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UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE
Master 1, Semestre 2 - Année 2016-2017
CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
DOCUMENTS DE TRAVAUX DIRIGES
Cours de Nelly Ferreira
Chargé de travaux dirigés : Mathieu Gualandi
SÉANCES N° 5 & 6 – LA RECEVABILITE
PLAN DE SEANCE
I. Généralités sur la recevabilité
Document 1 : Code de justice administrative (extraits)
Document 2 : M. Guyomar et B. Seiller, « Contentieux administratif », Dalloz, Hypercours, 2014, p. 268 à
273.
II. Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées
A. Les actes ne pouvant être contestés devant le juge administratif
Document 3 : CE, 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, n° 383712 (extraits)
Document 4 : L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Variations sur le thème de la mesure d’ordre
intérieur dans la fonction publique », AJDA 2015 p. 2147 (extraits)
Document 5 : CE Ass., 15 avril 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux, n° 120273 (extraits)
Document 6 : CE Sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères, n° 233618 (extraits)
B. Les délais de recours
Document 7 : Code des relations entre le public et l’administration (extraits)
Document 8 : CE, 7 déc. 2009, Min. de l’éducation nationale c. M. Karroum, n° 315064 (extraits)
Document 9 : CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 (extraits)
Document 10 : CE Sect., 10 juil. 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 64048 (extraits)
Document 11 : CE, 13 mars 1998, Mme Mauline, n° 120079 (extraits)
Document 12 : CE, 11 déc. 2013, Mme N’dre Regnault, n° 365361 (extraits)
C. L’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire
Document 13 : CE, 1er avril 1992, M. Abit, n° 88068 (extraits)
Document 14 : CE, 19 déc. 2008, Mme Mellinger épouse Praly, n° 297187 (extraits)
2
D. L’intérêt donnant qualité pour agir
Document 15 : Fabrice Melleray, « A propos de l’intérêt donnant qualité pour agir en contentieux
administratif », AJDA 2014 n° 1530.
Document 16 : CE, 30 déc. 2014, Association des familles victimes de saturnisme, n° 367523 (extraits)
E. Les conclusions tendant à l’annulation partielle d’un acte indivisible
Document 17 : CE, 24 mai 2006, Association pour la promotion des Soyfoods, n° 275363 (extraits)
III. Les irrecevabilités pouvant faire l’objet d’une régularisation
Document 18 : Code de justice administrative, article R. 612-1
Document 19 : CE Sect., 18 oct. 2000, Société Max-Planck-Gesellschaft, n° 206341 (au Recueil) (extraits)
Document 20 : CE, 21 déc. 2001, M. et Mme Hofmann, n° 222862 (extraits)
Document 21 : CE, 24 avril 2013, M. M’Bodji, n° 349109 (extraits)
Document 22 : CE, 30 déc. 2009, MM. Mizael, n° 311599 (extraits)
DEVOIRS A RENDRE
Pour la séance n° 5 (séance du 9 mars 2017) :
- Commenter l’arrêt : « CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 » (document 9)
Pour la séance n° 6 (séance du 16 mars 2017) :
- Travaux à venir.
3
- Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées
Document 1
Code de justice administrative (extraits)
Art. R. 411-1 : « La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties.
Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au
juge.
L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le
dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de
recours ».
Art. R. 411-3 : « Les requêtes doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées de copies, en nombre
égal à celui des autres parties en cause ».
Art. R. 412-1 : « La requête doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée,
de l’acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l’article R. 421-2, de la pièce justifiant de la
date de dépôt de la réclamation ».
Art. R. 414-1 : « Lorsqu'elle est présentée par un avocat, un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation, une personne morale de droit public autre qu'une commune de moins de 3 500
habitants ou un organisme de droit privé chargé de la gestion permanente d'un service
public, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être adressée à la juridiction par voie
électronique au moyen d'une application informatique dédiée accessible par le réseau
internet. La même obligation est applicable aux autres mémoires du requérant.
Lorsqu'elle est présentée par une commune de moins de 3 500 habitants, la requête peut
être adressée au moyen de cette application (…) ».
Art. R. 421-1 : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce,
dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.
Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après
l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement
formée devant elle ».
Art. R. 421-2 : « Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé
par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l’intéressé dispose,
pour former un recours, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une
décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant
l’expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours.
La date du dépôt de la demande à l’administration, constatée par tous moyens, doit être
établie à l’appui de la requête ».
Art. R. 421-3 : « Toutefois, l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de
la notification d’une décision expresse de rejet :
1° Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que
par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ;
2° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction
administrative ».
Art. R. 421-5 : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la
condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la
décision ».
Art. R. 431-2 : « Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés soit par un
avocat, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, lorsque les
4
conclusions de la demande tendent au paiement d’une somme d’argent, à la décharge ou à
la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d’un
litige né de l’exécution d’un contrat ».
Art. R. 431-3 : « Toutefois, les dispositions du premier alinéa de l’article R. 431-2 ne sont pas applicables
:
1° Aux litiges en matière de contravention de grande voirie ;
2° Aux litiges en matière de contributions directes, de taxes sur le chiffre d’affaires et de
taxes assimilées ;
3° Aux litiges d’ordre individuel concernant les fonctionnaires ou agents de l’Etat et des
autres personnes ou collectivités publiques ainsi que les agents ou employés de la Banque
de France ;
4° Aux litiges en matière de pensions, de prestations, allocations ou droits attribués au titre
de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi,
d’emplois réservés et d’indemnisation des rapatriés (…).
*
Document 2
M. Guyomar et B. Seiller, « Contentieux administratif », Dalloz, Hypercours, 2014, p. 268 à 273.
« (…) Section 1 – Les principes
Il est possible de dégager deux séries de principes
relatifs à la recevabilité des recours en contentieux
administratif. Les uns se rapportent à l’examen de
cette recevabilité ; les autres révèlent que certaines
requêtes encourent d’emblée un rejet pour
irrecevabilité.
§ 1 Les principes de la recevabilité
582. Le juge administratif est tenu de se prononcer
sur la recevabilité des recours dont il est saisi à un
stade précis de leur examen et de l’apprécier à la
date de leur introduction.
A. Un examen second
583. La logique commande que l’examen de la
recevabilité d’un recours n’intervienne qu’après
l’établissement, explicite ou implicite, de la
compétence de la juridiction administrative saisie.
Il serait aberrant, en effet, que cette dernière se
prononce sur la recevabilité d’une requête dont il
ne lui appartient pas de connaître. Le juge doit
d’abord établir sa compétence avant d’examiner la
recevabilité du recours et ce n’est que lorsque cette
dernière est admise qu’il lui incombe de trancher le
litige au fond (v. par ex. CE, sect., 21 nov. 1975,
SA La grande brasserie moderne, Lebon 584).
584. Certes, des questions distinctes s’ajoutent
parfois à ces trois étapes principales. Le juge
administratif accepte ainsi de donner acte du
désistement du requérant, alors même qu’il est
incompétent pour connaître de la requête dont ce
dernier l’avait initialement saisi (CE, sect., 16 oct.
1981, Lassus, Lebon 374, concl. Dutheillet de
Lamothe). Par ailleurs, la disparition de l’objet du
recours entraîne un non-lieu à statuer que le juge
constate sans même s’intéresser à la recevabilité du
recours (CE, ord. réf., 29 mars 2005, X, req. no
278495).
585. Hormis ces hypothèses particulières, le juge
qui statue au fond sans avoir préalablement
examiné la recevabilité du recours commet une
erreur de droit, sanctionnée par le juge d’appel ou
de cassation (CE 28 déc. 2005, Ville Lille, Lebon
1071).
586. Deux mécanismes conduisent toutefois à
remettre en cause l’ordre logique d’examen des
questions. Tout d’abord, les articles R. 351-4 et R.
351-5 du Code de justice administrative permettent
au Conseil d’État, aux cours administratives
d’appel et aux tribunaux administratifs, de rejeter
les recours relevant de la compétence d’une autre
juridiction administrative mais entachés d’une
irrecevabilité manifeste non susceptible d’être
couverte en cours d’instance (CE, ass., 2 juill.
1993, Fédération nationale des syndicats libres
PTT, Lebon 192) ou devant faire l’objet d’un non-
lieu (CE, ass., 16 avr. 1986, Roujansky, Lebon
113). Ces articles ne permettent cependant pas à
une cour administrative d’appel, incompétente pour
5
connaître d’un appel, de rejeter une requête en
raison de l’irrecevabilité manifeste de la demande
de première instance (CE 25 janv. 2012, M. Piasco,
req. no 344705).
587. Ensuite, le juge administratif s’est
pragmatiquement reconnu le droit de rejeter au
fond des recours sans se prononcer sur leur
recevabilité et donc, éventuellement, en dépit de
leur potentielle irrecevabilité. Cela le dispense, par
exemple, de statuer sur des questions douteuses
comme l’intérêt à agir du requérant (CE 5 nov.
2003, Synd. de la juridiction administrative, Lebon
823 ; AJDA 2004. 827 ; concl. Schwartz) ou le
caractère de décision faisant grief de l’acte attaqué
(CE, sect., 29 janv. 1993, Sté NRJ, Lebon 17). Le
recours à cette solution de facilité est clairement
exprimé par la formule « sans qu’il soit besoin de
statuer sur la recevabilité de la requête ». Le
mécanisme n’est évidemment tolérable que si le
recours doit être rejeté au fond : il ne saurait
autoriser à faire droit à une requête éventuellement
irrecevable. Sous cette condition, il présente le
double intérêt de dispenser le juge de se prononcer
sur une question délicate de recevabilité et de faire
savoir au requérant que, en tout état de cause, sa
requête était dépourvue de chances de succès au
fond. Le litige est ainsi opportunément vidé (pour
les conséquences sur l’office du juge d’appel, CE
26 oct. 2011, GAEC Lefebvre et Fils, req. no
328241 ; Gaz. Pal. 2011, no 331, p. 21, note
Seiller).
B. Le caractère d’ordre public
588. Sauf lorsqu’il décide de rejeter une requête au
fond sans examiner sa recevabilité (v. ss 587), le
juge administratif est tenu de se prononcer sur
celle-ci avant de trancher le litige. En effet, comme
les règles de compétence, les règles de recevabilité
sont d’ordre public, ce qui signifie d’une part, que
le juge doit s’assurer de leur respect et d’autre part,
que le défendeur a la faculté d’invoquer
l’irrecevabilité de la requête en tout état de la
procédure (CE Sect., 10 juin 1994, Préfet de police
Paris, req. no 139971). Est d’ordre public
l’irrecevabilité d’une requête à laquelle il a été fait
droit mais pas la recevabilité d’une requête à
laquelle a été opposée à tort une irrecevabilité qui
n’est pas contestée (CE 5 mai 1976, Samra, Lebon
1081 selon laquelle le juge d’appel n’a pas à
examiner d’office si une irrecevabilité a été
opposée à bon droit ; 15 avr. 1996, Devoto, Lebon
1130).
