Turquie sur ligne de faille géopolitique

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Synthèse d'articles tirés de mon blog @Geographedumond

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Turquie sur ligne de faille gopolitique

18 novembre 2006. Chypre. Les analystes se suivent et se ressemblent. Aprs quun de ses confrres trs en vue a donn son interprtation de lactualit dans un journal concurrent, Alexandre Adler expose ses propres thories dans le Figaro daujourdhui. Il a rdig un rquisitoire contre les ennemis de la Turquie, ceux dclars, mais aussi ceux qui doutent de sa place dans lUnion europenne. Il faut prendre au srieux lauteur puisqu une vritable conspiration anti-turque agit en sous-main. Alexandre Adler nous dtaille la liste des comploteurs : les fourbes qui dressent des obstacles juridiques et culturels l'adhsion turque de manire provoquer, d'abord en Turquie, une raction de rejet de l'Europe qui leur vitera d'avoir assumer un non franc et argument , les Armniens descendants des rescaps du gnocide que des politiciens franais peu scrupuleux montent contre la Turquie les Chypriotes grecs, les arabes ou encore les Chrtiens intgristes tendance raciste. .Du ct des gentils nous dit Alexandre Adler se rangent heureusement les Grecs. Vous pensiez aux nationalistes hellnes ? Dtrompez-vous : une nouvelle gnration politique Athnes a bien chang la donne . Pas de doute ni dhsitation, Aujourd'hui, les lites politiques et patronales grecques, beaucoup plus sres de leur avenir et bien mieux intgres au processus de dcision europen, notamment Francfort avec leur grand banquier central Papademos, considrent l'adhsion de la Turquie comme un processus invitable dont la Grce pourrait tirer avantage dans tous les domaines. Mais tous les Grecs ne rentrent pas dans la bonne catgorie. Il y a des tratres qui, Chypre, parasitent les dmarches dadhsion de la Turquie, qui, gouverns par une coalition de la gauche et des nationalistes intransigeants, ont, eux, refus par rfrendum le plan de runification de l'le labor par Kofi Annan, au moment mme o les Chypriotes turcs l'approuvaient massivement par conviction vritablement europenne. Les conclusions dAlexandre Adler mritent que lon sy arrte. Peut-on cautionner une vision manichenne, qui se contente dopposer les bons et les mchants ? Que valent les thories du complot qui mettent dans le mme sac des supposs comploteurs que tout semble opposer ? Que signifient des tiquettes infamantes et indfinies du type intgriste tendance raciste ?Je me permets enfin de regretter la personnification des Etats, mauvais pli coutumier des analystes en relations internationales. LA Turquie, pas davantage que LA Grce, ou Chypre ne sont des personnes. Jusqu preuve du contraire, ltude dune personne, dun groupe ou dune classe sociale (psycho ou socio logie) nont pas dquivalent lchelle dun Etat. Le dterminisme mexaspre, que les sciences humaines dconsidrent depuis des lustres. Rien n'y fait, au demeurant. N'en dplaise aux commentateurs, la diplomatie rpond de toutes faons des logiques floues, non des rgles prtablies.Pour rsumer en substance lopinion dAlexandre Adler, la Turquie bnficie de son appui en tant quanalyste, par quelle soutient Isral. Comment explique-t-il dans ces conditions que ce mme pays trouve tout aussi bien des terrains dentente avec lIran (sur la rpression des Kurdes, entre autres), dont le prsident profre longueur de discours des insultes antismites ?Dans un autre exemple, celui de Chypre, lauteur prsente deux catgories de Chypriotes, ct blanc et ct noir. Il ne fait aucun doute que les habitants du secteur septentrional, au nord de la ligne Attila, bnficient de ses faveurs : jusqu linjustice. Alexandre Adler tait le dbarquement militaire de larme turque en 1974, lexil forc de dizaines de milliers de personnes vers le sud (surtout classes comme grecques), jamais indemnises et remplaces par des colons ; sans aucun respect du droit international. Il refuse de replacer dans son contexte la rancur certes trop tenace au sein de cette population mridionale vis--vis des Turcs. Trois dcennies durant, Chypre (sud) a connu nanmoins un dveloppement conomique sans comparaison avec le marasme du versant turc de la ligne Attila ; lui seul a permis cette partie de lle obtenir son ticket pour l'Europe, l'intgration dans lUnion. La fiert de la population (sud ) chypriote frise au chauvinisme troit (pour expliquer les soutiens l'quipe au pouvoir Nicosie). Elle la rend donc hostile une runification dsormais perue comme une deuxime injustice, qui rpterait celle de 1974. Pour en savoir plus, voir ce dossier. Il me parat facile dironiser des milliers de kilomtres de Nicosie.*24 mars 2007. Istanbul. Probablement la plus grande mtropole europenne (en concurrence avec Londres et Paris), Istanbul se partage entre deux rives du Bosphore, distantes de 1,5 kilomtre en moyenne ; un tunnel routier permettra en 2009 de doubler le pont qui relie le nord au sud de lagglomration, juste lest de la vieille ville : voir ici. Capitale byzantine puis ottomane, elle a rapidement cess de jouer ce rle dans une Turquie devenue indpendante lissue de la Premire Guerre Mondiale. Ankara la supplante et devient capitale en octobre 1923, par dcision du nouveau prsident Mustapha Kemal. Atatrk pourtant lui-mme natif de Salonique, le grand port du nord de la mer Ege dcide cette occasion de dplacer le centre de gravit de la Turquie moderne vers lAnatolie, au cur de lAsie mineure et des provinces turcophones, en lloignant du littoral hellnis ouvert sur la Mditerrane. Le dmnagement ne leur suffisant apparemment pas, les nouvelles autorits procdent en 1930 une modification toponymique. Ils effacent le mot Constantinople au profit de celui dIstanbul, qui dsignait jusque l la vieille ville : la nouvelle appellation te toute connotation grecque, mais signe en mme temps la schizophrnie nationaliste des responsables turcs de lpoque (voir ici ).Il nempche, plus de quatre-vingts ans aprs, Constantinople Istanbul compte selon les estimations et les couronnes priphriques retenues, entre 11 et 15 millions dhabitants : au bas mot, trois fois la population de la capitale officielle. Si les institutions nationales et le corps diplomatique sigent Ankara, Istanbul accueille les principales entreprises du pays. Et lorsquils doivent quitter leurs campagnes, les montagnards de lest prfrent