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Association du Vrai Cœur Une Autre vie au Tibet et autres histoires et enseignements bouddhistes

Une Autre vie au Tibet

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Association du Vrai Cœur

Une Autre vie au Tibet

et autres histoires et enseignementsbouddhistes

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Publié sur www.bookelis.com

ISBN : 979-10-227-4042-5

© Association du Vrai Cœur

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,

intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

L’auteur est seul propriétaire des droits et responsable du contenu de ce livre.

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PRÉFACE

L’histoire du bouddhisme est traverséed’épreuves qui ont fait oublier aux hommes ledharma, c’est-à-dire l’enseignement du Bouddha.De l’invasion musulmane au Moyen Âge quidétruisit largement le bouddhisme tel qu’il étaitprésent en Inde, aux textes qui par les sièclespassés furent ajoutés clandestinement à la listedes sutras, le bouddhisme est bien autre choseque ce que le monde occidental en saitaujourd’hui. Car c’est une version difforme,mutilée et expurgée de ses crimes, de sesmensonges et de ses usurpateurs que l’hommed’Occident a de cette religion multimillénaire.

C’est d’ailleurs essentiellement contre cetétat de fait qu’est né ce livre dont les onzehistoires restent néanmoins à la portée de tous. Etc’est là son premier avantage : nul besoin pour lelire d’avoir reçu une formation approfondie aubouddhisme. Il suffit bien assez de se laisserporter par les textes, d’autoriser son imagination ànaviguer dans les eaux profondes du dharma.

Que cela donc soit dit : ce livre est, d’abord,une invitation au voyage. Mais c’est un voyage

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qui transporte la pensée aux confins de la naturehumaine, de ses tourments, de sa sagesse.L’aventure des hommes est ici scrutée, étudiée,évaluée par l’œil de sagesse du dharma qui,toujours, cherche à tirer des situations les plusordinaires la substantifique moelle. L’or esttoujours sous la gangue, et c’est finalement àcette quête de l’or bouddhiste que le lecteur estconvié.

Chaque histoire en effet est un moyensupplémentaire de pouvoir enseigner, de pouvoirpour ainsi dire ressusciter la parole du Bouddha,une parole qui fait écho directement auxpremières traductions en chinois des sutras, lestextes sacrés bouddhistes. C’est son secondavantage : le plaisir d’une lecture qui envolel’esprit et qui, en même temps, l’enseigne.

Car depuis que l’Europe, au milieu du XIXe

siècle, a accueilli le bouddhisme sur ses terres,elle en a formé une vision romantique etchimérique qui n’a rien à voir avec la vérité duBouddha. La voix du Bouddha est devenu unmonde purement imaginaire, une fantaisie, uneextravagance ainsi que l’avait remarqué DonaldS. Lopez dans son ouvrage Fascination tibétaine.Il devient alors très difficile de dissocier la parole

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originelle de l’Eveillé, des propos qu’ont voulului prêter les hérésies des siècles passés. Le livreque vous tenez entre vos mains constitue sur cepoint l’amorce d’un enseignement nouveau,d’une révision complète des représentations quenous nous en faisons. Il n’est, ni plus ni moins,que le commencement d’une révolution dans lacompréhension du bouddhisme.

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Une autre vie au Tibet : une histoire dedivorce

Lorsque je voyage à Taïwan en compagnie demes enfants ou dans des pays voisins, les genssont surpris de voir combien ils sont typés : leurstraits eurasiens attirent l’attention des curieux.

Certains dont la nature est agréable etchaleureuse échangent quelques mots avec moi etm’interrogent sur les raisons pour lesquelles monépouse ne nous a pas accompagnés. Je m’étonnealors de voir combien les gens peuvent êtreembarrassés lorsque je leur réponds que je suisdivorcé, le divorce étant, en Asie, chargé dejugements très négatifs.

