La revue du BRGM pour une Terre Durable BRGM's journal for a
sustainable Earth
Géobiodiversité: l’influence delagéologie surlabiodiversité page
10
N° 11 > juiLLET 2010 > 8
Microbiallife inthedepths oftheEarth page 52
Lesmicro-organismes dessédiments marinsprofonds page 66
Siège Tour Mirabeau, 39-43 quai André-Citroën 75739 Paris Cedex 15
- France Tél. : (33) 1 40 58 89 00 - Fax : (33) 1 40 58 89 33
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la Loire, Agent géologique
prochain numéro novembre 2010
La géologie détermine le cours du fleuve et les paysages naturels
et construits.
Geology determines the rivercourse and natural and built
landscapes.
© David Darrault.
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• n
06 Introduction scientifique - François Guyot
10 Géobiodiversité : l’'influence de la géologie sur la
biodiversité Pierre Nehlig, Emmanuel Egal
20 Les roches témoins de la biodiversité du passé Patrick De
Wever
28 Le rôle du vivant dans la formation des dépôts carbonatés
Emmanuelle Vennin
38 La géologie et l’origine de la vie Frances Westall
46 Les impacts météoritiques et l’histoire de la vie André
Brack
52 Microbial life in the depths of the Earth Tullis C. Onstott,
Esta van Heerden, Larry Murdoch
60 Écologie microbienne des réservoirs pétroliers Didier Alazard,
Michel Magot, Bernard Ollivier
66 Les micro-organismes des sédiments marins profonds Frédérique
Duthoit
72 Habitats and Characteristics of Extremophilic Microorganisms
David Barrie Johnson
82 La biolixiviation des minerais sulfurés Dominique H.-R.
Morin
90 Points de vue croisés – Biodiversités et Géosciences, enjeux
pour la connaissance et l'économie Jean-Claude Vial, Ghislaine
Hierso, Catherine Aubertin
94 Chiffres clés
visible dans une source hydrothermale – Yellowstone, USA.
Activity of cyanobacteria visible in a hydrothermal spring in
Yellowstone National Park (USA). © Fotolia
Juillet 2010 • numéro 11
Direction de la Communication et des Éditions du BRGM - 3 av. Cl.
Guillemin - 45060 Orléans Cedex 2 - Tél. : 02 38 64 37 84 -
[email protected] Directeur de la rédaction : Jacques Varet •
Responsables du numéro « Les frontières géologie-biologie » :
Emmanuel Egal, Dominique Morin • Directeur de la publication :
Jacques Varet • Comité de rédaction : Loïc Beroud (Service Public),
Christian Fouillac (Recherche), Jean-Claude Guillaneau
(International), Dominique Guyonnet (pollution, déchets), Serge
Lallier (eau), Hormoz Modaressi (risques naturels), Pierre Nehlig
(géologie, cartographie), Patrice Christmann (ressources
minérales), Michel Beurrier (actions régionales), Jean-Marc
Lardeaux (Université de Nice), Michel Vauclin (CNRS) • Secrétariat
de rédaction : Françoise Trifigny • Révision : Olivier Legendre,
Françoise Trifigny • Responsable d’édition : Pierre Vassal •
Maquette et réalisation : Chromatiques éditions 01 43 45 45 10 •
Impression : Gibert Clarey imprimeurs, Chambrey-lès-Tours –
Imprimerie certifiée Imprim’Vert • Régie pub : Com d’habitude
publicité 05 55 24 14 03 – www.comdhabitude.fr –
[email protected] • ISSN 1772-094X • ISBN 978-2-7159-2489-5 •
Dépôt légal à parution. • Référencée dans la base Scopus
d’Elsevier. Toute reproduction de ce document, des schémas et
infographies, devra mentionner la source « Géosciences, la revue du
BRGM pour une Terre durable ». • Le comité de rédaction remercie
les auteurs et les relecteurs pour leur contribution. • Les
propositions d’articles sont à envoyer à
[email protected]
Liste des annonceurs : BRGM Formation p.57 • BRGM éditions c.2 •
Enag c.3 • SDEC France c.3
PEFC/10-31-1073
FCBA/07-00800
édito
Chantal Jouanno Secrétaire d’État chargée de l’Écologie Ministère
de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la
Mer
C’est avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai découvert que la revue
Géosciences consacrait son onzième numéro aux sciences de la
vie.
Force est de constater que la dynamique impulsée en 2010 par «
l’Année Internationale de la Biodiversité » a été assez forte pour
faire remonter les géologues à la surface et s’intéresser au
Vivant.
Mais dire que le BRGM a attendu 2010 pour s’intéresser à la
biodiversité, ce serait être mauvaise langue. Preuve en est, il
compte parmi les membres fondateurs de la Fondation pour la
Recherche sur la Biodiversité et il fait partie des organismes qui
sont tous fortement impliqués autour de ces enjeux de la
biodiversité.
Les géologues, et la lecture de ce numéro en convaincra le lecteur,
ont toute légitimité à contribuer à la recherche en matière de
biodiversité. Leur regard sur la diversité de la vie terrestre et,
osons le mot, « sous-terrestre », est particulièrement utile pour
la société.
En effet, les géosciences apportent une dimension essentielle,
celle du temps long : la biodiversité actuelle a été modelée par
des évolutions sur de très longues durées (plusieurs milliards
d’années), faites de grands développements d’espèces et de
diversifications, mais aussi d’extinctions souvent massives.
Ce regard est donc essentiel pour mieux appréhender la richesse
mais aussi la fragilité de la biodiversité actuelle. Les
géosciences en apportent un autre, celle de la vie souterraine et
des systèmes extrêmes, ou encore des interfaces, qu’il s’agisse des
extrêmophiles des systèmes hydrothermaux ou des micro-organismes
des sols et des aquifères profonds. Et lorsqu’elles se
tournent
vers les applications, les géotechnologies peuvent identifier des
procédés particulièrement efficaces, par exemple pour le
bio-traitement des pollutions ou l’extraction des métaux à partir
des minerais par procédés bio-hydro-métallurgiques. Il s’agit
souvent de procédés bien plus propres et sobres que les procédés
traditionnels, comme la pyrométallurgie.
J’observe enfin que le franchissement des frontières – dans ce
domaine scientifique comme dans bien d’autres cas – s’avère, ici
encore, particulièrement fer- tile. Et je me réjouis de cet « autre
regard » porté sur la biodiversité à partir d’autres disciplines.
Dans le cas des géosciences, s’ouvrent ainsi de nouvelles voies de
recherches, d’expertises, et d’applications économiques et
environnementales.
Les géologues nous apprennent que la planète a déjà subi plusieurs
extinctions majeures. Celle que nous vivons, aujourd’hui, la
sixième pour les scientifiques, trouve sa principale explication de
la main de l’Homme. Autant dire que notre responsabilité est
collective et qu’il nous faut tout faire pour la stopper.
Voilà le message essentiel de cette année 2010, « année de la
biodiversité ».
La biodiversité, un enjeu pour les géosciences
La diversité végétale s’accorde à la géologie : plaines alluviales
agricoles, coteaux en terrasses viticoles et pâturages et forêts
dans les hauteurs (haute vallée du Rhône). Plant species diversity
adapts to the prevailing geology: farmland in alluvial plains,
terraced vineyards on hillsides and pastures and woodland in higher
country (upper Rhone valley). © Fotolia
Publication labellisée année internationale de la
biodiversité
03
• n
Jacques Varet Directeur
de la Prospective, BRGM
[email protected]
À l’occasion de l’Année Internationale de la Biodiversité, la revue
Géosciences ne pouvait ignorer le sujet, d’autant que le
BRGM est membre de la « Fondation pour la Recherche sur la
Biodiversité(1) ». Certes, on aurait pu considérer que les
disciplines scienti- fiques sont bien définies et que les
géosciences traitant justement du segment non-vivant des milieux et
systèmes naturels n’avaient pas à s’aventurer dans ce champ. Mais
on sait qu’en France, les deux disciplines sont enseignées dans le
secondaire par les mêmes professeurs(2), qui devraient ainsi
maîtriser également biolo- gie et géologie. Il ne s’agit pas
seulement de nous adresser à cette tranche de notre lectorat
particulièrement avide d’informations à jour. La raison est plus
large : si notre revue souhaite garder sa stricte spécialisation en
sciences de la terre, elle ne peut ignorer la biologie, une science
beaucoup plus étudiée aujourd’hui, parce que sous ses facettes
multiples, le savoir
() – FRB : http://www.fondationbiodiversite.fr/Accueil.html () – De
SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) comme on dit aujourd’hui
avec la mode des abrégés.
acquis a des conséquences encore plus directes et cruciales sur
l’espèce humaine que la géo- logie elle-même déjà très
exposée.
