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664 pp. 664-672 Une r6interpr6tation de la.th6orie du choix discret : le modele a consommat on aleatoire Nicolas CURIEN * Alain de FONTENAY ** R6sum6 Les auteurs ouvrent dans cet article une discussion sur la moddlisation dconomique des situations de choix discret. Comme alternative au modOle standard de la th~orie du choix discret, basd sur une fonction d'utilitd al~atoire, on introduit un nouveau modOle, dit d con- sommation aldatoire, oit l'alda est d~placd des prdfd- rences vers la consommation :dans ce dernier moddle, les prdfdrences sont ddterministes, mais elles portent sur une distribution de probabilit~s qui est ex-ante objet d'optimisation et qui rdgit in fine la consommation, ainsi consid~rde comme aldatoire. On examine les condi- tions sous lesquelles les deux modbles d utilit~ et d consommation alOatoires sont Oquivalents. On Otudie enfin les rapports du modble ft consommation al~atoire avec la thdorie des choix face ft l'incertain, avec l'ana- lyse des sOries temporelles, ainsi qu'avec divers modbles alOatoires empruntOs d d'autres domaines scientifiques. Mots el6s : T616communication, D6r6glementation, Analyse 6conomique, Monopole, Concurrence. operate on a probability distribution which is optimized ex-ante and with respect to which consumption is randomly drawn in fine. Conditions under which the random utility model and the stochastic commodity model can be made equivalent are explicited. Finally, they examine how the stochastic commodity model is connected to the theory of decision under uncertainty, to time series analysis, as well as to various stochastic models in other scientific fields. Key words : Telecommunication, Deregulation, Economic analysis, Monopole, Competition. Sommaire I. Introduction et discussion. II. Moddlisation. Bibliographie (11 r~f.). A REINTERPRETATION OF DISCRETE CHOICE MODELING : THE STOCHASTIC COMMODITY MODEL Abstract In this article, a discussion is opened on the ecohomic modelization of discrete choice situations. As an alter- native to the standard model in discrete choice theory, which is based on a randomized utility function, the authors introduce here a new model, namely the sto- chastic commodity model by shifting the random compo- nent from preferences towards consumption : in the latter model, although preferences are deterministic, they I. INTRODUCTION ET DISCUSSION Le mod61e /t consommation al6atoire, introduit dans cet article, s'applique aux situations dites de choix discret. I1 prend place h ce titre au sein de la th6orie du mSme nom, branche d6riv6e de la th6orie micro6conomique qui s'int6resse aux actes de con- sommation consistant /l effectuer un choix parmi une collection discr&e d'options a priori possibles. Dans le domaine de la demande de services de t616communications, les situations de choix discret sont fr6quentes : qu'il s'agisse pour le con- sommateur de distribuer ses appels t616phoniques selon l'heure, la dur6e ou la distance ; ou bien, en * DGT-DPAF, 20, avenue de S6gur, 75700 Paris. ** Bell Communications Research, 290 Mount Pleasant ~lvenue, Livingston NJ 07039. Etats-Unis. ANN. TI~L~COMMUN., 42, n ~ 11-12, 1987 1/9

Une réinterprétation de la théorie du choix discret: le modèle à consommation aléatoire

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Une r6interpr6tation de la.th6orie du choix discret : le modele a consommat on aleatoire

Nicolas C U R I E N *

Alain de F O N T E N A Y **

R6sum6

Les auteurs ouvrent dans cet article une discussion sur la moddlisation dconomique des situations de choix discret. Comme alternative au modOle standard de la th~orie du choix discret, basd sur une fonction d'utilitd al~atoire, on introduit un nouveau modOle, dit d con- sommation aldatoire, oit l'alda est d~placd des prdfd- rences vers la consommation :dans ce dernier moddle, les prdfdrences sont ddterministes, mais elles portent sur une distribution de probabilit~s qui est ex-ante objet d'optimisation et qui rdgit in fine la consommation, ainsi consid~rde comme aldatoire. On examine les condi- tions sous lesquelles les deux modbles d utilit~ et d consommation alOatoires sont Oquivalents. On Otudie enfin les rapports du modble ft consommation al~atoire avec la thdorie des choix face ft l'incertain, avec l'ana- lyse des sOries temporelles, ainsi qu'avec divers modbles alOatoires empruntOs d d'autres domaines scientifiques.

Mots el6s : T616communication, D6r6glementation, Analyse 6conomique, Monopole, Concurrence.

operate on a probability distribution which is optimized ex-ante and with respect to which consumption is randomly drawn in fine. Conditions under which the random utility model and the stochastic commodity model can be made equivalent are explicited. Finally, they examine how the stochastic commodity model is connected to the theory of decision under uncertainty, to time series analysis, as well as to various stochastic models in other scientific fields.

Key words : Telecommunication, Deregulation, Economic analysis, Monopole, Competition.

Sommaire

I. Introduction et discussion.

II. Moddlisation.

Bibliographie (11 r~f.).

A R E I N T E R P R E T A T I O N O F D I S C R E T E C H O I C E M O D E L I N G :

T H E S T O C H A S T I C C O M M O D I T Y M O D E L

Abstract

In this article, a discussion is opened on the ecohomic modelization of discrete choice situations. As an alter- native to the standard model in discrete choice theory, which is based on a randomized utility function, the authors introduce here a new model, namely the sto- chastic commodity model by shifting the random compo- nent from preferences towards consumption : in the latter model, although preferences are deterministic, they

I. I N T R O D U C T I O N ET D I S C U S S I O N

Le mod61e /t consommat ion al6atoire, introduit dans cet article, s 'applique aux situations dites de choix discret. I1 prend place h ce titre au sein de la th6orie du mSme nom, branche d6riv6e de la th6orie micro6conomique qui s'int6resse aux actes de con- sommat ion consistant /l effectuer un choix parmi une collection discr&e d 'op t ions a priori possibles.

Dans le domaine de la demande de services de t616communications, les situations de choix discret sont fr6quentes : qu' i l s'agisse pour le con- sommateur de distribuer ses appels t616phoniques selon l 'heure, la dur6e ou la distance ; ou bien, en

* DGT-DPAF, 20, avenue de S6gur, 75700 Paris. ** Bell Communications Research, 290 Mount Pleasant ~lvenue, Livingston NJ 07039. Etats-Unis.