Un ami de mon frère nous convia un jour,mes parents, mes enfants, ceux de mon frère etmoi à un repas qu’il organisait chez lui. Cethomme avait lui-même passé quelques jours cheznous à l’occasion d’un voyage qu’il avait fait àParis. Il avait donc eu l’opportunité de rencontrermon ex-femme. Mais il demeura bouche béelorsque, m’ayant demandé pourquoi mon épouseétait absente, je lui annonçai que nous avionsdivorcé. La conversation s’était brutalement

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arrêtée sur ces mots et avait jeté la confusionautour de la table. Au moment de quitter notrehôte et de regagner la voiture, mon père nemanqua pas de me morigéner :

« Tu es divorcé, mais pourquoi a-t-il falluque tu le dises devant tout le monde ? medemanda-t-il. Ne pouvais-tu pas simplementinventer une histoire et prétendre que ta femmeavait eu un empêchement ? Tu m’as fait perdre laface, ce soir ! Tu es véritablement un idiot depremière catégorie ! »

Je ne répliquai rien. Je préférai laisser monpère exprimer sa colère, mais sans perdre àl’esprit qu’il me faudrait plus tard trouver unmoment où nous serions tous deux disponibles,afin que je puisse lui exposer mon propre point devue. Ce moment n’arriva malheureusementjamais car, en tant que fils cadet, ma familleconsidérait toujours que j’en étais le plus ignorantet jugeait donc inutile une telle conversation. Jeris jaune quand ce préjugé me fut rappelé.

Beaucoup de doutes entouraient encore à cetteépoque l’idée que je me faisais d’être unpratiquant du bouddhisme mahāyāna, car jen’étais encore qu’un débutant ordinaire dans lebouddhisme et ma pratique était médiocre.

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Pourtant, je n’hésitais pas à affirmer à qui voulaitl’entendre que j’apprenais le véritableenseignement du Bouddha. Partant, je suisdisposé à vous présenter la manière dont jeconçois mon divorce.

Quand je vous annonce que j’ai divorcé, je nefais que prononcer un mot, n’est-ce pas ? Ce mota-t-il un début et une fin ? Oui, évidemment. Cemot est donc ce qu’on appelle un dharmafonctionnel, une manifestation – du corps ici,dans sa capacité de parler. La formule « j’aidivorcé » fait-elle partie d’un langage ? Cela vade soi. Qu’est-ce donc ? Rien d’autre que lefonctionnement perpétuel de notre consciencementale dans son acte de produire un langage.C’est un processus qui permet à la consciencementale de manifester un langage. Cela fait doncpartie de ce que le bouddhisme nomme les cinqagrégats1.

1 Les cinq agrégats sont la forme, qui est composée desquatre éléments (eau, terre, feu, air) ; le ressenti (émotionset sentiments) ; la compréhension (quel qu'en soit l'objet,que ce soit par l'intermédiaire ou non du langage : c'estl'identification sommaire d'un objet perçu) ; le processus ;les sept premières vijñāna (considérées ici comme un seulagrégat : les organes sensoriels, manas et la consciencementale).

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Dans le sutra du cœur, il est dit que ces cinqagrégats sont vides, qu’ils ne sont pas « vrais ». Ilest donc bien inutile de s’emporter contre quelquechose qui n’a aucun caractère de vérité, et plusencore de perdre la face pour une telle vanité !Sans compter au demeurant que cette dignité quenous craignons tant de perdre n’a pas la moindrevaleur. La phrase que j’ai dite au sujet de mondivorce est impermanente, en sorte qu’il estsuperflu de perdre pour si peu son sang froid.Mon divorce était une affaire close, mes amisallaient tôt ou tard en être informés. Quelle raisonavais-je alors de ne pas le dire ouvertement à toutun chacun ?

