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TRIOMPHE DE L'ÉCRITURE ~ FEMME II MLF recherche dinosaures ou dynasties par Jean Perrot « Aila... son visage caché, ce visage qu'il leur restait à reconnaître. » Histoire de mon fils Nadine Gordimer, Prix Nobel de Littérature Artémis : une femme libre, « aux yeux de clairière » L'article précédent s'est conclu sur l'image d'Orphée, émergeant de profondeurs dans lesquelles Eurydice est censée demeurer, enveloppée par la Terre-Mère, une femme fleur, chair, musique de sphères. En réalité, aujourd'hui, c'est Eurydice qui sauve et qui agit : on le voit bien avec le roman significa- tif de Nadine Gordimer, Histoire de mon fils l , chronique de la lutte des Noirs en Afrique du Sud, mais surtout récit de l'émergence d'une femme, de deux femmes sur la scène de l'Histoire : Aila, la mère abandonnée par son mari (le Père, ce sera lui, le dinosaure de cet article, évidemment), est entraînée dans le combat de libération politique par sa fille « Baby ». D'une maniè- re tout aussi significative, la « Beurette » Samira de Samira des Quatre-Routes de Jeanne Benameur (Castor Poche, 1992) assiste le jeune François traumatisé par une agression fasciste, le « ramène à la vie » (p. 78) et le tire de l'enfer névrotique dans lequel l'a plongé la violence sociale. Samira aussi n'est pas très éloignée des héroïnes d'Agnès Desarthe (comme elles, elle veut combattre avec les poings, p. 49) et nous fait comprendre incidemment que le refus de Sartre dans Les Peurs de Conception sous- tend en fait une implicite mise en avant de sa compagne, l'auteur du Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir. Pour Jeanne Bena- meur, en effet, les revendications féministes ne sont pas périmées : l'homme est au pou- voir, parce que les femmes « acceptent la famille comme on la faisait chez nous » (p. 126), une famille où la mère est aux cui- sines. Ainsi Fatima, l'aînée de Samira, se plie aux volontés de Kaddour qui pense que sa « femme n'aura pas besoin de travailler (1) Gordimer, Nadine : Histoire de mon fils, 1990, trad. fr. Christian Bourgois Editeur, Paris : 1992 60 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

TRIOMPHE DE L'ÉCRITURE FEMME II - BnFcnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/...(2) Vernant, Jean-Pierre : La Mort dans les yeux, Voir aussi mon étude « L'Ogre de

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  • TRIOMPHE DEL'ÉCRITURE ~ FEMME II

    MLF recherchedinosaures ou dynasties

    par Jean Perrot

    « Aila... son visage caché,ce visage qu'il leur restait à reconnaître. »

    Histoire de mon filsNadine Gordimer, Prix Nobel de Littérature

    Artémis : une femme libre, « auxyeux de clairière »

    L'article précédent s'est conclu sur l'imaged'Orphée, émergeant de profondeurs danslesquelles Eurydice est censée demeurer,enveloppée par la Terre-Mère, une femmefleur, chair, musique de sphères. En réalité,aujourd'hui, c'est Eurydice qui sauve et quiagit : on le voit bien avec le roman significa-tif de Nadine Gordimer, Histoire de monfils l, chronique de la lutte des Noirs enAfrique du Sud, mais surtout récit del'émergence d'une femme, de deux femmessur la scène de l'Histoire : Aila, la mèreabandonnée par son mari (le Père, ce seralui, le dinosaure de cet article, évidemment),est entraînée dans le combat de libérationpolitique par sa fille « Baby ». D'une maniè-re tout aussi significative, la « Beurette »Samira de Samira des Quatre-Routes de

    Jeanne Benameur (Castor Poche, 1992)assiste le jeune François traumatisé par uneagression fasciste, le « ramène à la vie »(p. 78) et le tire de l'enfer névrotique danslequel l'a plongé la violence sociale. Samiraaussi n'est pas très éloignée des héroïnesd'Agnès Desarthe (comme elles, elle veutcombattre avec les poings, p. 49) et nous faitcomprendre incidemment que le refus deSartre dans Les Peurs de Conception sous-tend en fait une implicite mise en avant de sacompagne, l'auteur du Deuxième Sexe,Simone de Beauvoir. Pour Jeanne Bena-meur, en effet, les revendications féministesne sont pas périmées : l'homme est au pou-voir, parce que les femmes « acceptent lafamille comme on la faisait chez nous »(p. 126), une famille où la mère est aux cui-sines. Ainsi Fatima, l'aînée de Samira, seplie aux volontés de Kaddour qui pense quesa « femme n'aura pas besoin de travailler

    (1) Gordimer, Nadine : Histoire de mon fils, 1990, trad. fr. Christian Bourgois Editeur, Paris : 1992

