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Il peut paraître curieux de vouloir donner une définition de l’image. Un enfant de trois ans est déjà capable de reconnaître le mot et d’en montrer sans hésitation sur une page de livre illustré ou sur l’écran d’un téléviseur. Nous baignons aujourd’hui dans un univers où l’image est omniprésente et on se complaît à répéter qu’«elle vaut cent discours» comme une évidence. Mais les choses les plus simples sont sans doute les plus di ciles à dési- j gner sans ambiguïtés. De quoi parle-t-on exactement quand on emploie le mot ? Si nous désirons analyser les règles qui conditionnent sa image reproduction, il est indispensable d’expliquer le mécanisme physique. Même si les démonstrations peuvent sembler d’un abord inutilement ardu, les notions techniques abordées ici sont indispensables pour saisir le pourquoi et le comment de la reproduction imprimée. L’image est un phénomène optique. Parler d’image, c’est parler de lumiè- re et de transmission de la lumière. Pour qu’un objet soit vu, il faut qu’il soit éclairé, que les rayons lumineux soient réfléchis jusqu’aux yeux, que ces yeux aient transmis l’information jusqu’au système nerveux, que le sys- tème nerveux l’interprète pour en extrapoler les attributs de l’objet en question. 15 L’analogie avec le mécanisme du sonar est parlante. Le sonar est constitué d’un émetteur et d’un récepteur de vibrations acoustiques. Pour détec- ter une présence, il envoie des ondes transmises par le milieu sous-marin. Lorsque les ondes rencontrent un obstacle, elles sont retournées par ricochet vers l’émetteur. Le dispositif de réception enregistre les ondes répercutées et analyse les déformations qu’elles ont subies pour en déduire la distance, le volume et la masse de l’objet découvert. Une définition de l’image

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Il peut paraître curieux de vouloir donner une définition de l’image. Unenfant de trois ans est déjà capable de reconnaître le mot et d’en montrersans hésitation sur une page de livre illustré ou sur l’écran d’un téléviseur.Nous baignons aujourd’hui dans un univers où l’image est omniprésente eton se complaît à répéter qu’«elle vaut cent discours» comme une évidence.

Mais les choses les plus simples sont sans doute les plus di ciles à dési-jgner sans ambiguïtés. De quoi parle-t-on exactement quand on emploiele mot ? Si nous désirons analyser les règles qui conditionnent saimagereproduction, il est indispensable d’expliquer le mécanisme physique.Même si les démonstrations peuvent sembler d’un abord inutilementardu, les notions techniques abordées ici sont indispensables pour saisirle pourquoi et le comment de la reproduction imprimée.

L’image est un phénomène optique. Parler d’image, c’est parler de lumiè-re et de transmission de la lumière. Pour qu’un objet soit vu, il faut qu’ilsoit éclairé, que les rayons lumineux soient réfléchis jusqu’aux yeux, queces yeux aient transmis l’information jusqu’au système nerveux, que le sys-tème nerveux l’interprète pour en extrapoler les attributs de l’objet enquestion.

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L’analogie avec le mécanisme dusonar est parlante.

Le sonar est constitué d’un émetteur et d’un récepteur de vibrations acoustiques. Pour détec-ter une présence, il envoie des ondes transmises par le milieu sous-marin. Lorsque les ondesrencontrent un obstacle, elles sont retournées par ricochet vers l’émetteur. Le dispositif deréception enregistre les ondes répercutées et analyse les déformations qu’elles ont subies pouren déduire la distance, le volume et la masse de l’objet découvert.

Une définition de l’image

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Le principe peut avoir l’air simple, voir enfantin. Les choses se compli-quent lorsqu’il s’agit d’interpréter le signal pour trier les informations per-tinentes et les phénomènes parasites engendrés par les variations dumilieu, les limitations technologiques du matériel, les interférences entredes événements complexes, etc.

La perception d’une image est soumise à des contraintes au moins aussisensibles que celles d’un sonar, à chaque étape de l’évolution du signal.

Pour qu’existe une image, il faut au départ une source de lumière qui éclai-re un objet. L’objet réfléchit les rayons lumineux vers l’œil de l’observa-teur. L’observateur perçoit ces rayons lumineux que le système nerveuxdoit décrypter pour en extrapoler l’apparence initiale. De même que lesignal reçu par le sonar peut être a ecté par de multiples facteurs indé-fpendants de l’objet décrit, de même l’image est soumise à des aléas impré-visibles.

La source lumineuse originelle n’est pas stable. Il su t de se représenterjla lumière de certains matins d’été, la lumière qui précède un orage, lalumière d’un coucher de soleil, la lumière des néons d’une galerie sou-terraine ou encore la lumière des bougies, pour s’en convaincre.

