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Une ressemblance à taire Fatima Mana

Une ressemblance à taire

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Voici une plongée bouleversante dans le début du vingtième siècle où l’ampleur d’une tragédie submerge le quotidien d’un petit village du plateau ardéchois. Le meurtre d’un enfant de 10 ans sème la peur et la confusion dans un bourg où la vie semblait jusqu’alors paisible. Le bistrot du coin devient un lieu d’échanges inhabituels. Villageois et gendarmes s’y côtoient en se méfiant les uns des autres. La recherche de l’assassin et le mobile qui l’a conduit à perpétrer un tel acte habitent d’un bout à l’autre ce roman au dénouement pour le moins inattendu…

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Voici une plongée bouleversante dans le début du vingtième siècle où l’ampleur d’une tragédie submerge le quotidien d’un petit village du plateau ardéchois. Le meurtre d’un enfant de 10 ans sème la peur et la confusion dans un bourg où la vie semblait jusqu’alors paisible. Le bistrot du coin devient un lieu d’échanges inhabituels. Villageois et gendarmes s’y côtoient en se méfiant les uns des autres. La recherche de l’assassin et le mobile qui l’a conduit à perpétrer un tel acte habitent d’un bout à l’autre ce roman au dénouement pour le moins inattendu…

« Ce jour-là, un soleil fiévreux déversait sa chaleur sur la terre et assommait tous les êtres vivants. Pierre marchait sans but précis. Il regrettait d’être parti si tôt, en ce début d’après-midi, évitait la fournaise et avançait sous le boisé frais que des chênes centenaires emmê-laient d’ombre et de lumière. »

Fatima Mana est née en 1953 à Lyon, d’un père kabyle et d’une mère française d’origine espagnole. Après L’Arbre de Combier (2007), Une ressemblance à taire est son deuxième livre publié aux éditions Apogée. On y retrouve cette langue si particulière, qu’elle a apprise à manier au fil du temps, s’approchant au plus près de l’oralité et prenant des libertés avec la syntaxe et le vocabulaire tout en restant toujours très efficace.

Une ressemblanceà taire

Fatima Mana

Éditions ApogéeISBN 978-2-84398-413-6XX € TTC en France

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Collection « Piqué d’étoiles »créée par François Rannou,

dirigée par Jacques Josse

Du même auteur, chez le même éditeur :

L’Arbre de Combier, 2007

© Éditions Apogée, 2012ISBN 978-2-84398-413-6

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Fatima Mana

Une ressemblance à taire

Éditions Apogée

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À M. C.

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Il n’y avait pas à proprement parler de chemin, juste un sentier qu’hommes et bêtes entretenaient à la force de leurs pas, l’empruntant des milliers de fois. Traversée quotidiennement par de lourds charrois, la route Napo-léon serpentait au milieu d’un paysage tranquille.

À l’heure où le gros soleil orange montait de l’horizon, les quelques dizaines d’âmes du hameau des Baraques s’éveillaient.

L’estaminet de la mère Martin, planté sur le bord de la route, ne désemplissait pas. À peine l’aube levée, les premiers clients débarquaient charriant des restes de sommeil au fond de leurs yeux humides. Cernés par le silence, ils prenaient d’assaut le comptoir, saluaient rapidement l’aubergiste et se refermaient sans bruit en attendant d’être servis.

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Si, autrefois, une couleur vive éclairait l’endroit, le tabac des clients, le graillon de la cuisine et l’imposant fourneau bourré jusqu’à la gueule l’avaient peu à peu noirci. Les murs en devenaient chaque jour plus pois-seux.

Dès le soir tombé, quelques lampes à pétrole, disséminées au hasard sur les tables, éclairaient parcimo-nieusement les coins sombres de la salle. Les clients, des paysans habitant pour la plupart la commune, venaient boire un verre. Accoudés au bar, leur soif étanchée, ils s’épanchaient…

Avant de rentrer, ils prenaient au passage, dans la pièce d’à côté faisant office d’épicerie, les denrées commandées le matin même par leur femme.

