32
1 UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE Master 1, Semestre 2 - Année 2016-2017 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF DOCUMENTS DE TRAVAUX DIRIGES Cours de Nelly Ferreira Chargé de travaux dirigés : Mathieu Gualandi SÉANCES N° 5 & 6 LA RECEVABILITE PLAN DE SEANCE I. Généralités sur la recevabilité Document 1 : Code de justice administrative (extraits) Document 2 : M. Guyomar et B. Seiller, « Contentieux administratif », Dalloz, Hypercours, 2014, p. 268 à 273. II. Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées A. Les actes ne pouvant être contestés devant le juge administratif Document 3 : CE, 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, n° 383712 (extraits) Document 4 : L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Variations sur le thème de la mesure d’ordre intérieur dans la fonction publique », AJDA 2015 p. 2147 (extraits) Document 5 : CE Ass., 15 avril 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux, n° 120273 (extraits) Document 6 : CE Sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères, n° 233618 (extraits) B. Les délais de recours Document 7 : Code des relations entre le public et l’administration (extraits) Document 8 : CE, 7 déc. 2009, Min. de léducation nationale c. M. Karroum, n° 315064 (extraits) Document 9 : CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 (extraits) Document 10 : CE Sect., 10 juil. 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 64048 (extraits) Document 11 : CE, 13 mars 1998, Mme Mauline, n° 120079 (extraits) Document 12 : CE, 11 déc. 2013, Mme N’dre Regnault, n° 365361 (extraits) C. L’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire Document 13 : CE, 1 er avril 1992, M. Abit, n° 88068 (extraits) Document 14 : CE, 19 déc. 2008, Mme Mellinger épouse Praly, n° 297187 (extraits)

UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

1

UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE

Master 1, Semestre 2 - Année 2016-2017

CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

DOCUMENTS DE TRAVAUX DIRIGES

Cours de Nelly Ferreira

Chargé de travaux dirigés : Mathieu Gualandi

SÉANCES N° 5 & 6 – LA RECEVABILITE

PLAN DE SEANCE

I. Généralités sur la recevabilité

Document 1 : Code de justice administrative (extraits)

Document 2 : M. Guyomar et B. Seiller, « Contentieux administratif », Dalloz, Hypercours, 2014, p. 268 à

273.

II. Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées

A. Les actes ne pouvant être contestés devant le juge administratif

Document 3 : CE, 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, n° 383712 (extraits)

Document 4 : L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Variations sur le thème de la mesure d’ordre

intérieur dans la fonction publique », AJDA 2015 p. 2147 (extraits)

Document 5 : CE Ass., 15 avril 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux, n° 120273 (extraits)

Document 6 : CE Sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères, n° 233618 (extraits)

B. Les délais de recours

Document 7 : Code des relations entre le public et l’administration (extraits)

Document 8 : CE, 7 déc. 2009, Min. de l’éducation nationale c. M. Karroum, n° 315064 (extraits)

Document 9 : CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 (extraits)

Document 10 : CE Sect., 10 juil. 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 64048 (extraits)

Document 11 : CE, 13 mars 1998, Mme Mauline, n° 120079 (extraits)

Document 12 : CE, 11 déc. 2013, Mme N’dre Regnault, n° 365361 (extraits)

C. L’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire

Document 13 : CE, 1er avril 1992, M. Abit, n° 88068 (extraits)

Document 14 : CE, 19 déc. 2008, Mme Mellinger épouse Praly, n° 297187 (extraits)

Page 2: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

2

D. L’intérêt donnant qualité pour agir

Document 15 : Fabrice Melleray, « A propos de l’intérêt donnant qualité pour agir en contentieux

administratif », AJDA 2014 n° 1530.

Document 16 : CE, 30 déc. 2014, Association des familles victimes de saturnisme, n° 367523 (extraits)

E. Les conclusions tendant à l’annulation partielle d’un acte indivisible

Document 17 : CE, 24 mai 2006, Association pour la promotion des Soyfoods, n° 275363 (extraits)

III. Les irrecevabilités pouvant faire l’objet d’une régularisation

Document 18 : Code de justice administrative, article R. 612-1

Document 19 : CE Sect., 18 oct. 2000, Société Max-Planck-Gesellschaft, n° 206341 (au Recueil) (extraits)

Document 20 : CE, 21 déc. 2001, M. et Mme Hofmann, n° 222862 (extraits)

Document 21 : CE, 24 avril 2013, M. M’Bodji, n° 349109 (extraits)

Document 22 : CE, 30 déc. 2009, MM. Mizael, n° 311599 (extraits)

DEVOIRS A RENDRE

Pour la séance n° 5 (séance du 9 mars 2017) :

- Commenter l’arrêt : « CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 » (document 9)

Pour la séance n° 6 (séance du 16 mars 2017) :

- Travaux à venir.

Page 3: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

3

- Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées

Document 1

Code de justice administrative (extraits)

Art. R. 411-1 : « La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties.

Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au

juge.

L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le

dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de

recours ».

Art. R. 411-3 : « Les requêtes doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées de copies, en nombre

égal à celui des autres parties en cause ».

Art. R. 412-1 : « La requête doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée,

de l’acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l’article R. 421-2, de la pièce justifiant de la

date de dépôt de la réclamation ».

Art. R. 414-1 : « Lorsqu'elle est présentée par un avocat, un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de

cassation, une personne morale de droit public autre qu'une commune de moins de 3 500

habitants ou un organisme de droit privé chargé de la gestion permanente d'un service

public, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être adressée à la juridiction par voie

électronique au moyen d'une application informatique dédiée accessible par le réseau

internet. La même obligation est applicable aux autres mémoires du requérant.

Lorsqu'elle est présentée par une commune de moins de 3 500 habitants, la requête peut

être adressée au moyen de cette application (…) ».

Art. R. 421-1 : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce,

dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après

l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement

formée devant elle ».

Art. R. 421-2 : « Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé

par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l’intéressé dispose,

pour former un recours, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une

décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant

l’expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours.

La date du dépôt de la demande à l’administration, constatée par tous moyens, doit être

établie à l’appui de la requête ».

Art. R. 421-3 : « Toutefois, l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de

la notification d’une décision expresse de rejet :

1° Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que

par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ;

2° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction

administrative ».

Art. R. 421-5 : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la

condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la

décision ».

Art. R. 431-2 : « Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés soit par un

avocat, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, lorsque les

Page 4: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

4

conclusions de la demande tendent au paiement d’une somme d’argent, à la décharge ou à

la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d’un

litige né de l’exécution d’un contrat ».

Art. R. 431-3 : « Toutefois, les dispositions du premier alinéa de l’article R. 431-2 ne sont pas applicables

:

1° Aux litiges en matière de contravention de grande voirie ;

2° Aux litiges en matière de contributions directes, de taxes sur le chiffre d’affaires et de

taxes assimilées ;

3° Aux litiges d’ordre individuel concernant les fonctionnaires ou agents de l’Etat et des

autres personnes ou collectivités publiques ainsi que les agents ou employés de la Banque

de France ;

4° Aux litiges en matière de pensions, de prestations, allocations ou droits attribués au titre

de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi,

d’emplois réservés et d’indemnisation des rapatriés (…).

*

Document 2

M. Guyomar et B. Seiller, « Contentieux administratif », Dalloz, Hypercours, 2014, p. 268 à 273.

« (…) Section 1 – Les principes

Il est possible de dégager deux séries de principes

relatifs à la recevabilité des recours en contentieux

administratif. Les uns se rapportent à l’examen de

cette recevabilité ; les autres révèlent que certaines

requêtes encourent d’emblée un rejet pour

irrecevabilité.

§ 1 Les principes de la recevabilité

582. Le juge administratif est tenu de se prononcer

sur la recevabilité des recours dont il est saisi à un

stade précis de leur examen et de l’apprécier à la

date de leur introduction.

A. Un examen second

583. La logique commande que l’examen de la

recevabilité d’un recours n’intervienne qu’après

l’établissement, explicite ou implicite, de la

compétence de la juridiction administrative saisie.

Il serait aberrant, en effet, que cette dernière se

prononce sur la recevabilité d’une requête dont il

ne lui appartient pas de connaître. Le juge doit

d’abord établir sa compétence avant d’examiner la

recevabilité du recours et ce n’est que lorsque cette

dernière est admise qu’il lui incombe de trancher le

litige au fond (v. par ex. CE, sect., 21 nov. 1975,

SA La grande brasserie moderne, Lebon 584).

584. Certes, des questions distinctes s’ajoutent

parfois à ces trois étapes principales. Le juge

administratif accepte ainsi de donner acte du

désistement du requérant, alors même qu’il est

incompétent pour connaître de la requête dont ce

dernier l’avait initialement saisi (CE, sect., 16 oct.

1981, Lassus, Lebon 374, concl. Dutheillet de

Lamothe). Par ailleurs, la disparition de l’objet du

recours entraîne un non-lieu à statuer que le juge

constate sans même s’intéresser à la recevabilité du

recours (CE, ord. réf., 29 mars 2005, X, req. no

278495).

585. Hormis ces hypothèses particulières, le juge

qui statue au fond sans avoir préalablement

examiné la recevabilité du recours commet une

erreur de droit, sanctionnée par le juge d’appel ou

de cassation (CE 28 déc. 2005, Ville Lille, Lebon

1071).

586. Deux mécanismes conduisent toutefois à

remettre en cause l’ordre logique d’examen des

questions. Tout d’abord, les articles R. 351-4 et R.

351-5 du Code de justice administrative permettent

au Conseil d’État, aux cours administratives

d’appel et aux tribunaux administratifs, de rejeter

les recours relevant de la compétence d’une autre

juridiction administrative mais entachés d’une

irrecevabilité manifeste non susceptible d’être

couverte en cours d’instance (CE, ass., 2 juill.

1993, Fédération nationale des syndicats libres

PTT, Lebon 192) ou devant faire l’objet d’un non-

lieu (CE, ass., 16 avr. 1986, Roujansky, Lebon

113). Ces articles ne permettent cependant pas à

une cour administrative d’appel, incompétente pour

Page 5: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

5

connaître d’un appel, de rejeter une requête en

raison de l’irrecevabilité manifeste de la demande

de première instance (CE 25 janv. 2012, M. Piasco,

req. no 344705).

587. Ensuite, le juge administratif s’est

pragmatiquement reconnu le droit de rejeter au

fond des recours sans se prononcer sur leur

recevabilité et donc, éventuellement, en dépit de

leur potentielle irrecevabilité. Cela le dispense, par

exemple, de statuer sur des questions douteuses

comme l’intérêt à agir du requérant (CE 5 nov.

2003, Synd. de la juridiction administrative, Lebon

823 ; AJDA 2004. 827 ; concl. Schwartz) ou le

caractère de décision faisant grief de l’acte attaqué

(CE, sect., 29 janv. 1993, Sté NRJ, Lebon 17). Le

recours à cette solution de facilité est clairement

exprimé par la formule « sans qu’il soit besoin de

statuer sur la recevabilité de la requête ». Le

mécanisme n’est évidemment tolérable que si le

recours doit être rejeté au fond : il ne saurait

autoriser à faire droit à une requête éventuellement

irrecevable. Sous cette condition, il présente le

double intérêt de dispenser le juge de se prononcer

sur une question délicate de recevabilité et de faire

savoir au requérant que, en tout état de cause, sa

requête était dépourvue de chances de succès au

fond. Le litige est ainsi opportunément vidé (pour

les conséquences sur l’office du juge d’appel, CE

26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no

328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note

Seiller).

B. Le caractère d’ordre public

588. Sauf lorsqu’il décide de rejeter une requête au

fond sans examiner sa recevabilité (v. ss 587), le

juge administratif est tenu de se prononcer sur

celle-ci avant de trancher le litige. En effet, comme

les règles de compétence, les règles de recevabilité

sont d’ordre public, ce qui signifie d’une part, que

le juge doit s’assurer de leur respect et d’autre part,

que le défendeur a la faculté d’invoquer

l’irrecevabilité de la requête en tout état de la

procédure (CE Sect., 10 juin 1994, Préfet de police

Paris, req. no 139971). Est d’ordre public

l’irrecevabilité d’une requête à laquelle il a été fait

droit mais pas la recevabilité d’une requête à

laquelle a été opposée à tort une irrecevabilité qui

n’est pas contestée (CE 5 mai 1976, Samra, Lebon

1081 selon laquelle le juge d’appel n’a pas à

examiner d’office si une irrecevabilité a été

opposée à bon droit ; 15 avr. 1996, Devoto, Lebon

1130).

589. Toutefois, le juge ne peut soulever d’office

l’irrecevabilité du recours qu’à deux conditions. La

première est qu’il ne doit procéder à aucune mesure

d’instruction destinée à confirmer un doute sur la

recevabilité de la requête : l’irrecevabilité doit

ressortir du dossier (CE 11 janv. 1995, Garrigos,

Lebon 747). La seconde est qu’il doit informer les

parties de son intention de soulever d’office un

moyen avant la séance de jugement et fixer un délai

dans lequel elles peuvent présenter leurs

observations sur le moyen communiqué (CJA, art.

R. 611-7). Si la formation de jugement n’a pas à

expliciter les motifs, de fait ou de droit,

caractérisant l’existence d’un moyen d’ordre public

(CE 21 déc. 1994, SARL La flotte française, Lebon

1119 ; LPA 26 avr. 1995, Lebon 9, concl. Arrighi),

il convient cependant qu’elle donne aux parties une

information suffisamment précise pour qu’elles

puissent discuter utilement le moyen identifié.

590. Cette obligation ne vaut pas, cependant, à

l’égard des requêtes dont la solution est d’ores et

déjà certaine (CJA, art. R. 611-8) ou de celles

entachées d’une irrecevabilité non susceptible

d’être couverte en cours d’instance ou due au

défaut du ministère d’avocat ou de production de la

décision attaquée (CJA, art. R. 122-12 et R. 222-1).

591. Le caractère d’ordre public des règles de

recevabilité et l’obligation faite au juge d’en

sanctionner d’office la violation ne déploie pas

d’excessives conséquences à l’encontre des

justiciables. Il leur est, en effet, souvent loisible de

régulariser leur requête et ils doivent même y être

invités par le juge.

592. Certaines exigences de recevabilité ne

sauraient, il est vrai, donner lieu à une

régularisation. Cela concerne les recours exercés

postérieurement à l’expiration du délai (CE 29 juin

1990, Assoc. audoise sociale et médicale, Lebon

651), ceux dirigés contre un acte dépourvu de

caractère décisoire ou non constitutif de décision

faisant grief (CE 22 nov. 1999, Arteaga Romero,

Lebon 937), ceux déposés sans avoir respecté une

obligation de recours administratif préalable (CE

26 avr. 1974, Sieur X, Lebon 206) et ceux non

notifiés, dans le délai de recours, à l’auteur du

document d’urbanisme et, le cas échéant, au

bénéficiaire de la décision d’urbanisme attaquée (C.

urb. art. R. 600- 1 ; CE 11 déc. 2000, Baudet, req.

no 212329, Lebon 1139).

593. Les autres conditions de recevabilité laissent

au requérant maladroit ou négligent une possibilité

Page 6: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

6

de régularisation. L’une d’entre elles, l’obligation

de motiver le recours, ne lui accorde pour cela

qu’un bref répit puisqu’elle ne peut être régularisée

postérieurement à l’expiration du délai de recours

(CJA, art. R. 411-1). Hormis ce cas particulier, les

requêtes entachées d’une cause d’irrecevabilité sont

susceptibles d’être régularisées jusqu’à la fin de

l’instance. Tel est le cas, notamment, des requêtes

non rédigées en français (CE 18 oct. 2000, Sté

Max-Planck-Gesellschaft, req. no 206341, Lebon

432) ou non signées (CE 13 mars 1996, Diraison,

Lebon 78), des requêtes collectives sans lien

suffisant entre leurs auteurs ou les actes attaqués

(CE, sect., 30 mars 1973, David, Lebon 265, concl.

