonnée aux constatations du juge du fond – que des espèces soient spécifiées et à ce titre, puissent faire l’objet d’un gage. C’est pourquoi la Cour suprême peut se retrancher derrière de telles constatations – elle le doit même lorsqu’aucun moyen présenté devant elle ne vient l’inviter d’une manière ou d’une autre à exercer son contrôle sur la légalité des conséquences reposant sur l’appréciation de l’arrêt attaqué – en tenant pour valable le contrat où, suivant le juge, une somme d’argent constitue l’objet d’un gage, pour décider, ainsi qu’elle le fait par son arrêt du 11 mai 2000, que, dans le cas où ce contrat ne stipule aucun intérêt, le détenteur du gage, tenu de veiller en bon père de famille à la chose donnée en gage, n’est pas obligé de placer cette somme à intérêts41. 58. Une somme d’argent bloquée sur un compte financier doit être considérée comme un gage, décide le juge de paix de Meise dans un jugement du 23 décembre 200442, avec cette particularité que l’objet du gage n’est pas détenu par le créancier gagiste, à savoir le bailleur, mais par un tiers, la banque, choisie par les parties. En réalité, si les parties ont effectivement entendu constituer un gage (et non un transfert en propriété – ce qui impliquerait la qualité d’escrow account), il s’agit du gage de la créance née envers la banque en raison de l’ouverture du compte. 59. Le transfert en propriété ne peut conduire à la qualification ou à la requalification en gage, cette règle vaut non seulement pour un contrat portant sur des espèces, mais également sur un autre type de bien. Aussi, la Cour d’appel d’Anvers décide-t-elle, par un arrêt du 9 janvier 200143 qu’un emprunteur ne peut utilement prétendre que la convention prévoyant la vente de son bateau au prêteur constitue en réalité un gage, même si le prix convenu ne correspond pas parfaitement à la valeur réelle du bien, ce qui est avéré lors de sa revente bénéficiaire par le prêteur.

39 Dr. Ban. fin., 2003, p. 375, note PEETERS ; R.W., 2003-2004, p. 1689, note STORME. 40 R.R.D., 2004, p. 143 ; J.L.M.B., 2004, p. 962. 41 J.T., 2001, somm., p. 633; R.W., 2003-2004, p. 1233. 42 R.W., 2004-2005, p. 1233, note. 43 R.G.D.C., 2002, p. 399.

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§ 5. Le constituant du gage doit être propriétaire de la chose

donnée en gage 60. Le gage constitué par quelqu’un qui n’est pas propriétaire de la chose est frappé de nullité relative au profit du créancier gagiste44. 61. A l’égard des tiers cependant, le créancier gagiste mis de bonne foi en possession de la chose peut opposer sa possession aux tiers pour faire valoir son privilège ou résister à la revendication du verus dominus, mais : - dans les limites de ses droits de créancier gagiste, tels qu’ils dérivent du contrat de

gage lui-même ; il faut que le contrat de gage ait été régulièrement constitué et soit opposable aux tiers ;

- dans les limites de l’application de l’article 2279 du Code civil, ce qui requiert

notamment la bonne foi du créancier gagiste. Ainsi, lorsqu’un agent de change met en gage les titres de ses clients et qu’en raison des circonstances de l’espèce, la banque aurait dû éprouver un doute circonstancié quant à la propriété des titres, le juge peut ordonner la restitution des titres à leurs véritables propriétaires45.

62. 11. L’assiette du gage ne doit pas nécessairement, on le sait, provenir du patrimoine du débiteur de l’obligation principale. Telle est précisément la portée de l’article 2077 du Code civil, qui énonce que « le gage peut être donné par un tiers pour le débiteur ». Le constituant est dénommé alors tiers bailleur du gage. Il est question aussi, bien que cette expression soit incorrecte, de « caution réelle », alors qu’à proprement parler, les règles du cautionnement demeurent étrangères à l’opération. C’est ce qu’à bon droit, un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 31 mai 199946 rappelle en précisant que lorsque des garants ne se sont pas engagés comme cautions personnelles mais bien comme « cautions réelles », ce qui doit être considéré comme la constitution d’une sûreté réelle, les règles du cautionnement ne trouvent pas à s’appliquer. § 6. La mise en gage d’une chose déjà engagée 63. Différentes hypothèses peuvent se présenter :

44 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1023. 45 Cass., 17 octobre 1984, Pas., 1985, I, 244 ; STRANART, « Le droit des sûretés », J.B., Bruxelles, 1992, p. 78 ; Voy. pour d’autres cas : A. VERBEKE et I. PEETERS, Voorrechten, hypotheken en andere zekerheden, Permanent Documentatiesysteem, 1995, n° 1, p. 95, n° 258. 46 A.J.T., 1999-2000, p. 757, note GOMBERT ; R.G.D.C., 2002, p. 358, note ALTER.

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- le créancier gagiste ne peut, en principe, donner en gage la chose qui lui est nantie sous peine, selon les cas, de dommages et intérêts, ou de déchéance pour abus47. En effet le créancier gagiste s’oblige envers le constituant du gage à garder, entretenir et conserver la chose nantie et viole ses obligations en conférant un gage sur cette chose. Le sous gagiste de bonne foi peut toutefois opposer sa possession contre la revendication du propriétaire de la chose sur la base de l’article 2279 du Code civil, et pour autant que son contrat de gage soit régulier et opposable aux tiers ;

- le constituant peut conférer plusieurs gages sur la même chose, à condition que

les créanciers soient d’accord et que, soit un tiers pour tous les créanciers, soit l’un des créanciers pour les autres, acceptent de jouer le rôle de tiers convenu. Les droits concurrents des créanciers gagistes sur le même objet se règle par la règle de l’antériorité qui prendra en compte la priorité de la mise en possession, par application analogique de l’article 1141 du Code civil, lequel énonce que : « Si la chose qu’on s’est obligé de donner ou de livrer à deux personnes successivement, est purement mobilière, celle des deux qui en a été mise en possession réelle est préférée et en demeure propriétaire, encore que son titre soit postérieur en date, pourvu toutefois que la possession soit de bonne foi ». En cas de simultanéité, le conflit se résout par la règle de l’égalité entre les créanciers sous forme de partage au marc le franc.

64. La règle de l’antériorité est également retenue pour régler : - le concours entre le créancier gagiste de droit commun et le créancier gagiste sur

fonds de commerce, - le concours entre le titulaire d’un warrant et le créancier gagiste sur fonds de

commerce48. D. La cause du gage 65. Conformément au droit commun, les obligations dérivant du contrat de gage doivent avoir une cause licite.

47 La règle est différente en matière de sûreté réelle constituée sur instruments financiers. 48 Voy. Cass., 19 novembre 1992, R.D.C., 1994, p. 43 et l’étude d’A.M. STRANART et M. GREGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en particulier face à un créancier d’un autre type », p. 15 ; R.C.J.B., 1994, p. 24, note M. VAN QUICKENBORNE, « Du concours entre le créancier gagiste sur fonds de commerce et le gagiste classique ».

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Selon la conception actuelle de la cause, la cause doit être recherchée dans les mobiles déterminants pris en considération par le droit, en raison desquels les parties ont constitué et accepté un gage. Il convient de déterminer le but poursuivi par les parties en constituant le gage indépendamment du but qu’elles ont poursuivi en contractant l’obligation principale. 66. Ces mobiles déterminants doivent être licites (conformes à l’ordre public et aux bonnes mœurs), indépendamment de la licéité ou de l’illicéité éventuelle de l’obligation garantie. 67. Le gage est certes un contrat accessoire mais cette caractéristique n’empêche pas que le gage doive avoir une cause licite propre. Un gage peut avoir une cause illicite, par exemple dans l’hypothèse où il est conféré par un tiers constituant dans le but de favoriser des relations illicites que ce tiers constituant entretien avec le débiteur49. E. Deux conditions propres au contrat de gage § 1. L’existence d’une obligation principale 68. En raison du caractère accessoire du gage, celui-ci dépend d’une obligation principale à garantir. Celle-ci peut consister en une obligation de donner, de faire, de ne pas faire, à terme, ou sous condition résolutoire. 69. Il est admis que le gage puisse être valablement constitué actuellement pour sûreté d’un obligation future (donc non encore existante) ou n’existant que sous condition suspensive, car le caractère accessoire du gage implique seulement que son exécution dépende de l’existence de l’obligation principale. Le gage peut par conséquent être valablement formé nonobstant l’inexistence de l’obligation principale à garantir. Le gage ne pourra toutefois être exécuté que si cette obligation prend naissance (et est inexécutée). § 2. La tradition de l’objet

49 Voy. Cass., 8 décembre 1966, R.C.J.B., 1967, p. 5 avec la note J. DABIN, « In pari causa turpitudinis cessat repetito ; fondement, conditions et champ d’application de l’adage ; quid pour les choses données en gage » ; P. VAN OMMESLAGHE, « Observations sur la théorie de la cause dans la jurisprudence et dans la doctrine moderne », note sous Cass., 13 novembre 1969 in R.C.J.B., 1970, p. 326 ; A.M. STRANART, Chron. Jur., Rev. Banque, 1975, p. 208.

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70. Dans la conception traditionnelle du gage, conçu comme un contrat réel, la remise de l’objet est une condition de validité du gage entre les parties. Dans une conception consensualiste, la tradition ne serait que l’exécution de l’obligation consentie par le débiteur de constituer un gage, le gage étant valablement formé dès l’échange des consentements. 71. Dans les deux conceptions, la tradition est une condition d’opposabilité du gage aux tiers, hormis dans le cas où le gage porte sur une créance ordinaire. La tradition n’est en effet plus requise dans ce dernier cas. SECTION 3. CONDITIONS D’OPPOSABILITE DU GAGE AUX TIERS A. Introduction 72. Les rédacteurs du Code civil ont estimé que le gage ne pouvait être rendu opposable aux tiers que si une certaine publicité était assurée, de manière à protéger les tiers contre l’existence de gages occultes. 73. Puisque le gage ne porte que sur des meubles, la principale formalité que le législateur a requise est la dépossession du constituant. Cette formalité est prévue tant pour le gage civil par l’article 2076 du Code civil aux termes duquel « … le privilège ne subsiste sur le gage qu’autant que ce gage a été remis et est resté en possession du créancier, ou d’un tiers convenu entre les parties », que, pour le gage commercial, par l’article 1er de la loi du 5 mai 1872, aux termes duquel « le gage constitué pour sûreté d’un engagement commercial, confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose engagée par privilège et préférence aux autres créanciers, lorsqu’il est établi conformément aux modes admis en matière de commerce pour la vente de choses de même nature et que l’objet du gage a été mis et est resté en la possession du créancier ou d’un tiers convenu entre parties ». 74. Le Code civil impose en outre pour le gage civil l’établissement d’un écrit répondant aux conditions de l’article 2074 du Code civil, c’est-à-dire « un acte public ou sous seing privé, dûment enregistré, contenant la déclaration de la somme due, ainsi que l’espèce et la nature des choses remises en gage ou un état annexé de leurs qualité, poids et mesure. La rédaction de l’acte par écrit et son enregistrement ne sont néanmoins prescrits qu’en matière excédant la valeur de 375€ ».

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B. L’écrit 75. L’écrit n’est pas une condition de validité entre parties, ni même une question de preuve ; il est bien une condition d’opposabilité du gage aux tiers50. L’écrit a été imposé par le législateur pour déjouer les fraudes qui consisteraient en l’octroi d’un gage (ou en l’augmentation de la consistance d’un gage antérieur) à la veille de la survenance d’une situation d’insolvabilité51. 76. L’écrit n’est requis, d’après l’article 2074 du Code civil, que si « la matière » excède 375€ . Il faut avoir égard tant au montant de la créance garantie qu’à la valeur de l’objet mis en gage52. Ce n’est que si la valeur totale des deux excède 375€ que l’écrit est requis (ce qui, en pratique, sera le plus souvent le cas). 77. L’écrit doit contenir certaines mentions spéciales. L’écrit doit indiquer le montant de la créance que le gage garantit. Le but est d’avertir les tiers de la valeur potentiellement soustraite du patrimoine du débiteur et d’éviter les fraudes qui consisteraient à gonfler la dette garantie. Dans le cas où le gage garantit une créance dont le montant est actuellement indéterminé (par exemple, un gage pour sûreté de toutes sommes), il y a lieu d’indiquer un montant maximal qui seul sera garanti. 78. Si la nature de la dette rend impossible cette évaluation (par exemple, un gage pour sûreté d’un engagement de faire ou ne pas faire, tel celui de respecter un engagement de non-concurrence ou de respecter ses obligations de locataire), on a admis que l’indication de la cause de la créance suffisait à avertir les tiers que celle-ci pouvait absorber la totalité du gage53. 79. L’écrit doit également comporter une description de la chose mise en gage. Il s’agit de l’exigence de spécification du gage. Celle-ci peut résulter d’un état annexé pourvu qu’il soit contemporain de la constitution du gage. Le but, une fois encore, est d’éviter les fraudes relatives à la consistance du gage et notamment l’augmentation de la valeur de celui-ci par la substitution d’un objet par un autre.

50 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1038 ; Cass., 28 mai 1861, Pas., 1861, I, 317. 51 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1039. 52 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1039-B. 53 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1040 ; Cass., 29 mai 1868, Pas., 1868, I, 339.

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80. L’écrit doit être authentique ou, à tout le moins, enregistré. L’on enseigne traditionnellement que la date certaine, acquise selon les dispositions de l’article 1328 du Code civil, suffit54. En conséquence, la certitude de la date peut être obtenue, non seulement grâce à l’enregistrement, mais également par le décès de l’une des parties ou par la constatation de la substance de la convention dans un acte dressé par un officier public, tels que des procès-verbaux d’apposition de scellés ou d’inventaire. 81. Un jugement rendu par le juge de paix de Meise le 23 décembre 200455 rappelle opportunément que le formalité de l’enregistrement de l’acte de gage en matière civile ne vise qu’à assurer l’opposabilité de la sûreté aux tiers et donc à conserver le privilège qui y est associé, mais ne touche en rien aux obligations des parties C. La dépossession du constituant § 1. Quand la dépossession doit-elle être réalisée ? 82. En principe, il n’y a pas de délai à respecter. Toutefois, et sous réserve du régime nouveau applicable au gage sur créances, il faut être attentif à ce que tant qu’il n’y a pas eu de dépossession du constituant, le gage n’existe ni entre parties ni n’est opposable aux tiers. En conséquence, le créancier gagiste ne peut être préféré aux autres créanciers du constituant en cas de concours avec ceux-ci aussi longtemps qu’il n’y a pas eu de remise de la chose engagée. 83. Les conséquences pratiques suivantes découlent de cette première règle : - après sa déclaration de faillite, le constituant ne peut plus effectuer la remise de la

chose (article 14 de la loi sur les faillites) ; - si la chose a été remise au créancier gagiste pendant la période suspecte, le gage

peut être déclaré inopposable à la masse si la remise de la chose n’est pas concomitante à la naissance de l’obligation garantie (article 17-1° de la loi sur les faillites).

54 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1040-1°. 55 R.W., 2004-2005, p. 1233, note.

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§ 2. En faveur de qui la dépossession doit-elle être réalisée ? 84. La chose peut être remise au créancier gagiste ou à un tiers convenu. Pour que le gage soit valable en cas d’intervention d’un tiers convenu, il faut que ce dernier accepte de détenir le gage pour compte des deux parties et en cette qualité, en vertu d’une convention distincte du gage (généralement un dépôt ou un mandat)56. Tout tiers capable de s’obliger peut être tiers convenu. Le créancier gagiste peut être tiers convenu pour compte d’un autre gagiste (en cas du double gage) ou pour le compte d’un tiers qui, ayant payé la dette garantie est subrogé dans les droits du créancier gagiste57. Le débiteur gagiste ne peut bien entendu jamais être tiers convenu, car cette situation serait incompatible avec une véritable dépossession. 85. Les droits et obligations du tiers convenu dérivent de la convention particulière qui le lie aux parties, le plus souvent un dépôt salarié. 86. Sauf convention contraire, le créancier gagiste fait l’avance des frais afférents à l’intervention du tiers convenu, que le débiteur supporte en définitive, en vertu de l’article 2080 du Code civil. 87. Le tiers convenu jouit d’un droit de rétention prévu à l’article 1948 du Code civil, qui est opposable au créancier gagiste, ainsi que, le cas échéant, du privilège du conservateur prévu par l’article 20, 4° de la loi hypothécaire. § 3. Comment la dépossession doit-elle être réalisée ? 88. La possession du créancier gagiste doit être réelle, effective, exclusive, non équivoque et permanente58. Ces conditions découlent de l’application analogique de l’article 2229 du Code civil qui dispose que « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». 89. En conséquence, pour les meubles corporels, la dépossession peut avoir lieu :

56 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1048 ; Voy. Com. Mons, 1er septembre 1986, Jur. Liège, 1987, p. 879. 57 Cass., 3 décembre 1896, Pas., 1897, I, 39. 58 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1049.

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- par la tradition réelle de la chose au créancier (remise physique de la chose entre

les mains du créancier gagiste) ; - par interversion du titre de possession : ce sera le cas du créancier qui détient

déjà la chose mais à un autre titre (par exemple, en exécution d’une convention de prêt) et qui par la suite devient créancier gagiste ; il faut que les parties conviennent d’intervertir le titre de détention de la chose, de sorte que le créancier gagiste soit constitué quasi-possesseur de la chose au titre de créancier gagiste ;

- par remise de la chose à un tiers convenu. Il s’agit de l’opération dite de

l’ « entiercement ». 90. Pour les meubles incorporels, il faut distinguer selon la nature du meuble incorporel concerné. § 4. La dépossession doit avoir un caractère permanent – Principes

et exceptions a. Principe 91. En vertu de l’article 2076 du Code civil, le privilège ne subsiste que pour autant que le créancier gagiste ait conservé la possession de la chose nantie. La dépossession du créancier gagiste entraîne la perte du privilège si la chose retourne au débiteur ou à un tiers qui n’accepte pas de détenir la chose pour le compte du créancier gagiste. Ce principe reçoit plusieurs exceptions. b. Première exception – Le gage subsiste en cas de

dessaisissement pour raisons impérieuses 92. La suspension temporaire de la quasi-possession exercée par le créancier gagiste peut être rendue indispensable pour des raisons impérieuses indépendantes de la faute de l’un ou l’autre partie. Le critère à suivre pour apprécier le sort du gage en ce cas, consiste à déterminer si les tiers ont pu croire que la chose nantie retournait définitivement dans le patrimoine du débiteur ou ne lui avait été remise qu’à titre temporaire : ont-ils été trompés sur le sens de la restitution ?

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93. Le gage subsiste, par exemple, en cas de remise des actions de société mises en gage pour permettre au débiteur d’assister à une assemblée générale et y exercer son droit de vote ou pour souscrire à des actions nouvelles. c. Deuxième exception – La substitution de gage 94. Le gage subsiste malgré la restitution des biens gagés au débiteur gagiste si, au moment où celle-ci a eu lieu, le créancier gagiste est immédiatement mis en possession de biens pour une valeur identique à la valeur des biens initialement nantis59. Selon la Cour de cassation60, il y a permanence de la dépossession pourvu que la substitution soit instantanée et que le remplacement ait lieu à l’aide de biens de même valeur. 95. Si les deux conditions de simultanéité et de valeur ne sont pas remplies, le gage initial tombe. Un nouveau gage peut naître sur le bien de remplacement si les parties en manifestent la volonté et que les autres conditions de constitution et d’opposabilité aux tiers du gage sont remplies, mais il ne sera constitué qu’à la date à laquelle le créancier a été mis en possession du biens ainsi nouvellement nantis, avec le risque de l’application de l’article 17 de la loi sur les faillites. d. Troisième exception – Le gage flottant sur créances 96. Grâce à la réforme apportée au gage sur créances par la loi du 6 juillet 1994, l’on peut à présent mettre en place un gage flottant sur un ensemble de créances de manière aisée. Le mécanisme consiste à mettre en gage par une convention unique un ensemble de créances actuelles et futures, rendues fongibles entre elles et, à tout le moins, déterminables en vertu de la convention61. 97. Les créances futures viennent successivement, au fur et à mesure de leur naissance, substituer les créances existantes affectées en gage. La réforme précitée supprime à cet égard la nécessité d’une signification du gage aux débiteurs des créances

59 Voy. SCHIKS, “Les conditions et les effets de la substitution de gage”, in Rev. Prat. Not., 1923 ; p. 273 ; VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge », Colloque ULB, Feduci, p. 79, n° 32 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 266-269. 60 Cass., 12 novembre 1914, Pas., 1915-16, I, 124. 61 Voy. Cass. fr., 10 mars 1915, D. SIREY, 1916, I, p. 5, note Lyon-Caen; STRANART, “Le gage sur créances” in La cession de créance, J.B., 1994, p. 88-90.

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pour en assurer l’opposabilité aux tiers, ainsi que la nécessité éventuelle de remettre le titre de chaque créance au créancier gagiste, toutes formalités qui rendaient malaisée, voire impossible, jusqu’alors, la mise en place d’un gage flottant sur créances. SECTION 4. EFFETS DU CONTRAT DE GAGE A. Jusqu’à l’exigibilité de la créance garantie § 1. Les droits du créancier gagiste 98. Le créancier gagiste jouit de deux droits : - un droit de possession, - un droit de rétention. a. Droit de possession 99. Le gage confère au créancier gagiste le droit de posséder la chose, opposable à tous et s’exerçant directement sur celle-ci. Ce droit sert à assurer la préservation de l’assiette pendant la durée du gage ainsi que le droit de la faire réaliser, le cas échéant, en cas d’inexécution de la créance garantie. En cas de concours, il permet également l’opposabilité du privilège aux tiers. Il s’agit d’un droit accessoire, qui n’est exercé qu’à titre de gage ; l’« animus » de la possession du créancier n’est pas celui d’un propriétaire, c’est l’« animus pignoris », parce que la possession n’est exercée qu’à titre de garantie. Il s’agit, en réalité d’une « quasi possession », c’est-à-dire de la manifestation et de l’exercice des attributs d’un droit réel autre que la propriété. Par facilité de langage, cette nuance est souvent omise. Elle n’en reste pas moins relevante. 100. Le créancier gagiste est tenu à une obligation de restituer la chose. Il ne peut prétendre la conserver définitivement et, sans autre forme de procès, pour lui-même. Par conséquent, la possession du créancier gagiste se double de la qualité de détenteur envers le constituant62.

62 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1057.

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101. En sa qualité de possesseur, le créancier gagiste peut se prévaloir à l’égard des tiers de l’article 2279 du Code judiciaire et exercer le droit de suite dans les limites où cette disposition le prévoit, mais ceci sous réserve : - du droit de revendication conservé par le constituant, possesseur « animo

domini » ; - de ce que l’article 2280 du Code civil ne peut être invoqué mutatis mutandis par le

créancier gagiste qui peut toutefois se le voir opposer63. Cet article dispose que : « Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le prix qu’elle lui a coûté ».

Transposée à la matière du gage, la règle signifie que le créancier gagiste bénéficiant d’une sûreté dont l’assiette présente l’une des provenances visées plus haut, peut être contraint de restituer la chose à son verus dominus, bien que la qualité de sa possession réponde aux exigences de l’article 2229 du Code civil. En revanche, le créancier gagiste, dépossédé de l’objet gagé, ne pourrait être restauré dans ses droits, sur la base de l’article 2280 du Code civil. 102. Le droit réel du créancier gagiste et la possession exercée par lui présentent certaines limites : - le créancier ne fait pas les fruits siens car l’article 549 du Code civil, qui n’accorde

ce droit qu’au possesseur « animo domini ». - l’opposabilité aux tiers de son droit de possession vaut ce que vaut la constitution

de son gage. Il ne peut opposer son droit de possession que si le gage a été régulièrement constitué et a été rendu opposable aux tiers. Par voie de conséquence, en cas de conflit avec un tiers quelconque, si le gage n’est pas régulier, il n’y a pas de privilège64.

b. Droit de rétention 103. Le droit de rétention est prévu par l’article 2082 du Code civil. 63 Cass., 6 mars 1913, Pas., I, 133 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1060. 64 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1060, V, n° 1062; L. VINCENT, « Chron. », J.T., 1968, n° 95, p. 760 ; A.M. STRANART, Chron. Jur, n° 12, p. 224.

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Aux termes de cet article, « Le débiteur ne peut, à moins que le détenteur du gage n’en abuse, en réclamer la restitution qu’après avoir entièrement payé, tant en principal qu’intérêts et frais, la dette pour sûreté de laquelle le gage a été donné. S’il existait de la part du même débiteur, envers le même créancier, une autre dette contractée postérieurement à la mise en gage, et devenue exigible avant le paiement de la première dette, le créancier ne pourra être tenu de se dessaisir du gage avant d’être entièrement payé de l’une et de l’autre dettes, lors même qu’il n’y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au paiement de la seconde ». Le droit de rétention à l’égard du constituant est le pendant du droit de possession à l’égard des tiers. Le créancier gagiste ne doit restituer la chose au constituant qu’après le paiement de la créance garantie65. Contrairement au droit de rétention fondé sur le principe général de l’exécution trait pour trait des prestations dues en vertu d’un rapport synallagmatique parfait ou imparfait, le droit de rétention de l’article 2082 du Code civil ne repose pas sur l’existence d’un lien de connexité, mais sur une relation de principal à accessoire. 104. Le droit de rétention du créancier est indivisible. Par conséquent, le créancier gagiste peut conserver toute la chose remise (même si elle est divisible par nature) en cas d’apurement partiel de la dette (sauf convention contraire). Le gage ne se divise pas même si la dette garantie se répartit entre les héritiers du débiteur ou entre les héritiers du créancier de cette dette. 105. En matière de gage civil seulement, l’article 2082, alinéa 2 du Code civil étend les effets du droit de rétention aux autres obligations du débiteur dans les conditions prévues par cette disposition66. Les conditions à réunir sont les suivantes : - la deuxième dette doit exister entre les parties originairement liées par le contrat

de gage initial et par le contrat principal originaire (ce ne sera pas le cas si le gage est constitué par un tiers, ni si la créance originairement garantie est acquise par un cessionnaire et que la deuxième dette naît entre le cessionnaire et le débiteur) ;

- la deuxième dette doit être créée postérieurement à la constitution du gage ; 65 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1062. 66 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1066.

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- la deuxième dette doit être devenue exigible avant le paiement de la dette garantie (c’est-à-dire avant l’époque où celle-ci devait être payée).

En ce cas, le créancier gagiste peut retenir la chose pour sûreté de la deuxième dette. Il s’agit d’une disposition exorbitante du droit commun (s’appliquant seulement au gage civil) et qui déroge de façon remarquable aux règles du caractère accessoire, de la spécialité et de l’interprétation restrictive des sûretés. Cette règle se justifie par la présomption de volonté tacite des parties : le législateur a considéré que le créancier qui a traité une première fois avec le débiteur en lui demandant une sûreté n’aurait pas voulu traiter une seconde fois avec le même débiteur sans sûreté, en tout cas pour un terme plus rapproché que celui de la première dette, et n’a donc accepté de devenir créancier une seconde fois qu’en considération du gage. Ce droit conféré au créancier gagiste n’est pas un véritable gage, mais bien un droit de rétention. En conséquence, le gage ne garantira pas l’autre créance et le créancier gagiste ne bénéficiera ni du droit de requérir la réalisation du bien, ni d’un droit de préférence sur la valeur de celui-ci pour le paiement de cette créance67. § 2. Les obligations du créancier gagiste à l’égard du constituant du

gage a. La garde et la conservation de la chose 106. Le créancier est tenu aux obligations de faire, que sont la garde et la conservation de la chose68. Le créancier gagiste répond de sa « culpa levis in abstracto » à l’égard du débiteur, par application des articles 2080 et 1137, alinéa 1er du Code civil. Pour rappel, cette disposition prescrit que « L’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité d’une partie, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d’un bon père de famille ». 107. En conséquence, le créancier gagiste doit apporter à la garde et à la conservation de la chose mise en gage tous les soins d’un bon père de famille. Il doit, si nécessaire, faire l’avance des frais de garde et de conservation.

67 T’KINT, Sûretés et principes génraux du droit de poursuite des créanciers, n° 228. 68 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1086.