Istanbul Ankara, mme si cest pour loger dans un habitat prcaire. Car la mgalopole compte un certain nombre de bidonvilles.Larticle du Monde du 22 mars 2007 donne de nombreux dtails sur la destruction de lun dentre eux, une rnovation qui dissimule mal une opration destine refouler en priphrie une foule dindsirables. Des centaines de Kurdes habitent le bidonville dAyazma sur une colline la priphrie de l'agglomration, coinces entre l'autoroute et l'immense stade olympique. Plutt que davouer une impuissance vis--vis de gangs mafieux qui font rgner la loi du plus fort ( En un mois, une douzaine de bus ont t attaqus aux cocktails Molotov. ), les autorits justifient la destruction du bidonville par la lutte contre le PKK, le Parti des travailleurs kurdes) : assimilation simpliste entre pauvret et terrorisme. Mais le journaliste tombe lui aussi dans une simplification ethniciste : selon lui, (tous ?) les Kurdes dAyazma auraient fui les rgions contrles par larme turque. Or il convient de rappeler limportance de lexode rural dans un pays comme la Turquie, et lattirance des grandes mtropoles.La vitalit conomique dIstanbul implique de forts besoins en main duvre peu qualifie, ne serait-ce que pour le secteur du btiment et des travaux publics. Achev en 2003, le stade olympique jouxtant le bidonville dAyazma accueille jusqu 100.000 personnes et rentre ce titre dans la courte liste des plus grands stades certifis cinq toiles par lUEFA. Il reprsente un bon exemple des plus grands chantiers mens dans la capitale, ici sous la direction dun cabinet darchitecte remarqu pour la ralisation du Stade de France Saint-Denis ; voir ici.Les activits commerciales ou encore les services domestiques attirent galement les bas salaires, qui participent leur chelle au dynamisme conomique dIstanbul. Mais, comme dans dautres mtropoles confrontes au problme des quartiers dshrits, les autorits municipales ont choisi de reclasser le bidonville dAyazma (sans doute sous la pression du voisinage exaspr par linsalubrit et inquiet de la violence). Guillaume Perrier montre que lopration durbanisme est radicale, puisque les habitants ne peuvent se rinstaller sur place, mais il ne dit rien des projets de reconstruction. Pourquoi les rsidents ne peuvent-ils pas sy reloger ? Ny a-t-il pas, ct dune telle infrastructure sportive, un potentiel de construction valorisable ? Quels en seront les bnficiaires ?En attendant, les familles kurdes encore trs marques par leur pass rural doivent sexiler ; A Ayazma, les villageois avaient amen leur mode de vie. Les poules ont t victimes de la grippe aviaire, mais vaches et chvres paissent au milieu du bidonville. Je suis triste pour mes arbres fruitiers, dit Masallah. Ils taient comme mes enfants. Le journaliste prcise que seuls les anciens propritaires ont bnfici dun relogement ; les autres sont probablement partis gonfler les rangs des habitants dautres quartiers pauvres dIstanbul (gain ?). Les plus chanceux se plaignent. Mieux intgrs dans la ville que dautres puisquils avaient russi acqurir un bout de terrain ou un toit, ils ne se satisfont pas juste titre dune rinstallation dans trois des cinquante-deux tours dun quartier priphrique Un grand ensemble version locale, combinant un nouveau dracinement avec une homognisation sociale fort redoutable quant ses consquences. Ceux des relogs qui travaillaient dans Istanbul pourront-ils continuer le faire ? Les familles expropries devront en tout cas payer pendant 15 ans, l'quivalent de 135 euros par mois de mensualits ; le salaire mensuel dun ouvrier ou dun employ varie de 300 500 euros en Turquie (voir ici ) !Le journaliste parle pourtant de tarif prfrentiel et ajoute que la mairie va dispenser des cours ces dracins, pour leur apprendre vivre en milieu urbain. Mais dans quel milieu urbain ? Sagit-il dune ville europenne, asiatique, turque, ou grecque ? Quelle nouvelle identit proposera-t-on ces ruraux dracins ? La phrase malheureuse de Guillaume Perrier reflte toutefois plus quune simple maladresse. Comme dans les autres mtropoles occidentales, les autorits stambouliotes prtendent rsoudre les problmes de la ville par la manire forte ; elles risquent surtout de les accentuer en ressoudant les solidarits tribales et en rompant les amorces de liens avec les autres habitants de lagglomration. Civiliser les barbares en paroles provoque au mieux une sorte didentification au mal : vous me prenez pour un barbare, je vais donc me conduire comme telGuillaume Perrier ne lsine sur aucun dtail concernant le caractre prtendument irrcuprable des intresss : Aprs quelques semaines, les salles de bain fuient, les enfants dmontent les ampoules des cages d'escalier, arrachent les fleurs des plates-bandes pour les revendre. Ils utilisent l'ascenseur comme toilettes rigole Kezban au 11me tage de la tour B9, en prparant le djeuner sur la moquette du salon. Moi, je jette mes ordures par la fentre. On est de vrais paysans ! Je ne sais si les anciens habitants dAyazma sont des barbares, mais ils ne manquent en tout cas pas dhumour*17 avril 2007. Gallipoli (Souvenirs de la Grande Guerre) Les Britanniques sont les initiateurs de ce projet dexpdition dans les Dardanelles, avec une place toute particulire au premier Lord de lAmiraut, Winston Churchill. Lassurance de ce dernier et la volont affiche de semparer de Constantinople ntait pourtant pas du got de tous : 'comment des navires avec les soutes vides, peu prs hors de combat, pourraient-ils imposer leurs volonts la ville de Constantinople ?' [Amiral Jackson in DELAGE (E.) : La tragdie des Dardanelles. Paris GRASSET (1931) / Cit par Yann Chollet (mmoire ESM 2003) ; sous la d de Martin MOTTE)]. Les deux premires phases de la guerre - mouvement et bataille dans les tranches - n'ont amen aucun des belligerants une victoire rapide en 1914. En janvier 1915, W. Churchill annonce lord Kitchener son souhait de voir doubler cette opration dj prilleuse par un dbarquement dans le golfe dAlexandrette : "Si nous sommes bloqus aux Dardanelles, nous pourrons prsenter cette opration comme une simple dmonstration pour couvrir la prise dAlexandrette, Je crois que cet aspect est important du point de vue dun Oriental." [Public Record Office, The Dardanelles 1915, Selection of Cabinet Papers made for the Kings College London Richmond, P.R.O., 1969 / id.]