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UFR Droit Année universitaire 2020/2021 Licence – 2 e année Droit administratif – Les principes et le juge Cours de M. Tourbe Documents de travaux dirigés Gravure figurant sur la page couverture de l’œuvre de Thomas Hobbes, Léviathan (1651)

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UFR Droit Année universitaire 2020/2021

Licence – 2e année

Droit administratif – Les principes et le juge

Cours de M. Tourbe Documents de travaux dirigés

Gravure figurant sur la page couverture de l’œuvre de Thomas Hobbes, Léviathan (1651)

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Le frontispice du Leviathan de Thomas Hobbes1 : L'image du roi est composée d'une multitude d'individus ; elle tient les attributs des pouvoirs temporels (glaive) et spirituels (crosse). Elle figure aussi bien la théorie du contrat social (et de l'état de nature) que l'absolutisme intégral de Hobbes. L'état de nature de Hobbes est une fiction méthodologique qui correspond à l'état brut des individus, une fois démontée la mécanique de la machine de l'Etat. Comme Hobbes identifie les droits naturels des individus avec leurs passions, l'état de nature s'identifie avec un état de guerre universelle. Mais la crainte de la mort (une des passions les plus fortes) et la raison (faculté de calculer) fait voir aux hommes les avantages comparatifs de l'état civil. Par une seule et même convention (le Contrat social), les hommes se constituent en société civile et politique (le contrat d'association) et au même moment ils instituent un type de gouvernement auquel ils s'en remettent totalement (par le contrat de sujétion qui résorbe le contrat d'association). Tous ces individus qui constituent le corps du monarque sont les associés et les sujets qui sont passés de l'état de nature à l'état politique en se soumettant au pouvoir absolu du gouvernement : c'est la théorie de l'absolutisme intégral. Cet absolutisme est radical parce qu'il est fondé sur le principe même de l'Etat, le Contrat social : les individus dispersés de l'état de nature deviennent un corps unique, un nouvel être et leur vie est personnifiée par le Prince auquel ils sont tous également assujettis de leur propre gré. Cet absolutisme est intégral parce que le Gouvernement (prince ou assemblée) qui personnifie l'Etat détient un pouvoir qui s'étend à tous les aspects de la vie humaine : biens, individus, idées et même la vie religieuse de ses sujets. On remarque à ce propos que le roi (le souverain du contrat social) tient aussi l'attribut du pouvoir spirituel : la crosse, l'épée et la crosse sont les symboles du pouvoir absolu et intégral détenu par le roi. Cet absolutisme est polymorphe, parce que selon Hobbes les trois formes de gouvernement (démocratie à base populaire, aristocratie et monarchie) sont également absolues. Pour Hobbes, "tout régime politique est par définition absolutiste". Le verset en haut de la page illustre cet absolutisme: "Il n'y a pas de puissance sur terre à laquelle il (le Léviathan, le souverain, l'Etat) puisse être comparé." Le Léviathan est un monstre marin de la Bible : ici, il est composé de nombreux individus (et non d'écailles) afin d'illustrer la théorie hobbésienne du contrat social.

1 Texte issu du blog de R. Guilloux (lechatsurmonepaule.over-blog.fr)

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Contenu du dossier : - Plan du cours / indications bibliographiques - Programme des séances de travaux dirigés - Indications méthodologiques (source : X. Dupré de Boulois, Annales droit administratif) - Glossaire du Conseil d’État - Séances 1 à 3 des travaux dirigés

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• Plan du cours

Introduction générale : Le droit administratif Section 1 : Qu’est-ce que le droit administratif ? §1. Tentative de définition du droit administratif A. La notion d’Administration publique B. Droit administratif lato sensu et stricto sensu

§2. Une branche du droit public A. Un droit autonome par rapport au droit privé B. Droit administratif et droit constitutionnel C. Droit administratif général et droits administratifs spéciaux

Section 2 : Le droit administratif français, un modèle en crise ? §1. Les caractéristiques du modèle français

A. Dualisme juridique et dualisme juridictionnel B. L’État, garant de l’intérêt général

§2. L’ébranlement du modèle français A. Les symptômes B. Les causes

1ère partie – La justice administrative Chapitre 1er : Le juge administratif Section 1 : L’ordre juridictionnel administratif §1. Naissance et développement de la juridiction administrative

A. La séparation progressive de l’Administration active et du juge administratif

B. La construction d’un ordre juridictionnel hiérarchisé §2. La structure des juridictions administratives

A. Le Conseil d’État B. Les juridictions territoriales C. Les juridictions administratives spécialisées

Section 2 : Le contrôle exercé par le juge administratif §1. Éléments de procédure administrative contentieuse

A. Le déroulement de l’instance B. Le développement des outils à la disposition du juge

administratif §2. Les types de recours devant le juge administratif

A. La classification théorique des « branches du contentieux » B. Recours pour excès de pouvoir et recours de pleine juridiction

Chapitre 2 : La compétence juridictionnelle en matière administrative Introduction : le principe de la liaison du fond et de la compétence

Section 1 : Les règles §1. Le cadre constitutionnel

§2. La compétence du juge administratif A. L’évolution historique des critères B. Les règles actuelles

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§3. La compétence du juge judiciaire vis-à-vis de l’administration A. Les matières réservées « par nature » au juge judiciaire :

la protection de la liberté individuelle et de la propriété privée

B. Les « blocs de compétence » judiciaire d’origine législative

Section 2 : Les mécanismes §1. Le renvoi préjudiciel §2. Le juge des conflits de compétence : le Tribunal des conflits

2e partie – Le principe de légalité Introduction : le principe de « légalité » ou principe de « juridicité » Chapitre 1er : Les normes supra-législatives

Section 1 : La Constitution §1. Les normes constitutionnelles applicables à l’Administration §2. Le contrôle de constitutionnalité des actes de l’Administration

A. Le contrôle exercé par le juge administratif B. L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel à

l’égard du juge administratif

Section 2 : Les normes internationales §1. Les normes internationales applicables à l’Administration

A. Les différents types de normes internationales B. Les critères de l’applicabilité des normes internationales

§2. Le contrôle de conventionnalité des actes de l’Administration A. Un contrôle admis progressivement par le juge

administratif B. L’interprétation des normes internationales

Section 3 : L’articulation des normes constitutionnelle et internationales §1. L’ordre d’examen des questions par le juge administratif §2. Les hypothèses de conflit de normes constitutionnelle et internationales

A. L’affirmation du principe de supériorité de la Constitution dans l’ordre interne

B. Le cas particulier des directives européennes

Chapitre 2 : La loi et la jurisprudence Section 1 : La jurisprudence §1. Une source reconnue

A. Le droit administratif, un droit traditionnellement jurisprudentiel

B. La reconnaissance récente du caractère normateur de la jurisprudence

§2. Les principes généraux du droit A. Classification B. Valeur juridique

Section 2 : La loi

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Chapitre 3 : Les normes administratives Section 1 : Les différents types de normes administratives §1. Présentation §2. La hiérarchie entre les actes administratifs Section 2 : Le pouvoir réglementaire §1. Les différentes catégories de règlements

A. Les règlements d’application ou d’exécution des lois B. Les règlements « autonomes » C. Les autres types de règlements

§2. Les titulaires du pouvoir réglementaire A. Le pouvoir réglementaire général B. Le pouvoir réglementaire spécialisé C. Le pouvoir réglementaire des « chefs de service »

3e partie – Le principe de responsabilité Chapitre 1er : Le fait générateur Section 1 : La responsabilité pour faute §1. La distinction entre faute personnelle et faute de service

A. Les critères de la distinction B. Les types de fautes de l’Administration

§2. Les conséquences de la distinction A. La compétence juridictionnelle B. Les règles d’indemnisation de la victime

Section 2 : La responsabilité sans faute §1. La responsabilité liée au risque §2. La responsabilité fondée sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques A. Le refus de concours de la force publique B. Le préjudice né de l'application d'une norme régulière

Section 3 : La responsabilité du fait des lois inconventionnelles et inconstitutionnelles

Chapitre 2 : La réparation du préjudice Section 1 : La reconnaissance du préjudice Section 2 : Le lien de causalité §1. Un lien direct §2. Les causes d'exonération de la responsabilité de l'Administration Section 3 : Les modalités de la réparation §1. La détermination de la personne responsable §2. Le principe de l'indemnisation

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• Indications bibliographiques non exhaustives

• Traités et manuels

- CHAPUS R., Droit administratif général, Montchrestien, tome 1, 15e éd. ; tome 2, 15e éd., coll. « Domat droit public », 2001 - CHRÉTIEN P., CHIFFLOT N., TOURBE M., Droit administratif, 17e éd., Sirey, coll. « Université », 2020 - FRIER P.-L., PETIT J., Droit administratif, 14e éd., Montchrestien, coll. « Domat droit public », 2020 - GAUDEMET Y., Droit administratif, 23e éd., LGDJ, coll. « Manuels », 2020 - GONOD P., MELLERAY F., YOLKA P. (dir.), Traité de droit administratif, deux volumes, Dalloz, 2011 - LOMBARD M., DUMONT G., SIRINELLI J., Droit administratif, 13e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2019 - MORAND-DEVILLER J., BOURDON P., POULET F., Droit administratif, 16e éd., Montchrestien,

coll. « Cours », 2019 - PLESSIX B., Droit administratif général, 3e éd., LexisNexis, 2020

- SEILLER B., Droit administratif, 7e éd., 2018, Flammarion, coll. « Champs Université », deux volumes : 1 – Les sources et le juge ; 2 – L’action administrative

- TRUCHET D., Droit administratif, 8e éd., PUF, coll. « Thémis », 2019

- WALINE J., Droit administratif, 28e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020

• Ouvrages de synthèse

- DELVOLVÉ P., Le droit administratif, 7e éd., Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2018

- GONOD P., Droit administratif général, 2e éd., Dalloz, coll. « Mémentos », 2020

- TRUCHET D., Le droit public, 4e éd., PUF, coll. « Que sais-je ? », n° 1327, 2018 - WEIL P., POUYAUD D., Le droit administratif, 25e éd., PUF, coll. « Que sais-je ? », no 1152, 2017

• Recueils commentés de jurisprudence

- LACHAUME J.-F., PAULIAT H., BRACONNIER S., DEFFIGIER C., Droit administratif, les grandes décisions de la jurisprudence, 17e éd., PUF, coll. « Thémis », 2017 - LONG M., WEIL P., BRAIBANT G., DELVOLVÉ P. et GENEVOIS B., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 22e éd., Dalloz, 2019 - PERROUD T., CAILLOSSE J., CHEVALLIER J. et LOCHAK D., Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, LGDJ, coll. « Les grandes décisions », 2019.

• Dictionnaire

- VAN LANG A., GONDOUIN G., INSERGUET-BRISSET V., Dictionnaire de droit administratif, 7e éd., Sirey, coll. « Dictionnaires », 2015

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• Revues spécialisées - Actualité juridique, droit administratif (AJDA) - Dalloz (hebdomadaire) - Droit administratif - LexisNexis (mensuel) - La Semaine juridique, administrations et collectivités territoriales (JCP A) - LexisNexis

(hebdomadaire) - Revue française de droit administratif (RFDA) – Dalloz (bimestriel)

• Encyclopédie - Juris-Classeur Administratif, LexisNexis (disponible en ligne)

• Ressources électroniques - Bases de données : Dalloz, Lexis360, Lextenso, Cairn - « Le service public de la diffusion du droit » : www.legifrance.gouv.fr - « Le portail de l’administration française » : www.service-public.fr - « Au cœur du débat public » : www.vie-publique.fr - « Le Conseil d’État et la juridiction administrative » : www.conseil-etat.fr

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• ProgrammeprévisionneldesséancesdetravauxdirigésSéance n° 1 : Présentation générale Séance n° 2 : La répartition des compétences juridictionnelles (1) Séance n° 3 : La répartition des compétences juridictionnelles (2) Séance n° 4 : Les normes constitutionnelles Séance n° 5 : Les normes internationales Séance n° 6 : Les principes généraux du droit Séance n° 7 : Le pouvoir réglementaire Séance n° 8 : La responsabilité pour faute Séance n° 9 : La responsabilité sans faute Séance n° 10 : Programme à la discrétion de l’enseignant chargé de travaux dirigés

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Glossaire du Conseil d’État1

A

• Abrogation fait de mettre fin, pour l'avenir, à une règle générale ou à une mesure individuelle.

• Acquiescement aux faits si, malgré une mise en demeure adressée par la juridiction, une partie ne produit pas de mémoire en défense,, le juge considère qu’elle a admis les faits tels qu’ils sont présentés dans la requête. Le juge vérifie néanmoins que cette version des faits (présentés dans la requête) n’est pas contredite par les pièces du dossier et confronte les faits aux règles de droit. L’acquiescement aux faits d’une partie n’implique pas nécessairement que le juge donne raison à l’autre partie.

• Acte réglementaire à la différence des actes administratifs "individuels", qui s'adressent à des destinataires identifiables, les actes réglementaires ont une portée générale et impersonnelle et visent ou concernent des catégories envisagées abstraitement et dans leur ensemble.

• Aide juridictionnelle possibilité offerte aux personnes à faibles revenus de bénéficier d’une prise en charge totale ou partielle par l’État de leurs frais de justice (honoraires d'avocat notamment) selon le niveau des ressources dont elles disposent.

• Amende pour recours abusif lorsque le juge considère que le requérant a déposé un recours de façon abusive (c'est-à-dire sans cause réelle ou sérieuse, ou en sachant sa requête manifestement mal fondée), il peut le condamner à payer une amende d'un maximum de 10 000€.

• Amicus curiae personne dont la compétence ou les connaissances peuvent éclairer les juges sur la solution à donner au litige. Cette personne est invitée par les juges à produire des observations d’ordre général sur certains points, sans avoir accès aux pièces du dossier. Son avis est consigné par écrit, puis communiqué aux parties. L’amicus curiae n’est ni rémunéré, ni indemnisé.

• Annulation anéantissement de l'acte par le juge. L'acte est alors censé n'avoir jamais existé et ne peut en principe produire aucun effet. Le juge peut décider, en cas de nécessité, de donner à l'annulation un effet différé dans le temps.

• Appel possibilité pour une partie de faire rejuger l'affaire par la juridiction supérieure si elle n’a pas obtenu, en tout ou partie, satisfaction devant un tribunal administratif ou une autre juridiction de premier ressort. En règle générale, c’est la cour administrative d’appel dont dépend le tribunal administratif qui a rendu le jugement contesté qui est compétente. Dans certains cas particuliers, l’appel doit être porté devant le Conseil d'État.

• Appel incident si une partie qui n’a pas obtenu satisfaction devant le juge en premier ressort forme un appel (dit principal), la partie en défense peut elle aussi former un appel (dit incident) si le jugement de premier ressort ne lui avait pas donné entièrement satisfaction. Cet appel incident formé en réaction à l’appel principal peut être dirigé contre l’auteur de cet appel principal (l’appelant) ou contre d’autres parties en défense.

• Arrêt décision rendue par une cour administrative d'appel. Pour le Conseil d'État, le terme employé est celui de « décision ».

• Arrêté acte émanant d'une autorité administrative autre que le Président de la République ou le Premier ministre (ministre, préfet, maire).

1 Source : site internet du Conseil d’État.

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• Assemblée du contentieux l'Assemblée du contentieux est une des formations solennelles du Conseil d’État, où sont jugées les affaires qui présentent une importance remarquable.

• Astreinte lorsque le juge prononce une injonction, c'est-à-dire oblige l'administration à prendre certaines normes pour exécuter sa décision, il peut prononcer une astreinte c'est-à-dire prévoir que l'administration devra verser une somme d'argent en cas de retard d'exécution.

• Audience publique séance publique à laquelle sont convoquées les parties (et leurs avocats lorsqu’elles sont représentées). Durant l’audience publique, le rapporteur présente brièvement l’affaire. Puis, le rapporteur public prononce ses conclusions sauf s’il en a été dispensé par le président de la formation de jugement. La parole est ensuite donnée aux parties (ou à leurs avocats) qui peuvent présenter des observations orales.

• Autorité de chose jugée lorsqu’un jugement est prononcé, on dit qu’il acquiert l’autorité de la chose jugée. Cette autorité fait obstacle à la méconnaissance ou la contestation de ce qu’il juge.

• Avis consultatif Le Conseil d'État peut ou doit être consulté par le Gouvernement sur ses projets de textes. Son avis est obligatoire sur les projets de loi et d'ordonnance avant qu'ils ne soient soumis au Conseil des ministres, et sur certains projets de décret, certaines grandes opérations d'équipement….. A l'issue de son examen, le Conseil d'État propose un texte amendé au Gouvernement qui peut le suivre, ou non.

