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Université de Montréal Les historiens français et britanniques devant la responsabilité de l’échec des négociations tripartites de 1939 : étude historiographique de 1961 à 2011 Par Alexandre Hince Département d’histoire, Faculté des arts et des sciences Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.) en histoire option enseignement au collégial Août 2015 © Alexandre Hince, 2015

Université de Montréal Les historiens français et

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Université de Montréal

Les historiens français et britanniques devant la responsabilité de l’échec des

négociations tripartites de 1939 : étude historiographique de 1961 à 2011

Par

Alexandre Hince

Département d’histoire, Faculté des arts et des sciences

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du

grade de Maître ès arts (M.A.) en histoire

option enseignement au collégial

Août 2015

© Alexandre Hince, 2015

Page 2: Université de Montréal Les historiens français et

Université de Montréal

Faculté des arts et des sciences

Ce mémoire intitulé :

Les historiens français et britanniques devant la responsabilité de l’échec des

négociations tripartites de 1939 : étude historiographique de 1961 à 2011

Présenté par :

Alexandre Hince

a été évalué par un jury composé des personnes suivantes :

Michael J. Carley

Président-rapporteur

Samir Saul

Directeur de recherche

Yakov Rabkin

Membre du jury

Page 3: Université de Montréal Les historiens français et

I

Résumé

En 1939, la France et la Grande-Bretagne réalisent que, pour arrêter les

agressions d’Hitler en Europe, il va leur falloir constituer un front commun. Cette

recherche d’alliés les mène à courtiser l’Union soviétique. Malgré plus de quatre

mois de négociations anglo-franco-soviétiques, aucune entente n’intervient entre

les parties. Cet échec est d’autant plus douloureux que le 23 août un pacte de non-

agression est signé entre Berlin et Moscou et, qu’une semaine plus tard,

l’Allemagne envahit la Pologne. La Seconde Guerre mondiale est commencée.

Depuis les années 1990, plusieurs historiens ont affirmé que l’historiographie

occidentale concernant l’échec des négociations tripartites de 1939 a été

influencée par la propagande de la Guerre froide et qu’elle avait propagé l’idée

que les Soviétiques n’avaient jamais eu l’intention de s’allier avec l’Entente.

Toutefois, après l’analyse des études publiées entre 1961 et 2011 par les

historiens français et britanniques, ce mémoire démontre que, depuis 1961, en

Grande-Bretagne et en France, l’interprétation du rôle de l’Union soviétique dans

cet échec est beaucoup plus libre d’aprioris idéologiques qu’on pourrait le croire.

La publication de l’ouvrage d’A.J.P. Taylor, The Origins of the Second World

War, et la controverse qu’il va causer ont radicalement modifié la nature du débat

et permis l’ascendant de thèses en tous points semblables à celles qui ont cours en

Occident depuis le démantèlement de l’Union soviétique. Celles-ci soutiennent

que les dirigeants soviétiques ont priorisé une alliance avec l’Entente au moins

jusqu’à la fin du mois de juillet et que ce sont les politiques étrangères de la

France et, plus particulièrement, de la Grande-Bretagne, qui ont causé l’échec des

négociations tripartites de 1939.

Mots-clés : 1939, cause/origine de la Seconde Guerre mondiale, historiographie,

URSS, France, Grande-Bretagne, relations internationales

Page 4: Université de Montréal Les historiens français et

II

Abstract

In 1939, France and Great Britain realized that stopping Hitler’s aggression in

Europe would require a common front. Such an endeavour brought them to

consider the Soviet Union as a possible ally. Despite four months of negotiations,

the three countries could not reach any agreement. This failure was dramatic

since on 23 August, a non-aggression pact was signed between Berlin and

Moscow and, one week later, Germany invaded Poland. The Second World War

had started. Since the 1990s, many historians argued that Western historiography

about these failed negotiations has been influenced by Cold War propaganda and

the idea that the Soviets never had the intention of allying with Western Europe.

However, after a more careful look at studies published between 1961 and 2011

by French and British historians, this thesis demonstrates that, since 1961, in both

Great Britain and France, the interpretations of the Soviet Union’s role in those

negotiations were more free of ideological presuppositions than is often claimed.

The publication of Taylor’ The Origins of the Second World War and the

controversy that followed radically changed the nature of the debate and allowed

the emergence of theses strikingly similar to those argued currently. These

suggest that the Soviet leaders prioritized allying with the Entente at least until

the end of July and that France and, most notably, Great Britain’s foreign policy

caused the failure of the tripartite negotiations.

Key words: 1939, origin of the Second World War, historiography, USSR,

France, Great Britain, international relations

Page 5: Université de Montréal Les historiens français et

III

Table des matières

Résumé ................................................................................................................... I

Abstract ................................................................................................................ II

Table des matières..............................................................................................III

Remerciements ......................................................................................................V

Introduction .......................................................................................................... 1

I. Problématique ........................................................................................ 5

II. Hypothèses ............................................................................................. 8

III. Méthodologie ....................................................................................... 12

IV. État de la question ................................................................................ 14

1945-1960 : l’avènement des écoles de pensée « allemande » et de la

realpolitik ........................................................................................ 15

A.J.P. Taylor : l’apparition de l’école de pensée de la sécurité

collective en Occident ..................................................................... 20

Chapitre premier. 1961-1974, Taylor provoque une modification majeure

dans le débat ........................................................................................................ 23

I. À quand remonte la décision soviétique de prioriser une entente avec

l’Allemagne? ..................................................................................... 24

II. La perception de la nature de la politique étrangère soviétique durant

les négociations tripartites ................................................................. 27

III. La responsabilité principale de l’échec des négociations tripartites : la

politique étrangère soviétique? .......................................................... 34

Chapitre 2. 1975-1989, la convergence des idées ............................................. 40

I. À quand remonte la décision soviétique de prioriser une entente avec

l’Allemagne? ..................................................................................... 41

Page 6: Université de Montréal Les historiens français et

IV

II. La perception de la nature de la politique étrangère soviétique durant

les négociations tripartites ................................................................. 44

III. La responsabilité principale de l’échec des négociations tripartites : la

politique étrangère soviétique? .......................................................... 55

Chapitre 3. 1990 à 2011, la continuité .............................................................. 67

I. À quand remonte la décision soviétique de prioriser une entente avec

l’Allemagne? ..................................................................................... 68

II. La perception de la nature de la politique étrangère soviétique durant

les négociations tripartites ................................................................. 74

III. La responsabilité principale de l’échec des négociations tripartites : la

politique étrangère soviétique? .......................................................... 89

Conclusion ......................................................................................................... 102

Bibliographie ..................................................................................................... 111

Page 7: Université de Montréal Les historiens français et

V

Remerciements

Je tiens à prendre le temps de remercier les gens qui m’ont soutenu tout au

long de cette aventure qu’est la rédaction d’un mémoire. Il m’est impossible de ne

pas mentionner l’apport essentiel de mon directeur Samir Saul. Ses précieux

conseils m’ont permis de mener à terme ce projet.

Je ne pourrais passer sous silence l’apport considérable d’Isabelle Yelle,

Édouard Courpied et Alexandre Trépanier. Chacun, à votre façon, vous m’avez

aidé à ce que ce mémoire prenne forme. Je ne vous remercierai jamais assez!

Évidemment, tout cela n’aurait jamais été possible sans le soutien constant

de ma fiancée. Emilie, je te serai à tout jamais reconnaissant. Tu as su m’épauler,

m’écouter et m’encourager quand j’en avais le plus besoin. Tout cela, sans

compter les nombreuses fois où tu as dû pallier mon absence à la maison.

Finalement, j’aimerais remercier mon fils, Zackary. Un jour, je t’expliquerai à

quel point tes sourires et ton amour inconditionnel auront été une source de

motivation exceptionnelle.

À vous tous, je vous dis merci!

Page 8: Université de Montréal Les historiens français et

VI

« L'aveuglement universel culmine dans l'ignorance

invraisemblable où l'on est des forces de l'U.R.S.S., […]

en 1939, nul ne sait ce que représente, dans son secret,

l'immensité russe. Nul ne comprend cette diplomatie

énigmatique aux cyniques virevoltes, prônant l'abolition

des armées permanentes et forgeant l'armée rouge,

pactisant au dernier moment avec son mortel ennemi

Hitler. »1

1 Maurice Baumont, La faillite de la paix (1918-1939), Paris, PUF, 1968 [1945], p. 894.

Page 9: Université de Montréal Les historiens français et

Introduction

1939, une vingtaine d’années après la fin de la Grande Guerre, après que

le Traité de Versailles ait été ratifié par l’Allemagne2, après que toute l’Europe ait

dit « plus jamais », voilà que la guerre menace de nouveau en Europe. Comment

est-ce possible? Le Traité ne devait-il pas assurer la paix en Europe pour une

longue période, comme l’avait fait en 1815 le Congrès de Vienne?3

À la suite du Krach de 1929, l’Europe de Versailles est plongée dans la

crise. Alors que l’économie s’effondre, des pays comme l’Allemagne et l’Italie

remettent en question le Traité de Versailles, jugé injuste et humiliant. Avec

Hitler et Mussolini aux commandes, les pays fascistes vont multiplier les coups

d’éclat, afin de modifier le statu quo. En 1935, l’Italie envahit l’Éthiopie et il ne

se trouve aucun gendarme pour faire respecter l’ordre établi ainsi que le droit

international. L’Allemagne saisira à de multiples occasions cette opportunité qui

s’offre à elle de modifier les paramètres d’un traité qu'elle s’est fait imposer par

les vainqueurs de la Grande Guerre. C’est donc sans scrupule qu’elle transgresse

l’esprit du traité de paix de la Première Guerre mondiale en augmentant ses

effectifs militaires, en remilitarisant la Rhénanie et en annexant l’Autriche ainsi

que les Sudètes durant les années trente.

En face de l’Italie et de l’Allemagne se trouvent la France et le Royaume-

Uni à qui profite le statu quo. Toutefois, la Grande Guerre ayant été très coûteuse

pour les Anglais et les Français et ayant grandement affecté leur économie,

l’opinion publique n’est pas prête à soutenir une nouvelle campagne militaire

2 Traité de Versailles : il est signé le 28 juin 1919 et met officiellement un terme à la Première

Guerre mondiale. Le Traité impose des clauses punitives territoriales, militaires et économiques à

l’Allemagne. Cette dernière, qui n’est pas invitée aux discussions, comme tous les pays vaincus,

doit reconnaître sa responsabilité de la guerre. Ces clauses humiliantes vont par la suite favoriser

des revendications de groupes nationalistes allemands, dont les nazis. 3 Congrès de Vienne de 1814-15: « reconstruit l'Europe, profondément déstabilisée par les guerres

révolutionnaires et napoléoniennes. Le nouvel ordre européen, placé sous la protection de la

Sainte Alliance des grandes monarchies se maintiendra tel quel ou presque pendant un demi-

siècle. ». « 9 juin 1815. L’Acte final du Congrès de Vienne », Hérodote [En ligne],

http://www.herodote.net/9_juin_1815-evenement-18150609.php, (page consultée le 08/03/15).

Page 10: Université de Montréal Les historiens français et

2

d’envergure. Les gouvernements optent alors pour une politique d’appeasement.

Il s’agit de consentir à des modifications du Traité de Versailles afin de calmer les

ardeurs expansionnistes d’Hitler et de Mussolini.4 Lorsqu’en 1938, Hitler

s’empare d’une partie de la Tchécoslovaquie, la politique d’appeasement est

poussée dans ses derniers retranchements. Neville Chamberlain, premier ministre

britannique, s’envole pour Munich où une rencontre est organisée entre la

Grande-Bretagne, la France, l’Italie et l’Allemagne, avec pour objectif d’éviter la

guerre; l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) n’est pas invitée.

De cette conférence à quatre naîtra l’accord de Munich.5 Chamberlain dira à son

retour au pays : « I believe that it is peace for our time ».6

C’était croire qu’Hitler pouvait être apaisé. Le 15 mars 1939, c’est le coup

de Prague : l’Allemagne occupe la Tchécoslovaquie et établit le Protectorat de

Bohème-Moravie. Cette fois, avec ce nouvel acte d’agression, il transgresse

l’accord de Munich et provoque une crise profonde en Europe. On commence à

entrevoir la nécessité d’établir des alliances pour contrer d’éventuelles agressions

du IIIe Reich.

Alors que l’Allemagne est liée à l’Italie et la Grande-Bretagne, à la

France, l’URSS n’a pas d’alliés en Europe occidentale. Toutefois, cette situation

d’isolement de l’Union soviétique, qui est accentuée à la suite de l’accord de

Munich en 1938, se transforme en position de force, alors que le IIIe Reich et les

pays occidentaux cherchent à s’attirer ses faveurs. Pour Berlin, il s’agit d’éviter

l’encerclement; pour Londres et Paris, de constituer une sécurité collective et de

mettre un terme aux agressions des dictateurs fascistes.

4 Pour en savoir davantage sur l’appeasement, voir, entre autres : R.A.C. Parker. Chamberlain and

appeasement: British policy and the coming of the Second World War, London, Macmillan, 1993,

388 p., Larry W. Fuchse. Neville Chamberlain and Appeasement. A Study in the Politics of

Appeasement, London, Norton, 1982, 241 p., Frank McDonough., Neville Chamberlain,

appeasement, and the British road to war, Manchester, Manchester Univ. Press, 1998, 196 p. 5 Pour en savoir davantage sur la crise de Munich, lire : François Paulhac. Les accords de Munich

et les origines de la guerre 1939, Paris, J. Vrin, 1988, 271 p., Robert Rothschild. Les chemins de

Munich : une nuit de sept ans, 1932-1939, Paris, Perrin, 1988, 496 p., Jean-Pierre Azéma.

Nouvelle histoire de la France. De Munich à la libération, 1938-1944, Paris, Seuil, 1979, 412 p. 6 Neville Chamberlain dans A.J.P. Taylor, The Origins of the Second World War, London,

Hamish Hamilton, 1963 [1961], p. 187.

Page 11: Université de Montréal Les historiens français et

3

À la suite du coup de Prague, l’appeasement semble être abandonné par

les Occidentaux; ils avertissent l’Allemagne que toute nouvelle agression ne

serait pas tolérée.7 Deux semaines plus tard, passant de la parole aux actes,

Neville Chamberlain et Édouard Daladier, les premiers ministres anglais et

français, offrent une garantie de protection à la Pologne. Est-ce un premier pas

vers la constitution d’un front collectif?

Peu de temps avant que soit offerte une garantie aux Polonais, ceux-ci

avaient refusé d’être associés à Moscou, dans une déclaration envoyée par le

premier ministre britannique le 19 mars qui aurait uni la France, la Grande-

Bretagne, l’Union soviétique et la Pologne.8 Les Puissances de l’ouest ont choisi

de prioriser comme alliée la Pologne, croyant à sa supériorité militaire, à sa bonne

volonté dans le conflit qui l’oppose à l’Allemagne pour les droits de la ville de

Dantzig et à son désir de protéger la souveraineté de la Roumanie.9 Cette décision

est-elle basée sur des préjugés idéologiques, sur une mauvaise compréhension de

la situation en Europe de l’Est ou sur un manque d’information? A-t-on réfléchi à

la réaction qu’aurait Moscou face à cette deuxième exclusion en moins d’un an?

Est-ce que les Occidentaux ont réalisé que, pour protéger efficacement la

Pologne, la présence de l’Union soviétique serait nécessaire?

Ainsi, moins de deux semaines après le coup de Prague, l’Union

soviétique est une nouvelle fois exclue de la diplomatie européenne.

Abandonnera-t-elle la politique de sécurité collective qu’elle menait déjà depuis

1933, sous l’égide de son commissaire aux Affaires étrangères, Maxime

Litvinov? Voyait-elle en la garantie britannique à la Pologne le véritable abandon

de la politique d’appeasement menée par Londres et Paris, laissant ainsi présager

une collaboration prochaine? Ou bien, l’URSS avait-elle déjà amorcé un

changement dans sa politique étrangère suite à l’accord de Munich? En 1939,

l’URSS est confrontée à un choix : s’allier aux pays de l’Europe occidentale pour

7Ibid., p. 205.

8Ibid., p. 207.

9Leonard Mosley, On Borrowed Time. How World War II Began, London, Weidenfeld and

Nicolson, 1969, chap. VIII (The Panic Pact, p. 195 à 212).

Page 12: Université de Montréal Les historiens français et

4

refroidir les ardeurs d’Hitler ou maintenir son isolement avec une politique de

bonne entente avec l’Allemagne, évitant ainsi les risques d’une guerre sur deux

fronts, puisqu’elle est aussi en conflit avec le Japon en Asie. D’autant plus qu’une

guerre impliquant les pays capitalistes d’Europe pourrait fort bien être bénéfique

à l’Union soviétique.10

Le refus de la Pologne d’être intégrée à la proposition du 19 mars de

Chamberlain s’explique de deux façons. Tout d’abord, les Polonais « intended to

balance between Russia and Germany; the proposed declaration would commit

[them] to the Russian side. »11

Puis, une partie du territoire polonais appartenait à

l’Empire russe avant la Grande Guerre. La Pologne craint que les troupes

soviétiques entrent sur son territoire en tant qu’alliées et qu’elles en profitent pour

reprendre le contrôle de ses anciennes terres. Toutefois, l’URSS, n’ayant pas de

frontière commune avec l’Allemagne, fait valoir que, sans la permission de

traverser la Pologne, ses troupes ne seraient d'aucune utilité dans une éventuelle

alliance contre l’Allemagne.12

Les Soviétiques imposent donc, comme condition

essentielle à toute entente anglo-franco-soviétique, que lui soit accordé le droit de

passage de ses troupes en Pologne. Toutefois, les Polonais, avec la garantie

franco-britannique en poche, n’ont pas l’intention de modifier leur

position. L’Entente a-t-elle compromis ses chances de s’allier avec les

Soviétiques en accordant cette garantie non contraignante à la Pologne?

Les premières véritables propositions d’alliance anglo-franco-soviétique

sont faites à la mi-avril. Il s’ensuit une série de propositions et de contre-

propositions jusqu’au mois de juillet.13

Graduellement, et difficilement, la

position des Occidentaux se rapproche de celle de l’URSS. Le 27 juillet, les partis

acceptent de passer aux négociations militaires; certaines questions politiques

sont laissées en suspens, dont celle de l’accès au territoire polonais. Le 17 août,

10

Taylor, op. cit., p. 228. 11

Ibid., p. 207. 12

Martin Gilbert et Richard Gott, The Appeasers, London, Weidenfeld and Nicolson, 1963, p.

257. 13

Taylor, op. cit., p. 231.

Page 13: Université de Montréal Les historiens français et

5

moins d’une semaine après leur début, les discussions militaires sont

suspendues.14

Le 23 août, l’échec est constaté, alors que le Pacte Molotov-

Ribbentrop est signé.15

Officiellement, il prévoit une amélioration des liens

économiques et surtout une promesse de non-agression de dix ans entre l’Union

soviétique et le IIIe Reich. Il s’ajoute à cela une clause secrète dans laquelle Hitler

et Staline s’entendent sur le partage des zones d’influence en Europe de l’Est.16

La victoire allemande est éclatante; l’échec franco-britannique est alarmant; plus

que jamais la guerre en Europe semble inévitable. Une semaine plus tard, le 1er

septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne; le 3 septembre, suite à une

longue hésitation, la Grande-Bretagne et la France respectent leur engagement

envers la Pologne et déclarent la guerre à l’Allemagne. L’échec des négociations

tripartites s’inscrit ainsi dans la longue liste des causes de la Deuxième Guerre

mondiale.

« It is pointless to speculate whether an Anglo-Soviet alliance would

have prevented the second World war. But failure to achieve this

alliance did much to cause it. »17

I. Problématique

Les historiens se sont depuis penchés à maintes reprises sur la

responsabilité de l’échec franco-britannique à conclure une alliance avec l’URSS.

Pourquoi les négociations tripartites n’ont-elles pas abouti? Pourquoi ont-elles

traîné en longueur? Les trois acteurs ont-ils négocié de bonne foi? Quels étaient

les objectifs et priorités des acteurs dans ces négociations? Quel était le rôle des

relations germano-soviétiques dans l’échec des négociations tripartites? En posant

ces questions, les historiens ont tenté de comprendre les causes de l’échec des

14

Ibid., p. 256. 15

Le Pacte de non-agression germano-soviétique est souvent associé à Viatcheslav Molotov,

commissaire des Affaires étrangères soviétiques après le renvoi de Litvinov le 3 mai 1939, et à

Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères allemandes. 16

René Girault et Robert Frank, Turbulente Europe et nouveaux mondes 1914-1941. Histoire des

relations internationales contemporaines. Paris, Payot, 2004 [1988], tome II, p. 427. 17

Taylor, op. cit., p. 247.

Page 14: Université de Montréal Les historiens français et

6

négociations et, par conséquent, d’expliquer une des causes de la Deuxième

Guerre mondiale.

Cela nous amène à notre problématique principale. Comment les

historiens français et britanniques ont-ils interprété le rôle de la politique

étrangère soviétique dans l'échec des négociations tripartites de 1939? L’historien

britannique Geoffrey Roberts écrit, en 1992 :

« For more than 50 years the historical interpretation of the Nazi-

Soviet pact has been an ideological and political battleground on

which two polarised versions of the truth have vied with each

other. »18

Selon lui, il y a donc une problématique idéologique et politique dans le débat

historiographique quant à l’interprétation de la décision soviétique de signer une

entente avec l’Allemagne plutôt qu’avec la Grande-Bretagne et la France. Il croit

aussi que la majorité des historiens occidentaux ont appuyé la thèse d’une

décision soviétique précoce de rechercher tout d’abord une alliance avec Hitler.

« Contrary to the orthodoxy of most Western historians, it can now be

shown, beyond reasonable doubt, that the Soviet decision for a pact

with Nazi Germany was taken later rather than sooner and that the

pact was a consequence, not a cause, of the breakdown in August

1939 of the Anglo-Soviet-French triple alliance negotiations. »19

Évidemment, dans cette étude, il sera seulement question d’une partie des

historiens occidentaux, mais il semblait important de vérifier si cette affirmation

s’appliquait à notre étude. C’est pourquoi les questions suivantes seront traitées

dans l’analyse de notre problématique : est-ce que la majorité des historiens

britanniques et français appuyaient la thèse d’une priorité accordée à une entente

avec l’Allemagne de la part de l’Union soviétique, plutôt qu’avec les pays

occidentaux, durant la Guerre froide? Est-ce que leurs positions se sont modifiées

durant les vingt années qui ont suivi la fin de la Guerre froide?

18

Geoffrey Roberts, « The Soviet Decision for a Pact with Nazi Germany », Soviet Studies, vol.

44, no. 1, 1992, p. 74. 19

Ibid., p. 57-58.

Page 15: Université de Montréal Les historiens français et

7

Une autre problématique est soulevée par Michael J. Carley, qui écrit, en

1999, que des historiens définissaient la situation comme suit : « Staline, le tsar

rouge, était perfide et avait trompé les Français et les Britanniques, tandis qu'il

négociait secrètement avec les Allemands. »20

Il rapporte aussi les paroles de

Gabriel Gorodetsky, un historien israélien, qui affirme que peu d’historiens

« “prennent au sérieux l’invariable version soviétique […] selon laquelle l’URSS

aurait signé un pacte, contrainte et forcée, le considérant comme le moindre des

deux maux” ».21

Ces deux affirmations nous amènent à poser une autre question.

Selon les historiens franco-britanniques, quel est le motif derrière la décision

soviétique de s’allier à l’Allemagne? Patrick Finney affirme, en 1997, que, durant

les premières années d’après-guerre, les historiens occidentaux soutenaient une

interprétation idéologique, due au climat de la Guerre froide, dans laquelle

« Stalin bore almost as much responsibility for the outbreak of war as Hitler, and

the Nazi-Soviet pact was the culmination of long-standing Soviet efforts to reach

rapprochement with Germany. »22

Il est donc légitime de se poser les questions

suivantes : est-ce que la majorité des historiens franco-britanniques, qui écrivent

après 1961, perçoit le Pacte germano-soviétique comme l’aboutissement d’une

politique de longue date menée par le duo Staline-Molotov? Est-ce que la version

soviétique trouve écho dans l’historiographie franco-britannique comprise entre

1961 et 2011 ou est-elle marginale, comme l’affirme Gorodetsky? De plus,

l’historien britannique P.M.H. Bell, spécialiste des causes de la Deuxième Guerre

mondiale, fait remarquer que la réussite du Pacte Molotov-Ribbentrop est

intimement liée à l’échec des négociations tripartites.

« The Nazi-Soviet Pact ended the Anglo-Franco-Soviet negotiations,

and removed all possibility of a triple alliance which might have been

strong enough to deter Hitler from an attack on Poland. In asking why

one set of negotiations failed and the other succeeded, the two must

be taken together. »23

20

Michael J. Carley, 1939, L’alliance de la dernière chance. Une réinterprétation des origines de

la Seconde Guerre mondiale, Montréal, Presses de l’Univ. de Montréal, 2001 [1999], p. 13. 21

Ibid., p. 14. 22

Patrick Finney, The Origins of Second World War, London, Arnold, 1997, p. 10. 23

P.M.H. Bell, The Origins of the Second World War in Europe, London, Longman, 1986, p. 294.

Page 16: Université de Montréal Les historiens français et

8

Dans cette optique, il y a aussi lieu de se demander si, pour les historiens français

et britanniques, la politique étrangère soviétique est considérée comme l’élément

principal ayant causé l’échec des négociations tripartites. Cela revient, en quelque

sorte, à se demander si la vision occidentale présentée par Finney a persisté dans

le temps en France et en Grande-Bretagne.

II. Hypothèses

Il est souvent avancé que les historiens soviétiques ont conservé une

version monolithique des événements des négociations tripartites durant

l’ensemble de la Guerre froide, comme nous l’avons vu avec Gorodetsky. Dans

cette thèse, les pays occidentaux sont essentiellement blâmés pour l’échec de la

sécurité collective en 1939 et l’URSS, pour sa part, est blanchie. Dans cette

version, les négociations tripartites échouent en raison de la mauvaise foi de

l’Occident et le Pacte germano-soviétique est le dernier recours auquel s’est

raccrochée l’Union soviétique lorsque ses dirigeants ont réalisé l’impossibilité de

s’allier avec la France et la Grande-Bretagne.24

En raison des circonstances dans lesquelles les historiens franco-

britanniques ont dû écrire, il pourrait sembler logique qu’ils aient agi comme

leurs collègues soviétiques. Selon cette hypothèse, leur débat reposerait alors sur

des idées reçues et aurait glissé vers le parti pris durant la Guerre froide : en

rejetant la faute sur les Soviétiques, qui auraient agi avec mauvaise foi, tout en

évitant de critiquer leur propre pays. Dans cette optique, l’Union soviétique

n’aurait eu aucune intention de s’allier avec l’Ouest depuis le départ; elle aurait

tout simplement cherché à provoquer une meilleure offre de l’Allemagne, ce

qu’elle aurait obtenu le 23 août 1939. Toujours suivant cette logique, la fin de la

Guerre froide aurait été une fracture, plus ou moins nette, brisant le cercle de la

propagande et modifiant le débat historiographique. Elle aurait amené

24

Ibid., p. 10.

Page 17: Université de Montréal Les historiens français et

9

graduellement les historiens français et britanniques à reconsidérer leur version de

la politique étrangère soviétique durant les négociations tripartites.

Toutefois, notre analyse du débat historiographique franco-britannique ne

pointe pas dans cette direction. Il semble que l’historien britannique A.J.P. Taylor

ait modifié considérablement le débat avec la publication de son ouvrage en 1961

et que la tendance ait été beaucoup plus nuancée que certains le laissent entendre.

« On the one side, there have been those historians who argued that

the operational objective of Soviet foreign policy in 1939 was an

alliance with the Western powers against Germany. Only at the last

moment, when Moscow had failed, in its own terms, to achieve this

goal did Stalin turn to a pact with Hitler. On the other side have been

those who argued that a Soviet-Western alliance was, at best, a

secondary goal of Moscow's foreign policy. From the spring of 1939

at the very latest the primary trajectory of Soviet foreign policy was

towards a pact with the Nazis. »25

Geoffrey Roberts décrit le débat comme opposant deux écoles de pensée : d’un

côté, celle de la sécurité collective et de l’autre celle « allemande », surnommée

ainsi puisqu’elle fait référence au fait que l’option allemande aurait été préférée

par les dirigeants soviétiques dès le début des négociations tripartites. Nous

croyons qu’une troisième école de pensée peut s’ajouter à celles proposées par

Roberts : celle de la realpolitik. Celle-ci, étant plus nuancée, se retrouve souvent à

cheval entre les deux premières. Selon cette vision, l’URSS utilise la politique de

la porte ouverte, ne fermant pas la porte à une alliance autant avec l’Allemagne

qu’avec l’Ouest entre mars et août 1939. Cette école de pensée, déjà très

populaire durant la Guerre froide en France et en Grande-Bretagne, ne présente

pas Staline comme étant « perfide » et ayant « trompé » l’Occident, vision que

plusieurs historiens auraient soutenue selon Carley26

, mais comme un dirigeant

avisé qui attend la meilleure offre, se sachant en position de force dans les

négociations. Selon cette thèse, l’option d’une alliance avec l’Ouest reste l’option

numéro un de l’Union soviétique au moins jusqu’au mois de juillet, et ce ne serait

25

Roberts, loc. cit., p. 74. 26

Carley, op. cit., p. 13.

