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Architecture & technie Travaux routiers Le ruban noir passe au vert Recyclage des matières premières et des déchets plastiques, traitement des pollutions... Les défis environnementaux et sanitaires sont colossaux. U ne croissance infinie dans un monde fini est un non-sens. En· ce début de xxr• siècle, quarante-cinq ans après le fa- meux rapport réalisé par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour le compte du Club de Rome («The Limits to Growth»), les limites environnementales à la croissance économique font plus que jamais l'objet d'âpres dis- cussions. Toutefois, la nécessité d'un développement dit« du- rable» est aujourd'hui de plus en plus largement partagée. En Europe, une semaine entière lui est officiellement consacrée, chaque année, depuis 2003, au début du mois de juin. La communauté routière n'échappe pas à ces réflexions - éminemment techniques -, elle qui, depuis le début des an- nées 2000, suit la voie d'une économie«circulaire». Illustration de cet état de fait: depuis 2014, des professionnels de la route sont engagés dans un programme de recherches sur le«multi- recyclage» des chaussées, dans le double but de préserver au maximum les ressources minérales naturelles et de réduire la dépendance au pétrole (lire p. 78). La valorisation, en technique routière, de matériaux« alternatifs», essentiellement des copro- duits industriels (sables de fonderie, mâchefers d'incinération, cendres de centrale thermique), constitue une autre préoccu- pation actuelle de la profession. «Notre volonté est désormais d'accompagner la valorisa- tion d'une gamme plus large de déchets, au-delà des seuls dé- chets inertes», précise Patrick Vaillant, chef du groupe des in- frastructures de transport au Centre d'études et d'expertise Le « multirecyclage » des chaussées est l'une des pistes de recherche étudiées par la communauté routière. 76 • Le Moniteur 9 juin 2017

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Architecture & technique

Travaux routiers Le ruban noir passe au vert Recyclage des matières premières et des déchets plastiques, traitement des pollutions ... Les défis environnementaux et sanitaires sont colossaux.

Une croissance infinie dans un monde fini est un non-sens.

En· ce début de xxr• siècle, quarante-cinq ans après le fa­

meux rapport réalisé par des chercheurs du Massachusetts

Institute of Technology (MIT) pour le compte du Club de Rome

(«The Limits to Growth»), les limites environnementales à la

croissance économique font plus que jamais l'objet d'âpres dis­

cussions. Toutefois, la nécessité d'un développement dit« du­

rable» est aujourd'hui de plus en plus largement partagée. En

Europe, une semaine entière lui est officiellement consacrée,

chaque année, depuis 2003, au début du mois de juin.

La communauté routière n'échappe pas à ces réflexions

- éminemment techniques -, elle qui, depuis le début des an­

nées 2000, suit la voie d'une économie« circulaire». Illustration

de cet état de fait: depuis 2014, des professionnels de la route

sont engagés dans un programme de recherches sur le« multi­

recyclage » des chaussées, dans le double but de préserver au

maximum les ressources minérales naturelles et de réduire la

dépendance au pétrole (lire p. 78). La valorisation, en technique

routière, de matériaux« alternatifs», essentiellement des copro­

duits industriels (sables de fonderie, mâchefers d'incinération,

cendres de centrale thermique), constitue une autre préoccu­

pation actuelle de la profession.

«Notre volonté est désormais d'accompagner la valorisa­

tion d'une gamme plus large de déchets, au-delà des seuls dé­

chets inertes», précise Patrick Vaillant, chef du groupe des in­

frastructures de transport au Centre d'études et d'expertise

Le « multirecyclage » des chaussées est l'une des pistes de recherche étudiées par la communauté routière.

76 • Le Moniteur 9 juin 2017

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Architecture & technique Travaux routiers

Recyclage des déchets

La route en plastique,

c'est fantastique

Produit de consommation courante, le plastique, dérivé du

pétrole, est devenu au fil des décennies un déchet encombrant.

Sauf pour l'entreprise néerlandaise VolkerWessels, qui a mis au

point la route en plastique recyclé. L'idée? Récupérer les déchets

plastiques, présents en quantité dans les océans - notamment au

milieu du Pacifique-, pour les transformer en éléments préfabri­

qués. Les avantages de cette chaussée? Elle est facile à mettre en

œuvre et à entretenir selon ses concepteurs, grâce à ses éléments

modulaires légers. En outre, les éléments préfabriqués, qui sont

creux, peuvent abriter plusieurs réseaux. Ils sont, par ailleurs,

résistants à la corrosion chimique et peuvent supporter des

températures de -40 à + 80° C. VolkerWessels est aujourd'hui à.

la recherche de sites pour y mener des chantiers expérimentaux,

dans différentes conditions. La ville de Rotterdam (Pays-Bas) s'est

d'ores et déjà montrée intéressée par cette innovation.