• Avis contentieux (article L. 113-1 du code de justice administrative) La procédure d’avis contentieux permet à un tribunal administratif ou à une cour administrative d’appel de transmettre au Conseil d’Etat une question de droit nouvelle posée dans une requête. Cette question doit présenter une difficulté sérieuse et être posée dans de nombreux litiges. Le Conseil d’Etat examine alors la question dans un délai de trois mois.

C • Capacité pour agir

aptitude à déposer un recours devant un tribunal, reconnue à toute personne physique ou morale y ayant un intérêt. Pour une personne privée, il faut être majeur et ne pas être sous tutelle.

• Cassation le recours en cassation devant le Conseil d'État, juridiction suprême de l’ordre administratif, n'est pas destiné à faire juger une nouvelle fois la totalité de l'affaire. Seuls un vice de forme, un vice de procédure, une erreur de droit ou une violation de la loi commis par les juges du fond (c'est-à-dire du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel) peuvent être invoqués devant le juge de cassation. En revanche, les appréciations de fait (sauf dénaturation) ne peuvent plus être discutées.

• Chambre les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel sont organisés en chambres. Elles peuvent être spécialisées dans une ou plusieurs matières. Une chambre est composée d’un président, d’un président assesseur dans les cours administratives d’appel, d’un rapporteur public et de deux ou trois rapporteurs. Au Conseil d’État, les anciennes « sous-sections » de la Section du contentieux sont désormais appelées « chambres ». Chacune est composée d’un président, de deux présidents assesseurs, de deux rapporteurs publics et de cinq à dix rapporteurs.

• Chambre jugeant seule la chambre jugeant seule juge des affaires ne posant pas de difficultés particulières et, en particulier, rejette les pourvois en cassation qui ne sont pas admis. La formation de jugement est composée du président de la chambre chargée de l'affaire, de l'un de ses deux assesseurs et du rapporteur (article R122-10 du code de justice administrative). La chambre jugeant seule ne peut délibérer que si au moins trois membres ayant voix délibérative sont présents (article R122-14 du code de justice administrative). Le rapporteur public expose la solution qui lui paraît devoir être adoptée, mais ne prend pas part à la délibération.

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• Chambres réunies les chambres réunies jugent des affaires présentant une difficulté juridique particulière. La formation de « chambres réunies » correspond à deux chambres, dont l'une a instruit l'affaire (considérée comme de difficulté moyenne) et qui la juge avec l'appoint de certains membres d'une autre, sous la présidence de l'un des trois présidents-adjoints de la section du contentieux, voire du président de cette section.

• Clôture de l'instruction fin de l’instruction et du débat contradictoire entre les parties. La clôture de l’instruction intervient à l’initiative du juge ou automatiquement à une date fixée par le code de justice administrative. Les mémoires produits après cette date ne sont en principe pas pris en compte par la formation de jugement, qui considère que l’affaire est en état d’être jugée.

• Code recueil d'un ensemble de lois et de décrets dans une matière déterminée ; par exemple, code du travail, code de l'urbanisme...

• Code de justice administrative recueil des lois et décrets relatifs à l'organisation et au fonctionnement de la juridiction administrative.

• Compétence - en parlant d'une autorité administrative : aptitude légale à prendre certains actes juridiques, dans un ensemble de matières déterminées, une circonscription territoriale donnée, et pendant la période allant de sa nomination à la fin de ses fonctions ; - en parlant d'une juridiction : la question de la compétence consiste à se demander de quelle catégorie de juridiction relève un litige : juge judiciaire (litiges relatifs à l'état civil, aux titres de propriété, aux accidents causés par des véhicules...), ou juge administratif (montant des impôts directs, régularité des élections municipales,...) ; puis à déterminer la juridiction qui, au sein de l'ordre juridictionnel compétent, doit être saisie en fonction de la matière et du lieu.

• Compétence liée une autorité administrative est en situation de compétence liée lorsqu’elle est obligée de prendre une décision précise si elle constate que certaines conditions sont remplies. Elle n’a alors aucun pouvoir d’appréciation.

• Conclusions 1. les conclusions d’une requête ou d’un mémoire désignent ce que le justiciable, qu’il soit demandeur ou défendeur, sollicite du juge administratif (par exemple, annulation d'une décision, condamnation d’une personne publique au versement d’une indemnité, remboursement des frais de procédure, rejet de la requête). 2. les conclusions du rapporteur public sont l’exposé lors de l’audience par ce magistrat des éléments de l’affaire et de la solution qu’il propose en toute indépendance à la formation de jugement. Dans certains contentieux, le rapporteur public peut être dispensé, à sa demande, de prononcer lors de l’audience ses conclusions.

• Conseil d'État le Conseil d’Etat est la juridiction suprême de l'ordre administratif. Principalement juge de cassation des décisions de justice rendues par les cours administratives d’appel, les tribunaux administratifs et les juridictions administratives spécialisées, le Conseil d’Etat est également juge d’appel et juge de premier ressort dans certaines matières. En plus de ces attributions contentieuses, il exerce un rôle de conseil juridique du Gouvernement : il est obligatoirement consulté au cours de l’élaboration des projets de loi et de certains projets de décret (les décrets « en Conseil d’Etat »). Il peut également être saisi par le Parlement, pour donner un avis juridique sur une proposition de loi.

• Cour administrative d'appel juridiction statuant en principe sur les appels dirigés contre les jugements rendus par les tribunaux administratifs. Dans certaines matières, cette juridiction est saisie directement en premier ressort. Il y a huit cours administratives d'appel (Bordeaux, Douai, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Paris, Versailles.)

• Cour de cassation juridiction placée au sommet de la hiérarchie des juridictions civiles et pénales de l'ordre judiciaire.

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D • Décharge

effacement d’une dette par le juge, notamment en matière fiscale.

• Décision les « décisions » désignent les jugements rendus par le Conseil d’Etat. Au sens large, les décisions juridictionnelles ou décisions de justice désignent tout jugement.

• Décision préalable en principe, on ne peut former un recours que contre une décision. Ainsi, si l'on veut obtenir l'indemnisation d'un dommage, il faut d'abord s'adresser à l'administration. Ce n'est qu'en cas de refus qu'il sera possible de soumettre le litige au juge administratif.

• Décret acte administratif signé par le Président de la République ou le Premier ministre. On distingue les décrets individuels (nominations...) et les décrets réglementaires. Dans la hiérarchie des normes juridiques, au sommet de laquelle se trouve la Constitution, les décrets occupent une place inférieure aux traités, aux lois et aux principes généraux du droit mais supérieure aux arrêtés ministériels, préfectoraux, municipaux.

• Décret en Conseil d'État décret pris après consultation obligatoire du Conseil d'État par le gouvernement sur son projet de décret.

• Défendeur dans un procès devant une juridiction administrative, le défendeur est l'adversaire du requérant.

• Déféré préfectoral recours par lequel le préfet demande au tribunal administratif d'annuler, pour cause d'illégalité, certaines décisions des collectivités locales (commune, département, région...)

• Délai de recours contentieux Période pendant laquelle peut être présentée au juge une requête en annulation d'un acte ou une demande d'indemnisation. En principe, la requête doit être enregistrée au greffe de la juridiction dans un délai de deux mois à partir de la publication ou de la notification de la décision contestée.

• Délibéré phase du jugement d’une affaire. Le délibéré a lieu après l’audience publique, il est secret. Les membres de la formation de jugement débattent alors de l’affaire et prennent une décision sur la solution à y donner. Le rapporteur public n’y participe pas.

• Dépens part des frais engendrés par le procès (frais d'expertise notamment) normalement supportés par la partie perdante. Les honoraires d'avocat ne sont pas compris dans les dépens (voir frais exposés non compris dans les dépens).

• Désistement le requérant peut toujours se désister, c'est-à-dire renoncer à son recours avant que la juridiction ne se prononce. Il le fait par exemple quand il a obtenu satisfaction, en tout ou partie, de l’administration avant le jugement, ou quand l’affaire ne présente plus d’intérêt pour lui.

• Détournement de pouvoir illégalité consistant, pour une autorité administrative, à mettre en œuvre l'un de ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel il lui a été confié (en poursuivant par exemple un intérêt purement personnel, ou un but exclusivement financier).

• Directive (droit de l'Union européenne) dans le but d'harmoniser les législations en vigueur dans les différents États membres de l'Union européenne, les institutions de l'Union peuvent prendre des directives par lesquelles elles fixent aux États des résultats à atteindre, dans un délai déterminé, mais en leur laissant le choix des formes et des moyens.

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• Dispositif partie finale d’une décision de justice, qui vient à la suite de l’exposé des motifs et statue sur les demandes dont le juge est saisi (par exemple, annulation de la décision attaquée, rejet du recours, charge des dépens). Le dispositif est présenté sous la forme d’articles.

• Dommage demander la réparation d'un dommage, c'est réclamer l'indemnisation financière d'un accident, d'une nuisance causés par l'activité administrative ou des conséquences d'une décision administrative illégale.

E • Effet dévolutif de l'appel

obligation, pour le juge d’appel, de réexaminer l’ensemble du litige lorsqu’il n’annule pas le jugement de première instance pour un vice de forme ou de procédure. Si le juge d’appel estime que les motifs du jugement du tribunal administratif sont erronés, il réexamine les autres moyens qui avaient été présentés devant le tribunal administratif.

• Erreur manifeste d'appréciation une décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation lorsque l'administration s'est trompée grossièrement dans l'appréciation des faits qui ont motivé sa décision.

• Ester en justice participer à une instance en justice en tant que requérant, défendeur ou intervenant.

• Evocation pouvoir du juge d’appel de statuer directement sur le litige, tel que présenté devant le tribunal administratif, lorsqu’il annule le jugement du tribunal administratif en raison d’un vice de forme ou de procédure.

• Exception d'illégalité moyen soulevé par une des parties qui consiste à mettre en avant l'illégalité de l'acte administratif sur le fondement duquel a été pris l'acte attaqué.

• Excès de pouvoir recours dans lequel il est demandé au juge d’annuler un acte administratif en raison de son illégalité, pour l’avenir mais également pour le passé (par exemple, incompétence de l’auteur de l’acte, violation de la loi).

• Exécution du jugement les jugements et arrêts des juridictions s'imposent aux parties, qui doivent les exécuter. Il est possible de demander au juge d'ordonner à l'administration qu'elle exécute le jugement dans un certain délai, sous astreinte le cas échéant.

• Expertise mesure ordonnée par le juge qui consiste à demander l'avis d'un expert sur des éléments techniques (par exemple médicales, géologiques, d’ingénierie). Le rapport de l’expert aide le juge à apprécier, par exemple, la part de responsabilité de chaque partie, le montant de chacun des préjudices subis, etc. Ce rapport est transmis par l’expert à la juridiction, qui le communique aux parties, afin qu’elles puissent en prendre connaissance et en débattre.

F • Fin de non-recevoir

moyen de défense consistant à soutenir que la requête présentée au juge est irrecevable.

• Forclusion irrecevabilité à saisir le juge au-delà de l'expiration du délai de recours contentieux.

• Frais exposés et non compris dans les dépens (article L. 761-1 du code de justice administrative) frais de justice autres que les frais d’expertise et d’enquête (appelés les dépens, voir déf.). Il s’agit essentiellement des honoraires d’avocats. A l’issue du procès, la partie perdante peut être tenue de rembourser les frais non compris dans les dépens qu’une autre partie a exposés.

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G • Greffe

dans une juridiction, ensemble des agents qui sont chargés de la réception et de l’enregistrement des requêtes, qui assistent les magistrats dans la conduite de l’instruction, qui organisent les audiences et qui notifient les décisions de justice.

• Grief 1. une décision faisant grief est une décision qui a un impact sur la situation juridique d'une personne et qui peut en conséquence être contestée devant le juge. A titre de contre-exemple, un avis donné par une commission consultative ne fait pas grief et ne peut pas être attaqué : seule la décision prise par l'administration en se fondant sur cet avis pourra l’être. 2. dans le contentieux électoral, le terme « grief » est synonyme de moyen. Il désigne les arguments juridiques mis en avant pour demander l’annulation des résultats d’une élection.

I • Incompétence

1. une décision administrative est entachée d’incompétence lorsque l’autorité qui l’a adoptée n’avait pas le pouvoir de la prendre. 2. le juge administratif peut se déclarer incompétent pour examiner une affaire lorsque celle-ci ne devait pas être présentée devant une juridiction de l’ordre administratif mais devant une juridiction de l’ordre judiciaire (par exemple tribunal d’instance, tribunal de police…).

• Injonction ordre adressé par le juge à l’administration afin qu’elle prenne les dispositions nécessaires à l’exécution d’une décision de justice. Cet ordre peut consister à obliger l’administration à prendre une mesure dans un sens déterminé ou bien à la contraindre à procéder à un nouvel examen d’une demande.

• Instance succession des actes de procédure allant du dépôt de la requête jusqu'au moment où le jugement est rendu.

• Instruction phase de la procédure qui débute par la communication de la requête au défendeur par la juridiction. Grâce aux échanges de mémoires écrits contradictoires entre les parties et aux mesures qui peuvent être ordonnées par le juge (par exemple demande de pièces, expertise), l’instruction a pour objet de mettre l’affaire en état d’être jugée. Cette phase est secrète et prend fin lors de la clôture de l’instruction (voir Clôture de l’instruction)

• Intérêt à agir pour saisir le juge d'un recours en annulation, un requérant doit justifier d'un intérêt pour agir : l'acte qu'il conteste doit l'affecter de façon suffisamment directe et certaine.

• Intervention fait pour une personne de se joindre spontanément à une procédure en cours devant le juge sans l’avoir initiée et sans y être appelée par le juge. En général, l’intervention a pour objectif d’appuyer la position du requérant (intervention en demande) ou celle du défendeur (intervention en défense).

• Irrecevabilité une requête est irrecevable si elle ne respecte pas les règles de la procédure contentieuse (par exemple, dépôt de la requête dans un délai précis, exposé de conclusions et moyens, intérêt pour agir). Dans ce cas, sauf régularisation de l’irrecevabilité (quand elle est possible), la requête doit être rejetée par le juge.

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J • Jonction

fait de statuer par une seule décision sur plusieurs requêtes.

• Judiciaire (juridiction) les juridictions de l'ordre judiciaire jugent d'une part, les affaires pénales, et d'autre part, les litiges entre les particuliers mettant en jeu les règles du droit civil (droit de la famille, du droit du travail, du droit commercial... ). Elles relèvent du contrôle de la Cour de cassation.

• Jugement décision rendue par un tribunal administratif. Par extension, le mot « jugement » peut être employé comme un synonyme de « décision de justice ».

• Jugement avant dire droit jugement intervenant au cours de la procédure, notamment pour ordonner une mesure provisoire ou une mesure d'instruction, avant qu'intervienne le jugement final sur la requête.

• Juridiction institution (par exemple, tribunal, cour) chargée de juger au nom du peuple français.

• Jurisprudence ensemble des décisions de justice qui interprètent, précisent le sens des textes de droit, et le cas échéant, complètent les lois et les règlements.

L • Lecture du jugement

date à laquelle le jugement est "lu", c'est-à-dire rendu public par le juge.

• Légalité externe règles de compétence, de forme et de procédure que doit respecter une décision administrative pour être légale.

• Légalité interne conditions de fond que doit respecter une décision administrative pour être légale.

• Litige désaccord sur un fait ou un droit donnant lieu à un procès.

M • Mémoire

document par lequel une partie (demandeur ou défendeur) présente ses conclusions (ce qu’elle demande au juge) et les arguments de droit et de fait qui les appuient.

• Motifs éléments de droit et de fait sur lesquels est fondée une décision administrative ou la solution retenue par une décision de justice.

• Motivation exposé des motifs d’une décision administrative ou d’une décision de justice. Une décision de justice comporte obligatoirement une motivation.

• Moyen d'ordre public moyen que le juge a l’obligation d’examiner, même s’il n’a pas été invoqué par les parties (par exemple, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de la décision administrative attaquée).

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• Moyen inopérant moyen invoqué par une partie mais qui n’a aucune conséquence sur la solution à apporter au litige (par exemple, un moyen fondé sur la méconnaissance d’un texte non applicable à la situation du requérant).

• Moyens pour convaincre le juge que ses demandes sont fondées, raisons argumentées en droit et/ou en fait, invoquées par chaque partie dans son ou ses mémoires (par exemple, incompétence du signataire de l’acte, méconnaissance d’une disposition législative ou réglementaire).

