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TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES À BOGOTA Frankoise DUREAU* ans le panorama de l’urbanisationlatino-améicaine, la Colombie présente des traits originaux : relhtivementtardive, l’urbanisationcolombienne a aussi été particulièrement rapide en comparaison aux autres pays de la région, mais surtout elle a donné naissance à un réseau urbain assez équilibré. Echappant à l a règle, la plus courante en Amérique latine, de la concentrationde l’explosion urbaine sur la capitale, le réseau urbain colombien présente un pro- fil particulier,nettement quadricéphale. Toutefois, depuis une quinzaine d’années, ce relatif équilibre entre Bogota et les trois autres métropoles millionnaires tend à évoluer au profit de Bogota, qui occupe une place croissante en temes démo; graphiques, politiques et économiques (Goueset, 1994). Dans un contexte de ralentissement du rythme d’urbanisationdu pays, la primauté de Bogota s’affii- me sensiblement : les changements structurels de l’économie colombienne et la mondialisation de l’économie se traduisent dans la participation de Bogota au processus de métropolisationqui marque actuellement la planète. La concentraiion croissante de la population urbaine et des fonctions métropolitaines à Bogota s’accompagne depuis les années 1980 de profondes transformations dans le rythme, les composantes et les formes du développement de la capitale, et de rapides recompositionsintemes. Dans un contexte de croissance démographique encore soutenue, la dynamique d’expansion spatiale s’exerce de plus en plus intensément au delà des limites du District, dans les communes de la périphé- rie métropolitaine ; dans le même temps, apparaissent de nouvelles logiques de localisationrésidentielle,produisant des modifications importantes dans la répar- tition du peuplement et les formes de la ségrégation au sein de Bogota. Des enquêtes réalisées en 1993 et 1994 dans certains quartiers de la capitale et des communes de la périphérie métropolitaine] permettent d’analyser ces nouveaux comportementsrésidentiels et leurs effets sur les structuresurbaines. Appréhendant les stratégies résidentielles des populations comme le produit “des arbitrages entre leurs aspirations et les contraintes auxquelles elles se ”ORSTOM 1 ‘i

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TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES

À BOGOTA

Frankoise DUREAU*

I

ans le panorama de l’urbanisation latino-améicaine, la Colombie présente des traits originaux : relhtivement tardive, l’urbanisation colombienne a aussi été particulièrement rapide en comparaison aux autres pays de la

région, mais surtout elle a donné naissance à un réseau urbain assez équilibré. Echappant à la règle, la plus courante en Amérique latine, de la concentration de l’explosion urbaine sur la capitale, le réseau urbain colombien présente un pro- fil particulier, nettement quadricéphale. Toutefois, depuis une quinzaine d’années, ce relatif équilibre entre Bogota et les trois autres métropoles millionnaires tend à évoluer au profit de Bogota, qui occupe une place croissante en temes démo; graphiques, politiques et économiques (Goueset, 1994). Dans un contexte de ralentissement du rythme d’urbanisation du pays, la primauté de Bogota s’affii- me sensiblement : les changements structurels de l’économie colombienne et la mondialisation de l’économie se traduisent dans la participation de Bogota au processus de métropolisation qui marque actuellement la planète. La concentraiion croissante de la population urbaine et des fonctions métropolitaines à Bogota s’accompagne depuis les années 1980 de profondes transformations dans le rythme, les composantes et les formes du développement de la capitale, et de rapides recompositions intemes. Dans un contexte de croissance démographique encore soutenue, la dynamique d’expansion spatiale s’exerce de plus en plus intensément au delà des limites du District, dans les communes de la périphé- rie métropolitaine ; dans le même temps, apparaissent de nouvelles logiques de localisation résidentielle, produisant des modifications importantes dans la répar- tition du peuplement et les formes de la ségrégation au sein de Bogota.

Des enquêtes réalisées en 1993 et 1994 dans certains quartiers de la capitale et des communes de la périphérie métropolitaine] permettent d’analyser ces nouveaux comportements résidentiels et leurs effets sur les structures urbaines. Appréhendant les stratégies résidentielles des populations comme le produit “des arbitrages entre leurs aspirations et les contraintes auxquelles elles se ”ORSTOM

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DOSSIER

trouvent confrontées” (Brun, 1993), l’accent sera mis d’une part sur les rap- ports entre mobilité résidentielle et mobilité quotidienne, d’autre part entre le niveau micro de ces mobilités spatiales et le niveau macro des processus de production de l’espace résidentiel. Nous nous livrerons dans cet article àune lec- ture des mobilités différentielles de trois groupes sociaux contrastés, corres- pondant à autant de niveaux de maîtrise de l’espace métropolitain’. Outre la population la plus démunie, centre d’attention de la majorité des études sur les villes du tiers monde, nous nous intéresserons aux comportements des classes moyennes et des populations aux plus hauts revenus : elles ont un rôle clef dans la mise en place et les recompositions actuelles des structures de la capitale colombienne. C’est dans cette perspective systémique et différentielle que sera replacée l’analyse de la mobilité spatiale comme facteur des transformations actuelles que connaît la capitale colombienne.

UN RYTHME DE CROISSANCE EN BAISSE, MAIS ENCORE SOUTENU

Au début du siècle, Bogota compte à peine 100.000 habitants. Son rythme de croissance s’accélère sensiblement à partir des années 1950 : Bogota est alors la capitale latino-américaine qui a le rythme de croissance le plus rapide, avec un taux de 6,9% par an entre 1951 et 1964. Comme dans les autres grandes villes colombiennes, mais moins fortement que dans celles-ci, le rythme de croissance de la capitale se ralentit depuis une vingtaine d’années. Son taux d’accroissement passe en dessous du seuil de 4% au milieu des années 1970. Fin 1993, la capitale colombienne rasse ble près de 55 millions d’habitants, et

deux phénomènes majeurs de l’histoire démographique de la Colombie : la tran- sition démographique, amorcée à la fin des années 1930, et la baisse d’intensi- té des flux migratoires en direction des plus grandes villes du pays depuis le milieu des années 1970, après la période d’exode rural massif des années 1960.

croit àun rythme proche de 3% par an 7 . Cette évolution traduit directement les

L’évolution des coinposantes de la croissance

Tandis qu’en 1950 àpeine plus d’un tiers de la population colombienne rési- dait en ville, la population urbaine représentait déjà les 2/3 de la population totale au début des années 1980. Depuis les années 1960, et spécialement pen- dant la première moitié des années 1970, la Colombie a été soumise à un vaste processus d‘exode rural : entre 1964 et 1973, plus de 250 O00 personnes ont migré chaque année depuis les zones rurales vers les viUes (Banguero, 1985). Cet exode rural a été largement polarisé par les quatre plus grandes villes, qui ont absorbé 40% du total des flux migratoires du pays pendant la période intercen- sitaire 1964-1973 (Rueda, 1979). Après une phase d’exode rural intense, se produisent au milieu des années 1970 des changements importants dans l’inten- sité et la direction des flux migratoires, conduisant à une diminution de l’apport de la migration dans la croissance démographique de Bogota et des autres métro-

