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  • 1

    DANIEL Stphane

    Anne universitaire 2011-2012

    Magistre de Juriste dAffaires D.J.C.E

    Universit Panthon-Assas

    TRADING HAUTE FREQUENCE ET

    MANIPULATION DE COURS

    Sous la direction de Monsieur Franois Barrire

    Matre de confrences lUniversit Panthon-Assas

    Avocat, Sullivan and Cromwell L.L.P

  • 2

    Luniversit Panthon-Assas, Droit - Economie - Sciences sociales, nentend donner aucune

    approbation ni improbation aux opinions mises dans ce mmoire. Ces opinions doivent tre

    considres comme propres leur auteur.

  • 3

    SOMMAIRE :

    Trading haute frquence et manipulation de cours

    Introductionp.5

    Propos liminaire :

    Portrait-robot du trader haute frquence..p.10

    I Nature du trading haute frquence...p.10

    A/. La technique : un trading algorithmique..p.11

    1) Le recours aux algorithmes de trading...p.11

    2) Le recours aux stratgies de trading...p.12

    B/. La vitesse : un trading haute frquencep.13

    1) Vitesse dans laccs au march..p.13

    2) Vitesse dans lactivit sur le march..p.15

    II Effets du trading haute frquence...p.16

    A/. Effets positifs du trading haute frquencep.16

    1) Apport de liquidit au marchp.16

    2) Amlioration du processus de formation des prix..p.17

    B/. Effets ngatifs du trading haute frquence...p.18

    1) Le risque macroconomique : atteinte la scurit des marchs..p.18

    2) Les risques microconomiques : atteinte lgalit des investisseurs et

    lintgrit du march..p.20

    Premire Partie :

    La rpression problmatique des manipulations de cours haute

    frquence..p.22

    I Lapplication thorique de la manipulation de cours au trading haute frquence..p.23

    A/. Le fondement de la rpression : la manipulation de cours...p.23

    1) Un dlit pnal inutilisable p.23

    2) Un manquement administratif palliatif p.26

    B/. Lobjet de la rpression : la manipulation de cours haute frquence ..p.29

    1) La rpression certainep.30

    2) La rpression incertaine.p.32

  • 4

    II Lapplication pratique de la manipulation de cours au trading haute frquence..p.34

    A/. Une rpression timore en droit franais..p.34

    1) Apprhension de laffaire Kraayp.34

    2) Apprciation de laffaire Kraay.p.36

    B/. Une rpression ambitieuse en droit comparp.37

    1) Apprhension des affaires Trillium et Swift Tradep.38

    2) Confrontation laffaire Kraay..p.39

    Seconde Partie :

    La rgulation indispensable des manipulations de cours haute

    frquence..p.41

    I Les difficults de la rpression en droit positifp.41

    A/. Qualification de la manipulation..p.41

    1) Le problme didentification..p.41

    2) Le problme probatoire..p.43

    B/. Imputation de la manipulation..p.44

    1) Le problme dimputation en situation interne..p.44

    2) Le problme dimputation en situation extraterritorialep.46

    II Les solutions indispensables de la rgulation en droit prospectif.p.46

    A/. Les apports dune rgulation informelle source de proposition...p.47

    1) Les travaux de lIOSCO sur mandat du G20.p.47

    2) Les travaux de lESMA repris par lAMF.p.50

    B/. Les apports dune rgulation substantielle en gestation...p.52

    1) Droit franais : ladoption dune taxe sur les transactions financires..p.53

    2) Droit de lUnion Europenne : la rvision des directives MIF et MADp.55

    CONCLUSIONp.62

  • 5

    TRADING HAUTE FREQUENCE ET MANIPULATION DE COURS

    INTRODUCTION

    Lagiotage qui sexerce Paris sur les effets dont le profit ventuel gare

    limagination ne peut quengendrer la plus abominable des industries. Et quelle

    compensation offre-t-elle quand son rsultat unique, son dernier produit est un jeu effrn, o

    des millions nont dautre mouvement que de passer dun portefeuille lautre, sans rien

    crer, si ce nest un groupe de chimres que la folie du jour promne avec pompe et que celle

    de demain fera vanouir. 1 crivait le Comte de Mirabeau en 1787.

    Une telle dnonciation, vieille de presque deux sicles, frappe par sa modernit. Ainsi

    serait-il possible aujourdhui de reprendre les mmes mots pour dcrier les mmes excs. A

    lheure o la finance est tenue pour responsables des crises extrmement violentes qui

    frappent le monde occidental depuis 2007, les discours mettant en cause les manieurs

    dargents pour reprendre un mot dOscar de Valle fleurissent. Dans un tel contexte, le

    spculateur a mauvaise presse, au point dtre compar une sangsue plaque sur les forces

    vives de la Nation2. Mais cest oprer un raccourci intellectuel que de penser une chose

    pareille. La spculation nest pas uniforme, elle est plurale. Joseph Proudhon fut dailleurs

    lun des premiers le mettre en exergue en 1856 dans son Manuel du spculateur la

    bourse3. Lauteur fait lloge de la spculation, conception intellectuelle qui dcouvre et

    recherche les gisements de richesse et qui invente les moyens les plus conomique de se la

    procurer, rfractaire toute appropriation et privilge, indomptable au pouvoir, infiniment

    libre. Nanmoins, il identifie labus de spculation, qui dvore la richesse publique et

    entretient la misre chronique du genre humain. Dans le mme sens, Horace Say, au XIXme

    sicle, prcise encore la distinction entre la bonne et la mauvaise spculation4. Selon lauteur,

    la spculation commerciale est une opration rgulire, utile et favorable la socit. Cest un

    placement de capitaux intelligent dans loptique den tirer un profit lgitime parce que fond

    sur lvolution de lconomie. A linverse, lagiotage est nuisible la socit, toujours

    contraire la morale, se dployant particulirement dans les temps de crise. Cest donc un

    pari dform par une triche o lagioteur ralise un profit par les pertes quil fait supporter

    aux autres. Il ny a aucune cration de richesse mais un simple dplacement de richesse.

    1 Honor-Gabriel Riqueti de Mirabeau dit Comte de Mirabeau, Dnonciation de l'agiotage au Roi et

    l'assemble des notables, 1787, p. 27 2 Bertrand Jacquillat, les 100 mots de la finance, Que sais-je, cinquime dition, PUF, p. 5

    3 Joseph Proudhon, Manuel du spculateur la bourse, p. 10 et 15

    4 Horace Say, larticle Agiotage du Dictionnaire de lconomie politique, Charles Coquelin et Gilbert Urbain

    Guillaumin

  • 6

    La spculation est limage du visage de Janus et peut revtir autant de forme que

    lhabilet, limagination et le cur des hommes le permettent. Voila donc pourquoi la

    sparation du bon grain de livraie est trs difficile. Un exemple trs classique en est donn

    par ltude du Faiseur de Balzac, o le personnage principal, Mercadet, ralise une

    manipulation de march par recours au procd de la bouilloire et sexplique de la faon

    suivante : L'excessive habilit n'est pas l'indlicatesse, l'indlicatesse n'est pas la lgret,

    la lgret n'est pas l'improbit, mais tout cela s'embote comme des tubes de lorgnette. Bref,

    les nuances sont imperceptibles, et, pourvu qu'on s'arrt juste au Code, si le succs arrive...

    5. Cet extrait illustre parfaitement la difficult du lgislateur en amont et du juge en aval

    distinguer la bonne et la mauvaise spculation. Dautant plus que les considrations

    religieuses, morales et conomiques ainsi que leur volution dans le temps dterminent

    lapprhension du phnomne spculatif par le droit. Sans entrer sur le terrain religieux, qui

    peut dailleurs se confondre avec la morale, lon peut dire que la spculation illicite est

    immorale en ce quelle bouleverse la vision commutative de la distribution des richesses dans

    la socit. De plus, elle est dans le mme temps contraire lconomie de march en ce

    quelle trouble la libre rencontre de loffre et la demande. Ces deux lments se retrouveront

    en filigrane de la rpression de la spculation illicite en droit positif. Le rapport entre le droit

    et la spculation est donc principalement un rapport de lgitimation par contraste avec

    lidentification des pratiques illicites.

    Et comme la bourse est le temple de la spculation 6, le roi, lempereur ou le

    lgislateur, en somme le pouvoir rgalien, sest efforc de mettre en place une rglementation

    adapte afin den bannir les comportements indsirables. Cela nallait cependant pas de soi,

    puisquautrefois les places et les foires, ensuite la bourse, aujourdhui les marchs ou les

    plateformes, sont par excellence des lieux de rencontre privs de loffre et de la demande. Le

    fondement de lintervention tatique peut tre trouv, dans toute priode, quelle soit dirigiste

    ou librale, dans le fait que lEtat est charg de la cration de la monnaie, de lautorisation des

    acteurs des marchs et de la police des activits boursires7.

    Aussi, la premire intervention dans le sens de la rpression de la spculation illicite

    fut lincrimination de dlit dagiotage8. Historiquement, ltude de cette incrimination reflte

    parfaitement leffort du droit pour apprhender de plus en plus prcisment la spculation

    illicite. Initialement, le code pnal de 1810 rprima le dlit dagiotage, lgamment dfini par

    Mirabeau comme : lemploi de manuvres les moins dlicates pour produire des variations

    inattendues dans le prix des effets publics et tourner son profit les dpouilles de ceux quon

    a tromp . Il sagissait de rprimer via les articles 419 422 les manuvres provoquant des

    5 H. de Balzac, Le Faiseur, Imprimerie Nationale, coll. Rpertoire Comdie-Franaise, 1993 ; cite dans H. de

    Vauplane, La spculation boursire dans le droit et la littrature franaise du XIXe sicle , PA, 23 novembre

    2006, n234, p.5 6 Op. cit. Proudhon, La manuel du spculateur la bourse, p. 26

    7 Jean Massot, Les fondements des pouvoirs rgaliens de lEtat sur les marchs, Petites affiches, 17 septembre

    2001 n 185, P. 6 8 H. de Vauplanne et O. Simart, la notion de manipulation de cours et ses fondements en France et aux USA,

    Revue droit bancaire et bourse n56, juillet-aot 1996, p.158

  • 7

    variations artificielles de cours sur les denres, marchandises, papiers ou effets publics.

