Un Nouveau métier - Bâtisseurs d'Alliances - La Pratique

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  • 8/14/2019 Un Nouveau mtier - Btisseurs d'Alliances - La Pratique

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    Un nouveau mtier ?

    Btisseurs dalliances. La pratique.

    Jean-Pierre Guth, Editions dOrganisation, 1998, 438 p.

    Critique d'ouvrage parue dans la Revue Franaise de Gestion, n 124, 1999

    La presse conomique annonce chaque jour, ou presque, les fianailles (accords inter-

    entreprises) et lunion (fusion-absorption) dentreprises. On connat aujourdhui, avec une assez

    grande prcision, la morphologie de ces rapprochements grce des recensements rguliers1. On sait

    aussi quels peuvent tre leurs motifs2, mme sil nest pas toujours possible de prciser avec certitude

    lesquels se rattachent une opration donne, sachant que les partenaires peuvent avoir des agendas

    cachs . Quoi quil en soit, les alliances sont en gnral annonces par leurs initiateurs comme la cl

    de la comptitivit des entreprises quelles concernent. Pourtant, force est de constater que les histoires

    de rapprochement finissent mal en gnral 3

    : prs de trois fusions sur cinq ne crent pas de valeur

    pour lactionnaire (enqute AT Kearney, cite par le Monde du 22/1/1999), deux tiers des accords

    rencontreraient dimportantes difficults managriales ou financires4

    et moins de la moiti dentre

    eux ne satisferaient lensemble des partenaires

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    . Fatalit ou dfaut de comptences des managers ?Louvrage de Jean Pierre Guth nous suggre de retenir la seconde hypothse : oprer un

    rapprochement est une facette du mtier des cadres suprieurs... nouvelle pour beaucoup dentre eux

    et souvent les mthodes leur manquent... (p. 20). Bref, btir des alliances (entendues ici comme les

    accords et les fusions-absorptions) constitue un nouveau mtier. Et cest lobjet de louvrage que den

    proposer les dmarches fondatrices.

    Son originalit procde prcisment de cette incursion dans la sphre des techniques et

    mthodes, sans quil soit pour autant fait abstraction de limportance quil y a ce quun

    rapprochement sinscrive dans une vision stratgique claire (chapitre 1). Sont ainsi abords, outre la

    dmarche de slection dun partenaire (chapitre 2), des aspects par ailleurs souvent ngligs tels que la

    ngociation dune alliance (chapitre 3), la prparation de son lancement (chapitre 4), lunion des

    hommes (chapitre 6), la rorganisation des activits des partenaires (chapitre 7), lharmonisation deleurs processus et systmes dinformation (chapitre 8) ou encore le pilotage de lalliance dont la

    gestion dun ventuel divorce (chapitre 12). Le zoom qui est effectu sur les alliances commerciales et

    technologiques (chapitres 9 11) constitue galement un point fort du livre. Encore une fois, il est

    trait de dimensions qui sont souvent ludes dans les ouvrages gnraux sur les rapprochements: le

    choix dune formule juridique, lvaluation dune technologie et dun savoir-faire, la dtermination

    des types de rtribution et modalits de paiement des partenaires ou encore le partage des tches du

    projet commun. Il ressort de lexpos que les comptences mobiliser embrassent toutes les fonctions

    de lentreprise. A lactif de louvrage, on peut galement citer les ponts tablis entre

    lintraorganisationnel et linterorganisationnel : une association peut non seulement tre conditionne

    par la prsence dhommes socialiss (imprgns par la culture de leur organisation) et lexistence

    dans lentreprise dun service dintelligence industrielle, mais aussi requrir une clarification des

    structures et des procdures ainsi que la protection et/ou lisolement pralable de savoir-faire. Unentretien rcent que lon a eu avec responsable du suivi des alliances dun grand groupe automobile

    corrobore limportance de cette dimension: il tait davis que les difficults rencontres dans les

    cooprations sont souvent dues des problmes de coordination interne plutt quexterne. En ce sens,

    lopration conjointe apparat comme un rvlateur inexorable. Plus spcifiquement, louvrage est

    maill de remarques biensantes. Il y a par exemple celle stipulant que la rpartition du pouvoir ne

    1On peut consulter notamment les chroniques de Robert Paturel dans la Revue dEconomie Industrielle.