Théry ; AJDA 1973. 244, chron. Cabanes et Léger ;

RD publ. 1973. 1323, note Waline), des requêtes

déposées avant même que la décision critiquée n’ait

été prise (CE, sect., 4 janv. 1974, Sieur X, Lebon 3)

ou non accompagnées de la production de celle-ci

(CE 17 mars 1995, Touati, Lebon 981), des

requêtes émanant d’une personne n’ayant pas la

capacité d’agir (CE, sect., 9 juill. 1997, Kang,

Lebon 302 ; AJDA 1997. 906, concl. Denis-Linton)

ou la qualité pour agir (CE 22 juin 1977, Muller,

Lebon 925) et des recours non déposés par le

ministère d’un avocat (CE, sect., 27 janv. 1989,

Chrun, Lebon 37 ; RFDA 1989. 751, concl. Moreau

; CE 1er mars 2012, Elijalat, req. no 338450).

594. De façon très remarquable, l’article R. 612-1

du CJA (qui reprend une règle générale de

procédure applicable à toutes les juridictions

administratives : CE 24 avr. 2013, M. M’Bodji, req.

no 349109) oblige le juge à inviter le requérant à

régulariser sa requête (pour les modalités, v. CE 14

nov. 2011, Alloune, req. no 334764 ; JCP Adm.

2012, no 2339, note Merenne). Cette obligation ne

vaut toutefois pas devant le juge des référés

statuant en urgence (par application de l’article R.

522-2 CJA, CE 6 juill. 2012, M. A., req. no

356427). Si le requérant ignore cette invitation à

régulariser, la juridiction est ensuite en droit de

rejeter la requête en relevant d’office le moyen tiré

de l’irrecevabilité en cause (CE 17 déc. 2013, Mme

Bois, req. no 363690). Elle est alors dispensée de

respecter l’article R. 611-7 du Code de justice

administrative, qui impose d’informer au préalable

les parties de ce que la décision à rendre est

susceptible d’être fondée sur un moyen d’ordre

public (CE 16 févr. 1994, Territoire Nouvelle-

Calédonie, Lebon 1058), et le rejet peut être

prononcé par ordonnance (CJA, art. R. 122- 12 et

R. 222-1, préc.).

595. Le juge n’est toutefois tenu d’inviter le

requérant à régulariser sa requête que s’il estime

devoir relever d’office le moyen tiré de son

irrecevabilité. Il en va logiquement autrement

lorsque le défendeur a soulevé le moyen tiré de

l’irrecevabilité : le demandeur ne peut alors ignorer

le vice de sa requête et la nécessité de la

régulariser. Ce n’est qu’en cas de passivité du

défendeur que le juge doit inviter le requérant à

régulariser son recours, lui accorder un délai

suffisant pour le faire et lui indiquer qu’en cas

d’inaction, l’irrecevabilité du recours pourra être

prononcée (CE 25 oct. 2004, Préfet de police,

Lebon 732). Si le juge omet d’inviter le requérant à

régulariser son recours mais relève d’office le

moyen tiré de l’irrecevabilité, sa décision sera

susceptible d’être annulée en appel mais la cause

d’irrecevabilité ne pourra plus être invoquée (CE

30 nov. 1994, Cne Poligny, Lebon 1103).

C. L’appréciation de la recevabilité

596. Le principe est que la recevabilité des recours

dont sont saisies les juridictions administratives

s’apprécie à la date à laquelle ils sont introduits

(CE 5 oct. 1977, Secrétaire d’État Culture, AJDA

1978. 106). Les possibilités de régularisation, avant

ou après l’expiration du délai de recours, atténuent

il est vrai fortement ce principe. Il n’en déploie pas

moins quelques effets, principalement en matière

de délai de recours (CE, sect., 21 juin 1974, Ziane,

Lebon 358). Il s’oppose également à ce qu’une

association tente de se donner un intérêt à agir en

modifiant substantiellement son objet social en

cours d’instance (CE 24 oct. 1994, Cne Tour du

Meix, Lebon 462) mais non à ce que des

changements dans les circonstances de droit ou de

fait postérieurs à l’introduction de sa demande lui

confèrent cet intérêt (CE 25 juin 2003, Cne

Saillagouse, Lebon 1031). Le principe selon lequel

la recevabilité s’apprécie à la date d’introduction du

recours se traduit inversement par le fait que

l’intérêt à agir ne saurait disparaître en cours

d’instance (CE, sect., 11 févr. 2005, Marcel, Lebon

57).

597. De la même façon, la recevabilité d’un moyen

s’apprécie à la date à laquelle il est soulevé devant

le juge de l’excès de pouvoir et non à la date à

laquelle ce dernier statue sur son bien-fondé (CE,

sect., 30 juin 1997, Kessai, Lebon 251). C’est ainsi

que l’exception d’illégalité d’un acte non

réglementaire reste recevable même si,

postérieurement, il acquiert un caractère définitif

(CE 16 nov. 1994, Traoré, JCP 1995. somm. 172,

Page 7: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

7

obs. Julien-Laferrière ; CE 20 mars 2013, Ministre

de l’Écologie, du Développement durable, des

Transports et du Logement, req. no 352351).

Parfois, cependant, la recevabilité d’un moyen est

soumise à des conditions temporelles spécifiques.

598. Cela se produit d’abord dans le cas très

particulier de la mise en cause de la légalité des

actes budgétaires des collectivités locales. La

procédure spécifique organisée au profit du préfet

devant la chambre régionale des comptes rend en

principe irrecevable un particulier à invoquer

devant le juge de l’excès de pouvoir l’absence de

vote du budget à l’équilibre réel. Mais tout

intéressé dispose, pour invoquer ce moyen, d’un

délai de deux mois qui commence à courir à

l’expiration des 30 jours accordés au préfet pour

mettre en œuvre la procédure de contrôle

budgétaire (CE, sect., 23 déc. 1988, Dpt Tarn,

Lebon 466 ; AJDA 1989. 91, chron. Azibert et de

Boisdeffre ; RFDA 1989. 365, concl. Lévis).

Éventuellement irrecevable au moment du dépôt du

recours de l’administré, le moyen devient recevable

par la suite.

599. Une solution inverse prévaut en vertu d’une

solution jurisprudentielle qui, présentée parfois

comme peu favorable au requérant, lui ménage en

réalité la possibilité d’enrichir le débat contentieux

après l’expiration du délai de recours (CE, sect., 20

févr. 1953, Sté Intercopie, Lebon T. 88 ; S. 1953.

III. 77, note M. L.). Le juge administratif déclare

irrecevables les moyens soulevés après l’expiration

du délai de recours sauf s’ils se rattachent à la

même cause juridique que ceux soulevés dans le

délai. Ces moyens constituent des prétentions

nouvelles tardivement présentées. Même en cas de

règlement de l’affaire au fond après cassation, un

moyen se rattachant à une cause juridique distincte

de celle sur laquelle reposaient les moyens soulevés

en première instance dans le délai de recours est

irrecevable (CE 7 avr. 2011, Jehl, req. no 330306 ;

BJDU 2011. 282, note Trémeau).

600. Les moyens susceptibles d’être invoqués dans

le cadre d’un recours pour excès de pouvoir

reposent ainsi soit sur la légalité externe

(incompétence, vice de procédure, vice de forme),

soit sur la légalité interne (erreur de fait, erreur de

droit, erreur dans la qualification juridique des faits,

détournement de pouvoir) de la décision contestée.

Concrètement, si le requérant s’est borné à alléguer

une erreur de droit dans son mémoire introductif

d’instance, il ne sera pas recevable à faire valoir un

vice de procédure dans un mémoire

complémentaire produit postérieurement à

l’expiration du délai de recours (CE 3 mars 1993,

Sté Cofiroute, req. no 105461). Ces deux moyens

procèdent, en effet, de causes juridiques distinctes.

Ce même requérant serait, en revanche, recevable à

invoquer d’autres moyens de légalité interne, à

l’exemple d’une erreur de fait ou d’une mauvaise

qualification juridique des faits. La jurisprudence

Intercopie, souvent contestée, n’est en réalité guère

redoutable (d’où sa réitération constante, CE 7 avr.

2011, Jehl, req. no 330306, préc.) : il suffit au

requérant de prendre la précaution d’alléguer un

vice de légalité externe et un vice de légalité interne

dans son mémoire introductif pour disposer de la

faculté de compléter ultérieurement son

argumentation (CE, ass., 27 oct. 1995, Union

maritime CFDT, Lebon 369). En outre, les moyens

d’ordre public, que les parties peuvent soulever en

tout état de la procédure, échappent à

l’irrecevabilité quelle que soit leur cause juridique

(CE, ass., 3 juill. 1998, Synd. des médecins Ain,

Lebon 277).

601. L’état du droit est plus complexe en matière

de plein contentieux en raison de la diversité des

causes juridiques. Elle se manifeste doublement. En

premier lieu, chaque type de plein contentieux

présente ses causes juridiques propres. Ainsi, par

exemple, la jurisprudence oppose-t-elle, en matière

de responsabilité contractuelle, les moyens liés à la

nullité du contrat à ceux relatifs au non-respect de

celui-ci (CE 16 mai 1924, Jourda de Vaux, Lebon

483). En second lieu, au sein de chaque type de

plein contentieux, une pluralité de causes juridiques

existe le plus souvent, qui complique

nécessairement la tâche des plaideurs. Le

contentieux de la responsabilité distingue les

responsabilités contractuelle, quasi-contractuelle et

extracontractuelle (CE 22 févr. 1980, SA Sablières

modernes d’Aressy, Lebon 110) et, au sein de cette

dernière, les responsabilités pour faute et sans faute

(CE 16 févr. 1979, Mallisson, Lebon 879). Le

contentieux électoral pousse la classification des

causes juridiques à son paroxysme (CE, ass., 20

oct. 1989, Horblin, Lebon 199) faisant de chaque

grief une cause juridique distincte (v. pour la notion

de grief nouveau, CE 6 oct. 1999, Élections

cantonales de Champeix, Lebon 806) quand le

contentieux fiscal se singularise au contraire par

une solution simple et favorable au requérant : tous

les moyens se rapportant au contentieux de

l’imposition (par opposition au contentieux du

recouvrement : CE 28 juill. 2011, SA Affinerie de

l’Est, req. no 313279) relèvent de la même cause

juridique (LPF, art. L. 199-C) (…) ».

Page 8: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

8

I. Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées

A. Les décisions ne pouvant faire l’objet d’un recours contentieux

Document 3

CE, 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, n° 383712 (aux Tables) (extraits)

« (…) 3. Considérant que, si une mesure de contrôle par l’administration pénitentiaire des équipements

informatiques des détenus, eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus,

ne constitue pas, en elle-même, un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de

pouvoir, tel n’est en revanche pas le cas de la décision distincte de retenue de ces équipements qui, prise sur

le fondement des dispositions précitées, le cas échéant, en résulte ;

4. Considérant qu’en regardant, pour rejeter comme irrecevable la requête de M. Dos Santos Pedro, ses

conclusions comme dirigées contre la seule décision de contrôle de ses équipements informatiques, alors

qu’il demandait l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision de retenue administrative de ces

équipements à laquelle ce contrôle avait conduit, qui est susceptible de recours, la cour administrative

d’appel de Nantes s’est méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie ; qu’il résulte de ce qui

précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, M. Dos Santos Pedro est

fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué (…) ».

*

Document 4

L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Variations sur le thème de la mesure d’ordre intérieur dans la

fonction publique », AJDA 2015 p. 2147 (extraits)

« Etait-ce que la jurisprudence avait hésité ? Ou

qu'on lui avait donné plus de portée qu'elle n'avait ?

Ou simplement qu'il est bon, à intervalles réguliers,

de réexaminer certaines questions structurantes du

contentieux administratif ? Toujours est-il que la

section du contentieux était saisie de la question de

savoir si la circonstance qu'une mesure ait été prise

en considération de la personne faisait obstacle à ce

qu'elle fût qualifiée de mesure d'ordre intérieur.

Si cette seule question ne présentait pas de

difficulté majeure, la section du contentieux en a

profité pour traiter, tout en mesure, par quelques

notes et autant de silences, de plusieurs questions

connexes. La décision a ainsi été l'occasion de

réaffirmer, dans le champ de la fonction publique,

que la règle de minimis non curat praetor

s'applique à raison des effets des décisions de

l'administration, tout en trouvant une exception

notable en matière de discrimination. Et elle a

conduit à aborder la question aussi délicate que

théorique du cas particulier des sanctions

déguisées.

La prise en compte du comportement dans

l'ordre intérieur

La circonstance qu'une décision ait été prise pour

des motifs tenant au comportement d'un agent est

sans incidence sur son caractère de mesure d'ordre

intérieur. Voilà, en une phrase, la réponse à la

question qui était posée à la section. L'on constatera

qu'une telle affirmation n'apparaît pas dans le

considérant de principe de la décision commentée ;

elle est à trouver dans une incise du considérant

d'espèce. C'est qu'elle ne faisait guère de doute.

Certes, quelques précédents pouvaient paraître

avoir chancelé, mais il n'y avait pas matière à y voir

un réel courant jurisprudentiel : tout au plus

trouvait-on un « considérant au surplus » d'une

décision inédite de sous-section jugeant seule (CE

14 mai 2008, n° 290046, Mme Carrot)… Pour le

reste, c'est-à-dire l'essentiel, la jurisprudence avait,

imperturbablement, qualifié de mesures d'ordre

intérieur nombre de décisions prises en fonction du

comportement d'agents publics (…).

Les notions de mesure d'ordre intérieur et de

décision prise en considération de la personne sont,

en somme, tout à fait indépendantes. La première,

traduction de l'adage de minimis, conditionne

traditionnellement la recevabilité du recours pour

excès de pouvoir. Elle trouve son terrain d'élection

dans les services publics exécutés à l'intérieur des

Page 9: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

9

locaux de l'administration et dans les relations entre

celle-ci et ses agents, civils et militaires ; elle

s'applique, plus largement, à la myriade de

décisions quotidiennes de très faible portée qui

jalonnent la vie administrative (v., par ex., pour la

décision par laquelle le conseil général décide de

renvoyer la suite de sa séance au mardi suivant :

CE 2 déc. 1983, n° 43541, Charbonnel, Lebon).

La seconde est davantage source d'ambiguïté. Elle a

été employée initialement, dans la décision de

section Sieur Nègre du 24 juin 1949 (Lebon 304),

pour ouvrir le droit à communication du dossier au-

delà de la lettre de l'article 65 de la loi du 22 avril

1905, par une extension du champ d'application de

cet article, elle-même inspirée par le principe

général des droits de la défense (…). Elle a

d'ailleurs fondé par la suite nombre d'applications

de ce principe en dehors du droit de la fonction

publique (v., par ex., CE, 16 juin 1978, n° 00434,

Ville de Villeurbanne c/ Dame Pignol, Lebon T. ;

CE, sect., 11 févr. 1977, n° 98586, Terrasse,

Lebon). Même en s'en tenant à la relation entre

l'administration et ses agents, la difficulté

d'appréhension de la notion vient cependant de ce

que toutes les mesures prises en considération de la

personne n'entrent pas dans le champ du principe

général des droits de la défense et de l'obligation de

mettre l'agent à même de demander la

communication de son dossier qui le traduit. En

effet, seules celles de ces mesures qui portent

atteinte à un droit sont soumises à ces règles (v.,

not., CE, sect., 3 déc. 2003, n° 236485, Mansuy,

Lebon…). Si bien que se distinguent deux

catégories de mesures prises en considération de la

personne : la première catégorie regroupe celles qui

portent atteinte à un droit, sont dans le champ du

principe général des droits de la défense et de la

jurisprudence Nègre et se définissent,

juridiquement, par l'application de ces règles ; la

seconde catégorie, qui englobe la première,

regroupe des mesures qui ne portent pas

nécessairement atteinte à un droit, ne sont donc pas

toujours dans le champ du principe général et de la

jurisprudence Nègre et ne trouvent dès lors d'autre

définition que celle - du sens commun - de mesures

prises pour des motifs tenant au comportement de

l'agent public.