    Premire extension : une loi du 3 dcembre 1926 ajouta le terme effets privs

    lincrimination afin de viser les oprations boursires qui taient en pleine explosion et tendit

    la rpression aux tentatives. La rpression devint ds lors plus complte pour embrasser les

    instruments financiers publics aussi bien que privs. Ctait cependant sans compter

    lordonnance sur les prix du 1er dcembre 1986 qui supprima par inadvertance larticle 419-2.

    Il fallut attendre la loi du 22 janvier 1988 qui fit renatre le dlit sous la forme dun dlit

    spcifique de droit pnal boursier introduit au sein de lordonnance du 28 septembre 1967 en

    son article 10-3. La rpression prit donc un tour beaucoup plus moderne et spcifique que le

    vieux dlit dagiotage avec la nouvelle incrimination de manipulation de cours. Cette

    disposition fut ultrieurement insre au sein du Code montaire et financier. Seconde

    extension : le lgislateur offrit la Commission des oprations de bourse la possibilit de

    sanctionner administrativement la manipulation de cours sur le fondement de son rglement.

    Le lgislateur permit alors une nouvelle instance de connatre ce type de comportement sous

    la forme juridique du manquement administratif de manipulation de cours. La commission de

    lpoque adopta donc le rglement 90-04 pour mettre en uvre cette possibilit. Par la suite,

    celle-ci fut confirme par la directive abus de march du 28 janvier 2003 visant tablir une

    uniformisation de la lutte contre les abus de march au sein de lUnion europenne. Dernire

    modification dimportance, la loi de scurit financire du 1er aot 2003, transforma la COB

    en la nouvelle Autorit des marchs financiers (AMF) qui publia subsquemment un nouveau

    Rglement gnral de lAMF (RG AMF). Pour conclure, il existe aujourdhui une dualit de

    rpression pnale et administrative de la manipulation de cours considre comme lune des

    facettes de la spculation illicite. Il sagit de deux approches coexistentes dun seul et mme

    phnomne, avec des conditions, des rgimes et des raisons dtres diffrentes, que lon

    dveloppera plus tard.

    Le dlit dagiotage sest donc transform avec le temps en manipulation de cours.

    Cette modification terminologique nest pas anodine. Elle est au contraire pleine de sens

    puisquelle est tout fait reprsentative de lvolution de la sphre financire et de

    limportance prise par le cours de bourse en tant quinstrument de rgulation des rapports

    marchands dans une conomie de march. Le cours de bourse est une notion complexe. Il est

    possible de le dfinir assez classiquement comme le prix auquel se vendent ou sachtent les

    marchandises donnant lieu des transactions suivies9. Financirement parlant, le cours de

    bourse est le prix atteint par une valeur mobilire au cours dune sance de la bourse et publi

    postrieurement la cote10

    ou encore la valeur exacte et relle dun titre11

    . Le processus

    dlaboration du cours est compliqu : mission des ordres par les donneurs dordre,

    transmission des ordres en direction du march, enregistrement des ordres au niveau du

    march, confrontation des ordres sur le march, constat priodique des prix pratiqus,

    application du mode de calcul du cours, constatation du cours et enfin diffusion du cours par

    les autorits de march. Ainsi, le cours synthtise la rencontre de loffre et la demande et

    9 Gerard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 218

    10 Georges Ripert en Ren Roblot, Trait de droit commercial, Tome 2, n1873

    11 Hubert de Vauplane et Jean-Pierre Bornet, Droit de la bourse, LITEC, n265

  • 8

    ralise la fusion de toutes les informations disponibles sur une valeur un instant donn. Il

    faut bien comprendre la valeur fondamentale du cours pour les intervenants sur le march :

    la fois rvlateur du march et dterminant des prix, synthse des valuations et lment

    dvaluation12

    . A ce titre, le pouvoir rgalien, entendu au sens large, a considr quil tait

    ncessaire doffrir au cours de bourse une protection juridique. La transmutation du dlit

    dagiotage en dlit puis manquement de manipulation de cours est donc calque sur la

    ncessit croissante dtablir un cours de rfrence pour chaque valeur.

    Ds lors, la manipulation de cours est un comportement foncirement grave dans une

    conomie financiarise. A titre de synthse, clair par la dfinition du cours de course, il est

    possible dexpliquer que les manipulations de march faussent le processus de formation du

    prix, soit en altrant les informations disponibles, soit en distordant loffre et la demande. Le

    cours stablit ainsi un niveau diffrent de celui que reflterait lquilibre concurrentiel. Ce

    nest plus la loi du march qui sexprime, mais la volont du ou des manipulateurs. 13

    . Pour

    dresser un portrait typologique de la manipulation de cours, il est possible de distinguer, assez

    classiquement, trois types de manipulation de cours14

    : linformation based manipulation qui

    regroupe lutilisation dinformations dinitis, la manipulation de linformation et la diffusion

    de rumeur ; le trade based manipulation qui vise manipuler les volumes de transactions afin

    de modifier la valorisation des investisseurs ; laction based manipulation qui cherche

    trafiquer ou fausser le carnet dordre. Ces trois niveaux de manipulation ont vocation tomber

    dans le champ de la rpression boursire sur le fondement du dlit et du manquement sus

    voqus.

    Toutefois, il est permis de tenter de complter cette synthse avec un nouveau type trs

    moderne de manipulation de cours qui est le rsultat immdiat des volutions rcentes des

    marchs financiers. Effectivement, depuis une petite dizaine dannes, les marchs financiers

    deviennent de plus en plus automatiss. Les dveloppements de la puissance des ordinateurs,

    des technologies de linformation et de la communication ainsi que la programmation

    informatique ont offert de nouveaux outils pour la prise de dcision dinvestissement et

    lexcution des transactions. Dsormais, les traders humains sont remplacs par des

    ordinateurs quips dalgorithmes hautement sophistiqus capables deffectuer des

    ngociations des vitesses phnomnales. La fragmentation des lieux dexcution, la

    rduction des cots de ngociation et la diminution constante des pas de cotation ont constitu

    un terrain fertile pour lessor du trading haute frquence (THF). Aujourdhui, prs de 60% des

    transactions aux Etats-Unis et 40% des transactions en Europe sont le fait de ce nouveau

    mcanisme de trading et la croissance du secteur est extrmement soutenue15

    . Ds lors que ce

    ne sont plus des hommes mais des robots qui ngocient des instruments financiers sur les

    marchs, une nouvelle catgorie trs rcente de manipulation de cours est ne. Pour en

    voquer les enjeux, lon ne peut reprendre les mots de Sophie Baranger, secrtaire gnrale

    adjointe la direction des enqutes et des contrles de lAMF, lors du dernier colloque de la

    commission des sanctions, qui voquait la sanction : dune manipulation de cours dun type

    12

    Didier Valette, Le cours de bourse, rflexions autour dune ralit juridique, in tudes sur le cours de bourse,

    sous la direction de M. le Doyen Jean Stoufflet, Economica, 1997 13

    M. Tomasi, Vers un renouveau de la lutte contre les manipulations de cours : lapport de la directive sur les

    abus de marchs, Mlanges AEDBF-France IV, Banque d. 2004, p.439 14

    Allen and Gale, Stock price manipulation, Review of Financial Studies, 1992, cit par Bertrand Jacquillat

    dans le compte rendu du 4me colloque de la commission des sanctions de lAMF du 5 octobre 2011 p. 13 15

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/01/21/l-essor-vertigineux-du-trading-algorithmique_1468594_3234.html?xtmc=trading_haute_frequence&xtcr=27

  • 9

    nouveau et expliquait : Aussi nous sommes-nous pos la question de savoir, quand on est

    ainsi propuls de la crie du Palais Brongniart, o nous nous trouvons aujourdhui, dans

    lunivers impitoyable du robot trader voqu hier par Le Monde, comment prvenir et

    sanctionner de tels agissements ? Avec quels moyens ? Sur le fondement de quelles preuves ?

    Ces questions font la une de la presse spcialise. Elles nourrissent la rflexion de la

    Commission europenne du March intrieur. Autant dire quelles sont dune brlante

    actualit ! 16

    . Pour les besoins de ltude, on qualifiera ce nouveau comportement de

    manipulation de cours haute frquence , parce quelle ne peut tre que le fait dun trader

    haute frquence. Elle se distingue alors dune simple manipulation algorithmique de

    cours en ce quelle sopre via la passation dordre des vitesses infinitsimales qui chappe

    aux capacits humaines de perception.

    Aussi convient-il de se poser la question de savoir quest-ce que la manipulation de

    cours haute frquence et si ltat du droit positif permet ou non de lutter contre ce type

    nouveau de comportement illicite. Partant, il faut aussi sinterroger sur les lacunes de la

    rglementation actuelle et sur les ncessits dadapter le droit cette volution technologique.

    Lexamen du droit positif permet de rpondre que la rpression est particulirement

    problmatique (Partie I) et donc que la rgulation est absolument ncessaire (Partie II).

    Nanmoins, pour comprendre parfaitement cette tude, il est indispensable dexpliquer trs

    prcisment ce quest le trading haute frquence (Propos liminaire).

    16

    Sophie Baranger dans le compte rendu du 4me colloque de la commission des sanctions de lAMF du 5

    octobre 2011 p. 5

  • 10

    Propos liminaire :

    Portrait-robot du trader haute frquence

    La manipulation de cours haute frquence est une manipulation de cours

    classique mise en uvre par un trader haute frquence. Pour comprendre les enjeux, les

    problmatiques sous-jacentes, les dbats et les consquences de la rpression et de la

    rgulation de cette manipulation, il faut avoir une connaissance approfondie de linnovation

    technologique quest le THF. A la manire des enqutes criminelles, il sagit donc ici dtablir

    pralablement un portrait-robot du manipulateur, au travers de lanalyse de la nature (I) et des

    effets (II) du THF. A cette fin, les travaux institutionnels de lIOSCO17

    , de la SEC18

    , de

    lESMA19

    et de lAMF20

    sur le THF seront dune aide prcieuse.

