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[Tome 2] Christopher Paolini - Eragon - L'Aînéshurtugaldragonnier.weebly.com/uploads/2/0/5/5/20555942/tome_2... · brisent le plafond du hall – une étoile de saphir de soixante

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    Comme toujours, ce livre est ddi une famille.

    Ainsi qu tous mes fans,vous qui mavez permis de raliser cette aventure.

    S onr sverdar sitja hvass !

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    RSUM DE ERAGONLIVRE I DE LHRITAGE

    Alors quil chasse dans une chane de montagnes, la Crte, Eragon, un jeune paysan de quinze ans, a la surprise de voir tomber non loin de lui une grosse pierre bleue. Il la rapporte la ferme o il vit avec son oncle, Garrow, et son cousin, Roran. Garrow et sa femme, Marian aujourdhui dcde , ont lev le garon. On ne sait rien de son pre ; sa mre, Selena, la sur de Garrow, na plus donn signe de vie depuis la naissance de lenfant.

    Quelques jours plus tard, la pierre se brise, et il en sort un bb dragon. LorsquEragon le touche, une marque argente apparat sur sa paume, et son esprit se trouve indfectiblement reli celui de la crature, faisant du garon lun des lgendaires Dragonniers.

    La caste des Dragonniers fut cre des milliers dannes auparavant, la suite de la grande guerre entre les elfes et les dragons, afin que les hostilits ne reprennent jamais entre les deux espces. Les Dragonniers devinrent les gardiens de la paix, des ducateurs, des gurisseurs, des alchimistes et, galement, les plus puissants des magiciens, grce au lien unique que chacun entretenait avec son dragon. Sous leur autorit et leur protection, le pays connut un vritable ge dor.

    Quand les humains arrivrent en Alagasia, certains dentre eux rejoignirent cet ordre dlite. Aprs de longues annes de paix, de monstrueux guerriers, les Urgals, turent le dragon dun jeune Dragonnier humain du nom de Galbatorix. Cette perte cruelle le rendit fou, et plus encore le refus des Anciens de la caste de lui fournir un nouveau dragon. Galbatorix mit alors

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    tout en uvre pour dtruire les Dragonniers.Il vola un dragon, quil nomma Shruikan, et lasservit par la

    puissance de la magie noire. Il rassembla alors autour de lui un groupe de tratres, au nombre de treize : les Parjures. Avec lappui de ces froces disciples, Galbatorix anantit les Dragonniers, tua leur chef, Vrael, et se proclama roi de lAlagasia.

    Sa victoire, cependant, ne fut pas totale, car les elfes et les nains restrent des peuples autonomes, rfugis dans leurs repaires cachs. Des humains, eux, crrent un pays indpendant, le Surda, au sud du royaume. La disparition des Dragonniers entrana quatre-vingts annes de conflits, suivies par un statu quo entre les diffrentes factions, qui, lorsque cette histoire commence, dure depuis vingt ans.

    Cest au cur de cette situation politique trouble quEragon se trouve propuls. Il se sent en danger, car chacun sait que Galbatorix a tu tous les Dragonniers refusant de lui faire allgeance. Aussi le garon lve-t-il en secret le petit dragon qui se rvle tre une dragonne , cachant son existence sa famille. Il lappelle Saphira, comme un dragon dont parlait Brom, le conteur du village de Carvahall. Peu de temps aprs, Roran quitte la ferme ; il va travailler chez un meunier des environs afin de gagner assez dargent pour pouser Katrina, la fille du boucher.

    Alors que Saphira est devenue un dragon de belle taille, deux trangers lallure menaante, voquant dnormes scarabes, arrivent Carvahall. Ce sont des Razacs, la recherche de luf perdu. Effraye, Saphira enlve Eragon et senvole vers la Crte. Eragon russit la convaincre de revenir. Or, durant leur absence, la ferme a t investie par les Razacs. Dans les dcombres, Eragon dcouvre Garrow, tortur mort.

    Le garon jure de traquer les Razacs et de les tuer pour venger son oncle.

    Eragon est alors rejoint par Brom. Le vieux conteur connat lexistence de Saphira, et demande les accompagner pour des raisons personnelles. Eragon accepte. Brom lui donne une pe, nomme Zarroc, qui a appartenu un Dragonnier, tout en refusant de rvler comment larme est venue en sa possession.

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    Brom transmet son savoir Eragon, pendant leur priple, en particulier lart du combat lpe et la pratique de la magie. Ayant perdu la trace des Razacs, ils se rendent dans la cit de Teirm, o vit Jeod, un vieil ami de Brom. Jeod pourrait les aider dcouvrir le repaire des cratures.

    Teirm, une herboriste quelque peu excentrique et diseuse de bonne aventure, Angela, annonce Eragon que des forces puissantes contrlent sa destine ; quune fantastique histoire damour lui est promise avec une personne de noble naissance ; quil devra un jour quitter lAlagasia pour ny jamais revenir ; et quil sera trahi par quelquun de sa propre famille. Le compagnon de lherboriste, un chat-garou nomm Solembum, lui donne quelques conseils. Puis Eragon, Brom et Saphira partent pour Dras-Leona, o ils esprent retrouver les Razacs.

    Brom finit par rvler Eragon quil est un agent des Vardens, un peuple rebelle dcid dtrner Galbatorix : il se cachait Carvahall sous lapparence dun vieux conteur, dans lattente que surgisse un nouveau Dragonnier. En effet, vingt ans plus tt, Brom et Jeod ont vol Galbatorix luf de Saphira. Ce faisant, Brom a tu Morzan, le premier et le dernier des Parjures. Il nexiste plus que deux autres ufs de dragon, toujours en possession de Galbatorix.

    Non loin de Dras-Leona, les Razacs croisent la route dEragon, Brom et Saphira. En protgeant le garon, Brom est grivement bless. Les Razacs sont mis en fuite par un mystrieux jeune homme, Murtagh, qui dclare les traquer lui aussi. Brom meurt la nuit suivante. Avant de steindre, il rvle quil a t Dragonnier, et que son dragon sappelait aussi Saphira. Eragon ensevelit Brom dans une tombe de granit, que Saphira transforme en pur diamant.

    Rests seuls, Eragon et Saphira dcident de rejoindre les Vardens. Par malheur, Eragon est captur dans la cit de Gilead et amen Durza, un Ombre, le bras droit de Galbatorix. Avec laide de Murtagh, le garon svade, emmenant avec lui une autre captive, Arya, une elfe, reste inconsciente la suite des tortures quelle a subies. Cette aventure fait natre entre Eragon et Murtagh une profonde amiti.

    Communiquant en esprit avec Eragon, Arya lui raconte

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    quelle convoyait luf de Saphira depuis le pays des elfes chez les Vardens dans lespoir de le voir clore, dsignant ainsi pour son Dragonnier un de leurs enfants quand elle tait tombe dans une embuscade tendue par Durza. Elle avait d projeter luf loin delle par magie ; cest ainsi quil tait tomb en la possession dEragon. Pour lheure, Arya est dans un tat critique, il lui faut laide mdicale des Vardens. Par le moyen dimages mentales, elle explique Eragon comment trouver les rebelles. Un voyage pique commence. Eragon et ses amis parcourent presque quatre cents lieues en quelques jours. Ils sont poursuivis par une horde dUrgals, qui les forcent se rfugier dans les Montagnes du Beor. Mais Murtagh se refuse rejoindre les Vardens. Il est contraint den avouer la raison Eragon : le jeune homme est le fils de Morzan.

    Murtagh, cependant, na pas cautionn les actes de son pre ; il sest enfui, chappant lautorit de Galbatorix pour suivre sa propre destine. Il montre Eragon une longue cicatrice qui lui traverse le dos. Cette blessure lui a t inflige par Morzan, qui a lanc Zarroc sur son fils quand celui-ci tait enfant. Eragon apprend du mme coup que son pe appartenait auparavant au pre de Murtagh, le Parjure qui a vendu les Dragonniers Galbatorix et massacr un grand nombre de ses pairs.

    Sur le point dtre dbords par une attaque des Urgals, Eragon et ses amis sont secourus par les Vardens, qui semblent sortis tout droit de la paroi rocheuse ! Il savre que les rebelles sont bass Farthen Dr, un large et profond cratre au centre dune haute montagne. Cest l que se dresse Tronjheim, la capitale des nains. Eragon est amen Ajihad, le chef des Vardens. Quant Murtagh, il est jet en prison, cause de son ascendance. Ajihad confie bien des choses Eragon, en particulier que les Vardens, les elfes et les nains savent quun nouveau Dragonnier est apparu, quil devait dabord tre entran par Brom, puis envoy chez les elfes pour achever sa formation. Cest maintenant Eragon de dcider sil veut continuer sur cette voie.

    Eragon a une entrevue avec Hrothgar, le roi des nains, et avec la fille dAjihad, Nasuada ; il est mis lpreuve par les Jumeaux, deux magiciens, chauves et antipathiques, au service

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    dAjihad. Arya, gurie, le teste lpe. Et il retrouve Angela et Solembum, qui ont rejoint les Vardens. Un jour, la demande de la foule, Eragon et Saphira bnissent lun des bbs orphelins des Vardens.

    On apprend alors quune arme dUrgals approche, empruntant les galeries creuses par les nains dans la montagne. Au cours de la bataille qui sensuit, Eragon est spar de Saphira. Au centre de la cit, il est contraint daffronter Durza, seul. Plus puissant que nimporte quel humain, lOmbre domine facilement le garon, et lui ouvre le dos dun coup dpe, de lpaule la hanche. cet instant, Saphira et Arya brisent le plafond du hall une toile de saphir de soixante pieds de large, fiert de la cit des nains. Cette diversion permet Eragon de frapper son agresseur au cur. Librs des enchantements de lOmbre, qui les maintenaient sous son emprise, les Urgals sont repousss dans les galeries.

    Aprs la bataille, tandis quEragon gt, inconscient, il est contact mentalement par un tre mystrieux, qui se prsente sous le nom de Togira Ikonoka, lEstropi qui est Tout. Il promet de rpondre aux questions du garon, et le presse de le rejoindre Ellesmra, la cit des elfes.

    Quand Eragon revient lui, il dcouvre que, en dpit des efforts dAngela, il garde sur le dos une norme cicatrice, semblable celle de Murtagh. Il comprend galement avec dpit quil a abattu Durza grce un simple coup de chance, et quil manque cruellement dune vritable formation.

    la fin du premier livre, Eragon dcide que, oui, il ira trouver Togira Ikonoka pour que celui-ci linstruise. Car le Destin aux yeux gris marche grands pas, les premiers chos de la guerre rsonnent travers le pays. Le temps approche o Eragon devra affronter son seul et vritable ennemi : le roi Galbatorix.

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    1DOUBLE DSASTRE

    Les lamentations des vivants sont un chant, pour les morts.

    Ainsi songeait Eragon en enjambant le cadavre disloqu dun Urgal.

    Il lui sembla que le monstre le suivait dun regard torve tandis qualentour slevaient les plaintes des femmes cherchant des tres aims dans la boue sanglante de Farthen Dr. Saphira marchait derrire lui, attentive ne pas craser les corps ; seul lclat bleu de ses cailles apportait une touche de couleur la morne obscurit qui tombait des montagnes.

    Trois jours staient couls depuis que les Vardens et les nains avaient dfendu Tronjheim, la ville-montagne, la cit de marbre btie au centre de Farthen Dr, contre lattaque des Urgals ; mais le champ de bataille offrait encore une vision de carnage. Le nombre des morts tait tel quon navait pu tous les enterrer. La lueur sinistre dun brasier dansait au loin, sur les parois du cratre : les dpouilles des monstres brlaient. Il ny aurait pour eux ni funrailles ni lieu o reposer en paix.