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poles colombiennes, et à une augmentation de cette contribution à la croissan- ce des périphéries métropolitaines et des villes secondaires. Le taux annuel de migration nette de Bogota passe de 2,1% au début des années 1970 à 1,2% au début des années 1980 (Granados, 1992). Une diversification sensible des direc- tions de la migration, mais aussi une plus grande complexité des trajectoires

temporaires, marquent la dernière décennie en Colombie. Cependant, au delà de son effet direct sur la croissance de la capitale, l’exode rural intense poursuit ses effets au-delà de sa période de maximale intensité, à travers les modifications apportées à la structure par sexe et âge de la capitale. En effet, l’on retrouve globalement dans la capitale colombienne les traits classiques de la migration vers les villes latino-américaines : caractère féminin (depuis les années 1950, s’étant accentué au cours des année 1960) et jeunesse des migrants (âge moyen à la migration légèrement supérieur à 20 ans).

du processus de transition démographique, à l’heure actuelle, Bogota présente globalement les plus faibles niveaux de fécondité et de mortalité du pays. Les modalités de la transition renforcent l’effet d’une migration composée majori- tairement de jeunes adultes sur la structure démographique de la capitale : la proportion d’adultes de 15 à 64 ans y est très élevée (65% en 1990). Cette struc- ture par âge maintient l’accroissement naturel à un rythme soutenu : de l’ordre de 2,1% en 1980-1985, ce taux ne passera en dessous de 1,5% que dans les dernières années de ce siècle. Comme dans les autres grandes villes colom- biennes, l’apport des flux migratoires vers Bogota s’efface donc progressivement au regard de la croissance naturelle, que la jeunesse de la population, produit des mouvements migratoires des décennies précédentes, maintient àun niveau élevé : tandis que l’accroissement naturel n’expliquait en 1973 que 37% de la croissance de Bogota (Dane, 1978), et 51% en 1979, il est responsable de 78% de cel- le-ci en 1990 (Yepes et Bosoni, 1993).

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, migratoires et le développement de nouvelles formes de mobilité spatiale, plus I

I

I Profitant de l’ensemble des facteurs propices àune réalisation précoce et rapide

La redistribution géographique de la croissance Outre la baisse d’intensité des flux migratoires et la transition démographique,

un troisième fait, démographique majeur intervient dans la dynamique démo- graphique de la capitale : “la transformation des schémas de distribution géo- graphique de l’accroissement de la population” (Granados, 1992), au profit de communes périphériques. En effet, l’accroissement de la population est main- tenant plus rapide dans les communes voisines de la capitale que dans la capi- tale proprement dite. Observable dès la période intercensitaire 1973-1985, la croissance accélérée des communes de la périphérie métropolitaine se poursuit actuellement : au début des années 1990, le rythme de croissance des 8 communes voisines de Bogota est deux fois plus rapide (5,9% par an) que celui de la capi- tale (Granados, 1992). Entre 1990 y 1995, on estime qu’un cinquième de l’accroissement démographique.tota1 de l’aire métropolitaine de Bogota se réa- lise au delà des limites de la métropole proprement dite, ,dans la périphérie métropolitaine.

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DOSSIER

Ainsi, depuis le milieu des années 1970, la dynamique démographique de la capitale colombienne connaît des changements importants. Après une phase de croissance accélérée et circonscrite dans les limites administratives du District, Bogota est entrée dans une étape de croissance moins rapide mais encore sou- tenue, marquée par une dynamique d’étalement sur les communes de la périphérie métropolitaine. A l’heure actuelle, le développement de la capitale colom- bienne intègre un nombre croissant de communes contigiies au District, com- me Soacha ou Chia, mais aussi des communes de la Sabana4 plus éloignées com- me Madrid qui “seraient en train de polariser ce processus d’expansion” (Cuervo, 1992).

UNE DYNAMIQUE DE PEUPLEMENT MARQUÉE PAR UNE EXPANSION SPATIALE CONTINUE

ET UNE SEGREGATION TRES MARQUEE

Jusqu’en 1938, la capitale conserve le caractère concentrique et relativement compact des siècles précédents : la densité avoisine alors 130 habitants par hec- tare. Limitée sur sa bordure orientale par une chaîne montagneuse, los cerros orientales, Bogota peut par contre s’étendre sans contrainte naturelle dans les autres directions, sur les terres planes de la Sabana. La croissance démogra- phique particulièrement rapide du début des années 1940 jusqu’au milieu des années 1970 se traduit par une expansion spatiale encore plus spectaculaire : en 1973, la capitale est 12 fois plus étendue qu’en 1938, alors que dans le même temps la population est multipliée par 9 (MOHAN, 1981). La densité atteint alors son niveau minimum, passant en dessous du seuil des 100 habitants par hec- tare. La dynamique d’étalement de Bogota se poursuit durant les années 1980. Entre les recensements de 1973 et 1985, les arrondissements centraux présen- tent des taux négatifs. Dans le même temps, les arrondissements ayant des rythmes de croissance très rapide, avec des taux compris entre 7 et 13%, sont tous situés dans la partie périphérique du District. Et ce mouvement d’expan- sion franchit même les limites de la capitale et s’exerce sur les communes périphériques.

Cet étalement continu sur les terres de la Sabana s’accompagne à partir des années 1940 de la mise en place de structures fonctionnelle et sociale très mar- quée~~ . En effet, à partir des années 1940, le centre de la capitale, dont la fonc- tion commerciale et financière s’í&ïme, est progressivement abandonné par les classes aisées pour des localisations plus septentrionales, le long des cerros orientales. Simultanément, s’accentue le caractère populaire du sud, tandis que l’industrie se concentre à l’ouest, aux environs de la gare de chemin de fer. Dès les années 1950, se trouvent ainsi mises en place les structures majeures de Bogota, qui ne feront que s’accentuer durant les deux décennies suivantes. Les classes aisées poursuivent leur déplacement progressif vers le nord, tandis que le front d’expansion sud de la ville est le fait des populations pauvres. Quant aux classes moyennes, dont le nombre croît rapidement durant cette période, soit elles occupent les quartiers abandonnés par les familles les plus aisées, soit elles se concentrent dans la partie occidentale de la capitale. Cette division sociale des espaces résidentiels s’accompagne de la consolidation de la structuration fonc-

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I TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES À BOGOTA

tionnelle articulée autour de deux axes principaux : un axe tertiaire centre-nord, et un axe industriel centre-ouest. D’une ville mononucléaire et relativement compact, Bogota passe en moins d’un demi siècle àune ville semi-circulaire, poly- nucléaire, avec une forte spécialisation fonctionnelle, se traduisant par une gran- de concentration des zones d’emploi6, et une ségrégation sociale très marquée (Carte 1).