    I Nature du trading haute frquence

    La nature du trading haute frquence est une alliance entre un trading tout fait

    traditionnel et les innovations technologiques les plus rcentes. A ce sujet, la dfinition du

    THF de lESMA traduite de langlais est particulirement complte21

    : activit de trading

    utilisant une technologie algorithmique sophistique pour interprter les donnes de march

    et, en rponse, mettre en uvre des stratgies de trading rsultant gnralement en lmission

    dordres trs haute frquence et leur transmission en des temps de latence extrmement

    rduits. Ces stratgies consistent le plus souvent en une tenue de march non contractuelle ou

    en arbitrage sur des horizons trs court terme. Elles impliquent une ngociation

    essentiellement pour compte propre et un dnouement des positions la fin de chaque

    sance. Ainsi est-il possible de retenir les deux grands critres caractristiques qui

    diffrencient le THF du trading traditionnel : le recours la technique (A) et le recours la

    vitesse (B).

    17

    Pour lInternational Organization of Securities Commission (IOSCO) : OICV-IOSCO (technical committee),

    Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity and efficiency, CR 02/11,

    july 2011 18

    Pour la Securities and Exchange Commission (SEC) : Securities and Exchange Commission, 17 CFR PART

    242, [Release No. 34-61358; File No. S7-02-10], RIN 3235-AK47, Concept Release on Equity Market Structure 19

    Pour lEuropean Securities and Markets Agency (ESMA) : ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems

    and controls in a highly automated trading environment for trading platforms, investments firms and competent

    authorities, 20 july 2011/ESMA/2011/224 20

    Pour LAutorit des marchs financiers (AMF) : Arnaud Oseredczuck, Le trading haute frquence vu de

    lAMF, 11e journe des RCCI et des RCSI, 16 mars 2011 ; Laurent Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une

    revue de littrature lusage des rgulateurs de march, Les cahiers scientifiques de lAMF n 9, Juin 2010 ;

    AMF, Marchs rglements, systmes multilatraux de ngociation (SMN), darkpools, high frequency trading :

    prsentation des enjeux, 11me Journe des RCCI et RCSI, 15 mars 2011 21

    Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading

    environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 10

  • 11

    A/. La technique : un trading algorithmique

    La singularit premire du THF est le recours la mise en uvre de stratgies de

    trading (2) par voie de programmes informatiques algorithmiques (1).

    1) Le recours aux algorithmes de trading

    Le trading haute frquence est une branche du trading algorithmique. A la diffrence

    du trading traditionnel, mettant en prsence les traders humains, la crie, le tlphone et la

    corbeille, le THF repose sur le travail dingnieurs de trs haut niveau ralisant des

    algorithmes extrmement efficaces qui seront mis en uvre par des ordinateurs la puissance

    de calcul phnomnale. Un algorithme peut se dfinir comme un ensemble de rgles

    opratoires dont l'application permet de rsoudre un problme nonc au moyen d'un nombre

    fini d'oprations qui peut tre traduit, grce un langage de programmation, en un programme

    excutable par un ordinateur22

    . Plus prcisment, le recours aux algorithmes en finance de

    march se dploie tout au long de la chane dinvestissement, au travers de lanalyse des

    donnes de march, de la mise en uvre de stratgies appropries de trading, de la

    minimisation des cots, de lexcution des transactions etc. Le trading algorithmique est ainsi

    une forme de trading fonde sur lanalyse quantitative, sur les dcouvertes les plus rcentes en

    matires de statistique et dconomtrie et emploie la technologie la plus avance en terme de

    programmation informatique et de communication lectronique23

    . Au final, lalgorithme est

    un programme lectronique dont lobjet est de gnrer, dorienter et dexcuter des ordres sur

    un march.

    Bien quil existe de nombreux types dalgorithmes, il reste possible de les systmatiser

    en deux grands groupes : les algorithmes de trading et les algorithmes dexcution24

    . Les

    algorithmes de trading, situs en amont, visent essentiellement lidentification des

    opportunits dinvestissements lachat ou la vente et se traduisent par une prise de position

    au sein du carnet dordres. A linverse, les algorithmes dexcution, aussi appels

    implementation shortfall, situs en aval, sadaptent dynamiquement lvolution des marchs

    et dterminent les modalits dexcution des transactions de la manire la plus efficace

    possible en tenant compte par exemple de la liquidit disponible, de la profondeur de march

    ou encore des temps de latence entre diffrents messages25

    .

    Limportance des algorithmes pour les entreprises de THF constitue dsormais le nerf

    de la guerre dans un monde financier ultra concurrentiel. Aussi, les entreprises de THF

    veillent de manires trs strictes sur la confidentialit de leurs programmes. Les tribunaux

    connaissent donc depuis quelques annes des affaires de vol de logiciel opposant grandes

    22

    Dfinition du dictionnaire Larousse 23

    Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity

    and efficiency p. 22 24

    Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 2 25

    Maxime Galland, La rgulation du trading haute frquence, Bulletin Joly Bourse, 01 mars 2012 n 3, P. 129

  • 12

    banques et traders sur le dpart. Pour un premier exemple, laffaire Sergue Aleynikov, ancien

    trader chez Goldman Sachs, qui a copi des lignes de codes informatiques afin de les confier

    son nouvel employeur, Teza technologie26

    . En 2010, lancien trader avait t condamn une

    peine de 97 mois de prison en premire instance, avant que la Cour dappel ne revienne sur

    cette dcision au motif que la copie ne ressortait pas du vol en ce quelle ne privait pas le

    propritaire de lutilisation des donnes27

    . Pour un second exemple, laffaire Samarth

    Agrawal, ancien trader la Socit Gnrale, condamn en 2011 trois ans de prison pour vol

    de logiciel de THF. Il sagit avec cette espce de la premire vritable condamnation, trs

    svre, pour un vol de secret industriel relatif au THF28

    . In fine, cette dcision illustre donc

    parfaitement la place cruciale du THF pour les acteurs de la sphre financire.

    2) Le recours aux stratgies de trading

    Les algorithmes sus voqus ont vocation mettre en uvre des stratgies de trading

    traditionnelles. Toutefois, lampleur de ces dernires sera tout fait nouvelle du fait des

    possibilits offertes par le THF. Thoriquement, on distingue essentiellement deux types de

    stratgies : les stratgies non directionnelles et les stratgies directionnelles29

    .

    Tout dabord, les stratgies non directionnelles ressortent dun comportement passif

    qui ne cherche aucunement imprimer un mouvement ou une tendance un cours. Il est

    possible de distinguer le market-making non contractuel et les stratgies darbitrage

    instantan30

    .

    Le market-making non contractuel ou tenue de march, consiste placer des ordres

    lachat et la vente sur un mme titre afin de capturer lcart entre prix lachat et la vente.

    Le but est donc de sintercaler entre des intrts acheteurs et vendeurs afin de se rmunrer

    sur le spread entre les deux oprations. De cette manire, lacteur fournit le march en

    liquidit pour un prix spcifique et agit ds lors comme un market-maker informel, soustrait

    aux obligations spcifiques qui devraient normalement lui incomber. Cette stratgie implique

    lmission massive dordres et leur annulation subsquente pour limiter le risque de certaines

    prises de positions et permettre la prise en compte constante de nouvelles informations.

    Larbitrage instantan consiste tirer profit de diffrence de prix, parfois infime, entre

    des valeurs identiques ou corrls, sur une ou plusieurs plateformes de ngociation. Par

    exemple, le trader haute frquence identifiera sur une plateforme une valeur sous value,

    quelle acquerra immdiatement, aux fins de revente sur une autre plateforme o la

    valorisation sera plus importante. En effet, seules les possibilits offertes par le THF

    permettent dexploiter des carts aussi infimes de prix dans un temps extrmement rduit. Le

    but est alors de dtecter et de profiter dune anomalie ou dune inefficience du march. En

    26

    http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/04/12/aux-etats-unis-le-vol-de-code-informatique-n-est-pas-

    un-vol_1684171_651865.html?xtmc=trading_haute_frequence&xtcr=1 27

    http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/03/21/goldman-sachs-un-ancien-programmeur-condamne-

    pour-vol-de-code_1496461_651865.html?xtmc=trading_haute_frequence&xtcr=26 28

    Un ex-trader de la Socit Gnrale arrt New York, Les Echos n 20661 du 21 Avril 2010 p.15 29

    Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 2 30

    Loc. cit. Galland, La rgulation du trading haute frquence

  • 13

    consquence, les prix sont lisss entre diffrents lieux de ngociation. Toutefois, cette activit,

    linverse de market-making, est structurellement consommatrice de liquidit et ncessite

    donc des couvertures adquates.

    Ensuite, les stratgies directionnelles, contrairement aux stratgies sus dveloppes,

    tentent danimer une tendance de march afin den tirer profit. A ce titre, elles soulvent des

    enjeux importants pour le rgulateur qui seront examins au cours de la premire partie (cf.

    infra). A ce stade, il est possible de citer quelques stratgies typiques. On retrouve les

    stratgies de retour la moyenne , aussi appeles mean-reverting, pariant sur le fait quun

    cours loign de sa moyenne finira par y retourner. De la mme manire, les stratgies de

    trend-following ou momentum tente de dceler la poursuite ou lamplification dune tendance

    de march sur la base dun signal quelconque afin den tirer profit. La plupart du temps, la

    stratgie directionnelle nest pas couverte et sopre sur des horizons trs court terme,

    recherchant raliser un profit sur une position intra day31

    .

