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Les abattoirs et marchés de Cureghem : un espace public majeur au sud-ouest de Bruxelles-capitale 01. Lorsque les architectes parlent du fonctionnement d'un bâtiment, ou d'un ensemble plus ou moins vaste de bâtiments, ils entendent d'habitude - depuis que le fonctionnalisme a pris position dans la discipline de la configuration terrestre - que ces biens immobiliers répondent plus ou moins bien à une certain nombre de pratiques élémentaires, qu'ils jugent universelles. Ils souhaitent que l'entrée soit facile à trouver, que les escaliers soient assez larges et pas trop raides, que les différentes salles soient bien dimensionnées et bien distribuées (distribuées = placées les unes par rapport aux autres), etc. L'attitude qui consiste à ne considérer le fonctionnement d'un bien immobilier que dans ce sens (paradoxalement) restreint est celle qu'Aldo Rossi, le célèbre architecte italien, appelle "fonctionnalisme primaire". Cette attitude, fonctionnaliste primaire, à condition qu'elle puisse s'exprimer dans toute sa pureté (!), serait absolument indifférente à toute question de forme, ou, si vous préférez, de configuration. Un projet immobilier qui ne serait conçu strictement qu'à partir de ce point de vue fonctionnaliste primaire ne serait pas un projet d'architecture. Il se pourrait bien d'ailleurs qu'il se déclare assez vite complètement inapproprié, si les usages qu'on veut en faire changent, et que les dispositions de ce bien, si étroitement conçues pour répondre au programme déjà modifié, se révèlent incapables d'accueillir de nouveaux usages dans de bonnes conditions. On le voit, ce type de raisonnement accompagne aussi assez idéalement une façon purement économique de penser le devenir du territoire : un territoire qui n'opposerait aucune résistance à l'appétit carnassier d'un marché pour lequel toute chose serait à tout moment offerte à la destruction et au remplacement. Si un territoire comme Bruxelles peut être décrit comme une architecture, c'est parce qu'il fonctionne aussi d'un autre point de vue, que nous appellerons ici symbolique. Le fonctionnement symbolique d'un bâtiment, d'un ensemble de bâtiments, d'un espace libre, d'une 1

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Les abattoirs et marchés de Cureghem : un espace public majeur au sud-ouest de Bruxelles-capitale01.

Lorsque les architectes parlent du fonctionnement d'un bâtiment, ou d'un ensemble plus ou moins vaste de bâtiments, ils entendent d'habitude - depuis que le fonctionnalisme a pris position dans la discipline de la configuration terrestre - que ces biens immobiliers répondent plus ou moins bien à une certain nombre de pratiques élémentaires, qu'ils jugent universelles. Ils souhaitent que l'entrée soit facile à trouver, que les escaliers soient assez larges et pas trop raides, que les différentes salles soient bien dimensionnées et bien distribuées (distribuées = placées les unes par rapport aux autres), etc. L'attitude qui consiste à ne considérer le fonctionnement d'un bien immobilier que dans ce sens (paradoxalement) restreint est celle qu'Aldo Rossi, le célèbre architecte italien, appelle "fonctionnalisme primaire". Cette attitude, fonctionnaliste primaire, à condition qu'elle puisse s'exprimer dans toute sa pureté (!), serait absolument indifférente à toute question de forme, ou, si vous préférez, de configuration. Un projet immobilier qui ne serait conçu strictement qu'à partir de ce point de vue fonctionnaliste primaire ne serait pas un projet d'architecture. Il se pourrait bien d'ailleurs qu'il se déclare assez vite complètement inapproprié, si les usages qu'on veut en faire changent, et que les dispositions de ce bien, si étroitement conçues pour répondre au programme déjà modifié, se révèlent incapables d'accueillir de nouveaux usages dans de bonnes conditions. On le voit, ce type de raisonnement accompagne aussi assez idéalement une façon purement économique de penser le devenir du territoire : un territoire qui n'opposerait aucune résistance à l'appétit carnassier d'un marché pour lequel toute chose serait à tout moment offerte à la destruction et au remplacement.

Si un territoire comme Bruxelles peut être décrit comme une architecture, c'est parce qu'il fonctionne aussi d'un autre point de vue, que nous appellerons ici symbolique. Le fonctionnement symbolique d'un bâtiment, d'un ensemble de bâtiments, d'un espace libre, d'une ville, d'un région, d'un pays, est le fonctionnement par lequel ces faits assurent poétiquement la constitution politique de la collectivité. Ces faits, unis par une déclaration collective à l'aire terrestre qui les accueille, composent ce que nous appellerons un territoire. Un territoire rassemble tous les éléments qui le composent suivant un certain ordre formel, qui est un ordre descriptible. Le caractère symbolique d'un territoire est donc assuré, précisément, par cet ordre formel. Son fonctionnement repose sur le partage collectif de cet ordre formel. En dernier ressort, cet ordre formel est fondation institutrice de collectivité, par le pouvoir de liaison psychique que peuvent exercer les faits (fétichisme).

La grande difficulté que nous éprouvons aujourd'hui à lire (et donc forcément aussi à écrire) l'architecture de Bruxelles provient de deux causes principales :- la première, c'est qu'une ville comme Bruxelles est le fruit de plusieurs fondations politiques superposées. Elle est constituée de plusieurs territoires littéralement emboîtés.- la seconde, c'est aussi que la possibilité même d'un fonctionnement symbolique du territoire est en crise depuis déjà un bon moment. La ville n'est plus lue comme une architecture. Sa modification n'est plus pensée qu'en termes fonctionnalistes primaires, indifférents à toute question de construction collective : des termes qui, le plus souvent, servent des motivations symboliques restreintes, socialement déterminées, poussées par l'urgence ("humanitaires"), voire strictement individualistes.

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Á l'occasion de l'exercice que nous commençons ces jours-ci, nous allons tenter d'introduire les étudiants à la reconnaissance du fonctionnement symbolique du site des abattoirs d'Anderlecht. Nous allons tenter de les aider à reconnaître comment, par son architecture - sa position, son orientation, sa configuration, le jeu de ses parties, et jusqu'à sa syntaxe élémentaire et ornementale - le site des abattoirs appartient à l'architecture du territoire complexe, sédimenté, auquel appartient la Région de Bruxelles-capitale. Nous introduirons les étudiants à la reconnaissance de Bruxelles comme lieu de l'interaction compositive de trois architectures territoriales, de trois sédiments : la province de Brabant, la fédération (ex-nation) belge, et l'Europe. Nous distinguerons donc les trois projets architectoniques de Bruxelles en superposition : Bruxelles-métropole provinciale - Bruxelles-capitale fédérale (ex-nationale) - Bruxelles-métropole européenne.

Si l'architecture de Bruxelles-métropole européenne apparaît depuis maintenant un siècle comme la grande question irrésolue, c'est notamment du fait de la crise profonde que nous avons déjà évoquée, une crise qui n'a permis jusqu'ici que des tentatives plus ou moins partielles. C'est aussi du fait de l'incapacité dans laquelle les planificateurs de la métropole européenne se sont trouvés d'envisager l'émergence de cette troisième architecture territoriale dans une claire relation de solidarité avec les architectures d'initiative précédente, voire carrément du fait de l'axiomatique de la "table rase", qui leur permettait d'entretenir l'illusion qu'il soit possible de substituer, à ces architectures d'initiative antérieure, purement et simplement une architecture nouvelle : celle qui serait symbolique d'une société planétaire entièrement débarrassée de ses contradictions et d'une complexité nécessairement déterminée par l'expérience de l'institution collective à travers le temps.

La plupart des questions relatives au projet architectural de Bruxelles ont trait à la nécessité dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui d'associer solidairement, à la recherche des caractères stables et des principales règles de formation de Bruxelles-métropole européenne, l'entretien, la complémentation mais aussi le rééquilibrage de Bruxelles-capitale fédérale (ex-nationale).

Nous voulons proposer aux étudiants d'envisager le devenir du site des abattoirs à partir de cette considération générale.

Si l'on tient provisoirement en réserve les modifications dont le site des abattoirs a été l'objet depuis une quarantaine d'années (essentiellement le déploiement de l'infrastructure du métro, qui participe pour une bonne part de l'essor de Bruxelles-métropole européenne), ce site, dans ses principales dispositions actuelles, qui datent de la fin du XIXème siècle, est et reste incontestablement un des principaux éléments singuliers de l'architecture du sédiment Bruxelles-capitale fédérale (ex-nationale).02.

Le fait le plus étonnant, et qui me apparaît constituer un bon point de départ pour la réflexion, est l'apparente contradiction entre la destination originale du site - assez strictement "utilitaire" - et le rôle architectural très monumental qui lui a été conféré, tant par sa position sur une système d'axes compositifs du tracé urbain - le Té rigoureusement perpendiculaire formé par la rue Ropsy-Chaudron et la rue Heyvaert -, que par la très imposante présence volumétrique de la halle. La grande halle des marchés aurait pu à la rigueur se satisfaire d'un système plus horizontal de couverture, à sheds par exemple. Au contraire, cette couverture se gonfle en voûte jusqu'à une grande hauteur. Elle est visible de très nombreux points hauts de la ville-capitale et élève l'édifice au rang de monument.

Mais comment s'explique cette contradiction apparente et en quoi cette contradiction apparente peut-elle constituer un bon point de départ pour penser aujourd'hui le devenir du site ?

Cette contradiction apparente est , nous allons le voir, le fruit d'un bon compromis, d'un de ces multiples bons compromis - qui ne sont pas compromission - qui font l'architecture de Bruxelles-capitale (mais peut être de toute architecture authentique). D'un compromis un peu oublié mais dont la nécessité, manifestement, se refait sentir aujourd'hui.

Un des principaux caractères d'une capitale est la présence sur son territoire d'un certain nombre de grands équipements capables soit d'accueillir un public nombreux provenant de toutes les parties de la nation, soit d'assurer un service à la nation dont l'efficacité rend préférable sa centralisation dans la capitale. Une répartition équilibrée de ces équipements sur le territoire de la capitale est bénéfique, à tous points de vue, à son fonctionnement (envisagé ici dans les deux sens du terme).03.

La partie urbaine qui comprend les abattoirs - dont l'essor décisif renvoie à la fin des années 1880 - est le fruit d'un compromis sur cette question de la répartition des grands équipements publics sur le territoire de Bruxelles-capitale. La question a certainement été longuement débattue - les traces littéraires de ce débat doivent exister et il serait instructif de les réunir. Mais pour ce qui concerne nos études - architecturales -, les sources les plus

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autorisées restent les deux plans directeurs successifs de Bruxelles-capitale : le plan Vanderstraeten (1840) et le plan Besme (1865).04.

La comparaison de ces deux plans directeurs montre toute l'ampleur d'un revirement majeur, que nous allons d'abord décrire et dont nous allons ensuite tenter d'expliquer la raison.05.

Les deux grands équipements publics qu' avant le milieu du siècle Vanderstraeten avait localisés à l'Ouest, le long du canal dans le fond de la vallée de la Senne, et dont il faisait les principaux éléments générateurs par lesquels il entendait rééquilibrer le déploiement spatial d'une capitale qui avait déjà nettement tendance à s'orienter vers l'Est, ces deux équipements publics, dans le plan Besme, ont disparu. Ils se sont déplacés à l'Est.06. L'allée verte - premier de ces deux équipements - perd son statut, déjà consacré depuis la fin de l'Ancien Régime, de grande promenade bourgeoise et d'élément générateur des nouveaux quartiers du Nord de la capitale pour se redéployer quasi identiquement - mais glissée et pivotée - sur le plateau (c'est l'avenue Louise). 07. Et le grand hippodrome, conçu ex novo par Vanderstraeten comme grand stade des fêtes nationales, champ de manœuvres et champ de courses hippiques, dont le chantier avait démarré dans les années 1840, est purement et simplement rayé de la carte. 08. L'hippodome, qui devait mesurer 900 mètres de long et 300 mètres de large, laisse cependant des traces durables : la place de la duchesse - une des deux places d'accès à cet hippodrome -, la rue de Birmingham - tracée ensuite sur l'axe long de l'hippodrome - et une gigantesque carrière qui s'étend sur 450 mètres environ sur le territoire de la commune d'Anderlecht.09. Sur la moitié anderlechtoise de l'hippodrome (la moitié Sud), les terrains resteront longtemps disponibles pour la reprise du chantier (jusqu'en plein XXème siècle). Sur sa moitié molenbeekoise, ils seront assez rapidement lotis, dès le début des années 1860.10. Besme relocalise aussi cet équipement à l'Est de Bruxelles, en le diffractant en plusieurs lieux spécialisés : l'esplanade du Cinquantenaire (fêtes nationales), la plaine des manœuvres, le Tir national (champs d'exercices militaires) et l'hippodrome de Boitsfort (courses hippiques).

Ce grand revirement du projet de Bruxelles-capitale, au milieu du XIXème siècle, s'explique aisément, par la peur que provoquent, au sein de la bourgeoisie aux commandes de la jeune nation belge, la première grande crise économique de l'ère libérale et la révolution de 1848 en France, lors de laquelle la classe ouvrière commence à prendre la mesure de son pouvoir de classe. Les consignes données à Victor Besme, l'auteur de la révision du projet de Bruxelles-capitale nationale, sont donc les suivantes : les ouvriers et l'appareil de production à l'Ouest, les propriétaires et les équipements publics à l'Est, la classe moyenne - la classe des bons locataires - entre les deux (au Nord et au Sud de la vieille ville). Un mot d'ordre principal : ségrégation sociale.