ANN. TI~L~COMMUN., 42, n ~ 11-12, 1987 1/9

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amont, d'affecter des dvdnements de communication aux diff6rents modes disponibles 5. cet effet : face 5. face, courrier, tdl6phone, vid6otex, ... ; ou encore, de choisir un type de mat6riet pour l'acquisition d 'un syst6me de communication, etc.

Bien que les premi6res rdflexions sur le module 5. consommation aldatoire soient ndes dans le contexte des tdldcommunications (*), on s'attachera ici 5. pr6senter ce mod61e et 5. l'insdrer dans la th6orie du choix discret d 'une mani6re g6ndrale, sans se rdf6rer 5. un champ d'applications part iculier; l'exemple des tdldcommunications servira cependant 5. l 'occasion d'illustration. La discussion sera d 'abord mende d 'une manidre prdcise mais littdraire dans la prdsente section de l'article, puis de fa9on formalisde dans la suivante, o/a les mod6les seront explicitds.

Sous sa forme standard, le moddle n6oclassique du consommateur (voir Deaton et Muellbauer 1986) s'av6re impropre 5. traiter du choix discret. I1 conduit en effet 5. associer 5. tout individu et 5. toute circons- tance de consommation un choix optimal univoque- ment d6fini, et ne peut par consdquent rendre compte de la variabilitd, pourtant observ6e dans la r6alit6, des choix qui sont effectuds au cours du temps par un mame individu, ou 5. une mame date par plusieurs individus rdputds identiques.

Afin de rdsoudre cette difficultd, les thdoriciens du choix discret ont construit un mod61e dit 5. utilit6 aldatoire, dont l'esprit 6tait au ddpart davantage statistique qu'dconomique. Selon ce mod6le, qu'un m~me individu considdr6 5. des dates diff6rentes, ou que plusieurs individus semblables, ne sdlectionnent pas une option unique mais distribuent leurs choix entre plusieurs options, ne contrarie pas l'hypoth6se classique de rationalit6 du consommateur. L'dcart entre la prdvision du moddle ndoclassique et la rdalitd provient simplement de ce que l'analyste n'observe qu'imparfaitement les caract6ristiques individuelles, et que cette erreur de mesure le conduit 5. attribuer une mSme utilitd 5. un individu pour lequel elle varie en fait au cours du temps, ou encore 5. une classe d'individus dont les utilit6s sont en vdritd diffdrentes. L'erreur de mesure est reprdsentable par un bruit, s 'ajoutant 5. la composante ddterministe de l'utilitd telle qu'elle est identifi6e 5. partir des observations ; c'est ce bruit d'origine statistique, et non pas un quelconque phdnom6ne de nature dconomique, qui, dans cette prdsentation du mod61e ~ utilit6 aldatoire, explique la dispersion des choix.

Insatisfaits de l'absence de substrat dconomique dans le mod61e 5. utilit6 aldatoire, McFadden (1981) et Heckman (1981) ont propos6 de ce mod61e une interprdtation comportementale. Dans leur conception, le bruit d'utilit6 ne se rdduit pas 5. une composante exog6ne rdsumant les imperfections de l'observation,

(*) CURIEN (IN[.), (1981), Mod61isation de l'effet des tarifs sur la consommation et le trafic t61dphoniques et application

l'6tude de la taxation des communications locales/t la dur6e, Rapport interne, DGT, Paris.

mais il devient partie constituante du module dco- nomique, en traduisant une instabilitd essentielle de l'utilitd des consommateurs : tout se passe comme si, avant de former un choix, ceux-ci tiraient al6atoire- ment une fonction d'utilitd parmi une population de fonctions a priori possibles. C'est la loi de probabi- lit6 de l'utilitd, et non pas l'utilitd qui, dans ce module, caract6rise alors un individu ou une classe homog~ne d'individus.

S'il donne une dimension 6conomique 5. la thdorie du choix discret, le sch6ma prdc6dent soul~ve cepen- dant une question fondamentale : afin de rendre compte de la vafiabilit6 inter-temporelle ou inter- individuelle des choix, est-il indispensable de remettre en cause le caract6re ddterministe des prdf6rences ? Cette question touche en fait au statut dpistdmologique du mod61e : d6s lors que la rationalit6 dconomique du consommateur repose sur l'existence d 'un syst~me de prdf6rences reprdsentable par une fonction d'utilit6, un module oh cette fonction est rendue stochastique apparalt comme moins puissant qu'un mod61e o/l elle reste d6terministe.

Les donn6es de l'exp6rience r6v61ant la dimension aldatoire du phdnom6ne de choix discret, il est indis- cutable que tout mod61e pr6tendant rendre compte de cette r6alit6 doive incorporer une composante aldatoire. La place de cette composante reste cepen- dant h apprdcier. La formulation en terme d'utilitd al6atoire consiste 5. situer l'al6a au niveau amont des prdf6rences de consommation. I1 en rdsulte, outre un affaiblissement du concept de rationalitd, des dif- ficultds dans la validation empirique : tester qu 'un dchantillon de choix observds est compatible avec l'hypoth6se de l'utilitd aldatoire exige en effet de recourir h une gdndralisation stochastique de l 'axiome des prdf6rences rdvdldes ; or cette g6n6ralisation est complexe et d 'un emploi pratique malais6 (voir McFadden 1981). Pareils dcueils peuvent &re dvitds en ddpla~;ant l'alda de l 'amont vers l 'aval du mod61e, c'est-5.-dire des prdf6rences vers la consommation. Ceci est pr6cis6ment l'objet du module 5. consomma- tion aldatoire.

Le module 5. consommation aldatoire constitue une nouvelle approche du probl~me du choix discret qui, 5. l 'instar du module de McFadden et Heckman, s'attache 5. traduire la dimension dconomique et non pas seulement statistique des situations d6crites, mais qui, h la diff6rence de ce module :

- - c o n s e r v e en amont son caract~re d6terministe 5. la fonction d'utilit6 ;

- - f a i t intervenir l'al6a en aval, sous la forme d'une distribution de probabilit6s figurant en argument de la fonction d'utilitd et r6gissant in fine les choix de consommation.