    Depuis quil avait repris conscience, et dcouvert quAngela avait soign sa blessure, Eragon avait tent par trois fois de participer au dgagement des corps ; chaque fois, une douleur fulgurante avait explos dans sa colonne vertbrale. Les gurisseurs lui avaient administr des potions diverses. Arya et Angela le prtendaient parfaitement rtabli Pourtant, il souffrait. Saphira elle-mme ne pouvait rien pour lui, sinon compatir son mal, quelle ressentait par le biais de leur lien mental.

    Eragon passa une main sur son visage et leva les yeux vers

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    les toiles, brouilles par la fume fuligineuse qui montait des bchers. Cela faisait trois jours. Trois jours quil avait tu Durza ; trois jours que les gens lui donnaient ce nom de Tueur dOmbre ; trois jours pendant lesquels la mmoire du sorcier avait dvor son esprit, avant quil fut sauv par le mystrieux Togira Ikonoba, lEstropi qui est Tout. Il navait parl de cette vision personne dautre qu Saphira. Cette exprience lavait transform. Pour le meilleur ou pour le pire ? Lui-mme naurait su le dire. Il tait dune telle fragilit que le moindre choc, lui semblait-il, risquait de dsintgrer son corps et sa conscience tout juste reconstitus.

    Il stait rendu sur le thtre du combat, pouss par le dsir morbide de mesurer de ses yeux ltendue de la victoire. Mais, au lieu de la gloire telle quil lavait entendue clbrer par les chants hroques, il ny trouvait que linsupportable vidence de la mort et de la dcomposition.

    Avant que son oncle, Garrow, ait t assassin, quelques mois auparavant, par les Razacs, tre tmoin dun tel dchanement de violence entre les humains, les nains et les Urgals laurait bris. Maintenant, cela le glaait. Il avait compris depuis longtemps, avec laide de Saphira, que la seule faon de ne pas perdre la raison face lhorreur tait dagir. Cependant, il avait cess de penser que la vie avait un sens. Comment le croire aprs avoir vu les corps des villageois massacrs par les Kulls, ces Urgals gants ? Comment le croire ici, en marchant sur cette terre couverte de membres dchiquets, si imprgne de sang quelle collait la semelle de ses bottes ? Il ny avait nul honneur faire la guerre, concluait-il, sinon pour protger des innocents.

    Il se pencha et ramassa une dent dans la boue une molaire. Il la fit sauter dans sa paume tout en parcourant lentement la plaine bouleverse. Saphira le suivait. Ils sarrtrent en voyant la haute silhouette de Jrmundur, le commandant en second, sortir de Tronjheim et courir leur rencontre. Il tenait un rouleau de parchemin.

    Parvenu devant eux, Jrmundur sinclina ce quil naurait jamais fait quelques jours plus tt, nota Eragon.

    Je suis heureux de te trouver, dit le Varden. Ajihad est sur le chemin du retour ; il souhaite que tu sois l son arrive. Les

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    autres lattendent dj devant la porte ouest de la cit. Nous devons faire vite si nous voulons les rejoindre temps.

    Eragon approuva dun signe de tte et savana dans cette direction, une main pose sur lencolure de Saphira. Le chef des Vardens tait parti depuis trois jours la poursuite des Urgals. Ceux qui avaient russi schapper staient enfoncs dans les tunnels creuss par les nains dans la roche des montagnes du Beor. La dernire fois quEragon avait vu Ajihad, il fulminait contre sa fille, Nasuada : dsobissant ses ordres, elle avait croyait-il quitt la cit avant la bataille, avec les femmes et les enfants. En ralit, la jeune fille stait glisse incognito dans les rangs des archers pour combattre leurs cts.

    Murtagh et les Jumeaux avaient accompagn Ajihad, le premier par dsir de prouver quil navait aucune rancur envers les Vardens, les deux autres parce que lentreprise tait prilleuse, et que leur matre avait besoin de leur protection. Eragon tait surpris de constater quel point lattitude de tous vis--vis de Murtagh avait chang. On savait que son pre avait t le Dragonnier Morzan, le premier et le dernier des Parjures, qui avait livr les autres Dragonniers au roi Galbatorix. Mme si Murtagh mprisait son pre et se montrait loyal envers Eragon,les Vardens ne lui avaient pas fait confiance. Mais, prsent, personne navait dnergie dpenser en vaine hostilit alors quune tche autrement importante les attendait. Les discussions avec son ami lui manquaient ; il avait hte de le voir revenir pour parler avec lui des derniers vnements.

    Comme ils approchaient de Tronjheim, Eragon et Saphira distingurent un petit groupe de gens, devant le portail, dans la flaque de lumire dune lanterne. Orik et Arya taient parmi eux. Le nain se balanait nerveusement sur ses courtes jambes ; le bandage entourant le bras de lelfe formait une tache blanche qui semblait se reflter sur le noir de sa chevelure. Eragon prouva le curieux frmissement qui le parcourait chaque fois quil se trouvait en prsence de la jeune femme. Elle lui jeta un bref regard, ses yeux verts tincelrent ; puis elle se dtourna pour guetter Ajihad.

    Bien que lintervention dArya et permis Eragon de tuer Durza et par l mme de gagner la bataille , les nains ne

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    pardonnaient pas lelfe davoir bris Isidar Mithrim, ltoile de saphir. La perte tait trop grande. Ils refusaient denlever les dbris, les laissant entasss en une masse compacte au centre du vaste hall de Tronjheim. Autant que les nains, le jeune Dragonnier dplorait ce dsastre : une telle beaut jamais dtruite !

    Saphira et lui sarrtrent prs dOrik et scrutrent la plaine vide autour de la cit, o le regard stendait dans toutes les directions jusquaux bases du cratre de Farthen Dr.

    Do viendra Ajihad ? demanda Eragon.Orik dsigna une grappe de lanternes clairant louverture

    dun tunnel qui senfonait dans le roc, deux ou trois milles de l :

    Il ne devrait plus tarder.Eragon patienta avec les autres, rpondant ceux qui lui

    adressaient la parole, mais prfrant converser avec Saphira dans le secret de son esprit. Le silence qui rgnait sur Farthen Dr lui convenait.

    Une demi-heure passa avant quun mouvement sesquisse du ct du tunnel. Une dizaine dhommes sen extirprent, puis aidrent des nains sortir. Lun des hommes Ajihad, probablement leva la main, et les guerriers se rangrent en double ligne derrire lui. Au signal de leur chef, ils avancrent dun pas fier vers Tronjheim.

    La troupe avait parcouru quelques mtres quand une curieuse agitation se produisit lentre de la galerie : dautres silhouettes en jaillissaient, comme des abeilles surgissant dune ruche. Eragon plissa les yeux pour mieux voir, mais ctait trop loin. Il sentit alors le corps de Saphira vibrer comme la corde dun arc trop tendue :

    Ce sont des Urgals. Eragon ne posa pas de question. Il cria : Des Urgals !Et il sauta sur le dos de la dragonne, se maudissant davoir

    laiss son pe dans sa chambre. Personne navait envisag la possibilit dune nouvelle attaque aprs que larme des monstres eut t mise en fuite.

    Sa blessure llana lorsque Saphira dploya ses ailes bleues

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    et prit son essor. Au-dessous deux, Arya fonait vers le tunnel, et sa course tait presque aussi rapide que le vol de la dragonne.Orik et quelques soldats galopaient la suite de lelfe, tandis que Jrmundur retournait en hte au casernement pour donner lalerte.

    Eragon vit les Urgals fondre sur larrire de la petite troupe sans pouvoir intervenir, car il tait encore trop loin pour utiliser la magie. Les monstres avaient lavantage de la surprise. Ils abattirent quatre soldats, forant les autres hommes et nains se masser autour dAjihad pour tenter de le protger.

    Les pes et les haches sentrechoqurent. Lun des Jumeauxlana un trait de lumire, et un Urgal tomba en portant la main au moignon de bras qui lui restait.

    Il sembla un instant que les soldats tiendraient tte aux assaillants. Mais lair tourbillonna soudain, une molle charpe de brouillard senroula autour des combattants. Quand elle se dissipa, seuls quatre hommes taient encore debout : Ajihad, les Jumeaux et Murtagh. Les Urgals se rurent sur eux, les soustrayant au regard horrifi dEragon.

    Non ! Non ! Non ! Avant que Saphira ait pu atteindre le lieu du combat, la

    meute monstrueuse avait reflu vers le tunnel et sy engouffrait en dsordre, ne laissant derrire elle que des corps tendus, parpills et l.

    peine la dragonne stait-elle pose quEragon sauta terre. Il chancela, accabl de douleur et de colre.

    Je ne peux pas Le souvenir le frappait de plein fouet : il revenait la ferme,

    dcouvrait Garrow agonisantRefoulant ses apprhensions, il se fora avancer, un pas

    aprs lautre, la recherche de survivants.Lendroit ressemblait au champ de bataille quil avait

    parcouru peu de temps auparavant, la diffrence que, ici, le sang tait frais. Au cur du carnage gisait Ajihad, le plastron de sa cuirasse entaill et enfonc en plusieurs endroits, entour par cinq Urgals quil avait abattus. Il respirait encore, avec des hoquets douloureux. Eragon sagenouilla prs de lui, se dtournant un peu afin que ses larmes ne tombent pas sur la

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    poitrine du chef, o le sang roulait, noir sur sa peau noire, comme de lencre sur du charbon. Il savait que nul gurisseur ne soignerait pareilles blessures ; le dommage tait trop grand. Arya arriva, vit quil ny avait plus rien faire, et attendit, le visage empreint dune tristesse sans nom.

    Un son schappa des lvres dAjihad, peine un murmure : Eragon Je suis l. coute-moi, Eragon ! Jai une dernire chose te

    demander.Le jeune Dragonnier sapprocha plus prs encore, pour saisir

    les paroles du mourant. Il faut que tu me promettes Promets-moi que tu ne

    laisseras pas les Vardens tomber dans le chaos. Ils sont lultime espoir de ceux qui rsistent lEmpire Ils doivent rester forts. Promets-moi, Eragon

    Je vous promets. Alors, la paix soit avec toi, Eragon, le Tueur dOmbre !Dans un dernier souffle, Ajihad ferma les yeux ; son noble

    visage se dtendit, et il mourut.Eragon sinclina. Le nud douloureux qui lui serrait la gorge

    lui coupait la respiration. Arya murmura une bndiction en ancien langage, puis dit de sa voix harmonieuse :

    Hlas, sa mort va provoquer bien des conflits. Ajihad a vu juste ; tu devras empcher la lutte pour le pouvoir. Je tassisterai de mon mieux.

    Incapable de parler, Eragon fixait lamoncellement de cadavres. Saphira poussa lun deux du nez :

    Un tel malheur naurait pas d arriver ; qui plus est au moment o nous pensions tre sauvs et victorieux.

    Elle examina une autre dpouille, puis regarda autour delle en balanant la tte :

    O sont Murtagh et les Jumeaux ? Je ne les vois pas parmi les morts.

    Eragon inspecta lendroit plus attentivement : Tu as raison ! Soulev par un fol espoir, il courut vers la bouche du tunnel.

    Des flaques de sang coagul emplissaient les creux des marches

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    de marbre uses, tels de sombres et luisants miroirs, laissant penser quon avait tran par l des corps blesss.

    Les Urgals ont d les emmener ! Mais pourquoi ? Comme otages ?

    Accabl, il soupira : De toute faon, on ne peut pas se lancer leur poursuite

    sans renforts. Tu ne passerais mme pas par louverture Ils sont peut-tre encore vivants. Vas-tu les

    abandonner ? Quattends-tu de moi ? Les galeries creuses par les nains

    forment un ddale sans fin ; Arya et moi serions assurs de nous perdre. Et, pied, je ne rattraperai jamais des Urgals, mme si elle, sans doute, y russirait.