    Il convient nanmoins de prciser que les algorithmes et les stratgies mis en uvre ne

    seraient rien sans le bnfice de temps de latence extraordinairement rduits.

    B/. La vitesse : un trading haute frquence

    La singularit seconde du THF est la vitesse avec laquelle le trader accde au march

    (1) et agit sur le march (2).

    1) Vitesse dans laccs au march

    Le trading algorithmique existe sous plusieurs formes, notamment sous la forme du

    THF, avec dans ce cas une particularit qui tient une vitesse dexcution des ordres

    infinitsimale. La recherche de la vitesse sopre toutes les tapes de la transaction : rapidit

    de transmission des informations dun march vers le serveur de lentreprise de THF, rapidit

    dans la prise de dcision de lentreprise de THF sur la base des informations reues, rapidit

    dans la transmission de la prise de position depuis lentreprise de THF vers le march et

    rapidit dexcution de lordre ainsi transmis. De fait, la vitesse sentend donc dans le sens o

    un acteur doit tre capable de prendre et de dnouer des positions dans des temps de latence

    trs courts mais plus encore dans le sens o un acteur doit tre plus rapide que ses concurrents

    dans la mise en uvre de son activit32

    . Pour exemple, une tude mene par lAMF sur une

    valeur du CAC 40 au cours dune sance particulirement active. Il en rsulte que le nombre

    de messages transmis au march tait de 800 000, que le nombre dordres passs tait de

    540 000, que la frquence des ordres pouvait atteindre 600 messages par seconde et que la

    31

    Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.

    45 32

    Loc. Cit. Securities and Exchange Commission, Concept Release on Equity Market Structure p. 58

  • 14

    plus courte dure de vie dun ordre annul tait de 25 microsecondes33

    . En ce sens, un

    fondateur dentreprise de THF franaise affirme traiter en moyenne 10 000 15 000 ordres

    par jours, avec une possibilit daller-retour (dcision, passage dordre et annulation) dans

    lespace dune milliseconde34

    . Dans la recherche dune rapidit maximale, on retrouve les

    facteurs traditionnels que sont les ordinateurs et algorithmes, mais plus encore, on retrouve

    des mcanismes appartenant la structure de march.

    Tout dabord, il sagit de la colocation, qui est un procd par lequel un acteur du THF

    va tenter de se rapprocher au plus prs possible des serveurs de lentreprise de march, afin de

    raccourcir la longueur des cbles transmettant linformation et de gagner quelques secondes,

    microsecondes ou millisecondes sur les concurrents. Il ne sagit l, ni plus ni moins, que de la

    reprise de la pratique qui consistait pour les courtiers payer plus cher lemplacement situ

    proximit de la corbeille35

    . Ainsi est-il de notorit publique que les mtres carrs les plus

    onreux des grandes capitales se trouvent proximit immdiate dune entreprise de march.

    Les entreprises de THF nhsitent plus investir des sommes faramineuses pour gagner une

    fraction de secondes sur le reste du march. L o certains constatent une perversion du

    systme, dautres estiment que la colocation nest que laboutissement dune avance

    technologique.

    Ensuite, il sagit du direct electronic access (DEA) selon la terminologie de

    lIOSCO36

    , aussi appel direct market access (DMA) selon la terminologie de lESMA37

    .

    Pour reprendre cette dernire acception, le DMA peut prendre plusieurs formes. Il sagit de

    lautomated order routing (AOR), une convention par laquelle une entreprise

    dinvestissement, membre, participante ou utilisatrice dun march, autorise certains de ses

    clients utiliser son serveur interne et son identifiant pour accder au march et y transmettre

    des ordres. Dans un autre sens, le sponsored access (SA) est une convention en tout point

    similaire, la diffrence que les ordres ne transitent pas sur le serveur interne de lentreprise

    dinvestissement mais sont transmis directement par le client au march. Autrement dit,

    lAOR et le SA mettent en prsence un membre de march, permettant un non membre de

    march, daccder directement ou indirectement au march via lidentifiant du membre de

    march. Ainsi, ce procd permet daccder un march par le truchement dun

    intermdiaire, en bnficiant de temps de latence rduits et dun anonymat total. Un tel

    mcanisme est donc, linstar de la colocation, un outil pour gagner en vitesse et prendre

    avantage sur les concurrents38

    . Ce mcanisme ne va pas sans poser un nombre considrable de

    difficults sur lesquelles on reviendra plus tard dans ltude (cf. infra).

    33

    Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 5 34

    http://www.agefi.fr/articles/la-crise-favorise-l-emergence-du-trading-automatique-1064879.html 35

    http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0201883138036-le-trading-a-haute-

    frequence-une-activite-decriee-dans-le-collimateur-des-autorites-285367.php 36

    Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity

    and efficiency p. 17 37

    Loc. Cit. Securities and Exchange Commission, Concept Release on Equity Market Structure p. 58 38

    Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.

    51 et suivants

  • 15

    Enfin, il sagit des flash orders, aussi connus sous le nom dordres flash. En ralit,

    lordre flash est une convention titre onreux entre une entreprise de march et un membre

    de march, selon laquelle la premire va permettre au second de bnficier, pendant quelques

    millisecondes, de la connaissance dun ordre avant mme que celui-ci ne soit transmis au

    public39

    . Cette pratique ressemble fort lancienne pratique de certains traders qui, recevant

    un ordre dun client, le criaient haute voix aux autres traders de son tage, permettant ainsi

    ses voisins dintervenir avant tout autre au moment de la transmission de lordre au march.

    Cest une pratique assez proche dun dlit diniti, puisque seuls quelques intervenants, ayant

    acquitt une rmunration et tant quips de linfrastructure permettant de tirer profit dune

    telle information, sont mme dintervenir avant tout autre sur lordre ainsi transmis. Encore

    une fois, le but dun tel mcanisme est de gagner quelques secondes sur le reste du march, au

    mpris des autres acteurs du march. Nanmoins, il convient de la relativiser, en ce sens

    quelle est principalement usite outre-Atlantique, par les plateformes Nasdaq, BATS, CBOE

    et Direct Edge, et que les deux premires, sous pression, ont dores et dj annonc

    abandonner cette pratique. Par ailleurs, la Security and Exchange Commission (SEC) a vot,

    lunanimit, une proposition consistant interdire le flash trading aux Etats-Unis, motif pris

    quil compromettait gravement lintgrit des marchs financiers et lgalit daccs au

    march40

    .

    2) Vitesse dans lactivit sur le march

    Le THF est fond sur une vitesse daccs au march, mais pas seulement, puisque la

    vitesse anime de la mme manire lactivit dploye sur le march. Les positions dun trader

    haute frquence peuvent tre systmatises comme journalires, massives et clairs41

    .

    Premirement, les positions dun trader haute frquence sont des positions intra day

    ou journalires. En effet, la mise en uvre des stratgies sus voques doit tre, en fin de

    sance, la plus neutre possible, pour viter de porter une position non couverte aprs la

    clture. Ds lors, le THF met presque exclusivement en uvre des stratgies trs court

    terme, afin dliminer tout risque entre deux sances. Deuximement, les prises de positions

    sont massives. Les stratgies de THF reposent sur la capture dcart de prix infimes. Par

    consquent, la condition sinequanone de la profitabilit dune stratgie rside dans la

    ralisation dallers-retours incessants sur le march. De fait, une entreprise de THF met

    plusieurs milliers dordres la seconde sur plusieurs milliers de valeurs situes sur une

    pluralit de plateforme. Troisimement, les prises de position sont clairs en ce sens que

    lmission dun ordre est le plus souvent immdiatement annule. Le ratio dannulation peut

    ainsi atteindre plus de 99% pour une seule et mme entreprise. Lannulation constitue parfois

    le reflet dun changement des conditions de march, mais reste le plus souvent inhrente aux

    39

    http://www.agefi.fr/articles/l-offre-de-service-de-flash-trading-se-reduit-comme-peau-de-chagrin-outre-

    atlantique-1103218.html 40

    http://www.agefi.fr/articles/l-autorite-boursiere-americaine-porte-le-coup-de-grace-au-flash-trading--

    1107762.html 41

    Loc. cit. Galland, La rgulation du trading haute frquence

  • 16

    stratgies mises en uvre, comme la dtection danomalies ou de tendances de march.

    Chaque ordre est alors un test, un sondage, permettant de mettre jour une transaction qui

    sera ralise aux meilleures conditions42

    . Ces lments amnent certains penser que le THF

    atteint aujourdhui les limites physiques de la diffusion lectronique de linformation43

    .

    Le THF se caractrise donc par lexistence de stratgies algorithmiques mises en

    uvre par des ordinateurs et programmes informatiques extrmement vloces. Avant

    daborder la manipulation de cours mise en uvre par THF, il faut analyser plus avant les

    consquences pratiques de ces nouveaux mcanismes sur les marchs financiers.

    II Effets du trading haute frquence

    Au-del des caractristiques techniques du THF, pour prendre pleinement la mesure de

    lessor de cette nouvelle technologie, il faut en analyser les effets, tant positifs (A) que

    ngatifs (B), sur les marchs financiers.

    A/. Effets positif du trading haute frquence

    Lapprciation des effets positifs du THF est parfois dlicate effectuer en raison du

    manque de recul sur une technologie aussi rcente, de la multiplicit des volutions parallles

    sur les marchs financiers et de lapprciation parfois divergente des auteurs. Toutefois, il

    semble aujourdhui possible daffirmer, aprs synthse des tudes disponibles, que le THF

    emporte un effet bnfique pour lapport de liquidit au march (1) et pour le processus de

    formation des prix (2).

