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Une exophtalmie

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Page 1: Une exophtalmie

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Presse Med. 2013; 42: 1674–1677� 2013 Elsevier Masson SAS.

Tous droits réservés.

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Disponible sur internet le :18 octobre 2013

Une exophtalmie

Loïc Raffray1, Antoine Bertolotti1, Pierre Duffau1, Eric Longueville2, Patrick Mercié1,Maïté Longy-Boursier1

1. Hôpital St André, service de médecine interne, CHU de Bordeaux, 33075 Bordeaux,France

2. Hôpital Pellegrin, service d’ophtalmologie, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux,France

Correspondance :Loïc Raffray, hôpital St André, service de médecine interne et maladies tropicales,CHU de Bordeaux, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux cedex, [email protected]

An exophtalmos

Observation

Un patient de 60 ans était pris en charge pour une exophtalmie. Ilétait suivi pour une thrombocytémie essentielle diagnostiquée20 ans auparavant (absence de mutation JAK2 mais histologietypique à la biopsie de moelle osseuse), traitée par associationd’acide acétylsalicylique à dose anti-agrégante et d’hydroxycar-bamide. En 2010, la survenue de douleurs tibiales fugacesconduisait à la réalisation d’une scintigraphie osseuse au techné-tium 99. Celle-ci mettait en évidence des fixations intenses desextrémités distales des fémurs et des épiphyses tibiales rappor-tées au syndrome myéloprolifératif avec possible métaplasiemyéloïde. Quelques mois plus tard apparaissait une exophtalmiebilatérale, associée à des douleurs rétro-orbitaires à la mobilisa-tion des globes oculaires. L’examen ophtalmologique ne révélaitpas d’anomalie en dehors de l’exophtalmie bilatérale axile, etl’examen général était sans particularité. L’hémogramme mon-trait une thrombocytose isolée à 600 G/L, la TSH était à 3,9 mUI/mL et les anticorps antirécepteur à la TSH négatifs. Le scannermettait en évidence au sein des cônes orbitaires des processusd’allure tumorale (figure 1) dont la biopsie ramenait un tissuinflammatoire polymorphe riche en histiocytes, lymphocytes B, Tet plasmocytes, sans critère de malignité. Il n’y avait notammentpas d’argument pour un lymphome.

Le patient était traité par corticoïdes à la dose de 1 mg/kg parjour dans l’hypothèse de pseudotumeurs inflammatoires idio-pathiques. L’amélioration était rapide mais il rechutait régu-lièrement avec une corticodépendance pour un seuil de 30 mg/j de prednisone.Après un an d’évolution, le tableau était réévalué et untraitement immunosuppresseur discuté en vue d’une épar-gne cortisonique. L’examen clinique restait inchangé. Il per-sistait une thrombocytose à 800 G/L, isolée à la NFS, associéeà une élévation de la CRP à 58 mg/L. Il n’y avait pas dedysthyroïdie, et le bilan auto-immun se révélait négatif pourles antirécepteurs de la TSH, les anti-noyaux, les anti-anti-gènes nucléaires solubles, les ANCA, les facteurs rhumatoï-des, ou encore la recherche de cryoglobulinémie. Le dosagedes IgG4 était normal. L’imagerie des orbites était super-posable à la précédente. Une nouvelle biopsie en zone lésée,rétro-orbitaire, montrait un tissu inflammatoire polymorphede type granulome, riche en histiocytes spumeux CD68 +CD1a �, et lymphocytes polyclonaux, sans critère de mali-gnité. Un scanner throraco-adominopelvien (figure 2) étaitréalisé permettant d’orienter fortement le diagnostic,conforté par une nouvelle lecture des prélèvements anato-mopathologiques.

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Figure 2

TDM abdominale avec injection de produit de contraste au tempstardif

Figure 1

Tumeurs bilatérales des cônes orbitaires prenant le contraste auTDM facial (flèches noires)

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Quel est votre diagnostic ?