    Alors, demande-lui. Que je ? Il grommela, hsitant, partag entre son dsir dagir et sa

    rticence mettre Arya en danger. Dun autre ct, si une personne tait capable de tenir tte aux Urgals, ctait elle.

    Il lui fit part de leur dcouverte. Lelfe leva ses sourcils arqus :

    a na pas de sens Les poursuivras-tu ?Elle le dvisagea intensment avant de murmurer : Wiol ono. Pour toi.Et elle slana, brandissant son pe, dont la lame tincela,

    tandis quelle plongeait dans le ventre de la montagne.Bouillant de frustration, Eragon saccroupit prs de la

    dpouille du chef des Vardens et laissa son regard errer sur les cadavres. Il narrivait pas raliser quAjihad tait mort, que Murtagh avait disparu. Murtagh ! Le fils de lun des Parjures ces treize Dragonniers flons qui avaient aid Galbatorix dtruire leur confrrie et se sacrer lui-mme roi et lami du jeune Dragonnier. Un temps, Eragon avait dsir le dpart du jeune homme, mais maintenant quil lui tait si durement enlev, cette perte lui causait une terrible sensation de vide. Lorsque Orik le rejoignit avec les hommes, il ne ragit pas.

    En dcouvrant Ajihad, le nain frappa du pied, jura dans sa langue et planta sa hache dans le corps dun Urgal. Les autres

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    staient figs, choqus. Le nain fit rouler une poigne de terre entre ses paumes calleuses et gronda :

    Barzln ! Maldiction ! Nous avons mis le pied sur un nid de frelons ! Les Vardens ne connatront plus la paix, dsormais. tais-tu l pour entendre ses derniers mots ?

    Eragon changea un coup dil avec Saphira avant de rpondre :

    Jattendrai, pour les rpter, dtre en prsence de ceux qui ils sont destins.

    Et o est Arya ?Le Dragonnier dsigna le tunnel.Orik jura de nouveau, secoua la tte et saccroupit sur ses

    talons.Jrmundur arriva bientt, menant douze ranges de six

    soldats. Il leur fit signe dattendre la lisire du champ de bataille tandis quil sapprochait dAjihad. Sagenouillant, il posa la main sur lpaule de son chef :

    Pourquoi le destin se montre-t-il si cruel, mon vieil ami ?Je serais revenu plus tt, si ce maudit cratre ntait pas aussi vaste, et tu aurais pu tre sauv. Au lieu de a, nous voil abattus au fate mme de notre triomphe.

    Eragon lui apprit la disparition de Murtagh et des Jumeaux, et lui parla dArya. Jrmundur se raidit :

    Elle naurait pas d Mais nous ne pouvons rien faire pour elle maintenant. Nous allons poster des gardes ici ; il nous faudra bien une heure pour trouver des guides nains et organiser une expdition dans les tunnels.

    Orik se proposa aussitt : Je suis prt la conduire.Jrmundur tourna vers Tronjheim, au loin, un regard

    songeur : Non. Hrothgar, ton roi, aura besoin de toi. Quelquun

    dautre sen chargera. Dsol, Eragon, mais toutes les personnes importantes resteront dans la cit jusqu ce que le successeur dAjihad soit dsign. Arya devra se dbrouiller seule. De toute faon, nous naurions aucune chance de la rattraper.

    Dun signe de tte, Eragon accepta linluctable.Jrmundur balaya lassemble des yeux et dclara, de sorte

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    que tous pussent entendre : Ajihad est mort en guerrier. Voyez ! Il a massacr cinq

    Urgals, quand un seul de ces monstres aurait pu venir bout du plus vaillant dentre nous. Nous lui rendrons les honneurs comme il se doit, et prierons pour que son me soit agre des dieux. Portez-le sur vos boucliers, ainsi que nos compagnons morts, jusqu la cit, et nayez pas honte de vos larmes, car ce jour est un jour de deuil dont, tous, nous garderons la mmoire. Que bientt les monstres qui ont tu notre chef connaissent la morsure de nos pes !

    Dun mme mouvement, les soldats sagenouillrent et inclinrent la tte, en hommage Ajihad. Puis quatre dentre eux vinrent le soulever avec respect, allong sur leurs boucliers, quils posrent sur leurs paules. Beaucoup de Vardens pleuraient, et leurs larmes roulaient dans leurs barbes.

    Eragon et Saphira se joignirent au cortge, qui sbranla, marchant dun pas solennel vers la cit de Tronjheim.

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    2LE CONSEIL DES ANCIENS

    Eragon se fora sortir du sommeil, et roula vers le bord du lit. La faible lumire dune lanterne volets clairait vaguement la chambre. Il sassit et regarda Saphira dormir. Les flancs de la dragonne se dilataient et se rtractaient au rythme des normes soufflets de ses poumons, tandis que lair sifflait entre ses narines cailleuses. Le Dragonnier pensa la fournaise que sa gueule pouvait dsormais vomir volont. Que des flammes assez brlantes pour fondre le mtal puissent passer ainsi sur sa langue et sur ses dents divoire sans leur causer le moindre mal tait quelque chose de stupfiant ! Depuis quelle avait crach son premier jet de feu en plongeant du sommet de Tronjheim, pendant le combat contre Durza, Saphira se montrait fire de son nouveau talent au point den tre insupportable. Elle lchait des flammches tout bout de champ, et ne ratait jamais une occasion de porter un objet incandescence.

    Depuis la destruction de Isidar Mithrim, Eragon et Saphira avaient d quitter la maison des dragons, situe au-dessus de ltoile de saphir. Les nains les avaient logs dans un ancien corps de garde, dans les sous-sols de la cit. La salle tait vaste, mais sombre et basse de plafond.

    Au souvenir des vnements de la veille, langoisse saisit Eragon. Les larmes montrent, dbordantes. Il en recueillit une dans le creux de sa main. Arya navait donn aucun signe de vie durant les dernires heures de la soire, jusquau moment o elle avait enfin merg du tunnel, puise, les pieds douloureux. Lelfe avait mis dans cette poursuite toute son nergie et toute sa magie en vain : les Urgals lui avaient chapp. Jai ramass ceci , avait-elle dit en montrant la robe pourpre de

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    lun des Jumeaux, dchire et tache de sang, ainsi que la tunique de Murtagh et ses deux gantelets de cuir. Ils taient abandonns au bord dun gouffre noir, au fond duquel ne menait aucune galerie. Je suppose que les Urgals se sont empars de leurs armures et de leurs armes, et ont jet leurs corps dans labme. Jai examin les alentours ; je nai vu que les ombres peuplant les abysses. Elle avait plant son regard dans celui du Dragonnier : Je suis dsole ; jignore ce quils sont devenus.

    prsent, dans les confins de son esprit, Eragon pleurait Murtagh. Il prouvait une affreuse sensation de perte, une impression dhorreur sans nom, dautant plus insupportables que ces sentiments lui taient devenus familiers au cours des mois couls.

    Il regarda la larme dans sa paume, minuscule dme scintillant, et dcida de chercher lui-mme les trois hommes. Ctait une qute dsespre et probablement vaine, il le savait. Mais il devait la mener pour se convaincre de la disparition de Murtagh, quoiquil ne ft pas certain de vouloir russir l o Arya avait chou, ni de souhaiter dcouvrir son ami gisant, lchine brise, au bas dune des falaises de Farthen Dr.

    Draumr kopa, murmura-t-il.La larme sobscurcit, devint une petite tache de nuit sur la

    marque argente de sa paume. Un frmissement la traversa, tel le coup daile dun oiseau devant une lune voile par les nuages. Puis plus rien.

    Eragon inspira profondment, sappuya contre le mur et laissa le calme lenvahir. Depuis que la blessure inflige par Durza avait guri, il avait reconnu aussi humiliant que cela ft que seule la chance lui avait permis de lemporter.

    Si jamais je dois affronter un autre Ombre ou un Razac, ou Galbatorix en personne, il me faudra tre plus fort pour esprer tre vainqueur. Brom aurait pu menseigner encore bien des choses, je le sais. Sans lui, il ne me reste quun seul recours : les elfes.

    La respiration de Saphira sacclra. Elle ouvrit les yeux et billa largement.

    Bonjour, petit homme.

  • 21

    Le garon baissa la tte, enfonant ses poings dans le matelas.

    Cest terrible Murtagh, Ajihad Pourquoi aucune sentinelle, dans les tunnels, na-t-elle signal lapproche des Urgals ? Ces monstres nont pu suivre le chef des Vardens et ses hommes la trace sans tre remarqus. Arya a raison, a na pas de sens

    Nous ne connatrons sans doute jamais la vrit , dit doucement la dragonne.

    Elle se leva, et ses ailes balayrent le plafond : Tu as besoin de manger. Aprs quoi, nous tcherons de

    dcouvrir les projets des Vardens. Il ny a pas de temps perdre ; un nouveau chef pourrait tre dsign dans les prochaines heures.

    Eragon acquiesa, se rappelant les faits et gestes de chacun, la veille : Orik courant annoncer les nouvelles au roi Hrothgar ; Jrmundur faisant porter le corps dAjihad dans un lieu o il reposerait jusquaux funrailles ; et Arya, debout lcart, qui observait les alles et venues.

    Eragon se leva, ceignit Zarroc, son pe, et passa un arc son paule. Puis il se baissa et souleva la selle de Saphira. Lclair de douleur qui lui dchira lchine le jeta au sol. Il se contorsionna, essayant de tter son dos. Ctait comme dtre sci en deux ! Saphira grogna quand lhorrible sensation latteignit. Elle tenta de soulager le garon par la force de son esprit, mais ne russit pas calmer sa souffrance.

    Impuissante, elle battit lair de sa queue.Il fallut plusieurs minutes pour que la crise passe et que les

    derniers lancements sapaisent, laissant Eragon pantelant, la peau moite, les cheveux colls par la sueur et les yeux brlants. Il tordit le bras et passa avec prcaution un doigt sur sa cicatrice. Elle tait chaude, enfle et sensible au toucher. Saphira appuya le nez sur son paule :

    Oh, petit homme Ctait pire, cette fois , dit-il en se relevant pniblement.Il sappuya contre le flanc de la dragonne, essuya son front

    tremp, puis fit quelques pas vers la porte. Es-tu assez fort pour sortir ?

  • 22

    Il le faut. En tant que dragon et Dragonnier, nous devons prendre publiquement position quant la nomination du prochain chef des Vardens, et, qui sait, influer mme sur ce choix. Je dois tenir compte de notre statut ; nous exerons dsormais une grande autorit, ici. Au moins, les Jumeaux ne sont plus l pour tirer les choses leur profit. Cest le seul point positif dans la situation o nous sommes.

    Certes. Mais Durza mriterait dendurer mille morts pour ce quil ta fait.

    Eragon grommela : Contente-toi de rester prs de moi. Marchant lun ct de lautre, ils se mirent la recherche

    de la cuisine la plus proche. Dans les halls et les corridors de Tronjheim, tous ceux quils croisaient sarrtaient et sinclinaient en murmurant :

    Argetlam !Ou bien : Tueur dOmbre !Les nains eux-mmes du moins quelques-uns faisaient

    un signe de tte. Eragon fut frapp par les mines sombres, lexpression gare des humains, et par les tenues de deuil tmoignant de leur affliction. Beaucoup de femmes staient vtues de noir, et des voiles de dentelle couvraient leur visage.