589. Toutefois, le juge ne peut soulever d’office
l’irrecevabilité du recours qu’à deux conditions. La
première est qu’il ne doit procéder à aucune mesure
d’instruction destinée à confirmer un doute sur la
recevabilité de la requête : l’irrecevabilité doit
ressortir du dossier (CE 11 janv. 1995, Garrigos,
Lebon 747). La seconde est qu’il doit informer les
parties de son intention de soulever d’office un
moyen avant la séance de jugement et fixer un délai
dans lequel elles peuvent présenter leurs
observations sur le moyen communiqué (CJA, art.
R. 611-7). Si la formation de jugement n’a pas à
expliciter les motifs, de fait ou de droit,
caractérisant l’existence d’un moyen d’ordre public
(CE 21 déc. 1994, SARL La flotte française, Lebon
1119 ; LPA 26 avr. 1995, Lebon 9, concl. Arrighi),
il convient cependant qu’elle donne aux parties une
information suffisamment précise pour qu’elles
puissent discuter utilement le moyen identifié.
590. Cette obligation ne vaut pas, cependant, à
l’égard des requêtes dont la solution est d’ores et
déjà certaine (CJA, art. R. 611-8) ou de celles
entachées d’une irrecevabilité non susceptible
d’être couverte en cours d’instance ou due au
défaut du ministère d’avocat ou de production de la
décision attaquée (CJA, art. R. 122-12 et R. 222-1).
591. Le caractère d’ordre public des règles de
recevabilité et l’obligation faite au juge d’en
sanctionner d’office la violation ne déploie pas
d’excessives conséquences à l’encontre des
justiciables. Il leur est, en effet, souvent loisible de
régulariser leur requête et ils doivent même y être
invités par le juge.
592. Certaines exigences de recevabilité ne
sauraient, il est vrai, donner lieu à une
régularisation. Cela concerne les recours exercés
postérieurement à l’expiration du délai (CE 29 juin
1990, Assoc. audoise sociale et médicale, Lebon
651), ceux dirigés contre un acte dépourvu de
caractère décisoire ou non constitutif de décision
faisant grief (CE 22 nov. 1999, Arteaga Romero,
Lebon 937), ceux déposés sans avoir respecté une
obligation de recours administratif préalable (CE
26 avr. 1974, Sieur X, Lebon 206) et ceux non
notifiés, dans le délai de recours, à l’auteur du
document d’urbanisme et, le cas échéant, au
bénéficiaire de la décision d’urbanisme attaquée (C.
urb. art. R. 600- 1 ; CE 11 déc. 2000, Baudet, req.
no 212329, Lebon 1139).
593. Les autres conditions de recevabilité laissent
au requérant maladroit ou négligent une possibilité
6
de régularisation. L’une d’entre elles, l’obligation
de motiver le recours, ne lui accorde pour cela
qu’un bref répit puisqu’elle ne peut être régularisée
postérieurement à l’expiration du délai de recours
(CJA, art. R. 411-1). Hormis ce cas particulier, les
requêtes entachées d’une cause d’irrecevabilité sont
susceptibles d’être régularisées jusqu’à la fin de
l’instance. Tel est le cas, notamment, des requêtes
non rédigées en français (CE 18 oct. 2000, Sté
Max-Planck-Gesellschaft, req. no 206341, Lebon
432) ou non signées (CE 13 mars 1996, Diraison,
Lebon 78), des requêtes collectives sans lien
suffisant entre leurs auteurs ou les actes attaqués
(CE, sect., 30 mars 1973, David, Lebon 265, concl.
Théry ; AJDA 1973. 244, chron. Cabanes et Léger ;
RD publ. 1973. 1323, note Waline), des requêtes
déposées avant même que la décision critiquée n’ait
été prise (CE, sect., 4 janv. 1974, Sieur X, Lebon 3)
ou non accompagnées de la production de celle-ci
(CE 17 mars 1995, Touati, Lebon 981), des
requêtes émanant d’une personne n’ayant pas la
capacité d’agir (CE, sect., 9 juill. 1997, Kang,
Lebon 302 ; AJDA 1997. 906, concl. Denis-Linton)
ou la qualité pour agir (CE 22 juin 1977, Muller,
Lebon 925) et des recours non déposés par le
ministère d’un avocat (CE, sect., 27 janv. 1989,
Chrun, Lebon 37 ; RFDA 1989. 751, concl. Moreau
; CE 1er mars 2012, Elijalat, req. no 338450).
594. De façon très remarquable, l’article R. 612-1
du CJA (qui reprend une règle générale de
procédure applicable à toutes les juridictions
administratives : CE 24 avr. 2013, M. M’Bodji, req.
no 349109) oblige le juge à inviter le requérant à
régulariser sa requête (pour les modalités, v. CE 14
nov. 2011, Alloune, req. no 334764 ; JCP Adm.
2012, no 2339, note Merenne). Cette obligation ne
vaut toutefois pas devant le juge des référés
statuant en urgence (par application de l’article R.
522-2 CJA, CE 6 juill. 2012, M. A., req. no
356427). Si le requérant ignore cette invitation à
régulariser, la juridiction est ensuite en droit de
rejeter la requête en relevant d’office le moyen tiré
de l’irrecevabilité en cause (CE 17 déc. 2013, Mme
Bois, req. no 363690). Elle est alors dispensée de
respecter l’article R. 611-7 du Code de justice
administrative, qui impose d’informer au préalable
les parties de ce que la décision à rendre est
susceptible d’être fondée sur un moyen d’ordre
public (CE 16 févr. 1994, Territoire Nouvelle-
Calédonie, Lebon 1058), et le rejet peut être
prononcé par ordonnance (CJA, art. R. 122- 12 et
R. 222-1, préc.).
595. Le juge n’est toutefois tenu d’inviter le
requérant à régulariser sa requête que s’il estime
devoir relever d’office le moyen tiré de son
irrecevabilité. Il en va logiquement autrement
lorsque le défendeur a soulevé le moyen tiré de
l’irrecevabilité : le demandeur ne peut alors ignorer
le vice de sa requête et la nécessité de la
régulariser. Ce n’est qu’en cas de passivité du
défendeur que le juge doit inviter le requérant à
régulariser son recours, lui accorder un délai
suffisant pour le faire et lui indiquer qu’en cas
d’inaction, l’irrecevabilité du recours pourra être
prononcée (CE 25 oct. 2004, Préfet de police,
Lebon 732). Si le juge omet d’inviter le requérant à
régulariser son recours mais relève d’office le
moyen tiré de l’irrecevabilité, sa décision sera
susceptible d’être annulée en appel mais la cause
d’irrecevabilité ne pourra plus être invoquée (CE
30 nov. 1994, Cne Poligny, Lebon 1103).
C. L’appréciation de la recevabilité
596. Le principe est que la recevabilité des recours
dont sont saisies les juridictions administratives
s’apprécie à la date à laquelle ils sont introduits
(CE 5 oct. 1977, Secrétaire d’État Culture, AJDA
1978. 106). Les possibilités de régularisation, avant
ou après l’expiration du délai de recours, atténuent
il est vrai fortement ce principe. Il n’en déploie pas
moins quelques effets, principalement en matière
de délai de recours (CE, sect., 21 juin 1974, Ziane,
Lebon 358). Il s’oppose également à ce qu’une
association tente de se donner un intérêt à agir en
modifiant substantiellement son objet social en
cours d’instance (CE 24 oct. 1994, Cne Tour du
Meix, Lebon 462) mais non à ce que des
changements dans les circonstances de droit ou de
fait postérieurs à l’introduction de sa demande lui
confèrent cet intérêt (CE 25 juin 2003, Cne
Saillagouse, Lebon 1031). Le principe selon lequel
la recevabilité s’apprécie à la date d’introduction du
recours se traduit inversement par le fait que
l’intérêt à agir ne saurait disparaître en cours
d’instance (CE, sect., 11 févr. 2005, Marcel, Lebon
57).
597. De la même façon, la recevabilité d’un moyen
s’apprécie à la date à laquelle il est soulevé devant
le juge de l’excès de pouvoir et non à la date à
laquelle ce dernier statue sur son bien-fondé (CE,
sect., 30 juin 1997, Kessai, Lebon 251). C’est ainsi
que l’exception d’illégalité d’un acte non
réglementaire reste recevable même si,
postérieurement, il acquiert un caractère définitif
(CE 16 nov. 1994, Traoré, JCP 1995. somm. 172,
7
obs. Julien-Laferrière ; CE 20 mars 2013, Ministre
de l’Écologie, du Développement durable, des
Transports et du Logement, req. no 352351).
Parfois, cependant, la recevabilité d’un moyen est
soumise à des conditions temporelles spécifiques.
598. Cela se produit d’abord dans le cas très
particulier de la mise en cause de la légalité des
actes budgétaires des collectivités locales. La
procédure spécifique organisée au profit du préfet
devant la chambre régionale des comptes rend en
principe irrecevable un particulier à invoquer
devant le juge de l’excès de pouvoir l’absence de
vote du budget à l’équilibre réel. Mais tout
intéressé dispose, pour invoquer ce moyen, d’un
délai de deux mois qui commence à courir à
l’expiration des 30 jours accordés au préfet pour
mettre en œuvre la procédure de contrôle
budgétaire (CE, sect., 23 déc. 1988, Dpt Tarn,
Lebon 466 ; AJDA 1989. 91, chron. Azibert et de
Boisdeffre ; RFDA 1989. 365, concl. Lévis).
Éventuellement irrecevable au moment du dépôt du
recours de l’administré, le moyen devient recevable
par la suite.
599. Une solution inverse prévaut en vertu d’une
solution jurisprudentielle qui, présentée parfois
comme peu favorable au requérant, lui ménage en
réalité la possibilité d’enrichir le débat contentieux
après l’expiration du délai de recours (CE, sect., 20
févr. 1953, Sté Intercopie, Lebon T. 88 ; S. 1953.
III. 77, note M. L.). Le juge administratif déclare
irrecevables les moyens soulevés après l’expiration
du délai de recours sauf s’ils se rattachent à la
même cause juridique que ceux soulevés dans le
délai. Ces moyens constituent des prétentions
nouvelles tardivement présentées. Même en cas de
règlement de l’affaire au fond après cassation, un
moyen se rattachant à une cause juridique distincte
de celle sur laquelle reposaient les moyens soulevés
en première instance dans le délai de recours est
irrecevable (CE 7 avr. 2011, Jehl, req. no 330306 ;
BJDU 2011. 282, note Trémeau).
600. Les moyens susceptibles d’être invoqués dans
le cadre d’un recours pour excès de pouvoir
reposent ainsi soit sur la légalité externe
(incompétence, vice de procédure, vice de forme),
soit sur la légalité interne (erreur de fait, erreur de
droit, erreur dans la qualification juridique des faits,
détournement de pouvoir) de la décision contestée.
Concrètement, si le requérant s’est borné à alléguer
une erreur de droit dans son mémoire introductif
d’instance, il ne sera pas recevable à faire valoir un
vice de procédure dans un mémoire
complémentaire produit postérieurement à
l’expiration du délai de recours (CE 3 mars 1993,
Sté Cofiroute, req. no 105461). Ces deux moyens
procèdent, en effet, de causes juridiques distinctes.