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L Raffray, A Bertolotti, P Duffau, E Longueville, P Mercié, M Longy-Boursier

Maladie d’Erdheim-Chester

La TDM abdominale mettait en évidence une infiltration intra-abdominale périrénale à type de « reins chevelus » trèsévocatrice du diagnostic, voire pathognomonique. L’analyseanatomopathologique d’une lésion rétro-orbitaire montrait iciune infiltration prédominante d’histiocytes spumeux (xantho-granulome) exprimant le CD68, mais pas le CD1a ou la protéineS100, contrairement aux histiocytoses langerhansiennes. Cesxanthogranulomes comportent fréquemment des cellulesgéantes multinuclées de Touton, absentes dans le cas présent.La relecture des lames de la première biopsie ne retrouvait pasde xanthogranulome et les histiocytes étaient de type CD68 +CD1a � et PS100 �. L’association de ces éléments histologi-ques, radiologiques et des anomalies de fixation scintigra-phique des os longs des membres inférieurs permettait deretenir le diagnostic de maladie d’Erdheim-Chester. Le patientétait traité par interféron alpha pégylé à la dose de 180 mg/semaine avec une évolution favorable : disparition de l’exoph-talmie et du syndrome inflammatoire biologique, sevrageprogressif de la corticothérapie.

Discussion

Notre observation illustre la nécessité d’une démarche volon-tiers stéréotypée devant une exophtalmie. Hors contexteévident d’infection ou de traumatisme, les principales étiolo-gies à discuter sont : les orbitopathies dysthyroïdiennes, lesfistules carotidocaverneuses, les inflammations orbitaires sub-aiguës ou chroniques (pseudotumeurs inflammatoires) et lespathologies tumorales hématologiques ou métastatiques [1].Les premiers éléments de la démarche diagnostique associentun examen clinique rigoureux et un bilan biologique simple :hémogramme, recherche de syndrome inflammatoire etde dysthyroïdie (TSH, T3, T4, anticorps antirécepteur de laTSH). En effet, la première cause d’exophtalmie, qu’elle soituni ou bilatérale, correspond aux orbitopathies dysthyroïdien-nes, dont la maladie de Basedow rend compte de 80 % desformes [2]. Ce diagnostic est généralement aisé et nousn’avions aucun argument pour cette étiologie chez notrepatient. Pour les autres cadres pathologiques responsablesd’exophtalmie, les imageries par TDM et IRM permettentgénéralement d’orienter d’emblée le diagnostic. Néanmoins,l’imagerie ne peut pas toujours faire la différence entre lésionstumorales et inflammatoires. La biopsie chirurgicale avec ana-lyse anatomopathologique et immuno-histochimique est alorsindispensable tant les types histologiques de tumeurs sontnombreux : lymphomes, hémangiome caverneux, ménin-giome, rhabdomyosarcome, histiocytoses, etc. [3]. Dansnotre cas, ces examens étaient en faveur d’une pseudotumeurinflammatoire, pathologie qui peut être idiopathique ou secon-daire à des maladies systémiques telles que les vascularites àANCA, la périartérite noueuse, la maladie systémique fibrosclé-rosante associée aux IgG4 [4,5]. Le traitement fait appel à la

