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252 © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés - Rev Pneumol Clin 2006 ; 62 : 252-254 Cas clinique Une cause inhabituelle d’hémoptysie : la sangsue B. Amara 1 , M. Aakka 1 , S. Elhord 1 , R. Elbouzidi 1 , H. Rahimi 1 , F.Z. Benjelloun 1 , M. Khathouf 2 , A. Azeroual 1 , M.C. Benjelloun 1 1 Service de Ppneumo-Phtisiologie, 2 Service de Réanimation-Anesthésie, CHU Hassan-II, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Fès, route Sidi-Hrazem, BP 1893, 30000 Fès, Maroc. Correspondance : B. Amara, à l’adresse ci-dessus. Résumé Nous rapportons un cas de dyspnée inspiratoire associée à une hémoptysie chez une patiente âgée de 38 ans, sans antécé- dents particuliers. La fibroscopie bronchique a mis en évidence une sangsue, au niveau de l’orifice laryngée. Une laryngoscopie directe a permis en urgence le retrait de la sangsue vivante. Bien que cette pathologie reste fréquente dans les pays à forte endémie, ce diagnostic n’est que rarement évoqué. Il doit l’être devant l’association d’une hémoptysie, d’une modification de la voix et d’une gêne respiratoire. L’extraction doit être rapide pour éviter le décès dans un état de détresse respiratoire aiguë. Mots-clés : Hémoptysie. Sangsue. Larynx. Summary We report an exceptional case of hemoptysis observed in a 38-year-old woman with an uneventful past history. Bronchial fibroscopy demonstrated the presence of a leech attached to the laryngeal orifice. This condition is common in endemic areas but is underdiagnosed. The association of hemoptysis, voice alterations, and difficult respiration are suggestive signs. Extraction should be achieved rapidly to avoid death due to acute respiratory failure. Key-words: Hemoptysis. Leech. Larynx. e terme leech, traduction anglaise du mot sangsue, dérive du vieil anglais leace qui signifie médecin. Ceci donne une idée des rapports très étroits que la médecine a entretenus avec les sangsues, depuis des siècles et même des millénaires, dans le traitement de plusieurs affections. Depuis les années 60, et surtout les années 80 et 90, les sangsues sont revenues à l’honneur par leur uti- lisation aussi bien en chirurgie plastique et dans les réim- plantations de phalanges que dans le traitement des syndromes post-phlébitiques [1]. Mais, étant un endopa- rasite, la sangsue peut être responsable chez l’homme de complications sévères, parfois même létales, en fonction de sa localisation au niveau du tractus aérodigestif. Nous rapportons un cas de localisation laryngée de la sangsue. Observation Il s’agissait d’une femme âgée de 38 ans, habitant la compagne, sans antécédents pathologiques particuliers. Dix jours avant son hospitalisation, elle s’était plainte d’une toux associée à des épisodes d’hémoptysie de fai- ble abondance, puis était survenue une dyspnée inspira- toire et des épisodes intermittents d’aphonie, le tout [email protected] An unusual cause of hemoptysis: a leech L

Une cause inhabituelle d’hémoptysie : la sangsue

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© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés - Rev Pneumol Clin 2006 ; 62 : 252-254

Cas clinique

Une cause inhabituelle d’hémoptysie : la sangsue

B. Amara1, M. Aakka1, S. Elhord1, R. Elbouzidi1, H. Rahimi1, F.Z. Benjelloun1, M. Khathouf2, A. Azeroual1, M.C. Benjelloun1

1 Service de Ppneumo-Phtisiologie,2 Service de Réanimation-Anesthésie, CHU Hassan-II, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Fès, route Sidi-Hrazem, BP 1893, 30000 Fès, Maroc.

Correspondance : B. Amara, à l’adresse ci-dessus.

Résumé

Nous rapportons un cas de dyspnée inspiratoire associée à unehémoptysie chez une patiente âgée de 38 ans, sans antécé-dents particuliers. La fibroscopie bronchique a mis en évidenceune sangsue, au niveau de l’orifice laryngée. Une laryngoscopiedirecte a permis en urgence le retrait de la sangsue vivante.Bien que cette pathologie reste fréquente dans les pays à forteendémie, ce diagnostic n’est que rarement évoqué. Il doit l’êtredevant l’association d’une hémoptysie, d’une modification de lavoix et d’une gêne respiratoire. L’extraction doit être rapidepour éviter le décès dans un état de détresse respiratoire aiguë.

