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LE CHATEAU DE MEINSBERG : UNE FORTERESSE LORRAINE DU XVe SIÈCLE* Le château de Meinsberg se trouve au nord du département de la Moselle, entre Apach et Waldvisse, à un km environ de la frontière franco-allemande. Bâti sur une sorte de promontoire rocheux, il domine de 100 Manderen, clé d'une petite vallée qui rejoint la Moselle à quel- ques centaines de mètres de Sierck-lès -Bains (fig. 1) . Waldbredimus LUXEMBOURG R.F.A i " /MEINSBER, ... . . . . '+ '·• •Manderen " � ",,. . .\ \ â!dwisse ",, .. FRANCE �. .� . (+�x 0 4 8. 10 km ,. ... �) Fig. 1 Classé monument historique le 16 février 1930, ce château est en cours de restauration. Depuis l'automne 1977, le Département de la Moselle, avec le concours de l' É tat, finance cette opération qui permet- tra de sauver une des plus belles forteresses médiévales de Lorraine. Si de nombreux ouvrages sur l'article ont été consacrés à Meins- berg, aucun d'entre eux n'apporte d'éléments véritablement sûrs quant à sa datation. Cette imprécision se retrouve également sur le panneau de présentation des travaux placés à l'entrée du château sur lequel on peut lire : « Château de Mensberg• : XIIe-XIVe siècl e ». Un premier arti- cle, publié en 1839 , éclaire d'une manière romantique l'histoire de ce * Ce travail a été effectué dans Je cadre des activités de l'équipe de recherche associée au Centre National de la Recherche Scientifique (E.R.A. 761) sur l'habitat fortifié de J'est de la France, dirigée par Michel Bur, professeur à l'Université de Nancy II. 363

UNE FORTERESSE LORRAINE DU XVe SIÈCLE*documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/43753/CL_1986_4... · hait eyne slosse und vesten zu machen ... »

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LE CHATEAU DE MEINSBERG : UNE FORTERESSE LORRAINE DU XVe SIÈCLE*

Le château de Meinsberg se trouve au nord du département de la Moselle , entre Apach et Waldvisse , à un km environ de la frontière franco-allemande . Bâti sur une sorte de promontoire rocheux, il domine de 100 rn Manderen , clé d'une petite vallée qui rejoint la Moselle à quel­ques centaines de mètres de Sierck-lès-Bains (fig . 1 ) .

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Classé monument historique le 16 février 1930 , ce château est en cours de restauration . Depuis l 'automne 1977 , le Département de la Moselle , avec le concours de l'État , finance cette opération qui permet­tra de sauver une des plus belles forteresses médiévales de Lorraine .

Si de nombreux ouvrages sur l'article ont été consacrés à Meins­berg , aucun d'entre eux n'apporte d'éléments véritablement sûrs quant à sa datation . Cette imprécision se retrouve également sur le panneau de présentation des travaux placés à l 'entrée du château sur lequel on peut lire : « Château de Mensberg• : XIIe-XIVe siècle » . Un premier arti­cle , publié en 1839, éclaire d'une manière romantique l'histoire de ce

* Ce travail a été effectué dans Je cadre des activités de l'équipe de recherche associée au Centre National de la Recherche Scientifique (E .R.A. 761) sur l'habitat fortifié de J'est de la France, dirigée par Michel Bur, professeur à l'Université de Nancy II.

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château(1l : « . . . et vous arrivez , par des sentiers escarpés , au fond d'une vallée profonde où quelques maisons mal assises constituent le village de Manderen . Des eaux vives , une végétation vigoureuse , vous invitent à goûter quelque repos avant d'escalader de nouvelles hauteurs ; mais vous avez aperçu la taille colossale de Mensberg , et le cœur vous brûle d'y arriver . Cependant, trois quarts de lieue vous en séparent encore . Suivez les vignes , ne hâtez pas trop votre marche , et j 'aurai le temps de vous conter l 'histoire de cet ancien manoir féodal . Mensberg , appelé aussi Mans berg , Mains berg . . . , cache dans la nuit des siècles l'origine de sa fondation . . . Quoi qu'il en soit , dès l'année 1093 , on voit la maison de Sierck, dans la personne du comte Reinhold , posséder le Mensberg à titre de seigneurie . . . ». En réalité , l'auteur de cet article , qui considère , sans préciser ses sources , que Meinsberg existait en 1093(2) , traite hâti­vement de la partie médiévale de son histoire au profit d'un épisode de la guerre de succession d'Espagne qui vit le duc de Marlborough installer son quartier général au château , du 5 au 17 juin 1705 . Dans un ouvrage publié en 1896 , J. Florange apporte une documentation nouvelle en citant ses sources, et fait une description intéressante et utile du châ­teau(3J . Cependant , une mauvaise interprétation des textes ne lui permet pas de dater cette forteresse avec exactitude . Les publications postérieu­res à celles de Florange reprenant pour l'essentiel son argumentation , ne conduisent pas à un meilleur résultat .

Pour parvenir à une datation assurée de Meinsberg , il importe de s'appuyer sur quatre éléments : l'examen des textes et de la documenta­tion figurée , l'analyse architecturale et la fouille ; et de vérifier si ces approches différentes aboutissent à des conclusions convergentes .

1 - Les textes

L'argumentation de Florange

Pour démontrer que la famille de Sierck possède des fortifications sur le site de Meinsberg au XIIIe ou au XIVe siècle , Florange s'appuie sur trois éléments : la présence des Sierck à Manderen , et deux textes de 1319 et 1322 .

A la fin du XIIIe siècle , les Sierck étaient déjà bien implantés à Manderen. Henri , père d'Arnold II était , comme l'indiquent deux documents de 1 193 et 1200 , voué de l'abbaye bénédictine de Rettel , laquelle possédait des terres à cet endroit(4l . Cette implantation est confirmée dans un acte de 1240 par lequel « Mathieu II , duc de Lorraine et marquis , fait connaître qu'il y a eu échange entre l'abbé et le couvent de Munster à Luxembourg d'une part et Béatrix , veuve d'Arnould de

1) Le château de Mensberg, dans L'Austrasie Revue du nord-est de la France, 1839 .

