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Psychiatrie Neurologie Gériatrie Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 7 / Juin 2007. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 1 Éditorial Tu géreras ton père et ta mère P.-M. Charazac Département de Géronto-Psychiatrie « Rive Gauche », Centre Hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, 290, route de Vienne, 69373 Lyon Cedex 08. Correspondance : P.-M. Charazac, adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] ans l’atelier « Innovation » du 22 e  Congrès International de Psycho- Gériatrie de Langue Française (Lorient, 20-22 septembre 2006), B. Lavallart a présenté une expérience pilote du « gestionnaire de cas ». Cette nouveauté, qu’on espère voir publiée et discutée, nous interroge sur la manière dont aidant et soignant se situent par rapport à l’ensemble des conduites et des décisions contenues dans la fonction de gérant, en nous demandant pourquoi l’un et l’autre se sentent si souvent mal à l’aise dans ce rôle. Existerait-il une résistance particulière à décider de l’avenir d’un parent ou d’un patient âgé ? Pour les soignants, il s’agit, bien sûr, d’une per- sonne connue et investie, et non d’un patient anonyme dont l’âge et le diagnostic décident de l’orientation. Tout porte à le croire, y compris la réticence des juges et des gérants de tutelle à intervenir dans autre chose que la protection des biens, même lorsqu’ils ont en main des certificats leur disant que certains de ces majeurs âgés sont hors d’état de gérer eux-mêmes leur pro- jet de vie. La capacité, qui semble à tous faire défaut, se rapproche de l’autorité parentale. Lorsque l’assistance due au parent âgé dépasse l’aide ou les soins quotidiens et exige une décision d’entrée en établissement, la question du droit à placer est aussi déterminante que celle des moyens. Le passage d’aidant à gérant se présente alors comme un saut infranchissa- ble, ce qui ramène au même plan les argu- ments matériels et affectifs, les limites des ressources et la promesse de ne jamais placer. Que nous soyons aidant ou soignant, nous gardons de notre enfance une trace de l’auto- rité dont il est ici question sous la forme de la représentation d’une assistance obligée et réciproque entre parent et enfant. Au niveau social, en ce qui concerne la bientraitance de nos aînés, cette réciprocité est loin d’être assu- rée. Mais il faut se souvenir que l’autorité parentale et la protection qui en découle pour l’enfant sont des acquisitions tardives, venues borner, comme le rappelle la légende d’Œdipe, le droit de vie et de mort qu’avait dans l’Anti- quité le père sur ses enfants. Il a fallu d’innombrables générations pour déplacer l’autorité de la force vers la loi et que la société moderne légifère sur la protection de l’enfant. La protection des anciens et l’assistance qu’ils attendent de leurs enfants ne vont pas davantage de soi. Du point de vue du psychana- lyste, pour que nous tardions tant à adopter en faveur de la vieillesse des mesures de prévention et de protection analogues à celles prises pour l’enfance, il faut que nous soyons bien peu sûrs de nos sentiments envers nos aînés. Autrement dit, que nous redoutions l’ambivalence et l’hos- tilité que nous pourrions, malgré nous, laisser passer dans cette gestion. Ces facteurs affectifs expliquent que nous puis- sions souhaiter recourir à ce tiers, ni aidant, ni soignant, que serait le « gestionnaire de cas ». D

Tu géreras ton père et ta mère

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Psychiatrie

Neurologie

Gériatrie

Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie

/ Année 7 / Juin 2007. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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Éditorial

Tu géreras ton père et ta mère

P.-M. Charazac

Département de Géronto-Psychiatrie « Rive Gauche », Centre Hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, 290, route de Vienne, 69373 Lyon Cedex 08.