Au Royaume-Uni, le plastique suscite également un intérêt par­

ticulier. La start-up MacRebur a mis au point un emobé à base de

plastique usagé recyclé qui, une fois fondu, remplace le tradition­

nel bitume. Selon son fabricant, le plastique recyclé, offrant une

résistance mécanique accrue, confère à la route une durée de vie

trois fois supérieure à celle d'une chaussée classique.

1- Aux Pays-Bas, les déchets plastiques des océans sont recyclés pour fabriquer des éléments de chaussée préfabriqués et modulaires.

2 et 3 - Fondu. le plastique usagé recyclé est utilisé au Royaume-Uni comme liant routier, en lieu et place du traditionnel bitume.

sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement

(Cerema). Résultat: les sédiments de dragage comme les terres

excavées de sites pollués font l'objet de toutes les attentions.

Des start-up s'attaquent même à des matériaux plus atypiques.

Certaines proposent de recycler les déchets plastiques qui en­

combrent les mers et les océans en matériaux routiers pour les

couches de roulement (lire ci-dessus).

Hydrocarbures et amiante. L'industrie routière doit aussi

composer avec les problématiques sanitaires. Parmi elles, le re­

traitement des routes polluées aux hydrocarbures aromatiques

polycycliques CHAP) et à l'amiante est la plus sensible vis-à-vis

des travailleurs et des riverains. « Pour les HAP, l'impératif est

de contenir leur évaporation durant leur retraitement. Pour

l'amiante, il s'agit d'éviter la dispersion des fibres dans l'air»,

explique Claude Giorgi, directeur technique adjoint d'Eiffage

Route, qui a mis au point une solution pour parer à ces risques

(lire p. 80).

Plus ambitieux encore, l'architecte suédois Mans Tham a

conçu une route solaire baptisée« Solar Serpent». Le principe?

Un tunnel de panneaux photovoltaïques transparents permet de

générer de l'électricité renouvelable, tout en piégeant le C02

, en

dépolluant l'eau de pluie et en protégeant la route et les automo­

bilistes des agressions extérieures Crayons ultraviolets, gel, etc.).

Et si, finalement, le bon sens était la solution? • Anthony Laurent 7

9 juin 2017 Le Moniteur • 77

Architecture & technique Travaux routiers

Matières premières

De la route ... à la route

Depuis quelques années déjà, la communauté routière se

penche activement sur les potentialités de l'économie circu­

laire. Confrontés aux difficultés croissantes d'accès aux res­

sources minérales naturelles, conjuguées à une raréfaction,

lente mais réelle, des produits issus de l'exploitation du pétrole

Un enrobé composé de 40 à

70 % d'agrégats recyclés répond­il aux exigences

techniques?

- et donc à leur renchérissement-,

des maîtres d'ouvrage, maîtres

d'œuvre, bureaux d'études, labora­

toires et entreprises ont lancé, en

mars 2014, le projet national de re­

cherche et développement colla­

boratif Mure (pour Multirecyclage

des enrobés tièdes). Son objectif

est double: démontrer, d'une part,

qu'un enrobé contenant 40 %, voire 70 % d'agrégats recyclés ré­

pond aux exigences de la profession et, d'autre part, s'assurer

que la mise en œuvre d'enrobés recyclés est possible à des tem­

pératures inférieures aux températures usuelles (120° Cau lieu

de 150° C habituellement).

78 • LeMoniteur 9juin2017

La maniabilité des enrobés recyclés tièdes, mis en œuvre

manuellement sur la chaussée, reste une question en suspens.

Prévues pour s'achever officiellement en septembre 2018,

les recherches réalisées en laboratoires ainsi que sur huit chan­

tiers expérimentaux ont déjà dévoilé leurs premiers résultats.

« Le mélange de l'ancien bitume, durci, avec le bitume neuf, vis­

queux, se fait de façon tout à fait homogène, que ce soit pour

des enrobés à chaud comme à tiède. Autrement dit, les tech­

niques de production des enrobés recyclés tièdes n'influent

pas sur leurs propriétés. C'était, jusqu'à présent, l'un des prin­

cipaux obstacles techniques à lever», indique Jean-Eric Poirier,

directeur du projet Mure.