Dans ce onzième numéro de notre revue, nous concentrerons notre
attention sur l’un des champs d’investigation parmi les plus ambi-
tieux : celui qui explore l’interface entre géologie et biologie.
En effet, les frontières entre ces deux disciplines sont de plus en
plus étendues : elles repoussent les recherches dans les fonds
océaniques, dans les entrailles de la Terre, dans l’espace, dans
tous les milieux physiques et chimiques extrêmes. Ce numéro veut
présenter les aspects les plus pointus des connaissances, et de
leurs enjeux dans ces différentes directions, qu’elles tiennent à
la recherche fondamentale ou qu’elles soient tirées par des
perspectives d’applications immédiates ou futures.
Avec le souci de fournir à nos lecteurs une vision du sujet aussi
exhaustive et actuelle que possible, nous avons cherché à
rassembler dans
Du Minéral à la Vie
Dépôts hydrothermaux de sels chargés en métaux à Dallol (Afar,
Éthiopie). On observe un jeu de couleurs depuis les gris
correspondant aux dépôts réducteurs de sulfures à la bouche des
émissions (stalagmites de sel), jusqu’à des jaunes, des verts et
des rouge-marron correspondant aux stades successifs d’altération
en cuvettes sous l’effet bio-géochimique combiné des bactéries et
de l’oxydo-réduction des métaux contenus dans les fluides
géothermaux. Hydrothermal deposits of metal-rich salts at Dallol
(Afar, Ethiopia). A colour palette ranging from greys corresponding
to reducing sulphide deposits at emission vents (salt stalagmites)
on through to yellows, greens and reddish browns corresponding to
successive stages of alteration in basins under the combined
biogeochemical effects of bacteria and the oxidation reduction of
the metals contained in geothermal fluids. © J. Varet, 2010.
Microbiologie des sols en zones d’altération continentale
Bioconstructions calcaires littorales
Dépôts marins bioclastiques
Formations calcaires biogéniques (marines ou lacustress)
Les systèmes bio-géologiques actuels
le mot du rédacteur en chef
ce numéro les facettes les plus représentatives de ces frontières,
en traitant aussi bien de la contribution des systèmes vivants dans
les processus géologiques que de l’influence des systèmes
géologiques sur la biologie et sur l’origine de la vie. En effet,
si notre planète est porteuse de vie (même s’il n’est pas prouvé
qu’elle en détienne le monopole, c’est la seule aujourd’hui
identifiée comme telle), cela tient certes à sa place dans
l’univers et le système solaire en particulier, qui fournit à la
fois les éléments chimiques et les paramètres physiques appropriés,
mais aussi au fait que la terre constitue un système géologique
doté d’une dynamique endogène et exogène particuliè- rement
développée(3). Il n’est pas exclu que les premières formes de vie
se soient développées au sein de systèmes hydrothermaux, sous-
marins ou terrestres. En outre, les phénomènes géologiques
terrestres ou extra-terrestres ont joué un rôle majeur dans
l’apparition et l’évolution de la vie, qu’il s’agisse des grandes
expansions ou des grandes extinctions, au point d’en déterminer les
grandes étapes ou ères géologiques. Et les phénomènes géologi- ques
actuels et futurs continuent à déterminer une large part des
réalités biologiques, que ce soit la répartition des espèces ou
leur devenir.
Ce numéro porte en conséquence aussi bien sur le rôle de la
géologie dans l’origine de la vie
() – Comme nous l’avons montré dans le n° 9, Terre vivante, Terre
en mouvement, les systèmes d’observation d’une Terre dynamique,
avril 009.
et sur la vie actuelle dans les profondeurs ou à la surface de la
Terre que sur le rôle de la biologie dans la construction des
formations géologiques, notamment les carbonates (qui en retour
constituent des témoins de l’évolution de la biodiversité à travers
les temps géologi- ques). Il met l’accent sur les formes de vie
parfois extrêmes du domaine de la géomicro- biologie, qui jouent un
rôle dans certains processus géologiques, et notamment celles qui
sont à l’origine de procédés de valorisation des ressources
minérales ou encore de dépol- lution des sols et des eaux.
Nous espérons ainsi convaincre que non seulement ces deux
disciplines ne peuvent s’ignorer, mais qu’en outre, approfondir les
connaissances aux frontières communes constitue une perspective
particulièrement fertile. n
Il n’est pas exclu que les premières formes de vie se soient
développées au sein de systèmes hydrothermaux, sous-marins ou
terrestres.
Les systèmes bio-géologiques actuels
B Bioconstructions calcaires littorales
C Dépôts marins bioclastiques
E Formations calcaires biogéniques (marines ou lacustres)
F Source thermale © BRGM - Art Presse.
05
• n
if iq ue
Une science en émergence, la géobiologie
l’Archéen, combustion actuelle de matière organique fossile) ?
Peut-on construire un arbre du vivant en termes d’impacts
géochimiques ? La co-évolution Terre-Vie est-elle une réalité
scientifique ? L’approche de ces questions s’est intensément
renouvelée depuis une quinzaine d’années, grâce aux progrès
technologiques en biochimie et micro-analyses, qui ont permis, en
particulier, l’introduction de la biologie au cœur du métier de
géologue, à l’intérieur même des roches.
L’enjeu de la biosphère profonde Il est naturel et emblématique que
ce que l’on appelle la biosphère profonde, l’ensemble des
organismes du sous-sol, figure au centre des préoccupations des
géologues en général et du Bureau de Recherches Géologiques et
Minières (BRGM) en particulier. Comment ces micro-organismes («
micro » car cette Vie est confinée dans la porosité des roches, de
l’ordre du micron) affecteront-ils les stockages géolo- giques de
dioxyde de carbone ou d’autres fluides ? Une assimilation
biologique signifi- cative du CO2 en subsurface est-elle possible
et mesurable, en écho atténué mais potentiel- lement important des
croissances végétales et phytoplanctoniques de surface? La
biosphère profonde joue-t-elle un rôle dans la genèse de ressources
actuelles ou à venir, pétrole, gaz naturel, hydrates de gaz,
hydrogène ?
Dans le cursus français de formation des Maîtres, géologues et
biologistes étudient ensemble les Sciences de la
Vie et de la Terre, héritières de l’Histoire Naturelle. Le maintien
de cette double compé- tence des enseignants est pertinent car,
comme en témoigne ce numéro de la revue Géosciences, une réelle
dynamique scientifique existe à l’interface des deux disciplines.
Cette associa- tion historique donne d’ailleurs à notre recherche
en géobiologie une valeur ajoutée au niveau international. Ce lien
qui unit les naturalistes induit des questionnements majeurs
concernant l’action de la Terre sur la Vie et vice versa. La
biodiversité spatiale et temporelle résultant de l’Évolution
est-elle mue principalement par la dynamique interne du vivant,
celle des génomes, ou bien le rôle modeleur de l’environnement
est-il prépondé- rant, en particulier au travers de crises qui
définissent les frontières entre étages géologi- ques ? La
naissance de la Vie sur Terre a-t-elle eu un impact géochimique
évident ? Peut-on corréler les relations entre grandes bifurcations
dans l’arbre du vivant (symbioses majeures, apparition de la
photosynthèse oxygénique, naissance des eucaryotes, explosion cam-
brienne) avec des transitions du fonctionnement de la Terre ?
Inversement, des innovations biologiques ont-elles modifié ou
altéreront- elles les cycles géologiques et donc les roches
(oxygénation de l’atmosphère et de l’océan à
Les progrès technologiques en biochimie et micro-analyses ont
permis l’introduction de la biologie au cœur du métier de
géologue.
François Guyot Professeur à l'université
Paris 7 Diderot
Chercheur à l'Institut de minéralogie et de physique
des milieux condensés (IMPMC) et à l'Institut de physique du globe
de Paris (IPGP), où il a initié l'étude
de la géomicrobiologie.
biologiques permet de mieux comprendre le rôle
que joue la biosphère dans la dynamique terrestre
actuelle et ancienne. À la frontière de la géologie
et de la biologie, la géobiologie est donc une science
émergente.