Tout l'effort de Victor Besme (et du souverain Léopold II, qui dirige discrètement les opérations) consiste dès lors à compenser la spécialisation fonctionnelle - fonctionnelle et surtout sociale - des deux parties de la ville-capitale par un ensemble de choix d'architecture qui tendront à renforcer - malgré ces conditions structurelles diaboliques (au sens étymologique du terme) - le caractère symbolique - commun et partagé - de la ville-capitale. Cet effort peut se résumer aux deux principales modifications suivantes :11. 1. la première modification est l'abandon de la linéarité topographique qui avait présidé à l'implantation des deux grands éléments générateurs du plan Vanderstraeten au profit 12. d'un cercle directeur - le second boulevard - qui sert aussi de grand collecteur des circulations, mais qui, sur le plan symbolique, confirme surtout l'incapacité dans laquelle se trouve la bourgeoisie de penser le projet de la capitale nationale autrement que comme extension, et reproduction hypertrophiée, du schéma radioconcentrique hérité de l'expérience de la ville bourgeoise d'Ancien régime.13. La moitié occidentale du second boulevard ne se réalisera qu'à grand peine, au cours de la seconde moitié du XXème siècle, et dans le contexte d'un développement keynésien dont l'intérêt - encore trop inaperçu - est d'avoir permis, dans le concret même de la réalité

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territoriale bruxelloise - une première application du principe de solidarité entre le projet national et projet européen embryonnaire. 14. 2. la deuxième modification du plan est le remplacement des deux vastes places publiques de l'Ouest par deux gigantesques équipements utilitaires : la gare marchande de Tour-et-Taxis et le marché des abattoirs. Contrairement aux vastes espaces publics de l'Est, ces deux équipements utilitaires ne sont pas greffés sur le grand boulevard (dont Besme, sur son plan de 1866) ne se hasarde d'ailleurs même pas à compléter l'orbe), mais sont enfouis au centre même des deux vastes aires urbaines de l'Ouest de la capitale.

Les abattoirs, dont la localisation avait d'abord été programmée sur le site de l'actuelle école vétérinaire, sont déportés plus à l'Ouest, juste devant le site de l'hippodrome abandonné. 15. Un terrain de près de quinze hectares leur est réservé, ouvert vers la campagne et vers l'amont de la vallée de la Senne. Le coup de génie de Besme est - malgré le retrait des capitaux de la haute bourgeoisie qui privent cette moitié de la ville de tout projet d'espace public majeur - d'avoir quand même rendu tout au moins possible dans l'Ouest le déploiement d'un espace public majeur - un marché - à l'échelle de Bruxelles-capitale nationale, tout en confirmant la fonction séculaire du fragment de territoire provincial promu quartier de la capitale nationale sur lequel il se déploie, depuis longtemps voué à l'élevage bovin.16. L'entrée historique du site des abattoirs, toujours présente, flanquée de ses deux taureaux (le taureau provincial défie fièrement la vieille ville bourgeoise, le taureau national fonce tête baissée), est donc tout à la fois le seuil d'un grand espace public de la capitale et la porte symbolique de la capitale vers un territoire provincial qui tient légitimement à continuer à tenir son rôle.17.

Des changements de type économique, fonctionnels au sens premier du terme, ont eu lieu au cours de ces dernières décennies. Ils consistent essentiellement en la déspécialisation de la fréquentation des parties en plein air (ouvertes ou couvertes) et souterraines du site. Et cette dé-professionnalisation coïncide avec l'essor extraordinaire de deux types de fonctions : - un marché généraliste, de viande, mais aussi de fruits, légumes et habillement, dont le pouvoir d'attraction - hautement favorisé par la situation exceptionnelle du site exactement localisé entre deux stations de métro - est proprement inouï : 100.000 visiteurs par semaine de trois jours- un lieu d'expositions souterraines dont le succès, sans doute servi par le marché, ne semble pas contesté.

Nous le voyons, ces deux nouvelles fonctions ont pour principales caractéristiques - et c'est là selon nous une chance extraordinaire - une formidable réaffirmation de la destination publique du lieu dans la ville : le marché de Cureghem est devenu LE grand marché de Bruxelles-capitale nationale.18.

Au dynamisme avec lequel s'imposent ces nouvelles fonctions correspond pourtant aussi celui avec lequel le installations fixes - et notamment celles qui sont nécessaires à la manœuvre et au stationnement des camions de viande en gros - sont en train de coloniser la vaste esplanade des abattoirs. 19.Il y a là un conflit, dont les premiers éléments sont déjà en place. 20-21-22. A mesure qu'elle est enserrée dans les constructions, la halle perd en agrément d'usage. Elle n'est plus le centre du domaine. Elle semble plutôt être devenue une sorte de "trou noir". Le sol du domaine est déjà encombré de bâtiments. 23. Si l'on en juge par un "masterplan" dont des copies circulent, la grande esplanade est promise, à court terme, à une occupation encore beaucoup plus forte.

L'institution d'une vaste place publique nationale au Sud-Ouest du territoire de la capitale n'avait été, du temps de Besme, que très symbolique, puisque son accessibilité était surtout destinée à un type d'usager très sectoriel. Cette place publique reçoit aujourd'hui les conditions réelles de son affirmation.

Mais les abattoirs ne sont plus seulement aujourd'hui lieu de l'interaction de deux sédiments architectoniques (Bruxelles-capitale nationale et Bruxelles métropole provinciale).24-25-26-27-28-29.

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Le métro s'est chargé - en lacérant le lieu mais en aussi en lui ouvrant, même violemment, de nouveaux accès - de faire aussi de l'abattoir le lieu d'une interaction - encore irrésolue - entre ces deux sédiments d'initiative antérieure et un nouveau - troisième - sédiment : Bruxelles-métropole européenne.30.Et ceci, un peu comme du temps de Besme, à la faveur de la réalisation d'un nouvel élément générateur concentrique d'ordre circulatoire.

Cette irruption a contribué puissamment à la redéfinition du fonctionnement (au sens primaire du terme) du site des abattoirs. Elle rouvre aussi la question de son rôle, c'est-à-dire de son fonctionnement symbolique. Et il ne semble pas que cette question ait reçu pour l'instant une réponse satisfaisante.

C'est à la reconnaissance pleine et entière de cette réaffirmation vitale du site, par la remise sur le métier de son projet architectural, que nous invitons maintenant les étudiants.

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1.0.7. Contrat de quartier "Canal-Midi". Une note d'intentions (extrait)

1. ENJEUX

1.1. Premières caractéristiques distinctives des deux parties de l'aire d'étude

Le périmètre provisoire de l'étude s'identifie grosso modo à la partie Sud du quartier de Cureghem, assez clairement limitée physiquement par la levée de terre que forme la longue boucle du chemin de fer de contournement de Bruxelles par l'Ouest, et qui barre tout horizon vers le Sud, excepté aux points de franchissement qui sont de très beaux ponts en brique. Ce périmètre associe deux parties du quartier de Cureghem dont les dynamiques résidentielles apparaissent assez différentes.

La partie Ouest de l'aire d'étude apparaît dominée par l'alliage - incomplet, insatisfaisant à bien des égards - de deux grands ensembles élevés de logements publics - Albert Ier et Goujons - (plus de 600 logements sociaux au total) implantées en ordre ouvert, et d'une séquence d'"espaces libres", actuellement fort morcelée, au centre de laquelle se trouve un vaste ensemble de bâtiments, l'Institut Technique de la Communauté Française Leonardo da Vinci (anciennement Institut Chomé-Wijns).

La partie Est de l'aire d'étude, quant à elle, présente un parc résidentiel plus uniforme d'habitations bourgeoises en îlots, en propriété privée, très généralement subdivisé en appartements de location. Ce parc résidentiel a été successivement objet, d'abord - pendant de nombreuses années, depuis le départ de l'école vétérinaire - d'un mouvement de revente ou de mise en location à une population de néo-arrivants à revenu modeste, puis d'un processus d'exploitation spéculative attentiste - avec la lente dégradation qui en est la conséquence logique - puis enfin, au cours de ces dernières années, d'un début de remise en état - mais encore timide. Le manque de pro-activité des pouvoirs publics (le bâtiment de l'école vétérinaire qui fait front au boulevard de la Révision toujours à l'abandon) et l'échec de quelques grands projets de réinvestissement du patrimoine industriel qui auraient pu encourager d'autres opérations de rénovation (projet de studios de télévision dans les anciens d'ateliers Germeau) expliquent - semble-t-il - en grande partie pourquoi la résidence, dans cette partie de Cureghem, peine à connaître une réelle dynamique de rénovation, et ce malgré les contraintes taxatives qui obligent les propriétaires à accomplir les travaux de mise aux normes techniques ou esthétiques minimum.

Une importante opération mixte (De Lijn-Bara), en cours actuellement, participe certes au renforcement de la dynamique résidentielle de cette partie du quartier. Les atouts réels de ces nouveaux logements et équipements destinés aux activités en termes de performance énergétique semblent cependant s'accompagner de choix architecturaux plutôt étrangers aux caractéristiques du quartier. Ce nouveau complexe, par sa configuration, n'apparaît pas manifestement vecteur d'une reconstruction respectueuse des caractères morpholgiques de cette partie de ce quartier de Bruxelles-capitale déjà très malmené, plus au Nord, par les opérations immobilières bouleversantes occasionnées par l'installation de la gare TGV au Midi.

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1.2. Principaux enjeux communs aux deux parties de l'aire d'étude

L'ensemble de l'aire d'étude est puissamment affectée par les nuisances des trafics d'accès et de sortie vers et depuis la ville, qui la traversent diagonalement.

Les trois principaux enjeux - à moyen et long terme - sont les mêmes pour les deux parties de l'aire d'étude: - le renforcement d'une diversification des activités et du jeu des acteurs sociaux, qui

passe nécessairement par la protection des résidents locataires à revenus modestes - la remise en état du parc immobilier existant - grands ensembles, habitations

bourgeoises et ateliers, avec mise à niveau aux normes les plus strictes de performance énergétique, et le maintien, voire le renforcement du système des compléments (équipements, espaces et édifices publics) qui lui est lié

- la diminution du trafic de transit et l'atténuation des nuisances qui lui sont dues

Ces trois enjeux - socio-économique, patrimonial et de mobilité - requièrent aujourd'hui de la part des autorités publiques une réponse coordonnée et volontaire. Il nous semble que devrait être donné priorité à l'intervention sur les éléments du patrimoine en propriété publique :- à une rénovation exemplaire du patrimoine public non-résidentiel - du grand comme

du petit patrimoine (écoles, églises, mais aussi grilles en fer forgé, fontaines, balcons, lucarnes, jardins publics, etc). Les écoles feront l'objet d'études de rénovation qui viseront en priorité l'amélioration notable de leur climat intérieur et de leurs performances énergétiques

- à la réhabilitation du patrimoine résidentiel en propriété publique - avec amélioration notable du climat intérieur et de la performance énergétique des bâtiments

- à la confection d'un plan de mobilité visant la réduction du trafic de transit et l'amélioration du système et des moyens de mobilité douce

1.3. Pistes de recherche générales

Notre équipe pourrait donc chercher, avec les acteurs institutionnels, à clarifier les grandes lignes d'un plan d'action stratégique à moyen et long terme, fondé sur la pleine exploitation de la portée exemplaire de l'action publique sur son propre patrimoine.Les diverses opérations du contrat de quartier, dans toutes leurs limites mais aussi avec tout leur pouvoir d'entraînement, seront donc conçues comme autant de moments - partiels mais exemplaires - d'un projet pour le moyen et le long terme.

Une des tâches cruciales de l'enquête préliminaire est le repérage des biens en propriété privée dont les propriétaires n'assurent pas le maintien aux conditions d'habitabilité qu'impose le code du logement. Nous dresserons la liste de tous les biens déjà grevés d'avertissements et de pénalités, et repérerons, au cours de nos enquêtes de terrain et des contacts pris avec les locataires, ceux qui, de manière manifeste, pourront compléter la liste. Le recours à l'expropriation publique sera préconisé chaque fois qu'il se justifiera.

Concernant la rénovation des logements privés, il y a sûrement des pistes à suivre avec le fonds du logement pour permettre des accès "abordables" et collectifs à une propriété rénovée et décente. Une approche plus coopérativiste de la participation pourrait d'ailleurs être envisagée à la faveur de ce contrat de quartier.

Il est possible que s'avère nécessaire le choix de la démolition de certains édifices, par leur état de dégradation, ou par l'incohérence de leur implantation ou de leurs dispositions architecturales au regard des lignes directrices générales du projet. C'est peut-être l'occasion de tenter des expériences de démantèlement partiels, ou de démontages complets, qui permettraient la récupération ou le recyclage des matériaux. D'autant plus qu'il y, déjà aujourd'hui, un secteur informel de la récupération déjà fort important (certaines entreprises de recyclage le long du canal, mais également les carrossiers ou les ferrailleurs).

Nous proposons d'examiner toutes les possibilités d'accueil des sans-abri dans le quartier.

Les formations qualifiantes qui pourraient être assurées avec le concours du contrat de quartier devraient être, conformément aux priorités énoncées, axées sur : - les domaines de la construction qui visent :

- à la mise à niveau des logements aux termes du code du logement- à l'amélioration du climat intérieur et de la performance énergétique des bâtiments- à l'aménagement des voies de mobilité douce

- les domaines de l'accompagnement à la gestion commune des biens immobiliers

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- les domaines de l'accompagnement aux collectifs de locataires.

2. ATOUTS ET FAIBLESSES

2.1. Partie Ouest de l'aire d'étude

2.1.1. Les grands ensembles et leur séquence d'espaces ouverts vus comme un atout

Il y a quelques années, l'hétérogénéité morphologique de cette partie de l'aire d'étude (des grands ensembles dans un parc, entourés d'îlots) aurait été unanimement considérée comme une faiblesse. (Il semble d'ailleurs que l'essentiel de l'effort consenti jusqu'ici par les pouvoirs publics se soit surtout porté sur la partie Est). Les grands ensembles étaient stigmatisés, tout à la fois socialement et culturellement. C'est qu'ils sont devenus peu à peu, au cours de ces trente cinq dernières années, au cours de cette période où nous avons assisté à la recrudescence du processus de ségrégation sociale, lieux élus du parcage de certaines catégories sociales fragilisées. Pendant cette période, les avantages de l'ordre ouvert et de la grande hauteur - comme par exemple la libération de larges portions de sol urbain au profit d'équipements communs, d'aires de jeux, de promenade et de détente - ont perdus, à la faveur d'une urbanisation qui a privilégié la rue et la recomposition d'un tissu dense mais de hauteurs faibles ou moyennes. L'effort aurait porté strictement sur la remise en valeur de l'habitat bourgeois, et de l'espace de la rue, de la place, sur lequel se représente cet habitat. Il aurait même été permis d'envisager la démolition de l'un ou l'autre grand ensemble au profit d'opérations de "remaillage urbain". [L'immeuble du foyer anderlechtois de la rue Emile Carpentier, situé entre rue des Goujons et rue des Bassins, procède d'ailleurs de cette logique : il est le résultat de l'abandon tout au moins du projet d'un immeuble élevé destiné à compléter l'ensemble des Goujons.] Une telle "vision" n'est aujourd'hui plus unanimement partagée.