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108. Le créancier gagiste doit prouver le cas fortuit en cas de perte de la chose. L’article 1302 du Code civil s’applique, en effet, en ses trois premiers alinéas, à la situation du créancier gagiste. Les règles édictées sont les suivantes : « Lorsque le corps certain et déterminé qui était l’objet de l’obligation (à savoir l’obligation de garde, de conservation et de restitution pesant sur le créancier gagiste), vient à périr, est mis hors du commerce, ou se perd de manière qu’on en ignore absolument l’existence, l’obligation est éteinte si la chose a péri ou a été perdue sans la faute du débiteur et avant qu’il fût en demeure. Lors même que le débiteur (en l’occurrence, le débiteur de l’obligation de garde, de conservation et de restitution, c’est-à-dire le créancier gagiste) est en demeure, et s’il ne s’est pas chargé des cas fortuits, l’obligation est éteinte dans le cas où la chose fût également périe chez le créancier si elle lui eût été livrée ». b. Ne pas user de la chose 109. Le créancier est tenu également à une obligation de ne pas faire, à savoir à ne pas user de la chose, car il n’a que la détention de la chose sans en avoir la jouissance. L’article 1927 du Code civil, applicable par analogie au gage, impose, en effet, au dépositaire « d’apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ». L’analogie avec le dépôt découle expressément des termes de l’article 2079 du Code civil qui dispose que « Jusqu’à l’expropriation du débiteur s’il y a lieu, il reste propriétaire du gage, qui n’est, dans la main du créancier, qu’un dépôt assurant le privilège de celui-ci ». La sanction de la violation de cette obligation est la déchéance du gage pour abus, conformément à l’article 2080 du Code civil. 110. Ces obligations n’existent qu’envers le constituant et non pas envers les créanciers de ce dernier. Ceux-ci peuvent cependant exercer les droits de leur débiteur par voie de l’action oblique. 111. Toutefois, l’article 11 § 1er de la loi relative aux sûretés financières et portant des dispositons fiscales diverses en matière de convetions constitutives de sûreté » réelle et de prêts protant sur des instruemnts financiers reconnaît un droit d’utilisation de la garantie financière remise à un créancier gagiste. Ce régime ne vise que les garanties portant sur des espèces et des instruments financiers. 112. Sauf convention contraire, le créancier doit percevoir les fruits mais, comme on l’a vu, il ne fait pas les fruits siens et ne peut donc se les approprier69. L’article 2081 du

69 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1089.

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Code civil prévoit cependant que le créancier gagiste peut percevoir les intérêts de la créance donnée en gage et les imputer sur les intérêts de sa créance ou même sur le capital de celle-ci si elle ne porte pas intérêts. 113. Le créancier gagiste ne peut percevoir le capital des créances mises en gage et échéant avant l’exigibilité de la créance garantie. Cette interdiction résulte de la règle plus large de la prohibition de la clause d’appropriation automatique de la propriété de chose engagée au profit du créancier gagiste, parfois nommé « pacte commissoire exprès », déposée à l’article 2078 du Code civil. Selon cet article, « le créancier ne peut, à défaut de paiement, disposer du gage, sauf à lui à faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu’à due concurrence, d’après une estimation faite par experts, ou qu’il sera vendu aux enchères. Toute clause qui autoriserait le créancier à s’approprier le gage, ou à en disposer sans les formalités ci-dessus est nulle ». 114. Le constituant du gage ne peut cependant davantage percevoir ce capital. Il y a lieu à consignation des fonds. La solution est différente dans le cas du gage commercial70. Le débiteur pourrait cependant donner mandat au créancier de percevoir le capital71. 115. Le droit de vote aux assemblées générales des sociétés dont les titres sont mis en gage (ainsi que les droits sociaux en général) appartient au constituant du gage. Si le dépôt préalable des actions est requis, le créancier gagiste est tenu d’y procéder et ne perdra pas son droit de gage car il s’agit là d’un motif légitime d’interruption de la possession. § 3. Les droits du constituant du gage 116. Le constituant conserve la propriété et la possession juridique de la chose (« animo domini » mais « corpore alieno »). 117. Il peut obtenir - des dommages-intérêts, pour violation de l’obligation de garde et de conservation, - la déchéance du gage pour abus, en raison de la violation de l’interdiction d’user de

la chose par le créancier gagiste.

70 Voy. infra, l’article 3 de la loi du 5 mai 1872. 71 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1086-1°.

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§ 4. Les obligations du constituant 118. Le constituant est sous le coup d’une obligation générale de ne rien faire qui diminue la sûreté du créancier et notamment ne peut altérer la chose. La sanction est la déchéance du terme, ainsi que le prévoit l’article 1188 du Code civil, selon lequel « le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsqu’il a fait faillite, ou lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu’il avait données par le contrat à son créancier »72. B. A partir de l’exigibilité de la créance garantie § 1. Cas où l’obligation garantie est exécutée 119. Le créancier gagiste a un droit de rétention : - d’une part, pour le paiement d’une éventuelle autre créance (l’article 2082, alinéa 2

du Code civil) ; - d’autre part, pour le remboursement des dépenses utiles et nécessaires exposées

pour la garde et la conservation de la chose, ainsi que pour l’indemnisation des pertes subies en raison de la détention du bien (article 2080, alinéa 2 du Code civil et article 2082, alinéa 1 du Code civil).

120. Le créancier gagiste doit restituer la chose en nature (accessoires y compris) ou en valeur si la chose a péri. Cette obligation de restitution est un obligation de résultat. Le créancier gagiste doit prouver le cas fortuit s’il ne peut restituer la chose (voy. supra). 121. De son côté, le constituant a le droit d’obtenir la restitution de la chose. Il dispose à cette fin d’une action personnelle en restitution doublée d’une action réelle en revendication. 122. Le constituant doit, le cas échéant, rembourser au créancier gagiste les dépenses nées de la garde et de la conservation de la chose et doit l’indemniser de ses pertes. § 2. Cas où l’obligation garantie n’est pas exécutée

72 Voy. un exemple: Lyon, 30 mars 1978, Rec. D. S., 1978, p. 417.

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123. Comme l’y autorise l’article 2078 alinéa 1er du Code civil, le créancier gagiste dispose du droit de faire exécuter le gage, ainsi que d’un droit de préférence, lié à son privilège. L’exécution portera sur la chose remise en gage, y compris les accessoires, à savoir les produits, les incorporations, mais non les fruits, sauf les intérêts si le bien nanti est une créance. 124. L’exécution suppose que les préalables prévus par le droit commun aient été respectés, et notamment qu’il y ait eu mise en demeure et que le créancier dispose d’un titre exécutoire. 125. Le créancier a le choix entre : - la vente73 qui doit être autorisée par justice et pratiquée aux enchères (c’est-à-dire

en vente publique par le ministère d’huissier de justice), sauf les exceptions telles que pour les fonds publics ou devises où la vente a lieu en bourse par l’intermédiaire d’un professionnel, ou

- l’attribution en propriété, qui doit aussi être autorisée par justice ; en ce cas, la

valeur de la chose qui sera attribuée au créancier gagiste à due concurrence de la créance garantie (moyennant soulte éventuelle) devra faire l’objet d’une expertise. Il s’agit d’une forme de dation en paiement effectuée sous le contrôle du juge74. Le jugement opérera le transfert de propriété de la chose. Sans autorisation judiciaire, le transfert en propriété, s’il est organisé par une clause conclue de manière contemporaine à la condition du gage, est interdit par l’article 2078 alinéa 2 du Code civil. Cela ne s’oppose pas à ce que les parties résilient, bilatéralement, leurs conventions antérieures, notamment la convention de gage ou, modifiant celles-ci de commun accord, accorde au créancier la propriété de l’objet initialement engagé en paiement de l’obligation principale.

126. L’on notera que l’exécution est un droit et non une obligation. A l’échéance de la dette garantie impayée, le créancier gagiste peut différer l’exécution et se contenter d’exercer son droit de rétention envers le débiteur, avec le risque d’entrer en concours sur le bien avec d’autres créanciers de celui-ci75. Il peut également saisir un autre bien du patrimoine du débiteur sans perdre ou renoncer à son privilège. Aucune disposition légale n’oblige un créancier gagiste à poursuivre son débiteur d’abord sur ses biens 73 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1070 et suivants. 74 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1075. 75 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1070, D.

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hypothéqués et ensuite sur les titres remis en gage ou inversement76. Si le retard dans l’exécution entraîne une moins-value de réalisation, le créancier gagiste n’en est pas responsable, sauf s’il a abusé de son droit de ne pas agir. Notons que lorsque le constituant du gage bénéficie de la protection du règlement collectif de dettes, « toutes les voies d’exécution qui tendent au paiement d’une somme d’argent sont suspendues. Les saisies déjà pratiquées conservent cependant leur caractère conservatoire » (article 1675/7 §2 alinéa 1 du Code judiciaire). 127. Le pacte commissoire contemporain de la constitution du gage a pu être considéré comme étant frappé d’une nullité d’ordre public par application de l’article 2078 du Code civil. Toute clause par laquelle le débiteur autoriserait le créancier à conserver le gage ou à se l’approprier sans formalité en cas d’inexécution de l’obligation garantie serait donc nulle, ou à tout le moins inopposable aux tiers77. En revanche, la prohibition disparaît à l’égard des pactes convenus à l’échéance de la dette ou même seulement postérieurement à la constitution du gage mais de manière véritablement distincte de celle-ci. 128. L’analyse proposée de l’article 2078 du Code civil est cependant parfaois légèrement différente. Par son arrêt du 9 avril 1996, la chambre commerciale de la Cour de cassation de France78 avait rappelé que l’attribution judiciaire et les modalités de réalisation du gage ont seulement pour but de protéger un débiteur qui a grevé un bien d’une valeur supérieure à sa dette contre la spoliation qui résulterait d’une évaluation insuffisante de ce bien ou d’une vente dans de mauvaises conditions par un créancier soucieux d’en retirer un prix minimal suffisant pour couvrir sa créance. La Cour de cassation en a déduit que ces règles sont inapplicables lorsque l’assiette du gage est constituée de biens non susceptibles d’évaluation. C’est dans le même sens que se prononce l’arrêt de la Cour de cassation de France du 5 octobre 200479, puisqu’elle y déclare que la prohibition du pacte commissoire est sanctionnée par la nullité d’intérêt privé à laquelle le constituant peut renoncer. On relèvera la substitution de la notion de nullité d’intérêt privé à celle de nullité relative. Il faut voir là un abandon par la Cour suprême française de la distinction classique entre nullité relative et nullité absolue. La question essentielle devient à présent la détermination du droit de critique. Au cas par cas, pour la violation de chaque règle en fonction des intérêts protégés. En ce qui concerne le pacte commissoire, c’est le débiteur qui seul dispose de l’intérêt à se prévaloir du non-respect de la règle. Encore peut-il y renoncer pour autant que sa volonté à cet égard soit dépourvue de toute équivoque. Or, il ressortait des constations du juge du fond, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 5 octobre 2004, que le constituant du gage avait eu la

76 Comm. Louvain, Prés., 19 juin 1998, AJT, 1999-2000, p. 387, note WAGNER. 77 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1076 ; Liège, 13 février 2001, J.L.M.B., 2003, p. 947, obs. WINANDY ; Civ. Louvain, sais., 13 décembre 1994, Bull. contr., 1996, p. 2234. 78 Droit et patrimoine, 1996, p. 47. 79 Revue de droit bancaire et financier, 2004, p. 406.

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volonté de réparer le vice affectant la cession dont il avait eu connaissance. En l’espèce, l’un des administrateurs d’une société avait obtenu un crédit bancaire destiné à financer l’acquisition d’actions. Ces derniers avaient été nantis pour garantir le bon remboursement du crédit. Au moment de l’exigibilité de la créance principale, la banque, non payée, avait mis en oeuvre sa garantie en procédant sans ordre du constituant à la cession d’un premier ensemble d’actions. Après avoir protesté et négocié avec la banque, le constituant avait donné son accord pour la cession d’un second ensemble d’actions. Ce n’est que deux ans plus tard que le débiteur s’était prévalu de la violation de l’article 2078 du Code civil. La renonciation ressortait clairement des faits. Dans ces conditions, une seconde affirmation de l’arrêt se comprend aisément : « Les dispositions de l’article 2078 du Code civil ne font pas obstacle à ce que, postérieurement à la constitution du gage, le débiteur donne mandat au créancier gagiste de procéder pour son compte à la vente de la chose donnée en gage ». La solution est ancienne. L’apport de l’arrêt analysé consiste dans le lien tissé entre le concept de prohibition du pacte commissoire et celui de nullité d’intérêt privé, susceptible de renonciation. Trois conditions sont requises, rappelons-le, pour cette sorte de confirmation : la connaissance du vice dont l’acte est entaché ; l’intention de réparer le vice ; l’absence de tout vice entachant la confirmation80. 129. Le créancier gagiste peut exercer son droit de préférence. Il peut prélever le montant de la créance et les intérêts de celle-ci sur le prix de la réalisation du bien donné en gage par priorité et par préférence à toute autre créancier81. 130. L’assiette du droit de préférence est la totalité du prix de réalisation de la chose et de ses accessoires (produits, incorporation, accroissements) y compris les accessoires de ce prix82 mais pas les fruits ou la valeur des fruits de la chose, car le créancier ne fait pas les fruits siens, sauf l’application de l’article 2081 du Code civil en matière de créance (voy. supra). 131. En cas de perte de la chose due à la faute d’un tiers ou un cas fortuit, le droit de préférence s’exerce, par voie de subrogation réelle, sur l’indemnité éventuellement due par l’assureur ou par le tiers en raison de cette perte. Cette subrogation est prescrite par l’article 10 de la loi hypothécaire. Si la chose a péri par la faute du créancier, il perd son privilège et doit des dommages-intérêts au débiteur, qui peuvent, lorsque les conditions de la compensation sont remplies, se compenser avec l’obligation garantie. Si la chose a péri par la faute du débiteur, le privilège n’a plus d’assiette et il y a déchéance du terme pour la totalité de la dette, en vertu de l’article 1188 du Code civil.

80 Note D.L., Revue droit bancaire et financier, 2004, p. 406. 81 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1077. 82 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1081.

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132. Le constituant a le droit de réclamer le solde éventuel du prix de réalisation de la chose ou la soulte en cas d’attribution par justice, si ce prix ou cette valeur est supérieur au montant de l’obligation garantie. SECTION 5. FIN DU CONTRAT DE GAGE A. Extinction par voie accessoire 133. Ce mode d’extinction provient de la disparition définitive de toute l’obligation garantie83. Il s’agit de la caducité du gage si la disparition de l’obligation garantie est non rétroactive, ou de nullité pour défaut d’objet et de cause, dans le cas contraire. B. Extinction par voie principale 134. Le gage s’éteint lors de la restitution volontaire du gage par le créancier au constituant ; cette restitution emporte renonciation à la sûreté mais n’entraîne pas extinction, ni même modification de l’obligation principale84. 135. Le gage s’éteint, par caducité, si la chose donnée en gage disparaît sans être remplacée par une autre valeur dans le patrimoine du débiteur. L’obligation principale devient alors immédiatement exigible. 136. En cas de déchéance pour abus, par application de l’article 2082 du Code civil, seule l’obligation de restitution de la chose subsiste mais l’intégralité de l’obligation principale se maintient. 137. En cas de nullité du gage pour une raison qui lui est propre (indépendamment de la validité de l’obligation garantie), le gage disparaît et l’obligation principale devient immédiatement exigible. 138. La question de la résiliation unilatérale d’un gage constitué pour garantir toutes sommes dues ou à devoir est controversée. L’on sait depuis l’arrêt Mengal (voy. supra) que la vie d’un gage ne dépend pas de l’existence d’une créance garantie. Ce n'est que lorsqu'est poursuivie l'exécution éventuelle de la sûreté qu'il convient de vérifier si l'obligation garantie existe. Un gage peut dès lors parfaitement vivre pour garantir des

83 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1094. 84 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1095.

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créances futures, sans limitation de durée, pour autant, comme on s'en souvient, qu'elle fussent déterminables au moment de la conclusion de la garantie. A cet égard – comme on l’a vu – l’indication que toutes les sommes dues ou à devoir par un débiteur déterminé envers un créancier déterminé, est traditionnellement jugée satisfaisante85. Cette jurisprudence emporte toutefois une conséquence préoccupante: le constituant d'un gage pourrait voir son bien, nanti pour garantir toutes sommes dues ou à devoir, rendu indéfiniment indisponible, en particulier, lorsque les parties au contrat principal sont des sociétés constituées pour une durée illimitée. Antérieurement à l'introduction dans notre droit de la jurisprudence prônée par l'arrêt Mengal, cet écueil ne pouvait se présenter: limitées aux créances principales existantes, les sûretés réelles se trouvaient nécessairement enserrées dans la durée assignée à celles-ci, que ce soit par un terme extinctif ou par la faculté de résilier unilatéralement une obligation sans terme. 139. Sous l'empire de la conception moderne du caractère accessoire du gage, une telle limitation par répercussion peut parfois ne produire aucun effet, comme l'illustre d'ailleurs une espèce soumise au tribunal de commerce de Bruxelles, que l'on peut résumer comme suit. Le gérant d'une SPRL avait négocié avec une banque une avance de fonds au bénéfice de la société. A l'occasion de la conclusion de cette convention, mais pour garantir plus largement la banque du remboursement de toutes sommes dues ou à lui devoir par la société, il affecta en nantissement un portefeuille de titres de différentes natures lui appartenant. Les crédits octroyés furent plusieurs fois majorés, jusqu'à ce qu'en raison de leur non remboursement à l'échéance, la banque les dénonçât avec un préavis contractuel d'un mois. Entre-temps – et avant l'octroi des majorations non payées – le gérant avait adressé à la banque une lettre recommandée déclarant résilier unilatéralement le gage. Après signification et dépôt de la requête demandant l'autorisation de vendre, mais avant que celle-ci fut accordée par le président du tribunal, les parties comparurent volontairement devant le Président du tribunal de commerce de Bruxelles, afin que soit tranché leur litige, la banque maintenant sa demande d'autorisation de vendre et le constituant du gage s'y opposant au motif que la sûreté avait été résiliée avant la naissance des créances impayées. Par son jugement du 25 septembre 1996, le Président du tribunal de commerce conféra l'autorisation demandée au motif qu'il n'était pas contesté que la banque était créancière et que le gage était valable. Il est vrai que les pouvoirs de vérification du président ou du tribunal de commerce sont limités à ces deux questions, dans le cadre de la procédure en réalisation d'un gage. Le problème soulevé mettait cependant en cause l'existence

85 Voir notamment SIMONT et BRUYNEEL, "Le cautionnement donné en garantie de toutes les obligations d'un débiteur envers son créancier", R.C.J.B., 1974, pp. 214 et 215.

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même du gage, de sorte qu'à titre surabondant, le tribunal y consacra prudemment les intéressantes réflexions qui suivent: "le gage est un droit réel; c'est la raison pour laquelle on parle de sûreté réelle à propos du gage; le droit réel est un droit qu'une personne possède directement sur une chose; la constitution d'un droit réel suppose un acte d'aliénation par lequel la propriété d'une chose, ou un démembrement de cette propriété est transmise; la personne qui acquiert un droit réel sur une chose acquiert un démembrement de la propriété (et) exerce son droit directement sur la chose et non plus sur la personne qui lui a concédé le droit; la personne qui a concédé ce droit à un tiers ne peut plus lui enlever ce droit (et) ne peut plus disposer de la chose que dans l'état où elle se trouve; une fois constitué, le droit réel est soustrait à la volonté unilatérale du constituant; le constituant du droit réel ne peut donc s'immiscer pour y mettre fin dans une relation nouée entre la personne du créancier et le bien donné en garantie; il est devenu étranger à cette relation; la possibilité pour une personne de mettre fin à un contrat par rupture unilatérale ne concerne que les droits de créance et non pas les conventions constitutives de droit réel; au surplus, ce droit de résiliation unilatérale ne s'applique qu'au contrat à prestations successives, et le contrat de gage est un contrat instantané (…)" 86. 140. La position rigoureuse ainsi exprimée se comprend. Elle semble dictée par une juste application de règles fondamentales. Toutefois, en seconde analyse, n'apparaît-il pas que d'autres principes, plus intenses encore peut-être que ceux régissant la catégorie des droits réels, puissent induire une solution inverse? 141. Ainsi, la notion de résiliation unilatérale est-elle réellement inadaptée au gage? Mode exceptionnel de dissolution des conventions, la résiliation par volonté unilatérale n'existe en principe que lorsque la loi l'autorise expressément ou pour toute convention conclue sans limitation de durée en faveur de chacune des parties87. Cette faculté est d'ordre public88. En matière de cautionnement, il est à présent unanimement admis que le contrat de cautionnement conclu sans terme peut être résilié unilatéralement, pour autant que cette résiliation n'intervienne pas à contretemps et qu'un préavis raisonnable soit respecté89. Bien entendu, il reste que la résiliation unilatérale d'un cautionnement ne vaut que pour les dettes futures90.

86 Comm. Bruxelles 25 septembre 1996, J.L.M.B. 1997, pp. 161-163 ; D.A.O.R, 1997, p. 77. 87 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. II, 3ème éd., p. 729. 88 VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence - Les obligations », R.C.J.B. 1988, p. 38, n° 148. 89 Gand 9 janvier 1904, Pas., 1904, I, 158; R.P.D.B. V° Cautionnement, p. 171; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, 1ère éd., p. 834; FORIERS, « Les sûretés personnelles traditionnelles - Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B. 1992, p. 183; DIRIX "Borgtocht - recente ontwikkelingen" in Borgtocht en garantie, personelijke zekerheden, 1997, p. 19, n° 22; SIMLER, note sous Cass. fr. 18 juin 1973, J.C.P. 1975, n° 18415; CABRILLAC et MOULY, Droit des sûretés, p. 227. 90 Voir notamment: Mons 4 février 1996, J.L.M.B., 1987, p. 139, obs. PARMENTIER.

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Ce qui semble aujourd'hui aller de soi pour le cautionnement s'est révélé beaucoup plus difficile à admettre pour l'hypothèque. En réalité, la question n'a pu véritablement trouver d'issue définitive qu'à l'intervention du législateur. L'on a fait valoir à cet égard que la convention d'hypothèque engendrant dans le chef de son bénéficiaire, un droit réel immobilier sur le bien affecté, ce dernier s'en trouvait soustrait à la volonté unilatérale du constituant, raison pour laquelle, de manière générale, le droit de résiliation unilatérale n'existerait que pour les contrats engendrant des droits de créance, de surcroît, à prestations successives91. D'autres se sont prononcés en revanche en faveur d'un droit de résiliation unilatérale pour autant que les dettes garanties avant la résiliation aient été remboursées92. La question fut tranchée, on l'a dit, par le législateur. En effet, à l'occasion de la modification du 13 avril 1995 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire, un article 51 bis y fut inséré, disposant que: "Si une hypothèque est constituée pour sûreté de créances futures pouvant naître pendant une durée indéterminée ou pour sûreté de créances découlant d'un contrat à durée indéterminée, la personne contre laquelle une telle hypothèque est inscrite ou le tiers détenteur du bien affecté de l'hypothèque peut à tout moment résilier l'hypothèque, moyennant un préavis d'au moins trois mois et de maximum six mois (…)". L'exposé des motifs relève que "dans le cas où l'hypothèque garantit des engagements à durée indéterminée, l'affectant hypothécaire doit avoir la possibilité d'y mettre fin"93. La doctrine a généralement salué l'apport de l'article 51 bis de la loi du 4 août 199294. 142. S'agissant du gage, un seul auteur s'est récemment prononcé sur la question du droit de résiliation unilatérale en cas de garantie de toutes sommes dues ou à devoir, en s'y montrant favorable95. Cette opinion va donc à l'encontre de la position adoptée par le jugement examiné; plusieurs arguments militent pourtant en sa faveur, tant il paraît inéquitable qu'un gage puisse être maintenu indéfiniment sans limitation de temps, en particulier dans les cas (relativement fréquents en pratique) où le constituant est un tiers par rapport à la convention principale, privé de tout pouvoir quelconque d'en influencer l'évolution ou l'exécution. Ne pourrait-on soutenir que la situation dénoncée heurterait le principe de l'interdiction des clauses d'inaliénabilité des biens? Comme l'enseigne De Page, l'inaliénabilité d'un bien ne peut être qu'exceptionnelle, au point que "la définition même de la propriété s'insurge contre elle"96. Les clauses d'inaliénabilité ne sont dès lors autorisées qu'à la condition qu'elles soient expressément limitées dans le temps pour

91 STRANART, « L'hypothèque pour toute somme », R.N.B., 1991, p. 145. 92 VAN RYN et HEENEN, Traité de droit commercial belge, T. IV, 2ème éd., p. 422. 93 Ch. Doc. Parl. 1994-1995, n° 1688/A. 94 MOREAU-MARGRÈVE, « L'hypothèque pour toutes sommes », J.T., 1996, pp. 181 et suivantes; WAUTERS, « De hypotheek voor alle sommen - een kritische analyse », Jur. Falc. 1996-1997, pp. 728 et suivantes. 95 T'KINT, Sûretés et principes fondamentaux du droit de poursuite des créancier, 2ème éd., pp. 110, 146 et 147. 96 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. V, 2ème éd., p. 802, n° 904.

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une période raisonnable, la vie entière d'une personne physique étant à cet égard considérée comme trop longue97. Or, la mise en gage d'un bien en garantie de toutes sommes dues ou à devoir sans limitation de temps par une personne morale constituée pour une durée illimitée rend ce bien inaliénable, si pas en droit (car juridiquement le bien peut être vendu), au moins en fait (car la charge qui le grève assortie d'un droit de suite anéantit sa valeur vénale) pour une période potentiellement illimitée. Cette indisponibilité économique heurte, comme le font les clauses d'inaliénabilité illimitée, le principe fondamental de droit privé selon lequel le développement des richesses et le bon ordre de l'économie supposent que les droits patrimoniaux puissent circuler le plus librement possible98. 143. Ne constate-t-on pas, au surplus, que les droits réels, en général, n'ont, hormis la propriété, nullement vocation à être éternels? Ainsi, l'emphytéose et la superficie se trouvent expressément limités respectivement à 99 ans et 50 ans par les lois du 10 janvier 1924. De même, l'usufruit, l'usage ou l'habitation s'éteignent, en règle, au plus tard à la mort de leurs bénéficiaires (articles 617, 618 et 625 du Code civil). Par ailleurs, les servitudes nonobstant leur lien intime avec le droit de propriété, sont susceptibles d'extinction par leur non usage trentenaire (article 706 du Code civil). On l'a vu, l'hypothèque non exécutée peut, à présent, s'éteindre soit comme accessoire d'une créance à terme soit par l'effet d'une résiliation. Pourquoi le gage échapperait-il à ce statut général? Absolument rien ne paraît le justifier. 144. Terminons cette analyse en relevant que le gage peut être considéré comme impliquant des prestations échelonnées dans le temps, caractère qui pourrait justifier qu'en dépit de l'absence d'intervention législative en ce sens, la résiliation unilatérale en soit dès à présent admise. On enseigne classiquement, en effet, dans un domaine comparable, qu'une distinction peut être établie au sein des obligations de la caution entre l'obligation de couverture et l'obligation de paiement99. Parallèlement, cette distinction correspond aux deux périodes jalonnant nécessairement la vie de toute sûreté, même réelle: la période de latence et la période de l'exécution100. La période de latence du gage s'étale pendant tout le temps où plane le risque de non paiement d'une créance à garantir; elle implique notamment l'obligation pour le constituant du gage de s'abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à la valeur de celui-ci. Elle emporte dès lors des obligations (fussent-elles d'abstention) successives et, en cela, lorsqu'il s'agit de créances futures à garantir sans limitation de durée, elle devrait pouvoir être résiliée par la volonté unilatérale du constituant.

97 HANSENNE, « Les biens », t. I, 1996, p. 582. 98 GALOPIN cité par DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. V, 2ème éd., p. 803. 99 CABRILLAC et MOULY, Droit des sûretés, pp. 141 et suivantes. 100 GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, p. 134.

