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Un modèle oppositionnel de la signification · Depuis Saussure ([Saussure 1915]), le courant de la linguistique structurale a ... et suivant ce courant, la sémantique componentielle

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Page 1: Un modèle oppositionnel de la signification · Depuis Saussure ([Saussure 1915]), le courant de la linguistique structurale a ... et suivant ce courant, la sémantique componentielle

Un modèle oppositionnel de la signification

Pierre Beust

GREYC CNRS-UPRESA 6072 & ModeSCo - MRSHUniversité de Caen14032 Caen Cedex

e-mail : [email protected]

Résumé

Cet article propose une modélisation en intelligence artificielle de la sémantique des langues naturelles. Plus précisément, il s'agit de donner les principes d'un modèle de représentation paradigmatique des significations. Ce modèle résulte d'une approche pluridisciplinaire pour opérationnaliser la notion de valeur saussurienne. Il fait une place fondamentale à la notion d'opposition, qui n'est plus considérée comme un principe de description différentielle de systèmes sémiotiques, mais qui est posée comme base de leur représentation pour une machine.

Mots clés : Sémantique lexicale, Description componentielle, Interaction homme-machine.

Abstract

This papers deals with a model of the natural langage semantic in artificial intelligence. More precisely, the matter is to propose a model of paradigmatic relationships between words significations. This model comes from a pluridisciplinarity approach to make operational the Saussure's value concept. The concept of opposition is central in this paper. Rather than simply being a principle of differential description of semiotic systems, opposition is layed as a fondation of representation of such systems for an artificial agent.

Key words : Lexical Semantic, Componential Description, Human-Machine Interaction.

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1 Introduction

La sémantique des langues naturelles ne consiste pas à établir un inventaire visant à faire correspondre des signifiés à des signifiants, comme on pourrait le croire en ouvrant un dictionnaire. Depuis Saussure ([Saussure 1915]), le courant de la linguistique structurale a montré la nature systémique de la sémantique, et suivant ce courant, la sémantique componentielle donne les concepts clés de sèmes, de sémèmes, et de taxèmes, pour la description des systèmes de signification. Ainsi, de façon générale, un mot est associé à un sémème formé de sèmes qui définissent sa place au sein d'un taxème. Dans le but de construire une compétence interprétative en Intelligence Artificielle, ces concepts ne peuvent être exploités tels quels, précisément parce qu'ils ne sont que descriptifs. Nous allons proposer de les redéfinir afin qu'ils permettent à un agent logiciel de structurer ses connaissances sémantiques (ils seront ainsi opérationnalisés à travers les concepts d'un modèle appelé Anadia1).

Le modèle que nous proposons est à opposer aux modèles classiques de représentation de connaissances en intelligence artificielle, massivement utilisés en Traitement Automatique des Langues (TAL). À l'inverse des connaissances sur le monde, que l'on trouve exprimées par exemple dans les réseaux sémantiques, la signification n'est pas issue de représentations ontologiques, car la langue n'est pas un modèle du monde mais un phénomène. Il convient donc de ne pas modéliser la signification dans une approche sémasiologique (comme c'est le cas dans les réseaux sémantiques) qui la ramène à des connaissances extralinguistiques. Nous considérons l'approche inverse, l'approche onomasiologique, où la signification est modélisée de façon intralinguistique par des rapports différentiels entre signes. Ceci a pour conséquence de ne pas isoler le signe linguistique dans un rapport terme à terme avec un objet, mais de construire la sémantique sous forme de système pour ainsi ne pas réduire la langue à une grammaire et une ontologie.

Dans les trois parties de cet article, nous redéfinirons les notions de sèmes, de sémèmes et de taxèmes d'un point de vue utilisable pour un agent logiciel interactif. Nous conclurons sur un modèle d'agent capable d'acquérir de nouvelles significations à travers les interactions langagières avec d'autres agents.

2 Le sème

Dans un bon nombre de théories linguistiques, et plus particulièrement chez les structuralistes, on voit souvent apparaître la notion de trait distinctif. Par exemple, en syntaxe, ce terme désigne toute propriété syntaxique appartenant à la classe ([Pottier, 1973, p. 525]), et en phonologie, il désigne un critère de distinction entre deux phonèmes. Ainsi le nombre et le genre sont des traits syntaxiques et le voisement et l'aperture sont des traits phonologiques. On retrouve également cette notion de trait en sémantique pour caractériser les significations, on l'appelle alors sème. Le sème se définit comme un trait sémantique constituant une unité minimale de signification, non susceptible de réalisation

1 [Beust et al., 1996], [Nicolle et Beust, 1997].

