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32 | Octobre 2015 | La Revue du Trombinoscope TRIBUNES Copropriété N otre pays continue de connaître une crise du logement préoccupante. Les causes viennent de loin, les retards accumulés sont lourds et la sortie de crise suppose d’inscrire un effort national important dans la durée. Cette crise se manifeste par la difficulté pour nos concitoyens, et d’abord les jeunes et les plus modestes, de trouver un logement, qui plus est à un prix abordable au regard de leurs moyens. C’est plus net dans les zones tendues, les métropoles ou encore les villes connaissant un accroisse- ment démographique. Mais très largement sur notre territoire, les dépenses liées au logement pèsent de plus en plus lourd dans le budget des Français. C’est vrai d’abord du niveau des loyers, et même si la loi Alur engage une régulation hélas limitée à Paris pour l’heure en permettant quelques baisses, nous sommes très loin d’un rattrapage des très forts dérapages observés depuis 10 ans, de sorte que l’inadaptation des loyers aux revenus réels de- meure un problème. Elle impacte directement le pouvoir d’achat des Français et donc la croissance du pays. Pour les accédants, les prix n’ont pas encore suffisamment baissé pour relancer fortement l’accession et la construction, en particulier pour les couches populaires. La baisse des taux d’in- térêt a finalement davantage favorisé les propriétaires fonciers que les accédants. Cela exige sans doute une double stratégie des pouvoirs publics : réguler les prix du foncier et de l’immobi- lier et mieux aider l’accession sociale sécurisée. Notre pays doit engager une forme de révolution culturelle en promouvant le foncier dissocié et dans un premier temps le foncier différé avec des mécanismes anti-spéculatifs. Il faut y ajouter le poids grandissant des charges (chauffage, eau, etc.) qui devrait pousser les propriétaires à engager des tra- vaux d’économie d’énergie. De nouvelles dispositions fiscales doivent permettre, comme le pré- voit la loi de transition énergé- tique, d’investir vite et fort en ce sens. Surtout, les outils accompa- gnant les propriétaires qui n’ont pas les moyens de lancer ces travaux doivent être absolument soutenus. Le passage à l’acte de l’État et des collectivités locales pour soutenir ces démarches est devenu un impératif. On voit que ces enjeux vont aussi devenir très prégnants pour les coproprié- tés existantes. Révolution culturelle pour le foncier oui, mais c’est encore plus vrai en ce qui concerne la qualité écologique de notre habitat. Reste que la grande affaire est la production de logements sociaux à loyer très bas, en tout cas plus bas qu’aujourd’hui. Le chiffre de 150 000 logements est un objectif indispensable, faut- il encore que cette production s’opère au niveau des bas loyers (PLUS, PLAI). Et là, il est illusoire d’imaginer atteindre ces objec- tifs sans une relance des aides à la pierre, sans mobiliser les ter- rains publics immédiatement, sans contraindre les communes en carence manifeste au titre de l’article 55 de la loi SRU (20 % de logements sociaux qui passeront à 25 %). C’est essentiel pour assurer le droit au logement pour tous mais aussi pour combattre les risques de ghettoïsation et assurer une mixité sociale indis- pensable pour consolider notre modèle républicain. Mais la politique du logement fait aussi partie intégrante de l’aménagement du territoire. Certains centres-villes, certains centres-bourgs dans des régions en baisse démographique ou en difficulté économique se dévitalisent dangereusement avec une perte d’attractivité mais aussi une détérioration du parc bâti. Il faut engager leur requalification. Les élus locaux y sont de plus en plus sensibles, le Gouvernement a engagé des expérimen- tations. Il va falloir prendre la mesure des moyens à mobiliser pour réussir cette revitalisation si l’on ne veut pas d’une France déséquilibrée, avec un sentiment d’abandon d’une partie de nos concitoyens. Si notre pays doit pouvoir compter sur l’attractivité de ses métropoles, elle doit conserver un maillage qui organise des complémentarités entre ces grandes conurbations, les villes moyennes et plus petites et une France rurale, avec un fil direc- teur : l’égalité républicaine. Par Marie-Noëlle LIENEMANN f Secrétaire d’État au Logement (2001-02) f Sénatrice socialiste de Paris f Membre de la Commission nationale chargée de l’examen du respect des obligations de logements sociaux « L’inadaptation des loyers aux revenus réels demeure un problème. Elle impacte directement le pouvoir d’achat des Français et donc la croissance du pays. » LOGEMENT : LA CRISE RESTE PRÉOCCUPANTE

Tribune Marie-Noelle Lienemann Revue Du Trombinoscope

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32 | Octobre 2015 | La Revue du Trombinoscope

Tribunes • Copropriété

notre pays continue de connaître une crise du logement préoccupante. Les causes viennent de loin, les retards accumulés sont lourds et la sortie de crise suppose d’inscrire un effort national important dans la durée.