    1) Lapport de liquidit au march

    Les tudes sur la question de savoir si le THF a un effet positif ou ngatif sur la

    liquidit sont peu nombreuses et difficiles concilier. Nanmoins, il semble se dgager un

    consensus pour expliquer que dune manire globale, le THF augmente la liquidit sur les

    marchs. En effet, selon les travaux de lESMA, tant sur le plan de la recherche acadmique

    que des rponses des professionnels de march la consultation, le THF amliore la mesure

    instantane de la liquidit en rduisant lcart entre loffre et la demande et agit favorablement

    sur la profondeur du march44

    . Dans le mme sens, lAMF note que les activits de market

    making et darbitrage ci-dessus dveloppes renforcent la liquidit45

    . Dautres travaux en

    42

    Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity

    and efficiency p. 22 43

    Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.

    58 44

    Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading

    environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 53 45

    Loc. Cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 7

  • 17

    France ou encore aux Etats-Unis46

    , font tat d'une capacit accrue des marchs fournir de la

    liquidit, d'une diminution du cot de la liquidit effectivement consomme et des bnfices

    du trading algorithmique pour la liquidit et la formation des prix sur les marchs.

    Cependant, ces tudes sont nuances par dautres, qui relvent effectivement une

    augmentation de la liquidit, mais avancent galement un changement de nature. Ainsi, la

    liquidit serait atomise sur le march dans le temps et dans lespace, les transactions tant

    fractionnes par priode voire fragmentes entre plusieurs plateformes47

    . En ce sens, une

    tude de CA Chevreux explique que : des poches de liquidit accrue se sont constitues,

    mais cette liquidit est un leurre et est devenue fugace, instable et illusoire car la mme

    quantit d'actions ne fait qu'apparatre plusieurs fois dans la mme journe et que la

    liquidit a peut-tre augment, mais il semble qu'elle a au minimum chang de nature .

    Il devient donc assez difficile darbitrer sur lapport du THF la finance de march

    entre apport en liquidit ou mutation en liquidit fantme. In fine, il est permis de tirer une

    conclusion globale en reprenant le consensus voqu par lESMA : le THF, apporteur de

    liquidit, est facteur de progrs jusqu preuve du contraire.

    2) Lamlioration du processus de formation des prix

    Pour la question de savoir quels sont les effets du THF sur le processus de formation

    des prix, les tudes cette fois-ci convergent pour affirmer quil constitue un facteur positif.

    Effectivement, ainsi que le notent lAMF48

    ou encore lESMA49

    , le THF participe

    lefficacit du march en quilibrant les prix entre les places et entre les valeurs lies

    amliorant ainsi le processus de dcouverte du prix. On sait que les participants du march ont

    une capacit limite, lie au cot de suivi des marchs, pour valuer la totalit des

    informations pertinentes sur une valeur. Ds lors, le processus de THF est trs utile en ce sens

    quil augmente la liquidit, renforce la capacit du march supporter les chocs de liquidit,

    rduit la slection adverse et augmente le contenu informationnel des ngociations. Plus

    prcisment, les algorithmes identifient instantanment la dviation dune valeur par rapport

    son cours normal au travers du traitement automatis des informations et agissent pour en tirer

    profit contribuant un rquilibrage de loffre et la demande et donc une formation du prix

    efficiente. Plus encore, ainsi que le notent les professionnels ayant rpondu la consultation

    de lESMA, le THF contribuerait limiter la volatilit des prix. Un tel phnomne est le plus

    souvent du un dsquilibre important entre loffre et la demande dune mme valeur

    emportant dstabilisation du carnet dordre. Or, dans ce type de situation, le fait de fournir de

    la liquidit sur le march permet de rduire les carts et donc contribue restaurer un

    46

    Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.

    58 47

    Ibid. p. 61 48

    Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 7 49

    Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading

    environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 68

  • 18

    fonctionnement efficace et ordonn du march. Par voie de consquence, les cours sont lisss

    et les prix refltent une apprciation plus relle.

    Toutefois, une nuance peut tre apporte au regard des travaux de lIOSCO sur ce

    thme50

    . Sans prouver une telle assertion, linstitution avance que la nature trs court-termiste

    de nombreuses stratgies de trading, avec la rapidit phnomnale et la quantit ahurissante

    des volumes ngocis pourraient contribuer loigner le cours dun instrument de sa valeur

    fondamentale et contrarier le processus de dcouverte du prix.

    Au final, il semble alors que le THF renforce lefficience du march dans ses fonctions

    de pourvoyeurs de liquidit et dans sa contribution llaboration du prix. Toutefois, un tel

    mcanisme ne va pas sans emporter certains risques.

    B/. Effets ngatifs du trading haute frquence

    Le dveloppement du THF nemporte pas que des effets bnfiques pour le march.

    Bien au contraire, les pluparts des tudes susmentionnes font aussi tat de la naissance de

    nouveaux risques. Ainsi la cartographie des risques 2011 de lAMF vise le THF et les enjeux

    relatifs sa rgulation51

    . De manire synthtique, le THF emporte un risque

    macroconomique et microconomique en remettant en cause la devise reine des marchs

    financiers : scurit (1), galit, intgrit (2).

    1) Le risque macroconomique : atteinte la scurit des marchs

    financiers

    Les grands principes directeurs des marchs financiers visent notamment la

    prservation de la scurit des marchs, essentiellement au travers de dispositions encadrant et

    limitant le risque systmique, qui peut se dfinir comme un risque de dsquilibre de grande

    ampleur qui rsulte de lapparition de dysfonctionnements dans les systmes bancaires ou

    financiers, lorsque linteraction des comportements individuels, au lieu de dboucher sur des

    ajustements correcteurs, porte atteinte aux quilibres conomiques gnraux52

    . Ainsi que le

    note lAMF, lessor exceptionnel du THF ces dernires annes emporte lexistence dun

    risque systmique qui peut tre illustr par un certain nombre dexemples dont le plus

    important reste celui du flash crash en date du 6 mai 201053

    . Plus prcisment, lutilisation

    dalgorithmes pour sonder les inefficiences du march et les tendances qui lui sont sous-

    jacentes, effectuer des prises de positions lachat ou la vente ainsi que des annulations

    50

    Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity

    and efficiency p. 28 51

    Communiqu AMF, Cartographie 2011 des risques et tendances sur les marchs financiers et pour, lpargne

    30 mai 2011, Bulletin Joly Bourse, 01 juillet 2011 n 7, P. 223. 52

    T. Bonneau et D. Drummond, Droit des marchs financiers, Troisime dition, Economica, p. 23 22 53

    Marc-Antoine Lacroix et Emmanuelle Mayet-Delord, Le flash crash du 6 mai 2010 : linnovation contre la

    stabilit ? Rapport moral sur largent dans le monde 2010

  • 19

    subsquentes, le tout dans une vitesse phnomnale et sans aucune intervention humaine,

    soulve la question dune dfaillance du processus. De la mme manire, il est aussi possible

    denvisager des interactions conflictuelles entre algorithmes qui pourraient avoir les mmes

    rsultats. Il en rsulterait une amorce de tendance, qui pourrait tre reprise mimtiquement par

    dautres algorithmes et entrainerait in fine un bouleversement des cours significatif sans

    raison aucune. Un tel risque a t mis en exergue par les travaux de lESMA et les rponses

    des professionnels54

    . Ainsi, linstitution fait tat du risque de ralentissement des transactions

    et derreurs dans la passation des ordres, ou plus encore, expose la menace rsultant dune

    perturbation algorithmique qui viendrait rduire la liquidit disponible et consquemment

    augmenter fortement la volatilit des valeurs.

    Pour un exemple tout fait majeur, il est possible de citer le krach clair du 6 mai

    2010 aux Etats-Unis. Ce jour, entre 14h35 et 14h47, heure de New York, lindice Dow Jones

    sest effondr denviron 9% sans raison apparente, avant de recouvrer son cours habituel. En

    8 minutes, plus de 1000 milliard de dollars ont t perdus. Certaines valeurs phares ont t

    rduites ltat de penny stock. La grande majorit des 8000 valeurs ont t, pendant ces

    quelques minutes, ngocies sur la base dune dcote de 5 15% en moyenne, et pour 300

    dentre elles, sur une dcote de 60%. En consquence, les deux autorits de rgulation des

    marchs financiers comptentes, la Securities and Exchange Commission (SEC) et la

    Commodity Futures Trading Commission (CFTC), ont ouvert une enqute. Celle-ci a dur

    prs de cinq mois et un rapport final a t rendu.

    Selon ce rapport55

    , les causes du flash crash sont trs difficiles identifier du fait de la

    masse gigantesque de donnes quil sagissait dtudier. Nanmoins, il demeure possible de

    tirer quelques conclusions sur cet vnement. Llment dclencheur semblerait-tre un

    gestionnaire dactif, Waddell and Reed Financial qui, par la passation dune srie dordres

    mise en uvre via un algorithme, a vendu une srie de contrats terme sur lindice Standard

    and Poors 500 pour couvrir ses positions sur les marchs actions. A ce moment, une

    interfrence algorithmique aurait eu lieu et une raction en chane de comportements

    mimtiques se serait produite. Dans le mme temps, une mise en ventes sur le march action

    se serait couple avec la disparition de certains teneurs de march. Il en serait rsult la chute

    des cours que lon connait. Un effet papillon lectronique et irrationnel serait donc la source

    de ce krach clair dune nouvelle nature. Les conclusions du rapport sur leffet exact du THF

    restent prudentes mais prcisent clairement que, dans des conditions de marchs difficiles,

    linteraction entre algorithmes peut avoir pour effet dteindre la liquidit disponible et

    provoquer de profonds dsordres sur les marchs, rsidant notamment dans une volatilit

    exacerbe. En consquence, les autorits de rgulations ont fourni un certain nombre de

    recommandations sur la ncessit dtablir un corps de normes adapt aux dfis dun monde

    financier automatis. Plus encore, une dcision du 6 juin 2010 de la SEC a mis en place un

    54

    Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading

    environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 70 55

    SEC, Finding regarding the market events of may 6, 2010, Report of the staffs of the CFTC and SEC to the

    joint advisory committee on emerging regulatory issues, September 30, 2011

  • 20

    coupe circuit obligatoire ds lors que le cours dune valeur varie de plus de 10 % en moins de

    cinq minutes.