. Mille cinq cents kilomtres de Mditerrane sparent le dtroit des Dardanelles du golfe dIskenderun (autrefois Alexandrette). Pour le reste, les discussions se poursuivent entre Franais et Anglais au premier semestre 1915, achoppent sur des problmes de prsance (Qui commande ?) mais laissent en priphrie les questions de logistique, privilgiant les fruits hypothtiques et lointains dune opration encore non engage. Comme dans la fable de Perrette et le pot au lait, on brode sur Constantinople bientt occupe, la rouverture du commerce avec la mer Noire, la Bulgarie endigue, et lAllemagne vaincue par son talon dAchille90 navires, 22 000 hommes et 814 canons forment leffectif et le matriel de dpart de lopration des Dardanelles lance le 19 fvrier. Immdiatement apparat lvidence : la mconnaissance intgrale des forces ennemies. A Londres, lAmiraut dcouvre que lartillerie turque avait t dote de canons allemands rcents. Le pilonnage par des navires de surface des positions ennemies dans la premire moiti du mois de mars ne donne nullement satisfaction ! De cet chec provient la dcision de lancer lopration terrestre ; dans les plus mauvaises conditions.Que connat-on de la configuration du terrain ? Anecdote qui en dit long sur les connaissances manquantes, le pre Dhorme de lEcole Biblique et Archologique Franaise de Jrusalem (ferme en 1914) est convoqu pour reconnatre le site dElonte, base de dpart lgendaire dAlexandre le Grand, trois sicles avant notre re [voir ici] . Le dbarquement des 120 000 hommes et du matriel le gnral dAmade commande le Corps Expditionnaire dOrient se fait via lle de Lemnos o "le manque de ressources de tous genres empche de dbarquer dans lle et il parat impossible de laisser trop longtemps bord les hommes et surtout les chevaux. Enfin, la rade de Lemnos ne peut contenir la totalit des transports bord desquels se trouvent les Corps expditionnaires." [SHAT, dossier 7 N 2170, correspondances diverses / Id.]. Une le de mer Ege mesurant un peu moins de 500 km la taille de lagglomration parisienne ne peut servir de base arrire prenne ; les besoins des armes allies excdent ses ressources en produits agricoles et surtout en eau douce ! Mais il reste 70 kilomtres parcourir entre lle de Lemnos et la pninsule de Gallipoli : le double de la largeur du Pas-de-Calais qui spare le continent de lAngleterre, un dtroit infranchissable pour les armes de Napolon ou dHitler ! Le 25 avril commence le dbarquement proprement dit. Le dsastre ne se fait pas attendre, dont on trouvera ailleurs le rcit. Le retrait intervient lanne suivante et quelques dizaines de milliers de morts plus tard (46.000 allis dont bon nombre dAustraliens). Il sachve le 8 janvier 1916. Le rembarquement est la seule russite de lopration.Complment bibliographique : BOURLET & INQUIMBERT . *7 octobre 2008. La Turquie dans la Gopolitique de la Mditerrane. Pour parler de la Turquie, si l'on s'en tient la lecture de Lacoste, mieux vaut commencer par ce qu'elle n'est pas, ou plus. Concernant Istanbul, dont il dit que le nom proviendrait d'une drivation d'Islam-bul (la ville de l'Islam ?), il s'tonne qu'elle synthtise plusieurs incohrences : premire agglomration turque (12 millions pour un total de 73 millions d'habitants), elle n'est pas capitale. Comme il le rappelle, Ankara l'a remplace il y a quatre-vingts ans. Mais Istanbul - Constantinople - Byzance cumule seize sicles en tant que capitale d'empire. La priode ottomane aurait-elle chou effacer l'hritage chrtien d'Istanbul [Voir Une Poigne de Noix Fraches] ? En lui prfrant Ankara l'anatolienne, le fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kemal a envoy un signe, le rejet d'une ville trop mditerranenne, trop proche de l'autre littoral de la mer Ege. Ainsi, la plus grande ville de l'un des plus grands pays musulmans du monde ne rpond pas sa dfinition de ville de l'islam.Dans cette Turquie fonde par Mustapha Kemal sur des bases strictement laques, alors que la population est une crasante majorit musulmane, le pouvoir central se mfie d'Istanbul. Contrairement aux sultans qui ont conserv Sainte Sophie en la transformant - elle a servi de modle pour de nombreuses mosques de l'poque ottomane commencer par la toute proche Mosque bleue - Atatrk dcide d'y interdire tout culte. Officiellement, la Turquie offre Sainte-Sophie l'humanit. Mais quel sens revt cette expression ? Dans les faits, l'difice n'accueille plus la prire du vendredi. Mustapha Kemal dsaffecte les lieux en 1934 parce qu'il estime que les musulmans d'Istanbul appartiennent au pass, voire qu'ils encombrent la mosque : quel autre sens pourrait avoir cette dcision une poque o le tourisme de masse est encore balbutiant ? Le kmalisme se dfinit comme un modernisme intransigeant, qui s'attaque la langue, aux coutumes, aux modes vestimentaires, etc. Encore aujourd'hui, le btiment reprsente un excellent paradigme de la Turquie. Fragilise par les secousses sismiques, attaque par le temps, la pollution urbaine et les intempries, use par les visiteurs, la Mosque bleue (Sainte Sophie) pose des problmes ardus de restauration : faut-il privilgier l'architecture gnrale ou les dcorations de dtails, le fond chrtien ou des formes musulmanes, l'esprit des premiers sicles ou les amnagements ottomans (source) ?Si l'on suit Yves Lacoste, en Turquie, rien n'est vraiment turc ni vraiment grec. Les Turcs seldjoukides venus d'Asie subissant au XIIIme sicle les assauts mongols se sont scinds en mirats indpendants. L'un d'entre eux fond par Osman [1] s'installe d'abord sur le littoral oriental de la mer de Marmara, puis - grce des alliances militaires ou matrimoniales avec les Byzantins - opte pour Andrinople comme capitale (en 1361). Byzance lui succde un peu moins d'un sicle plus tard (1453). Preuve que les transitions s'effectuent sans grande rupture, un certain nombre de Grecs, seulement s'enfuient, mais la majorit d'entre eux ne quittent pas la ville et resteront nombreux dans le clbre quartier du Phanar. (Sur la question des Phanariotes, voir aussi Une Poigne de Noix Fraches). Sans tourner autour du pot, Yves Lacoste explique que [l']troitesse des relations entre Grecs et Ottomans explique dans une grande mesure la solidit du nouvel empire que l'organisation tribale n'aurait pas pu assurer durablement, comme le prouve le cas des empires maghrbins et arabes. [Gopolitique de la Mditerrane / P.272]Les Ottomans ne mettent pas par terre la structure byzantine ; ils la restaurent. L'arme