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CHAPITRE III – LE GAGE COMMERCIAL SECTION 1. GENERALITES 145. Le gage commercial est celui qui est constitué pour sûreté d’un engagement commercial (article 1er de la loi du 5 mai 1872). Un engagement est commercial, conformément aux articles 1 à 3 du livre I du Code commerce, - soit par nature, comme la souscription d’une lettre de change, - soit parce qu’il est contracté par un commerçant, c’est-à-dire par la personne qui

accomplit des actes réputés commerciaux par la loi et qui en fait sa profession habituelle.

146. La nature civile ou commerciale du gage se détermine par référence à celle de l’obligation garantie. La nature de l’objet donné en gage, la qualité du créancier ou celle du constituant du gage sont indifférentes. Ainsi, le gage constitué par le directeur d’une société commerciale agissant en qualité de tiers bailleur du gage sera commercial s’il a pour but de garantir les engagements de la société, alors que le cautionnement émis par la même personne serait resté civil. 147. La profession du débiteur de la créance garantie est cependant importante puisque les engagements d’un commerçant sont présumés commerciaux par la loi sauf preuve de ce qu’ils ont une cause étrangère au commerce ; le gage constitué pour garantir l’engagement d’un commerçant sera par conséquent présumé commercial101. SECTION 2. REGLES GOUVERNANT LE GAGE COMMERCIAL ET

COMPARAISON ENTRE LE GAGE CIVIL ET LE GAGE

COMMERCIAL A. Règles gouvernant spécifiquement le gage commercial

101 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2565.

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148. Le gage commercial est en principe gouverné par des règles qui lui sont propres et qui ont été fixées par la loi du 5 mai 1872. L’article 2084 du Code civil soustrait, en effet, à l’emprise des articles 2073 à 2083 du Code civil, « les matières de commerce » et « les maisons de prêt sur gage autorisées », « à l’égard desquelles on suit les lois et règlements qui les concernent ». Le souci principal du législateur a été de simplifier, en matière commerciale, les règles de constitution du gage et de son opposabilité aux tiers, de faciliter la réalisation de celui-ci par une accélération de la procédure. 149. Toutefois, étant donné que la réglementation commerciale du gage est trop fragmentaire pour constituer un système autonome, les principes fondamentaux du gage civil et un certain nombre de règles y applicables régissent le gage commercial dans la mesure où la loi du 5 mai 1872 n’y a pas dérogé102. 150. Nous verrons d’abord quelles sont les règles du gage civil qui s’appliquent au gage commercial pour étudier ensuite les principales différences entre le gage civil et le gage commercial. B. Règles du gage civil applicables également au gage

commercial 151. Le gage commercial obéit tout comme le gage civil aux règles suivantes : - il s’agit d’un contrat réel lorsqu’il porte sur des meubles corporels et consensuel

lorsqu’il porte sur des créances, - c’est un contrat unilatéral et accessoire, - il doit être constitué par le propriétaire du bien mais le créancier gagiste de bonne

foi est protégé par sa possession en vertu de l’article 2279 du Code civil, s’il s’agit d’un meuble corporel,

- seules les choses mobilières sont susceptibles de constituer l’assiette d’un gage

commercial, - la mise en possession peut se réaliser entre les mains du créancier gagiste ou celles

d’un tiers convenu,

102 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1099 ; VAN RYN et HEENEN, T. IV, 1ère éd., n° 2564.

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- le constituant reste propriétaire du gage jusqu’à la réalisation du bien, - le créancier gagiste est tenu par des obligations de garde et de conservation de la

chose, - le débiteur est tenu par une obligation de rembourser les dépenses et les pertes du

créancier gagiste, - le gage présente un caractère indivisible, - le pacte commissoire exprès est interdit aussi bien par l’article 2078, alinéa 2 du

Code judiciaire que par l’article 10 de la loi du 5 mai 1872, - le droit de préférence du créancier gagiste commercial est de même nature et jouit

du même rang que celui du créancier gagiste civil, ainsi qu’en disposent les articles 20-3°, 21 à 26 de la loi hypothécaire.

C. Les principales différences entre le gage civil et le gage

commercial 152. Les principales différences se logent aux niveaux - de la constitution du gage commercial et de son opposabilité aux tiers, régies par

les articles 1 et 2 de la loi du 5 mai 1872, - de la mesure des droits reconnus au créancier gagiste, - des règles de réalisation du gage commercial, déposées aux articles 4 à 9 de la loi du

5 mai 1872. SECTION 3. LA CONSTITUTION DU GAGE COMMERCIAL ET SON

OPPOSABILITE AUX TIERS A. Règles applicables 153. Selon l’article 1er de la loi du 5 mai 1872, le gage commercial est valablement constitué et rendu opposable aux tiers dès lors que :

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- il a été constitué selon les modes admis en matière de commerce pour la vente de

choses de même nature, - et que l’objet du gage a été mis et est resté en possession du créancier gagiste selon

les modes prévus pour la livraison des choses de même nature en matière de commerce.

154. En se référant (quant à la constitution du gage) « aux modes admis en matière de commerce pour la vente », la loi vise non pas les modes de conclusion de la vente commerciale mais bien les modes par lesquels le transfert de propriété qui résulte de la vente des choses de même nature devient opposable aux tiers103. 155. Il faut par conséquent - d’une part, accomplir toutes les formalités nécessaires pour rendre opposable aux

tiers le transfert de propriété de la chose vendue, et - d’autre part, mettre en possession de la chose affectée en gage le créancier gagiste

ou un tiers convenu. 156. Notons que ces deux formalités peuvent très souvent, en pratique, se confondre en une seule opération, comme c’est le cas par exemple pour les meubles corporels (tels des marchandises). Dans ce cas, la tradition joue un rôle double : elle donne lieu à la fois à la constitution du gage entre parties (car le transfert de propriété d’un chose corporelle dans le cadre d’une vente à l’égard des tiers est la tradition) et à son opposabilité aux tiers (qui a lieu par la mise en possession du créancier gagiste)104. B. Comparaison avec le gage civil 157. La grande différence entre le gage civil et le gage commercial réside dans ce qu’aucun écrit, contenant certaines mentions spéciales et enregistré, n’est exigé pour le gage commercial. C. Règles de la preuve

103 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2566. 104 STRANART, Sûretés, n° 24.

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158. L’article 1, alinéa 2, de la loi du 5 mai 1872 prévoit que la preuve du gage et de sa date peut avoir lieu par toutes voies de droit mais qu’elle incombe au créancier. 159. En pratique, l’absence d’écrit peut donner lieu à des difficultés particulièrement en cas de substitution de gage ou pour l’application de l’article 17 de la loi sur les faillites. Il arrive dès lors très fréquemment que les parties contractantes s’accordent sur la rédaction et la signature d’un écrit constatant l’octroi d’un gage commercial. D. Application des règles 160. Pour les meubles corporels, la seule mise ne possession du créancier gagiste ou d‘un tiers convenu est requise105. Cette mise en possession peut avoir lieu par la mise à la disposition des marchandises au profit du créancier, en magasin, navire, douane ou dépôt public, ainsi que par le transfert du connaissement ou de la lettre de voiture, documents négociables représentatifs de la marchandise, ainsi que le prévoit l’article 2 de la loi du 5 mai 1872106. 161. Pour les meubles incorporels non représentés par un titre négociable, le gage est constitué107 :

- par l’accomplissement des formalités requises pour rendre une cession de créance opposable aux tiers, la loi renvoyant ainsi en l’espèce à l’article 1690 du Code civil, lequel dispose que la cession de la créance est opposable aux tiers (autres que le débiteur cédé) par la conclusion de la convention de cession,

- et par la mise en possession du créancier gagiste ; l’on peut à ce sujet se référer

à l’article 2075 du Code civil qui dispose que cette mise en possession a lieu par la conclusion du contrat de gage ;

162. Pour les créances incorporées dans un titre négociable, il y a lieu de procéder par la tradition du titre si celui-ci est au porteur ou par voie d’endossement sur le titre et remise de celui-ci au créancier si le titre est à ordre108 ; 105 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2567. 106 STRANART, Sûretés, n° 24. 107 A. VERBEKE, « De inpandgeving van schuldvorderingen », in E. DIRIX (ed), Overdracht en inpandgeving van schulvorderingen, Kluwer, 1995, p. 79, n° 95; STRANART, « Le gage de créances » in La cession de créance, J.B., 1994, p. 52; S. GILCART, « L’opposabilité de la cession des valeurs mobilières en droit des sociétés », in P. Wery (éd), L’opposabilité de la cession de créance aux tiers, La Charte, 1995, p. 131-133, n° 48 ; VAN OMMESLAGHE, J.T., 1995, n° 19. 108 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2572.

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163. Pour les titres nominatifs ou dématérialisés, la mise en gage a lieu par la simple conclusion du contrat de gage suivie des formalités prescrites par le Code des sociétés109 ; 164. Pour les titres soumis à un régime de fongibilité, il convient de se référer aux dispositions particulières contenues dans les législations relevant du droit financier. SECTION 4. LES DROITS DU CREANCIER GAGISTE : UNE EXTENSION ET

UNE RESTRICTION A. Une extension 165. Tandis que le bénéficiaire d’un gage civil ne peut imputer que les intérêts de la créance mise en gage sur les intérêts ou le capital de sa créance si elle ne produit pas d’intérêts, conformément à l’article 2081 du Code civil, le titulaire d’un gage commercial peut aussi percevoir le capital d’une créance engagée venant à échéance même avant l’exigibilité de la dette garantie et, à partir de celle-ci, imputer ce capital sur la créance, ainsi que l’y autorise l’article 3, alinéa 1 de la loi du 5 mai 1872. 166. Il peut percevoir la totalité du capital même si la créance est moindre, à charge évidemment de rembourser le solde au titulaire de la créance, son propre débiteur110. 167. Par voie de conséquence, le débiteur de la créance donnée en gage doit se libérer exclusivement entre les mains du créancier gagiste alors qu’en matière civile, il y a lieu à consignation. 168. Est licite partant la clause d’un acte de gage prévoyant que, après notification au débiteur de la créance engagée ou reconnaissance par celui-ci du fait de la mise en gage, le créancier gagiste a le pouvoir d’exiger directement le paiement de la créance et d’en percevoir le produit111. Le créancier gagiste est, dans ce cas, autorisé à encaisser le montant de la créance engagée sans autorisation judiciaire112.

109 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2573 ; Voy. également, J.P. BLUMBERG et J. VAN LANCKER, « De totstandkoming en de tegenwerpelijkheid van de inpandgeving van aandelen op naam », T.R.V., 1995, p. 461 et suiv. 110 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1103. 111 Anvers, 14 décembre 1998, R.W., 1998-1999, T.G.R., 2001, p. 27. 112 BIQUET-MATHIEU, Chron. not. Liège, vol. XXXVI, n° 44, p. 135 et vol XXXI, n° 47, p. 366.

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169. Le créancier gagiste conservera la somme jusqu’à l’exigibilité de sa créance et l’imputera sur celle-ci lorsqu’elle sera devenue exigible113. 170. Nulle autorisation n’est dès lors requise pour la réalisation d’un gage commercial portant sur des créances : le créancier gagiste, usant de l’autorisation, conférée par l’article 3 de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial, de percevoir aux échéances les intérêts, les dividendes et les capitaux des valeurs données en gage, les impute sur la créance garantie, après notification au débiteur ou reconnaissance par lui de l’existence du gage114. B. Une restriction 171. Le droit de rétention particulier à l’article 2082, alinéa 2 du Code civil n’est pas applicable en matière commerciale115. SECTION 5. LA PROCEDURE DE REALISATION DU GAGE 172. La procédure de réalisation est expéditive, impérative et comporte les étapes essentielles suivantes, décrites aux articles 4 à 10 de la loi du 5 mai 1872 : (1) une mise en demeure signifiée au débiteur et au tiers bailleur de gage éventuel

(article 3, alinéa 1), (2) le dépôt d’une requête au président du tribunal de commerce du lieu où se trouve

le gage, tendant à l’autorisation de le faire vendre (article 4, alinéa 1). La loi n’autorise pas le créancier, en matière commerciale, à se faire attribuer le gage par justice,

(3) la signification de la requête au débiteur et au tiers bailleur éventuel avec invitation

de faire parvenir leurs observations au président dans un délai de deux jours (article 4, alinéa 2),

(4) le prononcé de l’ordonnance présidentielle d’autorisation de faire vendre, au choix

du président, soit par vente publique, soit de gré à gré (article 4, alinéa 1)116.

113 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2578. 114 Civ. Gand, 1er décembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 487 ; T.G.R., 2001, p. 27 ; BIQUET-MATHIEU, « Chron. not. Liège », vol. XXXI, n° 47, p. 366. 115 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1068. 116 Sur la procédure à suivre pour la vente d’actions de sociétés: Prés. Trib. Comm., Tongres, 3 février 1994, T.R.V., 1995, p. 512, note I. PEETERS.

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Il est important de noter à ce stade de la procédure ce qui suit : - l’ordonnance d’autorisation constitue le titre exécutoire permettant au

créancier de faire vendre ; il n’a pas à obtenir au préalable à cet effet un titre exécutoire pour procéder à l’exécution de l’obligation garantie,

- saisi de la requête, le président est uniquement habilité à vérifier sa compétence

(matérielle et territoriale), la régularité du gage et le caractère commercial de celui-ci117,

(5) préalablement à la vente, l’ordonnance doit être signifiée au débiteur et au tiers

bailleur éventuel, qui disposent d’un délai de trois jours pour faire opposition avec assignation du créancier devant le tribunal de commerce (article 5),

(6) en cas d’opposition, le tribunal exerce les mêmes pouvoirs que le président et ne

dispose pas de plus de pouvoirs que lui, (7) l’ordonnance et le jugement sont exécutoires, nonobstant l’opposition ou l’appel

(article 7) : ainsi, même si la créance garantie est contestée, le créancier dispose du droit de faire vendre le gage aussitôt qu’il a obtenu l’ordonnance et même si elle est frappée d’opposition,

(8) le jugement rendu par le tribunal sur opposition est appelable dans un délai de huit

jours à dater de sa signification (article 6). 173. Si le débiteur désire contester la créance elle-même, ses seuls recours seront de porter le litige au fond devant le tribunal compétent pour faire dire pour droit qu’il ne doit rien, ou demander des dommages et intérêts si entre-temps le bien mis en gage a été vendu. 174. En cas de faillite du constituant du gage, l’article 26 alinéa 1 de la loi sur les faillites suspend les voies d’exécution même destinées à obtenir le paiement des créances privilégiées sur les meubles, jusqu’à la clôture du procès-verbal de vérification des créances. Parmi les créanciers privilégiés visés, figure le créancier gagiste, auquel l’article 20-3° de la loi hypothécaire reconnaît un privilège spécial. L’alinéa 3 de l’article 26 octroie, en outre, au curateur le pouvoir de solliciter de la part du tribunal de commerce, si l’intérêt de la masse l’exige et à condition qu’une réalisation des meubles puisse être attendue qui ne désavantage pas les créanciers privilégiés, la prolongation de

117 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2581.

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la période de suspension des voies d’exécution pour une période maximale d’un an à compter du jugement déclaratif de faillite. 175. En cas de concordat judiciaire, l’article 21 de la loi relative au concordat judiciaire interdit la mise en œuvre de voies d’exécution nouvelles ou la poursuite de celles-ci, si elles sont déjà entamées avant le début de la période d’observation. Ce sursis est applicable à tous les créanciers, quelle que soit la sûreté dont ils disposent. Le tribunal peut, à la demande du créancier gagiste, qui prouve que sa sûreté subit ou pourrait subir une importante moins-value, accorder des sûretés supplémentaires en guise de compensation, eu égard au montant de la créance. Il est précisé, en fin d’article 21, qu’il n’est pas porté « préjudice aux dispositions contraires établies par les lois particulières applicables qu’il y ait concours ou non », réservant ainsi la particularité du droit applicable aux marchés financiers. CHAPITRE IV. LE GAGE SUR FONDS DE COMMERCE SECTION 1. INTRODUCTION 176. Le gage sur fonds de commerce est une sûreté réelle sans dépossession qui a été introduite par la loi du 25 octobre 1919. Cette loi fut modifiée par l’arrêté royal n° 282 du 30 mars 1936 et par la loi du 22 mars 1993. Les deux caractéristiques essentielles de cette sûreté sont la nature fluctuante du fonds de commerce, d’une part, et l’absence de dépossession du débiteur, d’autre part. 177. Le but du législateur a été de permettre aux petits commerçants d’obtenir plus facilement des crédits. Les formes traditionnelles de sûretés réelles ne leur sont en effet généralement pas ouvertes : ils ne disposent pas d’immeubles pouvant être hypothéqués ; leur matériel d’exploitation ne peut être mis en gage car ils doivent en garder l’utilisation ; leurs marchandises ne le peuvent davantage car elles sont destinées à être livrées rapidement à leurs clients118. Le législateur a par conséquent mis en place une nouvelle forme de sûreté sans dépossession et dont l’objet porte sur le fonds de commerce.

118 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2596; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1106.

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SECTION 2. OBJET DU GAGE SUR FONDS DE COMMERCE 178. L’objet du gage est le fonds de commerce lui-même. Il faut définir le fonds de commerce pour connaître quel sera l’objet du gage sur fonds de commerce. Deux théories se sont opposées à ce sujet. 179. Selon une théorie ancienne, le fonds de commerce serait une universalité de fait comprenant l’ensemble des biens corporels et incorporels unis par une destination économique commune. Cette théorie a été critiquée pour son caractère vague et pour l’absence de prise en considération de la clientèle comme valeur. 180. Selon la théorie moderne, le fonds de commerce est le droit de tirer bénéfice de l’attraction de la clientèle d’un établissement commercial119. Le fonds de commerce y apparaît comme un droit mobilier incorporel, portant sur une valeur caractérisée par le rendement potentiel découlant de la possibilité d’attraire une certaine clientèle, liée à l’organisation de l’établissement commercial. En réalité, à la lecture des diverses analyses proposées, il ressort que le fonds de commerce serait une entité économiquement, mais non juridiquement, distincte des éléments qui le composent, une universalité de fait, un ensemble de biens pouvant, en raison de leur destination commune (la conquête d'une clientèle), être l'objet de conventions particulières, mais ne constituant pas un patrimoine distinct de celui qui s'attache à la personne titulaire du droit de propriété sur les éléments composant le fonds; en un mot comme en cent, le fonds de commerce est un ensemble d'éléments variés dont le trait commun est de contribuer, par leur association, à attirer et à retenir la clientèle de l'entreprise120.

119 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial , T. I, 2ème éd., n° 432-433. 120 Voir VAN GINDERACHTER, De la notion de fonds de commerce, 1938, 2ème éd., n° 33; FRÉDÉRICQ, Traité de droit commercial belge, T. II, n° 5; COHEN, Traité théorique et pratique des fonds de commerce, 1947, n° 16; VAN DE VORST, « De la notion juridique du fonds de commerce », R.P.N. 1925 p. 257; R.P.D.B. V° Fonds de commerce, p. 787; LIMPENS, note sous Cass. 22 mai 1943, 16 septembre 1948, 28 mai 1950, p. 102, n° 5; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. IV, 3ème éd., p. 318; FONTAINE, « L'inclusion des créances, valeurs et espèces dans la composition du fonds de commerce », note sous Cass., 6 novembre 1970, R.C.J.B.,1972, p. 327; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B. 1992, p. 89; DE BEUS, « Cession et mise en gage du fonds de commerce – Travaux législatifs en cours », Rev. Banque 1957, p. 325; BOUCKAERT, « Le fonds de commerce en droit comparé », Rev. Banque 1982, p. 452; CUYPERS, « Het pand op de handelszaak », R.N.B., 1989, p. 278; MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et Malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8 avril 1976, R.C.J.B.,

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181. C'est en raison du lien nécessaire entre le fonds de commerce et la clientèle qu'il doit tendre à séduire, qu'il a été jugé, par exemple, qu'il ne peut y avoir de fonds de commerce négociable ou pouvant être grevé d'un gage, lorsqu'un établissement bancaire, privé en l'occurrence de l'agrément indispensable à la poursuite de son activité, voit sa clientèle déserter ses guichets, sans même avoir la volonté de la reconstituer jamais121. 182. La clientèle, bien qu'apparaissant donc comme la caractéristique essentielle du fonds de commerce, est une notion toutefois difficile à cerner. Il a toujours été admis qu'aucun véritable droit ne peut porter sur la clientèle; le commerçant peut seulement espérer qu'elle s'attache et reste attachée à son fonds. La clientèle ne peut donc être traitée comme un élément faisant véritablement partie intégrante du fonds; elle n'est qu'une circonstance évanescente de l'activité122. Malgré tout, c'est elle qui confère sa valeur au fonds de commerce et qui se voit reconnaître, pour cela, une certaine réalité juridique123. 183. L'intensité attribuée à cette réalité juridique est variable. Ainsi, dans un jugement du 23 janvier 1985, le juge des saisies de Bruxelles a estimé que le fonds de commerce n'existe qu'à partir du moment où il fonctionne et qu'il reçoit des clients, que la clientèle représente l'élément le plus fondamental d'un fonds de commerce, sans lequel il ne saurait exister et en a déduit qu'aucun gage ne pourrait valablement être constitué sur un fonds sans clientèle124. Cette opinion radicale a toutefois été nuancée ultérieurement : si la clientèle caractérise effectivement le fonds de commerce lorsqu'il a commencé ses activités, il ne semble pas nécessaire que ce dernier ait procuré un client avant d'accéder à l'existence juridique, et,

1980, p. 132-136; VERCRUYSSE et LAUWERS, Le fonds de commerce, n° 142; Enc. Dalloz V° Fonds de commerce, n° 119, 120 et 133; GUILLEMYN, La cession de fonds de commerce, d'entreprises, d'actions, Creadif 1991, p. 21 et p. 28; STRANART et GRÉGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en particulier face au créancier gagiste d'un autre type », R.D.C.B., 1994, pp. 17-18; CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce, p. 7; voir encore Comm. Anvers, 9 octobre 1980, R.G.E.N., 1981, p. 232; Comm. Civ., Tournai 28 janvier 1987, R.C.J.B., 1987, p. 887; Gand, 3 juin 1983, Pas. 1983, II, p. 1134; Bruxelles, 31 mars 1987, R.G.E.N., 1987, p. 399; Cass., 11 juin 1936, Pas., 1936, I, 288; Cass., 12 mars 1936, Pas., 1936, I, 187; Cass., 24 octobre 1940, Pas., 1940, I, 269; Cass., 6 octobre 1970, Pas., 1971, I, 101; Cass., 6 novembre 1970, Pas., 1971, I, 200. 121 Liège, 10 mai 1994, R.D.C.B., 1995, p. 40. 122 MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », R.C.J.B., 1980, p. 138. 123 En matière de concurrence illicite, voir Mons, 27 janvier 1981, Pas., 1981, II, 57. 124 Civ. Bruxelles, ch. saisies, 23 janvier 1985, J.T., 1985, p. 306.

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par là, avant de pouvoir faire l'objet d'un gage. Il suffit pour cela qu'il ait été constitué dans ce but125. 184. Le droit de gage porte non seulement sur le fonds de commerce lui-même mais également à chacun des biens pris individuellement qui composent le fonds de commerce. L’article 2 de la loi du 25 octobre 1919 qui consacre cette règle contient une énumération non exhaustive des biens et droits faisant partie du fonds de commerce : la clientèle, l’enseigne, l’organisation commerciale, les marques, le droit au bail, le mobilier de magasin, l’outillage. Dès le moment où les parties conviennent d’affecter le fonds de commerce en gage, l’ensemble de ces biens et valeurs seront de plein droit compris dans l’assiette du gage sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à une formalité quelconque pour que de nouveaux éléments qui viendraient à s’incorporer dans le fonds rejoignent également cette assiette. 185. La loi prévoit également que les parties peuvent exclure de la mise en gage certains éléments qui sont traditionnellement inclus dans le fonds de commerce126. Toutefois, les parties ne pourraient exclure l’un des éléments considérés comme essentiels au fonds de commerce, à peine de dénaturer la sûreté, dans ce cas non valablement constituée127. 186. Les éléments essentiels sont ceux sans lesquels on ne saurait concevoir le fonds de commerce. Ce sont donc ceux qui permettront d’attirer la clientèle, à savoir, le nom ou l’enseigne, le droit au bail, le know-how. Sont considérés comme accessoires, le mobilier, le matériel, l’outillage. 187. Inversement, la loi donne aux parties la faculté d’inclure les marchandises en stock dans le gage sur le fonds de commerce. Pour ce faire, il faut que tant l’acte de gage le mentionne expressément, ainsi que l’impose l’article 3, alinéa 2 de la loi du 25 octobre 1919, que l’inscription au registre de la conservation des hypothèques, en vertu de l’article 4, alinéa 3-3° de la loi du 25 octobre 1919. En ce cas, le gage ne portera que sur la moitié de la valeur des stocks.

125 Comm. Bruxelles, 5 mars 1996, J.T., 1996, p. 344; en ce sens, VAN RYN et HEENEN, « Principes de droit commercial », T. IV, p. 1762. 126 MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », R.C.J.B., 1980, p. 127, spéc. p. 135, n° 6 ; VAN COMPERNOLLE, in Feduci, p. 86, n° 43 ; STRANART, Sûretés, p. 39. 127 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. II, 1ère éd., n° 2598.

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188. Sont traditionnellement exclus du fonds de commerce, - les créances et les dettes de l’entreprise, - les espèces en caisse, - les effets de portefeuille, - les immeubles par nature. 189. La Cour de cassation a cependant admis l’inclusion de certains de ces éléments dans le gage sur fonds de commerce. Dans un arrêt du 6 novembre 1970128, en effet, la Cour de cassation a admis que, moyennant une clause spéciale dans l’acte, le gage sur fonds de commerce comprenne les créances, valeurs mobilières et espèces. 190. Deux critiques doctrinales ont été adressées à l’encontre de cet arrêt. Selon Monsieur Fontaine129, les créances, effets et valeurs font partie de plein droit du fonds de commerce car « ces postes du réalisable et du disponible constituent des éléments indispensables au fonctionnement du fonds ». Il n’y aurait donc pas lieu de mentionner expressément dans l’acte leur inclusion dans l’assiette du gage. Selon Madame Moreau-Margrève130, les créances, valeurs et espèces ne font pas partie du fonds de commerce car elles ne constituent que le produit de l’activité et non pas un moyen d’exploitation ; l’on ne saurait par ailleurs, d’après cet auteur, étendre conventionnellement l’assiette de la sûreté car seule la loi en organise les contours. 191. Ces critiques n’ont pas ébranlé la jurisprudence de la Cour de cassation qui est, au demeurant, appliquée régulièrement dans la pratique des affaires. 192. Sur le plan de l’opposabilité aux tiers de l’inclusion des créances, valeurs et espèces dans l’assiette du gage, la Cour de cassation a décidé que si l’acte de gage devait prévoir cette inclusion, l’inscription de l’acte par la voie du bordereau ne devait pas

128 Pas., 1971, I, 200; R.C.J.B., 1972, p. 320, note Fontaine. 129 « L’inclusion des ‘créances, valeurs et espèces’ dans la composition du fonds de commerce », R.C.J.B., 1972, p. 322. 130 Op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 133 et 138.

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contenir une telle mention car elle n’est pas imposée par la loi131. Cette jurisprudence a également été critiquée132, au motif qu’il est important que les tiers soient régulièrement informés de la portée exacte de l’assiette de la sûreté. 193. Dans un arrêt du 26 mai 1972133, la Cour de cassation a décidé que le fonds de commerce s’étend de plein droit aux immeubles par destination affectés à l’exercice du commerce dans le cas où l’exploitant du fonds est également propriétaire de l’immeuble dans lequel le fonds est exploité. La solution n’était pas évidente134. Le principal argument à l’appui d’une réponse négative était que le gage sur fonds de commerce est une sûreté mobilière ne pouvant en tant que telle s’étendre à des immeubles. La Cour de cassation n’a pas épousé cette thèse. Elle a considéré que, d’une part, d’un point de vue juridique, la loi n’exclut pas que le gage sur fonds de commerce puisse porter sur les immeubles par destination et que, d’autre part, d’un point de vue économique, l’exclusion des immeubles par destination aurait pour effet de défavoriser une forme particulière d’exploitation, dans laquelle le propriétaire du fonds de commerce est également propriétaire de l’immeuble, par rapport à une autre dans laquelle le propriétaire du fonds de commerce est locataire de l’immeuble. Certains ont critiqué la solution de la Cour de cassation135, au motif qu’elle se fonde erronément sur le but économique de la loi, qui était en effet de favoriser le crédit aux commerçants non propriétaires de l’immeuble où le commerce est exploité. Les autres, propriétaires de leur immeuble, peuvent recourir à l’hypothèque et ne seraient par conséquent pas préjudiciés par une telle distinction. 194. L’on comprendra rapidement que l’intérêt réel du gage sur fonds de commerce réside dans la possibilité qu’il offre de constituer un gage sans dépossession sur l’outillage et les meubles affectés à l’exploitation, sur les marchandises en stock, à concurrence de la moitié de leur valeur et sur les créances en espèces136.