Ce même requérant serait, en revanche, recevable à
invoquer d’autres moyens de légalité interne, à
l’exemple d’une erreur de fait ou d’une mauvaise
qualification juridique des faits. La jurisprudence
Intercopie, souvent contestée, n’est en réalité guère
redoutable (d’où sa réitération constante, CE 7 avr.
2011, Jehl, req. no 330306, préc.) : il suffit au
requérant de prendre la précaution d’alléguer un
vice de légalité externe et un vice de légalité interne
dans son mémoire introductif pour disposer de la
faculté de compléter ultérieurement son
argumentation (CE, ass., 27 oct. 1995, Union
maritime CFDT, Lebon 369). En outre, les moyens
d’ordre public, que les parties peuvent soulever en
tout état de la procédure, échappent à
l’irrecevabilité quelle que soit leur cause juridique
(CE, ass., 3 juill. 1998, Synd. des médecins Ain,
Lebon 277).
601. L’état du droit est plus complexe en matière
de plein contentieux en raison de la diversité des
causes juridiques. Elle se manifeste doublement. En
premier lieu, chaque type de plein contentieux
présente ses causes juridiques propres. Ainsi, par
exemple, la jurisprudence oppose-t-elle, en matière
de responsabilité contractuelle, les moyens liés à la
nullité du contrat à ceux relatifs au non-respect de
celui-ci (CE 16 mai 1924, Jourda de Vaux, Lebon
483). En second lieu, au sein de chaque type de
plein contentieux, une pluralité de causes juridiques
existe le plus souvent, qui complique
nécessairement la tâche des plaideurs. Le
contentieux de la responsabilité distingue les
responsabilités contractuelle, quasi-contractuelle et
extracontractuelle (CE 22 févr. 1980, SA Sablières
modernes d’Aressy, Lebon 110) et, au sein de cette
dernière, les responsabilités pour faute et sans faute
(CE 16 févr. 1979, Mallisson, Lebon 879). Le
contentieux électoral pousse la classification des
causes juridiques à son paroxysme (CE, ass., 20
oct. 1989, Horblin, Lebon 199) faisant de chaque
grief une cause juridique distincte (v. pour la notion
de grief nouveau, CE 6 oct. 1999, Élections
cantonales de Champeix, Lebon 806) quand le
contentieux fiscal se singularise au contraire par
une solution simple et favorable au requérant : tous
les moyens se rapportant au contentieux de
l’imposition (par opposition au contentieux du
recouvrement : CE 28 juill. 2011, SA Affinerie de
l’Est, req. no 313279) relèvent de la même cause
juridique (LPF, art. L. 199-C) (…) ».
8
I. Les irrecevabilités insusceptibles d’être régularisées
A. Les décisions ne pouvant faire l’objet d’un recours contentieux
Document 3
CE, 9 nov. 2015, M. Dos Santos Pedro, n° 383712 (aux Tables) (extraits)
« (…) 3. Considérant que, si une mesure de contrôle par l’administration pénitentiaire des équipements
informatiques des détenus, eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus,
ne constitue pas, en elle-même, un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir, tel n’est en revanche pas le cas de la décision distincte de retenue de ces équipements qui, prise sur
le fondement des dispositions précitées, le cas échéant, en résulte ;
4. Considérant qu’en regardant, pour rejeter comme irrecevable la requête de M. Dos Santos Pedro, ses
conclusions comme dirigées contre la seule décision de contrôle de ses équipements informatiques, alors
qu’il demandait l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision de retenue administrative de ces
équipements à laquelle ce contrôle avait conduit, qui est susceptible de recours, la cour administrative
d’appel de Nantes s’est méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie ; qu’il résulte de ce qui
précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, M. Dos Santos Pedro est
fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué (…) ».
*
Document 4
L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Variations sur le thème de la mesure d’ordre intérieur dans la
fonction publique », AJDA 2015 p. 2147 (extraits)
« Etait-ce que la jurisprudence avait hésité ? Ou
qu'on lui avait donné plus de portée qu'elle n'avait ?
Ou simplement qu'il est bon, à intervalles réguliers,
de réexaminer certaines questions structurantes du
contentieux administratif ? Toujours est-il que la
section du contentieux était saisie de la question de
savoir si la circonstance qu'une mesure ait été prise
en considération de la personne faisait obstacle à ce
qu'elle fût qualifiée de mesure d'ordre intérieur.
Si cette seule question ne présentait pas de
difficulté majeure, la section du contentieux en a
profité pour traiter, tout en mesure, par quelques
notes et autant de silences, de plusieurs questions
connexes. La décision a ainsi été l'occasion de
réaffirmer, dans le champ de la fonction publique,
que la règle de minimis non curat praetor
s'applique à raison des effets des décisions de
l'administration, tout en trouvant une exception
notable en matière de discrimination. Et elle a
conduit à aborder la question aussi délicate que
théorique du cas particulier des sanctions
déguisées.
La prise en compte du comportement dans
l'ordre intérieur
La circonstance qu'une décision ait été prise pour
des motifs tenant au comportement d'un agent est
sans incidence sur son caractère de mesure d'ordre
intérieur. Voilà, en une phrase, la réponse à la
question qui était posée à la section. L'on constatera
qu'une telle affirmation n'apparaît pas dans le
considérant de principe de la décision commentée ;
elle est à trouver dans une incise du considérant
d'espèce. C'est qu'elle ne faisait guère de doute.
Certes, quelques précédents pouvaient paraître
avoir chancelé, mais il n'y avait pas matière à y voir
un réel courant jurisprudentiel : tout au plus
trouvait-on un « considérant au surplus » d'une
décision inédite de sous-section jugeant seule (CE
14 mai 2008, n° 290046, Mme Carrot)… Pour le
reste, c'est-à-dire l'essentiel, la jurisprudence avait,
imperturbablement, qualifié de mesures d'ordre
intérieur nombre de décisions prises en fonction du
comportement d'agents publics (…).
Les notions de mesure d'ordre intérieur et de
décision prise en considération de la personne sont,
en somme, tout à fait indépendantes. La première,
traduction de l'adage de minimis, conditionne
traditionnellement la recevabilité du recours pour
excès de pouvoir. Elle trouve son terrain d'élection
dans les services publics exécutés à l'intérieur des
9
locaux de l'administration et dans les relations entre
celle-ci et ses agents, civils et militaires ; elle
s'applique, plus largement, à la myriade de
décisions quotidiennes de très faible portée qui
jalonnent la vie administrative (v., par ex., pour la
décision par laquelle le conseil général décide de
renvoyer la suite de sa séance au mardi suivant :
CE 2 déc. 1983, n° 43541, Charbonnel, Lebon).
La seconde est davantage source d'ambiguïté. Elle a
été employée initialement, dans la décision de
section Sieur Nègre du 24 juin 1949 (Lebon 304),
pour ouvrir le droit à communication du dossier au-
delà de la lettre de l'article 65 de la loi du 22 avril
1905, par une extension du champ d'application de
cet article, elle-même inspirée par le principe
général des droits de la défense (…). Elle a
d'ailleurs fondé par la suite nombre d'applications
de ce principe en dehors du droit de la fonction
publique (v., par ex., CE, 16 juin 1978, n° 00434,
Ville de Villeurbanne c/ Dame Pignol, Lebon T. ;
CE, sect., 11 févr. 1977, n° 98586, Terrasse,
Lebon). Même en s'en tenant à la relation entre
l'administration et ses agents, la difficulté
d'appréhension de la notion vient cependant de ce
que toutes les mesures prises en considération de la
personne n'entrent pas dans le champ du principe
général des droits de la défense et de l'obligation de
mettre l'agent à même de demander la
communication de son dossier qui le traduit. En
effet, seules celles de ces mesures qui portent
atteinte à un droit sont soumises à ces règles (v.,
not., CE, sect., 3 déc. 2003, n° 236485, Mansuy,
Lebon…). Si bien que se distinguent deux
catégories de mesures prises en considération de la
personne : la première catégorie regroupe celles qui
portent atteinte à un droit, sont dans le champ du
principe général des droits de la défense et de la
jurisprudence Nègre et se définissent,
juridiquement, par l'application de ces règles ; la
seconde catégorie, qui englobe la première,
regroupe des mesures qui ne portent pas
nécessairement atteinte à un droit, ne sont donc pas
toujours dans le champ du principe général et de la
jurisprudence Nègre et ne trouvent dès lors d'autre
définition que celle - du sens commun - de mesures
prises pour des motifs tenant au comportement de
l'agent public.
Pour réaffirmer l'indépendance des notions de
mesure d'ordre intérieur et de mesure prise en
considération de la personne, la section du
contentieux a pris le soin de souligner -
discrètement, mais clairement - cette dernière
distinction. En jugeant irrecevable le recours contre
la mesure de changement d'affectation litigieuse
« alors même qu'elle aurait été prise pour des
motifs tenant au comportement de l'agent public
concerné », la décision use de mots volontairement
différents de l'expression consacrée par la
jurisprudence Nègre.
Cette clarification lexicale, qui n'est pas sans
précédent, manifeste qu'était ici en cause
l'acception large de la prise en considération de la
personne, non celle de la jurisprudence Nègre. La
section redit ainsi qu'il y a place, dans l'ordre
intérieur - et donc sans recours -, pour une
appréciation des comportements des agents (…).
Les effets, rien que les effets... sauf si
Allant au-delà de la seule question de l'appréciation
du comportement de l'agent, la décision du 25
septembre 2015, Mme B., précise la définition et le
régime des mesures d'ordre intérieur dans la
relation entre l'administration et ses agents, en
posant un principe et une exception.
Le principe : la mesure d'ordre intérieur est
définie par ses effets
Le principe est qu'une mesure d'ordre intérieur,
dans ce champ, est définie par ses effets. C'est
« compte tenu de leurs effets » que des décisions
prises à l'égard d'agents publics ne peuvent être
regardées comme faisant grief et constituent de
simples mesures d'ordre intérieur. En d'autres
termes, seul le dispositif de la décision est en
principe susceptible de faire grief, car c'est de lui
que naissent les effets de celle-ci. Pour déterminer
si la mesure est susceptible de recours, le juge
procédera alors à un examen de ses effets « en
négatif », c'est-à-dire en s'assurant de l'absence
d'effets qui seraient de nature à faire sortir la
décision de la catégorie des mesures d'ordre
intérieur. S'agissant de mesures de changement de
l'affectation ou des tâches confiées à un agent, la
décision Mme B. opère ainsi la qualification de
mesure d'ordre intérieur en écartant successivement
les atteintes aux droits et prérogatives que l'agent
tient de son statut, les atteintes à l'exercice de ses
droits et libertés fondamentaux, la perte de
responsabilité et la perte de rémunération.