mme symbolise cet opportunisme, avec le corps des Janissaires [2] composs d'esclaves entrans militairement, l'imitation des Mamelouks. Les recrues proviennent d'achats et de rapts d'enfants chrtiens convertis l'islam. Bien qu'ils soient thoriquement maintenus l'cart du pouvoir, les Janissaires participent triomphalement aux guerres menes par les sultans dans les Balkans (jusqu' Vienne en 1683), au Proche et au Moyen - Orient, dans la pninsule arabique, et au sud de la mer Mditerrane. Le sultan obtient ainsi le titre de calife : le chef suprme des musulmans doit sa gloire une arme en partie constitue de soldats (ex-)chrtiens. Yves Lacoste associe le dclin de l'empire Ottoman avec l'embourgeoisement de Janissaires qui ont progressivement perdu leurs valeurs guerrires et ignor les apports de l'artillerie et des armes feux...Par la suite, Yves Lacoste succombe son pch mignon : la digression. Il suffit de garder en mmoire la monte des nationalits en Europe centrale et orientale au XIXme sicle et le recul de l'Empire ottoman pour comprendre la Turquie actuelle. L'histoire des Balkans ou du GAP sortent du sujet. En revanche, il expdie celle des Grecs, pourtant essentielle. L'auteur en convient d'une certaine faon. Plus grave pour l'Empire ottoman fut la rvolte des Grecs et l'appuie que leur apportrent les puissances europennes. Les intellectuels d'Europe occidentale viennent de redcouvrir propos de la Rvolution franaise l'importance du modle que constituait l'antique dmocratie athnienne. Les Grecs dcouvrent qu'ils ont le soutien des Anglais, des Franais et de leurs flottes, mais aussi celui des Russes qui viennent par le nord des Balkans. [Op. dj cit / P.276] De la suite, il ressort que les Grecs se soulvent contre Istanbul, que la rpression est terrible (massacres de Chios) ; les Europens rtorquent par une coalition navale qui disperse la flotte turco-gyptienne (bataille de Navarin). Mais qu'est-ce qu'tre Grec en 1827 ? Le gopoliticien prend soin d'numrer quelques rgions sditieuses. Il n'y a pas grand enseignement en tirer : le Ploponnse fut dans l'Antiquit en guerre avec Athnes. Quant aux ports de la mer Noire, ils se rpartissent aujourd'hui entre l'Ukraine (Odessa), la Russie (Sbastopol) et la Turquie (Trbizonde). Le prochain 'papier' de Geographedumonde traitera justement de la Grce.Sans les chrtiens (Yves Lacoste rappelle juste titre les massacres d'Armniens en 1894 et 1896, vingt ans avant le gnocide / II), l'Empire s'affaisse. Comment passe-t-on en revanche de l'Empire ottoman la Turquie moderne ? L'Allemagne pourvoit au basculement. En 1898 l'empereur du Reich, Guillaume II, vint Istanbul o il se proclama l'ami des musulmans des Balkans. [P.278] Le chantier de construction de la ligne Berlin - Vienne - Istanbul - Bagdad s'tend sur une dcennie, entre 1902 et 1912 (Bagdad Bahn). Des officiers du Reich participent de leur ct la modernisation de l'arme ottomane. Plus gnralement, les Allemands vivant Istanbul tissent des liens troits avec les Jeunes Turcs qui imposent une Constitution en 1908. Ainsi, la Turquie contemporaine nat de la Premire guerre mondiale (voir Gallipoli), et des massacres qui en rsultent : l'arme turque n'est pas seule en cause, comme l'illustre en mai 1919, l'arme grecque dans la rgion de Smyrne. La premire puration ethnique du XXme sicle s'effectue de part et d'autre de la mer Ege : 500.000 musulmans partent des Balkans et 1.500.000 chrtiens quittent l'Asie mineure. Le 29 octobre 1923 est proclame la Rpublique de Turquie. Mustapha Kemal devient prsident. La Rpublique de Turquie, ni grecque, ni purement turque, est porte sur les fonts baptismaux par un homme qui rejette aussi les Arabes dclars vendus aux Occidentaux pendant la Premire guerre mondiale, et les Kurdes accuss de sdition. Lac, il signe une alliance avec le pays incarnation de l'athisme, l'URSS [3]. Mustapha Kemal raye d'un trait de plume le califat, supprime les tribunaux religieux et l'alphabet arabe, efface de la Constitution le passage selon lequel l'Islam est religion d'Etat [Sur la personnalit de Mustapha Kemal, voir galement Illogisme incohrent contre cohrence schizophrne]. Les hritiers d'Atatrk choisissent il est vrai de faire rentrer la Turquie dans l'OTAN. A partir de 1991 et plus encore aprs 2001 (offensives amricaines en Afghanistan et en Irak), ils associent leur pays un Occident considr en terre d'Islam comme ennemi des musulmans.De la conclusion d'Yves Lacoste (L'entre de la Turquie dans l'Union europenne : avantages et risques gopolitiques), je ne retiens pas grand chose. Il s'agit d'abord d'une fausse question puisque la balle est dans le camp des Europens. Or ceux-ci se prononceraient en majorit contre l'entre de la Turquie, si l'on s'en tient aux sondages. Des questions pineuses surnagent videmment : le poids diplomatique d'Athnes, la diaspora armnienne et la question du gnocide, le non - rglement de la question chypriote. Plutt que de mettre en lumire les failles originelles de la Rpublique turque, le pays dracin et voir dans les lections rcentes, le souhait de la population de les dpasser [4], Yves Lacoste se rallie la thse dominante, la ligne gopoliticienne conforme, celle du cancer islamiste qui sape de l'intrieur la Turquie. Une autre question me vient par consquent, en remplacement de celle d'Yves Lacoste : les citoyens turcs auront-ils l'occasion de se rconcilier avec leur pass mditerranen et chrtien ? On comprendra qu'elle me semble plus dterminante dans l'avenir.