Page 18: Université de Montréal Les historiens français et

10

que par la suite que la décision de s’entendre avec l’Allemagne fut prise.27

Elle

soutient donc que la politique étrangère soviétique ait été effectivement modifiée

entre mars et avril 1939, comme l’affirme l’école « allemande », mais que la

décision finale n’ait été prise qu’à la fin du processus de négociations, comme

l’affirme l’école de la sécurité collective. Selon ces historiens, la responsabilité de

l’échec revient en grande partie à l’Occident, qui n’a pas su saisir les opportunités

aux bons moments.28

Nous croyons que durant la période de 1961 à 1989, la majorité des

historiens français ou britanniques appuient soit la thèse de la sécurité collective

soit la thèse de la Realpolitik, cette dernière étant par ailleurs plus prisée. Ces

deux écoles de pensée affirment généralement que l’alliance avec l’Allemagne est

la conséquence de l’échec des négociations tripartites et non la cause.29

Cela

diminue grandement la responsabilité de la politique étrangère soviétique dans

l’échec des négociations tripartites et laisse présager que la version d’un Staline

« perfide » qui a « trompé » l’Occident, rapportée par Carley et Finney, n’a pas

persisté dans le temps en France et en Grande-Bretagne.

Ainsi, les deux visions largement majoritaires ne retiennent pas la

politique étrangère soviétique comme étant l’élément principal ayant causé

l’échec des négociations anglo-franco-soviétiques. Dans les deux cas, c’est

généralement la politique étrangère de la Grande-Bretagne, dirigée par le premier

ministre Neville Chamberlain, qui est retenue comme élément central de l’échec.

Ces thèses ne concordent donc pas avec l’idée que le débat ait été idéologique en

raison de la Guerre froide.

Certains pourraient affirmer que, pourtant, le débat historiographique évolue

beaucoup à la suite du démantèlement de l’URSS, amenant encore plus

27

Jonathan Haslam, The Soviet Union and the Struggle for Collective Security in Europe, 1933-

39, London, Macmillan, 1984, p. 228-231. 28

Ibid., p. 228. 29

Nous en ferons la démonstration au cours de nos trois chapitres. Cette idée est mise en avant

scène en 1961 dans Taylor, op. cit., p. 54.

Page 19: Université de Montréal Les historiens français et

11

d’historiens à soutenir la thèse de la sécurité collective et à critiquer

principalement les politiques étrangères française et britannique. Serait-ce la

fameuse fracture provoquée par la fin d’un débat idéologique aux implications

politiques? Nous maintenons que cette fracture n’a pas lieu.

L’analyse amène à jeter un regard sur les sources disponibles et utilisées par

les historiens, selon l’époque durant laquelle ils écrivaient. L’accès limité aux

sources, surtout soviétiques, durant la Guerre froide et la publication progressive

d’un plus grand éventail d’archives suite au démantèlement de l’URSS semble

être le principal élément ayant causé cette modification dans le débat. Les

historiens écrivant avant 1991 n’avaient que très peu d’indices sur la politique

soviétique.

« Had the Soviet rulers on their side a logical aim clearly

envisaged from the outset? No one knows the answer [...] We have no

scrap of evidence for the internal working of Soviet policy. »30

Ils étaient donc constamment obligés d’interpréter et de lire entre les lignes,

sans jamais pouvoir affirmer formellement quoi que ce soit. Cette problématique

est au cœur du débat, alors que peu d’intervenants s’accordent sur le moment

exact de la décision soviétique de s’allier avec l’Allemagne et sur la nature de

cette décision. Dans l’après Guerre froide, par exemple, là où il n’y avait que des

sources allemandes de disponibles pour analyser les relations germano-

soviétiques en 1939, il y a maintenant des archives soviétiques qui permettent de

contre-vérifier, questionner, et, parfois, clarifier la politique soviétique. Ainsi, une

réponse consensuelle, à savoir quelle était la nature profonde de la politique

soviétique en 1939, tarde à s’imposer en raison de l’accès limité aux sources

soviétiques et non en raison d’un débat idéologique. La fin de la Guerre froide

vient donc aider la progression du débat et confirmer plusieurs hypothèses des

écoles de pensée de la sécurité collective et de la realpolitik, reléguant encore

plus l’école « allemande » à un rôle secondaire. C’est donc sous le signe de la

continuité que se déroule le débat suite au démantèlement de l’URSS.

30

Taylor, op. cit., p. 230.

Page 20: Université de Montréal Les historiens français et

12

III. Méthodologie

Le bilan historiographique porte sur la période comprise entre 1961 et

2011. Cette période a été choisie pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la période

tampon d’une vingtaine d’années permet d’avoir un recul sur les événements et

d’en mesurer les conséquences. Ensuite, en 1961, le « rideau de fer » qui sépare

l’Occident de la zone d’influence de l’Union soviétique s’épaissit avec

l’édification du Mur de Berlin au mois d’août. Il est indéniable qu’à ce moment

l’URSS et l’Occident sont engagés dans une dynamique d’affrontement où la

propagande est l’arme de prédilection. De plus, cette longue période, qui couvre

cinquante ans, nous permet de comparer les écrits pendant et après la Guerre

froide ainsi que de mesurer les effets du conflit sur l’ensemble du débat

historiographique, alors que le démantèlement de l’URSS apporte son lot de

nouveautés en atténuant les tensions entre les deux clans et en permettant

graduellement un accès approfondi aux archives soviétiques. Mais surtout, 1961

coïncide avec la publication de The Origins of the Second World War, par A.J.P.

Taylor, qui suscite une vaste controverse dans l’historiographie des causes de la

Deuxième Guerre mondiale.

La structure de l’analyse est basée sur des périodes temporelles. Dans un

premier temps, le bloc 1961-1989 sera abordé en deux sections. La première,

comprenant les années 1961 à 1974, permettra de montrer l’évolution du débat

alors qu’une nouvelle école de pensée voit le jour en Occident, celle de la sécurité

collective, mais qui doit principalement s’appuyer sur les mêmes sources que

durant la période 1945-1960. Ensuite, la deuxième (1975-1989) sera abordée avec

l’objectif de comprendre où en est rendu le débat au crépuscule de la Guerre

froide. Les conclusions tirées sur les causes de l’échec des négociations tripartites

de 1939 et les positions prises par les grandes écoles de pensée avant d’obtenir un

plus grand accès aux archives soviétiques serviront ensuite de balises

comparatives pour l’évaluation de la période suivante. Ces deux sections

présentent des caractéristiques semblables : la Guerre froide se déroule au même

moment et les historiens n’ont pas accès aux archives soviétiques. Ils doivent

Page 21: Université de Montréal Les historiens français et

13

donc formuler des hypothèses qui ne peuvent être pleinement démontrées. Mais

elles comportent aussi une différence significative dans le contexte, car, durant la

période 1961-1974, l’accès aux archives britanniques, françaises et allemandes

est limité. Alors que les historiens de la période 1975-1989 peuvent travailler

avec beaucoup plus de sources provenant des archives nationales ces trois pays,

tout en n’ayant accès qu’à la version soviétique officielle pour la majeure partie

de la période.31

Dans un deuxième temps, le bloc temporel 1990-2011 sera abordé de

façon à établir la comparaison avec les deux premières sections. Il sera question

des changements apportés par la fin de la dynamique de Guerre froide et l’accès

progressif à des archives soviétiques. Cette période sera marquée par un regain

d’intérêt pour le sujet en raison des nouvelles sources disponibles et verra le débat

tourner autour de la validité et de la crédibilité des sources soviétiques. De plus,

on assiste à un rapprochement des écoles de pensée, puisque désormais les

sources permettent d’infirmer ou de confirmer les hypothèses avancées par les

historiens. Cette période nous permettra donc d’établir où en est le débat après

cinquante ans d’échanges entre les écoles de pensée de la sécurité collective, de la

realpolitik et « allemande ».

Dans chacune des trois sections, nous aborderons les trois mêmes thèmes.

Tout d’abord, nous ferons une analyse de la perception par les historiens franco-

britanniques du moment de la décision soviétique de prioriser une entente avec

l’Allemagne. Ensuite, nous établirons comment ils interprètent la nature de la

politique étrangère durant les négociations. Puis, nous nous attarderons au rôle

qu’ils accordent à l’Union soviétique dans la responsabilité de l’échec des

pourparlers anglo-franco-soviétiques de 1939.

Pour faire une analyse des travaux des historiens franco-britanniques, il a

fallu définir ce qu’était un historien français ou britannique. Il a été convenu

31

V. M. Falin et al. Soviet Peace Efforts on the Eve of World War Two (September 1938 – August

1939). Documents and records, Moscow, Novosti Press Agency pub. House, 1973.

Page 22: Université de Montréal Les historiens français et

14

qu’en plus des historiens nés au Royaume-Uni ou en France, il serait inclus

certains historiens faisant partie du milieu culturel et intellectuel franco-

britannique. Cela comprend, par exemple, des historiens ayant fait leurs études

soit en France, soit au Royaume-Uni ou qui enseignent dans le milieu

universitaire dans l’un des deux pays. De plus, certains auteurs ayant peu de liens

avec le milieu culturel anglais ou français, mais ayant largement contribué au

débat, ont été inclus. Dans tous les cas, seuls les écrits en langue française ou

anglaise ont été retenus.

Durant l’ensemble de la période étudiée, il est indéniable que les

historiens britanniques ont été plus intéressés par le sujet que leurs collègues

français. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène, par exemple,

l’occupation allemande de la France entre 1940 et 1944 et l’avènement du régime

de Vichy ont retenu une grande part de l’attention historique des Français depuis

la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cela entraîne une disproportion dans le

nombre d’historiens britanniques et français cités dans l’étude.

« For the French, in writing on the origins of the war, it has always

been 1940 rather than 1939 which has insistently demanded

explanation. »32

IV. État de la question

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les historiens se mettent

rapidement à étudier ses causes. Ils écrivent à une époque où peu d’archives

sont disponibles et ils doivent tenter de mettre de côté leur propre

interprétation des événements qu’ils ont vécus en tant que contemporains.

Lorsqu’ils se penchent sur le déroulement de la situation internationale de

1939, l’échec des négociations tripartites et la conclusion du pacte germano-

soviétique retiennent évidemment leur attention. Trois écoles de pensée voient

le jour en Occident. L’un des enjeux majeurs est de déterminer si le pacte

32

Finney, op. cit., p. 18.

Page 23: Université de Montréal Les historiens français et

15

Molotov-Ribbentrop était en continuité avec la politique étrangère soviétique

en 1939. Alors que l’école « allemande » soutient que oui, l’école de la

realpolitik estime que les deux options étaient valides jusqu’au mois de juillet

et l’école de la sécurité collective, qui apparaît un peu plus tard, affirme que

l’option d’une entente avec l’Allemagne n’était pas envisagée avant la fin de

juillet et que c’est seulement en août que les Soviétiques considérèrent cette

voie.

1945-1960 : l’avènement des écoles de pensée « allemande » et de la

realpolitik

Winston Churchill publie en 1948 un ouvrage dans lequel il aborde les

causes de la Deuxième Guerre mondiale, The Gathering Storm. Il faut savoir

qu’il faisait partie de l’opposition au Parlement britannique à la fin des années

trente et qu’il réclamait haut et fort une alliance avec l’Union soviétique, tout en

s’opposant à l’appeasement. Le déroulement de la guerre semble justifier ses

critiques d’avant-guerre; il les reprend dans son ouvrage qui connaît un succès

certain. The Gathering Storm aura une influence immense sur la vision

occidentale des causes de la Deuxième Guerre mondiale.33

Pour ce qui est des causes de l’échec des négociations tripartites,

Churchill affirme, comme beaucoup d’autres historiens après lui, qu’il est très

difficile déterminer à quel moment l’Union soviétique à décider de prioriser une

entente avec l’Allemagne plutôt qu’avec les Puissances de l’Ouest.34

Malgré cela,

il soutient que l’arrivée de Molotov au poste de commissaire des Affaires

étrangères soviétiques marque un tournant décisif pour l’URSS en 1939.

« There was in fact only one way in which he [Molotov] was now

likely to move. He had always been favourable to an arrangement

with Hitler. […] The dismissal of Litvinov marked the end of an

33

John Charmley, « Churchill : The Gathering Storm », BBC [En ligne],

http://www.bbc.co.uk/history/worldwars/wwtwo/churchill_gathering_storm_01.shtml (page

consultée le 04/03/15). 34

Winston S. Churchill, The Second World War. The Gathering Storm, Boston, Houghton Mifflin,

1948, p. 363.

Page 24: Université de Montréal Les historiens français et

16

epoch. It registered the abandonment by the Kremlin of all faith in

security pact with the Western Powers and in the possibility of

organising an Eastern Front against Germany. »35

Cette perception de la politique étrangère de l’Union soviétique, qui n’aurait plus

l’intention de conclure une entente avec la France et la Grande-Bretagne dès le

début de mai, sera largement endossée par les historiens occidentaux durant la

période 1948-1960.36

En France, une thèse semblable à celle de Churchill est formulée par

plusieurs intervenants; c’est le cas de Pierre Renouvin et de Maurice Baumont,

dans les années 1950. Les deux historiens français ont d’ailleurs travaillé

ensemble à partir de 1961 en tant que directeurs de la Commission de publication

de documents relatifs aux origines de la guerre 1939-1945.37

Selon eux, le

discours du 10 mars au Congrès du Parti communiste prononcé par Staline est

sans contredit important dans l’échec final des négociations tripartites, qui

n’étaient pourtant pas entreprises à ce moment. Lorsque ce dernier dit ne pas

vouloir laisser l’URSS être entraînée dans une guerre par les « provocateurs de

guerre habitués à faire tirer par les autres les marrons du feu », il aurait indiqué

aux dirigeants allemands que l’Union soviétique prend une nouvelle orientation

dans sa politique extérieure. Cette ouverture aurait ensuite été confirmée le 17

avril par l’ambassadeur soviétique à Berlin. Puis, le 28 avril, à la teneur du

discours d’Hitler, il semble évident pour Baumont et Renouvin que le message est

passé.38

Par la suite, les négociations germano-soviétiques qui s’entament autour

de pourparlers commerciaux en mai prennent rapidement une tournure plus

35

Ibid., p. 366. 36

Taylor, op. cit., p. 230. 37

« Commission pour la publication des documents relatifs aux origines de la guerre de 1939-

1945 », BBF [En ligne], http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1961-07-0345-001 (page consultée le

05/03/15). « Maurice Baumont », Cormoria [En ligne],

http://www.comoria.com/465136/Maurice_Baumont (page consultée le 05/03/15). 38

Baumont, op. cit., p. 886-67; Pierre Renouvin (dir.), Histoire des relations internationales. La

crise du XXe siècle. Deuxième partie. De 1929 à 1945, Paris, Hachette, 1958, p. 175.

Page 25: Université de Montréal Les historiens français et

17

importante lorsqu’en juin les Allemands proposent de discuter d’un pacte de non-

agression; ces discussions restent évidemment secrètes.39

Par contre, Renouvin, qui écrit en 1958, prend la peine de relativiser ses

affirmations sur la politique soviétique.

« L'étude critique de la politique soviétique pose des questions

d'autant plus difficiles qu'en l'absence de toute publication de

documents et de témoignages les intentions de Staline et du Bureau

politique ne peuvent être éclaircies. »40

En fait, cette section de son ouvrage pose plus de questions qu’elle offre de

réponses sur la politique étrangère soviétique et il faut retenir que ses conclusions

ne sont que partielles et certainement pas définitives. Par contre, il remet

sérieusement en doute la version officielle soviétique, selon laquelle c’est le refus

définitif de la Pologne, le 18 août, qui cause l’échec des négociations tripartites.

Selon lui, le 17 août, l’URSS avait déjà accepté la visite de Ribbentrop.41

Même

s’il utilise une formulation qui n’est pas définitive, sa vision de la politique

étrangère répond très certainement à la vision recensée chez certains historiens

par Carley d’un Staline « perfide ».

« Voir la guerre européenne s'engager “à l'ouest”, plutôt qu'à l'est tel

paraît être le désir du gouvernement russe. Staline est en droit de

penser que cette guerre sera longue, et d'espérer que l'U.R.S.S.

pourra, le moment venu, soit imposer son arbitrage [...], soit trouver

des conditions favorables à la révolution mondiale. »42

Edward H. Carr est un autre historien britannique qui s’attarde rapidement

à la politique étrangère soviétique. Ancien membre du Foreign Office où il a fait

carrière entre 1916 et 1936, il a été rapidement amené dans le cadre de ses

fonctions à travailler avec les Russes. Il est d’ailleurs principalement connu pour

39

Renouvin, op. cit., p. 182 à184. 40

Ibid., p.182; voir aussi p. 175 et 184. 41

Ibid., p. 185. 42

Ibid., p. 185-86.

Page 26: Université de Montréal Les historiens français et

18

sa série de quatorze ouvrages qu’il publie sur l’URSS.43

Mais, c’est un autre de

ses ouvrages qui retient ici notre attention : German-Soviet Relations Between the

Two World Wars, 1919-1939. Celui-ci est publié en 1951 à la suite d’une

conférence qu’il fait à The Johns Hopkins University, aux États-Unis.

Selon Carr, le changement de cap dans la politique étrangère soviétique se

fait sentir dès le 10 mars 1939, à l’occasion du discours de Staline. Il convient

toutefois qu’il est très difficile d’en tirer une conclusion claire sur l’état de cette

fameuse politique soviétique.44

« Stalin's speech of March 10th, 1939, clearly did not announce any

positive decision of Soviet policy; what it did was to keep all options

open and to hint more plainly than before that they were open. »45

Il ne croit donc pas, contrairement à Baumont et Renouvin, que le discours de

Staline signifie la fin de la recherche de coopération avec l’Ouest. Il y voit plutôt

une politique soviétique de la porte ouverte avec l’Allemagne. Ensuite, la garantie

à la Pologne viendrait confirmer, aux yeux des dirigeants soviétiques, que la

Grande-Bretagne ne désire pas intégrer l’URSS dans la diplomatie européenne.

Cela explique, selon l’auteur, que, deux semaines plus tard, le 17 avril, il se serait

amorcé un rapprochement germano-soviétique. Cette approche, bien qu’elle soit

faite hors des canaux traditionnels, est rapidement suivie par « an exchange of

public gestures ».46

Le 28 avril, Hitler prononce un discours dans lequel il

s’abstient de tous commentaires négatifs sur l’Union soviétique. Cette

« réponse » positive aux discussions informelles du 17 avril est rapidement suivie

par le renvoi de Litvinov à titre de commissaire du peuple aux Affaires étrangères

le 3 mai 1939. Toutefois, Carr s’écarte une nouvelle fois de l’école « allemande »

dans son interprétation de la démission forcée du 3 mai.

43

« E.H. Carr. A British political scientist », Encyclopedia Britannica [En ligne],

http://www.britannica.com/EBchecked/topic/96827/EH-Carr (page consultée le 05/03/15). 44

Edward H. Carr, German-Soviet Relations between the two World Wars, 1919-1939, Baltimore,

John Hopkins Press, 1951, p. 126. 45

Ibid., p. 127. 46

Ibid., p. 129.

Page 27: Université de Montréal Les historiens français et

19

« Litvinov had been closely associated with the policy of collective

security and was a Jew. The sudden decision, as officials correctly

proclaimed, did not in itself herald a change of policy. Since Stalin's

speech of March 10th, 1939, had made clear that two options were

open, the presence at the head of Narkomindel of a commissar so

publicly and conspicuously committed to one of them had become an

anomaly; in this sense the change was a gesture of friendliness to

Germany. »47

Il concède que c’est un geste d’ouverture envers l’Allemagne, mais il soutient que

même après le 3 mai, il n’y a pas qu’une seule politique envisagée par les

dirigeants de l’URSS. La décision soviétique, d’opter pour une entente avec

l’Allemagne aurait plutôt été prise au cours de l’été, alors que « the race between

the two bidders for Soviet friendship had become uneven; the impression could

not be avoided at Moscow that one side [Allemagne] was trying very hard and the

other side [France et Grande-Bretagne] not trying at all. »48

Alors que la thèse de Churchill est généralement associée à l’école de

pensée « allemande », la thèse de Carr est définitivement liée à celle de la

realpolitik.

« The essential aim of Soviet foreign policy at this time was to avoid

isolation: an understanding with one or other of the rival capitalist

groups was a condition of Soviet security. By August 1939 the Soviet

leaders had finally convinced themselves that the Chamberlain

government, whose attitude dominated that of France, was

irrevocably opposed to effective co-operation with Soviet Russia. »49

Ce qui frappe dans cette citation, c’est que déjà en 1951, il se trouve en Occident

un historien qui soutient une thèse qui ne place pas l’URSS en porte à faux. On

comprend bien ici que, selon Carr, l’Union soviétique désirait une entente avec

l’Ouest, mais devant l’incapacité britannique à soumettre une entente satisfaisante

pour la sécurité soviétique, les dirigeants choisissent la meilleure offre disponible.

« It was not till the end of July that the ice began to melt; and this was

plainly connected on the Soviet side with the deadlock in the political

negotiations with Britain and France and the visit to London of a

German economic commission headed by Wohltat. On July 22 it was

announced that Soviet-German trade negotiations had been resumed

47

Ibid., p. 129-130. Narkomindel : Commissariat du people pour les Affaires étrangères. 48

Ibid., p. 133. 49

Ibid., p. 135.

Page 28: Université de Montréal Les historiens français et

20

in Berlin. The Germans now decided to speak more frankly, but

through an informal channel. »50

Cette école de pensée, il faut en convenir, est marginale avant 1961. Mais, elle

n’obtient pas toujours sa juste place dans les bilans historiographiques concernant

les décennies 1970-1980, alors qu’elle est soutenue par un nombre considérable

d’historiens occidentaux, et ce, en pleine Guerre froide.

A.J.P. Taylor : l’apparition de l’école de pensée de la sécurité collective

en Occident

Nous proposons d’amorcer l’analyse de la période étudiée (1961-2011)

par un ouvrage majeur, The Origins of the Second World War d’Alan John

Percivale Taylor (1906-1990) qui est constamment cité tout au long du débat

historiographique de 1961 à 2011 et qui représente très bien la période d’étude

1961-1974. Taylor était un historien et journaliste anglais spécialiste de l’histoire

diplomatique européenne des 19e et 20

e siècles. Durant l’ensemble de sa carrière,

il a été reconnu pour ses positions controversées. Toutefois, son ouvrage qui a eu

le plus d’influence est sans aucun doute celui sur les origines de la Deuxième

Guerre mondiale. Il y avance, entre autres, qu’Hitler « exploited events far more

than he followed precise and coherent plans »51

, et que le rôle de l’Union

soviétique dans l’origine de la guerre relève surtout de la « haphazard and

accidental nature of much of Soviet policy and action ».52

Et, contrairement aux

ouvrages parus depuis la Seconde Guerre mondiale, il se garde de critiquer trop

ouvertement l’appeasement des gouvernements anglais et français. Geoffrey

Roberts écrit en 1995 :

« For more than 30 years historical debate on outbreak of the Second

World War has centred on one book : A.J.P. Taylor’s The Origins of

the Second World War. In the various controversies generated by the

Origins attention has focused mainly on Taylor’s depiction of Hitler

as a tactical improviser in foreign policy rather a fanatical ideologist

50

Ibid., p. 132. 51

Taylor, op. cit., Second thoughts, non paginé. 52

Geoffrey Roberts, The Soviet Union and the origins of the Second World War : Russo-German

relations and the road to war, 1933-1941, New York, St. Martin’s Press, 1995, p. 8.

Page 29: Université de Montréal Les historiens français et

21

bent on war, and on his sympathetic treatment of British and French

appeasement of Germany. »53

Ainsi, l’analyse de Taylor sur les causes de la Deuxième Guerre mondiale est

innovatrice en Occident et modifie considérablement le débat historiographique

des causes de la Deuxième Guerre mondiale.

Dans son ouvrage, Taylor accorde beaucoup d’importance aux causes

immédiates de la Seconde Guerre mondiale, ce qui restera un élément important

du débat durant l’ensemble de la période de la Guerre froide. Il est donc

indéniable pour lui que les pourparlers anglo-franco-soviétiques de 1939 jouent

un rôle primordial dans les causes de la guerre. Là où Taylor se démarque le plus

de la thèse de Churchill, c’est lorsqu’il affirme que l’Union soviétique a tenté

jusqu’en août de s’entendre avec la France et la Grande-Bretagne. Selon lui, le

renvoi de Litvinov ne signifie pas un changement dans la politique étrangère

soviétique et n’explique donc pas l’échec des négociations tripartites. Jusqu’ici sa

thèse peut ressembler à celle de Carr, toutefois il ne croit pas que l’URSS ait joué

double jeu avec l’Allemagne; Staline avait la conviction que les pays de l’ouest

auraient le sentiment que l’entente pouvait leur glisser entre les mains et feraient

davantage de concessions à l’Union Soviétique.54

Ainsi, la politique soviétique, entre mars et août 1939, est d’obtenir une

alliance avec l’Ouest. Mais, elle doit démontrer avec fermeté son intention de

défendre le statu quo en Europe. Devant l’incapacité à produire une entente

politique satisfaisante pour les deux camps, les Soviétiques proposent des

discussions militaires en espérant que les litiges politiques se régleront d’eux-

mêmes, mais encore une fois, ce sera un échec. Carley résume très bien la pensée

de l’historien britannique : « Taylor conclut que l’Ouest ne laissa pas d’autre

choix au gouvernement soviétique que de conclure le pacte de non-agression avec

53

Ibid., p. 1. 54

Taylor, op. cit., p. 214.

Page 30: Université de Montréal Les historiens français et

22

Hitler. »55

Il estime donc que le Pacte Molotov-Ribbentrop est une conséquence

de l’échec des négociations tripartites et non la cause.

Ainsi, avec Taylor en 1961, les trois écoles de pensée sur l’échec des

négociations tripartites en Grande-Bretagne et en France sont implantées.

Dorénavant, celles-ci vont interagir entre elles et faire évoluer le débat dans une

joute intellectuelle beaucoup moins politisée qu’on pourrait le penser.

55

Carley, op. cit., p. 14.

Page 31: Université de Montréal Les historiens français et

23

Chapitre premier. 1961-1974, Taylor provoque une

modification majeure dans le débat

En analysant les réponses que les historiens ont apportées aux questions

que nous avons définies dans notre problématique, nous allons établir quels ont

été les courants d’idées dominants et quels étaient leurs arguments durant la

période de 1961 à 1974. Celle-ci est marquée par la publication de l’ouvrage

d’A.J.P. Taylor, qui soutient une thèse nouvelle en Occident, rendant le débat

plus diversifié en France et en Grande-Bretagne. En fait, à cette époque, les

historiens se retrouvent plutôt divisés entre les trois écoles de pensée. Alors que

l’analyse que fait Georges Bonnet appuie la thèse de Taylor et de la sécurité

collective, Jean-Baptiste Duroselle et Leonard Mosley alimentent la version

d’Edward H. Carr et de la realpolitik, tandis que Maurice Baumont et D.C. Watt

soutiennent l’école « allemande ».

Cette période est de loin celle durant laquelle il y a eu le moins d’ouvrages

publiés en lien avec notre problématique entre 1961 et 2011. L’absence de

nouveauté dans les sources disponibles explique en partie ce manque d’intérêt.

Du côté de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne, les documents

disponibles ont déjà été analysés à maintes reprises, puisque, pour la plupart, ils

ont été publiés entre 1946 et 1950. Ainsi, lorsque D.C. Watt écrit en 1974, il se

base essentiellement sur les mêmes archives que Taylor et les historiens des

années 1950. L’avantage de Watt, qui écrit 13 ans après Taylor, se résume à

quelques mémoires publiés durant les années 1960, dont celui d’Ivan Maisky,

ambassadeur soviétique à Londres. Malgré tout, étudier la politique soviétique

durant cette période reste très difficile :

« We do not know what Soviet ambassadors reported to

Moscow or whether the Soviet government read their reports. [...]

Page 32: Université de Montréal Les historiens français et

24

Where evidence is lacking historians can only make conjectures from

outward appearance - or from their own prejudices. »56

Les historiens se contentent donc généralement d’émettre des hypothèses, en

évitant les formulations définitives.

L’une des principales préoccupations des historiens était alors d’établir à

quel moment la politique étrangère de l’Union Soviétique avait été déviée de son

objectif avoué depuis 1934, qui était d’établir une sécurité collective contre toute

agression allemande éventuelle. La décision a-t-elle été prise dès le début des

négociations anglo-franco-soviétiques ou à la toute fin? Les historiens cherchent

aussi à expliquer la nature de la décision soviétique de s’entendre avec

l’Allemagne : est-ce la réussite d’une politique pro allemande établie dès le début

du printemps 1939, ou un choix logique, imposé par une realpolitik effective

depuis le début des négociations, ou encore simplement une décision de dernière

minute, imposée par l’échec des négociations tripartites? Une autre préoccupation

était d’établir si la politique soviétique devait être tenue responsable de l’échec.

L’objectif n’était pas de trouver un coupable, alors que tous reconnaissent que les

trois pays concernés ont leurs torts, mais bien de déterminer la principale cause de

l’échec des négociations : est-ce la politique soviétique ou bien celle de l’Entente

qui doit d’abord être mise en cause?

I. À quand remonte la décision soviétique de prioriser une

entente avec l’Allemagne?

Il y a deux explications avancées quant au moment de la décision

soviétique de rechercher d’abord une alliance avec l’Allemagne. La première, la

plus répandue durant la période 1945-1960, est celle d’une décision précoce.

Maurice Baumont et D.C. Watt, qui écrivent respectivement en 1969 et 1974, ne

situent pas la date de la décision soviétique au même moment, mais s’entendent

56

Taylor, op. cit., p.230.

Page 33: Université de Montréal Les historiens français et

25

sur le fait qu’elle est prise bien avant la signature du Pacte germano-soviétique.