131 Cass., 6 novembre 1986, Pas., 1987, I, 301, R.D.C., 1987, p. 723, note B ; MAES, R.W., 1988-1989,p. 57, note E. DIRIX ; voir également Comm. Hasselt, 11 mai 1995, R.W., 1995-1996, pp. 26-27; Comm. Ypres, 14 décembre 1992, R.D.C.B., 1994, pp. 364-365, obs. COLLE. 132 Voy. STRANART, in Recyclage, 1992, p. 90. 133 Pas., 1972, I, 889, J.T., 1972, p. 625, note BRUYNEEL. 134 Voy. HEENEN, « Nantissement du fonds de commerce et immeubles par destination », R.C.J.B., 1964, p. 16 qui expose la controverse. 135 Voy. MOREAU-MARGRÈVE, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 136-137. 136 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2596. STRANART, Sûretés, p. 39.

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En effet, au moment où le créancier procédera à la réalisation du gage sur fonds de commerce, il arrivera le plus souvent que les affaires du débiteur auront à ce point périclité que les éléments incorporels du fonds de commerce, considérés comme essentiels, auront perdu une grande partie de leur valeur économique. N’auront conservé une valeur notable que ces éléments accessoires que sont l’outillage, les marchandises et les créances. SECTION 3. LES REGLES DE CONSTITUTION DU GAGE SUR FONDS DE

COMMERCE ENTRE PARTIES A. Conditions de fond § 1. Le constituant du gage doit être le propriétaire du fonds 195. Le constituant du gage peut être tout commerçant, personne physique ou morale, propriétaire d’un fonds de commerce137. Il faut qu’il soit propriétaire du fonds. Le locataire d’un fonds de commerce ne peut le donner en gage ; ceci constituerait, en premier lieu, une violation de ses obligations de locataire. En second lieu, le gage serait nul138. La Cour de cassation a décidé par ailleurs que, parce que le fonds de commerce est un meuble incorporel, le créancier gagiste ne peut se protéger par l’invocation de l’article 2279 du Code civil contre la revendication du propriétaire réel du fonds de commerce139. 196. Il en est de même de l'acquéreur d'un fonds de commerce avec réserve de propriété bénéficiant au cédant : il ne peut affecter le fonds en gage faute d'en être le véritable propriétaire. A ce propos, il a été décidé que la clause de réserve de propriété est opposable à l'établissement de crédit s'étant fait remettre en gage le fonds que son prêt était destiné à financer, sans avoir eu la prudence de se faire produire l'acte de cession140.

137 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2598 ; voy. pour un cas d’application, Liège, 22 décembre 1992, J.L.M.B., 1995, p. 134. 138 T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 326. 139 Cass., 11 octobre 1985, Pas., 1986, I, 150, J.T., 1986, p. 290 ; voy. également, A. VERBEKE et I. PEETERS, Voorrechten, hypotheken en andere zekerheden, Permanent Documentatiesysteem, 1995, n° 2, p. 175, n° 460. 140 Liège, 22 décembre 1992, J.L.M.B., 1995, p. 134.

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197. Dans semblable hypothèse, il a été décidé par la Cour d'appel de Bruxelles, qu'il n'appartient pas au notaire ayant participé à la rédaction de conventions de crédit garanties, d'une part, par des hypothèques et, d'autre part, par un gage sur fonds de commerce, "de se livrer à une enquête financière (en particulier si le créancier gagiste est une société spécialisée dans des prêts hypothécaires), pour déterminer si les emprunteurs étaient ou non propriétaires du fonds de commerce qu'ils gageaient"141. 198. Les clauses prévoyant que le gage grève un fonds de commerce déterminé mais est destiné à s’étendre à tous sièges d’exploitation se trouvant dans le même arrondissement ou dans d’autres arrondissement sont valables. La jurisprudence admet, en effet, cette extension même si les sièges concernés ne sont pas déterminés et non encore ouverts, pour autant bien entendu que, venant à l’existence, ils ne constituent pas un fonds distinct142. 199. Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel de Liège considère, dans un arrêt du 5 octobre 1999143 que lorsque le propriétaire d’un débit de boisson achète une brasserie voisine, le fonds de commerce initialement consenti par lui ne s’étend pas à la nouvelle acquisition car les deux fonds disposent, l’un par rapport à l’autre, d’une autonomie, grâce au maintien de leurs enseignes et clientèles respectives. § 2. Le bénéficiaire du gage doit être un établissement de crédit ou

un établissement financier 200. Jusqu’à la modification apportée par la loi du 22 mars 1993, le créancier gagiste devait être une banque ou un établissement de crédit agréé par le gouvernement, devant dès lors se soumettre aux conditions d’agréation définies par l’arrêté royal du 12 février 1936, modifié par les arrêtés royaux du 29 avril 1937 et du 21 janvier 1939. La loi du 22 mars 1993 a modifié cette exigence. Dorénavant, le gage sur fonds de commerce peut être consenti initialement à tout établissement de crédit ou établissement financier exerçant ses activités dans un Etat européen, sans besoin d’agrément spécifique. Il s’agit des établissements qui exercent des activités de prêt, crédit-bail, octroi de garanties et souscriptions de cautionnement144. 141 Bruxelles, 8 mars 1993, R.G.A.R., 1994, n° 12302. 142 Bruxelles, 6 février 2001, R.W., 2001-2002, p. 204 ; Anvers, 13 décembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 204 ; Anvers, 13 décembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 845 ; Liège, 5 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 643 ; Comm. Charleroi, 13 janvier 1999, J.L.M.B., 2001, p. 1304. 143 J.L.M.B., 2000, p. 643. 144 LECHIEN, « Le gage sur fonds de commerce est-il une sûreté efficace ? », in Les conférences du centre de droit privé et de droit économique, 1994, pp. 115-119 ; CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce, p. 41.

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201. Cette qualité n’est toutefois nécessaire qu’à la constitution de la sûreté : nul besoin d’être un établissement de crédit ou un établissement financier pour bénéficier d’un gage sur fonds de commerce, après avoir acquis par subrogation ou par cession les droits du bénéficiaire initial145. 202. La sanction du non respect de ces conditions a toujours été et demeure la nullité absolue du gage sur fonds de commerce consenti à une personne habilitée à en recevoir le bénéfice146. B. Conditions de forme 203. Le contrat de gage sur fonds de commerce est un contrat solennel : il n’existe entre les parties qu’à partir du moment où il est constaté par écrit147. L’article 3 de la loi du 25 octobre 1919 exige en effet la rédaction d’un écrit qui peut être un acte authentique ou un acte sous seing privé. SECTION 4. LES REGLES D’OPPOSABILITE AUX TIERS DU GAGE SUR

FONDS DE COMMERCE A. L’inscription prévue par l’article 4 de la loi du 25 octobre

1919 204. L’article 4 de la loi du 25 octobre 1919 prévoit que l’acte de gage sur fonds de commerce ne devient opposable aux tiers que par son inscription dans un registre tenu par le conservateur des hypothèques de l’arrondissement judiciaire dans le ressort duquel le fonds de commerce est établi. Le gage sur fonds de commerce est une sûreté conventionnelle sans dépossession. Le législateur a, par conséquent, imposé une autre forme de publicité que la mise en

145 Comm. Liège, 28 juin 1990, J.L.M.B., 1990, pp. 1114-1115. 146 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1107-B-3° ; VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd., n° 2598 ; Moreau-Margrève, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », R.C.J.B., 1980, p. 149, n° 20 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 324 ; sur un cas d’application : voy. Cass., 4 février 1966, Pas., 1966, I, 722, R.P.S., 1967, p. 156, obs. ; STRANART, Chron. jur., p. 234, n° 15. 147 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2599 ; MOREAU-MARGRÈVE, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 155, n° 23 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers », n° 327 ; contra : DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1107-B-3°.

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possession pour avertir les tiers de l’existence de cette sûreté. Cette forme de publicité est l’inscription de l’acte de gage dans un registre, dont le régime est semblable à celui organisé par la loi hypothécaire en matière d’hypothèques. Ce régime est précisé aux articles 4bis, 5 et 6 de la loi du 25 octobre 1919. 205. L’inscription du gage le rend opposable sans autre formalité. Dès lors, lorsqu’un huissier de justice saisit un bien compris dans l’assiette d’un gage sur fonds de commerce, il ne peut procéder à la réalisation du bien sans tenir compte de la sûreté, sous sa responsabilité professionnelle148. 206. En vertu de l’article 9 de la loi du 25 octobre 1919, l’inscription est valable pendant une durée de dix ans. Elle est effectuée par le conservateur des hypothèques sur la présentation d’une copie de l’acte de gage accompagnée de bordereaux d’inscription qui doivent contenir différentes mentions imposées. 207. Le régime légal n’a été fixé que de manière sommaire (et vraisemblablement conçu au départ comme devant être provisoire149) en laissant sous silence des questions aussi importantes que celles de savoir s’il y a lieu de prendre une nouvelle inscription en cas de déplacement du fonds de commerce dans un autre arrondissement ou s’il y a lieu de prendre une inscription dans chacun des arrondissements où l’entreprise exploite un établissement. Ces questions ont été réglées par la jurisprudence. B. Interprétation jurisprudentielle 208. En cas de pluralité de sièges d'exploitation due au développement du fonds de commerce entraînant l'ouverture de plusieurs sièges d'exploitation, il a été décidé par un jugement du 3 novembre 1983 du tribunal de commerce de Tongres que la sûreté ne peut englober d'autres fonds de commerce appartenant au même propriétaire, mais dont la clientèle, l'enseigne et l'organisation sont différentes, de sorte que tous les sièges ne constituent pas un ensemble homogène150. Statuant dans le même sens, le tribunal de commerce de Mons a estimé, dans un jugement du 11 avril 1988, qu'"une même personne juridique (...) peut exploiter plusieurs fonds de commerce sous la même inscription au registre du commerce et sous une même

148 Mons, 1er mars 2001, R.G.D.C., 2002, p. 236 ; BIQUET-MATHIEU, Chron. not. Liège, vol. XXXVI, p. 152, n° 53. 149 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1105. 150 R.D.C.B., 1985, p. 115, spéc. 116.

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organisation administrative et comptable; que le critère déterminant de la consistance d'un fonds de commerce est l'existence d'une clientèle propre; (...) que l'organisation administrative et comptable et l'inscription au registre du commerce ne sont pas des facteurs de ralliement d'une clientèle qui n'en a même pas connaissance; que le sont par contre l'emplacement géographique, l'enseigne, les fournitures et services offerts; que lorsque ces facteurs sont différents, l'on se trouve en présence de fonds de commerce distincts susceptibles de s'attacher des clientèles différentes". Sur la base de ces principes directeurs, le tribunal a procédé ensuite aux constatations que "en l'espèce, les emplacements géographiques étaient différents, que les enseignes étaient différentes, de même que les biens et les services offerts par le même commerçant". Enfin, le tribunal a déduit de ces constatations que le gage sur fonds de commerce initial ne s'étendait pas aux autres fonds151. C'est en ce sens également que s'est prononcée la Cour d'appel de Mons, dans un arrêt du 10 janvier 1990, déclarant que lorsque la localisation de plusieurs sièges d'exploitation d'une activité commerciale permet d'identifier des clientèles distinctes, le gage consenti sur un magasin ne saurait s'étendre à l'intégralité des éléments corporels et incorporels de toutes les activités commerciales du débiteur152. Le juge doit donc vérifier, afin d'identifier le cas échéant une pluralité de fonds, si chacun d'eux possède une autonomie suffisante. A cet égard, l'existence de plusieurs inscriptions à des registres du commerce d'arrondissements différents est insuffisante à faire présumer l'existence de fonds distincts153. Nouvel écho de cette même jurisprudence : l'arrêt de la Cour d'appel de Mons du 23 janvier 1991, qui a décidé que lorsque des sièges d'exploitation d'une entreprise dirigée par une seule personne concernent des activités différentes, ont une enseigne distincte, occupent des locaux adaptés à leurs besoins spécifiques et ont une clientèle propre, ils constituent des fonds de commerce séparés, malgré l'unicité de l'immatriculation au registre du commerce et de la gestion administrative, de sorte que la mise en gage d'un fonds ne peut s'étendre à l'autre154. 209. N'est pas nécessairement déterminant non plus, à l'instar de l'immatriculation au registre du commerce, le lieu du siège social de la société commerciale ayant constitué le gage. Ainsi, dans une affaire où le siège d'exploitation matériel était différent du siège social de la société propriétaire du fonds de commerce, la Cour de cassation de France a estimé que "le lieu de l'exploitation ne saurait s'entendre (...) du lieu où le propriétaire du fonds

151 R.R.D., 1988, p. 278. 152 R.N.B., 1990, pp. 606-609. 153 Liège, 14 décembre 1990, J.LM.B., 1991, p. 487-492. 154 Mons, 23 janvier 1991, J.L.M.B., 1991, p. 970.

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concentre la direction intellectuelle de l'entreprise, mais (doit s'entendre) du lieu où se réalise objectivement, à la connaissance du public, la mise en valeur des divers éléments"155. En conclusion, le fonds de commerce peut être considéré comme étant établi à l'endroit où se coordonnent de manière autonome et publique, un ensemble d'éléments destinés à attirer une clientèle spécifique, conformément à une organisation mercantile propre156. 210. La jurisprudence admet la validité de clauses précisant que le gage grève un fonds de commerce destiné à s’étendre aux sièges d’exploitation se trouvant dans le même arrondissement, ou dans d’autres arrondissements157. 133. Le déplacement du fonds de commerce hors de l'arrondissement judiciaire où il se trouvait initialement établi, et où dès lors était régulièrement inscrit au registre de la conservation des hypothèques, le gage dont il constitue l'assiette, soulève la question de la nécessité ou non du renouvellement de l'inscription du gage. Par un arrêt du 20 juin 1985, la Cour d'appel de Bruxelles avait décidé que dans un tel cas, l'inscription initiale devenait totalement inefficace, et équivalait à une absence d'inscription rendant le gage sur fonds de commerce inopposable aux tiers, sans distinction entre les créanciers ayant traité avec le propriétaire du fonds de commerce avant le transfert de celui-ci et les créanciers dont la créance est née après ce transfert. Selon la Cour d'appel, il revient dans ce cas au créancier gagiste de reprendre une nouvelle inscription, lorsqu'il est averti du transfert par sa publication au Moniteur belge et par la nouvelle immatriculation de l'exploitant au registre du commerce de l'arrondissement d'accueil158. Le moyen invoqué à l'appui du pourvoi dirigé contre cet arrêt dénonçait son illégalité au regard de l'article 4 de la loi du 25 octobre 1919 n'exigeant pas, selon le pourvoi, la réitération de l'inscription du gage sur fonds de commerce en cas de déplacement de celui-ci hors de l'arrondissement d'accueil. La Cour de cassation n'a pas examiné ce moyen, rejeté comme nouveau et non recevable, les parties ne l'ayant pas invoqué devant les juges du fond159. L'arrêt n'est donc nullement de principe160.

155 Cass. 20 juillet 1938, S. 1938, I, 329, note ROUSSEAU. 156 STRANART et GRÉGOIRE, « La portée des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce, en particulier face au créancier gagiste d'un autre type », R.D.C.B., 1994, p. 21. 157 Bruxelles, 6 février 2001, R.W., 2001-2002, p. 204 ; Liège, 5 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 643. 158 Bruxelles, 20 juin 1985, R.G.E.N., 1987, p. 211. 159 Cass. 26 mars 1987, Ann. Dr. Liège, 1990, p. 161; obs. MOREAU-MARGRÈVE; R.P.S. 1987, p. 211.

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Un enseignement se déduit toutefois de celui-ci, en particulier de la considération selon laquelle le moyen, pris, rappelons-le, de la violation de l'article 4 du 25 octobre 1919, est étranger à toute disposition légale d'ordre public ou impérative. Dans la pensée de la Cour, cet article ne relève donc pas de l'ordre public, alors même qu'il règle l'opposabilité aux tiers d'une sûreté réelle. Cette conception paraît convaincante. Les rapports qu'entretiennent les créanciers entre eux, ainsi que la détermination de leur rang en cas d'exécution forcée portant sur les biens de leur débiteur, relèvent, en effet, de l'autonomie de la volonté des protagonistes de l'accord ; ceux-ci peuvent librement renoncer au bénéfice de leur rang, au même titre d'ailleurs qu'ils pourraient renoncer à leur créance. Encore faut-il, bien entendu qu'aucune atteinte ne soit portée par convention au rang, à la sûreté, au privilège ou à la créance d'un tiers. Cette réserve, étrangère au domaine de l'ordre public ou du droit impératif, n'est qu'une application de la relativité des effets internes des contrats. 211. La question n'étant pas tranchée par la Haute juridiction, la doctrine s'est partagée entre les défenseurs de l'inscription initiale unique et suffisante161 et les auteurs pour qui la réitération de la publicité paraissait nécessaire162. Le même schisme a pu être constaté au sein des juridictions de première instance : ainsi, ont estimé qu'une inscription nouvelle est requise pour assurer l'opposabilité aux tiers du gage en cas de déplacement du fonds de commerce le tribunal de commerce de Charleroi, par son jugement du 20 avril 1988163 et le tribunal de commerce de Bruxelles, par son jugement du 8 mars 1994164; s'est en revanche prononcé en sens inverse, le tribunal de commerce de Gand, par son arrêt du 22 octobre 1992165. A présent, les juridictions d'appel s'orientent toutefois vers l'exigence limitée à l'inscription initiale et unique.

160 MOREAU-MARGRÈVE, « A propos de la publicité en cas de déplacement d'un fonds de commerce gagé », obs. Ann. Dr. Liège 1990, p. 163. 161 MOREAU-MARGRÈVE, « A propos de la publicité en cas de déplacement d'un fonds de commerce gagé », obs. Ann. Dr. Liège 1990, p.164; BOUCKAERT, “De Handelszaak”, A.P.R., n° 157. 162 STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles – Développements récents », in Le droit des sûretés, J.B. Bruxelles 1992, p. 91; LECHIEN, « Le gage sur fonds de commerce », Actualités de droit civil, Conférences du Centre de droit privé ULB, vol. II, p. 142. 163 J.L.M.B., 1989, p. 416. 164 R.D.C.B., 1994, p. 943. 165 R.D.C.B., 1994, p. 82.

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On relève en ce sens, en effet, les décisions rendues le 17 novembre 1994 et le 6 février 2001166 par la Cour d'appel de Bruxelles167, le 14 décembre 1995168 et le 16 juin 2003 par la Cour d’appel de Gand169. 212. L'on sait qu'en cas de vente, comme en cas d'apport en société, de l'ensemble du fonds de commerce grevé, le gage est maintenu, conformément à une jurisprudence constante reposant sur le principe général de l'opposabilité erga omnes des droits réels impliquant la reconnaissance d'un droit de suite170. Plusieurs décisions récentes ont poursuivi cette voie, réaffirmant l'existence du droit de suite. Ainsi, en va-t-il de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 8 janvier 1986, qui précise en outre que l'existence de la saisie-revendication prévue à l'article 11, II de la loi du 25 octobre 1919 n'est pas exclusive du droit de suite, mais lui est complémentaire, l'une assurant la protection du créancier en cas d'aliénation ut singuli de divers éléments du fonds, l'autre, en cas d'aliénation du fonds in globo171; de l'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 22 novembre 1994172, confirmant que la prétention à imposer le respect du gage du tiers acquéreur du fonds ne s'analyse nullement en une action en revendication; du jugement du tribunal de commerce de Gand du 24 février 1995173 et de l'arrêt du 14 novembre 1995 de la Cour d'appel d'Anvers174. Encore faut-il, pour le maintien du gage, précise un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 15 janvier 1996175, que son assiette, à la faveur de l'aliénation, n'ait pas perdu son identité. Autrement dit, le fonds de commerce ne reste grevé par l'effet du droit de suite, qu'il ne s'est pas fondu au sein d'autres avoirs. C'est en ce sens déjà qu'avait statué un jugement du tribunal de commerce de Nivelles du 12 janvier 1981176.

166 R.W., 2001-2002, p. 204. 167 R.D.C.B., 1995, p. 85, note BOUCKAERT, R.N.B., 1995, p. 260, obs. 168 R.D.C.B., 1996, p. 911, obs. DERIJCKE; A.J.T., 1995-1996, p. 433, obs. SNAET. 169 R.W., 2004-2005, p. 899, note DIRIX, « Pand handelszaak en publiciteit ». 170 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poSursuite des créanciers, p. 110; STRANART, « Chronique de jurisprudence: Les sûretés réelles et la publicité foncière », Rev. Banque 1975, p. 232; CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce, p. 69. 171 Liège 8 janvier 1986, R.N.B. 1989, p. 246. 172 R.W., 1995-1996, p. 193, obs. DIRIX. 173 R.W., 1995-1996, p. 679. 174 R.W., 1995-1996, p. 1098. 175 J.T., 1996, p. 485. 176 R.P.S., 198, p. 61.

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Cette jurisprudence se fonde sur le principe général selon lequel il y a caducité du gage par disparition de son assiette. En une telle occurrence, le gage ne renaît pas de ses cendres a estimé la Cour d'appel de Bruxelles dans un arrêt du 31 mars 1987, lorsqu'un nouveau fonds de commerce est exploité, dans le cadre d'une autre activité, par les constituants du gage disparu177. 213. Pas davantage de droit de suite, a déclaré la Cour d'appel de Gand, dans un arrêt du 30 mars 1988, lorsque les biens corporels incorporés dans un fonds de commerce gagé ont tous été vendus par leur propriétaire, mais par une succession de contrats de vente isolés178. A cette hypothèse, répond, en effet, le droit de revendication prévu par l'article 11, II de la loi du 25 octobre 1919, devant être exercé dans un délai de six mois à compter du déplacement. Chacun sait toutefois la faiblesse de cette protection, qui cède face à l'invocation utile par le tiers acquéreur de bonne foi de l'article 2279 du Code civil. 214. L'exercice d'une telle revendication n'est cependant pas exigée pour assurer la persistance des droits du créancier, lorsque le bien corporel n'a fait l'objet que d'une aliénation juridique, sans déplacement matériel, comme c'est le cas dans un contrat de "sale and lease back"179. 215. Deux précisions encore pour terminer cet examen de l'étendue de l'opposabilité aux tiers des droits du créancier gagiste sur fonds de commerce. La conservation de la sûreté n'est pas compromise lorsque la péremption décennale de l'inscription intervient après la date du jugement déclaratif de faillite, en particulier lorsque la créance garantie a été admise irrévocablement au passif privilégié180. Enfin que la loi du 25 octobre 1919 ne prévoyant pas de formalité semblable à la mention marginale organisée en matière hypothécaire, la convention de cession de rang conclue entre deux créanciers gagistes sur fonds de commerce, comme la subrogation ou la cession de la créance garantie est, sans formalité, valable entre parties181 comme opposable aux tiers. Une pratique contraire s'est certes parfois imposée, mais l'absence de mention marginale ne pourrait être légalement opposée à celui qui invoque la cession

177 Bruxelles, 31 mars 1987, R.G.E.N., 1987, p. 399. 178 Gand, 30 mars 1988, J.L.M.B., 1988, somm., p. 1522. 179 Comm. Charleroi, 4 juin 1986, J.L.M.B., 1987, p. 17; Comm. Huy, 3 mai 1985, R.R.D., 1995, p. 340. 180 Comm. Liège, 17 septembre 1996, J.LM.B., 1997, p. 159. 181 Comm. Charleroi, 8 septembre 1993, J.L.M.B., 1995, p. 151.

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ou la subrogation à son profit d'une créance nantie par un gage sur fonds de commerce182. SECTION 5. LES DROITS ET LES OBLIGATIONS DES PARTIES A. Avant l’échéance de la créance garantie § 1. Le constituant 216. Le constituant doit exploiter le fonds de commerce normalement183. L’affectation en gage du fonds de commerce crée dans son chef une obligation positive : il ne peut laisser dépérir le fonds ni le vider de sa substance par des aliénations anormales (à vil prix par exemple) ou par des déplacements matériels d’éléments du fonds non conformes à la poursuite de l’exploitation. 217. Le créancier dispose de plusieurs sanctions à l’égard de son débiteur. De nature civile, la déchéance du terme est prévue à l’article 1188 du Code civil, souvent renforcée contractuellement par des clauses résolutoires expresses. De nature pénale, la sanction relative à l’infraction de détournement s’applique au cas où le débiteur a agi frauduleusement, au sens des articles 491 du Code pénal et 8 de la loi du 25 octobre 1919. § 2. Le créancier gagiste 218. Le créancier gagiste dispose de plusieurs moyens de protection envers les tiers en cas de déplacement ou d’aliénation de certains éléments du fonds de commerce ou du fonds de commerce lui-même. Outre l’action paulienne, ouverte au créancier gagiste selon le droit commun dans les cas dans lesquels le tiers s’est rendu complice de l’aliénation qui a appauvri le débiteur, des mesures plus spécifiques lui sont également offertes.

182 En ce qui concerne la cession de rang, voir CATTARUZZA, Le gage sur fonds de commerce. 183 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2606 ; VAN COMPERNOLLE, « Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge » in Les sûretés, Feduci, 1983, p. 89, n° 46 ; T’KINT, n° 336.

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a. L’article 11-II de la loi du 25 octobre 1919 219. Le créancier gagiste peut en effet, saisir entre les mains des tiers certains éléments du fonds qui auraient été déplacés sans son consentement afin de lui permettre d’empêcher que le fonds de commerce ne perde de sa substance. Selon l’article 11-II de la loi du 25 octobre 1919, ce droit ne peut s’exercer que si le déplacement concerne des matières premières, du matériel et de l’outillage, si le créancier agit dans les six mois184, si le créancier procède par voie de saisie-revendication et enfin si la revendication du créancier ne se heurte pas à la possession de bonne foi de l’acquéreur. 220. Le créancier gagiste ne dispose donc pas véritablement d’un droit de suite opposable à tous ; il ne peut agir que dans le cas d’un déplacement matériel à l’égard d’un détenteur de la chose ou dans le cas d’une aliénation faite à un acquéreur de mauvaise foi. La protection du créancier gagiste est par conséquent fort limitée. b. L’inopposabilité de l’aliénation in globo 221. La doctrine et la jurisprudence ont reconnu une protection plus grande au créancier gagiste en cas d’aliénation de l’ensemble du fonds de commerce. L’aliénation du fonds de commerce effectuée « in globo » est inopposable au créancier gagiste185. 222. La qualification donnée à ce droit ouvert au créancier est controversée : certains parlent de droit de suite ; d’autres de droit de revendication. Le fondement de ce droit découle de ce que l’inscription du gage le rend opposable aux tiers qui doivent par conséquent respecter les droits du créancier gagiste. Celui-ci est en droit de faire déclarer inopposable à lui l’aliénation du fonds de commerce qui serait faite au mépris de ses droits. L’article 2279 du Code civil est d’ailleurs inapplicable au fonds de commerce puisqu’il s’agit d’un meuble incorporel en telle sorte que le créancier gagiste pourra agir contre l’acquéreur du fonds de commerce même si ce dernier est de bonne foi186. 184 Trib. comm. Liège, 15 novembre 1983, Jur. Liège, 1984, p. 625. 185 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2609 ; STRANART, Chron. Jur., p. 232 ; VAN COMPERNOLLE, in Feduci, p. 90-91, n° 46 ; T’KINT, n° 339-340. Trib. Comm. Nivelles, 12 janvier 1981, R.P.S., 1982, p. 61 et Trib. prem. inst. Brugge, 13 septembre 1989, Tijds. Not., 1990, p. 140, note Ch. BEYER, ces deux décisions consacrant cette théorie mais ne l’appliquant pas en l’espèce car dans les faits l’aliénation avait fait disparaître le fonds avant que le créancier n’agisse contre le débiteur ; voir également, Cass., 21 octobre 1999, Pas., 1999, I, 1368. 186 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1109.