2) L'Austrasie, art. cit. , p. 4.

3) J . FLORANGE, La seigneurie et les seigneurs de Meinsberg.

4) J. FLORANGE, Histoire des seigneurs et comtes de Sierck en Lorraine, p. 5 .

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de Sierck d'autre part , au sujet de leurs possessions à Manderen et Bre­denes »<5l . Dans un acte daté d'avril 1274 , Ferri III, duc de Lorraine, octroie à Arnold III de Sierck tout ce qu'il possède dans les terres de Saint-Arnould et de Saint Sixte de Rettel situées entre Manderen et Sierck(6J .

Un document du 29 juin 1319, transcrit par Florange , fait part d'un arrangement conclu entre la veuve de Ferri I de Sierck et ses fils (Arnold IV et V) au sujet de leurs possessions à Manderen(7J . Il s'agit en fait d'un véritable inventaire de la « court de Mandres » . Florange pense que le mot « cour » au Moyen Age désigne un village fortifié, une châtellenie. En réalité , il n'est pas fait mention de fortifications dans ce dénombre­ment . Le terme « cour » doit être compris dans son sens primitif, c'est-à­dire centre d'exploitation d'un domaine .

Un autre acte du 29 octobre 1322 indique selon Florange que la famille de Sierck aurait possédé « des châteaux entre la Sarre et la Moselle » , et l'un d'entre eux « sur la montagne au-dessus de Manderen »<Bl . Pour l'affirmer, il s'appuie sur une phrase de ce document ainsi transcrite : « . . . des chesteilz de la terre qui fuit cons tire Arnoult de Sierck entre la rivière de Sare et la rivière de Muzelle . . . » . Ce qui toujours selon Flo­range voudrait dire : « . . . les châteaux que fit construire Arnold (III) de Sierck entre la rivière de Sarre et la rivière de Moselle . . . ». Cette inter­prétation laisse évidemment à désirer et l'exactitude de la transcription doit être mise en cause . En effet, la consultation du dictionnaire de Godefroy montre que le terme « constire » n'existe pas à cette époque; que le terme « chesteilz » signifie, dans la région messine, le bien, la rente , la propriété mobilière ou immobilière . L'équivalence chesteilz =

châteaux est une erreur. Bien lue , la phrase doit être comprise de la façon suivante : « . . . les biens ou les propriétés de la terre qui fut à mon­sire Arnould de Sierck . . . » .

L'argumentation d e Florange confirme donc l'implantation d e la famille de Sierck à Manderen, mais aucun de ces deux documents ne fait mention d'une quelconque fortification dans la localité . Les Sierck, au XIIIe et au début du XIVe siècle , ne sont encore que des officiers ducaux. Ils n'apparaissent avec le titre de seigneurs qu'en 1370, pour la seigneu­rie de Frauenberg(9) .

Les textes de 1419 En 1414 , Arnold VI de Sierck sollicite la permission de construire

un château « sur la montagne au-dessus de Manderen »(10) , Dans deux

5) L. LE MERCIER DE MORIÈRE, Catalogue des actes de Mathieu II, duc de Lorraine, Nancy, 1893; no 242, Bredenes : Waldbredimus ou Stadtbredimus (Grand duché de Luxembourg) . 6) A.D. Mos . , Fonds Florange, 6 J 85. 7) J. FLORANGE, La seigneurie . . . , p. 2.

8) A.D. Mos . , 6 J 86 (transcription d'un texte de 1322).

9) A.D. Mos . . 6 J 87; Frauenberg : château et seigneurie à 4 km au nord-est de Sarreguemines (57). 10) J. FLORANGE, La seigneurie . . . , p. 5.

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documents postérieurs , Arnold reconnaît avoir reçu cette autorisation . L'un de ces deux documents fondamentaux (qui sont rédigés en dialecte germanique) est daté de 1419<1l ; l'autre présente tellement d'analogies avec le premier qu'il est permis de le considérer comme une copie conforme à l'original , rédigée de la même main et à la même époque<12l . Arnold VI déclare : « . . . myne vorgenanter he re gegunnet und erleubet hait eyne slosse und vesten zu machen . . . »<13l ; « . . . mon susnommé sei­gneur a donné et permis de faire un château et des fortifications . . . » (il s'agit du duc de Lorraine Charles II) . « . . . den hertzogen zu lothringen . . . vor sich und synen erben gegunnet hait und erleubet zu buwen . . . »<14l ; « . . . le duc de Lorraine . . . pour lui et ses héritiers a donné et permis de construire . . . » etc . Les textes indiquent le site choisi par Arnold : « . . . den berg aller nesthe oben an Manderen . . . dem man sprichet nuwe sircke . . . »<15l ; « . . . la montagne tout près et au-dessus de Manderen . . . que l'on appelle nouvelle Sierck . . . » .

Ces deux textes ne font nulle part allusion à la présence de fortifi­cations sur le site avant 1419 , mais ils précisent que la famille de Sierck tenait cette montagne des ducs de Lorraine depuis plus de 200 ans , et qu'Arnold VI s'engageait à démolir la forteresse qu'il allait y bâtir et remettre la place en l'état si un quelconque souverain faisait savoir par jugement ou titre valable que la montagne lui appartenait(16) . Ces deux textes sont parfaitement explicites et la construction de Meinsberg n'a pu commencer qu'en 1419 .

Quant au nom de Meinsberg , il semble qu'il n'apparaisse qu'en 1427 . Dans une lettre datée du 4 avril de cette année , Elisabeth de Gor­litz , duchesse de Bavière et de Luxembourg , qualifie Arnold VI de « seigneur de Meinsberg et de Frauenberg »<17l . Plusieurs interprétations du mot Meinsberg ont été avancées . La montagne de la lune (Mons­berg)(1S) , la montagne de l'homme ou du guerrier (Mansburg) (19) , mon château (Meinebourg) (20) . Mais de toute évidence le nom de Meinsberg signifie « ma montagne », que les Sierck possédaient depuis plusieurs générations .