Correspondance : P.-M. Charazac, adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

ans l’atelier « Innovation » du

22

e

 Congrès International de Psycho-Gériatrie de Langue Française (Lorient,

20-22 septembre 2006), B. Lavallart a présentéune expérience pilote du « gestionnaire decas ». Cette nouveauté, qu’on espère voirpubliée et discutée, nous interroge sur lamanière dont aidant et soignant se situentpar rapport à l’ensemble des conduites et desdécisions contenues dans la fonction de gérant,en nous demandant pourquoi l’un et l’autrese sentent si souvent mal à l’aise dans ce rôle.Existerait-il une résistance particulière à déciderde l’avenir d’un parent ou d’un patient âgé ?Pour les soignants, il s’agit, bien sûr, d’une per-sonne connue et investie, et non d’un patientanonyme dont l’âge et le diagnostic décident del’orientation.Tout porte à le croire, y compris la réticencedes juges et des gérants de tutelle à intervenirdans autre chose que la protection des biens,même lorsqu’ils ont en main des certificatsleur disant que certains de ces majeurs âgéssont hors d’état de gérer eux-mêmes leur pro-jet de vie.La capacité, qui semble à tous faire défaut, serapproche de l’autorité parentale. Lorsquel’assistance due au parent âgé dépasse l’aideou les soins quotidiens et exige une décisiond’entrée en établissement, la question dudroit à placer est aussi déterminante que celledes moyens. Le passage d’aidant à gérant seprésente alors comme un saut infranchissa-

ble, ce qui ramène au même plan les argu-ments matériels et affectifs, les limites desressources et la promesse de ne jamais placer.Que nous soyons aidant ou soignant, nousgardons de notre enfance une trace de l’auto-rité dont il est ici question sous la forme de lareprésentation d’une assistance obligée etréciproque entre parent et enfant. Au niveausocial, en ce qui concerne la bientraitance denos aînés, cette réciprocité est loin d’être assu-rée. Mais il faut se souvenir que l’autoritéparentale et la protection qui en découle pourl’enfant sont des acquisitions tardives, venuesborner, comme le rappelle la légende d’Œdipe,le droit de vie et de mort qu’avait dans l’Anti-quité le père sur ses enfants.Il a fallu d’innombrables générations pourdéplacer l’autorité de la force vers la loi et que lasociété moderne légifère sur la protection del’enfant. La protection des anciens et l’assistancequ’ils attendent de leurs enfants ne vont pasdavantage de soi. Du point de vue du psychana-lyste, pour que nous tardions tant à adopter enfaveur de la vieillesse des mesures de préventionet de protection analogues à celles prises pourl’enfance, il faut que nous soyons bien peu sûrsde nos sentiments envers nos aînés. Autrementdit, que nous redoutions l’ambivalence et l’hos-tilité que nous pourrions, malgré nous, laisserpasser dans cette gestion.

Ces facteurs affectifs expliquent que nous puis-sions souhaiter recourir à ce tiers, ni aidant, nisoignant, que serait le « gestionnaire de cas ».

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Mais ce n’est pas ainsi que nous connaîtrons lesforces qui contraignent nos décisions ou lesempêchent. En outre, les affects en jeu contien-nent aussi l’amour et la tendresse, et dépouillerde toute composante pulsionnelle la gestiondu projet de vie d’un proche âgé serait barrer laroute de la sublimation.Ce tiers dont aidant et soignant ont besoin pourcontenir leur ambivalence et en protéger leurproche ou leur patient, ils ne pourront le trouverque dans une législation spécifique, reconnais-sant le statut et les besoins propres de l’hommeâgé. On connaît à cet égard l’insuffisance de la

loi sur les incapables majeurs qui laisse parfois laprotection du patrimoine épouser les seuls inté-rêts d’un héritier. Il faut mettre en place un dis-positif original de prévention et de protectionqui ne prenne pas en compte seulement la fai-blesse mais aussi l’intérêt personnel de l’hommeet de la femme âgée.Sans avoir la naïveté de croire qu’il suffit delégiférer pour assurer le bonheur de nos aînés,je pense que l’institution d’une protection dela vieillesse, analogue à celle dont bénéficiel’enfance, contribuerait à asseoir le rôle etl’autorité de l’aidant et du soignant. ■