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indépendante. Il est décrit par une paraphrase métalinguistique, du simple /animé/2 au sophistiqué /sert à découper le fromage/, ne contenant rien d'autre que l'interprétation qu'on peut en faire. En somme, les sèmes représentent des marqueurs, des simples formes qui se suffisent à eux même pour l'interprétation que peut en faire un humain. Cette vision du sème correspond à une approche linguistique des systèmes de signification, c'est-à-dire une approche descriptive du sens qui présuppose une interprétation humaine.

Dans le cadre d'une modélisation en intelligence artificielle, deux approches peuvent être considérées. La première consiste à limiter le traitement de la machine à une description, c'est-à-dire lui donner un rôle de suggestion et non de décision, laissant ainsi en fin de compte l'interprétation à la charge de l'utilisateur humain qui voit alors dans les traitements de la machine les raisons de son interprétation. Cette approche est celle de Tanguy ([Tanguy, 1997]) qui l'applique dans des domaines plutôt littéraires, justement parce que là plus qu'ailleurs, assister l'interprétation humaine est utile et intéressant. La deuxième approche consiste à tenter de fournir à la machine les premières bases d'une "interprétation" qui soit la sienne et c'est cette approche que nous considérons ici. Dans cette perspective, on ne peut plus considérer le sème comme une entité sans contenu que l'on représente alors en machine par une simple chaîne de caractères. Le sème doit toujours porter des informations qui orientent l'interprétation humaine mais il doit de plus pouvoir structurer les représentations paradigmatiques de la machine.

Notre proposition quant à la nature du sème consiste à ne plus le voir comme une entité positive, dans le sens où elle serait autosuffisante, mais plutôt comme une entité négative au sens de Saussure. Ainsi, ce qui nous paraît pertinent, ce n'est pas le trait sémantique en tant que tel, mais ce à quoi on peut l'opposer. Par exemple, le trait /animal/ en soi n'est pas très informatif mais ce qui est pertinent, c'est de savoir, dans le contexte courant, si par exemple il s'oppose à /végétal/. Ainsi dans :

Il faut préserver la faune et la flore.

faune porte le trait /animal/ et dans ce contexte ce trait est pertinent pour l'interprétant dans le cadre de l'opposition /animal/ versus /végétal/. Dans d'autres contextes le trait /animal/ se justifie en rapport à d'autres oppositions, par exemple l'opposition /animal/ versus /humain/, comme c'est le cas dans l'exemple suivant

L'homme est un loup pour l'homme.

Ici loup porte le trait /animal/ mais cette fois-ci, le trait prend sens dans l'opposition /animal/ versus /humain/ et non plus /animal/ versus /végétal/. Donner une représentation de la signification du trait /animal/ consiste alors à donner les oppositions grâce auxquelles le trait /animal/ peut s'actualiser en contexte. Par exemple les trois oppositions suivantes :

/animal/ vs. /végétal//animal/ vs. /humain//animal/ vs. /objet/...

2 Il est d'usage en sémantique componentielle de noter les traits entre //.

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Nous proposons donc de ne pas envisager les sèmes comme de simples traits sémantiques mais plutôt comme résultant de jeux d'oppositions de traits3. La formulation d'un sème consiste en une négociation des oppositions et cela implique que la mise en place de connaissances sémantiques en machine ne puisse se réaliser que dans un processus interactif avec un usager.