La réflexion de toutes les matières n’est pas uniforme. Un miroir nerenvoie pas les rayons lumineux comme un bloc de granit ou une feuillede papier, une feuille de papier o set blanc brillant comme un papierfjournal mat.

La transmission des rayons lumineux est déformée par le milieu parlequel elle transite. On ne voit pas de la même façon la lueur d’une lampede poche en pleine nuit ou en plein jour, dans le brouillard ou en pleinété, dans une campagne déserte ou perdue au milieu d’un éclairage urbain.

La réception des rayons lumineux est limitée chez l’être humain: nousne percevons qu’une partie du spectre de la lumière du soleil. (Ne parlonspas ici de la vision du crabe ou du ver de terre, nous dépasserions le cadrede notre sujet, mais le détour n’est pas obligatoirement superflu.) La vision

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Une définition de l’image

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n’est pas homogène chez tous les individus : parlez-en à n’importe quelophtalmologiste! Entrent en ligne des paramètres de fatigue, d’accoutu-mance, d’âge, de physiologie ou encore de pathologie comme le daltonis-me, beaucoup plus fréquent qu’on ne l’imagine.

Avec l’interprétation de la signification d’une forme ou d’une couleur,on quitte le domaine de la physique pour flirter avec celui de la psycho-logie. Depuis longtemps, les expérimentations cliniques ont montré l’in-fluence de la culture et de l’environnement sur la perception de formesaussi neutres et élémentaires que des lignes bri-sées ou des cercles concentriques. Que faut-ilpenser alors de l’interprétation d’images àcaractère symbolique ou a ectif?f

Que faut-il retenir de ces réflexions sur la perception de l’image? Sinonqu’elle ne peut en aucun cas être appréhendée comme un élément im-muable. Une image n’est pas un objet stable, c’est un flux continu et incons-tant d’informations largement conditionnées par l’environnement danslequel elles évoluent. L’image n’existe pas en tant que réalité permanente :tout au plus peut-on tenter de la définir comme l’état d’unici et maintenant phénomène insaisissable.

L’image telle qu’on la désigne en PAO n’échappe pas à la règle. Elle doiten subir encore d’ultimes avatars, puisqu’elle ne désigne plus alors que lareproduction imprimée de notre perception visuelle. Si vous montrezl’image d’un fruit imprimée sur une page de publicité, vous trouverez nor-mal qu’on vous réponde sans hésitation qu’il s’agit d’une pomme oud’une orange… Une pomme imprimée en quadrichromie sur papier glacén’est pas une pomme. Elle n’est pas comestible, faut-il le rappeler?

La première surprise, pour qui n’est pas familier de la photogravure, est ledistinguo fondamental entre l’ et l’ . Il est capi-image-écran image-imprimétal, si l’on veut aborder les techniques de la gestion de la couleur, de dis-tinguer sans ambiguïté leurs spécificités.

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Voici une expérience classique:Il faut classer par ordre de grandeur lestrois lignes de gauche, puis les deuxcercles gras de droite. Évidemment, lestrois lignes ont la même longueur et lesdeux cercles gras le même diamètre.

Ce petit exercice su t à mettre en évi-j

dence le mécanisme des aberrationsoptiques élémentaires. Les lignes sem-blent de taille différentes à cause deschevrons rentrant ou sortant, les cerclessemblent de diamètres différents à causedes cercles maigres intérieur ou exté-rieur: la perception de l’objet est influen-cée par son contexte.

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La philosophie ( (surWysiwyg what you see is what you get) : ce que vous voyezl’écran) (sur le papier), qu’on traduit également, si l’onest ce que vous obtenezest francophone acharné, sous le vocable de : entre-téti tel écran, tel imprimé,tenue par les concepteurs de nos machines préférées, voudrait que l’une soitassimilée à l’autre. Cette conception séduisante, qui fut développée depuis denombreuses années par et plus tard par son principal concurrent, vou-Appledrait que tout ce que vous pouvez voir et créer sur votre moniteur soit rigou-reusement reproduit par votre imprimante ou votre flasheuse, pour leconfort, la sécurité et la tranquillité d’esprit des utilisateurs.

Ce fut une révolution à l’époque où un ordinateur ne savait au mieuxqu’a cher des lignes interminables de formules ésotériques sur un écranjmonochrome. Le confort de travail auquel nous sommes habitués main-tenant nous l’a fait oublier!

C’est aussi un miroir aux alouettes selon d’autres avis pour qui ceconcept de tient plus du vœu pieux que de la tangible réalité :wysiwyg tout dépend de votre humeur ou de votre degré d’exigence (ou de celuide vos clients!).

D’une part parce qu’un moniteur utilise le principe de la synthèse additivedes composants RVB de la couleur, et que les techniques d’impression uti-lisent le principe de la des composants CMJN, dont lessynthèse soustractivecaractéristiques et les impératifs sont fondamentalement différents.