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223. L’exercice de ce droit suppose que le fonds aliéné soit encore identifiable et qu’il ne soit pas confondu avec celui l’acquéreur. 224. Un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 1999187 peut être lu comme consacrant un droit de suite au profit du créancier gagiste portant sur l’ensemble du fonds de commerce gagé. Dans l’espèce ayant donné lieu à cette décision, un courtier en assurances avait consenti un gage sur son fonds de commerce, lequel comprenait son portefeuille d’assurances. Lorsqu’il céda celui-ci, le créancier gagiste en réclama la valeur au cessionnaire en invoquant l’existence du droit de suite attaché à la sûreté. Ayant triomphé au fond, le créancier gagiste dut toutefois subir les effets d’une cassation prononcée par l’arrêt précité, fondée sur le motif qu’il ne ressortait pas des constatations du juge du fond que le portefeuille en question s’identifiait entièrement au fonds de commerce du cédant. Ainsi, aux côtés du droit de revendication spécial prévu pour les éléments matériels du fonds de commerce grevé à l’article 11, I et II de la loi du 25 octobre 1919, la Cour de cassation reconnaît implicitement l’existence d’un droit de suite couvrant la totalité du fonds conçu comme un ensemble188. 225. Certes, le créancier gagiste peut renoncer à l’exercice de son droit de suite, pour autant que cette renonciation soit certaine ou tacite mais résultant d’actes non susceptibles d’une autre interprétation. Ainsi, il a été jugé que le créancier gagiste donnant son consentement pour la cession d’un fonds de commerce en la finançant et en se faisant reconnaître un nouveau gage par le cessionnaire avait renoncé à la sûreté initiale189. 226. Encore faut-il pour que le droit de suite soit efficace que les deniers provenant de l’aliénation des biens formant l’assiette du gage sur fonds de commerce soient encore identifiables dans le patrimoine du cédant au moment où le gagiste entend se prévaloir de son droit, soit parce qu’il serait encore dû soit lorsqu’il figure sur un compte spécial ou entre les mains d’un mandataire. Dans une espèce où un débiteur avait, avant sa faillite, cédé sa clientèle, en avait perçu le prix avant de l’utiliser pour payer un de ses créanciers, la Cour d’appel de Mons estime, dans un arrêt du 29 mai 2000190 que ne se trouve plus dans le patrimoine du failli, au jour du jugement déclaratif, ni fonds de commerce ni créance du prix. Elle en déduit que la restitution obtenue par le curateur, sur le fondement des règles régissant la période suspecte, ne se trouve pas grevée du droit de préférence du créancier gagiste. Cette solution paraît difficilement acceptable. Dès lors qu’un fonds de commerce est caractérisé par sa clientèle, la cession de celle-ci peut correspondre à l’aliénation du fonds lui-même, ce qui impose le respect du droit de suite. Ce droit s’extériorise à l’égard des tiers, qu’il s’agisse du cessionnaire ou du curateur, par l’inscription de la sûreté au registre de la conservation des hypothèques.

187 Pas., 1999, I, p. 1368; A.J.T., 1999-2000, p. 517, note VANLERSBERGHE; R.W., 2000-2001, p. 341. 188 LEDOUX, «Chronique de jurisprudence – Les sûretés réelles», D.J.T., 2004, p. 104. 189 Liège, 5 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 643 ; BIQUET-MATHIEU, « Chronique not. Liège », vol. XXXVI, n° 52, p. 151. 190 J.L.M.B., 2000, p. 1292; R.R.D., 2000, p. 338.

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c. Le droit de préférence 227. Le créancier gagiste doit subir les saisies qui seraient faites par des tiers sur des éléments constitutifs du fonds191. Il jouit cependant d’un droit de préférence qu’il peut exercer en cas de concours. 228. L’inscription du gage sur fonds de commerce suffit à ce que le droit de préférence soit respecté dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée dont le créancier gagiste n’a pas pris l’initiative, qu’il s’agisse d’une faillite (et ce sans qu’il faille renouveler l’inscription postérieurement au jugement déclaratif cristallisant les droits de tous192), ou d’une saisie sur un bien faisant partie intégrante du fonds. Dans ce cas, l’huissier mandaté par le créancier ne peut procéder à la réalisation du bien sans tenir compte de la sûreté sous le prétexte que le créancier gagiste n’aurait pas fait opposition. En vertu de l’article 9, alinéa 2 de la loi du 25 octobre 1919, le créancier gagiste sur fonds de commerce est dispensé de l’opposition prévue par l’article 1515 du Code judiciaire. L’huissier doit donc consulter le registre de la Conservation des hypothèques, à peine d’engager sa responsabilité professionnelle193. 229. D’un point de vue procédural, rappelons que l’opposition à l’ordonnance autorisant la réalisation du gage doit être introduite auprès du tribunal de commerce et non auprès du président de ce tribunal siégeant en référé194. d. Renforcement conventionnel du contrôle de gestion 230. Le caractère insuffisant des mesures de protection dont bénéficie le créancier gagiste tant envers le débiteur qu’envers les tiers, a conduit les établissements de crédit à les renforcer par des clauses conventionnelles subordonnant les actes de gestion du fonds d’une certaine importance, à l’accord préalable et écrit du créancier sous peine de la déchéance du terme. Ce droit de regard ainsi octroyé au créancier sur un élément du patrimoine du débiteur est souvent combiné avec des engagements de ne pas faire, tels que celui de ne pas grever le fonds, ne pas le céder en tout ou en partie, ne pas engager certains éléments comme les créances, etc195.

191 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1110 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 1ère éd ;, n° 2610. 192 Liège, 17 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 159 ; R.D.C.B., 1997, p. 159 ; Anvers, 27 novembre 2000, R.W., 2001-2002, p. 494. 193 Mons, 1er mars 2001, R.G.D.C., 2000, p. 236. 194 Anvers, 23 avril 2004, Dr. eur. transp., 2005, p. 95. 195 STRANART, Sûretés, p. 46, n° 29.

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B. A l’échéance de la créance garantie196 § 1. L’article 11-II de la loi du 25 octobre 1919 231. Le créancier peut faire saisir conservatoirement tous les éléments du fonds de commerce si la dette échue est impayée comme l’y autorise l’article 11-I de la loi du 25 octobre 1919. Cette saisie peut être pratiquée sans permission du juge ; elle doit l’être simultanément à la mise en demeure du débiteur. Le but de la saisie est d’empêcher le déplacement par le débiteur d’éléments du fonds de commerce au moment où le risque de non recouvrement de la créance est important. 232. Notons qu’en réalité, le créancier devra le plus souvent procéder par cette saisie car il n’est pas en possession des biens grevés du gage sur fonds de commerce et qu'il doit, par conséquent, se protéger contre des aliénations ou des déplacements qui diminueraient la valeur de sa sûreté. 233. Il y a controverse sur la forme ou les formes à suivre pour pratiquer cette saisie : selon certains, une saisie globale suffirait197. Selon d’autres, il faut saisir chacun des éléments du fonds en suivant les procédures prévues par le Code judiciaire selon la nature du bien : saisie mobilière pour les meubles, saisie-arrêt pour les créances198. § 2. L’article 11-IV de la loi du 25 octobre 1919 234. Le créancier gagiste peut procéder à la réalisation du fonds de commerce en faisant vendre le fonds ou les éléments qui le composent pour se faire payer par préférence sur le prix de réalisation, ainsi que l’énonce l’article 11-IV de la loi du 25 octobre 1919. La procédure à suivre est celle prévue par la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial, auquel renvoie l’article 12 de la loi du 25 octobre 1919. En résumé, la procédure se déroule comme suit : après qu’il y ait eu saisie et mise en demeure signifiée au débiteur, le créancier dépose une requête devant le président du

196 Voy., notamment P. LEROY, « La réalisation du gage sur fonds de commerce », Act. Droit, 1995, p. 261. 197 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd ;, n° 2607 et 2611 ; VAN COMPERNOLLE, Les sûretés réelles traditionnelles en droit belge, in Feduci, 1983, p. 89, n° 46. 198 MOREAU-MARGRÈVE, op. cit., R.C.J.B., 1980, p. 157-158, n° 27; DE LEVAL, in C.D.V.A., 1982, p. 320.

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tribunal de commerce en vue d’obtenir l’autorisation de faire vendre ; cette requête doit être signifiée au débiteur ; si le créancier a procédé à la saisie préalable du fonds de commerce, cette saisie doit être validée par le président ; l’ordonnance rendue par le président vaut titre exécutoire ; le président autorisera le créancier à faire vendre le fond de commerce, soit en bloc, soit en détail et désignera une personne chargée de procéder à cette vente. 235. Il est admis aujourd'hui que la signification de la mise en demeure du débiteur de la saisie conservatoire199 et de la requête puisse tenir en un même exploit. 236. Le président ne peut statuer, conformément au prescrit légal qu'à l'expiration d'un délai de deux jours francs à dater de la signification de la requête. Le débiteur et le cas échéant le tiers bailleur de gage peuvent profiter de ce délai pour faire leurs observations. De strictes limites sont toutefois assignées aux pouvoirs du président : il peut seulement vérifier sa compétence, l'existence et la régularité du gage200, ainsi que statuer sur les modalités de la réalisation, mais il ne peut connaître d'une contestation relative à la créance garantie ou d'une demande de délai de grâce201. Toutefois, l'autorisation de vendre doit être refusée lorsqu'il apparaît que la créance garantie, qui doit être, comme pour toute saisie, certaine, liquide et exigible, est sur l'un ou l'autre de ces caractères sérieusement contestée202. L'autorisation de réaliser le fonds de commerce doit également être refusée lorsqu'il apparaît qu'en raison d'une restructuration, le fonds de commerce engagé n'existe plus203. 237. Bien que les articles 5 et 6 du Titre 1er, Livre VI du Code de commerce n'organisent expressément que les recours du débiteur et, le cas échéant, du tiers bailleur du gage, la jurisprudence accorde au créancier gagiste dont la demande serait rejetée un droit d'appel provenant du droit commun des procédures sur requête, à exercer dans le mois suivant la notification par le greffe de l'ordonnance à attaquer204. C'est en vertu du droit commun des procédures sur requête également qu'une demande

199 A cet égard la lettre recommandée serait insuffisante – Anvers, 23 janvier 1990, R.W., 1989-1990, pp. 980-981. 200 Voir à cet égard supra: Comm. Bruxelles, 25 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, pp. 161-163, considérant même qu'il n'appartient pas au tribunal de connaître de la validité de la résiliation d'un gage pour toutes sommes. 201 LINSMEAU, « La réalisation du gage sur fonds de commerce », J.T., 1979, p. 230; LEROY, "La réalisation du gage sur fonds de commerce", A.D., 1995, p. 273; Prés. Comm. Mons, 18 février 1994, Rev. Banque, 1994, p. 419, obs. 202 LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, pp. 688-715. 203 Liège, 8 juin 1990, J.L.M.B., 1990, p. 499, somm. 204 Liège, 9 janvier 1987, J.T., 1987, pp. 285-287; Liège, 18 décembre 1983, J.L., 1982, p. 131, note DE LEVAL; Gand, 27 mars 1986, R.D.C.B., 1987, p. 280; Liège, 8 juin 1990, J.L.M.B., 1990, p. 499, somm.

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en remplacement du liquidateur du gage peut être introduits conformément aux articles 1025 à 1034 du Code judiciaire, la tierce opposition étant possible sur pied de l'article 1033 du même Code205. 238. D’importantes difficultés demeurent lorsque le créancier gagiste est confronté à la faillite du commerçant. Estimant en opportunité que le curateur se trouve souvent en position favorable pour rassembler les offres les plus intéressantes provenant d'amateurs potentiels pour le rachat de l'assiette d'un gage, en particulier, lorsqu'il s'agit d'un fonds de commerce, de nombreux tribunaux considèrent qu'en totale légalité, la désignation du curateur comme agent de réalisation du gage, sollicitée à la requête d'un créancier gagiste, peut être ordonnée. Une partie de la doctrine préconise d'ailleurs cette solution au motif qu'elle permettrait d'éviter le danger de "l'émiettement de la liquidation d'une faillite", ainsi que le risque qu'en cas de précipitation du créancier gagiste, la réalisation ne produise pas les effets les meilleurs206. D'autres, au contraire, sont d'avis, toujours en opportunité, que les banquiers gagistes sur fonds de commerce, grâce à leur bonne connaissance du marché, à leur collaboration fructueuse avec des firmes spécialisées et à leur souci de préserver leur réputation, sont à même de réaliser leur gage dans des conditions optimales, tout en maintenant le dialogue constant avec le curateur de faillite207. Une troisième tendance, enfin, prône la voie médiane, en invitant le président du tribunal de commerce, appelé à statuer sur la requête d'un créancier gagiste demandant l'autorisation de réaliser son gage, à faire la balance in concreto des intérêts en présence, pour désigner le curateur comme liquidateur du gage si aucune incompatibilité n'apparaît entre les objectifs à poursuivre par les créanciers dans la masse et le créancier gagiste, ou rejeter cette désignation, au contraire, dans le cas inverse208. C'est ainsi que "dans une espèce où les droits du seul créancier gagiste confinent à l'anéantissement de ceux de la masse des créanciers chirographaires, on ne saurait, sans installer l'incompatibilité, confier à de mêmes personnes, le mandat de s'appliquer à la défense absolue des intérêts de l'une comme de

205 Cass., 16 décembre 1994, R.D.C.B., 1996, pp. 534-538; STORME, “Derden verzet door de curator tegen de aanstelling of vervanging van een pandzilvering nogmaals de schyzotyme curator? Het arrest van het Hof van Cassatie van 16 december 1994” Recente cassatie 1995, pp. 175-180. 206 MOREAU-MARGRÈVE, « Heurs et malheurs du gage sur fonds de commerce », note sous Cass., 8 avril 1976, R.C.J.B., 1980, p. 160; ZENNER, note sous Comm. Audenaerde, 8 mars 1984, R.D.C.B., 1985, p. 64; COPPENS et T'KINT, « Examen de jurisprudence - Les faillites et les concordats », R.C.J.B., 1974, p. 463; LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, p. 688; adde note à la R.D.C.B., 1987, pp. 244 à 246. 207 DU BOIS, « Les rapports curateur/créancier gagiste sur fonds de commerce : manichéisme ou réalisme? », Rev. Banque 1988, pp. 29-30. 208 VEROUGSTRAETE, « De schyzotyme curator », R.D.C.B. 1987, p. 289; MERCHIERS, « La réalisation du gage sur fonds de commerce du failli », note sous Lièges 9 janvier 1987, R.C.J.B. 1989, pp. 272-286.

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l'autre", de sorte que "si le président du tribunal de commerce a (…) pu autoriser le créancier gagiste à faire vendre le fonds de commerce litigieux, il ne devait cependant pas mandater à ces fins les curateurs (à la faillite du constituant du gage)"209. C'est sur cette position réaliste que pour l'heure l'équilibre est réalisé. Il reste que le curateur peut se retrouver investi de l'obligation de vendre le fonds de commerce d'un failli, sans désignation spéciale obtenue sur requête, alors même qu'il est engagé, mais que le créancier gagiste n'utilise pas son droit de poursuite individuelle. Il est admis, en effet, que l'engagement d'un bien ne le fait pas sortir de l'assiette des biens saisissables de son propriétaire210, de sorte qu'il se trouve appréhendé automatiquement par la saisie collective qu'emporte la faillite211. Gérer les effets de cette saisie relevant du pouvoir du curateur de faillite en vertu de la loi, il appartient à ce dernier de procéder à la réalisation du gage, si le créancier gagiste n'y recourt pas lui-même. Cette attitude permet au curateur de dégager, comme le contenu de sa mission l'y oblige, l'excédent éventuel de la valeur du gage par rapport à la créance garantie. Aucune nouvelle désignation n'est nécessaire à cette fin, comme l'admettent implicitement la Cour d'appel de Mons par un arrêt du 27 novembre 1991212 et la Cour d'appel de Liège par un arrêt du 26 janvier 1995213; explicitement, la Cour d'appel de Gand par un arrêt du 22 décembre 1994214, ainsi que la Cour d'appel de Mons par un arrêt du 15 décembre 1992215; et comme l'enseignent, enfin, de pertinentes études216. La réalisation de l'objet engagé par le curateur sur le fondement de sa mission légale générale de gestionnaire de la liquidation de l'assiette de la saisie collective soulève de

209 Liège, 9 janvier 1987, R.C.J.B., 1989, p. 267; dans le même sens, Comm. Gand, 30 avril 1985, R.D.C.B., 1987, p. 717; Anvers, 30 mai 1988, R.D.C.B., 1989, p. 254. 210 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 741, 1078, 1099; VASSEUR, L'égalité des créanciers chirographaires dans la faillite, n° 51; MERCHIERS, « La réalisation du gage sur fonds de commerce du faillite » note sous Liège, 9 janvier 1987, R.C.J.B., 1989, p. 281. 211 LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, p. 710; Cloquet, " Les concordats et la faillite", Les Novelles, Droit commercial, t. IV, 3ème éd. p. 459, n° 1557; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 44, n° 58; GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, p. 88, n° 154. 212 R.D.C.B., 1992, pp. 1089-1093; Rev. Banque 1992, pp. 395-400, note GRÉGOIRE. 213 J.T., 1995, PP. 790-791; J.L.M.B., 1997, pp. 132-137; R.D.C.B., 1996, pp. 544-548, note GEERTS. 214 A.J.T., 1995-1996, pp. 406-410 qui est critiquable sur un autre point, car il affirme que le créancier gagiste serait un créancier de la masse - voir DALLE, « De pandhoudende schuldeiser op de handelszaak en de curator », sous l'arrêt. 215 R.D.C.B., 1994, pp. 935-939. 216 LECLERCQ, « Le maintien du droit de réalisation du créancier gagiste sur fonds de commerce en cas de faillite du débiteur », J.C.B., 1972, p. 690; LINSMEAU, « La réalisation du gage sur fonds de commerce en cas de faillite », J.T., 1979, p. 228.

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nombreux problèmes à la jointure du champ des droits des créanciers nantis de sûretés et de celui des créanciers dans la masse. Ainsi, dans l'espèce tranchée par l'intéressant arrêt précité de la Cour d'appel de Mons du 27 novembre 1991, le curateur était chargé, avec l'accord du créancier gagiste, mais sans désignation spéciale à cette fin, de réaliser le fonds de commerce nanti. La première offre formulée par un amateur paraissant insuffisante pour couvrir la totalité de sa créance, le créancier gagiste avait préféré suggérer au curateur de différer la vente dans l'espoir d'une offre supérieure. Celle-ci ne vint jamais et, en définitive, l'opération fut réalisée quatre mois plus tard pour un prix nettement moins intéressant que celui qui avait été initialement proposé. La créance garantie restant dans ces conditions très largement impayée à l'aide du produit de réalisation du fonds de commerce, la banque dut faire appel aux cautionnements dont par ailleurs elle bénéficiait. Les cautions invoquèrent alors la responsabilité de la banque pour avoir fautivement tergiverser lors de l'examen de la première offre d'acquisition des éléments du fonds de commerce. Avant d'examiner l'attitude de la banque, la Cour d'appel procéda à une analyse des rapports entre le curateur et le gagiste sur fonds de commerce, rapportée en ces termes: "lorsque le curateur à la faillite du débiteur gagiste se trouve de facto habilité à poursuivre la réalisation du fonds nanti, soit en raison de la passivité du créancier en défaut de mettre en oeuvre la procédure prévue par l'article 12 de la loi du 25 octobre 1919, soit comme en l'espèce, à la suite du consentement implicite ou explicite donné par ledit créancier pour que le curateur réalise ou soit associé au processus de réalisation du gage, le créancier gagiste ne s'en trouve pas pour autant privé des prérogatives normalement attachées à la qualité de sa créance (..) et conserve un droit de regard permettant de contrôler les actes posés par le curateur en vue de la réalisation du fonds nanti", ainsi qu'un droit "de donner pour instruction de différer la vente dans l'espoir d'une offre supérieure". Ces motifs doivent être approuvés : la qualité n'altère pas, en effet, les prérogatives préférentielles attribuées au créancier gagiste, nonobstant sa renonciation à agir quant-à-soi; aussi, le créancier gagiste vantant un intérêt particulier à l'issue des négociations tendant à l'aliénation du fonds grevé, peut-il assurément exercer un contrôle rapproché de l'accomplissement de sa mission par le curateur. Mais une nuance s'impose : le créancier gagiste ayant volontairement délaissé la maîtrise de la procédure de réalisation du fonds grevé, ne peut se prétendre le mandant exclusif du curateur ; son pouvoir de contrôle n'est qu'à la mesure de ses intérêts, érodés par ceux d'autres créanciers lui disputant peu ou prou le futur produit de réalisation du gage. Dans une telle situation, le curateur pourrait, sous sa responsabilité, passer outre, s'il le juge opportun, l'opinion émise par le créancier gagiste, celle-ci pouvant être considérée comme étant simplement consultative, et non décisive. Quoi qu'il en soit, dans l'espèce analysée, la Cour d'appel a estimé, pour le surplus, que replacée dans les circonstances où elle avait incité le curateur à ne pas accepter la première offre d'achat, la banque n'avait pas agi fautivement, les expectatives d'autres propositions plus alléchantes paraissant à l'époque raisonnables.

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239. De l'intensité du contrôle que peut exercer le créancier gagiste sur le curateur de faillite (variable selon que la réalisation du fonds de commerce s'opère ou non, après désignation sur requête) ne dépend pas nécessairement la mesure de l'autonomie laissée à ce dernier dans le cadre de la gestion des fonds obtenus grâce à la réalisation du fonds grevé : ceux-ci doivent revenir avec diligence au créancier à qui ils sont destinés dans toute la mesure du possible, et ce même si la réalisation de l'objet engagé s'opère dans le cadre de la mission générale du curateur. Dans l'affaire tranchée par l'arrêt précité de la Cour d'appel de Liège du 26 janvier 1995, le curateur chargé, sans désignation spéciale sur requête, de la réalisation du fonds de commerce engagé au profit de la banque croyait pouvoir lui réclamer l'équivalent de sommes provenant du paiement par des tiers entre ses mains postérieurement à la faillite, de créances du failli. Reprenant le jugement a quo, qui avait accordé la restitution, la Cour d'appel au contraire, n'y contraint nullement la banque. La solution doit être approuvée sans réserve, car en raison de son droit de préférence, le créancier gagiste pouvait assurément conserver des sommes ne présentant, eu égard à l'existence du gage, "aucun avantage pour la masse". Il est vrai que le curateur a l'obligation de remettre sans attendre au créancier gagiste la partie du produit de la vente qui lui revient; et que rien ne le dispensait de ce devoir en l'espèce puisqu'il ne pouvait démontrer "que le prix de réalisation des éléments du fonds de commerce (excédait) le montant de la créance garantie ou que la conservation (des) sommes (retenues par la banque préjudiciait) d'autres créanciers concurrents ou préférables, (…) les créances et l'argent liquide ne faisant pas partie de l'assiette du bailleur de l'immeuble et vendeur d'équipement professionnel". En outre, la Cour estime à bon droit que "le problème des honoraires dus au curateur (ne devait être) tranché (…) que lorsque la réalisation du fonds de commerce (serait) terminée, en tenant compte de l'utilité effective des devoirs accomplis par le créancier gagiste sur fonds de commerce". Ces seules considérations retenues par la Cour auraient suffi à justifier légalement l'arrêt. La Cour d'appel y ajoute cependant plusieurs motifs, inspirés directement de l'arrêt précité de la Cour de cassation du 8 avril 1976, d'où il ressort que les objets d'un gage restent en dehors de la faillite, ce qui peut paraître plus contestable et n'engendre au demeurant aucune véritable conséquence sur la question posée. 240. L'imputation des frais et honoraires du curateur, et plus généralement, des dettes de la masse, constitue souvent une pierre d'achoppement dans les relations qu'il entretient avec le créancier gagiste. S'il n'est pas douteux que, dans la mesure où ils ont profité directement au créancier gagiste, les frais et honoraires dus au curateur, engendrés par les devoirs accomplis par lui en vue de la réalisation du gage, doivent être

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prélevés sur les sommes provenant de ladite réalisation217, plus délicate est la question de savoir si une partie des frais généraux de liquidation doit connaître le même sort. La Cour d'appel de Mons apporte à cette question une réponse affirmative. Ainsi, dans son arrêt déjà cité du 15 décembre 1992218 la Cour d'appel considère, à tout le moins, lorsque le créancier gagiste a accepté que le curateur intervienne dans la réalisation du gage sur fonds de commerce en dehors des mécanismes prévus par la procédure applicable en vertu de l'article 12 de la loi du 25 octobre 1919, que les principes suivants sont d'application : (1) les frais et honoraires généraux (c'est-à-dire ceux qui n'ont pas été engagés pour la réalisation spécifique de tel ou tel élément d'actif) sont exposés par les curateurs non seulement en vue de conserver le patrimoine mobilier et immobilier du failli et de le réaliser dans les meilleurs conditions, mais également en vue de réaliser l'ensemble des tâches leur incombant qui, quoique non productives d'actif, sont essentielles dans l'intérêt de tous les créanciers, qu'ils soient hypothécaires, privilégiés ou chirographaires, puisqu'elles permettent, en définitive, de préserver l'intérêt commun des créanciers à voir liquider, par un mandataire de justice, l'activité commerciale sous le contrôle du tribunal de commerce ; (2) les créanciers nantis de sûretés qui n'ont pas pris l'initiative de la vente des biens grevés et en ont laissé le soin au curateur, sont certes "hors masse", mais ont nécessairement bénéficié des frais généraux inhérents à la liquidation globale de la faillite ; (3) il est en conséquence judicieux de fixer les honoraires et frais dans l'intérêt des créanciers bénéficiant d'une sûreté ou d'un privilège spécial en fixant le montant de l'ensemble des frais et honoraires revenant au curateur sur la base du barème et en imputant ensuite pour chaque catégorie de créanciers, une quote-part en proportion de l'importance des actifs mobiliers ou immobiliers réalisés. L'arrêt termine en rappelant que constitue un mode de rétribution du curateur licite et adéquat pour assurer la gestion des faillites, l'application d'un barème fixant, en ce qui concerne les honoraires, un pourcentage dégressif relatif aux différentes tranches d'actif réalisé, et que ce système, forfaitaire par essence, ne tient pas compte de la nature et de l'importance des devoirs effectivement accomplis par le curateur. La méthode ainsi proposée par l'arrêt est parfaitement logique. Elle résulte tout naturellement de cette circonstance, particulièrement bien mise en lumière, que le créancier gagiste, nonobstant son droit spécifique à se désolidariser de la procédure collective, n'est jamais étranger aux retombées de la déclaration de faillite : la créance garantie devient exigible immédiatement ; les contrats en cours sont résiliés 217 Voir notamment: Mons, 23 mai 1990, J.L.M.B., 1991, p. 486; Liège, 26 janvier 1995, J.T., 1995, pp.790-791; J.L.M.B., 1997, pp. 132-137; R.D.C.B., 1996, pp. 544-548, note GEERTS, déjà cité; Mons, 15 décembre 1992, R.D.C.B., 1994, pp. 935-939; GEINGER, COLLE, VAN BUGGENHOUT, "Het faillissement en het gerechtelijk akkoord - Overzicht van rechtspraak (1975-1989)", T.P.R., 1991, p. 564; MOREAU-MARGRÈVE, Sûretés - Chronique de droit à l'usage du Palais, vol. XIV, p. 148; BOUCKAERT, "Overzicht van rechtspraak: pand op handelszaak (1988-1993)", R.D.C.B., 1988, p. 1053). 218 R.D.C.B., 1994, pp. 935-939.