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  • dehors », Kaddour qui est content, si « elleélève ses enfants selon les justes principes duCoran »(p. 24). C'est pourquoi, dansSamira des Quatre-Routes, l'antithèse mili-tante de la famille traditionnnelle est donnéepar Aune, la jeune artiste divorcée qui élèveseule ses deux fils. De toute évidence, la libé-ration féminine recoupe les questions declasses et de cultures, car c'est devant cettefemme que le père de Fatima, le travailleurémigré, se sent « ému et intimidé ».D'une manière similaire, dans Histoire demon fils, le père noir se laisse impressionnerpar une intellectuelle blanche, tandis que safemme et sa fille s'imposent progressivementet relèguent au second plan ses effets de tri-bune, gommant, d'une part, le masque debeauté conventionnelle que la première avaitadopté et, d'autre part, les provocationschaotiques d'une adolescente, d'abordoutrageusement maquillée. Aline, de même,a « un visage très fin », une main « petitecomme une main d'enfant, mais très ferme »(p. 65) et « des yeux de clairière » (p. 71). Sibien que le masque d'Orphée, dans cedeuxième article, s'efface aussitôt devantcelui, plus séduisant, de Diane déjà entrevuedans la précédente étude, ou plutôtd'Artémis, divinité des marges culturelles etdes clairières, comme le Petit ChaperonRougè, l'initiatrice des jeunes filles de laCité, la seule déesse qui s'avance masquée,comme le rappelle Jean-Pierre Vernant :surgit aussi le masque de Kelek aussi impres-sionnant que celui de la Méduse qui n'est passans rapport avec Artémis, comme le suggèreencore l'auteur de La Mort dans les yeux 2.Fin d'Orphée donc, Orphée marqué parl'emprise de la femme, dans le mythe et

    *•+*:

    ill. Maya Bell, in : Obliques, n° 14-15« La Femme surréaliste »

    aujourd'hui, si toute écriture pour la jeunes-se dans le système éditorial contemporainn'est qu'une variante de « l'écriture fémini-ne », comme Margaret Higonnet, avec PerryNodelman, semble le suggérer dans unrécent article3.L'œuvre de Nadine Gordimer, en tout cas,devait être mentionnée, parce qu'elle paraîtrassembler emblématiquement - avec plus deforce que celle de Jeanne Benameur pourqui le Père est encore l'objet d'une vénéra-tion sacrée - trois traits de l'écriture fémini-ne de notre époque : une certaine dérision« postmoderne » d'abord, qui, à des degrésdivers, accompagne l'affirmation volontaired'une identité spécifique; ensuite le recoursà l'enfance comme ressourcement, pour lafemme et l'homme, de forces vives un instantdétournées et perverties, comme garantie

    (2) Vernant, Jean-Pierre : La Mort dans les yeux, Voir aussi mon étude « L'Ogre de l'altérité ou l'émer-gence d'Artémis» in : La Littérature de jeunesse au croisement des cultures, Le Perreux : CRDP(Collection Argos), 1993.(3) Higonnet, Margaret : « La Politique dans la cour de récréation » in : « Culture, texte et jeune lec-teur», présentation de Jean Perrot, Actes du 10^me congrès de l'IRSCL, Nancy : PressesUniversitaires, 1993, p. 116.

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  • Dedans les gens, ill. N. Claveloux, Gallimard/Le Sourire qui mord.

    utopique d'un contrat d'union fondatrice;enfin, depuis ce point névralgique, une cri-tique incisive des aberrations de la Cité, etplus particulièrement de celles que l'hommeimpose à la famille. Examinons les trois uni-tés de ce théâtre qui ne manque pas d'af-fecter l'esprit des œuvres diffusées dans lechamp de l'édition pour la jeunesse.

    Levez masques et bergamasques :la danse des dinosauresC'est bien le terme « théâtre de l'intime »qu'emploie Nicole Claveloux pour qualifiersa dernière œuvre Dedans les gens(Gallimard-Le Sourire qui mord). On nepeut rester indifférent devant cette sorte debacchanale qui surgit de derrière une drape-rie aux teintes plus nuancées que celles durideau de Rouge bien rouge et qui est guidéepar le gnome-enfant-clown de Quel genre debisous : on remarque, dans ce défilé à laJérôme Bosch où se mêlent des musiciens -mais pas Orphée ! - que les hommes ici sevoient attribuer des formes de clowns, d'ani-maux, de robots ou de mages chargés depesants livres, tandis qu'une indécision pèsesur le féminin, indécision bien vite levée parles fonctions nourricières que suggèrent desattributs indiscutables, et, par exemple,cette cruche qui verse un lait crémeux dansune jatte. On est frappé aussi par des« chaînes » de personnages aux têtes en

    forme de cornues qui distillent des élixirsdans un échange aussi mystérieux que celui -relevé dans notre article précédent - qui ins-pirait Colette. Enfin ce Carnaval est couron-né par l'apparition d'une guenon portant unœuf et entourée de personnages à l'identiténébuleuse et notamment, d'un Prométhée ausexe en érection, mais au visage indistinct.Par un effet de zoom, l'image finale se perddans l'obscurité du regard vide d'un gardesous son casque. Ultime vision du désir mas-culin aveuglé, transposant peut-être l'hor-reur qui s'exprime sous le casque de la«Chute des anges rebelles » de Pieter Brueghelreproduit dans Petit Musée (L'Ecole desLoisirs, 1992) par Alain Le Saux et GrégoireSolotareff. La dérision du postmoderne,quoi qu'il en soit, sous-tend le constat fémi-niste de la chute à travers ce jeu de masquesterrifiants (une défense contre le regardd'Actéon ?) qui inclut dans son« triomphe » et sa danse macabre des crânesde mammouths et autres tératosaures.

