3
BELGIQUE É CONO M IE 48 I 17 AVRIL 2009 I WWW.LEVIF.BE A vec son tissu de petites entre- prises, son atmosphère fes- tive et bon enfant, sa vivacité culturelle, sa taille, Liège avait les attri- buts pour devenir un petit Barcelone. Mais aujourd’hui, ce n’est que Liège-sur-Meuse. Cité hybride. Côté face, une pépinière de PME inventives ; le siège d’une université ré- putée dans quelques do- maines spécifiques, d’une splendide école d’architec- ture et de dizaines d’autres instituts supérieurs; l’hôte du troisième port fluvial d’Eu- rope et d’un aéroport de fret ; vivier de talents musicaux, picturaux et vitrine, par en- droits, des vestiges remar- quables de la Renaissance mosane... Côté pile, on trouve une économie lacérée par la crise, fragile, des quartiers dé- labrés et hétéroclites dès que l’on quitte le cœur de la ville, une démographie en chute libre. Le taux de chômage est l’un des plus élevés du pays. En 1977, Liège était la sixième ville la plus riche de Belgique. En 2000, la valeureuse gît à la 71 e place (...) En trente ans, la ville de Liège a perdu 30 % de sa population. Au dernier re- censement, la ville comptait 185000 âmes. Le débit des années n’effraie pas la Cité ardente. Elle l’a prouvé par le passé. Le cra- tère de la place Saint-Lam- bert fut pendant vingt ans l’icône de la lenteur. Ce chan- tier escargot est loin d’être le seul en bord de Meuse. Les exemples abondent. Le pou- voir politique principautaire souffre de plusieurs carences: un manque de leadership, un manque de vision à long terme et un manque de sens Liège qui rit, Liège qui pleure Liège qui rit, Liège qui pleure « La plus belle gare d’Europe » qui sera inau- gurée cette année sera-t-elle le symbole d’une renaissance ? Comment Liège se dépêtre entre son glorieux passé et ses projets d’avenir. Le s e cond déclin d e la Walloni e E n sortir Au printemps 2007, Jean- Yves Huwart publiait Le Se- cond Déclin de la Wallonie – En sortir, aux éditions Ra- cine. Un constat lucide sur la gestion des affaires po- litiques et économiques en Région wallonne au cours des vingt dernières années. Nous reprenons ici les ex- traits de deux chapitres. Le premier consacré à Liège : « Liège qui rit et Liège qui pl eure ». Le deuxième : « Hainaut : l e sinistre ». Deux ans après la parution du livre, les choses ont-elles changé ? A 60 jours du pro- chain scrutin régional, l’au- teur analyse la situation à l’aune des derniers événe- ments. Cette semaine, nous commençons avec Liège. Ancien journaliste de Trends- Tendances, Jean-Yves Huwart est le fondateur du think tank www.entrepriseglobale.biz, qui s’intéresse aux changements en cours dans l’économie du XXI e siècle, tournée davantage vers l’innovation, la collabo- ration et la mise en réseau. BELGA

UN article parmi d'autres Liège qui rit, Liège qui pleure dans Le Vif du 17 avril 09

Embed Size (px)

DESCRIPTION

 

Citation preview

Page 1: UN article parmi d'autres Liège qui rit, Liège qui pleure dans Le Vif du 17 avril 09

BELGIQUEÉ C O N O M I E

48 I 17 AVRIL 2009 I WWW.LEVIF.BE

Avec son tissu depetites entre-p r i s e s , s o n atmosphère fes-t iv e e t b on

enfant, sa vivacité culturelle,sa taille, Liège avait les attri-buts pour devenir un petitBarcelone. Mais aujourd’hui,ce n’est que Liège-sur-Meuse.Cité hybride. Côté face, unepépinière de PME inventives;le siège d’une université ré-putée dans quelques do-maines spécifiques, d’unesplendide école d’architec-ture et de dizaines d’autresinstituts supérieurs; l’hôte dutroisième port fluvial d’Eu-rope et d’un aéroport de fret;vivier de talents musicaux,picturaux et vitrine, par en-droits, des vestiges remar-quables de la Renaissancemosane... Côté pile, on trouveune économie lacérée par lacrise, fragile, des quartiers dé-

labrés et hétéroclites dès quel’on quitte le cœur de la ville,une démographie en chutelibre. Le taux de chômage estl’un des plus élevés du pays. En 1977, Liège était la sixièmeville la plus riche de Belgique.En 2000, la valeureuse gît à la71e place (...) En trente ans, laville de Liège a perdu 30% desa population. Au dernier re-censement, la ville comptait185000 âmes.