Plus prdcisdment, dans le mod61e 5. consomrnation al6atoire, l'utilit6 du consommateur ddpend de la distribution de probabilitds de sa consommation. En maximisant cette utilitd, sous la contrainte que son budget n'exc6de pas l'espdrance de son revenu,

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il choisit ex-ante une distribution de probabilit6s optimale, selon laquelle il tirera ensuite al6atoirement sa consommation chaque fois qu'il devra effectuer un choix. La distribution statistique de la consom- mation, observ6e ex-post par l'analyste, n'est qu'une r6alisation particuli~re, issue de la loi de probabilit6s sous-jacente.

Une illustration naturelle du mod61e h consomma- tion al6atoire est fournie par le choix de la dur6e des appels t616phoniques (voir Curien 1981, note de bas de la page 665) : ex-ante, l 'usager n'est pas en mesure de programmer la dur6e de ses futurs appels en les consid6rant un par un, car i[ ignore

l'avance les circonstances exactes de ces appels, mais il n'est pas indifferent 5. l'allure g6n6rale de leur distribution : par exemple, pour un m~me bud- get de 20 min de communication et un besoin global de 10 appels, un individu donn6 pr6f6rera une distribution dispers6e comprenant 9 appels de 1 min chacun et un appel isol6 de 11 min, alors qu 'un autre pr6f6rera au contraire une distribution plus concentr6e, form6e de 3 appels de 1 min, de 4 appels de 2 min et de 3 appels de 3 min. Selon le mod61e consommation al6atoire, tout appel effectu6 par le premier individu aura alors a priori une dur6e de 1 min avec la probabilit6 0,9 et de 11 min avec la probabilit6 0,1 ; alors que la dur6e d 'un appel 6mis par le second sera de 1, 2, ou 3"rnin, avec les probabilit6s respectives 0,3, 0,4 et 0,3.

Le module ~t consommation al6atoire est en quelque sorte inverse du mod61e b. utilit6 al6atoire : au lieu d'admettre, comme dans ce dernier, que la con- sommation est le r6sultat d 'un choix op6r6 de mani6re d6terministe une fois l'utilit6 tir6e al6atoirement, on consid6re au contraire que la consommation est al6atoire, mais qu'elle est command6e par un pro- cessus dont les param6tres ont pr6alablement fait l 'objet d 'une optimisation d6terministe.

La diff6rence entre les deux mod61es h utilit6 et ~t consommation al6atoires peut encore s'analyser par r6f6rence au cadre n6oclassique, dont ils s'6cartent dans deux directions oppos6es :

- - dans le mod61e ~t utilit6 al6atoire, comme dans le mod61e n6oclassique, c'est l'acte de consommation proprement dit qui est mod61is6 ; il se d6duit d'ailleurs de l'utilit6 par la m~me proc6dure d'optimisation dans les deux cas ; seule la nature de l'utilit6, d6ter- ministe ou al6atoire, diff~re selon le mod61e ;

- - d a n s le mod61e ~ consommation al6atoire, comme dans le mod61e n6oclassique, l'utilit6 est d6terministe mais l 'argument de celle-ci, c'est-h-dire l 'objet mod61is6, diff6re essentiellement : ce n'est pas l'acte de consommation lui-m~me, dont la place est repouss6e en aval du mod61e 6conomique et qui apparait h ce titre comme un ph6nom6ne statistique, mais c'est le processus g6n6rateur d e la consomma- tion, r6sum6 par la loi de probabilit6s qui le caract6rise. Ainsi, dans le mod61e ~t consommation al6atoire, la consommation est trait6e comme un ph6nom6ne

connaissable uniquement en probabilit6, et non avec certitude comme dans le mod61e n6oclassique.

La position du mod61e ~t consommation al6atoire relativement au mod61e n6oclassique n'est pas sans 6voquer celle de la m6canique quantique vis-~t-vis de la m6canique classique dans les sciences physiques. L'analogie est en fait plus que formelle : le mod61e

consommation al6atoire et celui de la m6canique quantique rel6vent v6ritablement d'une m~me d6marche 6pist6mologique, consistant ~t distinguer deux niveaux d'analyse dans l'6tude d 'un syst6me :

- - d'une part un niveau amont, qui est celui off intervient la mod61isation proprement dite, c'est-~- dire off les lois de comportement peuvent &re repr& sent6es par des 6quations d6terministes ;

- - d'autre part, un niveau aval, off les causalit6s ne peuvent &re analys6es de mani6re explicite, le fonctionnement du syst6me 6tant pergu h c e niveau comme le r6sultat d 'un processus stochastique.

La communication entre les deux niveaux amont et aval fait l 'objet d 'une information descendante, transmise sous la forme d'une distribution de pro- babilit6s : cette distribution n'est autre que le r6sultat de l'optimisation du comportement amont du syst~me et c'est elle qui en retour r6git son comportement aval.

Dans le cas de la m6canique quantique (voir par exemple Pauling 1935), on identifie bien ces deux niveaux d'analyse, hi6rarchis6s et coupl6s. En effet, les propri6t6s physiques sont exprim6es en amont dans un espace de probabilit6s, qui est distinct de l'espace physique dans lequel 6volue en aval la particule 6tudi6e. Le lien entre les deux espaces est 6tabli par la fonction d'onde, distribution de probabilit6s appar- tenant ~t l'espace amont et agissant sur l'espace aval : en amont, la fonction d 'onde est solution de l'6quation de propagation de Schr6dinger, exprimant la conser- vation de l'6nergie, et dont les op6rateurs sont d6ter- ministes ; en aval, elle d6crit le mouvement de la particule, qui ne peut ~tre appr6hend6 qu'en proba- bilit6.

Dans le domaine 6conomique, le mod61e ~. con- sommation al6atoire ressortit pr6cis6ment au para- digme pr6c6dent, le niveau amont 6tant celui auquel sont optimis6es tes probabilit6s de choix, et le niveau aval, celui auquel ces probabilit6s commandent les choix effectivement r6alis6s. De ce point de vue, le module ~. consommation al6atoire pr6sente sur le mod61e ~ utilit6 al6atoire l 'avantage de placer l 'imper- fection de la connaissance, non pas au niveau amont des pr6f6rences individuelles, off le but m~me de l'analyse 6conomique est d'expliquer compl6tement les comportements, mais au niveau aval de la formation effective des choix, off la science 6conomique ne suffit pas ~. 6tablir des lois d6terministes ; h ce dernier niveau, la loterie (ou le bruit), que repr6sente la mise en oeuvre des probabilit6s de choix s61ectionn6es au niveau amont, simule le r61e des facteurs extra-6conomiques,

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par exemple de nature psychologique, qui inter- viennent dans la formation des d6cisions individuelles.