A partir des années 1980, la dynamique d’expansion spatiale, qui s’exerce de plus en plus intensément dans les communes de la périphérie métropolitaine, s’accompagne de nouveaux mouvements, liés à des changements sensibles dans les logiques de localisation résidentielle des différentes couches de la population de Bogota. Selon Jaramillo (1992 et 1994), l’augmentation des distances et une relative pénurie de terres seraient àl’origine d’une nette baisse d‘intensité de la dynamique d’expansion spatiale, s’accompagnant d‘une revalorisation des loca- lisations centrales et d’un processus de densification de la capitale ; ce proces- sus se traduirait aussi par une diminution de la ségrégation spatiale. Certes, comme nous le verrons en détail, le déplacement continu des familles aux plus hauts revenus vers le nord se freine sensiblement, s’inverse même au profit de localisations plus centrales. Et les classes moyennes commencent à s’installer dans des zones du sud et du sud-ouest traditionnellement occupées par les secteurs populaires et dans l’extrême périphérie nord de la capitale. L‘évolution des taux de croissance par arrondissement à la fin des années 1980 confirme la réalité de ces changements : ils se traduisent par une relative homogénéisation et une redistribution géographique des taux de croissance des arrondissements du District de Bogota. Par contre, l’hypothèse d‘un arrêt de la dynamique d’expan- sion spatiale ne semble pas se vérifier pour autant. Si, à la fm des années 1980, les croissances les plus rapides ne s’observent plus dans les arrondissements périphériques de Bogota, c’est que le front d’expansion métropolitain a franchi les limites du District. La pénurie de terrains àl’intérieur du périmètre urbain du District tend à transférer les occupations illégales de terres des classes popu- laires sur les communes de la périphérie métropolitaine comme Soacha, où le contrôle de terres est aussi moins strict. A l’autre extrémité de la ville, au nord, les communes périphériques telles que Chia et Cota, sont depuis une dizaine d‘années le territoire où s’exerce de façon privilégiée la déconcentration urbai- ne des classes relativement aisées. Ces populations viennent y chercher une qualité de vie et un environnement qu’elles ne peuvent plus trouver dans une capi- tale gravement affectée par le manque d’espace vkts, les encombrements et la pollution. En fait, l’étalement des banlieues populaires et la déconcentration urbaine de populations plus favorisées sur les communes de la périphérie métro- politaine semblent s’exercer simultanément avec les recompositions internes et les processus de redensification de certains quartiers consolidés du District. La flexibilité des comportements résidentiels de la population, mais aussi celle des agents du secteur de la construction, ainsi que le caractère permissif du cadre régle- mentaire dans une capitale neuve, avec une croissance toujours soutenue et accédant au statut de métropole, se conjuguent et font que toutes ces trans- formations se réalisent dans le même temps avec une ampleur et une rapidité particulières.

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- r-L ce,, Carte 1 - LA STRATIFICATION SOCIO-ECONOMIQUE

- Limite d'arrondissement - Limite de secteur cartographique

CHIA

,990, O. Pissoel (IFEA -Bogala) CEDE -ORSTOM, 1993.

~ S O A : H A

Strate 1 (tres pauvre) Strate 4 (moyenne supbrieure) O 2 k m U

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TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES A BOGOTA

L’OCCUPATION ILLÉGALE DE TERRES HORS DES LIMITES DU DISTRICT

Les coiits prohibitifs du logement produit par le secteur capitaliste et les dif- ficultés d’accès aux logements sociaux subventionnés par 1’Etat font que les populations pauvres de Bogota n’ont d‘autre solution pour se loger que la suroc- cupation des logements, ou l’autoconstruction sur des tenains occupés illégalement (Jaramillo, 1992). La participation des quartiers illégaux à l’expansion spatiale de Bogota va en augmentant : responsable de moins de 20% de l’expansion dans les années 1960, l’occupation illégale de terres périphériques expliquerait le tiers de l’expansion spatiale de la capitale durant les années 1980, et plus de la moitié au début des années 1990 (HATAYA et al, 1994). A l’heure actuelle, une grande partie des quartiers illégaux de la capitale se développe dans les communes périphériques : c’est notamment le cas à Soacha, qui en 1993 concentre le quart de la population de Bogota et sa banlieue vivant dans des quartiers sub- normaux. Dans cette commune oÙ, aux dires même de l’administration municipale (1992), le contrôle des terres était ces dernières années particulièrement déficient, l’autoconstruction illégale est devenu le principal mode de production du loge- ment. Le déplacement géographique, hors des limites du District de Bogota, des occupations illégales de terres s’accompagne d’un changement de nature : le lotissement clandestin cède plus souvent la place à l’invasion7.

Les enquêtes montrent clairement la dynamique de production de l’espace résidentiel et le système de peuplement des quartiers illégaux de la partie orien- tale de Soacha. Elles révèlent aussi l’ampleur des différences entre les quar- tiers populaires du secteur Leon Xm, situés sur la partie plane de la commune, et ceux des Altos de Cazuca, occupant des versants abrupts, soumis àune éro- sion très active et à de forts risques d‘éboulement. Si les quartiers de Leon se consolident et se densifient très rapidement, il n’en n’est pas de même dans les quartiers des Altos de Cazuca. En une année, le nombre de logements n’aug- mente que de 2% dans les îlots des Altos de Cazuca recensés en octobre 1993 et 1994, tandis qu’il augmente de 21% dans ceux de Leon XUI. Les Altos de Cazuca comptent une proportion de maisons en matériaux précaires encore élevée même plusieurs années après l’occupation du terrain. Une fois épuisée la ressource traditionnelle des urbanisateurs pirates, à savoir les terrains plats inondables du sud et sud-ouest de Bogota, les occupations illégales de terres se portent maintenant sur les reliefs du sud de la capitale, do t ceux sihés sur le territoire

Cazuca, la faiblesse des investissements de la part d‘une population à très bas revenus et n’ayant que peu d’espoirs de Iégdisation rapide de son terrain, ren- dent la consolidation de ce secteur problématique, voir quasi impossible dans les parties les plus accidentées. De ce fait, la règle générale caractérisant les quartiers illégaux de Bogota dans les années 1980 qui voulait que l’habitat en matériaux précaires cède progressivement la place à des constructions en dur,

largement remise en cause aux Altos de Cazuca. Ce différentiel dans les rythmes

système de peuplement et la composition démographique de ces quartiers.

municipal de Soacha. Les caractéristiques phys P ques du secteur des Altos de

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toujours en vigueur dans les quartiers récents de Leon Xm, se trouve par contre

de production et de transformation de l’espace bâti a un impact direct sur le

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DOSSIER

Soacha, un quartier de bogota

En dehors d’une composante, très minoritaire, de chefs de ménage nés à Bogota, la majorité des familles vivant dans les quartiers populaires de la par- tie orientale de Soacha ont à leur tête des migrants nés en dehors de Bogota et de la périphérie métropolitaine. Ce5 migrants ne se sont pas installés directement dans le secteur ; ils sont d’abord passés par une phase dans le secteur locatif au sein du District le plus souvent, parfois aussi dans d’autres secteurs de Soacha. Avant d’acquérir un logement dans ces quartier illégaux, les familles ont suivi un itinéraire marqué par de multiples déménagements dans le secteur locatif. En effet, les occupations illégales de terres ne sont généralement pas le fait de migrants récents, qui suivraient une trajectoire linéaire d’insertion allant de l’habitat précaire illégal au secteur locatif, puis éventuellement à la propriété dans des quartiers consolidés. Les modalités de réalisation de ces occupations de terres supposent l’existence d’un réseau de relations permettant d’avoir accès à l’information, condition difficilement accessible au migrant récemment arrivé.