*25 mai 2009. La Turquie dans l'Europe ? Dans les mois qui viennent, les Europens connatront les affres de la dcroissance conomique, s'ils ne les connaissent pas dj. Ils constateront les effets d'une crise qui combine trois facteurs apparemment loigns : la stagnation des crations d'entreprises et des offres d'emploi, la diminution de la consommation des mnages qui cherchent se dsendetter, et enfin une inflation proche de zro. Les conomistes discutent des opportunits d'une reprise de l'conomie amricaine. Beaucoup survaluent la capacit de la Chine survoler les effets de la crise mondiale sans dommages. Ceci est un autre sujet. Dans le cas de l'Europe la majorit s'accorde sur les faiblesses propres l'Union, sur l'euro dans l'incapacit d'clipser le dollar, sur les disparits conomiques entre Etats et sur les politiques de relance coteuses rendues caduques par le jeu de la concurrence l'intrieur du march europen (dans l'automobile en particulier) / Alexandre Delaigue. Concernant un retour de la croissance conomique dans l'Union Europenne, chacun observera en tout cas le flou des prdictions. Les commandes de machines-outils (Allemagne) baissent davantage que les achats de crales (France). Le ralentissement de l'activit touristique (France) touchera davantage l'Europe mditerranenne que l'Europe du Nord. La bulle immobilire a commenc se dgonfler dans certains pays (Royaume-Uni, Espagne), dstabilisant les banques et fragilisant les accdants la proprit lourdement endetts, tandis que dans d'autres pays les prix paraissent se maintenir un niveau lev.La campagne du printemps, qui prcde l'lection des nouveaux parlementaires europens ne suscite pourtant gure de dbats novateurs. Les souverainistes continuent de clamer leur hostilit vis--vis de l'Union Europenne mais sigeront au Parlement. Les partis dits pro-europens sur la dfensive tentent avec plus ou moins de russite de faire valoir leurs diffrences. Les enjeux de politique intrieure priment souvent. Au Royaume-Uni, on attend une forte remise en cause des deux partis conservateurs et travaillistes rcemment salis par un scandale sur le dfraiement des dputs la Chambre des Communes. En Allemagne, en Italie, en Espagne et dans bien d'autres pays, les coalitions au pouvoir profitent de cette lection pour asseoir leur lgitimit ou pour tenter de la reconqurir. La France de Nicolas Sarkozy rentre parfaitement dans ce schma.Par intrt partisan, l'UMP a cependant choisi la question de la Turquie comme oriflamme. Plusieurs bruits se contrarient, un seul brise le silence. En axant sa campagne sur l'hostilit l'entre de ce pays dans l'Europe, la droite parlementaire coupe l'herbe sous le pied aux souverainistes et l'extrme droite. L'UMP se distingue en mme temps des centristes et des socialistes bon compte, tant le non la Turquie transcende les diffrentes couches de la population franaise. La dclaration malencontreuse du prsident Obama sur ce sujet a ainsi soulev des hauts-le-coeur trs mdiatiques [France 24]. Car mme si l'on prsente les manuvres diplomatiques ncessaires l'intgration de la Turquie comme quasi acheves - c'est un mensonge grossier - la future lgislature ne tranchera pas de sitt la question ; pas plus Bruxelles qu' Strasbourg. Le Parlement ne ratifiera pas l'largissement ventuel avant une dcennie. Aux Turcs, les Europens offriront d'ici l un visage chafouin, escamotant au mieux leurs atermoiements, quitte clore les ngociations par de nouvelles promesses vagues. En juin 2009, la question de l'intgration de la Turquie sert de paravent, sans avances prvisibles dans les discussions.Dans un papier intitul Au pays dracin, on retrouvera une critique du gographe Yves Lacoste dans des pages qu'il consacre la Turquie : le choix d'une capitale dans la partie centrale du pays ( Ankara), les tiraillements entre le littoral mditerranen et les montagnes anatoliennes ou entre influence grecque et asiatique. Geographedumonde insiste sur le legs pesant de Mustapha Kemal, dans lequel nombre de Turcs se dptrent difficilement encore aujourd'hui. Mais en dehors des orions changs ici et l qu'est-ce qui justifie un regain d'intrt pour cette question de l'intgration de la Turquie dans l'Europe, si ce n'est une tribune parue dans Le Monde de l'crivain Nedim Grsel ?Enfin, un intellectuel prend sa plume et construit un raisonnement. Pour lui, la Mditerrane unit troitement ceux qui vivent sur ses rivages, o qu'ils se trouvent. La rpublique vnitienne tirait fortune des changes entre Orient et Occident, jusqu' son crasement par les armes de Bonaparte, l'Atatrk franais. En Mditerrane, les guerres entre princes chrtiens et sultans musulmans ont plutt correspondu des interludes de courte dure. Nedim Grsel n'lude rien du passif, les massacres commis par les armes ottomanes de Gedik Ahmet Pacha, vizir de Mehmet II, en Italie du Sud (Otrente). En Corse, la mmoire se perptue des pirates barbaresques dbarquant sur l'le pour voler, ravir ou rduire l'tat d'esclaves les prisonniers, et ce jusqu'au XVme sicle. L'expdition d'Alger trouve l une partie de sa justification auprs de l'opinion franaise. L'auteur glisse lgamment, de surcrot, sur certains fcheux dbordements de Croiss, en terre sainte ou Byzance.Nedim Grsel brille par sa culture - Gentile Bellini portraitiste de Mehmet II - et regrette amrement les raccourcis d'un Jean-Claude Casanova ressortant des armoires les souvenirs de la bataille de Lpante, ou ceux de Valry Giscard d'Estaing que l'on connut plus heureux, fermant avec brutalit la porte toute discussion sur la Turquie. Le romancier se montre particulirement fair play l'encontre de l'ancien prsident de la Rpublique. Son argument concerne en effet l'le de Chypre, situe en Asie mineure, dont la partie mridionale est un membre part entire de l'Union [1]. Mais Valry Giscard d'Estaing, avec Franois Mitterrand son successeur ont largement appuy la fin des annes 1970 et au dbut des annes 1980, l'admission de la Grce dans la CEE, ouvrant alors une bote de Pandore [voir Quiproquo grec], avec la gestion de la frontire maritime l'est de la mer Ege, ou la question des minorits non grecques [voir Evzones de mer].Et puis l'auteur laisse exploser son ressentiment. Il dcouvre sa patrie d'adoption, la France, comme un pays qui prche travers la majorit de sa classe politique et de son opinion publique le rejet et le repli sur soi. [...] Quand on est sr de soi, on ne ressent pas le besoin d'affirmer son identit. Alors, la France perdrait-elle confiance en elle-mme ? D'ailleurs 'l'identit n'est pas donne une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence', comme dit Amin Maalouf dans son livre Identits meurtrires (Grasset, 1998), dont le titre me parat tout fait significatif cet gard. Pas une once de cette colre ne me drange, condition qu'il l'largisse l'ensemble de l'Europe. Nedim Grsel fait en effet la preuve que les Turcs tombent comme d'autres dans les mmes panneaux. Il dit admirer Andric, prix Nobel de littrature (Un pont sur la Drina) qui mourut Yougoslave. Comme si des Espagnols revendiquaient la littrature ibro-amricaine et des Franais Leopold Sedar Senghor ou Amin Maalouf. L'Adieu aux armes et Pour qui sonne le glas ne mtamorphosent nullement Hemingway en un Europen. Toute tentative de construction d'une identit base sur