    2Blanchot F. (1997), Modlisation du choix dun partenariat,Revue Franaise de Gestion, n 114, pp. 68-82

    3Paraphrase dun titre fameux du journal Le Monde du 22 janvier 1999

    4Bleeke, J. and Ernst, D. (1991), The Way to Win in Cross-Border Alliances,Harvard Business Review, Vol.

    69, n 6, pp. 127-1355Harrigan, K. R. (1988), Strategic Alliances and Partner Asymmetries, Management International Review,

    Special Issue, pp. 53-72

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    peut se jauger laune du seul partage des droits de proprit en cas de filiale commune. Il existe en

    effet de nombreuses autres sources de pouvoir pouvant crer lquilibre ou le dsquilibre :

    laffectation des postes-cls, la localisation de la filiale, la nature des apports, le systme de gestion

    retenu... La disparit des rsultats des recherches relatives lincidence de la rpartition des droits de

    proprit dune filiale commune sur sa dure trouve sans doute l son explication6. Il y a aussi, autre

    exemple, la remise en cause la relation, si souvent invoque, entre alliance et rduction des cots : les

    cooprations peuvent rendre le travail plus complexe et plus cher. Autrement dit, les cots de

    coordination peuvent lemporter sur les conomies dchelle ou de champ, do, dailleurs,

    limportance souligne de la gestion des interfaces. Finalement, celui qui sintresse au cas particulier

    des PME trouvera aussi matire satisfaction puisque leur dimension spcifique est prise en

    considration.

    Il nen demeure pas moins que louvrage comporte des sources dinsatisfaction. Sur la forme,

    on remarquera tout dabord lambigut du plan retenu. Lintroduction suggre un passage en revue de

    chacune des tapes de la construction dune alliance avec discussion des enjeux qui y sont associs.

    Trois stades sont formellement distingus qui servent de base au regroupement des chapitres : la

    prparation de lalliance, sa mise en oeuvre et son pilotage. Mais, en ralit, la russite des deux

    dernires tapes est prsente comme une fonction de la qualit de leur prparation de sorte que ledcoupage retenu apparat artificiel et confus. Pour accepter la logique des dveloppements, il faut en

    fait considrer que toute une partie dentre eux sarticule autour denjeux transversaux, cest dire qui

    requirent dtre apprhends diffrents niveaux du processus de rapprochement (quon peut dfinir

    comme la succession des phases de rflexion sur la pertinence du recours une alliance, de recherche

    et slection de partenaires potentiels, de conception-ngociation de laccord et de pilotage de

    lalliance). Ainsi, lunion des hommes (chapitre 6) est-elle prsente comme la rsultante des

    prcautions prises tout autant avant quaprs la signature de laccord. Linconvnient majeur dune

    telle approche par problme, plutt que par palier de construction, est quelle rend difficile lutilisation

    de louvrage comme un guide pour btir une alliance, alors mme que lauteur nourrit peu ou prou

    cette ambition. En effet, si le lecteur veut bnficier de toutes les recommandations disponibles pour

    ce qui concerne, par exemple, la conception dune filiale commune, il devra puiser dans les chapitres

    3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12. A cet gard, une table des correspondances entre problmes et tapes deconstruction aurait t salutaire.

    Ensuite, il est regrettable que la prsentation des rfrences bibliographiques sur lesquelles se fondent

    certains dveloppements fasse souvent dfaut. Il est indiqu, notamment, que : les tudes le montrent

    de manire caractristique : moins de 10 MF de CA, les PME souhaiteraient ardemment des

    partenaires pour dcoller et elles ont du mal les trouver... (p. 75) ; toutes les enqutes le

    prouvent, lune des principales difficults des alliances se situe dans les problmes de langue (p.