Après une phase initiale de peuplement par des familles de Bogota, nées dans la capitale ou migrantes de longue date, qui solutionnèrent leur besoin de loge- ment par des occupations illégales à Soacha, ces quartiers se trouvent mainte- nant au début d’une phase de maturation démographique. Les quartiers les plus consolidés, ceux de Leon Xm, commencent à accueillir dans les logements en location des migrants arrivant directement depuis l’extérieur de l’aire métro- politaine ; de jeunes couples pauvres de Bogota peuvent aussi y satisfaire leur besoin de logement. Ainsi le processus de consolidation des quartiers, qui s’accompagne d’une diversification dans l’offre de logement (augmentation des logements en location* et en vente) va de paire avec une diversification de la population qui s’y installe. Soacha commence àjouer un rôle de réception de la migration vers la capitale, comme tout autre quartier populaire des arrondissements périphériques de Bogota. L‘ épuisement des possibilités de logement en location dans les quartiers centraux du District, se conjugue à l’apparition d’une offre dans les parties consolidées de la périphérie. De ce fait, suivant le processus d’expansion de la capitale, la proportion des migrants s’ins- tallant en premier lieu dans les quartiers centraux de Bogota devient actuelle- ment minoritaire, au regard de ceux s’installant directement dans les arrondis- sements périphériques du District de Bogota, ou dans les communes de la périphérie comme Soacha. Le processus de consolidation des quartiers illégaux constitue la donnée centrale de cette évolution, déjà mise en évidence àMexico (Coulomb, 1988, cité par TOMAS, 1994) : il aboutit à une concentration sen- sible des trajectoires résidentielles, la location et l’autoconstruction se réa- lisant au sein d’un même espace périphérique.

La concentration des lieux de résidence antérieurs des habitants de Leon WI et des Altos de Cazuca, dans la partie sud-ouest des quartiers de Bogota ayant une offre de locations bon marché codirme l’existence d’espaces de mobilité intra-urbaine. Pour les migrants (non natifs de Bogota et sa périphérie métro- politaine), le premier logement dans la capitale est fortement déterminé par la condition sociale et les réseaux d’entraide sur lequel s’appuie le migrant : il se

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TRAJECTOIRES RfiSIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES À BOGOTA : p

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révèle décisif pour la suite de la trajectoire résidentielle des migrants dans Bogota. Tout comme le lieu de domicile des parents pour les natifs de Bogota, c’est à partir de ce premier logement que se définit, dans une large mesure, un espace de mobilité résidentielle du migrant àBogota, au sein de l’espace qui lui est accessible sur le plan économique dans une ville où la ségrégation sociale est particulièrement marquée. C’est dans ce cadre spatial largement défini par les réseaux de relation que s’effectuent les multiples changements de logement en location9, provoqués autant par des problèmes économiques, que par les ten- sions dans les relations entre voisins dans des maisons oÙ l’entassement est de règle, ou par l’instabilité familiale. C’est aussi dans ce cadre que se réalise l’objectif vers lequel tendent ces trajectoires résidentielles : devenir propriétaire de son logement. Représentant la sécurité, la stabilité, et la fin de tous les pro- blèmes responsables des perpétuels ddplacements entre pièces louées, le loge- ment en propriété est porteur de l’ensemble des projets des pauvres, et justifie tous les sacrifices. Pour des populations aux ressources limitées dont l’espace relationnel est centré sur le sud-ouest de la capitale, le territoire de Soacha constitue une alternative de plus en plus souvent choisie pour la réalisation de ce rêve. Ce sont les opportunités de logement dans ce secteur de la capitale, et non l’offre d’emploi local ou la proximité du lieu de travail qui constitue le fondement de leur installation dans cette commune. La capacité de choix rési- dentiel est bien Cvidemment extrêmement réduite pour des ménages aux reve- nus modestes et précaires ; et il leur est impossible de faire dépendre le lieu de résidence d’un emploi à la localisation très changeante. Pour eux, “la ville comme niarché du travail est accessible, indépendamment du lieu de rési- dence” (Cuervo, 1992). Correspondant à des logiques et perceptions de la vil- le bien distinctes, le caractère très circonscrit de l’espace résidentiel et social s’oppose à la dispersion de l’espace de travail des habitants des secteprs orientaux de Soacha.

Une ségrégation aux effets multipliés par le découpage administratif

Sur le plan démographique, Soacha se comporte exactement comme un quartier de Bogota, sans autre spécificité que celles liées à sa localisa- tion au sud de la capitale et à ses conditions topographiques : Soacha fait partie de l’espace de mobilité résidentielle de la population pauvre de Bogota. Les secteurs orientaux de Soacha reçoivent directement dans leurs quartiers consolidés une part de la mig#ation vers la capitale et font partie des solutions résidentielles des groupes défavorisés de la population résidant déjà à Bogota. La croissance accélérée de cette commune n’est que la manifestation de l’étalement des banlieues pauvres d’une capitale rece- vant encore un flux important de migrants. Mais, si la limite du District n’arrête d’aucune manière l’étalement de Bogota, elle a en revanche des conséquences importantes tant pour les familles vivant à Soacha que pour la gestion urbaine. En effet, une commune périphérique comme Soacha, contrainte à recevoir les populations les plus pauvres de la capitale et ne pou- vant satisfaire leur besoin de logement que dans ces conditions, doit fai- re face au développement de quartiers d’expansion de la capitale avec

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DOS SIER

des coûts d’équipement très élevés du fait d’une topographie particuliè- rement difficile. De plus, la situation antérieure de tolérance à l’exten- sion progressive des périmètres de desserte des entreprises de Bogota au delà même des limites du District se trouve remise en cause par l’accord 06 de 1990 régissant le développement de Bogota. Pour obtenir des entre- prises de services de Bogota le raccordement aux réseaux d’eau potable et d’égout, les municipalités doivent maintenant financer les coûts de l’infrastructure nécessaire à l’extension du réseau ; aucun mécanisme de redistribution des ressources financières entre les collectivités locales n’étant prévu, les municipalités les plus pauvres se trouvent exclues de cer- tains services publics. Ce nouveau contexte légal se conjugue donc avec une topographie compliquant, voire interdisant, la consolidation de certains quartiers, pour compromettre le processus traditionnel qui permettait aux familles pauvres de Bogota, au prix d’une grande solidarité au niveau du quartier et de sacrifices personnels lourds et prolongés, d’accéder à la terre et à un logement qui acquérait progressivement tous les attributs d’un logement produit par le secteur formel de la construction. En l’absen- ce de reconnaissance légale des réalités actuelles de la dynamique de Bogota, qui intègre un nombre croissant de communes contraintes àjouer des rôles spécifiques dans le système métropolitain, demeure exclu de la capitale un nombre grandissant de citadins appartenant à la frange la plus pauvre. Pourtant, de fait ils vivent dans un quartier de Bogota. En fran- chissant les limites administratives du District, la logique de ségrégation résidentielle se révèle encore plus lourde de conséquences pour les populations.