N • Non-lieu

si le recours a perdu son utilité, le juge le constate en prononçant un non-lieu à statuer. Cette situation se produit notamment lorsque l’administration a donné satisfaction au requérant en cours de procédure.

• Note en délibéré observations écrites que les parties peuvent transmettre à la formation de jugement après la tenue de l’audience lorsque l’affaire a été mise en délibéré et que la décision de justice n’a pas encore été rendue.

• Notification 1. fait pour l’administration de communiquer une décision à la personne directement concernée. La date de notification marque le point de départ du délai de recours, durant lequel cette personne peut contester la décision. 2. fait de communiquer une décision de justice aux parties au procès. Le dernier article du dispositif de la décision de justice précise les personnes auxquelles cette décision est notifiée. La date de notification fait courir le délai de recours contre cette décision.

• N’est pas fondé à se plaindre expression utilisée par le juge d’appel lorsqu’il confirme la solution du juge de première instance sur un fondement différent.

O • Ordonnance

1. décision de justice prise par un seul juge sans audience (par exemple, une ordonnance constatant l’irrecevabilité de la requête) ou par le juge des référés. 2. le terme d’ordonnance désigne également certaines mesures d’instruction (par exemple, ordonnance de clôture d’instruction).

• Ordre de juridiction les juridictions sont groupées dans deux ordres : ordre judiciaire (contentieux civil et pénal), ordre administratif (contentieux administratifs). Les conflits de compétence entre les deux ordres de juridictions sont réglés par le Tribunal des conflits.

P • Parties

ce sont le (les) requérant(s), le (les) défendeur(s), et dans certains cas les tiers intéressés par le litige.

• Pendante se dit d'une affaire portée devant une juridiction et non encore tranchée.

• Plein contentieux (ou contentieux de pleine juridiction) dans les matières qui relèvent du plein contentieux, le requérant peut obtenir du juge autre chose ou davantage que l'annulation d’une décision administrative. Le juge peut, par exemple, annuler ou valider un acte administratif mais également le réformer (modifier) voire lui en substituer un nouveau. Il peut aussi condamner l’administration à des dommages et intérêts (indemnités). Le contentieux de pleine juridiction recouvre des recours d’une très grande variété : contentieux contractuel, contentieux de la responsabilité, contentieux fiscal, contentieux électoral…

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• Pourvoi nom donné au recours formé devant le Conseil d'État, afin d'obtenir la cassation d'une décision de justice rendue en dernier ressort (dans la majorité des cas par une cour administrative d’appel).

• Préjudice tort causé par une activité ou une décision. Les préjudices peuvent être essentiellement matériels (perte de revenu...), corporels (invalidité...) ou moraux (perte d'un être cher...). On parle aussi de dommage.

• Prescription délai dont l'expiration modifie une situation juridique (prescription quadriennale par exemple pour les dettes des personnes publiques).

• Procédure d'admission des pourvois en cassation procédure préalable qui permet de déterminer si un pourvoi en cassation présenté devant le Conseil d’Etat est, ou non, admis à être jugé. Pour cet examen préalable, la procédure n’est pas contradictoire : le Conseil d’Etat examine uniquement le pourvoi présenté par le requérant. Si ce pourvoi est irrecevable ou ne contient aucun moyen sérieux, il peut faire l’objet d’une décision de non-admission, qui contient des motifs très brefs et met fin au procès. Si, à l’inverse, le pourvoi est admis en cassation, il est alors communiqué au défendeur dans le cadre de l’instruction contradictoire et fera l’objet d’une décision motivée.

• Protestation nom donné au recours dirigé contre les résultats d’une élection.

Q

• Question préjudicielle procédure qui permet au juge de transmettre une question échappant à sa compétence et posant une difficulté sérieuse à la juridiction compétente et de sursoir à statuer dans l’attente de sa réponse (par exemple, lorsque le juge administratif transmet au juge judiciaire une question portant sur la nationalité du requérant). Lorsque la question pose une difficulté sérieuse portant sur l’interprétation ou la validité d’un acte de l’Union européenne, elle est transmise à la Cour de justice de l’Union européenne.

• Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) procédure prévue par l'article 61-1 de la Constitution, par laquelle tout justiciable peut soutenir à l'occasion d'un procès, qu’une loi porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Lorsqu’une QPC est soulevée devant un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel, celle-ci est transmise au Conseil d’État dans les meilleurs délais, si les conditions légales sont remplies. Dans un délai de trois mois, le Conseil d’État procède alors à un second examen de cette question. Il la transmet au Conseil constitutionnel si la loi contestée est applicable au litige, si elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et si la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. A l’occasion d’un litige porté devant lui, le Conseil d’Etat peut aussi être directement saisi d’une telle question.

R • Rapporteur

magistrat chargé de l’instruction de l’affaire. Il étudie l’affaire et la met en état d’être jugée en prenant ou proposant les mesures d’instruction nécessaires (par exemple, communication de mémoire, demande de pièces, expertise). Lors de l’audience, c’est le rapporteur qui présente brièvement le litige. Il prend part au délibéré et à la rédaction du jugement.

• Rapporteur public magistrat chargé de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation de l’affaire et de proposer la solution qu’il retiendrait à la formation de jugement. Il prononce ses conclusions au cours de l’audience publique, sauf dispense (voir Conclusions). Ayant pris position publiquement, il ne participe pas au délibéré. Ses conclusions peuvent être ou non suivies par la formation de jugement.

• Recevable se dit d'une requête présentée conformément aux règles de la procédure contentieuse, notamment de délais.

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• Recours 1. recours administratif : demande faite à l’administration de revenir sur sa décision. Il peut s’agir d’un recours gracieux, adressé à l’autorité qui a pris la décision, ou bien d’un recours hiérarchique, adressé au supérieur. Dans certains cas, ce recours est obligatoire avant la saisine du juge. 2. recours contentieux : action en justice par laquelle un requérant demande, par exemple, l’annulation d’une décision administrative ou la condamnation d’une personne publique à réparer un préjudice. Ce terme désigne aussi la demande d’annulation ou de réformation d’une décision juridictionnelle (par exemple, recours en appel).

• Recours en appréciation de légalité recours visant à obtenir du juge administratif, non pas l'annulation d'un acte, mais la simple déclaration de son illégalité. Il s'agit d'un recours exercé à l'occasion d'une instance devant le juge judiciaire, lorsque celui-ci, confronté à la question de la légalité d'un acte administratif, sursoit à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée.

• Recours gracieux recours administratif présenté à l'autorité qui a pris l'acte que l'on conteste.

• Recours hiérarchique recours administratif présenté au supérieur hiérarchique de l'autorité qui a pris l'acte que l'on conteste.

• Recours pour excès de pouvoir recours ayant pour objet de demander au juge l'annulation d'un acte administratif considéré comme illégal.

• Recours préalable avant de saisir le juge, il est possible (et parfois obligatoire) de commencer par adresser une réclamation à l'auteur de la décision contestée (recours gracieux) ou à son supérieur (recours hiérarchique) pour lui demander de retirer sa décision ou d'attribuer une indemnité.

• Référé procédure permettant à un justiciable d’obtenir rapidement des mesures provisoires.

• Référé constat procédure visant à faire ordonner par le juge la constatation, par un expert, d'une situation de fait susceptible de donner lieu à un litige, afin notamment de sauvegarder en temps utile des éléments de preuve.

• Référé instruction procédure d'urgence permettant au juge d'ordonner toutes mesures d'instruction utiles en vue de la solution du litige.

• Référé liberté la procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un très bref délai (en principe 48 h), toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.

• Référé provision procédure d'urgence permettant aux créanciers d'obtenir une avance sur la somme qui leur est due lorsque cette dette n'est pas sérieusement contestable.

• Référé suspension procédure qui permet à un justiciable d’obtenir dans un bref délai la suspension d’un acte administratif, en attendant que le juge se prononce définitivement sur sa légalité, lorsque deux conditions sont réunies simultanément: il faut qu’il y ait une situation d’urgence justifiant la suspension et qu’il y ait un doute sérieux sur la légalité de la décision administrative contestée.

• Régularisation acte de procédure accompli par une partie en temps utile durant l’instance, qui a pour effet de rendre recevable son recours ou ses écritures (par exemple, lorsque le requérant n’a pas produit la décision qu’il attaque, il régularise son recours en la versant au dossier).

• Requérant personne qui s'adresse au tribunal pour lui soumettre un litige.

• Requête document par lequel un justiciable saisit une juridiction d’un recours contentieux.

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• Retrait

acte par lequel l’administration décide de faire disparaître pour l’avenir comme pour le passé une décision qu’elle a prise. Cette décision est alors supposée n'avoir jamais existé.

• Rôle liste des affaires inscrites à l'audience, en vue d’être jugées. Elle est affichée dans les locaux de la juridiction.

S • Sans qu'il soit besoin de ...

formule employée par le juge lorsqu’il n’est pas nécessaire de trancher certaines questions ou de répondre à certains moyens pour trancher le litige (par exemple, lorsque le juge peut annuler la décision attaquée en ne retenant qu’un seul des moyens).

• Section du contentieux la section du contentieux est divisée en 10 chambres chargées d'instruire les affaires. La section du contentieux, comme les chambres sont assistées d'un secrétariat assurant le bon déroulement matériel de la procédure. Chaque chambre, présidée par un conseiller d'État, assisté de deux assesseurs, également conseillers d'État, comprend une dizaine de rapporteurs de grades différents.

• Substitution de base légale lorsque le fondement juridique (base légale) de la décision attaquée est erroné, mais que la même décision aurait pu être prise sur un autre fondement juridique, le juge peut le substituer à celui que l’administration avait initialement retenu. Le juge ne peut toutefois procéder à cette substitution que si elle ne prive le requérant d’aucune garantie.

• Substitution de motifs lorsque l’administration constate que les motifs de sa décision ne permettent pas de la justifier légalement, elle peut demander au juge de leur substituer un autre motif.

• Sursis à statuer report du jugement d’une affaire jusqu’à un événement déterminé (par exemple, la réponse à une question préjudicielle, la remise d’un rapport d’expertise).

T • Tribunal administratif

juridiction, distincte des tribunaux judiciaires, chargée de résoudre les conflits mettant en cause un acte ou une décision de l'administration.

• Tribunal des conflits composée paritairement de membres de Conseil d'État et de la Cour de cassation, cette juridiction est chargée principalement de trancher les conflits de compétence qui surviennent entre les deux ordres de juridiction. Il peut s'agir de "conflits positifs" (lorsque le préfet conteste la compétence d'un tribunal de l'ordre judiciaire pour juger d'une affaire dont ce dernier est saisi) ou de "conflits négatifs" (lorsque deux ordres de juridiction se sont successivement déclarés incompétents pour juger d'une affaire ou, depuis 1960, lorsque le deuxième ordre saisi éprouve des doutes sur sa compétence).

V • Visas

première partie d’une décision juridictionnelle, qui résume la procédure en présentant notamment l’ensemble des mémoires produits par les parties, ce qu’elles demandent à la juridiction et les moyens qu’elles invoquent. Les visas recensent ensuite les textes sur lesquels le juge s’appuie pour rendre sa décision.

• Voie de fait il y a voie de fait de la part de l'administration lorsqu'elle procède irrégulièrement à l'exécution forcée d'une décision et que cela porte atteinte à la liberté individuelle ou aboutit à une privation de propriété. Il y a également voie de fait lorsque l'administration prend une décision qui a le même effet et ne se rattache à aucun de ses pouvoirs. En cas de voie de fait, seul le juge judiciaire est compétent.

• Voies de recours actions permettant un nouvel examen d'une décision, par l'administration elle-même ou par un tribunal (voir appel, cassation).

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UFR Droit

Année universitaire 2020/2021

Droit administratif – Les principes et le juge

Cours de M. Tourbe Documents de travaux dirigés

Séance n° 1 : Présentation générale

� DOCUMENTS

I. Généralités

• Document 1 : T. Confl., 8 février 1873, Blanco • Document 2 : Maurice Hauriou, « La puissance publique et le service public »,

Précis de droit administratif et de droit public, préface à la 11e édition, 1927 • Document 3 : Élisabeth Zoller, Introduction au droit public, 2e éd., 2013, p. 228-

231 • Document 4 : Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du

droit administratif, Éditions Panthéon-Assas, 2003, p. 819-821 • Document 5 : Didier Truchet, « Le droit administratif vu par un professeur de

droit », AJDA 2013, p. 4041

II. Le droit administratif en pratique – premier aperçu

• Document 6 : Exemple d’un acte administratif – Arrêté n° P093-20200831 du préfet de la Seine-Saint-Denis imposant le port du masque dans le département de la Seine-Saint-Denis, 31 août 2020

• Document 7 : Exemple d’une décision du juge administratif – TA Paris, 5 juin 2020, n° 2007394/1-3

1 V., pour approfondir, l’ensemble du dossier « Le droit administratif français en 2013 », paru dans le n° 7 de l’AJDA 2013.

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• Document 1 : T. confl., 8 février 1873, Blanco

Tribunal des conflits N° 00012 Publié au recueil Lebon M. Mercier, rapporteur M. David, commissaire du gouvernement lecture du samedi 8 février 1873 REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Texte intégral Vu l'exploit introductif d'instance, du 24 janvier 1872, par lequel Jean Y... a fait assigner, devant le tribunal civil de Bordeaux, l'Etat, en la personne du préfet de la Gironde, Adolphe Z..., Henri X..., Pierre Monet et Jean A..., employés à la manufacture des tabacs, à Bordeaux, pour, attendu que, le 3 novembre 1871, sa fille Agnès Y..., âgée de cinq ans et demi, passait sur la voie publique devant l'entrepôt des tabacs, lorsqu'un wagon poussé de l'intérieur par les employés susnommés, la renversa et lui passa sur la cuisse, dont elle a dû subir l'amputation ; que cet accident est imputable à la faute desdits employés, s'ouïr condamner, solidairement, lesdits employés comme co-auteurs de l'accident et l'Etat comme civilement responsable du fait de ses employés, à lui payer la somme de 40,000 francs à titre d'indemnité ; Vu le déclinatoire proposé par le préfet de la Gironde, le 29 avril 1872 ; Vu le jugement rendu, le 17 juillet 1872, par le tribunal civil de Bordeaux, qui rejette le déclinatoire et retient la connaissance de la cause, tant à l'encontre de l'Etat qu'à l'encontre des employés susnommés ; Vu l'arrêté de conflit pris par le préfet de la Gironde, le 22 du même mois, revendiquant pour l'autorité administrative la connaissance de l'action en responsabilité intentée par Y... contre l'Etat, et motivé : 1° sur la nécessité d'apprécier la part de responsabilité incombant aux agents de l'Etat selon les règles variables dans chaque branche des services publics ; 2° sur l'interdiction pour les tribunaux ordinaires de connaître des demandes tendant à constituer l'Etat débiteur, ainsi qu'il résulte des lois des 22 décembre 1789, 18 juillet, 8 août 1790, du décret du 26 septembre 1793 et de l'arrêté du Directoire du 2 germinal an 5 ; Vu le jugement du tribunal civil de Bordeaux, en date du 24 juillet 1872, qui surseoit à statuer sur la demande ; Vu les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an 3 ; Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 et la loi du 24 mai 1872 ; Considérant que l'action intentée par le sieur Y... contre le préfet du département de la Gironde, représentant l'Etat, a pour objet de faire déclarer l'Etat civilement responsable, par application des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, du dommage résultant de la blessure que sa fille aurait éprouvée par le fait d'ouvriers employés par l'administration des tabacs ; Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l'Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ; Que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue ; qu'elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'Etat avec les droits privés ; Que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, l'autorité administrative est seule compétente pour en connaître ;

DECIDE : Article 1er : L'arrêté de conflit en date du 22 juillet 1872 est confirmé. Article 2 : Sont considérés comme non avenus, en ce qui concerne l'Etat, l'exploit introductif d'instance du 24 janvier 1872 et le jugement du tribunal civil de Bordeaux du 17 juillet de la même année. Article 3 : Transmission de la décision au garde des sceaux pour l'exécution.

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• Document 2 : Maurice Hauriou, « La puissance publique et le service public »,

Précis de droit administratif et de droit public, préface à la 11e édition, 1927

Ce sont deux notions maîtresses du régime administratif français. Le service public est l’œuvre à réaliser par l’administration publique, la puissance publique est le moyen de réalisation. Comme la théorie juridique ne saurait s’accommoder de mettre sur le même plan les deux notions, il faut choisir celle qui domine, mais laquelle choisir ?