Quelques interrogations demeurent cependant.« Quelle est

la formulation idéale pour assurer une bonne maniabilité des

enrobés recyclés tièdes lors de leur mise en œuvre manuelle sur

la chaussée?», se demande par exemple le responsable. Quid

enfin de l'apport des additifs de régénération du bitume dans le

recyclage des enrobés?« Cette question reste, pour l'heure, ou­

verte», répond Jean-Eric Poirier. Les résultats officiels de Mure

seront présentés à la communauté routière, pour discussions

et validation, le 21 novembre prochain, à Lyon. 7

Architecture & technique Travaux routiers

Pollutions

Retraitement sous haute sécurité

Pour retraiter en place les chaussées dont les couches de roulement sont polluées aux hydrocarbures aromatiques po­lycycliques CHAP), ou dont les granulats constitutifs contien­nent de l'amiante (chrysotile ou actinolite), Eiffage a mis au point un atelier de recyclage mobile, dénommé Recyclean. « Ce procédé est basé sur nos ateliers mobiles de retraite­ment à froid ARC 700, ARC 1000 et ARM 2500. Le principe consiste à réhomogénéiser la chaussée, en la fraisant sur une épaisseur de 15 à 40 cm. Les fraisats sont recyclés sur place par la raboteuse, mélangés avec de l'eau et un liant hydrau­lique qui fixe les polluants», explique Claude Giorgi, direc­teur technique adjoint d'Eiffage Route. Résultat? La redilu­tion de ces derniers dans les matériaux routiers ainsi régé­nérés permet de repasser sous les seuils acceptables (moins de 50 mg/kg de chaussée pour les HAP). Astuce: pour éviter leur diffusion dans l'environnement, et ainsi l'exposition des travailleurs et des riverains, les polluants (hydrocarbures et fibres d'amiante) sont confinés, in situ, par encapsulage par voie humide: une« jupe» de vapeur d'eau, créée via un sys­tème de brumisation mis en place sur le carénage de la ma­chine, rabat les gaz et les poussières sur la route.

1 · L'atelier de recyclage mobile d'Eiffage sur un chantier en

Ariège. 2 · L'atelier permet de retraiter en place les chaussées

polluées aux hydrocarbures aromatiques polycycliques CHAP).

80 • LeMoniteur 9juin2017

« Les HAP et l'amiante sont

les deux pollutions majeures»

Nies Boussiouf, chargé d'études matériaux et économie circulaire

'4!) Quels types de pollutions concernent la route? Les maîtres d'ouvrage et les maîtres d'œuvre routiers sont principalement confrontés aux pollutions aux hydrocarbures aromatiques polycycliques CHAP) et à l'amiante. La réhabilitation des chaussées impactées par ces deux polluants nécessite de bien distinguer les deux problématiques.

'4!) C'est-à-dire? au Cerema. En ce qui concerne les

chaussées contenant de l'amiante chrysotile ou actinolite, dans leurs couches de surface comme dans leurs couches de structure, la pratique actuelle conduit à deux cas de figure. Soit les matériaux routiers amiantés peuvent être laissés en place et, éventuellement, recouverts d'une nouvelle couche de roulement, soit ils doivent être extraits. Dans le premier cas, les matériaux amiantés ne représentent aucun danger, car il n'y a pas de libération de fibres dans l'air. Dans le second cas, le fraisage de la route doit être réalisé avec un atelier approprié et les agrégats doivent être évacués vers une installation de stockage pour déchets dangereux (ISDD), avec des coûts induits importants.

'4!) Et concernant les chaussées polluées aux hydrocarbures? Pour les chaussées contenant des HAP, les solutions de traitement sont plus variées. D'une part, le matériau pollué peut être évacué en installation de stockage. S'il y a moins de 50 mg de HAP/kg de matière sèche, les agrégats de chaussées peuvent être évacués en installation de stockage de déchets inertes CISDD. Si la teneur en HAP dépasse 50 mg/kg, l'élimination est envisageable en ISDD ou en installation de stockage de déchets non dangereux CISDND), selon les critères d'admission figurant dans les arrêtés préfectoraux. Au-delà de 1000 mg/kg, les fraisats sont toujours considérés comme des déchets dangereux. Toutefois, le réemploi des agrégats est également possible dans certains cas. Les matériaux pollués peuvent être recyclés, à froid ou à chaud, dans un enrobé neuf si leur teneur en HAP est inférieure à 50 mg/kg. Ils peuvent être recyclés à froid si leur teneur en HAP est inférieure à 500 mg/kg, car, à froid, les émanations de HAP sont très faibles. Concernant les problématiques amiante et HAP, le guide« Acceptabilité environnementale des matériaux alternatifs en technique routière» est considéré comme une référence. • Propos recueillis par A. L.