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Exposition collective présentée à la galerie Espace Projet - art contemporain + design. Montréal. Janvier 2012
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Trait noir / Espace blanc
Exposition collective
ESPACE PROJET – Art contemporain + design
À l’origine, le mot italien disegno signifie la pratique (dessin), mais aussi le projet, l’intention
(dessein). Avec le temps, les deux termes se dissocient dans la langue française, mais le dessin
est longtemps perçu comme préparatoire à l’œuvre, comme la matrice de l’art. Avec la
perspective, l’étude du corps ou de l’architecture et la copie des grands maîtres, le dessin
s’affirme comme un moyen d’observer le monde, un outil en permettant sa reproduction de
façon réaliste. C’est vers la moitié du XIXe siècle qu’un changement s’amorce, le dessin
devient esquisse, expression sensible. Mais il faut attendre le début du XXe siècle pour que la
ligne se détache du sujet : elle est alors trace autographique ou concept. L’abstraction permet à
la ligne d’être indépendante et de penser les formes pour leur potentiel visuel.
L’exposition Trait noir / Espace blanc propose des œuvres alliant dessin et autres médiums ou
pratiques, divers processus. Ainsi, nous retrouvons de la vidéo, de la danse, de la sculpture, de
la broderie, un livre et une performance, des accumulations, des gestes et des mouvements. Le
dessin n’occupe plus exclusivement ces fonctions préparatoires à l’œuvre ou uniquement
plastiques, mais en devient la finalité, entièrement ou en partie. Le mouvement que propose le
dessin s’exerce parfois en dehors de l’espace bidimensionnel du papier ou peut être pensé pour
lui-même. Les œuvres peuvent être exécutées dans la conscience du geste comme la trace de
l’artiste. Certaines renouent avec l’aspect tactile des matériaux, la manipulation des matières et
des traits. D’autres laissent transparaître l’expérience quasi monastique d’une pratique
minutieuse.
En réfléchissant sur la pratique du dessin, les artistes en transfèrent et en multiplient les
qualités : il s’agit de démontrer comment le dessin peut engendrer de nouvelles formes
(plastiques, conceptuelles) lorsqu’il est transposé, lorsqu’il est mis en relation avec d’autres
pratiques sans toutefois perdre sa principale propriété : un trait noir sur un espace blanc.
Commissaires : Catherine Barnabé et Liliane Audet
Catherine Baril
Les dessins sur toile de Catherine Baril nous renvoient de par la broderie à l’artisanat, de
par le support à la peinture, mais ne sont rien de tout cela. Ils sont pensés comme des
traits graphiques et matériels qui permettent une relation aux choses. Les œuvres de petit
et moyen formats soulignent la délicatesse du travail, la minutie de chacun des gestes
pour construire les lignes. La broderie met en relief le trait du crayon, ainsi il devient
palpable et s’affirme en tant que qualité matérielle. Les œuvres de deux dimensions se
muent ; les fils emplissent les formes, les soulignent et créent des reliefs. Ainsi, aux traits
noirs et plats des visages, des corps ou des animaux s’ajoutent des objets ou des vides qui
sont recouverts par des lignes de couleurs et de textures. L’artiste nous propose un récit
entremêlé où les figures superposées entrent en contact difficilement, vivant chacune
pour elle-même. Des histoires peuvent s’imaginer parmi ces ruptures d’échelles et de
sujets qui fragmentent les récits.
Sarah Dell’Ava
Sarah Dell’Ava s’intéresse à la notion de poids ; le poids de la main qui fait le trait, le
poids du corps au sol, les possibilités de leurs mouvements sur les surfaces. Pour cette
danseuse et chorégraphe, la pratique du dessin est préparatoire à ses performances.
Cependant, avec Dans les plis, elle réunit l’avant et le pendant, et danse sur un immense
papier regroupant ses dessins. Lorsqu’elle performe sur scène, les spectateurs n’ont qu’un
aperçu de tous les détails qui le recouvre. Pour la performance et l’exposition, les dessins
nous sont révélés, nous pouvons les observer et même y marcher. L’artiste déploie et pèse
les mouvements de son corps sur le papier, elle le froisse, le plie, le touche. Le dessin fait
partie de l’action, il met en scène et incarne la répétition du geste. Au sol, à plat, les traits
du crayon font écho aux déplacements du corps de l’artiste qui y redessine ses pas, y
superpose ses mouvements.
Katherine-Josée Gervais
Dans ses performances, Katherine-Josée Gervais se mesure aux matériaux dans des
rituels permettant l’expression de sa condition d’artiste, de sa relation au monde et à
l’histoire. Entièrement vêtue de blanc, elle trace sur une feuille blanche, de la taille de son
corps en extension, une forme avec des fusains jusqu’à atteindre leur épuisement. Dans
un rythme inconstant, suivant son énergie, elle rature l’espace vide du papier. Elle laisse
sa trace, celle de son geste sur la surface au mur, au sol, sur son corps, elle cède les
marques de cette opération. Durant cette épreuve d’endurance où elle fait corps avec le
papier, elle utilise le geste pour lui-même et se confronte alors à toute la signifiance et la
portée de ce mouvement : des formes se bâtissent et chaque tracé déconstruit le dessin. Le
déplacement de la main sur la feuille trouve une autre valeur, devient plus important que
le trait qui perdure. Son geste passager s’inscrit pourtant dans l’espace et y marque sa
relation au temps.