Famille de châtelains au service du duc de Lorraine probablement depuis le XIIe siècle , les Sierck atteignent leur apogée au XVe siècle avec Arnold VI . Fils de Jacques de Sierck et d'Else de Montclair , Arnold VI obtient à la mort de son père (1386) , la moitié de la seigneurie de Frauen-

11) A.D.M.M. B 930 no 33.

12) A.D.M.M. B 930 no 30.

13) A.D.M.M. B 930 no 30.

14) A.D.M.M. B 930 no 33.

15) A.D.M.M. B 930 no 30.

16) A.D.M.M. B 930 no 30.

17) A.D. Mos . , Fonds Florange, 6 J 88 (transcription d'un texte de 1427) .

18) L'Austrasie, art. cit. , p. 3 .

19) J. FLORANGE, La seigneurie . . . , p . 7 .

20) A.D.M.M. Dufourny : analyse de B 930 no 30.

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berg , ainsi que de nombreux biens à Sierck et à Manderen . En 1409 , il reçoit de l ' archevêque de Trèves les fiefs de son oncle Bohémond d'Ettendorf(21) . En 1417 , il est propriétaire du château de Berg(22) . En 1431 , le duc de Lorraine René lui attribue la moitié lorraine de la sei­gneurie de Montclair<23l ; et en 1433 , l'archevêque de Trèves Raban l'autorise à reconstruire le château de Montclair qui lui vient de sa mère<24l .

En 1437 , le duc René II lui permet d'édifier la tour de Sarr-eck à Forbach(25J . Élu archevêque de Trèves , son fils Jacques est sacré dans la chapelle castrale de Meinsberg (tour nord-est) le 30 août 1439(26) . Le 1er septembre 1442, Arnold est élevé au rang de comte d'Empire et le 5 septembre , l'Empereur Frédéric érige la seigneurie de Montclair en comté<27l .

Arnold VI eut trois fils qui ne laissèrent pas de descendance mâle légitime . A la mort du dernier, Philippe , prévôt de la cathédrale de Trè­ves ( + 1492) , Meinsberg échut par héritage à sa nièce Elisabeth qui avait épousé Gérard II de Sayn(28J . Le château passa ensuite par succes­sion aux comtes de Sulz au début du XVIIe siècle(29) . En 1648(30) , Jean-Louis , comte de Sulz, le vendit avec la seigneurie à Louis de Bettain­villers , maître de forges à Apach(31l . Acquis par Georges Barbarat de Mazirot(32l , puis par Jean Mathias de Blockhausen(33J , Meinsberg fut finalement vendu comme bien national à la Révolution et transformé en ferme au début du XIXe siècle . Partiellement détruit pendant la seconde guerre mondiale , Meinsberg fut laissé à l'abandon par ses derniers pro­priétaires.

Résumons cette partie consacrée aux textes et à l 'histoire de la famille de Sierck. Il ressort de l'examen de l'argumentation de Florange , de l'analyse des deux documents dans lesquels Arnold VI reconnaît avoir reçu l'autorisation de construire un château, que 1419 peut être considéré comme l'année des débuts de la construction sur le site . Cette date se trouve confirmée par l'ascension sociale de la famille de Sierck depuis le xme siècle .

21) A.D. Mos . , Fonds Florange, 6 J 88 .

22) A.D.M.M. B 930 no 32.

23 A.D.M.M. B 933 no 4.

24) A.D. Mos . , Fonds Florange, 6 J 88.

25) id.

26) id. , 6 J 90.

27) J. FLORANGE, Histoire des seigneurs et comtes de Sierck en Lorraine, pièces justificatives n° 8 et 9.

28) J. FLORANGE, La seigneurie . . . , p . 22.

29) A.D.M.M. B 940 no 16; B 79 fo 57 à vo 59.

30) J . FLORANGE, La seigneurie . . . , p . 37.

31) id.

32) id. , p. 55.

33) id. , p . 56.

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II - La documentation figurée

Fig. 2. Le château de Meinsberg. Lithographie de Charles Nouvian .

Le plus ancien document figuré de Meinsberg est dû à Charles Nouvian<34l (fig. 2) . C'est une lithographie qui , malgré quelques exagéra­tions et quelques défauts de perspective , présente des détails intéres­sants . On y voit sur la gauche un pan de muraille percé d'une porte , cor­respondant probablement aux restes d'une barbacane . Sa disparition est signalée au milieu du XIXe siècle(35l . Un énorme amas de pierre en occupe aujourd'hui encore l'emplacement présumé . On peut distinguer égale­ment, à gauche de la tour ronde , un bâtiment circulaire qui fait saillie au centre de la courtine nord. Il s 'agit vraisemblablement du « petit fort qui couvrait la porte d'entrée », mentionné dans les descriptions du xrxe siècle. L'entrée principale de Meinsberg paraît avoir été constituée d'une tour porche pour le reste , la gravure donne une idée des toitures telles qu'elles étaient au xrxe siècle .

La seconde illustration, datée de 1894, montre encore , en tenant compte des observations faites précédemment, les vestiges de la tour porche qui devait englober l'entrée<36l (fig . 3) . D 'autre part on note que la tour sud-ouest a toujours sa couverture à deux pans .

La documentation figurée donne une image fidèle de l'état du châ­teau au XIXe siècle . Toutefois , si aucun élément défensif n'apparaît net­tement, on sait par Florange que : . . . « le châtelet (fut) définitivement

34) Lithographie de 1839, publiée dans L 'Austrasie, art . cit . , p. 1 .

35) D'après le marquis de Villers, citÇ dans Das Reich/and Elsass-Lothringen, t . III, Ortsbeschrei­bung, Strasbourg, 1901-1903; L. D'HEBRONVAL : Le château de Meinsberg, dit de Marlborough; J. FLORANGE, La seigneurie . . . , p. 61 .

36) Dessin de Marcellin Germain, 1894, phototypie Berthoud, Paris, publiée dans J. FLORANGE, Les seigneurs et comtes de Sierck en Lorraine.

