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12 Deir el Qamar (Le Monde illustré, 1860) 2

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Page 1: Typologie des demeures - · PDF file13 Typologie des demeures traditionnelles au Liban Deux grandes « familles » d'habitations caractérisent les paysages urbains et ruraux du Liban

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Deir el Qamar (Le Monde illustré, 1860)

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Typologie des demeures traditionnelles au Liban

Deux grandes « familles » d'habitations caractérisent lespaysages urbains et ruraux du Liban. Elles participent dedeux logiques résidentielles différentes.

- Les unités à habitation qui intègrent des espacesextérieurs (cour, enclos, terrasse, surface dégagée) aveclesquels elles fonctionnent en totale symbiose en termesd’utilisation domestiques, de circulation et d’usagessociaux. Elles sont constituées d'un ou de plusieurs corpsde logis associés à des espaces à ciel ouvert. L’habitat leplus caractéristique de cette famille est la maison à cour.Mais on peut mentionner encore la maison élémentaire etla maison à iwan ou à riwaq par exemple, toutes installéessur une terrasse ou dans un champs où se pratique unegrande partie de la vie domestique.

- Les unités résidentielles « compactes », des maisons-blocs où l'espace habité est entièrement construit, l'activitédomestique s'effectuant à l'intérieur. Les espaces ouverts(balcon, jardin, arrière-cour...) qui peuvent y être associés nejouent pas des rôles fondamentaux. L’archétype de cettefamille d’habitations est la maison à hall central.

Dans les paysages urbains et ruraux du Liban, les deux casd'espèces se lisent, ainsi qu'une gamme de formulesintermédiaires et de nombreuses variantes. Toutefois, peu demaisons traditionnelles survivent dans leur état originel,encore que la plupart d’entre elles fut modifiée plus d'une fois.

L’histoire

Jusqu'à la moitié du XIXe siècle environ, les habitationsde la première famille étaient les plus fréquentes, mais lesspécimens qui ont survécu en l'état sont rares. La plupart aété détruite, sinon transformée de fond en comble, parremplissage des espaces ouverts, ajout d'étages etobturations de toutes sortes. Les origines de certaines deces maisons sont très lointaines : des spécimens de lamaison à cour remontant au IIe millénaire sont attestés enMésopotamie, en Syrie et en Palestine ; des spécimens dela maison élémentaire à poteaux, datés de l’Âge duBronze, ont été trouvés à Jbeil (Byblos).

Le second genre d’habitations prit corps durant ladeuxième moitié du XIXe siècle. Il est représentatif de lamodernité ottomane. Durant le mandat français, plusprécisément dans les années 1940, il a passé de mode.Comme dans le cas précédent, la plus grande partie desexemplaires de ce genre d'habitation a été transformée parune restructuration intérieure et extérieure, et souvent pardes ajouts d'étages. Le schéma centré sur une salle est luiaussi très ancien. De toute apparence, il remonte au IIemillénaire. Mais la filiation entre ces maisons et l’archétypeottoman qui est apparu au XIXe siècle n’est pas claire, et ilserait plus judicieux de parler de réintroduction.

Ces deux logiques constructives fondamentales netraduisent cependant pas des phénomènes culturelsradicalement différents. Une continuité de la répartition etde l’utilisation des espaces domestiques a été notée, la

maison ottomane moderne ayant intégré des structurespréexistantes. C’est en effet l’habitat centré qui aessentiellement guidé les choix, quelle que soit la période.C'est pourquoi des modèles composites se rencontrent enabondance. Ils combinent des éléments des deux genres,intégrés, réinterprétés ou superposés, et sont aujourd'hui,dans la majorité des cas, eux-mêmes modifiés de fond encomble. Ces modèles composites participent néanmoins dela deuxième logique résidentielle.