Malgré le froid mordant, ils accordaient en sortant un dernier regard à la clarté éphémère entourant la lanterne extérieure et disparaissaient d’un seul coup, avalés par la nuit. Le vent froissait les branches sous la lune croissante, son souffle projetait des ombres étranges sur la route et les talus. Le marcheur, soudain troublé, accélérait le pas puis retrouvait un rythme plus raisonnable.

Chez la mère Martin, le temps s’enfonçait sans surprise dans le quotidien. Aux abords du soir, la vie se manifestait plus bruyante, rameutant son lot d’assoiffés. Sitôt installé, chacun prenait du repos et ravaudait sa fatigue au creux des conversations. Les uns se saoulaient

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de paroles, le ton montait à la moindre contrariété. Les autres refaisaient le monde à l’aide de plusieurs pintes avalées. Ils écorchaient l’argumentation, perdaient le fil de la discussion mais qu’importe, ils se sentaient vivants.

Juste avant de refermer la porte sur le dernier client, la patronne resserrait son châle. Main sur le loquet, nez pincé, d’un large mouvement de tête en direction de la sortie, elle l’accompagnait d’un regard impatient, puis rentrait, se retournait un bref instant, l’observait batail-ler avec son équilibre, haussait les épaules et partait se coucher.

Au petit matin, elle éparpillait à la volée des copeaux de bois sur le sol pour éponger la misère de la veille.

Les jours de marché, propriétaires, fermiers et métayers s’affairaient autour de leurs bêtes. Avec des gestes précis, ils les harnachaient et aspergeaient le travail de sons gutturaux. Les bœufs tiraient de lourdes char-rettes, regimbaient et piétinaient. Leurs sabots ferrés s’enfonçaient mollement sur le chemin détrempé. L’ai-guillon ne calmait guère leur tempérament belliqueux.

Arrivés à hauteur du bistrot, les hommes parquaient leur charrette, rentraient dans la taverne, buvaient et se racontaient. Les nouvelles du canton s’y distillaient aussi vite que la goutte de l’alambic.

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La femme Martin, personnage haut en couleur, gironde aux entournures, contrariait l’intérêt qu’elle portait aux sous par la générosité de sa corpulence. Le front s’ébauchait à peine sous l’amoncellement de sa chevelure relevée en un chignon rebelle, les joues tombantes encadraient des lèvres pulpeuses. La bouche sertie de rides accentuait la dureté de son visage. Le tout laissait songeur. Sa voix criarde apostrophait la clientèle. Les mains constamment posées sur les hanches, elle affir-mait son impuissance à changer le cours des choses.

Seul ou à plusieurs, les clients pénétraient dans la salle en pays conquis. À peine étaient-ils entrés qu’elle les évaluait du regard. Leurs allers et venues rythmaient la journée. Ils parlaient de la pluie ou du beau temps.

Des îlots de luisance crasseuse offraient un semblant d’opulence aux tables patinées par les manches.

Encordées autour de l’anneau extérieur servant à cet effet, leurs bêtes patientaient, habituées à ruminer.

L’aubergiste s’affairait, brassant l’air ambiant de ses bras potelés.

Les jours de grosse besogne, une bonne aidait aux fourneaux. La Marguerite n’avait que l’intelligence de dix doigts comptés mais le travail ne lui faisait pas peur. Les années occupées à survivre n’avaient pas abîmé sa capacité naturelle d’aimer. Elle abandonnait son corps au contentement de quelques-uns, cuisses ouvertes

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dans l’arrière-cuisine ou debout contre le chambranle de la porte, se laissait pénétrer sauvagement. La femme Martin n’y voyait rien à redire. Cela ne la regardait pas du moment que le travail était bien fait. Elle fermait les yeux sur la provenance de ces retombées bénéfiques pour son commerce. Le client repartait comblé. La rencontre passagère justifiait le pourboire généreux déposé discrè-tement sur le comptoir.