    In fine, cet exemple doit contribuer dbattre du risque systmique quemporte le

    recours globalis au THF. Le risque macroconomique nest toutefois pas le seul existant, le

    THF emporte galement des risques microconomiques.

    2) Risques microconomiques : atteinte lgalit des investisseurs et

    lintgrit du march

    Outre le principe directeur de scurit, on retrouve nombre dautres principes visant la

    protection des investisseurs et des investissements. Sur le plan microconomique, il sagit

    essentiellement des principes dgalit des investisseurs et dintgrit des marchs56

    . Alors

    que le premier cherche mettre en place une galit daccs linformation et au juste prix

    dquilibre ou tout le moins une protection quant ce prix, le second veille plus

    particulirement au fait que les intervenants nabusent pas le march, en utilisant des

    informations privilgis ou en vhiculant de fausses informations, aux fins de manipuler le

    cours.

    Force est de constater, ainsi que le relve lESMA57

    , que lessor du THF emporte un

    risque quant la protection de linvestisseur sur le plan individuel. En ce sens, lIOSCO

    consacre une partie de ses travaux au problme de lgalit et de lintgrit entre

    investisseurs58

    . Deux ides forces peuvent tre extraites de ces rapports : un risque relatif la

    concurrence sur le march et un risque relatif la rpression des abus de march.

    Tout dabord, il existe un risque sur le plan de la concurrence entre les intervenants sur

    le march. Les entreprises utilisant le THF investissent massivement dans les infrastructures

    tels les ordinateurs et les systmes de communications. De la mme manire, elles emploient

    une part significative de leur ressource dans la recherche et dveloppement dalgorithmes ce

    qui ncessite un capital humain trs qualifi et donc trs coteux. Plus encore, la course la

    vitesse que se livre les oprateurs renforce dautant le problme, via les mcanismes de

    colocation, de direct market access/sponsored access ou encore dordres flash sur certaines

    plateformes. La question se pose alors de savoir sil existe une rupture dgalit dans la

    concurrence sur le march et, dans laffirmative, de dterminer si elle rsulte dune pratique

    illicite ou dun simple avantage technologique. Pour rpondre au premier point, il est possible

    de constater le dveloppement de barrires lentre technologiques trs importantes,

    provoquant llaboration dun march deux vitesses. Aussi peut-on dsormais parler dun

    march haute frquence et dun march basse frquence, preuve sil en est de la rupture

    56

    Op. cit. Bonneau et Drummond, Droit des march financier, p. 25, 25 et suivants 57

    Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading

    environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 70 58

    Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity

    and efficiency p. 29

  • 21

    dgalit dans laccs au march et de lexistence dune distorsion de concurrence entre

    acteurs. Pour rpondre au second point, il ne semble pas possible de faire tomber le THF sous

    le coup du droit de la concurrence, et on ne peut alors quen conclure que cet avantage

    concurrentiel est le rsultat dun avantage technologique. Par voie de consquence, le risque

    est que certains intervenants traditionnels des marchs financiers, dcourags par la captation

    des opportunits de profits par quelques entreprises et un accroissement des pertes

    enregistres, se retirent du march selon le processus bien connu de slection adverse ou

    migrent vers des plateformes moins transparentes telles les dark pools59

    . Le THF fait donc

    natre un risque de rupture dgalit entre intervenants sur le march.

    Ensuite, le THF suscite de trs forte raction sur la question du risque pour lintgrit

    des marchs du fait de nouvelles possibilits dabus de march. Les stratgies de trading

    algorithmique ultra rapides laissent entrevoir un renouveau des pratiques abusives, quil

    sagisse dopration diniti, de diffusion de fausses informations ou de manipulation de

    cours. Dans chacun des cas, la rpression traditionnelle des abus de march navait pas

    envisag avoir affaire une telle innovation technologique et financire. Il en rsulte que les

    cas litigieux sont la marge du licite et de lillicite. A ce titre, il est permis de citer quelques

    illustrations. Premirement, peut-on penser que la pratique des ordres flash ressort du champ

    de la prohibition des oprations diniti 60

    ? Dans ce genre de situation, un ordre est transmis

    prioritairement par lentreprise de march quelques membres de march, pendant une

    fraction de seconde, sans que le reste du public nen soit inform. Les membres de march

    pourraient semble-t-il tre qualifis dinitis effectuant des transactions sur le fondement

    dune information privilgie61

    . Deuximement, peut-on estimer quun trader haute

    frquence transmettant des ordres pour compte de tiers puisse, du fait de sa rapidit, en tirer

    profit pour effectuer une opration inverse en compte propre ? Sagit-il alors dune pratique

    de front running interdite62

    ? Troisimement, peut-on qualifier lmission dordres la

    milliseconde avec annulation immdiate subsquente comme une diffusion de fausses

    informations sur le carnet dordre 63

    ? Les quelques exemples sus voqus permettent de

    constater linsuffisance de rgulation propre aux possibilits nouvelles offertes par le THF et

    lexistence dun risque accru et nouveau pour lintgrit des marchs.

    In fine, il est possible daffirmer, ainsi que le fait Jean-Pierre Jouyet : Le gendarme

    est-il en mesure de courir aussi vite que le voleur ? A lheure o les transactions sur les

    marchs dactions sont rparties sur de multiples plateformes de ngociation, o les ordres

    59

    Les dark pools sont des plateformes de ngociation soumises des rgles de transparences pr et post-ngociation allgs, permettant notamment de vendre ou acheter sans que le prix ou la quantit des transactions

    napparaissent et donc sans dvoiler aux autres intervenants la stratgie de trading. 60

    Une opration d'initi est un dlit ou un manquement boursier que commet une personne qui effectue une

    transaction sur le fondement dinformations inconnues du public alors mme quelles devaient ltre. 61

    http://www.lemonde.fr/economie/infographie/2010/06/18/le-flash-order-un-delit-d-initie-

    legal_1371452_3234.html 62

    Le front running consiste pour un intermdiaire financier tirer profit pour son propre compte et en

    contradiction avec ses responsabilits fiduciaires de linformation quil possde sur les ordres de ses clients 63

    La diffusion de fausses informations est un dlit ou un manquement consistant en la diffusion dinformations

    errones que le diffuseur savait ou aurait du savoir comme tant contraire la ralit

  • 22

    sont excuts ou annuls, nous lavons vu, en quelques micro secondes, o les transactions

    sur les marchs drivs se multiplient, la tche pour les services de lAutorit des marchs

    financiers qui traquent les abus de marchs est de plus en plus ardue.64

    Plus encore, le THF

    fait natre un vritable risque de renouveau de la manipulation de cours et limportance

    cruciale de la question mrite de lui consacrer deux parties entires quil convient ds

    prsent daborder.

    64

    Jean-Pierre Jouyet dans le compte rendu du 4me colloque de la commission des sanctions de lAMF du 5

    octobre 2011 p. 30

  • 23

    Premire Partie :

    La rpression problmatique des manipulations de cours haute

    frquence

    La rpression de la manipulation de cours est irrigue par la morale et par lidologie

    de lconomie de march et vise punir les comportements qui emporteraient une variation

    artificielle du cours de bourse la hausse ou la baisse. Cette infraction pnale et ce

    manquement administratif ont t faonns au cours des sicles pour apprhender les

    comportements de spculateurs malhonntes dans une sphre financire visage humain .

    Or, on la vu, tel nest plus le cas. Lautomatisation des marchs financiers est en marche et la

    course la technologie est lance. Ds lors, de nouvelles pratiques de march qui ntaient

    absolument pas prvues par les textes originels mergent. Ainsi faut-il se poser la question de

    savoir si le droit positif permet dapprhender les nouvelles possibilits de manipulation de

    cours offertes par le THF. A lexamen approfondi de celui-ci, il ressort quen thorie les

    textes permettent bien de rprimer ces nouveaux comportements (I), mais quen pratique la

    mise en uvre est beaucoup plus complexe (II).

    I Lapplication thorique de la manipulation de cours au trading haute frquence

    Pour rpondre la question susvoque, il est ncessaire de confronter, conformment

    au raisonnement juridique traditionnel du syllogisme judiciaire, le droit au fait. Le fondement

    de la rpression de la manipulation de cours (I) sera donc mis en balance avec les nouvelles

    pratiques manipulatrices mise en uvre par un trader haute frquence (II).

    A/. Le fondement de la rpression : la manipulation de cours

    Le fondement de la rpression de la manipulation de cours est double, la fois pnal et

    administratif. Nanmoins, les deux fondements nembrassent pas les mmes comportements

    et plus encore, nont pas la mme importance en pratique. Lanalyse de la mise en uvre de la

    rpression a mis en exergue le fait que le manquement administratif est un palliatif (1)

    un dlit pnal inutilisable (2).

    1) Un dlit pnal inutilisable

    La rpression pnale du manquement de manipulation de cours comporte une forte

    coloration morale65

    . En effet, la ratio legis de lincrimination est la sanction dune pratique

    contraire la transparence et lintgrit des marchs de nature troubler la confiance des

    investisseurs. Le manipulateur sarroge un profit illgitime, en dterminant unilatralement la

    hausse ou la baisse dune cours, au mpris des autres intervenants. Le but poursuivi est donc

    la protection des acteurs du march par la punition de celui dentre eux qui aurait agit de

    65

    Loc. cit. Vauplane et Simart, la notion de manipulation de cours et ses fondements en France et aux USA

  • 24

    manire dloyale et injuste. Cest ainsi que larticle L 465-2 alina 1 du CMF dfinit

    llment matriel de lincrimination : Est puni des peines prvues au premier alina de

    l'article L. 465-1 le fait, pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement ou

    par personne interpose, une manuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement

    rgulier d'un march rglement en induisant autrui en erreur. En outre, la dimension

    pnale de la rpression et sa dimension morale emporte la ncessit de caractriser un lment

    intentionnel.

    En premier lieu, llment matriel de linfraction est constitu de trois lments

    cumulatifs66

    .

