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Aujourd’hui, la Cour pénale internationale (CPI) entame sa deuxième décennie à un moment clé de son essor. Le premier tri- bunal pénal international per- manent de l’histoire compte maintenant 121 États membres représentant toutes les régions du globe et traite actuellement quatorze dossiers avec des mises en accusation en Ouganda, République Démocratique du Congo, République Centrafri- caine, Soudan, Kenya, Libye et Côte d’Ivoire. La CPI vient tout juste de pro- noncer son premier jugement depuis son entrée en fonction, ayant condamné le Congolais Thomas Lubanga à quatorze ans de prison pour l’enrôlement d’enfants soldats. De plus, la Gambienne Fatou Bensouda vient d’assumer les fonctions comme deuxième procureure en chef de la CPI et sera peut-être plus à même de répondre aux critiques africaines de la CPI que son flamboyant prédécesseur Luis Moreno Ocampo. À bien des égards, la CPI repré- sente une grande avancée dans la lutte internationale contre l’impunité pour les crimes de guerre, actes de génocides et crimes contre l’humanité. Tout même, il faut également recon- naître que la CPI et ses États membres sont confrontés à plu- sieurs défis de taille qui mena- cent l’efficacité, l’autorité et la crédibilité du système de justice pénale internationale. D’abord, la mise en œuvre de la justice pénale internationale n’est pas donnée et la conduite des enquêtes et des procès à la CPI nécessite un financement constant et adéquat de la part de la communauté internatio- nale. Or, le budget de l’organi- sation risque d’être la victime des compressions budgétaires de ses États membres en cette période d’austérité alors que de nouvelles enquêtes ont cours en Libye et en Côte d’Ivoire. Consi- dérant le bouillonnement poli- tique mondial de la dernière année, les nécessaires inter- ventions à venir et le mandat dynamique de la CPI, ses États membres doivent s’engager à supporter financièrement la CPI et ainsi assurer sa capacité à s’attaquer aux enquêtes et pro- cès présents et futurs. Par ailleurs, ne disposant d’au- cune force militaire autonome, la CPI doit pouvoir compter sur la coopération de ses États membres pour imposer son auto- rité comme instance judiciaire. Avec le président du Soudan, Omar Al-Bashir, toujours en liberté près de quatre ans après sa mise en accusation, la coo- pération déficiente de certains États est un véritable enjeu qui mine la crédibilité de la Cour. En effet, plusieurs de ces États membres n’ont pas offert leur pleine coopération pour faciliter les efforts d’enquête de la Cour ou de mise en œuvre des man- dats d’arrestation qu’elle émet à l’égard d’individus soupçonnés de crimes internationaux. En plus de rencontrer leurs propres obligations de coopéra- tion avec la CPI, il est primordial que les États membres utilisent leurs ressources diplomatiques et matérielles pour favoriser une plus grande coopération de la part des pays ayant négligé leurs obligations à cet égard (pensons aux États qui ont laissé le président soudanais voyager librement sur leur territoire sans procéder à son arrestation). Enfin, les États membres doivent également en faire plus pour intenter des poursuites contre des criminels de guerre présents sur leurs propres ter- ritoires. Le contre-exemple du Canada est frappant. Depuis que la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre a été adoptée en 2000, le gouvernement cana- dien n’a intenté des poursuites que contre deux individus. En fait, le gouvernement opte plutôt pour déporter ou dénaturaliser les présumés responsables de crimes internationaux présents au Canada, et ce, sans aucune garantie qu’ils seront poursuivis pour leurs crimes. Or, en vertu du Statut de Rome, qui a créé la CPI, la responsabilité première pour la mise en œuvre de la justice pénale internationale incombe justement aux États. Des pays comme le Canada, qui possèdent le cadre juridique, les ressources et l’expertise pour poursuivre les responsables de crimes internationaux présents sur leur sol, doivent faire leur part pour répondre de leurs obli- gations