Les publicistes qui ont organisé notre droit administratif l’ont fondé sur la puissance publique. Ils ont fait ce choix intuitivement, d’abord, parce que le principe de la séparation des pouvoirs, proclamé avec tant de force par la législation révolutionnaire, avait mis à nu l’assise du pouvoir exécutif ; ensuite, parce qu’obéissant à la tradition des juristes de tous les temps, ils situaient le domaine propre du droit, non point dans la région des buts poursuivis, mais dans celle des moyens employés pour atteindre ces buts, c’est-à-dire la région des pouvoirs et des droits. Le droit privé ne se préoccupe que médiocrement des buts poursuivis par les individus, son objectif ce sont les moyens qu’ils emploient et qui sont les droits qu’ils prétendent exercer par l’autonomie de leur volonté ; il en est de même du droit public, les buts de l’État lui paraissent secondaires, ce sont ses moyens d’action, droits régaliens ou autres, exercés par sa volonté gouvernementale, qui l’intéressent. En somme, le droit traditionnel, dans ses objectifs, place les pouvoirs de volonté, qui sont les moyens d’action, avant les buts.

Peut-être la doctrine classique avait-elle trop négligé le point de vue des buts. De ce qu’une notion est subordonnée à une autre, ce n’est pas une raison pour la sacrifier entièrement. Toutes les coordinations d’idées sont des équilibres où compte doit être tenu de chacune, de celle qui est en sous-ordre aussi bien que de celle qui est dominante. Les doctrines socialisantes de la fin du XIXe siècle ont profité de l’omission commise par la doctrine classique ; elles ont pris à tâche de réhabiliter la notion du but dans le droit, parce qu’elle est sociale, alors que celle des moyens de droit est individualiste ; mais au lieu de laisser à sa place, qui est la seconde, la notion du but, elles l’ont promue à la première place. Subitement, le but, qui n’était rien, est devenu tout.

Ce renversement des valeurs constitue l’hérésie du socialisme juridique, dont les ravages n’ont pas moins bouleversé le monde du droit que les schismes religieux n’ont bouleversé la chrétienté.

Il était dans la logique de l’erreur sur la primauté du but que, dans le droit public, il se créât une « École du service public » s’efforçant de faire prédominer l’idée du service, considérée comme but de l’État, sur celle de la puissance de volonté de l’État considérée comme moyen de réaliser le but.

[…]

Tout en maintenant à la puissance publique en droit administratif le premier rôle, il faut

reconnaître que le service public, bien qu’au second plan, joue encore un rôle important. C’est l’idée du service qui entraîne l’autolimitation objective de la puissance publique.

Que l’idée du service se soit substituée à celle de la domination dans les préoccupations du pouvoir, ce n’est pas un mince résultat. Ce progrès est l’œuvre de la lente diffusion d’une idée, mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le pouvoir s’y est plié de lui-même, en employant des moyens objectifs d’autolimitation.

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• Document 3 : Élisabeth Zoller, Introduction au droit public, 2e éd., 2013, p. 228-231

Chose publique, droit public et puissance publique

S’il est vrai qu’en termes de fins, le droit public doit toujours être défini comme il l’a toujours été depuis ses fondations romaines, c’est-à-dire comme le droit de la chose publique, il est trop réducteur, en termes de moyens, de le définir comme le droit de la puissance publique. Certes, on peut dire à la suite de M. Hauriou que la chose publique est devenue à l’âge républicain une « entreprise » à condition d’admettre que les développements intervenus ces dernières années en droit communautaire avec la libéralisation des marchés (obligation faite à l’État d’ouvrir les services publics à la concurrence) obligent à reconnaître que « l’entreprise » n’a peut-être pas besoin d’être aussi vaste que l’immense « secteur public » mis sur pied à la Libération dans le prolongement des idées esquissées par Duguit, le chef de l’école du service public, et corrigées par Hauriou, le chef de l’école de la puissance publique, mais leur idée reste juste.

En droit public français, l’État reste une entreprise, un dessein, le projet d’une nation, avec toujours de « grands chantiers » en construction ou en perspective. Ce qui change, c’est la mise en œuvre de « l’entreprise ». D’une part, le système de la liberté naturelle conduit à admettre que l’initiative privée peut contribuer à la réalisation de la chose publique et que l’initiative publique n’a qu’un caractère supplétif. D’autre part, et par voie de conséquence, l’État est de moins en moins « entrepreneur » lui-même ; soit il délègue une partie de plus en plus importante de la gestion de l’entreprise, notamment les services marchands, au secteur privé, soit il passe des contrats de partenariats avec celui-ci pour la réalisation de grands projets d’équipement et d’aménagement. Ces évolutions montrent que le paradigme de la puissance a aujourd’hui bien vieilli pour expliquer l’ensemble du droit public ; encore une fois, il n’en explique qu’une partie, principalement le contentieux. S’il est vrai que le droit (qu’il soit public ou privé) ne se réduit pas au contentieux, celui-ci reste néanmoins le terrain privilégié pour mesurer la réalité des principes, parce qu’il concerne, par nature, non le cours ordinaire des affaires, mais des situations particulières, des cas exceptionnels, et que c’est toujours dans l’état d’exception que s’apprécie la pureté des principes. Or, parmi ces principes, il en est un qui signe la spécificité du modèle républicain français, de manière constante. C’est la durée principielle, l’exemplaire persistance, nonobstant tous les appels en sens contraire, d’une dualité de juridictions et le caractère irréductible d’un contentieux de droit public. Le droit français n’en démord pas de son refus de laisser les juges ordinaires se saisir des questions de droit public, même par la voie d’un contrôle de cassation.

Le principe qui interdit à l’autorité judiciaire de se saisir de matières qui mettent en jeu l’exercice de prérogatives de puissance publique – à l’exception des matières qui lui sont réservées par nature comme la sauvegarde de la liberté individuelle (article 66, al. 2 de la Constitution) – est la conséquence de la « conception française de la séparation des pouvoirs »1. Il constitue avec, par exemple, le principe de laïcité ou encore celui de l’indisponibilité du corps humain, un trait distinctif de « l’identité nationale, inhérente [aux] structures fondamentales politiques et constitutionnelles » (Article 3 bis TUE) de la France, pleinement respecté, à ce titre, par l’Union.

Fondements de la dualité des juridictions de droit public et de droit privé en droit français

Le refus français de donner aux juges de droit privé le pouvoir de se prononcer sur les décisions de droit public prises par les autorités exécutives et administratives dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique s’explique par deux raisons distinctes, l’une théorique, l’autre pratique. Ce refus tient d’abord à la manière dont les Français ont reçu la souveraineté et se pensent en tant que souverains. La dualité des juridictions de droit public et de droit privé n’a pas

1 Cons. const., Déc. 87-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, Rec. 8.

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d’autre justification que la conviction que les affaires qui regardent la chose publique, donc qui intéressent tous les citoyens, ne sont pas de même nature que celles qui intéressent la multitude des choses privées. Montesquieu le disait déjà à sa façon : « Il est ridicule de prétendre décider des droits des royaumes, des nations et de l’univers, par les mêmes maximes sur lesquelles on décide entre particuliers d’un droit pour une gouttière »1. À cette raison théorique s’en ajoute une autre tirée de la pratique.

L’expérience a prouvé – et prouve encore, à en juger par la pusillanimité avec laquelle le juge de common law s’aventure à censurer l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs de décision unilatérale2 – que la dualité des fonctions de ceux qui servent l’administration et qui se trouvent être non pas simultanément, mais de façon alternée, conseiller et juge de celle-ci est la garantie d’un contrôle efficace. La complexité des fonctions contemporaines de l’administration oblige à en confier le contrôle à des hommes et des femmes qui la connaissent de l’intérieur. C’est si vrai que les Américains eux-mêmes ont créé à l’intérieur de leurs agences des juges administratifs (administrative-law judges) qui ne sont pas des juges de droit commun, mais qui sont des juges spécialement institués pour s’assurer que ce qu’elles font est fait dans le respect du droit. Il faut « un juge connaissant bien l’administration à l’effet de la contrôler mieux »3. Le seul point sur lequel le système américain diffère du système français en la matière est qu’il réserve la possibilité d’un contrôle de cassation par la plus haute instance des juridictions de droit commun (en l’espèce, la Cour suprême) sur les décisions rendues en dernier ressort par les juges administratifs. La spécificité du système français est que le contrôle juridictionnel du Conseil d’État est final et sans appel. En d’autres termes, le droit public reste toujours distinct du droit commun.

Le droit public n’existe que parce que l’on croit à un intérêt public distinct des intérêts privés, un intérêt général d’une autre nature que les intérêts particuliers, un intérêt national supérieur aux multiples intérêts du peuple. C’est dire que, derrière lui, il y a quelque chose de plus profond que la technicité des questions traitées ; il y a l’idée que le peuple français forme une nation dont les intérêts sont distincts et supérieurs à ceux des membres qui la composent, et cette idée n’est pas sans mérite, même pour un Américain4. De quelque côté qu’on prenne la question, on en revient toujours à ce qui fait le caractère irréductible du modèle républicain français : la souveraineté nationale. La justice de droit public distincte de celle de droit privé ne peut pas se comprendre autrement que comme la conséquence de celle-ci et, à ce titre, doit être regardée comme une composante essentielle du modèle républicain français.

1 Montesquieu, De l’Esprit des Lois, in Œuvres complètes, Tome II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 770. 2 Pour un exemple insigne, v. l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis, Chevron USA Inc. v. National Resources Defense Council Inc., 467 U.S. 837 (1984) ; Grands arrêts, p. 1017 s., notamment p. 1019. 3 B. Genevois, « Juge administratif et juge judiciaire : ressemblances et différences », in De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé, B. Bonnet & P. Deumier (Dirs.), Dalloz, coll. Thèmes et Commentaires, 2010, p. 155 s., notamment p. 171. 4 Commentant la solution française de la dualité de juridictions par rapport à la solution américaine, un juge à la Cour suprême des États-Unis (1941-1954), Robert H. Jackson, qui fut par ailleurs procureur général au procès de Nuremberg, a pu laisser entrevoir où penchait sa préférence en écrivant : « Quand il s’agit de contrôler l’action d’un agent public qui porte atteinte aux droits d’un citoyen, les Français, logiques jusqu’à s’en faire souffrir, ont choisi une voie exactement opposée à la nôtre. Depuis le départ, ils ont reconnu que les différends entre un citoyen et un agent public, survenant à l’occasion de l’exercice par celui-ci de son devoir tel qu’il le comprend, faisait appel à d’autres considérations qu’une dispute entre deux citoyens privés sur des affaires privées. Ils ont donné au Conseil d’État compétence pour contrôler les organes de régulation et ils ont reconnu que le droit administratif [en français dans le texte] avait un autre objet que le droit privé pour lequel la Cour de cassation est la plus haute juridiction » in Robert H. Jackson, The Supreme Court in the American System of Government, Cambridge, Harvard University Press, 1955, p. 46.

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• Document 4 : Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, Éditions Panthéon-Assas, 2003, p. 819-821

[Le droit administratif est] bien un droit fondamentalement autonome dans ses rapports

avec le droit civil. Cette autonomie résulte historiquement de la conjonction de deux facteurs : d’une part, l’inapplicabilité de principe du Code civil à l’endroit des rapports relevant de la compétence du juge administratif et, d’autre part, le caractère lacunaire de la législation administrative. D’où ce fait que, à partir du XIXe siècle, l’autorité administrative, non contente de ne pas être liée par aucun des grands codes de droit privé, n’a vu de surcroît dans les lois administratives, pourtant fort nombreuses, que des règles spéciales, des textes d’exception, et s’est donc arrogée le droit d’élaborer elle-même les règles générales du droit administratif. Véritable déclaration d’indépendance, l’illustre arrêt Blanco n’est que l’aboutissement d’un long processus commencé dès l’Ancien Régime. Si la France a donné naissance à une juridiction administrative, c’est précisément afin que le droit privé ne soit pas considéré comme un droit commun, c’est-à-dire comme un droit doté d’une autorité supplétive automatique. Si tel avait été le cas, on se demanderait bien pourquoi, tout au long du XIXe siècle, l’autorité judiciaire eût cherché avec tant d’insistance à s’arroger des domaines de compétence en matière administrative. Dans un ordre juridique fondé sur un système de droit commun, il n’y a pas, par définition, de conflits. Comme en témoignent les conclusions du commissaire du gouvernement Reverchon en 1852, citées en exergue, le principe même de la souveraineté du droit administratif, c’est-à-dire la faculté pour son juge de dégager les règles générales relatives aux rapports entre l’Administration et ses administrés, n’a jamais fait aucun doute tout au long du XIXe siècle. La rivalité entre les tribunaux judiciaires et l’autorité administrative a seulement concerné l’étendue, la délimitation des frontières du territoire sur lequel s’exerçait cette souveraineté du droit administratif, notamment en ce qui concerne le territoire très controversé de la responsabilité de l’État.

Le droit administratif est donc un droit autonome dans la mesure où le Code civil n’est pas applicable de plein droit aux rapports juridiques dont la connaissance est confiée au juge administratif. Or, dans l’usage de son pouvoir prétorien, le juge administratif est libre de puiser aux sources matérielles qu’il juge utiles, techniquement ou idéologiquement. Dès lors, l’utilisation du droit civil n’est pas une remise en cause de l’autonomie du droit administratif car, en empruntant, le Conseil d’État ne fait qu’user de sa liberté de choix, ne voit dans le droit civil qu’une source d’inspiration de son propre droit autonome. Parce que le juge administratif est maître de sa jurisprudence, il est maître de ses emprunts. Le phénomène des emprunts est la preuve la plus éclatante de la souveraineté du droit administratif dans la mesure où l’autonomie ne signifie pas seulement, comme l’affirment les remarquables arrêts Blanco et Dugave, que le Code civil n’est pas applicable de plein droit aux rapports entre le Pouvoir et les citoyens ; elle signifie que le juge administratif est tellement libre qu’il a le pouvoir prétorien d’intégrer discrétionnairement dans le corpus du droit son indépendance. En d’autres termes, le prêteur administratif, à l’image du prêteur romain, s’est forgé lui-même le pouvoir de rendre applicable au gré de sa seule volonté la plus illustre des lois de la République française, de décider quand il l’estime souhaitable de faire jouer le droit civil à l’endroit de rapports que ce dernier n’a pourtant nullement vocation à régir.

Le phénomène des emprunts faits au droit civil par le droit administratif n’est donc en rien une remise en cause de l’autonomie du droit administratif ; tout au contraire, il rappelle fort opportunément, tant on a tendance à l’oublier aujourd’hui, qu’en droit français, à défaut d’une décision législative en sens expressément contraire, le juge administratif demeure souverain vis-à-vis du Code civil et, plus généralement, vis-à-vis de l’ensemble des lois de droit privé. Le phénomène des emprunts est donc une preuve éclatante de l’autonomie du droit administratif. S’il existe des emprunts faits au droit civil, c’est parce que le juge administratif l’a voulu : le Code civil ne s’impose pas de lui-même, il est choisi par le juge. Un emprunt au droit civil signifie, non que le Code civil est une source formelle du droit administratif, mais que le droit civil est une source matérielle, une source d’inspiration facultative du droit administratif autonome. La meilleure preuve en est qu’une fois transposée, la règle de droit civil devient une règle de droit

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administratif : en droit administratif, il n’existe pas de règles de droit civil ; il n’y a éventuellement que des règles d’origine civiliste.

Un tel constat rend alors vaines beaucoup de discussions contemporaines. On sait qu’il est de plus en plus fréquent d’envisager la disparition du droit administratif. Pourtant, quelles que soient l’augmentation du volume des normes communautaires et l’importance prise par l’application aux personnes publiques du droit de la concurrence, le droit administratif existera tant que – et c’est la conjonction de ces deux éléments qui est trop souvent négligée – l’on n’aura pas supprimé le juge administratif et rendu le Code civil et l’ensemble de la législation de droit privé applicables de plein droit aux rapports entre la puissance publique et les particuliers. La disparition du droit administratif ne peut passer que par des décisions constitutionnelles et législatives inverses de celle de l’arrêt Blanco : elle n’est envisageable que le seul jour où, telle une reddition à l’armée ennemie, le législateur décidera, par exemple, que, désormais, le Code civil, dans ses articles 1382 et suivants, retrouve vis-à-vis de la responsabilité des personnes publiques la généralité et l’absolutisme de ses dispositions. En dehors d’une telle hypothèse, toute discussion est superflue, au risque, sinon, d’aboutir à une confusion entre l’autonomie d’un droit et la question, toute différente, de l’évaluation de son degré d’originalité. Quelles que soient les ressemblances ou les différences entre le droit civil et le droit administratif, tant que le Code civil n’aura pas été déclaré dans son intégralité applicable de plein droit aux collectivités publiques, il sera légitime d’évoquer l’autonomie du droit administratif, légitime de parler d’emprunt, et légitime de partir à la recherche des origines du droit administratif français, – notamment civilistes.