    Chronique des dynasties :le spectre et la poupée

    La même tératologie du regard anime sur unregistre moins allégorique le roman deValérie Dayre, Le Pas des fantômes (Cas-cade Aventure, Rageot Editeur, 1992), qui

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  • montre comment « l'honneur » d'une famillea entraîné le sacrifice d'un amour de femmeet la destruction d'un couple : Marianne,victime d'un « froid tueur d'amour qui, àdéfaut d'avoir su vivre, avait su se faire dessouvenirs » (p. 151), n'est plus que le fantô-me d'elle-même :« C'étaient de vieux yeux de folle qui mefouaillaient, de vieux yeux perçants, tropbrillants, qui étaient restés l'unique souve-nir de jeunesse dans un visage ravagé parun temps qui y avait exercé toutes ces vio-lences » (p. 140).« L'amoureux » de Marianne prénomméRomain, l'homme d'une Décadence qui ren-voie autant à celle de Rome qu'à La Chutede la Maison Usher d'Edgar Poe, possède,lui, des yeux changeants « mats et « opa-ques », avec des « iris grisés » (pp. 20-21),aussi insondables que ceux de l'homme aucasque dans l'illustration de NicoleClaveloux. Ces yeux redoublent le regard dupère, Edouard Troël-Pym, l'ancêtre, lemonstre comme sorti d'une galerie deportraits au dénouement, et qui regardetriomphalement brûler le domaine, dans unincendie aussi dévastateur que celui deMetzengerstein du même Edgar Poe. Lesaventures du narrateur généreux derrièrelequel se cache Valérie Dayre sont donccelles d'un « Gordon Pym », témoin del'horrible et du scandaleux : la ruine de lamaison Troël-Pym reporte sur une femme etsur les gens d'un pays tout entier spectral laperversion des « capitaines d'industrie ».Comme Madeline, la folle, et Usher, le châte-lain au domaine désolé, Marianne et Romainvivent l'enfermement d'un narcissismegémellaire et la lettre, retrouvée à trentetrois ans d'intervalle (une vie de Christ ?)par le narrateur, permet l'accomplissementd'un drame de la répétition et de la coïnci-

    dence : celui d'une transposition de LaLettre volée. D'une lettre qui, Lacan l'amontré dans une analyse célèbre, a été avanttout « retardée »4. On admirera la subtilitéde « l'effet final » et la construction duroman de Valérie Dayre qui croise fiction etcorrespondance, comme étaient exploitéesles techniques du journal intime dans C'estla vie, Lili (Rageot Editeur, 1991) : larecherche féminine de l'authenticité ainsidébouche sur une remise en cause politiquede tout le système de la « représentation »masculine. Cette contestation met l'accent,au premier titre, sur la conscience des impli-cations politiques mêmes de la fiction et surl'acuité critique des romancières.A la sombre vision rétrospective de ValérieDayre s'opposent sans doute dans l'éditionpour la jeunesse des utopies projectives etdes « planètes » féminines plus souriantes :celle par exemple, aux antipodes, deCatherine Missonnier dans Extraterrestreappelle CM1 (Cascade, Rageot Editeur,1992), où la « préhistoire » (p. 9) renvoiesimplement au quotidien de notre terre, unheu que le narrateur trouve archaïque pourdes raisons technologiques, mais où l'oncleGaspard « traite » toujours (tante Lucie)« comme une poupée fragile et précieusequ'il aurait peur de casser » (p. 11). L'imagede la femme-objet transitionnel, à laquelle,en un sens, Aila sacrifie aussi au début deHistoire de mon fils, atteste bien de la per-manence de l'homme de La Gradiva aucœur même de la comédie moderne, maisrévèle en même temps un adulte qui n'a pasquitté la scène de l'enfance : Orphée serait-ilporté à jouer à la poupée ? Ou plutôt, lavalorisation de la femme dans la perspectiveféministe ne commencerait-elle pas, dans lesfictions construisant une nouvelle Personne,par la restauration et l'intronisation

    (4) Lacan, Jacques, « Le Séminaire sur la lettre volée », in : Ecrits, 1966, Le Seuil (Le Champ freu-dien) pp . 11-60.