Pour l'essentiel, en listant de la sorte les effets
qu'une mesure d'ordre intérieur ne peut avoir (qui
sont, par a contrario, autant de critères de
recevabilité), la décision Mme B. formule de façon
résumée la quintessence d'une jurisprudence
10
ancienne et constante. Le Conseil d'Etat se fondait
déjà sur les effets - ou l'absence d'effets - de la
décision en cause sur les droits et prérogatives que
l'agent tient du statut (CE 17 oct. 1986, n° 59536,
Chabot, Lebon T….) ou la « situation juridique »
(CE 1er oct. 1975, n° 97752, Epoux Phélizon,
Lebon T.), sur les responsabilités exercées (en cas
de changement d'attributions : CE 26 avr. 1978, n°
04792, Crumeyrolle, Lebon ; ou de changement
d'affectation : CE 4 déc. 2013, n° 359753, Van
Gastel, Lebon T….) et sur la rémunération ou les
avantages (…).
Notable est cependant l'apparition, parmi les effets
conduisant à sortir de la catégorie des mesures
d'ordre intérieur, des atteintes à l'exercice des droits
et libertés fondamentaux. L'idée de réserver
l'atteinte aux droits et libertés fondamentaux de
l'agent dans la qualification de mesure d'ordre
intérieur avait déjà été présentée par N. Boulouis
dans ses conclusions sur l'affaire Caisse des dépôts
et consignations (CE 11 mai 2011, n° 337280,
Lebon T. ; AJDA 2011. 994). La décision n'avait
pas pris parti sur la question, si bien que la décision
Mme B. formule expressément pour la première
fois qu'une mesure qui porte atteinte à l'exercice
des droits et libertés d'un agent public ne peut être
regardée comme une mesure d'ordre intérieur et
peut, par conséquent, faire l'objet d'un recours pour
excès de pouvoir.
Cette réserve nouvelle ne manquera de faire penser
à celle qu'a consacrée la jurisprudence sur les
mesures d'ordre intérieur en milieu pénitentiaire
(CE, Ass., 14 déc. 2007, n° 290420, Planchenault,
Lebon 474 ; CE 14 déc. 2007, n° 290730,
Boussouar, Lebon 495) ; elle est pourtant formulée
différemment : là où la jurisprudence pénitentiaire
réserve que « soient en cause » des libertés et des
droits fondamentaux, la décision Mme B. se borne
à écarter des « effets sur l'exercice » de ces droits et
libertés. De la sorte, elle reste dans la ligne de
principe selon laquelle la recevabilité du recours
s'apprécie objectivement au regard des effets de la
mesure, sans entrer dans la logique d'admission
d'un recours à raison des droits subjectifs qu'il
entend défendre.
Pour le reste, cette réserve des droits fondamentaux
trouvera certainement moins à s'appliquer en
matière de fonction publique qu'en matière de
détention - ce qui, somme toute, est heureux. Elle
impliquera néanmoins, pour le juge, d'élargir son
appréciation des effets de la décision contestée,
pour appréhender ses effets indirects, ce qui interdit
tout raisonnement général par type de mesures :
pour reprendre le cas d'espèce de la décision Caisse
des dépôts et consignations, précitée, si le refus
d'une autorisation d'absence accordée à titre
discrétionnaire pour convenances personnelles est
en principe une mesure d'ordre intérieur, il n'en ira
pas de même lorsque la demande d'autorisation
aura pour but l'exercice d'un droit fondamental, tel
que la liberté religieuse (…).
L'exception : la mesure traduisant une
discrimination est susceptible de recours
Le principe d'appréciation objective de la
recevabilité du recours à raison des effets de la
mesure souffre une exception : si la mesure traduit
une discrimination, elle est susceptible de recours,
quels que soient ses effets. De ce point de vue, la
décision Mme B. n'innove pas mais donne l'onction
d'une décision de section à la récente décision Pôle
emploi (CE 15 avr. 2015, n° 373893, Lebon ;
AJDA 2015. 1926 , note C. Chauvet ; AJCT 2015.
408, obs. M.-C. Rouault), tout en la reformulant : là
où la décision Pôle emploi affirmait qu'une mesure
discriminatoire ne pouvait pas être d'ordre intérieur
pour en déduire sa justiciabilité, la décision Mme
B. affirme qu'une mesure d'ordre intérieur est
justiciable lorsqu'elle est discriminatoire. Ce qui
confirme qu'une mesure d'ordre intérieur se définit
par ses effets, mais rompt avec l'exclusion radicale
des mesures d'ordre intérieur du prétoire du juge
administratif.
Au-delà de ce choix conceptuel, l'exception ainsi
consacrée est de taille. Elle ne peut pas vraiment
être rattachée à la réserve des droits fondamentaux
(en dehors du fait qu'elle procède d'un
raisonnement distinct) : une mesure reposant sur un
motif discriminatoire ne porte pas, de par son seul
dispositif, atteinte à l'exercice, par l'agent, de ses
droits et libertés fondamentaux. Peut-être est-elle
plus proche de la réserve de l'atteinte aux droits et
prérogatives que les agents tiennent du statut
(notamment de l'art. 6 du statut général) ; il n'en
demeure pas moins que cette atteinte ne résulte pas
des effets propres, même indirects, de la décision,
mais - au moins en grande partie - de ses motifs. Et
c'est là toute la portée de l'exception de la
discrimination, qui conduit à déplacer l'examen de
la recevabilité du dispositif de la décision contestée
vers ses motifs, pour vérifier l'absence d'un motif
discriminatoire.
Comme le soulignait E. Bokdam-Tognetti dans ses
conclusions sur la décision Pôle emploi, le juge doit
alors se livrer à « l'exercice toujours acrobatique et
11
intellectuellement critiquable consistant à examiner
en partie la légalité au fond d'une décision pour
apprécier sa justiciabilité ». Assurément,
l'exception Pôle emploi ouvre une brèche dans la
séparation entre la recevabilité et le bien-fondé de
la requête : celle-ci ne sera jugée irrecevable
qu'après que le moyen tiré d'une discrimination
aura été jugé mal fondé (en appliquant le régime de
preuve issu de l'arrêt CE, ass., 30 oct. 2009, n°
298348, Perreux, Lebon avec les concl. ; AJDA
2009. 2385, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi) ; à
l'inverse, l'on déduira sa recevabilité (et son bien-
fondé) de l'accueil du moyen tiré d'une
discrimination. L'exercice n'est pas inédit : les cas
sont nombreux où recevabilité et bien-fondé d'une
requête entretiennent des liens étroits - notamment
à chaque fois que la recevabilité dépend de
l'existence ou de la portée d'une décision (v., par
ex., récemment, CE 5 oct. 2015, n° 387899, Comité
d'entreprise du siège de l'Ifremer, AJDA 2015.
1891 ; à mentionner aux tables du Lebon, s'agissant
d'annonces ne révélant pas l'existence d'une
décision du Premier ministre, qui n'aurait pu la
prendre en ces formes ; v., égal., en matière d'actes
inexistants, CE, ass., 15 mai 1981, n° 33041,
Maurice, Lebon…). Il va néanmoins, dans cette
hypothèse, particulièrement loin, puisqu'il conduit à
une inversion des temps du raisonnement, similaire
à celle qui existait, en matière de circulaires, sous
l'empire de la jurisprudence Notre-Dame-du-
Kreisker (CE 29 janv. 1954, n° 07134, Lebon 642 ).
L'inversion, toutefois, est limitée au moyen tiré de
ce que la mesure traduirait une discrimination. Ce
qui tend à s'apparenter à une appréciation de la
recevabilité au niveau des moyens qui, du moins en
excès de pouvoir, est tout sauf habituelle. Mais
davantage que la recevabilité d'un moyen, la
décision Mme B. consacre, à notre sens, la
justiciabilité de certains droits qui, parce qu'ils ne
peuvent rester sans garantie, doivent pouvoir être
défendus dans le prétoire. L'on retrouve finalement
ici l'approche consacrée par l'assemblée du
contentieux en matière de détention.
Reste une question : cette exception en appelle-t-
elle d'autres ? Une fois la brèche ouverte, on peut
effectivement se demander jusqu'où la fissure
s'étendra. Vient immédiatement à l'esprit le cas du
harcèlement, à la fois parce qu'il partage le régime
de preuve de la discrimination (CE, sect., 11 juill.
2011, n° 321225, Montaut, Lebon avec les concl. ;
AJDA 2011. 2072 , concl. M. Guyomar ; AJFP
2012. 41 , note R. Fontier ), parce qu'il est parfois
une forme de discrimination (art. 2 § 3, dir.
2000/78/CE du Conseil du 27 nov. 2000 ; L. n°
2008-496 du 27 mai 2008, art. 1er) et parce qu'il est
souvent le produit d'une multitude de mesures
d'ordre intérieur. Il est certainement trop tôt,
cependant, pour avoir une vision du devenir de
cette ouverture ; l'on ne se hasardera donc pas ici en
conjectures.
Et la sanction déguisée ?
On s'en tiendrait à ce tableau, déjà tout en nuances,
s'il n'était question que du considérant de principe
de la décision Mme B. Mais l'examen du
considérant d'espèce apporte - outre la réponse à la
question qui était posée à la section - un autre
enseignement. Sans en avoir fait une question
distincte au stade de la règle de principe, la
décision prend le soin, dans le traitement de
l'espèce, de relever par une incise que la décision
contestée ne présente pas le caractère d'une
sanction disciplinaire déguisée avant de conclure à
l'irrecevabilité de la requête. Par cette contradiction
apparente, la décision règle, avec une certaine
subtilité - voire très implicitement - la question de
l'articulation entre mesure d'ordre intérieur et
sanction déguisée.
L'idée d'une réserve des sanctions déguisées dans la
définition même de la mesure d'ordre intérieur (ou
dans son régime contentieux) aurait pu se réclamer
d'un réel courant de jurisprudence : plusieurs
décisions du Conseil d'Etat avaient pris le soin
d'écarter la qualification de sanction déguisée avant
de retenir celle de mesure d'ordre intérieur (CE 18
mars 1996, Biard, préc. ; CE 14 avr. 1999,
Duchêne, préc., Lebon T. , sur un autre point ; CE 9
juin 2010, Mme Dornel, préc.) et les tables du
Lebon s'en étaient, une fois au moins, fait l'écho.
En ne reprenant pas cette réserve dans le
considérant de principe, la section du contentieux
s'est clairement écartée de ce courant de
jurisprudence, en refusant de faire de l'hypothèse de
la sanction déguisée une exception analogue à celle
de la discrimination.
Pourquoi, alors, une telle incise dans le considérant
d'espèce ? A y regarder de (très) près, elle est faite
de pragmatisme, de prudence et d'un certain souci
de bonne justice.