Le débit des années n’effraiepas la Cité ardente. Elle l’aprouvé par le passé. Le cra-tère de la place Saint-Lam-bert fut pendant vingt ansl’icône de la lenteur. Ce chan-tier escargot est loin d’être leseul en bord de Meuse. Lesexemples abondent. Le pou-voir politique principautairesouffre de plusieurs carences:un manque de leadership, unmanque de vision à longterme et un manque de sens

Liège qui rit, Liège qui pleureLiège qui rit, Liège qui pleure

« La plus belle gare d’Europe » qui sera inau-

gurée cette année sera-t-elle le symbole d’une

renaissance ? Comment Liège se dépêtre

entre son glorieux passé et ses projets d’avenir.

Le second déclin de la Wallonie – En sortir

Au printemps 2007, Jean-Yves Huwart publiait Le Se-cond Déclin de la Wallonie– En sortir, aux éditions Ra-cine. Un constat lucide surla gestion des affaires po-litiques et économiques enRégion wallonne au coursdes vingt dernières années.Nous reprenons ici les ex-traits de deux chapitres. Lepremier consacré à Liège :« Liège qui rit et Liège quipleure ». Le deuxième :« Hainaut : le sinistre ».Deux ans après la parution

du livre, les choses ont-elleschangé ? A 60 jours du pro-chain scrutin régional, l’au-teur analyse la situation àl’aune des derniers événe-ments. Cette semaine, nouscommençons avec Liège. ■

Ancien journaliste de Trends-Tendances, Jean-Yves Huwartest le fondateur du think tankwww.entrepriseglobale.biz, quis’intéresse aux changementsen cours dans l’économie duXXIe siècle, tournée davantagevers l’innovation, la collabo-ration et la mise en réseau.

BEL

GA

Page 2: UN article parmi d'autres Liège qui rit, Liège qui pleure dans Le Vif du 17 avril 09

WWW.LEVIF.BE I 17 AVRIL 2009 I 49

de l’efficacité économique. « Nous voulons réanimer levieux site de Bavière, où lesbâtiments ont été rasés. (...)Le quartier de la gare desGuillemins est un bon exem-ple d’une synergie possibleentre les institutionnels ré-gionaux et européens, laSNCB, la Ville et les parte-naires privés. C’est à nousqu’il appartient d’établir unschéma d’aménagement per-mettant aux promoteurs pri-vés de monter des projets au-tour de la gare qui accueilleraun jour le train à grande vi-tesse. » Les auteurs de cespropos? Les bourgmestre etpremier échevin de la Villede Liège... en 1995. Douze ansplus tard, rien n’a vu le jour.

Le destin repris en mainEn 1993, la SNCB a offert

un beau cadeau à la ville mo-sane (...) D’emblée, la ville sepaie l’un des plus célèbresarchitectes du monde, San-tiago Calatrava (...) Aprèsquinze ans de patience, onaurait pu s’attendre à ce queLiège ait tout apprêté pouraccueillir au mieux cet ines-péré présent. Il n’en est rien.Le quartier des Guilleminsprésente un visage ravagé (...)Dès lors, la « plus belle gared’Europe » trônera jusqu’en

2010 ou 2011 au milieu duplus grand chancre du conti-nent.

La mise en route du pro-jet Grand Curtius remonteau début des années no-nante. Le projet a battu unnouveau record de lenteur.Après quinze années de tra-vaux (...) le Grand Curtius aexplosé le budget prévu. Lesautorités liégeoises rêvaientde répéter le coup de Bilbaoet de son célèbre musée Gug-genheim (...) De 300000 uni-tés espérées initialement,l’objectif annuel de visiteursa été revu à 100 000 par an.(...) Comme le dit un profes-seur d’histoire de l’Univer-sité de Liège, dans la Cité ar-dente, personne n’a lepouvoir de mener des ac-tions mobilisatrices degrande ampleur, mais cha-cun a assez de pouvoir pourjeter les clous sous les rouesdes autres.

