Upload
christine
View
221
Download
3
Embed Size (px)
Citation preview
Revue francophone d'orthoptie 2014;7:240–246Dossier / Cas clinique
Une déviation vertica
le très changeante et handicapanteA fluctuating vertical deviation difficult to live with
Christine
1, rue du Languedoc, 31520 Ramonville, France Pinon-Desclaux (Orthoptiste)Mots clésDiplopieAttitude compensatriceTest de LancasterIncomitancePress-on et prismesEffet Ryser
KeywordsDiplopiaCompensatory attitudeLancaster testingIncomitancePress-on and prismsRyser's effect
RÉSUMÉMme E., âgée de 70 ans, consulte en raison d'une diplopie, créant un inconfort quotidien dansune vie très active. La prise en charge orthoptique va permettre d'en préciser les éléments,d'aider les diagnostics et traitements médicaux, en restant à l'écoute des signes fonctionnels. Lacorrection prismatique va jouer un rôle essentiel en pré- et postopératoire pour soulager cettepatiente.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
SUMMARYMrs E., aged 70, consults for a diplopia that is a daily disruption in her active life. Orthopticmanagement of the problem will specify the elements, assist diagnosis and medical treatments,whilst taking into account the functional signs. Prism correction will play an essential part pre andpostoperatively in relief for this patient.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Adresse e-mail :[email protected]
INTRODUCTION
Mme E., en décembre 2009, se rend comptelors d'un trajet où elle était passagère en voi-ture qu'elle voit double. La diplopie est ensuitefluctuante, créant une instabilité de fixation,des vertiges, quelques céphalées et entravecertains gestes. . .elle dit fermer un œil.Elle est suivie en ophtalmologie depuis l'âgede 4 ans, a été équipée avec des verres pro-gressifs vers 40 ans et portait le jour du 1er
bilan : OD (œil droit) -3,00 (-3,25 à 1608) et OG(œil gauche) -3,25 (-2,75 à 308) additif +2,50(elle ne veut pas 2 paires de lunettes) ; desopalescences cristalliniennes sont notées.Sur le plan général, elle est sous traitementpour des problèmes cardiaques avec HTA.Elle dit faire peu attention à elle, souligne sonsurpoids et décrit une vie sociale très active :elle reçoit beaucoup avec son mari, en faisantla cuisine pour des tablées nombreuses, avecdes légumes de leur jardin ; ils se déplacentsouvent et c'est plutôt elle qui conduit.
240
LE BILAN OPTOMOTEUR ETSENSORIEL
La motilité ne met pas en évidence de limita-tion franche ; aucune attitude compensatricen'est notée ; lors des mouvements de pour-suite, une diplopie est signalée surtout dans leregard en bas à droite ; le mouvement deconvergence est possible mais douloureux ;la déviation à l'écran (de face) X1 HHtG6 etX'X't6 HHtG'5 ; un test de Lancaster (Fig. 1)met en évidence une décompensation verti-cale, avec un schéma assez concomitant ;l'OD est directeur.L'AV (acuité visuelle) est à 5 m : OD 8-9/10 ;OG 5-6/10 et ODG 9/10 et à 40 cm : OD#O-G#ODG P2 en insistant. La fusion est très ins-table, laissant place soit à une diplopie, soit plusrarement à une neutralisation de l'OG et lapetite amplitude de fusion est meilleure quandon compense une partie de la verticalité. Lavision stéréoscopique est possible (test de Wirtà 500 ' mais plus incertaine au synoptophore).
http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2014.09.020© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Figure 1. Test de Lancaster au bilan initial.
Revue francophone d'orthoptie 2014;7:240–246 Dossier / Cas clinique
Ce 1er bilan ne permet pas d'affirmer s'il s'agit :� d'une décompensation d'un phénomène ancien qui pourraitexpliquer un schéma au test de Lancaster concomitant ;
� d'un élément parétique récent, conforté par l'absence d'uneattitude compensatrice et d'une diplopie très présente.