Pour réaffirmer l'indépendance des notions de

mesure d'ordre intérieur et de mesure prise en

considération de la personne, la section du

contentieux a pris le soin de souligner -

discrètement, mais clairement - cette dernière

distinction. En jugeant irrecevable le recours contre

la mesure de changement d'affectation litigieuse

« alors même qu'elle aurait été prise pour des

motifs tenant au comportement de l'agent public

concerné », la décision use de mots volontairement

différents de l'expression consacrée par la

jurisprudence Nègre.

Cette clarification lexicale, qui n'est pas sans

précédent, manifeste qu'était ici en cause

l'acception large de la prise en considération de la

personne, non celle de la jurisprudence Nègre. La

section redit ainsi qu'il y a place, dans l'ordre

intérieur - et donc sans recours -, pour une

appréciation des comportements des agents (…).

Les effets, rien que les effets... sauf si

Allant au-delà de la seule question de l'appréciation

du comportement de l'agent, la décision du 25

septembre 2015, Mme B., précise la définition et le

régime des mesures d'ordre intérieur dans la

relation entre l'administration et ses agents, en

posant un principe et une exception.

Le principe : la mesure d'ordre intérieur est

définie par ses effets

Le principe est qu'une mesure d'ordre intérieur,

dans ce champ, est définie par ses effets. C'est

« compte tenu de leurs effets » que des décisions

prises à l'égard d'agents publics ne peuvent être

regardées comme faisant grief et constituent de

simples mesures d'ordre intérieur. En d'autres

termes, seul le dispositif de la décision est en

principe susceptible de faire grief, car c'est de lui

que naissent les effets de celle-ci. Pour déterminer

si la mesure est susceptible de recours, le juge

procédera alors à un examen de ses effets « en

négatif », c'est-à-dire en s'assurant de l'absence

d'effets qui seraient de nature à faire sortir la

décision de la catégorie des mesures d'ordre

intérieur. S'agissant de mesures de changement de

l'affectation ou des tâches confiées à un agent, la

décision Mme B. opère ainsi la qualification de

mesure d'ordre intérieur en écartant successivement

les atteintes aux droits et prérogatives que l'agent

tient de son statut, les atteintes à l'exercice de ses

droits et libertés fondamentaux, la perte de

responsabilité et la perte de rémunération.

Pour l'essentiel, en listant de la sorte les effets

qu'une mesure d'ordre intérieur ne peut avoir (qui

sont, par a contrario, autant de critères de

recevabilité), la décision Mme B. formule de façon

résumée la quintessence d'une jurisprudence

Page 10: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

10

ancienne et constante. Le Conseil d'Etat se fondait

déjà sur les effets - ou l'absence d'effets - de la

décision en cause sur les droits et prérogatives que

l'agent tient du statut (CE 17 oct. 1986, n° 59536,

Chabot, Lebon T….) ou la « situation juridique »

(CE 1er oct. 1975, n° 97752, Epoux Phélizon,

Lebon T.), sur les responsabilités exercées (en cas

de changement d'attributions : CE 26 avr. 1978, n°

04792, Crumeyrolle, Lebon ; ou de changement

d'affectation : CE 4 déc. 2013, n° 359753, Van

Gastel, Lebon T….) et sur la rémunération ou les

avantages (…).

Notable est cependant l'apparition, parmi les effets

conduisant à sortir de la catégorie des mesures

d'ordre intérieur, des atteintes à l'exercice des droits

et libertés fondamentaux. L'idée de réserver

l'atteinte aux droits et libertés fondamentaux de

l'agent dans la qualification de mesure d'ordre

intérieur avait déjà été présentée par N. Boulouis

dans ses conclusions sur l'affaire Caisse des dépôts

et consignations (CE 11 mai 2011, n° 337280,

Lebon T. ; AJDA 2011. 994). La décision n'avait

pas pris parti sur la question, si bien que la décision

Mme B. formule expressément pour la première

fois qu'une mesure qui porte atteinte à l'exercice

des droits et libertés d'un agent public ne peut être

regardée comme une mesure d'ordre intérieur et

peut, par conséquent, faire l'objet d'un recours pour

excès de pouvoir.

Cette réserve nouvelle ne manquera de faire penser

à celle qu'a consacrée la jurisprudence sur les

mesures d'ordre intérieur en milieu pénitentiaire

(CE, Ass., 14 déc. 2007, n° 290420, Planchenault,

Lebon 474 ; CE 14 déc. 2007, n° 290730,

Boussouar, Lebon 495) ; elle est pourtant formulée

différemment : là où la jurisprudence pénitentiaire

réserve que « soient en cause » des libertés et des

droits fondamentaux, la décision Mme B. se borne

à écarter des « effets sur l'exercice » de ces droits et

libertés. De la sorte, elle reste dans la ligne de

principe selon laquelle la recevabilité du recours

s'apprécie objectivement au regard des effets de la

mesure, sans entrer dans la logique d'admission

d'un recours à raison des droits subjectifs qu'il

entend défendre.

Pour le reste, cette réserve des droits fondamentaux

trouvera certainement moins à s'appliquer en

matière de fonction publique qu'en matière de

détention - ce qui, somme toute, est heureux. Elle

impliquera néanmoins, pour le juge, d'élargir son

appréciation des effets de la décision contestée,

pour appréhender ses effets indirects, ce qui interdit

tout raisonnement général par type de mesures :

pour reprendre le cas d'espèce de la décision Caisse

des dépôts et consignations, précitée, si le refus

d'une autorisation d'absence accordée à titre

discrétionnaire pour convenances personnelles est

en principe une mesure d'ordre intérieur, il n'en ira

pas de même lorsque la demande d'autorisation

aura pour but l'exercice d'un droit fondamental, tel

que la liberté religieuse (…).

L'exception : la mesure traduisant une

discrimination est susceptible de recours

Le principe d'appréciation objective de la

recevabilité du recours à raison des effets de la

mesure souffre une exception : si la mesure traduit

une discrimination, elle est susceptible de recours,

quels que soient ses effets. De ce point de vue, la

décision Mme B. n'innove pas mais donne l'onction

d'une décision de section à la récente décision Pôle

emploi (CE 15 avr. 2015, n° 373893, Lebon ;

AJDA 2015. 1926 , note C. Chauvet ; AJCT 2015.

408, obs. M.-C. Rouault), tout en la reformulant : là

où la décision Pôle emploi affirmait qu'une mesure

discriminatoire ne pouvait pas être d'ordre intérieur

pour en déduire sa justiciabilité, la décision Mme

B. affirme qu'une mesure d'ordre intérieur est

justiciable lorsqu'elle est discriminatoire. Ce qui

confirme qu'une mesure d'ordre intérieur se définit

par ses effets, mais rompt avec l'exclusion radicale

des mesures d'ordre intérieur du prétoire du juge

administratif.

Au-delà de ce choix conceptuel, l'exception ainsi

consacrée est de taille. Elle ne peut pas vraiment

être rattachée à la réserve des droits fondamentaux

(en dehors du fait qu'elle procède d'un

raisonnement distinct) : une mesure reposant sur un

motif discriminatoire ne porte pas, de par son seul

dispositif, atteinte à l'exercice, par l'agent, de ses

droits et libertés fondamentaux. Peut-être est-elle

plus proche de la réserve de l'atteinte aux droits et

prérogatives que les agents tiennent du statut

(notamment de l'art. 6 du statut général) ; il n'en

demeure pas moins que cette atteinte ne résulte pas

des effets propres, même indirects, de la décision,

mais - au moins en grande partie - de ses motifs. Et

c'est là toute la portée de l'exception de la

discrimination, qui conduit à déplacer l'examen de

la recevabilité du dispositif de la décision contestée

vers ses motifs, pour vérifier l'absence d'un motif

discriminatoire.

Comme le soulignait E. Bokdam-Tognetti dans ses

conclusions sur la décision Pôle emploi, le juge doit

alors se livrer à « l'exercice toujours acrobatique et

Page 11: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

11

intellectuellement critiquable consistant à examiner

en partie la légalité au fond d'une décision pour

apprécier sa justiciabilité ». Assurément,

l'exception Pôle emploi ouvre une brèche dans la

séparation entre la recevabilité et le bien-fondé de

la requête : celle-ci ne sera jugée irrecevable

qu'après que le moyen tiré d'une discrimination

aura été jugé mal fondé (en appliquant le régime de

preuve issu de l'arrêt CE, ass., 30 oct. 2009, n°

298348, Perreux, Lebon avec les concl. ; AJDA

2009. 2385, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi) ; à

l'inverse, l'on déduira sa recevabilité (et son bien-

fondé) de l'accueil du moyen tiré d'une

discrimination. L'exercice n'est pas inédit : les cas

sont nombreux où recevabilité et bien-fondé d'une

requête entretiennent des liens étroits - notamment

à chaque fois que la recevabilité dépend de

l'existence ou de la portée d'une décision (v., par

ex., récemment, CE 5 oct. 2015, n° 387899, Comité

d'entreprise du siège de l'Ifremer, AJDA 2015.

1891 ; à mentionner aux tables du Lebon, s'agissant

d'annonces ne révélant pas l'existence d'une

décision du Premier ministre, qui n'aurait pu la

prendre en ces formes ; v., égal., en matière d'actes

inexistants, CE, ass., 15 mai 1981, n° 33041,

Maurice, Lebon…). Il va néanmoins, dans cette

hypothèse, particulièrement loin, puisqu'il conduit à

une inversion des temps du raisonnement, similaire

à celle qui existait, en matière de circulaires, sous

l'empire de la jurisprudence Notre-Dame-du-

Kreisker (CE 29 janv. 1954, n° 07134, Lebon 642 ).

L'inversion, toutefois, est limitée au moyen tiré de

ce que la mesure traduirait une discrimination. Ce

qui tend à s'apparenter à une appréciation de la

recevabilité au niveau des moyens qui, du moins en

excès de pouvoir, est tout sauf habituelle. Mais

davantage que la recevabilité d'un moyen, la

décision Mme B. consacre, à notre sens, la

justiciabilité de certains droits qui, parce qu'ils ne

peuvent rester sans garantie, doivent pouvoir être

défendus dans le prétoire. L'on retrouve finalement

ici l'approche consacrée par l'assemblée du

contentieux en matière de détention.

Reste une question : cette exception en appelle-t-

elle d'autres ? Une fois la brèche ouverte, on peut

effectivement se demander jusqu'où la fissure

s'étendra. Vient immédiatement à l'esprit le cas du

harcèlement, à la fois parce qu'il partage le régime

de preuve de la discrimination (CE, sect., 11 juill.

2011, n° 321225, Montaut, Lebon avec les concl. ;

AJDA 2011. 2072 , concl. M. Guyomar ; AJFP

2012. 41 , note R. Fontier ), parce qu'il est parfois

une forme de discrimination (art. 2 § 3, dir.

2000/78/CE du Conseil du 27 nov. 2000 ; L. n°

2008-496 du 27 mai 2008, art. 1er) et parce qu'il est

souvent le produit d'une multitude de mesures

d'ordre intérieur. Il est certainement trop tôt,

cependant, pour avoir une vision du devenir de

cette ouverture ; l'on ne se hasardera donc pas ici en

conjectures.

Et la sanction déguisée ?

On s'en tiendrait à ce tableau, déjà tout en nuances,

s'il n'était question que du considérant de principe

de la décision Mme B. Mais l'examen du

considérant d'espèce apporte - outre la réponse à la

question qui était posée à la section - un autre

enseignement. Sans en avoir fait une question

distincte au stade de la règle de principe, la

décision prend le soin, dans le traitement de

l'espèce, de relever par une incise que la décision

contestée ne présente pas le caractère d'une

sanction disciplinaire déguisée avant de conclure à

l'irrecevabilité de la requête. Par cette contradiction

apparente, la décision règle, avec une certaine

subtilité - voire très implicitement - la question de

l'articulation entre mesure d'ordre intérieur et

sanction déguisée.

L'idée d'une réserve des sanctions déguisées dans la

définition même de la mesure d'ordre intérieur (ou

dans son régime contentieux) aurait pu se réclamer

d'un réel courant de jurisprudence : plusieurs

décisions du Conseil d'Etat avaient pris le soin

d'écarter la qualification de sanction déguisée avant

de retenir celle de mesure d'ordre intérieur (CE 18

mars 1996, Biard, préc. ; CE 14 avr. 1999,

Duchêne, préc., Lebon T. , sur un autre point ; CE 9

juin 2010, Mme Dornel, préc.) et les tables du

Lebon s'en étaient, une fois au moins, fait l'écho.

En ne reprenant pas cette réserve dans le

considérant de principe, la section du contentieux

s'est clairement écartée de ce courant de

jurisprudence, en refusant de faire de l'hypothèse de

la sanction déguisée une exception analogue à celle

de la discrimination.

Pourquoi, alors, une telle incise dans le considérant

d'espèce ? A y regarder de (très) près, elle est faite

de pragmatisme, de prudence et d'un certain souci

de bonne justice.

Le pragmatisme consiste à n'être pas entré dans un

faux débat sur la question de l'existence et du

régime contentieux d'hypothétiques mesures d'ordre

intérieur à caractère disciplinaire. Il est de principe

que toute mesure disciplinaire est susceptible de

Page 12: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

12

recours : en qualifiant une mesure de disciplinaire,

le juge déduit immédiatement qu'elle peut faire

l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE 25

mars 1981, n° 22399, Ministre du budget c/

Arbault, Lebon T. ; du même jour, n° 22400,

Ministre du budget c/ Mme Vial, inédite). C'est ce

principe, non remis en cause, qui pouvait militer

pour une réserve propre aux sanctions déguisées. Il

trouvait toutefois face à lui le raisonnement

implacable présenté par Gilles Pellissier dans ses

conclusions : la sanction déguisée étant, selon sa

conception traditionnelle - c'est-à-dire la reprise par

les conclusions du président Genevois sur la

décision Spire (CE, sect., 9 juin 1978, n° 08397,

Lebon ) de l'analyse présentée par le doyen Auby

dans une note au Dalloz de 1964 - la conjonction

d'une intention punitive et d'effets sur la situation

professionnelle de l'agent (v., pour l'identification

successive des deux éléments, CE 18 déc. 1968, n°

73733, Brunne, Lebon ; CE 4 févr. 1994, n° 98233,

Ferrand, inédite), il n'existe, en théorie, aucune

mesure disciplinaire qui ne passe le seuil de la

justiciabilité posé en matière de mesures d'ordre

intérieur. Faute d'effets suffisants, la mesure ne sera

pas une sanction déguisée ; pourvue de tels effets,

elle ne sera pas une mesure d'ordre intérieur. C'est

peut-être en ce sens qu'il faut comprendre la

mention aux tables du Lebon de la décision Dupré,

précitée, selon laquelle une mesure d'ordre intérieur

n'a pas un caractère disciplinaire. En mentionnant

la sanction déguisée dans le considérant d'espèce

sans la traiter dans le considérant de principe, la

décision Mme B. s'écarte toutefois de toute prise de

position théorique ferme quant à cette coïncidence

postulée entre les effets caractérisant la sanction

déguisée et les effets caractérisant la mesure d'ordre

intérieur.

C'est aussi là une manifestation de prudence. Parce

qu'elle prend le soin d'écarter, dans le considérant

d'espèce, la qualification de sanction déguisée, la

décision suggère qu'en présence d'une intention

punitive caractérisée, l'identification de l'élément

objectif de la sanction déguisée - ses effets sur la

situation de l'agent - se ferait avec un œil moins

exigeant que celui qui se pose sur les mesures

prises dans l'intérêt du service pour apprécier leurs

effets et les laisser ou non dans l'ordre intérieur. Si

la sanction déguisée ne justifie pas une exception à

la règle de recevabilité à raison des effets, elle

pourra commander une appréciation plus souple

des effets sur la situation de l'agent lorsque, de

toute évidence, l'administration a entendu le punir.