Ce n’est pourtant pas fautede tentatives pour repren-dre le destin liégeois en main.Le redressement éco-nomique de la région peu-ple les discours depuis vingtans (...) Pour donner le sen-timent d’agir, les responsa-bles politiques ont multipliéles initiatives et les ASBL deréflexion. Mais chacun la

sienne: « Le Grand Liège »,« L’Avenir du pays de Liège »,« Liège Demain », « Liège2000 », « Le Groupement deredéploiement économiquepour le pays de Liège(GRE) », et d’autres (...) Lescogitations en chambre etles banquets du microcosmeliégeois ont fait vivre les trai-teurs de la région, ainsi qu’unpetit régiment de conseillers,de secrétaires et de web-masters, rémunérés par lecontribuable. Elles n’ont ja-mais déterré la pierre philo-sophale de la relance éco-nomique liégeoise (...).

Quand Liège s’enlise, la Wallonie dévale

« Ce qui m’a frappé, c’estde voir à quel point les Lié-geois cherchent à se dé-douaner : c’est de la faute dela mondialisation, du pé-trole, de Cockerill, etc. Cettepropension à chercher desboucs émissaires est dange-reuse et grave car, confron-tés au même environnementextérieur, je constate quecertains territoires se déve-loppent alors que d’autresplongent », commentaitHugues de Jouvene, célèbreexpert français en prospec-tive, invité à analyser la si-tuation économique de la ré-

gion liégeoise et à formulerdes pistes pour le futur, lorsde la sortie du rapport Liège2020.

Certains indices laissentà penser que le sursaut s’estproduit dans les têtes. C’estle cas à l’Université de Liège.L’ULg est l’université belgefrancophone la plus dyna-mique en termes de créationde spin off (...) La fusion àLiège entre la faculté d’éco-nomie de l’ULg et les HEC(hautes études commer-ciales) est également unepremière très prometteuse.L’élan et la volonté d’avan-cer sont donc présents. Onreste néanmoins dubitatifdevant l’ankylose qui carac-térise toujours la conduitedes grands dossiers liégeois.Celle-ci n’est pas sans rap-peler les années septante.Tout reste trop lent.

La Cité ardente a au-jourd’hui besoin d’un planMarshall dans le plan Mar-shall. À nouveau, certainesfigures de proue liégeoisespromettent le redressementde l’économie liégeoise pourla prochaine décennie... Es-pérons qu’elles aient cettefois raison. Car quand Lièges’enlise, la Wallonie dévale.

● Y.H.

>>>

Le célèbre architecte Santiago Calatrava (ci-dessus) a conçu « la plus belle gare d’Europe ».Mais autour, le quartier des Guillemins esttoujours ravagé. La place Saint-Lambert (àdroite), symptomatique de la lenteur liégeoise.

BELGA BELGA

Page 3: UN article parmi d'autres Liège qui rit, Liège qui pleure dans Le Vif du 17 avril 09

BELGIQUE

50 I 17 AVRIL 2009 I WWW.LEVIF.BE

A u début de l’année2009, la consultationsur la candidature de

Liège comme capitale cultu-relle 2015 a recueilli un peumoins de 20 000 signatures.Le quorum nécessaire pourpousser officiellement le dos-sier n’a pas été atteint. La mo-bilisation, pourtant, fut iné-dite dans une populationliégeoise abonnée davantageà la résignation et au manqued’alternative. Cette réactionpopulaire constitue un immense espoir pour la ré-gion liégeoise. Elle dénoteune volonté de retrouver lafierté d’une ville qui vautmieux que l’image et les sta-tistiques économiques qu’ellevéhicule.

Parallèlement, la princi-pauté a enregistré quelquesavancées positives ces deuxdernières années.

D’abord, comme ailleursdans le pays, le chômage areflué. Une diminution de12 %, attribuable à la bonneconjoncture.