Le pragmatisme consiste à n'être pas entré dans un
faux débat sur la question de l'existence et du
régime contentieux d'hypothétiques mesures d'ordre
intérieur à caractère disciplinaire. Il est de principe
que toute mesure disciplinaire est susceptible de
12
recours : en qualifiant une mesure de disciplinaire,
le juge déduit immédiatement qu'elle peut faire
l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE 25
mars 1981, n° 22399, Ministre du budget c/
Arbault, Lebon T. ; du même jour, n° 22400,
Ministre du budget c/ Mme Vial, inédite). C'est ce
principe, non remis en cause, qui pouvait militer
pour une réserve propre aux sanctions déguisées. Il
trouvait toutefois face à lui le raisonnement
implacable présenté par Gilles Pellissier dans ses
conclusions : la sanction déguisée étant, selon sa
conception traditionnelle - c'est-à-dire la reprise par
les conclusions du président Genevois sur la
décision Spire (CE, sect., 9 juin 1978, n° 08397,
Lebon ) de l'analyse présentée par le doyen Auby
dans une note au Dalloz de 1964 - la conjonction
d'une intention punitive et d'effets sur la situation
professionnelle de l'agent (v., pour l'identification
successive des deux éléments, CE 18 déc. 1968, n°
73733, Brunne, Lebon ; CE 4 févr. 1994, n° 98233,
Ferrand, inédite), il n'existe, en théorie, aucune
mesure disciplinaire qui ne passe le seuil de la
justiciabilité posé en matière de mesures d'ordre
intérieur. Faute d'effets suffisants, la mesure ne sera
pas une sanction déguisée ; pourvue de tels effets,
elle ne sera pas une mesure d'ordre intérieur. C'est
peut-être en ce sens qu'il faut comprendre la
mention aux tables du Lebon de la décision Dupré,
précitée, selon laquelle une mesure d'ordre intérieur
n'a pas un caractère disciplinaire. En mentionnant
la sanction déguisée dans le considérant d'espèce
sans la traiter dans le considérant de principe, la
décision Mme B. s'écarte toutefois de toute prise de
position théorique ferme quant à cette coïncidence
postulée entre les effets caractérisant la sanction
déguisée et les effets caractérisant la mesure d'ordre
intérieur.
C'est aussi là une manifestation de prudence. Parce
qu'elle prend le soin d'écarter, dans le considérant
d'espèce, la qualification de sanction déguisée, la
décision suggère qu'en présence d'une intention
punitive caractérisée, l'identification de l'élément
objectif de la sanction déguisée - ses effets sur la
situation de l'agent - se ferait avec un œil moins
exigeant que celui qui se pose sur les mesures
prises dans l'intérêt du service pour apprécier leurs
effets et les laisser ou non dans l'ordre intérieur. Si
la sanction déguisée ne justifie pas une exception à
la règle de recevabilité à raison des effets, elle
pourra commander une appréciation plus souple
des effets sur la situation de l'agent lorsque, de
toute évidence, l'administration a entendu le punir.
Par cette légère soupape dans l'appréciation des
effets, la section s'assure que la pratique n'exclura
pas du prétoire des mesures qui auraient
véritablement un caractère disciplinaire. Elle n'en
revient pas pour autant sur la jurisprudence
constante qui exige qu'une décision ait un
minimum d'effets sur la situation de l'agent pour
être qualifiée de sanction déguisée (et subir alors
les foudres du juge de l'excès de pouvoir, parce
qu'elle n'est pas au nombre des sanctions
disciplinaires prévues par le statut - CE 4 févr.
1994, Ferrand, préc. - ou parce qu'elle n'a pas été
précédée de la procédure disciplinaire - CE 3 juin
1998, n° 148720, Chahed, Lebon ). Force est
d'ailleurs de relever que la jurisprudence n'a que
rarement admis cette qualification.
Enfin, cette incise dont on a déjà trop parlé
manifeste, parce qu'elle répond à un moyen soulevé
et parce qu'elle n'y était pas, à strictement parler,
tenue, un égard pour le requérant inspiré par un
souci de bonne justice ; peut-être facilitera-t-elle un
peu la relation entre l'employeur et son agent en
donnant à celui-ci l'assurance que la décision en
cause ne visait pas à le punir mais simplement,
comme souvent les changements d'affectation pris à
raison d'une ambiance dégradée, à rétablir, dans
l'intérêt du service, de la sérénité dans son
fonctionnement ».
*
Document 5
CE Ass., 15 avril 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux, n° 120273 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 1984, l’article 14-1 de la loi
hospitalière du 31 décembre 1970 dispose : « Un syndicat interhospitalier peut être créé à la demande de
deux ou plusieurs établissements assurant le service public hospitalier. Sa création est autorisée par arrêté
du représentant de l’Etat dans le département siège du syndicat » ; qu’il résulte des termes mêmes de ces
dispositions que la délibération attaquée ne peut être regardée comme un acte créant un syndicat
interhospitalier et n’avait d’autre objet que de former la demande nécessaire, en vertu desdites dispositions,
pour que le représentant de l’Etat décide, le cas échéant, d’autoriser la création d’un tel syndicat entre deux
ou plusieurs établissements hospitaliers ; qu’il suit de là que cette délibération ne constitue qu’une simple
13
mesure préparatoire ;
Considérant, il est vrai, que le syndicat C.G.T. des hospitaliers de Bédarieux poursuit l’annulation de la
délibération dont il s’agit en fondant ses prétentions sur les vices propres qui entacheraient celle-ci ;
Mais considérant qu’un requérant n’est pas recevable à attaquer par la voie du recours pour excès de
pouvoir un acte préparatoire ; que cette irrecevabilité s’étend aux délibérations à caractère préparatoire des
collectivités territoriales et de leurs établissements publics, même à raison des vices propres allégués ; qu’il
ne peut être fait exception à la règle selon laquelle un acte préparatoire ne saurait donner lieu à un recours
pour excès de pouvoir que dans les cas où il en est ainsi disposé par la loi ; que tel est le cas lorsque, sur le
fondement de la loi susvisée du 2 mars 1982, le représentant de l’Etat dans le département défère au juge
administratif les actes des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics qu’il estime
contraires à la légalité ; qu’il suit de là que, quels que soient les moyens qu’il a soulevés à l’encontre de la
délibération attaquée, le syndicat requérant n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges
ont écarté ses conclusions comme irrecevables (…) ».
*
Document 6
CE Sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères, n° 233618 (au Recueil) (extraits)
« (…) Sur les conclusions tendant à l’annulation de la lettre du 23 février 2001 en tant qu’elle porte refus
d’abroger partiellement la circulaire du 26 mars 1997 :
Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité
administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible
d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait,
quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général
d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les
abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence
des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment
prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est
soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée
des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à
une norme juridique supérieure ;
Considérant que si la circulaire contestée du 26 mars 1997 se borne à tirer les conséquences de l’article 2
du décret du 19 décembre 1991, elle réitère néanmoins, au moyen de dispositions impératives à caractère
général, la règle qu’a illégalement fixée cette disposition ; que, par suite, Mme DUVIGNERES est
recevable et fondée à demander l’annulation de la lettre du 23 février 2001, en tant qu’elle porte refus
d’abroger dans cette mesure la circulaire contestée (…) ».
*
B. Les délais de recours
Document 7
Code des relations entre le public et l’administration (extraits)
Art. L. 112-3 : « Toute demande adressée à l’administration fait l’objet d’un accusé de réception. »
Art. R. 112-5 : « L’accusé de réception prévu par l’article L. 112-3 comporte les mentions suivantes :
1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d’une décision
expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ;
2° La désignation, l’adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de
14
téléphone du service chargé du dossier ;
3° Le cas échéant, les informations mentionnées à l’article L. 114-5, dans les conditions
prévues par cet article.
Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à
une décision implicite d’acceptation. Dans le premier cas, l’accusé de réception mentionne
les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision. Dans le second cas, il
mentionne la possibilité offerte au demandeur de se voir délivrer l’attestation prévue à
l’article L. 232-3. »
Art. L. 112-6 : « Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé
de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la
réglementation.
Le défaut de délivrance d’un accusé de réception n’emporte pas l’inopposabilité des délais
de recours à l’encontre de l’auteur de la demande lorsqu’une décision expresse lui a été
régulièrement notifiée avant l’expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître
une décision implicite. »
Art. L. 221-2 : « L’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de
formalités adéquates de publicité, notamment par la voie, selon les cas, d’une publication
ou d’un affichage, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant
d’autres formalités préalables.
Un acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de l’accomplissement des
formalités prévues au premier alinéa, sauf à ce qu’il en soit disposé autrement par la loi, par
l’acte réglementaire lui-même ou par un autre règlement. Toutefois, l’entrée en vigueur de
celles de ses dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée
à la date d’entrée en vigueur de ces mesures. »
Art. L. 221-8 : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres
formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en
fait l’objet au moment où elle est notifiée. »
Art. L. 231-1 : « Le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision
d’acceptation. »
Art. L. 231-4 : « Par dérogation à l’article L. 231-1, le silence gardé par l’administration pendant deux
mois vaut décision de rejet :
1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère
d’une décision individuelle ;
2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou
réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;
3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans
les cas prévus par décret ;
4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’Etat, où une acceptation implicite ne serait
pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France,
la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur
constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public ;
5° Dans les relations entre l’administration et ses agents. »
*
Document 8
CE, 7 déc. 2009, Min. de l’éducation nationale c. M. Karroum, n° 315064 (aux Tables) (extraits)
« Considérant qu’il ressort du dossier soumis aux juges du fond que la décision du proviseur du lycée
Richelieu, refusant de renouveler son contrat d’enseignement, a été notifiée le 11 juin 2004 à M. Karroum
15
en mentionnant les voies et délais de recours contentieux, ainsi que les conditions dans lesquelles pouvait
éventuellement être formé un recours gracieux ou hiérarchique ; que, par l’arrêt attaqué, la cour
administrative d’appel de Versailles, après avoir constaté que cette notification contenait la mention erronée
qu’un recours administratif ferait, dans le silence de l’administration, naître une décision implicite au bout
de quatre mois, en a déduit que le délai de recours contentieux contre la décision du 11 juin 2004 n’avait
pas couru, pour écarter la fin de non recevoir tirée de la tardiveté de la requête de M. Karroum tendant à
l’annulation de cette décision ; que le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE se pourvoit contre
l’arrêt attaqué, en tant qu’il a fait droit aux conclusions d’excès de pouvoir de M. Karroum ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de recours
contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que
les voies de recours, dans la notification de la décision » ; qu’il résulte de ces dispositions que, lorsque les
mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de
cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la
décision lorsqu’elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions
normalement applicables ;
Considérant que, si le délai de naissance d’une décision implicite est de deux mois en vertu de l’article 21
de la loi du 12 avril 2000 et, si la mention de quatre mois figurant sur la notification de la décision du 11
juin 2004 était ainsi erronée, cette erreur sur le seul délai de survenance d’une décision implicite ne pouvait
faire obstacle à ce que courre le délai de recours contentieux, mais avait seulement pour effet de le
prolonger, en cas de recours administratif sur lequel l’administration serait restée silencieuse pendant deux
mois, repoussant son expiration à six mois à compter de la réception du recours de l’intéressé ; que, dès
lors, le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE est fondé à soutenir qu’en déduisant du caractère
erroné de cette mention que le délai de recours opposable à M. Karroum à l’encontre de la décision en
cause n’avait pas couru, la cour a commis une erreur de droit et à demander sur ce fondement l’annulation
de son arrêt du 5 février 2008 (…) ».