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Fig . 3 . Vue du château de Meinsberg. 1894. Dessin de Marcellin Germain.

supprimé , comme gênant la libre entrée des voitures de grain et de fourrage ; les ponts-levis remplacés par un terre-plein . . . »(37) .

III - Analyse architecturale

On accède aujourd'hui au château par une petite route en lacets , car comme il a été dit plus haut , Meinsberg occupe la pointe d'un pro­montoire rocheux qui domine Manderen .

Un calcaire très dur , appelé « pierre de fer » dans la région, a été utilisé pour le gros œuvre (en appareil d'un module moyen de 0,25 rn x 0 , 15 rn) . Ce matériau a pu même être extrait sur place , puisque plusieurs veines calcaires de ce type affleurent en contrebas du château . Un grès jaune a été employé essentiellement pour l'ornementation, les encadre­ments de portes et de fenêtres , et pour les chaînages d'angle de la tour nord-est . Cette sorte de grès , utilisée encore aujourd'hui pour la restau­ration du château , provient de la région d'Amanvillers (au nord-ouest de Metz) .

A. Le plan ·(fig . 4)

Meinsberg est un vaste quadrilatère de forme trapézoïdale , flanqué de quatre tours d'angle et d'un corps de logis adossé à la courtine ouest . Ses dimensions extérieures maximales sont les suivantes : 68,50 rn pour le côté ouest ; 50,80 rn pour le côté sud ; 5 ,50 rn pour le côté est , 52,50 rn pour le côté nord .

37) J. FLORANGE, La seigneurie . . .

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CHATEAU DE MEINSBERG

Fig . 4

Les courtines

Les courtines ont une épaisseur moyenne de 2 ,30 m, sauf la courtine nord dont l'épaisseur est de 4 ,80 m. Deux entrées permettent actuelle­ment de franchir l'enceinte du château : une poterne située à la base de la courtine est , et une brèche aménagée en portail dans la courtine nord . Défendu naturellement sur trois côtés , le château a été renforcé par une courtine plus épaisse au nord, là où il est dominé par le reste du plateau .

Les tours

Le plan soulign�Ja différence de conception architecturale entre le front nord et le front sud du château . Les tours nord-ouest et nord-est sont deux éléments fondamentaux du système de défense avec des murs de 4 ,50 m d'épaisseur ; alors que les murs les plus épais des tours sud­ouest et sud-est mesurent respectivement 2,70 m et 2 ,60 m. La tour nord-ouest se distingue des autres tours de par sa forme presque circu­laire . Cette particularité a incité les historiens à la considérer comme un bâtiment plus ancien . Elle a un diamètre nord-sud de 13,20 m. Les trois autres tours ont un plan quadrangulaire classique . La tour nord-est est

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un vaste carré de 17,50 rn de côté , la tour sud-ouest a 13 rn de côté , la tour sud-est 11 (hors œuvre) .

Le corps de logis

Adossé à la courtine ouest , le corps de logis mesure actuellement 24 rn en façade (côté cour) pour 8 ,50 rn de large (mesures hors œuvre) . A l'angle nord-ouest , une petite pièce, en partie intégrée dans la muraille de la courtine , montre que le corps de logis et cette courtine ont été conçues en même temps . L'escalier à vis de la tourelle située à l'angle nord-est en desservait les étages .

B. L'élévation

1) Les courtines

La courtine nord, partiellement détruite dans sa partie supérieure , a une hauteur conservée de 8 m. Elle atteignait le 4e niveau de la tour nord-ouest où un arrachement est encore visible . Cette courtine , au voi­sinage de l'entrée, offre des traces de réfection matérialisées par deux alignements verticaux de pierres en saillie . Cette observation confirme celle qui a pu être faite à partir d'une des gravures : les alignements de pierres en saillie sont les restes de la tour-porche de l'entrée.

La courtine ouest a une hauteur moyenne d'environ 12 rn (11 rn à l'angle qu'elle forme avec la tour nord-ouest compte tenu de la dénivel­lation) . Quatre corbeaux en grès en ornent le côté intérieur , près de la tour nord-ouest . Ils contribuaient sans doute à élargir l'accès au troi­sième niveau de cette tour à partir du chemin de ronde . Le mur, à son sommet, avance légèrement à l'intérieur sur un bandeau régulier de pierres arrondies . A l'extérieur, des arcatures irrégulières , simulant des mâchicoulis , reposent sur des consoles qui permettent d'élargir , comme le bandeau intérieur , le chemin de ronde .

La courtine sud a une hauteur d'environ 12 rn par rapport au niveau du sol actuel . Le chemin de ronde était relié au sommet de la tour sud­ouest par un petit escalier intégré dans le mur de cette tour . Plusieurs ouvertures percent cette courtine : deux niches terminées par une petite fenêtre , au niveau du sol actuel (côté cour) ; et deux larges baies percées presque au sommet, encadrant une troisième encore ornée d'une amorce de voûte ogivale ; ses dimensions avoisinent celles des deux autres (3 ,40 rn) et on peut supposer qu'elle leur était semblable .

La courtine est a été reconstruite presque intégralement dans le cadre de la restauration du château . L'architecte ayant voulu lui conser­ver l'aspect d'une ruine , sa hauteur varie selon les endroits . Cependant la présence de consoles encastrées aurait permis de lui restituer sa hau­teur initiale . A l'angle qu'elle forme avec la tour sud-est, à l'extérieur , elle mesure actuellement 14 rn; tandis qu'au point de jonction avec la tour nord-est , elle mesure 1 1 ,75 rn à l'extérieur et 9 ,90 rn sur la cour . La poterne était sans doute l'issue d'une galerie souterraine communiquant avec le couloir d'accès aux caves voûtées de la tour nord-est . Cette

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hypothèse est confortée par les propos de L. d'Hébronval(38) et F.X. Kraus<39l qui mentionnent l'existence de souterrains à Meinsberg . L'ac­cès au sommet de la courtine était possible à partir du se niveau de la tour sud-est et du 4e niveau de la tour nord-est .