Mots-clés : Hémoptysie. Sangsue. Larynx.

Summary

We report an exceptional case of hemoptysis observed in a38-year-old woman with an uneventful past history. Bronchialfibroscopy demonstrated the presence of a leech attached tothe laryngeal orifice. This condition is common in endemicareas but is underdiagnosed. The association of hemoptysis,voice alterations, and difficult respiration are suggestive signs.Extraction should be achieved rapidly to avoid death due toacute respiratory failure.

Key-words: Hemoptysis. Leech. Larynx.

e terme leech, traduction anglaise du mot sangsue,dérive du vieil anglais leace qui signifie médecin. Cecidonne une idée des rapports très étroits que la médecinea entretenus avec les sangsues, depuis des siècles etmême des millénaires, dans le traitement de plusieursaffections. Depuis les années 60, et surtout les années 80et 90, les sangsues sont revenues à l’honneur par leur uti-lisation aussi bien en chirurgie plastique et dans les réim-plantations de phalanges que dans le traitement dessyndromes post-phlébitiques [1]. Mais, étant un endopa-rasite, la sangsue peut être responsable chez l’homme decomplications sévères, parfois même létales, en fonction

de sa localisation au niveau du tractus aérodigestif. Nousrapportons un cas de localisation laryngée de la sangsue.

Observation

Il s’agissait d’une femme âgée de 38 ans, habitant lacompagne, sans antécédents pathologiques particuliers.Dix jours avant son hospitalisation, elle s’était plainted’une toux associée à des épisodes d’hémoptysie de fai-ble abondance, puis était survenue une dyspnée inspira-toire et des épisodes intermittents d’aphonie, le tout

[email protected]

An unusual cause of hemoptysis: a leech

L

B. Amara et al.

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évoluant dans un contexte d’apyrexie et de conservationde l’état général.L’examen clinique de cette patiente, en bon état général,était normal. La radiographie thoracique, la numérationformule sanguine, le bilan d’hémostase et l’ionogrammesanguin étaient normaux.La fibroscopie bronchique objectivait une formation noi-râtre, lisse, mobile, située juste au dessous des cordesvocales, faisant saillie dans le larynx (figure 1), avec obs-truction parfois totale de ce dernier (figure 2), laissantsuspecter un corps étranger, et ne permettant pasl’exploration de la trachée.En réinterrogeant la patiente, elle rapportait que l’eau desa région est infestée de façon importante par les sang-sues. Une nouvelle fibroscopie, faite le même jour sousanesthésie par propafol, permettait de confirmer le dia-gnostic d’inhalation de sangsue.Une laryngoscopie directe faite en urgence, sans intuba-tion trachéale, permettait le retrait par une pince deMagendy d’une sangsue vivante, d’une taille de 4 cm(figure 3).L’évolution était marquée par la disparition des symptô-mes cliniques dans l’immédiat, et la patiente quittaitl’hôpital 24 heures plus tard.

Discussion

La sangsue est un ver hermaphrodite de l’embranche-ment des annélides, appartenant à la classe des hirudi-

nées, vivant en eau douce, principalement dans lesmarais. Il existe plus de 700 espèces. L’homme se con-tamine en ingérant de l’eau provenant d’un étang oud’un marais [1, 2]. L’infestation a été décrite principale-ment dans les pays méditerranéens, en Afrique et enAsie. Au Maroc, et notamment dans la région de Fès(Moyen Atlas), elle n’est pas exceptionnelle, mais raressont les publications faites à ce sujet [3].Après pénétration dans l’organisme, à travers la boucheou le nez, la sangsue peut se localiser au niveau dunasopharynx, de l’épiglotte, de l’œsophage, mais beau-coup plus rarement au niveau du larynx, de la trachéeou des bronches [4-6]. La morsure de la sangsue est

Figure 1. - Vue endoscopique. Implantation de la sangsue au-des-sous des cordes vocales ; l’orifice laryngé est partiellement obstrué.

Figure 2. - Vue endoscopique. Obstruction totale du larynx par lasangsue.

Figure 3. - Sangsue d’une taille de 4 cm.