    Ayant trouv une cuisine, Eragon dposa sur une table basse un plat charg de nourriture. Saphira, qui craignait une nouvelle attaque de son mal, ne le quittait pas des yeux. Plusieurs personnes voulurent sapprocher du garon, mais la dragonne retroussa la lvre et mit un grondement qui les fit dtaler aussitt. Eragon fit mine dignorer cette agitation et se mit manger. Finalement, sefforant dloigner ses penses de Murtagh, il demanda :

    Qui crois-tu susceptible de prendre le contrle des Vardens, maintenant quAjihad et les Jumeaux ne sont plus l ?

    Saphira hsita : Toi, peut-tre, si les dernires paroles dAjihad sont

    interprtes comme une bndiction pour tassurer lautorit. Personne, pratiquement, ne pourrait sy opposer. Toutefois, ce

  • 23

    ne serait pas la voie de la sagesse. mon avis, cela ne nous attirerait que des ennuis.

    Je suis daccord. Dailleurs, Arya napprouverait pas, et elle serait une ennemie redoutable. Les elfes ne mentent jamais, en ancien langage, mais ils nont pas ce scrupule quand ils emploient le ntre. Elle serait capable de prtendre quAjihad na jamais prononc ces mots, si cela servait ses desseins. Non, je ne veux pas de cette position Et Jrmundur ?

    Ajihad lappelait son bras droit. Malheureusement, nous ne savons pas grand-chose de lui, ni des autres chefs Vardens. Nous ne sommes pas ici depuis assez longtemps pour connatre lhistoire de ce peuple. Nous devrons fonder notre jugement sur nos intuitions et nos impressions.

    Eragon mlangeait son poisson une pure de tubercules. Noublie pas Hrothgar et les clans des nains ; ils vont se

    mler laffaire. Arya excepte, les elfes nont pas voix au chapitre ; une dcision aura t prise avant quils aient vent de tout cela. Mais les nains naccepteront pas dtre tenus lcart. Hrothgar est en faveur des Vardens ; toutefois, si plusieurs clans sopposent lui, il sera sans doute oblig de soutenir un candidat inapte ce poste.

    Qui cela pourrait-il tre ? Quelquun daisment manipulable. Le garon ferma les yeux et sadossa son sige : Ce pourrait tre nimporte qui, Farthen Dr, absolument

    nimporte qui Tous deux considrrent un long moment les diffrentes

    alternatives. Puis Saphir a reprit : Eragon, quelquun est l, qui dsire te voir. Je nai pas

    russi le faire fuir. Hein ? Eragon battit des paupires. Un adolescent la peau claire se

    tenait prs de la table. Il regardait Saphira comme sil sattendait tre mang tout cru.

    Que veux-tu ? demanda Eragon sans brusquerie.Le garon sursauta, sempourpra, puis sinclina : Vous tes convoqu, Argetlam, pour vous entretenir avec

    le Conseil des Anciens.

  • 24

    De qui sagit-il ?La question acheva de perturber le jeune messager : Le le Conseil est Ce sont des gens Des Vardens, en

    fait, choisis pour tre nos porte-parole auprs dAjihad. Ils taient ses fidles conseillers. Aujourdhui, ils souhaitent votre prsence.

    Esquissant un sourire, il ajouta : Cest un grand honneur. Est-ce toi qui dois me conduire eux ? Oui, cest moi.Saphira lana Eragon un regard interrogateur ; il lui

    rpondit dun haussement dpaules. Abandonnant son repas peine entam, il fit signe au garon de lui montrer le chemin.

    Son guide jeta un il admiratif sur Zarroc, puis baissa timidement la tte.

    Comment tappelle-t-on ? demanda Eragon. Jarsha, monsieur. Cest un beau nom. Et tu tes fort bien acquitt de ta tche.Jarsha rougit de fiert et slana dans un corridor.Ils atteignirent bientt une porte de pierre de forme convexe.

    Jarsha la poussa.La porte ouvrait sur une salle circulaire, dont le dme

    reprsentait un ciel bleu sur lequel se dployaient des constellations. Une lourde table de marbre, ronde elle aussi, o tait grav un marteau entour de douze toiles les armoiries du Drgrimst Ingeitum, le clan des Forgerons en occupait le centre. Autour taient assis Jrmundur et deux autres hommes, un grand et un ventru ; une femme aux lvres pinces, les paupires mi-closes, les joues savamment maquilles ; et une deuxime femme dont le visage de matrone tait surmont dun chafaudage de cheveux gris. Son aspect dbonnaire se trouvait dmenti par le manche dun poignard mergeant entre les deux collines de son norme poitrine.

    Tu peux te retirer ! dit Jrmundur Jarsha, qui fit une courbette et sortit en hte.

    Conscient que tous les yeux taient fixs sur lui, Eragon examina la pice et alla sasseoir au milieu dune grappe de chaises vides, de sorte que les membres du Conseil furent

  • 25

    obligs de pivoter sur leurs siges pour le regarder. Saphira vint saccroupir derrire lui, et il sentit la chaleur de son souffle sur son crne.

    Jrmundur se souleva demi pour saluer le Dragonnier dun signe de tte, puis se rassit :

    Merci dtre venu, Eragon, bien que tu aies toi-mme subi une grande perte ! Voici Umrth (ctait le grand), Falberd (le ventru), Sabrae et Elessari (les deux femmes).

    Le Dragonnier sinclina, puis demanda : Et les Jumeaux ? taient-ils membres du Conseil ?Sabrae tapota schement la table du bout de longle : Les Jumeaux ? Des limaces gluantes ! De vraies sangsues,

    uniquement soucieuses de leur propre intrt ! Ils navaient aucun dsir de servir les Vardens. De ce fait, ils navaient pas leur place dans notre assemble.

    Depuis lautre ct de la table, Eragon sentait son parfum, lourd et gras comme celui dune fleur putrfie. cette pense, il dissimula un sourire.

    Assez ! intervint Jrmundur. Nous ne sommes pas ici pour parler des Jumeaux. Nous affrontons une crise qui doit tre rgle avec autant de rapidit que defficacit. Si nous ne dsignons pas le successeur dAjihad, dautres sen chargeront. Hrothgar nous a dj contacts pour nous offrir ses condolances. Bien quil se soit montr des plus courtois, il forme certainement des plans personnels lheure o nous parlons. Il faut aussi compter avec le Du Vrangr Gata, le Cercle des magiciens. La plupart sont loyaux envers les Vardens, mais il est difficile de prvoir leurs ractions, mme dans les priodes de tranquillit. Ils seraient capables de sopposer notre autorit pour prendre lavantage. Cest pourquoi nous requrons ton assistance, Eragon ; nous avons besoin de toi pour assurer la lgitimit de celui, quel quil soit, qui est destin remplacer Ajihad.

    Falberd se souleva de son sige, appuyant sur la table ses mains paisses :

    Les cinq membres de ce Conseil ont dj arrt leur choix. Aucun de nous ne doute que ce soit la bonne personne. Mais

    Il leva un doigt boudin :

  • 26

    Avant de te rvler de qui il sagit, tu dois nous donner ta parole dhonneur, que tu approuves ou non notre dcision, de ne rien bruiter de cette discussion aprs avoir quitt cette pice.

    Pourquoi cette exigence ? sinquita Eragon. Je ne sais pas, grogna Saphira. a cache peut-tre un

    pige Mais cest un risque courir. Note bien quils ne me demandent pas de promesse, moi. Je pourrai toujours mettre Arya au courant, si besoin est. Tant pis pour eux sils oublient que jai autant dintelligence quun humain !

    Rassrn par cette ide, Eragon rpondit : Trs bien, vous avez ma parole. Qui voulez-vous nommer

    comme chef des Vardens ? Nasuada.Eragon baissa les yeux pour cacher sa surprise, rflchissant

    toute vitesse. Il navait pas song Nasuada, cause de sa jeunesse elle navait que quelques annes de plus que lui. Certes, il ny avait aucun motif de la refuser comme chef ; mais pourquoi le Conseil des Anciens lavait-il choisie ? Quel bnfice en attendaient-ils ? Se souvenant des conseils de Brom, il tcha dexaminer laffaire sous tous ses angles, conscient quil devait prendre une prompte dcision.

    Nasuada a des nerfs dacier, lui fit observer Saphira. Elle deviendra comme son pre.

    Peut-tre. Je minterroge pourtant sur leurs raisons Pour gagner du temps, Eragon demanda : Pourquoi pas vous, Jrmundur ? Ajihad vous dsignait

    comme son bras droit. Ne devriez-vous pas prendre sa place, maintenant quil nest plus l ?

    Un malaise perceptible parcourut le Conseil. Sabrae se raidit, mains crispes devant elle ; Umrth et Falberd se jetrent des regards noirs ; Elessari se contenta de sourire, tandis que le manche du poignard se soulevait en mme temps que ses normes seins.

    Jrmundur choisit ses mots avec soin : Parce quAjihad parlait en chef militaire, rien de plus. En

    outre, jappartiens ce Conseil, dont le pouvoir dpend de la cohsion de ses membres. Il serait aussi fou que dangereux que

  • 27

    lun de nous prtendt slever au-dessus des autres.Tous se dtendirent, et Elessari posa une main approbatrice

    sur le bras de Jrmundur. Ah ! sexclama Saphira. Il aurait srement pris le pouvoir

    sil avait pu obliger ses pairs le soutenir. Vois comme ils lobservent ! Il est comme un loup au milieu des loups.

    Un loup dans une meute de chacals, plutt Nasuada a-t-elle assez dexprience ? senquit Eragon.Elessari se pencha vers lui, sappuyant contre le bord de la

    table : Jtais l depuis sept ans quand Ajihad a rejoint les

    Vardens. Jai vu Nasuada grandir, et la fillette se transformer en jeune femme, un peu tourdie, parfois, mais digne dtre la tte des Vardens. Le peuple laimera. Mes amis et moi-mme, ajouta-t-elle en se tapotant benotement la poitrine, serons l pour laider traverser ces temps troubls. Elle aura toujours quelquun ses cts pour lui montrer le chemin. De ce fait, son inexprience ne sera pas un handicap.

    Eragon comprit soudain : Ils veulent une marionnette ! Les funrailles dAjihad seront clbres dans deux jours,

    intervint Umrth. Nous prvoyons dintroniser Nasuada aussitt aprs. Nous devons dabord obtenir son accord, mais elle acceptera srement. Nous souhaitons ta prsence cette crmonie personne, pas mme Hrothgar, ne pourra sy opposer afin que tu prtes serment dallgeance aux Vardens. Cela restaurera la confiance du peuple, branle par la mort dAjihad, et empchera quiconque de mettre en pril notre organisation.

    Allgeance ! Lesprit de Saphira rencontra celui du Dragonnier : Tu as remarqu ? Ils ne te demandent pas de jurer fidlit

    Nasuada, seulement aux Vardens. Oui. Et ils se rservent le droit de convoquer Nasuada ; ce

    qui laisse entendre que le Conseil est plus puissant quelle. Ils auraient pu nous en charger, nous ou Arya. Cest donc que cet acte met ceux qui sen acquittent au-dessus de tous les Vardens. De cette faon, ils affirment leur supriorit sur Nasuada, nous

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    contrlent par le biais de lallgeance, et soffrent le soutien officiel dun Dragonnier.

    Que se passerait-il, voulut savoir Eragon, si je dcidais de ne pas accepter votre offre ?

    Notre offre ? rpta Falberd, confus. Eh bien rien, rien du tout Sinon que ton absence en un tel moment serait extrmement offensante. Que pensera Nasuada si le hros de la bataille de Farthen Dr se dsintresse de sa nomination ? Elle comprendra quil la mprise, et quil considre les Vardens comme indignes de sa fidlit ! Qui supporterait une telle honte ?