2) Les tours

La tour nord-ouest (fig . S) C'est une tour presque

circulaire d'une hauteur de 22 rn, avec S niveaux d'ha­bitation . Le premier niveau est constitué d'une salle cir­culaire et voûtée, d'un dia­mètre moyen de S ,SO m. Elle a une hauteur de 6 rn à l'en­droit le plus élevé qui cor­respond à un oculus de 0,40 rn de côté , communiquant avec le deuxième niveau . Une porte suspendue , surmontée de l'écusson aux armes des Sierck, permet d'accéder à cette salle qui pouvait servir à l'époque de prison ou de cave . Les quatre niveaux su­périeurs sont quadrangulai­res (6 rn de côté en moyen­ne) , tous équipés de vastes cheminées et éclairés par une ou plusieurs ouvertures

Fig. 5. La tour nord-ouest, état en 1979 ébrasées . Pour accéder à ces différents niveaux, il fallait emprunter l'escalier à vis de la tourelle acco­lée à la tour (pour les 2e , 3e, 4e niveaux) . Un autre escalier à vis , beau­coup plus petit , était aménagé dans le mur et conduisait au se niveau, à partir du couloir séparant la tourelle de la salle du 4e niveau . Deux archères-canonnières , placées dans les couloirs d'accès aux salles des 2e et 3e niveaux, s'ouvrent sur la cour du château . Une couronne de mâchi­coulis , dont certains sont finement travaillés , orne le sommet de cette tour dont la toiture conique était jadis recouverte d'ardoises .

Cette tour singulière par sa forme et ses dimensions imposantes , placée sur l a face vulnérable du château , a une allure guerrière . Néan­moins l'organisation de son propre espace intérieur témoigne du souci d'habitabilité qui animait son constructeur.

38) L. D'HÉBRONVAL, Le château de Meinsberg, dit de Marlborough.

39) F. X. KRA US, Kunst und Alterthum in Elsass-Lothringen, t. III.

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La tour sud-ouest (fig . 6) La tour sud-ouest, qui

a également une hauteur de 22 rn, est dotée d'un plan de construction original . En effet la muraille est de la tour englobe harmonieuse­ment les deux escaliers à vis permettant d 'accéder aux étages et au sommet de cet­te tour qui comprend six niveaux quadrangulaires de 8 rn de côté environ . Le ni­veau inférieur a été creusé dans la roche (les premières assises des murs sont pla­cées sur un soubassement rocheux d ' 1 rn de haut) . C'est une salle de 1 , 80 rn de hauteur dont la voûte est constituée par des arcs de décharge venant s'appuyer sur un pilier central mesu­rant 1 rn de diamètre . Un

Fig. 6. La tour sud-ouest et ses deux escaliers autre pilier (0 ,50 rn de dia-à vis, état en 1979 mètre) , dans l 'axe du pre-

mier, soutenait à l'origine la poutre maîtresse du plancher du 3e niveau , lequel reposait sur des consoles encastrées au milieu des murs est et ouest . Les 3e , 4e, Se et 6e niveaux, de mêmes dimensions que les précé­dents , sont tous éclairés par de larges ouvertures d'une hauteur de 2,50 rn . et d'une largeur de 2 ,65 rn, terminées par des fenêtres à meneaux de 1 ,30 rn x 1 ,30 m. La trace des cheminées du mur est a disparu sous un crépi posé au XIXe siècle , quand la tour servait de grenier à fourrage . Pour accéder au niveau inférieur , il fallait emprunter une série de petites marches , sous une arche de 4 rn de large ménagée à la base du mur est . L'escalier à vis de la tourelle d'angle desservait les niveaux supérieurs , ainsi que les latrines du 4e niveau, à l'angle de la tour et de la courtine ouest . Un deuxième escalier à vis reliait la courtine sud au sommet de la tour qui constituait un point privilégié pour le guet , sous la toiture à deux pans .

Défendue naturellement par les pentes abruptes qu'elle domine , la tour sud-ouest , qui est une réussite · esthétique , a un volume habitable considérable et une vocation résidentielle évidente .

La tour sud-est Cette tour carrée qui comprend 5 niveaux de 6 ,70 rn de côté (dans

l'œuvre) a une hauteur conservée d'environ 17 rn et intègre la seule échauguette du château . Le 1er niveau , presque totalement comblé par

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la destruction de certains pans de murs et du toit , était éclairé par une petite ouverture débouchant non loin des fenêtres du 2e niveau . La seule cheminée de la tour est située dans le mur est du 4e niveau et mesure 2 rn de hauteur (de la base des montants jusqu'à la hotte) . Pour accéder aux différents niveaux (sauf le 1er) , il fallait emprunter l'escalier à vis de la tourelle qui desservait également une petite salle de 1 ,90 rn de côté dont l'angle nord-est est occupé par une échauguette en encorbellement entre la courtine est et la tour.

La tour sud-est n'occupe pas une place privilégiée dans la défense du site . Néanmoins elle joue un rôle non négligeable dans la surveillance des abords immédiats du château , notamment grâce à cette échauguette , unique à Meinsberg (fig . 7) .

Fig . 7. L'échauguette et son archère:canonnière.

La tour nord-est

Fig : 8. Un des chapiteaux de la grande salle du rez-de-chaussée de la tour nord-est.