Par cette légère soupape dans l'appréciation des

effets, la section s'assure que la pratique n'exclura

pas du prétoire des mesures qui auraient

véritablement un caractère disciplinaire. Elle n'en

revient pas pour autant sur la jurisprudence

constante qui exige qu'une décision ait un

minimum d'effets sur la situation de l'agent pour

être qualifiée de sanction déguisée (et subir alors

les foudres du juge de l'excès de pouvoir, parce

qu'elle n'est pas au nombre des sanctions

disciplinaires prévues par le statut - CE 4 févr.

1994, Ferrand, préc. - ou parce qu'elle n'a pas été

précédée de la procédure disciplinaire - CE 3 juin

1998, n° 148720, Chahed, Lebon ). Force est

d'ailleurs de relever que la jurisprudence n'a que

rarement admis cette qualification.

Enfin, cette incise dont on a déjà trop parlé

manifeste, parce qu'elle répond à un moyen soulevé

et parce qu'elle n'y était pas, à strictement parler,

tenue, un égard pour le requérant inspiré par un

souci de bonne justice ; peut-être facilitera-t-elle un

peu la relation entre l'employeur et son agent en

donnant à celui-ci l'assurance que la décision en

cause ne visait pas à le punir mais simplement,

comme souvent les changements d'affectation pris à

raison d'une ambiance dégradée, à rétablir, dans

l'intérêt du service, de la sérénité dans son

fonctionnement ».

*

Document 5

CE Ass., 15 avril 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux, n° 120273 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 1984, l’article 14-1 de la loi

hospitalière du 31 décembre 1970 dispose : « Un syndicat interhospitalier peut être créé à la demande de

deux ou plusieurs établissements assurant le service public hospitalier. Sa création est autorisée par arrêté

du représentant de l’Etat dans le département siège du syndicat » ; qu’il résulte des termes mêmes de ces

dispositions que la délibération attaquée ne peut être regardée comme un acte créant un syndicat

interhospitalier et n’avait d’autre objet que de former la demande nécessaire, en vertu desdites dispositions,

pour que le représentant de l’Etat décide, le cas échéant, d’autoriser la création d’un tel syndicat entre deux

ou plusieurs établissements hospitaliers ; qu’il suit de là que cette délibération ne constitue qu’une simple

Page 13: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

13

mesure préparatoire ;

Considérant, il est vrai, que le syndicat C.G.T. des hospitaliers de Bédarieux poursuit l’annulation de la

délibération dont il s’agit en fondant ses prétentions sur les vices propres qui entacheraient celle-ci ;

Mais considérant qu’un requérant n’est pas recevable à attaquer par la voie du recours pour excès de

pouvoir un acte préparatoire ; que cette irrecevabilité s’étend aux délibérations à caractère préparatoire des

collectivités territoriales et de leurs établissements publics, même à raison des vices propres allégués ; qu’il

ne peut être fait exception à la règle selon laquelle un acte préparatoire ne saurait donner lieu à un recours

pour excès de pouvoir que dans les cas où il en est ainsi disposé par la loi ; que tel est le cas lorsque, sur le

fondement de la loi susvisée du 2 mars 1982, le représentant de l’Etat dans le département défère au juge

administratif les actes des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics qu’il estime

contraires à la légalité ; qu’il suit de là que, quels que soient les moyens qu’il a soulevés à l’encontre de la

délibération attaquée, le syndicat requérant n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges

ont écarté ses conclusions comme irrecevables (…) ».

*

Document 6

CE Sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères, n° 233618 (au Recueil) (extraits)

« (…) Sur les conclusions tendant à l’annulation de la lettre du 23 février 2001 en tant qu’elle porte refus

d’abroger partiellement la circulaire du 26 mars 1997 :

Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité

administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible

d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait,

quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général

d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les

abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence

des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment

prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est

soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée

des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à

une norme juridique supérieure ;

Considérant que si la circulaire contestée du 26 mars 1997 se borne à tirer les conséquences de l’article 2

du décret du 19 décembre 1991, elle réitère néanmoins, au moyen de dispositions impératives à caractère

général, la règle qu’a illégalement fixée cette disposition ; que, par suite, Mme DUVIGNERES est

recevable et fondée à demander l’annulation de la lettre du 23 février 2001, en tant qu’elle porte refus

d’abroger dans cette mesure la circulaire contestée (…) ».

*

B. Les délais de recours

Document 7

Code des relations entre le public et l’administration (extraits)

Art. L. 112-3 : « Toute demande adressée à l’administration fait l’objet d’un accusé de réception. »

Art. R. 112-5 : « L’accusé de réception prévu par l’article L. 112-3 comporte les mentions suivantes :

1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d’une décision

expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ;

2° La désignation, l’adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de

Page 14: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

14

téléphone du service chargé du dossier ;

3° Le cas échéant, les informations mentionnées à l’article L. 114-5, dans les conditions

prévues par cet article.

Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à

une décision implicite d’acceptation. Dans le premier cas, l’accusé de réception mentionne

les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision. Dans le second cas, il

mentionne la possibilité offerte au demandeur de se voir délivrer l’attestation prévue à

l’article L. 232-3. »

Art. L. 112-6 : « Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé

de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la

réglementation.

Le défaut de délivrance d’un accusé de réception n’emporte pas l’inopposabilité des délais

de recours à l’encontre de l’auteur de la demande lorsqu’une décision expresse lui a été

régulièrement notifiée avant l’expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître

une décision implicite. »

Art. L. 221-2 : « L’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de

formalités adéquates de publicité, notamment par la voie, selon les cas, d’une publication

ou d’un affichage, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant

d’autres formalités préalables.

Un acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de l’accomplissement des

formalités prévues au premier alinéa, sauf à ce qu’il en soit disposé autrement par la loi, par

l’acte réglementaire lui-même ou par un autre règlement. Toutefois, l’entrée en vigueur de

celles de ses dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée

à la date d’entrée en vigueur de ces mesures. »

Art. L. 221-8 : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres

formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en

fait l’objet au moment où elle est notifiée. »

Art. L. 231-1 : « Le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision

d’acceptation. »

Art. L. 231-4 : « Par dérogation à l’article L. 231-1, le silence gardé par l’administration pendant deux

mois vaut décision de rejet :

1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère

d’une décision individuelle ;

2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou

réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;

3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans

les cas prévus par décret ;

4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’Etat, où une acceptation implicite ne serait

pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France,

la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur

constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public ;

5° Dans les relations entre l’administration et ses agents. »

*

Document 8

CE, 7 déc. 2009, Min. de l’éducation nationale c. M. Karroum, n° 315064 (aux Tables) (extraits)

« Considérant qu’il ressort du dossier soumis aux juges du fond que la décision du proviseur du lycée

Richelieu, refusant de renouveler son contrat d’enseignement, a été notifiée le 11 juin 2004 à M. Karroum

Page 15: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

15

en mentionnant les voies et délais de recours contentieux, ainsi que les conditions dans lesquelles pouvait

éventuellement être formé un recours gracieux ou hiérarchique ; que, par l’arrêt attaqué, la cour

administrative d’appel de Versailles, après avoir constaté que cette notification contenait la mention erronée

qu’un recours administratif ferait, dans le silence de l’administration, naître une décision implicite au bout

de quatre mois, en a déduit que le délai de recours contentieux contre la décision du 11 juin 2004 n’avait

pas couru, pour écarter la fin de non recevoir tirée de la tardiveté de la requête de M. Karroum tendant à

l’annulation de cette décision ; que le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE se pourvoit contre

l’arrêt attaqué, en tant qu’il a fait droit aux conclusions d’excès de pouvoir de M. Karroum ;

Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de recours

contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que

les voies de recours, dans la notification de la décision » ; qu’il résulte de ces dispositions que, lorsque les

mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de

cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la

décision lorsqu’elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions

normalement applicables ;

Considérant que, si le délai de naissance d’une décision implicite est de deux mois en vertu de l’article 21

de la loi du 12 avril 2000 et, si la mention de quatre mois figurant sur la notification de la décision du 11

juin 2004 était ainsi erronée, cette erreur sur le seul délai de survenance d’une décision implicite ne pouvait

faire obstacle à ce que courre le délai de recours contentieux, mais avait seulement pour effet de le

prolonger, en cas de recours administratif sur lequel l’administration serait restée silencieuse pendant deux

mois, repoussant son expiration à six mois à compter de la réception du recours de l’intéressé ; que, dès

lors, le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE est fondé à soutenir qu’en déduisant du caractère

erroné de cette mention que le délai de recours opposable à M. Karroum à l’encontre de la décision en

cause n’avait pas couru, la cour a commis une erreur de droit et à demander sur ce fondement l’annulation

de son arrêt du 5 février 2008 (…) ».

*

Document 9

CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 (au Recueil) (extraits)

« (…) 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours

administratives d’appel, en vigueur à la date de la décision contestée devant le juge du fond et dont les

dispositions sont désormais reprises à l’article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de

recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés,

ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ; qu’il résulte de ces dispositions que

cette notification doit, s’agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l’existence d’un recours

administratif préalable obligatoire ainsi que l’autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l’hypothèse

d’un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative

de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. Czabaj, ancien brigadier

de police, a reçu le 26 septembre 1991 notification de l’arrêté du 24 juin 1991 lui concédant une pension de

retraite, ainsi que l’atteste le procès-verbal de remise de son livret de pension ; que cette notification

mentionnait le délai de recours contentieux dont l’intéressé disposait à l’encontre de cet arrêté mais ne

contenait aucune indication sur la juridiction compétente ; qu’ainsi, en jugeant que cette notification

comportait l’indication des voies et délais de recours conformément aux dispositions de l’article R. 421-5

citées ci-dessus, le tribunal administratif de Lille a dénaturé les pièces du dossier ; que M. Czabaj est donc

fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée, qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de

cet arrêté ;

3. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application

des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Page 16: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

16

4. Considérant qu’aux termes de l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours

administratives d’appel, alors en vigueur, repris au premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice

administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de

recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication

de la décision attaquée. » ; qu’il résulte des dispositions citées au point 1 que lorsque la notification ne

comporte pas les mentions requises, ce délai n’est pas opposable ;

5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en

cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse

être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou

dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle

hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou

l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les

délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de

recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances

particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours

administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à

laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu

connaissance ;

6. Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les

conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas

atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai

raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice,

en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge

administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont

donné naissance ;

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. Czabaj a reçu notification le 26 septembre 1991 de

l’arrêté portant concession de sa pension de retraite du 24 juin 1991, comme l’atteste le procès-verbal de

remise de son livret de pension, et que cette notification comportait mention du délai de recours de deux

mois et indication que l’intéressé pouvait former, dans ce délai, un recours contentieux ; que si une telle

notification était incomplète au regard des dispositions de l’article R. 421-5 du code de justice

administrative, faute de préciser si le recours pouvait être porté devant la juridiction administrative ou une

juridiction spécialisée, et si, par suite, le délai de deux mois fixé par l’article R. 421-1 du même code ne lui

était pas opposable, il résulte de ce qui précède que le recours dont M. Czabaj a saisi le tribunal

administratif de Lille plus de vingt-deux ans après la notification de l’arrêté contesté excédait le délai

raisonnable durant lequel il pouvait être exercé (…) ».

*

Document 10

CE Sect., 10 juil. 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 60408 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que, sauf le cas où des dispositions législatives ou règlementaires ont organisé des

procédures particulières, toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour

l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours dudit

délai (…) ».

*

Document 11 CE Sect., 13 mars 1998, Mme Mauline, n° 120079 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que Mme Mauline, agissant au nom de son mari, M. Patrick Mauline, agent technique

Page 17: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

17

de France Télécom, a saisi le Conseil d'Etat le 26 septembre 1990 d'une demande tendant à l'annulation

pour excès de pouvoir de la décision du 2 mai 1989 du ministre des postes, des télécommunications et de

l'espace refusant à M. Mauline le bénéfice de l'allocation spécifique prévue par le décret du 8 juin 1951 ;

que ce litige ne ressortit pas à la compétence en premier ressort du Conseil d'Etat, mais à celle des

tribunaux administratifs, juges de droit commun du contentieux administratif en premier ressort ;

Considérant, il est vrai, que le ministre soulève la tardiveté de la requête de Mme Mauline, en faisant valoir

que cette dernière doit être regardée comme ayant eu connaissance de la décision du 2 mai 1989 au plus

tard le 29 juin 1989, date à laquelle elle a formé à son encontre un recours administratif ; que, si cette fin de

non-recevoir était fondée, l'article R. 83 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives

d'appel donnerait compétence au Conseil d'Etat pour rejeter lui-même cette requête ;

Mais considérant que si la formation d'un recours administratif contre une décision établit que l'auteur de ce

recours administratif a eu connaissance de la décision qu'il a contestée au plus tard à la date à laquelle il a

formé ce recours, une telle circonstance est par elle-même sans incidence sur l'application des dispositions

de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, selon

lesquelles : « Les délais de recours contentieux contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables

qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la

décision. » ;

Considérant qu'en l'espèce, ni la décision initiale du 2 mai 1989 ni les décisions des 19 avril et 26 juillet

1990 par lesquelles le ministre a rejeté les recours administratifs formés par Mme Mauline contre la

décision du 2 mai 1989 ne mentionnaient les délais et voies de recours ; que le délai de recours contentieux

n'ayant ainsi pas commencé à courir, la requête de Mme Mauline, enregistrée le 26 septembre 1990, n'est

pas tardive ; qu'il y a par suite lieu d'attribuer le jugement de ses conclusions au tribunal administratif de

Versailles, territorialement compétent par application de l'article R. 56 du code des tribunaux administratifs

et des cours administratives d'appel (…) ».

*

Document 12

CE, 11 déc. 2013, Mme N’dre Regnault, n° 365361 (au Recueil) (extraits)

« (…) 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme N’Dre

Regnault a demandé, par une requête enregistrée le 10 septembre 2012 au tribunal administratif de Paris,

l’annulation de la décision du 11 juin 2012 par laquelle le ministre de la justice lui a refusé la prime de

restructuration de service à la suite de son affectation à Villiers le Bel ; que cette demande a été rejetée par

une ordonnance du 12 septembre 2012 sur le fondement du dernier alinéa de l’article R. 411-2 du code de

justice administrative, pour défaut de timbre ; que Mme N’Dre Regnault a alors saisi le tribunal

administratif de Paris d’une nouvelle demande, enregistrée le 14 novembre 2012, qui a été rejetée comme

tardive par une ordonnance du 20 novembre 2012, contre laquelle elle se pourvoit en cassation ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de

recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés,

ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ; que l’auteur d’un recours

juridictionnel tendant à l’annulation d’une décision administrative doit être réputé avoir eu connaissance de

la décision qu’il attaque au plus tard à la date à laquelle il a formé son recours ; que si un premier recours

contre une décision notifiée sans mention des voies et délais de recours a été rejeté, son auteur ne peut

introduire un second recours contre la même décision que dans un délai de deux mois à compter de la date

d’enregistrement du premier au greffe de la juridiction saisie ; que, par suite, l’ordonnance attaquée, qui est

suffisamment motivée, a pu, sans erreur de droit, juger que le délai de recours de deux mois devait être

décompté à partir du 10 septembre 2012, date d’enregistrement de la première demande de Mme N’Dre

Regnault, qu’il était expiré le 14 novembre 2012, date de sa nouvelle demande devant le tribunal

administratif de Paris, et que celle ci était donc tardive ; que, dès lors, le pourvoi de Mme N’Dre Regnault

Page 18: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

18

ne peut qu’être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de

justice administrative (…) ».