l'exclusion de l'autre parce qu'il est diffrent s'est solde en Europe par de grandes tragdies. Cette phrase vaut aussi bien des deux cts du Bosphore...Nedim Grsel dsire vanter les mrites de la Turquie et plonge dans l'histoire de l'empire Ottoman. Ce n'est pas tout fait anormal, mais il faut dans ces conditions contempler le revers de la mdaille, assumer l'hritage colonial en Albanie [Le retour du Grand Turc ?] ou au Kosovo [A qui perd, perd], le contentieux grco-turc, le gnocide armnien, la question des chrtiens. En Turquie, en 2009, dans un pays qui punit svrement la critique de Mustapha Kemal Atatrk, l'auteur doit rpondre du dlit de dnigrement des valeurs religieuses, passible de six mois de prison. L'ancien footballeur professionnel Erdogan actuel premier ministre ngocie l'interdiction du voile l'universit, mais durcit les lois sur les conversions au christianisme [Illogisme incohrent contre cohrence schizophrne]. En bref, la Turquie cultive un rapport l'histoire et la gographie parfois difficile suivre, mlange de fiert et d'auto-dnigrement. Cela me pousse paradoxalement donner raison Nedim Grsel : toutes les marques caractristiques de l'Europe se retrouvent en Turquie ! Les Turcs, surtout ceux vivant Istanbul, ne manquent d'aucun atout pour rentrer dans l'Union [Le barbare avait de l'humour].Et pourtant, je ne peux faire abstraction de mon manque d'enthousiasme. Que gagnera t-on former grce l'Union Europenne un club de schizophrnes la mmoire slective ? Les enjeux ne sont-ils pas dj gigantesques sans que l'on y ajoute la question kurde, la gestion d'une frontire avec l'Irak, ou encore une diplomatie atlantiste au Proche-Orient ? Evidemment, si la Turquie gale l'empire Ottoman, les disputes s'teignent quasiment (...) sur la plupart des sujets qui fchent autour de la Mditerrane et au-del : l'Irak et Koweit, la Syrie et le Liban, Isral et l'Egypte, la Libye et la Tunisie. En attendant, aprs une demande des autorits iraquiennes et syriennes de lacher du lest sur les barrages de l'Euphrate, le gouvernement turc a accept de grossir le filet d'eau, de 230 360 mtres-cubes par seconde (contre 950 en 2000 / source AFP).Dans son discours de Strasbourg de fvrier 2007, Nicolas Sarkozy n'expliquait rien de ses positions. Le non la Turquie se passe de dmonstration. Je veux une Europe qui ait une existence politique, et qui ait une identit, et par consquent une Europe qui ait des frontires. Je veux une Europe o tous les pays du monde, fussent-ils dmocratiques, naient pas vocation entrer. La Turquie, qui nest pas un pays europen, na pas sa place l'intrieur de l'Union Europenne. L'Europe sans frontire c'est la mort de la grande ide de l'Europe politique. L'Europe sans frontire c'est le risque de la voir condamne devenir une sous-rgion de l'ONU. Je ne l'accepte pas. Au fond Nedim Grsel pense des sicles d'histoire et plaide de bonne foi, alors que bon nombre d'Europens ignorants font de la question de l'intgration de la Turquie une sorte de signe d'appartenance : l'hostilit un sphre musulmane vue comme archaque et lointaine comme cri de ralliement. L'un rve d'une Turquie idale, et les autres se contrefichent de l'histoire ottomane. Il cherche Eviter la tte de Turc mais est tomb dans le panneau.Mme si je prfre l'idaliste aux nonistes, la discussion loigne en fin de compte des problmes du moment. Ceux-ci concernent la sphre conomique davantage que gopolitique. Cela tant, aux lections de juin 2009 il sera sans doute plus difficile de dire oui quelque chose que de dire non la Turquie.[1] 'La Turquie est un pays proche de l'Europe, un pays important, qui a une vritable lite, mais ce n'est pas un pays europen. (...) Sa capitale n'est pas en Europe, elle a 95 % de sa population hors d'Europe, ce n'est pas un pays europen.' Mais la capitale d'un pays dsormais europen, Nicosie, ne se trouve-t-elle pas sur la mme longitude qu'Ankara et vingt minutes vol d'oiseau de Beyrouth ? Ce qu'affirme Giscard d'Estaing n'est pas vrai puisque plus de 20 millions de Turcs vivent sur ces 5 % du territoire europen dont l'agglomration d'Istanbul, jadis la capitale des sultans mais aussi celle de Byzance, qui sera en 2010 capitale culturelle de l'Europe. / Turquie, l'autre Europe, par Nedim Grsel / Le Monde / 23 mai 2009.*14 septembre 2010. Elections en Turquie. Alors que Le Monde du week-end titre sur la visite du prsident de la Rpublique dans la grotte de Lascaux [source], La Croix consacre ses trois premires pages au rfrendum organis ce mme week-end en Turquie. Dimanche 12 septembre, en effet, les lecteurs turcs ont rendu leur verdict sans que l'on puisse en discuter la porte. Seul un quart du corps lectoral s'est abstenu. Le reste a prfr le oui (58 %) au non (42 %). Le gouvernement turc a visiblement choisi cette date plutt qu'une autre. Elle correspondait au jour anniversaire du dernier putsch, celui de septembre 1980 par lequel les militaires ont impos leur prsence tous les niveaux de l'Etat. Le rfrendum efface par consquent le coup de force. Il redonne une lgitimit au parti AKP, mme si celui-ci s'appuyait dj sur une majorit au Parlement [L'Express]. Ce sont ainsi 26 amendements qui sont apports la Constitution de 1982 (hrite du rgime militaire): le nombre de membres de la Cour constitutionnelle passe de 11 17 (dont 3 nomms par le Parlement); la Cour pourra dsormais juger le chef d'Etat-major des armes; les citoyens seront autoriss saisir directement la Cour en matire de droits de l'homme et en dernier recours; le pouvoir judiciaire ne sera plus autoris dissoudre seul un parti politique; le Conseil suprieur de la magistrature passe de 7 22 siges; les fonctionnaires acquirent de nouveaux droits (mais pas celui de faire grve); l'galit des sexes est affirme... [LExpress] Le rfrendum ouvre par ailleurs la voie un procs des militaires impliqus dans la rpression de lautomne 1980. Les mdias occidentaux se montrent donc favorablement impressionns.La Turquie trace sa voie vers plus de dmocratie, juge Delphine Nerbollier dans La Croix l'avant-veille du rfrendum. L'islamisme turc, parangon des vertus dmocratiques ? La provocation implicite mrite le dtour. La journaliste rappelle les exactions des militaires contre les civils, dans les mois qui ont suivi le coup d'Etat. Tirs de leur contexte, les vnements deviennent simples, et les officiers turcs une confrrie de bourreaux sadiques. Lorsque le gnral Kenan