Il n'est évidemment pas question de prôner à nouveau la substitution systématique de la ville-capitale de pierre au profit d'un autre projet de ville, destiné à s'imposer comme unique système architectural de la ville. Ce qui nous intéresse au contraire, au sein de notre équipe, c'est l'exploration de ces divers systèmes morphologiques, et la recherche d'une mise en relief, voire d'une réaffirmation de leurs caractères distinctifs.

Nous voudrions notamment, à l'occasion de la mise au point de ce programme de revitalisation, considérer comme un atout la présence dans l'aire d'étude des deux grands ensembles élevés de logements sociaux - Albert et Goujons. Cette reconsidération implique deux types d'opérations : - une rénovation des immeubles axée sur la performance énergétique globale, y

compris l'amélioration du climat intérieur (ventilation et chauffage (production-distribution-diffusion-régulation)

- une réinterprétation architecturale-paysagère du système des espaces libres et des équipements indispensable à ces immeubles.

Nous chercherons à appuyer la réinterprétation-réaffirmation-recréation du système des espaces libres et des équipements, indispensables à la remise en valeur des grands ensembles existants dans notre aire d'étude, sur une caractéristique tout à la fois topographique et culturelle qui, dans le cas qui nous occupe, peut être considérée comme un atout extrêmement puissant.

Cette caractéristique est la suivante : les deux grands ensembles Albert et Goujons ont tous deux été implantés - à deux générations d'intervalle puisque le premier date de 1948 et le second de 1973 - sur le site d'un important faubourg industriel qui s'était lui-même développé là du fait de la proximité d'un élément dont il avait impérieusement besoin pour y rejeter tout l'effluent liquide parfois hautement toxique de ses activités : un cours d'eau, dénommé Petite Senne (ou Senne de gauche). La démolition des usines de la rue des Goujons et la construction sur ce site d'un ensemble résidentiel en ordre ouvert rouvrait donc, au moins potentiellement, la possibilité d'une séquence d'espaces libres dont le fil conducteur serait le cours d'eau. Cette possibilité n'a pas été très explicitement mise à profit à cette époque. C'est cette ouverture dont nous souhaiterions aujourd'hui explorer plus à fond la possibilité. Non pas tant par une sorte de fétichisme nostalgico-patrimonialiste de la Senne que pour des raisons plus - disons -structurelles.

2.1.2. La Petite Senne comme fil conducteur du projet de Cureghem cosmopolite

Et tout d'abord, parce que ce fil conducteur de la séquence des espaces libres et des équipements au sein de l'aire d'étude n'est pas un fil strictement interne à l'aire d'étude.

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Il pourrait être un élément de liaison concret - pratique aussi - tout au moins entre la partie Ouest de l'aire d'étude et ce qui, aujourd'hui, représente le principal épicentre vital du quartier de Cureghem : le grand marché des abattoirs, qui accueille chaque week-end (vendredi, samedi et dimanche) plus de 100.000 visiteurs. Il pourrait être un élément nécessaire, une réponse adéquate à la situation malheureusement très engorgée de la "voirie de pierre" (le système des rues), actuellement sur-encombrée, et dont le sur-encombrement a encore été accentué par l'installation à la frange du quartier d'un élément de grande attraction métropolitaine : la gare TGV. Et, dans certaines parties de Cureghem, dont l'accession au rôle cosmopolitain coïncide avec l'invasion de la rue par le trafic automobile, il pourrait aussi donner visibilité à un autre aspect, actuellement très inaperçu et très discret, de la cosmopolitanisation de Bruxelles : la ré-appropriation de la ville comme aire résidence et de vie quotidienne.

A ce titre, le parcours de la Petite Senne, qui longe le site du marché des abattoirs en en traversant le gigantesque îlot, relie directement et comme en épine dorsale les parties Nord et Sud de Cureghem : la Rosée aux Goujons. Serpentant au milieu des îlots, mitoyen à un grand nombre d'immeubles désaffectés et en attente de nouvelles destinations, le parcours de la Petite Senne apparaît, morphologiquement, comme la base d'un réseau de mobilité douce, accueillant aux piétons, aux vélos et aux divers systèmes de transport individuel des personnes à "mobilité réduite", à la rencontre et aux petits regroupements à l'extérieur, amplement re-végétalisable, complémentaire au système des rues et des places "de pierre". Plus au Sud, vers la Petite Ile, vers Paepsem, vers l'île d'Aa, ce même parcours, redécouvert et peu à peu reconquis sur le zoning industriel, pourrait être le support et le prétexte à la redéfinition d'un circuit de lieux de promenade, de repos et de divertissement, dont la vocation pourrait se réaffirmer nécessaire, pour ceux que le prix du billet d'avion vers les Tropiques dissuaderont de plus en plus de quitter Bruxelles durant l'été.

Loin de n'apparaître que comme deux lieux isolés et repliés sur eux-mêmes, l'ensemble Albert-Goujon et les espaces libres qui l'entourent pourraient ainsi devenir éléments nécessaires d'un projet de transformation cosmopolitaine du quartier de Cureghem qui, non seulement n'impliquerait pas de restructuration majeure de son tissu déjà très bouleversé, mais susciterait la redécouverte et la remise à l'épreuve d'éléments et de logiques configuratrices issues de la première phase historique de la construction territoriale - sa phase rurale - , facteurs de complexité, d'hétérogénéité qui avaient été oblitérés ou perdus au XIXème et au XXème siècle sous l'extension de la ville-capitale bourgeoise. Ces logiques configuratrices - qui ressortissent à la construction de ce sédiment morphologique que nous pourrions appeler brabançon - ne sont pas incompatibles avec les recherches d'une architecture "contemporaine", à condition que celle-ci accepte de ne plus se considérer seulement comme occasion de trouvailles délicieusement individualistes.

2.1.3. Pistes opératoires

Telle est notre ligne d'approche générale de la partie Ouest et de ses grands ensembles. Il est évident que le contrat de quartier ne nous procurera pas les moyens d'accomplir immédiatement la transformation à moyen et long terme envisagée ici. Les consultations et recherches préliminaires que nous mènerons au cours de l'étude auront notamment pour objet d'explorer les pistes d'une initiation de ce processus.

La construction d'un lieu d'accueil pour la petite enfance, plusieurs opérations même minimes de reconfiguration de l'espace public, qui permettraient une traversée sécurisée du site ainsi qu'une liaison aisée avec les parties du territoire situées en amont et en aval de la Pettie Senne (entre autres la traversée de la chaussée de Mons et la traversée des terrains de la Hogeschool Erasmus vers les abattoirs par l'intérieur de l'îlot, mais aussi la piétonification de certains passages sous arches sous le chemin de fer), l'assainissement de terrains pollués, la mise sur pied d'un service de mobilité douce au profit des habitants âgés des immeubles de logements sociaux, seraient autant de petits pas décisifs dans cette direction.

Une attention spéciale sera accordée à la possibilité d'établir des partenariats entre les acteurs présents sur le site (foyer anderlechtois, ULAC, institut Leonardo da Vinci, etc) et acteurs extérieurs (financement et exécution de la rénovation de l'immeuble des Goujons).

Il nous paraît déjà devoir donner priorité à l'exploration de pistes concrètes de partenariat pour la rénovation de l'immeuble des Goujons, à partir d'une étude de financement qui prendra en considération les gains en consommation de chauffage résultant de la rénovation. La petite expérience acquise par la SLRB en la matière pourrait peut-être être mise à profit - moyennant analyse critique des cas de partenariat récents.

Enfin, la perspective de doter cette partie du quartier, éloignée du réseau du métro, d'un accès RER nous semble mériter d'être réexaminée très sérieusement. Cet accès RER trouverait naturellement sa localisation à l'emplacement même de l'ancienne halte de

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Cureghem, au pont sur le canal, à proximité de l'entrée de la rue Wayez. Les effets induits, à moyen et à long terme, pour la revitalisation de notre aire d'étude et celle de la rue Wayez et des quartiers adjacents, ne manqueront pas d'être considérables. Un remodelage du circuit automobile autour de la halte de Cureghem devrait pouvoir procurer à la nouvelle halte RER un vaste parvis piéton.

2.2. Partie Est de l'aire d'étude

2.2.1. La rénovation du patrimoine résidentiel

Les principaux atouts de cette partie de l'aire d'étude sont, incontestablement, la grande lisibilité de son architecture - qui ressortit presqu'entièrement au projet de Bruxelles-capitale, une lisibilité faite de cohérence morphologique et de variété ornementale, d'une hiérarchie très claire des parties autour du boulevard de la révision et de l'école vétérinaire, mais faite aussi du relatif équilibre qui y règne entre propriétaires habitants et locataires.

Sa faiblesse principale est sa relative dépendance à un centre de développement métropolitain (la gare TGV) dont le pouvoir générateur incertain n'a généré jusqu'à présent qu'un ensemble de travaux publics, routiers et immobiliers, plutôt déstructurateurs, et d'initiatives privées vélléitaires, voire malheureuses.

La rénovation du bâtiment frontal de l'école vétérinaire, en propriété communale, nous paraît être la priorité que doive s'imposer l'administration publique. Le contrat de quartier peut être l'occasion bienvenue d'explorer une piste prometteuse en termes d'affectation comme de sources de financement. La portée incitative de cette rénovation sur la propriété privée sera majeure et indéniable.

D'autres biens en propriété communale, en particulier des habitations, aujourd'hui dégradées ou à l'abandon, devront être rénovés dans une perspective exemplaire aux plans architectural et de la performance énergétique.

C'est sur la rénovation de ce patrimoine résidentiel public qu'il nous semble devoir concentrer l'essentiel des moyens du programme de revitalisation à investir dans cette partie du quartier.

Des mesures complémentaires, à l'adresse des propriétaires privés, pourront être envisagées - outre l'incitation à la rénovation des logements et à l'embellissement des façades par les primes régionales, la prise en gestion à long terme de biens privés par les SISP, ou par des collectifs de locataires, avec rénovation du bien avec l'aide de fonds publics, voire - dans les cas les plus graves - l'expropriation par les pouvoirs publics.

3. CARTOGRAPHIE ARCHITECTURALE DE L'AIRE D'ÉTUDE

La complexité à laquelle nous nous référons lorsque nous parlons de Cureghem n'est pas tant le fruit d'une pure diversité d'objets individuels que celui de la superposition de plusieurs structures territoriales - des projets architecturaux si l'on veut mais à une échelle nettement plus ample que celle de la parcelle. Cette complexité, au cours de la seconde moitié du XIX et de tout le XXème siècle, a suscité la plupart du temps chez les aménageurs, une répulsion caractérisée. Leurs méthodes sont homogénéisatrices. La nôtre vise la reconnaissance de l'hétérogénéité qui fait la complexité de Bruxelles. Nous souhaitons justement faire de cette complexité, de sa révélation, de sa résurgence, un des points forts du projet, et nous avons montré que notre aire d'étude, ou tout au moins sa partie Ouest, présente cet atout incomparable pour une approche de ce type de se situer en un lieu de la ville ou existent tout à la fois la possibilité (logique) et la nécessité (pratique) d'affirmer cette complexité.Une des conditions techniques fondamentales de cet exercice est la rédaction d'une carte du quartier qui permette de saisir immédiatement comment se superposent et quelles figures tracent - séparément et ensemble - les différentes structures territoriales en superposition : la structure provinciale (d'ancienne initiative rurale essentiellement pour ce qui concerne Cureghem), la structure nationale et la structure métro-/cosmo-politaine.

La rédaction de cette carte est bien avancée.Elle suppose, d'abord, la retranscription, par superposition (layers) informatique, des

relevés disponibles : des cartes, qui représentent les différents états de la fabrique territoriale à travers le temps. Ces cartes, que l'on contemple d'habitude séparément, sont ici littéralement superposées. Chacune des cartes est redessinée sous format autocad et mise en conformité avec le levé par aérophotogrammétrie numérique de l'IGN 1991 - cartographie 1993-94. Ceci implique un patient travail d'ajustement. Les relevés utilisés, qui sont d'époques différentes, ont été faits suivant des méthodes de mesurage différentes.

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La rédaction de la carte se poursuit, ensuite, par le travail de classement morphologique. Ce travail, seul peut l'accomplir celui qui est rôdé à l'analyse formelle des systèmes architectoniques-territoriaux.

Apparaissent alors, au cours de ce travail de bénédictin, les 3 grandes structures formelles, emboîtées, nettement caractérisées, les trois "couches" dont l'intersection fait la complexité de notre aire d'étude : sa couche provinciale, sa couche nationale et sa couche métropolitaine. Une complexité qui, à ce point, se livre dans son intelligibilité, et ouvre la possibilité d'un projet urbain qui ne soit pas tant celui d'une "nouvelle mode", d'une architecture "contemporaine" indifférente à ces architectures existantes, que celui de la ressaisie, du rééquilibrage des rapports de ces 3 projets, tout aussi contemporains l'un que l'autre (car théâtre de notre vie présente), et aujourd'hui en relation déséquilibrée : la possibilité, littéralement, d'un projet de transformation progressive de la réalité, où perdrait aussi sa raison d'être la séparation entre ce qui est patrimoine (ce qui serait "passé" mais à conserver au présent) et ce qui ne l'est pas (ce qui est présent mais mériterait de passer), entre ce qui est culturel et ce qui ne l'est pas, puisque tous les éléments concourent à l'élaboration de ce grand relief artificiel, la ville, qui est, peut-être par excellence, fait culturel.