La grande révolution qui est intervenue dansl'organisation de l'espace domestique au Liban, c'estlorsqu'on introduisit, après la Seconde Guerre mondiale, desplans avec une nette séparation entre jour et nuit. Le plancentré de la maison traditionnelle a quand même perdurédans de nombreuses habitations et même dans desimmeubles au style international des années 1960. Ce qui asonné le glas des anciens types de constructions fut ladisparition des arcs, conséquence de l'introduction dubéton. Ce qui a permis l'élaboration d'autres typesd’ouvertures dans les façades.

Les modèles fondamentaux : classification et morphologie

Huit types principaux caractérisent les unitésrésidentielles qui intègrent des espaces extérieurs dansleur fonctionnement.

- La maison élémentaireCette typologie est appelée bayt en arabe. Elle existe au

Liban sous deux variantes :La maison monocellulaire qui se présente comme un bloc

parallélépipède bas, constitué d’une grande pièced’habitation fermée sur l’extérieur et construite d’un seultenant. Selon sa dimension et le lieu de son implantation,cette maison au plan rectangulaire comporte des poteauxcomme à Boueida par exemple, des piliers comme dans lespays de Jbeil et de Batroun, des arcades entrevues àQaouzah. Dans certains cas, elle comprend aussi des voûtes.

La maison monocellulaire est une structure constituée. Ellene peut s’agrandir en l’état. Elle appartient au monde rural.On la rencontre habituellement en spécimen individuel sur lacôte, comme en montagne et dans la Békaa. C’estl’habitation des gens humbles.

Choueir

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an Elle comporte généralement une petite porte uniquedonnant sur l’espace extérieur, généralement une terrasseou un enclos. Ses fenêtres sont de dimension réduite. Desobjets mobiles (armoires, rideaux) dressés entre les piliersou les poteaux subdivisent son espace intérieur et endéterminent les usages (se réchauffer, s’abriter, abriter lesanimaux domestiques...).

La maison pluricellulaire est composée d’une ou deplusieurs pièces d’habitation généralement cubiques, etalignées ou superposées et quelques fois décalées. Cespièces s’ouvrent chacune sur l’extérieur. Elles communiquentrarement entre elles.

Cette construction peut se développer à volonté, ensurface comme en hauteur : c’est un système ouvert etspontané. Elle appartient surtout au monde rural, mais on latrouve encore dans les agglomérations, groupée à d’autrestypologies. C’est la maison des pauvres et des humbles. Safonction est triple : logis, atelier et abri pour les bêtes.

Sa morphologie varie selon les milieux et lesmatériaux. D’où les formes suivantes : la maison basse eten terre de la Békaa ; la maison linéaire et en pierre de lamontagne et des faubourgs urbains ; la maison-tour enpierre du métayer dans les banlieues agricoles des villes,comme à Sin el Fil et à Hazmieh ; l’immeuble collectifdivisé en chambres de louage dans le cœur historique desagglomérations urbaines.

- La maison à iwanLa maison à iwan est désignée aussi par bayt. C’est une

structure tripartite, composée de deux pièces d’habitationqui flanquent une pièce centrale ouverte sur l’extérieur parune grande arcade appelée iwan. Un vestibule remplacequelquefois la pièce centrale. Les pièces latérales s’ouvrentsur ce iwan qui sert d’espace de distribution.

La maison à iwan est typique du monde rural où elle esthabituellement disposée en spécimen individuel sur uneterrasse ou dans un champs. C’est une maison polyvalente,servant à la fois de logis, de local artisanal et de stockage.Elle peut aussi servir d’abri pour les animaux domestiques,grâce à la présence du iwan.

- La maison à riwaqElle est constituée de plusieurs pièces alignées ou

décalées et associées à un riwaq ou galerie d’arcades. Leriwaq occupe toute la façade. Sinon, il est installé sur unangle. Dans certains cas, il flanque la pièce centrale.