L'évocation d'une opposition dans un contexte ne se limite pas à la négociation des deux termes de l'opposition. Pour qu'une opposition soit significative et pertinente, elle doit être rattachée à un domaine qui représente le cadre de son interprétation ; nous l'appelons domaine d'interprétation. Par exemple les oppositions /animal/ vs. /végétal/ et /animal/ vs. /humain/ n'ont de signification que dans le domaine d'interprétation des êtres vivants. Le rapport d'un jeu d'oppositions à un domaine d'interprétation constitue un élément de base de la signification et c'est ainsi que l'on propose de définir le sème. Selon ce point de vue, le trait /animal/ tel qu'on l'a détaillé prend part à la définition des deux sèmes suivants :

sème n° 1 : domaine d'interprétation : êtres vivants oppositions : /animal/ vs. /végétal/

/animal/ vs. /humain/

sème n° 2 : domaine d'interprétation : chosesopposition : /animal/ vs. /objet/

De même les traits /solide/, /liquide/ et /gazeux/ ne donnent lieu qu'à un seul sème alors que dans le cadre de la sémantique componentielle ce sont trois traits distincts.

sème : domaine d'interprétation : état physiqueopposition : /solide/ vs. /liquide/ vs. /gazeux/

Cette vision oppositionnelle du sème consiste à considérer l'opposition comme élément de base de la signification et cela coïncide bien avec la dimension défective de la langue décrite par Coursil ([Coursil, 1992]). L'opposition est ici envisagée comme structurante au niveau même des éléments de base de la signification. C'est, d'une certaine façon, donner à l'opposition une place première, de façon encore plus radicale que dans la sémantique différentielle de Rastier où les oppositions n'apparaissent que dans les rapports entre les différentes significations. De plus, ce modèle du sème (domaine d'interprétation + oppositions) permet partiellement de rendre compte d'un aspect constitutif de la langue : la métaphore ([Lakoff et Johnson, 1985]). Par exemple, l'opposition /bien/ vs. /mal/ est significative pour le domaine des valeurs éthiques et pourtant on l'utilise de façon métaphorique tous les jours dans le domaine du bien-être pour exprimer des états de santé. Ces utilisations métaphoriques s'expliquent alors par la projection d'un jeu d'opposition à un autre domaine d'interprétation que l'initial. Ceci montre bien que le domaine d'interprétation est tout aussi négociable en contexte que les termes des oppositions. C'est donc le sème tout entier qui est soumis à un consensus lors des processus d'intercompréhension.

Le sème ainsi défini trouve un mode de représentation pour une machine dans le modèle Anadia ([Beust et al., 1996], [Nicolle et Beust, 1997]), et plus précisément à travers sa

3 On retrouve dans cette position la notion de spécème de Tanguy : "Un spécème est un couple de sémèmes appartenant à un même taxème, indiquant une opposition sémantique entre ceux-ci" [Tanguy, 1997, p. 203].

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notion d'attribut. Un attribut dans Anadia (à distinguer des attributs au sens des frames dans la structure Attribut-Facette-Valeur) représente une propriété que l'on peut ou non attribuer à une chose (par exemple les choses matérielles ont une couleur mais les événements n'en ont pas) et les valeurs possibles pour cette propriété (par exemple, rouge, bleu et vert pour les couleurs). Par exemple, le sème formé par les oppositions /liquide/ vs. /solide/ vs. /gazeux/ dans le domaine d'interprétation de l'état physique trouve une représentation dans l'attribut dont la propriété est une question sur la nature de l'état physique d'une chose et dont les valeurs sont liquide, solide et gazeux. De même, le sème dont le domaine d'interprétation dénote les êtres vivants et contenant les oppositions /animal/ vs. /végétal/ et /animal/ vs. /humain/ est représenté par l'attribut dont la propriété est une question sur l'appartenance à un type d'êtres vivants et dont les valeurs sont animal, végétal, humain.