Selon Baumont, tout comme il l’indiquait dans son précédent ouvrage publié dans

les années 1950, c’est le discours de Staline au Congrès du Parti communiste qui

annonce l’abandon de la politique de sécurité collective et l’avènement de la

politique d’accommodement avec l’Allemagne. Il s’appuie d’ailleurs sur un

commentaire du dirigeant soviétique au ministre des Affaires étrangères allemand

à l’occasion de la signature du Pacte germano-soviétique, le 23 août 1939 :

« Staline déclarera à Ribbentrop qu’il a prononcé son discours du 10 mars pour

bien marquer sa volonté de rapprochement avec l’Allemagne : elle l’a

compris. »57

Ainsi, dans la logique de Baumont, le remplacement du 3 mai du

commissaire aux Affaires étrangères Maxim Litvinov, un juif, par Molotov,

connu pour ses tendances pro allemandes, illustre bien le glissement qui s’est

opéré dans la politique étrangère soviétique.58

De son côté, D.C. Watt ne croit pas que la décision ait été prise au

moment du discours de Staline du 10 mars. Il se base plutôt sur le mouvement de

personnel au mois d’avril qui est ensuite suivi d’une recrudescence des relations

germano-soviétiques pour appuyer sa thèse.

« It must have been in that last fortnight of April that the Soviet

decision was taken. Ivan Maisky, the Soviet Ambassador in London,

had been recalled to Moscow on 15 April. Alexei Merekalov was

recalled on 19 April. [...] Litvinov’s dismissal and Molotov’s

accession were followed by a series of visits to the German Foreign

Ministry by Georgi Astakhov on 5 May and 9 May [...] and then

again on 17 May for a further conversation with Schnurre. The Soviet

decision had clearly been taken. »59

Il affirme ainsi que le tournant dans la politique soviétique se fait durant la

deuxième moitié du mois d’avril 1939. Dans cette optique, Watt et Baumont

remettent très certainement en doute la nature des négociations tripartites, du

point de vue soviétique.

57

Maurice Baumont, Les origines de la Deuxième Guerre mondiale, Paris, Payot, 1969, p. 333. 58

Ibid., p. 333. 59

D.C. Watt, « The Initiation of the Negotiations Leading to the Nazi-Soviet Pact : A Historical

Problem » dans Chimen Abramsky, Essays in Honour of E. H. Carr, London, Macmillan, 1974, p.

164. Alexei Merekalov : ambassadeur soviétique à Berlin, Georgi Astakhov : chargé d’affaires

soviétique à Berlin; Karl Schnurre : conseiller commercial allemand.

Page 34: Université de Montréal Les historiens français et

26

Les tenants des deux autres écoles ne sont pourtant pas d’accord avec

cette thèse, ils appuient plutôt l’idée d’une décision tardive. Pour A.J.P. Taylor,

l’URSS recherche une entente avec l’Ouest jusqu’au moment où elle est

convaincue que les Français et les Britanniques les mènent en bateau et qu’ils

tentent de provoquer une guerre entre Soviétiques et nazis. Selon lui, c’est vers la

fin de juillet que la décision est donc prise.60

De son côté, l’historien français

Jean-Baptiste Duroselle écrit, dans une section intitulée « Les hésitations de

l’U.R.S.S. » :

« La perspective d’une guerre à propos de Dantzig rendait

particulièrement importante la collaboration avec l’U.R.S.S. Il n’est

pas étonnant que les Démocraties occidentales et l’Allemagne

hitlérienne, aient cherché à la ranger dans leurs camps respectifs.

Jusqu’au mois d’août, le choix de l’U.R.S.S n’est sans doute pas

fait. »61

Il repousse donc encore un peu plus loin la décision soviétique de rechercher une

entente avec l’Allemagne. Cette version est aussi appuyée par Georges Bonnet.

Selon lui, l’accord politique est acquis vers la fin de juillet, mais la rupture arrive

au mois d’août lorsque les Polonais refusent catégoriquement de laisser passer les

troupes soviétiques. C’est alors que Staline se tourne vers Hitler.62

De son côté,

Leonard Mosley appuie aussi la version d’une décision tardive. Selon lui, c’est à

la réunion du Politburo63

du 14 août que la balance penche en faveur de

l’Allemagne, après que le maréchal Clément Vorochilov, qui menait les

discussions militaires pour l’URSS avec les délégations françaises et

britanniques, ait rapporté que l’Ouest n’envisageait pas sérieusement de conclure

une entente pour l’instant.64

« It was time the game was halted. Let the democracies take the

consequences of their deception; they had asked for them long

enough. The U.S.S.R. should begin political negotiations with the

60

Taylor, op. cit., p. 240. 61

Jean-Baptiste Duroselle, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1971 [1953]

p. 235. 62

Georges Bonnet, De Munich à la guerre, Paris, Plon, 1967, p. 366 et 373. 63

Politburo : « the supreme policy-making body of the Communist Party of the Soviet Union ».

« Politburo », Encyclopedia Britannica [En ligne],

http://www.britannica.com/EBchecked/topic/467548/Politburo (page consultée le 03/06/15). 64

Mosley, op. cit., p. 336.

Page 35: Université de Montréal Les historiens français et

27

Reich, and Stalin indicated that Molotov should let the Germans

know. »65

Ainsi, ce qui ressort de l’analyse des écrits des principaux historiens franco-

britanniques entre 1961 et 1974, c’est que, déjà, les tenants de la théorie d’une

décision tardive sont présents dans une plus grande proportion dans ces deux pays

que ce que Geoffrey Roberts laisse entendre pour l’ensemble de l’Occident66

.

Évidemment, cela ne saurait être suffisant pour démontrer que l’interprétation de

la politique étrangère soviétique n’était pas influencée par un discours politique

ou par la Guerre froide. Toutefois, il reste que l’idée selon laquelle l’URSS avait

pris sa décision de s’entendre avec l’Allemagne dès le début des négociations

anglo-franco-soviétiques n’est plus considérée comme la plus plausible par une

large part d’historiens franco-britanniques suite à la publication de l’ouvrage de

Taylor au début des années 1960.

II. La perception de la nature de la politique étrangère

soviétique durant les négociations tripartites

C’est dans leur perception de la politique étrangère soviétique que les trois

écoles de pensée se distinguent le plus. En proposant que la décision soviétique

de rechercher en premier lieu une entente avec l’Allemagne ait été prise avant que

les discussions anglo-franco-soviétiques aient été sérieusement engagées, l’école

« allemande » véhicule, effectivement, l’idée d’un Staline qui a « trompé » les

pays occidentaux.

« Négociant des deux côtés à la fois, Staline est maître de la

partie. Il se couvre en s’entretenant avec Londres; il cultive les

ouvertures allemandes. »67

65

Ibid., p. 336. 66

Roberts, « The Soviet Decision… », loc. cit., p. 58 67

Baumont, Les origines…, op. cit., p. 336.

Page 36: Université de Montréal Les historiens français et

28

Selon Maurice Baumont, ancien membre du secrétariat de la Société des Nations

entre 1919 et 193968

, l’offre soviétique aux Allemands devient plus concrète le 20

mai 1939, alors que Molotov propose à Schulenberg, l’ambassadeur allemand à

Moscou, « de lier des négociations politiques aux négociations économiques. »69

Devant cette proposition, les Allemands, doutant de la sincérité de la proposition

soviétique, demandent des explications. Selon lui, à la fin mai, les conversations

sont engagées entre les deux pays. Les Soviétiques se permettent même d’insister

le 28 juin, alors que Molotov déclare à Schulenberg « qu’une normalisation des

relations germano-soviétique est “désirable et possible”. »70

Il présente ainsi les

Soviétiques comme étant décidés et en attente d’une décision allemande. On

comprend, implicitement, que, selon Baumont, si les Allemands n’avaient pas

hésité, le Pacte germano-soviétique aurait été conclu plus tôt.71

D.C. Watt, en 1974, corrobore la version présentée par Baumont. Selon

lui, suite au coup de Prague, l’URSS est tentée de continuer sa politique

de sécurité collective. Toutefois, la garantie britannique accordée à la Pologne

provoque une rupture des relations polono-germaniques et permet la reprise des

relations diplomatiques entre Berlin et Moscou.72

Il croit, lui aussi, que si le Pacte

germano-soviétique n’est pas conclu plus rapidement, c’est, en grande partie, en

raison de l’hésitation allemande. Selon lui, Ribbentrop a tenté une dernière fois de

solidifier les relations de Berlin avec Rome et Tokyo et ce ne serait qu’à la suite

de cet échec qu’il accepte, à partir de juillet, d’envisager une alliance avec

l’ennemi juré des nazis.73

Avec Baumont et Watt, il est effectivement difficile de nier qu’on

présente Staline comme « perfide », puisque la conclusion du Pacte Molotov-

Ribbentrop est vue comme l’aboutissement d’une politique soviétique poursuivie

68

« Maurice Baumont », Cormoria, op. cit., [En ligne]. 69

Ibid., p. 333. 70

Ibid., p. 334. 71

Ibid., p. 333 à 338. 72

Watt, loc. cit., p. 160 à 164. 73

Ibid., p. 164-65.

Page 37: Université de Montréal Les historiens français et

29

depuis plusieurs mois. Toutefois, la véritable question demeure : est-ce que cette

vision est dominante en Grande-Bretagne et en France entre 1961 et 1974?

Avec Taylor, la sincérité des Soviétiques n’est pas remise en doute. Il

croit que l’URSS recherchait avant tout la sécurité en Europe et que, de toute

façon, ses dirigeants n’avaient pas plus confiance en Hitler qu’en les chefs des

gouvernements britannique et français, Neville Chamberlain et Édouard

Daladier.74

« Alliance with the Western Powers seemed the safer course, so long

as it brought increased security for Soviet Russia and not merely

increased obligation to support an unwilling Poland. Lacking direct

evidence to the contrary - indeed lacking any such evidence on Soviet

policy - we may safely guess that the Soviet government turned to

Germany only when this alliance proved impossible. »75

Dans cet extrait, Taylor ne présente pas Staline comme « perfide », mais bien

comme « contraint » à se tourner vers l’Allemagne en raison de l’échec des

négociations avec la Grande-Bretagne et la France.

Pour en arriver à cette conclusion différente, il est évident qu’il faut

recourir à une autre interprétation de la signification des événements. Par

exemple, Taylor explique pourquoi il ne croit pas que le remplacement de

Litvinov ait été un signe de rupture dans la politique étrangère soviétique, ce que

suggèrent Baumont et Watt. Il affirme dans The Origins of the Second World War

que le renvoi du commissaire du peuple aux Affaires étrangères le 3 mai 1939 est

plutôt un signe que ce poste prend de l’importance pour l’Union soviétique.

Effectivement, Molotov étant l’homme de confiance de Staline, sa nomination

assurait un meilleur contrôle de la politique extérieure. En plaçant son meilleur

atout dans cette position stratégique, le secrétaire général du Parti communiste

croyait pouvoir soutirer la meilleure entente possible à l’Ouest76

, puisque,

contrairement à Litvinov, Molotov n’avait pas la réputation d’être favorable au

74

Taylor, op. cit., p. 241. 75

Ibid., p. 241. 76

Ibid., 233.

Page 38: Université de Montréal Les historiens français et

30

concept de la sécurité collective, ce qui allait obliger l’Ouest à respecter

davantage l’Union soviétique.77

Georges Bonnet ne croit pas, lui non plus, que le renvoi de Litvinov

démontre une rupture dans la politique soviétique. Selon lui, le chargé d’affaires

soviétique à Berlin, Georgi Astakhov, aurait signifié à Robert Coulondre,

ambassadeur français à Berlin, qu’un conflit de personnalités existait entre Staline

et le commissaire aux Affaires étrangères. Ainsi, son départ était prévisible

depuis plusieurs mois. Litvinov aurait été trop rigide dans sa vision de la sécurité

collective, en plus d’entretenir une hostilité envers les Polonais, qui était bien

connue dans le milieu.78

« Avec Molotov, membre du Politburo, dépositaire de la

pensée de Staline, la politique extérieure soviétique ne pourra que gagner en

clarté et en précision ».79

L’interprétation des initiatives ayant mené à l’entente germano-soviétique

est un autre point qui ne fait pas l’unanimité. Taylor ne croit pas, contrairement à

Baumont et Watt, que ce sont les Allemands qui hésitent, mais bien les

Soviétiques. Selon lui, les nazis tentent de profiter de la situation puisque :

« From the moment that Poland became the immediate target of German

hostility, Soviet Russia was automatically transformed for Germany into a

possible neutral, or perhaps even an ally. »80

Alors, l’Allemagne, cherchant à

éviter qu’une puissance étrangère ne vienne défendre la Pologne, laisse savoir

qu’un rapprochement avec l’Union soviétique pourrait être le bienvenu.

Toutefois, les Soviétiques ne se montrent pas intéressés, pour l’instant.81

Encore une fois, cette version est appuyée par Georges Bonnet. L’ancien

ministre des Affaires étrangères français affirme que l’historique des négociations

ne concorde pas avec la version avancée par l’école « allemande ».

77

Ibid., p. 214. 78

Robert Coulondre dans Bonnet, op. cit., p. 345 79

Ibid, p. 345. 80

Taylor, op. cit., p. 223. 81

Ibid., p. 224.

Page 39: Université de Montréal Les historiens français et

31

« Comment nous ferait-on croire que la Russie, cruellement déçue par

les accords de Munich, s'était détachée de la France et de l'Angleterre

et désintéressée des affaires d'Europe à partir d'octobre 1938, lorsque

nous la voyons au contraire, pendant toute l'année 1939, poursuivre

avec nous de longs et difficiles pourparlers? Elle accepte de signer, on

l'a vu, en mars 1939 avec la France, l'Angleterre, la Pologne, une

déclaration commune contre l'agression; elle commence en avril 1939

les négociations relatives à la sécurité de l'Est européen, et elle se

déclare prête à conclure immédiatement un accord d'assistance anglo-

franco-russe en juin 1939. »82

Cette citation démontre que, selon Bonnet, l’appeasement de 1938 n’aurait pas eu

pour effet de repousser l’URSS vers l’Allemagne, comme Churchill l’a affirmé

dans The Gathering Storm. Mais, surtout, elle démontre que, selon lui, la sincérité

soviétique durant les négociations ne peut être remise en doute. Le premier

objectif de l’Union soviétique en 1939 était d’éviter une guerre avec l’Allemagne.

Ce n’est que lorsqu’elle comprend que la Pologne n’acceptera pas le passage des

troupes soviétiques sur son territoire en août 1939 que, brusquement, le réalisme

prend le dessus et que l’offre allemande devient intéressante.83

Michael J. Carley faisait remarquer dans son ouvrage, en 1999, que le

Pacte Molotov-Ribbentrop, remis dans le contexte de l’été 1939, était de la

realpolitik : « cela semblait être le seul moyen d’assurer la sécurité, au moins à

court terme, de l’URSS. » Il faisait aussi remarquer que les « révisionnistes », qui

soutiennent que l’appeasement était de la realpolitik, devraient se réjouir, dans ce

cas, de son équivalent soviétique.84

Il se trouve qu’en 1967, Georges Bonnet

faisait une analyse semblable. Il ne nie pas que l’URSS souhaite une révision du

Traité de Versailles, mais il refuse de voir dans la décision soviétique de

s’entendre avec l’Allemagne un désir d’expansion impériale injustifiable. En

replaçant le concept de sécurité au centre des préoccupations soviétiques, il y voit

plutôt une politique guidée par la prudence et la prévoyance.85

« son gouvernement prend des dispositions pour que les hostilités se

déroulent le plus loin possible de sa capitale. Il se préoccupe donc de

82

Bonnet, op. cit., p. 373. 83

Ibid., p. 374-375. 84

Carley, op. cit., p. 15. 85

Bonnet, op. cit., p. 374 à 376.

Page 40: Université de Montréal Les historiens français et

32

reprendre les provinces qui lui ont été enlevées en 1920 […] Et c’est

sans doute parce qu’il aura ainsi reculé le point de départ de

l’offensive de Hitler de juin 1941, qu’il évitera alors la prise de

Moscou et de Leningrad par les Allemands. »86

Dire qu’il s’en réjouit serait exagéré, mais il faut tout de même souligner que,

pour un contemporain impliqué directement dans les événements, il fait preuve

d’une grande lucidité. Ainsi, pour Bonnet, lorsque l’URSS comprend que

l’entente avec l’Ouest n’aura pas lieu, elle fait preuve de réalisme politique. Dans

sa vision, il n’y a donc pas de Staline qui trahit les pays occidentaux, mais

seulement un dirigeant qui, devant l’impasse des négociations tripartites, choisit

d’assurer la sécurité de son pays, du moins à court terme.

Jean-Baptiste Duroselle et Leonard Mosley tiennent des positions qui se

retrouvent à mi-chemin entre celles de Watt et Taylor. Même s’ils soutiennent

que la décision soviétique de s’entendre à l’Allemagne est intervenue à la toute

fin des négociations anglo-franco-soviétiques, ils croient que, dès le mois de

mars, l’URSS s’engage dans « deux négociations parallèles. »87

Dans cette

optique, l’historien français soutient que ce sont les Soviétiques qui font les

premiers pas.

« Tout porte à croire que l'initiative d'un rapprochement entre

l'Allemagne et l'U.R.S.S. vint de ce dernier pays et que la nomination

de Molotov, le 3 mai, au poste de commissaire du peuple aux Affaires

étrangères avait pour but d'éliminer les obstacles que la personnalité

de Litvinov pouvait opposer à un tel rapprochement. »88

Sur le renvoi de Litvinov, Duroselle ajoute que, malgré les déclarations

officielles, la situation est « unanimement interprété[e] comme l'indice d'un

changement possible de la politique soviétique ».89

Cela ne manque pas de

rappeler que Georges Bonnet citait le chargé d’affaires soviétiques à Berlin, par

l’entremise de Robert Coulondre, pour affirmer que le congédiement du

commissaire aux Affaires étrangères ne signifiait pas un changement de politique.

Toutefois, même si Duroselle concède que le rapprochement est initié par les

86

Ibid., p. 374. 87

Duroselle, op. cit., p. 235; Mosley, op. cit., p. 245 à 247. 88

Duroselle, op. cit., p. 239. 89

Ibid., p. 236.

Page 41: Université de Montréal Les historiens français et

33

Soviétiques, il croit que « l’U.R.S.S. paraissait s’orienter du côté des

Démocraties »90

dès le début des négociations et que la décision allemande est

prise à la fin mai. Selon lui, c’est plutôt Molotov qui reste vague et non

Schulenberg, à la fin du mois de juin, contredisant ainsi la version de Maurice

Baumont. De plus, selon Duroselle, le 26 juillet, Schnurre présente à Astakhov un

plan afin d’améliorer les relations germano-soviétiques, alors que ce dernier

concède qu’il y a un intérêt soviétique, il rappelle que le tout doit être fait de

façon progressive. Puis, suite à l’accord politique anglo-franco-soviétique à la fin

de juillet et à l’annonce de discussions militaires prochaines, les Allemands

seraient revenus à la charge lorsque Schulenberg va à la rencontre de Molotov le

4 août. Par la suite, les Allemands forcent la conclusion rapide de l’entente en

raison du délai imposé par la décision d’Hitler d’attaquer la Pologne

prochainement.91

De son côté, Leonard Mosley s’en tient à la version d’une Allemagne

hésitante à se lancer dans un véritable rapprochement avec l’Union soviétique, ce

qui ne l’empêche pas de croire que les dirigeants soviétiques aussi hésitaient.

« For the moment the Soviet government were not anxious to show

their hand in the great poker game which was now beginning, and

their reluctance was undoubtedly due to the fact that they were still

not sure whether the cards they held would win. [...] From the

Kremlin, Stalin and his Politburo looked westward suspiciously; they

knew they could trust neither side. They feared that at any moment

the procrastinating representatives of democracies and the tempting

talkers in Berlin would reveal themselves as tricksters, and turn to

each other once again as they had at Munich, leaving the Russians

more isolated than ever. It was time for caution. »92

Ainsi, les dirigeants soviétiques étant indécis et méfiants conservent les deux

options ouvertes. C’est dans cette optique que Staline décide de prendre

l’initiative d’approcher l’Allemagne à la mi-juillet, « if only to put pressure on

the British and French. »93

C’est donc aux termes de quelques mois de realpolitik,

durant lesquels deux options ont été explorées, qu’un choix s’impose. Face à

90

Ibid., p. 235. 91

Ibid., p. 240-241. 92

Mosley, op. cit., p. 288. 93

Ibid., p. 288.

Page 42: Université de Montréal Les historiens français et

34

l’empressement allemand jumelé à l’inertie des pays occidentaux dans les

négociations militaires et au refus polonais de laisser passer les troupes de

l’Armée rouge sur son territoire94

, les dirigeants soviétiques prennent la décision

qu’ils jugent la meilleure pour leur pays : « Schnurre montra que l’Allemagne

pouvait offrir à l’U.R.S.S. beaucoup plus d’avantages que l’Angleterre. »95

Encore une fois, on présente la politique de Staline comme tout d’abord orientée

vers l’Ouest, mais qui se doit de faire un choix logique pour assurer le meilleur

intérêt de son pays.

Lorsqu’on prend le portrait global que l’ensemble des historiens franco-

britanniques dessine de la nature de la politique étrangère soviétique entre 1961 et

1974, on comprend rapidement qu’il est encore flou et que beaucoup de travail

reste à faire. Malgré cela, il est possible d’identifier que pour la majorité des

auteurs, et pour deux écoles de pensée sur trois, les Soviétiques n’optent pas pour

une politique unique de recherche d’alliance avec l’Allemagne dès le début du

printemps 1939. Pour ces historiens, Staline et Molotov recherchent en premier

lieu une entente avec la Grande-Bretagne et la France durant les négociations, et

ce, même si certains croient qu’ils négociaient effectivement avec les Allemands

durant cette même période. Dans les deux cas, ces écoles de pensée attribuent la

décision soviétique en faveur de l’Allemagne au réalisme politique devant l’échec

des négociations tripartites et non pas à une politique préétablie et poursuivie de

façon à « tromper » les Puissances de l’ouest.

III. La responsabilité principale de l’échec des négociations

tripartites : la politique étrangère soviétique?

Dans le cas de D.C. Watt et Maurice Baumont, nous avons vu qu’ils

affirment que l’accord germano-soviétique est la conclusion d’une politique

94

Duroselle, op. cit., p. 237-38. 95

Ibid., p. 240.

Page 43: Université de Montréal Les historiens français et

35

menée par les dirigeants soviétiques depuis déjà plusieurs mois. L’historien

britannique n’aborde pas la question de la responsabilité de l’échec dans son court

article, alors que, du côté de l’historien français, on comprend que les Soviétiques

doivent être tenus responsables, puisqu’ils ont négocié uniquement pour se

couvrir d’une entente germano-britannique.

La position de Taylor, Mosley, Duroselle et Bonnet, qui affirment que

l’URSS recherchait en premier lieu une entente avec l’Ouest au moins jusqu’en

juillet, ne signifie pas nécessairement que la faute de l’échec revient à la Grande-

Bretagne et à la France. Il serait donc possible que, malgré tout, la politique

soviétique ait provoqué l’échec des négociations, aux yeux des historiens franco-

britanniques. Nous allons donc explorer ce que ceux-ci ont perçu comme étant

l’élément principal de l’échec des négociations, afin d’établir si la tendance

majoritaire présente dans les années 1950, selon laquelle l’Union soviétique était

en grande partie responsable de l’échec, a persisté.

Pour A.J.P. Taylor, qui soutient que l’URSS a dû improviser au mois

d’août son entente avec l’Allemagne, l’élément principal de l’échec ne se trouve

pas dans la politique étrangère soviétique.

« The Soviet apprehensions of a European alliance against Russia

were exaggerated though not groundless. But quite apart from this –

given the Polish refusal of Soviet aid, given too the British policy of

drawing out negotiations in Moscow without seriously striving for a

conclusion -- neutrality, with or without a formal pact, was the most

that Soviet diplomacy could attain »96

Selon lui, c’est la politique britannique qui doit être pointée du doigt, à

commencer par la garantie accordée à la Pologne le 31 mars 1939, qui a eu un

impact majeur sur le déroulement des négociations. C’est un « chèque en blanc »

donné à Beck, ministre des Affaires étrangères polonais, et, en plus, ils n’ont

exigé aucune concession en retour.

96

Taylor, op. cit., p. 263

Page 44: Université de Montréal Les historiens français et

36

« the Poles alone were to judge whether it should be called upon. The

British could no longer press for concessions over Danzig; equally

they could no longer urge Poland to co-operate with Soviet

Russia. »97

Lorsque la Pologne se montre intransigeante quant à la question d’élargir

le traité à la Roumanie et à l’URSS, les Britanniques prennent alors conscience

du droit de veto qu’ils viennent de donner aux Polonais sur leurs propres

négociations avec les Soviétiques, puisque ceux-ci exigent un droit de passage sur

le territoire de la Pologne. Paradoxalement, avec l’entente anglo-polonaise, l’aide

soviétique devient encore plus impérative, puisque la position géographique de la

Grande-Bretagne n’est pas optimale pour venir en aide à la Pologne en cas

d’attaque allemande. C’est donc en raison de ce « chèque en blanc » que la

Grande-Bretagne et la France ne pourront accepter que les troupes soviétiques

passent sur le territoire de la Pologne et c’est pourquoi Taylor affirme que l’Ouest

ne laissa pas d’autre choix à l’URSS.98

« The unthinking guarantee to the Poles which Chamberlain had

given so readily earlier in the year to show Hitler and the British

public that he meant business was now going to drag his country into

war. »99

Cette citation, tirée de l’ouvrage de Leonard Mosley, ne laisse aucun doute sur le

fait qu’il est d’accord avec la version de Taylor, quant à la responsabilité de

l’échec. Il va même jusqu’à affirmer que Neville Chamberlain ne désirait pas

d’une entente avec l’Union soviétique.100

La position de Taylor est aussi soutenue

par Martin Gilbert et Richard Gott dans The Appeasers, publié en 1963. Ces

derniers affirment que Chamberlain réalise, après les rencontres avec Beck au

début d’avril, qu’il s’est mis dans l’eau chaude en donnant une garantie à la

Pologne sans avoir préalablement exigé des concessions. La Grande-Bretagne se

retrouve donc en mauvaise posture, puisqu’elle a déjà publicisé sa garantie. Elle

ne peut pas la renier sans montrer des signes de faiblesse et essuyer les critiques

97

Ibid., p. 211. 98

Carley, op. cit., p. 14. 99

Mosley, p. 386. 100

Ibid., p. 270.

Page 45: Université de Montréal Les historiens français et

37

de l’opinion publique; mais, en maintenant cette garantie, il n’y a plus de

possibilités d’entente entre la Pologne, la Roumanie et l’Union Soviétique.101

De

plus, ils remettent en doute la volonté britannique de s’entendre avec Staline

lorsqu’ils abordent le problème du passage des troupes soviétiques en Pologne.

« Bonnet still hoped to change Beck's firmness. He thought it would

be possible to refuse to sign an Anglo-Polish Treaty until Poland

agreed to the passage of Soviet troops. The British, unwilling to be

committed to a Soviet alliance, would not put undue pressure on

Poland. »102

Ainsi, Gilbert et Gott en arrivent aussi à croire que l’obstination des Anglais à

respecter la souveraineté polonaise mènera à l’échec des négociations : « Denied

a democratic ally, Stalin accepted a totalitarian one. »103

Que ce soit Taylor,

Mosley ou Gilbert et Gott, ils en viennent tous à reprocher aux dirigeants

britanniques de n’avoir pu abandonner complètement l’appeasement, qui a causé

l’échec des négociations tripartites.104

Georges Bonnet, qui était un acteur important des événements du côté

français, ne soutient toutefois pas que l’appeasement ait de lien avec l’échec des

négociations. Il affirme même que « ce n’est nullement la participation anglaise à

notre négociation qui amena l’échec des pourparlers ».105

Seul le refus de

coopérer des Polonais doit être reconnu comme étant responsable de l’échec des

négociations, puisque c’est la seule condition essentielle qui n’avait pas été réglée

entre les deux camps. Si nous pouvions souligner la lucidité de son analyse de la

politique étrangère soviétique, son argumentation quant à l’échec des pourparlers

est plutôt faible, puisqu’il rejette simplement la faute sur un pays qui ne

participait pas aux discussions.

101

Gilbert et Gott, op. cit., p. 239. 102

Ibid., p. 257. 103

Ibid., p. 258. 104

Mosley, op. cit., p. 261. Gilbert et Gott, op. cit., p.243. Taylor, op. cit., p. 278. 105

Bonnet, op. cit., p. 366.

Page 46: Université de Montréal Les historiens français et

38

Il n’y a donc aucun doute que, pour les écoles de pensée de la sécurité

collective et de la realpolitik, la principale responsabilité de l’échec ne revient pas

à la politique étrangère soviétique. La majorité des historiens soutient même que

c’est la politique des Puissances de l’ouest, principalement celle de la Grande-

Bretagne, qui doit être mise en cause.

L’analyse de la période de 1961 à 1974 nous permet de faire plusieurs

constats. Tout d’abord, il ressort qu’une majorité d’historiens franco-britanniques

croit que la décision soviétique de s’entendre avec l’Allemagne plutôt qu’avec la

Grande-Bretagne et la France a été prise vers la fin des négociations tripartites.

Ensuite, cette même majorité d’historiens perçoit que la ligne directrice de la

politique étrangère soviétique, durant la majeure partie des négociations, était une

recherche d’alliance avec l’Ouest. Ce même groupe soutient donc que le Pacte

germano-soviétique est une conséquence et non une cause de l’échec. Cela nous

permet d’affirmer que la version soviétique, selon laquelle l’URSS signe le Pacte

Molotov-Ribbentrop « contrainte et forcée » et qu’elle le considère comme « le

moindre des deux maux »106

trouve écho entre 1961 et 1974 en Grande-Bretagne

et en France. Quant à la principale cause de l’insuccès des pourparlers anglo-

franco-soviétiques, ces mêmes auteurs affirment, principalement, qu’elle a été

provoquée par la politique étrangère de l’Entente et aucun de ces historiens ne

rejette la faute sur les Soviétiques. Il ressort aussi que deux écoles de pensée sur

trois présentent la politique de Staline comme étant réaliste plutôt que perfide. Il

est vrai que l’école « allemande » est toujours soutenue, elle fait même un retour

en force en 1974 avec D.C. Watt, mais il serait faux de dire qu’elle est

majoritaire. La vision dominante de la période 1945-1960 est donc fortement

remise en question après la publication de l’ouvrage de Taylor, en 1961.

