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6S124 Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 6S124-6S126 Doi : 10.1019/200530151 Pneumopathies chroniques infiltrantes diffuses Toxicité pulmonaire de l’amiodarone P. Bonniaud Service de Pneumologie et Réanimation Respiratoire, CHU Dijon, Hôpital du Bocage, 2, bd Mal-de-Lattre-de-Tassigny, 21000 Dijon, France. Introduction Lors d’un symposium sur les pathologies pulmonaires iatrogéniques, Philippe Camus a présenté une revue de la littérature sur la toxicité pulmonaire de l’amiodarone en insis- tant sur des éléments parfois mal connus. Nous rapportons ici les points forts de cette revue. Pharmacotoxicologie L’amiodarone est un médicament connu depuis les années 60 et dont les indications essentielles sont l’arythmie complète par fibrillation auriculaire, l’arythmie ventriculaire et la fibril- lation ventriculaire. Il s’agit d’un marché considérable, puisque c’est le plus prescrit des anti-arythmiques, ainsi la prévalence des effets secondaires est importante. Les complications pul- monaires de la prise d’amiodarone représentent environ 10 % des accidents de l’amiodarone déclarés à la FDA. Ce médicament a un volume de distribution très large. Il est trappé dans les lysosomes. À noter également que 37 % du poids moléculaire de la molécule amiodarone est représenté par de l’iode, ce qui fait que la prise de ce médicament apporte une dose d’iode vingt fois supérieure aux besoins de la thyroïde. On sait que lors d’études autopsiques un an après l’arrêt de l’amio- darone, il existe encore de très importantes quantités de celle-ci dans le tissu pulmonaire expliquant la survenue de pneumopa- thie après l’arrêt. Son métabolite, la désethil-amiodarone, semble être encore plus toxique. L’amiodarone est retrouvée pour 41 % dans les tissus graisseux, 20 % dans les muscles et le foie et 10 % dans le poumon. La désethil-amiodarone est retrouvée à 47 % dans le foie et 20 % dans le poumon. Les études sur les animaux lors de l’instillation d’amiodarone montrent qu’il y a une phos- pholipidose avec de nombreux macrophages alvéolaires spu- meux. Il n’y a pas d’induction de fibrose évidente. Présentation Le premier cas de toxicité pulmonaire induite par l’amio- darone a été décrit dans l’American Heart Journal en 1980. Sur

Toxicité pulmonaire de l’amiodarone

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Page 1: Toxicité pulmonaire de l’amiodarone

6S124 Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 6S124-6S126Doi : 10.1019/200530151

Pneumopathies chroniques infiltrantes diffuses

Toxicité pulmonaire de l’amiodarone

P. Bonniaud

Service de Pneumologie et Réanimation Respiratoire, CHU Dijon,Hôpital du Bocage, 2, bd Mal-de-Lattre-de-Tassigny, 21000 Dijon,France.

Introduction

Lors d’un symposium sur les pathologies pulmonairesiatrogéniques, Philippe Camus a présenté une revue de lalittérature sur la toxicité pulmonaire de l’amiodarone en insis-tant sur des éléments parfois mal connus. Nous rapportons iciles points forts de cette revue.

Pharmacotoxicologie

L’amiodarone est un médicament connu depuis les années60 et dont les indications essentielles sont l’arythmie complètepar fibrillation auriculaire, l’arythmie ventriculaire et la fibril-lation ventriculaire. Il s’agit d’un marché considérable, puisquec’est le plus prescrit des anti-arythmiques, ainsi la prévalencedes effets secondaires est importante. Les complications pul-monaires de la prise d’amiodarone représentent environ 10 %des accidents de l’amiodarone déclarés à la FDA.

Ce médicament a un volume de distribution très large. Ilest trappé dans les lysosomes. À noter également que 37 % dupoids moléculaire de la molécule amiodarone est représenté parde l’iode, ce qui fait que la prise de ce médicament apporte unedose d’iode vingt fois supérieure aux besoins de la thyroïde. Onsait que lors d’études autopsiques un an après l’arrêt de l’amio-darone, il existe encore de très importantes quantités de celle-cidans le tissu pulmonaire expliquant la survenue de pneumopa-thie après l’arrêt. Son métabolite, la désethil-amiodarone, sembleêtre encore plus toxique. L’amiodarone est retrouvée pour 41 %dans les tissus graisseux, 20 % dans les muscles et le foie et 10 %dans le poumon. La désethil-amiodarone est retrouvée à 47 %dans le foie et 20 % dans le poumon. Les études sur les animauxlors de l’instillation d’amiodarone montrent qu’il y a une phos-pholipidose avec de nombreux macrophages alvéolaires spu-meux. Il n’y a pas d’induction de fibrose évidente.

Présentation

Le premier cas de toxicité pulmonaire induite par l’amio-darone a été décrit dans l’American Heart Journal en 1980. Sur

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le plan épidémiologique, on est certain que la dose quotidienneest un élément majeur ; si celle-ci est inférieure à 200 mg parjour, il y aura moins de 1 % d’effets secondaires pulmonaires ;si elle est inférieure à 400 mg par jour, on approchera 5 % et à600 mg par jour, on dépasse 30 %. Il existe également un rôlecertain de la dose cumulée.

On est moins sûr de l’importance d’augmentation dufacteur de risque lors de doses de charge, d’abaissement dela DLCO préliminaire, d’antécédents de maladies respira-toires autres et d’insuffisance cardiaque, cependant ces asso-ciations sont suspectées. Le patient ayant bénéficié d’unepneumonectomie est à risque également et en particulier deformes sévères. Il n’y a pas d’accroissement du facteur derisque d’effets secondaires chez les patients porteurs d’uneBPCO.