Ensuite, un certain nombrede projets se concétisent.Ainsi, quinze ans après le lan-cement du projet, le muséeCurtius a, enfin, ouvert sesportes en 2009. La premièreexposition temporaire,

consacrée à Paul Delvaux re-lève un fier défi.

Enfin, la politique écono-mique en région liégeoiseétait un cocktail périmé com-posé de soutiens à la pro-duction industrielle et d’in-vestissements immobiliers.L’approche table désormaisdavantage sur l’innovation,la créativité et la mise en ré-seaux. La création du Pôle del’image (15 entreprises ac-tives dans le domaine du ci-néma et de l’image, 200 per-sonnes) trace la voie de futursregroupements structurés as-sez prometteurs dans des mé-tiers de pointe. Des collabo-rations sont possibles entreacteurs d’univers a prioriétrangers les uns aux autres.Point d’orgue : ce projet depôle « biologistique », porténotamment par BioLiège etl’aéroport de Bierset.

Retours de criseMalgré ces notes positives,

de vastes taches ombragenttoujours le paysage écono-mique liégeois. Ainsi, l’illu-sion de la relance durabled’une phase sidérurgique achaud n’aura duré que deuxans. En ce mois d’avril 2009,ArcelorMittal s’est ravisé.D’aucuns doutent, pour de

bon, de voir un jour les hauts-fourneaux rougeoyer à nou-veau. Le secteur de l’acier asans doute encore un avenir,à Liège. Mais principalementdans le domaine de la re-cherche et du développementde produits de pointe. Pasdans la production.

L’épisode ArcelorMittal rap-pelle l’extrême fragilité dutissu économique liégeois.Malgré le petit rétrécissementdes derniers mois, le taux dechômage de la province deLiège demeure l’un des plusélevés d’Europe (86 800 demandeurs d’emploi inoc-cupés, pic de 2006, selon leForem). La jeune populationactive est insuffisamment for-mée. L’économie liégeoisereste très dépendante d’ac-tivités traditionnelles.

Le chantier de la revitalisa-tion économique liégeoise estdonc très largement inachevé.Liège demeure prisonnièred’un émiettement des pou-voirs et d’une culture politiqueburlesque. L’amateurismepersiste dans la prise de cer-taines décisions ou leur miseen œuvre. En témoigne le dé-rapage du dossier de la sallede spectacle Country Hall.Inadaptée à la taille d’une villecomme Liège, mal pensée,

cette infrastructure démesu-rée, inaugurée voici trois ansà peine, s’avère structurelle-ment déficitaire. Le CountryHall creusera les caisses déjàasséchées de la Communautéfrançaise pendant les 25 pro-chaines années, au moins.

Une vision d’avenir En février 2009, Bernadette

Mérenne, professeur d’urba-nisme très réputée de la Citéardente, tirait, prudemment,la sonnette d’alarme dans lemagazine de l’université deLiège: « En 2015, la rénova-tion de l’Opéra sera terminée,la Cité des médias construite,la gare de Calatrava installée,mais qu’en sera-t-il de la placedevant la gare et de la liaisonde ce quartier avec la Cité desmédias?»

Faudra-t-il encore dix ouquinze ans? Les projets lié-geois ne manquent pas. Lesentrepreneurs inventifs nonplus. Mais pour que les ré-sultats suivent, il manque unebonne dose de cohésion, decohérence dans le temps et,surtout, de professionnalisme.Les Liégeois gagneront beau-coup à s’entourer d’expertsinternationaux pour menerleurs études et leurs actions.La Cité ardente ne peut plusse permettre de vivre repliéesur elle-même. Elle doit bâtirune véritable vision de saplace en Europe, partagée partous.

● JEAN-YVES HUWART

L’eau a coulé sous les ponts liégeois. Qui charrie son lot de bonnes etmauvaises nouvelles. L’arrêt en principe temporaire de la phase àchaud en sidérurgie grippe le chantier inachevé de la revitalisationéconomique.

É C O N O M I E

Deux ans plus tard: le chantier très inachevé

>>>

BEL

GA

BEL

GA

BELGA

Le Grand Curtius.Le Grand Curtius. Le HF6 de Seraing. Bierset.