La thèse de l’historien britannique A.J.P. Taylor ne fait pas pour autant

l’unanimité. Une des principales raisons de la controverse causée par son ouvrage

est très bien expliquée par Michael J. Carley : « Il n’y avait pas d’archives

106

Gabriel Gorodetsky dans Carley, op. cit., p. 14.

Page 47: Université de Montréal Les historiens français et

39

accessibles pour étayer ses arguments ou pour permettre de les réviser en fonction

de ce qui aurait été trouvé. »107

Cette situation n’était malheureusement pas

appelée à changer rapidement dans le contexte de la Guerre froide. Malgré cela, il

est possible d’affirmer, qu’entre 1961 et 1974, le débat historiographique sur la

perception de la politique étrangère soviétique durant les négociations tripartites

de mars à août 1939 était beaucoup moins politisé qu’on pourrait le croire a

priori. Toutefois, l’article qu’a écrit D.C. Watt en 1974 remet sérieusement en

question les thèses de la sécurité collective et de la realpolitik; il a donc lieu de se

demander si une nouvelle dynamique s’installe dans le débat?

107

Carley, op. cit., p. 14.

Page 48: Université de Montréal Les historiens français et

40

Chapitre 2. 1975-1989, la convergence des idées

« A firm military alliance between France, Britain, and the USSR

offered the best, and perhaps the only, chance of confronting Hitler

with circumstances in which he would not risk war. The negotiations

for such an alliance between April and August 1939 therefore

assumed a crucial importance. »108

Durant la période comprise entre 1975 et 1989, les historiens franco-

britanniques s’intéressent beaucoup aux négociations tripartites de 1939. Le

contexte dans lequel ils écrivent est sensiblement le même que durant les années

1960. Les sources sont toutefois un peu plus nombreuses, particulièrement à la fin

des années 1980, mais le gouvernement soviétique ne permet pas l’accès aux

archives sur l’origine du Pacte de non-agression signé avec l’Allemagne le 23

août 1939. Il reste donc difficile, dans ces conditions, d’établir la nature exacte de

la politique de Staline entre les mois de mars et août.

Nous avons vu qu’en 1961, A.J.P. Taylor affirme que l’URSS avait

poursuivi la politique de sécurité collective jusqu’à la toute fin des négociations,

mais nous avons aussi vu qu’en 1974, D.C. Watt contredit fermement la thèse de

Taylor et réaffirme les idées de l’école « allemande ». Entre les deux thèses

opposées s’était aussi insinuée celle de la realpolitik, sans qu’aucune des trois ne

se soit réellement imposée. Par contre, durant les quinze dernières années de la

Guerre froide, l’école de la realpolitik va prendre l’ascendant sur les deux autres.

Avant Geoffrey Roberts, en 1989, aucun historien ne se risque à soutenir

pleinement l’école de la sécurité collective, alors que seuls deux ouvrages

rejoignent les idées de l’école « allemande ». Même D.C. Watt, qui publie en

1989 How War Came, semble moins catégorique quant au moment de la décision

soviétique de rechercher une entente avec l’Allemagne en priorité. La période de

1975 à 1989 voit les idées des différentes écoles de pensée converger vers le

« centre ».

108

Bell, op. cit, p. 296.

Page 49: Université de Montréal Les historiens français et

41

I. À quand remonte la décision soviétique de prioriser une

entente avec l’Allemagne?

Nous avons vu que, selon Watt, la décision soviétique de rechercher tout

d’abord une alliance avec l’Allemagne est prise durant la deuxième moitié d’avril

1939. Dans un ouvrage majeur qu’il publie en 1989, sa position est sensiblement

différente. Il laisse entendre que le processus ayant mené à la décision de

modifier la politique étrangère est effectivement entamé en avril, mais que,

finalement, la décision aurait été prise à la suite de la nomination de Molotov au

poste de commissaire aux Affaires étrangères durant le mois de mai.109

Dans le

chapitre « Decision in May », il affirme que, durant ce mois, l’URSS se montre

intéressée à un rapprochement avec l’Allemagne, mais ce n’est qu’à la toute fin

du chapitre, alors qu’il vient de relater les événements du 31 mai, qu’il affirme

« The long road to the Nazi-Soviet pact of August was now clearly open ».110

Alors que dans son article de 1974, Watt était clair et précis sur le moment de la

décision soviétique, il reste beaucoup plus vague dans How War Came. Plutôt

que d’affirmer clairement qu’à partir de la fin mai la décision est prise, il laisse

sous-entendre qu’à compter de ce moment une entente avec l’Allemagne est

priorisée, puisque les signaux provenant des nazis semblent finalement positifs,

alors que du côté de l’Ouest, aucun développement considérable ne se

concrétise.111

En 1979, Léon Noël, ambassadeur français en poste à Varsovie en

Pologne durant les négociations tripartites de 1939, prend position dans le débat

en situant le moment de la décision soviétique de façon précoce. Il n’avance

toutefois pas de date précise et n’analyse pas non plus la signification

d’événements importants comme le discours de Staline du 10 mars ou bien le

renvoi de Litvinov, le 3 mai. Dans une note de bas de page, qui fait au moins une

page de longueur, il explique que l’URSS a mené deux négociations parallèles,

109

D.C. Watt, How War Came. The Immediate Origins of the Second World War, 1938-1939,

New York, Pantheon Books, 1989, p. 231 à 233. 110

Ibid., p. 254. 111

Ibid., p. 254.

Page 50: Université de Montréal Les historiens français et

42

« l’une publique, ostentatoire avec les Puissances occidentales, l’autre secrète

avec l’Allemagne » et il en conclut que « Tout oblige à penser que l'Union

soviétique n'a eu ses pourparlers avec la France et la Grande-Bretagne que pour

amener Hitler à conclure un accord qui lui soit aussi favorable que possible. »112

Il laisse donc sous-entendre que la décision soviétique avait été prise dès le début

des négociations tripartites. Toutefois, il ne fournit aucune explication sur ce qui

lui permet d’en arriver à cette conclusion. Il ne fait aucune référence à une source,

à un document ou même à une étude pour appuyer ses arguments. C’est d’ailleurs

l’impression générale que laisse l’ouvrage de M. Noël qui présente davantage son

opinion que des conclusions basées sur des faits vérifiés.

Ces deux auteurs, Watt et Noël, font figure d’exceptions, alors que la

grande majorité des historiens français et britanniques acceptent dorénavant

l’essentiel de la position présentée par E.H. Carr en 1951, selon laquelle le

discours de Staline du 10 mars et le renvoi de Litvinov le 3 mai ne signifient pas

la fin de la recherche de coopération avec la France et la Grande-Bretagne pour

l’URSS et que la décision de s’entendre avec l’Allemagne aurait été prise plus

tard durant l’été 1939113

. C’est d’ailleurs le cas d’Anthony Read et de David

Fisher dans The Deadly Embrace. Hitler, Stalin and the Nazi-Soviet Pact, 1939-

1941. Dans cet ouvrage, qui a d’ailleurs été critiqué par Geoffrey Roberts pour ne

pas avoir consulté les nouvelles sources soviétiques durant les années 1980114

, les

auteurs affirment que ce n’est seulement qu’à la mi-juin que Staline fait « The

first positive move towards a full German-Soviet pact ».115

De plus, selon eux, ce

n’est qu’à partir du 5 août que l’URSS considère sérieusement une entente avec

l’Allemagne. La raison en serait que c’est à ce moment que l’on apprend la

composition officielle des délégations militaires françaises et britanniques qui se

112

Léon Noël, La guerre de 39 a commencé quatre ans plus tôt, Paris, France-Empire, 1979, p.

138. 113

E.H. Carr, op. cit.,p. 126 à 135. 114

Geoffrey Roberts, The Unholy Alliance. Stalin’s Pact with Hitler, London, I.B. Tauris & CO,

1989, p. 5 (note 15 en page 228). 115

Anthony Read et David Fisher. The Deadly Embrace. Hitler, Stalin and the Nazi-Soviet Pact,

1939-1941, London, W.W. Norton & Company, 1988, p. 96.

Page 51: Université de Montréal Les historiens français et

43

rendront à Moscou et que l’on réalise qu’elles ne contiennent aucune personnalité

réellement influente en France ou en Grande-Bretagne.116

De son côté, l’historien britannique Jonathan Haslam écrit en 1984 que

c’est à la mi-juillet que l’URSS comprend qu’il ne sortira rien de concret des

discussions avec la France et la Grande-Bretagne; c’est pourquoi de nouvelles

approches envers l’Allemagne sont faites.

« Clearly Stalin had yet to make up his mind on the line to take. He

always had a tendency to drift towards decisions, to allow alternative

options to be followed simultaneously, cautiously waiting to see

which would bear fruit first before finally making his choice. »117

Dans cette optique, ce n’est que durant le mois d’août, alors que les Allemands

sont prêts à faire des compromis, que la décision est prise.118

Un autre historien

britannique, Richard Overy, appuie cette position en proposant la date du 12 août

comme étant celle de la décision soviétique de s’entendre avec l’Allemagne.119

En France, les historiens Jean-Pierre Azéma et Jean-Baptiste Duroselle

appuient la thèse d’une décision tardive de la part des Soviétiques. Pour ceux-ci,

la décision ne serait prise qu’autour du 17-18 août et elle aurait été prise en

fonction de la meilleure offre.120

Ces dates concordent avec la version proposée

par Geoffrey Roberts, seul véritable tenant de l’école de la sécurité collective

durant cette période : « Moscow finally decided to sign a pact with the Nazis on

19 August 1939. »121

De cette analyse, il ressort plusieurs éléments. Tout d’abord, aucune date

précise ne semble faire consensus; ceux qui en proposent une ne disposent pas de

suffisamment de preuves pour convaincre leurs collègues. Cependant, il est

116

Ibid., p. 169 à 171. 117

Haslam, op. cit., p. 224. 118

Ibid., p. 225 à 227. 119

Richard Overy, The Road to War, London, Macmillan, 1989, p. 58. 120

Jean-Pierre Azéma, Nouvelle histoire de la France contemporaine. De Munich à la Libération,

1938-1944, Paris, Seuil, 1979, p. 38-39. Jean-Baptiste Duroselle, La décadence, 1932-1939, Paris,

Imprimerie nationale, 1979, p. 433-34. 121

Roberts, The Unholy alliance..., op. cit., p. XIII.

Page 52: Université de Montréal Les historiens français et

44

possible d’observer que la tendance générale est d’affirmer que la décision

soviétique a été prise après la mi-juillet et fort possiblement en août, donc à la

toute fin des négociations. Les conclusions de la majorité des historiens sont donc

en continuité avec la période précédente. De plus, on note que seul D.C. Watt

adopte les idées de l’école « allemande » de façon à les rendre crédibles.

D’ailleurs, ce dernier modifie légèrement sa position en comparaison à la période

antérieure, et repousse la décision soviétique de la mi-avril à la fin mai. Il accepte

en fin de compte le fait que les Soviétiques ont au moins attendu d’avoir des

indices plus concrets de l’ouverture allemande avant de prendre eux-mêmes une

décision. Il est évident que l’on s’écarte de l’idée selon laquelle l’URSS avait

abandonné la politique de sécurité collective avant même le début des

négociations.

Il est à noter que plusieurs historiens ayant écrit sur le sujet choisissent de

ne pas tenter de répondre à cette question. C’est le cas, entre autres, d’Anthony P.

Adamthwaite, René Girault, William R. Rock, William Carr et P.M.H. Bell. Il est

pourtant évident, à la lecture de leur ouvrage respectif, qu’ils endossent la thèse

d’une décision tardive par leur interprétation de la nature des négociations

tripartites. Il est fort possible qu’ils aient décidé d’éviter la question en raison du

manque de sources crédibles et convaincantes.

« As long as the Russian archives remain closed to scholars, any

analysis of Stalin's motives in preferring the Germans to the British

and French in 1939 can only be speculative. »122

II. La perception de la nature de la politique étrangère

soviétique durant les négociations tripartites

Durant l’ensemble des négociations politiques anglo-franco-soviétiques,

les dirigeants des trois pays s’interrogent sur la véritable ligne directrice de la

122

William Carr, Poland to Pearl Harbor. The Making of the Second World War, London,

Arnold, 1985, p. 64.

Page 53: Université de Montréal Les historiens français et

45

politique étrangère des deux autres; les historiens franco-britanniques ont tenté

d’éclaircir, entre autres, celle de l’Union soviétique. Selon Léon Noël, Moscou

s’est engagée dans un « jeu », ayant comme objectif caché « D’utiliser les

circonstances, notamment pour réparer les pertes subies, vingt ans plus tôt, par la

Russie tsariste dont elle ne se privait pas de reprendre la politique et les

procédés ».123

Il croit que les désirs impérialistes de l’URSS s’étendaient aux

pays baltes, à la Finlande, à la Pologne et à la Bessarabie. C’est dans cette optique

que les dirigeants soviétiques auraient réclamé de nouveaux avantages et des

garanties supplémentaires tout au long de la négociation.124

Au même moment,

les discussions commerciales entre Moscou et Berlin n’auraient servi qu’à

« dissimuler des pourparlers politiques».125

Ainsi, pour Noël, la version

soviétique, qui prétend que l’URSS prend sa décision suite au refus de la Pologne

d’accorder le passage des troupes de l’Armée rouge sur son territoire, n’est pas

plausible. Il affirme même que les « Soviétiques n’ont jamais douté du refus

persistant qu’opposerait Varsovie ».126

Aux yeux de l’ancien ambassadeur

français en Pologne, les dirigeants de l’Union soviétique auraient donc utilisé

plusieurs stratégies afin d’allonger le processus de négociations, dont la

formulation de nouvelles demandes et l’utilisation de « l’excuse que la Pologne et

la Roumanie ne laisseront pas passer leurs troupes ». 127

D.C. Watt, qui soutient que l’URSS aurait priorisé une entente avec

l’Allemagne dès la fin de mai, suite à la réception de signaux d’ouverture de la

part des nazis, affirme que, durant le mois de juin, les Soviétiques ont douté de

l’issu des négociations germano-soviétiques. En effet, les Allemands auraient été

beaucoup plus hésitants que ne le prévoyait Staline et, lorsque le régime hitlérien

conclut un pacte de non-agression avec la Lettonie et l’Estonie, le 7 juin, la

méfiance soviétique envers les Allemands augmente.128

Toutefois, Molotov n’a

123

Léon Noël, op. cit., p. 118-119. 124

Ibid., p. 118-119. 125

Ibid., p. 138. 126

Ibid., p. 152. 127

Ibid., p. 153. 128

D.C. Watt, How War Came..., op. cit., p. 361-62.

Page 54: Université de Montréal Les historiens français et

46

plus confiance en l’Entente et il va continuer, à la fin de juin et au début de juillet,

« To drop direct hints, via the secret informant to the German Embassy in

London, that the Soviet Union was less than whole-hearted in its reception of the

Anglo-French advances. »129

Selon Watt, les dirigeants soviétiques étaient convaincus que l’Allemagne

attaquerait l’Ouest européen en premier, mais que, si l’URSS ne renforçait pas ses

défenses, Hitler pourrait ensuite se retourner vers l’Est. C’est donc le besoin

d’assurer la sécurité du pays qui guide la politique étrangère soviétique. Dans

cette optique, Staline doit se poser deux questions essentielles : « whether there

would be war in 1939 and whether Britain and France would accept treaty terms

which would make possible the advance of Soviet control and the Soviet system

into Eastern Europe. »130

Le secrétaire général de l’URSS croit qu’il y aura

effectivement une guerre en 1939 et sa méfiance envers les Puissances de l’ouest

atteint des sommets alors que celles-ci refusent d’étendre le système de garanties

aux États baltes. Les dirigeants soviétiques auraient donc été convaincus que

l’Entente occidentale tentait de repousser les Allemands vers l’Est131

, ce qui

explique qu’une alliance avec l’Ouest n’aurait plus été considérée comme

prioritaire : « The Soviets had, in turn, their own agenda ».132

À la lumière de cette analyse, la thèse de Léon Noël en 1979 et celle de

D.C. Watt en 1989 semblent plutôt éloignées pour appartenir à la même école de

pensée. En fait, ensemble, leurs positions illustrent bien la progression du débat

historiographique. L’argumentation de Noël est en grande partie basée sur sa

propre expérience et répond en tout point à la description proposée par Geoffrey

Roberts d’un débat opposant « two polarised versions ». La thèse qu’il soutient

présente la version extrême de l’école « allemande » et décrit Staline comme

« perfide » et le Pacte Molotov-Ribbentrop comme étant l’aboutissement d’une

politique soviétique linéaire durant l’ensemble des négociations tripartites. De

129

Ibid., p. 368. 130

Ibid., p. 370. 131

Ibid., p. 363. 132

Ibid., p. 369.

Page 55: Université de Montréal Les historiens français et

47

son côté, Watt, dans une étude étoffée d’une argumentation solide, présente une

version de la thèse de l’école « allemande » adaptée aux avancées réalisées par les

travaux d’autres historiens et qui prend en compte les nouvelles sources,

disponibles depuis les années 1980. D’ailleurs, nous venons de voir qu’il a

modifié certaines de ses positions pour s’ajuster à la progression de

l’historiographie entre 1974 et 1989.

Avec How War Came, Watt illustre bien la tendance vers le centre qui est

bel et bien amorcée avant le démantèlement de l’URSS. Il présente Staline

comme étant préoccupé par la défense de son pays, non pas par son expansion, et

comme un dirigeant qui fait un choix réaliste, ayant rapidement compris que

l’Allemagne pourrait faire preuve d’une plus grande souplesse que l’Entente pour

répondre à ses besoins. Avec D.C. Watt, l’école « allemande » s’extirpe des

premières thèses élaborées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

L’historien britannique présente une bonne étude si l’on considère les sources

disponibles à l’époque, même si ses conclusions sont quelque peu marginales en

France et en Grande-Bretagne.

La majorité des historiens franco-britanniques qui ont écrit entre 1975 et

1989 optent pour une position encore plus centriste que D.C. Watt. Ils tentent de

démontrer que Staline était un homme qui gardait ses options ouvertes le plus

longtemps possible et qui, de manière réaliste, avait une préférence pour une

alliance avec l’Ouest, en autant que celle-ci lui procurait la sécurité nécessaire

pour assurer la défense de son immense pays. William Carr et Anthony

Adamthwaite sont deux historiens qui appuient cette idée d’un choix soviétique

fait en fonction de la sécurité du pays.

Selon W. Carr, il est difficile d’en vouloir à Staline d’avoir suspecté que

les Puissances de l’ouest n’étaient pas prêtes à prendre l’engagement nécessaire

pour assurer la défense de l’URSS. Il croit que le refus de la Grande-Bretagne et

de la France d’inclure une définition d’agression indirecte dans l’entente

démontre qu’elles ne comprenaient pas le problème de sécurité auquel faisait face

Page 56: Université de Montréal Les historiens français et

48

l’Union soviétique, la forçant ainsi à se tourner vers l’offre allemande. Selon lui,

la priorité de l’URSS était d’éviter la guerre en 1939 et c’est ce qui expliquerait

sa décision de conclure le Pacte germano-soviétique.133

De son côté, Adamthwaite croit que la principale considération de Staline,

lorsqu’il prend contact avec l’Allemagne au mois d’avril, est la sécurité de son

pays. Devant la possibilité de faire face à une guerre sur deux fronts, le secrétaire

général du Parti communiste décide de négocier avec l’Allemagne en même

temps qu’avec l’Ouest.134

Il croit aussi qu’il serait mal avisé de conclure que les

négociations avec l’Entente « were merely a manœuvre to make the Germans bid

higher »135

, puisque la première réaction de Staline suite au coup de Prague avait

été de ressusciter la politique de sécurité collective.136

Toutefois, les historiens

adhérant à l’école de la realpolitik voient aussi d’autres motivations à la décision

des dirigeants de l’URSS.

Selon l’historien français Jean-Pierre Azéma, les Soviétiques prennent

l’initiative du rapprochement avec l’Allemagne à la fin du mois d’avril, pour

ensuite mener des négociations parallèles avec les gouvernements de

Chamberlain et de Daladier, d’un côté, et avec celui d’Hitler, de l’autre.137

Selon

lui, l’évolution de la situation dépendait grandement de l’attitude des

Britanniques, qui se devaient de convaincre les dirigeants soviétiques de leur

bonne foi. Toutefois, le gouvernement de Neville Chamberlain a échoué cette

mission et « Staline s'est finalement décidé en fonction du marché qui

apparaissait comme le plus avantageux dans le très court terme ».138

Un autre historien français, Henri Michel, publie une étude, sorte de bilan

historiographique sur les causes de la Deuxième Guerre mondiale, en 1980. À la

133

William Carr, op. cit., p. 64-65. 134

Anthony P. Adamthwaite, The Making of the Second World War, London, George Allen &

Unwin, 1977, p. 90-91. 135

Ibid., p. 91. 136

Ibid., p. 91. 137

Azéma, op. cit., p. 37-38. 138

Ibid., p. 36-37.

Page 57: Université de Montréal Les historiens français et

49

lumière de ses lectures, il concède que les « motivations de Staline sont plus

malaisées à déceler »139

, et que le renvoi de Litvinov était un signe d’ouverture

aux Allemands. Il conclut tout de même que « Jusqu’à la dernière minute, Staline

avait hésité sur le camp qu’il choisirait ».140

Cette position est soutenue par

plusieurs autres historiens, dont Anthony Read et David Fisher, qui affirment

que :

« In Stalin's view, the urgency lay entirely with the other parties. It

was the Germans who wanted to be free to attack Poland, and the

Allies who had given her their guarantees. The Marxist approach to

such a situation is quite clear: one must always try to keep two

options open, and delay until the last possible moment the choice

between them. In that way, the maximum advantage can be wrung

from any negotiations. »141

Cette citation démontre bien la démarche réaliste du secrétaire général de l’Union

soviétique durant les négociations 1939, autant avec l’Entente qu’avec

l’Allemagne.

Jonathan Haslam, qui publie en 1984, The Soviet Struggle for Collective

Security in Europe, 1933-39, est probablement l’historien qui représente le mieux

l’école de la realpolitik durant la période 1975-1989; c’est pourquoi nous

prendrons le temps de bien analyser ses idées. Selon lui, les accords de Munich

ne mènent pas directement à un changement de politique étrangère soviétique,

mais « created an atmosphere in which such a reversal could appear both

reasonable and inevitable ».142

Ensuite, il affirme qu’en 1939 les Soviétiques font

face à la menace d’une guerre sur deux fronts en raison des visées d’expansion de

Tokyo et de Berlin. Dans cette optique, certains dirigeants soviétiques, qui

avaient toujours préféré un rapprochement avec l’Allemagne, reprennent l'espoir

d’un nouveau Rapallo.143

Selon Haslam, c’est à partir de Munich que ces

139

Henri Michel, 1939. La mémoire du siècle. La 2e Guerre mondiale commence, Paris,

Complexe, 1980, p. 46. 140

Ibid., p. 46 à 48. 141

Read et Fisher, op. cit., p. 186. 142

Haslam, op. cit., p. 194. 143

Accord de Rapallo : accord germano-soviétique de 1922 permettant la reprise des relations

diplomatiques et commerciales entre l’URSS et l’Allemagne. « Accord de Rapallo (1922) »,

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50

dirigeants reprennent l’ascendant dans la politique étrangère soviétique, en raison

de l’échec évident de la politique de sécurité collective. Malgré cela, les accords

de Munich auraient eu l’effet pervers d’empêcher l’URSS de faire ce

changement, compte tenu qu’elle était isolée.144

Ainsi, lors du discours du 10

mars 1939 :

« Stalin had yet to reach a final decision as to whether Soviet interests

demanded an alignment with Germany or an alliance with the

Entente; indeed, it would be a mistake to see him as anything other

than indecisive on this vital issue for the greater part of the spring and

summer of 1939. »145

Dans ces circonstances, Staline doutait de la pertinence de poursuivre la politique

de sécurité collective. Cela explique pourquoi, suite au coup de Prague le 15

mars, la position de Litvinov est précaire.146

Puis, le 23 mars, l’Allemagne accapare le territoire de Memel, en

Lituanie :

« The Russians were naturally alarmed lest this practice be repeated

on a larger scale elsewhere in the Baltic and at the very least that the

Germans might seek to dominate the area economically through the

exertion of pressure along the lines they had pursued in Romania. The

Baltic was an area of vital strategic importance to the Russians.

During the Allied war of intervention the near collapse of Petrograd

in the spring 1919 forced the Soviet Government into recognising the

Baltic republics as separate states in order to win them over to

neutrality from the Entente. Thereafter the Russians had been

exceptionally sensitive to foreign influence in the region, whether

Polish, British or, latterly, German. »147

Ainsi, pour Haslam, les demandes soviétiques pour inclure les pays baltes dans

l’entente avec la Grande-Bretagne et la France ne sont pas superflues, mais

justifiées, d’autant plus que la garantie britannique à la Pologne laisse la région

baltique sans protection. C’est donc pourquoi, « when it became crystal-clear in

early August that Hitler was unalterably determined to strike Poland » le

Encyclopedia Universalis [En ligne], http://www.universalis.fr/encyclopedie/accord-de-rapallo/

(page consultée le 02/07/15). 144

Haslam, op. cit., p. 196-197. 145

Ibid., p. 204. 146

Ibid., p. 205-06. 147

Ibid., p. 207.

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51

gouvernement soviétique « then switch all its attention to reaching a modus

vivendi with Berlin ».148

La première considération prise en compte par les

Soviétiques, qui justifie le choix d’une alliance avec l’Allemagne, est donc la

sécurité, selon Haslam.

Dans cette optique, lorsque les Soviétiques prennent l’initiative d’un

rapprochement avec l’Allemagne le 17 avril, cela ne correspond pas à un abandon

de la politique de sécurité collective. Ils s’assurent plutôt d’avoir une deuxième

option disponible en cas d’échec avec la première, assure Haslam. Dans son

analyse du renvoi de Litvinov, il combine les idées de Taylor et celles de

Duroselle, en affirmant que l’Ouest ne respecte pas le commissaire aux Affaires

étrangères, en plus du fait qu’il est un obstacle, dans le cas où un rapprochement

se matérialiserait avec Berlin.149

« Changes of personnel in the Soviet Commissariat of Foreign Affairs

currently signify merely a change in method and not in policy itself.

The danger of a change in policy will arise if Russian gestures are not

understood in Paris and London. [...] Russia demands a clear and

unambiguous position from Paris and London and rejects pacts with

dozens of “ifs” and “buts”. »150

Ainsi, la proposition d’entente du 14 mai, soumise par l’URSS aux Puissances

occidentales, est sincère et démontre la volonté des dirigeants soviétiques de

conclure positivement les négociations avec la Grande-Bretagne et la France.

Mais, devant le manque de sérieux des pays occidentaux, ils n’ont eu d’autres

choix que de continuer à entretenir la deuxième option.151

Haslam conclut, lui

aussi, que ce n’est qu’à partir de la mi-juillet que les Soviétiques envisagent plus

sérieusement une alliance avec le régime hitlérien.152

Les positions de Jonathan Haslam sont généralement endossées par

P.M.H. Bell, deux ans plus tard. Ce dernier affirme que la possibilité d’une guerre

sur deux fronts et l’état de l’Armée rouge en 1939 poussent Staline vers le Pacte

148

Ibid., p. 210. 149

Ibid., p. 212 à 214. 150

Ibid., p. 215. 151

Ibid., p. 216. 152

Ibid., p. 224.

Page 60: Université de Montréal Les historiens français et

52

Molotov-Ribbentrop.153

Selon lui, le 10 mars reste le point de départ des relations

germano-soviétique ayant mené à une alliance, malgré que les premières étapes

de ce rapprochement restent encore « in some obscurity ».154

Il affirme aussi que

le renvoi de Litvinov est un signe d’ouverture envers les Allemands, mais que ce

n’est qu’à la fin de juillet que les discussions deviennent plus sérieuses.155

« The Nazi-Soviet Pact of August 1939 was a stroke of realpolitik,

coming to terms with highest bidder. »156

Une voix discordante fait son apparition en 1989, au même moment où

Watt publie How War Came dans lequel il soutient une version « mise à jour » de

la thèse de l’école « allemande ». Geoffrey Roberts publie l’ouvrage The Unholy

alliance dans lequel il soutient l’école de la sécurité collective. Il se démarque de

la majorité des historiens, qui estiment ne pas avoir assez de documents pour

étudier en profondeur la politique étrangère soviétique durant l’année 1939, en

affirmant que de nouveaux documents rendent possible une meilleure analyse.

« On the historical front revelations from the Soviet archives

continued to come thick and fast. For this book the most important

event was the publication of an article on Soviet-German relations in

1939 in […] May 1989 [...] These new sources provide further

evidence for the interpretation of the origins of the Nazi-Soviet pact

given in this book. »157

Alors que nous avons vu que la plupart des historiens franco-britanniques

affirment que l’Union soviétique mène des négociations parallèles entre les mois

d’avril et août, Roberts affirme que ce n’est pas avant la fin de juillet que les

Soviétiques envisagent la possibilité d’un rapprochement avec l’Allemagne.

« Much important is the diplomatic correspondence. It enables us to

identify more clearly the beginning of the Soviet turn to

rapprochement with Germany. The turning-point came at the end of

153

Bell, op. cit., p. 223. 154

Ibid., p. 292. 155

Ibid., p. 293. 156

Ibid., p. 137. 157

Roberts, The Unholy Alliance..., op. cit., p. XIII.

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53

July 1939 following a letter to Moscow from Georgi Astakhov, the

Soviet diplomatic representative in Berlin. »158

Il vient donc se positionner dans la lignée d’A.J.P. Taylor, à la différence qu’il

détient de nouvelles sources lui permettant d’utiliser des formules moins

hypothétiques dans ses conclusions.