Les facteurs déclenchants reconnus sont une augmenta-tion de la dose quotidienne, une FiO2 importante et peut-êtrela présence d’infections respiratoires.

Le mode de découverte est insidieux dans un peu plus de50 % des cas (sur une période d’un à trois mois), rapide etsimulant une pathologie infectieuse dans 40 % des cas etasymptomatique dans près de 5 % des cas.

Les signes cliniques sont rassemblés dans le tableau I.Le diagnostic de pneumopathie à l’amiodarone est tou-

jours un diagnostic d’exclusion après avoir éliminé notam-ment un processus infectieux, un syndrome interstitiel oualvéolaire en rapport avec une insuffisance cardiaque gauche,une néoplasie.

Il n’y a pas d’argument biologique pathognomonique ;on retrouve fréquemment une augmentation des LDH.

Les aspects radiologiques sont variés (tableau II) [1]. Laprésence de lignes de Kerley imposera un test aux diurétiques.On peut voir des épaississements inter-lobulaires, des opacitéslobulaires, des nodules ou des masses pouvant simuler des can-cers, des aspects de fibroses. Les atteintes peuvent touchertoutes les parties du poumons et sont parfois migratrices. Ellepeuvent être diffuses, unilatérales ou prédominantes d’un côté.Les épanchement pleuraux sont fréquents souvent associés àdes épaississements pleuraux.

Les EFR sont typiquement restrictives avec toujours uneatteinte de la DLCO. Cet examen manque de sensibilité audébut de la maladie et peut continuer à se détériorer si l’amio-darone est poursuivie. Il faut également noter qu’un grandnombre de ces patients, notamment en raison de l’insuffisancecardiaque associée, d’antécédents de pontage aorto-corona-rien, ont au préalable une altération des EFR avec un syn-drome restrictif et une atteinte de la DLCO. Il apparaît doncimportant de réaliser des EFR avant la mise en route del’amiodarone.

Le lavage broncho-alvéolaire est normal dans 20 % descas. On peut avoir une augmentation des polynucléaires, deslymphocytes ou des deux associés. Les lymphocytes sontretrouvés dans les présentations les plus aiguës. On sait qu’iln’y a pas de corrélation pronostique avec la présence de neu-trophiles. La présence de macrophages spumeux témoigne del’exposition.

La scintigraphie au gallium est positive 8 fois sur 10 maisl’irradiation reçu lors de cet examen équivaut à celle de quatrescanners.

Conduite à tenir lors d’une atteinte

pulmonaire à l’amiodarone

Le retrait de l’amiodarone est bien évidemment important,mais ne se fera qu’après avis du cardiologue. Parfois, la mise enplace d’un défibrillateur implantable est nécessaire. On peut êtreamené également à utiliser de faibles doses d’amiodarone.

Les corticostéroïdes sont indiqués s’il y a une atteinteimportante et s’il n’y a pas d’amélioration un mois après leretrait de l’amiodarone. Ils sont en général très efficaces,d’abord sur les symptômes, puis sur les images en un à troismois. Cette corticothérapie doit être prolongée sur six à douzemois ; parfois on est contraint d’associer des corticostéroïdeset de doses réduites d’amiodarone. De rares cas d’échec des cor-ticostéroïdes ont été décrits.

Tableau I.

Fréquences des signes cliniques rencontrés lors d’atteinte pulmonairesecondaires à l’amiodarone.

Signes Fréquence

Dyspnée 90-100 %

Fatigue, sensation de malaise 50 %

Toux sèche 40-50 %

Fièvre 20-30 %

Douleur thoracique 5-30 %

Hémoptysie inhabituelle

Hippocratisme digital –

Tableau II.

Aspects radiologiques fréquemment rencontrés (d’après Polverosi [1]).

Aspect Cliché Tomodensitométrie

thoracique % %

Lignes de Kerley B 100 100

Opacités réticulaires 75 75

Aspect de fibrose 75 75

Consolidation 62 37

Syndrome alvéolaire 50 37

Perte de volume 43 25

Nodules 37 25

Épanchement/ 12 25épaississement pleural

Masse(s) 6 12

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Toxicité pulmonaire de l’amiodarone

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P. Bonniaud

Le suivi proposé peut être à : une semaine, deux semaines,un mois, deux mois, six mois, neuf mois et un an avec un clichéthoracique, des EFR et éventuellement un scanner thoracique.

Le devenir

Dans 80 % des cas, on obtient une normalisation. Dans 15 %des cas, on assiste à une stabilisation des images avec cependant uneamélioration des symptômes et des EFR. Quand les images restentstables, la scintigraphie au gallium va se négativer. Dans moins de 5% des cas, il y aura une aggravation, voire un décès, par détresse res-piratoire aiguë ou fibrose. Lors de réintroduction ou de retrait tropprécoce des corticoïdes, il peut y avoir des rechutes.

Il n’y a pas d’intérêt du dépistage de cette pathologie chezdes patients sous amiodarone que ce soit par radiographie oupar EFR (DLCO).

En conclusion

Il s’agit d’une pathologie commune (+ de 1 000 casrapportés) à présentation variable dont l’incidence augmenteavec la dose d’amiodarone. Les corticostéroïdes sont efficaces leplus souvent. Le pronostic est habituellement bon, mais lanormalisation peut être très longue à obtenir. La pathologiepeut survenir après le retrait de la drogue. Le pronostic serad’autant meilleur que le diagnostic sera fait précocement, maisle dépistage n’est pas recommandé.

Référence

1 Polverosi R, Zanellato E, Doroldi C, Scotton P : Features of pulmonarystrongyloidiasis with radiology and computerized tomography. Reportof a case. Radiol Med (Torino) 1996 ; 92 : 644-7.