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automatiquement lorsqu'ils avaient été conclus inuitu personae ; ils le sont à l'intervention du curateur dans le cas contraire ; grâce à ces effets mis en oeuvre en vertu des règles régissant la faillite, dont l'application engendre la création de frais et honoraires généraux pour le curateur, le passif cesse d'évoluer et le débiteur se trouve dessaisi de ses actifs. L'ensemble de ces nouvelles conditions doit contribuer, en principe à tout le moins à préserver les droits du créancier gagiste dans l'état qui était le leur lors de la cristallisation. En cela, il doit assumer une part des frais et honoraires généraux. Cette part ne pourrait être mieux fixée que par l'imputation de ces derniers en proportion de l'importance des sommes lui revenant219. Le raisonnement pourrait même être poussé jusqu'à imposer comme une règle générale l'imputation proportionnelle au créancier gagiste, même s'il a fait usage de sa liberté d'exécuter de son côté l'objet engagé. Dans ce cas, en effet, les effets généraux de la faillite frappent également sa créance, de sorte que jamais il ne peut ignorer complètement la procédure collective et toutes ses conséquences. Telle n'est cependant pas du tout la thèse adoptée par la Cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 15 septembre 1994, décidant qu'une banque, en sa qualité de créancier gagiste sur le fonds de commerce d'une société faillie, ne pouvait supporter la moindre dette de la masse, aux motifs que "le curateur n'a pas qualité pour agir au nom et pour compte des créanciers hors de la masse, tels que les créanciers privilégiés spéciaux ; que le curateur ne pouvait affecter les droits et actifs réservés aux créanciers privilégiés spéciaux, qui ne font pas partie de la masse ; que, par conséquent, les dettes de la masse ne peuvent être payées qu'au moyen du produit de réalisation des actifs constituant le gage commun des créanciers chirographaires et des créanciers privilégiés généraux et non au moyen du produit de réalisation des actifs gagés au profit du créancier privilégié spécial sur le fonds de commerce ; qu'eu égard à sa qualité de créancier hors de la masse, la (banque) ne peut voir ses droits diminués par le paiement de dettes de la masse que dans l'hypothèse où les engagements du curateur lui ont profité ou nécessaires à la valorisation ou à la conservation de son gage"220. 241. L'on remarquera cependant que la communauté d'intérêts existant entre les créanciers gagistes et privilégiés spéciaux, d'une part, et la masse des créanciers chirographaires et privilégiés généraux représentée par le curateur, d'autre part, se trouve à présent renforcée par intervention de l'article 26 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, aux termes duquel "toutes voies d'exécution, pour parvenir au paiement des créances privilégiées sur les meubles dépendant de la faillite, seront suspendues jusqu'à la clôture du procès-verbal de vérification des créances, sans préjudice de toute mesure 219 Voir Cass., 13 septembre 1991; Mons, 27 novembre 1991, et Comm. Furnes, 30 octobre 1991, R.D.C.B., 1992, p. 332 est suivantes, obs. VAN BUGGENHOUT et GRÉGOIRE. 220 Bruxelles, 15 septembre 1994, J.T., 1995, pp. 7-8.

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conservatoire et du droit qui serait acquis au propriétaire des lieux loués d'en prendre possession. Dans ce dernier cas, la suspension des voies d'exécution établie au présent article cesse de plein droit en faveur du propriétaire. Néanmoins, si l'intérêt de la masse l'exige et à condition qu'une réalisation des meubles puisse être attendue qui ne désavantage pas les créanciers privilégiés, le tribunal peut, sur requête des curateurs et après avoir convoqué par pli judiciaire le créancier concerné bénéficiant d'un privilège spécial, ordonner la suspension d'exécution pour une période maximum d'un an à compter de la déclaration de faillite". Parallèlement à cette innovation importante, l'article 9 du Livre 1er, Titre VI du Code de commerce est modifié en ce sens: "L'exercice des droits conférés au créancier gagiste par les article précédents (c'est-à-dire les droits d'exécution individuels) n'est pas suspendu par le décès du débiteur ou du tiers bailleur de gage". La faillite se trouve donc omise des situations n'altérant pas l'autonomie de poursuite du créancier gagiste. Désormais, toute mesure d'exécution forcée individuelle ne peut être pratiquée par le créancier gagiste, comme il en va pour les créanciers privilégiés spéciaux, qu'après la clôture du procès-verbal de vérification des créances, et ce délai d'attente peut, de surcroît, si le tribunal, saisi par la requête du curateur, l'estime indispensable ou utile à la gestion optimale de la procédure collective, être prolongé encore jusqu'à atteindre un an à compter du jugement déclaratif de faillite. Le curateur fera usage de cette faculté généralement quand il apercevra la possibilité de céder l'entreprise en fonctionnement; il devra démontrer que cette perspective n'est pas de nature à entraîner un déficit du produit de réalisation pouvant être raisonnablement espéré pour l'assiette de la sûreté au moment de l'introduction de la requête221. 242. A cet égard, il n'est plus douteux actuellement que la cession du fonds de commerce in globo réalisée par un mandataire de justice (et donc notamment) un curateur de faillite ne donne pas lieu à l'application des dispositions spéciales instituées par l'arrêté royal du 12 décembre 1996 portant des mesures en matière de lutte contre la fraude fiscale et en vue d'une meilleure perception de l'impôt, en application des articles 2 § 1er et 3 § 1er, 2° et 3° de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne, ayant notamment inséré dans le Code des impôts sur les revenus, un article 422bis, relatif aux conséquences fiscales de la transmission d'une universalité de biens ou d'une branche d'activités222.

221 CUJAS et RENARD, Le nouveau droit du concordat et de la faillite, p. 134; DUMON, « La faillite et le concordat judiciaire », J.T, 1997, p. 792; GÉRARD, WINDEY et GRÉGOIRE, Le concordat judiciaire, Les dossiers du JT, p. 183; VEROUGSTRAETE, Manuel de la faillite et du concordat, p. 308; ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, pp. 432-433. 222 ZENNER, Dépistage, faillites et concordats, p. 638; Cir. de l'Administration des contributions directes H. 81/488/979; Bull. contr. 1997, n° 774, p. 1703; sur ces dispositions, voir: AFSCHRIFT

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243. C'est la prédominance des intérêts de l'ensemble de l'entreprise sur ceux des créanciers nantis de sûretés qui a inspiré également la règle déposée à l’article 21 de la loi sur le concordat judiciaire, de la suspension de toute voie d'exécution dans le cadre du concordat judiciaire lorsque le sursis provisoire est accordé à un commerçant en difficultés. CHAPITRE V. LE WARRANT SECTION 1. DÉFINITION ET GÉNÉRALITÉS 244. Aux termes de l’article 1er de la loi du 18 novembre 1862, le warrant est un document émis par le dépositaire de marchandises, délivré par lui à la personne qui prouve avoir le droit d’en disposer librement, et qui est transmissible par endossement223. Les marchandises concernées peuvent être toutes choses susceptibles d’être mises dans le commerce224. Il peut s’agir de matières premières, telles que semences, charbon, pétrole ou grains225, de produits finis ou semi-finis. 245. Le warrantage est régi par la loi du 18 novembre 1862 qui a eu pour but de faciliter le financement des stocks de marchandises achetées ou produites en grandes quantités et destinées à être revendues rapidement et en petites quantités, ainsi que de permettre diverses opérations sur marchandises, sans déplacement ni manipulation226.

« L'obligation d'enregistrement des cessions d 'universalités de biens et de branches d'activités », Rev. Banque. Compt. 1997, p. 25; Parijs et Geerts, note R.D.C.B., 1997, p. 134; COMBART et EVRARD, « L'obligation d'enregistrer les cessions de fonds de commerce et ses conséquences », DAOR, 1997, p. 59m; KRINGS, « Nouvelles incidences (pas uniquement) fiscales en matière de cession d'universalité », J.T., 1997, p. 189. 223 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n°2584 ; MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du dorit et de la pratique des sûreté » in Les créances et le droit de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 136 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, tT. VI, n° 1112. 224 Cass., 24 mai 1895, Pas., 1895, I, 193. 225 voy. notamment Mons, 6 juin 1990, J.L.M.B., 1991, p. 1493. 226 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge», t. VI, n° 1112 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd ;, n° 2585 ; MOREAU-MARGRÈVE, « A propos de quelques garanties en vouge », Rev. Not. belge, 1985, p. 330 et suiv.

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246. Le warrant permet de représenter le droit de libre disposition des marchandises par deux documents227. Il comprend en effet deux volets, le warrant proprement dit, dont la possession confère au porteur un droit de gage sur les marchandises qu’il désigne (article 4 § 3 et 7) et la cédule, dont le titulaire jouit de la libre disposition de la marchandise grevée du gage (article 4 § 4). Dans son arrêt du 12 février 2004, (AR C.01.0121.N – Nissan / Bank Brussel Cambier et N.V. Warrant), la Cour de cassation a décidé que des marchandises couvertes par une clause de réserve de propriété pouvaient valablement être warrantées, car l’émetteur du warrant dispose, dans ce cas, de la libre disposition des biens au sens de la loi et le porteur du warrant, protégé par sa bonne foi, peut se prévaloir de son droit de gage. Les deux volets sont susceptibles de circuler séparément par voie d’endossement. Réunis, ils confèrent à celui qui en est le porteur, le droit de se faire délivrer la marchandise à tout moment par le dépositaire228. SECTION 2. SPÉCIFICITÉS DU WARRANT 247. Comme on l’a indiqué, le warrant constitue un titre représentatif de la marchandise qu’il désigne, et sa fonction principale est de faciliter et de simplifier la mise en gage de ces marchandises229. En pratique, en effet, le warrant sert presque exclusivement à permettre d’emprunter sur les marchandises sans devoir en transférer la possession matérielle au créancier230. 248. En réalité, warrant et cédule circulent toujours ensemble et son endossés ensemble à l’organisme prêteur, celui-ci souhaitant notamment connaître l’acquéreur231 et disposer non seulement d’un droit de gage sur la marchandise, mais du droit à la libre disposition de celle-ci (article 4 § 1), qui constitue, évidemment, une garantie plus complète et partant plus aisée à mettre en œuvre232. Il a pu être soutenu qu’il s’agissait là d’une formule de cession de biens à titre de garantie233. En réalité, il convient de vérifier la volonté des parties. Si la remise des documents s’est opérée à titre pignoratif, la qualification de l’opération en gage s’imposera en dépit de l’adjonction de la cédule. Le

227 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2586. 228 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1112 ; VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2586. 229 MOREAU-MARGRÈVE, C.D.V.A., 1983, p. 136 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1111. 230 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2586. 231 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2595. 232 MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du dorit et de la pratique des sûreté » in Les créances et le droit de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 137. 233 T’KINT, n° 317 ; DIRIX et DE CORTE, Zekerheidsrechten, n° 343.

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porteur pourra au demeurant procéder en ce cas à la réalisation forcée des biens qu’après en avoir obtenu l’autorisation judiciaire. 248. L’emprunteur sur marchandises warrantées endossera le warrant à l’établissement de crédit, qui jouit lui-même de la faculté de le présenter à l’escompte. Il est fréquent que le warrant comporte une promesse de paiement par le déposant de la somme mentionnée sur le titre au profit du porteur. L’opération se rapproche alors en la mise en circulation d’un effet de commerce dont la bonne fin est garantie par la mise en gage de marchandises. Cette faculté est pour beaucoup dans le succès et l’intérêt du crédit sur warrant. SECTION 3. MODALITÉS DE LA DÉPOSSESSION 249. Le warrant peut être délivré par quiconque accepte d’être dépositaire de la marchandise234. Le warrant est, en réalité, un gage constitué entre les mains d’un tiers convenu, avec cette précision que le dépôt précède le contrat de gage proprement dit. Ce dépôt réalise d’ailleurs la condition de dépossession du créancier pour la constitution du gage235. Dans la pratique, ce sont des sociétés professionnelles spécialisées qui exercent cette activité. 250. Le plus souvent d’ailleurs, la marchandise est laissée dans un magasin appartenant au déposant. Le local est loué ou prêté – en général gratuitement – au dépositaire, qui y fait appliquer une plaquette signalant le warrantage. Les stocks sont surveillés par des employés du déposant, ayant contracté à cet effet un mandat gratuit avec la société de warrantage. Les organismes de crédit sur warrant font par ailleurs évaluer et contrôler régulièrement la marchandise par des experts. Le prêt n’atteint jamais qu’un certain pourcentage de leur valeur, qui doit en outre être reconstituée sans diminution sensible. Au surplus, l’organisme prêteur impose une assurance convenable de la marchandise warrantée et se fait transférer le bénéfice de la police d’assurance236. 251. La question de savoir si le recours à pareille méthode réalise une dépossession suffisante est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine du juge du fond et qui peut selon les circonstances de l’espèce être résolue d’une manière ou d’une autre. Le risque d’équivocité de la possession du dépositaire n’est pas insignifiant. Ainsi, lorsque les biens warrantés sont simplement déposés sur un emplacement seulement

234 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2588. 235 DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1113. 236 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2588.

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marqué par des traits de peinture, laissant libre accès au déposant, la dépossession n’est pas légalement réalisée237. 252. L’organisation pratique du système des warrants permet de satisfaire le but de la loi qui était de faciliter le crédit sans entraver la circulation des marchandises : en cas de vente partielle des marchandises warrantées, le prêteur délivre des « laisser-suivre » permettant leur délivrance aux acquéreurs, à concurrence de la valeur payée ou des promesses de payer souscrites par ces derniers238. SECTION 4. PRÉSENTATION FORMELLE 253. Le warrant, comme la cédule, doit comporter certaines mentions, non prescrites à peine de nullité239, permettant d’identifier le premier bénéficiaire (article 3 § 3), la marchandise (article 3 § 4), l’endroit où elle est entreposée, l’assureur de la marchandise, s’il y a lieu (article 3 § 5), la date et la signature de l’émetteur (article 3 § 3), le montant de la créance garantie et la date de l’échéance (article 3 § 1). SECTION 5. EXÉCUTION DU WARRANT A. Procédure simplifiée 254. A défaut de remboursement du crédit garanti à l’échéance, le porteur du warrant peut, dans les vingt quatre heures d’une mise en demeure signifiée à l’emprunteur, saisir par requête le président du tribunal de commerce, et obtenir l’autorisation de vendre publiquement ou de gré à gré par une ordonnance valant titre exécutoire (article 13 § 1er). B. Conflits de rangs

237 Comm. Hasselt, 24 janvier 1991, R.D.C.B., 1991, p. 749. 238 MOREAU-MARGRÈVE, C.D.V.A., 1983, p. 137 et « A propos de quelques garanties en vogue », Rev. Not. belge, 1984, spéc. p. 331. 239 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2590.

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255. Certains frais (douane, fret, frais de vente, entreposage, conservation) sont prélevés par préférence sur le produit de la vente, dont le solde revient par priorité au porteur du warrant (article 17)240. 256. Si la jurisprudence publiée (peu importante) ne reflète en rien l’importance économique de cet instrument de crédit sur marchandises, on peut sans se tromper déduire de cette absence que le système du warrant fonctionne dans la pratique à la satisfaction de ceux qui l’emploient. 257. C’est essentiellement en matière de concours entre le créancier gagiste sur fonds de commerce et le porteur de warrants que les cours et tribunaux ont été appelés à se prononcer. Dans un arrêt du 19 novembre 1992241, la Cour de cassation a décidé que le conflit entre un gagiste sur fonds de commerce et un porteur de warrant doit être résolu grâce à la règle de l’antériorité. CHAPITRE VI. LE GAGE SUR CREANCES SECTION 1. LES CRÉANCES ORDINAIRES A. Introduction 258. Modifié par la loi du 6 juillet 1994 et ensuite par la loi du 12 décembre 1996, l’article 2075 du Code civil porte désormais que « Le créancier est mis en possession de la créance gagée par la conclusion de la convention de gage. La mise en gage n’est opposable au débiteur de la créance gagée qu’à partir du moment où elle lui a été notifiée ou qu’il l’a reconnue. Les articles 1690, alinéas 3 et 4 et 1691 s’appliquent ». 259. L'on peut regretter la rédaction en trompe l'oeil de l'article 2075 alinéa 1er du Code civil242. La fiction est un artifice parfois dangereux où peut s'abîmer la sécurité

240 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2593 ; DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, n° 1113. 241 Cass., 19 novembre 1992, Pas., 1992, I, 1286 ; J.L.M.B., 1993, p. 689 ; T. Not., 1993, p. 443, note JDV ; R.C.J.B., 1984, note VAN QUICKENBORNE ; R.D.C.B., 1994, p. 27, note VAN HAEGENBORGH ; R.G.D.C., 1994, p. 55, note KOKELENBERG.

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juridique. Pourquoi ne pas avoir affirmé franchement l'intégration du gage dans la classe de droit commun des contrats nommés valablement formés par le seul échange des consentements? Le législateur belge aurait ainsi rejoint au demeurant, dans la voie d'une unification européenne à laquelle devra se résoudre rapidement le droit des garanties, la conception que s'en font d'importants systèmes juridiques voisins243. Toutefois, dans l'état actuel des textes, cette prudence paraît compréhensible. De nombreuses règles générales régissant les effets du gage demeurent attachées à la quasi-possession qu'exerce sur l'objet nanti, le créancier gagiste. Il n'était sans doute pas superflu de déterminer la source et l'instant du dessaisissement, fût-il, s'agissant de créances, entièrement confondu avec l'accord des volontés, afin qu'en découlent clairement toutes les conséquences spécifiques édictées par la loi. B. La dépossession fictive 260. Quoi qu'il en soit, l'utilité du nouveau statut du gage sur créances gît notamment en ce qu'il fait taire d'anciennes et irréductibles controverses qui ont inlassablement agité doctrine et jurisprudence pendant de longues années. Premièrement, fut abondamment débattue la question de savoir si la signification de la mise en gage suffisait à elle seule à assurer symboliquement la dépossession du constituant de la sûreté, sans que soit requise en outre la remise du titre au créancier gagiste244. Dans son intéressant arrêt du 29 mai 1990245, la Cour de cassation avait à cet égard décidé que l'article 2076 du Code civil, selon lequel "Dans tous les cas, le privilège ne subsiste sur le gage qu'autant que ce gage a été mis et est resté en possession du créancier ou d'un tiers convenu entre les parties", ne détermine pas les divers modes à l'aide desquels le 242 VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances »", J.T., 1995, p. 536, n° 20; T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 2ème éd., p. 140, n° 257. 243 Voir par exemple, NEUMAYER, « La transmission des obligations en droit comparé », in La transmission des obligations, IXèmes Journées Jean Dabin, p. 193. 244 Voir notamment Comm. Charleroi, 31 janvier 1984, R.D.C.B., 1984, pp. 718-721; Comm. Bruxelles, 5 novembre 1985, R.D.C.B., 1986, pp. 654-658; Mons, 18 novembre 1986, J.L.M.B., 1987, pp. 790-793, J.L.M.B., 1988, pp. 1103-1106; R.D.C.B., 1989, pp. 945-950; Bruxelles, 13 janvier 1989, R.D.C.B., 1992, pp. 20-25; LECHIEN, « La mise en gage des créances non incorporées dans un titre négociable », R.D.C.B., 1992, pp. 3-19; Cass., 29 mai 1990, R.D.C.B., 1992, pp. 1029-1035, note LECHIEN; Pas., 1990, I, 890; J.T., 1991, p. 88; Cass., 19 octobre 1990, R.W., 1990-1991, somm., p. 722; WINDEY, « Questions spéciales liées à la cession de créance dans ses rapports avec des mécanismes de garanties », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 427; DIRIX et DE CORTE, Zekerheidsrechten, n° 390; VERBEKE, « Recente ontwikkelingen in zake voorrechten, hypotheken en andere zekerheden », 1994, n° 146; STRANART, « Les sûretés réelles traditionnelles - Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B., 1992, pp. 80 et suivantes. 245 Pas., 1990, I, 890; J.T., 1991, p. 88, R.D.C.B., 1992, pp. 1029-1035, note LECHIEN.

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dessaisissement du débiteur et la prise de possession du créancier peuvent avoir lieu, de sorte que ceux-ci peuvent varier "d'après la nature de l'objet et d'après les dispositions particulières auxquelles les parties ont la liberté de recourir pour satisfaire la loi". Cet arrêt avait donné lieu à deux lectures légèrement différentes. Selon les uns, il ne pouvait s'agir là d'une véritable décision de principe, la Cour suprême s'étant limitée à considérer qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué avait souverainement constaté le fait de la dépossession tel qu'il résultait des circonstances de la cause246. Selon les autres, là émergeait précisément le principe nouveau affirmé par la Cour de cassation: le dessaisissement relèverait, en toutes ses modalités, de circonstances de fait, c'est-à-dire non seulement dans la manière dont concrètement il se trouve accompli, mais également dans la forme qu'il doit épouser, abandonnée à la convention des parties souverainement constatée. 261. On a relevé à cet égard que s'il n'est pas douteux que les méthodes à utiliser pour assurer le respect des formalités de dessaisissement varient en fonction de la nature de l'objet grevé et s'il appartient effectivement aux juges du fond de constater en fait leur réel accomplissement, on reste plus perplexe face à la possibilité reconnue aux parties de définir conventionnellement le contenu de telles formalités. En effet, se trouvent liées à ces dernières la réalisation de l'opposabilité aux tiers du droit réel de gage, domaine échappant par définition à l'autonomie des volontés, puisqu'il concerne l'impact de la convention sur la situation juridique de tiers et que celle-ci tombe sous l'empire exclusif de la loi247. 262. Cette question n'est nullement devenue inutile depuis l'intervention du nouveau régime de la mise en gage de créances, car dégageant la portée de l'article 2076 du Code civil, dont le champ d'application couvre toutes les formes de gages, quelle qu'en soit l'assiette, l'arrêt examiné du 29 mai 1990 peut être porteur d'un enseignement d'envergure générale. L'on persiste à douter que les parties disposent réellement du pouvoir d'aménager entièrement comme elles l'entendent les modes convenables de dessaisissement du gage; ceux-ci relèvent de la loi, explicitement ou non, et lorsqu'ils ne sont pas décrits précisément par le législateur, il revient aux cours et tribunaux d'en révéler les contours, selon la conception que la jurisprudence se fait de l'intention implicite du législateur. Une fois dégagés de la sorte, les modes de dessaisissement ne se trouvent confiés à l'accord des parties, que sous l'angle de l'organisation de leur exécution purement matérielle, et non celui de leur contenu.

246 LECHIEN, note sous l'arrêt, R.D.C.B. 1990, p. 1035. 247 Voir notamment GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, p. 141, n° 225; sur le caractère légal des formalités d'opposabilité aux tiers des garanties sur créances, voy. LEGEAIS, Les garanties conventionnelles sur créances, Economica, Paris, 1986, p. 53, n° 86.

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263. L'on notera enfin, au chapitre de l'examen des conditions requises pour faire naître un gage sur créance, la décision selon laquelle une simple convention de domiciliation de paiements sur un compte en débit n'est pas constitutive d'un gage en tant que tel248. Cette solution doit prévaloir encore sous l'empire de la nouvelle législation, l'animus pignoris devant évidemment exister pour que se forme un gage. C. La mise en gage de créances futures 264. Venons-en à présent à la seconde controverse définitivement arbitrée par le nouvel article 2075 du Code civil, portant sur la légalité de la mise en gage de créances futures249. Dorénavant, rien ne s'oppose plus à ce que l'on reconnaisse la validité et l'efficacité d'un gage dont l'assiette est formée de créances futures. A l'instar de ce qui est admis pour la cession de telles créances250, le gage après avoir sans inconvénient prévécu à son assiette, s'abattra sur celle-ci dès son entrée dans le patrimoine du constituant. Encore faut-il bien entendu, comme le prescrit le droit commun des conventions, que les créances futures engagées soient suffisamment déterminables lors de la conclusion du gage, ce qui implique, selon la formule subtile de l'arrêt Mengal251, que "la convention instituant la sûreté (permette) de les définir et (qu') il résulte des éléments de la cause qu'elles sont effectivement de celles que les parties avaient entendu (couvrir) de la garantie". 265. Le gage sur créances ainsi rénové s'apparente-t-il maintenant au "floating charge" du droit anglo-saxon? Il s'en rapproche, en effet, bien davantage qu'auparavant, enserré qu'il était dans le carcan des règles anciennes. Toutefois, même libéré désormais de tout lien direct entre son existence et la tradition du bien incorporel grevé, le gage sur créances n'en est pas devenu complètement flottant pour autant. Lorsqu'il présente un tel caractère, le gage n'est que virtuel jusqu'à ce que, par la vertu d'un événement prédéfini, il se réalise par l'appréhension des biens qu'il était destiné à grever252. 266. Le gage sur créances, selon le droit belge actuel, quant à lui, même lorsqu'il préexiste à son assiette, a pour vocation de peser sur les créances dès leur naissance, 248 Liège, 19 décembre 1995, J.L.M.B., 1997, p. 143. 249 voir notamment sur cette question: MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du droit et de la pratique en matière de sûretés », XXXIVème séminaire C.D.V.A., 1983, p. 134; COLLE, « La mise en gage d'une créance non incorporée dans un titre négociable », J.T., 1992, p. 382, n° 24. 250 HEENEN, « La cession de créances futures », note sous Cass., 9 avril 1959, R.C.J.B., 1961, pp. 35 et suivantes. 251 Cass., 28 mars 1974, Pas., 1974, I, p. 776, R.G.E.N., 1974, n° 21832. 252 LECHIEN, « Questions de droit comparé des sûretés », in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 248.

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sans autre condition. Grevées automatiquement, les créances engagées sont, dans la mesure des droits du créancier gagiste, soustraites, à la totale libre disposition de leur titulaire. Certes, la formalité et la notification assurant l'opposabilité du nantissement aux débiteurs des créances et à certains tiers particulièrement protégés (voir infra), ne peut être concrètement accomplies, entraînant les effets que la loi y attache, avant que soit connue l'identité du débiteur. Cette restriction, limitée rigoureusement à l'un des aspects particuliers de l'opposabilité du gage, n'entame nullement l'existence du contrat et son efficacité antérieurement acquises. D. L’opposabilité au débiteur et à certains tiers

particulièrement protégés 267. Comme en matière de cession de créance, la dation en gage est rendue opposable au débiteur de la créance nantie par une notification adressée à ce dernier ou par la reconnaissance de sa part du fait de la dation en gage. Ce point est réglé par l'alinéa 2 de l'article 2075 du Code civil, aux termes duquel "La mise en gage n'est opposable au débiteur de la créance gagée qu'à partir du moment où elle lui a été notifiée ou qu'il l'a reconnue". La forme que doit adopter la notification n'est pas précisée par la loi. Les travaux préparatoires semblent imposer toutefois que cet acte unilatéral réceptice prenne la forme d'un écrit, ne devant pas nécessairement être adressé à son destinataire par la voie recommandée253. A la survenance d'une notification ou de la reconnaissance du gage par le débiteur de la créance nantie, se trouve indirectement liée l'opposabilité à certains tiers déterminés, visés à l'article 1690 alinéas 3 et 4 du Code civil, auquel renvoie l'article 2075 alinéa 3 du Code civil. 268. L'article 1690 alinéa 3 du Code civil dispose que "Si le cédant a cédé les mêmes droits à plusieurs cessionnaires, est préféré celui qui, de bonne foi, peut se prévaloir d'avoir notifié en premier lieu la cession de créance au débiteur ou d'avoir obtenu en premier lieu la reconnaissance de la cession par le débiteur". Selon l'opinion dominante, cette règle d'opposabilité ne vaut restrictivement qu'à l'égard des débiteurs des créances cédées ou nanties, ainsi que pour départager les cessionnaires ou créanciers gagistes successifs, mais ne concerne aucunement les délégataires, subrogés, bénéficiaires d'actions directes, ou autres créanciers exerçant, par le truchement d'un autre mécanisme que la cession,

253 VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage de créances », J.T. 1995, p. 532 et les réf. citées; STRANART, « La loi du 6 juillet 1994 et les modifications apportées au gage sur créance », in La cession de créance, J.B., 1995, p. 74.