07
intro scientifique
cellules eucaryotes actives détectées pour le moment) a fait
d’immenses progrès grâce aux méthodes moléculaires. La biosphère
profonde reste toutefois l’une des grandes frontières de
l’exploration scientifique. Le défi tient en partie aux faibles
biomasses, aux contaminations de surface, à la difficulté de
caractériser correcte- ment dans les roches une matière organique
souvent très peu abondante, diffuse ou conte- nue dans de
minuscules inclusions fluides. Mais les développements sont
constants, et l’on peut penser que, dans un avenir pas si éloigné,
une mission des services géologiques nationaux sera de
cartographier, comprendre et interpréter cette composante
particulière du sous-sol, définissant ainsi une biogéographie et
une biodiversité associées aux différentes formations géologiques
et à leur histoire.
Dans le futur, des perspectives biotechnolo- giques seront
vraisemblablement associées à ces organismes très particuliers.
Utiliser des mécanismes biologiques pour optimiser des processus
minéraux est une pratique bien maîtrisée en surface, avec un grand
potentiel de développement pour l’énergie et
Comment interagit-elle avec les infrastruc- tures d’exploitation du
sous-sol profond ? Participe-t-elle aux grands cycles géochimiques
qui assurent l’homéostasie planétaire ? Est-elle susceptible
d’affecter le cycle global du carbone en régulant la part de
matière organique synthétisée en surface qui in fine rejoindra
l’intérieur de la Terre sous forme économique- ment utilisable ou
non ? La biodiversité des profondeurs peut-elle être source de
biomo- lécules d’intérêt (pour les fonds océaniques, c’est avéré) ?
Les réponses à ces questions sont limitées par les techniques
actuelles qui butent sur le verrou d’identification, de visua-
lisation et d’analyse des organismes et de leurs métabolismes in
situ dans leurs milieux géologiques profonds. Un état de l’art et
des progrès sont présentés dans ce volume (voir les articles de
Tullis Onstott et al., de Frédérique Duthoit et de Didier Alazard
et al.), mais plusieurs révolutions technologiques, du calibre de
l’invention de la réaction de polymérisation en chaîne de l’ADN,
seront encore nécessaires.
La caractérisation des bactéries et archées qui constituent la
biosphère profonde (pas de
Images de microscopie électronique de bactéries magnétotactiques
collectées dans la Seine. Les magnétites intracellulaires utilisées
par la bactérie pour la magnétoréception sont les petits cristaux
gris à noirs aux formes rectangulaires. Les grands nodules visibles
dans la cellule sont des granules riches en carbone, réserves
d'énergie et marqueurs d'un stress environnemental (déséquilibre
des substances nutritives).
Electron microscope images of magnetotactic bacteria sampled from
the Seine. The intracellular magnetite the bacteria use for
magnetoreception consists of minute, rectangular-shaped grey to
black crystals. The large nodules seen inside the cell are
carbon-rich granules that provide stores of energy; they are
indicators of environmental stress (an imbalance in nutrients). ©
A. Isambert, IPGP.
in tr
if iq ue
08 l’environnement. Des exemples de biolixivia- tion de minerais
pour accroître la production de métaux, mis au point au BRGM, sont
présentés dans ce numéro dans un cadre de développement durable
(voir l’article de Dominique Morin). Les études de bioremédia- tion
de sols pollués ou de nappes phréatiques contaminées constituent
d’autres exemples dans lesquels les interactions entre des
organismes vivants et des minéraux peuvent conduire à une meilleure
gestion des milieux et des procédés. Pourra-t-on étendre ces
approches à des pratiques industrielles plus globales impliquant
des ressources minérales, aux stockages géologiques profonds, à du
« bio-géo engineering » ? La réflexion est nécessaire et les
recherches présentées dans ce volume en illustrent le contexte
scientifique.
La problématique de la biosphère profonde est intimement liée aux
questions de vie primitive et d’origine de la Vie sur Terre, dont
les traces se dissimulent dans des formations sédimentaires
anciennes, modifiées par l’histoire géologique, la diagenèse, le
méta- morphisme (voir l’article de Frances Westall et l’encadré de
Pascal Philippot), et, élément de loin le moins connu, par les
organismes vivant dans les couches profondes qui ont pu affecter
ces témoins paléontologiques enfouis au cours des millions voire
des milliards d’années d’histoire géologique. Elle pose aussi
la
question des relations entre les molécules observées dans les
météorites et les compo- sants biochimiques. Il faut imaginer une
matière organique extra-terrestre évoluant sur la Terre primitive
dans un environnement de forts gradients d’oxydo-réduction et
d’événements de haute énergie tels les grands impacts astéroïdaux
et cométaires (voir l’article d’André Brack). Le couplage entre
déséquilibres énergétiques dans le milieu géologique primitif et
des structures dissipa- tives biochimiques (tels que les acides
nucléiques fonctionnels, les protéines cataly- tiques, les systèmes
lipidiques organisés, ou les cellules) reste à comprendre. Des
traces et des pistes seront peut-être disponibles au sein des
roches et possiblement visibles en subsurface. Si c’était là
l’unique raison d’étudier la biosphère profonde, cela justifierait
déjà de gros budgets, à l’aune de ceux consacrés à la recherche de
Vie sur d’autres planètes. En effet, du point de vue de la
biologie, l’explora- tion du sous-sol profond s’apparente nettement
à une mission spatiale planétaire à visées astrobiologiques ou
exobiologiques.
Rechercher le vivant dans les profondeurs de la Terre amène une
autre question passion- nante, celle des limites physiques et
chimiques de la Vie. Les adaptations moléculaires sem- blent fixer
aux organismes tels que nous les connaissons une température
maximale de l’ordre de 150 °C, soit une dizaine de kilomètres de
profondeur dans une croûte continentale froide, un à cinq
kilomètres dans des zones géothermiques. Mais les raisons
mécanistiques de ces bornes ne sont pas réellement comprises. Leur
élucidation est l’un des grands objectifs pluridisciplinaires de la
Science. La complexité des écosystèmes et des milieux fait
intervenir d’autres stress environnementaux que la température,
tels que la pression hydro- statique, la chimie de l’eau porale, ou
la disponibilité en nutriments. L’étude des extrê- mophiles et de
leurs mécanismes de survie et d’adaptation à des stress variés est
à cet égard très importante (voir l’article de David Johnson).
L’observation sur le terrain de la biosphère profonde, de son
extension maximale, en particulier dans des sites instrumentés
(forages, mines, sites de stockage géologique) sera une voie
pertinente pour aborder le problème des limites de la Vie envisagée
globalement et non vis-à-vis de la stabilité de telle ou telle
biomolécule particulière.
Images de microscopie électronique de bactéries magnétotactiques
collectées dans la Seine. Les magnétites intracellulaires utilisées
par la bactérie pour la magnétoréception sont les petits cristaux
gris à noirs aux formes hexagonales.
Electron microscope images of magnetotactic bacteria sampled from
the Seine. The intracellular magnetite the bacteria use for
magnetoreception consists of minute, hexagonal- shaped grey to
black crystals. © A. Isambert, IPGP.
09
10
Biominéralisation et biodiversité Une partie significative des
roches qui consti- tuent la Terre solide s’est formée sous l’action
directe d’êtres vivants ou à leur contact. La biominéralisation,
synthèse de phases solides par le vivant, est le nœud de
l’interaction entre biologie et géologie. En géologie, un minéral,
doté d’une structure tridimensionnelle et d’une formule chimique,
est un solide rencontré dans la Nature, ce qui est assez différent
de l’acception biologique du terme ; dans ce numéro, c’est bien
dans le sens géologique qu’il faut comprendre la biominéralisation.
Elle se produit à des échelles variées : nano- métrique lorsque des
bactéries fabriquent des monocristaux de magnétite mono-domaine
qu’elles utiliseront comme des boussoles, leur permettant un accès
plus efficace aux nutriments (cf. images) ; kilométrique
quand
on considère la structure bio-construite de la grande barrière de
corail. Néanmoins, quel que soit le système considéré, la
production du minéral par l’organisme vivant implique une action
biologique à l’échelle moléculaire, directe lorsque les
caractéristiques du solide confèrent un avantage sélectif et sont
donc génétiquement contrôlées, indirecte lorsque la
biominéralisation apparaît comme un sous- produit du métabolisme.
L’échelle pertinente d’étude est, dans tous les cas, celle de
l’interac- tion entre la biologie cellulaire et moléculaire et les
nano-minéraux solides.
