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Cas clinique Une cause rare de diminution de lacuité visuelle : la tumeur à cellules granuleuses neurohypophysaire A rare case of diminished visual acuity: neurohypophyseal granular cell tumor P. Saint-Blancard a, * , B. Pierre b , C. Philippe c , F.-R. de Soultrait b a Service danatomie pathologique, hôpital dinstruction des armées de Percy, 101, avenue Henry-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart cedex, France b Service de neurochirurgie, hôpital dinstruction des armées de Percy, 101, avenue Henry-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart cedex, France c Service de radiothérapieoncologie, polyclinique de Courlancy, Reims, France Reçu le 11 janvier 2007 ; accepté le 4 mai 2007 Abstract A neurohypophyseal granular cell tumor was found in a 60-year-old man who presented diminished visual acuity. Neuronavigation resection via a fronto-pteronial approach removed split up material. The diagnosis was established by histology and immunochemical studies. Granulous cell tumors, which are common, are rarely located in the neurohypophysis. Their origin remains a subject of debate, but unlike the other localiza- tions, these tumors in the sellar and/or supra-sellar area are always considered benign. The clinical course depends on the quality of the surgical resection; there is no consensus on appropriate management. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Résumé Les auteurs rapportent le cas dune tumeur sellaire à cellules granuleuses découverte chez un homme de 60 ans présentant une baisse de lacuité visuelle. Lexérèse de la tumeur sous neuronavigation par abord frontoptéronial a ramené un matériel fragmenté, mais permettant le diagnostic anatomopathologique sur les données de lexamen histopathologique et des données immunohistochimiques. Les tumeurs à cellules granuleuses sont ubiquitaires, très rarement localisées au niveau de la neurohypophyse. Leur origine reste controversée, mais contrairement aux autres localisations, elles sont considérées comme étant toujours bénignes dans la région sellaire et/ou suprasellaire. Leur évolution est cependant tributaire de la qualité de lexérèse chirurgicale et leur prise en charge ne fait lobjet daucun consensus. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Neurohypophysis; Granular cell tumor; Sellar tumor 1. Observation Un homme de 60 ans, sans antécédent particulier, consultait pour céphalées frontales et troubles visuels persistants depuis six mois, avec apparition progressive de troubles de léquilibre et de la marche. Une paralysie oculomotrice était objectivée, conduisant à la réalisation dun scanner cérébral complété dune IRM. Une tumeur de 2 cm de diamètre, prenant forte- ment le contraste de façon homogène, sellaire et suprasellaire était observée (Fig. 1). Elle apparaissait accolée à la partie supérieure du sphénoïde, responsable dun effet de masse sur le chiasma optique, mais sans envahissement du polygone de Willis. Le patient ne présentait ni polyurie, ni polydipsie. Le bilan endocrinologique révélait un taux sérique de testostérone à 0,28 μg/l (N : 27) et un taux de thyroxine (T4) libre à 6,8 pmol/l (N : 1122) sans autre anomalie, en particulier absence dhyperprolactinémie, ou de diminution des taux sérique dACTH ou de cortisol. Lexérèse sous neuronaviga- Neurochirurgie 53 (2007) 296298 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Saint-Blancard). 0028-3770/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neuchi.2007.05.004

Une cause rare de diminution de l'acuité visuelle: la tumeur à cellules granuleuses neurohypophysaire

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Page 1: Une cause rare de diminution de l'acuité visuelle: la tumeur à cellules granuleuses neurohypophysaire

Neurochirurgie 53 (2007) 296–298

Cas clinique

* Auteur correspAdresse e-mail

0028-3770/$ - seedoi:10.1016/j.neuc

Une cause rare de diminution de l’acuité visuelle :

la tumeur à cellules granuleuses neurohypophysaire

on:

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A rare case of diminished visual acuity:

neurohypophyseal granular cell tumor

P. Saint-Blancarda,*, B. Pierreb, C. Philippec, F.-R. de Soultraitb

a Service d’anatomie pathologique, hôpital d’instruction des armées de Percy, 101, avenue Henry-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart cedex, Franceb Service de neurochirurgie, hôpital d’instruction des armées de Percy, 101, avenue Henry-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart cedex, France

c Service de radiothérapie–oncologie, polyclinique de Courlancy, Reims, France

Reçu le 11 janvier 2007 ; accepté le 4 mai 2007

Abstract

A neurohypophyseal granular cell tumor was found in a 60-year-old man who presented diminished visual acuity. Neuronavigation resectionvia a fronto-pteronial approach removed split up material. The diagnosis was established by histology and immunochemical studies. Granulouscell tumors, which are common, are rarely located in the neurohypophysis. Their origin remains a subject of debate, but unlike the other localiza-tions, these tumors in the sellar and/or supra-sellar area are always considered benign. The clinical course depends on the quality of the surgicalresection; there is no consensus on appropriate management.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Résumé