Cette crise se manifeste par la difficulté pour nos concitoyens, et d’abord les jeunes et les plus modestes, de trouver un logement, qui plus est à un prix abordable au regard de leurs moyens. C’est plus net dans les zones tendues, les métropoles ou encore les villes connaissant un accroisse-ment démographique. Mais très largement sur notre territoire, les dépenses liées au logement pèsent de plus en plus lourd dans le budget des Français. C’est vrai d’abord du niveau des loyers, et même si la loi Alur engage une régulation hélas limitée à Paris pour l’heure en permettant quelques baisses, nous sommes très loin d’un rattrapage des très forts dérapages observés depuis 10 ans, de sorte que l’inadaptation des loyers aux revenus réels de-meure un problème. Elle impacte directement le pouvoir d’achat des Français et donc la croissance du pays.

Pour les accédants, les prix n’ont pas encore suffisamment baissé pour relancer fortement l’accession et la construction, en particulier pour les couches populaires. La baisse des taux d’in-térêt a finalement davantage favorisé les propriétaires fonciers que les accédants. Cela exige sans doute une double stratégie des pouvoirs publics : réguler les prix du foncier et de l’immobi-lier et mieux aider l’accession sociale sécurisée. Notre pays doit engager une forme de révolution culturelle en promouvant le foncier dissocié et dans un premier temps le foncier différé avec des mécanismes anti-spéculatifs.

Il faut y ajouter le poids grandissant des charges (chauffage, eau, etc.) qui devrait pousser les propriétaires à engager des tra-vaux d’économie d’énergie. De nouvelles dispositions fiscales doivent permettre, comme le pré-voit la loi de transition énergé-tique, d’investir vite et fort en ce sens. Surtout, les outils accompa-gnant les propriétaires qui n’ont pas les moyens de lancer ces travaux doivent être absolument soutenus. Le passage à l’acte de l’État et des collectivités locales pour soutenir ces démarches est devenu un impératif. On voit que

ces enjeux vont aussi devenir très prégnants pour les coproprié-tés existantes. Révolution culturelle pour le foncier oui, mais c’est encore plus vrai en ce qui concerne la qualité écologique de notre habitat.

Reste que la grande affaire est la production de logements sociaux à loyer très bas, en tout cas plus bas qu’aujourd’hui. Le chiffre de 150 000 logements est un objectif indispensable, faut-il encore que cette production s’opère au niveau des bas loyers (PLUS, PLAI). Et là, il est illusoire d’imaginer atteindre ces objec-tifs sans une relance des aides à la pierre, sans mobiliser les ter-rains publics immédiatement, sans contraindre les communes en carence manifeste au titre de l’article 55 de la loi SRU (20 % de logements sociaux qui passeront à 25 %). C’est essentiel pour assurer le droit au logement pour tous mais aussi pour combattre les risques de ghettoïsation et assurer une mixité sociale indis-pensable pour consolider notre modèle républicain.

Mais la politique du logement fait aussi partie intégrante de l’aménagement du territoire. Certains centres-villes, certains centres-bourgs dans des régions en baisse démographique ou en difficulté économique se dévitalisent dangereusement avec une perte d’attractivité mais aussi une détérioration du parc bâti. Il faut engager leur requalification. Les élus locaux y sont de plus en plus sensibles, le Gouvernement a engagé des expérimen-tations. Il va falloir prendre la mesure des moyens à mobiliser pour réussir cette revitalisation si l’on ne veut pas d’une France déséquilibrée, avec un sentiment d’abandon d’une partie de nos concitoyens. Si notre pays doit pouvoir compter sur l’attractivité de ses métropoles, elle doit conserver un maillage qui organise des complémentarités entre ces grandes conurbations, les villes moyennes et plus petites et une France rurale, avec un fil direc-teur : l’égalité républicaine.

Par Marie-Noëlle LIENEMANNffSecrétaire d’État au Logement (2001-02)ffSénatrice socialiste de ParisffMembre de la Commission nationale chargée de l’examen du respect des obligations de logements sociaux

« L’inadaptation des loyers aux revenus réels demeure un problème. Elle impacte directement le pouvoir d’achat des Français et donc la croissance du pays. »

LOgement : La Crise reste préOCCupante