A ce titre, notre attention se porte notamment sur la représentation minutieuse de tous les éléments qui composent le second sédiment, celui par lequel Cureghem se définit le plus strictement comme quartier de Bruxelles-capitale, avec ses maisons à front de rue, ses ateliers et ses annexes, ses longues lignes mitoyennes internes, sa végétation de grands arbres en intérieur d'îlot, ses rues, ses avenues et boulevards régulièrement plantés, son mobilier urbain. C'est la condition préalable et indispensable au choix d'une poursuite de la remise en valeur de ce quartier de Bruxelles-capitale, qui est tout entier partie de ce "monument à la nation" - et à une nation un peu spéciale, une nation hissée à ce titre à la faveur d'une révolution ouvrière précoce, et dont la seule idéologie nationale est peut-être celle du confort bourgeois.

La révélation de cette hétérogénéité et de cette complexité fera l'objet d'une réflexion poussée quant à ses moyens de représentation afin de la rendre intelligible à tous (modélisation, grande maquette, etc.). En effet, si l'élaboration de ce travail méthodique demande une expérience spécifique, les constatations qui en découlent s'adressent à tous. L'enjeu de ces opérations cartographiques est, avant tout, de proposer aux habitants et aux usagers une façon de comprendre et d'interpréter leur environnement, ce qui constitue une première garantie de préservation de celui-ci. Cette lecture devrait permettre ensuite d'inscrire les différentes opérations requises comme des conséquences logiques d'un état de fait connu et reconnu par la communauté – ce qui constitue également un facteur de compréhension, d'acceptation et de pérennisation de celles-ci.

A ces différents égards, le travail de cartographie se doit d'être d'une transparence et d'une communicabilité exemplaire et sera suivi d'un travail de communication (sous forme de petite brochure, de maquette, de grandes planches, etc.).

(…)

LÉGENDE DES PLANCHES

PLANCHE 1Carte stratigraphique de Bruxelles. Extrait à l'échelle 1/20.000

Les trois sédiments qui composent l'architecture du territoire bruxellois :- en rouge : le sédiment provincial- en bleu : le sédiment national- en vert : le sédiment métropolitain

La Senne, la Petite Senne et les bras qui les relient, en grande partie rectifiés et canalisés au cours du XIXème siècle, sont encore en grande partie lisibles aujourd'hui dans le tissu urbain.

PLANCHE 2Carte stratigraphique de Bruxelles. Extrait à l'échelle 1/10.000

En trait d'axe noir : le périmètre provisoire du contrat de quartier "Canal-Midi"En rouge : les éléments du territoire provincial encore conservés ou disparusEn bleu et en violet : les éléments du territoire national encore conservés ou disparus (les layers qui représentent le bâti résidentiel sont ici désactivés)En vert : les éléments du territoire métropolitain.

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Les deux grands ensembles Albert et Goujons apparaissent au centre de l'image, dans leur relation de superposition aux anciens ateliers, qui appartiennent à la structure du territoire national, mais aussi dans leur relation de superposition au tracé de la Petite Senne et aux fermes et premières fabriques, qui participent du territoire provincial.L'école vétérinaire et le boulevard de la Révision prennent position sur une vaste loupe de terre divisée en grandes parcelles de culture mais privée de canaux.

PLANCHE 3Vue aérienne de l'aire d'étude

PLANCHE 4Complément du quartier de Cureghem, 27 août 1890Extrait du plan d'alignement de Victor Besme

PLANCHES 5 ET 6 Extraits d'un fascicule publicitaire édité par l'administration communale au début des années 1970

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1.0.8. La leçon de Victor Besme

Une prochaine reconfiguration du réseau ferroviaire se prépare. Le TGV traversera Bruxelles. Une halte se construira.

Les multiples intérêts que ce projet d'infrastructure a réveillés laissent présumer l'ampleur des modifications que la future gare TGV suggère autour d'elle.

L'exploration que nous allons mener ici voudrait inviter à mieux apercevoir les liens entre modification du réseau ferroviaire et modification de la structure urbaine au cours des XIXème et XXème siècle à Bruxelles. Elles se concentre sur une aire d'étude constituée de deux parties de Bruxelles-capitale : le quartier du Midi à Saint-Gilles et le quartier de Cureghem à Anderlecht, deux quartiers établis sur les rives de la Senne, au sud de l'ancienne métropole brabançonne, de part et d'autre de la voie de chemin de fer reliant Bruxelles aux provinces du Sud.Notre étude comparera les dispositions de ces deux quartiers de Bruxelles-capitale à celles des quartiers de la ville ancienne, définissant aussi leurs rapports réciproques. Elle accordera une attention toute spéciale au rôle de la gare du Midi.

Elle s'engagera ainsi à distinguer les idées (architecturales ?) de ville successives à la poursuite desquelles se sont accordés depuis 150 ans les acteurs des modifications qui ont affecté "les bas-fonds de la vallée de la Senne"; enfin à poser, au terme de cette discussion, une question et à en proposer l'approfondissement.

La ligne du chemin de fer a présenté dans son rapport aux dispositions édifiées trois situations successives :

1. de 1840 à 1864a. les quartiers du Midi n'ont pas encore débuté leur essorb. le chemin de fer pénètre dans le périmètre de la métropole brabançonne

2. de 1864 à 1952a. le chemin de fer s'interrompt hors de la métropole brabançonneb. les quartiers de Bruxelles-capitale connaissent leur pleine extension

3. à partir de 1952a. le chemin de fer traverse la métropole brabançonne

A ces trois situations correspondent trois gares du Midi. La gare, comme édifice, participe à la construction des rapports entre chemin de fer et ville.A ces trois situations successives correspondra la division de ce travail.

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I. Prédispositions et préfigurations

1. La voie ferrée comme élément directeur

Les quartiers du Midi sont encore inexistants en 1840. Très éloignée de la ville, précise G. Jacquemyns, "la commune d'Anderlecht resta jusqu'en 1860 un bourg rural. Á proximité de la ville, dans les prairies humides de Cureghem, seules quelques fabriques s'élevaient en dehors du faubourg d'Anderlecht bâti le long de la chaussée de Mons. Celle-ci était l'unique voie de communication traversant la commune."1

La voie ferrée apparaît sur le plan. Le premier tronçon du "chemin de fer du Hainaut", reliant Tubize, est inauguré le 18 mai 1840. L'année suivante (octobre-décembre 1842), le rail atteint Mons. La ligne longe la Senne sur la rive droite au plus près des boucles que la rivière décrit sur les prés fréquemment inondés. Elle pénètre en ville. La première gare du Midi, inaugurée le 17 mai 1840, s'implante sur le site des dépendances de l'ancien couvent des Bogards, propriété de l'administration des hospices.

La voie ferrée s'établit perpendiculairement aux longues parcelles qui divisent le fond de la vallée. Les divisions du sol urbain confirment l'orientation du parcellaire rural, auquel elles se superposent. Comme l'atteste le plan de W.B. Craan (ca 1835), la capitale se construit, déjà sur les terrains non édifiés à l'intérieur de la ville ancienne, de part et d'autre de la ligne de chemin de fer, par subdivision progressive des grandes parcelles agricoles.

La structure parcellaire est la base régulière du tracé. Déjà, la rue de Terre-Neuve et son prolongement au-delà du rempart, la Slijpmole straet, tendent à rectifier le tracé sinueux de la Senne. Le chemin de fer mène ce labeur à son terme. Il fixe l'orientation précise des tracés de l'extension future.

Si, en 1840, aucun faubourg ne se développe encore au delà du boulevard du Midi, d'intenses transformations s'opèrent autour de la gare. "Le long de la rue du Midi, tout autour de la place Rouppe (tôt reliée à la rue de Terre Neuve d'un côté, au Vieux Marché par delà la Senne de l'autre), les constructions sortirent de terre."2

Louis Verniers remarque encore, à propos des gares du Nord et du Midi, qu'"attirées par le foyer de vie qu'elles constituent, les maisons de commerce (restaurants, hôtels pour les voyageurs, etc) vinrent se fixer dans leur voisinage." Des quartiers nouveaux apparurent ainsi, croissant avec rapidité au milieu d'espaces que, de tous temps, les plans de la ville représentaient livrés aux blanchisseries, aux labours et aux paturages."3

2. Une idée de ville-capitale. Le plan général comme loi de la transformation

"Au fur et à mesure que la population déborda sur les territoires des communes, on dut tracer des nouveaux quartiers, créer des voies de pénétration vers la banlieue et des artères de raccordement entre les faubourgs."4

Nommé, le 29 septembre 1840, inspecteur-voyer dans les faubourgs de Bruxelles par la députation permanente de la province de Brabant, Charles Vanderstraeten adresse au Ministère de l'Intérieur un plan accompagné d'un mémoire. Ce "plan général d'alignement et de nivellement des faubourgs de la ville de Bruxelles" est approuvé par Arrêté Royal le 28 avril 1846. La loi reconnaît la nécessité d'un plan qui définit pour la ville entière des règles de transformation, d'un plan qui invite les multiples pouvoirs à associer leurs objectifs en vue de poursuivre ensemple un travail collectif déterminé : la construction d'une ville-capitale.

Le plan distingue deux classes de voies, qui répondent aux deux exigences distinctes que résume l'historien : celles qui ont pour but l'accès aux éléments de la résidence et celles qui se définissent comme "voies de pénétration" ou "artères de raccordement". Sur le plan, toutes les voies de la seconde classe sont tracées. Quelques amorces des premières adressent, cependant, un propos nettement didactique. C'est ainsi qu'il faut voir le tracé de l'extension du faubourg du Nord. Aux quelques rues déjà tracées par les lotisseurs particulers, l'architecte adjoint un tracé de voies parfaitement parallèles, de part et d'autre de

1 G. Jacquemyns, Histoire contemporaine du Grand Bruxelles, Bruxelles, librairie Vanderlinden, 1936, p. 952 L. Verniers, Les transformations de Bruxelles et l'urbanisation de la banlieue depuis 1795 , in : Annales de la Société Royale d'archéologie de Bruxelles, p. 1143 Ibidem. p.1134 G. Jacquemyns, op. cit. p. 22

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la ligne du chemin de fer, limitant de longues rangées d'ilôts d'environ 90 mètres de largeur, divisés par des rues transversales disposées à intervalles réguliers pour former des îlots carrés.Déjà il est possible de constater que le lotissement urbain, par ses éléments, leur disposition, leur orientation, leurs dimensions, établit une correspondance étroite avec le lotissement de la ville ancienne. Il suffit de comparer le tracé du quartier du Nord à celui de l'ancien faubourg de la rue Haute et de la rue Blaes, par exemple.

Hormis une commune orientation de tracé, le chemin de fer et le nouveau faubourg entretiennent un autre rapport, celui qu'instaure la gare comme monument, et la place qui, selon un procédé éprouvé de mise en scène, manifeste la gare comme élément générateur du quartier. La place, cependant, s'ouvre vers la ville. La gare se présente à la ville comme un de ses édifices principaux. Elle fait ainsi d'un faubourg un quartier de la ville-capitale.

Le plan Vanderstraeten est, au sens propre, un plan idéal. Il expose une idée de ville-capitale.C'est à Victor Besme, le successeur de Vanderstraeten, qu'il appartiendra d'ouvrir le tracé des rues des quartiers qui entourent la gare du Midi. Il lui reste à accommoder aux situations particulières les dispositions générales adoptées par son prédécesseur.

II. Les quartiers du Midi

1. Victor Besme et l'extension des quartiers du Midi

"…Une commission instituée par le Ministre des Travaux Publics constata que les deux gares du Nord et du Midi étaient souvent insuffisantes pour l'arrivée et le départ des voyageurs. La station du Midi surtout était à l'étroit. L'espace manquait pour lui donner l'extension voulue. (…) Le gouvernement ne tarda pas à faire commencer les travaux; ils ne furent terminés qu'en 1869."5

Les débuts de l'extension des quartiers du Midi coïncident avec la décision prise en 1859 de reculer la gare à l'extérieur des boulevards. La nouvelle gare du Midi s'établit dans les prairies de Cureghem. Ses voies peuvent s'étendre désormais sur un terrain de 200 mètres de large.Les intérêts du trafic sont cependant loin d'être les seuls à militer pour ce repositionnement de la gare du Midi. Victor Besme s'exprime clairement à propos des travaux à venir dans les faubourgs où "il n'y avait plus de villages mais bien des villes naissantes qu'il fallait raccorder entre elles et à la ville mère et fondre en une grande capitale, qu'il fallait développer avec ce cachet de grandeur et de régularité qui convient à cette forte agglomération qui représente en quelque sorte le pays."6

Il s'agit en clair pour l'inspecteur-voyer d'inciter l'extension des nouveaux quartiers de la première couronne même là où elle ne se développe pas encore. Une gare apparaît comme un élément privilégié autour duquel promouvoir la formation d'une partie nouvelle de la vile-capitale.En 1863, "Victor Besme présenta le plan général du quartier à élever sur les territoires des communes de Saint-Gilles et d'Anderlecht, dans l'espace compris entre la route de Mons, le boulevard du Midi et la limite de la commune de Forest."7

Examinons maintenant cette partie de la ville, telle que la représente Besme. La ligne du chemin de fer tend à se substituer à la Senne. C'est elle qui forme désormais la limite la plus claire entre les deux flancs de la vallée. Elle sépare nettement deux parties de la ville. Sur la rive droite le quartier du Midi, sur la rive gauche le quartier de Cureghem. La ligne du chemin de fer définit exactement l'orientation de l'ensemble du tracé des quartiers qui la bordent.

2. La gare comme élément générateur

G. Jacquemyns nous apprend que Victor Besme, "arpenteur-juré, était attaché au service d'une compagnie concessionnaire de chemin de fer et avait coopéré de manière active à l'étude des lignes en projet et en construction"8. Sans doute n'ignorait-il pas les dispositions de la ville ferroviaire américaine, cette ville, créée ex nihilo par les compagnies de chemin de

5 G. Jacquemyns, op. cit. p. 226 Lettre de Victor Besme au Commissaire de l'Arrondissement de Bruxelles, le 4 juillet 1860, citée par G. Jacquemyns, op. cit. p. 457 G. Jacquemyns, op. cit. p. 96 8 G. Jacquemyns, op. cit. p. 44

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fer de part et d'autre de la voie, cette ville en damier dont la ligne ferrée définit l'orientation, dont la gare est l'élément générateur principal.