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les droits des titulaires initiaux des créances cédées ou nanties254, ni a fortiori les créanciers ayant pratiqué une saisie-arrêt ou ayant fait la déclaration de leur créance à la faillite du cédant255, l'ensemble de ces ayants droit à titre particulier se voyant appliquer le régime d'opposabilité générale dépendant seulement de la conclusion du contrat. Ainsi en est-il également du curateur à la faillite du créancier cédant ou constituant du gage256. 269. L'article 1690 alinéa 4 écarte cependant quelque peu les conséquences de l'opposabilité de plano de la cession ou du nantissement de créances aux tiers en général, en les tenant l'une ou l'autre inopposables "au créancier de bonne foi auquel le débiteur a, de bonne foi, et avant que la cession ne lui soit notifiée, valablement payé". Cette hypothèse vise le paiement par le débiteur de la créance cédée ou nantie à un créancier saisissant, délégataire, subrogé ou défendeur à l'action directe. L'application de la réserve ainsi faite par l'article 1690 alinéa 4 du Code civil suppose un paiement accompli de part et d'autre, c'est-à-dire non seulement effectué, mais également véritablement reçu, dans l'ignorance partagée et légitime de l'intervention antérieure d'une cession ou d'un nantissement de la créance cédée ou nantie257. E. Les exceptions 270. Plus largement, l'article 1691 du Code civil, rendu lui aussi applicable à la matière du gage par l'article 2075 aliéna 3 du Code civil, règle le sort des exceptions en général, en disposant que "le débiteur qui a payé de bonne foi avant que la cession ne lui ait été notifiée ou qu'il l'ait reconnue, est libéré. Le débiteur de bonne foi peut invoquer à l'égard du cessionnaire les conséquences de tout acte juridique accompli à l'égard du cédant, avant que la cession ne lui ait été notifiée ou qu'il l'ait reconnue".

254 Comp. VERBEKE, “Vormvrije overdracht en inpandgeving van schuldvorderingen op naam. De wet van 6 juli 1994”, in Nieuwe wetgeving inzake echtscheiding, cessie schuldvorgering, KUL 1994, n° 38; PEETERS, “Effectisering van schuldvorderingen”, in Overdracht van schuldvordering na de wet van 6 juli 1994, KUL 1994, n° 58; VERBEKE et PEETERS, Privilèges, hypothèques et autres sûretés (1996), p. 68. 255 Contra: DIRIX, “De vormvrije cessie", R.W., 1994-1995, p. 137, séc. p. 141, n° 15 et suivants, et "De vormvrije cessie" in Overdracht van schuldvordering na de wet van 6 juli 1994, KUL 1994, n° 23 et suivants. 256 VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances », J.T., 1995, p. 533; FORIERS, « La cession de créance - Les principes généraux à la lumière de la loi du 6 juillet 1994 » in La cession de créance, J.B., 1995, pp. 18-19; BOUCKAERT, « La cession et le nantissement de créance en concours avec la saisie de la créance cédée et la faillite du cédant: ce que doit savoir le notaire », R.N.B., 1998, p. 28. 257 VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation engage des créances », J.T., 1995, p. 535.

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Se trouvent ainsi visées notamment les exceptions de remise de dette, de dation en paiement ou de novation258. F. La date certaine 271. Le nouveau régime d'opposabilité du gage sur créances n'a pas été expurgé des exigences de l'article 2074 du Code civil, prévoyant que "Ce privilège (celui du créancier gagiste) n'a lieu qu'autant qu'il y a acte public ou sous seing privé, dûment enregistré, contenant la déclaration de la somme due, ainsi que l'espèce et la nature des choses remise en gage, ou un état annexé de leurs qualité, poids et mesure. La rédaction de l'acte par écrit et son enregistrement ne sont néanmoins prescrits qu'en matière excédant la valeur de 15.000 F". Ces formalités, propres au gage civil, ne sont requises qu'à l'égard des tiers259. Il est donc essentiel de déterminer la nature civile ou commerciale du gage, considérée de manière constante comme étant dépendante du caractère reconnu à la créance garantie. Ce principe n'a pas été modifié au cours de la période examinée et n'est d'ailleurs que très rarement discuté260. G. La procédure d’exécution 272. De la nature civile ou commerciale du gage, dépend également la procédure d'exécution à suivre en cas de non paiement à l'échéance de l'obligation garantie. Au-delà du postulat commun à ces deux types de gages, exprimé tant par l'article 2078 du Code civil: "le créancier ne peut, à défaut de paiement, disposer du gage (…) toute clause qui autoriserait le créancier gagiste à s'approprier le gage ou à en disposer sans (les formalités procédurales prescrites)"que par l'article 10 du Livre I, Titre VI du Code de commerce: "Toute clause qui autoriserait le créancier à s'approprier le gage ou à en disposer, sans les formalités (procédurales prescrites) est nulle", les voies de satisfaction respectives de ces créanciers divergent sensiblement. 273. En matière civile, il incombe au créancier gagiste de "faire ordonner en justice", poursuit l'article 2078 du Code civil, "que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu'à due

258 VAN OMMESLAGHE, « Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage des créances », J.T., 1995, p. 535, n° 16. 259 STRANART, « La loi du 6 juillet 1994 et les modifications apportées au gage sur créance » in La cession de créance, J.B., 1995, p. 56. 260 LEDOUX, « Chronique de jurisprudence - Les sûretés réelles », J.T., 1981, p. 333, n° 87.

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concurrence, d'après une estimation faite par experts ou qu'il sera vendu aux enchères"261. En matière commerciale, l'article 4 du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce organise une procédure accélérée par rapport au droit commun au cours de laquelle le créancier peut, "après une mise en demeure signifiée à l'emprunteur et au tiers bailleur de gage, s'il y en a un, et en s'adressant par requête au président du tribunal de commerce, obtenir l'autorisation de faire vendre le gage, soit publiquement soit de gré à gré au choix du président et par la personne qu'il désigne". Si des précisions sont apportées, lorsque l'assiette du gage est formée de "fonds publics ou devises", par le même article 4, en ses alinéas 3 et 4 qui en confient la réalisation à des agents de change, l'on chercherait en vain une indication révélatrice de la conception du législateur quant à l'exécution d'un gage portant sur des créances. La pratique s'accommode très aisément de cette carence des textes et l'on a souvent noté avec quelle facilité peut se produire sans heurt et sans aucun inconvénient, du moins perceptible à la lecture de la jurisprudence, l'abandon des créances engagées au créancier gagiste non payé à l'échéance de l'obligation garantie262. 274. Il faut reconnaître que l'étendue des prérogatives dont bénéficie le créancier gagiste sur créances, même au cours de la vie du gage et dès avant sa phase de réalisation, réduisent sensiblement le champ des avantages attendus d'une procédure d'exécution. Ainsi, en matière civile, l'article 2081 du Code civil confère au créancier gagiste le droit, si la créance engagée porte intérêts, de les imputer sur ceux qui peuvent lui être dus en vertu de la créance nantie, ou sur le capital de celle-ci, si elle n'en porte pas. Plus favorable encore, en matière commerciale, l'article 3, alinéa 1er du Livre I, Titre VI du Code de commerce édicte que "le créancier gagiste perçoit, aux échéances, les intérêts, les dividendes et les capitaux des valeurs données en gage, et les impute sur sa créance". 275. Certes, ces dispositions ne sont pas d'ordre public, de sorte qu'il est permis aux parties de laisser au constituant du gage le soin de percevoir lui-même les fruits et le produit des créances engagées aussi longtemps qu'il satisfait parallèlement à ses engagements envers le créancier gagiste. Toutefois, si un tel accord n'est pas pris, la loi organise par les dispositions précitées, un système à deux vitesses, selon la nature civile ou commerciale de l'opération, de remboursement partiel anticipé de la créance garantie non encore exigible. Outre qu'elle prive singulièrement d'intérêt l'opposition tenace, sur laquelle on reviendra, à la cession

261 Voir pour un cas d'application, où il a été fait défense à un créancier gagiste de se prévaloir sans autorisation d'un droit de propriété sur les biens nantis: Trib. Louvain (saisies), 13 décembre 1994, Bull. Contr., 1996, p.2234; voir encore sur la portée contraignante de l'article 2078 du Code civil: Trib. Comm. (saisies), 18 mai 1987, R.G.D.C., 1989, p. 172. 262 Voir notamment: VAN OMMESLAGHE, « Les sûretés nouvelles issues de la pratique - Développements récents » in Le droit des sûretés, J.B., 1992, p. 384.

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de créances à titre de garantie, si proche en définitive de la mise en gage de créances, ces caractéristiques mettent généralement le créancier gagiste à l'abri d'un besoin réel d'autorisation judiciaire pour réaliser son gage sur créances. Dans ces conditions, il s'en passe et jamais, semble-t-il, le débiteur ne s'en plaint. 276. Il arrive qu'une décision avance l'une ou l'autre analyse ou qualification, propres à faire échapper le gage sur créances à l'empire des article 2078 du Code civil et 10 du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce. La Cour d'appel d'Anvers considère, dans cet esprit, par son arrêt du 16 décembre 1996, que le droit d'un créancier gagiste, en matière commerciale, de conserver le produit de créances engagées ne relève pas de son pouvoir d'obtenir à son profit la réalisation du gage, mais découle de la compensation qui s'opère entre l'obligation garantie et les créances engagées263. Dans cet ordre d'idées, il est parfois soutenu en doctrine que la conservation du produit des créances engagées au moment de l'exigibilité de la créance garantie est une application de l'article 2082 alinéa 1er du Code civil, qui confère au créancier gagiste un droit de rétention portant sur le bien engagé, suivi d'une compensation entre les sommes dues par le débiteur principal et les fonds à restituer par le créancier gagiste, après réception du paiement des créances engagées264. La tentative est intéressante, mais ne convainc pas complètement. La compensation suppose, en effet, deux obligations réciproques. L'obligation garantie existe entre le débiteur et le créancier gagiste, assurément, mais il n'en existe aucune, en revanche, pas même de restitution, du créancier gagiste envers le débiteur constituant du gage. Sur quel fondement devrait-il remettre à ce dernier le produit des créances engagées, alors précisément que la loi l'invite, en ses dispositions précitées, à en imputer le montant sur la créance garantie? Par cette opération, s'effectue, nous l'avons dit, une attribution définitive au créancier gagiste des fonds concernés, à charge pour lui d'y réserver l'application légalement prévue, à savoir l'extinction anticipée, à la mesure des sommes imputées, de l'obligation garantie. Le phénomène échappe, il est vrai, entièrement à la problématique de la réalisation forcée du gage265. En cela, l'arrêt examiné mérite l'approbation. Toutefois, c'est exclusivement par le jeu d l'imputation légale prévue de manière spécifique par l'article 3 alinéa 1er précité du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce, que s'explique la

263 Anvers, 16 décembre 1996, R.W., 1996-1997, p. 1202, note. 264 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 156, n° 296. 265 Voir également CUYPERS, “De financiering van ziekenhuizen door inpandgeving van de schuldvorderingen op de ziekenfonds”, R.W., 1992-1993, p. 1053; VERBEKE, “De inpandgeving van schuldvorderingen" in Overdracht en inpandgeving van schuldvorderingen, Comm. Voorr. en Hyp. 80, n° 96 et suivants.

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satisfaction obtenue par le créancier gagiste sans qu'il soit indispensable de recourir à cette autre institution légale que constitue la compensation, au demeurant inappropriée. 277. L'inadéquation de la compensation pour expliquer la conservation du produit des créances engagées par le créancier gagiste apparaît, de surcroît, plus clairement encore, lorsque c'est un tiers, et non le débiteur de l'obligation garantie, qui a consenti à grever ses créances. Dans ce cas, toute tentation s'abolit de voir se dénouer l'opération par compensation, à défaut de réciprocité, apparaissant dès l'abord impossible, entre les engagements respectifs des parties. 278. En réalité, aussi longtemps que le créancier gagiste exerce les prérogatives spéciales que lui confère selon le cas, tantôt l'article 2081 du Code civil, tantôt l'article 3 alinéa 1er du livre Ier, titre VI du Code de commerce, la procédure de réalisation peut lui rester étrangère. Elle ne devient utile, en principe, que lorsque les créances engagées sont assorties d'un terme dépassant largement celui qui affecte l'obligation garantie. Le créancier gagiste aura soin, objectera-t-on, d'éviter une telle distorsion lors de la négociation du contrat de gage. Sans doute, mais, au cours de la vie de ce contrat, un événement peut se produire, qui entraînera la déchéance du terme et l'exigibilité de la créance garantie, sans altérer l'échéance des créances engagées. Dans ce cas, l'autorisation judiciaire de réalisation n'est pas incongrue. On imagine mal certes le recours à la vente aux enchères, mais en matière civile, à l'heure où la notation des créances est en vogue, l'attribution au créancier gagiste après estimation faite par experts, se conçoit; de même, en matière commerciale, que la cession de gré à gré, l'une ou l'autre voies d'exécution devant être autorisées par justice. Ces procédures ne sont toutefois nécessaires qu'en l'absence d'accord pour une attribution ou une cession amiables de la part du constituant du gage ou de son ayant droit en la personne d'un curateur de faillite par exemple. Il est admis, en effet, sans réserve, que ni l'article 2078 du Code civil ni l'article 10 du Livre Ier, Titre VI du Code de commerce n'interdisent une clause contraire expresse des parties conclue postérieurement à la constitution du gage266. 279. Enfin, sur le thème des distinctions entre le gage civil et le gage commercial, il est une prérogative peu connue des prétoires, attribuée au premier, mais dénié au second: celle que décrit l'article 2082 alinéa 2 du Code civil en ces termes: "S'il existait de la part du même débiteur, envers le même créancier, une autre dette contractée postérieurement à la mise en gage, et devenue exigible avant le paiement de la première dette, le créancier ne pourra être tenu de se dessaisir du gage avant d'être entièrement payé de l'une et de l'autre dettes, lors même qu'il n'y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au paiement de la seconde". Ce droit de rétention étendu pouvant être exercé, sans pouvoir de

266 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 155, n° 294.

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réalisation267, pour une dette liant les parties au gage et venant s'insérer intégralement dans la durée de l'obligation initialement garantie, ne trouve pas à s'appliquer lorsque cette dette subséquente est elle-même assortie d'une sûreté268. 280. Relevons que le régime des créances correspondant aux « espèces » au sens de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières, à savoir « les droits découlant de fonds portés en compte quelle qu’en soit la devise, à l’exclusion de la monnaie fiduciaire ainsi que les créances similaires ouvrant le droit à la restitution d’argent » (article 3, alinéa 1er-2° de la loi sur les sûretés financières) est organisé par ladite loi. Dès lors, l’application des articles 1328 et 2074 du Code civil est écartée, ce qui dispense, même en cas de gage civil, de respecter les formalités propres à assurer la date certaine du contrat, notamment par l’enregistrement de la convention (article 7 de la loi sur les sûretés financières) et ce qui autorise le créancier gagiste, d’une part, à user du produit de la créance, si la convention l’y autorise, même au cours de la période de latence (article 11 de la loi sur les sûretés financières) et, d’autre part, à procéder à l’imputation de ce produit, en cas de défaut d’exécution, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, sur la créance garantie (article 8 de la loi sur les sûretés financières). SECTION 2. LES CRÉANCES QU’IL EST D’USAGE DE CONSTATER PAR

FACTURE A. Introduction 280. Par une loi du 25 octobre 1919, modifiée le 31 mars 1958, le 22 mars 1993 et le 6 juillet 1994, le législateur a entendu simplifier les conditions de la cession et de la mise en gage des créances qu’il est d’usage de constater par une facture. Le but de la loi était de fournir un moyen de crédit aux petits commerçants en leur permettant de mobiliser leurs créances sans recourir pour autant au mécanisme cambiaire, jugé parfois trop rigoureux ou inopportun. Le législateur n’a donc pas voulu créer une nouvelle catégorie de titres négociables, mais seulement abréger les formes prescrites pour rendre la cession de créance ou le gage sur créance opposables aux tiers. 281. La facture doit comporter diverses mentions requises pour valoir véritablement facture au sens de la loi. Il s’agit de la date, l’identité des parties, le prix de chaque 267 T'KINT, Sûretés et principes généraux du doit de poursuite des créanciers, p. 152, n° 288. 268 Cass. fr., 26 mai 1975, Bull. Civ. IV, n° 138; D. 1975, I.R. 180; CABRILLAC et MOULY, Droit des sûretés, Litec 1990, p. 531, n° 677.

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fourniture ou prestation et le montant de la facture, comme l’impose l’article 13 de la loi. La créance qu’elle constate peut être civile ou commerciale269. 282. Dans un but de protection du débiteur qui recourt à ce mode de garantie du crédit, le créancier bénéficiaire de la cession ou du gage doit, tout comme le créancier gagiste sur fonds de commerce, être initialement un établissement de crédit agréé dans un Etat européen ou un établissement financier défini par arrêté royal (article 15 de la loi). B. L’endossement 283. La cession ou la mise en gage de créances constatées par factures sont réalisées par l’endossement en pleine propriété ou, moyennant une mention en ce sens, à titre pignoratif. L’endossement doit mentionner le nom de l’endossataire (ce qui exclut les endossements en blanc) et doit être daté et signé par l’endosseur, en vertu de l’article 14 de la loi. Les endossements successifs sont interdits par l’article 15 de la loi. C. L’opposabilité aux tiers 284. Selon l’article 16, alinéa 1er de la loi, l’endossement de la facture doit être notifié au débiteur par un avis d’endossement écrit, mentionnant que, dès réception, le débiteur ne peut plus se libérer valablement qu’entre les mains de l’endossataire. 285. A l’égard des tiers, le seul fait de l’endossement leur rend opposables la cession et la mise en gage de la créance, ainsi que l’énonce l’article 16, alinéa 2 de la loi. 286. Le législateur a également rendu applicable à l’endossement de la facture les régimes spéciaux de protection de certains créanciers prévus par l’article 1690, alinéas 3 et 4 du Code civil. D. Applications 287. L’endossement de factures semble n’avoir, jusqu’à tout récemment, joui que d’un succès limité, pour différentes raisons (préférence donnée au mécanisme cambiaire,

269 VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, 1ère éd., n° 2571.

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craintes des exceptions opposables, caractère jugé trop contraignant encore de la notification, etc.). Les établissements de crédit paraissent n’y avoir eu recours que dans des cas particuliers (difficultés de remboursement du crédité et garantie d’un certain moratoire)270. 288. L’usage de la formalité de l’endossement pour opérer la transmission de créances dans le cadre du contrat d’affacturage, semble néanmoins connaître un regain d’intérêt. On sait cependant que le factor ne procède généralement pas à la notification de l’endossement au débiteur cédé. Il se contente de lui adresser la facture cédée, munie d’un papillon contenant la mention de l’endossement et l’invitation à se libérer entre les mains du cessionnaire. E. L’interdiction des endossements successifs 289. L'on peut s'interroger sur le sens que conserve cette forme de cession ou de mise en gage de créances, initialement conçue comme une simplification par rapport au système de droit commun déposé aux articles 1690 et suivants anciens du Code civil. A présent, céder ou engager une créance constatée par facture est devenu plus complexe que la même opération, purement consensuelle, portant sur une créance non coulée en cette forme. En outre, la liberté des parties se trouve limitée d'emblée par la nécessité d'endosser les factures uniquement au profit d'établissements de crédit ou d’établissements financiers définis par l'arrêté royal du 9 octobre 1995 renvoyant à la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit. 290. Le seul avantage que l'on aperçoit pour les parties à se conformer à ces exigences, réside sans doute dans la certitude qu'acquiert le cédant des factures que celles-ci resteront entre les mains de leur premier cessionnaire, les endossements successifs étant interdits. F. Les exceptions 291. La particularité de la technique examinée, requérant par définition l'établissement d'une facture pour constater la créance à céder ou à nantir, entraîne-t-elle que seules les créances nées puissent constituer l'assiette de telles opérations? Non, tranche la Cour de cassation, dans une espèce où il était soutenu que l'absence de livraison avait empêché la naissance de la créance, rendant ainsi impossible l'endossement valable de la

270 MOREAU-MARGRÈVE, C.D.V.A., 1983, p. 151.

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facture, la Cour se fonde sur les motifs que toute créance professionnelle peut, par le vœu de la loi, être cédée ou donnée en gage par endossement de facture, dès sa naissance, même si son exigibilité est différée dans le temps et peut être suspendue par le biais de l'exception d'inexécution271. Dans les circonstances de l'espèce, le débiteur aurait pu invoquer l'exception d'inexécution, en se prévalant, malgré l'endossement, de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle ladite exception est nécessairement antérieure à la survenance de l'endossement puisqu'elle est inhérente par essence au contrat synallagmatique272. 292. A cet égard, la Cour d'appel de Bruxelles a eu l'occasion de rappeler que l'endossement ne peut conduire à une détérioration de la situation du débiteur de la créance constatée par la facture endossée, de sorte qu'il conserve envers l'endossataire toutes les exceptions dont il disposait envers l'endossateur, sans que son silence après qu'il eut connaissance du fait de l'endossement, puisse être interprété comme une renonciation à ses droits273. 293. L'endossement de la facture laisse également inchangés les droits que puisent le Trésor et l'Office National de Sécurité Sociale respectivement dans l'article 299 bis du Code des impôts sur les revenus (devenu article 400 du CIR 1992) et 30 bis § 7 de la loi du 29 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs. Ces articles imposent au cocontractant d'un entrepreneur, l'obligation d'effecteur des retenues sur les montants facturés dès qu'intervient la radiation de l'enregistrement de celui-ci, sous peine d'être rendu solidairement responsable du paiement des impôts et cotisations restant dus274. C'est en ce sens que s'est prononcé le tribunal de commerce de Nivelles dans un jugement du 6 février 1992275, en se fondant sur les motifs que l'entrepreneur ne peut céder ou mettre en gage qu'une créance susceptible de réduction, l'endossement n'emportant nulle novation. 294. De la même manière, la Cour d'appel de Mons estime qu'à la condition que le contrat d'entreprise soit encore en cours d'exécution lors de la radiation de l'enregistrement, même si c'est la faillite de l'entrepreneur qui a emporté cette

271 Cass., 21 avril 1994, J.L.M.B., 1994, p. 1238. 272 Cass., 13 septembre 1973, Pas., 1974, I, 30, notes; R.C.J.B., 1974, p. 352 et la note STENGERS, « La compensation après faillite et l'exception d'inexécution opposée par le débiteur d'une créance cédée »; R.W., 1973-1974, col. 997. 273 Bruxelles, 2 mars 1993, R.W., 1993-1994, pp. 52-53. 274 Voir notamment FLAMME et FLAMME, « L'enregistrement des entrepreneurs: un brevet – précaire – d’honorabilité à l'égard du fisc et de la sécurité sociale », J.T., 1979, pp. 701 et 721; Mons, 25 novembre 1992, J.L.M.B., 1994, p. 117, note LOUVEAU, Entrepreneurs non enregistrés: moyens de défense et d'action du maître de l'ouvrage face à l'ONSS; ZENNER, Dépistage, faillites, concordats, p. 280, n° 376. 275 Bull. Contr., 1994, pp. 128-134.

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conséquence, il appartient au cocontractant d'opérer les retenues prévues par la loi et de refuser dans cette mesure le paiement des montants facturés à l'endossataire. La Cour considère à bon droit qu'en l'absence de novation, l'endossataire à titre pignoratif ne peut prétendre à plus de droit que l'endosseur envers le débiteur276. Pour la même raison, il est admis que l'action que l'endossataire d'une facture dirige contre le débiteur, en exécution d'un contrat de transport est soumise à la courte prescription édictée en la matière277. CHAPITRE VII. LE GAGE D’ESPECES ET D’INSTRUMENTS

FINANCIERS SECTION 1. GÉNÉRALITÉS 295. Les instruments financiers sont énumérés par l'article 2 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers. Il s'agit des actions et autres valeurs assimilables à des actions, des obligations et autres titres de créance négociables sur le marché des capitaux, de toutes autres valeurs habituellement négociées permettant d'acquérir de tels instruments financiers par voie de souscription ou d'échange ou donnant lieu à un règlement en espèces à l'exclusion des moyens de paiement, des parts d'un organisme de placement collectif, des instruments habituellement négociés sur le marché monétaire, des contrats financiers à terme ("futures"), y compris les instruments financiers équivalents donnant lieu à un règlement en espèces, des contrats à terme sur taux d'intérêt (« forward rate agreements »), des contrats d'échange ("swaps") sur taux d'intérêt, sur devises ou des contrats d'échange sur des flux liés à des actions ou à des indices d'actions ("equity swap") et enfin, des options permettant d'acheter ou de vendre tout instrument financier. 296. Quelle qu'en soit l'objet, l'instrument financier se réduit simplement à la représentation d'un droit permettant soit d'exiger l'exécution d'une prestation personnelle, soit de prétendre directement à la propriété d'un actif, soit de se prévaloir de prérogatives consistant en la combinaison des deux. 297. En considération de ce qui précède, les règles appelées à gouverner la mise en gage d'instruments financiers sont, selon le cas, à puiser dans le régime général du

276 Mons, 13 septembre 1993, Bull. Contr. 1995, pp. 1447-1456. 277 Comm. Liège, 18 juin 1979, J.L.., 1979, pp. 413-414.

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nantissement de créances, de titres au porteur, de titres nominatifs ou de titres dématérialisés. Sur le fondement de ces règles générales, viennent s'ancrer de temps à autre, comme on le verra, diverses dispositions particulières édictées par des législations spéciales, en particulier la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûretés réelles et de prêts portant sur des instruments financiers278. SECTION 2. LES TITRES NOMINATIFS A. Principes 298. L'article 504, alinéa 1er du Code des sociétés, relatif à la cession d'actions nominatives et appliqué par analogie au nantissement de tels biens, prévoyait jusqu’il y a peu que « La cession des titres nominatifs s'opère par une déclaration de transfert inscrite sur le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir, ainsi que conformément aux règles relatives à la cession de créance établies par l'article 1690 du Code civil. Il est loisible à la société d'accepter et d'inscrire sur le registre un transfert qui serait constaté par la correspondance ou d'autres documents établissant l'accord du cédant et du cessionnaire »279. 299. Sur le fondement de ce texte, il était généralement admis que le nantissement d'actions nominatives naissait de l'accord pignoratif accompagné, pour accomplir la tradition symbolique des biens grevés, d'une inscription au registre des actionnaires ou d'une signification à la société concernée280. Certains auteurs préconisaient également, comme équivalent à la remise du titre constatant une créance, la transmission des certificats relatant les inscriptions281. Au premier abord, on pouvait croire ces principes inchangés, l'article 2075 nouveau du Code civil ne visant de manière expresse que les créances ordinaires, à l'exclusion dès lors des autres droits incorporels soumis à des régimes spéciaux.

278 M.B., 1er février 2005. 279 Voir pour ce qui concerne les titres représentatifs du capital social de sociétés ayant reçu une forme autre que celle de la société anonyme : articles 235 et 465 du Code des sociétés. 280 T'KINT et GODIN, Les sociétés coopératives, p. 189; RONSE, “Handelspand op schuldvorderingen zonder afgifte van een titel”, in Liber Amicorum Fredericq, p. 38; VAN HILLE, Aandelen en obligaties in het Belgisch recht, p. 693. 281 RESTEAU, Sociétés anonyme", p. 422; R.P.D.B., V° Sociétés anonymes, n° 546.