Roberts déplore le fait que plusieurs historiens occidentaux n’ont pas

utilisé les nouveaux documents soviétiques, rendus disponibles depuis une

décennie, qui permettent de remplir « Some of the blank pages in the history of

Soviet foreign relations. »159

Par contre, un seul des ouvrages cités pour ne pas les

avoir consultés se retrouve dans notre bibliographie, The Deadly Embrace. Hitler,

Stalin and the Nazi-Soviet Pact, 1939-1941, écrit par Anthony Read et David

Fisher, les autres ne se qualifiant pas dans les paramètres de notre étude. Dans la

même section, il prend d’ailleurs le temps de souligner que Jonathan Haslam fait

partie de ceux qui ont utilisé ces nouvelles ressources à bon escient.160

Selon Roberts, le renvoi de Litvinov ne change en rien la continuité de la

politique étrangère soviétique. Il affirme que celui-ci a été victime des purges qui

ont lieu à Narkomindel, où 90% des officiers seront démis de leur fonction. De

plus, il croit, lui aussi, que la nomination de Molotov avait pour but d’augmenter

la pression sur les Puissances occidentales dans les négociations, tout en assurant

un meilleur contrôle de la politique étrangère par Staline.161

Il assure que les

relations germano-soviétiques entre mai et juillet 1939 « are of limited

significance »162

et que les Soviétiques se sont assurés « to keep the door open to

the Germans, but without actually letting them in ».163

Ainsi, on comprend

qu’entre la position de l’école de la realpolitik et l’école de la sécurité collective

la ligne est mince. La position de Roberts est que la porte est ouverte dans le cas

158

Ibid., p. XIII-XIV. 159

Ibid., p. 5. 160

Ibid., p. 228. 161

Ibid., p. 128-129. 162

Ibid., p. 144. 163

Ibid., p. 150.

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54

où l’entente avec l’Ouest n’aboutit pas, alors que l’école de la realpolitik soutient

que l’URSS a une préférence pour une entente avec la France et la Grande-

Bretagne, mais qu’elle négocie en parallèle avec l’Allemagne en cas d’échec de la

première négociation. Pour Roberts, il n’y a donc qu’au mois d’août que des

négociations germano-soviétiques ont lieu et il ne fait aucun doute que c’est

l’échec des négociations tripartites qui entraîne la conclusion du Pacte germano-

soviétique.164

À la lumière de cette analyse, plusieurs éléments ressortent de la période

1975-1989 quant à la perception de la nature de la politique étrangère soviétique

durant les négociations anglo-franco-soviétiques par les historiens franco-

britanniques. Tout d’abord, un seul ouvrage décrit Staline comme un être

« perfide », celui de Léon Noël. Toutes les autres études sur le sujet, y compris

celle de D.C. Watt, concluent que Staline a poursuivi une politique réaliste. Dans

le cas de Watt, son étude diffère des autres parce qu’il situe la décision soviétique

à la fin du mois de mai plutôt qu’au mois d’août. Si sa thèse implique,

implicitement, que l’URSS aurait mené des discussions avec l’Ouest sans réelle

intention de conclure une entente à partir du mois de juin, cela ne l’empêche pas

d’affirmer que ce sont des considérations de sécurité et non pas d’idéologie qui

ont incité ce choix. Si Noël et Watt présentent le Pacte Molotov-Ribbentrop

comme l’aboutissement d’une politique à long terme de la part de l’URSS, cette

position est loin d’être dominante durant les quinze dernières années de la Guerre

froide.

La tendance largement majoritaire est de percevoir que l’URSS, après le

coup de Prague, a tout d’abord voulu s’entendre avec l’Ouest. Par la suite, les

historiens franco-britanniques affirment, majoritairement, que l’URSS a mené des

discussions parallèles avec l’Ouest et l’Allemagne. Toutefois, selon eux, ce ne

serait que vers la mi-juillet que les dirigeants soviétiques sont finalement

convaincus que la Grande-Bretagne et la France ne sont pas prêtes à signer une

164

Ibid., p. 5.

Page 63: Université de Montréal Les historiens français et

55

entente qui assurerait réellement la sécurité de l’URSS. Ce ne serait qu’à partir de

ce constat qu’ils envisagent plus sérieusement l’option allemande. Cette majorité

affirme donc que le Pacte germano-soviétique est conclu à défaut d’avoir pu

obtenir une meilleure entente avec l’Ouest.

III. La responsabilité principale de l’échec des négociations

tripartites : la politique étrangère soviétique?

La position de Léon Noël ne laisse aucun doute sur le fait que la politique

étrangère soviétique doit être tenue responsable de l’échec des négociations

tripartites.

« Staline trouva donc tout naturel de se prêter à un semblant de

négociations avec la France et l’Angleterre, sans nulle intention de les

conclure par un accord, ce qui, pour le présent, lui procurait un

efficace moyen de pression sur Hitler et inciterait ce dernier à

s'entendre avec lui pour éviter un arrangement entre Paris, Londres et

Moscou et, en outre, apporterait éventuellement à la Russie un autre

avantage considérable que rien ne l'autorisait à attendre des Alliés

occidentaux: un point de départ pour récupérer l'est de la Pologne et

les Pays baltes. »165

Noël adopte donc exactement la position qu’Adamthwaite critiquait en 1977

lorsqu’il affirme que les dirigeants soviétiques négociaient sans intention de

conclure. Selon lui, le Pacte germano-soviétique était prévisible: « totalitaires, ils

se sont trouvés, tout naturellement, dans le même camp ».166

Il explique, dans une

note de bas de page qui s’étale sur trois pages, que les liens, du point de vue

logique, entre le communisme et le fascisme ont été démontrés à de nombreuses

reprises, ce qui explique, selon lui, le dénouement du 23 août 1939.167

165

Noël, op. cit., p. 196. 166

Ibid., p. 202. 167

Ibid., p. 200 à 202.

Page 64: Université de Montréal Les historiens français et

56

L’ancien ambassadeur français à Varsovie soutient tout de même que le

gouvernement britannique avait la volonté « de faire traîner l’affaire en

longueur ».168

Selon lui, Neville Chamberlain ne désirait pas prendre un

engagement qui pourrait lui lier les mains.169

Cela ne remet évidemment pas en

cause sa conclusion sur la responsabilité principale de l’échec.

De son côté, D.C. Watt affirme aussi que la nature du régime soviétique

n’aidait pas la cause des négociations, mais pas pour les mêmes raisons que Noël.

« Soviet secrecy meant that nothing was available to counter the image of Soviet

military weakness and military incompetence. »170

Ainsi, les préjugés franco-

britanniques concernant l’Armée rouge ont donc persisté durant l’ensemble des

négociations tripartites. De plus, l’historien britannique soutient que l’approche

diplomatique des Soviétiques les rendait aveugles au changement dans l’opinion

et dans la politique des Britanniques. Selon lui, les services de renseignements

soviétiques étaient moins utilisés comme sources d’information politique que

comme « weapon of intrigue ». Il ajoute que la peur irraisonnable d’une invasion

allemande de la part de Staline « added an extra element of distortion to the

Soviet viewpoint. »171

Toutefois, Watt, ayant évacué l’idéologie comme argument principal

expliquant le choix soviétique de s’entendre avec l’Allemagne, soutient que la

responsabilité de l’échec revient principalement aux Occidentaux. Il affirme que

ceux-ci ont fait une erreur en accordant des garanties à la Pologne et à la

Roumanie sans exiger en retour qu’elles acceptent de coopérer avec l’Union

soviétique. « Once the guaranties were given, Poland and Romania had secured

all they could hope for. »172

Dans ces circonstances, elles ne sont plus disposées à

168

Ibid., p. 120. 169

Ibid., p. 121. 170

Ibid., p. 610-611. 171

Ibid., p. 610-611. 172

D.C. Watt, How War Came..., op. cit., p. 222.

Page 65: Université de Montréal Les historiens français et

57

coopérer; comme on le sait, la Pologne refusera, jusqu’à la toute fin des

négociations, de laisser passer les troupes soviétiques sur son territoire.

Une autre erreur commise par l’Entente aura été de ne pas prendre au

sérieux les demandes soviétiques.

« The British and French [...] proved dilatory, evasive on the points to

which Molotov attached most importance, and, most of all, failed to

behave in such a way as to convey that they regarded him and his

country as equals. »173

Ainsi, l’attitude avec laquelle les dirigeants britanniques et français abordent les

négociations contribue à la méfiance des Soviétiques. Si les pays occidentaux

avaient abordé sérieusement les négociations dès le départ, ils auraient pu

continuer à négocier avec Litvinov, qui croyait en la sécurité collective; ne

l’ayant pas fait, ils ont plutôt eu à discuter avec Molotov, décrit par Watt comme

étant : « ignorant, short-sighted and dominated by his master’s suspicions ».174

Il

n’y a aucun doute, selon l’historien britannique, que l’Entente n’a qu’elle-même

à blâmer pour l’échec des négociations.

« The historical verdict that British historians have accepted is the

same as much of British opinion accepted in the summer of 1939.

With war imminent, not to have done everything necessary to secure

the Soviet alliance was, from Britain's point of view, an outstanding

error of judgment. »175

Ainsi, lorsque les dirigeants soviétiques se rendent compte que l’Occident ne

semble pas adhérer à la même définition de sécurité collective qu’eux, ils se

tournent vers leur deuxième option, l’Allemagne. Encore une fois, Watt contribue

à rendre crédible et plausible la thèse de l’école « allemande » en affirmant que la

Grande-Bretagne et la France ont fait des erreurs tôt dans les négociations qui ont

amené les dirigeants soviétiques à préférer une entente avec l’Allemagne, plutôt

qu’en basant son argumentation sur le fait qu’il était naturel que deux régimes

totalitaires s’entendent, étant donné leurs racines logiques communes.

173

Ibid., p. 361-62. 174

Ibid., p. 611. 175

Ibid., p. 371.

Page 66: Université de Montréal Les historiens français et

58

Du côté de l’école de pensée de la realpolitik, l’historien René

Girault affirme, en 1977, que la Grande-Bretagne n’avait jamais eu l’intention de

conclure une entente avec l’Union soviétique.176

Cette position est aussi soutenue

par trois autres historiens français, soit Jean-Pierre Azéma, Jean-Baptiste

Duroselle et Henri Michel, qui concluent tous que la façon dont les Puissances

occidentales ont conduit les négociations militaires a causé en grande partie

l’échec des pourparlers anglo-franco-soviétiques. Selon Michel, le choix d’un

bateau lent pour envoyer les délégations militaires françaises et britanniques à

Moscou fait que les choses trainent, ce qui envoie un très mauvais signal aux

Soviétiques.177

Selon Azéma, les Britanniques n’acceptaient les Soviétiques que

comme des auxiliaires et non pas comme des alliés.178

C’est pourquoi ils donnent

comme instruction à l’Amiral Drax, qui est en charge de la délégation militaire

britannique, de ne pas « “entrer dans des engagements qui lui lieraient les mains

en toutes circonstances.” »179

Duroselle soutient la position d’Azéma, ajoutant

même qu’entre la France et la Grande-Bretagne, il y a une grande différence dans

la façon d’aborder les négociations militaires : alors que les Français sont « très

pressés » de conclure, les Britanniques « ne le sont pas du tout. »180

Il n’y a pas que les historiens français qui critiquent ouvertement la

manière dont les Britanniques ont mené les discussions militaires en 1939.

William Rock soutient que Londres négociait avec Moscou uniquement « in order

to placate our left wing in England, rather than to obtain any solid military

advantage ».181

De plus, il ajoute que les Britanniques n'ont jamais senti

l'urgence soviétique ni la peur que ces derniers avaient pour leur propre sécurité,

ce qui explique pourquoi les pays occidentaux n'ont pas accepté de donner les

176

René Girault, « La décision gouvernementale en politique extérieure », dans René Rémond &

Janine Bourdin (dir.), Édouard Daladier, Chef de Gouvernement, Paris, Presses F.N.S.P. 1977, p.

225. 177

Michel, op. cit., p. 42. 178

Azéma, op. cit., p. 37. 179

Ibid., p. 37. 180

Duroselle, La décadence…, op. cit., p. 428. 181

William R. Rock, British Appeasement in the 1930s, London, Arnold, 1977, p. 20-21.

Page 67: Université de Montréal Les historiens français et

59

garanties que les Soviétiques recherchaient.182

« The British were more intent on

keeping the Soviet Union out of eastern Europe and the Baltic states than on

obtaining her assistance against future German aggression. »183

Ce faisant, ils ont

simplement accentué la méfiance soviétique à leur égard. Dans cette situation,

l’URSS n’a fait qu’augmenter ses exigences.184

De son côté, l’historien britannique P.M.H. Bell affirme, lui aussi, que la

méthode de négociation britannique menait à l’échec en raison de la lenteur avec

laquelle ils procédaient. Selon lui, cette stratégie est utilisée en raison de la

méfiance du gouvernement de Chamberlain envers les Soviétiques.185

D’ailleurs,

Jonathan Haslam, un autre historien britannique, ajoute que les années de

méfiance réciproque entre Londres et Moscou ont joué un rôle important dans

l’échec de 1939.186

« Just as the Soviet decision to reach agreement with the Germans in

August 1939 cannot be attributed merely to last-minute breakdown in

negotiations with the Entente, so too London's failure to grasp the

nettle of an Anglo-Soviet alliance earlier that year cannot be

attributed merely to lack of information on German or Soviet

intentions. The deeply rooted mistrust between Britain and the USSR

which antedated Hitler's assumption of power had at least as much to

do with the failure of both to reach agreement in 1939 as the missed

opportunities and Intelligence failure of that year. »187

On comprend, à la teneur de ses propos, qu’Haslam attribue en partie l’échec à la

situation qui prévalait depuis plusieurs années entre la Grande-Bretagne et

l’URSS. Richard Overy, dans The Road to War, abonde dans le même sens :

« The Soviet decision in favour of Germany was not prompted simply

by self-interest. The years of deep distrust and hostility between the

communist East and capitalist West could not be swept aside in a

matter of weeks by mutual expressions of goodwill. The West

distrusted and disliked the Soviet Union even in the act of courting

182

Ibid., p. 21. 183

Ibid., p. 21. 184

Ibid., p. 21. 185

Bell, op. cit., p. 294. 186

Haslam, op. cit., p. 224. 187

Ibid., p. 228.

Page 68: Université de Montréal Les historiens français et

60

her in 1939. While smiling to her face, they grumbled endlessly

behind her back, just as Molotov suspected. »188

Ainsi, pour Overy, les Soviétiques étaient on ne peut plus fondés de penser que

les Puissances occidentales négociaient à « reculons ».

Jonathan Haslam soutient que, devant « the evident unwillingness of the

Entente »189

à donner des garanties concrètes pour assurer la sécurité soviétique,

dans un contexte où une guerre sur deux fronts se dessinait, Staline n’avait

d’autres choix que de rechercher un accommodement avec l’Allemagne. Par

contre, il maintient que la recherche d’entente avec Hitler n’était pas l’option que

les dirigeants soviétiques priorisaient, et s’ils signent le Pacte germano-

soviétique, c’est qu’ils ont dû opter pour leur « second-best

solution ».190

« Clearly the British and the French had themselves to blame for

missing an opportunity. »191

Selon l’école de pensée realpolitik, il n’y a pas que la méfiance qui a joué

un rôle dans l’échec des négociations. Selon William Rock, les différentes

garanties données par les pays occidentaux, entre autres à la Pologne et à la

Roumanie, rendaient beaucoup plus difficile une entente avec l’URSS, ce qui

n’est pas sans rappeler un argument de Watt. Rock soutient que le Cabinet

britannique ne prendra pas en compte les effets que pourraient avoir sur les

positions soviétiques ces garanties ni le fait que seule l’Armée rouge pouvait

défendre convenablement la Pologne.192

« In their failure to see in Nazism a greater danger than they feared

from Russia, while concomitantly disregarding Russia as a potentially

significant factor in European affairs, the proponents of appeasement

committed errors of judgement which inevitably retarded the course

of negotiations with Russia from mid-April to mid-August 1939.

»193

188

Overy, op. cit., p. 213. 189

Haslam, op. cit., p. 231. 190

Ibid., p. 231. 191

Ibid., p. 228. 192

Rock, op. cit., p. 93. 193

Ibid., p. 93.

Page 69: Université de Montréal Les historiens français et

61

Donc, la méfiance des britanniques envers l’URSS va les rendre aveugles au

danger de ne pas la considérer comme un allié potentiel de premier plan.

Évidemment, Rock affirme que la responsabilité de l’échec ne revient pas

uniquement à la Grande-Bretagne et à la France. Selon lui, les Soviétiques ne

s’engageront pas totalement dans les négociations en refusant de faire des

compromis et même en ajoutant de nouvelles exigences. Toutefois, selon Rock,

les Britanniques étaient mal avisés en traitant l’URSS comme une puissance de

second ordre, en proposant des ententes unilatérales, dans lesquelles seuls les

Soviétiques se compromettaient, et en créant des difficultés inutiles sur chaque

concession possible. Ce faisant, les Britanniques ont diminué leur crédibilité et

augmenté la méfiance soviétique.194

« In the final analysis, Britain's determination to keep Russia out of

Poland and the Baltic states outweighed the securing of Russian aid

against Germany. Unfortunately, the British accomplished neither,

salvaging only their reputation, which was of dubious practical value

in the circumstances. »195

Dans ces circonstances, il ne fait aucun doute que William Rock considère que la

principale responsabilité de l’échec revient aux pays occidentaux et non pas à

l’Union soviétique.

La position de P.M.H. Bell est intéressante. Il soutient, lui aussi, que la

garantie à la Pologne a été l’erreur fatale de l’Occident. Celle-ci condamnait

l’Ouest à choisir entre les Polonais ou les Soviétiques. Selon lui, la seule façon

d’en arriver à une entente avec l’URSS était de laisser tomber la Pologne.196

Mais, il reproche aux Soviétiques d’avoir utilisé les mêmes tactiques que les

Britanniques pour ralentir les négociations. Il affirme que si l’Ouest avait obtenu

l’accord de la Pologne pour laisser passer les troupes de l’Armée rouge, les

Soviétiques auraient répliqué avec une nouvelle demande concernant les

opérations navales dans la Baltique.197

Par contre, Bell affirme qu’aucun des deux

194

Ibid., p. 93-94. 195

Ibid., p. 94. 196

Bell, op. cit., p. 295. 197

Ibid., p. 295.

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62

camps ne doit être tenu responsable de l’échec, car l’URSS était en position de

force en négociant en même temps avec l’Allemagne et que sa décision devait

être prise en fonction de l’entente qui lui assurerait la meilleure sécurité.

« Between the two sides, the Soviet choice could scarcely be in doubt.

It is only surprising that so much obloquy has been heaped upon

Stalin's head for making the best deal that he could get, and that so

much criticism has been levelled at the British for their dilatoriness

when nothing could have enabled them to match the German offers.

The competition was decided on substance, not on method. »198

Ainsi, selon Bell, la politique réaliste de Staline est menée jusqu’à la toute fin des

négociations et le choix de l’Allemagne s’imposait de lui-même étant donné que

cette dernière pouvait offrir des avantages que, par principe, l’Ouest n’aurait

jamais pu accorder. Selon lui, les erreurs, d’un côté comme de l’autre, ne peuvent

expliquer l’échec des négociations anglo-franco-soviétiques. Cette position,

malgré qu’elle soit intéressante, reste marginale durant la période de 1975 à 1989.

Une autre position marginale à cette époque est celle de Geoffrey Roberts.

Comme nous l’avons vu, il est le seul historien qui soutient l’école de la sécurité

collective durant cette période. Par contre, sa position sur la responsabilité de

l’échec rejoint celle de la majorité des tenants de l’école de la realpolitik. Selon

lui, les Soviétiques demandent que le pacte militaire soit infaillible en raison de

leur méfiance envers la Grande-Bretagne et la France. Ils ne veulent surtout pas

se retrouver seuls à combattre l’Allemagne. Ainsi, ils veulent obtenir des

garanties qui empêcheront un nouveau Munich et qui assureront leur sécurité, ce

qui est tout à fait justifié.199

En contrepartie, l’attitude britannique est beaucoup

plus problématique aux yeux de Roberts. Il affirme que l’alliance avec l’URSS

était, au mieux, une deuxième option pour le gouvernement de Chamberlain, qui

préférait poursuivre l’appeasement avec Hitler. Il soutient que le gouvernement

198

Ibid., p. 296. 199

Roberts, The Unholy Alliance..., op. cit., p. 132-133.

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63

de Daladier était plus enclin à une entente avec Staline, mais qu’il a décidé de se

ranger derrière les Britanniques, « It was a recipe of failure ».200

Selon Roberts, l’incapacité des Puissances de l’ouest à satisfaire les

Soviétiques sur la question du passage des troupes de l’Armée rouge sur le

territoire polonais et roumain explique en partie, mais pas complètement, l’échec

des négociations et le retournement soviétique vers l’Allemagne.201

Selon lui, il

faut aussi prendre en compte deux autres facteurs importants. Tout d’abord, en

août, Staline est convaincu qu’une attaque contre la Pologne est imminente, ce

qui ajoute à l’empressement de conclure une entente qui assurera la sécurité

soviétique. Puis, toujours en août, l’approche allemande devient beaucoup plus

ambitieuse.202

Ainsi, dans ces circonstances, les Soviétiques comprennent qu’ils

n’obtiendront pas une entente satisfaisante avec l’Occident avant qu’une attaque

ait lieu sur la Pologne, mais qu’en contrepartie, ils peuvent en obtenir une avec

l’Allemagne.

« The Soviet turn to Germany on 17 August was a gamble. […]

Fundamentally, the Soviets opted to stand alone - to secure their

interests through independent action rather than collective security

and defence. They would accept isolation but they would not allow

themselves to become the victim of war. In return for giving Germany

a free hand against Poland and abandoning the alliance with the

Western powers, the USSR would receive guarantees of security in

the Baltic and the German eastward advance would be limited to

western Poland. »203

Ainsi, Roberts signifie que les dirigeants soviétiques ont fait un choix réaliste.

Cette décision est prise en fonction de l’attitude des délégations militaires

britannique et française, qui ne recherchent pas à conclure rapidement une

entente, contrairement à celle des dirigeants allemands, qui prennent l’initiative

de proposer des offres concrètes aux Soviétiques durant le mois d’août.204

Dans

cette optique, les négociations politiques entre mars et juillet ne sont pas

200

Ibid., p. 136. 201

Ibid., p. 142. 202

Ibid., p. 151. 203

Ibid., p. 154-155. 204

Ibid., p. 144.

Page 72: Université de Montréal Les historiens français et

64

réellement remises en cause, puisqu’avant la mi-août, « the operational objective

of Soviet policy had been to secure a suitable agreement with the Western

powers. »205

Par contre, dans le contexte du mois d’août 1939, l’attitude des

Puissances occidentales, combinée à celle de l’Allemagne, aura causé l’échec des

négociations tripartites.

Évidemment, entre la position de Watt et celle de Geoffrey Roberts, il y a

encore de grandes divergences qui démontrent bien qu’au crépuscule de la Guerre

froide, malgré la publication de nouvelles archives, de multiples zones grises et

des questions aux réponses hypothétiques émanent du débat autour de la nature

de la politique étrangère soviétique de 1939. Par contre, nous avons vu que

l’ensemble des écoles de pensée se rejoint de plus en plus, leurs idées se

rapprochant. Ainsi, la différence fondamentale entre les thèses de Watt et de

Roberts reste le moment de la décision soviétique de prioriser une entente avec

l’Allemagne. Pour Watt, après le coup de Prague, l’URSS recherche une entente

avec l’Occident, mais rapidement, à la fin de mai, elle prend la décision de se

tourner vers l’Allemagne puisqu’elle se rend compte que la Grande-Bretagne et la

France ne sont pas prêtes à signer une alliance solide. Pour Roberts, ce n’est pas

avant la mi-août que l’URSS se tourne vers l’Allemagne, mais essentiellement

pour les mêmes raisons qu’évoque Watt.

Puis, nous avons vu qu’entre ces deux positions, il y a les tenants de

l’école de la realpolitik. Ces derniers affirment que, durant les négociations

anglo-franco-soviétiques, se déroulent également des négociations germano-

soviétiques. Cela est en accord avec les idées de Watt, mais, pour l’école de la

realpolitik, la préférence est encore à une entente avec l’Occident, au moins

jusqu’en août. Cette dernière position rejoint celle de Roberts, à la différence que,

pour lui, entre les mois de mars et d’août 1939, il ne se déroule pas de

négociations entre l’Allemagne et l’URSS. Selon lui, les contacts entre ces deux

puissances durant cette période permettent de garder la porte ouverte du point de

205

Ibid., p. 144.

Page 73: Université de Montréal Les historiens français et

65

vue soviétique sans pour autant signifier qu’une entente est envisagée. Ce ne

serait que dans les circonstances particulières du mois d’août que les Soviétiques

décident de changer leur fusil d’épaule.

Ainsi, si nous excluons la position de Léon Noël, tous les historiens

franco-britanniques ayant publié une étude entre 1975 et 1989 que nous avons

cités affirment que la politique étrangère soviétique a tout d’abord été dirigée vers

une entente avec l’Occident. Ensuite, ils reconnaissent tous que le choix de

Staline de s’entendre avec l’Allemagne était justifié, étant donné que c’est une

politique réaliste qui avait mené à cette décision. La justification de celle-ci est,

par ailleurs, constamment reliée à la sécurité soviétique. Au final, tous

reconnaissent que les propositions franco-britanniques n’étaient pas suffisantes

pour assurer cette sécurité, alors que le Pacte germano-soviétique l’était, du

moins à court terme. Puis, nous avons vu que l’immense majorité des historiens,

dont Watt, soutient que la responsabilité principale de l’échec repose sur les

épaules de l’Entente et non pas sur l’Union soviétique.

Cela laisse un point de litige majeur entre les différentes écoles de pensée,

soit le moment de la décision soviétique de rechercher une entente avec

l’Allemagne en priorité. Nous avons vu que même à l’intérieur des différentes

écoles, il n’y a pas de consensus et que plusieurs historiens préfèrent parler en

termes plus larges que d’évoquer une date précise. Cela signifie que l’accès aux

sources n’est pas suffisant. Dans ces conditions, les réponses apportées par les

différents historiens restent de l’ordre de l’hypothèse et du recoupement entre

diverses sources imprécises. Évidemment, le fait que les différents intervenants

ne s’entendent pas sur la date de la décision amène une interprétation différente

de la nature de la politique étrangère soviétique durant les négociations tripartites.

Quoi qu’il en soit, la notion d’une politique uniquement dirigée vers une entente

germano-soviétique entre mars et août 1939 est largement disparue.

Malgré tout, certains soutiennent encore que le Pacte Molotov-

Ribbentrop est l’aboutissement d’une politique menée depuis plusieurs mois,

Page 74: Université de Montréal Les historiens français et

66

mais ceux-ci sont loin de constituer une majorité entre 1975 et 1989. La plupart

des intervenants ne décrivent pas la décision de Staline comme perfide, mais bien

comme réaliste et tout à fait justifiable. De plus, ceux-ci affirment que la décision

a été prise à la fin des négociations tripartites, alors que l’échec de celles-ci était

constaté. Encore une fois, le débat historiographique qui se déroule en Grande-

Bretagne et en France entre 1975 et 1989 ne ressemble en rien à celui qui avait

lieu avant 1961 et la publication de la thèse de Taylor. Par contre, il reste encore

un frein qui limite le soutien à l’école de pensée de la sécurité collective et celui-

ci est sur le point d’être relâché avec le démantèlement de l’Union soviétique :

l’accès aux sources.

Page 75: Université de Montréal Les historiens français et

67

Chapitre 3. 1990 à 2011, la continuité

« There are few unresolved questions concerning the origins of the

Second World War that have provoked as much disputation as the

issue of Soviet policy toward Nazi Germany. In the absence of a

complete opening of the Politburo papers on foreign affairs and the

personal and state papers of Stalin and Molotov, no one has yet been

in a position to say the final word on the subject. »206

Durant les années comprises entre 1990 et 2011, le contexte dans lequel

les historiens écrivent est différent de celui des deux périodes précédentes.

L’Union soviétique cesse officiellement d’exister à la fin de l’année 1991.

Toutefois, durant les dernières années de son existence, elle est aux prises avec

une crise interne qui la pousse à se désengager sur la scène internationale. En

1988 et 1989, l’URSS quitte l’Afghanistan et n’intervient pas lorsque les régimes

communistes d’Europe de l’Est commencent à imploser; elle abandonne son

hégémonie face à la menace de sa désagrégation interne.207

C’est la fin de la

Guerre froide et de sa propagande. Cela ne signifie pas pour autant que

l’ensemble des sources soviétiques devient accessible du jour au lendemain, mais

la situation continue de s’améliorer aux yeux des historiens occidentaux.

Nous avons vu, dans les chapitres précédents, qu’à partir de 1961, la

nature du débat concernant la politique étrangère soviétique de 1939 en Grande-

Bretagne et en France est grandement modifiée. Toutefois, il reste toujours à

démontrer qu’il n’y a pas eu de fracture dans l’historiographie à la suite de la fin

de la Guerre froide. Nous soutenons que l’évolution du débat est due à un plus

grand accès aux archives soviétiques.208

C’est donc dans un esprit de continuité

206

Jonathan Haslam, « Soviet-German Relations and the Origins of the Second World War : The

Jury Is Still Out », The Journal of Modern History, vol. 69, no. 4 (déc. 1997), p. 785. 207

« URSS », Encyclopédie Larousse [En ligne], http://www.larousse.fr/encyclopedie/autre-

region/URSS/138908 (page consultée le 15/07/15). 208

Curtis Keeble, Britain, the Soviet Union and Russia, London, Macmillan, 2000 [1990], p. 147-

148.

Page 76: Université de Montréal Les historiens français et

68

que de nouvelles thèses sont publiées concernant les négociations tripartites de

1939 en France et en Grande-Bretagne.