• Document 5 : Didier Truchet, « Le droit administratif vu par un professeur de droit », AJDA 2013. 404

Dans les pages qui suivent, j'écarterai [...] la comparaison avec le passé pour tenter de dire comment, comme professeur de droit, je vois aujourd'hui le droit administratif.

L’accompagnement de l’intervention publique

Blanco toujours ! Pourtant, l'arrêt fondateur paraît appartenir à un passé révolu : il ne s'agit plus de construire des « règles spéciales » (elles existent) ; elles ne sont plus fondées (en tout cas, plus principalement) sur les « besoins du service » (public) ; elles n'ont jamais pu couvrir tout le champ d'action des autorités administratives. Qualifier le droit administratif comme exorbitant d'un droit commun qui serait le droit privé, correspond partiellement à la vérité historique, mais plus à la réalité : il est le droit commun de l'action administrative.

Mais de Blanco, il reste l'essentiel : son programme qu'il faut exprimer avec les mots d'aujourd'hui. Le droit administratif règle fondamentalement l'intervention publique dans les rapports sociaux au sens le plus large du terme. C'est de cet objet qu'il tire sa légitimité, sa nécessité et ses principes propres. C'est aussi ce qui permet de le voir sans le trahir comme un droit de la régulation publique à condition de définir celle-ci très largement.

Il faut admettre que dans une société française libérale, dans une Union européenne qui repose sur la liberté des marchés, dans un monde en partie dérégulé, les rapports sociaux se développent en principe comme les personnes privées l'entendent. Mais les pouvoirs publics doivent fixer un cadre, imposer des disciplines, mener des actions de sécurité et de solidarité pour des raisons très variées que l'on a coutume de résumer par l'« intérêt général ». Le champ et les modalités de l'intervention changent avec les attentes de la société, les besoins des personnes, les conceptions politiques, les circonstances. Le droit administratif s'y adapte : les périodes de libéralisme en réduisent l'étendue et en affectent les instruments ; les temps de crise sont favorables à son extension, car on demande davantage l'intervention protectrice de l'administration. Mais dans tous les cas, le droit administratif est celui de l'intervention publique.

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C'est une constante que les étudiants admettent aisément. En deuxième année, ils abordent souvent avec méfiance une matière réputée difficile, antilibérale, « politique » au mauvais sens du terme, voire un rien archaïque, surtout si exceptionnellement, quelques collègues privatistes entretiennent parallèlement leurs préventions. Ils peuvent être surpris ou choqués par certains privilèges de l'administration. Mais il est aisé de leur faire comprendre la nécessité de l'intervention publique, ses vertus sociales et le besoin de règles adaptées.

A Blanco, on associe aussi la liaison de la compétence et du fond. Né des hasards de l'interprétation des textes relatifs à la séparation des pouvoirs et des fonctions, le dualisme juridictionnel fait partie des traditions fondatrices du droit administratif. La jurisprudence s'efforce d'en compenser les inconvénients, par exemple en compliquant les règles applicables aux questions préjudicielles entre les deux ordres de juridiction, au nom notamment de la bonne administration de la justice. Depuis longtemps, je crois que cette dernière commande la création d'un ordre unique (qui serait une véritable fusion et non une absorption de la juridiction administrative par la juridiction judiciaire) et que le droit administratif est assez solide pour n'en pas souffrir. Mais je n'ai jamais convaincu grand monde sur ce point.

L’attention aux personnes

C'est l'un des grands progrès accomplis par le droit administratif. De génération en génération de droits de l'homme, des libertés publiques aux droits fondamentaux, des droits de... aux droits à..., puis aux droits opposables, il a beaucoup développé les droits de ceux que l'on nommait les administrés, ensuite les citoyens et qu'il faudrait mieux appeler les personnes. Les sources nationales, européennes, internationales, les instruments et les procédures (en dernier lieu la QPC qui ne lui est pas propre), les organes (tels que le Défenseur des droits) sont multiples et redondants. Mais tous procèdent d'une exigence sociale devenue essentielle : le respect que l'administration (comme tout autre détenteur d'un pouvoir sur autrui) doit à ceux avec lesquels elle est en relation. C'est un devoir pour les autorités administratives, entendues non au sens défectueux de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, mais comme les organes (parfois indépendants) dotés d'un pouvoir de décision des personnes publiques et des personnes privées investies de prérogatives de puissance publique et/ou chargées d'une mission de service public (les opérateurs publics).

Ce n'est pas le lieu de raconter cette histoire que les lecteurs de l'AJDA connaissent et à laquelle le juge administratif a pleinement participé avec par exemple, le référé-liberté, le plein contentieux objectif, la réduction des mesures d'ordre intérieur, mais aussi la sécurité juridique ou le droit transitoire. Elle a profondément transformé le visage du droit administratif et les devoirs de l'administration. L'accent est mis non plus seulement sur l'affirmation abstraite de droits et libertés, mais aussi sur leur effectivité dans la situation propre de chacun. En ce sens, la matière s'individualise et se subjectivise.

Cette approche individualiste n'a pas fait disparaître l'approche collective : le service public (ou d'intérêt général) reste l'un des moyens de donner un contenu concret aux droits proclamés. Mais l'influence de l'Union européenne et les déficits publics le réduisent à des missions délimitées et ont suscité d'autres moyens. La puissance publique a gagné son combat historique contre le service public comme marqueur essentiel du droit administratif, mais s'exprime avec des difficultés croissantes : elle se disperse entre des lieux de pouvoir de plus en plus divers, s'englue dans les procédures aussi bien contentieuses que non contentieuses, peine à avoir le dernier mot. Il faudrait trouver un nouvel équilibre entre la nécessaire capacité de commander et le respect dû aux personnes. La soft law le réalise-t-il ? En tout cas, le droit administratif a toujours autant de mal à l'analyser.

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Ouverture et complexité

Le phénomène est très connu, mais trop important pour n'être pas rappelé : le droit administratif qui fonctionnait auparavant en vase clos, s'est ouvert au droit constitutionnel, au droit de l'Union européenne, au droit européen conventionnel, au droit international (pas seulement aux conventions mais aussi - modestement pour l'instant - à la coutume). Cette évolution spectaculaire, rapide et inachevée aurait pu le détruire. Elle l'a au contraire conforté comme un sous-ensemble du droit français, défini comme l'ensemble des règles applicables sur le territoire de la République quelles qu'en soient les sources. Par là même, il s'est rapproché substantiellement de cet autre sous-ensemble qu'est le droit privé : à une communauté croissante de sources répond une identité croissante de règles (concurrence, loyauté contractuelle, responsabilité médicale et hospitalière, voire consommation, emploi, droits de la personnalité...), encore que les différences restent évidemment et heureusement très fortes. Tout le monde s'y est mis : l'Union européenne, la Cour de Strasbourg, le constituant, le législateur... et le juge administratif qui a trouvé là un nouveau souffle : il n'est plus tant un créateur de règles spéciales qu'un authentificateur et un agenceur de règles venues d'ailleurs qu'il applique ou dont il s'inspire.

Cette ouverture jointe aux phénomènes étudiés précédemment a un coût : la complexité. Elle me remplit de compassion envers mes étudiants. Dans un nombre d'heures d'enseignements qui a malheureusement baissé dans de nombreuses universités, nous devons être plus synthétiques que nos prédécesseurs qui entraient davantage dans les détails. Ce n'est pas forcément un mal. Cette complexité n'affecte pas seulement l'enseignement et l'apprentissage. Elle pèse sur tous les acteurs du droit administratif et les incite à la contourner ou à s'en protéger en n'appliquant pas ou mal ses règles ; beaucoup d'administrateurs, par exemple, le voient comme un obstacle à leur action et non comme une aide à leurs décisions et opposent bien imprudemment leurs exigences de gestion au respect de la légalité.

La complexité a de nombreux aspects : la structure binaire classique du droit administratif, si commode pédagogiquement et si structurante matériellement, s'érode ; le nombre des exceptions et des cas particuliers augmente. La question la plus délicate à faire comprendre (et d'abord à comprendre !) est la solution des conflits de normes que la nouvelle architecture des sources fait apparaître ; le traitement qu'il convient de réserver au droit de l'Union européenne (notamment au regard de la Constitution) pose les problèmes les plus difficiles, mais ils sont loin d'être les seuls. Si l'accessibilité du droit administratif a fait d'énormes progrès grâce à internet, son intelligibilité a beaucoup baissé. Elle est devenue un objectif constitutionnel, mais c'est souvent lorsqu'il est menacé qu'un principe pratiqué sans être nommé, est affirmé solennellement.

Tel est aussi le cas de la sécurité juridique. La décision KPMG (CE, ass., 24 mars 2006, Société KPMG, Société Ernst & Young Audit, req. n° 288460, Lebon ; AJDA 2006. 1028, chron. C. Landais et F. Lenica) en a fait un principe. Le droit administratif en a tiré des conséquences qui protègent utilement les personnes contre l'évolution brutale des règles. Mais les décisions des administrations et des juges sont aussi devenues moins prévisibles que jamais, les situations transitoires et les solutions sur mesure plus nombreuses, ce qui affecte paradoxalement la sécurité juridique au nom de laquelle elles sont adoptées. Plus complexe et parcellisé dans son application concrète, le droit administratif est en réalité moins sûr.

Cet article n'a pas abordé les thèmes les plus classiques de la doctrine et de l'enseignement administrativistes du XXe siècle : les critères d'application du droit administratif et de compétence du juge administratif, la définition du droit administratif. Constatant qu'il vivait fort bien sans critères précis et sans définition admise par tous, nous nous sommes résignés à ne plus les chercher. Si je me permets de rappeler la définition que je propose à mes étudiants (« l'ensemble des règles du droit public français qui s'appliquent à l'activité administrative », in D. Truchet, Droit administratif, PUF, Thémis, 4e éd., 2011, p. 27), c'est pour ajouter qu'elle n'est pas plus définitive que les autres.

Indéfinissable, le droit administratif ? Peu importe : il a l'avenir devant lui !

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• Document 6 : Exemple d’un acte administratif – Arrêté n° P093-20200831 du préfet de la Seine-Saint-Denis imposant le port du masque dans le département de la Seine-Saint-Denis, 31 août 2020

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• Document 7 : Exemple d’une décision du juge administratif – TA Paris, 5 juin 2020, n° 2007394/1-3

[…]

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

N°2007394/1-3 ___________

Recteur de la région académique Ile-de France Recteur de l’académie de Paris Chancelier des Universités ___________

Mme Dominique Perfettini Président rapporteur ___________

Monsieur Xavier Pottier Rapporteur public ___________ Audience du 3 juin 2020 Lecture du 5 juin 2020

_________ 30-02-05-01-01-01 C

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris,

(1re Section - 3e Chambre)

Vu la procédure suivante : Par un déféré, enregistré le 22 mai 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le

27 mai 2020, le recteur de la région académique Île-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités de Paris, (ci-après dénommé le recteur) demande au tribunal :

1°) d’annuler les délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020 par lesquelles la

commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne a déterminé les conditions de contrôle des connaissances des étudiants de l’université dans le cadre de la crise sanitaire de l’épidémie de covid-19 ;

2°) d’enjoindre, à titre principal, au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne

de faire usage des pouvoirs dont il dispose en application du deuxième alinéa de l’article 3 de l’ordonnance n°2020-351 du 27 mars 2020 pour arrêter les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements pour l’année universitaire 2019-2020, dans le délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) d’enjoindre, à titre subsidiaire, à l’université Paris I, Panthéon Sorbonne d’adopter

les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements pour l’année universitaire 2019-2020, dans le délai de huit jours à compter de la notification du présent jugement.

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Vu : - le code de l’éducation, - la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, - l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée, - l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020, - le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 modifié, - le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, - le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020, - et le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de Mme Perfettini, - les conclusions de M. Pottier, rapporteur public, - les observations de Me Prosper, représentant de Mme A. et AGE-UNEF, - les observations de M. Demichilis pour l’association CJES, - les observations de M. Scotto d’Abusco pour la CGT Paris 1 et les collectifs enseignants de Paris 1, - les observations de M. C., membre de la CFVU, - les observations de Me Kouzmine, représentant Le Poing Levé, - les observations de Mme Bellosta, représentant le SNESUP-FSU, - les observations de Mme Colza, représentant Solidaires étudiants, - et les observations de M. Anthunez-Chavez, représentant la fédération des associations étudiantes. Une note en délibéré a été présentée pour Mme A. et l’Association générale des étudiants (AGE-UNEF) de Paris 1, enregistrée le 4 juin 2020. Une note en délibéré a été présentée pour Mme B., enregistrée le 4 juin 2020. Une note en délibéré a été présentée pour le syndicat SNESUP-FSU, enregistré le 4 juin 2020. Considérant ce qui suit : 1. Par deux délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020, la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne, a arrêté, au regard de l’ordonnance du 27 mars 2020 portant sur l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 et permettant les « adaptations » nécessitées par la situation, les règles relatives aux examens au titre de l’année universitaire 2019-2020. 2. Le recteur de la région académique Ile-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités, a déféré au tribunal, le 22 mai 2020, sur le fondement de l’article L. 719-7 du code de l’éducation, ces délibérations, dont il demande l’annulation.

Sur les interventions au soutien de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne : 3. L’association Fédé Paris 1, l’association le Poing Levé, Madame A. et l’Association Générale des Étudiants (AGE UNEF) de Paris, Mme B., le SNESUP-FSU, la CGT université Paris I, les collectifs enseignants administratifs élus enseignants, l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne – CJES, l’association Solidaires Etudiant-E-S Paris I, M. C., M. E. et Mme F. justifient, eu égard à la nature et à l’objet du litige, d’un intérêt suffisant à l’annulation des délibérations attaquées. Ainsi, leurs interventions au soutien de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne sont recevables.

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Sur la recevabilité du déféré : 4. En premier lieu, en application de l’article L. 719-7 du code de l’éducation, le recteur, en sa qualité de chancelier des universités, peut saisir le tribunal des « décisions ou délibérations des autorités» universitaires. En l’espèce, si la première délibération, du 16 avril 2020, est intitulée « Motion » tandis que la seconde, du 5 mai 2020, se présente comme une « Proposition de cadrage », l’une et l’autre fixent des règles générales concernant l’organisation des examens. Emanant d’un organe collégial de l’université, elles constituent par leur nature et leurs effets des délibérations de caractère décisoire et sont en conséquence susceptibles d’être déférées au tribunal. 5. En second lieu, la circonstance que des recours en référé ou des recours en annulation des délibérations contestées ont été formés devant le tribunal ne fait pas obstacle, dès lors que ces recours relèvent d’une procédure distincte de celle suivie dans le présent litige, à ce que le recteur, chancelier des universités, use de la possibilité qui lui est conférée par l’article L. 719-7 du code de l’éducation de déférer au tribunal les délibérations contestées.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la délibération du 16 avril 2020 :

6. Si elle n’a pas été retirée, la délibération du 16 avril 2020 a été implicitement mais nécessairement abrogée par la délibération suivante, en date du 5 mai 2020, qui se substitue à elle et ne reprend pas la disposition principale relative à la suppression générale des examens. Cette délibération du 5 mai 2020 n’est pas devenue définitive dès lors qu’elle est également attaquée dans le présent litige. Par suite, les conclusions du recteur contre la délibération du 16 avril 2020 ne sont pas dépourvues d’objet et sont, en conséquence, recevables.