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  • magique de « l'enfant merveilleux » que cha-cun porte en soi et dont, selon SergeLeclaire, il faut faire le deuil, pour atteindrela maturité5? Des voix innombrablesd'enfants et d'adolescents bavards nous par-viennent ainsi à travers les récits à la pre-mière personne, écrits par les femmes princi-palement : la vivacité et la théâtralité desdialogues très développés y alternent avecdes échanges de lettres - on remarquera leslettres que l'on se donne de main à maindans Samira des Quatre-Routes - et avec lescommentaires restreints des romancièresidentifiées à leurs porte-paroles.On comprend que cette forme de fictionconvienne mieux à l'expression des droits dela femme que le journal intime, dont la forcede persuasion est moins directe à l'heure descommunications rapides : le « modèle »du Journal d'Anne Frank a aujourd'hui unpeu perdu de sa qualité de « manifeste »littéraire, après la vague des récits de vieconsacrés à l'évocation de la Seconde Guerremondiale. Il se trouve néanmoins mentionnédans quelques fictions récentes, comme dansQuand je pense à la Résistance de SophieChérer (L'Ecole des Loisirs, 1993, p. 38), aumême titre que Le Journal de la France enguerre, comme élément suggérant une atmo-sphère d'époque et un état d'esprit : celui del'adolescente qui, placée devant « l'horreur »absolue (les restes macabres, un tibia et uncrâne de déporté russe, reliques du Musée del'occupation allemande de Jersey), refuse unecertaine hypocrisie des commémorations offi-cielles. D est donc repris et redistribué dansun récit plus ouvert avec d'autres référencesaux lectures disparates d'une adolescente, àBelle du seigneur, aux Mémoires de SaintSimon et à la collection des Oui-Oui (p. 14).La rencontre des tons et des genres litté-raires est la marque d'un refus de la légiti-mité traditionnelle et d'un travail de libéra-

    tion formelle que nous allons considérermaintenant.

    Nouvelles « séries » :la femme, l'enfant et le pantin

    « J'entrai. Merde ! Que des mouflets. Unqui a bien trois mois et qui geint sur le seinde sa mère. Des jumeaux qui m'ont toutl'air de s'être refilé la varicelle. Une gaminequi se mouche dans les coussins du divan.Calamitas, elle m'a repéré. J'ai toujours eubeaucoup de succès auprès des filles demoins de deux ans... »Cet extrait du récit Un Séducteur-né deMarie-Aude Murail (L'Ecole des loisirs,1991, p. 37) caractérise au mieux le retour-nement carnavalesque d'une écriture quiaffecte autant la parole des enfants que celledes adultes et, de préférence, celle des mâlesvisés en première ligne. Alors que l'homme,en effet, n'apparaît que d'une manière épiso-dique dans l'univers de Susie Morgenstern, le« pantin » aux prises avec « la femme » offreune cible d'élection dans la « saga »d'Emilien, le jeune héros de Marie-AudeMurail. Ce garçon est orphelin de père, et vitavec sa mère, une personne généreuse etartiste, comme Aline dans Samira desQuatre-Routes, mais assez fantasque dansles errances qu'entraîne son désir d'indé-pendance affective et financière : assailliepar les « prétendants », mais liée à son fils,elle doit aussi faire face à un compte bancai-re en perpétuel découvert.... Les démêléscocasses de ce couple témoignent de l'isole-ment difficile de la femme et de l'enfant dansle foyer monoparental et constituentl'intrigue centrale des nombreux volumespubliés par le même éditeur : Baby-sitterblues (1988), Le Clocher d'Abgall (1989), LeTrésor de mon père (1989), Au bonheur deslarmes (1990), Sans sucre merci (1992).

    (5) Leclaire, Serge : On tue un enfant, Paris : Le Seuil, 1975 (Le Champ freudien).

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  • Le dernier « épisode » qui vient de paraître,Nos amours ne vont pas si mal (L'Ecole desLoisirs, 1993), joue sur cet effet d'accumula-tion, et Marie-Aude Murail, dans un retourcritique hardi sur ses propres pratiques, yjuxtapose en permanence les développe-ments fantaisistes de l'intrigue et un com-mentaire humoristique : très sensible auxdiscours publicitaires (ici la réclame deNesquick) qu'elle fustige dans maint récit,mais pour en tirer des effets burlesques, laromancière, en effet, révèle à la fois la proxi-mité de son œuvre avec la littérature popu-laire des séries télévisées et la distance paro-dique conférant à ses histoires un nouveaustatut littéraire :