Figure 1 : Représentation de sèmes par des attributs Anadia

3. Le sémème

Tel que le définit la sémantique différentielle, le sémème correspond au signifié des morphèmes, signes linguistiques élémentaires qui composent les mots. On définit classiquement le sémème par un ensemble de sèmes qui décrivent les différents aspects d'un signifié. Par exemple, on peut définir le sémème 'mang-' correspondant au signifié du radical du verbe manger par la réunion des sèmes suivants /activité vitale d'absorption de nourriture/, /caractéristique des êtres animés/, /objet comestible/, /source de plaisir/, ... De notre point de vue, le sémème sera également définit comme un ensemble de sèmes, à la différence près que les sèmes dont il s'agit sont tels qu'on les a détaillé dans la partie précédente. Le sémème est représenté par un ensemble d'attributs au sens du modèle Anadia qui représentent les sèmes qui composent le sémème. Ces sèmes sont actualisés au sein du sémème dans le sens où pour chacun d'entre eux, une valeur de l'opposition est retenue comme représentative de la signification que représente le sémème. Considérons par exemple le cas des significations de bistouri et de scalpel qui partagent le même sème résultant de la partition du domaine d'interprétation de l'état physiologique par l'opposition vivant vs. mort. Le sémème 'bistouri' actualise ce sème dans la valeur vivant tandis que 'scalpel' actualise le même sème dans la valeur mort. C'est donc la différence d'actualisation des sèmes qui différencie les sémèmes construits avec les mêmes sèmes. Constituer un sémème revient donc à considérer un ensemble de sèmes et à les y actualiser. Cette double tâche constitue le processus interactif mis en place dans le modèle Anadia. Ce processus a pour but d'examiner la combinatoire des attributs choisis pour reconnaître les jeux de valeurs pertinents du point de vue de l'utilisateur.

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Par exemple, considérons un passage du corpus PIC4 où le rédacteur explique à l'utilisateur les différents types possibles d'aide à l'utilisation du logiciel (ce passage est d'une durée de 5 min. et 15 sec. et se situe dans le deuxième quart d'heure de conversation). Dans ce passage, le rédacteur évoque deux grandes distinctions dans les outils d'aides : ceux dont le support est le papier en opposition à ceux dont le support est logiciel et ceux où la présentation de l'information est globale en opposition à ceux où la présentation de l'information est centrée sur un point précis du logiciel. Ces distinctions permettent d'opposer trois formes d'outils d'aide, verbalisées dans l'interaction entre le rédacteur et l'utilisateur : les manuels, les référentiels et les aides en ligne. En analysant ce passage, on peut se donner deux sèmes représentants les distinctions formulées par le rédacteur :

sème n° 1 : domaine d'interprétation : Support de l'information oppositions : papier vs. logiciel

sème n° 2 : domaine d'interprétation : Présentation de l'informationopposition : globale vs. précise

En considérant ces deux sèmes, on met en place une combinatoire à quatre places. Dans cette combinatoire, on retrouve les actualisations de sèmes correspondant aux sémèmes décrivant les outils d'aides verbalisés (manuels, référentiels et aides en ligne)5 :

Support de l'information Présentation de l'information'manuel' papier globale'référentiel' papier précise

logiciel globale'aide en ligne' logiciel précise

Dans ce même passage du corpus, le rédacteur précise qu'en fait, l'aide en ligne n'est pas, en soi, un outil (au même titre que les manuels et les référentiels) mais en fin de compte une catégorie d'outils tels que les assistants, les sommaires, les index, et le recherches par mots clés (qu'il appelle recherche full text). En analysant l'interaction, on peut mettre en évidence

4 Le projet PIC (Processus d'Interaction en Conception) est un projet interdisciplinaire (soutenu par le GIS sciences de la cognition) commun aux laboratoires GREYC UPRESA CNRS 6072 (Groupe de Recherches en Informatique, Image, Instrumentation de l'Université de Caen), Groupe de Recherche "Modélisation du fonctionnement cognitif langagier" du LPCP EA 1774 (Laboratoire de Psychologie Cognitive et Pathologique - Université de Caen), GRC (Groupe de Recherches sur les Communications - Université de Nancy II), DYALANG (Linguistique - Université de Rouen) et à l'entreprise METAPHORA (Rédaction technique - Caen). Dans la situation expérimentale mise en place, trois partenaires sont invités à se rencontrer pour une séance de travail dont le but est de commencer à concevoir la documentation utilisateur d'un logiciel de gestion des notes (IUTNotes) pour un département de l'Institut Universitaire de Technologie de l'Université de Caen. Les trois personnes sont un rédacteur technique, une secrétaire future utilisatrice du logiciel, et un des concepteurts du logiciel. Pendant cette séance de travail, de deux heures, le logiciel est installé sur une machine qui est mise à la disposition des trois intervenants. Pour de plus amples détails sur le projet PIC, on pourra se reporter au site Web à l'adresse suivante : http://www.info.unicaen.fr/~fgerard/pic/pic.html5 La place vide dans cette table correspond à un jeux d'actualisations de sèmes qui n'est pas verbalisé dans l'interaction (ce pourquoi, on l'a laissée vide). Cependant, on pourrait ramener les valeurs Support de l'information logiciel et Présentation de l'information globale aux fichiers souvent appelés "lisez moi" qui accompagnent les logiciels. On définirait alors, dans cette place de la table, le sémème de la lexie lisez moi.