Sur les conclusions à fin d’annulation : Le cadre légal :

7. En premier lieu, l’article L. 613-1 du code de l’éducation, après avoir rappelé le monopole de l’Etat pour « la collation des grades et titres universitaires » énonce, à son deuxième alinéa, que les diplômes nationaux qui confèrent ces grades et titres, « ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes, appréciés par les établissements accrédités à cet effet ». 8. Il résulte de ces dispositions que la délivrance des diplômes est obligatoirement subordonnée à un contrôle, nécessairement individuel, des connaissances et des aptitudes des élèves, avec les mêmes garanties d’égalité et d’impartialité pour chacun, ce qui exclut toute validation générale et indifférenciée ou une validation qui ne sanctionnerait pas des connaissances et des aptitudes suffisantes. 9. De cette exigence d’un contrôle dépend la validité des diplômes nationaux lesquels, ainsi que le précise le dernier alinéa de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, confèrent « les mêmes droits » à tous leurs titulaires, quel que soit l’établissement qui les a délivrés. 10. En deuxième lieu, aux termes de l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 : « Sauf mentions contraires, les dispositions de la présente ordonnance sont applicables du 12 mars au 31 décembre 2020 à toutes les modalités d'accès aux formations de l'enseignement supérieur et de délivrance des diplômes de l'enseignement supérieur, y compris le baccalauréat, et à toutes les voies d'accès aux corps, cadres d'emplois, grades et emplois de la fonction publique. / Elles ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ». Aux termes de l’article 2 de cette même ordonnance : « Nonobstant

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toute disposition législative ou réglementaire contraire, les autorités compétentes pour la détermination des modalités d'accès aux formations de l'enseignement supérieur dispensées par les établissements relevant des livres IV et VII du code de l'éducation ainsi que pour la détermination des modalités de délivrance des diplômes de l'enseignement supérieur, y compris le baccalauréat, peuvent apporter à ces modalités les adaptations nécessaires à leur mise en œuvre. / S'agissant des épreuves des examens ou concours, ces adaptations peuvent porter, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d'organisation, qui peut notamment s'effectuer de manière dématérialisée. / Les adaptations apportées en application du présent article sont portées à la connaissance des candidats par tout moyen dans un délai qui ne peut être inférieur à deux semaines avant le début des épreuves ». 11. Ces dispositions donnent une grande latitude aux établissements pour déterminer les adaptations qui peuvent être apportées aux modalités d’organisation des examens et concours eu égard à la situation particulière créée par l’état d’urgence sanitaire. 12. Toutefois les adaptations ainsi prévues, permettant notamment, de déroger à la règle selon laquelle il ne peut être apporté de modifications au calendrier et aux programmes des épreuves des examens et concours en cours d’année, ne peuvent porter sur le principe fondamental du contrôle des résultats des élèves, ou méconnaître le principe d’égalité et celui de l’indépendance et de l’autorité souveraine des jurys. 13. En outre, en renvoyant expressément aux « autorités compétentes » le pouvoir de définir les adaptations nécessaires à la limitation de la propagation de l’épidémie de covid-19, l’ordonnance du 27 mars 2020 exclut que les établissements modifient « le cadre national des formations » mentionné au 5e alinéa de l’article L. 613-1 du code de l’éducation ou « les conditions d’obtention des titres et diplômes » faisant l’objet du 7e alinéa du même article, lesquels relèvent de la seule compétence du ministre de l’enseignement supérieur. 14. En troisième lieu, en vertu du I de l’article L. 712-6-1 du code de l’éducation, issu de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique (CFVU) est consultée sur les programmes de formation des composantes. Elle est compétente en application du 2° du I de cet article, pour adopter les « règles relatives aux examens ». Cette compétence ne saurait, cependant, empiéter sur les règles communes qu’il revient au seul ministre de fixer, ni sur le pouvoir souverain des jurys, ainsi qu’il ressort des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi.

L’examen des moyens :

15. Le recteur conteste la légalité des deux délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020, par des moyens tirés de ce que ces délibérations méconnaissent le principe fondamental du contrôle des connaissances, excédant ainsi le champ de compétence dévolu à la CFVU, de ce que les mesures prévues ne sont ni nécessaires ni proportionnées au sens des articles 1er et 2 de l’ordonnance du 27 mars 2020 précité et, enfin, de ce qu’elles méconnaissent le principe d’égalité et celui de l’indépendance et de la souveraineté des jurys. 16. Ces moyens ne portent pas indistinctement sur les deux délibérations, lesquelles sont différentes ainsi qu’il a été dit au point 5, et doivent, en conséquence, faire l’objet d’un examen séparé.

En ce qui concerne la délibération du 16 avril 2020 : 17. Par la délibération contestée, la CFVU a décidé que les rattrapages du premier semestre seraient annulés et que tous les élèves concernés valideraient ce semestre avec la note de 10/20. Elle a énoncé ensuite que, « suivant le renvoi de la moyenne du premier semestre sur le second »,

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ce dernier serait « validé également à 10/20 ». Elle a arrêté, en outre, que, sur toute l’année, aucune défaillance ne pourrait être constatée, et ce pour tous les étudiants de l’universite et, enfin, que « tous les stages participant à la diplomation seraient neutralisés dans toutes les composantes ». 18. En décidant ainsi la suppression des examens de rattrapage, la validation par une note moyenne de 10 des résultats du premier et du second semestre, que les élèves aient été ou non présents, et la neutralisation de tous les stages, de façon générale et indifférenciée, la CFVU a méconnu le principe de l’obligation d’un contrôle des connaissances et des aptitudes. 19. Il résulte de ce qui précède que la délibération du 16 avril 2020, dont les dispositions sont indivisibles, est entachée de violation de la loi et d’excès de pouvoir dans sa totalité. Par suite, le recteur est fondé à en demander l’annulation.

En ce qui concerne la délibération du 5 mai 2020 : S’agissant de la violation de la loi :

20. Aux termes de la dernière phrase de l’article 3 de cette délibération : « Si la moyenne d’une matière ou d’une UE est inférieure à 10, une dispense sera accordée à l’étudiant ». Le deuxième tiret de l’article 4 prévoit les mesures suivantes : « (...) Les enseignements dans lesquels l’équipe pédagogique juge qu’il n’y a pas eu de continuité pédagogique ou un contrôle continu jugé insuffisant et non représentatif feront l’objet d’une dispense. / Seules les notes supérieures à 10 obtenues par le biais de ces travaux seront intégrées à la note finale. Des dispenses devront être accordées pour les notes inférieures à 10/20. Les jurys sont autorisés, selon leurs prérogatives habituelles, à accorder des points supplémentaires pour répondre à la situation exceptionnelle. Les étudiants pourront demander à faire indiquer sur leur relevé de notes les moyennes obtenues dans les matières dispensées. Dans le cas où l’étudiant demande à ce que les notes dispensées figurent sur le relevé de notes officiel, la moyenne du semestre reste calculée à partir des notes supérieures à la moyenne, comme pour l’ensemble des étudiants. ». Enfin, aux termes de l’article 10-1 de la même délibération: « Les dispositions exposées dans les articles précédents s’appliquent aux étudiants en mobilité entrante. / De plus, du fait de l’éloignement géographique et du cas particulier de ces étudiants, la CFVU permet au jury de délivrer les ECTS correspondants à leur cursus effectué à Paris 1 à ces étudiants en mobilité entrante, afin qu’ils puissent s’inscrire pour la rentrée prochaine dans leur université d’origine, facilitant ainsi les échanges internationaux et ne bloquant pas le dossier d’un étranger d’une université externe dans son université d’accueil ». 21. En instaurant par les dispositions précitées un régime général de dispenses, que les résultats des élèves aient pu, ou non, être appréciés, la CFVU a méconnu le principe du contrôle des connaissances et des aptitudes et commis un excès de pouvoir. Elle a, en outre, privé ainsi les jurys d’exercer effectivement leur pouvoir d’appréciation et méconnu le principe d’égalité. Il en résulte que le recteur est fondé à demander l’annulation de ces dispositions.

S’agissant de la nécessité des mesures prévues :

22. L’article 1 de la délibération énonce à sa troisième et dernière phrase que (...) « Les examens en présentiels du semestre pair qui devaient se tenir du 5 mai au 20 mai 2020 sont annulés, les sessions en présentiel de rattrapage initialement prévues du 15 juin au 4 juillet 2020 sont également annulées, et toutes ces sessions ne sont pas reconductibles à une date ultérieure. ». Aux termes, par ailleurs, de l’article 2 de la même délibération du 5 mai 2020 : « Dans le cadre de la crise sanitaire du COVID 19, et des inégalités qu’elle révèle entre les étudiants de l’université, certains ne disposant pas ou de peu d’accès à internet, la CFVU statue sur l’impossibilité pour toutes les composantes et les enseignants de mettre en place des partiels ou des rattrapages en ligne en temps imparti et de façon synchronisée, que ceux-ci se fassent par écrit ou à l’oral.

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Quant aux partiels, la CFVU affirme que seuls des travaux pour lesquels l’étudiant dispose d’un délai de deux semaines minimum seront acceptés dans la note finale ». Aux termes de l’article 2 de la délibération du 5 mai 2020 : « Dans le cadre de la crise sanitaire du COVID 19, et des inégalités qu’elle révèle entre les étudiants de l’université, certains ne disposant pas ou de peu d’accès à internet, la CFVU statue sur l’impossibilité pour toutes les composantes et les enseignants de mettre en place des partiels ou des rattrapages en ligne en temps imparti et de façon synchronisée, que ceux-ci se fassent par écrit ou à l’oral. Quant aux partiels, la CFVU affirme que seuls des travaux pour lesquels l’étudiant dispose d’un délai de deux semaines minimum seront acceptés dans la note finale ». Enfin, en vertu du premier tiret de l’article 4, tous les examens terminaux sont supprimés et remplacés par des travaux à rendre dans un délai de deux semaines minimum, selon un calendrier qui fixe un délai de trois semaines à compter du 8 juin 2020, date de la fin de la première session du semestre pair pour les corrections. 23. Sans méconnaître les difficultés de l’organisation de l’enseignement et des examens à distance, au demeurant établies par une enquête réalisée à l’instigation de l’université, les mesures prises par cette dernière, qui présentent un caractère général et absolu et ne réservent aucune possibilité d’aménagement ou ne tiennent pas compte de la spécificité des différentes formations, n’apparaissent ni nécessaires ni proportionnées au sens des dispositions précitées de l’article 1er de l’ordonnance du 27 mars 2020. 24. Les dispositions de l’article 5, qui sont indissociables de celles des articles 1, 2 et 4, sont également entachées d’illégalité. 25. Il résulte de ce qui précède que le recteur est fondé à soutenir que les mesures contestées méconnaissent l’ordonnance du 27 mars 2020. Il est en conséquence fondé à en demander l’annulation.

S’agissant de la méconnaissance du principe d’égalité :

26. L’article 7 de la même délibération du 5 mai 2020 dispose qu’étant donné « la situation exceptionnelle que les étudiants et l’université Paris 1 ont rencontre, et rencontrent encore, tout au long de l’année scolaire 2019/2020 (grèves, pandémie, changements fréquents de calendrier), l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne décide d’adopter des mesures toutes aussi exceptionnelles en annulant les défaillances de tous ses étudiants afin de ne pas les plonger dans des difficultés - qui peuvent être financières pour les boursiers notamment - supplémentaires. Toute notion de « défaillance » sera supprimée et remplacée par une dispense de l’UE ou élément concerné ». 27. Par ces dispositions, qui suppriment toute notion de défaillance, pour tous les étudiants, de façon générale et absolue, sans ménager la possibilité d’une appréciation individuelle des situations, la CFVU a, en plus de méconnaître l’obligation du contrôle des connaissances et des aptitudes, méconnu le principe d’égalité. Le recteur est, par suite, fondé à en demander l’annulation. 28. Les autres dispositions de la délibération du 5 mai 2020, qui ne sont pas contraires à ce qui a été indiqué ci-dessus et qui ne sont, au demeurant ni explicitement ni implicitement contestées par le recteur, ne peuvent être regardées comme entachées d’illégalité. Par suite, le surplus des conclusions du recteur contre la délibération du 5 mai 2020 doit être rejeté.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

29. Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020: « Lorsque l'autorité compétente mentionnée au premier alinéa de l'article 2 est un organe collégial d'un établissement et qu'il peut délibérer dans des délais compatibles avec la continuité du service, cet organe collégial peut décider de déléguer au chef d'établissement sa compétence pour apporter les adaptations

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mentionnées au même article. / Lorsque cet organe collégial ne peut délibérer dans des délais compatibles avec la continuité du service, les adaptations mentionnées à cet article sont arrêtées par le chef d'établissement. Ce dernier en informe alors, par tout moyen et dans les meilleurs délais, l'organe collégial compétent ». 30. Il y a lieu de faire injonction au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne de prendre, dans le délai de huit jours à compter de la notification de présent jugement, les mesures nécessaires pour que soient arrêtées les adaptations aux modalités de délivrance des diplômes, notamment aux modalités de contrôle des connaissances, dans le respect des règles rappelées ci-dessus, le cas échéant, s’il s’y croit fondé, en faisant application des dispositions précitées du deuxième paragraphe de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020. D EC I D E : Article 1er : Les interventions de l’association Fédé Paris 1, de l’association le Poing Levé, de Mme A. et de l’Association Générale des Étudiants (AGE UNEF) de Paris, de Mme B., du SNESUP-FSU, de la CGT université Paris I, des collectifs enseignants administratifs élus enseignants, de l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne – CJES, de l’association Solidaires Etudiant-E-S Paris I, de M. C., de M. E. et de Mme F. sont admises. Article 2 : La délibération du 16 avril 2020 de la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne est annulée. Article 3 : Les dispositions de la dernière phrase de l’article 1, celles de l’article 2, de la dernière phrase de l’article 3, de l’article 4, à l’exception du dernier alinéa, de l’article 5, de l’article 7 et de l’article 10-1 de la délibération du 5 mai 2020 sont annulées. Article 4 : Il est fait injonction au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne, de prendre, dans le délai de huit jours à compter de la notification de présent jugement, les mesures nécessaires pour que soient arrêtées les adaptations aux modalités de délivrance des diplômes, notamment aux modalités de contrôle des connaissances, dans le respect des règles rappelées ci-dessus, le cas échéant, s’il s’y croit fondé, en faisant application des dispositions précitées du deuxième paragraphe de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020. Article 5 : Le surplus des conclusions du déféré est rejeté. Article 6 : Le présent jugement sera notifié au recteur de la région académique Île-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités de Paris, au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne, à l’association Fédé Paris 1, à l’association le Poing Levé, à Mme A. et à l’Association Générale des Étudiants (AGE UNEF) de Paris, à Mme B., au SNESUP-FSU, à la CGT université Paris I, aux collectifs enseignants administratifs, à l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne – CJES, à l’association Solidaires Etudiant-E-S Paris I, à M. C., à M. E., à Mme F. et à Mme D.

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Droit administratif – Les principes et le juge

Cours de M. Tourbe Documents de travaux dirigés

Séances n° 2 et 3 : La répartition des compétences juridictionnelles

� DOCUMENTS I. Généralités

• Document 1 : Conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sous CE, 6 février 1903, Terrier (extrait)

• Document 2 : Jean Rivero, « La question : “Existe-t-il un critère du droit administratif” est-elle toujours actuelle ? », 19881

• Document 3 : Cons. const., déc. n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, dite « Conseil de la concurrence » (extrait)

II. La délimitation de la compétence du juge judiciaire vis-à-vis de l’Administration

• Document 4 : CE, ord., 23 janvier 2013, Commune de Chirongui, n° 365262 • Document 5 : T. confl., 17 juin 2013, M. et Mme Bergoend c/ Société ERDF Annecy, n°

C3911, GAJA n° 111 • Document 6 : T. confl., 9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon c/ Commune de Saint-

Palais-sur-mer, n° C3931 • Document 7 : Cass., Civ. 1ère, 5 février 2020, n° 19-11864 • Document 8 : Cons. const., déc. n° 2019-807 QPC du 4 octobre 2019, M. Lamin

III. Répartition des compétences au sein de la juridiction administrative

• Document 9 : Tableau de Répartition des compétences au sein de la juridiction administrative2

1 Texte prononcé dans le cadre du séminaire polonais-français de droit administratif organisé par l’Institut de droit et de science administrative à Cracovie, reproduit in F. Mélin-Soucramanien et F. Melleray (dir.), Le professeur Jean Rivero ou la liberté en action, Dalloz, 2012, p. 67 et suiv. 2 Source : site du Conseil d’État.

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• Document 1 : Conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sous CE, 6 février 1903, Terrier (extrait)

Il demeure entendu qu’il faut réserver, pour les départements et les communes, comme pour l’État, les circonstances où l’administration doit être réputée agir dans les mêmes conditions qu’un simple particulier et se trouve soumise aux mêmes règles comme aux mêmes juridictions. Cette distinction entre ce qu’on a proposé d’appeler la gestion publique et la gestion privée peut se faire, soit à raison de la nature du service qui est en cause, soit à raison de l’acte qu’il s’agit d’apprécier. Le service peut, en effet, tout en intéressant une personne publique, ne concerner que la gestion de son domaine privé. On considère, dans ce cas, que la personne publique agit comme une personne privée, comme un propriétaire ordinaire, dans les conditions du droit commun. [...] D’autre part, il peut se faire que l’administration, tout en agissant, non comme personne privée, mais comme personne publique, dans l’intérêt d’un service public proprement dit, n’invoque pas le bénéfice de sa situation de personne publique, et se place volontairement dans les conditions d’un particulier. – soit en passant un de ces contrats de droit commun, d’un type nettement déterminé par le Code civil (location d’un immeuble, par exemple, pour y installer les bureaux d’une administration), qui ne suppose pas lui-même l’application d’aucune règle spéciale au fonctionnement des services publics, soit en effectuant une de ces opérations courantes, que les particuliers font journellement, qui supposent des rapports contractuels de droit commun et pour lesquelles l’administration est réputée entendre agir comme un simple particulier (commande verbale chez un fournisseur, salaire à un journalier, expéditions par chemin de fer aux tarifs du public, etc.).