Le temple communal, un édifice massif, n’était qu’à quelques pas. Le dimanche, dès la sortie du culte, les paroissiens se hâtaient vers le bistrot.

Des voix entremêlées, plus ou moins imprégnées d’in-tonations joyeuses, s’échappaient par la porte ouverte.

Les événements marquants restaient rares en ce début de vingtième siècle où l’on n’avait jamais vu la maré-chaussée en déplacement officiel dans le village, situé à une bonne heure du bourg principal…

Pourtant ce jour-là, des cavaliers en armes surgirent, puissants et menaçants. La démonstration d’autorité fit s’effacer bon nombre d’habitants. D’autres, plus curieux, les regardaient manœuvrer leurs montures puis mettre pied à terre.

Quelques buveurs sortirent. Les gendarmes s’appro-chaient, une haie se forma pour les laisser passer. Leurs regards inquisiteurs scrutaient les badauds qui, au fur

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et à mesure de leur avancée, reculaient. Les militaires connaissaient le poids de leur uniforme sur la population et en abusaient parfois.

La troupe revenait de constater le décès d’un enfant d’une dizaine d’années à quelques centaines de mètres de là, sur la commune.

D’après les premiers éléments recueillis sur place, il s’agissait d’un crime. Pour l’instant, le mystère demeu-rait entier. Personne dans les environs n’avait signalé de disparition. À l’heure qu’il était, l’absence d’un enfant devait pourtant entretenir l’inquiétude et l’angoisse folle d’une famille. D’ailleurs, il était étrange qu’elle ne se soit pas manifestée.

Peut-être était-elle directement impliquée ?

Il suffirait alors de l’identifier pour résoudre l’en-quête…

En entrant, les six gendarmes accrochèrent leur képi à la patère. Une table, juste derrière la porte, restait inoc-cupée. Ils s’y installèrent.

Les rares fois où la mère Martin les avait servis, ils se trouvaient de passage et s’arrêtaient pour se désaltérer ou demander un renseignement anodin. Là, c’était autre chose. C’était du lourd, du sérieux. Les mines patibu-laires le confirmaient.

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La taverne du coin serait un lieu idéal pour récolter de l’information. Les gens s’y regroupaient régulièrement pour connaître, commenter et propager les nouvelles du pays.

Certains mesuraient la portée de l’événement auquel ils assistaient tout en prenant conscience qu’on allait associer leur village au meurtre, ce qui était fâcheux. D’autres, avec une curiosité morbide, tentaient d’écouter les militaires, mais en vain ! Personne ne parlait, chacun fixait son verre servi par Marguerite. De temps en temps, ils égaraient un regard d’envie sur sa croupe rebondie.

La Martin, pas méchante pour deux sous, mais glou-tonne, pensait avec gourmandise aux répercussions de la nouvelle sur son auberge et présageait des affaires fructueuses. Les langues qui se mettent à raconter, entre-tenues par la curiosité suintant sous l’étonnement et l’incompréhension, font souvent naître des rassemble-ments spontanés.

C’était décidé, les gendarmes feraient de ce lieu un point stratégique pour le déroulement de l’enquête. Une buée épaisse emmurait la fenêtre de l’intérieur et accen-tuait l’impression de cocon.

Le responsable, homme râblé sans prestance malgré l’habit à boutons dorés qu’il portait, se leva et interpella les clients attroupés jusque dans le fond de la salle.

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La distance renforçait l’autorité et posait une frontière invisible à ne pas franchir. Chacun restait sur ses gardes mais tendait une oreille attentive. La plupart éprouvaient une méfiance commune vis-à-vis de l’événement.

Celui-ci était d’une ampleur insoupçonnée.

Les comportements s’imprégnaient du sérieux sombre de l’affaire.