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deux distinctions entre ces quatre formes d'aide en ligne, correspondants aux deux questions suivantes :

• Est-ce que le mode d'accès est interactif ou figé ?• Est-ce que l'information, telle qu'elle est présentée, est hiérarchiquement structurée ou linéaire ?

À ces deux questions, on peut faire correspondre deux sèmes, et donc former, en sous-catégorisant la catégorie des aides en ligne, une nouvelle combinatoire dans laquelle on va apparier les actualisations des deux nouveaux sèmes aux sémèmes 'assistant', 'sommaire', 'index' et 'full text'.

sème n° 3 : domaine d'interprétation : Accès à l'information opposition : interactif vs. figé

sème n° 4 : domaine d'interprétation : Structure de l'informationopposition : hiérarchique vs. linéaire

Accès à l'information Structure de l'information'assistant' interactif hiérarchique'full text' interactif linéaire'sommaire' figé hiérarchique'index' figé linéaire

Dans ces deux phases de l'analyse de la séquence du corpus, on a donc mis en forme un système de signification comportant deux niveaux : celui des outils d'aide et celui des aides en ligne. De ce système de signification, on peut extraire la description componentielle des sémèmes indiqués dans les tables. Par exemple, le sémème du lexème assistant comporte quatre sèmes actualisés : ceux de la table des outils d'aide et ceux de la table des aides en ligne :

Figure 2 : Un sémème non limité aux sèmes d'un seul registre

Cet exemple montre également que, dans la description componentielle produite par le processus de catégorisation d'Anadia, on donne au sémème une structure. Cette structure fait que le sémème ne se réduit pas à un "paquet de sèmes" (comme on peut le lire dans [Ducrot et Schaeffer, 1995, p. 446]). On retrouve dans cette structure la différence introduite en sémantique différentielle entre sèmes génériques et sèmes spécifiques. Ainsi, les sèmes spécifiques d'un sémème sont ceux ayant permis de constituer la table dans laquelle le sémème est définit, et les sèmes génériques sont ceux qui proviennent des tables précédentes dans la hiérarchie de catégorisation. Les sèmes génériques du sémème sont donc les attributs dont ses sèmes spécifiques sont des attributs subordonnés6.6 Dans la partie sur le processus de catégorisation mis en place dans Anadia, on a défini la subordination d'attributs en précisant qu'un attribut A est subordonné à un attribut B si A est pertinent seuleument quand B a certaines valeurs.

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Figure 3 : Structure du sémème 'assistant'

4. Le taxème

La sémantique différentielle définit plusieurs classes lexicales qui permettent de caractériser la place des sémèmes en fonction de leurs sèmes dans le système de signification qu'ils forment. Ces classes sont les dimensions, les domaines, les champs et les taxèmes. Les trois premières correspondent à des "outils" de description de la langue en synchro-diachronie. Dans le cadre d'une modélisation informatique (qui n'a pas les même contraintes descriptives qu'une modélisation linguistique), nous ne les retiendrons donc pas7. Le taxème, quant à lui, est la classe sémantique minimale8. Il regroupe les sémèmes définis différentiellement par leurs sèmes spécifiques, c'est-à-dire qu'il rassemble les significations les plus proches.

Dans notre modèle, la proximité des significations est définie par la relation binaire de différence à une seule actualisation de sème. Le graphe de cette relation est appelé topique. Ainsi les sémèmes 'manuel' et 'référentiel' sont voisins dans leur topique car une seule actualisation de sème les différentie (c'est la différence globale vs. précise du sème dont le domaine d'interprétation est la présentation de l'information). Les topiques forment une représentation en machine de la structure différentielle des taxèmes, et à la hiérarchie des tables est associée une hiérarchie de topiques (cf. Figure 4).