Évidemment, il est maintenant nécessaire d’intégrer dans notre analyse

l’utilisation ou non d’archives soviétiques par les historiens cités, puisque cela

influence les conclusions auxquelles ils arrivent. Nous pouvons immédiatement

affirmer que très peu d’auteurs lisent le russe. Parmi les auteurs que nous

citerons, seuls Roberts, Carley, Watson, Haslam et Dullin ont consulté de façon

significative les documents de Moscou. Ainsi, durant l’ensemble du chapitre, il

faut garder en tête que tous les autres historiens se basent sur des documents

étrangers ou sur des études publiées par d’autres auteurs lorsqu’ils abordent la

politique étrangère soviétique.

I. À quand remonte la décision soviétique de prioriser une

entente avec l’Allemagne?

Avec How War Came, D.C. Watt avait rapproché les idées de l’école

« allemande » à celles de la realpolitik. À partir de 1990, certains historiens

utilisent encore quelques arguments de cette première école, mais il ne se trouve

plus d’ouvrage significatif, publié en France et en Grande-Bretagne, soutenant la

thèse d’une décision soviétique précoce de prioriser une entente avec

l’Allemagne. Le débat oppose donc deux écoles qui soutiennent que la décision a

été prise de façon tardive. Nous avons donc regroupé les auteurs par école de

pensée, alors que dans les chapitres précédents, ceux-ci étaient présentés dans un

groupe plus large comprenant l’ensemble des tenants d’une décision tardive.

Curtis Keeble fait partie des historiens adhérant à l’école de la realpolitik.

Selon lui, le moment où l’URSS décide de prioriser une entente avec l’Allemagne

n’est pas le même que celui où les Soviétiques acceptent les clauses générales

d’un traité et la venue de Ribbentrop.

Page 77: Université de Montréal Les historiens français et

69

« The decision in principle against the Franco-British alliance was

probably taken in early August, between the end of the political and

the beginning of the military negotiations and the definitive

commitment to the German Treaty in the final few days before

Ribbentrop's arrival. »209

Nous avons déjà vu que les historiens reconnaissent généralement que les

Soviétiques n’ont pas été impressionnés par les délégations militaires française et

britannique, tout comme ils acceptent le fait qu’au début du mois d’août, les

Allemands soumettent une offre intéressante à l’URSS. Selon Keeble, ce serait

dans ce contexte que les dirigeants soviétiques décident d’accorder la priorité à

une entente germano-soviétique. À partir de ce moment, les discussions entre

Staline et Hitler auraient avancé rapidement et mené à la confirmation que cette

avenue serait celle choisie par l’URSS dans les derniers jours avant l’arrivée de

Ribbentrop.210

Par contre, il y a peu d’historiens qui s’accordent sur les dates

exactes.

Les historiens Yves Durand et Yves Santamaria soutiennent, pour leur

part, qu’au début du mois d’août, les Allemands prennent l’initiative d’inviter

l’URSS à la négociation de façon définitive. Durand affirme que c’est le 3 août

qu’une offre majeure est faite211

, alors que Santamaria propose le 8 août. Selon ce

dernier, ce serait à cette date que les nazis auraient proposé une main libre à

Moscou en Europe de l’Est. Après une réflexion d’une dizaine de jours, la

décision de s’entendre avec Hitler aurait été entérinée par le Politburo le 19

août212

, ce qui concorde avec la position de Keeble, sans que ce dernier ne

propose de dates précises.

De son côté, l’historien et politologue français Pierre Milza accepte la

version selon laquelle le Maréchal Vorochilov avait lui aussi le mandat de ralentir

les pourparlers militaires.

209

Ibid., p. 158. 210

Ibid., p. 158. 211

Yves Durand, Les causes de la Deuxième Guerre mondiale, Paris, Armand Colin, 1992, p. 57. 212

Yves Santamaria, 1939, Le Pacte Molotov-Ribbentrop, Bruxelles, Complexe, 1998, p. 26-27.

Page 78: Université de Montréal Les historiens français et

70

« Le Maréchal Vorochilov qui dirige la délégation soviétique a tôt fait

de comprendre que les Britanniques ont pour consigne de "conduire

les négociations avec une grande lenteur... en termes aussi généraux

que possible", alors que lui-même, vraisemblablement avec le même

objectif dilatoire, car déjà les conversations parallèles avec les

Allemands ont commencé ».213

Si l’historien français croit que les négociations avec l’Allemagne sont déjà

entamées lorsque les discussions militaires s’engagent avec l’Entente, il n’en

reste pas moins qu’il estime que la question du passage des troupes soviétiques

sur le territoire de la Pologne est une des principales causes de l’échec à ce

stade.214

Par contre, l’auteur britannique Victor Rothwell croit plutôt que la

proposition allemande est seulement arrivée entre les mains des Soviétiques le 12

août, après l’arrivée des délégations militaires.215

On remarque donc qu’à

l’intérieur de l’école de la realpolitik, on est toujours incapable d’établir un

consensus concernant le déroulement des dernières semaines de négociations. Ce

manque de précision s’explique en partie par le fait qu’aucun de ces historiens n’a

consulté de façon significative les archives soviétiques.

Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant qu’encore une fois, plusieurs

historiens affirment que les sources qui permettraient d’établir une date précise

n’ont toujours pas été dévoilées. C’est le cas de R.A.C. Parker, qui, en 1993,

affirme : « We do not yet know when Stalin and his associates decided to make a

bargain with Hitler rather than to join Britain and France to fight him ».216

Malgré

cela, Parker suppose que la décision a probablement été prise après que les

discussions militaires entre Moscou, Londres et Paris eurent débuté, ce qui nous

amène encore une fois à la mi-août.217

De son côté, Jonathan Haslam affirme,

dans un article écrit en 1997, que la dernière ligne droite des discussions vers le

213

Pierre Milza, Les relations internationales de 1918 à 1939, Paris, Armand Colin, 2008 [1995],

p. 233. 214

Ibid., p. 233. 215

Victor Rothwell, The Origins of the Second World War, Manchester, Manchester University

Press, 2001, p. 123. 216

R.A.C. Parker, Chamberlain and Appeasement. British Policy and the coming of the Second

World War, New York, St. Martin Press, 1993, p. 242. 217

Ibid., p. 242.

Page 79: Université de Montréal Les historiens français et

71

Pacte Molotov-Ribbentrop « is still to some extent cloaked in mystery ».218

Ces

propos vont dans le même sens que ceux de Frank McDonough, qui affirme en

1998 que « The fragmentary Soviet evidence leaves open the question of when

Stalin decided to abandon working with Britain and France, and considered

coming to terms with Hitler. »219

Malgré cela, il croit, lui aussi, que le Pacte

germano-soviétique ne faisait pas partie d’un plan longuement mûri du côté

soviétique.220

Du côté de l’école de la sécurité collective, la situation est très

semblable : il n’existe pas de réel consensus sur le moment de la décision

soviétique de se tourner vers le IIIe Reich plutôt que vers l’Entente. Geoffrey

Roberts affirme, dans un article en 1992, que le 4 août, Molotov envoie le signal

aux Allemands qu’il est prêt à continuer « with the exchange of views in general

terms ».221

Selon lui, cette position, qui démontre une ouverture sans plus, est

tenue durant deux autres semaines, pendant lesquelles les négociations militaires

avec l’Entente s’entament, puis en arrivent à une impasse en raison du refus

polonais de laisser passer les troupes soviétiques.

« The Soviet turn to Germany did not begin until the end of July 1939

and only began to gather real momentum in the middle of August

when the triple alliance negotiations with Britain and France finally

broke down. »222

Ainsi, on réalise que sa position est identique, à toutes fins pratiques, à celle de

l’école de la realpolitik. Roberts maintient le même argumentaire en 2006,

lorsqu’il publie son ouvrage Stalin’s wars dans lequel il affirme : « Stalin's

decision to do this deal with Hitler [...] was a dramatic, last minute

improvisation ».223

218

Haslam, « Soviet-German Relations… », loc. cit., p. 797. 219

Frank McDonough, Neville Chamberlain, appeasement and the British road to war,

Manchester, Manchester University Press, 1998, p. 85. 220

Ibid., p. 85. 221

Roberts, « The Soviet Decision… », loc. cit., p. 67. 222

Ibid., p. 74. 223

Geoffrey Roberts, Stalin’s wars : from World War to Cold War, 1939-1953, London, Yale

University Press, 2006, p. 5.

Page 80: Université de Montréal Les historiens français et

72

Les dates proposées par Roberts concordent avec celles proposées par

l’école de la realpolitik. Selon lui, le véritable changement d’attitude, du côté

soviétique, serait survenu le 11 août.

« Molotov replied to Astakhov on 11 August. Moscow was interested

in the points made in his letter but such discussions required

preparation and a period of transition from the trade and credit

agreement to other problems. This was the first sign that Moscow was

seriously considering a wide-ranging deal with Berlin. »224

Par la suite, les événements se seraient bousculés. Le 17 août, Staline aurait pris

sa décision de négocier sérieusement avec Hitler et, le 19 août, Molotov aurait

fait comprendre à Schulenberg qu’il était sérieux.

« At a further meeting with Schulenburg on 19 August Molotov made

it clear that before Ribbentrop came to Moscow it had to be certain

that an agreement would be reached and this meant that the matter of

the special protocol had to be clarified first. »225

L’historien Michael J. Carley, qui est inclus dans notre recherche malgré

son origine américaine, a eu une influence certaine dans l’historiographie de notre

sujet avec son ouvrage 1939. L’alliance de la dernière chance. Selon lui, les

négociations dans le but d’en arriver à un pacte de non-agression germano-

soviétique ne débutent que le 17 août et ne se concrétisent que le 19 août, après

que les Allemands eurent mis énormément de pression sur Molotov pour obtenir

une réponse claire de ses intentions.226

De son côté, l’historien Derek Watson a écrit un ouvrage sur les

négociations tripartites de 1939 du point de vue de Molotov. Selon lui, les

dirigeants soviétiques commencent à mettre leur espoir du côté allemand après le

3 août, date à laquelle le commissaire aux Affaires étrangères rencontre

Schulenberg.227

Mais, il précise que Molotov était encore résistant à accepter la

224

Idem, « The Soviet Decision… », loc. cit., p. 68. 225

Ibid., p. 69-70. 226

Carley, op. cit., p. 243 à 245. 227

Derek Watson, « Molotov’s Apprenticeship in Foreign Policy : The Triple Alliance

Negotiations in 1939 », Europe-Asia Studies, vol. 52, no. 4 (Jun., 2000), p. 714.

Page 81: Université de Montréal Les historiens français et

73

venue de Ribbentrop et qu’il parlait encore de la possibilité d’en arriver à une

alliance avec l’Entente aussi tard que le 20 août.228

L’historienne française Annie Lacroix-Riz, qui publie son ouvrage en

2010, reste dans la lignée de l’école de la sécurité collective. Selon elle, appuyée

par une référence à Geoffrey Roberts, les Soviétiques ne démontrent pas d’intérêt

pour un accord avec l’Allemagne avant le 11 août 1939.229

Elle ajoute que les

discussions germano-soviétiques débutent par la suite, à la mi-août, et que ce

n’est que le 19 août au soir que la politique soviétique est modifiée, citant

Doumenc.230

« “Nous avons eu depuis des indications reproduites par toute la

presse et qui situent exactement au 19 août à 10 heures du soir la

réunion du Politburo à laquelle Staline notifia le renversement de la

politique que l'URSS allait effectuer"; cette date “correspond

exactement à l'heure où les Soviétiques ont pu savoir par les

télégrammes que les négociations avec la Pologne ne conduisaient à

aucun résultat et qu'ils n'avaient aucune chance d'obtenir le moindre

avantage, s'ils continuaient à lier partie avec les Alliés.” »231

Cette date, le 19 août, semble donc s’être imposée un peu plus précisément dans

l’école de la sécurité collective. Toutefois, on remarque qu’on y fait référence à

elle comme étant la journée où la décision est entérinée, alors que le moment où

on commence à prioriser une entente avec l’Allemagne reste imprécis, et ce,

malgré le fait que Roberts, Carley et Watson aient consulté les archives

soviétiques.

Tous les auteurs, tenants de la realpolitik tout comme ceux de la sécurité

collective, situent donc le moment de la décision soviétique de prioriser

l’Allemagne entre le 3 et le 19 août. Par contre, il n’existe toujours pas de

véritable consensus sur la question au sein de nos deux écoles de pensées. Les

thèses en cours durant les années 1990 et 2000 sont donc les mêmes, quoique un

228

Ibid., p. 715. 229

Annie Lacroix-Riz, Le choix de la défaite. Les élites françaises dans les années 1930, Paris,

Armand Colin, 2010 [2006], p. 496. 230

Ibid., p. 500-501. 231

Ibid., p. 501.

Page 82: Université de Montréal Les historiens français et

74

peu plus précises, que celles qui étaient soutenues par la vaste majorité des

historiens franco-britanniques entre 1961 et 1989. D’ailleurs, la même

indétermination subsiste concernant le moment exact de la décision soviétique de

prioriser une entente avec l’Allemagne. Nous assistons donc au prolongement du

débat qui avait lieu durant la Guerre froide en ce qui concerne la chronologie des

événements. On voit bien qu’il est difficile de distinguer les écoles de pensées en

ce qui a trait au moment où l’URSS priorise une entente avec l’Allemagne,

puisque c’est plutôt les motivations de ce choix et les intentions soviétiques qui

divisent les historiens, étant donné l’effacement de l’école « allemande ».

II. La perception de la nature de la politique étrangère

soviétique durant les négociations tripartites

Si l’analyse de la perception du moment du renversement de la politique

étrangère soviétique ne nous permet pas de différencier significativement la

période de la Guerre froide et celle qui l’a suivie, il est toutefois possible que

l’interprétation de sa nature profonde ait été modifiée. Nous allons donc établir

les arguments des historiens franco-britanniques qui ont écrit entre 1990 et 2011

sur cet aspect du débat, afin de les comparer avec ceux des deux périodes

précédentes.

Curtis Keeble représente bien les idées de l’école de la realpolitik vers la

fin de la Guerre froide. Il affirme que l’URSS abandonne la politique de la

sécurité collective dès le 10 mars232

, mais il soutient tout de même que l’URSS

fait preuve de réalisme politique au début des négociations en 1939. Cette

position est pleinement soutenue par David Dilks.

« On 10 March Stalin had indicated plainly that the way might be

open for improved relations. [...] This speech, Ribbentrop remarked to

Molotov and Stalin as they all drank to the Nazi-Soviet pact in the

232

Keeble, op. cit., p. 145.

Page 83: Université de Montréal Les historiens français et

75

Kremlin on the eve of the war, had been well understood in

Germany. »233

Malgré le dénouement que l’on connaît, Keeble croit que les dirigeants

soviétiques n’avaient pas plus confiance en Hitler qu’envers l’Entente, mais

qu’ils comprenaient que l’Allemagne était le facteur dominant de l’équilibre

européen.234

Dans ces circonstances, il n’y avait aucun avantage, pour l’Union

soviétique, à se lier les mains dans une alliance avec la France et la Grande-

Bretagne, « unless the terms of that alliance were such as to bring a reinforcement

of Soviet security powerful enough to offset the added risk of conflict with

Germany as well as the threat from Japan. »235

Encore une fois, on remarque que

c’est l’idée de sécurité qui amène un changement dans la politique soviétique,

selon l’auteur.

Keeble affirme que, malgré tout, suite au coup de Prague le 15 mars, la

réaction soviétique « still echoed the old policy of collective security »236

,

puisque les changements n’avaient pas eu le temps d’être effectués. Toutefois, les

effets du discours ne tardent pas à se faire sentir, avec le renvoi de Litvinov le 3

mai.237

À ce moment, la décision soviétique de prioriser une entente avec

l’Allemagne n’aurait pas encore été définitivement prise, ce qui n’empêche pas

que l’idée circulait chez les hauts dirigeants.

« It is probable that up to the time of Litvinov's fall, no definite

decision had been taken. [...] On the Soviet side, there was the

beginning of a readiness to make the switch, but for the time being

the Germans were stalled, while Molotov formed his own judgement

as to the value of the negotiations with Britain and France. »238

Dans cette optique, l’arrivée de Molotov ne signifie pas pour autant la fin de tout

espoir d’entente avec la Grande-Bretagne et la France. D’ailleurs, l’auteur assure

que Litvinov n’aurait jamais pu poursuivre aussi longtemps la politique de la

233

David Dilks, « “We must hope for the best and prepare for the worst” : the Prime minister, the

Cabinet and Hitler’s Germany, 1937-1939 » dans Patrick Finney, op. cit., p. 51. 234

Keeble, op. cit., p. 147-148. 235

Ibid., p. 147-148. 236

Ibid., p. 145. 237

Ibid., p. 147. 238

Ibid., p. 147-148.

Page 84: Université de Montréal Les historiens français et

76

sécurité collective sans avoir l’appui de Staline. Mais, en 1939, celle-ci avait subi

nombre d’échecs et l’idée que la politique étrangère soviétique devait être

réalignée, afin d’assurer la meilleure sécurité possible au pays, s’était imposée.239

Les historiens Yves Santamaria et Martin Alexander soutiennent une

position semblable à celle de Keeble. Selon Santamaria, c’est à partir du coup de

Prague que Staline devient l’arbitre de la situation, ce qui lui permet, un mois

plus tard, d’amorcer simultanément des négociations avec l’Entente et

l’Allemagne.240

De son côté, Alexander soutient que, se sachant en position de

force, les dirigeants soviétiques se sont montrés intransigeants durant les

négociations.

« Stalin, who could not be directly attacked on land by Germany,

possessed all the bargaining chips. This balance of advantage was

calculated in itself to turn the Soviets – ostracised by the French and

British government as recently as the Munich conference – into

uncompromising negotiators. Over and above this consideration,

however, was the fact that the Germans had begun extending their

own commercial and political overtures to Stalin, through their

ambassador in Moscow, Schulenberg, in the early months of 1939.

Suddenly in the unaccustomed position of being wooed by both sides,

Stalin was able to await the rival bids, playing the game of a politique

de surenchères. »241

Il est à noter que dans cette citation, c’est l’Allemagne qui fait des avances à

l’Union soviétique et non l’inverse, une notion qui ne fait toujours pas

l’unanimité au sein de l’école de la realpolitik. Curtis Keeble est de ceux qui

présentent la nature des relations germano-soviétiques en 1939 sous le même

angle qu’Alexander.

« From the outset, their disposition was not to commit themselves, but they

decided to establish the maximum which could be obtained from this source

while keeping their options in relation to Germany open. Meanwhile, they left it

to Germany to make the running if it wished to supplant the British and

French. »242

239

Ibid., p. 147. 240

Santamaria, op. cit., p. 25-26. 241

Martin S. Alexander, The Republic in Danger. General Maurice Gamelin and the politics of

French defence, 1933-1940, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 302. 242

Keeble, op. cit., p. 158.

Page 85: Université de Montréal Les historiens français et

77

Ainsi, pour Keeble, Santamaria et Alexander, il ne fait aucun doute que Staline a

mené des négociations en parallèle avec l’Allemagne et l’Entente. Loin de

présenter le secrétaire général de l’Union soviétique comme « perfide », ils

soutiennent, comme nombre d’historiens avant eux, que l’objectif premier de sa

politique était de protéger son pays.

L’historien britannique R.A.C. Parker n’est toutefois pas en accord avec

ces derniers. Il croit qu’au mois de mai, ce sont les Soviétiques qui ont pris

l’initiative d’un rapprochement avec Berlin. Selon lui, Molotov demande à ce

qu’il y ait des discussions économiques, mais Hitler, jouant de prudence,

n’acceptera pas avant le 17 juin.243

Cette position est aussi soutenue par Jonathan

Haslam, dans un article publié en 1997. Il soutient toujours que le renvoi de

Litvinov n’a pas amené un changement complet de la politique soviétique, mais il

croit tout de même qu’il est vraisemblable que l’URSS ait pris l’initiative dans

ses négociations avec l’Allemagne, et ce, dès le mois de mai.244

Il ajoute

d’ailleurs que le facteur dominant dans la politique de Staline durant la décennie

1930 est la recherche de la paix pour reconstruire l’Union soviétique, processus

toujours inachevé en 1939 et qui, a priori, n’exclut pas l’entente avec les pays

fascistes.245

Ce serait donc dans cette optique que, déjà en 1935 et 1937, les

Soviétiques auraient montré des signes d’ouverture envers l’Allemagne, une

tendance qui se concrétisera avec une invitation aux rapprochements en 1939

malgré la poursuite de négociations parallèles avec les pays occidentaux.246

« The attempts to try an alternative line behind Litvinov's back

through the 1930s found eventual success with the signature of the

pacts with Germany in August and September 1939. There are too

many unanswered questions, such as the soundings made by

Astakhov, the charge d'affaires in Berlin, toward the Bulgarian

minister Dragonov, to be satisfied with Roberts's contention that

Stalin merely waited upon events. »247

243

Parker, op. cit., p. 237. 244

Haslam, « Soviet-German Relations… », loc. cit., p. 793-794. 245

Ibid., p. 786-787. 246

Ibid., p. 790-791. 247

Ibid., p. 795.

Page 86: Université de Montréal Les historiens français et

78

Dans cet extrait, Haslam s’oppose directement aux arguments de l’auteur le plus

identifié à l’école de la sécurité collective, Geoffrey Roberts. Il croit que ce

dernier ne va pas assez loin dans ses recherches pour affirmer que l’URSS est

restée passive vis-à-vis de l’Allemagne durant l’ensemble des négociations de

1939.

« Indeed, Roberts, with no access to Stalin's papers and without

having consulted any Soviet foreign commissariat documents other

than those published, goes so far as to deny that the Russians initiated

any advances toward Berlin, even in 1939. »248

Ainsi, on retrouve encore cette même critique selon laquelle l’accès aux sources

importantes n’est pas suffisant pour conclure que l’URSS n’a pas négocié avec

l’Allemagne avant le mois d’août 1939. Dans la même optique, Haslam se permet

de douter de la version proposée par Roberts de la rencontre entre Weizsacker et

Merekalov du 17 avril.

« Roberts is of course right to say now that too much should not be

made of the conversation, but Merekalov was clearly receptive to

Weizsacker's approach; and we should bear in mind that the

document published by the Russians contains signs that portions of

the text have been excised. »249

On se retrouve donc encore une fois à critiquer la validité de sources d’origine

soviétique. Alors que certains historiens en acceptent le contenu, d’autres croient

que les documents qui ont été dévoilés l’ont été dans l’objectif précis de renforcer

la thèse de l’école de la sécurité collective.

« Roberts relies too heavily on edited Soviet documents and

secondary sources-but archives are open on the period through 1939.

Let us hope therefore that further research will bring us closer to the

answers before too long. »250

L’historien Pierre Grosser, qui écrit en 1999, est tout aussi critique

qu’Haslam envers l’école de la sécurité collective, qu’il juge dépassée.

248

Ibid., p. 785. 249

Ibid., p. 793. 250

Ibid., p. 795.

Page 87: Université de Montréal Les historiens français et

79

« La version présentant une Union soviétique inquiète, attachée à la

sécurité collective, qui aurait cherché en vain à entraîner les

démocraties occidentales dans une alliance antifasciste, mais qui

aurait été trahie en Espagne puis à Munich, et présentant un Staline

qui n'aurait négocié avec Hitler qu'en dernier recours et uniquement

pour des raisons de sécurité, parce que Paris et Londres n'arrivaient

pas à se résigner, même en 1939, à un front anti-hitlérien à trois, a

perdu de sa crédibilité. »251

S’il semble catégorique sur l’invalidité de cette thèse, il concède néanmoins que

les nouveaux documents soviétiques disponibles ont permis « de corriger les

reconstructions opérées uniquement à partir des archives allemandes ou de

Soviétiques ayant fait défection. »252

Le Britannique Frank McDonough est un autre historien pour qui il ne fait

aucun doute que l’URSS a conservé ses différentes options ouvertes durant les

négociations tripartites de 1939.

« In May 1939, the pro-league, and Jewish, Litvinov was replaced by

the hard-line Molotov as Soviet foreign minister. The friendly tone of

the German press towards Stalin is noticeable in the summer of 1939.

Yet all these events can be seen as isolated incidents, not part of a

long-term Soviet plan for a pact. »253

Il n’est donc pas partisan de l’école « allemande » ni de celle de la sécurité

collective. D’ailleurs, il critique sévèrement les arguments de la première.

« In spite of all the various attempts to build up a picture of Stalin

cold-bloodedly plotting a Nazi-Soviet pact, the whole argument is

extremely unconvincing. It depends on the assumption that the Soviet

Union entered negotiations with Britain and France for alliance under

false pretences. It seems much more likely, and more in accordance

with diplomatic evidence, that if Britain and France had sought a

straightforward military alliance, and had agreed the details later, then

this agreement could have been signed quickly in the weeks after the

German attack on Prague. »254

Il se retrouve ainsi à soutenir la même thèse que l’ensemble des tenants de l’école

de la realpolitik : l’Union soviétique a conservé ses options ouvertes en 1939 et

malgré qu’elle ait une préférence pour une alliance avec la Grande-Bretagne et la

251

Pierre Grosser, Pourquoi la Seconde Guerre mondiale?, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 231. 252

Ibid., p. 231. 253

McDonough, op. cit., p. 85. 254

Ibid., p. 85-86.

Page 88: Université de Montréal Les historiens français et

80

France, les événements vont faire en sorte que l’Allemagne deviendra la seule

option valable à court terme.255

Malgré que Grosser ait jugé sévèrement l’école de la sécurité collective, il

est en accord avec la critique de l’école « allemande » faite par McDonough. Il se

dit très peu impressionné par l’école qui présente Staline comme un « calculateur

recherchant avec constance l’alliance allemande ».256

Selon lui, durant les années

1930, la politique soviétique est principalement « réactive » et « pragmatique »,

ainsi que « méfiante à l’égard des politiques allemande, anglaise et française. » 257

Devant la peur d’une guerre sur deux fronts, Staline va raviver l’option allemande

au printemps 1939.258

C’est de cette même façon que perçoit la situation l’historien et

politologue Pierre Milza, qui publie un ouvrage général des relations

internationales durant l’entre-deux-guerres en 2008.

« La lenteur apportée par les dirigeants britanniques incline le

dictateur du Kremlin à penser qu'elles sont le signe d'une duplicité, et

qu'il convient dans ces conditions de tenir deux fers au feu en ne

négligeant pas la possibilité d'une entente avec l'Allemagne. Le

remplacement en URSS de Litvinov, qui avait la réputation d'être

anglophile, par le docile et impénétrable Molotov, début mai 1939,

paraît indiquer à cet égard un changement de la politique soviétique.

»259

C’est donc en réaction à la politique britannique que Staline aurait modifié sa

politique. Dans son esprit, la nomination de Molotov au poste de commissaire

aux Affaires étrangères est donc un signal des changements en cours dans la

politique soviétique.

255

Frank McDonough, « When Instinct Clouds Judgement : Neville Chamberlain and the Pursuit

of Appeasement with Nazi Germany, 1937-9 » dans Frank McDonough, The Origins of the

Second World War : A International Perspective, London, Continuum International Publishing

Group, 2011, p. 201. 256

Grosser, op. cit., p. 232. 257

Ibid., p. 233. 258

Ibid., p. 231-233. 259

Milza, op. cit., p. 233.

Page 89: Université de Montréal Les historiens français et

81

De son côté, Victor Rothwell, qui publie en 2001, affirme que l’URSS a

écouté les offres des deux camps en 1939, pour finalement préférer celle de

l’Allemagne.260

« As has already been noted, he [Stalin] had a strong sense of various

options being open to him: alignment with the Western powers, with

Germany or neutrality while the other large powers fought and

weakened one another, making Russia relatively stronger without it

having to make any actual effort. Even a study sympathetic to the

problems facing Soviet policymakers can say no more than that there

were 'attitudinal dualisms' in which collective security was the

preferred policy but not the only one. »261

On comprend donc que la position de Rothwell est exactement en phase avec

celle de l’ensemble des tenants de l’école de la realpolitik. Au début des

négociations, l’Occident avait une longueur d’avance, mais le déroulement des

événements entre mars et août 1939 va amener les dirigeants soviétiques à

explorer plus sérieusement leurs autres options. D’ailleurs, selon l’auteur, ce sont

les Allemands qui vont se montrer ouverts à un rapprochement avec les

Soviétiques en mai. Ces derniers se seraient contentés de spécifier que toutes

discussions économiques devaient s’accompagner de pourparlers politiques.262

Sabine Dullin est certainement l’historienne française la plus importante

pour l’école de la realpolitik depuis l’effondrement de l’URSS. Son ouvrage, Des

hommes d’influences. Les ambassadeurs de Staline en Europe. 1930-1939, traite

longuement de la politique étrangère soviétique des années 1930 en se basant sur

des archives provenant de Moscou, contrairement à la majorité des intervenants

au sein de cette même école de pensée. Selon l’historienne, c’est à partir du 31

mars 1939, en raison de la garantie unilatérale donnée à la Pologne par la Grande-

Bretagne, que la position soviétique est modifiée, puisqu’une partie de la frontière

du pays n’est plus aussi vulnérable et que les Anglais auront tôt ou tard besoin

des Soviétiques263

, comme le faisait remarquer Litvinov : « Nous savons très bien

260

Rothwell, op. cit., p. 7. 261

Ibid., p. 118. 262

Ibid., p. 123. 263

Sabine Dullin, Des hommes d’influences. Les ambassadeurs de Staline en Europe. 1930-1939,

Paris, Payot & Rivages, 2001, p. 307-308.