Avant que nous nous séparions, mon épouse,à cause, disait-elle, de son métier, était souvent endéplacement. Il lui arrivait aussi de prétendrequ’elle avait des courses à faire pour justifier sesretours tardifs à la maison. Parfois encore elleprétextait devoir aller chercher un gâteau enl’honneur d’un anniversaire quelconque, maisrevenait à la maison alors que la soirée était déjàbien avancée, dépourvue de la pâtisserie qu’elleavait promise. Lorsque je lui adressais la parole,elle ne m’écoutait pas. Depuis que son père avait

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quitté ce monde, elle était instable et avaitdépensé une somme d’argent considérable pourun psychologue. Pourtant elle ne pensait avoiraucun problème. Tout au contraire, elle croyaitvolontiers que j’en avais bien plus qu’elle, ensorte qu’elle voulut m’obliger à aller voirégalement un psychologue et, par « gentillesse »,m’y avait même accompagné. Elle en profitaaussi pour lui parler. Après la troisième séance, lepsychologue jugea qu’il était inutile d’enorganiser de nouvelles dans la mesure où je neprésentais rien qui méritât quelque soin. Enrevanche, il fut d’un avis contraire au sujet de mafemme et soutint qu’elle avait besoin d’effectuerune longue thérapie. Il me revient en mémoire àce sujet un dicton chinois selon lequel celui qui sesent mal croit que tout le monde est semblable àlui. Cette remarque du psychologue ne lui plutguère, si bien qu’elle alla voir un autre médecinauprès duquel elle montra beaucoup d’assiduité.

J’étais sensible par ailleurs au fait qu’unedistance de plus en plus grande se creusait entrenous. Elle avait cessé de me confier sesdifficultés, ses peurs, ses souffrances. Ellepréférait en parler avec son psychologue. Elle semit aussi, à ce moment-là, à apprendre la salsa et

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s’en allait souvent seule à des soirées quiproposaient de la danser. Et puis, surtout, je nepouvais plus m’approcher d’elle. Elle invitaitmille prétextes pour s’en justifier et refusait desurcroît de discuter avec moi. Nous n’eûmes doncplus de conversations à cœur ouvert commeautrefois.

Une amie taïwanaise vint un jour chez nous,accompagnée de son mari. Mon épouse en profitapour sortir, maquillée avec soin et vêtue fortélégamment. Mon amie se rendit compte que cedépart n’était pas lié à un déplacementprofessionnel comme elle l’avait d’abordprétendu, mais qu’elle s’en allait rejoindre sansdoute son amant. Lorsqu’elle fut rentrée de son« déplacement professionnel », je luis posai laquestion sans ambages :

« As-tu un amant ? » Elle nia, en premier lieu. Mais elle fut bien

vite incapable de donner des explicationscohérentes à ses absences répétées et finit parreconnaître qu’elle avait peut-être bien un amant.

« Il n’y a pas de « peut-être », lui répondis-je. Un peut-être signifie que tu as nécessairementun amant. Il vaut donc mieux que nousdivorcions. »

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J’eus ensuite une conversation avec monmaître de kung-fu, qui me recommanda de laisserà mon épouse une seconde chance. Je suivis alorsce conseil et discutai longuement avec elle, luirappelant qu’il fallait préserver la famille quenous avions formée. Elle pleura abondammentaprès que je lui eus annoncé cela. Je lui laissaiune semaine pour y penser, ce à quoi elle ajouta,reconnaissante, que j’étais une personne d’unegrande gentillesse. Durant les jours qui suivirent,elle eut encore de nombreux « déplacementsprofessionnels », à tel point que notre domiciledevint pour elle un simple hôtel.

Elle imagina un jour comme faux-fuyantqu’elle devait, pour son métier, se déplacer avecune collègue. Mais le jour même, la collègue enquestion me téléphona afin de pouvoir obtenir unrendez-vous avec un médecin pratiquant lamédecine chinoise. Elle en profita pour medemander si je voulais parler à ma femme, dans lamesure où elle était avec elle dans son bureau. Jecompris que cette histoire de déplacement étaitencore un prétexte pour s’en aller rejoindre sonamant.