Une IRM a tout de même été demandée (cérébrale et muscu-laire par la suite) et un bilan sanguin a été refait mais ils n'ontpas permis de mettre en évidence d'étiologie précise (même siune origine vasculaire a été privilégiée, d'autant que Mme E. asignalé ensuite se souvenir d'un réveil difficile sur le plangénéral avec une grande fatigue, avant le 1er épisode dediplopie).Il lui a été proposé des séances de rééducation orthoptiquepour essayer de renforcer la vision binoculaire, tout en sur-veillant la déviation.Celles-ci ont permis de préciser la gêne et améliorer lescapacités fusionnelles. Mais la fusion restait fragile, surtoutde loin (et donc gênante pour conduire). La déviation n'étaitpas compensée en permanence ou au prix d'un effort, unecorrection prismatique semblait nécessaire. Après plusieursessais avec des press-on (uniquement supportés devant OG),ont été intégrées 2D base inférieure OG, valeur minimale pourretrouver un confort au quotidien.
ÉVOLUTION
Malheureusement, la déviation s'est ensuite décompensée(Fig. 2) amenant à rajouter un press-on jusqu'à 8D !. . .modi-fiant évidemment l'AV par effet Ryser, favorisant une
neutralisation qui restait heureusement intermittente. Une atti-tude compensatrice était notée en levoversion etsupraversion.La cataracte évoluant (avec une AV à 5 m pour OD#ODG 7/10et OG 4-5/10), une décision chirurgicale a été prise en mai2011 avec pose d'implants toriques. Une période inconfortables'en est suivie sans correction, obligeant Mme E. à occlurel'OG et l'empêchant de reprendre ses activités, créant un petitétat dépressif.Un nouvel équipement optique a ensuite été prescrit OD -1,25et OG (-0,75 à 1708) additif +3,25 permettant 10/10 à 5 m et P2faible à 40 cm.La déviation est restée assez stable (Fig. 3) mais mieuxcompensée avec un press-on de 12D (au lieu de 10 enpré-opératoire) base inférieure OG qui a, à nouveau, étédonné et supporté devant OG, laissant des possibilités bino-culaires fragiles surtout dans le regard en bas et de loin(Fig. 4). Cette correction permettait à Mme E. de reprendreune vie sociale et la conduite, mais une fatigue générale étaitressentie.Une aide chirurgicale a alors été proposée pour le strabisme(septembre 2011). Le protocole a été prudent en raison d'undoute sur l'étiologie de la pathologie (et le stabologue sedemandait même s'il ne fallait pas craindre une forme bilaté-rale, et alors un risque de décompensation de l'oblique supé-rieur opposé) : OG plissement de 8 mm de l'OS (obliquesupérieur) à son insertion sclérale, avec réinsertion antériori-sée de 3 mm.En postopératoire, une déviation résiduelle persistait (Fig. 5),surtout gênante pour la conduite et à nouveau une correctionprismatique a été proposée de 3D que nous espérions
241
Figure 2. Test de Lancaster N82 : décompensation de la déviation.
Figure 3. Test de Lancaster N86 : déviation stable (et alors compensée avec 12D de correction prismatique).
C. Pinon-DesclauxDossier / Cas clinique
diminuer. . . mais la déviation s'est totalement décompensée etil a fallu progressivement revenir à un press-on 12D !. . . avecun test de Lancaster (Fig. 6) quasi superposable à celui fait enpré-opératoire. . . Mme E. ne souhaitait pas de reprise chirur-gicale immédiate.
242
Pendant un an, nous avons poursuivi la surveillance orthop-tique et consolider les possibilités binoculaires. La déviationétait stable et une nouvelle aide chirurgicale souhaitée,d'autant que les prismes n'avaient pas été intégrés et quele press-on devenait gênant (effet Ryser et dommage
Figure 4. Champ de fusion binoculaire réalisé à la coupole de Goldman.
Revue francophone d'orthoptie 2014;7:240–246 Dossier / Cas clinique
esthétique). Elle a été réalisée fin 2012 (recul avec antéropo-sition 10 mm de l'oblique inférieur OG).Si la déviation était compensée dans le regard en haut, ellepersistait de face et restait très incomitante, importante dans le
Figure 5. Test de Lancaster N
regard en bas (Fig. 7) ; une libération des mouvements vers lebas était espérée.Mais il a fallu remettre une correction prismatique par press-onjusqu'à 8D (en rappelant que Mme E. ne souhaitait pas d'autre
87 : 1er en postopératoire.
243
Figure 6. Test de Lancaster N89 : nouvelle décompensation de déviation.