    233) ; le but le plus souvent prsent dans les alliances mais aussi le moins franchement avou est de

    tirer profit du march du partenaire (p. 294) ; pratiquement dans tous les cas (dun

    codveloppement), on cherche viter de dlicates valuations et procder par troc , (p. 363) ou

    encore 20% des alliances dbouchent sur une fusion (p. 417). Mais les tendances ou rsultats

    dclars ne sont jamais tays par la rfrence des travaux prcis. De la mme faon, il nest pas fait

    mention de lorigine de plusieurs des citations pourtant mises entre guillemets (voir, notamment,p. 426).

    Enfin, les nombreuses illustrations dalliance, au demeurant toujours trs intressantes, manquent

    souvent des prcisions qui permettraient den faire de vritables outils de travail. Elles sont en outre

    frquemment trononns en plusieurs encadrs rpartis dans louvrage, ce qui ne facilite pas leur

    lecture7

    A ces problmes de forme sajoutent finalement plusieurs faiblesses de fond. Sachant que lobjectif

    affich est celui daider le lecteur comprendre comment russir les tapes dune alliance pour assurer

    6Blanchot, F. et Mayrhofer U. (1997), Empirical Literature on Joint Ventures Success: a Review of Performance

    Measures and of Factors Affecting Longevity,Proceedings of the 23rd Annual EIBA Conference, Stuttgart,Dec.14-16, Vol. 2, pp. 901-9317

    mme si leur rassemblement reste possible grce lindex

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    son succs (p. 18), on peut regretter quil nexiste pas un dveloppement spcifique consacr ce

    dernier concept. Ce nest quau fil des pages quon en dcouvre le sens puisque les dmarches

    prconises visent en fait soit bnficier du maximum des avantages potentiels dun rapprochement,

    soit viter ou rduire autant que puisse se faire ses risques. Ainsi, le succs apparat-il comme une

    situation o les deux objectifs auront t atteints8. Et si les chapitres 1 et 5 comportent une

    prsentation des avantages et risques des alliances, celle-ci manque de structuration et reflte mal la

    varit des enjeux auxquels se rapportent les dmarches prconises.

    Par ailleurs, les fondements mme de lobjet et du contenu des mthodes sont fragiles. Dune part,

    ltude retenue pour justifier limportance des dimensions (les facteurs-cls de succs et de risque des

    alliances) sur lesquelles portent les mthodes, a t ralise sur un chantillon trop rduit et spcifique

    (21 PME) pour considrer ses rsultats comme significatifs. Dautre part, les mthodes prsentes

    reposent entirement sur des cas vcus de prs ou de loin...(et) lexprience acquise (par lauteur)

    dans les industries de la Dfense et dans le Conseil . Et si lauteur nous dit quelles ont fait leurs

    preuves (p. 22), les lments qui permettent den attester sont tnus. Cela est dautant plus gnant que

    certaines procdures apparaissent fort peu convaincantes, telle celle, plutt cocasse, destine

    lvaluation de la pertinence dun contrat (p. 202 sq.): une sorte de fonction de scoring dlaboration

    obscure et qui ne fait lobjet daucune illustration dutilisation.

    En tout tat de cause, les limites du livre nen tent pas les vertus. Le lecteur y dcouvrira,

    rappelons-le, un expos relativement complet des enjeux de la construction des alliances. Et bien que

    Jean Pierre Guth destine avant tout son ouvrage au praticien, on est davis quil ne manquera pas

    dintresser le chercheur qui pourra y trouver une intressante source dinspiration pour la formulation

    dhypothses sur les dterminants du succs des alliances.

    Fabien Blanchot

    8et, en consquence, comme une relation de longue dure et forte (p. 102), o chacun est satisfait de ce quil

    obtient et de ce qui lui en cote (p. 118).