La biominéralisation au sens large, telle qu’elle est abordée dans
ce numéro de Géosciences, joue un rôle de premier plan dans le
fonction- nement de la Terre. C’est notamment le cas pour le cycle
du carbone, car la précipitation des carbonates est le mécanisme
principal de stoc- kage du CO2 atmosphérique, et un élément
essentiel de sa régulation. Face à l’augmenta- tion actuelle du
dioxyde de carbone d’origine anthropique (ce fait n’est contesté
par aucun
scientifique, ce sont ses conséquences qui parfois font débat), se
pose la question de la réponse des cellules, des organismes et des
écosystèmes. Interrogation particulièrement pertinente pour la
biodiversité marine dans la mesure où l’océan superficiel global
actuel est « sursaturé » par rapport à la production de carbonates
solides. Les squelettes calcaires produits par les êtres vivants
n’ont donc pas de tendance à la dissolution, mais ce fait
géologique pourrait bien être modifié à l’échelle du siècle par
l’activité humaine avant que les mécanismes d’altération
continentale puissent le réguler. Ce degré de sursaturation est de
fait déterminé par les mécanismes de production de carbonates
solides dans les eucaryotes unicellulaires marins et les coraux. De
nombreux laboratoires s’intéressent directement à ces questions
complexes, mais
l’intérêt principal du regard du géologue est d’apporter la
profondeur temporelle. La pression partielle de CO2 a beaucoup
fluctué au cours des temps géologiques, les organis- mes
biominéralisateurs aussi. La lecture des archives sédimentaires de
la composition de l’atmosphère et de l’océan, de la biodiversité en
général, et de la production carbonatée en particulier (voir les
articles d’Emmanuelle Vennin et de Patrick De Wever), doit donc
être développée afin de mieux maîtriser les changements actuels et
les inscrire dans le cadre du fonctionnement global de la planète.
L’examen des grandes crises de l’histoire géologique nous enseigne
que la centaine d’années à venir ne remettra certes pas en cause la
« survie de la planète », ni même la richesse de la biodiversité
sur le long terme. Par contre, cette période critique pourrait bien
être compliquée à négocier pour certaines espèces, la nôtre en
particulier. L’examen, en utilisant les nouveaux moyens technolo-
giques, des archives de la Vie inscrites dans les roches est une
attitude pertinente et
raisonnable face aux incertitudes actuelles, et les recherches dans
ce domaine sont passionnantes.
La tectonique géologique conduit à disposer à la surface de la
Terre les roches fabriquées par les processus biologiques, mais
aussi magma- tiques, métamorphiques ou aqueux abiotiques, et à les
associer suivant un agencement spatial qui, en interaction avec les
enveloppes fluides de la planète, l’érosion en particulier, et les
êtres vivants, définira la géographie physique des surfaces
continentales. Dans ce cadre, com- prendre comment la nature
géologique du sous-sol (c’est-à-dire ce qui se situe sous le sol,
lui-même constituant par définition la couche limite d’interaction
chimique et biochimique entre les roches et la surface) influe sur
les êtres vivants et la biodiversité n’est pas l’aspect le moins
important, ni le moins original, abordé dans la présente édition
(voir l’article de Pierre Nehlig et Emmanuel Egal). La nature des
roches du sous-sol peut avoir sur la biodiversité locale et sur son
action résultante des effets anthropiquement amplifiés (parce
qu’elle va conditionner l’utilisation humaine du territoire pour
des pratiques agricoles ou minières) ou plus généraux (en
particulier au travers de différences de biodiversités entre des
sols se développant, à climat égal, sur des lithologies
différentes, avec des effets quantifiables sur la macroflore et la
macrofaune). Des recherches dans ce domaine devraient établir un
lien plus fort entre géologues, géographes et écologues. Ce numéro
de la revue Géosciences du BRGM fait donc bien le point sur l’état
de grandes questions biologiques posées dans une pers- pective
géologique. Osons une comparaison qui a quelques mérites malgré ses
grandes limitations. Voici plus de cinquante ans, les géologues
(sous l’impulsion de grands chimis- tes comme Harold Urey)
commencèrent à s’approprier des concepts de chimie et firent naître
la géochimie, qui prit alors un essor remarquable. La géobiologie
vit sans doute actuellement des moments analogues, ceux d’une
science en émergence qu’il est passion- nant d’examiner à ce stade.
Les géologues pratiqueront la biologie de manière différente de
celle dont l’envisagent les biologistes eux- mêmes. Cette nouvelle
aventure scientifique est porteuse d’innovations conceptuelles et
technologiques. n
Une partie significative des roches qui constituent la Terre solide
s’est formée sous l’action directe d’êtres vivants ou à leur
contact.
intro scientifique
La géologie est la composante du paysage la plus difficile
à appréhender dans les milieux où l’occupation biophysique
et anthropique du sol multiplie les masques. Elle détermine
pourtant largement la nature des habitats naturels et l’usage
que l’homme a pu en faire. Cet article explore les liens
entre
géodiversité et biodiversité en se focalisant sur l’influence
de la nature du sous-sol sur la biodiversité.
Géobiodiversité : l’influence de la géologie sur la
biodiversité
10
gé od
iv er
sit é
L es progrès de la connaissance des lois régissant les relations
entre les êtres vivants et leurs milieux, associés au caractère non
renouvelable d’un grand nombre de ressources naturelles, ont
conduit à une prise de conscience du caractère
patrimonial de la biodiversité intraspécifique, interspécifique et
écosystémique.
Le maintien de cette biodiversité émerge comme un enjeu fondamental
principalement parce que les interactions entre ses différentes
composantes – y compris ses liens avec la nature géologique du
sous-sol – restent mal connues. Mais aussi, parce qu’il serait
paradoxal de la laisser s’appauvrir à une époque où les progrès en
biologie moléculaire ouvrent de nouvelles voies de recherche pour
la compréhension de la spéciation, la classification des êtres
vivants et leur évolution. De plus, le génie génétique offre de
nouvelles perspectives, notamment en matière de pharmacologie et
d’amélioration qualitative et quantitative des productions
végétales et animales. Encore faut-il préserver toute la richesse
du matériel de base, les gènes.
Pierre Nehlig Service Géologie BRGM
[email protected]
Emmanuel Egal Service Géologie BRGM
[email protected]
Surface cordée de la coulée de lave de l’éruption d’août 2004 du
Piton de la Fournaise (La Réunion)
avec un moulage en position de vie d’un arbre calciné dans lequel
se sont accumulés des débris de lave qui
ont permis à une graine de germer et de prendre racine. The corded
surface of a lava flow from the 2004 eruption
of the Piton de la Fournaise volcano (La Réunion Island). It
contains the vertical cast (standing as in life) of a burnt
tree, where lava debris accumulated that allowed a seed to sprout
and take root.
© M. Kerneis - Photo prise début 2005.
11
geobiodiversity: the influence of geology on biodiversity
La richesse de la biodiversité est le résultat de l’Évolution et de
l’interaction avec les facteurs environnementaux. Parmi ces
derniers, c’est la diversité des conditions environnementales, leur
variabilité temporelle et – surtout – l’isolement (« l’insularité
») de certaines populations qui ont conduit à une biodiversité
d’une telle richesse. L’endémisme qui caractérise certaines îles ou
continents en est la preuve la plus marquante. Très tôt a aussi été
reconnue la valeur « insulaire » de certains milieux géologiques :
substrats calcaires dans des environnements siliceux, karsts,
roches ultrabasiques… En effet, la nature des roches du sous-sol
est un paramètre important dans la distribution des habitats et des
espèces de notre planète [Gray (2004) ; English Nature (2004)].
Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les paysages. Ce ne
sont pas tou- jours les barrières climatiques ou topographiques qui
expliquent l’enchaînement des types d’occupation du sol par la
végétation mais bien la nature du substrat minéral qui a guidé
l’exploitation que l’homme a pu en faire. Ainsi dans la directive
européenne « Habitats Faune Flore » qui liste un ensemble
d’habitats et d’espèces à sauvegarder en priorité, les deux tiers
sont déterminés par un critère lithologique ou géomor-
phologique.
L’objectif de cet article est d’examiner l’influence de la nature
lithologique du sol sur l’occupation des sols et les habitats et
donc de montrer le lien étroit entre biodiversité et géodiversité.