*
Document 9
CE Ass., 13 juil. 2016, M. Czabaj, n° 387763 (au Recueil) (extraits)
« (…) 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel, en vigueur à la date de la décision contestée devant le juge du fond et dont les
dispositions sont désormais reprises à l’article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de
recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés,
ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ; qu’il résulte de ces dispositions que
cette notification doit, s’agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l’existence d’un recours
administratif préalable obligatoire ainsi que l’autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l’hypothèse
d’un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative
de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. Czabaj, ancien brigadier
de police, a reçu le 26 septembre 1991 notification de l’arrêté du 24 juin 1991 lui concédant une pension de
retraite, ainsi que l’atteste le procès-verbal de remise de son livret de pension ; que cette notification
mentionnait le délai de recours contentieux dont l’intéressé disposait à l’encontre de cet arrêté mais ne
contenait aucune indication sur la juridiction compétente ; qu’ainsi, en jugeant que cette notification
comportait l’indication des voies et délais de recours conformément aux dispositions de l’article R. 421-5
citées ci-dessus, le tribunal administratif de Lille a dénaturé les pièces du dossier ; que M. Czabaj est donc
fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée, qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de
cet arrêté ;
3. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application
des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
16
4. Considérant qu’aux termes de l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel, alors en vigueur, repris au premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice
administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de
recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication
de la décision attaquée. » ; qu’il résulte des dispositions citées au point 1 que lorsque la notification ne
comporte pas les mentions requises, ce délai n’est pas opposable ;
5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en
cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse
être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou
dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle
hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou
l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les
délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de
recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances
particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours
administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à
laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu
connaissance ;
6. Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les
conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas
atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai
raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice,
en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge
administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont
donné naissance ;
7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. Czabaj a reçu notification le 26 septembre 1991 de
l’arrêté portant concession de sa pension de retraite du 24 juin 1991, comme l’atteste le procès-verbal de
remise de son livret de pension, et que cette notification comportait mention du délai de recours de deux
mois et indication que l’intéressé pouvait former, dans ce délai, un recours contentieux ; que si une telle
notification était incomplète au regard des dispositions de l’article R. 421-5 du code de justice
administrative, faute de préciser si le recours pouvait être porté devant la juridiction administrative ou une
juridiction spécialisée, et si, par suite, le délai de deux mois fixé par l’article R. 421-1 du même code ne lui
était pas opposable, il résulte de ce qui précède que le recours dont M. Czabaj a saisi le tribunal
administratif de Lille plus de vingt-deux ans après la notification de l’arrêté contesté excédait le délai
raisonnable durant lequel il pouvait être exercé (…) ».
*
Document 10
CE Sect., 10 juil. 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 60408 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que, sauf le cas où des dispositions législatives ou règlementaires ont organisé des
procédures particulières, toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour
l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours dudit
délai (…) ».
*
Document 11 CE Sect., 13 mars 1998, Mme Mauline, n° 120079 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que Mme Mauline, agissant au nom de son mari, M. Patrick Mauline, agent technique
17
de France Télécom, a saisi le Conseil d'Etat le 26 septembre 1990 d'une demande tendant à l'annulation
pour excès de pouvoir de la décision du 2 mai 1989 du ministre des postes, des télécommunications et de
l'espace refusant à M. Mauline le bénéfice de l'allocation spécifique prévue par le décret du 8 juin 1951 ;
que ce litige ne ressortit pas à la compétence en premier ressort du Conseil d'Etat, mais à celle des
tribunaux administratifs, juges de droit commun du contentieux administratif en premier ressort ;
Considérant, il est vrai, que le ministre soulève la tardiveté de la requête de Mme Mauline, en faisant valoir
que cette dernière doit être regardée comme ayant eu connaissance de la décision du 2 mai 1989 au plus
tard le 29 juin 1989, date à laquelle elle a formé à son encontre un recours administratif ; que, si cette fin de
non-recevoir était fondée, l'article R. 83 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel donnerait compétence au Conseil d'Etat pour rejeter lui-même cette requête ;
Mais considérant que si la formation d'un recours administratif contre une décision établit que l'auteur de ce
recours administratif a eu connaissance de la décision qu'il a contestée au plus tard à la date à laquelle il a
formé ce recours, une telle circonstance est par elle-même sans incidence sur l'application des dispositions
de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, selon
lesquelles : « Les délais de recours contentieux contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables
qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la
décision. » ;
Considérant qu'en l'espèce, ni la décision initiale du 2 mai 1989 ni les décisions des 19 avril et 26 juillet
1990 par lesquelles le ministre a rejeté les recours administratifs formés par Mme Mauline contre la
décision du 2 mai 1989 ne mentionnaient les délais et voies de recours ; que le délai de recours contentieux
n'ayant ainsi pas commencé à courir, la requête de Mme Mauline, enregistrée le 26 septembre 1990, n'est
pas tardive ; qu'il y a par suite lieu d'attribuer le jugement de ses conclusions au tribunal administratif de
Versailles, territorialement compétent par application de l'article R. 56 du code des tribunaux administratifs
et des cours administratives d'appel (…) ».
*
Document 12
CE, 11 déc. 2013, Mme N’dre Regnault, n° 365361 (au Recueil) (extraits)
« (…) 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme N’Dre
Regnault a demandé, par une requête enregistrée le 10 septembre 2012 au tribunal administratif de Paris,
l’annulation de la décision du 11 juin 2012 par laquelle le ministre de la justice lui a refusé la prime de
restructuration de service à la suite de son affectation à Villiers le Bel ; que cette demande a été rejetée par
une ordonnance du 12 septembre 2012 sur le fondement du dernier alinéa de l’article R. 411-2 du code de
justice administrative, pour défaut de timbre ; que Mme N’Dre Regnault a alors saisi le tribunal
administratif de Paris d’une nouvelle demande, enregistrée le 14 novembre 2012, qui a été rejetée comme
tardive par une ordonnance du 20 novembre 2012, contre laquelle elle se pourvoit en cassation ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de
recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés,
ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ; que l’auteur d’un recours
juridictionnel tendant à l’annulation d’une décision administrative doit être réputé avoir eu connaissance de
la décision qu’il attaque au plus tard à la date à laquelle il a formé son recours ; que si un premier recours
contre une décision notifiée sans mention des voies et délais de recours a été rejeté, son auteur ne peut
introduire un second recours contre la même décision que dans un délai de deux mois à compter de la date
d’enregistrement du premier au greffe de la juridiction saisie ; que, par suite, l’ordonnance attaquée, qui est
suffisamment motivée, a pu, sans erreur de droit, juger que le délai de recours de deux mois devait être
décompté à partir du 10 septembre 2012, date d’enregistrement de la première demande de Mme N’Dre
Regnault, qu’il était expiré le 14 novembre 2012, date de sa nouvelle demande devant le tribunal
administratif de Paris, et que celle ci était donc tardive ; que, dès lors, le pourvoi de Mme N’Dre Regnault
18
ne peut qu’être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative (…) ».
*
C. L’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire
Document 13
CE, 1er avril 1992, M. Abit, n° 88068 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 36 de la loi du 31 décembre 1970 portant
réforme hospitalière, les mesures de suspension et de retrait de l’autorisation mentionnée à l’article 31 de la
même loi « sont prises selon les modalités prévues à l’article 34 (...) » ; qu’il en résulte que les décisions de
suspension ou de retrait de l’autorisation de fonctionner prises par les préfets de région peuvent faire
l’objet, de la part de tout intéressé, d’un recours devant le ministre de la santé publique, qui statue dans un
délai maximum de six mois ; que le recours organisé par le premier alinéa de l’article 34 de la loi du 31
décembre 1970 doit être formé, dans tous les cas, avant tout recours contentieux ; que la circonstance que
l’existence de ce recours ainsi que son caractère obligatoire n’ont pas été indiqués dans la notification de
l’arrêté attaqué, si elle empêchait que cette notification fasse courir le délai du recours au ministre à l’égard
du destinataire de l’arrêté, est sans incidence sur l’irrecevabilité de la demande directement présentée au
tribunal ; qu’il suit de là que M. Abit, qui avait déféré directement au tribunal administratif de Poitiers la
décision, en date du 6 janvier 1986, par laquelle le préfet de la région Poitou-Charentes lui a retiré
l’autorisation de fonctionnement de l’Aérium de l’Ormeau à Saint-Denis d’Oléron, n’est pas fondé à se
plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif Poitiers a rejeté sa demande (…) ».
*
Document 14
CE, 19 déc. 2008, Mme Mellinger épouse Praly, n° 297187 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que Mme PRALY a demandé à bénéficier du dispositif de désendettement des rapatriés
; que la Commission nationale de désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée
a, par une décision du 27 mai 2004, rejeté sa demande ; qu’après avoir saisi le Premier ministre d’un
recours administratif préalable demeuré sans réponse, Mme PRALY a exercé un recours contentieux à
l’encontre de la décision de la commission ; que le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté
sa demande par une ordonnance du 27 février 2006, confirmée en appel par une ordonnance du 3 juillet
2006 du président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux ;
Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 12 du décret du 4 juin 1999 relatif au
désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée : « Avant tout recours contentieux
dirigé contre une décision prise par la commission, un recours préalable doit être déposé par le
demandeur devant le ministre chargé des rapatriés » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en raison des
pouvoirs ainsi conférés au ministre, les décisions par lesquelles il rejette, implicitement ou expressément,
les recours introduits devant lui se substituent à celles de la Commission nationale de désendettement des
rapatriés réinstallés dans une profession non salariée ; que, par suite, les conclusions à fin d’annulation
dirigées, non contre la décision du ministre, mais contre la décision initiale de refus prise par la
commission, sont irrecevables ;
Considérant toutefois que, s’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’une décision qui ne peut
donner lieu à un recours devant le juge de l’excès de pouvoir qu’après l’exercice d’un recours administratif
préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir
exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l’y ait invité, produit la preuve de l’exercice de ce
recours ainsi que, s’il en a été pris une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge de l’excès de pouvoir
doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation
de la décision, née de l’exercice du recours, qui s’y est substituée ;
19
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la requérante a saisi le
Premier ministre, chargé des rapatriés, d’un recours contre la décision de refus de la commission, comme
elle en avait l’obligation ; que, du silence gardé par le Premier ministre pendant plus de deux mois, est née
une décision implicite de rejet qui s’est substituée à celle de la commission, avant que la requérante
n’introduise un recours contentieux devant le tribunal administratif ; que le dossier du premier juge
comprenait la lettre par laquelle Mme PRALY avait exercé son recours administratif ; que dès lors, en ne
regardant pas les conclusions à fin d’annulation présentées par la requérante comme étant dirigées contre la
décision du Premier ministre, le président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de
Bordeaux a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens du pourvoi, Mme PRALY est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée (…) ».
*
D. L’intérêt donnant qualité pour agir
Document 15
Fabrice Melleray, « A propos de l’intérêt donnant qualité pour agir en contentieux administratif », AJDA
2014 n° 1530.
« L’expression « moment 1900 » pourra dérouter le
lecteur. Elle est en effet plus familière des
historiens de la philosophie (v., not., F. Worms,
L’idée de moment 1900. Un problème
philosophique et historique, Le Débat, 2006,
n° 140, p. 172) que des amateurs de droit
administratif 1. Si elle n’est certes pas inconnue des
spécialistes de la pensée juridique, d’assez
nombreux travaux ayant montré comment et
pourquoi le tournant du XXe siècle est marqué par
une profonde mutation du champ doctrinal, on
voudrait ici l’utiliser pour désigner une période
durant laquelle, en l’espace de quelques années, la
jurisprudence du Conseil d’Etat a procédé à une
importante transformation du recours pour excès de
pouvoir, spécialement en élargissant
considérablement son acception de la notion
d’intérêt donnant qualité à agir.