L‘APPARITION D’ENCLAVES DE CLASSES MOYENNES DANS DES QUARTIERS POPULAIRES DE LA BANLIEUE SUD

Tandis que la sortie sud de Bogota n’était bordée “traditionnellement” que d’industries et de quartiers populaires autoconstruits, un phénomène nouveau fait son apparition au cours des dernières années à proximité immédiate des quartiers subnormaux que nous venons de décrire. Surgissent des ensembles d’immeubles ou de maisons, avec tous les attributs extérieurs des résidences pour classes moyennes : parkings, espaces verts et parcs de jeux privés, antennes parabo- liques, clôtures métalliques et systèmes de surveillance. Dans le cadre du pro- jet d‘urbanisme “Ciudad de los Heroes”, approuvé par en 1977 par le Secrétariat des Travaux Publics du Département de Cundinamarca, différentes entreprises se sont partagé les terres d’une ancienne hacienda pour construire des pro- grammes de logements. Les entrepreneurs ont bénéficié du système de soutien à la production de logements sociaux. Néanmoins, ces quartiers sont classés dans la catégorie “moyenne” pour la tarification des services publics, et: ras- semblent la population la plus aisée de la commune de Soacha ; de plus, on observe au cours des deux dernières années une nette tendance à l’élévation du standing de ces résidences. Les caractéristiques de la population résidant en 1993 dans ces logements montrent que les promoteurs ont atteint leur objectif : une occu-

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TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES A BOGOTA

pation très rapide par une population d’environ 50 O00 personnes actuellement, appartenant aux classes moyennes, avec une forte proportion d‘employés, de techniciens et de cadres moyens. De même que le parc de logements est très homogène (les deux tiers des logements ont 2 chambres), la population qui y réside est particulièrement uniforme en termes démographiques : il s’agit essen- tiellement de ménages nucléaires de 2 à 4 personnes, avec à leur tête des hommes jeunes, de moins de 40 ans.

Ces résidences ne sont pas un lieu d’installation de la population née à Soacha. Elles sont peuplées quasi-exclusivement de ménages qui vivaient auparavant à Bogota, les deux tiers d’entre eux ayant un chef de ménage né hors de l’aire métropolitaine. Les immigrants vers Bogota et sa périphérie métropolitaine ne s’y installent pas directement : 92% d’entre eux comptent 10 années ou plus de résidence dans la capitale, et un tiers 20 années ou plus, dans ces résidences très récentes, où les habitants ont tous moins de 5 années de présence. En fait, ces logements attirent surtout une population ayant déjà une durée de séjour importante dans la capitale, et des trajectoires résidentielles marquées par plu- sieurs déménagements entre logements en location. Immédiatement avant de déménager vers Soacha, les deux tiers d’entre eux vivaient dans le péricentre de Bogota, et le quart dans la périphérie occidentale : leur itinéraire intraurbain s’inscrit dans les arrondissements comptant une offre de location pour les classes

sements plus périphériques. La migration vers Soacha correspond clairement à un processus d’accession à la propriété : la grande majorité (83%) des logements sont occupés par des propriétaires, qui le plus souvent bénéficient d’un prêt pour l’acquisition du Iogement’O. Le caractère relativement économique de ces logements présentant les attributs tant valorisés du “conjunto cerrado” et béné- ficiant d’une bonne desserte routière avec la proximité de l’autoroute rend çes résidences attractives, comme en témoigne la très rapide occupation des loge- ments sitôt terminés, Ces résidences localisées sur le territoire communal de Soacha constituent indéniablement une des nouvelles options résidentielles des classes moyennes de la capitale, venant s’ajouter aux localisations situées à l’intérieur du District : celles, traditionnelles, du péricentre et de la périphérie occi- dentale, ou les plus récentes à l’extrême nord de la capitale.

Une forte dilatation de l’espace quotidien des ménages

Les classes moyennes qui transfèrent leur I@gement à Soacha continuent cependant à développer l’essentiel de leurs activités dans le District de Bogota. 93% des hommes et 100% des femmes travaillant hors du domicile exercent leur activité àBogota. 93% des élèves du primaire et 100% des élèves du secon- daire étudient dans des écoles de Bogota, la moitié d’enbe eux dans des collèges du péricentre sud, et le reste dans des collèges du péricentre nord et de la péri- phérie occidentale. L‘on retrouve donc un parallèle bès net avec la distribution des lieux de résidence antérieure dans Bogota, correspondant aux implantations traditionnelles des classes moyennes dans la capitale. Du fait du décalage exis- tant entre les attentes des parents en matière d’éducation et les caractéristiques de l’offre locale, àproximité de leur logement, les temps de transport des élèves

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I moyennes, avec un abandon progressif du centre de Bogota vers les arrondis-

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DOSSIER

des résidences de Soacha sont sensiblement supérieurs à ceux des élèves de même niveau social habitant au sein du District. Jls sont aussi nettement plus élevés que ceux de leurs voisins les plus défavorisés des Altos de Cazuca qui, eux, sont scolarisés à Soacha.

Pour les hommes, résider à Soacha ne se traduit pas par une détérioration sen- sible des conditions de transportjusqu’au lieu de travail, au contraire : d’une part, une proportion importante d’entre eux exercent leur activité professionnelle dans le centre et le sud de la capitale ; d’autre part, un quart d’entre eux utilisent leur propre véhicule pour rejoindre leur lieu de travail. De plus, profitant du fait que, dans ce sud traditionnellement pauvre, les voies de circulation sont moins encombrées que dans le nord et l’ouest de la capitale (ARDILA GOMEZ, 1995), le temps de transport moyen des hommes des résidences de Soacha est inférieur à celui des hommes résidant dans les quartiers de classes moyennes situés dans les arrondissements occidentaux. Ce sont les femmes qui “payent” le fait de résider à Soacha : outre une moindre insertion professionnelle, on observe que les femmes qui travaillent le font au prix d‘un coût énorme en termes de temps de transport (49 minutes en moyenne), systématiquement effectué en transport en commun. Plus de la moitié d’entre elles perdent plus d’un heure pour se rendre sur leur lieu de travail, alors que seulement un quart des hommes actifs résidant dans les mêmes quartiers de Soacha sont dans cette situation.

La mobilité journalière globale des ménages de ces résidences se distingue sen- siblement du schéma le plus courant à Bogota. Certes, l’on retrouve un trait classique, la plus grande durée de transport pour les femmes que pour les hommes, mais cette différence est nettement plus marquée chez les classes moyennes de Soacha. Et, contrairement au schéma le plus fréquent, les enfants de ces ménages ont des temps de transport peu inférieurs à ceux de leurs parents, avec un écart bien moindre à celui généralement observé dans les classes moyennes de Bogota. Si l’on considère le total des temps de transport au sein du ménage, les classes moyennes résidant à Soacha ne sont pas en situation plus fave rable que les populations les plus pauvres des Altos de Cazuca. Le fait de rési- der dans une enclave au sein de quartiers populaires se traduit par une forte dilatation des espaces quotidiens des ménages logeant dans les résidences de Soacha.