Page 90: Université de Montréal Les historiens français et

82

qu’il est impossible de retenir et d’arrêter l’agression en Europe sans nous et, plus

tard, on sollicitera notre aide, plus cher, il faudra nous payer. »264

Cette modification à la position soviétique, rapidement identifiée par

Litvinov lui aura été fatale, selon Dullin. Étant donné que le commissaire aux

Affaires étrangères était intimement lié à la politique de sécurité collective, il

devenait vraisemblablement gênant car Staline désirait maintenant écouter les

offres faites de part et d'autre.265

Malgré tout, l’auteure maintient que ce sont les

Allemands qui ont pris des initiatives de rapprochement et que l’URSS s’est

contentée de montrer des signes d’ouverture sans plus, ne voulant pas sacrifier ses

négociations avec les Puissances occidentales avant que l’Allemagne ne se

montre plus concrète dans ses intentions, ce qui expliquerait pourquoi Molotov a

demandé qu’il y ait la création d’une base politique solide avant d’entamer des

négociations économiques avec l’Allemagne.266

« Dès le mois d’avril, l’exploration des possibilités diplomatiques du

côté de l’Allemagne est incontestable. Or, Litvinov faisait trop

pencher la balance du seul côté des démocraties. »267

Ainsi, on retrouve, encore une fois, cette définition de politique réactive et

pragmatique du côté soviétique. Par contre, on sent qu’il reste toujours une zone

grise dans l’interprétation des premiers contacts entre l’Allemagne et l’URSS en

1939. Les tenants de l’école de la realpolitik n’arrivent pas à établir un consensus

sur la prise d’initiative ou non de la part des dirigeants soviétiques durant les

mois d’avril et de mai. Il y a deux tendances à l’intérieur de cette école. La

première, menée par Haslam et Parker, est plus proche de l’école « allemande » et

soutient que l’URSS a initié des contacts avec Hitler. Alors que la deuxième

tendance, menée par Keeble, Alexander, Rothwell et Dullin est plus près de

l’école de la sécurité collective en soutenant que l’initiative est restée du côté de

264

Maxim Litvinov dans Dullin. op. cit., p. 308. 265

Dullin, op. cit., p. 313. 266

Ibid., p. 314. 267

Ibid., p. 315

Page 91: Université de Montréal Les historiens français et

83

Berlin jusqu’au mois d’août. Dans le cas de cette deuxième tendance, ce qui la

distingue des idées de Geoffrey Roberts, c’est qu’elle reconnaît que dès mars, ou

bien, au plus tard, en mai, les Soviétiques sont ouverts à l’idée d’une alliance

avec l’Allemagne.

Toutefois, dans le cas des deux tendances, il n’est jamais question d’un

plan longuement mûri supposant que Staline aurait eu comme unique objectif de

signer un pacte avec l’Allemagne. La définition que l’on retrouve est celle d’un

dirigeant qui avait comme priorité la sécurité de son pays et qui a usé d’une

politique réaliste pour y arriver. Malgré la préférence soviétique pour une alliance

avec l’Occident, les événements vont l’amener à choisir Hitler comme allié, un

choix justifié. Essentiellement, ils tiennent le même discours que nombre

d’historiens franco-britanniques durant la Guerre froide. De plus, ils forment une

majorité, tout comme durant la période de 1975 à 1989.

Du côté de l’école de la sécurité collective, il serait difficile de ne pas

commencer par Geoffrey Roberts pour en expliquer les grandes lignes au

lendemain de la fin de la Guerre froide. Nous avons déjà vu qu’il a publié en

1989 un ouvrage revigorant l’idée d’une URSS menant à bout de bras le projet de

la sécurité collective jusqu’au mois d’août 1939, tout en réalimentant plusieurs

hypothèses émises par A.J.P. Taylor près de trente ans auparavant. Il ne s’est pas

arrêté là, publiant sur le sujet en 1992 deux articles fort intéressants, ainsi qu’un

autre ouvrage sur les origines de la Deuxième Guerre mondiale du point de vue

soviétique en 1995. C’est sans compter ses nombreuses autres contributions

depuis ce temps.

Dans un article consacré au renvoi de Litvinov, Roberts démontre bien la

différence fondamentale qu’il y a entre les écoles de la realpolitik et celle de la

sécurité collective. Alors que pour la première, la nomination de Molotov au

poste de commissaire aux Affaires étrangères signifie une modification dans la

politique soviétique, pour la deuxième, cet événement implique simplement

Page 92: Université de Montréal Les historiens français et

84

qu’une nouvelle méthode va être employée pour arriver au même objectif, soit de

créer une alliance antihitlérienne.

Pour Roberts, il y a effectivement un signal qui est lancé par les dirigeants

soviétiques, mais il ne s’adresse pas aux Allemands, mais bien à l’Entente.268

L’historien britannique ajoute un nouvel élément au débat en affirmant que la

triple alliance était l’idée du duo Staline-Molotov et non pas celle de Litvinov. Ce

faisant, il se positionne à l’opposé de Jonathan Haslam qui affirme que la

proposition soviétique du 17 avril était la dernière chance accordée à Litvinov.269

« Even more surprising there is, secondly, a mountain of evidence,

which has been staring historians in the face for over twenty years,

that, if anything, Litvinov was sacked because of his lack of

enthusiasm for the Soviet triple alliance proposal of 17 April and not

because he was the architect of a policy initiative that failed to bring

results. »270

Selon lui, à partir de Munich, le commissaire aux Affaires étrangères aurait été

complètement désabusé par les pays occidentaux.271

De plus, « Litvinov's

hostility towards Poland was even greater than that in relation to Britain and

France. »272

Pourtant, la Pologne était considérée comme un atout essentiel à

toute entente de sécurité collective.273

« So, on 11 April Litvinov's stated position was to sit tight and await

further developments, that in particular the USSR should not be

beguiled into any collective security commitments or initiative of its

own. Less than a week later Moscow was to offer the British and

French a full-blown treaty of mutual assistance and a joint guarantee

of the whole of Eastern Europe. What explains this sudden and

dramatic change in position? »274

La réponse à cette question, selon Roberts, est que l’idée de la proposition a été

imposée par Molotov au commissaire aux Affaires étrangères. Ainsi, le renvoi de

268

Geoffrey Roberts, « The Fall of Litvinov: A Revisionist View », Journal of Contemporary

History, vol. 27, no. 4 (Oct., 1992), p. 639-640. 269

Ibid., p.646 et 641. 270

Ibid., p. 642. 271

Ibid., p. 646. 272

Ibid., p. 649. 273

Ibid., p. 649. 274

Ibid., p. 648-649.

Page 93: Université de Montréal Les historiens français et

85

Litvinov s’inscrirait dans la poursuite de la prise de contrôle de la politique

étrangère par le duo Staline-Molotov.275

Toutefois, Roberts relativise ses conclusions en spécifiant qu’il doit

émettre des hypothèses qu’il ne peut complètement vérifier.

« The revisionist interpretation it has presented is no more than

guesswork based on the available evidence. That evidence, however,

contains major gaps, not the least of which is documentation on the

internal deliberations that led to Litvinov's dismissal. Nor is there any

real proof of Litvinov's private thinking and calculations apart from

that contained in his official correspondence and reports. It may be

that this revision will have to be revised in the light of new

evidence. »276

Dans ces circonstances, il est tout à fait normal que certains historiens ne soient

pas convaincus par les arguments de Roberts.

Dans un deuxième article publié en 1992, Roberts tente d’expliquer la

décision soviétique de signer un pacte avec l’Allemagne en 1939.

Essentiellement, il y tient le même discours que dans The Unholy Alliance publié

en 1989. Selon lui, « The picture that emerges from the new evidence is that the

pact was more a product of accident than design, a result of policy drift rather

than goal-oriented policy direction, the consequence not of strategic calculation

but of a series of tactical shifts and adjustments. »277

Il soutient que ce

changement de politique survient alors que les dirigeants soviétiques réalisent que

la guerre est « on their doorstep » et que même les premiers signaux, à la fin de

juillet, ne doivent pas être interprétés comme un changement définitif. Selon lui,

Moscou ne savait toujours pas comment réagir vis-à-vis de l’offre de négociation

allemande.278

Cette façon d’interpréter la nature de la politique étrangère soviétique

n’est pas unique à Roberts.

275

Ibid., p. 651 et 654. 276

Ibid., p. 654. 277

Idem, « The Soviet Decision… », loc. cit., p. 58. 278

Ibid., p. 65.

Page 94: Université de Montréal Les historiens français et

86

« All these facts support the revisionist case that the Soviet decision

to negotiate a nonaggression pact was taken late and the Soviet

contribution to the failure of the negotiations was not lack of

motivation but a failure to understand the French and British political

position and diplomatic tactics; that Soviet foreign policy was

“passive”, “reactive” and ad hoc. »279

Ces paroles, tirées d’un article de Derek Watson, soutiennent l’idée d’une

politique soviétique qui ne prend pas d’initiatives et qui réagit au déroulement des

événements en 1939.

Michael J. Carley abonde dans le même sens que Roberts lorsqu’il affirme

que « le temps et la patience s’épuisaient à Moscou »280

, alors que les Allemands

faisaient pression pour conclure un pacte. Selon lui, Molotov aurait pu obtenir un

accord avec l’Entente sans ce fameux facteur temps.281

Il soutient, par ailleurs,

que « la délégation soviétique avait les pleins pouvoirs pour négocier et signer

une convention militaire avec la mission franco-britannique ».282

Toutefois, cette

dernière n’était pas habilitée à conclure une alliance, alors que, de l’autre côté,

l’Allemagne multipliait les initiatives.283

Selon les propos de Carley, les Allemands vont tenter plusieurs

rapprochements avec l’URSS entre mai et août 1939, mais cette dernière ne

démontrera pas d’intérêt avant la fin juillet.

« Bien que nous ne disposions pas de toutes les preuves du côté

soviétique, les archives que nous possédons à l'heure actuelle

indiquent que les Allemands ont courtisé activement le gouvernement

soviétique depuis mai, celui-ci résistant jusqu'à la fin juillet ou au

début août. »284

Il serait impossible de passer sous silence le fait qu’encore une fois, en 1999, les

historiens se doivent de signifier que l’accès aux sources soviétiques est

insuffisant. Toutefois, cette situation continue d’évoluer et dans une série

279

Watson, loc. cit., p. 716. 280

Carley, op. cit., p. 221. 281

Ibid., p. 221. 282

Ibid., p. 229. 283

Ibid., p. 229. 284

Ibid., p. 253.

Page 95: Université de Montréal Les historiens français et

87

d’articles écrits plus récemment Carley réaffirme, de façon plus convaincante,

que la politique soviétique ne se tourne pas vers l’Allemagne avant la fin juillet

1939.285

Finalement, Carley affirme que la politique soviétique était mue par divers

éléments. Tout d’abord, il y avait une grande méfiance envers l’Entente, tout

comme envers l’Allemagne, qui était présente chez les dirigeants soviétiques.

Dans des articles récents, Carley explique très bien la source de la méfiance

soviétique envers les Français et les Anglais en utilisant le contexte des années

1930, durant lesquelles les Soviétiques mettent constamment de l’avant la

politique de la sécurité collective et essuient à chaque fois une fin de non-recevoir

de la part des Puissances occidentales.286

Ensuite, deux problématiques

demandaient à ce que toutes les options des Soviétiques restent ouvertes au mois

d’août. En premier lieu, le fait que les Puissances occidentales refusaient

d’assurer l’intégrité territoriale des pays baltes, contre toute attaque directe ou

indirecte, mettait en péril la sécurité soviétique. En second lieu, la peur qu’une

guerre éclate en Pologne avant qu’une entente survienne avec l’Ouest. Puis,

l’insistance des Allemands, qui désiraient s’assurer de la neutralité soviétique

dans l’éventualité d’une guerre, ajoutait une pression supplémentaire sur la

politique étrangère menée par Molotov.287

« Il paraît incroyable que le gouvernement soviétique ait pu

abandonner sa profonde et ancienne hostilité envers l'Allemagne

nazie et ait mis entre parenthèses son engagement dans la sécurité

285

Michael J. Carley, « 1933-39 : “La drôle d'avant-guerre” et l'alliance de la dernière chance »,

Histoire(s) de la dernière guerre, 1939-1945 : au jour le jour, nº 1 (septembre 2009), pp. 14-20;

« Who Betrayed Whom? Franco-Anglo-Soviet Relations, 1932-1939 », Koch, C. (ed) Gab es

einen Stalin-Hitler-Pakt? Charakter, Bedeutung und Deutung des deutsch-sowjetischen

Nichtangriffsvertrages vom 23 août 1939. Frankfurt am Main, Peter Lang, 2015, pp. 119-37. 286

Michael J. Carley, « “Only the USSR has... Clean Hands” : the Soviet Perspective on the

Failure of Collective Security and the Collapse of Czechoslovakia, 1934-1938 », 1er partie,

Diplomacy & Statecraft (UK), vol. 21, nº 2 ( June 2010), pp. 202-225; 2e partie, vol. 21, nº 3

(September 2010), pp. 368-96; « Caught in a Cleft-Stick: Soviet Diplomacy and the Spanish Civil

War », dans Gaynor Johnson (ed.), The International Context of the Spanish Civil War

Cambridge: Cambridge Scholar’s Press, 2009, pp. 151-180; « Behind Stalin's Moustache:

Pragmatism in Early Soviet Foreign Policy, 1917-1941 », Diplomacy& Statecraft, vol. 12, nº 3

(September 2001), pp. 159-174. 287

Carley, 1939. L’alliance de la dernière chance…, op. cit., p. 253.

Page 96: Université de Montréal Les historiens français et

88

collective pendant quinze jours en août, mais c'est ce que nous

montrent les documents dont nous disposons. »288

On note, une fois de plus, la formulation concernant les sources qui laisse sous-

entendre que la lumière n’est pas complètement faite sur le déroulement des

négociations germano-soviétiques de 1939.

L’historienne française Annie Lacroix-Riz, qui écrit en 2010, soutient

aussi que les initiatives viennent constamment des Allemands, alors que les

Soviétiques ne se montrent pas intéressés avant le mois d’août. Elle s’appuie,

encore une fois, sur les propos de Geoffrey Roberts en spécifiant que les

arguments de celui-ci sont basés sur les archives soviétiques, mais que ses propos

ont été confirmés par les archives allemandes, britanniques, américaines et

françaises289

. Dans cette optique, elle assure que le renvoi de Litvinov est causé

par l’entêtement des pays occidentaux à ne pas respecter l’URSS.290

Ainsi, les

Soviétiques auraient négocié de bonne foi avec l’Entente et ils n’auraient pas

modifié ni leurs exigences ni leur politique après la nomination de Molotov au

poste de commissaire aux Affaires étrangères.291

D’ailleurs, lorsque la délégation

militaire franco-britannique arrive à Moscou, la délégation soviétique était bien

préparée, avait des propositions claires et précises qui démontreraient tout le

sérieux avec lequel les Soviétiques abordaient ces discussions, selon Lacroix-

Riz.292

Ainsi, il ne fait aucun doute pour les tenants de l’école de la sécurité

collective qu’autant le discours de Staline, le 10 mars, et le renvoi de Litvinov ne

s’inscrivent pas dans un changement de direction dans la politique étrangère

soviétique. Ce ne serait seulement qu’au mois d’août que le duo Molotov-Staline

aurait été contraint de regarder du côté de l’Allemagne. Selon Roberts, Watson,

Carley et Lacroix, il est évident que l’initiative est allemande dans les relations

germano-soviétiques entre mars et août 1939. Leurs arguments s’inscrivent dans

288

Ibid., p. 253. 289

Lacroix-Riz, op. cit., p. 495. 290

Ibid., p. 488. 291

Ibid., p. 489. 292

Ibid., p. 499.

Page 97: Université de Montréal Les historiens français et

89

une lignée directe avec les idées d’A.J.P. Taylor et démontrent bien la continuité

dans le débat quant à la nature de la politique étrangère soviétique entre 1961 et

2011. Encore une fois, cette école ne forme pas la majorité en France et en

Grande-Bretagne, mais il est indéniable que ses idées influencent grandement le

débat, d’autant plus que les nouvelles sources soviétiques ont confirmé plusieurs

de leurs hypothèses. D’ailleurs, nous avons vu qu’à l’intérieur même de l’école de

la realpolitik, il se trouve une tendance qui adhère à l’idée que l’Union soviétique

est restée passive vis-à-vis de l’Allemagne au moins jusqu’au mois d’août, un

argument cher à l’école de la sécurité collective.

Dans ce contexte de continuité, on peut tout de même percevoir une

modification du débat quant à la perception de la nature de la politique soviétique.

Durant les trente dernières années de la Guerre froide, il est juste de présenter la

thèse de la realpolitik comme la position « centriste » du débat. À cheval entre les

écoles de la sécurité collective et « allemande ». Par contre, après 1990, avec

l’effacement de l’école « allemande », le « centre » va se déplacer à mi-chemin

entre les deux écoles restantes. Ainsi, à l’intérieur de l’école realpolitik, il faut

distinguer la tendance menée par Haslam et Parker, puis celle à laquelle Keeble,

Alexander, Rothwell et Dullin adhèrent. Cette dernière doit maintenant être

considérée comme le « centre », étant plus proche de la thèse de la sécurité

collective, sans pour autant y adhérer. Doit-on parler d’une rupture dans le débat?

Absolument pas! Il est plutôt question d’une évolution tout à fait normale

considérant l’indisponibilité des archives soviétiques.

III. La responsabilité principale de l’échec des négociations

tripartites : la politique étrangère soviétique?

Nous avons vu que, durant la Guerre froide, la plupart des historiens

franco-britanniques ont principalement blâmé les pays occidentaux pour

l’insuccès de ces démarches de négociation. Nous allons maintenant voir que la

dynamique reste la même durant la période comprise entre 1990 et 2011.

Page 98: Université de Montréal Les historiens français et

90

Selon Curtis Keeble et Martin Alexander, il faut regarder le portrait

d’ensemble et ne pas se limiter aux mois de mars à août 1939 pour bien

comprendre les raisons de l’échec. Dans cette optique, Keeble soutient qu’il est

évident qu’entre 1935 et le printemps 1939, la Grande-Bretagne n’avait jamais

considéré l’Union soviétique comme un facteur important de l’échiquier

européen. Cela a rendu la situation beaucoup plus complexe pour établir une

alliance antihitlérienne dans le contexte de 1939.293

De son côté, Alexander

affirme que « The cards in the hands of the French and British when they rejoined

the Soviets at the table, after two years with only a formal level of diplomatic

contacts, were weak ones. »294

De plus, Keeble fait remarquer que les

Britanniques ont donné aux Soviétiques de bonnes raisons d’être méfiants à leur

égard.

« Munich may not have figured directly in the British-Soviet

relationship, but it was critical to Soviet assessment of British policies

and to the setting of the stage for the 1939 negotiations. [...] It must

have been a powerful factor in that reshaping of Soviet policy which

was to culminate in the German-Soviet agreement of the following

summer. »295

Ainsi, après les accords de Munich, il va de soi qu’en 1939, les dirigeants

soviétiques aient des doutes sur les réelles intentions de l’Entente. L’idée que la

méfiance était bien implantée entre les deux camps au début des négociations

tripartites est aussi présente avec Alexander.

« The eleventh hour attempt by the French, accompanied by the even

more reluctant British, to resurrect a military partnership with Russia

in the summer of 1939 was blighted from the outset by Soviet

distrust. »296

Dans ces circonstances, la garantie à la Pologne ne fait qu’augmenter la méfiance

soviétique297

et démontre une nouvelle fois que l’Entente n’accorde pas une

293

Keeble, op. cit., p. 133. 294

Alexander, op. cit., p. 302. 295

Keeble, op. cit., p. 141. 296

Alexander, op. cit., p. 301-302. 297

Keeble, op. cit., p. 144.

Page 99: Université de Montréal Les historiens français et

91

valeur militaire importante à l’URSS, alors qu’elle surestime celle des

Polonais.298

C’est dans cette optique que Martin Alexander s’en tient à la

version selon laquelle l’attitude évasive des pays occidentaux, jumelée à celle

beaucoup plus décisive de l’Allemagne, va orienter le choix soviétique.

« The complacency among the government and general staff

in Paris – added to the revulsion felt by Chamberlain and British

conservatives for supping with Stalin except with a very long-handled

spoon – lay behind the fatally dilatory western initiatives to achieve

an Anglo-Franco-Soviet alliance for mutual and reciprocal defence. It

also explains why Germany’s much swifter, more cynical and more

decisive diplomatic opening to Stalin succeeded in bringing Hitler the

spoils of the Nazi-Soviet non-aggression pact signed by Ribbentrop

and Molotov on 23 August. »299

À cela s’ajoute, selon l’auteur, le fait que, pour qu’une alliance anglo-franco-

soviétique ait lieu, les Polonais devaient nécessairement accepter le passage des

troupes soviétiques, ce qu’ils refuseront jusqu’à la toute fin des négociations.300

Si Keeble reconnaît que les accords de Munich et la garantie à la Pologne

ont été des erreurs importantes du côté de l’Entente, tout comme Alexander, il ne

croit pas pour autant qu’elle doit porter seule la responsabilité de l’échec.

« It is unlikely that any different handling of the political negotiations

would have enabled the British and French Governments to secure

Soviet cooperation against Germany without a commitment to

sacrifice the states on the Soviet Union's western border and even this

might not have sufficed. The military negotiations were never serious

on either side and were largely irrelevant to the outcome. »301

Ainsi, selon Keeble, les discussions militaires n’ont rien à voir avec l’échec des

négociations tripartites. À la fin de juillet, les Soviétiques avaient établi le

maximum qu’ils pouvaient obtenir avec l’Entente. Il était maintenant temps de

voir ce que l’Allemagne pouvait offrir concrètement. Pour en arriver à cette

conclusion, l’historien britannique se base sur le refus des Soviétiques de faire

une annonce publique sur les progrès en vue d’une alliance antihitlérienne.

298

Alexander, op. cit., p. 302. 299

Ibid., p. 303-304. 300

Ibid., p. 304-305. 301

Keeble, op. cit., p. 158.

Page 100: Université de Montréal Les historiens français et

92

« It is scarcely possible, with the advantage of hindsight, to see this

refusal other than as a reflection of the preparation to move to a

relationship with Germany. At this point, the Soviet Government

knew that they could obtain with Britain and France an agreement

which covered them against every possibility other than hostilities

caused by their own intervention in one of the borders states in a

situation not provoked by a threat of force by Germany. If they had

wished to use the prospect of the alliance as a deterrent to Germany, it

was clearly to their advantage to proclaim rather than to obscure the

extent agreement. [...] At this point the Soviet Government chose to

remain silent. »302

Cette citation à de quoi surprendre un lecteur avisé, puisque Keeble affirme que

les Soviétiques savaient qu’ils pouvaient obtenir une entente avec les Puissances

occidentales et qu’ils en connaissaient les paramètres. Il s’aventure beaucoup plus

loin que le font les autres historiens, qui soutiennent généralement que les

dirigeants soviétiques savaient qu’il y avait une possibilité qu’une entente

survienne à partir des bases énoncées par Keeble. Cela est encore plus étonnant

dû au fait que Keeble ne consulte pratiquement pas les archives soviétiques.303

Il

reste toutefois évident qu’aux yeux de ce dernier, les deux camps avaient des

choses à se reprocher dans l’échec des négociations tripartites.

« So the first British attempt to establish a politico-military alliance

with the Soviet Union, bedevilled from the outset by mutual

suspicion, failed and in its failing left a legacy of mutual

recrimination. »304

R.A.C. Parker alimente la position de Keeble en 1993 lorsqu’il affirme

que nous ne pouvons toujours pas savoir avec certitude s’il était possible

d’amener Staline à combattre Hitler plutôt que de l’aider. Mais, s’il y a une chose

qui est claire, c’est que Chamberlain a tout simplement refusé d’essayer, croyant

que la collaboration de l’URSS n’était pas nécessaire ni souhaitable.305

Dans cette

optique, il ne fait aucun doute que la responsabilité repose lourdement sur le

camp de l’Entente.

« At the time of writing these words, more than half a century later, it

is impossible to be certain of the reasons for the actions of the Soviet

302

Ibid., p. 153. 303

Ibid., p. 366. 304

Ibid., p. 158. 305

Parker, op. cit., p. 347.

Page 101: Université de Montréal Les historiens français et

93

government. […] The Prime Minister's opposition to an alliance and

the motive for his opposition, the fear of alienating the Germans, may

explain the eventual abandonment by the Soviet government of any

attempts they were making in the summer of 1939 to secure the

British alliance. »306

Évidemment, ce qui ressort de cette citation est le fait que la conclusion de

l’auteur sur les raisons de l’échec des négociations tripartites relève d’hypothèses

qui ne sont pas encore totalement confirmées. Par contre, sa description des

intentions de Molotov comparées à celles de Chamberlain durant les négociations

ne laisse aucun doute sur le fait qu’il perçoit le commissaire soviétique beaucoup

plus positivement.

« [Molotov] devoted himself to extracting from the British a pledge to

join with the USSR in any war with Germany, a pledge Chamberlain

was determined to refuse. […] Molotov's tenacity matched

Chamberlain's obstinacy. Molotov wanted an unbreakable alliance

covering every possibility of Soviet-German conflict; Chamberlain

wanted the minimum Anglo-Russian association he could persuade

his Cabinet and his party to regard as sufficient. »307

Ainsi, selon l’auteur, Molotov a négocié sincèrement dans l’objectif d’obtenir la

meilleure entente possible, alors que Chamberlain a tout fait pour qu’aucun pacte

d’envergure ne puisse être réalisé.

Nous pouvons déjà remarquer que la vision qu’entretient Parker du

premier ministre britannique est beaucoup plus critique que celle qu’il a envers la

France. Selon lui, les Français désiraient réellement une entente, et, pour ce faire,

ils étaient prêts à accepter les demandes soviétiques, dont celles concernant les

États baltes.308

« To many at the time, particularly in France, a military alliance

between Great Britain, France and the USSR seemed the best hope,

perhaps the only hope, of cubing Nazi Germany without war. It is

probable that Chamberlain destroyed this hope. We cannot be certain

of the intention and assumption of Stalin and his associates. »309

306

Ibid., p. 224-225. 307

Ibid., p. 227. 308

Ibid., p. 235 et 240. 309

Ibid., p. 245.

Page 102: Université de Montréal Les historiens français et

94

Ainsi, pour Parker, c’est principalement Neville Chamberlain qui doit être tenu

responsable de l’échec, même s’il spécifie que le doute persiste sur les intentions

réelles de Staline.

L’historien britannique Frank McDonough est en accord avec Parker

concernant la responsabilité de Chamberlain dans l’échec.

« Chamberlain opposed an alliance with the Soviet Union because he

believed it would antagonize Hitler, alienate Poland and make war

more inevitable. Chamberlain never contemplated flying to meet

Stalin and rejected generous offers by Churchill and Eden to lead the

negotiations. It was not until August 1939 that British and French

military delegations arrived in Moscow to conduct negotiations and

by that time the endless delay had already done its damage. This lack

of urgency in the Anglo-Soviet negotiations and the low profile

attached to them was yet another monumental error of judgement by

Chamberlain. »310

Ce plaidoyer ne laisse aucun doute sur la position de l’auteur concernant le rôle

du premier ministre britannique dans l’échec des négociations de 1939.

L’auteur n’entretient, par contre, pas le même doute que Keeble et Parker

sur la responsabilité de l’URSS. Selon lui, le camp de l’Entente doit porter

l’ensemble du blâme. Il affirme que l’origine de l’échec des discussions anglo-

franco-soviétiques et de la signature du Pacte Molotov-Ribbentrop remonte à la

manière dont les Puissances de l’ouest ont géré les lendemains du coup de

Prague.311

« After Prague, the door was open to create a united anti-Hitler

stance, but once again Chamberlain muddled on with the ill-thought-

out guarantee to Poland. It is a tragedy that Chamberlain stayed on as

Prime Minister, after the humiliation of Prague, in March 1939. »312

La garantie à la Pologne est donc perçue comme un facteur important de

l’incapacité de l’Entente d’en arriver à une alliance avec l’URSS. Il utilise le

même argument que plusieurs historiens avant lui en affirmant que la garantie

310

McDonough, « When Instinct Clouds Judgement… », loc. cit., p. 201. 311

Ibid., p. 201. 312

Ibid., p. 202-203.

Page 103: Université de Montréal Les historiens français et

95

rendait la situation extrêmement complexe, « which made gaining an alliance

with the Soviet Union without Polish agreement impossible. »313

Les

Britanniques venaient de faire un choix, ils priorisaient la Pologne à l’Union

soviétique en tant qu’alliée nécessaire à la constitution du front antihitlérien. Cela

va se refléter dans les négociations tripartites.

« It seems much more likely, and more in accordance with diplomatic

evidence, that if Britain and France had sought a straightforward

military alliance, and had agreed the details later, then this agreement

could have been signed quickly in the weeks after the German attack

on Prague. It was British delay and Poland intransigence that were the

most significant reasons for failure. After all, the Soviets made a

definite offer of an alliance in April 1939. It was a full four months

before talks broke down. »314

Ainsi, les deux facteurs les plus importants de l’échec reviennent au camp de

l’Entente selon McDonough, qui spécifie que c’est la Grande-Bretagne, plus

particulièrement, qui avait été le maître d’œuvre de cet échec.

L’historien et politologue français Pierre Milza croit lui aussi que les

Britanniques doivent porter une plus grande part du blâme de l’échec que la

France. Selon lui, si la Grande-Bretagne finit par accepter plusieurs conditions

posées par les Soviétiques dans les négociations, c’est en raison des « pressions

insistantes du gouvernement français qui, des trois partenaires, est le seul à

souhaiter une conclusion rapide du projet ».315

L’auteur croit donc que l’URSS a

sa part de responsabilités, tout comme la Pologne en raison de son refus d’accéder

à la demande soviétique d’autoriser le passage de ses troupes sur son territoire.316

Mais, en définitive, il ne fait aucun doute dans l’esprit de Milza que l’Union

soviétique ait tenté de rechercher une alliance avec Hitler « en raison des

atermoiements des Franco-Britanniques pour conclure la convention

militaire ».317

Il va donc à l’encontre de Keeble, qui affirmait que les discussions

313

Ibid., p. 201. 314

Frank McDonough, Neville Chamberlain, appeasement, and the British road to war,

Manchester, Manchester Univ. Press. 1998, p. 85-86. 315

Milza, op. cit., p. 232. 316

Ibid., p. 233. 317

Ibid., p. 234-235.