Figure 7. Test de Lancaster N811 : suite 2è temps opératoire.
C. Pinon-DesclauxDossier / Cas clinique
correction optique que ses verres progressifs, il fallait doncmettre la puissance maximale supportée de face et de loin,permettant une fusion dans le regard en bas et de près) etfinalement, pour un meilleur confort, la correction prismatiquea été intégrée en la répartissant également entre l'OD (4D basesupérieure) et l'OG (4D base inférieure).Depuis, Mme E. a repris toutes ses activités, même si elleessaie de les ralentir un peu, d'autant qu'elle craint les pertesd'équilibre. La lecture reste peu endurante et avec une ten-dance à fermer l'OG.
244
Elle garde parfois une petite attitude de tête compensatricemais qui ne génère aucune douleur posturale. Une reprisechirurgicale n'est pas souhaitée d'autant qu'elle a eu d'autressoucis sur le plan général, l'ayant beaucoup fatiguée.Entre temps (fin 2013), elle a fait un décollement de rétine OG,qui n'a pas pu être opéré de suite (gêne apparue à la veille d'unvoyage et elle est partie sans s'en préoccuper). Heureusementla récupération postopératoire a été presque parfaite !Le bilan orthoptique remet en évidence une déviation stablemais incomitante, avec hypertropie gauche augmentant dans
Figures 8 et 9. Tests de Lancaster N813 et 14 : déviation incomitante mais stable dans le temps.
Revue francophone d'orthoptie 2014;7:240–246 Dossier / Cas clinique
le regard en bas (Fig. 8 et 9), compensée en grande partie parla correction prismatique mais l'orientation du regard reste unpeu compliquée. L'AV est correcte de loin et symétrique (10/10à 5 m), un peu plus difficile pour l'OG de près (à 40 cmOD#ODG P2 et OG P3 avec petit défaut de localisation). Lavision stéréoscopique est ébauchée. Les capacités fusionnel-les sont fragiles mais possibles de face, sans grande endu-rance de fixation.
DISCUSSION
L'étiologie imprécise de cette décompensation a-t-elle amenévers trop de prudence ? Pouvait-on prévoir l'évolution :décompensation plus importante ? Ou récupération pos-sible ? Aurait-il fallu intégrer plus rapidement les prismes etéviter l'effet Ryser du press-on ? Fallait-il commencer par la
245
C. Pinon-DesclauxDossier / Cas clinique
chirurgie de cataracte ou du strabisme ? La prise en chargerééducative aurait-elle dû être plus soutenue ? Commentconcilier au mieux montage optique et prismatique pour unedéviation si importante ? Et surtout incomitante ?
CONCLUSION
Le parcours de cette patiente est un peu atypique mais met enévidence le bénéfice possible des prismes. Les différentescorrections prismatiques utilisées lui ont permis de conserverdes possibilités binoculaires et un meilleur équilibre généraldans une vie très active.Elles ont permis de pallier à la limite rééducative et chirurgi-cale. La valeur minimale a toujours été privilégiée, sauf en pré-opératoire où il était indispensable de connaître la déviationmaximale.La surveillance orthoptique a été faite en discussion avec lemédecin généraliste mais aussi avec trois ophtalmologistesqui sont intervenus en raison de compétences diverses, et desopticiens.Les signes fonctionnels de la patiente et ses activités ontpermis de guider et orienter la prise en charge.
246
L'effet Ryser du press-on a souvent été craint (surtout avantintervention de cataracte) et pourtant mieux toléré que ce quisemblait possible, avec maintien des possibilités binoculaires.Par contre, il n'a été supporté que sur l'œil non directeur.La correction prismatique verticale intégrée importante estsupportée même si elle ne permet pas une endurance defixation, et crée quelques déséquilibres dans les déplace-ments. En raison des incomitances et de la difficulté du mon-tage, le port de 2 paires de lunettes a été suggéré à la patientemais elle l'a refusé (changer de correction régulièrement estinconciliable avec son rythme de vie et elle ne lit jamais trèslongtemps).Une reprise du traitement orthoptique est proposée, quand lagêne devient plus importante, pour consolider les possibilitésbinoculaires et améliorer l'orientation du regard.La correction prismatique pourrait être à nouveau modifiée etune nouvelle aide chirurgicale n'est pas exclue.
Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cetarticle.