L’apparition de quartiers de classes moyennes dans le sud de la capitale est un phénomène totalement nouveau, directement lié à la raréfaction des terres urba- nisables dans les territoires classiques d‘installation de ces populations. Attirées par le prix des logements et la qualité de la desserte routière, des familles de classes moyennes transfèrent leur résidence à Soacha. Si ce comportement tra- duit une certaine évolution dans leur perception du Sud de la capitale; il ne signifie pas pour autant un changement fondamental : pour ces populations, le Sud est devenu “habitable”, il n’est pas pour autant devenu “vivable”, au sens plein du terme. La construction de résidences sur le territoire communal de Soacha produit certes une diversification sociale de la population de cette zone traditionnellement occupée par des quartiers populaires. Il s’agit d’un change- ment notable dans l’échelle de la ségrégation, mais qui ne remet aucunement en question la nature des relations entre les différentes segments de la population.

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TRAJECTOIRES R~SIDENTIELLES ET RECOMPOSITIONS URBAINES À BOGOTA I - -

Dans certaines zones de la capitale, les secteurs populaires développent des relations économiques avec les populations voisines plus aisées. En revanche, les caractéristiques mêmes des Altos de Cazuca, où l’absence d’activités com- merciales et artisanales est manifeste, font que la cohabitation entre groupes sociaux se traduit plutôt en un affrontement quotidien exacerbé par la proximité. La partie orientale de la commune de Soacha constitue l’archétype d’une ségré- gation à I’échelle micro : la dynamique de peuplement centrifuge des classes moyennes aboutit à une cohabitation de deux segments bien différents de la population, mais sans aucune articulation entre eux.

I I LE RETOUR DE FAMILLES À TRÈS HAUTS REVENUS VERS

DES LOCALISATIONS PLUS CENTRALES11

I Si l’automobile joue un rôle déterminant dans la “péiphérisation” des classes moyennes, c’est aussi l’automobile qui est àl’origine d’un changement notable dans les shratégies de localisation des familles de Bogota ayant les plus hauts reve- nus : elle provoque leur retour vers des quartiers plus centraux, proches de leurs zones d’emploi.

De nouvelles aspirations re‘sidentielles L‘allongement des temps de transport durant les vingt dernières années touche

particulièrement la partie nord de la capitale, o Ù le parc automobile est le plus dense. En 1994, il faut une heure pour se rendre en voiture de la Calle 150 jus- qu’au centre de la capitale, alors que le même trajet ne nécessitait qu’un peu plus d’une demi-heure en 1973 (ARDILA GOMEZ, 1995). La dégradation des condi- tions de transport et I’ augmentation de 1’ activité féminine entraînent une reya- lorisation sensible des localisations plus centrales : l’attraction traditionnelle vers un Nord supposé plus agréable à vivre et plus sûr se trouve largement remise en question. C’est pourquoi, depuis le milieu des années 1980, la dynamique rési- dentielle des familles aisées de Bogota, traditionnellement caractérisée par un déplacement continu Vers le nord, connaît un net revirement. Un nombre crois- sant de familles aisées décident de retourner vivre dans le péricentre nord, oÙ les parents peuvent diminuer sensiblement leurs temps de transport sans pénaliser pour autant gravement leurs enfants. Dans les familles résidant à Rosales12, fin 1993, la durée moyenne de transport est de l‘ordrede 25 minutes entre le logement et le lieu de travail, et d‘une demi-heure entre le logement et le lieu d’étude. A la même date, les adultes vivant dans les résidences d’Usaquen aux alentours de la Calle I60 passent en moyenne entre 45 et 50 minutes pour se rendre de leur domicile au lieu de travail, et leurs enfants consacrent aussi une demi-heure en moyenne pour se rendre au collège. Confrontées à des temps de transport deve- nus prohibitifs, nombre de familles à hauts revenus oh généralement les deux conjoints travaillent font le choix de vivre dans une zone plus centrale, près du centre d’affaires de 1’Avenida Chile, dans la partie nord de l’arrondissement de) Chapinero (Carte 1). Cette nouvelle demande de logement de la part de strates àhauts revenus trouve un éch0 immédiat auprès des promoteurs immobiliers et

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DOSSIER

des entrepreneurs du bâtiment. Ces derniers réorientent rapidement leurs inves- tissements sur la construction de logements de luxe dans la partie nord de Chapinero. La politique de financement du logement et les normes urbanistiques très permissives font que cette réorientation s’exprime avec une intensité parti- culière. A partir de 1986, dans cette zone de Bogota, le volume de la construc- tion, resté stable au début de la décennie, augmente sensiblement, et se concentre sur les bâtiments àusage résidentiel. A côté d‘un des principaux centres d’af€aires de la capitale créé dans les années 1970 le long de 1’Avenida Chile, se développe en un temps record un nouveau quartier résidentiel de populations à très hauts revenus.

Augmentation et transformation de la population du nord de chapinero

Au milieu des années 1980, s’opère donc un renversement de la dynamique démographique du nord de Bogota. Pendant les années 1970, le mouvement d’expansion vers le nord se traduisait par une stagnation de la population de Chapinero, liée au déclin de la fonction résidentielle dans ces quartiers au profit des activités tertiaires ; au contraire, on observait des taux d’accroissement supérieurs à 10% dans l’arrondissement d’usaquen, correspondant àla dynamique d’expansion de la ville vers le nord. Entre 1985 et 1991, le rythme de croissance du nord de Chapinero devient très élevé (1 1 % par an), supérieur même à celui des quartiers aisés d’Usaquen (7%) : en seulement 6 ans, la population du nord de Chapinero est quasiment multipliée par deux. A la fin des années 1980, un flux de population en provenance du nord de la capitale se substitue au peuplement centrifuge traditionnel du nord de Chapinero, en provenance de quartiers plus cen- traux. Parmi les ménages résidant antérieurement àBogota qui se sont installés entre 1985 et 1991 dans cette zone, 42% résidaient auparavant plus au nord, dans l’arrondissement d’Usaquen ; pour ceux installés avant 1985, cette pro- portion n’était que de 26%. Dans le quartier de Rosales, en 1993, la moitié des chefs de ménage résidant antérieurement en dehors de l’arrondissement de Chapinero proviennent du nord de la capitale, et seulement 10% des quartiers plus centraux ; si l’on ne considère que les ménages installés au cours de l’année 1993 dans leur logement, ce sont les trois quart qui proviennent du nord.