*

C. L’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire

Document 13

CE, 1er avril 1992, M. Abit, n° 88068 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 36 de la loi du 31 décembre 1970 portant

réforme hospitalière, les mesures de suspension et de retrait de l’autorisation mentionnée à l’article 31 de la

même loi « sont prises selon les modalités prévues à l’article 34 (...) » ; qu’il en résulte que les décisions de

suspension ou de retrait de l’autorisation de fonctionner prises par les préfets de région peuvent faire

l’objet, de la part de tout intéressé, d’un recours devant le ministre de la santé publique, qui statue dans un

délai maximum de six mois ; que le recours organisé par le premier alinéa de l’article 34 de la loi du 31

décembre 1970 doit être formé, dans tous les cas, avant tout recours contentieux ; que la circonstance que

l’existence de ce recours ainsi que son caractère obligatoire n’ont pas été indiqués dans la notification de

l’arrêté attaqué, si elle empêchait que cette notification fasse courir le délai du recours au ministre à l’égard

du destinataire de l’arrêté, est sans incidence sur l’irrecevabilité de la demande directement présentée au

tribunal ; qu’il suit de là que M. Abit, qui avait déféré directement au tribunal administratif de Poitiers la

décision, en date du 6 janvier 1986, par laquelle le préfet de la région Poitou-Charentes lui a retiré

l’autorisation de fonctionnement de l’Aérium de l’Ormeau à Saint-Denis d’Oléron, n’est pas fondé à se

plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif Poitiers a rejeté sa demande (…) ».

*

Document 14

CE, 19 déc. 2008, Mme Mellinger épouse Praly, n° 297187 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que Mme PRALY a demandé à bénéficier du dispositif de désendettement des rapatriés

; que la Commission nationale de désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée

a, par une décision du 27 mai 2004, rejeté sa demande ; qu’après avoir saisi le Premier ministre d’un

recours administratif préalable demeuré sans réponse, Mme PRALY a exercé un recours contentieux à

l’encontre de la décision de la commission ; que le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté

sa demande par une ordonnance du 27 février 2006, confirmée en appel par une ordonnance du 3 juillet

2006 du président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux ;

Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 12 du décret du 4 juin 1999 relatif au

désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée : « Avant tout recours contentieux

dirigé contre une décision prise par la commission, un recours préalable doit être déposé par le

demandeur devant le ministre chargé des rapatriés » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en raison des

pouvoirs ainsi conférés au ministre, les décisions par lesquelles il rejette, implicitement ou expressément,

les recours introduits devant lui se substituent à celles de la Commission nationale de désendettement des

rapatriés réinstallés dans une profession non salariée ; que, par suite, les conclusions à fin d’annulation

dirigées, non contre la décision du ministre, mais contre la décision initiale de refus prise par la

commission, sont irrecevables ;

Considérant toutefois que, s’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’une décision qui ne peut

donner lieu à un recours devant le juge de l’excès de pouvoir qu’après l’exercice d’un recours administratif

préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir

exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l’y ait invité, produit la preuve de l’exercice de ce

recours ainsi que, s’il en a été pris une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge de l’excès de pouvoir

doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation

de la décision, née de l’exercice du recours, qui s’y est substituée ;

Page 19: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

19

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la requérante a saisi le

Premier ministre, chargé des rapatriés, d’un recours contre la décision de refus de la commission, comme

elle en avait l’obligation ; que, du silence gardé par le Premier ministre pendant plus de deux mois, est née

une décision implicite de rejet qui s’est substituée à celle de la commission, avant que la requérante

n’introduise un recours contentieux devant le tribunal administratif ; que le dossier du premier juge

comprenait la lettre par laquelle Mme PRALY avait exercé son recours administratif ; que dès lors, en ne

regardant pas les conclusions à fin d’annulation présentées par la requérante comme étant dirigées contre la

décision du Premier ministre, le président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de

Bordeaux a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres

moyens du pourvoi, Mme PRALY est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée (…) ».

*

D. L’intérêt donnant qualité pour agir

Document 15

Fabrice Melleray, « A propos de l’intérêt donnant qualité pour agir en contentieux administratif », AJDA

2014 n° 1530.

« L’expression « moment 1900 » pourra dérouter le

lecteur. Elle est en effet plus familière des

historiens de la philosophie (v., not., F. Worms,

L’idée de moment 1900. Un problème

philosophique et historique, Le Débat, 2006,

n° 140, p. 172) que des amateurs de droit

administratif 1. Si elle n’est certes pas inconnue des

spécialistes de la pensée juridique, d’assez

nombreux travaux ayant montré comment et

pourquoi le tournant du XXe siècle est marqué par

une profonde mutation du champ doctrinal, on

voudrait ici l’utiliser pour désigner une période

durant laquelle, en l’espace de quelques années, la

jurisprudence du Conseil d’Etat a procédé à une

importante transformation du recours pour excès de

pouvoir, spécialement en élargissant

considérablement son acception de la notion

d’intérêt donnant qualité à agir.

Le présent propos sera donc essentiellement centré

sur le recours pour excès de pouvoir et, plus

largement, sur le contentieux de la légalité (incluant

également les variantes usuellement rattachées au

recours pour excès de pouvoir ainsi que ce que l’on

nomme désormais couramment les recours objectifs

de plein contentieux, H. Lepetit-Collin, Recherches

sur le plein contentieux objectif, LGDJ, 2011). Un

tel choix ne doit pas étonner. En effet, comme le

souligne René Chapus dès les premiers paragraphes

de son exposé de la jurisprudence relative à

l’intérêt donnant qualité à agir, celle-ci est

« extraordinairement abondante et nuancée, faite

bien souvent d’arrêts implicites, et dont la mise en

ordre en vue d’une présentation synthétique se

heurte aux plus grandes difficultés. Elle se rapporte

essentiellement à la recevabilité du recours pour

excès de pouvoir [...] La raison en est simple : il y

a rarement matière à douter que celui qui réclame

la reconnaissance d’un droit subjectif, dont il

s’affirme titulaire, n’ait pas un intérêt donnant

qualité à agir » (R. Chapus, Droit du contentieux

administratif, Montchrestien, 13e éd., 2008, n° 565;

v. égal., dans le même sens, M. Guyomar et B.

Seiller, Contentieux administratif, Dalloz, 2e éd.,

2012, n° 609). On comprend par conséquent

immédiatement pourquoi la question préoccupe

davantage les spécialistes de contentieux

administratif que leurs homologues férus de

procédure civile, ces derniers pouvant lui consacrer

des développements plus rapides dès lors que cette

problématique présente en la matière (où le

contentieux est très essentiellement subjectif) des

difficultés en principe moins importantes : « Le

contentieux privé n’est pas un contentieux de la

légalité ; l’action en justice ayant pour fondement

la protection des droits subjectifs » (H. Solus et R.

Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1961, t. 1, n°

241).

Il y a au moins deux manières principales d’aborder

l’histoire du droit administratif, comme il y a

d’ailleurs plusieurs façons d’envisager le droit

comparé. La première consiste à décrire et exposer

le droit positif applicable à une période donnée,

autrement dit à faire le même travail que

l’administrativiste contemporain mais à propos

d’un objet différent. La seconde vise à se saisir des

normes et constructions doctrinales classiques pour

éclairer et analyser les évolutions contemporaines

du droit positif. L’histoire peut ainsi soit servir à

Page 20: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

20

connaître (et comprendre) le passé, soit être utilisée

plus directement pour analyser le présent, les deux

approches pouvant évidemment se combiner. On

voudrait ici s’inscrire dans la seconde démarche. Il

s’agira donc d’essayer de montrer comment, et

pourquoi, des choix ont été faits au début du XXe

siècle et de voir en quoi les évolutions

contemporaines du contentieux administratif sont

susceptibles de remettre en cause cette construction

ancienne.

Il est en effet assez frappant de constater que ce que

l’on nomme couramment le « libéralisme » du juge

administratif en matière d’appréciation de l’intérêt

pour agir en annulation est aujourd’hui discuté, au

moins dans certaines matières dont les enjeux

économiques et financiers sont essentiels, en

particulier dans le contentieux de l’urbanisme ou

dans celui des contrats administratifs. La question

se pose alors, pour paraphraser le président

Labetoulle évoquant le contentieux de l’urbanisme,

de savoir si ces évolutions s’inscrivent dans une

logique de « bande à part » ou d’« éclaireur » (D.

Labetoulle, Bande à part ou éclaireur ?, AJDA

2013. 1897). Autrement dit, va-t-on, ou doit-on,

changer de modèle, de cadre d’appréhension de

l’intérêt pour agir en annulation des décisions

administratives lato sensu (ce qui inclut désormais

aussi bien les actes administratifs unilatéraux que

les contrats administratifs, ces derniers étant des

décisions administratives au sens de l’article L.

521-1 du CJA depuis CE, ass., 16 juill. 2007,

n° 291545, Société Tropic travaux signalisation,

Lebon 360 avec les concl. D. Casas; AJDA 2007.

1577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; GAJA,

Dalloz, 19e éd., 2013, n° 113) ? Une telle

interrogation ne peut toutefois être posée que si

l’on raisonne de manière globale, et non pointilliste

(contentieux par contentieux), en ayant à l’esprit le

cadre général retenu à un moment donné de

l’histoire du développement du contentieux

administratif et perfectionné par la suite. Il convient

donc de présenter cette politique jurisprudentielle,

ce « moment 1900 » en matière d’intérêt donnant

qualité à agir, avant d’en envisager les suites.

I - UNE POLITIQUE JURISPRUDENTIELLE

L’expression politique jurisprudentielle,

notamment popularisée par Prosper Weil (Le

Conseil d’Etat statuant au contentieux : politique

jurisprudentielle ou jurisprudence politique ?,

Annales de la faculté de droit et des sciences

économiques d’Aix-en-Provence, 1959, n° 51, p.

281), est désormais courante. Elle désigne un

ensemble de décisions de principe s’inscrivant dans

une perspective commune, sous-tendues par des

objectifs convergents. Tel est assurément le cas du

« moment 1900 » en matière d’intérêt donnant

qualité à agir, les manifestations de cette politique

étant nombreuses et ses ressorts nettement

identifiables.

A. Manifestations

L’histoire du contentieux administratif est faite

sinon de cycles au moins de périodes où la

créativité du juge est variable. Il est acquis à cet

égard que si le recours pour excès de pouvoir s’est

considérablement développé, et clairement

individualisé, durant l’Empire libéral, les débuts de

la IIIe République ont été marqués par un certain

immobilisme (L. Imbert, L’évolution du recours

pour excès de pouvoir [1872-1900], thèse Paris,

1952). La jurisprudence semble alors au milieu du

gué en matière d’excès de pouvoir, hésitant à

rompre complètement le lien entre allégation de la

violation d’un droit et recevabilité dudit recours. En

témoigne assez clairement le Traité de la juridiction

administrative et des recours contentieux

d’Edouard Laferrière où l’éminent auteur écrit

qu’en matière d’excès de pouvoir, l’invocation d’un

intérêt direct et personnel est suffisante, la

revendication d’un droit n’étant pas exigée. Mais,

ajoute-t-il immédiatement, « l’idée de droit lésé,

cette idée-mère de tout le contentieux administratif,

apparaît aussi dans la matière de l’excès de

pouvoir : sans doute, en présence d’actes

discrétionnaires, on n’a pas le droit d’exiger que

l’autorité prononce dans tel ou tel sens, mais on a

le droit d’exiger qu’elle prononce dans les formes

de droit et dans les limites de sa compétence ». Et,

en toute hypothèse, « tous ceux qui font partie

d’une collectivité peuvent bien agir ut singuli à

raison de leurs intérêts particuliers, mais ils ne

peuvent pas agir ut universi pour la défense

d’intérêts généraux qu’ils n’ont pas mission de

défendre » (E. Laferrière, Traité de la juridiction

administrative et des recours contentieux, t. 2, 1re

éd., 1888, réimpr. LGDJ, 1989, p. 405 et s.). Ces

hésitations ne sont au demeurant nullement

mystérieuses. Etendre très largement la recevabilité

du recours pour excès de pouvoir, rompre tout lien

avec l’invocation d’un droit, revient dans la logique

de l’époque à remettre en cause la nature

juridictionnelle (au moins d’un point de vue

matériel) de cette voie de droit puisque les notions

de contentieux et de violation d’un droit subjectif

paraissent alors former un couple inséparable (v. à

Page 21: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

21

cet égard, par ex., les références citées par J.

Chevallier, L’élaboration historique du principe de

séparation de la juridiction administrative et de

l’administration active, LGDJ, 1970, p. 263 et s.).

Le Conseil d’Etat va finalement franchir le pas par

une série d’arrêts passés à la postérité. Le premier

est probablement l’arrêt Casanova de 1901 dont

Maurice Hauriou signalait, dès les premières lignes

de sa note au Sirey, qu’il constituait une décision

qui « ne saurait être trop tôt signalée » (CE 29

mars 1901, n° 94580, Lebon 333; S. 1901. III. 73,

note M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 8). Le Conseil

d’Etat y admet, en effet, qu’un contribuable a

intérêt pour agir contre une décision intéressant les

dépenses de sa commune (v. pour les contribuables

départementaux, CE 27 janv. 1911, Richemond,

Lebon 105, concl. J. Helbronner). La fin de non-

recevoir tirée du défaut d’intérêt des requérants est

ainsi sobrement rejetée : « Considérant que la

délibération attaquée a pour objet l’inscription

d’une dépense au budget de la commune

d’Olmeto ; que les requérants, contribuables dans

cette commune, ont intérêt, en cette qualité, à faire

déclarer cette délibération nulle de droit ». Les

électeurs bénéficieront ensuite d’une jurisprudence

comparable avec l’arrêt Sieurs Chabot et autres (CE

7 août 1903, Lebon 619) par lequel le Conseil

d’Etat admet « que les requérants, électeurs dans la

commune de Saint-Xandre, ont un intérêt direct et

personnel à obtenir l’annulation des délibérations

sectionnant cette commune » (la solution vaut

également pour les communes elles-mêmes, CE 24

juill. 1903, Commune de Massat, Lebon 536). Les

relations entre l’Etat et les communes, ainsi que

celles au sein même des organes délibérants de ces

dernières sont également concernées par ce

mouvement. L’arrêt Maire de Néris-les-Bains c/

Préfet de l’Allier (CE 18 avr. 1902, n° 04749,

Lebon 275 ; S. 1902. III. 81, note M. Hauriou) est

notamment passé à la postérité pour sa contribution

à la théorie des concours de police (« aucune

disposition n’interdit au maire d’une commune de

prendre sur le même objet et pour sa commune, par

des motifs propres à cette localité, des mesures plus

rigoureuses »). Il est d’abord remarquable en ce

qu’il admet la recevabilité du recours formé par,

pour le dire avec les mots d’Hauriou, « une autorité

subordonnée contre un arrêté de l’administration

supérieure annulant un de ses actes ». Est tout

aussi significatif l’arrêt Sieurs Bergeon, Dalle et

autres (CE 1er mai 1903, n° 09132, Lebon 324 ; S.

1905. III. 1, note M. Hauriou) où le Conseil d’Etat

affirme que « les requérants, agissant comme

conseillers municipaux, soutiennent que la

délibération attaquée a fait obstacle à l’exercice de

leur mandat et méconnu les dispositions de loi qui

en garantissent l’accomplissement ; qu’ainsi, ils

ont intérêt et qualité, et que leur requête est

recevable ». Cette solution est d’autant plus

intéressante qu’elle rompt avec une option

clairement systématisée par Laferrière : « Les

membres des corps électifs ne peuvent pas [...]

assimiler à un intérêt personnel l’intérêt qu’ils

portent, à raison de leur mandat, aux affaires qu’ils

contribuent à administrer » (Traité, t. 2, préc., p.

412).

Les fonctionnaires et agents publics ne sont pas en

reste à compter des arrêts Lot c/ Dejean (CE 11

déc. 1903, n° 10211, Lebon 780 ; GAJA, préc., n°

12), Molinier, Lelong et autres c/ Pol-Neveux (CE

11 déc. 1903, Lebon 782) réunis avec l’arrêt Savary

(CE 18 mars 1904, Lebon 232, concl. G. Teisier)

dans une seule note par Maurice Hauriou (S. 1904.

III. 113) où il met en évidence comment « une

évolution de jurisprudence s’est achevée sur la

grave question de savoir si des fonctionnaires d’un

certain ordre ont qualité pour attaquer, pour fausse

application de la loi, les nominations des

fonctionnaires du même ordre, faites en violation

des règlements ».

On ne saurait également oublier les usagers du

service public avec l’arrêt Syndicat des

propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-

Seguey-Tivoli à Bordeaux (CE 21 déc. 1906, n°

19167, Lebon 962, concl. J. Romieu; S. 1907. III.