Page 104: Université de Montréal Les historiens français et

96

militaires n’avaient pas joué un rôle important dans l’insuccès des négociations

tripartites.

Selon Victor Rothwell, il faut aussi ajouter le fait que Staline possède un

bon système de renseignement, ce qui lui permet, entre autres, d’être au courant

qu’Hitler ne désire pas s’attaquer à l’Union soviétique en premier lieu. Cela aurait

été un facteur important dans l’échec des négociations, mais, bien évidemment, il

faut aussi tenir compte du fait que l’Occident négocie avec une extrême prudence

et que la Pologne refuse toujours le passage des troupes soviétiques sur son

territoire.318

La question de la responsabilité de l’échec est complexe, selon Rothwelll.

C’est pourquoi il invoque aussi les problématiques de la méfiance réciproque

dans les années 1930.

« it is probable that they [Soviétiques] had the strongest suspicions

about whether appeasement had really been abandoned. These would

be strengthened by tardiness with which Britain and France, but

especially Britain, turned to trying to forge security arrangements

with Russia. »319

Alors que les dirigeants soviétiques demandent des garanties précises, étant

donné qu’ils doutent de la bonne foi de l’Entente, les pays occidentaux tardent à

s’investir pleinement dans les négociations en vue d’une alliance anglo-franco-

soviétique.

« Ideological prejudice and an adverse, even contemptuous,

assessment of Russian military capabilities interacted with one

another to continue to cause the Western powers to keep Soviet

Russia at arm's length in the late 1930s. The most important element

in the ideological factor was a profound suspicion that the Soviet

regime would feel no obligation in difficult circumstances to keep its

word to those whom its ideology characterised as the bourgeois class

enemy. »320

Ainsi, cette méfiance réciproque, principalement entre la Grande-Bretagne, qui a

peur d’une révolution communiste, et l’Union soviétique, qui soupçonne que

318

Rothwell, op. cit., p. 113-114. 319

Ibid., p. 113. 320

Ibid., p. 116.

Page 105: Université de Montréal Les historiens français et

97

l’appeasement n’a pas réellement été abandonnée, doit être considérée comme un

facteur important dans l’échec de 1939. D’ailleurs, à ce sujet, Sabine Dullin

affirme que les accords de Munich contribuent à l’exacerbation de la méfiance

soviétique envers l’Entente. À partir de ce moment-là, « le gouvernement

britannique, qui était désormais l’acteur principal du point de vue soviétique, était

considéré par Maïski et Litvinov comme un gouvernement dont l’optique

munichoise ne changerait jamais ».321

Selon l’auteure, c’est donc ce qui explique

que les diplomates soviétiques n’ont pas réalisé le changement majeur dans la

politique britannique suite au coup de Prague en 1939.322

Selon Victor Rothwell, il est regrettable que la France et la Grande-

Bretagne ne possèdent pas un service de renseignement aussi efficace que celui

de l’URSS à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.

« Perhaps the greatest tragedy of 1939 is that between late July and

the signature of the Nazi-Soviet pact on 23 August Britain received

almost no intelligence of any value about the now fast-developing

Soviet-German relationship. If it had done, Britain - and France

would undoubtedly have raised no objection - could have agreed to

every Soviet demand, forcing Stalin either to sign with the Western

powers or to reveal that he would no longer do so under any

circumstances. »323

On perçoit ici que Rothwell fait porter un plus grand blâme à la Grande-Bretagne

qu’à l’URSS, mais qu’il lui reste des doutes sur le véritable plan de Staline durant

les négociations tripartites, tout comme Parker. Il en arrive donc à la conclusion

que les torts sont dans les deux camps. Cela étant dit, par l’intermédiaire de la

dernière citation, on remarque bien la nature profonde de la stratégie des

Britanniques, telle qu’interprétée par Rothwell, qui négociaient pour empêcher

une entente germano-soviétique et non pas pour obtenir une alliance anglo-

franco-soviétique.

321

Dullin, op. cit., p. 300. 322

Ibid., p. 301. 323

Rothwell, op. cit., p. 123.

Page 106: Université de Montréal Les historiens français et

98

« In 1942 Molotov was to remark to the British negotiator of 1939,

William Strang, “We did our best in 1939, but we failed: both were at

fault.” »324

Du côté de l’école de la sécurité collective, les historiens placent aussi le

fardeau sur les épaules de l’Entente, malgré le fait qu’ils incriminent, mais dans

une moindre mesure, l’Union soviétique. Annie Lacroix-Riz est particulièrement

critique envers la stratégie de la Grande-Bretagne durant les négociations

tripartites. Selon elle, le 3 août, le Foreign Office transmet à Paris un

mémorandum qui est parfaitement scandaleux.

« Ses 117 points, base commune aux deux composantes de la mission

puisque Paris s’alignait sur la ‘gouvernante anglaise’, constituent

avec ses annexes un modèle de l’arrogance, du racisme et de la bêtise

des élites britanniques qui, comme leurs homologues françaises,

tenaient ‘les Russes’ pour des sous-hommes. Il fourmille d’aveux

corroborant tous les griefs de Moscou contre la malignité de ses

interlocuteurs, refus d’alliance, néant des ‘garanties’ franco-anglaises

des territoires polonais et roumain, duperie de l’opinion publique,

etc. »325

Par la suite, elle révèle plusieurs éléments contenus dans ce mémorandum qui

confirment sans l’ombre d’un doute que la mission militaire ne se rendait pas à

Moscou dans le but d’obtenir une entente et qu’en aucun cas, elle n’avait

l’intention d’obliger la Pologne ou la Roumanie à accepter le passage des troupes

soviétiques.326

Dans cette optique, l’auteur rejette l’ensemble de la faute de

l’échec aux Britanniques et à l’impuissance française à les influencer, sans

oublier l’obstination polonaise à refuser de coopérer avec l’Union soviétique.327

Derek Watson, en présentant le point de vue de Molotov, en arrive à des

conclusions similaires. Selon l’auteur, Molotov avait constamment reproché aux

Britanniques de ne pas être sincères durant les négociations.

324

Ibid., p. 125. 325

Lacroix-Riz, p. 496. 326

Ibid., p. 496. 327

Ibid., p. 496 à 503.

Page 107: Université de Montréal Les historiens français et

99

« The height of this was the arrival of the military missions in

Moscow, quite unprepared to deal with the question of Soviet troops

passing through Poland and Romania, a question which the USSR

had raised in the past on several occasions at the time of the Czech

crisis. This, in his opinion, showed that the British and French were

only 'playing' with the Soviet Union. »328

Ainsi, le fait que la délégation militaire franco-britannique ne soit pas habilitée à

discuter de la question polonaise précipitera l’échec des négociations tripartites,

selon Watson.329

C’est une position qui concorde avec celle de Geoffrey Roberts,

qui affirme, dans son ouvrage publié en 2011, que « The military talks collapsed

because the British and French failed to satisfy Moscow on the question of the

Red Army's right of passage across Poland and Romania. »330

En 1995, dans son ouvrage traitant des origines de la Deuxième Guerre

mondiale du point de vue soviétique, Roberts aborde sa perception des raisons de

l’échec de 1939. Selon lui, l’expérience des négociations politiques n’avait pas

été positive, mais le facteur le plus important reste la façon dont l’Entente avait

abordé les discussions militaires.

« [La principale cause de cet échec fut] the dilatory behaviour of the

Anglo-French military delegation which – at the height of the

German-Polish crisis over Danzig – did not fly to Russia but travelled

by a slow merchant ship. Then there was the relatively low rank and

status of the Anglo-French military negotiators and the fact that the

British had no written powers to negotiate, and that although the

French did have the power to negotiate they were not authorised to

sign any agreement. During the talks themselves it became clear that

Britain and France had no strategic and operational plans for a joint

war against Germany. »331

Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que les dirigeants soviétiques aient

commencé à s’intéresser aux offres allemandes durant le mois d’août.

Michael J. Carley est en accord avec Roberts sur le comportement de la

délégation militaire franco-britannique. Selon lui, la stratégie adoptée par celle-ci

n’a fait que démontrer l’hostilité antisoviétique, ainsi que le refus d’abandonner

328

Watson, loc. cit., p. 715-716. 329

Ibid., p. 716. 330

Geoffrey Roberts, « Stalin and the Outbreak of Second World War », dans Frank McDonough,

« The Origins », op. cit., p. 420. 331

Roberts, The Soviet Union…, op. cit., p. 86.

Page 108: Université de Montréal Les historiens français et

100

l’appeasement envers Hitler.332

Pour lui, il ne fait aucun doute que le facteur

dominant dans l’échec des négociations tripartites est l’anticommunisme des pays

occidentaux.

« la source de l'échec de la coopération anglo-franco-soviétique

contre le nazisme fut l'anticommunisme. Le dilemme guerre-

révolution était la théorie dominante officielle et officieuse des

décideurs politiques franco-britanniques à propos de l'URSS pendant

l'entre-deux-guerres. »333

Selon l’auteur, Chamberlain n’aurait effectué rien de moins qu’un « sabotage »

durant les négociations anglo-franco-soviétiques de 1939. Toutefois, Carley ne

croit pas que le premier ministre britannique soit le seul que l’on doit blâmer,

puisque Daladier et Bonnet auraient eu leur rôle à jouer en étant « mariés à

Londres et à leur propre anticommunisme. »334

De l’autre côté, Carley soutient que l’URSS avait aussi ses torts. Il est

évident que les purges ne donnaient pas une bonne image et qu’elles offraient

« un excellent prétexte aux anticommunistes qui s’opposaient à des relations plus

étroites avec l’URSS ».335

De plus, l’historien dénonce le manque

« d’indépendance d’esprit » de Molotov par rapport à Staline, qui lui aurait

permis de déceler les ouvertures britanniques de 1939. Par ailleurs, le

commissaire aux Affaires étrangères « n'était pas du genre à oublier la méfiance

développée et nourrie depuis plus de vingt ans. »336

Il ne fait donc aucun doute

que l’analyse de la situation de l’auteur nous amène à considérer l’échec de

« l’alliance de la dernière chance » dans le contexte global de l’entre-deux-

guerres, puisque, pour comprendre l’anticommunisme occidental, il faut remonter

à la Première Guerre mondiale.

Ce qui est frappant dans l’analyse des arguments des deux écoles de

pensée, c’est le fait que, sur la question de la responsabilité de l’échec, ils

332

Carley, 1939. L’alliance de la dernière chance... op. cit., p. 252. 333

Ibid., p. 300. 334

Ibid., p. 300. 335

Ibid., p. 301. 336

Ibid., p. 303.

Page 109: Université de Montréal Les historiens français et

101

tiennent un discours semblable. Tout comme dans la première section du

chapitre, concernant le moment de la décision soviétique de prioriser une alliance

avec l’Allemagne, aucune des deux écoles n’arrive à un véritable consensus et il

devient difficile de discerner les idées de l’une comparativement à celles de

l’autre. Ainsi, la majorité des historiens franco-britanniques croit en une

responsabilité accrue du côté de l’Entente, plus particulièrement pour la Grande-

Bretagne. Cette position est essentiellement la même qui dominait durant les

trente dernières années de la Guerre froide et qui s’est poursuivie durant les

années 1990 et 2000.

Il est donc vrai que le débat va évoluer après la Guerre froide. Toutefois,

ce n’est pas en lien avec la nature du débat, mais bien avec l’afflux constant de

nouvelles sources soviétiques. Nous avons vu que le « centre » va se déplacer en

raison de l’effacement de l’école « allemande » et le renforcement de certaines

hypothèses de l’école de la sécurité collective. Nous pouvons encore affirmer

qu’entre 1990 et 2011, la majorité des historiens appuie la thèse de la realpolitik,

mais il est nécessaire de spécifier que Geoffrey Roberts et les tenants de la thèse

de la sécurité collective influencent le débat de manière plus significative en

raison d’une crédibilité accrue. Celle-ci est due, non pas à la fin de la propagande,

mais bien à l’ouverture progressive des archives soviétiques.

Page 110: Université de Montréal Les historiens français et

102

Conclusion

Les origines de la Deuxième Guerre mondiale posent plusieurs défis à tout

historien qui désirerait écrire sur le sujet, encore aujourd’hui, plus de 70 ans après

que l’Allemagne ait envahi la Pologne. D’innombrables ouvrages y sont

consacrés depuis les années 1940 et plusieurs écoles de pensée ont vu le jour, en

passant, entre autres, de la perception d’un Hitler qui avait tout planifié, version

prônée par Churchill, à un Hitler opportuniste qui, au mieux, n’était qu’un

improvisateur, version prônée par Taylor en 1961.337

Dans notre recherche, nous

ne nous sommes intéressés qu’à une infime partie des causes de ce second conflit

mondial au 20e siècle. La problématique que nous avons abordée est celle de

l’interprétation, entre 1961 et 2011, par les historiens français et britanniques du

rôle de la politique étrangère soviétique dans l’échec des négociations tripartites

de 1939.

Depuis la fin de la Guerre froide, de nombreux historiens ont conclu que

les thèses occidentales avaient été écrites sous l’influence de la propagande, en

raison d’enjeux politiques. En 1992, Geoffrey Roberts proclamait que,

contrairement à la majorité des historiens occidentaux, il allait démontrer que la

décision soviétique de s’entendre avec l’Allemagne avait été prise à la fin des

pourparlers et que le Pacte de non-agression germano-soviétique était une

conséquence de l’échec des négociations tripartites de 1939.338

C’est avec le

même objectif que Michael J. Carley s’exprimait en 1999.339

« De nombreux historiens occidentaux ont développé une position

contradictoire : c'est le pacte de non-agression qui a causé l'échec des

négociations sur une triple alliance antinazie; Hitler et Staline

s'acoquinèrent parce qu'il n'y avait pas vraiment de différence, ou pas

beaucoup, entre le nazisme et le communisme. De telles affirmations

devinrent habituelles pendant la guerre froide après 1945. Cette

337

Bell, op. cit., p. 49-50. 338

Roberts, « Decision », loc. cit., p. 58. Pour voir la citation complète, consulter la section

« problématique » de l’introduction. 339

Carley, 1939. L’alliance de la dernière chance... op. cit., p. 7.

Page 111: Université de Montréal Les historiens français et

103

idéologie finit par masquer la responsabilité franco-britannique sur le

chemin de la guerre en 1939. »340

Il nous semblait d’ailleurs que cette vision allait de soi, mais notre étonnement fut

grand lorsque nous avons commencé à étudier le sujet.

Soudainement, l’idée d’un mémoire à saveur comparative entre les thèses

franco-britanniques influencées par la propagande de la Guerre froide et celles

d'après 1990 a pris la tournure d’une étude démontrant que la fracture du débat

était survenue en 1961, quelque trente ans avant ce que nous avions anticipé.

Lorsque Roberts et Carley affirment que de nombreuses thèses occidentales

établissent que le Pacte Molotov-Ribbentrop a causé l’échec des négociations

tripartites de 1939, nous ne pouvons qu’acquiescer. Par contre, notre bilan

historiographique démontre que ce courant d’idées n’est ni dominant ni

majoritaire entre 1961 et 1989 en France et en Grande-Bretagne. Évidemment,

l’Occident est loin de se limiter à ces deux pays, et c’est pourquoi nous ne

remettons aucunement en question le postulat de Roberts, Carley et bien d’autres

historiens. Toutefois, ce que nous enseigne notre recherche c’est qu’il faut rester

prudent lorsque nous utilisons une formule générale, comme les « thèses

occidentales » ou « les historiens occidentaux », pour qualifier une tendance.

Notre analyse démontre bien que l’historiographie occidentale n’est pas aussi

monolithique et biaisée par la propagande de la Guerre froide qu’on pourrait le

croire a priori.

En revanche, le bilan historiographique démontre aussi que durant les

vingt premières années suivant le déclenchement de la guerre il y a effectivement

eu une influence idéologique dans le débat. Nous avons donc démontré, dans

notre premier chapitre, qu’A.J.P. Taylor a court-circuité le débat idéologique en

proposant une thèse qui donnera naissance à l’école de pensée de la sécurité

collective, fondée sur l’idée que l’URSS avait recherché une entente avec les

340

Ibid., p. 301.

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104

Puissances occidentales au moins jusqu’à la fin du mois de juillet. Celle-ci a

immédiatement et considérablement réduit l’influence de la thèse « allemande »

voulant que Hitler ait tout planifié. L’innovation de l’historien britannique est

d’avoir contesté l’interprétation dominante de la politique allemande, mais aussi

d’avoir obligé ses confrères à remettre en question la perception de la politique

étrangère soviétique qui était admise à ce moment en Occident. C’est sur cette

base que se développeront les écoles de pensée de la Realpolitik et de la sécurité

collective à partir de 1961 en France et en Grande-Bretagne.

Par la suite, nous avons vu, dans le deuxième chapitre, que les idées de

l’école de la Realpolitik ont pris l’ascendant entre 1975 et 1989. Malgré que celle-

ci n’adhère qu’en partie aux idées de Taylor, elle concorde dans ses perceptions

de la nature profonde de la politique étrangère soviétique entre mars et août 1939.

Ainsi, elle ne présente pas Staline comme un être perfide qui a planifié depuis

longtemps l’échec des négociations tripartites, mais plutôt comme un réaliste

ayant fait un choix logique dans les circonstances. Il est donc juste de dire que,

durant les quinze dernières années de la Guerre froide, le débat se poursuit dans le

cadre imposé par les thèses de Taylor et qu’il n’y a pas de retour à celles qui

présentaient le Pacte germano-soviétique comme étant l’objectif ultime et planifié

de la politique soviétique en 1939.

Afin de renforcer cette idée que le débat des trente dernières années de la

Guerre froide n’est pas idéologique en France et en Grande-Bretagne, nous avons

établi, dans le troisième chapitre, que les arguments des écoles de pensée

dominantes sont essentiellement les mêmes avant et après 1990. Nous avons

même vu que la convergence des idées s’est poursuivie et que, dans deux des

trois facettes que nous avons retenues pour l’analyse du débat, les écoles de la

Realpolitik et de la sécurité collective adoptent sensiblement les mêmes positions.

L’analyse de ces trois périodes s’est faite autour de trois axes qui

permettent de distinguer les courants historiographiques. Le premier thème que

nous avons abordé est celui du moment de la décision soviétique de prioriser une

Page 113: Université de Montréal Les historiens français et

105

entente avec l’Allemagne. Depuis 1961 et, de façon plus marquée, à partir de

1975, il est juste d’affirmer que la grande majorité des historiens franco-

britanniques soutiennent que la décision soviétique ne survient pas avant, au

moins, la fin juillet et qu’elle est fort probablement prise en août.

Notre deuxième thème concerne la nature de la politique étrangère

soviétique durant les négociations tripartites. Selon deux des trois écoles de

pensée relevées, et donc pour la majorité des intervenants dans le débat, la

décision soviétique de s’entendre avec l’Allemagne est d’abord pragmatique.

Selon ces mêmes auteurs, la situation complexe de 1939 et l’impératif de sécurité

ont imposé ce choix aux Soviétiques, malgré leur préférence pour une alliance

avec l’Entente. Par contre, le cheminement vers ce choix ne fait pas consensus,

comme en font foi les trois interprétations toujours défendues par les historiens.

D’une part, l’école de la Realpolitik se divise en deux tendances, la première

affirmant que l’URSS aurait elle-même pris plusieurs initiatives entre mars et

août 1939 pour s’assurer que l’option allemande était toujours viable, dans

l’éventualité où les négociations tripartites échoueraient. La deuxième tendance

affirme, quant à elle, que la politique soviétique était passive et réactive avec

Hitler avant le mois d’août. Cela signifie, selon les tenants de cette version, que,

dès le début des négociations, l’Union soviétique envisage la possibilité d’une

entente avec Berlin, mais ne prendra pas d’initiative en ce sens, puisque ce n’est

pas une priorité à ce moment. D’autre part, l’école de la sécurité collective

soutient, de son côté, que non seulement la politique soviétique est passive et

réactive, mais que les dirigeants soviétiques n’envisagent aucunement une entente

avec l’Allemagne avant le mois d’août. Dans ces circonstances, le Pacte Molotov-

Ribbentrop est une improvisation de dernière minute.

Notre troisième thème aborde la question de la responsabilité de l’échec

de « l’alliance de la dernière chance ». À ce sujet, les deux écoles de pensée

dominantes s’entendent généralement pour affirmer, malgré les torts partagés par

tous les acteurs de la négociation, que la France et, plus particulièrement, la

Grande-Bretagne doivent porter une grande part du blâme. Les historiens franco-

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106

britanniques ont donc reconnu que l’Union soviétique n’avait pas œuvré à

provoquer un cataclysme intercapitaliste en 1939, mais qu’elle avait plutôt tenté

de sortir de son isolement diplomatique.

Malgré tout, il y a relativement peu d’auteurs franco-britanniques qui

adhèrent entièrement aux idées de Taylor avant 1990. La raison est simple : les

sources soviétiques ne sont pas accessibles, ce qui empêche ainsi de vérifier

plusieurs de ses hypothèses. Dans ces circonstances, les historiens se doivent de

nuancer leurs propos, étant donné que leur analyse de la politique soviétique est

basée sur la perception que les diplomates britanniques, français, américains et

allemands en ont eue. Il devient donc évident qu’entre 1961 et 1989, le frein à la

progression du débat n’est pas la perception idéologique des historiens, mais bien

l’accès restreint aux sources soviétiques.

D’ailleurs, malgré l’amélioration de la situation à la suite du

démantèlement de l’URSS, la problématique est encore présente dans les années

2000. Il n’existe pas de meilleur exemple à ce titre que les motivations qu’évoque

Michael Carley pour écrire son ouvrage « 1939, L’alliance de la dernière

chance » en 1999.

« La plupart des nouveautés concernant cette période [1938-

1941] ont été publiées entre 1990 et 1998, et n’ont été que peu

utilisées jusqu’à présent. Ces documents présentent un point de vue

soviétique sur des événements que jusqu’ici nous avons surtout vus à

travers un prisme occidental. Qui plus est, la combinaison des quatre

sources archivistiques – britannique, française, soviétique et

allemande – crée une plus grande profondeur de champ sur ces sujets

encore fort controversés. »341

Cette situation explique par elle-même que le sujet soit encore autant d’actualité

dans la discipline historique. D’aucuns doivent donc se surprendre du fait qu’en

2011, il n’existe toujours pas de consensus sur la problématique de la

responsabilité de l’échec des négociations anglo-franco-soviétique de 1939.

D’ailleurs, la corrélation entre l’appui grandissant qu’obtient l’école de la sécurité

341

Ibid., p. 8.

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107

collective et l’ouverture des archives soviétiques ne vient que renforcer notre

argument selon lequel le véritable frein du débat depuis 1961 n’est pas le facteur

idéologique, mais bien l’accès restreint aux sources soviétiques. Nous nous

devons donc de remettre fortement en question l’idée que l’influence de la Guerre

froide ait orienté l’historiographie occidentale depuis les années 1960.

Il devient alors légitime de s’interroger sur la provenance de cette

« majorité » d’historiens occidentaux, selon Geoffrey Roberts, qui affirmerait que

la décision soviétique de rechercher une entente avec l’Allemagne avait été prise

dès le début des négociations tripartites. En ce sens, il serait fort pertinent

d’étudier la perception des historiens américains de l’échec des négociations

anglo-franco-soviétiques. Évidemment, les États-Unis ne participent pas à ces

négociations, mais la nature de la Guerre froide pourrait bien avoir eu un impact

sur leurs analyses des événements. Dans cette optique, il serait tout aussi

intéressant d’étudier l’historiographie soviétique sur l’échec des négociations,

afin de comparer leurs sources avec celles utilisées par les Occidentaux.

Dans cette étude, seuls les points de vue des historiens français et

britanniques sur l’échec des négociations ont été abordés. Il ne fait aucun doute

que les historiographies de ces deux pays sont interdépendantes. Tout d’abord, le

bilan démontre qu’autant les historiens d’origines françaises que ceux d’origines

britanniques ont rejeté l’essentiel du blâme sur l’Union soviétique. Cette tendance

était présente pendant une vingtaine d’années après l’échec des négociations.

Malgré que cette période corresponde avec le début de la Guerre froide et qu’il

est probable que celle-ci ait eu une influence, il est tout aussi possible que les

historiens, étant contemporains de la Deuxième Guerre mondiale, n’aient eu ni le

recul nécessaire ni un accès assez grand aux différentes archives pour effectuer

l’analyse historique qui s’imposait.

Par la suite, dans les années 1960, des voix se sont rapidement élevées

suite à la publication de l’ouvrage de Taylor pour soutenir l’idée que l’Union

soviétique n’avait pas eu comme premier objectif d’obtenir une entente avec

Page 116: Université de Montréal Les historiens français et

108

l’Allemagne entre les mois d’avril et août 1939. Ce phénomène apparaît

sensiblement dans les mêmes proportions en France et en Grande-Bretagne entre

1961 et 1974, puis se maintient entre 1975 et 1989. Là, où une différence

marquante apparaît entre les historiens français et britanniques, c’est à la suite de

la fin de la Guerre froide. À ce moment, les historiens français sont moins rapides

que leurs confrères britanniques à remettre en question la domination de l’école

de la Realpolitik. En fait, parmi les auteurs qui ont été cités dans la période 1990-

2011, du côté français, seule Annie Lacroix-Riz rallie sa voix à l’école de la

sécurité collective, et cela, sans consulter de façon significative les archives

soviétiques. Ce phénomène semble surtout indiquer l’absence de réel débat en

France concernant la question et nous ramène à une des premières constatations

de ce mémoire, soit que les historiens français ne se sont jamais beaucoup

intéressés à l’échec de 1939. Le bilan historiographique démontre bien qu’il a peu

de grandes études en France sur le sujet et nous a forcé à utiliser des ouvrages

généraux qui n’abordent que légèrement la problématique de la perception de la

politique étrangère soviétique de 1939, alors que, du côté britannique, les

publications sur le sujet foisonnent à un point tel que nous avons dû limiter leurs

utilisations pour faire place aux thèses françaises.

Évidemment, ce dernier constat fait ressortir le fait que la vision d’une

population donnée sur un sujet influence directement son approche historique.

Lorsqu’on analyse l’histoire des relations internationales des années 1930 et 1940

du point de vue britannique, on comprend que l’échec de « l’alliance de la

dernière chance » revêt une importance particulière. Tout d’abord, ce revers de la

diplomatie britannique semble être la conséquence de la politique d’appeasement

menée par le gouvernement conservateur durant les années 1930. Ensuite, il

explique, en partie, pourquoi la guerre de 1939-1945 a été si longue et qu’il a

fallu attendre l’année 1941 pour obtenir un allié européen capable d’opposer une

réelle résistance à Hitler. Puis, l’incapacité à constituer un front collectif en 1939

dévoile une des origines de la Guerre froide; déjà l’Occident et l’Union soviétique

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109

se jaugeaient avec une extrême méfiance. Dans cette optique, il n’y a aucune

surprise à ce que la littérature britannique soit florissante sur le sujet.

Pour les Français, la catastrophe militaire de 1940 et l’avènement du

régime de Vichy marquent bien plus la mémoire collective que l’échec des

négociations tripartites, ce qui explique pourquoi l’intérêt historique n’est pas

grand pour cette dernière problématique. De plus, les historiens français, autant

que leurs homologues britanniques, reconnaissent généralement que le rôle de la

France durant les négociations de 1939, tout comme dans leurs échecs, était

secondaire. Ainsi, le besoin de s’expliquer cet événement n’est pas le même que

du côté britannique.

Il a aussi été possible, grâce à cette étude, de révéler certaines limites de

l’analyse historique dans le domaine des relations internationales. La diversité des

hypothèses émises et l’absence de consensus sur plusieurs questions concernant

l’échec des négociations anglo-franco-soviétiques de 1939 démontrent la

difficulté pour les historiens à expliquer les revirements diplomatiques lors de

situations périlleuses. Dans ces circonstances, plusieurs acteurs influents tiennent

des discours contradictoires en privé et en public ou voient leur opinion évoluer

rapidement. La problématique est alors de déterminer lequel des discours

représente le plus fidèlement la pensée de l’acteur en question et quels sont les

facteurs de l’évolution de celle-ci.

En 1939, la méfiance entre l’Entente et l’Union soviétique est telle que les

diplomates de chaque pays impliqué sont constamment déchirés entre l’espoir et

la crainte que suscite cette possibilité d’alliance tripartite, ce qui rend leurs

décisions imprévisibles. De plus, le déroulement des événements, ainsi que

l’interaction et le jeu d’influence entre les différents membres d’une même

diplomatie, peut mener à des choix qui n’étaient pas favorisés au départ. Il est

donc très difficile d’attribuer une pensée fixe aux différents acteurs. Cela explique

pourquoi il est complexe de définir la nature profonde des politiques étrangères

des pays concernés.

Page 118: Université de Montréal Les historiens français et

110

Plus que tout, ce mémoire nous ouvre les yeux sur le fait que la discipline

historique, par ses mécanismes de remise en question constante, arrive à se tenir

beaucoup plus à l’écart des idéologies politiques en cours qu’on pourrait le croire

a priori. Cependant, il est primordial, lors de l’analyse historique des relations

internationales, d’obtenir un accès aux sources de chacun des pays concernés, de

près ou de loin, par l’événement en question, puisque cette étude démontre bien

que les analyses faites à partir de bases documentaires incomplètes sont

provisoires et doivent rester prudentes. Au lendemain de la Deuxième Guerre

mondiale, il n’est pas surprenant qu’en Occident l’Union soviétique ait été jugée

responsable de l’échec de 1939, puisqu’il n’y avait aucun document soutenant

son point de vue qui était accessible aux historiens occidentaux.

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