    « Si ma mère jouait dans Santa Barbara, jepourrais raconter que son ex-mari (celui quia reçu une brique sur la tête lors d'une visitede chantier au 123° épisode) a fait kidnap-per le bébé pour que le nouvel amant de sonex-femme ne se charge pas de son éducation,vu qu'on peut se poser des questions sur samoralité, car tout le monde a pu voir au155° épisode qu'il couchait avec la deuxièmefemme de l'ex-mari de sa nouvelle maî-tresse... » (p. 23)Que le « détrônement du roi » (selon la for-mule de Bakhtine) qui en résulte, soit celuide la « Majesté » traditionnelle - et, curieu-sement, le loup d'Yvan Pommaux reçoit, lui-aussi, une brique sur la tête pour avoir enle-vé le petit Chaperon Rouge dans JohnChatterton, détective - paraît évident à lalecture du Clocher d'Abgall : là, HenriLeroy qui brigue un instant la place royaledu mari, abandonne la partie en manifestantun odieux égoïsme et une inhumaine indiffé-rence à l'égard d'un ami d'Emilien en péril.La phrase qu'il lance avant de s'éclipsermontre bien l'engagement de Marie-AudeMurail :

    « J'en ai assez de subir les caprices de cegamin, assez d'être un pantin entre vousdeux. ASSEZ » (p. 152).

    L'appel à la générosité suscité par le dramede l'enfance malheureuse libère donc danscette fiction une femme qui, autrement,courrait le risque d'être « squattée », unterme qu'emploie Emilien dans Sans sucre,merci (p. 42). Depuis Pierre Louys, l'enfantest ainsi passé entre « la femme et lepantin », s'est glissé entre les deux protago-nistes de la comédie des mœurs et, souvent,se voit le délégué des désirs féminins enexprimant une « raison » du cœur que lesadultes en folie ont tendance à oublier. Lesintermittences de la passion des amants pas-sent dès lors par le relais de la fantaisieenfantine : « Les petits mômes ont le géniede dénouer toutes les situations », ditEmilien très significativement dans Le clo-cher d'Abgall (p. 133) au cours d'une scèneparodique dans laquelle la gêne d'Emilien etde Martine-Marie, son « amoureuse »,est dispersée par le « bon mot » du petitfrère qui mime et caricature l'égoïsme desadultes : « Ze donne pas mon socolat à lui »,dit Charles-Aurèle préventivement » (p. 133)De la même manière le Maximidou deBrigitte Smadja dans Maxime fait de lapolitique (L'École des Loisirs, 1991) saitdétendre l'atmosphère familiale par ses bonsmots, lorsque le père s'impatiente de ne pasvoir rentrer sa femme : « Je dis que tuaurais dû la quitter. Un papa divorcé, c'estmoins grave qu'un papa fou », déclare-t-ilavec un grand sérieux qui déclenche le rirede son père (p.17).

    La satire féministe du style :Santa Barbara ou BarbaraCartland

    On sait que l'écrivain féministe Gyp s'étaitdéjà essayée à une utilisation assez sem-blable de l'humour enfantin involontaire audix-neuvième siècle dans sa satire de l'insti-

    N° 153 AUTOMNE 1993/ 65

  • tution du mariage6. L'originalité de Marie-Aude Murail qui a rédigé une thèse surCharles Dickens est de reprendre le flam-beau de l'hujiour dans le contexte des luttesMLF qui placent les soins accordés auxenfants par les parents au centre du débatpolitique : les enfants des bourgeoises éman-cipées de Gyp, en effet, étaient encoreconfiés aux domestiques.Cette mutation implique un changement deperspective, et même de style, de l'enfant,lui-même : dans la page de Sans sucre,merci que nous venons de citer, Emilien, imi-tant la romancière populaire sentimentale,Barbara Cartland, s'entraîne à l'écriture etretranscrit dans une autre langue, l'épisodeburlesque pendant lequel son oncle en per-sonne, le frère de son père mort, a courtisésa mère :

    « Etait-il possible que d'aussi douces parolestombassent de ces lèvres railleuses ?- Hélas, reprit-il d'une voix amère, vousapparteniez alors à cet infâme HenriLeroy »- Je n'ai jamais appartenu à qui que ce soit,répliqua maman, et celui qui prétendrait lecontraire serait un sombre crétin.Ma mère est trop MLF pour les romans deBarbara Cartland... » (p. 42).La solidarité de la femme et de l'enfant dansle combat commun de libération s'accom-pagne bien d'une haute conscience de l'abé-nation imposée par le langage et par laconstruction d'une histoire même. Dans Nosamours ne vont pas si mal, cette réflexion seprécise à la mesure de l'aggravation desconflits évoqués dans la parodie de Santa-Barbara : Emilien écarte encore une foisLeroy (tout entier dominé par « les lois dumarché » qui poussent l'individu à se

    vendre) et prend le parti de « l'amoureuxnouveau », Valentin, le frère de son père,capable de larmes. Son action aboutit, defait, à l'examen des implications idéolo-giques de tout récit : en voulant devenirauteur de bandes dessinées, l'adolescenttranscrit et transforme le scénario desamours de sa mère. Cette activité esthétiqueagit en retour sur l'histoire des amoursd'Emilien et associe le lecteur aux choix exis-tentiels (et narratifs) que le garçon est amenéà faire :