Evren et les autres conjurs renversent le gouvernement lgal, le pays patauge nanmoins dans les difficults. Le dveloppement planifi doit. Le chmage est gnralis et les Turcs subissent une forte inflation. L'appareil industriel pniblement mis en place aprs 1945 ne tient que par les barrires protectionnistes le protgeant de la concurrence trangre. Les extrmistes de tous bords provoquent les forces de l'ordre ou s'affrontent dans la rue [Cration du mouvement rvolutionnaire DHKP-C en 1978]. Il ne s'agit certes pas de nier les arrestations sommaires et les excutions qui ont suivi le 12 septembre 1980. Mais l'arme turque a rtabli l'ordre, puis laiss les autorits civiles revenir sur le devant de la scne. Si lon noublie pas l'invasion de Chypre, ou l'radication terrible des gurillas kurdes dans l'est du pays, il nen reste pas moins quun problme apparat. Les gouvernements civils, y compris le dernier en date ont au moins coopr avec cette arme. Qui sait s'ils n'ont pas approuv les oprations menes par les militaires ? Dans la partie septentrionale de Chypre, des milliers de paysans - souvent en provenance du cur montagneux de la pninsule - ont particip l'expropriation des civils chypriotes. Ils ont mis en minorit les Chypriotes musulmans. Renvoyer les intrus au motif d'une juste dcolonisation mcontenterait les populations vivant aujourd'hui dans les rgions mettrices. Le problme ne se pose pas encore, car les colons qui ne restent pas dans l'le s'expatrient en Europe occidentale, en Amrique du nord ou en Australie [source].Il faut videmment rapprocher cette histoire rcente avec le oui au rfrendum et comprendre que la Turquie ne du coup d'Etat ne plat pas tous les Turcs [voir Au pays dracin]. Les lecteurs de lAKP ne sont pourtant pas tous des paysans arrirs. En priphrie dIstanbul, les exclus de la croissance conomique se comptent par milliers [voir Le barbare avait de l'humour]. Lopposition entre la capitale et la province transparat dans les dbats autour de la dsignation des magistrats nomms au sommet de lappareil judiciaire turc. Les volutions envisages sinspirent des systmes existants en Europe , explique un militant islamiste la journaliste de La Croix. A ses yeux, lopposition fait obstruction parce quelle a peur des juges en provenance dAnatolie, quelle considre comme tant des supporteurs de lAKP. Rsultat, ils taient jusquici systmatiquement carts des hautes cours de justice .La carte lectorale tire du rfrendum confirme cette tendance La grande majorit des rgions anatoliennes ont approuv le projet constitutionnel, tout comme Ankara, la capitale, et Istanbul, cur conomique et culturel du pays. Les rgions proches du parti dopposition CHP (Parti rpublicain du peuple, kmaliste) telles que lEge et la cte mditerranenne ont en revanche rejet le projet. [La Croix] Gareth Jenkins, politologue britannique install Istanbul ne cache pas son pessimisme Delphine Nerbollier. Le gouvernement estime que cest son tour davoir les cls du systme. Il y a de la revanche dans lair, notamment contre larme. Les procs en chane, depuis 2007 [allusion une tentative avorte de coup dEtat], entranent une dmoralisation trs profonde des officiers. Au lieu dabattre larme, il faudrait la rformer . Recep Tayit Erdogan sen prend encore une fois linstitution militaire [source].On notera que le zle juridique du gouvernement varie selon les situations. Lorsque Monseigneur Luigi Padovese, le vicaire apostolique dAnatolie est assassin dbut juin, les autorits sen tiennent une enqute minimale [Illogisme incohrent contre cohrence schizophrne]. Aucun procs na pour lheure fait la lumire sur ce crime [source]. On pourrait relever dautres incohrences politiques. Le premier ministre affaiblit larme, mais ne donne aucun signe dapaisement aux Kurdes somms de ne pas soutenir les rebelles du PKK [source]. Sur la question chypriote [Ironiser Nicosie] la mme impression prvaut. Le vice premier-ministre Cemil iek a ainsi personnellement particip au trente-sixime anniversaire de lIntervention de paix du 20 juillet 1974 apportant la libert aux Chypriotes turcs [source]. Tout en promettant des avances prometteuses, le gouvernement ne procde aucun retrait des units stationnes dans le nord de lle. En direction de l'Armnie, les signes de bonne volont s'arrtent aux symboles [Un petit Turc qui cloche]. Le premier ministre tmoigne dun sens politique incontestable, quitte user de la ficelle la plus dmagogique, la focalisation sur un problme prcis : ici, la place de l'arme dans les institutions. Y avait-il urgence ? Il a remport une victoire personnelle mais accentue les divisions traversant la socit turque. Pendant ce temps, les Occidentaux se leurrent. Le refus dune intgration de la Turquie dans lUnion Europenne [Eviter la tte de Turc, mais tomber dans le panneau], loin daffaiblir les islamistes de lAKP, assoit leur position. Leurs lecteurs craignent plus quils naspirent une intgration de leur pays dans une Europe prsente comme chrtienne. Sur le fond, lamendement de la constitution de 1982 flatte la base islamiste tout en donnant le change lextrieur. Qui sopposera une modernisation de la constitution ? Sur le terrain diplomatique, le gouvernement de Recep Tayyit Erdogan rompt en outre avec une ligne pragmatique et modre impose prcdemment par les militaires. En tmoignent les discussions avec lIran [source] et les tensions avec Isral [source]. En somme, Mustapha Kemal a cru sortir de limpasse ottomane en militarisant la Turquie de demain. Avec Erdogan, on contemple la dmilitarisation de la Turquie d'hier : la voie turque contre l'impasse l'ottomane.