Figure 4 : Hiérarchie de topiques

Le processus interactif d'Anadia a pour but d'optimiser les propriétés algébriques des représentations, c'est-à-dire en ce qui concerne les topiques, chercher le plus possible à augmenter leur connexité. La non-connexité d'une topique rend compte d'un défaut de construction d'un taxème, et elle est liée à l'importance de places vides dans la table. Il y a deux raisons possibles pour expliquer un défaut de construction d'un taxème : soit la combinatoire engendre des place vides parce que les sèmes sont sémantiquement dépendant (i.e. certains sont subordonnés à d'autres, ce qui implique que les sèmes choisis ne sont pas tous spécifiques mais que certains sont génériques et doivent être utilisés à un niveau plus haut de hiérarchie de table), soit tous les sémèmes du taxème n'ont pas été décrit dans la table (c'est le cas dans la table ou apparaissent les sémèmes 'manuel', 'aide en ligne' et 'référentiel').

7 Pour plus de détails sur les dimensions, les domaines et les champs de la sémantique différentielle, on pourra se référer à [Rastier et al., 1994, p. 61-63].8 Rastier lui donne une place particulière par rapport aux autres classes sémantiques car il est la seule nécessaire étant donné que tout sémème comprend au moins un sème générique qui l'indexe dans son taxème de définition ([Rastier et al., 1994, p. 61]).

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L'intérêt de rendre compte du taxème (et de sa structure différentielle) réside principalement dans la présomption d'isotopie ([Rastier, 1987, p. 12]). Le taxème en matérialisant des significations formellement très proches indique que ces significations sont semblables à un certain niveau. C'est-à-dire que si dans un énoncé, deux éléments d'un même taxème apparaissent, ils vont donner lieu à de fortes récurrences de sèmes (i.e. des isotopies). On peut alors considérer le taxème sous deux points de vue : soit comme une "cristallisation" paradigmatique d'effets de sens fortement marqués au niveau syntagmatique, soit comme un "déclencheur" de l'activité d'interprétation d'une chaîne linguistique. Ces deux points de vue reviennent à considérer la langue dans ses deux dimensions inséparables que sont l'acquisition et l'usage d'un système sémiotique.

Conclusions

Le modèle oppositionnel de la sémantique présenté ici est conçu pour représenter les connaissances sémantiques paradigmatiques (par un système de valeurs) d'un agent logiciel dialoguant en langue naturelle. L'objectif est de l'intégrer dans un modèle de dialogue homme-machine ayant déjà sa logique interne d'apprentissage et de gestion des incomplétudes par les dialogues incidents ([Lehuen, 1997]). Il prends alors à sa charge la représentation des significations, laissant au modèle de dialogue l'apprentissage de la compétence dialogique.

L'apprentissage de nouveaux signes linguistiques est vu comme un processus interactif de catégorisation qui considère que les connaissances données à l'agent via ce processus n'ont pas valeur de dogme et peuvent toujours être remises en cause au cours d'autres interactions. L'acquisition de nouvelles significations ne connaît donc pas de fin. L'activité de l'agent est basée sur un principe d'amorce ([Nicolle, 1996]) guidé par l'interaction langagière. Dans cette méthode d'amorce, ce sont moins les compétences interprétatives syntagmatiques de l'agent qui sont intéressantes que les manques de ces compétences. En effet, ces manques sont révélateurs de contenus sémantiques insuffisants ou inexistants dans les représentations de l'agent et ils donnent lieu à des dialogues incidents afin d'expliciter les contenus sémantiques en cause. Les incomplétudes des interprétations sont alors le moteur de la constitution d'un système sémiotique. Le statut même de l'interprétation, et donc du calcul que réalise l'agent s'en trouve changé par rapport aux approches qui l'envisagent comme un calcul qui révèle un modèle du monde préalablement donné. Dans l'interaction langagière, et en coopération avec son partenaire, l'agent acquiert et structure (par leurs différences) de nouvelles significations quand le contexte en soulève le besoin. La sémantique est donc envisagée comme une connaissance partagée (comme l'est le terrain commun de l'interaction) et non comme un savoir individuel issu de processus cognitifs.

L'agent dialoguant aura donc toujours un rôle d'apprenant autant que d'expert. Il n'y aura pas de distinction franche entre une phase première d'apprentissage et une phase seconde de dialogue effectif, mais les interprétations de l'agent seront d'autant plus fines qu'aux cours des interactions avec d'autres agents (humains ou logiciels) de nouveaux systèmes de valeurs seront acquis.

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