    « Leroy quitte les Centres Leclerc et partservir les chiffonniers du Caire aux côtés deSœur Emmanuelle. Happy end pour tout lemonde et surtout pour moi qui ne l'encaissepas comme beau-père. Je vais soumettre lescénar à ma mère.. »( p. 87)Ainsi, comme dans L'Insoutenable légèretéde l'être de Milan Kundera, le personnageapparaît ici comme « indissociable de l'uni-vers fictif auquel il appartient »7. L'écriturede l'œuvre inclut une réflexion sur sespropres formes : la bande dessinée d'Emiliendont des extraits sont reproduits dans levolume, est l'occasion d'une parodie desrapports de l'auteur et de l'éditeur dans lessystèmes de la production contempo-raine. C'est donc une théorie de la produc-tion littéraire pour la jeunesse qui estprésentée indirectement dans Nos amours nevont pas si mal : la romancière associe ainsil'essai et le roman et exerce le métier de cri-tique dans une complète autarcie. Enfin labande dessinée du garçon ménage la pudeurde l'écrivaine en permettant à celle-ci d'évo-quer, derrière la chute d'un ours - toujoursl'objet transitionnel - ce qui n'est pas la« chute d'un ange », mais qu'il est peut-êtredélicat, pour elle, de reproduire à travers un

    (6) Voir mon étude « Eveil de la sensibilité et censure de la voix de l'enfant chrétien » in : L'Enfance etles ouvrages d'éducation, sous la direction de P.M. Pénigaut-Duhet, Nantes : Presses de l'Université,1985, vol. II , pp. 323-343.(7) Voir le très complet article de Jacques Le Marinel: « La Conception romanesque chez Kundera »,in : L'Ecole des Lettres II, n° 12,1992-1993, pp. 64-77.

    66 /LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

  • Nos amours ne vont pas si mal, ill.Dupuy/Berberian, Ecole des loisirs

    point de vue masculin (p. 55). Marie-AudeMurail profite ici de « l'InsoutenableLégèreté du livre » qu'elle revendiquedans un récent article " : une légèreté para-doxale, qui, nous allons le voir, repose sur« le poids » d'enfants de plus en plus« lourds » et qui appellent l'invention de« porte-bébés » de plus en plus sophistiqués,porte-bébés qui font la gloire de la mèred'Emilien et sont conçus pour le « holding »des « hommes », comme le montre très plai-samment la planche de la page 31.

    Marivaudage : le jeu des bébés àgogo et à 210 francsDans l'identification tacite qui unit Emilienà sa mère, une grande part des scènesretranscrites par le jeune héros porte sur lafinesse psychologique ou sur l'inconsciencedes enfants qui miment les travers ou lesexcès de leurs géniteurs. Ainsi la petite fillede Un Séducteur-né qui a « repéré » Emilien

    chez le pédiatre entreprend aussitôt desmanœuvres de séduction :« ça y est, elle me tend le playmobil qu'ellevient de mâchouiller... Gluant. Je le jettediscrètement sous ma chaise. La gaminevient de ramasser un cube. Le temps quellele lèche un peu et ça va être pour mapomme... Justine a franchement le béguinpour moi : elle me tend son doudou, uneloque grisâtre qui a vaguement la formed'un ours » (p. 38).La comédie des bébés ne concerne pas lesseules passions amoureuses et la scène virefacilement au « drame » de la jalousie :Justine, furieuse de voir un des jumeauxgrimper sur les genoux d'Emilien lui assèneun coup de ce même doudou, déclenchantdes réactions en chaîne:« Julien, viens mon chéri, dit la mère enjetant un regard haineux à l'autre mère quifeuillette une revue, avec un air de sournoi-se satisfaction. Le nourrisson vient dedéclencher sa sirène d'alarme. Sa mère lesecoue comme un panier à salade :Là, là, mon bébé, c'est rien, c'est tes vilaineszoreilles qui zont bobo » (p. 39).La reprise du parler enfantin par les adultesqui bêtifient et qui vivent par procuration àtravers les réactions de leurs rejetons n'estpas absolument neuve : ce qui est surpre-nant en revanche ici, c'est la participationde l'adolescent (« Je craque toujours pourles bébés », déclare Emilien dans Sans sucre,merci, p. 82) qui devient ainsi le double del'auteur dont il reproduit le point de vuemoral et les activités maternantes.En fait, l'éducation féministe transformeEmilien en un futur père exemplaire, sem-blable à Valentin (un « Saint-Valentin » quiaurait lu Winnicott ?) pour qui le bébéJustine éprouve un « attachement » existen-tiel. L'adolescent, qui emprunte à la biblio-thèque « un livre sur la façon d'élever les

    (8) Murail, Marie-Aude : « L'Insoutenable légèreté du livre », in : L'Ecole des Lettres I, n° 5,1990, pp. 3-10.