L'Arrêté Royal du 23 mai 1863 indique le contour précis de l'édifice de la gare. L'ancienne gare des Bogards disposait deux bâtiments allongés parallèlement au chemin de fer, et de part et d'autre. La place Rouppe, bordée par des bâtiments sur trois côtés, s'ouvrait, par son quatrième côté, vers le lointain. La place de la gare mettait en scène une distinction ville-campagne encore évidente. La gare manifestait cependant l'avènement d'un nouveau rapport d'ouverture de la ville vers la campagne. La nouvelle gare, œuvre de l'architecte Auguste Payen, qui s'ouvre au service des voyageurs le 6 novembre 1869 et des marchandises le 27 décembre, n'est plus cette porte de la ville ouverte vers la campagne. La ville s'étend maintenant le long du chemin de fer, de part et d'autre, sur plusieurs centaines de mètres.Des quartiers du Midi, "la station occupait le centre" écrit G. Jacquemyns9. Elle est l'élément générateur. C'est elle aussi qui établit le lien le plus manifeste entre la ville ancienne et les nouveaux quartiers méridionaux de la nouvelle capitale. La place de la Constitution est le lieu d'où la ville-capitale met en scène l'ancienne métropole provinciale qui se déploie sur le coteau, limitée par le boulevard qui continue d'en signifier l'enceinte, et d'où l'ancienne métropole met en scène la nouvelle masse de la grande ville-capitale.Le front gigantesque que la gare présente vers la ville l'affirme comme élément d'un système dans lequel le boulevard n'apparaît plus en qualité d'élément singulier mais bien en qualité d'élément régulier. Le boulevard et le monument apparaissent donc comme les deux principaux outils par lesquels la ville-capitale cherche à affronter la question de la représentation d'un de ses conditions absolument nouvelles : sa grande dimension.

1. La rive droite

L'Arrêté Royal du 23 mai 1863 ouvre à l'édification le quartier de la rive droite. Sont décrétées les rues Fonsny et de France, larges de 20 mètres, qui limitent l'aire réservée à la gare du chemin de fer, la rue de Mérode, large de 15 mètres, parallèle au chemin de fer, et la rue Féron, large de 12 mètres, qui rectifie et prolonge un très ancien chemin, le chemin de Forest, vers le boulevard et vers le Sud, la rue de Prusse (rue d'Argonne), large de 20 mètres et les 8 autres rues transversales, larges de 12 mètres : de Russie, d'Angleterre, de Hollande, de Suède, Claes, Coenraets, de Danemark et Théodore Verhaegen.Entre les rues de Danemark et Verhaegen, fermant la rue de Mérode, l'emplacement d'une église est décrété, qui sera supprimé par l'A.R. du 19 septembre 1873 suite aux pressions exercées par les propriétaires des terrains.L'avenue du Roi, ouverte en 1875, est destinée à établir une communication directe entre le nouveau parc de Forest et la gare du Midi. Elle limite vers le Sud le tracé du quartier du Midi. Une succession de voies rapprochées s'établit parallèlement à elle. Elles aboutissent obliquement sur la rue de Mérode prolongée. Paul Saintenoy construira au croisement des rues de serbie, de Fierland et de Mérode, l'église Saint Antoine de Padoue.Sur le "plan d'ensemble pour l'extension et l'embellissement de l'agglomération bruxelloise" que dresse V. Besme en 1866, les débuts du mouvement de la bâtisse dans le quartier du Midi sont bien lisibles. De nombreuses maisons s'alignent rue d'Angleterre et rue de Hollande. Aux abords de la gare encore en construction, quelques hôtels s'élèvent. Pour l'essentiel, le quartier du Midi est un quartier de petite bourgeoisie. Beaucoup de ses maisons appartiennent à des rentiers : ce sont des "maisons de rapport".

2. La rive gauche

Sur la rive gauche de la Senne s'étendent les prairies de Cureghem "au milieu desquelles étaient établies depuis longtemps d'importantes usines"10."…dès l'aurore de notre indépendance nationale, l'installation de quelques fabriques avait provoqué la fixation de familles ouvrières. En 1834, on y comptait deux fabriques d'étoffes de laine, six imprimeries et teintureries de coton, trois filatures et fabriques de coton, une fabrique de chandelle, etc." "Cette première industrialisation de la commune s'accentuera après la création de la nouvelle gare du Midi : filatures, tissages, ateliers de construction mécanique, tanneries, teintureries, chocolateries, maroquineries, imprimeries, etc. se multiplièrent et firent d'Anderlecht un centre essentiellement ouvrier."11

9 G. Jacquemyns, op. cit. p. 9610 G. Jacquemyns, op. cit. p. 9011 L. Verniers, op. cit. p. 96

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Victor Besme entendait encourager cette vocation industrielle naissante. "En 1859, quelques propriétaires, Otlet, Dupont et Dony s'entendirent pour ouvrir une deuxième artère de pénétration : la rue Brogniez. "12 (ndla : la première est l'ancienne chaussée de Mons)"L'inspecteur-voyer croyait que les digues du canal de Charleroi situées à proximité de la ville seraient un jour converties en quais. Des relations nombreuses s'établiraient alors entre les quais et la gare du Midi. Il fallait donc relier ces deux ports par la voie la plus directe et donner à la route de jonction une largeur qui fût en rapport avec l'activité de la circulation qui s'y ferait à l'avenir. C'est pourquoi, parallèlement à la façade principale de la gare du Midi, le plan Besme indiquait une rue de 20 mètres de largeur (rue de Prusse et rue de l'Allemagne, aujourd'hui rue d'Argonne et rue Clémenceau).Le plan d'ensemble de la nouvelle artère et du quartier fut approuvé par l'A.R. du 24 janvier 186413.L'A.R. du 17 mai 1864 approuve le tracé - proposé par A. Payen, architecte de la nouvelle gare - d'une avenue de 66,50 mètres de largeur, plantée de cinq lignes d'arbres, destinée à établir devant la gare une composition symétrique autour de l'axe de la rue du Midi. Ce tronçon de boulevard (boulevard Jamar) qui, par un hasard heureux, prolonge la rue de Fiennes déjà prévue, perturbe notablement l'ensemble du tracé de Besme. La place de Cureghem (place Bara) déjà réduite, s'ouvre entièrement sur cette large avenue qui ouvre également le front Ouest de la place de la gare. De l'îlot allongé compris entre le front de la gare et la rue de France ne subsiste qu'un petit triangle. Le premier tronçon de la rue de France est supprimé. Le boulevard Jamar transforme ainsi la place Bara en un carrefour où convergent les rues menant vers la gare du Midi. Cette modification du tracé urbain confirme la primauté de la gare comme élément générateur du tracé urbain, qu'aucun édifice public ne lui conteste. Elle signale aussi l'intensification du trafic autour de la gare.Dès 1870, peu après l'inauguration de la nouvelle station du Midi, le quartier de Cureghem commence à s'étendre entre le boulevard du midi et la rue d'Allemagne récemment ouverte. La rue de Fiennes est ouverte en 1872 (A.R. du 1er mai) . Á son croisement avec la rue de Fiennes s'implante une place publique, la place du Conseil. Vers 1875, on établit la maison communale dans l'axe de la rue de Fiennes. La maison communale se montre vers la place de la gare et vers le boulevard. Anderlecht signifie ainsi sa transformation au titre de partie de la ville-capitale. L'implantation de la maison communale oblige le décentrement de la rue des diplomates (rue Van Lint), approuvé par A.R. le 5 septembre 1875.L'édification progresse jusqu'à la rue de l'Instruction. En 1879, tout le nouveau quartier qui s'étend des deux côtés de l'artère centrale est terminé. En moins de vingt ans, les prairies humides de Cureghem ont été transformées en un faubourg régulièrement tracé et bâti en grande partie."14

"L'élevage et l'abattage bovins, le commerce de la viande, le commerce et l'artisanat du cuir occupent une place prépondérante parmi les activités pratiques sur le territoire de l'actuelle commune d'Anderlecht. Le culte de Saint Guidon y avait rassemblé dès le Haut Moyen-Âge un grand nombre d'éleveurs." 15

Ces activités n'ont cessé de s'affirmer durant tout le XIXème siècle. Peu après 1830, le 1er avril 1836, la première pierre de l'abattoir qui brodait le boulevard près de la porte de Ninove était posée. Non loin s'était implantée l'école de médecine vétérinaire de l'Etat, sur un vaste terrain bordant la Senne, le long du boulevard d'Anderlecht.Besme entendait lier l'extension du quartier au-delà de la rue de l'Instruction à l'établissement d'un nouvel abattoir (70x70 mètres), précédé d'un grand marché au bétail (200x180 mètres) , planté d'une triple rangée d'arbres formant carré et bordé de galeries couvertes.Le plan, présenté le 3 décembre 1883, est approuvé par l'A.R. du 2 mai 1884. L'A.R. du 1er juillet 1891 en modifie certaines dispositions. Une nouvelle école vétérinaire remplace l'abattoir et le marché au bétail initialement prévus. Ses bâtiments s'implantent à l'extrémité de l'avenue large de 30 mètres prolongeant la rue Brognez (aujourd'hui boulevard de la Révision), le long de la rue des Vétérinaires qui lui est perpendiculaire, sur un terrain de 150 mètres de large qui s'étend jusqu'à l'actuelle rue du Docteur Kuborn. La rue Bara est prolongée. La rue Eloy, diagonale, dédouble la rue de Fiennes et conduit vers la chaussée de Mons près de la halle de Cureghem établie sur le chemin de fer de ceinture qui, depuis l'ouverture de la nouvelle gare du Midi, contourne Bruxelles par l'Ouest et assure la jonction des convois de marchandises.Le lotissement est pour ainsi dire complet en 1910.

12 L. Jacquemyns, op. cit. p. 9613 G. Jacquemyns, op. cit. p. 9714 G. Jacquemyns, op. cit. p. 9915 G. Jacquemyns, op. cit. p.

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III. La jonction Nord-Midi.

Nous avons aperçu jusqu'ici l'intime correspondance entre le développement du dispositif ferroviaire national et l'extension de la ville-capitale. Nous allons observer maintenant les rapports qui lient Bruxelles à la mise au point du dispositif ferroviaire qui accompagne l'essor international de l'Europe.Entreprise au milieu du vingtième siècle, la réédification de la gare du Midi participe à un vaste ensemble de travaux qui visent à réaliser la jonction ferroviaire directe des réseaux du Nord et du Sud de l'Europe à travers Bruxelles.Mais l'"'idée d'une jonction à travers la ville de Bruxelles des parties Nord et Sud du réseau des chemins de fer et la création d'une station au cœur même de la ville date de l'origine même des chemins de fer belges."16 Cette idée est très manifestement à l'initiative des spéculateurs bruxellois.

1. La première jonction

Dès 1836, l'année qui suit la mise en service de la première ligne de chemin de fer du continent (qui reliait Bruxelles à Malines au départ de la gare de l'Allée Verte), "au moment où il s'agissait de construire la première ligne vers le Sud de la Belgique, Bruxelles-Mons, la Ville de Bruxelles, dans une pétition adressée au gouvernement, réclamait une gare intérieure : si Bruxelles, disait la pétition, n'obtient pas une station dans son enceinte, il est certain que bientôt de nombreuses et brillantes auberges s'érigeront au dehors et retiendront, au grand détriment de celles de la Ville, les voyageurs arrivant du Hainaut. Depuis longtemps, les faubourgs s'agrandissent et s'enrichissent d'une manière funeste aux intérêts de la Ville qui reste accablée sous ses charges. Il n'est pas moins important pour le trésor de l'État que pour les habitants de la Ville, que la station soit aussi rapprochée que possible du centre, qu'elle soit établie dans l'intérieur."L'implantation de la gare des Bogards à 650 mètres de la Grand-place ne peut que plaire à ces pétitionnaires. Une première percée urbaine, la rue du Midi, prolonge la ligne du chemin de fer. Cette rue, appelée d'abord rue du Chemin de Fer, est creusée en 1841 à travers les biens de l'ancien couvent des Bogards. Disposition que confirme la suite du texte : "Quant à la station des Bogards, nous la croyons utile, indispensable, non seulement dans l'intérêt de Bruxelles, non seulement pour des raisons politiques, mais dans l'intérêt des voyageurs eux-mêmes, surtout si le chemin de fer conduit jusqu'au centre de la Ville. Toutefois, ce repos doit être facultatif, et non obligatoire."En 1837, une commission commanditée par la Ville de Bruxelles chargée d'apprécier l'opportunité de la jonction de la station de l'Allée Verte et de la station des Bogards, se prononce en faveur de la création d 'une gare centrale.La première jonction ferroviaire, décrétée par l'A.R. du 15 juillet 1839, est cependant une ligne de raccordement qui suit les boulevards de l'Ouest de la Ville. Elle est inaugurée le 28 septembre 1841. Elle n'assure que le trafic des marchandises. En effet, le 26 septembre 1841, la station de l'Allée Verte - d'où s'était ébranlé le 5 mai 1835 le premier convoi de chemin de fer du continent - cède à la station de Bruxelles-Nord la totalité du trafic des voyageurs.Cette nouvelle station, dont les terrains sont expropriés par l'A.R. du 15 juillet 1839, bâtie par l'architecte F. Coppens et inaugurée en 1846, fait face au débouché de la "longue rue Neuve" sur le boulevard. Cette ancienne rue, prolongée par la rue des Fripiers, traverse en ligne droite toute la ville basse jusqu'en son centre. Elle est destinée dans un avenir proche à rejoindre la rue du Midi, pour ne plus former qu'une seule voie de liaison directe entre les stations du Nord et du Midi. Là s'éprouve la première jonction Nord-midi. Mais c'est encore une jonction toute nationale : comme le note poliment L. Verniers, "la région bruxelloise constitue un trait d'union entre le "pays noir" et notre grand entrepôt maritime, entre Charleroi et Anvers."17

Dès l'ouverture de la station de Bruxelles-Nord, un intense trafic de voyageurs s'instaure entre les deux gares de chemin de fer. Le projet des galeries Saint-Hubert, présenté en 1838 par Cluysenaar, s'impose alors par la réponse qu'il apporte au problème de l'encombrement de la rue des Fripiers.