corticothérapie en première intention et, en cas d’échec, auximmunosuppresseurs. L’absence de réponse au traitement nousa incité à remettre en cause le diagnostic et à pratiquer unenouvelle biopsie, la principale crainte étant celle d’une tumeurvraie de type lymphome partiellement contrôlée sous corticoï-des. L’histologie montrait alors un infiltrat de cellules histiocy-taires, caractérisées par le CD68, mais de nature nonlangerhansiennes (CD1a et PS100 négatives). Dans le cadredes granulomes à histiocytes spumeux, ou xanthogranulomes,localisés à l’orbite, quatre entités anatomocliniques ont étéidentifiées [6]. Il s’agit par ordre de fréquence du xanthogranu-lome nécrobiotique, de la maladie d’Erdheim-Chester, du xan-thogranulome orbitaire et du xanthogranulome péri-oculaireavec asthme tardif. La maladie d’Erdheim-Chester est essentiel-lement de siège rétro-orbitaire [6–8], tandis que les autrestouchent la partie antérieure de l’orbite ou les annexes. L’asso-ciation aux signes systémiques spécifiques osseux et rétropéri-tonéaux assurait le diagnostic de maladie d’Erdheim-Chester.La maladie d’Erdheim-Chester est rare : environ 500 cas ont étédécrits dans la littérature médicale jusqu’au début 2013. Ellesurvient le plus souvent à l’âge adulte, entre 40 et 60 ans, avecune légère prépondérance masculine. La physiopathologie estmal élucidée, mais des travaux suggèrent un profil Th1 de laréponse immune [9] ainsi qu’un excès de prolifération secon-daire à une mutation gain de fonction du proto-oncogène BRAFpour près de la moitié des patients [10]. Le diagnostic estdifficile, du fait de la rareté de la maladie et de la présentationinitiale hétérogène [11,12]. En effet, les histiocytes peuventinfiltrer de manière variable différents organes rendant laprésentation clinique polymorphe et souvent trompeuse.Dans notre cas, la symptomatologie relativement isolée àtype d’exophtalmie ne laissait pas suggérer l’existence d’unemaladie systémique. Cette infiltration rétro-orbitaire est décritedans environ 25 % des cas. Une fois le diagnostic posé, un biland’extension a été entrepris en ciblant les principales localisa-tions connues de la maladie d’Erdheim-Chester. La classiqueostéocondensation métaphysaire ou diaphysaire des os longsétait absente aux radiographies standard tandis que la scinti-graphie osseuse au technétium 99 retrouvait une hyperfixationépiphysaire intense aux membres inférieurs, et non une fixa-tion métaphysodiaphysaire comme il est décrit fréquemment.Cette hyperfixation avait été attribuée initialement à la throm-bocytémie essentielle parfois responsable de foyers d’héma-topoïèse extramédullaire. Une étude spécifique portant sur leslocalisations osseuses de la maladie d’Erdheim-Chester montreque l’atteinte épiphysaire peut concerner jusqu’à 45 % des oslongs touchés [13]. Seulement la moitié des patients ont desdouleurs en rapport avec la localisation osseuse qu’il convientde rechercher systématiquement car quasi constante en ima-gerie et hautement évocatrice. Elle constitue de ce fait undes critères diagnostiques reconnus par certains [12]. L’explo-ration du système nerveux central ne retenait pas d’anomalie,

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notamment dans la région hypothalamo-hypophysaire, et lesdosages hormonaux ne montraient pas d’insuffisance hypo-physaire. Outre l’infiltration périrénale, la TDM rapportait unaspect de panniculite mésentérique, et d’engainement péri-aortique circonférentiel au niveau thoracique. Il n’y avait pasd’anomalie du parenchyme pulmonaire. Une exploration parTEP-scanner confortait une atteinte vasculaire inflammatoirespécifique de la maladie avec hypermétabolisme de l’aorteascendante, ainsi que des artères iliaques et fémorales. UneIRM écartait une infiltration cardiaque.Le traitement de la maladie d’Erdheim-Chester était auparavantmal codifié : l’efficacité des corticoïdes et chimiothérapies étaitdécrite à partir de cas isolés ou de petites séries, donc mal

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évaluée. Grâce à des travaux portant sur des séries plusconséquentes, l’interféron alpha pégylé semble se dégagercomme traitement de première intention, avec au besoin desdoses plus élevées (180 mg/semaine) en cas d’atteinte cardio-vasculaire, du système nerveux central, d’exophtalmie, oud’échec des doses standards [14,15]. Le recours au vemurafenib,inhibiteur de BRAF, pourrait être une alternative intéressante encas de présence de la mutation V600E de cet oncogène [10].En conclusion, les examens radiologiques et la documentationanatomopathologique ont une place essentielle dans le diag-nostic d’une exophtalmie d’origine inflammatoire ou tumorale.

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Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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