    Il faut tout dabord caractriser une manuvre ou une tentative de manuvre. La

    manuvre ncessite une action organise dune certaine ampleur. Ce terme nigmatique peut

    tre expliqu via les travaux prparatoires de la loi susmentionne du 22 janvier 1988. A ce

    titre, sont principalement vises les manuvres : [...] qui consistent crer par des ventes

    dcouvert des mouvements de baisse importants du cours des actions d'une socit, non

    motivs par la situation de la socit, suivi de rachats d'une quantit plus importante de titres

    un cours trop bas, le profit tant ralis lorsque les cours remontent un niveau normal ;

    [...] qui consistent procder la mme opration par la diffusion de nouvelles ou de

    rumeurs, ou par des offres de vente situes systmatiquement trs prs du niveau des

    transactions en baisse afin d'acclrer la baisse ; [...] qui consistent encore raliser le

    mme type d'opration de faon bnficier des positions antrieurement prises sur le

    march des options ; [...] qui consistent faire monter par achat ou procd quivalent -

    comme dans les deux exemples prcdents - la hausse les cours d'un titre avant l'mission

    de titres de capital de faon majorer le prix offert par rapport au prix qu'exigerait un

    march normal 67

    .

    Ensuite, cette manuvre doit avoir pour objet dentraver le fonctionnement rgulier

    dun march rglemente. Il faut infrer de cette proposition que leffet na aucune

    importance. Lagissement doit viser empcher llaboration du cours par le jeu de loffre et

    la demande et linfraction se trouve consomme par la seule analyse de lobjectif poursuivi.

    Linfraction est donc de nature formelle.

    Enfin, cette manuvre doit tre de nature induire autrui en erreur. Une nouvelle fois,

    il nest pas ncessaire que lagissement induise autrui en erreur. Il suffit au juge de considrer

    quun investisseur aurait pu tre flou par le manipulateur pour caractriser le manquement.

    Pour un exemple trs classique, il est permis de renvoyer la sanction de la technique de la

    bouilloire, par laquelle le manipulateur slectionne un certain nombre de titres dont le march

    est troit et sensible et le manipule rapidement la hausse en passant de trs nombreux ordres

    dachats sans couverture, de manire persuader les spculateurs de limminence dune

    opration sur ce titre pour les conduire entretenir la hausse68

    . Il nen demeure pas moins,

    pour reprendre les propos dun auteur, qu il faut un singulier effort dimagination pour

    tenter de dceler la nature des manuvres distinctes de linformation publique, qui soient

    66

    Eric Dezeuze, Bref survol des contours du dlit de manipulation des cours, AJ pnal 2011, p. 61 67

    Rapport Auberger n 1073, p.113, Doc. AN 1987-1988 , 1er

    section 68

    T. corr. Paris 14 mars 1990

  • 25

    capables dinduire autrui en erreur dans ses dcisions dinterventions sur le march. 69

    Voici donc que llment matriel pose une premire difficult pour son application au THF.

    En second lieu, aprs avoir mis en exergue llment matriel, il est ncessaire de

    caractriser un lment intentionnel70

    . Cet lment a persist malgr la suppression du mot

    sciemment par la loi du 2 aot 1996. Il est de lessence mme de la nature pnale de la

    rpression71

    et sinfre galement de la dfinition de llment matriel72

    . A la lecture du

    CMF, on comprend la ncessit de caractriser non pas la seule intention dlictueuse, mais

    plus encore, lintention de fausser le fonctionnement du march. Au dol gnral est substitu

    le dol spcial. Le juge pnal doit sonder la conscience du manipulateur. Le lgislateur

    souhaite confrer une latitude au juge, pour lui permettre de faire le tri entre les manipulations

    lgitimes et illgitimes, entre celle visant entraver le march et induire autrui en erreur et les

    autres. Quoi quil en soit, selon la tendance bien connue en droit pnal des affaires, lintention

    peut trs bien tre infre des manuvres et du contexte. Nanmoins, le sous-jacent moral de

    linfraction et la ncessit de caractriser llment intentionnel pose le plus souvent un

    second type de difficult, qui sera dautant plus important dans le cas du THF.

    In fine et trs rapidement, les personnes physiques poursuivies sur ce fondement

    encourent jusqu deux annes d'emprisonnement et 1 500 000 d'amende ou dix fois le

    montant du profit ralis et les personnes morales risquent une amende de 7 500 000 ou

    cinquante fois le montant des profits raliss. La sanction est particulirement dissuasive.

    Toutefois, la qualification de dlit pnal de manipulation de cours porte en elle ses

    propres limites. Le cumul dune manuvre difficile apprhender avec la ncessit de sonder

    lesprit du manipulateur met le juge dans une posture difficile. Aussi est-il trs difficile

    didentifier le comportement dlictueux mais plus encore den apprhender lintention. Pour

    consquence, une rpression quasi inexistante : seules deux sanctions dans lhistoire du dlit

    boursier de manipulation de cours73

    . Certains auteurs ont mme plaid pour labandon pur et

    simple du dlit pnal, qualifi d inutilisable , pour lui prfrer son versant administratif,

    beaucoup plus simple mettre en uvre74

    . Lapplication du dlit pnal en gnral, et au THF

    en particulier, semble trs compliqu. Il faut alors lui prfrer le manquement administratif.

    69

    Ch. Freyria, les aspects rpressifs de la rglementation boursire actuelle, revue de droit bancaire n 8 juillet-

    aot 1988 p.133 70

    Loc. cit. Dezeuze, Bref survol des contours du dlit de manipulation des cours 71

    121-2 alina 1er

    du code pnal 72

    L 465-2 du CMF 73

    T. corr. Paris 14 mars 1990 et Cass. Crim., 28 janvier 2009 74

    H. de Vauplane et O. Simart, Dlits boursiers : propositions de rforme, Revue droit bancaire et bourse n61,

    mai juin 1997, p.85

  • 26

    2) Un manquement administratif palliatif

    A linverse du dlit pnal, le manquement administratif de manipulation de cours est

    dinspiration conomique75

    . A limage de linfraction amricaine de manipulation de cours, il

    sagit cette fois de protger lefficience du march, de permettre la synthse des informations

    sur une valeur, la rencontre de loffre et de la demande et la formation dun cours reprsentatif

    dun instant donn. La morale na aucun rle jouer dans le cas prsent. Dans cette

    configuration, le manipulateur trouble loptimum atteint en ce sens quil dforme ou cre

    artificiellement linformation et organise un march spculatif court terme inefficient. Le

    processus complexe de formation des prix est bris, le march dans son ensemble est ls.

    Cette infraction est prvue larticle 631-1 RG AMF. Il convient de prciser

    immdiatement que cette disposition ne fait aucune rfrence un quelconque lment moral

    et que la nature administrative de la rpression ne commande pas que celui-ci soit caractris.

    Ds lors, lAMF a pu en dduire dans sa jurisprudence quaucune intention ntait ncessaire

    pour qualifier un comportement de manipulation de cours76

    . Ainsi, le juge est beaucoup plus

    libre pour identifier un manipulateur et apprcier la manipulation. A ce jour, lAMF a pu

    sanctionner seize reprises sur le fondement de la manipulation de cours, dans des hypothses

    somme toute assez dlicates et en prononant des sanctions parfois trs dissuasives77

    . Il est

    dores et dj possible den dduire que ce manquement sera beaucoup plus ais manier

    pour une ventuelle rpression du THF.

    Malgr labsence dlment moral, il demeure ncessaire de caractriser un lment

    matriel. Le lgislateur avec larticle 631-1 RG AMF reprend les dispositions de la directive

    europenne et opte pour une liste plutt que pour une dfinition gnrale. Pour simplifier cet

    article compliqu, on peut le dcomposer en trois parties pour trois cas de manipulation de

    cours78

    .

    Premirement, larticle 631-1 1 a) sanctionne les tromperies sur loffre et la

    demande : Le fait deffectuer des oprations ou dmettre des ordres : Qui donnent ou sont

    susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur loffre, la demande ou le

    cours dinstruments financiers . On retrouve ici la conception conomique de linfraction : le

    cours doit tre le produit de la rencontre de loffre et de la demande et personne ne doit

    interfrer avec ce processus. Par exemple : les achats ou ventes dun mme titre pour le

    compte dun seul et mme ayant droit (wash trade) ; les oprations croises dachat et de

    vente dune mme valeur mobilire sur le compte propre dun ngociant (nostro-nostro

    inhouse crosses) ; les altrations de liquidit et de prix provoques, de manire intentionnelle,

    par un excs dordres dachat ou de vente (painting the tape, ramping, capping, pegging,

    75

    Loc. cit. Vauplane et Simart, la notion de manipulation de cours et ses fondements en France et aux USA 76

    Dcision AMF 26 janvier 2006 et 10 dcembre 2007 77

    Loc. cit. Dezeuze, Bref survol des contours du dlit de manipulation des cours 78

    T. Bonneau et D. Drummond, Droit des marchs financiers, Troisime dition, Economica, 510 et suivants

    p. 727

  • 27

    technique de la bouilloire) Trs clairement, les pratiques du THF qui interfre avec la

    rencontre de loffre et la demande peuvent tout fait tomber sous le coup de cet article.

    Deuximement, larticle 631-1 1 b) prohibe les actions concertes sur les prix : 1

    Le fait deffectuer des oprations ou dmettre des ordres : [] b) Qui fixent, par laction

    dune ou de plusieurs personnes agissant de manire concerte, le cours dun ou plusieurs

    instruments financiers un niveau anormal ou artificiel []. Par exemple : le soutien abusif

    de cours ralis par une mre et sa filiale afin de faire obstacle la diminution du cours en

    dessous dun certain seuil ; lopration ralise loccasion dune opration de march telle

    une offre au public et qui est destine fixer un cours un niveau artificiel ; lopration

    dachat sur un titre, sur un march peu liquide, ayant pour effet un dcalage successif du cours

    et permettant, via des transactions entre deux parties, de faire raliser artificiellement des plus

    ou moins values lune ou lautre partie ; le fait de ngocier un instrument financier de

    manire manipuler le cours du produit qui en est driv Lapplication de cet article au

    THF semble hypothtique dans la mesure o un trader haute frquence agit pour compte

    propre et le plus souvent de manire isole.