16 F. Brunfaut, La Jonction, Bruxelles, éd. Goemare, Bruxelles 1959, p. 2817 L. Verniers, op. Cit. p. 99

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C'est en 1862 que s'effectue le raccordement de la rue du Midi à la rue des Fripiers. Cette longue voie rectiligne permet certes aux intérêts du trafic de passage et à ceux du commerce de s'accommoder. Mais l'intensité de la circulation s'accroît d'année en année.

2. La deuxième jonction

En 1855, le comité de propagande Anspach-Guillery se forme pour promouvoir la jonction ferroviaire des gares du Nord et du Midi. De nombreux projets voient le jour. Le décentrement de la nouvelle gare du Midi rend impérieux l'établissement d'une ligne de chemin de fer de raccordement pour voyageurs entre les gares du Nord et du Midi.Jusqu'à l'élection de Jules Anspach au mayorat de la Ville manquera aux édiles communaux l'instrument des modifications en profondeur que la haute bourgeoisie bruxelloise souhaite depuis longtemps réaliser. Cet instrument, c'est la loi généralisant l'application du principe de l'expropriation par zone pour raison d'utilité publique votée le 15 novembre 1867.Le 8 septembre 1866, le Conseil Communal de Bruxelles ratifie le contrat signé avec une société privée anglaise, la Belgian Public Works Company, pour la réalisation d'un double canal souterrain dans lequel s'écoulera la Senne, très polluée, et de deux pertuis d'égout.Le canal voûté, dressé par l'architecte Léon Suys, établit l'assiette d'une voie, large de 30 mètres, reliant en droite ligne la nouvelle station du Midi à la station du Nord. Les travaux commencent en 1867 et s'achèvent en 1871. En 1872, la première ligne de chemin de fer américain (tramway) du centre met en communication les gares du Nord et du Midi. Elle occupe le milieu du nouveau boulevard central. Voûtement de la Senne et jonction ferroviaire relèvent d'un seul projet.La jonction des deux gares terminales a entraîné de profonds bouleversements à l'intérieur du périmètre de la ville ancienne. "L'une après l'autre, les habitations paisibles et confortables qu'y occupaient les familles bourgeoises se muèrent en maisons de commerce, de sorte que la valeur d'emplacement y devint bientôt considérable."18 Leurs propriétaires s'établissent de plus en plus nombreux sur le plateau oriental, au Quartier Léopold. "Des boulevards du haut de la ville, plus larges que ceux du bas, l'on jouissait d'une belle vue sur la banlieue agreste. Ils devinrent rapidement la résidence préférée des familles patriciennes de la cité. Ainsi commence la migration de la haute bourgeoise vers les boulevards de Waterloo et du Régent."19 Les seuls travaux du voûtement de la Senne entraînent la démolition d'environ 110 maisons. Victor Besme écrit dans le mémoire qui accompagne son plan d'ensemble : "En prenant une moyenne de six personnes par ménage, nous constatons q'il va falloir construire environ 7000 maisons ou logements de ménages."20 La loi de 1867 ne prévoit aucune aide aux ménages expropriés. Les destructions qui frappent alors les quartiers de la ville provoquent le déménagement progressif de la population ouvrière, "rejetée de plus en plus vers les limites les plus lointaines de l'agglomération."21 Plus de 40.000 personnes ont en réalité été chassées par les promoteurs de cette première jonction Nord-Midi.Au cours du XIXème siècle, malgré l'amorce de ce mouvement d'émigration, la population du pentagone n'a cessé de s'accroître: 99.522 habitants en 1831, 123.874 en 1846 et 154.899 en 1900.22 En dépit de la substitution de rôle par laquelle un premier large pan de la métropole brabançonne disparaît à tout jamais, une partie sans doute pas négligeable du texte de l'architecture de Bruxelles ville-capitale s'écrit.

3. La troisième jonction

La prétention d'établir une jonction directe du réseau à travers la ville ancienne n'a cependant pas disparu. Par la signature de la convention du 7 avril 1903, l'État et la Ville entreprennent d'un commun accord les travaux d'une jonction ferroviaire directe à travers Bruxelles.L'assainissement des quartiers justifie ici encore la destruction de 1200 maisons, et la disparition des quartiers établis sur le flanc oriental de la vallée dans lequel est creusé le tunnel. Les deux guerres mondiales interrompent le chantier. Les travaux sont achevés en 1959. Ils comprennent le relèvement des stations du Nord et du Midi, le creusement du tunnel (longueur 2000 mètres) et la construction de la gare centrale, la réalisation de deux 18 L. Verniers, op. Cit. P. 111-11219 L. Verniers, op. Cit. P. 10920 Cité par L. Verniers, op. cit. p.9321 M. Smets, L'avènement de la cité-jardin en Belgique. Histoire de l'habitat social en Belgique de 1830 à 1930, Pierre Mardaga éd., Bruxelles-Liège 197722 Voir E. Lagrou, La politique d'urbanisation dans le pentagone bruxellois depuis la fin de la guerre. Des travaux à grande échelle aux interventions par parcelle, in : Pierres et rues de Bruxelles, Bruxelles 1982, p. 315

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viaducs. Le viaduc du Midi - 900 mètres de long - est situé 8 mètres au dessus du sol. Il joint la gare à l'entrée du tunnel aux abords de l'église de la Chapelle.La même année 1959, un des plus ardents défenseurs du projet, le député Fernand Brunfaut, tente d'en communiquer les bonnes raisons à un large public23. Dans son livre, deux plans figurent l'ampleur des emprises (situation de la voirie avant jonction - 1903) et des travaux de réédification (urbanisation des abords de la jonction - situation en 1959). Les modifications de la gare du Midi et de ses abords apparaissent clairement. L'ancienne gare terminale disparaît. L'ensemble des services de la gare se répartit sous le large éventail des voies, surélevées de 6 mètres. La place de la gare est traversée par le viaduc de jonction sous lequel s'installent des magasins. Le recul des installations de la gare (le grand hall, perpendiculaire aux voies, est porté à hauteur de l'îlot limité par les rues d'Angleterre et de Hollande) permet l'établissement sous le viaduc d'une rue couverte (l'ancienne rue de l'Argonne) où prend place la gare des tramways.L'édifice de la gare ne se distingue plus, désormais, du dispositif ferroviaire. Seule une tour d'horloge signale le hall d'entrée, côté rue de France, aux abords proches. La gare n'apparaît plus ni depuis le faubourg ni depuis la Ville, sinon par sa réalité d'élément d'infrastructure.Aux modifications de l'infrastructure ferroviaire correspondent deux principales modifications aux abords de la gare

1. une amplification spectaculaire de la surface de la voirieSur le site de la place de la Constitution, de part et d'autre de l'éventail de la jonction, deux larges voies (dont le boulevard de l'Europe) raccordent directement le boulevard de petite ceinture à la rue de France et à l'avenue Fonsny, élargies de 20 à 25 mètres. Ces anciennes rues de desserte des quartiers vers la gare sont reliées désormais au système de la grande voirie métropolitaine d'accès vers la ville. La percée de l'avenue Paul-Henri Spaak permet, par la création d'une boucle de circulation, d'intensifier encore le trafic automobile, vers et depuis la gare. Elle confirme nettement le mouvement amorcé en 1864 par la création du faux-boulevard Jamar.2. l'implantation de la tour du MidiLa tour du Midi est un édifice à vocation exclusivement tertiaire, élevé entre 1962 et 1967. Sa surface utile totale, annexes comprises, est de 63.400 pm². Sa hauteur est de 150 mètres. Il compte 37 étages hors-sol.

Le transport privé, privilège des couches aisées avant la guerre, connaît à la fin des années '50 une expansion presque incroyable : 8% de la population résidente de l'agglomération de Bruxelles possèdent une voiture en 1954. En 1975, le taux de motorisation est de 31%. Le parc automobile double entre 1952 et 1960.24

La croissance du parc automobile doit être directement mise en rapport avec le modèle spatial-architectonique qui préside - depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale - à la mise en œuvre de Bruxelles métropole internationale : un modèle fondé sur un classement horizontal des activités (zoning) qui concentre les fonctions administratives et disperse l'habitation. La croissance du parc automobile n'est donc qu'un symptôme d'un "projet" bien plus ample.Dans ce contexte, le transport en commun s'adapte ! Il est convié à s'associer (!) avec une efficacité maximale au développement du trafic automobile. "Tramways, autobus, trolleybus, gyrobus, automobiles privées ont des intérêts communs plutôt que divergents." Et Brunfaut ajoute : "Il appert donc que les transports en commun constituent le mode de déplacement populaire par excellence, mais il importe en ces matières, de plus en plus, d'abandonner les trajets en surface." Et, revenant à notre aire d'étude, "les ouvrages qui réalisent dans des conditions idéales cette séparation des moyens de transport sont évidemment les tunnels pour tramways des boulevards du Midi, Poincaré, Lemonnier, etc.. Indépendamment des avantages que retire la STIB de la mise en souterrain de ses lignes et qui consistent essentiellement dans une augmentation de la régularité et de la sécurité de l'exploitation, les promoteurs et les réalisateurs de ces tunnels poursuivaient d'autres buts : d'une part le dégagement de la voirie en surface qui, libérée de la présence des tramways, devient disponible pour la circulation automobile, d'autre part, la suppression du recoupement, par les tramways, de la circulation intense régnant au boulevard extérieur ainsi qu'au carrefour de la rue de l'Argonne et de la place de la Constitution"25

En 1972, "le total des voyageurs transportés dans l'agglomération bruxelloise n'atteindra plus que la moitié de ce qu'il était en 1952."26

23 F. Brunfaut, La jonction, éd. Ad. Goemare, Bruxelles24 Voyez J. Aron, Le tournant de l'urbanisme bruxellois, Fondation J. Jacquemotte, Bruxelles 197825 F. Brunfaut, op. cit., pp. 223-22426 J. Aron, op. cit., p. 32, note n°3

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Restés cependant indispensables les transports en commun servent à la concentration de l'activité tertiaire. Toute la partie orientale du pentagone et les faubourgs de première ceinture qui la jouxtent sont affectés presque exclusivement aux activités administratives."L'ouverture d'une gare en plein centre de Bruxelles, en 1952, et la reconstruction systématique de bâtiments de services publics et privés sur les terrains rendus vacants par les travaux de la jonction Nord-Midi vont contribuer puissamment à centraliser la fonction administrative."27

Observons le second plan mentionné dans l'ouvrage de Brunfaut. S'y révèle le net projet d'une exclusive concentration de bâtiments administratifs tout le long du tracé de la jonction Nord-Midi. Pour les 12.000 habitants expulsés, un seul immeuble d'habitations sur l'ensemble des sites expropriés. Seuls les bâtiments administratifs sont d'ailleurs mentionnés sur le plan.Le tracé des deux premières lignes de métro n'est en rien étrangère à ce processus. Les travaux d'infrastructure ferroviaire qui, jusqu'aux dernières années du XIXème siècle, avaient soutenu la croissance démographique de la ville et des faubourgs de la première couronne, se révèlent liés, dès 1910, lorsque débute l'éventration des quartiers de la Putterie, d'Isabelle, Ter Arken et Sainte-Elisabeth, à l'essor d'un mouvement de dépopulation du centre de plus en plus accentué. "Entre 1900 et 1974, la zone située à l'Ouest des boulevards Nord-Midi perd 52% de sa population, tandis que la zone située à l'Est de ces boulevards en perd 75%."28

IV. Conclusion. La leçon de Victor Besme

Á travers cette étude, nous avons compris à quel point infrastructure ferroviaire et architecture de la ville sont interdépendantes, et ceci notamment du fait de l'immense pouvoir générateur de la gare.Le grand coup de génie de Victor Besme - à l'âge de l'essor de Bruxelles-capitale nationale - est d'avoir déplacé la gare du Midi hors du périmètre édifié de la ville ancienne. Ce faisant, il permettait tout à la fois le respect de l'architecture de la ville ancienne - gardée à l'écart du mouvement spéculatif - et la pleine mise à profit du pouvoir générateur de la gare : une gare autour de laquelle deux grandes parties de la nouvelle ville-capitale ont, de fait, déployé leur architecture sans contradictions majeures tout au moins avec la ville de plus ancienne initiative. Cette décision prend, à nos yeux, valeur de choix. Un choix, le choix de la ville sédimentaire, d'une ville aux rôles distincts et complémentaires. Un choix opposé à celui, substitutif et brutal, de la "reconstruction de la ville sur elle-même". Leçon précieuse, au moment où Bruxelles, qui a justement refusé la destruction massive de ses rôles institués par la poursuite d'expérimentations métropolitaines basées en partie sur l'instrumentalisation de l'expansion ferroviaire, s'apprête à accueillir la halte d'un chemin de fer métropolitain de nouvelle génération au cœur même d'une partie de sa réalité la plus définitive et légitime : au cœur même de la ville-capitale. Aujourd'hui, en l'absence d'un projet métropolitain alternatif au "scénario Bruxelles-Manhattan", et dans l'illusion d'une pure et simple "reconstruction de la ville" dans laquelle finit par s'évaporer toute conscience de la condition métropolitaine de Bruxelles, le scénario Bruxelles-Manhattan reste - paradoxalement - le seul schéma persistant. Les quartiers du Midi sont sur le point de céder la place à un troisième "central business district" ?