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  • bébés » dans Sans sucre, merci (p. 26), rêveaux enfants qu'il aura avec Marie-Martine.On appréciera la scène du bain du Clocherd'Abgall dans laquelle le regard amusé duhéros est habité par celui de la romancièrecontemplant les gesticulations des tout-petits :« Je veux mon gant de toilette en lapin,réclama Pierre-Etienne, papa ! Mon gant !Heu... Emilien, mon gant !Je rigolai. J'aimerais bien avoir un gamincomme Pierre-Etienne avec sa biMe de clownendormi. Je sais que Marie-Martine préfèreCharles-Aurèle » (p. 137).Le bain, à travers cette vision, n'a pas lesérieux, ni le cérémonial sensuel que luiconférait George MacDonald, spectateur desrituels de l'enfant-roi victorien9 et cultiveune verdeur de langage provocante :« les frères ennemis étaient dans la baignoi-re, jouant à s'éclabousser et comparant leurquéquette.

    - C'est tout petit le tien, commenta Charles-Aurèle.- Le tien, c'est plus petit, renchérit Pierre-Etienne » (p. 136).Jamais le réalisme de la « nursery », tel quele pratiquait Louisa May Alcott, n'avait étépoussé si loin : en fait, à travers la parodiedes manières enfantines, une régression déli-bérée s'empare de la romancière qui, souscouvert du point de vue d'un adolescentformé par son expérience de baby-sitter, faitsauter tous les tabous et bafoue allègrementles conventions. Particulièrement « zozées »pour une oreille habituée au style châtié dudiscours académique paraîtront lesremarques de deux bambins de Sans sucremerci :

    « Encore un peu de caca, Madame Pipi ?demandait le petit neveu.Oui, monsieur Cucu, répondait la petite-

    nièce, avec de la crotte en merde-boudin.Mademoiselle Sainfoin me jeta un regardnavré » (p. 48)Avec une fausse commisération, Marie-AudeMurail qui a estompé les limites entre le par-ler enfantin et celui de son narrateur, pré-sente ses excuses au lecteur. En réalité, c'estl'éducation des sensibilités étrangères àl'univers de l'enfance qui est recherchée ici,avec une volonté de provocation encore plussystématique que dans Miranda s'en va deValérie Dayre. Il en résulte un style débridé,où le « mauvais goût » délibéré repose surl'absence de distance entre les fantasmesarchaïques de l'enfance et leur expression :la comédie alors prend un tour surréaliste,mais s'écarte peu des situations fondamen-tales du jeu et des rituels du premier âge.Ces turbulences linguistiques qui apparen-tent l'imaginaire de l'œuvre à celui de la« bêtise » et qui assument donc des fonctionsde sublimation affective transparaissentaussi dans le choix des thèmes : ainsi dansMon bébé à 210 francs, le jeu de la poupéedes petites filles, un jeu littéraire que l'ontrouve déjà dans Les Jeux de la petiteThalie de Monsieur de Moissy (1769)10, sevoit supplanté un instant par le jeu à lacarabine offert par la tante Kali qui est un« garçon manqué » (p. 29) (il y a du Mokasous roche dans l'épisode). Pourtant la dis-pute et les jalousies qui s'ensuivent sontfinalement supplantées par la manipulationdes vrais bébés à qui on donne le biberon :« C'est tout chaud, un bébé. C'est mille foismieux qu'une poupée » (p. 22). Encore unefois, les jeux passionnés de l'enfance et lanarration qui les rapportent, non seulementsont l'occasion d'une effusion de tendresse,mais conduisent aussi au sentiment d'untemps maîtrisé par les vertus de l'allaitementdans la gloire de la maternité. L'écriture

    (9) Cf. le compte rendu « Un Victorien à redécouvrir, George MacDonald « in : La Revue des livrespour enfants, n° 137-138, Hiver 1991, p . 37.(10) Article cité, note 5, « Eveil de sensibilité...». Op. cit. p . 327.

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  • rejoint ainsi l'action d'une féministe commeNancy Huse11, par exemple, dans la mesureoù elle lie la femme et l'enfant dans un dia-logue porteur de libération.

    La sœur sublime et le gentildinosaure reconverti

    De ces effusions multipliées résulte, dans cesrécits, une tendance généralisée à la glorifi-cation de la relation maternelle qui devientsentiment religieux, béatitude entière. Un teltrait nous a poussé à comparer Marie-AudeMurail à un abbé dans l'article précédent :un abbé qui parle latin et qui a des aspira-tions séraphiques, comme le montre le récitLes Secrets véritables (L'Ecole des loisirs,1990) où le jeu fantastique - l'évocationpeut-être des grands jeux d'une enfance per-sonnelle ? - consiste à se rendre invisible àl'aide d'une potion magique en prononçantla formule « Invkibilus sum voluntate Dei »(p. 4.) : au dénouement, le « véritable secret »de ce jeu avec le frère est celui de la magiematernelle, magie suprême, « mariale »,d'une évocation qui exorcise l'angoisse de laséparation. Et sans doute, le sentimentmaternel qui préside aux destinées des per-sonnages de ces récits n'est-il rien d'autreque celui de Marie-Aude Murail, elle-même,qui confie volontiers ses garçons « aux sœursde Sion » (Le Clocher d'Abgall p. 128), quienvisage de convertir finalement Leroy àl'action humanitaire pour l'envoyer auCaire chez Sœur Emmanuelle et qui laisse leséducateurs faire des merveilles « avec leurcœur » (p. 123) dans Au bonheur des larmes.L'humour est ainsi le masque assumé par lapudeur d'une femme qui exorcise le tragiquede l'existence (« L'humour est la politesse du