« Encore des mensonges ! » grommelai-je àpart moi alors que, ma tension ayant violemment

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grimpé, je manquai de m’évanouir sur mon lieude travail.

Elle rentra à la maison quelques jours après.J’en profitai pour lui demander si elle aimaitbeaucoup son amant, ce à quoi elle répondit parun « oui » franc. Il était évident pour moiqu’aucune solution n’était plus envisageablealors, sinon le divorce. J’allai alors consulterl’avocat de mon entreprise, résolu à engager laprocédure.

Lorsque ces premières démarches furentaccomplies, ma femme demanda à récupérer lamoitié de la maison et à me laisser financer seulla garde des enfants. Son salaire étant peu élevé,elle souhaitait percevoir de surcroît une prestationcompensatoire sur une période de sept années afind’être en mesure de maintenir sur cette période unniveau de vie correct. Ainsi put-elle continuer devivre assez aisément après notre séparation. C’estlà quelque chose qu’autorise la loi française, quede permettre à quelqu’un, par cette prestation, demaintenir un honnête niveau de vie à l’issue d’undivorce. Cependant, le tribunal est en droit de lalui refuser : le juge seul en peut décider.

En consultant l’avocat de mon entreprise,j’avais appris comment je pouvais légalement

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laisser partir ma femme sans lui donner uncentime. Mais cette perspective me mettait assezmal à l’aise. D’un autre côté, je n’avais pas trèsenvie de sacrifier une partie de la maison. Maconfusion était telle que j’en venais parfois à haïrma femme, tout en luttant contre ce sentiment.

J’eus l’occasion dans le même temps dedécouvrir le bouddhisme mahāyāna parl’intermédiaire de mon maître de kung-fu.J’ouvris les premiers livres de l’Association desÊtres Illuminés, et en dépit de nombre de leursidées auxquelles je ne comprenais rien, j’eus lebonheur d’achever d’une traite la lecture deplusieurs de ces ouvrages.

Mon maître me demanda par ailleurs desaluer quotidiennement le Bouddha et deconfesser devant sa statue tout ce que j’avais pufaire. Quelques semaines passèrent. Le Bouddhame fit apparaître dans un rêve une certaineexpérience que j’avais vécue au Tibet dans unevie antérieure : quelqu’un me poursuivait dans lebut de m’assassiner. Certains lamas armés merecherchaient et, pour leur échapper, il m’avaitfallu descendre la montagne aussi rapidement quemes jambes me le permettaient. Alors, dans macourse folle, je croisai un enfant. Il était seul,

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dépourvu de toit et de famille. Saisi decompassion, je lui promis que, si je trouvais pourmoi de quoi manger, je partagerais avec lui manourriture. Je poussai mes engagements jusqu’àlui dire que, s’il était orphelin, je deviendrais pourlui la figure maternelle ou paternelle qui luimanquait. Je mis l’enfant sur mon dos et je reprisma course. J’eus alors une sensation étrange : aucontact du petit garçon, je sus, moi qui rêvais, quecet enfant n’était autre que mon fils cadet.

Aucune peur en outre ne venait troubler monesprit durant ma fuite, car j’étais constamment ennostalgie de Bouddha et que je savais que nousétions immortels, que notre vrai moi ne connaît nila naissance ni la mort. Pourtant, je ne pouvaisretenir mes larmes chaque fois que l’enfantversait les siennes. Je pleurais pour mespoursuivants, si égarés, si ignorants du précieuxenseignement du Bouddha, et l’un de messouhaits était de retourner au Tibet afin de leurtransmettre le dharma, la parole du Bouddha,malgré leur volonté de m’ôter la vie.

Ce fut donc dans les larmes que nousdescendîmes la montagne, jusqu’à ce que nousarrivions dans une modeste auberge. Nous ytrouvâmes un refuge et l’hospitalité de la

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