De m~me que le passage de la m6canique classique 5- la m6canique quantique ne consiste pas 5~ rendre al6atoire la fonction d'6nergie d'une particule, de m~me celui du mod61e n6oclassique au mod61e 5- consommation al6atoire ne consiste pas 5- bruiter la fonction d'utilit6 du consommateur. Dans les deux cas, la fonction d'6tat r6gissant le syst6me 6tudi6 - - 6nergie de la particule ou utilit6 du consomma- teur - - conserve son caract6re d6terministe ; par contre, l 'argument de cette fonction change de nature : il ne s'agit plus de la position d 'un point dans un espace physique ou 6conomique, mais de la distri- bution de probabilit6s 5- partir de laquelle cette position est al6atoirement tir6e.

L'analogie avec la m6canique quantique ne porte naturellement que sur la structure g6n6rale du module, sans s'6tendre 5- son contenu : aucun parall61e - - m~me simplement formel - - ne peut en effet ~tre 6tabli entre, d 'une part l '6quation de propagation des ondes et les op6rateurs qui la d6finissent, et d 'autre part le programme de maximisation de l'utilit6. De plus, la parent6 entre le module 5- consommation al6atoire et la m6canique quantique, si elle conforte la coh6rence de notre d6marche 6conomique, n'est pas en soi un argument pour pr6f6rer celle-ci au mod61e 5. utilit6 al6atoire : seule l'6preuve empirique per- mettrait 5- cet effet de trancher. On montrera cependant dans la section suivante que, dans la pratique, le probl~me ne se pose pas en terme de choix entre les deux mod61es 5- utilit6 ou 5- consommation al6a- toire : dans la tr6s grande majorit6 des applications du choix discret, les observations sont en effet compa- tibles avec l 'un comme avec l 'autre des deux sch6mas explicatifs.

Plus pr6cis6ment, il y a ind6cidabilit6 logique entre les deux modules lorsqu'une m~me translation effec- tu6e sur les prix d'acc6s 5- chacune des options pro- pos6es ne modifie pas les fr6quences de choix de ces options ; or cette hypoth6se est le plus souvent faite et valid6e lors de la raise en oeuvre 6conom6trique de la th6orie du choix discret (mod61es Logit et Probit). Sous cette r6serve, les fr6quences de choix constat6es sont aussi bien explicables par un mod61e 5- utilit6 al6atoire que par un mod61e 5- consommation al6atoire :dans le premier cas, ces fr6quences r6v61ent les probabilit6s a priori que chacune des options procure a posteriori la plus grande utilit6 apr6s tirage al6atoire de cette derni6re ; dans le second cas, les probabilit6s r6v616es sont des demandes r6sultant de la maximisation d 'une utilit6 d6terministe, qui est fonction, non pas des options, mais de leurs proba- bilit6s de choix ; pour 6viter toute confusion nous parlerons alors de m~ta-utilitr

L'existence d'une m6ta-utilit6 dans le cas d'inva- riance des fr6quences de choix sous l'effet d 'une translation des prix avait d6js- 6t6 remarqu6e par les th6oriciens du choix discret : elle est connue sous le nom de th6or6me de Dali, Zachary et Williams

(voir McFadden 1981). Cependant, cette m6ta- utilit6 6tait jusqu'5- pr6sent interpr6t6e comme une utilit6 virtuelle, traduisant le comportement agr6g6 d 'un segment de consommateurs dont on observe les choix individuels. Dans le cadre nouveau du mod61e 5- consommation al6atoire, la m6ta-utilit6 change de signification : de virtuelle et sociale, elle devient r~elle, en ce sens qu'elle est l 'objet d 'une optimisation effec- tive ; d 'autre part, elle intervient d6sormais au niveau individuel du consommateur et non pas au niveau agr~g6 d 'un segment de popula t ion ; enfin, son argument est une distribution de probabilit6 com- mandant la consommation ex-ante et non pas une distribution statistique constat6e ex-post.

On montrera dans le paragraphe suivant comment on passe d 'un mod61e 5- l 'autre dans le cas d'inva- riance des choix par translation des prix, c'est-5--dire comment, 5- la loi de probabilit6 de l'utilit6 dans le mod61e 5- utilit6 al6atoire, on sait associer la m6ta- utilit6 d&erministe qui lui correspond dans le mod61e 5- consommation al6atoire, et vice-versa. On soulignera notamment que l'utilit6 al6atoire est une fonction lin6aire des prix, alors que la m6ta-utilit6 d6terministe qui lui correspond d6pend non lin6airement de ces m6mes variables. On assiste en fait 5- un transfert de complexit6 entre les deux mod61es, la disparition d 'un al6a 6tant compens6e par l 'apparition d 'une non- lin6arit6, et r6ciproquement. On reconnaR 15- un r6sultat familier en sciences physiques, off un al6a comme une non-lin6arit6 peuvent indiff6remment repr6senter un d6sordre. Or il s'agit bien en l'esp~ce d'expliquer un d6sordre, de nature 6conomique et non pas physique : celui que r6v61e la dispersion observ6e des choix de consommation.

Compte tenu de la propri6t6 d'6quivalence entre utilit6 et consommation al6atoires dans la majorit6 des cas pratiques, le mod61e 5- consommation al6atoire apparaR finalement davantage comme une r6inter- pr6tation de la th6orie du choix discret plut6t que comme une formulation alternative de cette th6orie. Si elle ne bouleverse donc pas l'acquis, pareille r6interpr6tation nous parait toutefois int6ressante 5- double titre :

- - d 'une part, elle permet de pr6ciser et de discuter les fondements th6oriques des mod61es 6conom6triques Logit et Probit, souvent consid6r6s comme de pures techniques statistiques d61i6es de la th6orie micro- 6conomique ;

- - d'autre part, elle constitue une tentative d'uni- fication 6pist6mologique en rapprochant l'analyse 6conomique du choix discret de th6ories dont les structures sont similaires dans d'autres domaines scientifiques ; bien que seule l'analogie avec la m6canique quantique ait ici 6t6 d6velopp6e, des ponts pourraient 6galement ~tre 6tablis avec la thermo- dynamique statistique, la biologie, la th6orie de l ' information ; et plus g6n6ralement, avec routes les disciplines off les ph6nom6nes d6crits r6sultent de la lev6e d 'une incertitude, celle-ci 6tant r6sum6e par

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l ' information contenue dans une distribution de probabilit6s, un code, une fonction d'entropie, etc.