Les auteurs rapportent le cas d’une tumeur sellaire à cellules granuleuses découverte chez un homme de 60 ans présentant une baisse del’acuité visuelle. L’exérèse de la tumeur sous neuronavigation par abord frontoptéronial a ramené un matériel fragmenté, mais permettant lediagnostic anatomopathologique sur les données de l’examen histopathologique et des données immunohistochimiques. Les tumeurs à cellulesgranuleuses sont ubiquitaires, très rarement localisées au niveau de la neurohypophyse. Leur origine reste controversée, mais contrairement auxautres localisations, elles sont considérées comme étant toujours bénignes dans la région sellaire et/ou suprasellaire. Leur évolution est cependanttributaire de la qualité de l’exérèse chirurgicale et leur prise en charge ne fait l’objet d’aucun consensus.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Keywords: Neurohypophysis; Granular cell tumor; Sellar tumor

1. Observation

Un homme de 60 ans, sans antécédent particulier, consultaitpour céphalées frontales et troubles visuels persistants depuissix mois, avec apparition progressive de troubles de l’équilibreet de la marche. Une paralysie oculomotrice était objectivée,conduisant à la réalisation d’un scanner cérébral complété

[email protected] (P. Saint-Blancard).

ont matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.2007.05.004

d’une IRM. Une tumeur de 2 cm de diamètre, prenant forte-ment le contraste de façon homogène, sellaire et suprasellaireétait observée (Fig. 1). Elle apparaissait accolée à la partiesupérieure du sphénoïde, responsable d’un effet de masse surle chiasma optique, mais sans envahissement du polygone deWillis. Le patient ne présentait ni polyurie, ni polydipsie. Lebilan endocrinologique révélait un taux sérique de testostéroneà 0,28 μg/l (N : 2–7) et un taux de thyroxine (T4) libre à6,8 pmol/l (N : 11–22) sans autre anomalie, en particulierabsence d’hyperprolactinémie, ou de diminution des tauxsérique d’ACTH ou de cortisol. L’exérèse sous neuronaviga-

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Fig. 1. IRM en coupe sagittale montrant une tumeur sellaire, prenant fortementle contraste de façon homogène.Fig. 1. Sagittal MRI showing a homogenous hyperintense sellar tumor.

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tion par abord frontoptéronial droit était décidée. La tumeurapparaissait gris-violet entre le bord inférieur du nerf optiquedroit et la carotide droite. Elle était molle, friable et saignaitfacilement au contact, entravant l’ablation totale. Les fragmentsadressés au laboratoire, après fixation dans le formol tamponnéà 10 % et inclusion en paraffine, étaient analysés dans leurtotalité, sur des coupes histologiques à 4 μm colorées parl’hématéine–éosine–safran (HES). Ils mettaient en évidenceune prolifération caractérisée par des nappes et lobules de cel-lules monomorphes de grande taille, globuleuses aux limitesfloues, au cytoplasme éosinophile ponctué de granulationsPAS+ (Fig. 2). Leur noyau était régulier, rond, parfois excen-tré, à chromatine fine. Il n’existait pas d’atypie cytonucléairemajeure, ni d’activité mitotique importante. Les amas de cellu-les étaient délimités par un cadre conjonctif très vascularisériche en petits lymphocytes matures. L’étude immunohistochi-mique réalisée sur coupes déparaffinées par la méthode strep-

Fig. 2. Plages de cellules granuleuses (hématéine–éosine–safran, ×400).Fig. 2. Sheets of granulous cells (Hematein–Eosin–Safran stain, ×400).

tavidine–biotine–peroxydase montrait l’expression par les cel-lules tumorales de la protéine S100 et de l’énolase spécifiqueneuronale, mais d’expression de la cytokératine, de marqueursneuroendocrines, de marqueurs musculaires lisses, de la pro-téine gliale fibrillaire acide (GFAP) ou les neurofilaments. Detrès rares cellules exprimaient le Ki67 (moins de 2 %).

Au total, le diagnostic de tumeur neurohypophysaire à cel-lules granuleuses était retenu.

2. Discussion

La tumeur à cellules granuleuses (TCG), initialementconnue sous les termes de myoblastome, de tumeur d’Abrikos-soff (1956) ou encore de choristome, est une tumeur générale-ment bénigne de localisation ubiquitaire. La première descrip-tion dans l’hypophyse remonte à 1893 par Boyce et Beadles(Lafitte et al. 1994). Le terme de pituicytome lui a même étéparfois attribué, terme réservé aux rares tumeurs dérivées despituicytes neurohypophysaires (Brat et al. 2000). Ainsi, lespectre des tumeurs sellaires ou suprasellaires est actuellementmieux défini et comprend les adénomes, les craniopharyngio-mes, les méningiomes, les tumeurs à cellules granuleuses, lesastrocytomes pilocytiques et les pituicytomes. Cette localisa-tion demeure peu fréquente, puisque 91 cas ont été découvertssous la forme de petits nodules asymptomatiques de 1 à 2 mm(tumourettes des Anglo-Saxons) sur une série de 1394 piècesautopsiques (Lafitte et al. 1994). Leur prévalence varie, selonles séries autopsiques, de 6,45 à 17 % (Barrande et al. 1995).Les tumeurs symptomatiques sont rarement rapportées dans lalittérature (Schalle et al. 1998). Elle s’observe le plus souventaprès 50 ans, avec un pic de fréquence se situant entre 60 et70 ans, avec une prédominance féminine (sex-ratio : 1,5 à deuxfemmes/homme) (Barrande et al. 1995).