*4 juin 2013. Islamisme (suite). Commenons par un petit effort de dfinition ? L'expression de pays mergents prte toutes les dlimitations : NPI, BRICS ou BRIC. Elle vise remplacer par un terme gnrique un groupe de pays disparate. Tous ont une histoire ancienne, au contraire des pays "neufs" anglo-saxons ou ex-dominions britanniques. Cette caractristique en creux pourrait bien tre leur seul trait commun, l'exception notable de l'Argentine, ex-pays dvelopp.Les histoires varient. L'Inde a connu une tutelle europenne, quant l'Afrique du Sud a bnfici d'un statut d'Etat associ. La Chine a souffert pendant plus de deux sicles (du 18me au 20me sicle) d'une sorte d'atonie conomique, avant de renatre aprs la mort de Mao. L'ex-URSS laisse derrire elles une Russie ampute et une Ukraine construire. Le Brsil et le Mexique, l'poque mme de leur colonisation, ont rivalis avec leurs mtropoles. Les pays mergents jouissent toutefois en moyenne d'une croissance conomique jalouse, alors mme qu'ils affrontent un dbut de ralentissement dmographique; parfois l'amorce d'un vieillissement : exemple au Brsil.De mon point de vue, l'intrt d'une tude transversale tient moins aux relations internationales qu'aux caractristiques gographique, sociologique et conomique des pays concerns. Combien figurent sur la liste ? Tous prsentent en tout cas des points communs...La modernisation ou le dclin de la polyculture traditionnelle. Les ruraux sans emploi, sans qualification et sans patrimoine foncier - pour les plus dmunis, sans terres - doivent quitter leurs campagnes (source). Un secteur agroalimentaire puissant prend progressivement le relais : exemple au Brsil. L'apparition d'un secteur industriel double : faible et forte marges. Dans un premier temps, les usines s'appuient sur une main d'oeuvre bon march et profitent de la faiblesse des normes environnementales. Capitaux et savoir-faire glissent dans un second temps (grce une main d'oeuvre plus forme) vers des secteurs de pointe, ds lors que chercheurs et universitaires initient de nouveaux produits : exemple en Chine. Le dveloppement de grandes mtropoles sociologiquement htrognes. Les centres gentryfis jouxtent des quartiers dans lesquels l'conomie et habitat informels dominent : exemple Bombay. L'apparition d'une classe moyenne et la diffusion du "modle" de famille mono-nuclaire. Le confort et la consommation l'occidentale implique un niveau de vie en fort contraste avec la majorit de la population : exemple Soweto. L'Etat incomplet. Des ressources financires non prennes (fuite fiscale), la corruption des fonctionnaires et la difficult assurer les tches rgaliennes : exemple en Russie.Deux types de pays ne peuvent finalement pas rentrer dans ce classement. L'adjectif mergent ne leur convient tout simplement pas. Pour les uns, il faudrait constater qu'il ne leur convient plus. les Etats asiatiques un temps surnomms dragons ont rejoint le Japon initiateur, celui qui a le premier rejoint le monde dvelopp : la Core du Sud, Tawan et Singapour. Les plus optimistes considrent que la Chine ne tardera pas s'apparenter ce groupe ; la Thalande, le Vietnam ou encore les Philippines devraient suivre brve chance...D'autres pays forment une sorte de second groupe, unifis par leurs multiples blocages. Ceux-ci se manifestent sur chacun des critres prcdents, avec plus ou moins de force il est vrai. Rcapitulons...L'aide de l'Etat au secteur primaire vient appuyer l'effort des lites rurales (clercs et chefs de clans) pour maintenir les structures productives traditionnelles, en particulier familiales. L'exode rural ralentit, tandis que les campagnes gardent leurs densits et leur poids (dmographique et politique). L'activit industrielle se dveloppe, mais demeure faible marge ; la mdiocrit du systme scolaire et universitaire dcourage l'innovation et pousse les meilleurs tudiants migrer. Les habitants des grandes villes ouvertes tranchent avec le reste de la population, accuss d'tre amricaniss/occidentaliss, alors que monte en puissance une classe moyenne ferme sur elle-mme, par captation des richesses produites (ressources minires par exemple) et redistribution une lite privilgie.Les faux mergents ne se situent pas seulement en terre d'Islam, comme en tmoigne l'Amrique andine, caribenne ou l'Afrique sub-saharienne. Mais la plupart s'y ctoient : en Afrique du nord (Algrie, Maroc, Egypte), au Moyen-Orient, dans le sous-continent indien (Bangladesh) ou en Asie du Sud-Est (Malaisie et Indonsie). On m'objectera que ces critiques valent aussi pour les pays classs (vrais) mergents : ce n'est peut-tre qu'une question de degr et de temps. Je distingue les premiers des seconds, par la conjonction du cynisme politique et de l'archasme social...Deux pays se dissocient toutefois nettement, l'actualit venant sans cesse confirmer leurs particularits. Leur potentiel ne souffre aucune discussion : secteurs agricoles exportateurs - certes minoritaires et/ou gns par un blocus (Iran) - industries de pointe, universits srieuses et classes moyennes duques. En Iran, le rgime thocratique parvient brider 'l'mergence sociale' par la force de sa police et la puissance de ses slogans nationalistes : Comment peut-on tre aussi peu perant ?En Turquie, c'est le systme dmocratique lui-mme qui donne l'AKP (islamistes au pouvoir Ankara) sa capacit diriger le pays dans le sens de ses intrts... Alors, la grogne sociale de ce mois de juin 2013 se rpand comme de juste dans la capitale et dans les grandes villes de l'Ouest mditerranen et touristique (Istanbul, Izmir, Antalya), en opposition avec l'intrieur rural et montagnard ?Mais l'AKP nationaliste et manipulateur du pass (un travers mditerranen !) a gagn les lections, et Recep Tayyip Erdogan jouit d'une excellente popularit, en dpit de son bilan contrast... Prsent comme modernisateur bien qu'il reprt les dcisions politiques de ses prdcesseurs, il a limit le libralisme une dose de libert commerciale. Le rapprochement avec l'UE a du; Ankara partage avec d'autres (...) la responsabilit de ce rendez-vous manqu. Mais Erdogan ne pouvait proposer une candidature crdible sans se ddire auprs de ses lecteurs. Faut-il voir l la cause de son raidissement plus rcent : sur les minorits chrtiennes ou sur Isral ?Dans une Turquie ingalitaire, la corruption semble augmenter. L'Etat dlaisse les plus faibles (pour le logement par exemple) et privilgie les grands projets : hier les barrages hydrolectriques, aujourd'hui les multiples infrastructures d'Istanbul.Les manifestants dnoncent en ce dbut de mois de juin la politique de l'AKP dans son ensemble, bien au-del des arbres de la place Taksim menacs par la construction prochaine d'une mosque. Mais dfendent-ils autre chose que leur propre mode de vie, au risque de passer pour ce qu'ils sont, minoritaires ? En Tunisie ou en Egypte, le printemps arabe n'a pas empch un retour en force de ce que l'on appelle d'un terme gnrique, les islamistes modrs; certains s'affichent, au Maroc ou en Tunisie, comme admirateurs de l'AKP turc.Une seule question brle les lvres : quel pays musulman mergera le premier, anim par un projet de socit rassemblant une majorit ? Et dans quelles conditions ? La Turquie, qui sait !