Outre son int6r~t au sein de la th6orie du choix discret, le mod61e h consommation al6atoire est enfin susceptible d'etre 6tendu /t l'ensemble des situations de consommation. A vrai dire, la th6orie micro- 6conomique de la consommation pourrait ~tre globale- ment reformul6e en les termes du module h consom- mation al6atoire, en rempla~ant l'utilit6 du mod61e n6oclassique, d6finie sur un espace de consommation continu, par une m6ta-utilit6, d6finie sur l'espace des lois de probabilit6 continues op6rant sur le premier espace.

Par rapport /t la conception habituelle, qui s6pare compl6tement le mod61e 6conomique d&erministe de son estimation statistique, la reformulation ainsi sugg6r6e consisterait ~t transf6rer une partie de l'al6a statistique de l'ext6rieur vers l'int6rieur du mod61e : cet al6a serait dfi, non seulement/t un bruit de mesure et d'6chantillonnage, mais encore au comportement des agents 6conomiques eux-m~mes, qui tireraient utilit6 de la distribution de leur consommation plut6t que de leur consommation proprement dire. Con- t ra i rement/ t ce qui a 6t6 discut6 dans le cadre de la th6orie du choix discret, il ne s'agit pas l~t du d6place- ment d 'un al6a de l 'amont vers l 'aval /1 l'int6rieur d 'un mod61e de toute mani6re al6atoire, mais de l ' introduction d 'un al6a dans un mod61e initialement d6terministe. I1 n 'y a donc pas seu!ement changement de point de vue dans l'analyse, rnais transformation du module n6oclassique standard.

Ainsi g6n6ralis6, le mod61e /l consommation al6a- toire entretient des rapports avec, d 'une part l'analyse des s6ries temporelles et d 'autre part la th6orie des choix face /l l 'incertain :

- - les techniques d'analyse des s6ries temporelles visent h identifier un processus stochastique dont les donn6es observ6es constituent une r6alisation ; le mod61e /t consommation al6atoire apparalt alors comme un compl6ment naturel / tces techniques, en donnant au processus qu'elles r6v6lent une inter- pr6tation 6conomique : celui-ci serait de fait l 'objet optimis6 par le consommateur ;

- - comme dans la th6orie des choix face/ l l'incer- tain, les pr6f6rences du mod61e /l consommation al6atoire sont d6finies sur des distributions de proba- bilit6s ; cependant, ces derni6res ne portent pas ici sur des 6tats de la nature hors du contr61e du con- sommateur, mais elles sont d6termin6es par lui et commandent ses actes de consommation ; d 'autre part, alors que selon les axiomatiques classiques de Von Neumann-Morgenstern (1947) et de Savage (1948) l'utilit6 face /l l 'incertain est une fonction lin6aire des probabilit6s (c'est en fait une esp6rance), la non- lin6arit6 de la m6ta-utilit6 (conform6ment par exemple /t l 'axiomatique de Yaari 1985) est au contraire un caract6re essentiel du mod61e /~ consommation al6a- toire : on montre en particulier que celui-ci d6g6n6re

selon le mod61e n6oclassique standard lorsque la m6ta-utilit6 est lin6aire (voir Curien et de Fontenay 1985).

II. MODI~LISATION

ILl. Choix discret et mod61e n6oclassique.

Soit une situation de choix discret o~a des individus doivent choisir leur consommation parmi K options exclusives les unes des autres, k = 1, 2 .. . . . K. Le choix peut &re isol6 ou r6p6t6. Dans le premier cas, une fois l 'option retenue, l'individu est tenu h son choix pour la totalit6 de la p6riode de r6f6rence ; dans le second, au contraire, il lui est possible de s61ectionner alternativement au cours du temps les diff6rentes options propos6es. Dans le domaine des t616commu- nications, l'acquisition d 'un mat6riel ou d 'un syst6me de communication est un exemple de choix isol6 ; par contre, la s61ection d 'un mode de communication (t616phone, courrier, t61ex, vid6otex . . . . ) pour 6couler un message donn6 est un choix par nature r6p6table.

Admettant que le processus de s61ection des options est stationnaire, et qu'il n'est corr616 ni dans le temps ni /l travers la population, le choix d 'un individu quelconque, soit i, peut &re d~crit h l 'aide d 'une distribution de probabilit6s discr6te P i l , -.., P i t . S'il s'agit d 'un choix isol6, ces probabilit6s corre~s- pondent aux parts de march6 des diff6rentes options au sein de la population b. une date donn6e. S'il s'agit d 'un choix r6p6t6, elles se traduisent au niveau individuel par les fr6quences statistiques de s61ection des options au cours du temps ; dans l'exemple du choix d 'un mode de communication, ce sont les fr6quences d'utilisation de chaque mode k par des individus plac6s dans diff6rentes situations de commu- nication, soit i, l'indice i rep6rant un couple individu- situation.

Supposons d 'abord les pr6f6rences de consommation d6terministes. Alors, selon le cadre standard de l a th6orie n6oclassique, un individu d 'un type donn6 plac6 dans une situation sp6cifi6e (i = 1 . . . . . I), maximiserait sous la contrainte de son revenu une fonction d'utilit6 Uik(X), d6pendant de l 'option choisie k et du vecteur x des consommations non optionnelles. On peut imaginer /l cet effet un processus en deux temps.

Dans une premi6re 6tape, l'utilit6 serait maximis6e conditionnellement /t la s61ection de chaque option particuli6re k, ce qui conduirait aux utilit6s indirectes conditionnelles :

(1) v~k = Vik(Yl--pk, q) = max[uik(x)/qx <~ y~--pk], X

off y~ est le revenu de l'individu i, Pk est le prix de l 'option k (ici consid6r6 comme une charge fixe d'acc6s), et oil q est le vecteur-prix des biens non optionnels.