    Un Dimanche chez les dinosaures, ill. P. Dumas,Ecole des Loisirs

    désespoir », sujet sur lequel planche Emiliendans Nos amours ne vont pas si mal, p. 120)par le culte d'un absolu réunissant enfanceet liberté sous le signe du dérisoire : le déri-soire, parfois, d'histoires belges, commedans Un Séducteur-né et, plus générale-ment, d'un jeu avec le signifiant, comme,par exemple, dans Le Hollandais sans peine.Marie-Aude Murail prend le théâtre pourréférence explicite de cette représentationbouffonne et entraîne son lecteur dans defantasques imbroglios : « incognito. Commechez Marivaux », comme elle l'écrit dans UnSéducteur-né (p. 89). A cet égard, l'une desintrigues les plus réussies est celle qui livreun père de famille à ses enfants dans UnDimanche chez les dinosaures (L'Ecole desloisirs, 1991) : l'accumulation des maladressesde l'adulte culmine avec « la gifle », aveud'une impuissance, d'une autorité malemployée dont l'enfant appelait inconsciem-ment « le retournement »? Le mot d'espritinvolontaire du benjamin qui détend l'atmo-sphère et fait éclater de rire toute la famillerévèle le propos ultime de l'œuvre : les

    (11) Voir l'article de Nancy Huse : « L'Energie des racines : le féminisme et la littérature de jeunesse ;in : Culture, texte et jeune lecteur, op. cit. pp. 131-132.

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  • « dinosaures » sont sans doute ces « faussesgrandes personnes » que la romancière« n'encadre » pas et livre en pâture à sesjeunes lecteurs impitoyables, comme Ionescolivre les Smith au public (ainsi, dans Unséducteur-né, ce « monsieur congestionnéjusqu'à la racine des cheveux. Ce dernierprit dans sa poche un mouchoir grandcomme une serviette de table avec lequel ils'épongea le front, s'essuya les mains, net-toya ses lunettes et se moucha. Je redoutaiun moment qu'il ne se la nouât ensuiteautour du cou », p. 29). Ce sont surtout lespères incapables d'assumer tout seuls lagarde des enfants : celui d'Un dimanchechez les dinosaures se rachète pourtant parsa gentillesse, mais, avec le modèle maternelpour seule référence, appelle une nouvelle« archéologie du savoir » et du sentiment.Marie-Aude Murail confie qu'il y a derrièreces mises en scène le souvenir d'une blessurequi fait boîter les êtres et la vie (ces handica-pés « couchés dans une étable avec « le petitJésus » dans Au bonheur des larmes ?).Boitement œdipien des générations qui sesuivent et ne se comprennent pas, un dys-fonctionnement généralisé auquel les femmes

    n'échappent pas, comme la jeune mère qui,dans Un Dimanche chez les dinosaures, s'estabsentée, elle-aussi, pour passer undimanche avec son père « aussi désagréableque d'habitude » (p. 56). Mais cette coupuren'est-elle pas nécessaire dans la conquête del'état adulte?

    Sous le masqueL'esprit d'enfance, tout compte fait, offre àl'Artémis légère un antidote contre la sénes-cence et la fossilisation de l'humain, l'aide àlutter contre « l'insoutenable lourdeur » desêtres : comme il apparaît dans le dernieralbum publié, Son Papa est roi (Milan,1993), c'est « dans la tête d'une grande per-sonne » sous le masque donc, que vit la peti-te fille, jusqu'à ce que le « roi » qui est iciune sorte de « roi des Aulnes » emporte « surson destrier » et « dans son royaume » l'irré-ductible et merveilleuse enfant devenue une« vieille dame ». Le livre, en effet, est labaguette magique qui ouvre un espaceaérien, radieux pour tout dire, un nouveauromantisme, dépassement du mal de vivre.Pas un simple divertissement, mais aussi lemanifeste d'un engagement humaniste. •

    Dans la perspective du colloque d'Eaubonne (Mars 1994) sur L'Ecriture féminine et lalittérature de jeunesse, prochain article pour une autre Odyssée, à paraître dans la revueArgos12 (numéro de décembre), sous le titre : « Qui n'a plus peur de Virginie Lou, et del'Autre ?

    (12) Diffusée par le CRDP du Perreux, 20 rue Danièle Casanova, 94300 le Perreux.

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