La géodiversité désigne la diversité du monde abiotique. Ce
néologisme peut être défini comme la variété des roches, des
géomor- phologies, des sols et des processus naturels qui les
forment, les modifient, et déterminent l’aspect parti- culier d’un
paysage. Les processus géologiques interviennent également de
manière plus indirecte sur la biodiversité, notamment à travers les
phénomènes tectoniques qui modèlent le relief et interagissent avec
le climat.
La géodiversité et la biodiversité font partie des plus grandes
richesses de la planète et sont pourtant parmi les moins reconnues.
C’est ainsi que dans la liste des sites du patrimoine mondial de
l’humanité de l’Unesco, le patrimoine naturel (176 sites) est très
largement sous-représenté par rapport au patrimoine culturel (689
sites), 25 sont mixtes (http://whc.unesco. org/fr/list).
Les roches et les sols : substrat de la géodiversité Contrairement
aux domaines océaniques plus homogènes (notamment d’un point de vue
géolo- gique), la biodiversité terrestre répond à la diversité des
milieux continentaux conditionnés par le climat, l’altitude, la
nature des substrats géologiques et l’histoire géologique, qui a
permis à des îles et des continents d’évoluer en « milieu fermé ».
Leurs varia- tions y déterminent une mosaïque de biotopes qui a, en
outre, largement subi l’influence de l’Homme.
La géométrie de la surface terrestre et donc son relief, son
altitude et son orientation sont contrôlés par la dynamique
géologique. Et là où le climat, le relief et les interventions
humaines ne varient pas, la diversité des types de roches peut
influencer la distribution de la végétation directement ou au
travers des produits d’altération de ces roches qui influencent la
chimie des sols, leur granulométrie, leur texture, leur porosité,
leur perméabilité, leur minéralogie, la chimie des eaux… Des
différences de pH dans le sol ont un impact majeur sur les
capacités d’ingestion d’éléments par les plantes.
Les roches sont généralement classées en fonction de leurs
compositions minéralogiques et de leur organi- sation minéralogique
et granulométrique interne (leurs texture et structure). La
majorité des roches est constituée de minéraux de la « famille »
des silicates. Les calcaires, formés de carbonates de calcium,
constituent un deuxième grand ensemble de roches. D’autres roches
peu développées à l’échelle du globe présentent des compositions
encore différentes, telles les roches évaporitiques à sels. Les
roches terrestres ont donc des compositions chimiques parfois très
contrastées, avec de nombreuses nuances et compositions
intermédiaires.
Les processus d’altération des roches en surface (processus «
supergènes ») vont entraîner des modifi- cations de la composition
physique et chimique de ces roches et donc ajouter une nouvelle
composante de
La géodiversité et la biodiversité font partie des plus grandes
richesses de la planète.
12
géodiversité au substrat rocheux. Les sols représentent la partie
la plus superficielle et meuble du substrat rocheux altéré. Pour
les pédologues, ils sont limités à la partie enrichie en matière
organique qui supporte la végétation. Il n’y a cependant pas de
définition simple et universelle du sol. Certains géologues et
géotechniciens le définissent comme une roche généralement non
consolidée qui affleure à la surface et qui surmonte une roche
consolidée non altérée par des processus supergènes.
Les roches altérées et/ou les sols sont le reflet des roches qui
leur ont donné naissance, que ce soit dans leurs propriétés
physiques ou chimiques. Ils sont constitués d’une portion minérale
qui renferme principalement des minéraux siliceux et argileux et
d’une portion de matière organique, ainsi que d’eau
et d’organismes vivants. Les sols se présentent sous une grande
variété de textures qui sont principale- ment liées à l’abondance
relative de sable, de silt et d’argile. Ils peuvent renfermer des
zones toujours sèches et des micropores presque toujours saturés en
eau sauf en période de grande sécheresse. La propor- tion et la
nature de la matière organique varient spatialement et avec la
profondeur.
L’influence des roches mères prédomine largement lors des premiers
stades d’altération et de formation des sols (photo 1). D’autres
facteurs d’origine climati- que ou biologique interviennent ensuite
[Nahon (2008)]. La durée de formation des sols peut être très
importante, et beaucoup de sols ont connu des climats et des
végétations différents de ceux d’aujourd’hui.
Photo 1 : Murs en roches basiques métamorphiques et pierres
ouvragées en granite des ruines de la chapelle de Languidou
(Finistère) peuplés de lichens, colonies issues de la symbiose d’un
champignon et d’une algue. On note une nette différence entre le
peuplement lichénique du petit appareil de roches basiques et celui
des roches plus riches en silice de la rosace. Photo 1: Walls built
of basic metamorphic rock and sculpted granite in the ruins of
Languidou Chapel (Finistère Department), hosting lichens, symbiotic
colonies of fungi and algae. A sharp contrast is observed between
populations on the rubble masonry of basic rocks and those on the
silica-rich elements of the rose window. © P. Nehlig, 2008.
13
10
Comme les autres Parcs nationaux, les Cévennes représentent un
espace remarquable – et à ce titre protégé – pour la biodiversité ;
espace par ailleurs reconnu comme « réserve de biosphère » par le
programme MAB (Man and Biosphere) de l’Unesco. Or, lorsque l’on
cherche à identifier, au sein de ces lieux, les sites les plus
remarquables en espèces classées ou en biotopes identifiés comme
les plus riches, il s’agit le plus souvent de sites géologiques
particuliers. C’est le cas d’une formation minérale ou géologique
spécifique (comme un plateau calcaire ou une falaise schisteuse) ou
d’un contact géologique, lieu souvent favorable à l’émergence de
sources ou de zones humides. On vérifie ici que le milieu physique
joue un rôle déterminant pour les systèmes et les espèces
biologiques.
Ainsi, les trois grands types de formations géologiques
caractéristiques des Cévennes, qui sont par ordre d’âge
décroissant(1) : – les schistes des vallées cévenoles ; – les
granites des monts Aigoual-Liron et Lozère ; – les calcaires et les
grès du Causse Méjean ou des contreforts des basses Cévennes ;
représentent également les trois grands systèmes de diversité
biologique de l’espace cévenol. Le sous-sol détermine largement,
tant par la minéra- logie et la chimie des sols que par les régimes
hydriques qui en résultent, la nature des systèmes vivants
susceptibles d’y « prendre racine ». Pour ne citer que quelques
exemples emblématiques : – le chêne-vert et l’arbousier des
schistes, où domine l’élevage caprin ; – le genêt, le châtaignier,
les résineux et la lande des granites, où domine l’élevage bovin ;
– les buis et les prairies calcicoles des Causses où domine
l’élevage ovin.
Point remarquable en Cévennes et caractéristique fréquente de nos
paysages (cf. n° 7/8 de Géosciences), la géologie ne détermine pas
seulement la faune et la flore, mais aussi la biodiversité
culturelle. L’espace construit par l’homme est lui aussi
caractéristique de la géologie du site sur lequel toute
implantation humaine est développée. C’est à ce titre que cet
espace a été jugé représentatif du concept Man and Biosphere par
l’Unesco. Cette caractéristique ne pèse pas seulement sur le mode
d’occupation de l’espace et la dimension architecturale. Elle
s’inscrit aussi dans la dimension spirituelle de la culture :
l’habitat humain, mais aussi l’expression même de sa pensée et de
ses valeurs apparaissent largement reliées au milieu naturel –
notamment géologique – sur lequel ils se « fondent ».
Dans les vallées cévenoles notamment, cet espace de vie autonome a
été construit en symbiose étroite avec la nature : depuis le
captage de la source, avec le béal(2) , les bancels(3) secs ou
irrigués, la clède pour sécher la châtaigne, la magnanerie pour
élever les vers à soie, jusqu'à la filature en contrebas pour
capter la force motrice du cours d’eau. Un espace conquis dans un
environnement où les Psaumes de David entrent en résonance avec la
nature(4). Un espace où l’on acquiert dès l’enfance un sens aigu de
l’autonomie, une capacité à vivre en hommes et femmes foncièrement
épris de liberté de conscience. n
(1) – PNC : Roches, géologie et paysages du parc national ; Revue
Cévennes, n° 23 : (réédition en cours). (2) – Dans le Midi, nom
d’un petit cours d’eau. (3) – Terrasses () – P. Cabanel : Cévennes,
un jardin d'Israël, L'Hydre éditions, 200.
> Les Cévennes, une biodiversité naturelle et culturelle bien
géologique Jacques Varet – Président du Conseil scientifique du
Parc national des Cévennes –
[email protected]
geobiodiversity: the influence of geology on biodiversity
Vallées cévenoles schisteuses, vue prise près du col de l’Asclié.