    Le message ne pouvait tre plus clair. Les doigts dEragon se crisprent sur le pommeau de son pe. Il eut envie de hurler quil ntait pas ncessaire de lobliger soutenir les Vardens, quil laurait fait, de toute faon. Par instinct, cependant, il sinsurgea, secouant les chanes dont on cherchait lentraver :

    Puisque vous tenez les Dragonniers en si haute estime, jemploierais sans doute mieux mes efforts en dirigeant moi-mme les Vardens.

    Autour de la table, la tension remonta dun cran. Ce ne serait pas judicieux, lcha Sabrae.Eragon se creusa la cervelle pour trouver un moyen de sen

    sortir. Sans Ajihad, lui souffla Saphira, il nous sera peut-tre

    impossible de garder notre indpendance face aux diffrents groupes, comme il le souhaitait. Nous ne pouvons irriter les Vardens et, si le Conseil a lintention de les contrler ds que Nasuada sera intronise, nous devons mme les apaiser. Dans cette affaire, ils cherchent autant que nous se protger, ne loublie pas !

    Mais quexigeront-ils partir du moment o nous serons entre leurs mains ? Respecteront-ils le pacte des Vardens avec les elfes ? Nous enverront-ils terminer notre formation Ellesmra, ou nous imposeront-ils autre chose ? Jrmundur me semble tre un homme dhonneur, mais quen est-il des autres ?Je ne saurais le dire

    Saphira effleura du museau le sommet de sa tte : Accepte dassister la crmonie avec Nasuada ; cela, au

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    moins, nous devons le faire. Quant au serment dallgeance, vois sil y a moyen de lviter. Il peut fort bien se passer quelque chose, dici l, qui modifiera notre situation Arya aura peut-tre une solution.

    Sans transition, Eragon hocha la tte et dclara : Comme vous voudrez ! Et je serai prsent lentretien

    avec Nasuada.Jrmundur parut soulag : Bien, bien. Il ne nous manque donc plus que lassentiment

    de lintresse. Puisque nous sommes rassembls, inutile de perdre du temps. Je vais lenvoyer chercher immdiatement, ainsi quArya. Nous ne rendrons pas notre dcision publique sans laccord de lelfe. Ce ne devrait pas tre difficile de lobtenir ; Arya ne sopposera ni au Conseil ni toi, Eragon. Elle acceptera notre dcision.

    Elessari lana Eragon un regard acr ; Ta parole, Dragonnier ! Feras-tu serment dallgeance la

    crmonie ? Il le faut, insista Falberd. Sinon, nous ne serions pas en

    mesure dassurer ta protection ; les Vardens en seraient dshonors.

    Cest une faon de voir les choses a vaut le coup dessayer, souffla Saphira. Je crains que tu

    naies plus le choix, maintenant. Ils noseraient pas nous nuire si je refusais. Non, mais ils nous empoisonneraient la vie. Ce nest pas

    pour ma propre scurit que je te conseille daccepter, mais pour la tienne. Il y a bien des dangers dont je ne saurai te garder, Eragon. Avec Galbatorix dress contre toi, il te faut tentourer dallis, non dennemis. Nous ne pouvons nous permettre daffronter la fois lEmpire et les Vardens.

    Je le ferai, dclara enfin Eragon.Lassemble se dcontracta visiblement ; Umrth poussa

    mme un lger soupir de soulagement. Ils ont peur de nous ! Avec raison , railla Saphira.Jrmundur fit appeler Jarsha et lenvoya la recherche de

    Nasuada et dArya. Aprs son dpart, un silence gn tomba sur

  • 30

    lassemble. Eragon ignora la prsence du Conseil, uniquement proccup du moyen de rsoudre son dilemme. Rien ne lui vint lesprit.

    Tous se tournrent vers la porte, impatients, lorsque celle-ci souvrit de nouveau. Nasuada entra la premire, le menton lev et le regard ferme. Sa robe brode tait dun noir profond, plus sombre encore que sa peau, seulement orne dun trait de pourpre qui courait de lpaule la hanche. Arya la suivait de sa souple et silencieuse dmarche de chat ; puis venait Jarsha, empli dun respect craintif.

    Jrmundur congdia le gamin et avana un sige Nasuada. Eragon sempressa de faire de mme pour Arya, mais elle ddaigna la chaise quon lui offrait et resta debout quelques pas de la table.

    Saphira, souffla le Dragonnier, mets-la au courant de la situation ! Jai limpression que le Conseil se gardera bien de lui dire comment il ma contraint de me soumettre aux Vardens.

    Arya ! salua Jrmundur avec un signe de tte.Puis il porta son attention sur Nasuada : Nasuada, fille dAjihad, le Conseil des Anciens souhaite

    tadresser officiellement ses vives condolances pour la perte qui tatteint plus cruellement que nimporte qui, et

    Il baissa la voix pour ajouter : et tassurer en priv de toute sa sympathie. Nous savons

    tous ce quest la douleur de perdre un membre de sa famille, tu par lEmpire.

    Merci, murmura la jeune fille, fermant demi ses paupires en amande.

    Elle sassit, timide et rserve, avec un tel air de vulnrabilit quEragon ressentit le dsir de la rconforter. Quelle diffrence avec lnergique jeune femme qui tait venue leur rendre visite avant la bataille, quand il tait, avec Saphira, dans la maison des dragons !

    Bien que tu sois en grand deuil, il y a un dilemme que tu dois rsoudre. Ce Conseil ne peut diriger les Vardens. Et quelquun doit remplacer ton pre aprs les funrailles. Nous te demandons daccepter sa charge. En tant que son hritire, elle te revient de droit. Voil ce que les Vardens attendent de toi.

  • 31

    Nasuada inclina la tte, les yeux brillants. La douleur fit vibrer sa voix lorsquelle rpondit :

    Je navais jamais pens que je serais appele si jeune prendre la succession de mon pre. Cependant, si vous massurez que tel est mon devoir, je macquitterai de cette tche.

  • 32

    3PAROLES DE VRIT

    Les visages des Anciens silluminrent : le Conseil triomphait ! Nasuada se pliait leur volont.

    Nous te lassurons, confirma Jrmundur. Tel est ton devoir, pour ton bien et pour celui des Vardens.

    Les autres Anciens renchrirent, et Nasuada les remercia dun sourire mlancolique. Eragon restant impassible, Sabrae lui jeta un regard noir.

    Tout au long de ces changes, le Dragonnier guetta une raction dArya. Mais rien naltrait limpassibilit de ses traits. Saphira lui glissa toutefois :

    Elle souhaite nous parler tout lheure. Avant quEragon et pu rpondre, Falberd se tourna vers

    Arya : Les elfes donneront-ils leur accord ?Elle darda sur lui son il perant jusqu ce quil perdt

    contenance, puis leva un sourcil : Je ne peux parler pour ma souveraine, mais je ne vois rien

    objecter. Nasuada a ma bndiction. Que pourrait-elle dire dautre, aprs ce que Saphira lui a

    expliqu ? pensa Eragon avec amertume. On est tous le dos au mur.

    De toute vidence, la rponse dArya plut au Conseil. Nasuada la remercia et demanda :

    Devons-nous discuter dautre chose ? Car je suis lasse.Jrmundur secoua la tte : Nous nous occuperons des prparatifs. Je te promets

    quon ne te drangera plus jusquaux funrailles. Encore une fois, je vous remercie. Voudriez-vous me

  • 33

    laisser, maintenant ? Jai besoin de temps pour dterminer la meilleure faon dhonorer mon pre et de servir les Vardens. Vous mavez donn matire rflexion.

    Nasuada passa ses doigts dlicats sur le sombre tissu recouvrant ses genoux.

    Elle renvoyait le Conseil ! Umrth parut sur le point de protester, mais Falberd len dissuada dun geste de la main :

    Bien entendu ! Nous ferons tout pour garantir ta srnit. Si tu as besoin daide, nous sommes l, dsireux de te servir.

    Faisant signe aux autres de le suivre, il se dirigea vers la porte, frlant Arya au passage.

    Eragon, veux-tu rester, je te prie ?Surpris, le garon se rassit sur son sige, sans se soucier des

    mines alarmes des conseillers. Falberd sattarda sur le seuil, puis finit par sortir contrecur. Arya sen alla la dernire. Avant de refermer la porte, elle lana Eragon un regard charg de toute linquitude quelle avait dissimule jusqualors.

    Nasuada tait assise de sorte quelle tournait partiellement le dos Eragon et Saphira :

    Ainsi, nous nous retrouvons, Dragonnier. Tu nas pas manifest ton accord. Taurais-je offens ?

    Non, Nasuada ; jai prfr garder le silence de peur de paratre grossier ou imprudent. Les circonstances actuelles nesont pas propices aux dcisions htives.

    Une crainte paranoaque dtre espionn venait de le saisir. Senfonant dans les profondeurs de son esprit, il veilla sa magie et psalmodia :

    Atra nosu wase vardo fra eld hrnya Dsormais, ici, nous pouvons parler sans risque dtre couts par une oreille humaine, naine ou elfique.

    Nasuada perdit de sa raideur : Merci, Eragon ! Me voil plus tranquille.Elle sexprimait avec une assurance retrouve.Derrire Eragon, Saphira sagita, puis elle contourna la table

    avec prcaution et vint se placer face la jeune fille. Elle abaissa sa belle tte jusqu ce que son il bleu plonget dans la prunelle noire de Nasuada. La dragonne la fixa une longue minute avant de se redresser en reniflant doucement.

  • 34

    Dis-lui que je compatis son chagrin. Dis-lui aussi que la force qui est en elle doit devenir celle des Vardens, quand elle prendra sur ses paules le manteau dAjihad. Ils auront besoin dun guide sr.

    Eragon transmit le message et ajouta : Ajihad tait un grand homme. On fera mmoire de son

    nom jamais prsent, jai quelque chose te rvler. Avant dexpirer, Ajihad ma charg, ma command, dempcher les Vardens de sombrer dans le chaos. Ce furent ses dernires paroles. Arya les a entendues, elle aussi. Je pensais les garder secrtes, cause de ce quelles impliquent, mais, toi, tu as le droit de savoir. Je ne suis pas sr davoir compris ce quAjihad voulait dire, ni ce quil dsirait exactement. Nanmoins, je suis certain de ceci : je dfendrai les Vardens en tout temps et de tout mon pouvoir. Je tenais ce que tu le comprennes, et que tu saches que je nai nul dsir dusurper le rle de chef des Vardens.

    Nasuada eut un petit rire cassant : Mais ce rle de chef nest pas pour moi, nest-ce pas ?Sa rserve avait disparu, rvlant son sang-froid et sa

    dtermination. Elle continua : Je sais pourquoi le Conseil ta convoqu avant moi, et ce

    quil tente de faire. Crois-tu que, durant ces annes o jassistais mon pre, nous navons jamais envisag ce cas de figure ? Le Conseil sest comport exactement comme je lavais prvu. Maintenant, les choses sont en place pour que je prenne le commandement.

    Et tu nas nulle intention de te laisser mener par le Conseil ! devina Eragon.

    Non. Garde secrtes les paroles dAjihad ! Il serait imprudent de les rvler, car les gens pourraient en dduire quil te dsignait comme son successeur. Mon autorit en serait affaiblie, et les Vardens seraient dstabiliss. Il a dit ce quil pensait devoir dire pour les protger. Jaurais fait de mme. Mon pre

    Sa voix se fla. Elle continua : Mon pre a entrepris une tche quil mappartient

    dachever, mme si elle risque de me conduire au tombeau.

  • 35

    Cest ce que je te demande de comprendre, en tant que Dragonnier. Tous les plans conus par Ajihad, ses stratgies, ses buts sont les miens dsormais. Je ne montrerai aucune faiblesse, ce serait le trahir. LEmpire doit tre abattu, Galbatorix doit tre dtrn, et un gouvernement juste doit tre constitu.

