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Annales de pathologie (2009) 29, 524—526 CAS POUR DIAGNOSTIC Une atteinte cardiaque fatale après antibiothérapie Fatal cardiac failure following antibiotic treatment Peter Dorfmüller a,, Olivier Chosidow c , Jean-Franc ¸ois Trouillet b , Pascal Leprince b , Frédérique Capron a , Isabelle Brochériou a a Service d’anatomie et de cytologie pathologique, université Pierre-et-Marie-Curie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France b Institut de cardiologie, réanimation médicale, université Pierre-et-Marie-Curie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, France c Service de dermatologie, hôpital Tenon, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris, France Accepté pour publication le 9 janvier 2009 Disponible sur Internet le 25 novembre 2009 Observation Une femme âgée de 34 ans d’origine africaine a été transférée aux urgences pour dyspnée associée à des arthralgies et de la fièvre apparues deux semaines après le début d’une antibiothérapie par minocycline pour infection génitale, découverte dans le cadre d’un bilan de stérilité. L’examen clinique trouvait une tachycardie sans hypertension artérielle, un exanthème papuleux prurigineux des membres supérieurs, une angine érythémateuse, un œdème facial et des adénopathies cervicales. Les examens biologiques révélaient une hyperleucocytose sans hyperéosinophilie et une cytolyse hépatique modérée. La recherche d’agents pathogènes bactériens et viraux a été négative. Après thérapie immunosuppres- sive par méthylprednisone à forte dose suivie d’une semaine de corticothérapie orale, la dyspnée et l’exanthème se sont améliorés et la patiente a quitté l’hôpital contre avis médical. Un mois plus tard, elle était hospitalisée à nouveau pour dyspnée aiguë et hypo- tension sévère. L’examen échographique mettait en évidence une cardiomégalie et une dysfonction du ventricule gauche avec une fraction d’éjection réduite à moins de 20 %. La patiente a développé un choc cardiogénique nécessitant une assistance circulatoire extracorporelle. Pendant cette intervention à cœur ouvert, des biopsies myocardiques ont été réalisées. Le myocarde était le siège d’un infiltrat inflammatoire abondant constitué de lymphocytes, plasmocytes, histiocytes et de nombreux polynucléaires éosinophiles avec un œdème interstitiel, dissociant les fibres myocardiques. Plusieurs foyers clairsemés de nécrose myocytaire étaient visibles (Fig. 1 et 2). La patiente est décédée six jours après l’intervention. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Dorfmüller). 0242-6498/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2009.10.031

Une atteinte cardiaque fatale après antibiothérapie

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nnales de pathologie (2009) 29, 524—526

AS POUR DIAGNOSTIC

ne atteinte cardiaque fatale après antibiothérapie

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Peter Dorfmüllera,∗, Olivier Chosidowc, Jean-FrancoisTrouilletb, Pascal Leprinceb, Frédérique Caprona,Isabelle Brochérioua

a Service d’anatomie et de cytologie pathologique, université Pierre-et-Marie-Curie, groupehospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, Franceb Institut de cardiologie, réanimation médicale, université Pierre-et-Marie-Curie, groupehospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, Francec Service de dermatologie, hôpital Tenon, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris, France

Accepté pour publication le 9 janvier 2009Disponible sur Internet le 25 novembre 2009

Observation

Une femme âgée de 34 ans d’origine africaine a été transférée aux urgences pour dyspnéeassociée à des arthralgies et de la fièvre apparues deux semaines après le début d’uneantibiothérapie par minocycline pour infection génitale, découverte dans le cadre d’unbilan de stérilité. L’examen clinique trouvait une tachycardie sans hypertension artérielle,un exanthème papuleux prurigineux des membres supérieurs, une angine érythémateuse,un œdème facial et des adénopathies cervicales. Les examens biologiques révélaient unehyperleucocytose sans hyperéosinophilie et une cytolyse hépatique modérée. La recherched’agents pathogènes bactériens et viraux a été négative. Après thérapie immunosuppres-sive par méthylprednisone à forte dose suivie d’une semaine de corticothérapie orale, ladyspnée et l’exanthème se sont améliorés et la patiente a quitté l’hôpital contre avismédical. Un mois plus tard, elle était hospitalisée à nouveau pour dyspnée aiguë et hypo-tension sévère. L’examen échographique mettait en évidence une cardiomégalie et unedysfonction du ventricule gauche avec une fraction d’éjection réduite à moins de 20 %.La patiente a développé un choc cardiogénique nécessitant une assistance circulatoireextracorporelle. Pendant cette intervention à cœur ouvert, des biopsies myocardiques ontété réalisées. Le myocarde était le siège d’un infiltrat inflammatoire abondant constituéde lymphocytes, plasmocytes, histiocytes et de nombreux polynucléaires éosinophiles avecun œdème interstitiel, dissociant les fibres myocardiques. Plusieurs foyers clairsemés denécrose myocytaire étaient visibles (Fig. 1 et 2). La patiente est décédée six jours aprèsl’intervention.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Dorfmüller).