33, note M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 16), dont le

président était Léon Duguit, décision admettant

qu’une telle association constituée « en vue de

pourvoir à la défense des intérêts du quartier, d’y

poursuivre toutes les améliorations de voirie,

d’assainissement et d’embellissement », avait

intérêt à contester le refus du préfet d’user de ses

pouvoirs « pour assurer le fonctionnement du

service des tramways, afin d’obliger la Compagnie

des tramways électriques de Bordeaux à reprendre

l’exploitation » d’un tronçon de ligne. L’intérêt

pour agir des groupements n’échappe ainsi pas

davantage à ce mouvement, qu’on songe à l’arrêt

Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (CE 28

déc. 1906, n° 25521, Lebon 977, concl. J. Romieu;

RD publ. 1907. 25, note G. Jèze ; GAJA, préc.,

n° 17) éclairé par les conclusions de Jean Romieu

où sont distinguées, solution qui demeure en partie

actuelle, la contestation des actes « positifs » et

celle des actes « négatifs ».

Page 22: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

22

Cette salve d’arrêts est d’autant plus importante

qu’elle s’inscrit dans un mouvement plus général

de renforcement du contrôle du juge de l’excès de

pouvoir (v., pour un ample panorama, F. Burdeau,

Histoire du droit administratif, PUF, 1995, p. 261 et

s.) : élargissement de la liste des actes susceptibles

d’un tel recours, notamment avec le développement

de la théorie de l’acte détachable (en particulier en

matière contractuelle, CE 4 août 1905, n° 14220,

Martin, Lebon 749, concl. J. Romieu ; RD publ.

1906. 249, note G. Jèze ; S. 1906. III. 49, note M.

Hauriou ; GAJA, préc., n° 15) ou au moyen de la

jurisprudence Lafage sur la base de laquelle

certains actes à objet pécuniaire peuvent faire

l’objet d’un recours en annulation (CE 8 mars

1912, n° 42612, Lebon 348, concl. G. Pichat ; RD

publ. 1912. 266, note G. Jèze ; S. 1913. III. 1, note

M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 23) ;

approfondissement de l’examen de la légalité

interne des actes, qu’on songe à l’abandon de la

« théorie » des actes discrétionnaires (CE 31 janv.

1902, n° 01919, Grazietti, Lebon 55 ; S. 1903. III.

113, note M. Hauriou), au développement du

contrôle de la qualification juridique des faits (CE 4

avr. 1914, n° 55125, Gomel, Lebon 488 ; S. 1917.

III. 25, note M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 28) ou à

celui de l’exactitude matérielle des faits (not.

illustré par CE 14 janv. 1916, n° 59619, Camino,

Lebon 15 ; RD publ. 1917. 463, concl. L. Corneille

et note G. Jèze ; GAJA, préc., n° 29). Bref, Georges

Pichat pouvait affirmer en 1912, dans ses

conclusions sur l’affaire Lafage, que le recours

pour excès de pouvoir est « un instrument mis à la

portée de tous, pour la défense de la légalité

méconnue ».

B. Ressorts

Il n’est probablement pas inutile de distinguer ici

les objectifs poursuivis par le juge du cadre

théorique qui a permis, ou à tout le moins facilité,

cette politique jurisprudentielle. Jurisprudence et

doctrine entretiennent, en effet, sur cette question,

comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs, une forme

de relation dialectique. L’évolution de la première

amène, en effet, la seconde à modifier ses cadres

d’analyse et à inventer de nouvelles constructions

qui permettent de consolider, voire d’amplifier les

mouvements jurisprudentiels.

Les objectifs poursuivis par le Conseil d’Etat ne

sont guère mystérieux. Ils sont au contraire

clairement résumés par Maurice Hauriou, dès 1904,

dans sa note sous les arrêts Commune de Massat et

Chabot (S. 1904. III. 1) : « Bien des gens

considèrent encore l’intérêt direct et personnel, qui

rend recevable à intenter le recours pour excès de

pouvoir, comme devant être en effet strictement

personnel au réclamant, c’est-à-dire comme ne

devant pas être un intérêt d’ordre public. Par voie

de conséquence, ils considèrent le recours pour

excès de pouvoir comme un recours essentiellement

individuel, non point comme une sorte d’action

publique que l’intéressé serait chargé d’intenter

dans l’intérêt de tous [...]. Or, cette conception est

condamnée en plein » par les jurisprudences

Chabot et Casanova. Selon Maurice Hauriou, « on

se rendra compte que la conception strictement

individualiste du recours pour excès de pouvoir ne

peut plus être maintenue. Il devient évident qu’en

effet le recours est un moyen de bonne

administration, une procédure contentieuse

d’introspection administrative, que c’est une sorte

d’action publique ou populaire, et que l’individu

qui la met en mouvement agit dans l’intérêt de tous.

Il faut toujours qu’il ait un intérêt personnel à agir,

mais il n’est plus soutenable que cet intérêt

personnel doive lui être exclusivement particulier.

Ce peut être un intérêt qui lui soit commun avec

tous les membres d’une collectivité ; il suffit qu’il

se réalise en sa personne comme en la personne

des autres, ni plus ni moins ». Et Hauriou de

prolonger quelques lignes plus loin le raisonnement

en soulignant que « la juridiction de l’excès de

pouvoir est la garantie suprême de la bonne

administration, et [...] l’intérêt même de

l’administration peut exiger qu’elle soit développée

et étendue ».

Très significatives sont également sept ans plus tard

les conclusions de Jacques Helbronner sur l’arrêt

Richemond où il affirme aux membres de la

formation de jugement : « Votre jurisprudence n’a

pas hésité à étendre à tous ceux qui justifient d’un

intérêt direct et personnel, si minime soit-il, ce

droit de recourir à la haute juridiction

administrative contre tout acte ou toute décision

présentant le caractère d’un acte administratif. En

accomplissant cette œuvre de justice, vous avez

réalisé lentement, sans grand bruit, une réforme

sage dans un sens vraiment démocratique, puisque

vous avez ainsi permis aux citoyens d’exercer un

contrôle légal sur les actes des autorités qui les

administrent et qui les représentent » (concl. préc.,

p. 107).

On retrouve ici, sous une forme modernisée, la

théorie du recours pour excès de pouvoir « soupape

de sûreté » du régime politique développée dans les

années 1860. René Jacquelin l’avait au demeurant

Page 23: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

23

parfaitement perçu, soulignant qu’« à l’instar du

Conseil d’Etat du régime impérial, le Conseil

d’Etat du régime républicain a donc usé du recours

pour excès de pouvoir comme d’un vrai moyen de

gouvernement, en vue du redressement des torts

causés, et cela dans l’intérêt de la bonne

administration de la République plus encore que

dans l’intérêt de l’individu, qui ne trouve

satisfaction en quelque sorte que par surcroît.

Comme après 1860, la soupape de sûreté a joué

après 1900 » (Droit administratif, Coll. Les cours

de droit, 1934, p. 346).

Suite au mouvement initié par l’arrêt Casanova, la

doctrine se trouve devant l’alternative suivante :

soit elle persiste à considérer qu’il n’y a de

contentieux que lorsqu’est alléguée la violation

d’un droit subjectif, ce qui l’amène alors soit à nier

le caractère matériellement juridictionnel du

recours pour excès de pouvoir (et à y voir un

recours administratif) soit à retenir une définition

extraordinairement extensive de la notion de droit

subjectif ; soit elle décide d’élargir la notion de

contentieux. C’est cette dernière option qui va être

ouverte par Hauriou, puis prolongée par Duguit, et

qui va s’imposer. Hauriou va, en effet, consacrer

une importante analyse aux Eléments du

contentieux (Recueil de l’Académie de législation

de Toulouse, 1905, p. 1), étude qui « a eu le grand

mérite de mettre en relief l’existence d’une

juridiction objective à côté de la juridiction

subjective » (H. Vizioz, Etudes de procédure, Bière,

1956, p. 123). Il y retient une définition large de la

notion de contentieux, caractérisé comme « une

contestation que les parties ont accepté de

soumettre à un juge public, afin que celui-ci trouve

une solution pacifique » (ce qui exclut d’ailleurs,

notons-le au passage, l’existence d’un contentieux

non juridictionnel). Il devient alors possible de

considérer que le recours pour excès de pouvoir est

un recours contentieux sans pour autant que sa

recevabilité soit conditionnée à la revendication

d’un droit subjectif. La voie d’une théorisation de

la dichotomie contentieux objectif/contentieux

subjectif est ouverte et sera ensuite très rapidement

empruntée par Duguit qui affirme notamment que

« le recours pour excès de pouvoir étant une voie

de droit objective, ayant uniquement pour objet

l’annulation d’un acte objectif fait en violation de

la légalité, le requérant est recevable à le former,

alors même qu’il ne prétend et ne peut prétendre à

aucun droit lésé par l’acte attaqué ; qu’un simple

intérêt, même un intérêt moral largement apprécié,

suffit pour que le recours soit recevable » (Traité

de droit constitutionnel, de Boccard, 3e éd., 1930, t.

III, p. 773). La doctrine organique fera sienne cette

affirmation comme l’illustre s’il en était besoin le

Cours du président Odent : « Le contentieux de

l’excès de pouvoir est un contentieux objectif ; la

recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir

n’est pas subordonnée à la condition que le

requérant se prévale d’un droit lésé ; le recours

pour excès de pouvoir est traditionnellement très

largement ouvert » (Contentieux administratif,

réimpr. Dalloz, 2007, t. 2, p. 255).

II - LES SUITES DE CETTE POLITIQUE

JURISPRUDENTIELLE

S’il a suffi de quelques années au Conseil d’Etat

pour profondément renouveler au début du XXe

siècle les contours de l’intérêt donnant qualité à

agir, et si les arrêts de principe ci-dessus

mentionnés demeurent largement valables, comme

l’illustre le fait que plusieurs d’entre eux ont encore

les honneurs des Grands arrêts de la jurisprudence

administrative, le droit positif a connu différentes

évolutions qui ne sont pas négligeables, et qui

pourraient même s’avérer importantes. On constate,

en effet, que l’intérêt pour agir a non seulement

connu différents approfondissements mais fait

également désormais l’objet, au moins dans

certains chapitres du droit administratif, d’une

remise en cause.

A. Approfondissements

Il est tout d’abord indéniable, comme n’avait

d’ailleurs pas manqué de le relever le président

Odent, que la jurisprudence n’est pas allée au bout

de la logique objective : « Les citoyens, les

administrés ne sont pas, en ces seules qualités,

recevables à se pourvoir contre toute décision de

l’administration » (idem). Cette solution,

notamment illustrée par le fameux arrêt Gicquel à

propos duquel le président Chenot raillait dans ses

conclusions l’embarras des faiseurs de système, ne

repose pas sur un fondement conceptuel ou

théorique comme l’affirmait d’ailleurs le

commissaire du gouvernement. Celui-ci soulignait

qu’« il n’y a pas [...] d’objection théorique valable

contre l’“action populaire”, sinon la considération

du trouble qu’engendrerait dans le fonctionnement

des juridictions, comme dans la marche des

administrations, une jurisprudence qui autoriserait

n’importe qui à se pourvoir contre n’importe quoi.

Et, en droit public au moins, le trouble social prend

la valeur d’un argument de droit » (concl. sur CE

10 févr. 1950, Gicquel, Lebon 100).

Page 24: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

24

Il en résulte une jurisprudence présentant deux

caractéristiques : un « libéralisme indéniable » (R.

Chapus, préc.), d’une part, et un caractère

malaisément synthétisable, d’autre part. Il suffit

pour se convaincre de ce libéralisme, étant relevé

que l’intérêt pour agir est en principe apprécié par

le juge à la date d’exercice du recours (CE 6 oct.

1965, n° 61217, Marcy, Lebon 493) et que le juge

s’en tient à l’intérêt invoqué par le requérant (celui-

ci pouvant toutefois en cours d’instance, et même

en appel, se réclamer d’un intérêt différent de celui

initialement invoqué : CE 3 mai 1993, n° 124888,

Société industrielle de construction, Lebon T. 941),

de songer au sieur Abisset invoquant avec succès sa

qualité de campeur pour contester un arrêté du

maire de Nesles-la-Vallée prévoyant notamment

que « l’exercice « d’un camping honnête et

correct » serait subordonné à des autorisations

spéciales et temporaires » (CE, sect., 14 févr. 1958,

Sieur Abisset, Lebon 98, concl. M. Long). Comme

le relevait le président Long dans ses conclusions,

ce « membre actif du Groupe des randonneurs

pédestres du Touring Club de France » n’avait

jamais cherché à planter sa toile de tente sur le

territoire de cette commune. Il n’en est pas moins

recevable à contester cet arrêté dès lors que

« l’éventualité de son passage, au cours d’une

randonnée, sur le territoire de la commune ne peut

être regardée ni comme improbable ni comme

imprécise. Nous sommes même convaincus que

cette probabilité est devenue certitude depuis que

la sévérité du maire de Nesles-la-Vallée a attiré

l’attention de notre campeur sur sa commune qui

doit tourmenter le sieur Abisset comme les délices

du paradis perdu. Le requérant éprouve donc

d’ores et déjà une gêne, qui est constitutive d’une

lésion, et génératrice d’un intérêt de nature à

ouvrir à l’intéressé le recours pour excès de

pouvoir ». De même, le sieur Da Silva, travailleur

portugais disposant à la date de sa requête d’une

carte de travail et d’une carte de séjour valables

plusieurs années, n’en justifiait pas moins d’un

intérêt pour agir contre des circulaires concernant la

situation en France des salariés étrangers,

circulaires « susceptibles de lui être opposées » lors

du renouvellement de ses titres (CE 13 janv. 1975,

n° 90193, Da Silva, Confédération française

démocratique du travail, Lebon 16).

Le caractère malaisément synthétisable de la

jurisprudence n’est pas plus contestable que son

libéralisme : « L’idée générale qui sous-tend la

jurisprudence est qu’il faut qu’il y ait un lien

suffisamment étroit entre la situation du requérant

et la mesure attaquée. Mais il faut bien avoir

conscience que, quand on dit cela, on n’a pas dit

grand-chose » (M. Rougevin-Baville, R. Denoix de

Saint Marc et D. Labetoulle, Leçons de droit

administratif, Hachette, 1989, p. 443). On ne

s’étonnera donc pas que les auteurs ayant consacré

des développements nourris à cette question en

soient réduits, pour offrir la vue la plus fidèle

possible du droit positif, à proposer des formes de

catalogues précédés de considérations générales

plus ou moins détaillées. La continuité de la

méthode est à cet égard frappante, à plusieurs

décennies d’intervalle, entre Raphaël Alibert (Le

contrôle juridictionnel de l’administration au

moyen du recours pour excès de pouvoir, Payot,

1926, p. 96 et s.), Raymond Odent (Contentieux

administratif, t. II, préc., p. 265 et s.), Jean- Marie

Auby et Roland Drago (Traité de contentieux

administratif, LGDJ, t. 2, 3e éd., 1984, nos 1113 et

s.) et René Chapus (Droit du contentieux

administratif, préc., nos 566 et s.), même si les

modalités de présentation ordonnée de la matière ne

sont pas les mêmes.