    Elle se tut, et une larme roula sur sa joue. Eragon la fixait, conscient de la difficult de sa position. Il dcouvrait en elle une force de caractre quil navait pas souponne auparavant.

    Et moi, Nasuada ? demanda-t-il. Quel sera mon rle auprs des Vardens ?

    Elle le regarda droit dans les yeux : Agis comme tu lentends. Les membres du Conseil sont

    stupides dimaginer quils pourront te contrler. Tu es un hros, pour les Vardens comme pour les nains, et les elfes eux-mmes salueront ta victoire sur Durza quand ils lapprendront. Si tu vas contre la volont du Conseil ou contre la mienne, nous serons forcs de cder, car le peuple te soutiendra dun seul cur. Actuellement, tu es le personnage le plus puissant de la cit. Cependant, si tu acceptes mon autorit, je continuerai sur la voie trace par Ajihad : tu iras avec Arya chez les elfes pour y terminer ta formation. Aprs quoi, tu reviendras chez les Vardens.

    Eragon sadressa silencieusement Saphira : Pourquoi est-elle si honnte avec nous ? Si elle a raison,

    naurions-nous pu refuser la demande du Conseil ? La rponse se fit attendre un moment : De toute faon, il est trop tard. Tu as dj satisfait leurs

    exigences. Je pense que Nasuada est honnte parce que ta magie lui permet de parler librement, et aussi parce quelle espre gagner notre loyaut en dpit des Anciens.

    Une ide frappa soudain Eragon, mais, avant den faire part la dragonne, il reprit :

    Crois-tu quelle tiendra sa promesse ? Cest trs important !

    Oui, rpondit Saphira. Elle a parl avec son cur. Le garon expliqua alors son projet. Elle lapprouva. Il tira

    donc Zarroc du fourreau et savana vers Nasuada. Il discerna

  • 36

    un clair de peur dans ses yeux. Elle jeta un bref regard vers la porte, et sa main se referma sur un objet dissimul dans les plis de sa robe. Eragon sarrta devant elle, puis sagenouilla, Zarroc pose plat sur ses paumes :

    Nasuada, Saphira et moi ne sommes ici que depuis peu. Mais cela nous a suffi pour apprendre respecter Ajihad, et te respecter ton tour. Tu as combattu sous Farthen Dr quand les autres femmes avaient fui, y compris celles qui sont membres du Conseil ; et tu nous as traits sans dfiance. Cest pourquoi je toffre mon pe et te fais allgeance en qualit de Dragonnier.

    Eragon avait prononc ce serment sur un ton irrvocable, conscient quil naurait jamais parl ainsi avant la bataille : avoir vu tomber et mourir tant dhommes autour de lui avait modifi son jugement. Dsormais, il ne rsisterait plus lEmpire des fins personnelles, mais pour les Vardens et tous les peuples crass sous la frule de Galbatorix. Il se consacrerait cette tche aussi longtemps quil le faudrait. prsent, la meilleure chose quil pt faire tait de se mettre au service des rebelles.

    Nanmoins, Saphira et lui prenaient un grand risque en se soumettant Nasuada. Le Conseil naurait rien objecter, car tout ce quEragon avait promis, ctait de jurer fidlit, sans prciser qui. Par ailleurs, rien ne garantissait que Nasuada serait un bon chef.

    Mieux vaut donner sa parole un ignorant honnte qu un flon rudit , dcida Eragon.

    Un frmissement de surprise passa sur le visage de la jeune fille. Elle referma la main sur le pommeau de Zarroc et lleva devant elle, examinant sa lame cramoisie. Puis elle posa la pointe de lpe sur la tte dEragon :

    Jaccepte ton serment et jen suis honore, Dragonnier, de mme que tu acceptes toutes les responsabilits quentrane ta dcision. Tu es dsormais mon vassal ; relve-toi et reprends ton arme !

    Eragon obit. Maintenant, dit-il, je peux te rvler ouvertement que le

    Conseil ma fait promettre de jurer fidlit aux Vardens ds ton intronisation. Ctait le seul moyen pour Saphira et moi de

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    donner le change.Nasuada clata dun rire ravi : Ah ! Je vois que vous avez dj appris jouer leur jeu. Fort

    bien ! En tant que mon premier et unique vassal, accepteras-tu de me faire de nouveau allgeance en public, quand le Conseil sattendra ce que tu te soumettes lui ?

    Bien sr. Parfait ! La question du Conseil est rgle. Maintenant,

    laisse-moi ! Jai de multiples dcisions prendre, et je dois me prparer pour les funrailles Souviens-toi, Eragon, le lien que nous venons de nouer nous attache lun et lautre. Si tu es tenu de me servir, je suis responsable de tes actes. Ne me dshonore pas !

    Ni toi !Nasuada se tut un instant, puis, plongeant son regard dans

    celui du Dragonnier, elle ajouta dune voix plus douce : Reois mes condolances, Eragon ! Je prends seulement

    conscience que dautres, autour de moi, ont aussi leurs chagrins. Jai perdu mon pre, et toi, tu as perdu un ami. Jaimais beaucoup Murtagh, et sa disparition mattriste. Au revoir, Eragon.

    Le garon la salua, un got amer dans la bouche, et quitta la pice avec Saphira.

    Le couloir aux murs gristres tait vide. Les mains sur les hanches, Eragon renversa la tte en arrire et souffla. La journe commenait peine, et il se sentait dj puis. Trop dmotions en mme temps.

    Saphira le poussa du bout du nez et dit : Par ici ! Sans sexpliquer davantage, elle prit un tunnel sur la droite.

    Ses griffes cliquetaient sur le sol dur.Eragon frona les sourcils, mais lui embota le pas. O allons-nous ? Pas de rponse. Saphira, sil te plat ! Elle se contenta de balayer lair de sa queue. Rsign

    attendre, Eragon reprit : Notre situation a bien chang. Je ne sais plus quoi esprer,

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    dun jour lautre, sinon afflictions et effusions de sang. Les choses ne vont pas si mal. Nous venons de remporter

    une grande victoire. Il faut se rjouir, non se lamenter , le gourmanda la dragonne.

    Si tu crois maider avec ce genre de rflexion Elle tourna son museau vers lui avec un grognement irrit.

    Une fine langue de flamme schappa de ses narines et roussit lpaule du garon. Il bondit en arrire en retenant un chapelet dinjures.

    Houps ! lcha Saphira, secouant la tte pour dissiper la fume.

    Quoi ? Tu as manqu de me rtir, et tout ce que tu sais dire, cest houps ! ?

    Je ne my attendais pas. Joublie que le feu jaillit spontanment si je ny prends pas garde. Imagine que la foudre frappe le sol chaque fois que tu lves un bras ! chaque moment dinattention, tu risquerais de dtruire quelque chose par inadvertance.

    Tu as raison Excuse-moi. Le clin dil quelle lui adressa fit cliqueter sa paupire

    cailleuse : Ce nest rien. Mais je voudrais insister sur un point :

    Nasuada elle-mme ne peut tobliger quoi que ce soit. Je lui ai donn ma parole de Dragonnier ! Soit ! Cependant, si pour te protger ou accomplir ce qui

    me parat juste je suis oblige dtre parjure, je nhsiterai pas. Je porterai sans peine le poids de cette faute. Que mon honneur soit engag par ta promesse cause du lien qui nous unit ne mte pas ma libert. Je te kidnapperai si ncessaire. Ainsi, nulle dsobissance ne saura ttre impute.

    On naura pas besoin den arriver l. Si nous en tions rduits de telles extrmits, cest que Nasuada et les Vardens auraient perdu toute intgrit.

    Saphira sarrta. Ils taient arrivs devant une arche sculpte : lentre de la bibliothque de Tronjheim. La vaste salle silencieuse semblait vide. Toutefois, les ranges dtagres dresses dos dos entre les colonnades pouvaient dissimuler nimporte qui. La douce lumire des lanternes coulait sur les

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    rouleaux de parchemins, illuminant les alcves destines la lecture rparties le long des murs.

    Louvoyant entre les rayonnages, Saphira mena Eragon vers lune des alcves. Arya y tait assise. Eragon prit le temps de lobserver. Jamais, ce quil lui sembla, il ne lavait vue aussi agite, bien que cela ne se manifestt que par une tension inhabituelle. Elle portait de nouveau la ceinture son pe au pommeau ornement, sur lequel une de ses mains tait referme.

    Eragon sassit en face delle, de lautre ct de la table de marbre. Saphira se plaa entre eux, de sorte que ni lun ni lautre ne pt chapper son regard.

    Quas-tu fait ? lui reprocha Arya avec une surprenante agressivit.

    Que veux-tu dire ?Elle redressa le menton : Quas-tu promis aux Vardens ? Quas-tu fait ? Les derniers mots lui parvinrent mentalement. Il saperut

    que lelfe tait sur le point de perdre le contrle de soi. Une onde de peur latteignit.

    Nous navons fait que ce quil fallait faire. Jignore tout des coutumes elfiques, et, si nos actes tont trouble, je te prie de me pardonner. Tu nas aucune raison dtre en colre.

    Espce de fou ! Tu ne sais rien de moi. Jai pass ici sept dcennies comme missaire de ma reine, dont quinze annes consacres porter luf de Saphira alternativement des Vardens aux elfes. Et pendant tout ce temps jai lutt pour assurer aux Vardens des chefs forts et sages, capables de rsister Galbatorix et de respecter nos vux. Brom ma aide faire lunanimit autour du nouveau Dragonnier toi, Eragon !Ajihad devait veiller ce que tu restes indpendant, afin que lquilibre du pouvoir ne soit pas boulevers. Et voil que je te dcouvre sigeant au Conseil des Anciens de ton plein gr ou pas pour contrler Nasuada ! Tu as ananti une vie de travail ! Oui, quas-tu fait ?

    Constern, Eragon renona toute arrogance. En phrases brves et claires, il expliqua pourquoi il stait soumis aux exigences des Anciens, et comment Saphira et lui-mme avaient

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    fait en sorte de saper leur autorit. Ah ! fit Arya quand il eut termin. Soixante-dix ans ! Bien quil connt lextraordinaire

    longvit des elfes, Eragon naurait jamais devin quArya pt tre aussi vieille, car elle avait lapparence dune fille de vingtans peine. Dans son visage dpourvu de rides, seul son regard dmeraude, profond, averti et souvent solennel, tmoignait de sa maturit.

    Sappuyant contre le dossier de son sige, Arya fixa le garon :

    Ta situation nest pas telle que je laurais souhaite, mais moins dramatique que je lai cru. Je me suis montre discourtoise. Saphira et toi avez fait preuve de discernement, je men rends compte. Ton compromis pourra tre accept par les elfes, bien que tu ne doives jamais oublier ta dette envers nous : sans nos efforts pour garder luf de Saphira, il ny aurait pas eu de Dragonnier.

    Cette dette est inscrite dans mon sang et dans ma paume, dclara Eragon.

    Pendant le silence qui suivit, il se prpara aborder un autre sujet, dsireux de prolonger cette conversation et den apprendre peut-tre un peu plus sur Arya.

    Tu es loin de chez toi depuis bien longtemps. Ellesmra ne te manque pas ? Ou peut-tre vis-tu ailleurs ?

    Ellesmra tait et sera toujours ma patrie, rpondit-elle, le regard perdu. Je nai pas vcu dans la maison des miens depuis que je lai quitte pour les Vardens, au temps o un rideau de fleurs printanires drapait nos murs et nos fentres. Je ny suis retourne que pour de brves priodes, poussires de mmoire vite disperses dans notre mesure du temps.