La maison à riwaq est observée partout au Liban, dansla montagne comme sur le littoral. Elle est soit implantéeen spécimen individuel soit groupée à d’autres typologies.Cette habitation est monofonctionnelle. Elle sertprincipalement de logis, le riwaq traduisant une certaineaisance au plan matériel de la famille qui l’occupe.

- La maison à courCette maison est constituée de pièces adjacentes bordant

les côtés d’une cour aménagée comprenant souvent unbassin. Cette habitation comprend un corps de logisprincipal, comportant habituellement un iwan, comme àSaïda et à Tripoli, ou un riwaq, comme à Sour. Le iwan (oule riwaq) donne sur la cour. Il est flanqué d’une pièce arrièreet de deux pièces symétriques latérales, appeléesmourabbat. D’autres corps de logis peuvent occuper lesautres côtés de la cour. L’étage, peut comporter des piècessupplémentaires. Ce schéma est localement dit Tarz chami ,ou modèle syrien, en référence à la Grande Syriegéographique où a historiquement prédominé la maison àcour.

Cette maison à cour est appelée dar. C’est la maisonpatricienne par excellence des villes côtières et des bourgsde la montagne. Elle porte toujours le patronyme d’unlignage. Certains spécimens associent iwan et riwaq. Dansles riches demeures, la maison est dotée d’une salle deréception, en forme de T renversé et décorée à la manièrede Damas. Cette salle est appelée qaat. Certains spécimenscomprennent deux cours.

Ce type d’habitat est apte à s’agrandir. C’est un systèmeouvert. Il se développe par exemple en harat ou en hawch.Ceux-ci sont formés de plusieurs corps de logis entourant lacour et habités par des familles parentes ou de même originegéographique. Ce type d’habitat est donc en I, en L, en U ouen O selon le nombre de côtés occupés de la cour. Demanière générale, la maison à cour est implantée dans unzouqaq, une impasse privative. Mais on les trouve encoreinstallée à même le souk, sur ou derrière les boutiques.

- L’abri du bergerC’est un habitat saisonnier, composé de pièces de

forme ronde, recouvertes de branchages et d’épineux. Cespièces accolées ou espacées forment un ensemble associéà un enclos, comprenant une bergerie. Cet habitat setrouve surtout en haute montagne dans les zones depâturage, principalement au Hermel, au nord de la Békaa.

- L’habitat troglodytiqueIl ne s’agit pas d’une habitation à proprement parler,

mais d’un refuge, d’un abri ou d’un ermitage construit àl’intérieur des cavernes de la montagne libanaise.

- La tente du nomadeUne tente en poils de chèvre, de grande dimension constitue

l’élément de base d’un campement de nomades. Ces derniersappartiennent à un lignage patriarcal et nomadisent dans laplaine de la Békaa ou pratiquent la transhumance dans leshauteurs du Mont Liban et de l’Anti Liban.

- La maison aux trois arcsC’est une habitation de forme généralement cubique, à

un ou deux étages et portant un toit de tuiles de Marseille.Beyrouth (Le tour du monde, 1882)

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L’archétype est habituellement installé dans un jardinprivatif. Il est composé de plusieurs pièces agencéessymétriquement sur trois côtés d’une grande salle centraleportant une triple arcade vitrée donnant sur un étroitbalcon. C’est le salon, appelé dar.

La maison aux trois arcs est un modèle constitué. Il ne

peut se développer en l’état, ni en surface ni en hauteur. À

l’arrière de la salle centrale se trouve une pièce caractéristique :

le liwan. Celui-ci est généralement construit en saillie, pour

avantager l’aération et la lumière. L’originalité de cette

habitation par rapport aux modèles qui l’ont précédée est

l’intégration d’une salle de bain, le hammam.

La maison aux trois arcs est l’habitat type des familles

bourgeoises des villes et des bourgs de la montagne de la fin

du XIXe et du début du XXe siècles ottomans. Elle est appelée

bayt, un terme généralement associé au nom d’un lignage

urbain. Les versions monumentales sont des qasr, ou palais.