ANN. Tr~L~COMIVlUN., 42, n ~ 11-12, 1987 5/9

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N. CURIEN. - RI~INTERPRI~TATION DE LA THI~ORIE DU CHOIX DISCRET 669

Dans un second temps, l 'optimisation porterait sur les options, et t o u s l e s individus i d 'un m6me type plac6s dans une m~me situation s61ectionneraient la m~me option k(i), 5. savoir celle qui leur apporterait la plus grande utilit6 conditionnelle :

(2) rig,) = vi(Yi - - P ~ . . . . . Yi - - P K , q)

= max vi~(y~ - - pk, q). k

La fonction v~ est l'utilit6 indirecte r6sultante, attach6e 5- l 'individu et 5. la situation i.

Comme on observe g6n6ralement qu'5. caract6- ristiques socio-d6mographiques 6quivalentes, et que dans une m~me situation de consommation, les choix sont diff6rents d 'un individu 5. l 'autre, ou pour un marne individu lorsqu'on le consid&e 5. plusieurs dates, on doit renoncer au module 5- utilit6 d6terministe de mani&e 5- pouvoir rendre compte de cette varia- bilit6.

11.2. Le module 5- utilit~ al~atoire.

Afin de sortir de l ' impasse 5. laquelle conduit le module n6oclassique d&erministe, la th6orie du choix discret s'est construite autour d 'un mod61e o/a l'utilit6 est rendue al6atoire. Les utilit6s conditionnelles, directes U~k et indirectes Vik, deviennent alors des variables al6atoires ~Tik et ~ik, et l'utilit6 r6sultante ~ est la variable al6atoire d6finie par :

(3) ~l(Yi - - P l . . . . . Y, - - P K , q) = max ~ik(Y, - - P k , q). k

L'introduction d 'un al6a dans l'utilit6 engendre des diff6rences inter-individuelles ou inter-temporelles dans les choix effectu6s au sein d 'un type socio- d6mographique et d 'une classe de situations donn6s, i. Plus pr6cis6ment, il est d6sormais possible de calculer la probabilit6 P~k du choix de l 'option particuli&e k en chaque circonstance i. Cette probabilit6 est celle que l 'option k apporte en i la plus grande utilit6, soit �9

(4) P,k(Y, - - P, . . . . . Y, - - P r , q)

= p rob[g i (y~- -P l ... . . Y ~ - PK, q) = ~k(Y~--Pk, q)],

ou encore :

(5) P,k(Yi - - P~ . . . . . Y, - - P K , q)

= E[lik(y, - - p , . . . . . Y1 - - PK, q)],

of J E[ ] est l 'op6rateur d'espdrance mathdmatique et o/1 l~k( ) est la variable al6atoire d6finie par �9

(6) l ik = 1 si Vi = V~g,

l ik = 0 sinon.

Le recours 5- une utilit6 al6atoire est habituellement justifi6 de la mani&e suivante : certaines caract6- ristiques des individus ou des situations i, et certains attributs des options k, bien que contribuant 5- la formation des choix, n 'ont pu 8tre mesur6s, de telle

fagon que les pr6f6rences individuelles de consom- mation sont en partie inconnues de l '6conom~tre : en fait, les pr6f6rences varient au sein d 'une sous- population d'individus apparemment identiques, ou encore au cours du temps pour un individu donn6. Ces variations, dont rend compte l 'al6a d'utilit6, impliquent les diff6rences de choix qui sont observ6es.

Selon ce point de vue, le r61e de l 'al6a dans le mod61e 6conomique de l'utilit6 al6atoire est tr~s similaire 5- celui du bruit dans le module statistique ~le la r6gression lin6aire : ce r61e consiste 5- repr6senter des imperfections dans la connaissance, ou dans la mesure des comportements.

S'6cartant de l 'interpr6tation pr6c6dente, ofa l 'al6a d'utilit6 est consid6r6 comme un terme d 'erreur statistique, en quelque sorte exog6ne 5. la mod61isation 6conomique, certains auteurs (McFadden 1981 ou Heckman 1981) ont propos6 un sch6ma explicatif off la composante al6atoire est endog6n6is6e dans le module : plut6t que la repr6sentation d 'une erreur de mesure, cette composante traduirait une variabilit6 intrins6que du comportement des consommateurs.

I1 faut 5- cet effet admettre qu 'un individu effectue des choix impulsifs ou capricieux, c'est-5--dire d6ter- mine sa consommation apr6s avoir tir6 al6atoirement une certaine fonction d'utilit6 parmi un ensemble de fonctions a priori possibles ; une fois la fonction d'utilit6 tir6e, le choix de consommation est suppos6 rationnel et d6terministe, au sens habituel de la th6orie micro-6conomique. Les diff6rences de choix inter- individuelles ou inter-temporelles 5- l'int6rieur d 'une classe statistiquement homog6ne sont alors analys6es comme des diff6rences de r6alisations lors du tirage de la fonction d'utilit6.

II.3. Le mod61e ~ consommation al6atoire.

L'interprdtation de McFadden et Heckman est int6ressante en ce qu'elle propose une explication 6conomique, et non pas seulement statistique, de la dispersion des choix de consommation. On peut cependant demeurer insatisfait de ce qu'il ait 6t6 n6cessaire, pour cela, de s'6carter du cadre micro- 6conomique usuel en construisant des prdf6rences al6atoires. Nous allons maintenant introduire une formulation alternative du choix discret o/a l'utilit6 demeure d&erminis te ; nous d6nommerons cette approche modOle ?t consommat ion aldatoire, car l'alda y est d6plac6 des pr&&ences vers la consommation.