Schistose valleys in the Cévennes region, viewed from near the
Asclié gap. © J. Varet.
Le chaos de granite du Mont Lozère. The granite boulder field on
Mount Lozère. © BRGM im@gé, F. Michel.
Une doline, sur le Causse de Sauveterre, en Lozère. A sinkhole on
the Causse de Sauveterre (Lozère Department) . © BRGM im@gé, N.
Dörfliger.
14
géobiodiversité : l’influence de la géologie sur la
biodiversité
Les végétaux chlorophylliens se nourrissent par la tête et par les
pieds Chez les animaux, les aliments organiques apportent l’énergie
et la matière, sous forme concentrée. Situés au contact du sol et
de l’atmosphère, les végétaux puisent dans ces deux milieux, à
travers leurs surfaces d’échanges avec l’environnement, les
substances dont elles ont besoin. Le carbone est prélevé
directement dans l’air. Avec l’eau du sol, les plantes prélèvent
aussi les composés phosphatés et azotés ainsi que les éléments
minéraux et les oligo-éléments indispensa- bles. Le CO2 ne
représente que 0,038 % du volume de l’atmosphère actuel, et l’eau
du sol ne contient que quelques milligrammes par litre des ions
nécessaires aux plantes. Cela oblige les plantes à développer de
grandes surfaces d’échange avec l’environnement pour pallier la
dilution des sources d’énergie (solaire) et de matière (carbone et
ions minéraux).
Association entre roches et plantes : les plantes calcicoles et les
plantes calcifuges Lorsqu’on aborde le lien entre la constitution
géologique des sous-sols et la nature des habitats qui les
surmontent, une des premières subdivisions introduite
concerne
les plantes calcicoles (qui aiment les calcaires) et les plantes
calcifuges (qui évitent les calcaires) (photo 2). Cet aspect de
l’écologie des plantes a été reconnu par les naturalistes depuis
longtemps et est pris en compte par les jardiniers et les
horticulteurs.
La subdivision entre plantes calcicoles et calcifuges n’est pas
simple. Mais, sur la base d’observations floristiques, de nombreux
botanistes sont capables d’en déduire la nature calcaire ou non du
sol tandis que les géologues cartographes se servent aussi de ces
précieux indicateurs floristiques pour réaliser les cartes
géologiques.
Des tests de plantation de plantes calcifuges sur des sols
calcaires produisent généralement des plantes au feuillage jaunâtre
(= chlorose) [Bournérias et Bock (2006)]. De même, beaucoup
d’espèces calcicoles ne peuvent être cultivées sur sols acides. De
nombreux travaux ont montré que la présence de calcium n’est pas
toujours le facteur principal dans la présence ou l’absence de
plantes calcicoles ou calcifuges. Il apparaît que le facteur
principal est le pH, qui affecte la solubilité d’un grand nombre
d’éléments dans les sols. Sur sols acides (encadré), de nombreuses
plantes
Photo 2 : Lande à bruyère et ajonc sur un granite de la baie
d’Audierne (site de Menez Drégan, pointe du Souc’h). La lande est
l’un des paysages les plus typiques de la Bretagne. C’est une
formation végétale basse inférieure à 2 mètres, établie sur des
sols siliceux, acides et chimiquement pauvres, où dominent la
bruyère et l’ajonc. Photo 2: Moorland with heather and gorse
growing on Baie d’Audierne granite (Menez Drégan site, Pointe du
Souc’h). Moors are one of Brittany’s most typical landscapes. They
feature low-storey vegetation less than 2 m high, rooted in acidic
soils rich in silica and chemically impoverished, where heather and
gorse are the dominant species. © P. Nehlig, 2009.
15
10
calcicoles ne peuvent pas pousser, car elles ne tolèrent pas les
niveaux élevés d’aluminium que l’on y trouve. De même, la chlorose
dans les plantes calcifuges est due au fait que sur les substrats
calcaires le fer est insoluble : ces plantes produisent donc
difficilement la chlorophylle, ce qui conduit à leur coloration
jaune.
Le sol, réserve de la biodiversité La biodiversité telle qu’on
l’entend souvent est limitée à la variété d’animaux et de plantes
visibles dans un habitat particulier. On pense moins naturellement
aux champignons, aux bactéries, aux archées et à l’ensemble des
organismes vivants qui se développent dans les sols et représentent
pourtant, et de loin, la plus grande part de la biodiversité.
Pourtant, l’abondance, la diver- sité et l’activité des organismes
que l’on y trouve jouent un rôle primordial dans leur formation et
leur évolution en décomposant les résidus d’animaux et de végétaux,
en les minéralisant et en les incorporant au sol. Ils participent
ainsi au recyclage du carbone et des nutriments minéraux.
L’origine de l’abondance des organismes vivants dans les sols est
liée à la texture des sols et à leur impor- tante hétérogénéité.
Certains sols peuvent connaître une porosité de 50 %, avec des
surfaces de pores gigantesques pour les sols argileux. Cette
surface
diminue avec la granulométrie des sols. La variabilité des
porosités, des capacités de rétention d’eau et des surfaces
d’échanges chimiques a d’importantes incidences sur la biodiversité
des sols.
De nombreux végétaux aériens survivent grâce à une étroite
association avec la biodiversité du sol. Ainsi, on sait maintenant
que près de 90 % des plantes à fleurs sont mycorhizées (association
racines et champi- gnons), notamment celles qui vivent dans des
milieux difficiles, comme les tourbières ou les sols extrême- ment
pauvres et acides des podzols. L’utilisation de substances marquées
(isotopes radioactifs…) montre que le mycélium des champignons
mycorhiziens est capable de drainer à grande distance, à partir
d’un volume considérable de sol, l’eau et les ions minéraux et de
les transporter sélectivement jusqu’aux racines des arbres. Cette
activité biologique dans les sols contribue à accélérer
l’altération des roches et des minéraux qu’elles contiennent.
Ces termes largement utilisés pour décrire les roches magmatiques
sont à l’origine d’une grande confusion. En géologie, on dit qu’une
roche est acide si elle renferme plus de 63 % de silice. La silice,
qui est un accepteur d’ion oxyde O2-, est acide (SiO2 + H2O =
H2SiO3). Réciproquement, une base est une espèce pouvant céder un
ion oxyde O2-. Par exemple, l’oxyde de calcium CaO est une base,
car dans la réaction CaO + H2O Y Ca(OH)2 , le CaO cède son ion
oxyde (CaO Y Ca2+ + O2-) qui est capturé par l’eau (O2- + H2O Y
2OH-). Ainsi, les qualificatifs « acides » et « basiques » ne font
pas directement référence aux roches, mais au pH d’équilibre du
fluide en contact avec la roche : H2SiO3 (H2SiO3 = HSiO3
- + H+) étant stable en milieu acide, tandis que Ca(OH)2 (Ca(OH)2 =
Ca2+ + 2OH-) est stable en milieu basique.
Une roche est considérée comme acide ou basique en fonction de la
quantité de silice qu’elle contient : > 63 % roche acide
granite, rhyolite…
52-63 % roche intermédiaire diorite, andésite… 45-52 % roche
basique gabbro, basalte… < 45 % roche ultrabasique
péridotite…
Ainsi les roches riches en silice sont acides, les roches riches en
calcaire sont basiques.
Les précipitations de type « pluies acides » résultant de la
présence de polluants atmosphériques, tels que le dioxyde de soufre
(SO2) et les oxydes d’azote (NOx), sont susceptibles de modifier le
pH des sols et donc la nature de la végétation. Quand les sols ne
sont pas suffisamment alcalins (granites, grès et sables) et qu’ils
ne parviennent pas à neutraliser naturellement les précipitations,
ils sont particulièrement sensibles aux pluies acides. n
> Roches acides ou basiques ?
L’origine de l’abondance des organismes vivants dans les sols est
liée à la texture des sols et à leur importante
hétérogénéité.
geobiodiversity: the influence of geology on biodiversity
16
géobiodiversité : l’influence de la géologie sur la
biodiversité
Le tiers de la superficie de la Nouvelle-Calédonie est occupé par
des roches ultrabasiques carac- térisées par une faible teneur en
silice et une forte teneur en métaux, y compris de métaux lourds.