    Une fois encore, il fut frapp par son odeur dpines de pin. Ctait un parfum dlicat, pic, qui exaltait tous ses sens et rafrachissait son esprit.

    Cela doit tre dur de vivre parmi ces nains et ces humains, sans personne de ton peuple.

    Elle rpliqua, moqueuse : Tu parles des humains comme si tu nen tais pas un ! Peut-tre

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    Il hsita. Peut-tre suis-je quelque chose dautre, un mlange de

    deux races. Saphira vit en moi comme je vis en elle. Nous partageons nos sensations, nos sentiments, nos penses, au point de ntre quun seul esprit.

    Saphira approuva, hochant la tte avec tant de conviction que son museau heurta presque la table.

    Cela devait tre ainsi, dit Arya. Vous tes lis par un pacte plus ancien et plus puissant que tu ne limagines. Tu comprendras pleinement ce quest un Dragonnier lorsque tu auras achev ta formation. Mais il faut dabord que les funrailles soient clbres. En attendant, puissent les toiles veiller sur toi !

    Sur ses mots, elle se leva et disparut dans les profondeurs obscures de la bibliothque.

    Eragon battit des paupires : Je me fais des ides, ou bien tout le monde est bout de

    nerfs, aujourdhui ? Arya elle-mme Elle fulmine contre moi, et, linstant daprs, elle me donne sa bndiction !

    Personne ne retrouvera la srnit tant que les choses ne seront pas redevenues normales.

    Quest-ce que tu entends par normales ?

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    4RORAN

    Roran gravissait pniblement la colline.Il plissa les yeux pour estimer la position du soleil travers

    les mches tombant de sa chevelure hirsute. Plus que cinq heures avant le crpuscule. Je ne pourrai pas

    rester longtemps Il soupira et reprit son chemin entre les ormes, dont les

    troncs mergeaient de lherbe haute.Ctait sa premire visite la ferme depuis que lui-mme,

    Horst le forgeron et six autres hommes de Carvahall taient venus rcuprer le peu qui avait pu tre sauv dans le logis dtruit et la grange brle. Cinq mois staient couls avant quil trouve le courage de retourner sur les lieux.

    Au sommet de la colline, Roran sarrta et croisa les bras. Devant lui gisaient les ruines de la maison o il avait grandi. Seul un angle noirci et branlant tenait encore debout ; la vgtation et les herbes folles recouvraient dj les murs crouls. Il ne restait rien de la grange. Les quelques arpents de terre, quils avaient cultivs pendant tant dannes, taient maintenant envahis de pissenlits, de moutardiers sauvages et de gramines. Ici et l, de rares plants de betteraves ou de navets avaient rsist, rien dautre. Derrire la ferme, une paisse ceinture darbres tendait son ombre sur la rivire Anora.

    Roran serra les poings, et ses mchoires se crisprent tandis quil refoulait sa rage et sa douleur. Il demeura sur place de longues minutes, comme enracin, frmissant sous lafflux des souvenirs heureux. Cet endroit, ctait toute sa vie, et plus encore. Ctait son pass et son futur. Son pre, Garrow, avait un jour dclar : La terre est unique. Prends soin delle, et elle

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    prendra soin de toi. Il y a bien peu de choses dont on puisse dire a. Roran tait dcid suivre ce conseil, jusquau jour o son univers avait bascul.

    Il sarracha sa contemplation et redescendit vers la route. Tout ce quil aimait lui avait t arrach en un instant. Jamais il ne se remettrait dun tel bouleversement. Sa faon dtre en avait t profondment altre, ses perspectives davenir ananties.

    Cela lavait oblig aussi rflchir plus quil lavait jamais fait. Il lui semblait que des bandelettes enserrant jusqualors son cerveau avaient soudain craqu, librant des raisonnements qui lui auraient paru inimaginables autrefois. Il avait dcouvert, par exemple, quil ne redeviendrait peut-tre jamais fermier ou que la notion de justice tant clbre par les chansons et les lgendes navait gure dexistence relle. Ces rflexions encombraient sa conscience au point quil avait du mal se lever le matin tant elles pesaient en lui.

    Il obliqua vers le nord et suivit la route qui traversait la valle de Palancar en direction de Carvahall. Les sommets des montagnes, de chaque ct, taient encore chargs de neige, alors que le printemps verdissait la plaine depuis quelques semaines. Au-dessus de sa tte, un unique nuage gris voguait lentement vers les pics.

    Roran passa une main sur son menton, faisant crisser sous ses doigts une barbe de plusieurs jours. Tout a, cest la faute dEragon et de sa maudite curiosit. Sil navait pas rapport cette pierre de la Crte

    Il avait fallu du temps Roran pour parvenir cette conclusion. Il avait cout les rcits des uns et des autres. Gertrude, la gurisseuse, lui avait lu et relu la lettre que Brom avait laisse pour lui. Il ny avait pas dautre explication : Quelle que soit la nature de cette pierre, elle a d attirer les trangers.

    Il imputait la mort de Garrow Eragon sans pour autant ressentir de colre contre lui ; il savait que son cousin navait pas pens mal. Non, ce qui excitait sa fureur, ctait que le garon net pas assum ses responsabilits : il avait laiss Garrow sans spulture et stait enfui de Palancar avec le vieux

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    conteur pour une qute insense. Comment a-t-il pu montrer si peu de considration pour

    ceux quil abandonnait derrire lui ? Se sentait-il coupable ?Avait-il peur ? Brom lavait-il embobin avec ses fables dormir debout ? Pourquoi Eragon lavait-il cout en un pareil moment ?

    Roran ne savait mme pas si son cousin tait mort ou vivant. Il sbroua, les sourcils froncs :

    La lettre de Brom Bah ! Un ramassis dallusions inquitantes, dinsinuations sinistres. Le seul lment clair quil en avait tir tait le conseil dviter les trangers, ce qui tombait sous le sens.

    Le vieux tait fou , conclut Roran.Quelque chose remua dans son dos. Il se retourna.Une douzaine de biches et un jeune mle aux bois de velours

    senfonaient sous le couvert des arbres. Il nota soigneusement la direction quils avaient prise afin de les retrouver le lendemain. Il senorgueillissait dtre assez bon chasseur pourpayer sa quote-part dans la maison de Horst, bien quil net jamais gal Eragon.

    Tout en marchant, il mettait de lordre dans ses penses. Aprs la mort de son pre, il avait renonc travailler au moulin de Dempton, Therinsford, pour retourner Carvahall. Horst avait accept de le loger et lavait embauch la forge. Accabl de chagrin, il avait repouss les dcisions prendre jusqu ce que, deux jours auparavant, il se ft enfin rsolu agir.

    Il dsirait pouser Katrina, la fille du boucher. Il avait pris cet emploi de meunier Therinsford afin de gagner assez dargent pour assurer dignement leurs dbuts dans la vie deux. Mais, prsent, sans ferme, sans maison, sans moyen dentretenir une pouse, Roran ne se sentait pas le droit de demander la main de Katrina. Sa fiert le lui interdisait. Dailleurs, Sloan, le pre de la jeune fille, naccepterait srement pas un soupirant lavenir aussi incertain. La situation du jeune homme et-elle t meilleure, il aurait dj eu du mal convaincre le boucher de lui accorder sa fille : ses relations avec lui navaient jamais t cordiales. Et Roran ne pouvait envisager de se marier avec Katrina sans le consentement paternel,

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    moins de diviser la famille, fcher le village en dfiant les traditions et, trs probablement, entraner des querelles sanglantes avec son beau-pre.

    En y rflchissant, il lui parut que la seule option valable tait de reconstruire la ferme, mme sil devait remonter la maison et la grange pierre par pierre de ses propres mains. Ce serait dur, car il partirait de rien. Cependant, une fois install, il pourrait affronter Sloan la tte haute.

    Il me faudra attendre au moins le prochain printemps , songea Roran, le front pliss de contrarit.

    Il savait que Katrina patienterait mais combien de temps ?Il marcha jusquau soir dun pas rgulier. Le village apparut

    enfin, avec ses maisons, ses jardins, le linge schant aux fentres. Les hommes rentraient des champs, o le bl dhiver mrissait en pis compacts. Derrire Carvahall, les chutes dIgualda, hautes dune demi-lieue, dgringolaient de la Crte pour se jeter dans lAnora et scintillaient dans la lumire du couchant. Ce spectacle rconforta Roran par sa simplicit. Rien de plus rassurant que de trouver les choses leur place !

    Quittant la route, il monta jusqu la maison de Horst, btie sur un coteau do lon voyait la Crte. La porte tait ouverte. Roran entra et se dirigea vers la cuisine, attir par un bruit de conversation.

    Horst tait l, les manches releves, accoud la table de bois grossier. Prs de lui se tenait sa femme, Elain, enceinte de cinq mois, souriante et sereine. Leurs fils, Albriech et Baldor, debout, leur faisaient face.

    larrive de Roran, Albriech disait : et jtais encore la forge ! Thane jure quil ma vu, alors

    que je me trouvais de lautre ct de la ville. Que sest-il pass ? senquit Roran en laissant tomber son

    sac.Elain changea un regard avec son mari. Puis, sadressant

    Roran : Assieds-toi ! Mange quelque chose !Elle posa devant lui un morceau de pain et une assiette de

    ragot et le dvisagea comme pour lire sur ses traits : Comment tait-ce ?

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    Roran haussa les paules : Toutes les parties en bois sont brles ou pourries,

    irrcuprables. Le puits est intact ; je suppose quil faut en rendre grce au ciel. Je devrai tailler des poutres pour la charpente ds que possible si je veux avoir un toit au-dessus de ma tte lpoque des semailles. Maintenant, dites-moi ce quil se passe ici.

    Ah ! sexclama Horst. Thane a gar une faux, et il accuse Albriech de la lui avoir prise. a a fait tout un foin !

    Il la probablement laisse dans lherbe, et il ne se souvient plus quel endroit, grogna Albriech.

    Probablement, acquiesa son pre avec un sourire.Roran mordit dans son pain : Si tu avais eu besoin dune faux, tu en aurais forg une.

    Cest stupide de taccuser. Je sais, dit Albriech en sasseyant sur une chaise. Mais, au

    lieu de chercher son outil, il sest mis marmonner. Soi-disant il aurait vu partir de son champ quelquun qui me ressemblait Et comme personne, ici, ne me ressemble, il en dduit que cest moi qui ai pris sa faux.

    Que personne ne ressemblt Albriech, ctait la vrit. Il avait hrit de la haute taille et la carrure de son pre, et des cheveux couleur de miel de sa mre, ce qui le rendait unique, Carvahall, o les chevelures brunes taient les plus communes. Baldor, lui, tait menu et brun.

    Je suis sr que a va sarranger, dclara tranquillement celui-ci. Ne te fais pas tant de bile !

    Facile dire !Tout en attaquant son ragot, Roran demanda Horst : As-tu besoin de moi demain ? Pas spcialement. Je compte travailler la charrette de

    Quimby. Le foutu chssis ne veut pas rester droit.Roran hocha la tte, satisfait : Bien. Alors, je vais passer la journe la chasse. Jai

    repr une petite troupe de biches, de lautre ct de la valle, qui nont pas lair trop maigrichonnes. En tout cas, on ne leur voyait pas les ctes.

    Le visage de Baldor spanouit :

  • 47

    Je peux taccompagner ? Bien sr ! On partira laube.