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indolore, ce qui explique que l’infestation peut passerinaperçue jusqu’à l’apparition de signes cliniques [7].Quand elle s’attache à la muqueuse, la sangsue ingèreune grande quantité de sang, pouvant atteindre près dedix fois son poids [5], ce qui peut être responsable d’uneanémie sévère. La persistance d’un saignement aucours de l’infestation par la sangsue résulte de la libéra-tion de sécrétions salivaires ayant un rôle anticoagulantet antiagrégant plaquettaire. Parmi les substancessécrétées, l’hirudine est la plus connue, puissant inhibi-teur de la thrombine, qui bloque la cascade de la coagu-lation en empêchant la transformation de fibrinogène enfibrine ; d’autres facteurs anticoagulants ont été indivi-dualisés : facteur IXa, plasminogène activating factor. Lasalive contient aussi des enzymes comme l’anti-élas-tase, l’anti-plasmine, l’anti-trypsine [6, 8].La symptomatologie clinique est variable en fonction dela localisation de la sangsue. Quand son siège est auniveau du nez ou du nasopharynx, le patient se présenteavec des épistaxis récidivants, une obstruction nasale,ou une sensation de corps étranger mobile au niveau dunez pouvant poser un problème de diagnostic différen-tiel avec les tumeurs bénignes ou malignes du nasopha-rynx [4]. La localisation oropharyngée occasionne descrachats sanglants, une dysphagie haute, tandis que lalocalisation au niveau du tube digestif entraîne hématé-mèse et/ou melæna [3].L’atteinte laryngée est moins fréquente mais peut êtreresponsable d’une symptomatologie bruyante, avec uneévolution parfois rapide vers le décès dans un état dedétresse respiratoire secondaire à une obstruction totaledu tractus respiratoire [9]. Le tableau clinique associedes hémoptysies à un changement de la voix, une touxsèche et une gêne respiratoire.Comme pour tout corps étranger, le diagnostic doit êtrerapide pour éviter toute complication ; il repose sur labronchoscopie ou, mieux, la laryngoscopie directe.Quel que soit son site d’implantation, l’extraction duparasite est difficile. En cas de localisation laryngée, plu-sieurs auteurs ont proposé son extraction sous anesthé-sie locale ou générale, avec application d’adrénaline, decocaïne, de solution saline ou de vinaigre. Mais la mani-pulation de la région laryngée sous anesthésie locale est

inconfortable pour le patient. L’anesthésie générale avecintubation trachéale a plusieurs complications tellesqu’une rupture de la sangsue, une aspiration de cettedernière dans le poumon, entraînant la persistance dusaignement et secondairement les infections [5, 10].Pour éviter ces complications, plusieurs auteurs préfè-rent une anesthésie générale par induction, sans intuba-tion trachéale. En effet, l’absorption de produitanesthésique par la sangsue peut entraîner une paralysiede celle-ci, ce qui permet son extraction facile [5].L’évolution après traitement est rapidement favorable,avec disparition totale de tous les symptômes.En conclusion, nous suggérons que la localisation laryn-gée de la sangsue reste une étiologie non rare d’hémop-tysie, surtout dans les pays à forte endémie. Sonextraction doit être rapide, sinon l’évolution peut êtrefatale. Le meilleur traitement reste préventif.

Références

1. Morineau O. Utilisation des sangsues dans la chirurgie de laface et du cou. Mémoire pour l’obtention du Diplômed’Études Spécialisées de la face et du cou. Nantes : Facultéde Médecine, septembre 2002.

2. White GB. Leeches and leech infestation. In : Cook GC, ed.Masson’s Tropical diseases. 20th ed. London: Saunders,1998:1523-5.

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4. Bilgen C, Karci B, Uluöz U. A nasopharyngeal mass: leech inthe nasopharynx. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2002;64:73-6.

5. Uygur K, Hasan H, Yavuz L, Dogru H. Removal of a laryngealleech: a safe and effective method. Am J Otolaryngol 2003;24:338-40.

6. Mohammad Y, Rostum M, Dubaybo BA. Laryngeal hirudinia-sis: an unusual cause of airway obstruction and hemoptysis.Pediatr Pulmonol 2002;33:224-6.

7. Garcia AC, Martin AM, De Luna-Gijon CA, Martin-Anaya AS,Mondejar AR. Leech in the epiglottis: an unusual discovery inour times. Am J Otolaryngol 2002;23:91-2.

8. Eldor A, Orevi M, Rigbi M. The role of the leech in medicaltherapeutics. Blood Rev 1996;10:201-9.

9. Kaygusuz I, Yalcin S, Keles E. Leeches in the larynx. Eur ArchOtolaryngol 2001;258:455-7.

10. Pandey CK, Sharma R, Baronia, Agarwal A, Singh N. Anunsual cause of respiratory distress: live leech in the larynx.Anest Anal 2000;90:1227-8.