Ces roches originaires du manteau terrestre ont été mises en place
sur le substrat continental calédonien à la faveur de la sub-
duction de ce dernier sous la plaque pacifique au début de l’Éocène
(55 Ma) puis de son exhumation vers 34 Ma. Cette nappe et ses
témoins (« klippes ») satellites constituent ainsi les reliefs les
plus élevés de l’île, couramment supérieurs à 1 000 mètres. Au long
isolement en milieu intra-océanique vient donc s’ajouter un facteur
supplémentaire de sélection fortement lié à la nature du substrat.
Les diver- gences évolutives et les radiations des lignées
floristiques et faunistiques ont eu pour consé- quence un taux
d’endémisme élevé et une biodiversité exceptionnelle.
En milieu tropical, les roches ultrabasiques sont très sensibles à
l’altération chimique qui karstifie la roche tout en laissant un
résidu important. Ainsi se forment de grandes épais- seurs de
latérites essentiellement composées d’oxydes et hydroxydes de fer,
cuirassées à leur sommet. Les conditions physiques et chimiques de
ces milieux sont sévères. La température de la cuirasse composée à
plus de 98 % d’oxyde de fer peut atteindre dans certaines
conditions 70 °C au soleil. L’eau des rivières a couramment un pH
de 7,5. Qu’ils se développent directement sur les roches
ultrabasiques ou sur leurs man- teaux d’altération, les sols de ces
domaines sont fortement carencés en azote, phosphore, potassium et
calcium. Ils sont par ailleurs exces- sivement riches en fer et
magnésium. Le nickel, le manganèse ou le chrome, à des concentra-
tions anormalement élevées, peuvent dans certaines conditions se
trouver sous forme facilement assimilable par les plantes et se
révéler toxiques.
Le bios a cependant réussi à s’adapter à ces conditions extrêmes.
L’évolution a sélectionné sur ces terrains des espèces végétales
disposées à une plus ou moins grande « limitation » de leurs
besoins en différents éléments nutritifs (N, P, K, Ca), à
croissance lente, fructification et germination irrégulières et peu
fréquentes, capables d’une absorption sélective de certains
éléments, souvent favorisée par des associations symbiotiques avec
des bactéries ou des myco- rhizes. Deux processus évolutifs
semblent avoir
réussi: l’acquisition de caractères de tolérance à une nutrition
appauvrie et l’acquisition de caractères de résistance à une
ressource toxique. Sur les sols anormalement riches en nickel ou
manganèse assimilables, la plupart des espèces « limitent » la
pénétration de ces métaux dans leurs tissus, tandis que d’autres en
accumulent des quantités importantes (supérieur à 0,1 % rapportées
à la matière sèche) dans leurs feuilles sans être intoxiquées. Une
quarantaine d’espèces de plantes hyper-accumulatrices ont été
recensées. Des teneurs de plus de 1 % de nickel ou manganèse
foliaire ont été enre- gistrées chez une dizaine d’espèces et des
teneurs en nickel supérieures à 20 % dans le latex (coloré en
bleu-vert) de Sebertia acumi- nata, véritable « arbre à nickel »
appelé « sève bleue » par les forestiers (photo).
La flore indigène des plantes vasculaires en contexte ultrabasique
totalise 2 170 espèces, dont 1 740 (plus de 80 %) sont endémiques
de la Nouvelle-Calédonie. Ce fort endémisme est le résultat de
phénomènes de radiations intervenus à partir d’espèces
pré-adaptées. Ces phénomènes ont été intensifiés par le découpage
du feuillet ultrabasique initial en plusieurs massifs perchés,
isolats écologiques au sein de l’île, qui ont leurs propres espèces
endémiques.
La faune des massifs ultrabasiques (arthropodes, mollusques,
reptiles), dépendante en grande partie de la flore, est également
marquée par une forte endémicité. L’homme lui-même ne s’est pas
établi à l’intérieur des zones ultraba- siques, seule la frange
littorale étant de loin en loin occupée par quelques tribus.
n
> L’influence de la roche sur la biodiversité - La
Nouvelle-Calédonie Pierre Maurizot – BRGM Nouvelle-Calédonie –
[email protected] – Tanguy Jaffré – IRD Nouméa –
[email protected]
Latex coloré en bleu de l’espèce Sebertia acuminata. Blue coloured
latex of the species Sebertia acuminata. © Base Indigo IRD, T.
Jaffré.
L’homme renforce le lien entre la biodiversité et son substrat
L’influence humaine a été essentielle dans la répartition des
habitats telle que nous la voyons aujourd’hui [Bournérias et Bock
(2006) ; Blandin (2010)]. La végétation et une grande part de la
diversité des habitats ont été modifées par l’homme et sont le
résultat de millénaires d’aménagement de l’espace. Sans
l’intervention humaine, la France ne présenterait pas sa diversité
paysagère. Seuls quelques rares habitats non modifiés par l’homme
existent encore
sur le territoire métropolitain. Ainsi, les milieux diffi- ciles,
où l’homme a renoncé à établir ses cultures, sont propices à la
différenciation et/ou à la conservation des espèces endémiques. Il
s’agit essentiellement de milieux littoraux, humides, de zones de
montagne et de quelques milieux subdésertiques périméditerra-
néens. Ailleurs, l’activité humaine a pour une grande part masqué
et modifié les effets des processus géologiques sur la faune et la
flore. Cela s’est-il traduit par une homogénéisation ou une
exacerbation des habitats ? Il semblerait que la révolution
néolithique
17
10
se soit traduite par une diversification accrue et par un
renforcement du lien entre géodiversité et biodiversité. Pour
Bournérias et Bock, avant les premiers déboisements des zones
basses, les particu- larités entre zones géologiques étaient
certainement moins perceptibles qu’aujourd’hui et devaient se tra-
duire par de subtiles différences dans les essences forestières et
les structures du sol. Le déboisement et le développement de
l’agriculture ont renforcé cette différenciation. Certaines zones
ont été préférentiel- lement sélectionnées (pour partie sur des
critères géologiques) pour y faire pousser certaines espèces, et
les communautés florales et faunistiques s’y sont adaptées.
D’autres secteurs aux sols trop pauvres sont restés boisés ou ont
été transformés en pâturages. À l’échelle locale, effectuons par
exemple le trajet Paris-Orléans par le train. À la ville de Paris
installée pro parte sur les alluvions de la Seine succède la forêt
de Fontainebleau dont le sous-sol composé principa- lement de sable
siliceux très pur interdit toute agriculture intensive. Puis vient
la Beauce avec ses champs de céréales à perte de vue. Installé sur
des calcaires karstiques et enrichi en surface par des limons
d’origine éolienne, le sol de Beauce est bien drainé et propice à
la culture. Peu avant Orléans, les champs de céréales laissent
place à la forêt d’Orléans installée sur les sables de Sologne qui
débordent en
rive droite de la Loire. La ville d’Orléans est implantée dans et
en bordure du lit majeur de la Loire.
À une autre échelle, la mise en parallèle de la carte géologique de
France à 1/1 000 000 et de la couverture CORINE Land Cover à 1/100
000 montre les liens étroits qu’il peut y avoir entre nature
géologique du proche sous-sol et occupation végétale, animale et
humaine des sols et permet de les quantifier. La base de données
géographique CORINE Land Cover est un inventaire biophysique
produit, maintenu et diffusé par le Service de l’Observation et des
Statistiques (SOeS) du Commissariat général au développement
durable en France (http://www.ifen.fr). Elle fournit une infor-
mation géographique hiérarchisée en trois niveaux avec 44 codes
caissons utilisables au 1/100 000. La carte géologique de la France
à 1/1 000 000 publiée par le BRGM (http://www.brgm.fr) en 2003 est
la synthèse de plus de 1 000 cartes à l’échelle du 1/50 000. Ces
documents sont numérisés et disponibles à un format vectoriel, et
leur géométrie peut donc être croisée (analyses par correspondances
multiples, ACM) afin de mettre en évidence les corrélations entre
les codes
geobiodiversity: the influence of geology on biodiversity
Les liens entre nature géologique du proche sous-sol et occupation
végétale, animale et humaine des sols, sont étroits.