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La référence à l'article 1690 du Code civil, qui était contenue dans l'article 504, alinéa 1er du Code des sociétés, emportait cependant une nouveauté indirecte, mais fondamentale: désormais, la cession – et par analogie, le nantissement – pouvaient être considérés comme valablement conclus et rendus opposables aux tiers solo consensu, seul le débiteur (en l'occurrence la société) devant être le destinataire d'une notification ou auteur d'une reconnaissance pour que les droits des cessionnaires ou des créanciers gagistes existent à son égard, ou en cas de pluralité de cessions ou de gages, pour qu'un ordre de préférence se dessine entre eux, considérant l'inscription au registre des actionnaires comme remplaçant la notification ou la reconnaissance282. 300. Quoi qu'il en soit, une fois le nantissement reconnu par ou notifié à la société, si c'est cette voie qui est choisie, la réalisation de l'inscription au registre des actionnaires constituait une obligation pour les organes, créant ainsi de surcroît un mode de preuve de la portée et de la date des droits du créancier gagiste283. 301. Cette situation a été modifiée par la loi du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur284. Désormais, l’article 504 du Code des sociétés dispose que « La cession des titres nominatifs s’opère par une déclaration de transfert dans le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir. Si le registre est tenu sous la forme électronique, la déclaration de transfert peut prendre la forme électronique et être revêtue d’une signature électronique avancée réalisée sur la base d’un certificat qualifié attestant de l’identité du cédant et du cessionnaire et conçue au moyen d’un dispositif sécurisé de création de signature électronique, en conformité avec la législation applicable ». Telles sont désormais les conditions de formation et d’opposabilité du gage. B. Restrictions à la négociabilité 301. Le gage ne s'identifiant pas à une cession, les diverses restrictions légales ou statutaires apportées à la négociabilité de parts sociales n'empêchent, en principe,

282 Voir BLUMBERG et VAN LANCKER, “De totstandkoming en de tegenwerpel lijkheid van de inpandgeving van aandelen op naam”, T.R.V., 1995, pp. 445-465; M.E. STORME, "Overdracht van de roerende goederen, vestiging van pandrecht, eigendomsvoorbehoud: een poging tot systematisatie", in Zakenrecht, absoluut niet een rustig bezit, 1992, p. 472. 283 GRÉGOIRE, « De l'influence du nouveau droit commun de la cession et de la mise en gage des créances sur la mise en oeuvre des lois spéciales de droit financier et de droit du crédit" in La cession de créance, J.B., 1995, p. 105. 284 M.B., 6 février 2006.

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nullement en elles-mêmes la constitution d'un gage285. Il demeure toutefois que l'entrave mise à la liberté de cession est de nature à réduire le cas échéant la valeur économique réelle de la garantie, si la réalisation forcée s'impose un jour, le nombre des acquéreurs possibles pouvant se révéler très faible. A cet égard, la distinction à opérer est la suivante : les restrictions purement conventionnelles, au contraire, telles celles issues d’un pacte de préemption conclu entre actionnaires, ne sauraient lier le créancier gagiste, qui y est tiers, sous la réserve de l’application des règles régissant la tierce complicité. 302. Certes, si l’exécution forcée du gage consenti par un actionnaire signataire d’un pacte emportant une restriction à la cessibilité de ses actions, conduit à un résultat proscrit par le pacte, cet actionnaire constituant un gage, verra sa responsabilité contractuelle recherchée par ses co-actionnaires. Cette conséquence n’est toutefois pas en soi de nature à modifier les prérogatives du créancier gagiste. SECTION 3. LES TITRES AU PORTEUR A. Principes 303. Signalons d’emblée la publication au Moniteur belge du 23 décembre 2005 de la loi du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur prévoyant qu’à partir du 1er janvier 2008, les titres ne peuvent être émis que sous la forme nominative ou dématérialisée. A partir du 1er janvier 2008, les titres au porteur inscrits en compte-titres, ainsi que les titres au porteur émis à l’étranger, soumis à un droit étranger, ou émis par un émetteur étranger ne peuvent faire l’objet d’une délivrance physique en Belgique. Ces titres seront de plein droit convertis en titres dématérialisés. Bien entendu, à tout moment, les actionnaires peuvent demander la conversion en titres nominatifs, conformément à l’article 462 du Code des sociétés. 304. Le régime régissant le nantissement de titres au porteur est constant : assimilé traditionnellement à des meubles corporels, ces biens sont engagés, tant entre parties qu'à l'égard des tiers, par la tradition physique qu'en fait leur propriétaire, entre les mains du créancier gagiste ou d'un tiers convenu286. Pour cette raison, c'est à l'occasion de litiges survenant dans le cadre de la mise en gage de titres au porteur que les cours et

285 Voir PEETERS, “Aandelen van een coöperatieve vennootschap kunnen in pand worden gegeven", T.R.V. 1990, pp. 437-443; Comp. notamment: VAN HULLE, HOFKENS et VAN HULLE, De Coöperatieve vennootchap, 1989, p. 151. 286 T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, p. 137, n° 253.

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tribunaux distillent le plus volontiers la conception qu'ils se font du gage sur meubles corporels en général. B. La dépossession 306. Conformément aux principes généraux relatifs à la possession ou à la quasi-possession, celle du créancier gagiste ne lui assure valablement la constitution, le maintien et la protection de ses droits que si sont remplies les exigences édictées par les articles 2229 et 2279 du Code civil. Selon ces exigences, la quasi-possession du créancier doit donc naître et s'exercer de bonne foi, en restant continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de créancier gagiste. 307. N'est pas fondé, dès lors, à invoquer le bénéfice de l'article 2279 du Code civil, pour s'opposer à la restitution au tiers propriétaire, de titres et valeurs mobilières qui lui ont été remis en gage, le créancier gagiste qui, en raison de sa négligence et du doute circonstancié qu'il devait éprouver en la cause, ne pouvait légitimement considérer les titres et valeurs comme lui ayant été régulièrement nantis, ni le tiers propriétaire comme le véritable constituant du gage. En l'espèce, la banque ayant reçu en gage les titres et valeurs au porteur, avait tenté devant les juges du fond une défense en deux volets: d'une part, le constituant du gage s'étant révélé démuni de tout droit sur les titres et valeurs remis en gage, la banque croyait pouvoir rattacher l'intervention de celui-ci à une prétendue convention de prête-nom; elle invoquait le droit, conféré par l'article 1321 du Code civil, de mettre au jour la convention réelle en écartant l'acte ostensible. Selon cette première analyse, les véritables propriétaires devenaient, après dissipation des apparences, les constituants du gage, de sorte qu'en vertu de la convention de gage, la restitution des biens grevés ne pouvait être ordonnée avant le paiement complet de la créance garantie. D'autre part, la banque soutenait qu'à s'en tenir aux apparences, les véritables propriétaires étaient restés tiers par rapport à la convention de gage, en manière telle que la possession des titres et valeurs en tant que créancier gagiste était de nature à garantir l'entier respect de ses prérogatives, sur la base de l'article 2279 du Code civil. L'une et l'autre de ces analyses avaient été rejetées tant en première instance qu'en appel, aux motifs, d'une part, que les véritables propriétaires ne pouvaient légitimement être considérés comme constituants du gage – ce qui conduisait au rejet du moyen déduit de la simulation – et que, d'autre part, le "doute circonstancié" qu'avait dû ressentir la banque lors de la constitution du gage par un non verus dominus la privait du droit de se prévaloir de l'article 2279 du Code civil.

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Par son arrêt du 17 octobre 1984, la Cour de cassation rejette le pourvoi critiquant cette analyse aux motifs que les considérations précitées, qu'elle approuve, justifient la décision au regard de l'article 2279 du Code civil287. 308. Rien n'interdit que la quasi-possession du créancier gagiste s'exerce à l'intervention d'un tiers convenu. Dans ce cas, ce dernier est investi de la double mission d'exercer les prérogatives de l'une et l'autre parties au contrat de gage. Ainsi, son investiture permet de garantir que le créancier gagiste n'abusera pas du gage, ou ne le réalisera pas sans autorisation de justice288. De la sorte, le tiers convenu exerce en définitive le droit de contrôle que conserve le constituant du gage en qualité de propriétaire. Par ailleurs, le tiers convenu garde la sûreté, comme le ferait son bénéficiaire. Par ces deux aspects de sa mission, le tiers convenu est à la fois possesseur pro alio (pour le constituant du gage) et quasi-possesseur pro alio (pour le bénéficiaire du gage), cette situation n'entraînant aucunement la consolidation des droits réels concernés, car c'est purement d'exercice de ces droits qu'il s'agit et non de ces droits eux-mêmes. C'est en ce sens que s'est prononcé à juste titre le tribunal de commerce de Mons, dans un jugement du 1er septembre 1986289. En l'espèce, des titres avaient été placés, pour servir de garantie à une obligation principale, sur un compte tenu par une banque, ouvert au nom de leur propriétaire, mais bloqué en ses livres. Le compte, en effet, ne pouvait fonctionner que sous la signature conjointe des deux parties au contrat jusqu'au paiement total de l'obligation principale. Après la faillite du propriétaire des titres ainsi conservés, le curateur en revendiqua la pleine propriété et contesta tout privilège au créancier. Le tribunal analyse l'opération en un gage, en se fondant sur les considérations convaincantes que la remise des titres, selon les modalités indiquées, entre les mains d'un tiers convenu (la banque) et leur dépôt sur un compte bloqué ne pouvant fonctionner que sous la signature conjointe des deux parties, en a dessaisi leur propriétaire, de manière réelle, ostensible, exclusive et non équivoque, de façon qu'ils ne puissent plus être considérés comme faisant partie sans réserve de son patrimoine, que le propriétaire des titres ne puisse plus en disposer et que les tiers soient avertis qu'ils n'ont plus à compter sur ce bien comme faisant partie de son actif libre. Le tribunal ajoute, analysant de manière précise l'impact de l'intervention d'un tiers convenu, que "les notions de possession et de propriété ne doivent pas être confondues; qu'en conséquence, n'est pas inconciliable avec la notion de gage, la stipulation suivant laquelle (les titres seront déposés) à un compte ouvert au nom et au profit du débiteur, cette stipulation n'ayant pour but que de rappeler que (les titres resteraient) sa propriété; que ne l'est pas non plus, l'impossibilité pour le créancier de disposer du gage (ce qui lui est d'ailleurs interdit par l'article 2078 du Code civil), ni même l'impossibilité de contraindre la banque à le lui délivrer à sa seule diligence et

287 Cass., 17 octobre 1984, Pas. 1985, I, p. 244. 288 MOREAU-MARGRÈVE, « Evolution du droit et de la pratique en matière de sûretés » in Les créanciers et le droit de la faillite, C.D.V.A., 1983, p. 135. 289 J.L.M.B., 1987, pp. 879-881; R.D.C.B., 1987, pp. 805-808.

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sans le consentement préalable du débiteur, puisque la mise en possession du seul tiers convenu est suffisante pour que le gage puisse exister (article 2078 du Code civil); que si ce dernier mode de création du gage n'était valable que moyennant la possibilité du créancier de se faire attribuer la possession de la chose quand bon lui semble, celui-ci ne répondrait d'ailleurs pas à une de ses principales utilités, à savoir d'éviter que le créancier gagiste ne fasse fi de l'interdiction qui est la sienne de disposer du gage sans autorisation de justice". Ce jugement doit être entièrement approuvé. 309. Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 15 juin 2001290 rappelle que la tradition demeure une condition à laquelle sont soumises tant la validité que l’opposabilité d’un gage. Dans une affaire où des titres avaient été déposés sur un compte ouvert au nom exclusif de la société débitrice et propriétaire sans aucune indication de la mise en gage prétendument consentie à la banque, celle-ci est considérée comme une simple détentrice pour compte de la société et ne peut opposer une sûreté au curateur à la faillite de cette dernière. C. Le supplément de gage 310. Il est fréquent que les conventions d'affectation de titres en gage prévoient qu'en cas de diminution de la valeur totale de la garantie, le créancier gagiste (généralement une banque), réclame un supplément de gage au débiteur constituant, ou même se réserve le droit d'affecter en nantissement, des titres appartenant à ce dernier, dont le créancier gagiste serait dépositaire par ailleurs. Ainsi, dans une affaire soumise au tribunal de commerce de Bruxelles, une banque avait consenti une avance à terme fixe, garantie par le gage de titres au porteur déposés en un compte spécial. La convention de nantissement comportait une clause disposant que "Dans le cas où il y aurait une modification de la composition du gage, les valeurs nouvelles déposées formeront avec celles remises précédemment, un gage unique et indivisible et seront affectées à la sûreté des engagements de la (société débitrice)" et une autre énonçant que "Dès que la valeur du gage devient inférieure à 140% du montant de l'ouverture de crédit octroyée par la banque, (la société débitrice) s'engage à remettre à la banque à première demande que celle-ci lui adressera par simple lettre, tout supplément de nantissement en titres officiellement cotés en Belgique et à la convenance de la banque". Comme la dépréciation des titres mis en gage se produisit, la banque affecta d'initiative certains titres se trouvant entre ses mains, en garantie de ses créances envers la société débitrice, et en avisa celle-ci, qui ne protesta pas immédiatement. Toutefois, la société débitrice fut par la suite déclarée en faillite et le curateur contesta le nantissement au motif qu'il avait été constitué en période suspecte. Par jugement du 4 février 1997, le tribunal de commerce fit droit à cette thèse, en se fondant sur trois ordres de motifs: (1) les titres concernés, étant au porteur, doivent

290 J.L.M.B., 2002, p. 838.

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être traités comme des meubles corporels dont l'engagement suppose la remise matérielle; (2) le gage de ces titres prend date lors de leur affectation au compte ouvert spécialement pour loger la sûreté, et non lors de la conclusion de la convention de nantissement, en dépit de la clause d'unicité et d'indivisibilité impuissante à conférer au gage une date de naissance antérieure à celle de la tradition; (3) la naissance du gage supplémentaire en période suspecte pour garantir des dettes antérieurement contractées a pour effet de le rendre inopposable au curateur à la faillite du constituant. 311. Cette décision pouvait être approuvée à l’époque, car le droit pour le créancier gagiste d'exiger que lui soient remis un supplément de gage dans certaines conditions ne pouvait être analysé que comme le pendant d'une promesse de gage pesant sur le constituant, lorsque les biens à nantir en supplément sont de nature corporelle. 312. Il fallait, déjà alors, rester attentif toutefois à la possibilité dont disposent toujours les parties de modifier conventionnellement le caractère de certains biens non fongibles pour en faire des biens fongibles. Il n'existe pas, en effet, de biens non interchangeables par essence. Les parties peuvent convenir à cet égard de déroger à la nature des choses. En particulier, il arrive fréquemment que des titres au porteur soient envisagés par les parties à un contrat de gage soit uniquement en fonction de leur quantité et de leur qualité, soit en fonction de ces critères auxquels vient s'ajouter celui de leur identité. Ce n'est que dans le second cas que les règles applicables sont sans conteste celles du nantissement de meubles corporels rappelées ci-dessus. Dans le premier cas, en revanche, une analogie entre le gage sur biens fongibles par nature ou par convention, et le gage sur créances pourrait être envisagée. Il pourrait être soutenu dans cette hypothèse en effet que l'assiette du gage sur biens fongibles ne serait plus formée par les biens eux-mêmes, mais par une créance de restitution de biens d'une quantité et d'une qualité équivalentes, figurant dans le patrimoine du constituant à l'encontre du gagiste pour le cas où l'obligation garantie est exécutée totalement. Selon cette analyse, l'objet du gage serait représenté par une créance que le constituant possède contre le gagiste lui-même, sur lequel ce dernier pourrait invoquer un droit de préférence en cas d'inexécution de l'obligation principale, à l'instar du phénomène qu'entraîne un gage sur compte constitué au profit du banquier apériteur de ce compte. Partant, l'importance fondamentale attachée à la tradition physique et à la dépossession matérielle dans le cadre d'un gage sur species, perdrait sa justification, et il deviendrait de la sorte possible d'admettre la fiction prévue pour les créances par le nouvel article 2075

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du Code civil, à savoir que la mise en possession résulte de la seule conclusion de la convention291. 313. En toutes hypothèses, désormais, les appels de marge, définis comme « les instruments financiers ou espèces fournis en garantie ou transférés dans le cadre d’une convention constitutive de sûreté réelle en vue d’assurer en cours de contrat l’équilibre convenu entre les prestations des parties ou des parties à l’engagement garanti, soit pour une opération déterminée, soit pour tout ou partie de leurs opérations » (article 3-9° de la loi du 15 décembre 2004 sur les sûretés financières) sont autorisés par l’article 7 §2 de la même loi, qui dispose que « les appels de marge ainsi que les instruments financiers équivalents ou espèces substitués en cours de contrat aux avoirs constituant initialement l’assiette suivent le même régime que ces avoirs remis initialement à titre de gage, sans application des restrictions propres à la période suspecte » (article 15 dernier alinéa de la loi sur les sûretés financières). SECTION 4. LES TITRES DÉMATÉRIALISÉS A. Principes 313. Aux termes de l'article 460 alinéa 2 du Code des sociétés, les titres émis par une société anonyme "sont nominatifs, au porteur ou dématérialisés". Cette dernière forme est décrite à l'article 468 du même code: il s'agit d'un titre "représenté par une inscription en compte au nom de son propriétaire ou de son détenteur auprès d'un établissement agréé chargé de tenir les comptes, ci-après dénommé teneur de comptes agréé". L'alinéa 2 poursuit en précisant que "Le titre inscrit en compte se transmet par virement de compte à compte" et l'alinéa 4 ajoute enfin que "le nombre de titres dématérialisés en circulation à tout moment est inscrit, par catégorie de titres, dans le registre des titres nominatifs au nom de l'organisme de liquidation"292. 314. Inséré dans l’article précité par la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûretés réelles et de prêts portant sur des instruments financiers (M.B. 1er févier 2005), un alinéa supplémentaire énonce que « L’inscription de titres en compte confère un droit de copropriété, de nature incorporelle, sur l’universalité des titres de même

291 Voyez sur l'inadaptation de la notion de tradition et de dépossession s'agissant du gage de meubles incorporels, T'KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, pp. 136-137, n° 256. 292 Voir BOURS, HAMER, HERMANT et RENARD, Le nouveau droit des sociétés, pp. 150 à 157.

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catégorie inscrits au nom de l'organisme de liquidation dans le registre des titres nominatifs (…) ». B. La dépossession 315. Le nantissement de tels titres est spécialement réglementé par la loi, en particulier par les articles 469 et 470 du Code des sociétés. Si, en principe, l'organisme teneur de compte doit maintenir les valeurs dématérialisées détenues pour le compte de tiers et pour son compte propre sur des comptes distincts ouverts auprès de l'organisme de liquidation ou auprès d'un établissement agissant comme intermédiaire entre lui et l'établissement de liquidation, cette règle est écartée lorsqu'un organisme teneur du compte confère un gage sur des actions dématérialisées lui appartenant au profit d'un autre organisme teneur de compte. Dans ce cas, c'est dans les comptes de ce dernier que les actions dématérialisées engagées doivent être inscrites. 316. En dehors de cette hypothèse spécifique, la constitution d'un gage civil ou commercial sur des valeurs dématérialisées se réalise valablement par l'inscription de ces valeurs à un compte spécial ouvert chez un teneur de compte au nom d'une personne à convenir. Le gage ainsi constitué est opposable aux tiers sans autre formalité. Le régime applicable aux titres dématérialisés apparaît donc comme étant dérogatoire aux règles régissant d'une manière générale les titres au porteur. Il est pourtant admis en droit français que l'inscription en compte et le virement de compte à compte constituait une forme de dessaisissement assimilable au don manuel, notamment d'un point de vue fiscal293. 317. L’article 470 du Code des sociétés est complété, enfin, par un alinéa prévoyant que « Le constituant du gage est présumé être propriétaire des valeurs mobilières dématérialisées données en gage. La validité du gage n’est pas affectée par l’absence de droit de propriété du constituant du gage sur les valeurs mobilières dématérialisées remises en gage. Si le constituant du gage a averti le créancier gagiste, au préalable et par écrit, qu’il n’est pas le propriétaire des valeurs mobilières dématérialisées données en gage, la validité du gage est subordonnée à l’autorisation du propriétaire de ces valeurs mobilières de la donner en gage ». 318. L'on peut s'interroger sur la portée des termes "personne à convenir" visée par la disposition précitée. Cette personne peut-elle être le constituant du gage lui-même, ou doit-elle être nécessairement le créancier gagiste ou son mandataire pour que soit satisfaite l'exigence de la dépossession requise normalement pour la constitution d'un gage ?

293 Cass. fr., 19 mai 1998, Dall. Affaires, 1998, p. 1219.

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319. A la lecture de la doctrine spécialisée, l'on constate qu'il est généralement admis que les valeurs mises en gage peuvent être inscrites à un compte spécial ouvert au nom du constituant du gage294. En effet, pour autant que le compte spécial soit clairement identifié comme étant gagé au profit du créancier, les valeurs données en gage échappent à la libre disposition du constituant en sorte que la dépossession se trouve ainsi réalisée à suffisance295. 320. Cette analyse doit être approuvée et est même confortée, selon nous, au regard des développements récents en matière de mise en gage d'un compte en banque. Rompant, en effet, avec la tradition, la doctrine et la jurisprudence actuelles admettent l'opposabilité aux tiers du gage ayant pour objet le solde créditeur d'un compte ouvert et maintenu au nom du débiteur pour autant qu'il soit "bloqué", c'est-à-dire qu'il soit fait clairement mention de la mise en gage du compte en question dans les livres de la banque296. 321. Ainsi le gage sur titres dématérialisés est valablement formé et opposable aux tiers par la seule inscription des valeurs mobilières mises en gage à un compte spécial ouvert chez un teneur de compte. La législation belge n'impose donc pas, à l'instar notamment de la déclaration de gage exigée par la législation française, la constitution d'un écrit comme formalité supplémentaire de constitution du gage297. C. Le remplacement des titres 322. Les parties à un contrat de gage sur titres dématérialisés peuvent valablement convenir que les titres mis en gage pourront être remplacés par d'autres, de manière à ce que le constituant du gage puisse continuer de disposer des titres en question nonobstant la sûreté.

294 TISON, "De uitgifte van gedematerialiseerde vennootschapseffecten. Bemerkingen bij de wet van 7 april 1995" in Het gewijzigde vennootschapsrecht , 1995, p. 257; VAN DER HAEGEN, “La loi du 7 avril 1995 sur les titres dématérialisés : Régime des actions et obligations dématérialisées émises par les sociétés anonymes de droit belge”, R.P.S., 1996, p. 28; SUNT, "Dematerialisatie van vennootschapseffecten”, in De gewijzigde vennootschapswet 1995, p. 461; TYTECA, "De dematerialisatie van aandelen en obligatie" in De nieuwe vennootschapswetten van 7 en 13 april 1995, p. 75. 295 VAN DER HAEGHEN, ibidem. 296 Article 7 de l’Arrêté royal du 27 janvier 2004 portant coordination de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 favorisant la circulation des instruments financiers ; Voy. T’KINT, "L'engagement des créances", Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe, 2000, p. 289; A.M. STRANART, op.cit., Jeune Barreau, 1992, p. 87. 297 J. TYTECA, op.cit., p. 76; Ph. HAMER, "Les titres dématérialisés", in Le nouveau droit des sociétés. La réforme de 1995, p. 155, n°52.

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323. En effet, d’une part, une telle faculté est conforme à la nature même des biens mis en gage. Négociables par nature, les titres dématérialisés sont fongibles et destinés à circuler. La raison d'être de la mise en place du système dit de "fongibilité" est d'ailleurs de permettre une circulation rapide et aisée de ces titres. C'est également ce souci d’éviter que la circulation des titres soit entravée qui justifie l'interdiction d'une saisie-arrêt des comptes titres ouverts auprès de l'organisme de liquidation (articles 11 de l'AR du 10 novembre 1967, 472 du Code des sociétés et 10 de la loi du 2 janvier 1991 relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire)298. L'intention du législateur a toujours été clairement d’éviter un gel des titres soumis au régime spécial ainsi organisé. Cette intention est très clairement réaffirmée par la loi du 15 décembre 2005, relative aux sûretés financières. 324. D’autre part, une telle faculté ne saurait être critiquée au regard des règles de validité et d’opposabilité du gage puisqu’en la matière, la loi299 ne requiert comme seule formalité de constitution et d’opposabilité du gage que l’inscription des titres à un compte spécial ouvert chez un teneur de compte. Dans une telle hypothèse, l’assiette du gage n'est pas constituée des titres initialement remis en gage, mais des titres qui forment, à tout moment, le solde créditeur du compte titres gagé. 325. Les conventions par lesquelles les parties prévoient que le constituant du gage pourra substituer d'autres titres aux titres initialement déposés au sein d'un compte gagé ont d'ailleurs toujours été fréquentes dans la pratique300, avec pour conséquence que le compte en question peut évoluer en fonction des ventes et acquisitions effectuées par le constituant du gage. D. La procédure d’exécution

298 Voy. le Rapport au roi précédant l'arrêté royal n°62 du 10 novembre 1967, Pasin., 1967, p. 1321 et l'exposé des motifs de la loi du 7 avril 1995 modifiant les lois coordonnées sur les sociétés commerciales et l’arrêté royal n°62 du 10 novembre 1967 (Doc. Parl., Sénat, (1994-1995), 1321-1, p. 12). 299 Voy. les articles 5 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967, 7 de la loi du 2 janvier 1991 relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire et 470 du Code des sociétés . 300 Voy. WINANDY, « La mise en gage de comptes bancaires, de comptes titres et de titres dématérialisés », in Le point sur le droit des sûretés, CUP, 2000, p. 176, n° 60.

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326. Aux termes de l’article 8 de la loi du 15 décembre 2004, la réalisation forcée du gage sur instruments financiers est singulièrement simplifiée. Il prévoir que « sauf stipulation contraire des parties, en cas de défaut d’exécution, le créancier gagiste est autorisé à réaliser, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, les instruments financiers faisant l’objet du gage, dans les meilleurs délais possibles, nonobstant une procédure d’insolvabilité, la saisie ou toute situation de concours entre créanciers du débiteur ou du tiers constituant du gage. L produit de la réalisation de ces instruments financiers est imputé, conformément à l’article 1254 du Code civil, sur la créance en principal, intérêts et frais du créancier gagiste. Le solde éventuel revient au débiteur gagiste ou, selon le cas, au tiers constituant du gage ». 327. Conséquence de la fongibilité des instruments financiers formant l’assiette de la garantie, les parties peuvent convenir de ce que le créancier utilise « de quelque manière que ce soit, comme s’il en était propriétaire, les instruments financiers donnés en gage à charge pour lui de substituer, au plus tard, pour la date d’exigibilité de la dette garantie, des instruments financiers équivalents à) ceux originellement donnés en gage. (…) Au plus tard, à la date d’exigibilité de la dette garantie, le créancier gagiste substitue aux instruments financiers équivalents, ou, dans la mesure où les parties en sont convenues en ce qui concerne l’évaluation des instruments financiers engagés et de la dette garantie. Le solde éventuel revient au débiteur gagiste ou, selon le cas, au tiers constituant du gage » (article 11 de la loi du 15 décembre 2004). CHAPITRE VIII. LE GAGE DE DROITS INTELLECTUELS SECTION 1. ARTICLE 46 DE LA LOI DU 28 MARS 1984 328. Au-delà du droit commun du gage, civil ou commercial en fonction de la nature de l’obligation garantie, une formalité particulière est pévue par l’article 46 de la loi du 28 mars 1984 sur les brevets d’invention : comme la saisie (article 47) et l’usufruit (article 46), la mise en gage d’une demande de brevet ou d’un brevet doit être notifiée à l’Office de la propriété industrielle auprès du Ministère des affaires économiques. 329. Les droits, notamment de gage, acquis par des tiers sur une demande de brevet conservent leurs effets à l’égard du brevet obtenu sur cette demande (article 48). SECTION 2. ARTICLE 11-C ET 15 A DE LA LOI UNIFORME SUR LES

MARQUES

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330. La cession du droit exclusif à la marque n’est opposable aux tiers qu’après l’enregistrement de l’acte qui la constate ou d’une déclaration signée par les parties intéressées au Bureau Benelux ou au Bureau International pour la protection de la propriété industrielle. 331. Cette règle est applicable au gage (article 11-C). 332. En cas de gage portant sur la marque, la radiation de son enregistrement ne peut être obtenue que de l’accord conjoint du propriétaire et du créancier gagiste (article 15A). SECTION 3. LE GAGE PORTANT SUR LE DROIT D’AUTEUR RELATIF A UN

PROGRAMME INFORMATIQUE 332. Les droits pécuniaires résultant de l’invocation d’un droit d’auteur peuvent être mis en gage comme toute créance ordinaire. 333. S’agissant en particulier d’un droit d’auteur portant sur un programme informatique, la Directive 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection des programmes informatiques a rangé ce type de prérogative dans le champ d’application de la protection des droits d’auteur. A ce titre, ces droits peuvent être mis en gage également comme des créances ordinaires301.

301 STRUELENS, “Pandovereenkomsten op computerprogramma’s en databanken – Een zakelijke zekerheidsovereenkomst toegepast op enkele intellectuele rechten”, I.K.D.E., 2002, pp. 6 et ss.