La synthèse additive de la lumière permet à votre moniteur de reproduire lespectre lumineux, en bombardant les luminophores photosensibles de votreécran. Elle produit des images «vidéo» où s’additionnent les lumières. Uneimage RVB est composée de la somme de trois sources lumineuses ,rougeverte bleueet dont les faisceaux superposés à l’intensité maximale produi-sent un rai de lumière blanche, et l’extinction une zone aussi noire que l’éclai-rage ambiant le permet (c’est la raison pour laquelle vous avez installé le

moniteur de votre ordinateur dansune pièce où règne, autant que fairese peut, une certaine pénombre,parce qu’un rayon de soleil qui frap-perait directement votre écran lerendrait presque illisible).

Si vous mettez le nez sur l’écrande votre moniteur (ou mieux enco-re sur celui de votre téléviseur dontle pas est beaucoup plus grossier)vous distinguerez les trois sources

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RVB en forme de nid d’abeille ou de grille, qui donnent l’illusion d’unfond blanc. En fait, croyant voir un point blanc, vous percevez simulta-nément trois points : un rouge + un vert + un bleu.

La gamme des couleurs reproductibles par ce mode, quoique condi-tionnée par la qualité du matériel employé, est très étendue et supportebien les couleurs saturées. En contrepartie, elle convient mal à la restitu-tion des nuances délicates des hautes lumières et des tons pastel.

Les composants Cyan, Magenta et Jaune de la synthèse soustractive de lalumière sont reproduits plus ou moins parfaitement par les encres d’im-primerie, où les pigments soustraient les rayonnements qui les atteignent.Les encres déposées sur le papier agissent comme des filtres qui absorbentla lumière : leur superposition devrait produire théoriquement un noirtotal: aucune lumière! Ce qui, en pratique, n’est pas le cas. Lestrois encres additionnées ne donnent pas plus qu’un brunsombre, que l’on se doit de renforcer par un qua-trième passage d’encre noire. Il faut donc gar-der à l’esprit qu’une impression, mêmed’excellente qualité, ne saurait restituer deblanc plus lumineux que celui du papierutilisé, ni de noir plus puissant que celuiproduit par l’addition des densités desencres mises en œuvre. La gammedes couleurs reproductibles par cemode est plus restrictive quecelle de la gamme RVB. Elle est,de surcroît, particulièrement

La décomposition d’une image RVB en ses trois couches rouge, verte et bleue: on remarquera que chacu-ne des couches reproduit les détails par les variations de la couleur primaire vers le noir total (l’absence delumière), rouge pur vers le noir, vert pur vers le noir, bleu pur vers le noir. Le blanc pur n’existe dans le modeRVB qu’en superposition des trois primaires à leur intensité maximale

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sensible aux variations inévitables dues aux conditions mécaniques et phy-siques de l’impression en machine.

D’autre part, parce que l’opérateur PAO est contraint (par la nature dumatériel micro-informatique) à gérer des objets en séparation CMJN parle biais de la prévisualisation RVB.

Le résultat réel n’est appréciable qu’en bout de la chaîne graphique austade de l’impression du produit fini. On peut en relativiser les aléas parune calibration scrupuleuse des outils de production, en gardant présentà l’esprit cette évidence qu’elle ne peut, au mieux, que simuler la repro-duction de l’image imprimée. Mais surtout, il faudra savoir pratiquer assi-dûment les di érents matériels et les applications, anticiper de façon sub-fjective les aberrations chromatiques inévitables.

L’objectif de la reproduction idéale d’images par l’imprimé est simple àdéfinir: il s’agit d’obtenir le reflet le plus fidèle – ou le plus séduisant – dudocument sélectionné.

Si l’on peut disposer d’un matériel de reproduction sophistiqué et destandards d’analyse correctement étalonnés (objectivement, les matérielsdisponibles actuellement sur le marché sont dans leur grande majoritéd’excellente qualité), on estimera que l’intervention d’un opérateurconsciencieux su ra à atteindre sans di cultés majeures cet objectif. Ilj jn’en fallut pas plus pour que certains bons esprits prédisent, à qui voulaitbien les entendre, la disparition inéluctable de spécialistes dont l’histoireest intimement liée à celle de la photogravure: les chromistes.

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La décomposition d’une image CMJ en ses trois couches cyan, magenta et jaune: on remarquera que cha-cune des couches reproduit les détails par les variations de la couleur primaire vers le blanc matérialisépar le blanc du papier. C’est ainsi que l’on peut découvrir un document couleur lors de son passage enmachine, ou sur les feuilles qui servent au réglage du repérage et de l’encrage: les . On n’imprimemaculesnéanmoins pratiquement jamais une image uniquement avec les trois encres primaires. Le mélange cyan,magenta et jaune est systématiquement renforcé par un quatrième passage d’encre noire.

Une définition de l’image