L’imagerie par résonance magnétique révèle une masse arron-die, dense iso-intense avec un net rehaussement après injectiondu produit de contraste en rapport avec une riche vascularisation.Macroscopiquement, la tumeur correspond à un nodule bienlimité, le plus souvent homogène, de couleur jaune ou grise. Lanécrose et la dégénérescence kystique sont inhabituelles. Rare-ment, la tumeur peut infiltrer les structures adjacentes comme lechiasma optique ou le sinus caverneux. L’aspect histologique estcomparable à celui décrit dans les autres localisations, caractérisépar des nappes de cellules polygonales, au cytoplasme abondant,granuleux (grains PAS[+], résistants à la digestion enzymatique)(Barrande et al. 1995). Les granulations intracytoplasmiques cor-respondent à des lysosomes contenant des organites intracellulai-res observés à l’examen ultrastructural, suggérant un mécanismed’autophagie (Barrande et al. 1995). Leur noyau est petit, régu-lier, souvent excentré, à chromatine fine. Les atypies cytonucléai-res sont rares et les mitoses absentes. Des infiltrats inflammatoi-res lymphoplasmocytaires sont souvent observés autour desnappes cellulaires. L’immunomarquage met en évidence unepositivité intense pour la vimentine, l’α1-antitrypsine et l’α1-antichymotrypsine mais, une positivité moindre et variable pourla protéine S100 (Barrande et al. 1995). Il n’existe pas d’expres-sion des cytokératines, de la desmine, du CD68, du neurone spé-cifique énolase et des neurofilaments. L’immunoréactivité de la

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GFAP est variable, positive pour les volumineux TCG neurohy-pophysaires et négative pour les petites TCG de découverteautopsique (Barrande et al. 1995). L’histogenèse de la TCG dela neurohypophyse n’est pas complètement établie et reste unsujet de controverse (Lee et al. 2004). L’origine la plus commu-nément admise est neurale, le pituicyte granuleux, celluled’origine gliale de la neurohypophyse, cellule proche des pitui-cytes non granuleux dont la prolifération aboutit au pituicytome(Brat et al. 2000 ; Lafitte et al. 1994 ; Lee et al. 2004). Il fautévoquer d’autres étiologies de tumeurs sellaires et suprasellaires àcellules granuleuses, une localisation de tuberculose ou de sarcoï-dose, ou une pathologie liée au sida (les cellules granuleusesétant alors accompagnées de lymphocytes).

Contrairement à certains cas de TCG décrits dans les tissusmous, les TCG hypophysaires sont bénignes, d’évolution trèslente et non invasives (Fanburg-Smith et al. 1998 ; Schalle etal. 1998). L’exérèse chirurgicale reste le meilleur traitement,même si celle-ci est souvent difficile du fait de la consistanceet de l’hypervascularisation de la tumeur, et la radiothérapien’a pas fait l’objet d’un consensus (Buhl et al. 2001 ; Lee etal. 2004).

Références

Barrande, G., Kujas, M., Gancel, A., Turpin, G., Bruckert, E., Kuhn, J.M.,Luton, J.P., 1995. Les tumeurs à cellules granuleuses. Des tumeurs raresde la neurohypophyse. La Presse médicale 24, 1376–1380.

Brat, D.J., Scheithauer, B.W., Staugaitis, S.M., Holtzman, R.N.N., Morgello,S., Burger, P.C., 2000. Pituicytoma. A distinctive low-grade glioma of theneurohypophysis. The American journal of surgical pathology 24, 362–368.

Buhl, R., Hugo, H.H., Hempelmann, R.G., Barth, H., Mehdorn, H.M., 2001.Granular-cell tumor: a rare suprasellar mass. Neuroradiology 43, 309–312.

Fanburg-Smith, J.C., Meis-Kindblom, J.M., Fante, R., Kindblom, L.-G., 1998.Malignant granular cell tumor of soft tissue. Diagnostic criteria and clini-copathologic correlation. The American journal of surgical pathology 22,779–794.

Lafitte, C., Bedat, A.L., Jan, M., Fetissof, F., 1994. Étude immunohistochi-mique et ultrastructurale d’une tumeur à cellules granuleuses de la neuro-hypophyse. Annales de pathologie 14, 398–402.

Lee, C.-C., Liu, C.-H., Wei, C.-P., How, S.W., 2004. Symptomatic granularcell tumor of the neurohypophysis. Journal of the Formosan Medical Asso-ciation 4, 58–62.

Schalle, B., Kirsch, E., Tolnay, M., Mindermann, T., 1998. Symptomatic gra-nular cell tumor of the pituitary gland: case report and review of the litera-ture. Neurosurgery 42, 166–171.