    Afin de caractriser ces deux premiers types de manipulation de cours, le RG AMF

    propose une srie dindices au sein de larticle 631-2 RG AMF :

    Sans que ces lments puissent tre considrs comme formant une liste exhaustive ni

    comme constituant en eux mmes une manipulation de cours, lAMF prend en compte, pour

    apprcier les pratiques mentionnes au 1 de larticle 631-1 :

    1 Limportance de la part du volume quotidien des transactions reprsente par les ordres

    mis ou les oprations effectues sur linstrument financier concern, en particulier lorsque

    ces interventions entranent une variation sensible du cours de cet instrument ou de

    linstrument sous-jacent ;

    2 Limportance de la variation du cours de cet instrument ou de linstrument sous-jacent ou

    driv correspondant admis la ngociation sur un march rglement, rsultant des ordres

    mis ou des oprations effectues par des personnes dtenant une position vendeuse ou

    acheteuse significative sur un instrument financier ;

    3 La ralisation doprations nentranant aucun changement de propritaire bnficiaire

    dun instrument financier admis la ngociation sur un march rglement ;

    4 Les renversements de positions sur une courte priode rsultant des ordres mis ou des

    oprations effectues sur le march rglement de linstrument financier concern, associs

    ventuellement des variations sensibles du cours dun instrument financier admis la

    ngociation sur un march rglement ;

    5 La concentration des ordres mis ou des oprations effectues sur un bref laps de temps

    durant la sance de ngociation entranant une variation de cours qui est ensuite inverse ;

    6 Leffet des ordres qui sont mis sur les meilleurs prix affichs loffre et la demande de

    linstrument financier, ou plus gnralement de la reprsentation du carnet dordres auquel

    ont accs les participants au march et qui sont annuls avant leur excution ;

  • 28

    7 Les variations de cours rsultant des ordres mis ou des oprations effectues au moment

    prcis ou un moment proche de celui o sont calculs les cours de rfrence, les cours de

    compensation et les valuations.

    A la lecture de cette liste, il ressort que le THF peut trs facilement tre apprhend

    par le manquement de manipulation de cours. Les indices rvlateurs dune manipulation

    lists correspondent adquatement avec les activits classiques et licites des traders haute

    frquence ! Que lon pense au volume des ordres mis et des transactions (1), la dtention

    dune position acheteuse ou vendeuse significative (2), au renversement de position sur une

    priode trs courte (4), la concentration des ordres sur un bref laps de temps (5), la

    position prise aux meilleures limites pour viter une excution et son annulation subsquente

    (6). Tous ces comportements sont lgions dans les activits quotidiennes du THF. Ainsi

    peut-on comprendre pourquoi lessor de cette innovation financire soulve tant de craintes

    auprs des acteurs et des rgulateurs des marchs sur la question de la rpression des

    manipulations de cours. Le THF est donc, par application des textes actuels, une pratique dont

    on subodore lillicit. En effet, si lon conjugue une mission dordres massive avec un taux

    dannulation consquent, lensemble sur une priode extrmement courte, il est possible den

    conclure que le THF est prima facie suspect de manipulations de cours.

    Troisimement, larticle 631-1 2 interdit : 2 Le fait deffectuer des oprations ou

    dmettre des ordres qui recourent des procds donnant une image fictive de ltat du

    march ou toute autre forme de tromperie ou dartifice. Cette troisime manipulation

    pourrait presque tre redondante si elle ntait pas accompagne par deux illustrations

    pratiques.

    Larticle 631-1 2: a) vise prcisment lobtention et la mise profit dune position

    dominante : Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manire

    concerte, de sassurer une position dominante sur le march dun instrument financier, avec

    pour effet la fixation directe ou indirecte des prix dachat ou des prix de vente ou la cration

    dautres conditions de transaction inquitable . Dans une approche semblable au droit de la

    concurrence, il faut dans ce cas dmontrer lexistence dune position dominante et une

    utilisation de cette position qui crerait des conditions de transactions inquitables pour les

    tiers. Il est difficile de comprendre lintrt dune telle prcision qui semble paraphraser

    larticle 631-1 1 envisag sous langle de lindice figurant larticle 631-2 2. Quoi quil en

    soit, cette disposition est aisment transposable aux pratiques des traders haute frquence.

    Effectivement, le THF est par essence un mcanisme de trading qui vise lobtention de

    position significative lachat ou la vente de titre. Encore une fois, le THF peut sans

    difficult tomber sous le coup de la rpression.

    Larticle 631-1 2 b) vise spcifiquement le cas des interventions proches du fixing :

    Le fait dmettre au moment de louverture ou de la clture ou, le cas chant lors du

    fixage, des ordres dachat ou de vente dinstruments financiers du march ayant pour objet

    dentraver ltablissement du prix sur ce march Lapport de cet exemple est bien maigre

    puisque une pratique manipulatrice est susceptible dtre sanctionner tout moment de la

  • 29

    sance de bourse. Tout au plus, laccent est mis sur les manipulations en fin de sance puisque

    cest ce moment que le cours est trs sensible.

    Une fois encore, de la mme manire que pour larticle 631-1 1, le RG AMF donne

    une liste dindices pour identifier les comportements litigieux viss larticle 631-1 2 b) au

    sein de larticle 631-3 RG AMF. A ce titre, lAMF examine :

    1 Si les ordres mis ou les oprations effectues par des personnes sont prcds ou suivis

    de la diffusion dinformations fausses ou trompeuses par ces mmes personnes ou des

    personnes qui leur sont lies ;

    2 Si les ordres sont mis, ou les oprations effectues, par des personnes avant ou aprs que

    celles-ci, ou des personnes qui leur sont lies, produisent ou diffusent des travaux de

    recherche ou des recommandations dinvestissement qui sont faux ou biaiss ou

    manifestement influencs par un intrt significatif.

    Lapport de cet article pour le THF est inexistant et ne mrite pas quon sy arrte plus

    longuement.

    Lorsque llment matriel est constat par le juge en dehors des quelques exemptions

    possibles, celui-ci peut prononcer une sanction administrative pcuniaire pouvant s'lever

    jusqu' 100 millions d'euros, ou, ici encore, dix fois le montant du profit ralis. La sanction

    administrative peut donc tre considrable. Cette dernire peut mme, sous certaines limites

    qui ne seront pas dveloppes ici, tre cumule avec le dlit pnal de manipulation de cours.

    Nanmoins, linfraction administrative est beaucoup trop complexe. Lenchevtrement

    des cas de manipulation de cours, des exemples, des indices et des renvois rend son utilisation

    prilleuse et parfois mme hasardeuse. Quoi quil en soit, elle demeure assez souvent utilise

    par lAMF. A la simple lecture des dispositions reproduites, on peut dores et dj estimer que

    le THF est a priori suspect de manipulation de cours. Encore faut-il caractriser un lment

    matriel concret dfaut de caractriser une intention de manipulation. Afin de sassurer de la

    perfection du syllogisme, il est maintenant ncessaire de confronter le contenu de la

    rpression avec les stratgies de THF qui seraient de nature troubler voire manipuler le

    cours de bourse.

    B/. Lobjet de la rpression : la manipulation de cours haute frquence

    A la suite de cette tude, il est permis de penser que la rpression boursire de la

    manipulation de cours est suffisamment large, complte et dissuasive pour embrasser tous les

    cas possibles de manipulation imaginables. Toutefois, lessor de nouvelles technologies en

    gnral et du THF en particulier offre un renouveau des possibilits de manipulation. En effet,

    pour reprendre les mots dun auteur : Aux conventions de langage et de comportement des

    marchs la crie, se substituent sur les marchs lectroniques, les algorithmes, dont le

    rglage doit prendre en compte la diversit des objectifs, des types doprateurs, des

  • 30

    modalits de ngociation. 79

    Le THF joue donc un rle majeur dans la formation des cours

    de bourse au quotidien, partant, il peut le manipuler avec dautant plus de facilit. Il suffit de

    penser au nombre phnomnal dordres mis et annuls, la vitesse infinitsimale laquelle

    soprent les positions et les transactions, pour comprendre quel point le THF peut agir

    favorablement ou dfavorablement sur la formation dun cours de march et les nouvelles

    possibilits offertes par la manipulation de cours haute frquence . Ainsi est-il ncessaire

    danalyser successivement les stratgies dont la rpression parait certaine (1) avant celle dont

    la rpression parait plus problmatique (2).

    1) La rpression certaine

    Les travaux des auteurs et institutions ont mis en exergue les diffrentes stratgies qui,

    mises en uvre par voie de THF, sont de nature influer matriellement sur la fixation du

    cours et peuvent alors en thorie tre rprime. Il sagit des stratgies de spoofing, de

    momentum ignition et dorder anticipation.

    Tout dabord, le spoofing, littralement canular ou parodie, est une stratgie qui

    consiste mettre un ou plusieurs ordres de sens contraire ses intrts rels pour inciter

    dautres intervenants faire de mme, et dannuler ces ordres lorsquils risquent dtre

    excuts. Dans un tel cas, la confrontation de loffre et la demande est bouleverse, puisque

    loffre ou la demande est artificielle, ce qui entrane une hausse ou une baisse du cours.

    Lobjectif dune telle stratgie est dalimenter une volution du cours favorable ses intrts

    afin deffectuer une transaction contraire lorsque les conditions sont les meilleures. Cette

    technique peut tre corrobore ou exister sous la forme du layering, en franais technique de

    superposition des ordres, qui consiste multiplier et squencer laffichage des ordres aux

    limites du carnet pour renforcer limage trompeuse qui en dcoule80