La nouvelle loi ottomane du bâti a régularisé les gabarits

de ce modèle qui a été adopté dans une version concise par

la petite bourgeoisie, et dans des versions plus complexes par

la moyenne et la haute bourgeoisie, avec murs et plafonds

décorés de peintures, et boiserie, fer forgé et vitrerie aux

modules standardisés grâce à l’industrialisation des métiers.

Mais l’aristocratie urbaine l’a surchargée de décorations

intérieures en stuc, de colonnes, de galeries, et d'autres

décors extérieurs excentriques d’inspiration baroque,

gothique ou mauresque : loggias, kiosques, tours d’angle...

Les spécimens à quatre étages sont appelé harat, et

ceux qui comprennent deux appartements par étage,

wikalat. Certains spécimens ont par ailleurs un plan en T ou

en croix : ils gardent une organisation symétrique et une

distribution axiale.

Les processus de transformation

Les spécimens de ces typologies qui nous sont parvenusen l’état sont excessivement rares. Ils ont tous été transforméslentement, naturellement et d’une manière ou d’une autre,selon les besoins ponctuels des habitants.

On peut toutefois identifier deux grands moments dechangement essentiels : la deuxième moitié du XIXe siècle,le temps des réformes ottomanes ou tanzimat ; et lesdécennies 1950-60, au moment de l’introduction duMouvement moderne au Liban.

Durant la première période, les maisons traditionnellesont commencé à se transformer de l’intérieur comme del’extérieur, pour s’adapter au nouveau mode de vie et del’habiter : utilisation de meubles de type européen,intégration de salles à manger et de salles de bains,éclairage électrique, cellule familiale et non plus lignagepatriarcal... Dans les villes, les maisons devaient encore seplier aux nouveaux règlements de l’urbanisme ottoman ets’adapter aux percées effectuées par les municipalités, ellesmêmes de création récente.

La maison à hall central s’est alors lentement élaborée; elledevint le modèle à la mode. Dans les cœurs historiques desagglomérations, les maisons à cour furent invariablementsurélevées d’un étage au moins, et les cours souventrecouvertes pour former un salon. Ce modèle fit égalementson apparition dans les villages, où les types anciens furentappelés à muter tout en l’imitant. Des maisons à iwan ou desimples maisons champêtres se sont alors agrandies en surfacede manière à former un hall central classique, en T ou en croix.

Mais le schéma centré des habitations a perduré,répondant sans doute à des contraintes sociales encorelourdes.

Dans les années 1950, l’introduction du Mouvementmoderne au Liban inaugure la deuxième grande période dechangement. Avec ses principes de tabula rasa historique,son style international, ses nouveaux matériaux deconstruction et ses modes de transport, il fut nocif tant auplan de l’esthétique architecturale et urbaine qu’à celui del’organisation de la maisonnée.

Tous les types de demeures patrimoniales en subirentles conséquences et spécialement l’élégante maison àhall central, qui avait entre-temps évolué en la maison dumandat, son héritière aux décors Style nouveau et Artdéco et aux couleurs chatoyantes. Obturation desouvertures, ajouts d’étages sans style et divisionsintérieures sans respect du cadre ancien, adjonction degarages et construction d’annexes de toutes sortes enparpaings de béton dans les espaces libres des maisons,construction d’immeubles modernes dans les jardins :autant d’opérations qui ont fini par briser l’harmonievolumétrique des agglomérations et le paysage naturelde la montagne au Liban. L'absence de politiquepatrimoniale publique et de réglementation desauvegarde de l’architecture domestique fit le reste. Lamenace de disparition du riche patrimoine architecturaldu Liban est toujours d'actualité.

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anBaakline

Beyrouth

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L’abri du berger Troglodyte

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La maison élémentaireLa tente du nomade

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La maison à riwaqLa maison à iwan

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La maison à cour La maison aux trois arcs