Il convient enfin de relever que la jurisprudence a

eu l’occasion, à compter des années 1950 et très

essentiellement à propos du recours pour excès de

pouvoir, d’affirmer de manière expresse que

l’invocation d’un moyen n’est pas conditionnée à la

justification d’un intérêt en lien avec celui-ci. Bien

au contraire, dès lors qu’il justifie d’un intérêt pour

agir déterminé au regard de ses seules conclusions,

le requérant peut invoquer tout moyen. C’est ainsi

que le sieur Israël a pu invoquer, avec succès

d’ailleurs, comme moyen unique celui tiré de la

composition irrégulière d’un organisme collégial

qui avait proposé en première ligne sa nomination

aux fonctions de directeur général du service

d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes,

le gouvernement ayant finalement retenu le

candidat inscrit en seconde ligne par cet organisme

(CE 15 mars 1957, Israël, Lebon 174). De même

l’assemblée du contentieux a-t-elle annulé un

jugement par lequel le tribunal administratif de

Versailles avait déclaré un propriétaire concerné

par une déclaration d’utilité publique (et ayant donc

intérêt à la contester) irrecevable à se prévaloir de

l’existence dans le périmètre de celle-ci d’un terrain

militaire au motif qu’il n’établissait pas avoir

obtenu un droit d’occupation dudit terrain (CE,

ass., 6 juill. 1973, n° 79752, Michelin et Veyret,

Lebon 481 ; AJDA 1973. 587, chron. M. Franc et

M. Boyon). Un avis contentieux plus récent, pour

se limiter ici à un troisième exemple, s’inscrit

également dans cette perspective, affirmant qu’un

syndicat « qui a intérêt à demander l’annulation de

Page 25: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

25

la décision [...], est, dès lors, recevable à se

prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de

tout moyen de légalité à l’appui de sa demande. En

conséquence, il est recevable à invoquer un moyen

tiré de ce que les dispositions [...] [d’une loi]

devraient être écartées comme portant atteinte au

principe du droit à un procès équitable énoncé par

les stipulations de l’article 6 de la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales, nonobstant la

circonstance que ses propres droits patrimoniaux

ne seraient pas directement affectés par la mesure

litigieuse » (CE 16 févr. 2001, n° 226155, Syndicat

des compagnies aériennes autonomes, Lebon 69 ;

AJDA 2002. 341, note D. Sabourault). Cette

solution s’inscrit clairement dans une logique

objective, comme l’a récemment noté Bertrand

Dacosta, soulignant toutefois à propos de cette

« idée selon laquelle l’intérêt pour agir s’apprécie

au regard des conclusions de la demande, et non

des moyens » que « sa portée [...] paraît

surestimée. Elle trouve sa pleine justification dans

le contentieux de l’excès de pouvoir, contentieux

objectif de la légalité » (concl. sur CE, ass., 4 avr.

2014, Département de Tarn-et-Garonne, BJCP

2014. 204).

On mesure ici la différence existant entre le droit

français et le droit allemand, sous-tendu par une

logique subjective où l’administré ne peut

valablement invoquer que les normes créant à son

bénéfice des droits subjectifs, et ce même dans le

contentieux de l’annulation. Ainsi, et pour prendre

un exemple concret, l’action en annulation formée

par un voisin contre une autorisation de construire

n’est recevable outre-Rhin que si le requérant « fait

valoir que l’autorisation de construire viole une

règle de droit qui le protège en sa qualité de

voisin » (H. Maurer, Droit administratif allemand,

trad. M. Fromont, LGDJ, 1995, p. 160). Une telle

solution, si elle devait se développer en droit

français, remettrait en cause la logique du

« moment 1900 ».

B. Remise en cause ?

Nul n’ignore que l’heure est aujourd’hui davantage

à la valorisation de la stabilité des situations

juridiques (volet essentiel de la sécurité juridique)

qu’à une application mécanique du principe de

légalité, qu’on songe, pour ne citer que deux

exemples emblématiques, aux jurisprudences

Association AC ! (CE, ass., 11 mai 2004, n°

255886, Lebon 197 avec les concl. Ch. Devys;

AJDA 2004. 1183, chron. C. Landais et F. Lenica ;

GAJA, préc., n° 110) et Danthony (CE, ass., 23

déc. 2011, n° 335033, Lebon 649 ; AJDA 2012.

195, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; GAJA,

préc., n° 118).

De même, tout observateur attentif mesure

désormais parfaitement comment l’exercice du

droit d’agir en justice peut s’avérer dans certaines

hypothèses un moyen commode de freiner, voire

d’empêcher la réalisation de projets privés ou

publics ou encore d’en tirer profit. Le contentieux

de l’annulation est alors une arme au service

d’intérêts n’ayant qu’un lointain rapport avec la

défense de la légalité, qu’il s’agisse d’attaquer un

permis de construire pour ensuite monnayer un

désistement ou de contester la procédure de

passation d’un marché public pour en renchérir le

coût, en retarder l’exécution ou pour contrarier un

concurrent. Il n’est donc pas étonnant que la

logique issue du « moment 1900 » ait été amendée

en matière d’installations classées pour la

protection de l’environnement, d’urbanisme ou

encore de contrats. Le droit des installations

classées pour la protection de l’environnement fait

ici figure de pionnier, avec les dispositions de

l’article L. 514-6 III du code de l’environnement,

article qui dispose que « les tiers qui n’ont acquis

ou pris à bail des immeubles ou n’ont élevé des

constructions dans le voisinage d’une installation

classée que postérieurement à l’affichage ou à la

publication de l’acte portant autorisation ou

enregistrement de cette installation ou atténuant les

prescriptions primitives ne sont pas recevables à

déférer ledit arrêté à la juridiction administrative

», et celles désormais codifiées à l’article R. 514-3-

1 du même code suivant lequel les tiers ne justifient

d’un intérêt pour agir leur permettant de former un

recours de pleine juridiction contre les décisions

prises en matière d’installations classées pour la

protection de l’environnement qu’« en raison des

inconvénients ou des dangers que le

fonctionnement de l’installation présente pour les

intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-

1 » dudit code. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que «

les tiers personnes physiques qui contestent une

décision prise au titre de la police des installations

classées justifient d’un intérêt suffisamment direct

leur donnant qualité pour en demander

l’annulation, compte tenu des inconvénients et

dangers que présente pour eux l’installation en

cause, appréciés notamment en fonction de la

situation des intéressés et de la configuration des

lieux » (CE 13 juill. 2012, n° 339592, Société

Moulins Soufflet c/ Ministre d’Etat, ministre de

l’écologie, de l’énergie, du développement durable

Page 26: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

26

et de la mer, en charge des technologies vertes et

des négociations sur le climat, Lebon T. 868 ;

AJDA 2012. 1432) et qu’un établissement

commercial n’a intérêt pour agir « que dans les cas

où les inconvénients ou les dangers que le

fonctionnement de l’installation classée présente

pour les intérêts visés à l’article L. 511-1 sont de

nature à affecter par eux-mêmes les conditions

d’exploitation de cet établissement commercial ;

qu’il appartient à ce titre au juge administratif de

vérifier si l’établissement justifie d’un intérêt

suffisamment direct lui donnant qualité pour

demander l’annulation de l’autorisation en cause,

compte tenu des inconvénients et dangers que

présente pour lui l’installation classée, appréciés

notamment en fonction de ses conditions de

fonctionnement, de la situation des personnes qui le

fréquentent ainsi que de la configuration des lieux

» (CE 30 janv. 2013, n° 347347, Société Nord

Broyage, Lebon T. ; AJDA 2013. 262).

Le droit de l’urbanisme, dont le contentieux se

singularise depuis une vingtaine d’années

maintenant par L’heure est aujourd’hui davantage à

la valorisation de la stabilité des situations

juridiques qu’à une application mécanique du

principe rapport aux règles « ordinaires » du

contentieux administratif, n’est pas en reste. Alors

que l’intérêt s’apprécie en principe à la date de la

requête, l’article L. 600-1-1 du code de

l’urbanisme, issu de la loi du 13 juillet 2006,

prévoit qu’« une association n’est recevable à agir

contre une décision relative à l’occupation ou à

l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de

l’association en préfecture est intervenu

antérieurement à l’affichage en mairie de la

demande du pétitionnaire », ce évidemment pour

éviter la constitution d’associations de

circonstances créées suite à la délivrance d’un titre.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question

prioritaire de constitutionnalité, a donné un brevet

de constitutionnalité à cette disposition législative

(qui ne viole pas l’art. 6 § 1er de la Conv. EDH

selon CAA Bordeaux, 3 févr. 2009, n° 08BX00890,

Association défense environnement Vent de la

Gartempe, RDI 2009. 559, obs. P. Soler-Couteaux ;

JCP Adm. 2009, n° 2155, chron. B. Pacteau). Le

Conseil a considéré en particulier que « le

législateur a souhaité empêcher les associations,

qui se créent aux seules fins de s’opposer aux

décisions individuelles relatives à l’occupation ou

à l’utilisation des sols, de contester celles-ci ;

qu’ainsi, il a entendu limiter le risque d’insécurité

juridique » et que cette « restriction ainsi apportée

au droit au recours [...] ne porte pas d’atteinte

substantielle au droit des associations d’exercer

des recours » (Cons. const. 17 juin 2011, n° 2011-

138 QPC, Association Vivraviry, AJDA 2011.

1228; D. 2011. 1942, note O. Le Bot, et 2694, obs.

F. G. Trébulle ; RDI 2011. 465, obs. P. Soler-

Couteaux ; Constitutions 2011. 577, chron. A.

Faro).

Ensuite, et surtout, la récente ordonnance n° 2013-

638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de

l’urbanisme (La réforme du contentieux de

l’urbanisme, dossier, AJDA 2013. 1896) apporte un

double amendement aux règles générales. L’un vise

à inciter le juge administratif à entendre de manière

plus restrictive l’intérêt pour agir des personnes

privées hormis les associations (art. L. 600-1-2 C.

urb. : « Une personne autre que l’Etat, les

collectivités territoriales ou leurs groupements ou

une association n’est recevable à former un

recours pour excès de pouvoir contre un permis de

construire, de démolir ou d’aménager que si la

construction, l’aménagement ou les travaux sont de

nature à affecter directement les conditions

d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien

qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour

lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de

bail ou d’un contrat préliminaire mentionné à

l’article L. 261-15 du code de la construction et de

l’habitation »). L’avenir dira si cette rédaction

constituera un « point d’appui pour donner plus de

hardiesse aux juridictions dans le sens d’une

restriction de l’intérêt à agir » (J. Tremeau, La

régulation de l’accès au prétoire : la redéfinition de

l’intérêt à agir, AJDA 2013. 1901). Tel était, en

tout cas, le vœu du groupe de travail présidé par

Daniel Labetoulle (dont l’ordonnance s’inspire très

largement) qui estimait que l’équilibre envisagé par

cette disposition « ne se démarque pas franchement

de la jurisprudence qui s’est développée en

l’absence de texte, et ne le pourrait d’ailleurs pas

sans toucher à des principes supérieurs [...] mais

sa consécration législative serait sans doute reçue

par les juridictions comme un signal les invitant à

retenir une approche un peu plus restrictive de

l’intérêt pour agir » (Construction et droit au

recours: pour un meilleur équilibre, avr. 2013,

dactyl., p. 8). L’autre amendement concerne la date

à laquelle s’apprécie l’intérêt pour agir contre un

permis de construire, de démolir ou d’aménager,

qui sera désormais non plus celle du dépôt de la

requête mais, sauf à ce que le requérant justifie de

circonstances particulières, celle de la date

d’affichage en mairie de la demande du

pétitionnaire (art. L. 600-1-3), cette mesure

s’inscrivant dans la même logique que celle initiée

Page 27: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

27

pour les associations par la loi du 13 juillet 2006.

Le Conseil d’Etat a récemment considéré que les

dispositions des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 «

affectent la substance du droit de former un

recours pour excès de pouvoir contre une décision

administrative », ce qui justifie qu’elles soient « en

l’absence de dispositions contraires expresses,

applicables aux recours formés contre les décisions

intervenues après leur entrée en vigueur » (CE 18

juin 2014, n° 376113, SCI Mounou, AJDA 2014.

1292 ; D. 2014. 1378).

Le contentieux de la légalité des contrats

administratifs s’inscrit désormais plus nettement

encore dans une perspective de rupture par rapport

à la logique du « moment 1900 ». On se souvient

que l’arrêt SMIRGEOMES avait ouvert la voie en

2008 en procédant à une lecture littérale de l’article

L. 551-1 du code de justice administrative et en

considérant – en matière de référé précontractuel –

que « les personnes habilitées à agir pour mettre

fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses

obligations de publicité et de mise en concurrence

sont celles susceptibles d’être lésées par de tels

manquements ; qu’il appartient dès lors au juge

des référés précontractuels de rechercher si

l’entreprise qui le saisit se prévaut de

manquements qui, eu égard à leur portée et au

stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont

susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser,

fût-ce de façon indirecte en avantageant une

entreprise concurrente » (CE, sect., 3 oct. 2008, n°

305420, Syndicat mixte intercommunal de

réalisation et de gestion pour l’élimination des

ordures ménagères du secteur est de la Sarthe

[SMIRGEOMES], Lebon 324 avec les concl. B.

Dacosta ; AJDA 2008. 2161, chron. E. Geffray et

S.-J. Lieber, et 2374, étude P. Cassia ; RDI 2008.

499, obs. S. Braconnier ; RFDA 2008. 1128, concl.

B. Dacosta, et 1139, note P. Delvolvé). Cette

solution, que l’on y voie une nouvelle forme

d’irrecevabilité ou une inopérance (v. sur ce débat,

L. Richer, Droit des contrats administratif, LGDJ,

8e éd., 2012, n° 295), s’inscrit en tout état de cause

dans une logique indéniablement subjective. Les

conclusions de Bertrand Dacosta n’en font au

demeurant pas mystère : il ne s’agit pas de

considérer que « le référé précontractuel aurait

pour fonction d’assurer le respect objectif de la

légalité, du moins de l’ensemble des règles

relatives à la concurrence et à la publicité » mais

bien au contraire de restituer à cette voie de droit

son caractère de « recours de plein contentieux

destiné à protéger les intérêts de celui qui le forme

». La voie initiée en 2008 a été, comme chacun sait,

prolongée – sans base textuelle cette fois-ci – par le

récent arrêt Département de Tarn-et-Garonne (CE,

ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Lebon; AJDA 2014.

1035, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, et 945,

tribune S. Braconnier ; D. 2014. 1179, note M.

Gaudemet et A. Dizier ; RDI 2014. 344, obs. S.

Braconnier ; RFDA 2014. 425, concl. B. Dacosta,

et 438, note P. Delvolvé; BJCP 2014. 204, concl. B.

Dacosta, et 219, note Ph. Terneyre) qui est

doublement intéressant du point de vue de la

théorie de l’intérêt pour agir. Cet arrêt d’assemblée

prévoit en effet, pour l’avenir, un unique recours

direct des tiers contre le contrat administratif

(réserve probablement faite des contrats de

recrutement d’agents publics où le recours pour

excès de pouvoir est ouvert depuis un arrêt ayant

pris soin de souligner qu’il convenait en la matière

de justifier d’un « intérêt suffisant », CE, sect., 30

oct. 1998, n° 149662, Ville de Lisieux, Lebon 375

avec les concl. J.-H. Stahl ; AJDA 1998. 1041, et

969, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; D. 1998.

258; AJFP 1999. 4, note P. Boutelet, et 5 ; RFDA

1999. 128, concl. J.-H. Stahl, et 139, note D.

Pouyaud) en lieu et place des recours auparavant

ouverts contre les actes détachables préalables à la

conclusion du contrat et contre le contrat lui-même

(pour les seuls concurrents évincés depuis 2007 et

pour le préfet depuis 1982).

Cette apparente avancée du droit au recours

(puisqu’un recours direct contre le contrat est offert

à de nouveaux tiers) s’accompagne en réalité d’une

double restriction. La première tient au fait qu’alors

que la jurisprudence Martin, relative à la

contestation des actes détachables, était en principe

très largement accessible, la nouvelle voie de droit

ne vaudra (réserve faite des cas du préfet et des élus

locaux) que pour tout tiers « susceptible d’être lésé

dans ses intérêts de façon suffisamment directe et

certaine » par la passation ou les clauses du contrat.