en vertu du droit pénal international. À l’aube de sa deuxième décen- nie, la CPI demeure une institu- tion internationale fondamen- tale, mais fragile qui mérite un appui de taille de la commu- nauté internationale, dont le Canada. Ce soutien n’est pas seulement d’ordre financier ou politique, il passe également par un recours accru aux poursuites nationales pour les crimes inter- nationaux. Malgré l’importance des procès qui vont se tenir à La Haye au cours des prochaines années, l’avenir de la justice pénale internationale demeure plutôt à Kinshasa, Bogotá et même… Ottawa. Une deuxième décennie pour la CPI Les défis de la justice pénale internationale L’avenir à ceux qui luttent FORUM Sébastien Jodoin Jayne Stoyles Sébastien Jodoin est chercheur au Centre canadien pour la justice inter- nationale (CCJI) et un Boursier de la Fondation Trudeau à l’Université Yale. Jayne Stoyles est la directrice exécutive du Centre canadien pour la justice internationale (CCJI). À VOUS LA PAROLE [email protected] PHOTO DE COURTOISIE À bien des égards, la CPI représente une grande avancée dans la lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre, actes de génocide et crimes contre l’humanité. La Cour fait toutefois face à des défis de taille. Un contrat social LeDroit nous apprend que la CLASSE se prépare à la rentrée scolaire (LeDroit, 13 juillet). Peut-être que nous, les débon- naires et silencieux contribuables, devrions-nous nous y préparer aussi. Puisque nous payons en moyenne 87 % du coût réel d’une année d’étude universi- taire, pourquoi ne pas exiger que chaque étudiant admis à cette année signe un contrat ? Dans ce contrat, en contrepartie de notre généreuse contribution, l’étu- diant s’engagerait à rembourser cette somme s’il abandonnait ses études, sauf pour des raisons hors de son contrôle. Et, comme le fabuliste, je suis tentée d’ajou- ter que cette leçon d’économie vaudrait bien la supposée « grève », sans doute. Marthe Laflamme, Lochaber Ouest Faire la CLASSE aux autres… Sous le couvert d’une cause tout à fait légitime en soi – la baisse des frais de scolarité – la CLASSE se donne soudaine- ment pour mission de changer la société dans laquelle on vit et de prôner un nou- veau mode de démocratie populaire. Ce supposé mouvement à dimen- sion humaine, selon son porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, veut porter son message à toutes les régions du Québec et ailleurs au Canada, et faire croire à la population que l’on peut arriver, à force de démonstrations et de coups de gueule, à effrayer un premier ministre (LeDroit, 13 juillet), à faire fi des lois légitimement adoptées par nos élus et à se moquer des injonctions émises par l’appareil judiciaire. Ce sont ces mêmes personnes qui incitent des étudiants à intimider leurs confrères qui veulent entrer en classe, qui fomentent des actes de violence à l’endroit des politiciens et chroni- queurs bien connus, qui banalisent la violence lors des manifestations et qui profèrent des menaces aux organisa- teurs d’événements culturels et sportifs d’envergure. En agissant ainsi, ces gens-là confondent démocratie et anarchie. Si encore nous connaissions les véri- tables dirigeants de ce mouvement, les mobiles qui les habitent, leurs visées politiques à plus ou moins long terme, voire le modèle de démocratie populaire qu’ils désirent mettre de l’avant, plutôt que de se cacher derrière des supposés congrès à huis clos et de se contenter de réclamer à hauts cris la défaite du gouvernement. Sachez, messieurs, dames, que lorsque l’on veut changer le monde, il faut avoir des couilles, avancer des idées constructives, savoir les débattre ouvertement, apprendre à faire des compromis, au besoin et, plus encore, avoir le courage d’affronter la population à visage découvert. C’est à ce prix que l’on en vient à se faire respecter. Descendre dans la rue, taper sur des casseroles, se cacher le visage derrière des cagoules, perturber l’ordre social, c’est peut-être amusant pour certains, mais ce n’est pas très inspirant. Pierre Couture, Gatineau 15 ACTUALITÉS LEDROIT, LE MARDI 17 JUILLET 2012