Dans le mod61e 5- consommation al6atoire, on admet que l 'individu i est caract6ris6 par une fonction d'utilit6 d6terministe fii(P, . . . . . Pin, x), ddpendant des pro- babilit6s de choix des options, P~k, et des consomma- tions non optionnelles, x. Cette fonction est maximisde sous la contrainte que le budget des consommations non optionnelles n'exc6de pas l 'esp6rance du revenu net restant disponible apr6s le choix d 'une des options, selon le programme suivant :

6/9 ANN. TI~LI~COMMUN., 42, n ~ 11-12, 1987

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670 N. C U R I E N . - R E I N T E R P R I ~ T A T I O N DE L A THI~ORIE D U C H O I X D I S C R E T

(7) vi(Yi - - Pl . . . . . Yi - - P r , q) ---- K

max [fii(Pil, . . . , P ~ r , x ) l q x <~ ~ Pik(Yi--P~) ; P~I~...PIk k= 1

x K

~" Pi~ = 1]. k = l

de l'espdrance d'utilitd, diff6rent a p r i o r i des pro- babilitds de choix P~ = E[li~] issues du tirage aldatoire de l'utilit6. Les deux mod61es 5̀ utilit6 et h consomma- tion aldatoires ne sont donc pas systdmatiquement compatibles.

L'optimisation (7) d6finit une distribution de probabi- litds optimale P,~ . . . . . P~x, qui rdgit in fine les choix de consommation ; d'ofi la terminologie : c o n s o m m a -

t i o n a l ~ a t o i r e . Cette distribution de probabilitds pro- cure 5̀ l'individu i l'utilit6 indirecte ~ .

Sous la rdserve que la contrainte budg6taire soit serrde, la diff6renciation de l'utilitd indirecte 9~, en tenant compte des conditions du premier ordre assocides au programme (7), fournit les probabilitds optimales de choix -Pik selon la formule classique dite de Roy, soit :

(8) P , k ( Y , - - P~ , . . . Y i - - P ~ , q ) =

-bPkl-~Y~ ( Y i - - P , , . . . , Y , - - P ~ , q ) .

Afin d'dviter toute confusion entre les utilitds inter- venant dans chacun des deux mod61es 5̀ utilitd et 5̀ consommation aldatoires, on appellera dans la suite ~ et ~ m d t a - u t i l i t d s , respectivement directe et indirecte, le nom d'utilit6 6tant rdservd 5. la fonction aldatoire

Un pont naturel semble 5̀ ce stade pouvoir 6tre dtabli entre le mod61e 5̀ consommation aldatoire et le mod61e 5̀ utilit6 aldatoire, en choisissant comme mdta-utilitd dans le premier mod61e l'esp6rance de l'utilitd aldatoire dans le second; autrement dit, peut-on reformuler le mod61e 5̀ utilitd aldatoire en les termes de la maximisation individuelle de l'esp6- rance d'utilitd sous la contrainte de l'espdrance de revenu ?

En remarquant que, par ddfinition : K

(9) vi = Y~ l ~ i ~ , k = l

l'espdrance d'utilit6 de l'individu i dans le mod61e 5̀ consommation aldatoire s'dcrit :

(10) E[~,(y, - - p , . . . . . Yi - - Px , q)] K

= Y~ E[l~kg, k ( y , - - p , , q)]. k = l

Substituant cette espdrance fi la mdta-utilit6 ~, dans l'expression (8) des probabilit6s de choix optimales, il vient :

(11) P ~ ( y i - - P~ , . . . , Y~ - - P r , q )

b E by--~ [ 1 , ~ , ~ ( y , - - p ~ , q)]

r b E

j = l

I1 rdsulte de (11) que les probabilitds de choix P~k, issues du programme ddterministe de maximisation

11.4. L a c o r r e s p o n d a n c e entre ut i l i td e t c o n s o m m a t i o n

a lda to i re s .

Le cas particulier, important dans la pratique, off les deux mod61es fi utilit6 et 5̀ consommation aldatoires fournissent le m~me rdsultat (P,k ---- PJk) est celui off l'utilitd aldatoire conditionnelle ~tk peut ~tre dcrite sous la forme sdparable et lin6airr :

(12) ~k(Y~--Pk, q) = a t (q) [y j - -Pk] -[- I~ik(q),

at(q) dtant l'utilitd marginale du revenu, suppos6e inddpendante de l 'option choisie, et ~k(q) une variable aldatoire, fonction de l 'option choisie et du vecteur- prix des consommations non optionnelles.

On a alors en effet :

bE by--~ [likPik] = at(q) E[l~k],

d'ofi, en substituant dans (l l) et en remarquant que K

E [ 1 j ~- 1 : j = l

(13) P,k ---- E(1,k) = Ptk.

La sdparabilit6 et la lindaritd de l'utilitd ont une consdquence importante se pr~tant h u n test empirique. D'apr6s (12) en effet, une m~me translation t effectude sur les prix Pk de toutes les options k, parce qu'elle ajoute une constante inddpendante de k aux utilitds conditionnelles vtk, laisse inchangdes les probabilitds de choix E(l~k), soit :

(14) P~k(Y, - - P l - - t , . . . , yz - - P K - - t, q )

= PIk(YL - - P l . . . . . Y i - - P r , q ) .

Cette propridtd d'invariance des choix par translation des tarifs, qui s'av6re &re une hypoth6se valide dans la plupart des applications dconomdtriques, caractdrise en fait le domaine d'dquivalence des mod61es 5̀ utilitd et 5̀ consommation aldatoires.

Lorsque la propridtd (14) est vdrifi6e, le mod61e 5̀ utilitd aldatoire peut ~tre reformuld de mani6re duale comme un mod61e 5̀ consommation aldatoire et vice-versa. Les deux interprdtations suivantes sont en effet indiff6rentes :

- - l'individu i tire aldatoirement l'utilit6 ff, k, puis la maximise sur l'ensemble des options disponibles k ---- 1 ..... K. I1 atteint ainsi l'utilit6 r6sultante aldatoire ~,, lindaire selon les variables prix-revenu y , - - P k .

La probabilitd de choix P i g de l 'option k est teUe que cette option soit la plus favorable, c'est-5`-dire qu'elle rdalise l'6galitd ~,k = ~ ;

- - l'individu i d6termine les probabilitds de choix P~k = P~k de fagon 5̀ optimiser la mdta-utilitd ddter-

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N. CURIEN. - RI~INTERPRI~TATION DE LA THt~ORIE D U C H O I X DISCRET 671

ministe fit. I1 atteint ainsi la m6ta-utilit6 indirecte ~ , d&erministe, mais a priori non lin6aire selon les variables y~ - - Pk" La consommation effective est tir6e al6atoirement dans un second temps, confor- m6ment 5̀ la distribution de probabilit6 optimale P ~ , k = 1, ..., K.