Et ce alors même que la jurisprudence Martin sera

désormais fermée à tous (sauf au préfet et aux élus

locaux). Il en résulte donc que si l’on ouvre une

nouvelle voie de droit à certains, on ferme toute

voie de droit à d’autres qui ne pourront à l’avenir ni

contester le contrat directement ni tenter de

l’atteindre indirectement au moyen de l’annulation

de l’acte détachable. Bertrand Dacosta affirme, en

ce sens, que si « la renonciation à la jurisprudence

Martin » ne suppose pas « que soient laissées au

bord de la route des catégories entières de

requérants qui pouvaient l’invoquer [...] devront

être écartées certaines solutions excessivement

libérales qui ne se justifiaient, à l’origine, que par

l’absence de toute conséquence des annulations

Page 28: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

28

prononcées ». Il s’agit donc de resserrer « le degré

d’exigence pesant, notamment, sur les associations

et les contribuables, afin d’éviter les contestations

trop systématiques » (A. Bretonneau et J. Lessi,

préc., p. 1038). Ce qui démontre, sans qu’il faille y

voir un quelconque paradoxe et comme l’avait mis

en évidence Didier Casas dans ses conclusions sur

l’arrêt Tropic, que l’ouverture d’un recours direct

contre le contrat est, dès lors que la palette des

pouvoirs du juge est adaptée, un excellent moyen

d’assurer la sécurité des relations contractuelles.

La seconde restriction, qui est tout à fait essentielle

d’un point de vue conceptuel et qui le sera

également très probablement dans une perspective

pratique, tient au fait qu’alors que les concurrents

évincés pouvaient invoquer tout moyen dans le

cadre de la jurisprudence Tropic (CE 11 avr. 2012,

n° 355446, Société Gouelle, Lebon 148; AJDA

2012. 1109, note P. Cassia, et 2013. 1268, étude O.

Agnus; RDI 2012. 398, obs. S. Braconnier; AJCT

2012. 435, obs. S. Hul ; BJCP 2012. 387, concl. N.

Boulouis : « A l’appui de son recours en

contestation de la validité du contrat, mais aussi de

ses conclusions indemnitaires présentées à titre

accessoire ou complémentaire, le concurrent

évincé peut invoquer tout moyen. Il ne résulte par

ailleurs d’aucun texte ni principe que le caractère

opérant des moyens ainsi soulevés soit subordonné

à la circonstance que les vices auxquels ces moyens

se rapportent aient été susceptibles de léser le

requérant »), les tiers susceptibles d’être lésés de

façon suffisamment directe et certaine par la

passation du contrat (dont font partie les

concurrents évincés) ne pourront plus invoquer, à

l’inverse du préfet ou des élus locaux, que « des

vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se

prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge

devrait les relever d’office ».

On constate ainsi aisément que l’objectif de l’arrêt

Département de Tarn-et-Garonne n’est pas tant,

comme au début des années 1900, de garantir le

respect de la légalité, fût-ce de manière

« platonique » comme l’affirmait Romieu dans un

extrait souvent cité de manière tronquée de ses

conclusions sur l’arrêt Martin (car ce caractère

« platonique » était affirmé non seulement à propos

des conséquences de l’annulation de l’acte

détachable sur le contrat mais aussi – point

généralement négligé – de manière générale : « Les

annulations pour excès de pouvoir n’ont, dans bien

des cas, qu’un caractère purement platonique ; le

juge de l’excès de pouvoir n’a qu’à examiner si

l’acte administratif attaqué doit ou non être annulé,

en raison du vice qui lui est reproché ; il n’a pas à

se préoccuper des conséquences, positives ou

négatives, de son jugement »). Il s’agit bien au

contraire de privilégier la rapidité du règlement des

litiges (afin d’éviter des retards et autres

incertitudes aux lourdes conséquences pécuniaires),

d’une part, et la stabilité des relations

contractuelles, d’autre part, sans pour autant

remettre trop fortement en cause le droit à un

recours effectif garanti au sommet de la hiérarchie

des normes.

On est, autrement dit, bien loin de la logique du «

moment 1900 », toute la question étant cependant

de savoir si ces évolutions demeureront limitées à

des matières où les enjeux financiers sont élevés ou

toucheront également, qu’on y voie un effet

d’entraînement ou de contagion (suivant qu’on les

approuve ou qu’on les critique), d’autres chapitres

du droit administratif. L’avenir n’est bien sûr pas,

sur cette question comme sur tant d’autres, écrit.

Mais l’heure est plutôt, au nom de la sécurité

juridique, au développement d’une logique dite «

subjective » au détriment d’une application

extensive du principe de légalité, le droit comparé

comme le droit de l’Union européenne illustrant

d’ailleurs que cette conception est dominante en

Europe. Peut-être finira-t-on même dans un futur

lointain par réécrire en partie le considérant de

principe de l’arrêt Dame Lamotte (CE, ass., 17

févr. 1950, n° 86949, Ministre de l’agriculture c/

Dame Lamotte, Lebon 110 ; GAJA, préc., n° 60) et

à affirmer alors non pas que le recours pour excès

de pouvoir « est ouvert même sans texte contre tout

acte administratif, et [...] a pour effet d’assurer,

conformément aux principes généraux du droit, le

respect de la légalité » mais qu’il a pour objet

d’assurer la défense des intérêts des requérants.

Vaste programme sans doute… ».

*

Document 16

CE, 30 déc. 2014, Association des familles victimes de saturnisme, n° 367523 (aux Tables) (extraits)

« (…) 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 441-1 du code de la construction et de l’habitation :

« Les organismes d’habitations à loyer modéré attribuent les logements visés à l’article L. 441-1 aux

Page 29: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

29

bénéficiaires suivants : / 1° Les personnes physiques séjournant régulièrement sur le territoire français

dans des conditions de permanence définies par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’immigration, du

ministre chargé des affaires sociales et du ministre chargé du logement (…) » ; que l’Association des

familles victimes du saturnisme demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 1er

février 2013 pris pour l’application de ces dispositions, en tant qu’il ne fait pas figurer dans la liste des

titres de séjour permettant de prétendre à l’attribution d’un logement par un organisme d’habitations à loyer

modéré les autorisations provisoires de séjour prévues à l’article L. 311-12 du code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile, qui peuvent être accordées à l’un des parents d’un étranger mineur

disposant d’une carte de séjour « vie privée et familiale » en raison d’un état de santé nécessitant une prise

en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle

gravité ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’article 2 de ses statuts, en date du 8

mai 2011, que l’Association des familles victimes du saturnisme « soutient les personnes atteintes de

saturnisme ou exposées au plomb ainsi que leur entourage ; informe tous les publics sur le saturnisme ;

agit pour la mise en œuvre d’une politique de prévention, de santé publique et de réparation des risques

liés au saturnisme » ; qu’eu égard à cet objet social, l’association requérante ne justifie pas d’un intérêt lui

donnant qualité pour déférer au juge de l’excès de pouvoir l’arrêté qu’elle attaque ; que, par suite, sa

requête ne peut qu’être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code

de justice administrative (…) ».

*

E. Les conclusions tendant à l’annulation partielle d’un acte indivisible

Document 17

CE, 24 mai 2006, Association pour la promotion des Soyfoods, n° 275363 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES SOYFOODS demande

l’annulation des articles 2 et 5 de l’arrêté interministériel du 8 octobre 2004 relatif à l’emploi de calcium

dans des produits alimentaires à base de soja ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 2 de l’arrêté :

Considérant que l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES SOYFOODS demande l’annulation de

l’article 2 de l’arrêté du 8 octobre 2004 en tant qu’il fixe à 100mg/100 ml la teneur maximale en calcium

des desserts à base de soja ;

Considérant que ces dispositions sont indivisibles de celles de l’article 1er de ce même arrêté qui autorisent

l’adjonction de calcium dans les desserts obtenus à partir de jus de soja, par exception à l’interdiction de

l’adjonction de produits chimiques dans les denrées alimentaires énoncée à l’article 1er du décret du 15

avril 1912 ; qu’elles ne peuvent donc être déférées seules au juge de l’excès de pouvoir ; que, dès lors, les

conclusions de l’association, expressément limitées à l’annulation des dispositions de l’article 2, sont

irrecevables (…) ».

*

Page 30: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

30

II. Les irrecevabilités pouvant faire l’objet d’une régularisation

Document 18

Code de justice administrative, article R. 612-1

« Lorsque des conclusions sont entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration

du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir

invité leur auteur à les régulariser (…).

La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être

rejetées comme irrecevables dès l’expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à

quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l’information prévue à l’article R. 611-7. »

*

Document 19

CE Sect., 18 oct. 2000, Société Max-Planck-Gesellschaft, n° 206341 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que l'irrecevabilité tirée de leur présentation en langue étrangère ne peut être opposée à

des conclusions que si le requérant, d'abord invité à régulariser sa requête par la production d'une traduction

par une personne assermentée, s'est abstenu de donner suite à cette invitation ; que, par suite, en jugeant

que la demande de la SOCIETE MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT devant le tribunal administratif de

Paris, qui n'était pas rédigée en langue française, était entachée d'une irrecevabilité manifeste non

susceptible d'être couverte en cours d'instance et par suite pouvait être rejetée par ordonnance du président

du tribunal sur le fondement de l'article 9 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives

d'appel, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, dès lors, la SOCIETE

MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT laquelle, contrairement à ce que soutient le ministre, est recevable à

soulever ce moyen pour la première fois en cassation, est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué

(…) ».

*

Document 20

CE, 21 déc. 2001, M. et Mme Hofmann, n° 222862 (au Recueil) (extraits)

« (…) Considérant que si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer « les règles

concernant ... la procédure pénale ... la création de nouveaux ordres de juridiction ... les modalités de

recouvrement des impositions de toutes natures », les dispositions de la procédure à suivre devant les

juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause

aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 ou d'autres dispositions constitutionnelles ;

Considérant qu'il suit de là que le Premier ministre a compétence pour décider s'il y a lieu de rendre

obligatoire le ministère d'un avocat dans les instances portées devant les juridictions administratives ou, le

cas échéant, de les en dispenser en certaines matières ou selon la nature du recours introduit ; qu'ainsi M. et

Mme HOFMANN ne sont pas fondés à soutenir que ceux des articles de la partie réglementaire du code de

justice administrative annexé au décret du 4 mai 2000 qui prévoient le recours au ministère, soit d'un

avocat, soit d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, seraient entachés d'incompétence ;

Considérant que dans l'exercice de sa compétence le pouvoir réglementaire doit se conformer tout à la fois

aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux principes généraux du droit ainsi qu'aux

engagements internationaux introduits dans l'ordre juridique interne ;

Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à laquelle

renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est

pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution » ; que la garantie ainsi

Page 31: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

31

proclamée implique le droit pour les personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une

juridiction ; que la définition par le pouvoir réglementaire des modalités de mise en œuvre de ce droit

devant la juridiction administrative ne saurait conduire à porter atteinte à sa substance même ;

Considérant que les dispositions contestées, qui sous réserve des exceptions qu'elles prévoient rendent

obligatoires le ministère d'avocat, ont pour objet tant d'assurer aux justiciables la qualité de leur défense

que de concourir à une bonne administration de la justice en imposant le recours à des mandataires

professionnels offrant des garanties de compétence ; qu'eu égard à l'institution par le législateur d'un

dispositif d'aide juridictionnelle, l'obligation du ministère d'avocat ne saurait être regardée comme portant

atteinte au droit constitutionnel des justiciables d'exercer un recours effectif devant une juridiction (…) ».

*

Document 21

CE, 24 avril 2013, M. M’Bodji, n° 349109 (aux Tables) (extraits)

« (…) 1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par

un jugement du 19 septembre 2007, le tribunal départemental des pensions de Paris a, à la demande de M.

M’Bodji, annulé le refus du ministre de la défense d’octroyer à l’intéressé une pension militaire d’invalidité

à taux plein et lui a accordé cette pension à compter du 6 novembre 1993 avec intérêts et capitalisation des

intérêts ; que, saisie en appel par le ministre de la défense, la cour régionale des pensions de Paris a opposé

d’office l’irrecevabilité, fondée sur un défaut d’intérêt pour agir, de la demande de M. M’Bodji ; que la

cour a déduit ce défaut d’intérêt de ce qu’elle n’était pas en mesure, compte tenu du caractère

insuffisamment précis de la demande initiale, formée par un avocat agissant au nom de plusieurs dizaines

de requérants, dont l’intéressé, de vérifier la qualité des personnes au nom desquelles cette demande

collective était présentée ; que, par un arrêt du 7 mai 2010, contre lequel M. M’Bodji se pourvoit en

cassation, la cour a, en conséquence, annulé le jugement du tribunal et rejeté la demande de M. M’Bodji ;

2. Considérant que la procédure suivie devant les juridictions des pensions est régie, dans le respect des

exigences de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales, par les dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la

guerre, celles du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions et celles du code de

procédure civile auxquelles les dispositions de ce décret renvoient expressément ; que, dans le silence de

ces textes, il appartient aux tribunaux et cours des pensions, en raison de leur caractère de juridictions

administratives, de faire application des règles générales de procédure applicables à ces dernières ; que le

fait pour ces juridictions de se fonder sur des dispositions du code de procédure civile autres que celles

mentionnées ci-dessus n’entache pas d’irrégularité leurs décisions, dès lors que ces dispositions peuvent

être regardées comme traduisant ces règles ;

3. Considérant qu’aucune des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la

guerre, du décret du 20 février 1959 ou de celles du code de procédure civile auxquelles renvoie ce décret

ne précise les conditions dans lesquelles le juge des pensions peut opposer d’office le défaut de qualité pour

agir d’un requérant ; qu’il y a lieu, en pareil cas, de faire application de la règle générale de procédure

applicable aux juridictions administratives selon laquelle le juge ne peut rejeter une demande pour ce motif,

dès lors que cette irrecevabilité est régularisable, sans avoir invité son auteur à procéder à cette

régularisation ; qu’il en va de même lorsque le juge d'appel entend opposer au requérant l'irrecevabilité de

sa demande de première instance (…) ».

*

Document 22

CE, 30 déc. 2009, MM. Mizael, n° 311599 (aux Tables) (extraits)

« (…) 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 612-1 du code de justice administrative : « Lorsque des

conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de

Page 32: UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE - Droitucp...26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no 328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note Seiller). B. Le caractère d’ordre public 588

32

recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur

auteur à les régulariser. / (…) / La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation,

les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf

urgence, ne peut être inférieur à quinze jours (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 222-1 du même code,

dans sa rédaction issue du décret n° 2006-1708 du 23 décembre 2006 : « Les présidents de tribunal

administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les

présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : / (…) 4° Rejeter

les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les

régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce

sens (…) » ;

2. Considérant que les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en

application de ces dernières dispositions sont, d’une part, celles dont l’irrecevabilité ne peut en aucun cas

être couverte, d’autre part, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu’à l’expiration du délai de

recours, si ce délai est expiré et, enfin, celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que

la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l’informant des conséquences qu’emporte un défaut

de régularisation comme l’exige l’article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré ; qu’en

revanche, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la

juridiction s’est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait

loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non recevoir ; qu’en

pareil cas, à moins que son auteur n’ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l’article R.

612-1 du code de justice administrative, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une

décision prise après audience publique ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme Godrant ont fait

appel du jugement du 7 mars 2013 par lequel le tribunal administratif de Marseille a refusé d’annuler le

permis de construire délivré le 15 mars 2011 à Mme Bergoin ; que Mme Bergoin a soulevé devant la cour

administrative d’appel une fin de non recevoir tirée de ce qu’ils n’avaient pas justifié de l’accomplissement

de la formalité prévue par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ; que le président de la 1ère chambre

de la cour administrative d’appel de Marseille a communiqué le mémoire en défense de Mme Bergoin à

M.et Mme Godrant le 31 octobre 2013, en les invitant à produire leurs observations dans un délai de quinze

jours ; que cette communication ne comportait aucune invitation faite aux requérants de régulariser leur

requête d’appel par la production des pièces justifiant qu’ils avaient accompli, dans les délais imposés par

l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, la formalité prévue à cet article ni aucune indication sur les

conséquences susceptibles de s’attacher à l’absence de régularisation de leur requête dans le délai imparti ;

qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en se fondant sur le 4° de l’article R. 222-1 du code de justice

administrative pour rejeter leur requête comme manifestement irrecevable, le président de la 1ère chambre

de la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit qui justifie l’annulation de son ordonnance

(…) ».