242-6498/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2009.10.031

Une atteinte cardiaque fatale après antibiothérapie

Figure 1. Tissu myocardique altéré par des foyers de nécrosemyocytaire, associés à un œdème interstitiel et un infiltrat inflam-matoire (HES × 100).Myocardial tissue altered by sparse necrotic foci, associated withinterstitial oedema and inflammatory infiltrates (HES × 100).

Figure 2. Infiltrat myocardique, constitué de lymphocytes, plas-mocytes, histiocytes et de nombreux polynucléaires éosinophiles(HES × 200).Myocardial inflammatory infiltrate consisting of lymphocytes,plasma cells, histiocytes and numerous eosinophils (HES × 200).

Quel est votre diagnostic ?

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iagnostic : myocardite à éosinophilesans le cadre d’une réaction

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a myocardite à éosinophiles est macroscopiquement peupécifique avec une cardiomégalie, une dilatation biven-riculaire et parfois un myocarde d’aspect moucheté.’étude microscopique révèle des lésions plus caractéris-iques, toutes de même âge, témoignant de l’atteinteapide de l’organe. Elle se manifeste par un œdème etes infiltrats inflammatoires interstitiels focaux ou diffus,onstitués principalement d’éosinophiles, mais également

e lymphocytes, de plasmocytes et d’histiocytes asso-iés à des foyers disséminés de nécrose myocytaire. Ceserniers peuvent être masqués par l’infiltrat cellulaireouvent dense [1]. Les nécroses myocytaires étendues,insi qu’une réaction cicatricielle fibreuse sont inhabi-uelles et sont rencontrées plus fréquemment dans layocardite lymphocytaire et la myocardite à cellules

éantes [2]. Par ailleurs, un autre diagnostic différentielst celui d’une myocardite dans le cadre d’un syn-rome d’hyperéosinophilie avec endocardite de Loeffler,ouvent accompagné d’infiltrats éosinophiles multiviscé-aux.

Des études indiquent que la myocardite à éosinophilesans le cadre d’une réaction immuno-allergique pourraitrovenir d’une surexpression d’interleukines (IL-5) par desymphocytes qui seraient stimulés par un médicament,el que l’allopurinol, les anticonvulsivants (carbamazépine,hénobarbitone et phénytoïne), les sulphonamides ou lainocycline [3]. Cette réaction allergique n’est pas due à la

oxicité directe du médicament, mais résulte d’une interac-ion des composants du médicament avec des protéines oues macromolécules endogènes, présentant ainsi des pro-riétés antigéniques.

Ce type de myocardite peut s’intégrer dans un syn-rome d’hypersensibilité aiguë (DRESS-syndrome, en anglaisrug rash with eosinophilia and systemic symptoms) qui

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P. Dorfmüller et al.

omporte différents symptômes souvent associés, tels que’exanthème, la fièvre ou une éosinophilie sanguine [4]. Ileut comprendre une pneumonie interstitielle associée àes bronchospasmes, une cytolyse hépatique se traduisantar des nécroses hépatocytaires disséminées, une néphriteubulo-interstitielle avec protéinurie ou une myocardite deauvais pronostic.Il est très probable qu’un facteur génétique détermi-

ant soit associé à cette maladie, souvent observée chez laopulation noire avec une prévalence plus importante dansa minorité afro-américaine, notamment après traitementvec la minocycline. Cet antibiotique peut être prescrit danse traitement d’une acné ou d’une infection génitale [5].

La myocardite à éosinophiles est rare, surtout décriteans la littérature dans le cadre d’analyses post-mortem.es symptômes peu spécifiques peuvent imiter un infarc-us du myocarde ou une myocardite virale et la réalisatione biopsies myocardiques bien qu’exceptionnelle permet deorter le diagnostic conduisant à l’arrêt du médicament enause et la mise en route rapide d’un traitement efficacear corticostéroïdes à forte dose.

éférences

1] Al Ali AM, Straatman LP, Allard MF, Ignaszewski AP. Eosinophilicmyocarditis: case series and review of literature. Can J Cardiol2006;22:1233—7.

2] Aretz HT, Billingham ME, Edwards WD, Factor SM, Fallon JT,Fenoglio Jr JJ, et al. Myocarditis. A histopathologic definitionand classification. Am J Cardiovasc Pathol 1987;1:3—14.

3] Choquet-Kastylevsky G, Intrator L, Chenal C, Bocquet H, RevuzJ, Roujeau JC. Increased levels of interleukin-5 are associatedwith the generation of eosinophilia in drug-induced hypersensi-tivity syndrome. Br J Dermatol 1998;139:1026—32.

4] Begon E, Roujeau JC. Syndrome d’hypersensibilité médicamen-teuse ou Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms(DRESS). Ann Dermatol Venereol 2004;131:293—7.

5] Beneton N, Bocquet H, Cosnes A, Revuz J, Roujeau JC. Benefit-risk assessment of acne therapies. Lancet 1997;349:1252.