Dans le premier cas, celui du mod61e 5̀ utilit6 al6atoire, l'al6a porte en amont, sur le choix de la fonction objectif. Dans le second, celui du mod61e 5. consommation al6atoire, il porte en aval, sur la r6alisation d'une consommation dont la distribution de probabilit6 a auparavant 6t6 optimis6e.

Ce type de dualit6 est classique dans les sciences physiques, oh la repr6sentation d 'un d6sordre (c'est-5`- dire d'irr6gularit6s dans la structure d 'un syst6me) fait appel : soit 5̀ des 6quations de comportement lin6aires perturb6es par un bruit, soit 5̀ l ' introduction de non-lin6arit6s. On constate bien dans le cas pr6sent que le ddsordre observ6 dans les d6cisions de consom- mation peut ~tre indiff6remment expliqu6 5̀ l'aide d'une utilit6 lin6aire mais stochastique ~ , ou 5̀ l'aide d 'une m6ta-utilit6 d6terministe mais a priori non-lin6aire ~ .

II .5 . L ' e x e m p l e du mod61e L o g i t .

Ce module, d'usage courant dans les applications pratiqu~s est un cas particulier de la sp6cification lin6aire (12) de l'utilit6 aldatoire 9~k- II y est postul6 que les variables aldatoires #~k sont d6corrdl6es selon chacun des deux indices i et k et suivent une loi de Weybull dont la fonction de r6partition est donn6e par :

(15) F~(w) = prob [ ~ ~< w]

= exp[-- exp[-- b(w - - W~k)] ].

Cette loi 5̀ deux param6tres, W~k et b, est telle que le mode de la distribution est w~k, sa moyenne, w~ + C[b (off C ~ 0,577 est la constante d'Euler), et sa variance, n2/6b 2.

L'utilit6 al6atoire ~ = a~(y~ - - p ~ ) + n~k suit alors une loi de Weybull de param~tres :

(16) V~k = a~(y~ - Pk) -~- Wik ,

et b. Sous l'hypoth6se d'ind6pendance suivant i e t k des variables W~k et donc ~k, on d6montre que la variable ~uk = max[ff~j ; j ~ k] suit encore une loi de Weybull, de param6tres :

1 (17) V~k = ~ log ~ exp(bv~j),

j ~ k

et b ; &off le nom de loi du maximum, ou loi de la valeur extrYme, parfois donn6 5̀ la loi de Weybull. Enfin, la variable diff6rence ~ = VUk - - V~ suit une 1oi logistique (d'ofi le nom du mod6le Logit), dont la fonction de r6partition s'6crit �9

1 (18) G,~(z) = prob[~,~ ~<z] =

1 + exp[b(Vi/k-- V~k--Z)]"

Les propri6t6s pr6c6dentes de la loi de Weybull permettent de calculer explicitement les probabilit6s de choix P~k en fonction des composantes d6ter- ministes v~k des utilit6s conditionnelles ~k- On a en effet successivement, d'apr6s (4), (17) et (18) :

(19) Pik = prob[~m - - ~,k <~ 0],

1

1 + exp[log Y~ e x p ( b v i j ) - bV~k] ' j ~ k

exp(bVik) (21) P i k - r '

Y~ exp(bvii) j = I

soit encore, compte tenu de (16) :

exp[b(W,k - - aiPk)] (22) P~g = r

5", exp[b(w~j - - azp~)] j = l

Dans le mod61e Logit, les probabilit6s de choix sont donc proportionnelles aux exponentielles des utilit6s moyennes des options, ces utilit6s 6tant pond6r6es par le param~tre b d'autant plus grand que la variance de l'utilit6 7zZ[6b 2 est faible. Lorsque b s'accroit ind6finiment, le choix devient certain et l '6quation (21) fournit :

(23) P~k = 1 si v~k = max[v, . . . . . v~r],

P~k = 0 sinon.

Lorsqu'au contraire b est nul, le choix est parfaitement al6atoire et l '6quation (21) entralne :

(24) P,k = l /K,

les options se partagent alors le segment de march6 i en K parts 6gales.

Comme on l 'a discut6 plus haut, le module 5̀ utilit6 al6atoire Logit est 6quivalent 5̀ un module 5̀ consommation al6atoire caract&is6 par la m6ta- utilit6 d6terministe :

(25) ~, = E[7~] = E[max(~l . . . . . ~,K)]

1 K = ~ log E exp(bV~k) + C[b,

k = l

soit encore, compte tenu de (16) :

K

(26) ~ = log ~] exp[b(w;k - - a~pk] + a~yt + Clb. k = l

Les probabilit6s optimales de choix d6rivent de l'expression (26) par la formule de Roy, soit :

(27) P~k bvi Ibvi _ exp[b(Wik-- a~pk] =Pik . 5pk lbYi r

Y~ exp [b(w~j-- a~pi) ] j = l

On peut ainsi dire de fagon 6quivalente :

- - soit que l'individu i, de revenu y~, a r6alis6 un programme d'optimisation d6terministe qui l 'a conduit sous les prix Pk 5_ atteindre l'utilit6 ~ , non

(20)

P~k = G~k(0) =

8/9 ANN. TI~LI~COMMU'N., 42, n ~ 11-12, 1987

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lin6aire d 'apr6s (26) selon les prix p~, et h adopter les probabilit6s optimales de choix Psk donn6es par l '6quat ion (27) ;

- - soit que cet individu a tir6 son utilit6 ~t l 'aide des variables al6atoires ~k de param6tres v~k et b, lin6aires selon les prix Pk, et qu' i l a en cons6quence choisi chaque opt ion k avec la probabilit6 que celle-ci lui procure la plus grande utilit6 ; cette probabilit6 Pik, donn6e par (22) est identique ~ Pik.

On voit comment , dans la premi6re formulat ion, l '61imination du caract6re al6atoire de l 'opt imisat ion s ' accompagne de l 'appar i t ion d 'une non-lin6arit6 dans la fonct ion objectif 9~. Ceci met en lumi6re les propri6t6s d6jh soulign6es de dualit6 et d '6quivalence, entre module stochastique et mod61e non lin6aire.

Manuscrit rer le 17 septembre 1987,

accept~ le 20 octobre 1987.

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