Cette vaste tour quadrangulaire en partie ruinée , qui comprend 4 niveaux (8 ,60 rn x 9 , 10 rn dans l'œuvre) , a une hauteur conservée de plus de 20 rn (mur est) . Le 1er niveau, pratiquement comblé , consistait en une salle voûtée correspondant sans doute aux caves de la tour. Pour y accéder, il fallait emprunter un petit couloir qui se prolongeait vraisemblablement au sud en un passage souterrain rejoignant la poterne ménagée dans la courtine est . Le deuxième niveau représentait certainement la plus belle salle du château . En partie comblée , celle-ci laisse néanmoins apparaître des chapiteaux dont l'emplacement , la forme , ainsi que la direction des

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nervures permettent d'imaginer un système quadripartite de voûtes conver­geant vers un pilier central (fig . 8) . Cette salle était éclairée par une large baie perçant le mur sud et par des chaînons de grès jaune surmontés par des amorces de voûtes . L'état de la tour ne permet pas d'en indiquer tou­tes les issues . Il existe cependant une petite porte dans le mur sud, don­nant sur un couloir qui débouche au sud dans la tourelle et à l'est dans une pièce de guet ouvrant sur la courtine est . Le 3e niveau était constitué d'une vaste salle éclairée à l'est par une large ouverture d'une hauteur de 3 ,50 rn, d'une largeur de 3 rn, terminée par une fenêtre surmontant une canonnière . L'angle sud-est de la tour est occupé par une petite pièce munie d'une cheminée et donnant sur la courtine. Le mur sud, très dégradé , avait été évidé sur 5 rn dans le sens est-ouest . Chaque extrémité est ornée d'une voûte d'ogive mesurant 3 rn de hauteur . Cet ouvrage à l'architecture raffinée était sans doute le chevet de la chapelle castrale . En effet, cette tour , appelée « tour de la chapelle » , a vu le sacre de Jacques de Sierck comme archevêque de Trèves en 1439.

Le 4e niveau est totalement ruiné . Le mur nord est percé d'une large ouverture comparable à celle du mur est du 3e niveau, surmontant éga­lement une canonnière . A l'angle sud-est , la muraille fait place à une petite salle de direction est-ouest , avec une ouverture de tir circulaire . L'escalier à vis de la tourelle donnait accès à la salle principale des ze , 3e, 4e niveaux et à l'extérieur au sommet de la courtine est et aux latrines situées à l'angle formé par la courtine et la tour.

La tour nord-est est à la fois la plus massive et celle dont la finition a été la plus soignée , vu la régularité des chaînes d'angle , les chapiteaux et les voûtes gothiques . Pourtant elle ne manque pas d'éléments défen­sifs : hauteur et épaisseur des murs , postes de guet , canonnières . Elle constitue une bonne synthèse de la défense et de l'apparat .

3) Le corps de logis

Il s'agit d'un vaste bâtiment adossé à la courtine ouest , dont la hau­teur avoisinait 13 rn, partagé en deux par un mur de refend et comprenant quatre niveaux (dont les combles et la cave) .

La partie nord Le rez-de-chaussée (2e niveau) est une vaste salle de 13 ,90 rn de

long , 6 ,80 rn de large pour une hauteur de 3 ,30 rn, et correspond de toute évidence aux communs (cuisines) . En effet , à côté de l'immense chemi­née qui se dresse contre le mur nord, se trouvent un four à pain avec sa réserve de bois , et un orifice semi-circulaire qui devait être une prise d'eau . Enfin une petite pièce en partie intégrée dans la courtine devait être le cellier. L'escalier à vis de la tourelle située à l'angle nord-est du corps de logis permet l'accès aux niveaux supérieurs dont les dimensions s'apparentent à celles du rez-de-chaussée. Le fenêtrage , assez hétérogène , porte les traces des remaniements dont le corps de logis fut l'objet . En façade , les fenêtres du premier étage , avec leurs meneaux et leurs arcs trilobés , sont caractéristiques de la fin du Gothique (XVe siècle) (fig. 9 et 10) . Alors que les autres fenêtres sont à la fois plus récentes et plus rustiques .

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Fig . � : Les baies à meneaux du corps de logis et leurs trilob?s.

Fig. 10. L 'écusson aux armes simples de Sierck, sur la clé

de voûte de la porte suspendue de la tour

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· nord-est.

La partie sud Elle mesure 6 ,90 rn (nord-sud) et 7 ,80 rn (est-ouest) , et paraît plus

récente que la partie nord . En effet , ont peut observer des différences sensibles dans la construction : le mur de façade est plus épais dans la partie nord que dans la partie sud; des fenêtres à meneaux ornent la pre­mière tandis que celles de la seconde sont très ordinaires . Enfin les fenê­tres de la partie sud ne sont pas dans l'alignement de celles de la partie nord .

Le nombre important d'ouvertures , le balcon qui existait encore à la fin du XIXe siècle(40l , l 'organisation fonctionnelle de son espace inté­rieur soulignent la vocation résidentielle de ce bâtiment , à l'abri de la courtine ouest .

C. Éléments de datation

Divers indices tirés de cette description architecturale permettent de conforter la datation proposée par les textes .

Le château de Meinsberg est doté du plan resserré qui s'impose en occident du XIIIe au XIVe siècle . L'absence de donjon est également caractéristique de cette période . En effet, « alors que jusqu'au XIIIe siècle le donjon était resté l'élément principal du château médiéval , on assiste du XIIIe au XVe siècle à un amoindrissement de son rôle pour l'ha­bitation , puis au point de vue des fortifications »< 41) . Meinsberg peut être éventuellement classé dans la catégorie des « châteaux à donjon engagé » où « celui-ci se trouve situé dans l'alignement des courtines de l'enceinte où il remplit en même temps le rôle de tour d'angle ou de flanque­ment »(42) . Le choix des tours d'angle quadrangulaires à Meinsberg s'in­tègre également dans la tendance générale de la construction des châ­teaux de la fin du Moyen Age . « La forme rectangulaire qui facilitait l 'aménagement des pièces habitables fut souvent adoptée dans les cons­tructions mixtes dont les fonctions étaient à la fois militaires et civiles . Cependant , le tracé circulaire fut conservé pour les ouvrages conçus à des fins strictement militaires »(43) . C'est le cas du « donjon » ou tour nord-ouest de Meinsberg . Cette tour circulaire (carrée à l'intérieur) , considérée comme le donjon du château, est en réalité une tour d'angle renforcée pour des considérations d'ordre tactique , puisqu'elle domine et protège l'accès au château .

A partir du XIVe siècle apparaît une amélioration dans la conception architecturale et ornementale du corps de logis liée aux nouveaux besoins de confort des seigneurs résidants . « Le corps de logis abrite désormais

40) En 1894, les quatre corbeaux qui soutenaient le balcon étaient encore visibles sur la façade du corps de logis.