Environ 90% de l’accroissement démographique de Chapinero peut être attri- bué iì la densification physique de la zone, et à son extension sur les flancs des cerros orientales : le nombre de logements de Chapinero augmente de 80% en six ans, de 1985 à 1991. La destruction des maisons, patrimoine architectural de ces anciens quartiers bourgeois, et leur remplacement par des immeubles d‘appar- tements explique l’intensité du processus de densification”. Mais une autre com- posante ne saurait être négligée : l’augmentation de la taille moyenne des ménages, du fait de l’arrivée d’une vague de peuplement plus familiale dans un quartier qui comptait une forte proportion de ménages unipersonnels au début des années 1980. La grande majorité des ménages ayant déménagé entre 1985 et 1991 d’Usaquen vers la partie nord de Chapinero sont des familles nucléaires composées de 3 à 5 personnes, avec àleur tête des chefs de ménage jeunes (86% ont entre 29 et 43 ans). A une vague de peuplement du quartier par des ménages

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unipersonnels, succède une vague plus familiale se traduisant par un changement sensible dans la composition démographique de la population de Chapinero. La proportion d’enfants augmente sensiblement : quasi-absents en 1985, les enfants de moins de 5 ans forment 6% de la population en 1991, soit autant que dans les quartiers résidentiels de haut standing d’usaquen. Et, malgré le départ de nombreuses familles étendues habitant les anciennes maisons de Chapinero, la taille moyenne des ménages passe de 3,3 à 3,5 personnes. La baisse de la proportion de ménages unipersonnels est particulièrement spectaculaire à Rosales, où elle passe de 17% en 1985, à 7% en 1991 et 5% en 1993.

Dans le même temps, I’évolution des prix, liés aux fonctions de Chapinero et à la pression foncière qui s’y exerce depuis les années 1970, se traduit par une diminution de la taille moyenne des logements, et une transformation rapide en un quartier réservé aux plus hauts revenus. L‘évolution ascendante du quartier se lit directement dans la composition socioprofessionnelle des ménages en fonction des durées de séjour dans le logement : les ménages les plus récement installés sont plus aisés que ceux installés durant les années 1970, àune époque de déclin du quartier oh les classes les plus aisées l’abandonnaient pour des localisations plus septentrionales. Les ménages qui s’installent maintenant à Chapinero, et plus particulièrement àRosales, sont des ménages qui d’une part ont un emploi et lieu de travail stables, et, d’autre part, ont les moyens financiers de choisir leur lieu de résidence : faisant de la proximité entre lieux de travail et de résidence un élément important de qualité de la vie, ils choisissent de vivre à Chapinero, à proximité de la plus importante zone d’emploi tertiaire de la capitale. Ainsi en 1993, plus de la moitié des actifs rhsidant àRosales travaillent dans l’arrondissement de Chapinero et le tiers dans les arrondissements limi- trophes. La proximité entre lieu de résidence et lieu de travail est encore plus mar- quée pour les chefs de ménage récemment installés dans le logement. A Rosales, 88% des chefs de ménage ayant emménagé en 1993 dans leur logement tra- vaillent dans l’arrondissement de Chapinero, alors que cette proportion n’est que de 47% pour ceux ayant entre 1 an et 10 ans de résidence dans le logement, et de 24% pour ceux ayant plus de 10 ans dans le logement. Il est clair que le rap- prochement du lieu de travail devient un paramètre déterminant dans le pro- cessus de choix du lieu de résidence. Ce recentrage résidentiel s’effectue le plus souvent à travers l’acquisition du logement : en 1994, à Rosales, les trois quart des logements neufs, achevés au cours de l’année précédente, sont occupés par

On retrouve donc à Bogota une évolution mise en évidence dans les métropoles des pays industrialisés “dans les couches sociales ayant une capacité résidentielle stratégique” : ‘la recherche de localisations plus centrales, permettant le meilleur accès des membres du ménage au marché de l’emploi, aux équipements, et aux domiciles des parents et des amis” (Ascher, 1995). Dans une métropole neuve comme Bogota, les dysfonctionnements des transports, et la grande flexibilité du secteur de la construction, dans un contexte de dérégulation, ont précipité le processus et intensifié ses conséquences. Outre leur impact direct sur la partie nord de Chapinero, se traduisant par une forte densification résidentielle et une évolution fonctionnelle liée à la satisfaction de cette nouvelle demande locale en

. des propriétaires. P

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DOSSIER

équipements, commerces et services personnels de proximité, les comporte- ments résidentiels de ces populations aisées ont aussi un effet indirect au delà de cette zone de Bogota, sur le marché du logement neuf et ancien de la capitale. Ces nouvelles aspirations résidentielles, générant une forte demande de loge- ments dans une zone aux terrains déjà valorisés par un des principaux centres d’affaires de la capitale entraîne une profonde recomposition de la partie nord de la capitale.

UNE MÉTROPOLE EN MOUVEMENT

Dans un contexte de croissance démographique encore soutenue, 1’ expansion périphérique se poursuit, avec des modalités nouvelles, tandis que les espaces déjà consolidés sont l’objet de profondes transfomations. Les distances créées par l’expansion continue des décennies précédentes, et accentuées par les problèmes de transport, modèlent le développement actuel de la capitale. La compétition pour l’accès au sol, de plus en plus forte, joue également un rôle majeur dans les formes de la dynamique métropolitaine : l’expansion spatiale doit maintenant affronter les reliefs qui bordent la Sabana au sud et à l’est, mais aussi la valori- sation des terres agricoles occidentales consacrées à la culture intensive de fleurs. Face aux contraintes imposées par l’offre de logement et les structures urbaines, ou plutôt à la perception qu’en ont les ménages, les différents groupes sociaux adoptent des stratégies résidentielles très diverses, traduisant de grandes inégalités des ménages en matière de mdtrise d‘un espace métropolitain forte- ment ségrégué. Les populations les plus riches aspirant à un rapprochement de leurs lieux de travail et de résidence trouvent satisfaction dans une offre impor- tante de logements de haut standing localisés dans le péricentre nord, à proxi- mité d‘un des principaux centres d’affaires de la capitale. Les conjziiztos cerra- dos de Soacha offrant aux classes moyennes l’opportunité de satisfaire dans des conditions relativement économiques leur idéal de logement, celles-ci adoptent massivement la nouvelle option résidentielle qui leur est offerte en banlieue sud : au prix d’une forte dilatation de leur espace quotidien, ces ménages s’installent sur un territoire classiquement dédié aux occupations illégales des populations les plus pauvres. Quant à ces dernières, vis àvis desquelles l’action de l’Etat est toujours notoirement insuffisante, elles se retrouvent condamnées à occuper des terres sur des reliefs accidentés des communes périphériques : le franchisse- ment des limites du District se révèle lourd de conséquences pour ces citadins les plus pauvres.

Dans un cadre réglementaire très permissif, et avec une politique publique du logement favorisant les classes moyennes et aisées, les aspirations résiden- tielles des différents groupes sociaux et leurs inflexions récentes se combinent avec les stratégies des constructeurs pour produire de profonds changements dans les caractéristiques de l’espace résidentiel et la structure du peuplement métropolitain. C’est ainsi que, sans que cela soit le résultat d’une volonté pla- nificatrice, s’opèrent une densification démographique intense de certains quar- tiers déjà construits, et une recomposition des divisions sociales de l’espace métropolitain se traduisant par des situations nouvelles de cohabitation entre

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groupes sociaux. Outre la mobilité de peuplement vers des logements neufs plus particulièrement analysée dans cet article, intervient aussi une intense mobi- lité de substitution au sein du parc de logements existants. L’ampleur et la rapi- dité des transformations liées à ces mobilités rappellent la nécessité d’appré- hender la ville comme Ie produit du jeu d‘un ensemble d’acteurs intervenant dans la production et la transformation des espaces résidentiels. Elles souli- gnent aussi la nécessité de replacer dans le cadre de l’agglomération les dyna- miques locales, les quartiers étant intégrés de fait dans un système métropolitain par la logique résidentielle comme par la logique de formation des prix de l’immobilier.