Jean-François Leboeuf
L’esthétique des dessins de Jean-François Leboeuf sème la confusion et désamorce notre
rapport au dessin. Les personnages de grandes tailles nous ramènent à une pratique plus
traditionnelle du dessin dans son exécution, mais déstabilisent le genre du portrait par ses
sujets. Les dessins dérangent notre rapport au réel en nous confrontant à une vérité
éloignée, mais pourtant présente, exagérée sans être caricaturale. Les figures de la société
contemporaine que l’artiste représente sont issues d’une sous-culture de masse. Celles-ci
attestant d’un imaginaire où l’absurde et l’irrévérence vont de pair avec les signes d’une
conduite rudimentaire. Les personnages à l’allure trash sont tirés de vidéos où on les
surprend dans une activité qui révèle un quotidien étrange et invraisemblable, où une
partie de leur intimité est dévoilée. Un certain malaise se dégage de ces situations et de
ces images : les habitudes malsaines et à la limite de la moralité que défendent les
personnages supposent un bouleversement du « vivre ensemble ». Celui-ci pouvant être à
l’origine d’un morcèlement dans la perception des valeurs et des jugements dans une
société hétérogène où l’excès est l’indice actuel et omniprésent d’une surmodernité.
Marie Levasseur
Marie Levasseur utilise le trait telles une déconstruction des signes plastiques, une aporie
langagière. Les panneaux noirs sont rayés de traits blancs qui les emplissent
partiellement. Ceux-ci sont apposés au mur comme pour marquer le temps, raturer
l’espace. Leurs reflets sont projetés sur les boîtes au sol qui provoquent un échange
constant entre les deux surfaces. Les réflexions, réelles ou provoquées, rendent
improbable une ouverture, refermant l’œuvre sur elle-même dans une impasse, dans un
éternel recommencement. Ces ricochets admettent un dialogue entre les surfaces, sans
toutefois permettre un discours, le langage étant toujours le même, les signes se répétant
sans cesse. Les petits traits du dessin créent une répétition, celle du geste, celle de la ligne
comme une marque sur la surface et non comme une calligraphie, celle-ci étant
déconstruite et abstraite. Le mouvement conduit par le dispositif définit une action
répétée, construit un rythme inconstant. L’artiste s’interroge sur le langage créé par
l’œuvre, par le geste et sur son impossible lecture.
Matthieu Sabourin
Les possibilités pourraient être multiples, les idées pourraient devenir formes, mais
parfois rien ne se développe et les projets restent à l’état de brouillon. Matthieu Sabourin
explore le potentiel de ses esquisses ratées, rejetées et questionne l’avenir hypothétique
de ces dessins. Il détache du papier les traits qui sont désormais autonomes et qu’il
transforme en sculptures délicates. La structure ainsi mise à jour révèle une empreinte du
dessin, construit une nouvelle œuvre. Un mouvement s’effectue, le statut change : de
simples croquis préparatoires, les dessins se réalisent et deviennent formes. Les traits qui
se destinaient à autre chose évoluent eux-mêmes vers cet « autre », mais sont rabattus sur
leur propre esquisse. Les feuilles restées attachées à la structure permettent de cerner
l’embryon du projet, d’y voir le squelette. De par leurs titres autant que par leurs formes,
les œuvres tridimensionnelles de Matthieu Sabourin laissent entrevoir les possibilités
d’une idée qui ne sera jamais réalisée, tout en transformant les propriétés plastiques du
dessin.
Stéphanie Tremblay
Chez Stéphanie Tremblay l’attitude qui précède l’œuvre est déterminante : des objets du
quotidien sont choisis, observés, mis à l’écart, puis rassemblés. Elle les superpose sur le
papier et ils se transforment. En amoncelant ainsi divers éléments de son environnement,
l’artiste compose des figures presque abstraites, dont on distingue ici une forme, là un
contour. Pas tout à fait dessins d’observation, ni abstractions, les accumulations créées
par l’artiste s’inscrivent dans un rapport à l’objet qui perturbe certaines conceptions. La
relation entre les objets se renouvelle par leur juxtaposition, les lignes enchevêtrées les
rendent indissociables, ils deviennent une seule figure. Les traits du crayon sur le papier
sont des empreintes à travers lesquelles se laissent deviner des formes, vestiges de ce qui
a existé et l’on se demande quelle vie ont eu ces objets. Ceux-ci érigent une mémoire
composée de souvenirs épars, ils laissent une marque d’une histoire personnelle.
Karine Turcot
Avec ces dessins assemblés sous la forme d’un livre, Karine Turcot invite au voyeurisme
en transposant un contexte privé en galerie. Elle construit un espace intime auquel elle
nous donne un accès pourtant laborieux : les images sont prises sous la pierre, l’ouverture
de la couverture du livre nécessite la force de deux personnes. Alors seulement,
l’observation des impressions numériques travaillées à partir d’encres peut se faire. En
traitant le sujet d’Éros et de Thanatos, l’artiste induit un rapport opposé, sinon
complémentaire, aux pulsions de vie et de mort qui s’attirent et se repoussent. La pulsion
de vie (sexualité) qui préserve ou assure la survie de l’espèce, la pulsion de mort
(destruction) qui ramène chacun à sa finalité. L’équilibre se trouve dans chacune des
images qui portent en elle la relation complexe entre l’existence et le trépas : certains
dessins évoquent des tendances destructrices ou éthiquement questionnables, la perte de
l’essence féminine par les transformations corporelles ou la disparition involontaire de la
masculinité. L’esthétique des dessins de Karine Turcot mêle la gestualité de l’esquisse à
la précision des planches d’anatomie, et se présente comme une étude minutieuse des
comportements hétéroclites qui tentent de trouver sens.
Auteure : Catherine Barnabé