41) P. BARBIER, La France Féodale, tome 1, châteaux-forts et églises fortifiées, Saint-Brieuc, 1968 , p. 155 .

42) id. , p. 187.

43) G. FOURNIER, Le château dans la France médiévale, Aubier, 1978 , p . 234.

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des pièces d'habitation et des salles de réception plus spacieuses , éclai­rées par de nombreuses et larges fenêtres ouvrant non seulement sur la cour intérieure mais également sur l'extérieur, au moins dans les étages supérieurs »<44l . Ce souci se retrouve parfaitement à Meinsberg . Ce raf­finement est également présent dans l'ornementation des murailles . Ainsi les crêtes des tours sud-ouest et sud-est sont encore ornées de cor­beaux reliés entre eux par de petits arcs en plein cintre , comme des mâchicoulis de décoration(4SJ . Ces observations sont faites à plusieurs reprises pour des bâtiments du XIVe siècle par F. Gébelin et P. Bar­bier(45l . D'autres éléments architecturaux permettent une datation plus précise de Meinsberg. Ainsi des mâchicoulis décorés d'arcatures tréflées, qui apparaissent en France à partir de la fin du XIVe siècle(47l , ornent le sommet de la tour nord-ouest , dans la partie donnant sur la cour. Les archères-canonnières de Meinsberg (comme celles de la tour nord-ouest et de l'échauguette) sont constituées d'une ouverture circulaire percée dans une dalle de pierre (de grès à Meinsberg) et surmontés d'une mire faite d'une encoche verticale . Ce type d'ouverture apparaît avec les débuts de l'artillerie à feu (fin du XIVe siècle) .

Les armoiries

Enfin, la porte d'accès au 1er niveau de la tour nord-ouest est ornée de l'écusson aux armes simples des Sierck (écu penché à la bande char­gée de trois coquilles) (4Sl , alors que le linteau de la porte d'entrée du corps de logis est surmonté d'un écussion aux armes des Sierck-Montclair (le même écusson doté d'une clé en pal , celle de Montclair) (49J . J. Flo­range , qui considérait qu'Arnold VI de Sierck écartelait aux armes des Sierck-Montclair, a conclu hâtivement que le « donjon », qui porte les armes simples des Sierck, était nettement antérieur au corps de logis , ainsi qu'au reste du château (XIVe , voire XIIIe siècle)(SOJ . En réalité , Arnold VI n'obtint la seigneurie de Montclair qu'en 1428 pour la partie tréviroise et en 1431 pour la partie lorraine<51l . Le « donjon » ou tour nord-ouest , qui porte les armes simples des Sierck , a été construit entre 1419 (date à laquelle Arnold reconnaît avoir reçu du duc de Lorraine l'autorisation de construire le château) et 1428 . Par ailleurs le corps de logis de Meinsberg présente bien des analogies dans ses dimensions , son ornementation , avec celui de Moyen qui date du XVe siècle<52l .

44) id. , p. 233 .

45) Voir fig. 6 .

46) P . BARBIER, op. cit. , p. 58; F. GEBELIN, Les châteaux de France, Paris, 1962, p . 60.

47) F. GEBELIN, id. , p. 60.

48) Sur la clé de voûte de la porte suspendue de la tour nord-ouest (voir ill . 10) .

49) Écusson encore visible sur la gravure de Marcellin Germain et dont le relevé précis a été publié dans F.X. KRAUS, Kunst . . .

50) La seigneurie . . .

51) Fonds Florange, 6 J 88, A.D. Mos . , Transcription d'un texte du 22 décembre 1428; A.D.M.M. B 933 no 4, texte du 6 avril 1431 .

52) D'après Gérard GIULIATO, Châteaux et maisons fortes en Lorraine centrale du Xe au XVIe siècle, thèse de III' cycle, Nancy, 1984.

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L'architecture de Meinsberg , dans son ensemble ou dans certains éléments de détail (ornementation, ouvertures de tir) , confirme la data­tion fournie par les textes , c'est-à-dire le début du XVe siècle . La fouille va-t-elle ou non en apporter la confirmation ?

IV - La fouille

Deux sondages ont été pratiqués au pied du bâtiment dont la data­tion était la plus problématique , le « donjon » ou tour nord-ouest . Le premier à l'intérieur de l'enceinte ; le second à l'extérieur, à l'angle formé par la tour et la courtine nord (fig . 1 1) .

Tour Nord -Ouest

Sondage 1

0 5 1 1 1 1 1 1

10 15 m '

Fig . 1 1 . Schéma d'implantation des sondages.

A) Éléments de datation relatifs à la construction

Le fait que les courtines nord et ouest du château s'appuyent contre la tour nord-ouest suggère une antériorité de celle-ci par rapport aux courtines . Il était nécessaire de vérifier cette observation au niveau des fondations . Il importait également d'examiner la stratigraphie aux angles formés par ces constructions . Les deux sondages ont révélé : - 1) l'absence de lien entre les courtines et la tour ; � 2) une parfaite homogénéité de la stratigraphie à ces endroits . La tour ronde fut vraisemblablement le pre­mier bâtiment implanté sur ce site ; mais comme aucun décalage chrono­logique n'apparaît dans la stratigraphie , nous pouvons en conclure que les courtines ont été bâties très peu de temps après le donjon , dans une même phase de construction et d'occupation du site .