NOTES 1 Ces enquêtes s’inscrivent dans une recherche menée depuis I992 par une équipe composée

de F. Dureau, C.E. Florez et M.C. Hoyos, dans le cadre d’une convention ORSTOM-CEDE sur “Les formes de mobifité de Ia population de Bogota et son impact sur la dynamique de l’aire métropolitaine”. Le système d’enquête combine : une observation statistique comportant 2 passages à un an d’intervalle (octobre 93 et 94), auprès d’un échantillon de 1 031 ménages, sélectionnés dans 7 quartiers de Bogota et 4 municipalités périphériques de l’aire métropolitaine; et une observation anthropologique auprès d‘un sous-échantillon de 66 ménages résidant dans ces 4 municipalités. Pour une description détaillée du système d’enquête, se reporter h : Dureau et al., 1994-a.

2 L‘étude des mobilités résidentielles dans trois quartiers repose sur des analyses menées en collaboration avec d’autres chercheurs, avec lesquels ont été rédigés des textes présentant des résultats plus détaillés. Pour les quartiers populaires et les résidences de classes moyennes de Soacha : Dureau, Florez et Hoyos, 1994-b. Pour les quartiers aisés de Chapinero : Dureau, Lulle et Parias, 1995.

3 Ces chiffres correspondent h des informations non officielles issues du recensement d’octobre 1993.

4 La Sabana désigne la plaine de la Cormere orientale, situé à environ 2 600 m d’altitude sur laquelle s’est développée Bogota. Outre le District de Bogota, environ 25 communes du département de Cunhamarca sont situées sur cette plaine, bordée par des reliefs plus élevés.

5 Pour un historique de la structuration spatiale de Bogota, se reporter à Jaramillo(l990, I992 et 1994) ou Cuervo (1995), dont sont issues les informations résumées dans ce paragraphe.

6 En 1989, l‘axe tertiaire centre nord rassemble environ 30% des emplois de la capitale, et l’axe industiel centre-ouest 20% (Cuervo, 1995).

7 Traditionnellement, Bogota se distinguait des autres grandes villes latino-américaines. L‘invasion (occupation de terrains non mis en valeur sans le consentement du propriétaire, pour y établir un quartier) demeurait minoritaire danvle processus d’occupation illégale de terrains à Bogota ; et le lotissement clandestin (basé sur une vente de lots sous-équipés ne remplissant pas les règles d’urbanisme) constituait la forme la plus courante. Par contre, parmi les ménages vivant en 1992 dans des quartiers d’origine illégale de Soacha, les 2/3 résidaient dans des lotissements clandestins, et 1/3 dans des quartiers d‘invasion (Municipio de Soacha, 1992).

8 Le processus de consolidation des quartiers populaires se traduit systématiquement par une offre importante de logements en location, de nombreux habitants de ces secteurs adoptant cette solution pour compléter leurs revenus. En 1993, à Leon Xm, plus du tiers des ménages sont locataires de leur logement, alors que seulement un dixième des ménages des Altos de Cazuca sont dans cette situation.

9 La population des locataires connait une mobilité extrême : en 1993, h Leon Xm, 12% des adultes ont occupé au moins 3 logements différents au cours de l’année.

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DOSSIER

10 Dans la grande majorité des cas, il s'agit d'un prêt sur 15 ans, avec un apport initial correspondant à 20% du prix du logement, et des mensualités de remboursement fixes. Actuellement, les appartements de Quintanares, résidence située au pied des Altos de Cauca, se vendent autour de 20 millions de pesos (soit 100 O00 FF).

Il L'analyse des transformations des quartiers aisés du Nord de Bogota correspond à une recherche reposant sur : une analyse de l'offre de constructions neuves réalisée par A. PARIAS, à partir des permis de construire délivrés entre 1980 et 1991; une analyse des politiques urbaines, menée par T. Lulle; une analyse des dynamiques démographiques et comportements résidentiels, menée par F. Dureau. Cette recherche a donné lieu à une communication : Dureau et al., 1995.

12 Quartier résidentiel de très haut standing situé sur les cerros orientales, dans la partie nord de l'arrondissement de Chapinero (voir Carte 1).

13 A Chapinero, de 1980 à 1991, la construction de maisons est négligeable (1% des logements neufs). La majorité (60%) des logements neufs correspond à des appartements dans des immeubles ayant entre 5 et 9 étages, le reste se répartissant à galité dans des immeubles de moins de 5 étages ou de plus de 9 étages. Entre 1987 et 1990, la densification physique connaît un rythme exceptionnel : la production annuelle d'appartements dans des immeubles de 5 étages ou plus (dont un quart dans des immeubles de plus de 9 Ctages) est alors 2 à 3 fois plus importante qu'au début de la décennie (Dureau et al, 1995).

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DOSSIER

RI~SUMÉ - RESUMEN - ABSTRACT Depuis les années 1980, la concentration

croissante de la population urbaine et des fonc- tions métropolitaines à Bogota s’accompagne de profondes transformations dans le rythme, les composantes et les formes du développe- ment de la capitale, ainsi que de rapides recom- positions intemes. Pour appréhender ces muta- tions, cet article privilégie l’analyse des comportements résidentiels, en mettant l’accent d’une part sur les rapports entre mobilité rési- dentielle et mobilité quotidienne, d’autre part entre le niveau micro de ces mobilités spatiales et le niveau macro des processus de production de l’espace résidentiel : c’est dans cetteqers- pective systémique qu’est replacée l’analyse de la mobilité spatiale comme facteur des tranfor- mations actuelles que connaît la capitale colom- bienne.

Since the 1980’s the growing concentration of Bogota’s urban population and of its metro- politan services have been accompanied by major changes in the rhythm, components and forms of the capital‘s development as well as by rapid, intemal reconstruction. In order to consi- der these changes this article prioritizes the ana- lysis of residential behaviour by emphasizing,

on the one han4 the relationships between resi- dential mobility and every day mobility and, on the other hand, between the micro level of these spatial movements and the macro level of the production processes of the residential area. It is within this systemic perspective that the analysis of spatial mobility, as a factor in the changes which the Colombian capital is cur- rently undergoing, is contextualized.

Desde los años 1980, la concentración cre- ciente de la población urbana y de las funciones urbanas en Bogotá se acompaña de profundas transformaciones en el r h o , los componentes y las formas de desarrollo de la capital así como de rápidas recomposiciones internas. Para com- prender esas mutaciones, este articulo utiliza el análisis de los comportamientos residenciales poniendo de manifiesto por una parte las rela- ciones entre movilidad residencial y movilidad cotidiana y por otra parte entre el nivel micro de estas movilidades espaciales y el nivel macro de los procesos de producción del espacio resi- dencial : es en esta perspectiva sistémica se vuelve a ubicar el aná!.isis de la movilidad espa- cial como factor de las transformaciones actuales que conoce la capital colombiana.

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