• Document 2 : Jean Rivero, « La question : “Existe-t-il un critère du droit administratif” est-elle toujours actuelle ? », 1988

Il y a, à l’origine de la recherche d’un critère du droit administratif, une double démarche, l'une théorique et doctrinale, l'autre pragmatique et principalement jurisprudentielle, l'une et l'autre d'ailleurs étroitement liées. Cette liaison me paraît essentielle, et c'est elle, je le crois, qui a faussé les termes du problème. La démarche doctrinale, la réflexion théorique sur la spécificité de ce droit qui apparaissait, au début du XIXe siècle, comme un nouveau venu dans la classification des disciplines juridiques, s'imposait comme une nécessité. Certes, l'Ancien Régime avait appliqué à l'administration royale des règles qui lui étaient propres, et des travaux récents ne cessent de les mettre en lumière. Mais ces règles n'avaient jamais été systématisées. La distinction entre « les lois civiles », et le droit public est à la base du grand Traité que Domat a publié en 1777. Mais on n'y rencontre pas, dans la partie consacrée au droit public, la moindre référence à l'idée d'un droit propre à l'administration et à elle seule. Dès lors, l'émergence d'un droit administratif, qui s'affirme dès 1804 avec la création, à la Faculté de droit de Paris, d'une chaire consacrée à ce droit – chaire qui connaîtra, d'ailleurs, quelques vicissitudes jusqu'à la Restauration –, appelait nécessairement un effort de définition. Cette nécessité logique aurait pu conduire à rechercher, pour caractériser le droit administratif, une pluralité de signes propres à le différencier du droit des rapports entre particuliers. Mais un impératif pragmatique a orienté la recherche, tout au long du XIXe siècle et au-delà, vers l'unicité du critère. Il faut faire intervenir ici le phénomène majeur qu'a été, à partir de l'interdiction édictée par les lois révolutionnaires aux juridictions ordinaires de « troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs », le développement progressif de la juridiction administrative à partir de la création du Conseil d'État en l'an VIII. La dualité des juridictions appelait, de toute évidence, une stricte délimitation de leurs compétences respectives. Au fil de l'évolution, l'idée s'affirme que ce qui justifie la dualité des compétences, c'est moins la protection de l'administration et de ses agents contre les empiètements du juge ordinaire, atteintes au principe de

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la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, que la différence entre les droits applicables par les deux ordres. Lorsque l'administration emprunte les voies du droit privé, rien ne s'oppose à l'intervention du juge ordinaire. Mais lorsqu'elle s'écarte de ce « droit commun », et agit selon des règles qui y dérogent, alors, seul le juge administratif est compétent. La recherche théorique – quand une règle de droit est-elle « dérogatoire au droit commun » ? – s'oriente naturellement, puisque le fond du droit détermine à ce stade la compétence, vers la nécessité pratique du critère unique, propre, par sa simplicité, à guider le plaideur, et même le juge. Je n'entreprendrai pas ici de retracer le long conflit qui oppose, dans cette recherche, les tenants du critère tiré de la puissance publique, dont Hauriou, qui, dans un premier temps, avait penché vers le service public, privilégiant le but de l'action administrative sur ses moyens, était devenu le théoricien, et l'école du service public à laquelle reste attaché le nom de Léon Duguit. C'est à elle que, au début du siècle, la jurisprudence du Conseil d'État semble donner raison. On connaît la formule du commissaire du gouvernement Romieu en 1903 : « Tout ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement des services publics… soit que l'administration agisse par voie de contrat, soit qu'elle procède par voie d'autorité, constitue une opération administrative qui est par nature de la compétence administrative. » Tout paraît clair, alors : le droit administratif, c'est le droit des services publics, et toutes les règles qui font sa spécificité par rapport au droit privé s'expliquent par les nécessités du service public : la fin – le service public – prévaut sur les moyens – la puissance publique. Pourquoi, à partir des années 1950 de ce siècle, cette belle simplicité est-elle remise en question ? Deux raisons l'expliquent. La première tient à l'exception que le Conseil d'État, à la suite du président Romieu lui-même, avait apportée au critère. Lorsque l'administration, dans la gestion de ses services, a entendu se maintenir dans les conditions du droit privé, le juge judiciaire, dès lors qu'il est admis que la nature de la règle à appliquer détermine la juridiction à saisir, retrouve sa compétence. Il y a donc dissociation, au sein de l'action administrative, entre le service public et l'application du droit administratif. La référence au service public n'impose ni le recours exclusif à ce droit, ni la compétence de son juge, le service public peut s'accommoder du droit privé. Ce n'est, au début de ce siècle, qu'une exception, et l'exception n'entame pas la règle. Mais, et c'est la seconde raison de la remise en cause, l'évolution de la société, les besoins qu'elle fait surgir, multiplient les services publics que leur caractère industriel et commercial soumet dans la plus large mesure au droit qui régit les entreprises privées : l'exception prend, dans la pratique, une place comparable à celle de la règle. Dès lors, il n'est plus possible de maintenir l'équation entre service public et droit administratif. Le service public n'est plus, à lui seul, le critère de la compétence du juge. Il ne suffit pas à rendre compte de la spécificité du droit administratif, puisqu'il s'accommode tantôt de celui-ci, tantôt du droit commun. La remise en cause prend des formes multiples. Certains persévèrent dans la recherche du critère unique propre à relayer le critère défaillant du service public. Celui tiré des prérogatives de la puissance publique fait, avec le doyen Vedel, un retour en force. Marcel Waline, un moment, cherche dans le concept d'utilité publique le critère unificateur, quitte à reconnaître très vite que c'est encore l'utilité publique qui justifie le recours de l'administration au droit privé dans certaines hypothèses. D'autres auteurs abandonnent la recherche du critère unique. Conscients du paradoxe que constitue, pour le seul droit administratif, une recherche qui ne s'est imposée pour aucune autre discipline juridique, ils s'efforcent de dégager, non pas un critère unique, nécessaire et suffisant, mais un ensemble de traits propres à caractériser le droit administratif par rapport au droit commun, quitte à dissocier leur recherche de celle du critère de la compétence du juge administratif. Celui-ci, cependant, accepte mal la remise en cause de la notion qu'il a longtemps privilégiée. Une série de grands arrêts, à partir de 1956, s'attachent à revaloriser la notion de service public, approuvés par une partie de la doctrine. Mais la résurrection de ce « Lazare juridique » selon la formule du président Latournerie, comporte plus d'une nuance. Elle laisse de côté les services publics industriels et commerciaux, et restreint aux seuls services publics administratifs l'application du critère. D'autre part, lorsque le juge se trouve en présence d'un service public géré par une personne privée, et le cas est de plus en plus fréquent, il ne se

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reconnaît compétent que si l'acte qui lui est déféré met en œuvre une prérogative de puissance publique confiée à l'autorité privée. Ainsi se confirme l'impossibilité de rattacher à un seul critère, service public ou puissance publique, la définition du droit administratif… Certes, le vieux débat trouve encore quelques échos, même chez de jeunes auteurs. Mais on peut, en réponse à la question posée, conclure que la quête du critère unique, fondée sur la confusion – compréhensible, mais regrettable – des deux problèmes distincts de la compétence du juge et de la spécificité du droit, est aujourd'hui largement périmée.

• Document 3 : CC, déc. n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, dite « Conseil de la concurrence » (extrait)

- SUR LE TRANSFERT A LA JURIDICTION JUDICIAIRE DU CONTROLE DES DECISIONS DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE :

15. Considérant que les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III qui ont posé dans sa généralité le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires n'ont pas en elles-mêmes valeur constitutionnelle ; que, néanmoins, conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ;

16. Considérant cependant que, dans la mise en œuvre de ce principe, lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, il est loisible au législateur, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé ;

17. Considérant que, si le conseil de la concurrence, organisme administratif, est appelé à jouer un rôle important dans l'application de certaines règles relatives au droit de la concurrence, il n'en demeure pas moins que le juge pénal participe également à la répression des pratiques anticoncurrentielles sans préjudice de celle d'autres infractions intéressant le droit de la concurrence ; qu'à des titres divers le juge civil ou commercial est appelé à connaître d'actions en responsabilité ou en nullité fondées sur le droit de la concurrence ; que la loi présentement examinée tend à unifier sous l'autorité de la cour de cassation l'ensemble de ce contentieux spécifique et ainsi à éviter ou à supprimer des divergences qui pourraient apparaître dans l'application et dans l'interprétation du droit de la concurrence ;

18. Considérant dès lors que cet aménagement précis et limité des règles de compétence juridictionnelle, justifié par les nécessités d'une bonne administration de la justice, ne méconnaît pas le principe fondamental ci-dessus analysé tel qu'il est reconnu par les lois de la République ;

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• Document 4 : CE, référé, 23 janvier 2013, Commune de Chirongui, n° 365262 Vu la requête, enregistrée le 17 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la commune de Chirongui, représentée par son maire ; la commune demande au juge des référés du Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'ordonnance n° 1200743 du 29 décembre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint de faire cesser immédiatement les travaux qu'elle a entrepris sur la parcelle dont la propriété est revendiquée par Mme A...B...à Malamani ; [...] 1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ; 2. Considérant que Mme A...B...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne à la commune de Chirongui de faire cesser immédiatement les travaux entrepris sur une parcelle dont Mme B...estime être propriétaire dans le village de Malamani qui dépend de cette commune ; que, par l'ordonnance du 29 décembre 2012 dont la commune fait appel, le juge des référés a fait droit à cette demande ; [...]

Au fond : 5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B..., qui occupait une parcelle d'environ un hectare à Malamani, a demandé à la collectivité de Mayotte, devenue le Département de Mayotte, de reconnaître son droit de propriété sur cette parcelle, dans le cadre des opérations de régularisation foncière entreprises par cette collectivité, où il n'existait pas de cadastre ; que la commission du patrimoine et du foncier du conseil général a rendu, le 25 juin 2010, un avis favorable à cette reconnaissance, au vu de l'avis également favorable de la commune de Chirongui sur le territoire de laquelle se situe cette parcelle ; que, le même jour, le président du conseil général a requis du conservateur de la propriété foncière l'immatriculation de cette parcelle, référencée AR 50136, qui jusque-là était réputée appartenir au domaine privé de la collectivité de Mayotte, en précisant qu'après immatriculation elle serait mutée au nom de Mme B..., désormais propriétaire au terme de la procédure de régularisation foncière ; que cette régularisation a été approuvée par délibération de la commission permanente du 22 novembre 2010 ; que toutefois la commune de Chirongui a entrepris des travaux sur ce terrain, au mois de novembre 2012, en vue de réaliser un lotissement à caractère social ; que les premiers travaux ont notamment consisté à supprimer la végétation qui le recouvrait ; 6. Considérant que, sous réserve que la condition d'urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait ; 7. Considérant, en premier lieu, que la commune se prévaut, pour justifier sa décision d'engager les travaux litigieux sur ce terrain, d'une délibération du 10 mai 2012 par laquelle la commission permanente du conseil général a décidé de lui céder des parcelles appartenant au Département en vue de permettre la réalisation de ce lotissement ; qu'il est cependant constant, d'une part, que la parcelle AR 50136 ne figure pas parmi celles dont la cession est ainsi prévue à l'article 3 de cette délibération ; que, d'autre part, après avoir rappelé que " le conseil général considère comme propriétaire à part entière " les personnes qui, comme Mme B..., ont bénéficié de l'opération de

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régularisation foncière, l'article 8 de la même délibération dispose que " ces personnes doivent automatiquement bénéficier de lot(s) dans le lotissement ... en fonction de la valeur et de la superficie de leurs parcelles concernées par le projet " : que toutefois une telle mention ne saurait autoriser la commune de Chirongui, faute d'accord de Mme B...à l'échange ainsi prévu, à entreprendre des travaux sur cette parcelle ; que la circonstance, invoquée par la commune, qu'elle a fait opposition au bornage de la parcelle en cause ne saurait lui conférer un titre l'autorisant à y réaliser des travaux sans l'accord de l'intéressée ; 8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le premier juge a estimé que la commune de Chirongui avait porté au droit de propriété de Mme B... une atteinte grave et manifestement illégale ; 9. Considérant, en second lieu, que, dans le dernier état de ses conclusions, telles qu'elles ont été précisées à l'audience, la commune ne conteste pas que la condition particulière d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ; 10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou a fait droit à la demande de Mme B... ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à Mme B... d'une somme de 2 000 euros en application de ces mêmes dispositions ; O R D O N N E : Article 1er : La requête de la commune de Chirongui est rejetée. [...]

• Document 5 : T. confl., 17 juin 2013, M. et Mme Bergoend c/ Société ERDF Annecy, n° C3911

Vu, enregistrée à son secrétariat le 15 février 2013, l'expédition de l'arrêt du 6 février 2013 par lequel la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé par M. A...B...contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2011 par la cour d'appel de Chambéry dans le litige l'opposant à la société ERDF Annecy Léman, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence ; Vu, enregistré le 14 mars 2013, le mémoire présenté pour M. B...tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par les motifs que le juge judiciaire est compétent pour ordonner le déplacement d'un poteau électrique implantée sans titre sur une propriété privée, même en l'absence de voie de fait, en application de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, et que, en l'espèce, la société ERDF a commis une voie de fait, aucune prescription acquisitive n'étant applicable et lui-même n'ayant donné aucun accord en bonne et due forme à l'implantation litigieuse ; Vu, enregistré le 18 mars 2013, le mémoire présenté pour la société ERDF Annecy Léman tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, aucune voie de fait ne pouvant être caractérisée, faute pour les propriétaires successifs du terrain d'implantation d'avoir jamais contesté l'implantation de l'ouvrage public litigieux ; Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui n'a pas produit d'observations ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ; Vu la loi du 24 mai 1872 ;

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Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié et, notamment, ses articles 35 et suivants ; Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 66 ; Vu la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et, notamment, son article 12 ; Vu le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 ; [...] Considérant que M. B...est devenu propriétaire le 15 juin 1990 d'une parcelle sur laquelle Electricité de France, aux droits de laquelle vient la société ERDF Annecy Léman, avait implanté un poteau en 1983, sans se conformer à la procédure prévue par le décret du 11 juin 1970 pris pour l'application de l'article 35 modifié de la loi du 8 avril 1946, ni conclure une convention avec le propriétaire du terrain ; que, par acte du 24 août 2009, il a fait assigner la société ERDF devant le tribunal de grande instance de Bonneville, afin que soit ordonné le déplacement du poteau litigieux, sous astreinte, aux frais de la société ; que, par un jugement du 21 janvier 2011, le tribunal de grande instance a décliné sa compétence ; qu'en appel, la cour d'appel de Chambéry, par un arrêt du 6 octobre 2011, a également jugé que la juridiction judiciaire était incompétente pour connaître du litige engagé par M.B... ; que, saisie par l'intéressé d'un pourvoi contre cet arrêt, la Cour de cassation a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 35 du décret du 26 octobre 1849, le soin de décider sur la question de compétence ; Considérant qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration ; Considérant qu'un poteau électrique, qui est directement affecté au service public de la distribution d'électricité dont la société ERDF est chargée, a le caractère d'un ouvrage public ; que des conclusions tendant à ce que soit ordonné le déplacement ou la suppression d'un tel ouvrage relèvent par nature de la compétence du juge administratif, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ; que l'implantation, même sans titre, d'un tel ouvrage public de distribution d'électricité, qui, ainsi qu'il a été dit, ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose la société chargée du service public, n'aboutit pas, en outre, à l'extinction d'un droit de propriété ; que, dès lors, elle ne saurait être qualifiée de voie de fait ; qu'il suit de là que les conclusions tendant à ce que soit ordonné le déplacement du poteau électrique irrégulièrement implanté sur le terrain de M. B...relèvent de la juridiction administrative ; D E C I D E : Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant M. B... à la société ERDF Annecy Léman. [...]

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• Document 6 : T. confl., 9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon c/ Commune de Saint-Palais-sur-mer, n° C3931

Vu l'expédition du jugement du 27 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, saisi par M. et Mme X... d'une demande de condamnation de la commune de Saint-Palais-sur-Mer à réparer le préjudice résultant de l'occupation, par cette collectivité, d'une parcelle leur appartenant, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'ordonnance du 19 mai 2010 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Saintes a décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la demande de M. et Mme X... ;

[...]