27 J. Aron, op. cit., p. 2528 J. Aron, op. cit., pp. 20-21

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1.1.1. Un projet sur le domaine ferroviaire de Schaerbeek. L'architecture de Bruxelles Métropole Européenne

Programme de l'atelier organisé par l'École d'Architecture de l'Université de Montréal et l'Institut Supérieur d'Architecture de la Communauté Française LA CAMBREMontréal 31/7-14/8/2000, École d'Architecture de l'UniversitéBruxelles 15/8-1/9/2000; "Musée" de l'ISACF LA CAMBRE, place Eugène Flagey 19 B-1050 BRUXELLES

Dans le contexte de la réflexion sur Bruxelles, sur son "architecture" et sur son "urbanisme", la perspective qu'ouvre cet atelier est - sans doute - assez innovatrice.Vingt étudiants en architecture se confronteront au projet d'une partie de ville sur le domaine de la gare de formation de Schaerbeek.Ils ne se contenteront pas des réponses techniciennes aux questions de l'urbanisation de cette vaste aire du territoire bruxellois, et surtout pas de réponses dictées par la seule considération des questions de "mobilité". Les différentes questions de l'urbanisation de ce morceau du domaine ferroviaire, qui ont fait jusqu'ici l'objet d'approches séparées (mobilité, environnement, destinations d'usage, densité, patrimoine, etc.), ils les considéreront comme autant de conditions nécessaires mais non suffisantes du projet.Ils chercheront à se mesurer surtout à un ensemble de questions assez concrètes, qui renvoient à l'enjeu à la fois le plus manifeste et - à long terme - le plus durable du projet, son enjeu culturel : ces questions sont celles qui relèvent de la configuration de ce morceau du territoire : qui relèvent donc de son architecture. Cet atelier sera donc l'occasion d'une exploration sur l'architecture de cette nouvelle partie de ville. Il participera donc à la définition progressive de son projet d'architecture, qui est - en définitive - le but et la raison d'être nécessaire et légitime de tout l'effort de réalisation qui viendra.L'architecture de cette nouvelle partie de Bruxelles sera envisagée comme partie de l'architecture de Bruxelles . Les normes architectoniques qui présideront à sa configuration - depuis celles qui donneront cohérence à l'ensemble de la partie jusqu'à celles qui en organiseront les constituants élémentaires - seront en relation avec celles qui organisent l'architecture des parties déjà formellement confirmées de Bruxelles.Cependant, la relation dont il est ici question ne saurait être de pure homogénéisation : nous ne souscrivons pas à une lecture appauvrissante qui soumet l'architecture de Bruxelles à l'application d'un système de normes simplificatrices sensées s'appliquer indistinctement à toute la réalité du territoire urbain.L'architecture de Bruxelles est une architecture complexe. sa complexité est essentiellement due à son caractère sédimentaire : l'architecture de Bruxelles est faite de couches logiquement superposées. Même si, dans leur superposition, ces couches ne sont de fait pas strictement en équilibre et continuent de rendre manifestes certaines contradictions entre les rôles constitutifs de Bruxelles, leur lisibilité et leurs caractères différenciés sont d'importants points fermes pour penser le projet de Bruxelles, et pour le penser en termes de complexité et d'équilibre.La lecture de Bruxelles qui préside actuellement à l'"urbanisme" est une lecture homogénéisante : elle en appelle - même si jamais explicitement - à une mythique

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homogénéité de la structure urbaine. Il en résulte que les changements sans précédent qui affectent Bruxelles - qui sont dus à la confirmation toujours plus claire de son essor au titre de métrople européenne - sont assimilés à la poursuite d'un processus de reconstruction/réparation de l'architecture de Bruxelles capitale. Deux conséquences en découlent principalement. La première : Bruxelles s'interdit d'envisager ces changements comme conditions d'un nouveau moment de son projet architectonique, comme moment de son expression au titre de métrople européenne. La seconde : Bruxelles déstructure - impuissante, malgré le recours aux artifices de façade et à une rhétorique de "capitale culturelle" - ses couches architectoniques confirmées, dont les conditions d'unité et d'équilibre sont pourtant, dans l'ensemble, définitivement fixées. Qu'il suffise de considérer l'empressement avec lequel le sédiment de Bruxelles capitale continue d'être livré à la spéculation et aux restructurations profondément déséquilibrantes, systématiques ou capillaires, que lui imposerait son adaptation aux nouvelles conditions de l'internationalisation (restructiration systématique du quartier du Midi, extension en tache d'huile du "quartier européen, achèvement du quartier Nord, etc.).

Nous chercherons, dans cet atelier d'été, à configurer la partie de Bruxelles dont nous feront l'objet particulier de notre étude comme partie d'une des couches morphologiques qui composent, comme autant de moments légitimes, l'architecture complexe de Bruxelles, et - en l'occurence - comme partie de sa troisième couche, de son troisième sédiment : Bruxelles Métropole Européenne.

Cet atelier se détermine donc comme moment d'exploration sur les normes possibles de configuration de l'architecture de la troisième couche morphologique de Bruxelles : exploration sur la configuration générale de la couche, et, plus largement, sur ses caractères expressifs à toutes les échelles. A cette fin, la découverte de Montréal, qui s'est explicitement configurée depuis longtemps comme métropole, et a bénéficié - du fait de ses conditions particulières - de la convergences des exemples européens et américains, pourra s'avérer décisive et riche d'enseignements.

Cette exploration implique logiquement la reconnaissance des caractères de l'architecture des deux autres couches morphologiques principales de Bruxelles, qui manifestent les deux autres rôles légitimes et institués de Bruxelles : Bruxelles Métropole Régionale et Bruxelles Capitale Nationale. La reconnaissance des autres systèmes configuratifs constitutifs de l'architecture de Bruxelles est en effet nécessaire tant à l'exploration des caractères distinctifs de la troisième couche qu'à l'investigation des relations - de contiinuité et de différenciation - qui la lieront aux précédentes.L'atelier sera donc l'occasion pour les participants de se familiariser avec une lecture de l'architecture de Bruxelles capable d'en décrire et d'en respecter la complexité : Bruxelles lue comme réalité sédimentaire, faite de la superposition d'architectures en interrelation.Reconnaître cette complexité, reconnaître les conditions d'équilibre de ses couches, reconnaître à chacune ses caractères distinctifs, voilà peut-être une alternative à la façon pour le mois automutilante de faire de l'urbanisme qui s'est imposée sournoisement à Bruxelles depuis quelques années.

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1.1.2. Bruxelles croisée de fers

Nous allons volontairement faire abstraction dans ces lignes du complexe tissus de relations humaines qui, pour une bonne part, explique la relative indécision qui plane encore, après tant de débats, sur l’épineux dossier TGV-Bruxelles. Non que nous le considérions avec mépris. Mais parce que nous pensons qu’une résolution définitive de cette question doive nécessairement impliquer l’accord de toutes les parties sur un projet qui ne soit pas seulement un compromis, que donc ce projet doive nécessairement représenter le fruit de l’effort d’un dépassement des points de vue contradictoires qui ont empêché jusqu’ici toute action légitimement concertée. Nous ne pourrions, du reste, prétendre offrir ici les termes d’un dénouement. Nous voudrions seulement faire part ici d’un point de vue : exposer les éléments d’un raisonnement critique sur les résultats des initiatives prises à ce jour, et montrer à quel point ces résultats sont diamétralement contraires aux options générales de politique urbaine annoncées, et même criées sur tous les toits depuis 30 ans à Bruxelles. Ouvrir la voie à d’autres éléments de méthode et à d’autres objectifs : objectifs restés jusqu’ici largement inaperçus et, pour cette raison, foulés aux pieds et ignorés.

Nous souhaiterions surtout ici attirer l’attention des décideurs politiques et de leurs conseillers sur la nécessité absolue de réinscrire la réflexion sur le tracé et le choix de localisation des haltes TGV en Belgique moyenne au sein d’une réflexion plus ample et plus générale sur le territoire, ses multiples usages, et sa reconfiguration : d’inscrire donc la réflexion sur les questions de mobilité à l’intérieur d’une réflexion qui soit tout à la fois plus générale et plus ouvertement prospective.

Nous pensons que la confrontation - en particulier - des diverses réflexions prospectives – bruxelloises, wallonnes et flamandes - sur l’organisation territoriale de la Belgique moyenne constitue un enjeu important. Si cette confrontation se poursuit avec la ferme volonté commune de réaliser ensemble un rééquilibrage des relations de Bruxelles avec le territoire national qui coïncide aussi avec un rééquilibrage de certaines relations internes à Bruxelles, elle peut conduire à l’adoption de lignes de conduites de grand poids symbolique pour la reconnaissance d’un projet fédéral.

TGV-Midi : les raisons méthodiques d’un échecL’ opération aventureuse conduite depuis la fin des années ’80 autour de la gare du Midi constitue un échec cuisant. Cet échec n’est pas d’abord l’échec d’un choix de mobilité. Personne ne peut charger les spécialistes des questions de mobilité de la responsabilité de cet échec. Il s’agit bien plutôt, et beaucoup plus largement, de l’échec d’un certain « scénario urbanistique » : l’échec d’une stratégie urbaine plus générale. L’aventure TGV-Midi est fort comparable – à un siècle de distance - à l’aventure des boulevards du Centre. Tout comme le projet de Bruxelles-capitale, à partir du début de la seconde moitié du XIXe, suscite une divergence profonde entre bourgeoisie capitaliste et bourgeoisie de province et finit par susciter la défection de la dernière et une stratégie d’autodestruction de la première qui réalisera dans la zone centrale de la capitale les grands investissements qu’elle aurait du déployer sur une aire territoriale plus vaste, le projet de Bruxelles-métropole européenne

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suscite la même divergence entre région bruxelloise et régions wallonne et flamande, à la différence près que désormais chacune de ces deux dernières cherche à recueillir sur son propre territoire les fruits des investissements consentis : ici encore le choix d’une localisation hyper-centrale pour l’arrêt TGV s’avère pour Bruxelles un choix suicidaire puisqu’il conduit à l’anéantissement complet des deux quartiers de Bruxelles-capitale qui jouxtent la gare, et qu’il participe à l’exacerbation d’un mouvement de hausse généralisée des prix du terrain, des immeubles et des loyers dans toute la zone centrale du phénomène urbain bruxellois.Le choix de localiser la gare TGV à Bruxelles-Midi révèle toute la fragilité, voire carrément toute l’ambiguïté du scénario « reconstruction de la ville » qui préside à l’urbanisme bruxellois depuis une trentaine d’années. Le scénario « reconstruction de la ville » s’est imposé à la faveur du refus d’une mutation (le « scénario « Bruxelles-Manhattan », dont les premières applications sont contemporaines de l’expo ‘58) qui proposait l’application à Bruxelles d’une recette métropolitaine désinvolte et violemment substitutrice de ses rôles territoriaux de plus ancienne initiative : Bruxelles-capitale et Bruxelles-métropole régionale. L’ambiguïté du « scénario reconstruction de la ville » tient au fait qu’il refuse à Bruxelles toute manifestation territoriale de l’essor de son rôle métropolitain-international-européen au sein des limites étroites de la nouvelle entité politico-administrative dont il se dote à ses fins de « reconstruction » (la « Région de Bruxelles-capitale ») sans toutefois logiquement en refuser la réalité économique et sociale, et même en confirmant consciencieusement et discrètement l’essor de la zone centrale du phénomène urbain bruxellois au titre exclusif de « capitale de l’Europe ». L’entité politico-administrative de Bruxelles – qui ne recouvre qu’une modeste partie du phénomène urbain bruxellois - se trouve aujourd’hui contrainte de n’envisager qu’à l’intérieur de ses limites étroites, dans la plus parfaite invisibilité (?) et dans une relation de stricte concurrence avec les Régions limitrophes, l’essor de sa destination métropolitaine européenne et internationale.Cette ambiguïté, cette contradiction profonde, commencent aujourd’hui à manifester sans ambiguïté tous leurs effets : invasion de la résidence de Bruxelles-capitale par une population eurogravitationnelle à haut pouvoir d’achat, poursuite de l’exode urbain de la classe moyenne belge, retour en force de la ségrégation spatiale, dualisme social, expansion de la tâche d’huile tertiaire-administrative, création de nouveaux zonings tertiaires, etc, etc.En refusant le scénario Bruxelles-Manhattan, Bruxelles a donc jeté le bébé avec l’eau du bain : en refusant un scénario métropolitain (un parmi d’autres possibles), elle s’est interdite la perspective même d’un projet capable d’inscrire de manière équilibrée en ses dispositions physiques un nouveau rôle métropolitain. Profitant de la confusion savamment entretenue entre ses rôles de capitale nationale et ses prétentions de « capitale européenne », non contente de ne pas donner forme à son essor métropolitain, Bruxelles, consciencieusement, et par petites touches, de proche en proche, suivant une logique capillaire familière aux processus spéculatifs, et à la faveur d’une planification urbanistique d’une flexibilité parfaite, détruit ses rôles de plus ancienne initiative : ses rôles de capitale de la Belgique et de métropole brabançonne.

Le désastre des quartiers du Midi est devant nos yeux. Regardons-le en face. Il est l’illustration la plus exemplaire à ce jour de l’impact inévitable du « scénario reconstruction de Bruxelles » et de la politique concurrentielle qui oppose une « Région » territorialement incomplète aux deux autres Régions du pays. La destruction systématique du grand faubourg du Nord (le « quartier Nord ») avait suscité l’aspiration à un projet capable de garantir la réparation de la ville capitale. La destruction – plus capillaire mais tout aussi consciemment organisée - du grand faubourg du Midi doit solder aujourd’hui l’abandon du « scénario reconstruction de la ville », parce qu’il fait ici de la façon la plus manifeste la preuve de son impuissance : de son impuissance à promouvoir le respect et a fortiori le rééquilibrage voire même le perfectionnement de Bruxelles-capitale dont l’architecture savante et complexe se détériore de jour en jour, de son impuissance à promouvoir – dans une relation équilibrée aux sédiments antérieurs du projet urbain - l’essor d’une nouvelle architecture du territoire métropolitain.

Lignes de conduite pour un projetPlutôt que d’implanter dans la zone centrale du phénomène urbain les haltes TGV, pour s’acharner ensuite à juguler les immenses potentialités génératrices qu’elles portent en elles, nous sommes d’avis qu’il faille résolument tirer parti de ces possibilités génératrices.