L’agriculture céréalière intensive de la plaine de Beauce bénéficie
à la fois des limons récents d’origine éolienne et de l’aquifère
calcaire sous-jacent. Intensive grain production in the Beauce
plains benefits both from recent loam of eolian origin and from the
underlying limestone aquifer. © Fotolia
18
Territoires artificialisés ó Territoires artificialisés Territoires
agricioles ó Terres arables ó Prairies ó Autres territoires
agricoles
Forêts et milieux semi-naturels ó Forêts de feuillus ó Forêts de
conifères ó Autres forêts et milieux
semi-naturels
Surfaces en eau ó Surfaces en eau Zones humides ó Zones
humides
Territoires artificialisés ó Territoires
artificialisés Territoires agricioles ó Terres arables ó Prairies ó
Autres
territoires agricoles
de feuillus ó Forêts
et milieux semi-naturels
en eau Zones humides ó Zones
humides
ó Mio-Pliocène à Pléistocène Hautes terrasses alluviales
ó Miocène moyen à supérieur Sables et argiles de Sologne
ó Oligocène à Miocène inférieur Calcaires lacustres de Beauce
ó Oligocène Calcaires lacustres
Argiles à silex ó Crétacé supérieur
Craie,tuffeau, sables ó Crétacé inférieur
Marnes, grès ó Jurrassique supérieur
(Malm) – Calcaires, marnes ó Jurrassique moyen (Dogger)
Calcaires ó Jurrassique inférieur (Lias)
Calcaires, argiles ó Trias – Grès, argiles ó Socle cristallin –
Granites,
roches métamorphiques
© BRGM © CORINE Land Cover, www.ifen.fr.
Formations sédimentaires ó Argiles ó Craies ó Calcaires ó Sables ó
Grès
Formations métamorphiques ó Schistes ó Micaschistes ó Schistes bleu
ó Ophiolites ó Gneiss
Formations plutoniques ó Granites Formations volcaniques ó
Basaltes, rhyolites…
Fig. 1 et 2 : À gauche, carte lithologique simplifiée. À droite,
carte simplifiée de l’occupation des sols. La juxtaposition des
deux cartes illustre l’important contrôle géologique de
l’occupation des sols.
Fig. 1 and 2: Left, simplified lithological map. Right, simplified
land-use map. Placed side by side, the two maps illustrate how land
use is indeed significantly governed by geology.
Fig. 2 : Zoom sur la région Centre. La juxtaposition des deux
cartes illustre l’important contrôle géologique de l’occupation des
sols. Les terrains calcaires de la Beauce et du Berry sont occupés
par des terres arables alors que les sables et argiles de Sologne
et les terrasses de Loire sont recouverts de forêts de feuillus.
Les terrains cristallins de la Marche et les grès et argiles du
Trias sont occupés pour l’essentiel par des prairies.
Fig. 2: Enlargement of the Region Centre. Placed side by side, the
two maps illustrate how land use is indeed significantly governed
by geology. The limestone terrains in the Beauce and Berry regions
are used as farmland, whereas the sand and clay formations in the
Sologne region and on the Loire terraces host forests of deciduous
species. The crystalline terrains of the Marche area and the
Triassic sandstones and clays are occupied by grassland for the
most part.
© BRGM © CORINE Land Cover, www.ifen.fr.
geobiodiversity: the influence of geology on biodiversity
Références : Blandin P. (2010) – Biodiversité : l’avenir du vivant.
Éditions Albin Michel. Bournérias M. et Bock C. (2006) – Le génie
végétal. Éditions Belin. English Nature (2004) – Linking Geology
and Biodiversity, Report n° 562. Gray J.-M. (2004) – Geodiversity:
valuing and conserving abiotic nature. Wiley, Chichester. Nahon D.
(2008) – L’épuisement de la Terre. L’enjeu du XXIe siècle. Éditions
Odile Jacob. Wever (de) P., Le Nechet Y., Cornee A. (2006) -
Vademecum pour l’inventaire du patrimoine géologique national.
Mémoire hors-série de la Société géologique de France, n° 12, 161
p.
d’occupation des sols de la BD CORINE et les codes lithologiques de
la carte géologique (figures 1 et 2).
À l’échelle de la France, les terres arables sont princi- palement
installées sur les craies, les marnes et les calcaires (ou les
dépôts superficiels de type loess) alors que les prairies sont
prépondérantes sur les gra- nitoïdes du Massif armoricain et du
Massif central. Quelles différences entre les forêts de conifères
et de feuillus ? Si les forêts de feuillus sont préférentielle-
ment situées sur les calcaires, les marnes et les craies, les
forêts de conifères sont développées sur sables, grès et
granitoïdes.
Connaître pour protéger La prise de conscience de la diversité des
êtres vivants, de son caractère patrimonial et de la nécessité de
sa protection s’est concrétisée de diverses manières ; de l’échelle
internationale à celle des initiatives privées, les actions sont
nombreuses pour protéger les espèces et les espaces qui les
accueillent. À l’échelle nationale sont distingués les outils de
protection stricte, tels la procédure de classement d’un site,
l’arrêté de biotope ou la réserve naturelle, et ceux qui permettent
plutôt un suivi et une gestion de l’espace tels le parc naturel
régional ou la réserve naturelle associative.
Mais pour protéger et gérer au mieux, il faut avant tout connaître.
Différents outils de connaissance du patrimoine naturel ont vu le
jour, tel l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique,
faunistique et floristique initié en 1982 par le ministère de
l’Environnement. L’objectif de cet inventaire est de recenser de
manière la plus exhaustive possible les espaces naturels qui
abritent des espèces rares ou menacées ou qui représentent des
écosystèmes riches et peu modifiés par l’homme.
La conservation et la gestion de la géodiversité sont devenues,
après celles de la biodiversité, un objet de préoccupation
mondiale. Plusieurs initiatives interna- tionales, nationales et au
niveau des collectivités locales se relaient aujourd’hui pour faire
reconnaître concrètement le concept de géodiversité et favoriser sa
conservation. C’est le cas de l’initiative « Inventaire du
Patrimoine Géologique » en France. Lancé en 2007, l’inventaire du
patrimoine géologique s’inscrit dans le cadre de la loi du 27
février 2002, relative à la démocratie de proximité. Celle-ci
précise que « l’État […] assure la
conception, l’animation et l’évaluation de l’inventaire du
patrimoine naturel qui comprend les richesses écologiques,
faunistiques, floristiques, géologiques, minéralogiques et
paléontologiques ». Cet inventaire (http://geologie.
naturefrance.fr), réalisé sous la responsabilité scienti- fique du
Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) [De Wever et al.
(2006)] et avec un soutien méthodo- logique du BRGM, est intégré
dans le Système d’information sur la nature et les paysages
(http:// www.naturefrance.fr) mis en place par le ministère de
l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer. Il
a pour objectif : – d’identifier l’ensemble des sites et objets
d’intérêt géologique ; – de collecter et saisir leurs
caractéristiques ; – de hiérarchiser et valider les sites à
vocation patri- moniale ; – d’évaluer leur vulnérabilité et les
besoins en matière de protection.
Plusieurs outils juridiques existent et permettent une protection
efficace de la géodiversité : Réserve Naturelle Nationale (1976),
Réserve Naturelle Régionale (2002), Site Classé (1930), Maîtrise
Foncière. Il y manquait un outil d’application rapide. C’est
pratiquement chose faite avec le Projet de loi Grenelle 2, qui vise
à élargir le champ d’application des arrêtés de protection de
biotope aux géotopes et à inscrire les sites d’intérêt géologique
dans les articles L411-1, 2 et 3 du code de l’environnement.
On considère aujourd’hui les processus géologiques ou
géomorphologiques naturels comme des aléas pour la biodiversité.
Pourtant, les phénomènes géolo- giques passés sont pour une grande
part à l’origine de la diversité des habitats que nous connaissons.
Les habitats changent, et ce changement produit de la biodiversité.
C’est peut-être la principale conclusion que l’on peut tirer des
études menées sur les liens entre biodiversité et géodiversité :
les processus géologiques et géomorphologiques sont multiples et
conduisent à de la diversité dans les sols et dans les interactions
avec l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère. C’est aussi grâce
à cette diversité géolo- gique que les environnements de vie du
vivant sont si riches. Cette conclusion – on pourrait dire évidente
– suppose que soient prises en compte « l’insularité » de certains
milieux géologiques, et la biodiversité endé- mique potentielle ou
avérée qui les accompagne, dans les inventaires actuels du
patrimoine naturel. n
Geobiodiversity: the influence of geology on biodiversity This
article investigates the relationships between biodiversity and the
lithology of the subsurface. Where land use obscures so much,
geology is the element of landscape that is hardest to grasp. Yet
it is an essential determinant of the character of natural habitats
and how man has come to use them. The chemical and physical
diversity of rock directly influences the distrib