, 1 B) Eléments de datation relatifs à l'occupation du site

L'examen de la stratigraphie du secteur situé au pied de la porte suspendue et devant la tourelle d'accès aux étages (fig . 12) fait apparaî­tre , de haut en bas : - 1) une couche de surface composée de gravats et d'éléments de destruction provenant des travaux récents de consolidation

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Coupe stratlgraphlque du côté Ouest du carré F. l3 (Sondage 1)

mur de la tou r Nord -Ouest Sud

Nord

0 Q,5 l m

1 1 humus et couche de destruction � p ierres �

m mortier blanc � terre brun cla ir

liB terre n o i re EJ remblai de lo tranchée de fondat ion

[/:j.J:J:/J/:I:If/ partie d u rcie de la couche de remblai 1.::: -::_ -= / couche géologique (calcai re jaune)

Fig . 12.

de la tour nord-ouest ; - 2) une couche de mortier blanc, qui correspond à la construction du mur nord de l'appentis(53J ; - 3) une couche de terre noire (couche d'occupation plus compacte , plus épaisse et plus homogène en bordure de la tour) qui repose au nord sur le remblai de la tranchée de fondation de la tour, et au sud à même la couche géologique . Nous pouvons donc considérer que cette couche d'occupation est immédiate­ment consécutive à la construction du château . Par ailleurs , le matériel archéologique recueilli autorise une chronologie relative .

La couche de destruction renfermait des tessons de céramique industrielle du xxe siècle , des tessons de grès gris ornés de motifs bleus (XIXe siècle) et quelques tessons glaçurés de poteries des XVIIe et XVIIIe siècles .

La couche d'occupation recelait : - au niveau supérieur : un grand nombre de tessons appartenant au

groupe cité précédemment (XVIIe-XVIIIe siècles) - au niveau inférieur : l 'essentiel des fragments de deux poteries

communes , qui peuvent être datées des XVe-XVIe siècles .

Description des poteries (fig. 13) Poterie no 1 :

- elle est fabriquée à partir d'une pâte grise associée à un dégraissant moyen, et recouverte par endroits de noir de fumée . Elle a une hauteur de 20 cm pour un diamètre maximal de 22 ,8 cm. Son fond plat sur 14 cm est très légèrement incurvé en son centre et présente une épaisseur

53) Cet appentis, accolé au mur nord du corps de logis, a été bâti au XIX' siècle. Il est représenté sur la gravure de Marcellin Germain. c

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0 10 20 cm

Fig, 13 . Sondage 1 - Poteries communes XVe-XVJe siècles

moyenne de 0 ,8 cm. Sa panse est striée et assez bombée . Son épaisseur est de 0,4 cm. L'encolure , haute de 3 cm, a un diamètre intérieur de 13 cm à sa base et de 14,8 cm au sommet; elle se termine par des lèvres convexo­concaves de 2,2 cm de hauteur, et de 0 ,9 cm d'épaisseur maximale . - TypologieC54l : c'est un pot du type I D (récipient dont le diamètre de l'ouverture est inférieur au diamètre maximum du vase; l'encolure ayant une hauteur inférieure à 4 cm) .

- Volume/corps : 6 A (proche de la forme sphéroïde) - Encolure : col 7 Ab (encolure dont le diamètre extérieur minimal

est supérieur au quart du diamètre maximal du corps du vase et inférieur ou égal aux trois quarts du diamètre même) .

- Lèvres : hors typologie - Base : 10 A base portante (base faisant partie intégrante du corps) . - Aménagements particuliers : néant .

- Technologie : - Façonnage : 13 B (façonnage au tour caractérisé par la présence

de sillons) . - Cuisson : 14 Aa (terre cuite en atmosphère réductrice sans apport

d'oxygène , teinte grise à noire) . - Poterie sans engobe ou glaçure , ni décoration . Poterie no 2 :

- elle est fabriquée à partir d'une pâte très grossière , de couleur gris-

54) D'après André MATIHYS, Typologie des sources du Moyen Age occidental; la céramique, Louvain, Brepols Turnhout, 1973 , 71 p .

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beige . Ses dimensions extérieures sont de 24 cm en hauteur, 8 ,2 cm à la base , 15 , 1 cm en diamètre maximal . Son fond plat , légèrement arrondi à l'intérieur , a un diamètre de 6 ,3 cm et une épaisseur de 0,5 cm au centre et 0,7 cm aux extrémités . La panse (ou corps) allongée est faiblement bombée; elle a une épaisseur moyenne de 0,5 cm. L'encolure , d'une hauteur de 3 cm, a un diamètre intérieur de 10,4 cm au sommet. Elle se termine par des lèvres simples et presque droites , d'une hauteur de 1 , 1 cm pour une épaisseur de 0 ,7 cm. - Typologie :

- pot I d - Volume/corps 6 B (proche de la forme ovoïde renversé) - Encolure : col 7 Ab - Lèvres : hors typologie - Base : 10 A base portante - Aménagements particuliers : néant .

- Technologie : - Façonnage : 13 B - Cuisson : 14 Aa - Poterie sans engobe ou glaçure , ni décoration.

Regroupons à présent nos principales observations . Les Sierck , petits chevaliers au XIIe siècle et vassaux des ducs de

Lorraine , ont su gagner leur confiance et se sont installés à Manderen dès le début du XIIIe siècle . Deux cents ans plus tard , ils obtiennent du duc de Lorraine Charles II l'autorisation de construire le château de Meinsberg , ce qui nécessita des moyens considérables et concrétisa l'ascension sociale de leur famille .

La construction du château n'a pu être entreprise qu'à partir de 1419 . Son architecture est caractéristique de la fin du Moyen Age . Si Meinsberg présente encore des aspects traditionnels des châteaux des XIIIe et XIVe siècles , il possède déjà une ornementation, un raffine­ment , une habitabilité qui annoncent la Renaissance , ainsi que des éléments de défense en rapport avec les progrès de l'artillerie, en parti­culier des canonnières .

Les sondages effectués au pied de la tour nord-ouest ont confirmé cette datation puisqu'aucune structure antérieure aux bâtiments en place n'est apparue , et que la chronologie relative à l'occupation du site com­mence avec les XVe-XVIe siècles .

Meinsberg est sans doute un des plus beaux témoignages de l'archi­tecture militaire médiévale de Lorraine . Son état de conservation , l'homogénéité de sa construction en font un document archéologique exceptionnel qui mérite à ce titre les sommes engagées pour le restaurer.

Bruno FAJAL et Charles KRAEMER

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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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B. FAJAL et C. KRAEMER, Étude historique et archéologique du château de Meinsberg, Mémoire de maîtrise sous la direction de M. Bur, Université de Nancy II, 1980 , 237 p .

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