Le tracé de la ligne à haute vitesse, comme le tronc-mère du tracé de notre chemin de fer national (déjà en son temps qualifié à juste titre de « métropolitain » dans le contexte du développement de notre pays au titre de métropole coloniale), s’est très logiquement

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superposé au thalweg de la vallée de la Senne. Depuis plus de cent ans, l’infrastructure du transport ferroviaire est l’artefact qui, par excellence (avec le canal), témoigne de la reconnaissance du lien essentiel qui lie Bruxelles à cette large vallée de la Senne qui résume pour l’essentiel sa condition géographique. Or, le plan de Bruxelles quant à lui s’évertue à ne reconnaître cette condition géographique que de manière marginale et comme à contre-cœur : l’architecture de Bruxelles est et reste pour l’essentiel déterminée à partir d’un schéma idéal dont les caractéristiques topologiques sont complètement différentes : un schéma radioconcentrique mononucléaire. Bruxelles se pense comme une ville ronde, avec ses artères rayonnantes et ses grands anneaux de ceinture. Bruxelles-capitale évidemment, avec ses deux boulevards de ceinture, et ses grandes avenues triomphales (avenue Louise, avenue de la Couronne, avenue de Tervueren, boulevard Léopold II), mais aussi ce que nous ne pouvons pas ne pas reconnaître comme les faits définitivement accomplis d’une Bruxelles-métropole internationale en quête d’elle-même, qu’ils soient issus du temps des ambitions « métropolitaines coloniales » (les boulevards léopoldiens de « troisième ceinture » et les joyaux de la couronne que sont les « cités-jardins »), ou qu’ils soient issus du temps du « scénario métropolitain euro-atlantique » (le scénario Bruxelles-Manhattan) (le ring, le grand rayonnement des autoroutes et toutes les manifestations territoriales qui s’organisent autour d’elles : un centre à grande concentration d’immeubles de bureaux élevés et une vaste périphérie résidentielle « diffuse »).

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1.1.3. After zoning.Le destin métropolitain du Quartier Léopold

Depuis environ quarante ans, la « mixité des fonctions » est un des leitmotieve de la politique bruxelloise de l’urbanisme. Rapprocher physiquement lieux de « travail » et lieux d’« habitat » est un des principaux objectifs déclarés de cette politique. L’objectif est réaffirmé d’une législature à l’autre, à la faveur des diverses refontes du PRD (Plan Régional de Développement), puis du PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol), mais aussi à l’occasion d’études d’urbanisme qui concernent certaines aires plus restreintes de l’agglomération.Plus peut-être que d’autres communes de la Région, la Ville de Bruxelles a consenti et continue de consentir d’importants investissements dans le but d’attirer sur son territoire une population de résidents. Presque partout dans la Région de Bruxelles, on sait le succès de la maison ancienne, et celui du vieil atelier. Chancres et taudis d’hier se muent en lofts et hôtels de maîtres, même avant même l’indispensable « lifting » . Les principaux acteurs de ce changement sont ces « néo-urbains », actifs souvent au sein des milieux internationaux, qui sont dotés d’un pouvoir d’achat élevé. Le mouvement est bien amorcé. Les sociologues et géographes urbains l’appellent « gentrification ». Les « néo-urbains » sont une minorité, mais la spéculation qu’ils suscitent affecte la vie urbaine dans sa totalité. Les prix se sont envolés pour tout le monde, et la majorité des ménages bruxellois, dont les revenus sont nettement inférieurs à ceux des néo-urbains, se trouvent aujourd’hui bien en peine de maintenir dans une proportion raisonnable la part de leur budget réservée au logement.

Paradoxalement, le Quartier Léopold semble jusqu’ici avoir très largement échappé au mouvement.Les résidents sont rares. La fonction tertiaire reste dominante. Cette dominance s’est même réaffirmée au cours de la dernière décennie. Pourquoi cette faible attractivité résidentielle du Quartier Léopold ?

Tout d’abord, parce que le Quartier Léopold est – il s’est affirmé tel au cours des cinq dernières décennies - partie d’un « district européen » qui n’a cessé – depuis 1958 -d’étendre son aire d’influence autour d’un « pôle» (le Berlaymont) dont la localisation- -choisie alors pour de strictes raisons d’opportunité et en l’absence de toute étude d’urbanisme ou d’architecture urbaine –n’a été que confirmé depuis.Mais aussi parce que, déjà en 1958, le Quartier Léopold n’avait plus de « quartier » que le nom. Au cours des années qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, sa résidence, qui avait été celle de la fraction catholique de la bourgeoisie fondatrice de la nation belge, avait déjà, pour l’essentiel, cédé la place à de grands immeubles de bureau. Le Quartier Léopold s’était déjà mué en un véritable central business district métropolitain. À la faveur des préparatifs de l’expo ’58, il apparaissait déjà comme préfiguration d’une application à Bruxelles toute entière de la théorie américaine du « zoning ». Le scénario « Bruxelles-Manhattan », qui avait fini par s’imposer, l’avait associé - en l’occurence – à une interprétation assez caricaturale de la ville contemporaine d’ascendance corbuséenne : un scénario construit sur le principe de l’effacement quasi complet de la ville-œuvre de l’histoire sous une métropole

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organisée sur l’ hypercentralisation, en pôles monofonctionnels, de la fonction administrative et l’hyperdispersion de la résidence.

La faible attractivité résidentielle du Quartier Léopold renvoie, c’est clair, à un processus de spécialisation fonctionnelle des parties du phénomène urbain. La poursuite de ce processus, tout au moins pour ce qui concerne notre quartier, semble ne pas avoir connu la moindre inflexion durant ces vingt-cinq dernières années. Malgré vingt-cinq ans de politique du « retour en ville », le « District Léopold » persiste et signe en son étrange monofonctionnalité tertiaire.

Le désert résidentiel, au Quartier Léopold, est-il rédhibitoire ?

Quelques signes semblent favorables. Certains sont conjoncturels, d’autres plus structurels.Nous observons depuis quelques mois un relatif tassement des prix du bureau dans l’ensemble de la Région de Bruxelles-Capitale. Ce tassement est dû à un excédent de l’offre actuellement nettement trop élevé. Cet excédent excessif est en partie dû au relatif ralentissement général de l’activité. Comme l’a justement dénoncé l’urbaniste Evert Lagrou, il est aussi le résultat de la politique de pure concurrence à l’offre en bureau à laquelle se sont livrées Flandre et Bruxelles au cours de ces dix dernières années. Il est enfin, et ceci mérite d’être considéré avec clairvoyance, lié à l’incertitude qui règne sur la question du choix de l’implantation des lieux de décision européens. Il n’est pas certain que la tactique un peu contradictoire que les autorités belges et bruxelloises ont pratiquée durant ces trente dernières années réponde plus aujourd’hui qu’hier aux options européennes – tactique qui consiste à proclamer Bruxelles « capitale de l’Europe » tout en négligeant sur le territoire d’accueil les conditions d’une inscription équilibrée de ce choix. Les options européennes résultent jusqu’ici plutôt d’une tendance des États-membres tout à la fois à distribuer territorialement les sièges de décision et à affirmer symboliquement et concrètement leur destination équilibrante là où ils se trouvent. Dans l’avenir, l’Europe pourrait privilégier une concentration de ses sièges de décision en une capitale mieux disposée à répondre aussi aux exigences symboliques qu’implique l’affirmation de ce rôle.

Nous le voyons, même si certains indicateurs conjoncturels sont favorables, un redéploiement concerté, progressif, et - lâchons le mot - durable de la fonction résidentielle au Quartier Léopold reste suspendu à la nécessité pour Bruxelles d’abandonner l’attitude confondante dont elle fait preuve dans l’approche de son rôle européen, et de réussir à déterminer avec audace et fermeté le programme fonctionnel, les limites et les grands traits de la future architecture de son « sédiment européen ».

Dans cette perspective, nous voudrions dire, plus généralement, la nécessité devant laquelle Bruxelles se trouve non pas de foncer tête baissée pour saisir coûte que coûte toutes les opportunités qui se présentent, mais, au contraire, de rouvrir le débat sur son projet à long terme, et en particulier sur les dimensions « structurellement culturelles » de son projet. C’est là une des conditions qui peuvent lui permettre, plus seulement, de jouir d’une rente de situation héréditaire, mais de susciter des opportunités pour briser le cycle d’un démembrement qui touche sa structure sociale et sa structure physique.

Rouvrir le débat sur ce que nous avons appelé ici en termes très généraux «  les dimensions structurellement culturelles » du projet urbain signifie ne pas se contenter d’une « politique d’image ». Non, Bruxelles ne souffre pas d’un déficit d’image. La variété de son spectacle fascine. Du point de vue de l’image, Bruxelles n’a rien à envier aux autres grandes villes européennes. Cela signifie au contraire qu’il est temps d’initier une critique responsable du « scénario» qui tient lieu de projet à Bruxelles.

La confirmation du Quartier Léopold en son statut de « zone » monofonctionnelle renvoie, en définitive, à l’incapacité dans laquelle Bruxelles se trouve de penser un projet, et en la ténacité avec laquelle elle continue, depuis 25 ans de se contenter d’un scénario – le « scénario reconstruction de la ville européenne ». Ce scénario est avant tout un stratagème communicationnel : il agit sur l’image, et non sur la forme, sur la peau et non sur le corps, sur la surface et non sur les trois dimensions du phénomène physique.

Impuissant à penser la ville en termes structurels, le « scénario reconstruction de la ville européenne » s’est montré incapable d’offrir une alternative aux options structurelles imposées par le « scénario Bruxelles-Manhattan ». D’où la stagnation du Quartier Léopold dans son statut de « zone ». Et ensuite, parce qu’il s’est tout à la fois concentré sur une dimension décorative, superficielle du fait urbain, et tout à la fois appliqué à nier toute

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distinction entre les rôles « Bruxelles-Capitale » et « Bruxelles-Métropole européenne », le scénario reconstruction de la ville est devenu l’allié objectif d’une nouvelle « éthique » de la modification tendue, sous le couvert de l’uniformité de façade, à une poursuite secrète du changement corporel de la ville : un changement dans lequel Bruxelles-Métropole européenne et Bruxelles-Capitale, confondues en une sorte de monstre indescriptible, ne sont plus reconnaissables, un changement sous lequel Bruxelles-Métropole européenne, honteuse de ne pas s’être découverte un projet légitime, se condamne à la réinvention d’une panoplie inépuisable d’illusions, capables de couvrir d’une apparence de légitimité une activité de construction qui semble aujourd’hui n’avoir d’autre fin que la croissance constante où la poussent ses actionnaires. Et, pour finir, un changement sous lequel Bruxelles-capitale, en ses dispositifs physiques reconnaissables et appréciés, en son organisation tridimensionnelle bien caractéristique, cède systématiquement la place aux masses plus épaisses, aux dalles plus rapprochées et aux revêtements toujours plus provisoires d’une réalité dont le changement semble désormais la seule raison d’être.

Parmi les signes que nous disions structurels d’une renaissance possible de la résidence au Quartier Léopold, il en est un. Le Quartier Léopold est, pour l’essentiel, un quartier d’immeubles de bureaux, mais d’immeubles de bureaux vides. De quelle renaissance ces bureaux vides seraient-ils donc le signe ? Ce sont, disent les experts-immobiliers, des immeubles de bureaux anciens. Les promoteurs de bureaux les déclarent obsolètes, car incapables souvent d’accueillir – entre autres - les faux-planchers et faux-plafonds sans lesquels – comme tout le monde le sait - il n’existe pas de vrai bureau. Leur stratégie est de les démolir pour les remplacer par des immeubles neufs, dotés, non seulement de ces équipements mais aussi de l’attrait du dernier clinquant de revue qui les rendront sexy sur le marché.

Nous croyons un autre destin possible pour ces immeubles. Dit sans plus de détour : il est possible de les réaffecter au logement.

L’enjeu est bien sûr écologique, « environnemental ». D’autres développeraient cet aspect bien mieux que moi, chiffres effrayants à l’appui. Mais il y a un autre enjeu, dont la réalité n’est pas seulement biologiquement définissable, et qui tient de cette recherche, d’ordre plutôt culturel, d’une architecture métropolitaine moins marquée par les hétérotopies spatiales que les nouvelles tendances capsularisantes et socialement profilactiques consacrent actuellement.Les grands immeubles du Quartier Léopold composent l’unique partie de Bruxelles dont l’architecture – aux diverses échelles de sa configuration – puisse être identifiée comme métropolitaine tout en restant liée à une tradition de la résidence : l’unique partie de Bruxelles qui puisse déjà, à nos yeux, représenter assez complètement une avancée en direction d’une future architecture métropolitaine.

Nous ne voulons pas seulement parler ici de ces quelques immeubles d’habitation qui résistent, remarquablement, au Quartier Léopold. Mais bien plutôt de l’architecture qu’ensemble, ces immeubles composent.D’abord, du plan du quartier. La régularité du damier, l’échelle du découpage du quartier Léopold, la diversité et la relative parcimonie des espaces verts dans et aux abords du quartier sont de toute évidence d’abord motivées par une idée de « commodité de la demeure », plus que par d’éventuels impératifs de représentation, de circulation ou d’idyllique « retour à la nature ». C’est une caractéristique que notre Quartier partage, par exemple, avec, New York, la métropole par excellence.Ensuite aussi la configuration même de ces immeubles : ce sont de grandes maisons, faites de murs, de portes et de fenêtres. Des maisons de pierre, bâties pour durer, qui restent profondément familières, parce qu’elles conservent et maintiennent en leurs éléments et en leur syntaxe l’essentiel du langage sur lequel se fonde l’expérience de la ville. Des maisons, aussi, dépouillées des ornements que les anciens régimes princiers avaient rendus obligatoires. Des maisons qui, dans leur dénuement, disent le présent d’un monde peuplé, et dont les priorités sont ailleurs. Qui, aussi, disent que l’abandon de la rhétorique ornementale ne suffit à ruiner une tradition, et qu’au contraire une modernité est possible dans une réaffirmation des ses principes fondamentaux. Des maisons qui, avec leurs mots muets, capables seulement d’évoquer et de faire réfléchir, continuent de proclamer dans le sombre temps la possibilité de cette vieille idée d’inspiration antique : une idée d’une félicité publique.

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