Le présent propos sera donc essentiellement centré
sur le recours pour excès de pouvoir et, plus
largement, sur le contentieux de la légalité (incluant
également les variantes usuellement rattachées au
recours pour excès de pouvoir ainsi que ce que l’on
nomme désormais couramment les recours objectifs
de plein contentieux, H. Lepetit-Collin, Recherches
sur le plein contentieux objectif, LGDJ, 2011). Un
tel choix ne doit pas étonner. En effet, comme le
souligne René Chapus dès les premiers paragraphes
de son exposé de la jurisprudence relative à
l’intérêt donnant qualité à agir, celle-ci est
« extraordinairement abondante et nuancée, faite
bien souvent d’arrêts implicites, et dont la mise en
ordre en vue d’une présentation synthétique se
heurte aux plus grandes difficultés. Elle se rapporte
essentiellement à la recevabilité du recours pour
excès de pouvoir [...] La raison en est simple : il y
a rarement matière à douter que celui qui réclame
la reconnaissance d’un droit subjectif, dont il
s’affirme titulaire, n’ait pas un intérêt donnant
qualité à agir » (R. Chapus, Droit du contentieux
administratif, Montchrestien, 13e éd., 2008, n° 565;
v. égal., dans le même sens, M. Guyomar et B.
Seiller, Contentieux administratif, Dalloz, 2e éd.,
2012, n° 609). On comprend par conséquent
immédiatement pourquoi la question préoccupe
davantage les spécialistes de contentieux
administratif que leurs homologues férus de
procédure civile, ces derniers pouvant lui consacrer
des développements plus rapides dès lors que cette
problématique présente en la matière (où le
contentieux est très essentiellement subjectif) des
difficultés en principe moins importantes : « Le
contentieux privé n’est pas un contentieux de la
légalité ; l’action en justice ayant pour fondement
la protection des droits subjectifs » (H. Solus et R.
Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1961, t. 1, n°
241).
Il y a au moins deux manières principales d’aborder
l’histoire du droit administratif, comme il y a
d’ailleurs plusieurs façons d’envisager le droit
comparé. La première consiste à décrire et exposer
le droit positif applicable à une période donnée,
autrement dit à faire le même travail que
l’administrativiste contemporain mais à propos
d’un objet différent. La seconde vise à se saisir des
normes et constructions doctrinales classiques pour
éclairer et analyser les évolutions contemporaines
du droit positif. L’histoire peut ainsi soit servir à
20
connaître (et comprendre) le passé, soit être utilisée
plus directement pour analyser le présent, les deux
approches pouvant évidemment se combiner. On
voudrait ici s’inscrire dans la seconde démarche. Il
s’agira donc d’essayer de montrer comment, et
pourquoi, des choix ont été faits au début du XXe
siècle et de voir en quoi les évolutions
contemporaines du contentieux administratif sont
susceptibles de remettre en cause cette construction
ancienne.
Il est en effet assez frappant de constater que ce que
l’on nomme couramment le « libéralisme » du juge
administratif en matière d’appréciation de l’intérêt
pour agir en annulation est aujourd’hui discuté, au
moins dans certaines matières dont les enjeux
économiques et financiers sont essentiels, en
particulier dans le contentieux de l’urbanisme ou
dans celui des contrats administratifs. La question
se pose alors, pour paraphraser le président
Labetoulle évoquant le contentieux de l’urbanisme,
de savoir si ces évolutions s’inscrivent dans une
logique de « bande à part » ou d’« éclaireur » (D.
Labetoulle, Bande à part ou éclaireur ?, AJDA
2013. 1897). Autrement dit, va-t-on, ou doit-on,
changer de modèle, de cadre d’appréhension de
l’intérêt pour agir en annulation des décisions
administratives lato sensu (ce qui inclut désormais
aussi bien les actes administratifs unilatéraux que
les contrats administratifs, ces derniers étant des
décisions administratives au sens de l’article L.
521-1 du CJA depuis CE, ass., 16 juill. 2007,
n° 291545, Société Tropic travaux signalisation,
Lebon 360 avec les concl. D. Casas; AJDA 2007.
1577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; GAJA,
Dalloz, 19e éd., 2013, n° 113) ? Une telle
interrogation ne peut toutefois être posée que si
l’on raisonne de manière globale, et non pointilliste
(contentieux par contentieux), en ayant à l’esprit le
cadre général retenu à un moment donné de
l’histoire du développement du contentieux
administratif et perfectionné par la suite. Il convient
donc de présenter cette politique jurisprudentielle,
ce « moment 1900 » en matière d’intérêt donnant
qualité à agir, avant d’en envisager les suites.
I - UNE POLITIQUE JURISPRUDENTIELLE
L’expression politique jurisprudentielle,
notamment popularisée par Prosper Weil (Le
Conseil d’Etat statuant au contentieux : politique
jurisprudentielle ou jurisprudence politique ?,
Annales de la faculté de droit et des sciences
économiques d’Aix-en-Provence, 1959, n° 51, p.
281), est désormais courante. Elle désigne un
ensemble de décisions de principe s’inscrivant dans
une perspective commune, sous-tendues par des
objectifs convergents. Tel est assurément le cas du
« moment 1900 » en matière d’intérêt donnant
qualité à agir, les manifestations de cette politique
étant nombreuses et ses ressorts nettement
identifiables.
A. Manifestations
L’histoire du contentieux administratif est faite
sinon de cycles au moins de périodes où la
créativité du juge est variable. Il est acquis à cet
égard que si le recours pour excès de pouvoir s’est
considérablement développé, et clairement
individualisé, durant l’Empire libéral, les débuts de
la IIIe République ont été marqués par un certain
immobilisme (L. Imbert, L’évolution du recours
pour excès de pouvoir [1872-1900], thèse Paris,
1952). La jurisprudence semble alors au milieu du
gué en matière d’excès de pouvoir, hésitant à
rompre complètement le lien entre allégation de la
violation d’un droit et recevabilité dudit recours. En
témoigne assez clairement le Traité de la juridiction
administrative et des recours contentieux
d’Edouard Laferrière où l’éminent auteur écrit
qu’en matière d’excès de pouvoir, l’invocation d’un
intérêt direct et personnel est suffisante, la
revendication d’un droit n’étant pas exigée. Mais,
ajoute-t-il immédiatement, « l’idée de droit lésé,
cette idée-mère de tout le contentieux administratif,
apparaît aussi dans la matière de l’excès de
pouvoir : sans doute, en présence d’actes
discrétionnaires, on n’a pas le droit d’exiger que
l’autorité prononce dans tel ou tel sens, mais on a
le droit d’exiger qu’elle prononce dans les formes
de droit et dans les limites de sa compétence ». Et,
en toute hypothèse, « tous ceux qui font partie
d’une collectivité peuvent bien agir ut singuli à
raison de leurs intérêts particuliers, mais ils ne
peuvent pas agir ut universi pour la défense
d’intérêts généraux qu’ils n’ont pas mission de
défendre » (E. Laferrière, Traité de la juridiction
administrative et des recours contentieux, t. 2, 1re
éd., 1888, réimpr. LGDJ, 1989, p. 405 et s.). Ces
hésitations ne sont au demeurant nullement
mystérieuses. Etendre très largement la recevabilité
du recours pour excès de pouvoir, rompre tout lien
avec l’invocation d’un droit, revient dans la logique
de l’époque à remettre en cause la nature
juridictionnelle (au moins d’un point de vue
matériel) de cette voie de droit puisque les notions
de contentieux et de violation d’un droit subjectif
paraissent alors former un couple inséparable (v. à
21
cet égard, par ex., les références citées par J.
Chevallier, L’élaboration historique du principe de
séparation de la juridiction administrative et de
l’administration active, LGDJ, 1970, p. 263 et s.).
Le Conseil d’Etat va finalement franchir le pas par
une série d’arrêts passés à la postérité. Le premier
est probablement l’arrêt Casanova de 1901 dont
Maurice Hauriou signalait, dès les premières lignes
de sa note au Sirey, qu’il constituait une décision
qui « ne saurait être trop tôt signalée » (CE 29
mars 1901, n° 94580, Lebon 333; S. 1901. III. 73,
note M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 8). Le Conseil
d’Etat y admet, en effet, qu’un contribuable a
intérêt pour agir contre une décision intéressant les
dépenses de sa commune (v. pour les contribuables
départementaux, CE 27 janv. 1911, Richemond,
Lebon 105, concl. J. Helbronner). La fin de non-
recevoir tirée du défaut d’intérêt des requérants est
ainsi sobrement rejetée : « Considérant que la
délibération attaquée a pour objet l’inscription
d’une dépense au budget de la commune
d’Olmeto ; que les requérants, contribuables dans
cette commune, ont intérêt, en cette qualité, à faire
déclarer cette délibération nulle de droit ». Les
électeurs bénéficieront ensuite d’une jurisprudence
comparable avec l’arrêt Sieurs Chabot et autres (CE
7 août 1903, Lebon 619) par lequel le Conseil
d’Etat admet « que les requérants, électeurs dans la
commune de Saint-Xandre, ont un intérêt direct et
personnel à obtenir l’annulation des délibérations
sectionnant cette commune » (la solution vaut
également pour les communes elles-mêmes, CE 24
juill. 1903, Commune de Massat, Lebon 536). Les
relations entre l’Etat et les communes, ainsi que
celles au sein même des organes délibérants de ces
dernières sont également concernées par ce
mouvement. L’arrêt Maire de Néris-les-Bains c/
Préfet de l’Allier (CE 18 avr. 1902, n° 04749,
Lebon 275 ; S. 1902. III. 81, note M. Hauriou) est
notamment passé à la postérité pour sa contribution
à la théorie des concours de police (« aucune
disposition n’interdit au maire d’une commune de
prendre sur le même objet et pour sa commune, par
des motifs propres à cette localité, des mesures plus
rigoureuses »). Il est d’abord remarquable en ce
qu’il admet la recevabilité du recours formé par,
pour le dire avec les mots d’Hauriou, « une autorité
subordonnée contre un arrêté de l’administration
supérieure annulant un de ses actes ». Est tout
aussi significatif l’arrêt Sieurs Bergeon, Dalle et
autres (CE 1er mai 1903, n° 09132, Lebon 324 ; S.
1905. III. 1, note M. Hauriou) où le Conseil d’Etat
affirme que « les requérants, agissant comme
conseillers municipaux, soutiennent que la
délibération attaquée a fait obstacle à l’exercice de
leur mandat et méconnu les dispositions de loi qui
en garantissent l’accomplissement ; qu’ainsi, ils
ont intérêt et qualité, et que leur requête est
recevable ». Cette solution est d’autant plus
intéressante qu’elle rompt avec une option
clairement systématisée par Laferrière : « Les
membres des corps électifs ne peuvent pas [...]
assimiler à un intérêt personnel l’intérêt qu’ils
portent, à raison de leur mandat, aux affaires qu’ils
contribuent à administrer » (Traité, t. 2, préc., p.