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Arrighi de Casanova, membre du Tribunal,

- les observations de la SCP Odent-Poulet pour la commune de Saint-Palais-sur-Mer,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Batut, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par une convention conclue le 16 décembre 2002, M. et Mme X... ont mis à disposition de la commune de Saint-Palais-sur-Mer une parcelle de terrain leur appartenant, pour une durée de quatre ans, afin de lui permettre d'y aménager une aire de sport ; que la commune s'est cependant maintenue dans les lieux après l'expiration de cette convention ; que, par délibérations de son conseil municipal des 15 mai 2008 et 28 janvier 2009, la commune a entendu prolonger la convention initiale, ce que M. et Mme X... n'ont pas accepté ; que ces derniers ont assigné la commune devant le tribunal de grande instance de Saintes, en invoquant l'existence d'une voie de fait, en vue d'obtenir l'expulsion de la commune ainsi que l'indemnisation de leur préjudice ; que, par une ordonnance du 19 mai 2010, le juge de la mise en état de ce tribunal a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la commune au profit de la juridiction administrative ; que les requérants ont alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de la décision tacite par laquelle le maire de Saint-Palais-sur-Mer avait rejeté leur demande de restitution de leur terrain, à ce qu'il soit enjoint à la commune de le leur restituer sous astreinte, ainsi qu'à la condamnation de cette collectivité à réparer le préjudice résultant de l'occupation illégale de leur terrain ; que, si le tribunal administratif a fait droit à leurs conclusions sur les deux premiers points, il a, sur le troisième, estimé être en présence d'une emprise irrégulière et en a déduit que les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice correspondant relevaient de la compétence de l'autorité judiciaire ;

[...]

Sur la compétence :

Considérant que, sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs

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services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative ; que cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle ; que, dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété ;

Considérant que, si l'occupation de la parcelle de terrain appartenant à M. et Mme X... par la commune de Saint-Palais-sur-Mer a porté atteinte au libre exercice de leur droit de propriété sur ce bien, elle n'a pas eu pour effet de les en déposséder définitivement ; qu'il résulte de ce qui précède que le tribunal administratif, compétent pour se prononcer sur la décision du maire refusant de libérer cette parcelle et pour enjoindre à la commune d'y procéder, l'est également pour statuer sur leurs conclusions tendant à l'indemnisation des conséquences dommageables de cette occupation irrégulière ;

D E C I D E :

Article 1er : La juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître des conclusions de M. et Mme X... tendant à la réparation du préjudice résultant de l'occupation, par la commune de Saint-Palais-sur-Mer, d'une parcelle leur appartenant.

[...]

• Document 7 : Cass., Civ. 1ère, 5 février 2020, n° 19-11864

1°/ Mme D... P..., épouse T..., 2°/ M. W... T..., domiciliés tous deux [...], ont formé le pourvoi n° P 19-11.864 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2019, rectifié par arrêt du 5 février 2019, par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la commune de Sailly-Laurette, représentée par son maire en exercice, domicilié [...], défenderesse à la cassation. […] Faits et procédure 1. Selon les arrêts attaqués (Amiens, 15 janvier et 5 février 2019), M. et Mme T... sont propriétaires, sur le territoire de la commune de Sailly-Laurette (la commune), d'une parcelle qui était clôturée par une haie végétale d'une longueur de trente-sept mètres, située en bordure d'une route départementale. Après les avoir informés que des véhicules avaient été endommagés du fait de la présence de cette haie, la commune a fait procéder, le 5 juillet 2014, à son arrachage sur toute sa longueur. 2. Soutenant n'avoir donné leur accord que pour un arrachage sur une longueur de quinze mètres, et sous réserve d'une participation financière de la commune à l'achat des matériaux nécessaires à la construction d'un mur, M. et Mme T... ont obtenu en référé la désignation d'un expert, puis, invoquant l'existence d'une voie de fait ou d'une emprise irrégulière, ont saisi la juridiction judiciaire aux fins de réparation de leurs préjudices. La commune a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

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Examen du moyen Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche Enoncé du moyen 3. M. et Mme T... font grief à l'arrêt du 15 janvier 2019 de rejeter leur demande, alors « que la voie de fait ne peut être écartée en raison d'un accord entre la personne publique et les propriétaires sur l'opération portant extinction du droit de propriété de ces derniers que si cet accord est certain ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. et Mme T... avaient donné leur accord à l'opération d'arrachage de leur haie sans rechercher si, comme elle y était invitée et comme il ressortait du rapport de l'expert, M. et Mme T... n'avaient pas donné leur accord pour l'arrachage de la haie sur une longueur de quinze mètres, de sorte que la mairie, en procédant à un arrachage sur une longueur de trente-sept mètres, avait outrepassé l'autorisation qui lui avait été donnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 1134 devenu 1103 du code civil. » Réponse de la Cour Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : 4. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, l'accord du propriétaire exclut l'existence d'une voie de fait ou d'une emprise irrégulière, à moins que l'action de l'administration n'ait excédé substantiellement les limites prévues par cet accord. 5. Pour rejeter la demande en réparation du préjudice résultant de la destruction de la haie litigieuse, l'arrêt retient qu'il ressort des déclarations faites par M. T... au cours de la mesure d'expertise que les arbres ont été arrachés en sa présence et avec son accord et que, dès lors, la compétence du juge judiciaire est exclue. 6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en procédant à l'arrachage de la haie sur toute sa longueur, la commune n'avait pas outrepassé l'autorisation qui lui avait été accordée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. Et sur la quatrième branche du moyen Enoncé du moyen 7. M. et Mme T... font le même grief à l'arrêt du 15 janvier 2019, alors « que l'arrachage par une commune sur le terrain d'une personne privée d'arbres appartenant à cette dernière avec l'édification d'un mur à la place de ces arbres conduit à l'extinction du droit de propriété de la personne privée sur ces arbres ; qu'en l'espèce, le tribunal de grande instance a jugé que l'opération d'arrachage de la haie, si elle constituait une atteinte au droit de propriété de M. et Mme T..., n'avait pas pour effet d'éteindre ce droit ; qu'en statuant par ce motif présumé adopté, quand l'opération d'arrachage des arbres, racines comprises, avait conduit à ce que M. et Mme T... soient définitivement dépossédés de leur droit de propriété sur les arbres arrachés, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 544 du code civil. » Réponse de la Cour Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article 544 du code civil : 8. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de

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conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété. 9. Pour statuer comme il a été dit, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que, si elle constitue une atteinte au droit de propriété de M. et Mme T..., l'intervention de la commune n'a pas eu pour effet d'éteindre ce droit. 10. En statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la commune avait procédé à l'arrachage de la haie, constituée d'arbres, sur toute sa longueur, et causé ainsi l'extinction du droit de propriété de M. et Mme T... sur ces végétaux, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Portée et conséquences de la cassation 11. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 15 janvier 2019 entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 5 février 2019, qui l'a rectifié. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour : CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus les 15 janvier et 5 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ; […]

• Document 8 : Cons. const., déc. n° 2019-807 QPC du 4 octobre 2019, M. Lamin

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juillet 2019 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 778 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Lamin J. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-807 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Au vu des textes suivants :

• la Constitution ; • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil

constitutionnel ; • le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; • la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile

européen ; • l'arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2019 (première chambre civile, n° 18-13.908) ; • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel

pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

• les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 2 août 2019 ;

• les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ; • les observations en intervention présentées pour l'association Cimade par la SCP Spinosi

et Sureau, enregistrées le même jour ; • les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau,

enregistrées le 19 août 2019 ; • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

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Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant et la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 septembre 2019 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant de la loi du 20 mars 2018 mentionnée ci-dessus.

2. L'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans cette rédaction, prévoit :« Lorsqu'un étranger placé en rétention en application de l'article L. 551-1 présente une demande d'asile, l'autorité administrative peut procéder pendant la rétention à la détermination de l'État membre responsable de l'examen de cette demande conformément à l'article L. 742-1 et, le cas échéant, à l'exécution d'office du transfert dans les conditions prévues à l'article L. 742-5. Si la France est l'État membre responsable de l'examen de cette demande et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, elle peut prendre une décision de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ. Cette décision de maintien en rétention n'affecte ni le contrôle du juge des libertés et de la détention exercé sur la décision de placement en rétention en application de l'article L. 512-1 ni sa compétence pour examiner la prolongation de la rétention en application du chapitre II du titre V du livre V. La décision de maintien en rétention est écrite et motivée. À défaut d'une telle décision, il est immédiatement mis fin à la rétention et l'autorité administrative compétente délivre à l'intéressé l'attestation mentionnée à l'article L. 741-1. « L'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de maintien en rétention dans les quarante-huit heures suivant sa notification pour contester les motifs retenus par l'autorité administrative pour estimer que sa demande d'asile a été présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement. Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue après la notification de la décision de l'office relative au demandeur, dans un délai qui ne peut excéder soixante-douze heures, dans les conditions prévues au III de l'article L. 512-1 du présent code. « Si, saisi dès le placement en rétention de l'étranger en application du même article L. 512-1, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin n'a pas encore statué sur ce premier recours, il statue sur les deux requêtes par une seule décision. « En cas d'annulation de la décision de maintien en rétention, il est immédiatement mis fin à la rétention et l'autorité administrative compétente délivre à l'intéressé l'attestation mentionnée à l'article L. 741-1. L'article L. 561-1 est applicable. « À l'exception des cas mentionnés aux 4 ° et 5 ° de l'article L. 743-2, la mesure d'éloignement ne peut être mise à exécution avant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ait rendu sa décision ou, en cas de saisine du président du tribunal administratif, avant que ce dernier ou le magistrat désigné à cette fin ait statué. « La demande d'asile est examinée selon la procédure accélérée prévue à l'article L. 723-2. L'office statue dans les conditions prévues aux articles L. 723-2 à L. 723-16 dans un délai de quatre-vingt-seize heures. Il tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile. « Il est mis fin à la rétention si l'office considère qu'il ne peut examiner la demande selon la procédure prévue à l'article L. 723-2 ou s'il reconnaît à l'étranger la qualité de réfugié ou lui

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accorde le bénéfice de la protection subsidiaire. « Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. Il précise les modalités de prise en compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile et, le cas échéant, de ses besoins particuliers ».

3. Le requérant, rejoint par la partie intervenante, soutient que ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, priveraient le juge judiciaire de son rôle de gardien de la liberté individuelle en donnant compétence exclusive au juge administratif pour apprécier la légalité des décisions de maintien en rétention prises à la suite d'une demande d'asile formée par un étranger retenu. Il en résulterait une méconnaissance de l'article 66 de la Constitution. Le requérant et la partie intervenante font également valoir que le droit à un recours juridictionnel effectif serait méconnu en raison de l'insuffisance des voies de recours contre la décision de maintien en rétention et de la complexité résultant du partage de compétence entre les juridictions administratives et judiciaires dans le contrôle de la rétention.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution :

5. Aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter.

6. Conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle.

7. L'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que, lorsqu'un étranger a été placé en rétention en vue de l'exécution d'une mesure d'éloignement et qu'il formule ensuite une demande d'asile qui doit être examinée par la France, l'autorité administrative peut le maintenir en rétention pendant le temps nécessaire à l'examen de cette demande si elle l'estime présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement. À défaut de décision de maintien, il est mis fin à la rétention de l'étranger. Les dispositions contestées prévoient que la décision de maintien en rétention peut faire l'objet d'un recours devant le président du tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures.

8. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, dans ce cas, le juge judiciaire est incompétent pour connaître, à l'occasion de son contrôle de la rétention administrative, de toute contestation portant sur la légalité de l'arrêté de maintien en rétention.

9. En premier lieu, le dépôt de la demande d'asile qui, en application des articles L. 741-1 et L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, donne droit à la délivrance d'une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour est de nature à mettre fin à la procédure d'éloignement et donc à la rétention. Ainsi, alors même qu'elle a pour effet de laisser perdurer une mesure privative de liberté, la décision par laquelle l'autorité administrative décide de maintenir en rétention un étranger au motif que sa demande d'asile a été présentée dans

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le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement constitue une décision relative au séjour des étrangers. Or, l'annulation ou la réformation d'une décision relative à une telle matière, prise dans l'exercice de prérogative de puissance publique par une autorité administrative, relève, en application du principe fondamental mentionné ci-dessus, de la compétence de la juridiction administrative.

10. En deuxième lieu, d'une part, le premier alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la décision de maintien en rétention n'affecte ni le contrôle du juge des libertés et de la détention exercé sur la décision de placement en rétention ni sa compétence pour examiner la prolongation de la rétention. D'autre part, les dispositions contestées ne privent pas le juge judiciaire de la faculté d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient et pour tout autre motif que celui tiré de l'illégalité des décisions relatives au séjour et à l'éloignement de l'étranger qui relèvent de la compétence du juge administratif.

11. En dernier lieu, si le législateur peut, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé, il n'est pas tenu de le faire.

12. Dès lors, le législateur n'a pas méconnu l'article 66 de la Constitution.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :

13. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

14. D'une part, l'étranger qui a demandé l'asile postérieurement à son placement en rétention peut déférer au juge administratif la décision de maintien en rétention. Lorsqu'aucune décision de maintien n'a été prise et qu'il n'a pourtant pas été procédé à sa libération, il peut saisir le juge administratif d'un référé-liberté afin qu'il soit enjoint à l'administration de se prononcer sur sa situation. D'autre part, il ne saurait résulter de la seule répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Dès lors, le grief tiré d'une méconnaissance de ce droit doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. […]

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• Document 9 : Tableau de répartition des compétences au sein de la juridiction administrative

Types de contentieux 1er Ressort

Appel Cassation

Contentieux ordinaire

Tous les litiges administratifs, sauf les contentieux énumérés dans les rubriques suivantes du tableau TA CAA Conseil d'État

Litiges relatifs au rejet des demandes de visa d'entrée sur le territoire de la République française relevant des autorités consulaires

TA de Nantes

CAA de Nantes

Conseil d'État

Elections municipales et cantonales TA Conseil d'État

-

Questions préjudicielles en appréciation de la légalité ou en interprétation d'actes relevant de la compétence des TA en premier ressort.

TA Conseil d'État

-

Décisions prises par la Commission nationale d'aménagement commercial (article L. 752-17 du code de commerce) et décisions prises par la Commission nationale d'aménagement cinématographique (article L.212-10-3 du code du cinéma et de l'image animée)

CAA Conseil d'État

Recours dirigés contre : - les arrêtés du ministre chargé du travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs ; - les décisions prises par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, à l'exception de celles concernant les services de télévision à vocation nationale ; - les décisions du ministre chargé de la culture relatives à la délivrance ou au refus de délivrance du visa d'exploitation cinématographique aux œuvres ou documents cinématographiques ou audiovisuels destinés à une représentation cinématographiques

CAA Paris

Conseil d'État

Litiges portant sur les décisions relatives : - aux installations de production d'énergie renouvelable en mer et leurs ouvrages connexes ; - aux ouvrages des réseaux publics d'électricité dont au moins une partie est située en mer, jusques et y compris aux premiers postes de raccordement à terre ; - aux infrastructures portuaires rendues nécessaires pour la construction, le stockage et le pré-assemblage des installations de production d'énergie renouvelable en mer ainsi qu'aux opérations de transport et de dragage connexes

CAA Nantes

Conseil d'État

Recours dirigés contre : - les décrets ; - les actes réglementaires des ministres ; - les décisions prises par les organes de certaines autorités au titre de leur mission de contrôle ou de régulation - les décisions ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques

Conseil d'État

- Contentieux relatif au recrutement et à la discipline des fonctionnaires nommés par décret du président de la République - Contentieux des élections régionales et européennes - Les actions en responsabilité dirigées contre l’État pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative - Recours en interprétation et recours en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d'État - Requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement, pour certains traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté de l'État

Conseil d'État

- -

Litiges visés à l'article R.222-13 du code de la justice administrative, dont contentieux relatifs à - situation individuelle des fonctionnaires - pensions, aide personnalisée au logement - redevance audiovisuelle - permis de conduire - etc...

TA Conseil d'État

Contentieux spécialisé

Contentieux du stationnement payant JAS

Conseil d'État

- Contentieux de l'asile - Juridictions financières (chambres régionales des comptes, cour des comptes) - Ordres professionnels statuant en matière disciplinaire, - Juridictions de l'aide sociale (jusqu'au 1er janvier 2018), - Contentieux des pensions, militaire, d'invalidité etc.

JAS JAS Conseil d'État

JAS : juridictions administratives spécialisées