    Lorsquil eut termin son repas, Roran se lava le visage et les mains. Puis il stira paresseusement et alla flner dans le village pour se changer les ides.

    mi-chemin, un tapage de voix excites provenant des Sept Gerbes attira son attention. Intrigu, il se dirigea vers la taverne de Morn, o il dcouvrit un curieux spectacle. Sur le seuil de ltablissement tait assis un homme dge mr, envelopp dans un manteau fait dun patchwork de cuir. Prs de lui tait posun sac orn de mchoires dacier, insigne de la corporation des trappeurs. Une douzaine de villageois lcoutaient tandis quil prorait avec force gesticulations :

    Alors, ds mon arrive Therinsford, je suis all trouver ce Neil. Un brave homme, bien honnte. Je travaille dans ses champs au printemps et en t.

    Roran approuva de la tte ; il savait cela. Les trappeurs passaient lhiver chasser dans les montagnes, amassant des peaux quils revenaient vendre aux tanneurs ds les premiers beaux jours. Ils se louaient alors gnralement comme ouvriers agricoles. Carvahall tant situ le plus au nord par rapport la Crte, beaucoup de trappeurs sy arrtaient. Cest pourquoi le village possdait sa taverne, son forgeron et son tanneur, un certain Gedric.

    Je me suis accord quelques pintes de bire pour massouplir le gosier six mois sans sortir un mot, part, peut-tre, pour jurer et blasphmer quand jai t bern par une salet dours, vous imaginez a ? et je suis donc all chez Neil, des brins de mousse encore plein la barbe, et on a caus. On a fait affaire, tous les deux. Aprs quoi je lui ai demand, bien poliment, des nouvelles de lEmpire et de notre roi que la gangrne le fasse tomber en pourriture ! Qui tait mort ? Qui tait n ? Qui avait t banni, de ceux que je connaissais ? Et, devinez quoi ? Neil sest pench vers moi, avec la mine quon prend quand cest du srieux, et il ma appris quune rumeur courait, quil se passait des choses pas normales, ici et l, dans tout lAlagasia. Que les Urgals avaient carrment disparu des

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    terres civilises bon dbarras ! Mais quon ne savait ni pourquoi ils taient partis, ni o ils taient alls. Que le commerce dans lEmpire avait priclit cause de raids et dattaques qui, daprs ce que jai compris, ntaient pas le fait de brigands ordinaires, parce que trop bien organiss et sur une trop grande chelle. Que les marchandises ntaient pas voles, seulement brles ou dtruites. Et que ce ntait pas prs de se terminer, oh, que non ! Croyez-men, par les moustaches de vos bonnes grand-mres !

    Le trappeur secoua la tte et aspira une goule de vin sa gourde avant de continuer :

    On murmure quun Ombre hanterait les territoires du nord. On laurait vu la lisire de la fort du Du Weldenvarden et du ct de la cit de Gilead. Il aurait des dents tailles en pointe, des yeux couleur vinasse et des cheveux aussi rouges que le sang quil boit. Et le pire, cest que quelque chose aurait mis notre fl de monarque hors de lui. Il y a cinq jours, un jongleur qui remontait du sud vers Ceunon sest arrt Therinsford. Il a dclar que des troupes faisaient mouvement. Dans quel but ? Il nen savait rien !

    Il leva un doigt sagace : Comme disait mon paternel quand je ntais encore quun

    mme barbouill de lait : o il y a de la fume, il y a du feu. a pourrait tre des Vardens. Ils ont bott le cul au vieil Os de Fer plus dune fois, ces dernires annes ! moins que Galbatorix nait finalement dcid quil ne tolrait plus lindpendance duSurda. Ce pays-l, au moins, il sait o le trouver. Il ne peut en dire autant des rebelles Vardens. Auquel cas, il crasera le Surda comme un ours une fourmilire ; ouais, cest ce quil fera !

    Roran resta perplexe, tandis quun bourdonnement de questions montait autour de lhomme des bois. Il doutait de la prsence dun Ombre dans le coin ; cette histoire avait tout du racontar divrogne. Le reste, en revanche, semblait assez inquitant pour tre vrai. Le Surda On avait peu dinformations, Carvahall, sur ce pays loign. Cependant, Roran nignorait pas que, mme si le Surda se dclarait ostensiblement en paix avec lEmpire, les Surdans vivaient dans la terreur constante dtre envahis par les troupes de leur

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    puissant voisin. Voil pourquoi, disait-on, leur roi, Orrin, soutenait les Vardens.

    Si le trappeur avait raison quant aux intentions de Galbatorix, cela signifiait quune sale guerre menaait, dans un futur proche, avec son cortge dimpts supplmentaires et denrlement forc. Jaimerais mieux vivre une poque ennuyeuse par manque dvnements. Trop de bouleversements rendent lexistence impossible , pensa Roran.

    Mais le plus beau, reprit le trappeur, cest queL, il fit une pause et, de lindex, se caressa le bout du nez

    dun air entendu : Cest quun nouveau Dragonnier serait apparu en

    Alagasia.Il clata dun rire norme et se renversa en arrire en se

    tapant sur le ventre.Roran rit de concert. Ces histoires de Dragonniers

    revenaient rgulirement. Les deux ou trois premires fois, elles avaient suscit son intrt. Mais il avait vite compris quelles ntaient fondes sur rien. Ce ntaient que les lucubrations de pauvres gens rvant dun avenir meilleur.

    Il allait sloigner quand il aperut Katrina, langle de la taverne, vtue dune longue robe brune orne de rubans verts. Leurs regards se croisrent, saccrochrent lun lautre. Il sapprocha, prit la jeune fille par lpaule ; et tous deux sesquivrent.

    Ils marchrent jusqu la sortie du village et restrent silencieux, contempler les toiles. Le firmament tincelait, cette nuit-l ; les astres y clignotaient par milliers. Et, telle une arche au-dessus de leurs ttes, la Voie lacte tendait dun horizon lautre sa blancheur scintillante, comme si une main mystrieuse avait jet par poignes dans le ciel une poussire de perles et de diamants.

    Sans le regarder, Katrina posa sa tte sur lpaule du jeune homme et demanda :

    Tu as pass une bonne journe ? Je suis retourn la maison.Il la sentit se raidir. Comment tait-ce ?

  • 50

    Terrible.La voix lui manqua. Il se tut et serra son aime contre lui.

    Des boucles rousses lui caressaient la joue ; il respira leur parfum dpices et de vin doux, le laissant pntrer au fond de lui, chaud et rconfortant.

    La maison, la grange, les champs, reprit-il, tout est dtruit. Je naurais mme pas retrouv leur emplacement si je navais su o chercher.

    Elle se leva vers lui un visage crisp de chagrin : Oh, Roran !Elle lui effleura les lvres dun baiser : Tu as subi un deuil cruel et, malgr tout, tu nas jamais

    perdu courage. Envisages-tu de reprendre la ferme, prsent ? Oui. Je suis un fermier, je ne sais rien faire dautre. Et moi, que vais-je devenir ?Il hsita. Depuis le jour o il avait commenc la courtiser, il

    y avait toujours eu entre eux la promesse tacite quils se marieraient. Il ntait nul besoin den parler ; ctait clair comme le jour. Cest pourquoi la question de Katrina le troublait ; il lui semblait malhonnte de prendre une dcision formelle tant quil ny tait pas prt. Ctait lui de faire sa demande auprs de Sloan dabord, puis auprs de Katrina ,pas elle. Cependant, il devait tenir compte de linquitude de la jeune fille, maintenant quelle lavait exprime :

    Katrina Je ne peux parler ton pre comme je lavais prvu. Il me rirait au nez, et il aurait raison. Nous devons attendre. Ds que jaurai une maison o habiter et que jaurai engrang ma premire moisson, il mcoutera.

    Elle leva de nouveau son visage vers le ciel et murmura quelque chose, si bas quil ne saisit pas.

    Quoi ? Jai dit : as-tu peur de lui ? Bien sr que non ! Je Alors, tu dois obtenir sa permission, ds demain. Et

    prendre un engagement. Fais en sorte quil comprenne que, bien que tu ne possdes rien pour linstant, tu me donneras un bon foyer, et quil sera fier de son gendre. Pourquoi perdre des annes attendre, spars lun de lautre en dpit de nos

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    sentiments ? Je ne peux pas faire a, se rcria-t-il, une note de

    dsespoir dans la voix. Je nai aucun moyen dassurer ta subsistance, je ne

    Tu ne comprends donc pas ?Elle recula et reprit dun ton insistant : Je taime, Roran, et je veux vivre avec toi. Mais mon pre a

    dautres projets pour moi. Il y a des tas de partis plus intressants que toi, et, plus tu tardes, plus il me presse de consentir une alliance quil approuve. Il craint que je ne reste vieille fille, et je le crains aussi. Ce ne sont pas les soupirants qui me manquent, Carvahall Et, si je dois finalement agrer lun deux, je le ferai.

    Elle le fixa avec insistance, les yeux brillants de larmes, dans lattente dune rponse. Puis elle ramassa ses jupes et partit en courant vers le village.

    Roran resta ptrifi. La fuite de Katrina le blessait aussi cruellement que la perte de sa ferme. Le monde lui parut soudain hostile et glac. Il lui sembla quun morceau de lui-mme venait de lui tre arrach.

    Plusieurs heures scoulrent avant quil trouve la force de remonter chez Horst et de se glisser dans son lit.

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    5LES CHASSEURS CHASSS

    Le sable crissait sous les bottes de Roran tandis quil descendait vers la valle, dans le petit matin ple, Baldor sur ses talons. Il faisait frais, le ciel stait couvert. Les deux jeunes gens portaient des arcs puissants. Ils se taisaient, attentifs reprer les traces des biches.

    Ici ! fit Baldor voix basse en dsignant les empreintes qui menaient vers un roncier, sur la berge de lAnora.

    Roran hocha la tte et suivit la piste. Elle datait apparemment de la veille. Aussi se risqua-t-il parler :

    Peux-tu me donner un conseil, Baldor ? ce quil me semble, tu as un jugement sr.

    Dis-moi ! De quoi sagit-il ?Pendant quelques instants, on nentendit que le bruit de

    leurs pas. Sloan veut marier Katrina, mais pas moi. Chaque jour

    qui passe augmente le danger quil arrange une union sa convenance.

    Quen dit Katrina ?Roran eut un geste las : Cest son pre. Elle ne peut indfiniment lui opposer un

    refus, alors que le seul prtendant qui lui plat tarde faire sa demande.

    Toi, autrement dit. Exact. Voil pourquoi tu tais debout si tt, commenta Baldor

    sur le ton de lvidence.En ralit, trop perturb pour dormir, Roran avait pass la

    nuit penser Katrina, essayant de trouver une solution leur

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    problme. Je ne supporte pas lide de la perdre. Mais je ne crois pas

    que Sloan nous accordera sa bndiction, tant donn ma situation.

    Je ne le crois pas non plus.Baldor observa Roran du coin de lil : Tu me demandes conseil propos de quoi, finalement ?Le jeune homme laissa chapper un rire amer : Par quel moyen convaincre Sloan ? Comment rsoudre ce

    dilemme sans provoquer une querelle sanglante ? Que puis-je faire ?

    Tu nas vraiment aucune ide ? Jen ai une, mais elle ne me plat gure. Il mest venu

    lesprit que Katrina et moi pourrions tout simplement annoncer nos fianailles bien que ce ne soit pas encore dcid et en supporter les consquences. Sloan serait bien oblig daccepter notre engagement.

    Un pli creusa le front de Baldor. Avec gravit, il dit : Peut-tre ; mais a provoquerait un tas dembrouilles dans

    le village. Peu de gens vous approuveraient. Et ce ne serait pas trs sage de forcer Katrina choisir entre toi et sa famille ; elle serait capable de te le reprocher plus tard.

    Je sais. Hlas, je ne vois pas dautre solution. Avant de prendre une dcision aussi radicale, je te suggre

    de tenter de te faire un alli de Sloan. Tu as peut-tre une chance de russir, aprs tout, si