Une deuxième décennie pour la CPI Les défis de la justice ... · PDF filegations en vertu du droit pénal international. À l’aube de sa deuxième décen - nie, la CPI demeure

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Page 1: Une deuxième décennie pour la CPI Les défis de la justice ... · PDF filegations en vertu du droit pénal international. À l’aube de sa deuxième décen - nie, la CPI demeure

Aujourd’hui, la Cour pénale internationale (CPI) entame sa deuxième décennie à un moment clé de son essor. Le premier tri-bunal pénal international per-manent de l’histoire compte maintenant 121 États membres représentant toutes les régions du globe et traite actuellement quatorze dossiers avec des mises en accusation en Ouganda, République Démocratique du Congo, République Centrafri-caine, Soudan, Kenya, Libye et Côte d’Ivoire.

La CPI vient tout juste de pro-noncer son premier jugement depuis son entrée en fonction, ayant condamné le Congolais Thomas Lubanga à quatorze ans de prison pour l’enrôlement d’enfants soldats. De plus, la Gambienne Fatou Bensouda vient d’assumer les fonctions comme deuxième procureure en chef de la CPI et sera peut-être plus à même de répondre aux critiques africaines de la CPI que son flamboyant prédécesseur Luis Moreno Ocampo.

À bien des égards, la CPI repré-sente une grande avancée dans la lutte internationale contre l’impunité pour les crimes de guerre, actes de génocides et crimes contre l’humanité. Tout même, il faut également recon-naître que la CPI et ses États membres sont confrontés à plu-sieurs défis de taille qui mena-cent l’efficacité, l’autorité et la crédibilité du système de justice pénale internationale.

D’abord, la mise en œuvre de la justice pénale internationale n’est pas donnée et la conduite des enquêtes et des procès à la

CPI nécessite un financement constant et adéquat de la part de la communauté internatio-nale. Or, le budget de l’organi-sation risque d’être la victime des compressions budgétaires de ses États membres en cette période d’austérité alors que de nouvelles enquêtes ont cours en Libye et en Côte d’Ivoire. Consi-dérant le bouillonnement poli-tique mondial de la dernière année, les nécessaires inter-ventions à venir et le mandat dynamique de la CPI, ses États membres doivent s’engager à

supporter financièrement la CPI et ainsi assurer sa capacité à s’attaquer aux enquêtes et pro-cès présents et futurs.

Par ailleurs, ne disposant d’au-cune force militaire autonome, la CPI doit pouvoir compter sur la coopération de ses États membres pour imposer son auto-rité comme instance judiciaire. Avec le président du Soudan, Omar Al-Bashir, toujours en liberté près de quatre ans après sa mise en accusation, la coo-pération déficiente de certains États est un véritable enjeu qui

mine la crédibilité de la Cour. En effet, plusieurs de ces États membres n’ont pas offert leur pleine coopération pour faciliter les efforts d’enquête de la Cour ou de mise en œuvre des man-dats d’arrestation qu’elle émet à l’égard d’individus soupçonnés de crimes internationaux.

En plus de rencontrer leurs propres obligations de coopéra-tion avec la CPI, il est primordial que les États membres utilisent leurs ressources diplomatiques et matérielles pour favoriser une plus grande coopération de

la part des pays ayant négligé leurs obligations à cet égard (pensons aux États qui ont laissé le président soudanais voyager librement sur leur territoire sans procéder à son arrestation).

Enfin, les États membres doivent également en faire plus pour intenter des poursuites contre des criminels de guerre présents sur leurs propres ter-ritoires. Le contre-exemple du Canada est frappant.

Depuis que la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre a été adoptée en 2000, le gouvernement cana-dien n’a intenté des poursuites que contre deux individus. En fait, le gouvernement opte plutôt pour déporter ou dénaturaliser les présumés responsables de crimes internationaux présents au Canada, et ce, sans aucune garantie qu’ils seront poursuivis pour leurs crimes. Or, en vertu du Statut de Rome, qui a créé la CPI, la responsabilité première pour la mise en œuvre de la justice pénale internationale incombe justement aux États. Des pays comme le Canada, qui possèdent le cadre juridique, les ressources et l’expertise pour poursuivre les responsables de crimes internationaux présents sur leur sol, doivent faire leur part pour répondre de leurs obli-gations en vertu du droit pénal international.

À l’aube de sa deuxième décen-nie, la CPI demeure une institu-tion internationale fondamen-tale, mais fragile qui mérite un appui de taille de la commu-nauté internationale, dont le Canada. Ce soutien n’est pas seulement d’ordre financier ou politique, il passe également par un recours accru aux poursuites nationales pour les crimes inter-nationaux. Malgré l’importance des procès qui vont se tenir à La Haye au cours des prochaines années, l’avenir de la justice pénale internationale demeure plutôt à Kinshasa, Bogotá et même… Ottawa.

Une deuxième décennie pour la CPI

Les défis de la justice pénale internationale

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Sébastien JodoinJayne StoylesSébastien Jodoin est chercheur au Centre canadien pour la justice inter-nationale (CCJI) et un Boursier de la Fondation Trudeau à l’Université Yale.Jayne Stoyles est la directrice exécutive du Centre canadien pour la justice internationale (CCJI).

À VOUS LA PAROLE [email protected]

PHOTO DE COURTOISIE

À bien des égards, la CPI représente une grande avancée dans la lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre, actes de génocide et crimes contre l’humanité. La Cour fait toutefois face à des défis de taille.

Un contrat socialLeDroit nous apprend que la CLASSE se prépare à la rentrée scolaire (LeDroit, 13 juillet). Peut-être que nous, les débon-naires et silencieux contribuables, devrions-nous nous y préparer aussi. Puisque nous payons en moyenne 87 % du coût réel d’une année d’étude universi-taire, pourquoi ne pas exiger que chaque étudiant admis à cette année signe un contrat ? Dans ce contrat, en contrepartie de notre généreuse contribution, l’étu-diant s’engagerait à rembourser cette somme s’il abandonnait ses études, sauf pour des raisons hors de son contrôle. Et, comme le fabuliste, je suis tentée d’ajou-ter que cette leçon d’économie vaudrait bien la supposée « grève », sans doute.

Marthe Laflamme, Lochaber Ouest

Faire la CLASSE aux autres…Sous le couvert d’une cause tout à fait légitime en soi – la baisse des frais de scolarité – la CLASSE se donne soudaine-ment pour mission de changer la société dans laquelle on vit et de prôner un nou-veau mode de démocratie populaire.Ce supposé mouvement à dimen-sion humaine, selon son porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, veut porter son message à toutes les régions du Québec et ailleurs au Canada, et faire croire à la population que l’on peut arriver, à force de démonstrations et de coups de gueule, à effrayer un premier ministre (LeDroit, 13 juillet), à faire fi des lois légitimement adoptées par nos élus et à se moquer des injonctions émises par l’appareil judiciaire.

Ce sont ces mêmes personnes qui incitent des étudiants à intimider leurs confrères qui veulent entrer en classe, qui fomentent des actes de violence à l’endroit des politiciens et chroni-queurs bien connus, qui banalisent la violence lors des manifestations et qui profèrent des menaces aux organisa-teurs d’événements culturels et sportifs d’envergure.E n a g i s s a n t a i n s i , c e s g e n s - l à confondent démocratie et anarchie. Si encore nous connaissions les véri-tables dirigeants de ce mouvement, les mobiles qui les habitent, leurs visées politiques à plus ou moins long terme, voire le modèle de démocratie populaire qu’ils désirent mettre de l’avant, plutôt que de se cacher derrière des supposés

congrès à huis clos et de se contenter de réclamer à hauts cris la défaite du gouvernement.Sachez, messieurs, dames, que lorsque l’on veut changer le monde, il faut avoir des couilles, avancer des idées constructives, savoir les débattre ouvertement, apprendre à faire des compromis, au besoin et, plus encore, avo i r l e c o u r a g e d ’ a f f ro n t e r l a population à visage découvert. C’est à ce prix que l’on en vient à se faire respecter.Descendre dans la rue, taper sur des casseroles, se cacher le visage derrière des cagoules, perturber l’ordre social, c’est peut-être amusant pour certains, mais ce n’est pas très inspirant.

Pierre Couture, Gatineau

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