412).
Les fonctionnaires et agents publics ne sont pas en
reste à compter des arrêts Lot c/ Dejean (CE 11
déc. 1903, n° 10211, Lebon 780 ; GAJA, préc., n°
12), Molinier, Lelong et autres c/ Pol-Neveux (CE
11 déc. 1903, Lebon 782) réunis avec l’arrêt Savary
(CE 18 mars 1904, Lebon 232, concl. G. Teisier)
dans une seule note par Maurice Hauriou (S. 1904.
III. 113) où il met en évidence comment « une
évolution de jurisprudence s’est achevée sur la
grave question de savoir si des fonctionnaires d’un
certain ordre ont qualité pour attaquer, pour fausse
application de la loi, les nominations des
fonctionnaires du même ordre, faites en violation
des règlements ».
On ne saurait également oublier les usagers du
service public avec l’arrêt Syndicat des
propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-
Seguey-Tivoli à Bordeaux (CE 21 déc. 1906, n°
19167, Lebon 962, concl. J. Romieu; S. 1907. III.
33, note M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 16), dont le
président était Léon Duguit, décision admettant
qu’une telle association constituée « en vue de
pourvoir à la défense des intérêts du quartier, d’y
poursuivre toutes les améliorations de voirie,
d’assainissement et d’embellissement », avait
intérêt à contester le refus du préfet d’user de ses
pouvoirs « pour assurer le fonctionnement du
service des tramways, afin d’obliger la Compagnie
des tramways électriques de Bordeaux à reprendre
l’exploitation » d’un tronçon de ligne. L’intérêt
pour agir des groupements n’échappe ainsi pas
davantage à ce mouvement, qu’on songe à l’arrêt
Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (CE 28
déc. 1906, n° 25521, Lebon 977, concl. J. Romieu;
RD publ. 1907. 25, note G. Jèze ; GAJA, préc.,
n° 17) éclairé par les conclusions de Jean Romieu
où sont distinguées, solution qui demeure en partie
actuelle, la contestation des actes « positifs » et
celle des actes « négatifs ».
22
Cette salve d’arrêts est d’autant plus importante
qu’elle s’inscrit dans un mouvement plus général
de renforcement du contrôle du juge de l’excès de
pouvoir (v., pour un ample panorama, F. Burdeau,
Histoire du droit administratif, PUF, 1995, p. 261 et
s.) : élargissement de la liste des actes susceptibles
d’un tel recours, notamment avec le développement
de la théorie de l’acte détachable (en particulier en
matière contractuelle, CE 4 août 1905, n° 14220,
Martin, Lebon 749, concl. J. Romieu ; RD publ.
1906. 249, note G. Jèze ; S. 1906. III. 49, note M.
Hauriou ; GAJA, préc., n° 15) ou au moyen de la
jurisprudence Lafage sur la base de laquelle
certains actes à objet pécuniaire peuvent faire
l’objet d’un recours en annulation (CE 8 mars
1912, n° 42612, Lebon 348, concl. G. Pichat ; RD
publ. 1912. 266, note G. Jèze ; S. 1913. III. 1, note
M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 23) ;
approfondissement de l’examen de la légalité
interne des actes, qu’on songe à l’abandon de la
« théorie » des actes discrétionnaires (CE 31 janv.
1902, n° 01919, Grazietti, Lebon 55 ; S. 1903. III.
113, note M. Hauriou), au développement du
contrôle de la qualification juridique des faits (CE 4
avr. 1914, n° 55125, Gomel, Lebon 488 ; S. 1917.
III. 25, note M. Hauriou ; GAJA, préc., n° 28) ou à
celui de l’exactitude matérielle des faits (not.
illustré par CE 14 janv. 1916, n° 59619, Camino,
Lebon 15 ; RD publ. 1917. 463, concl. L. Corneille
et note G. Jèze ; GAJA, préc., n° 29). Bref, Georges
Pichat pouvait affirmer en 1912, dans ses
conclusions sur l’affaire Lafage, que le recours
pour excès de pouvoir est « un instrument mis à la
portée de tous, pour la défense de la légalité
méconnue ».
B. Ressorts
Il n’est probablement pas inutile de distinguer ici
les objectifs poursuivis par le juge du cadre
théorique qui a permis, ou à tout le moins facilité,
cette politique jurisprudentielle. Jurisprudence et
doctrine entretiennent, en effet, sur cette question,
comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs, une forme
de relation dialectique. L’évolution de la première
amène, en effet, la seconde à modifier ses cadres
d’analyse et à inventer de nouvelles constructions
qui permettent de consolider, voire d’amplifier les
mouvements jurisprudentiels.
Les objectifs poursuivis par le Conseil d’Etat ne
sont guère mystérieux. Ils sont au contraire
clairement résumés par Maurice Hauriou, dès 1904,
dans sa note sous les arrêts Commune de Massat et
Chabot (S. 1904. III. 1) : « Bien des gens
considèrent encore l’intérêt direct et personnel, qui
rend recevable à intenter le recours pour excès de
pouvoir, comme devant être en effet strictement
personnel au réclamant, c’est-à-dire comme ne
devant pas être un intérêt d’ordre public. Par voie
de conséquence, ils considèrent le recours pour
excès de pouvoir comme un recours essentiellement
individuel, non point comme une sorte d’action
publique que l’intéressé serait chargé d’intenter
dans l’intérêt de tous [...]. Or, cette conception est
condamnée en plein » par les jurisprudences
Chabot et Casanova. Selon Maurice Hauriou, « on
se rendra compte que la conception strictement
individualiste du recours pour excès de pouvoir ne
peut plus être maintenue. Il devient évident qu’en
effet le recours est un moyen de bonne
administration, une procédure contentieuse
d’introspection administrative, que c’est une sorte
d’action publique ou populaire, et que l’individu
qui la met en mouvement agit dans l’intérêt de tous.
Il faut toujours qu’il ait un intérêt personnel à agir,
mais il n’est plus soutenable que cet intérêt
personnel doive lui être exclusivement particulier.
Ce peut être un intérêt qui lui soit commun avec
tous les membres d’une collectivité ; il suffit qu’il
se réalise en sa personne comme en la personne
des autres, ni plus ni moins ». Et Hauriou de
prolonger quelques lignes plus loin le raisonnement
en soulignant que « la juridiction de l’excès de
pouvoir est la garantie suprême de la bonne
administration, et [...] l’intérêt même de
l’administration peut exiger qu’elle soit développée
et étendue ».
Très significatives sont également sept ans plus tard
les conclusions de Jacques Helbronner sur l’arrêt
Richemond où il affirme aux membres de la
formation de jugement : « Votre jurisprudence n’a
pas hésité à étendre à tous ceux qui justifient d’un
intérêt direct et personnel, si minime soit-il, ce
droit de recourir à la haute juridiction
administrative contre tout acte ou toute décision
présentant le caractère d’un acte administratif. En
accomplissant cette œuvre de justice, vous avez
réalisé lentement, sans grand bruit, une réforme
sage dans un sens vraiment démocratique, puisque
vous avez ainsi permis aux citoyens d’exercer un
contrôle légal sur les actes des autorités qui les
administrent et qui les représentent » (concl. préc.,
p. 107).
On retrouve ici, sous une forme modernisée, la
théorie du recours pour excès de pouvoir « soupape
de sûreté » du régime politique développée dans les
années 1860. René Jacquelin l’avait au demeurant
23
parfaitement perçu, soulignant qu’« à l’instar du
Conseil d’Etat du régime impérial, le Conseil
d’Etat du régime républicain a donc usé du recours
pour excès de pouvoir comme d’un vrai moyen de
gouvernement, en vue du redressement des torts
causés, et cela dans l’intérêt de la bonne
administration de la République plus encore que
dans l’intérêt de l’individu, qui ne trouve
satisfaction en quelque sorte que par surcroît.
Comme après 1860, la soupape de sûreté a joué
après 1900 » (Droit administratif, Coll. Les cours
de droit, 1934, p. 346).
Suite au mouvement initié par l’arrêt Casanova, la
doctrine se trouve devant l’alternative suivante :
soit elle persiste à considérer qu’il n’y a de
contentieux que lorsqu’est alléguée la violation
d’un droit subjectif, ce qui l’amène alors soit à nier
le caractère matériellement juridictionnel du
recours pour excès de pouvoir (et à y voir un
recours administratif) soit à retenir une définition
extraordinairement extensive de la notion de droit
subjectif ; soit elle décide d’élargir la notion de
contentieux. C’est cette dernière option qui va être
ouverte par Hauriou, puis prolongée par Duguit, et
qui va s’imposer. Hauriou va, en effet, consacrer
une importante analyse aux Eléments du
contentieux (Recueil de l’Académie de législation
de Toulouse, 1905, p. 1), étude qui « a eu le grand
mérite de mettre en relief l’existence d’une
juridiction objective à côté de la juridiction
subjective » (H. Vizioz, Etudes de procédure, Bière,
1956, p. 123). Il y retient une définition large de la
notion de contentieux, caractérisé comme « une
contestation que les parties ont accepté de
soumettre à un juge public, afin que celui-ci trouve
une solution pacifique » (ce qui exclut d’ailleurs,
notons-le au passage, l’existence d’un contentieux
non juridictionnel). Il devient alors possible de
considérer que le recours pour excès de pouvoir est
un recours contentieux sans pour autant que sa
recevabilité soit conditionnée à la revendication
d’un droit subjectif. La voie d’une théorisation de
la dichotomie contentieux objectif/contentieux
subjectif est ouverte et sera ensuite très rapidement
empruntée par Duguit qui affirme notamment que
« le recours pour excès de pouvoir étant une voie
de droit objective, ayant uniquement pour objet
l’annulation d’un acte objectif fait en violation de
la légalité, le requérant est recevable à le former,
alors même qu’il ne prétend et ne peut prétendre à
aucun droit lésé par l’acte attaqué ; qu’un simple
intérêt, même un intérêt moral largement apprécié,
suffit pour que le recours soit recevable » (Traité
de droit constitutionnel, de Boccard, 3e éd., 1930, t.
III, p. 773). La doctrine organique fera sienne cette
affirmation comme l’illustre s’il en était besoin le
Cours du président Odent : « Le contentieux de
l’excès de pouvoir est un contentieux objectif ; la
recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir
n’est pas subordonnée à la condition que le
requérant se prévale d’un droit lésé ; le recours
pour excès de pouvoir est traditionnellement très
largement ouvert » (Contentieux administratif,
réimpr. Dalloz, 2007, t. 2, p. 255).
II - LES SUITES DE CETTE POLITIQUE
JURISPRUDENTIELLE
S’il a suffi de quelques années au Conseil d’Etat
pour profondément renouveler au début du XXe
siècle les contours de l’intérêt donnant qualité à
agir, et si les arrêts de principe ci-dessus
mentionnés demeurent largement valables, comme
l’illustre le fait que plusieurs d’entre eux ont encore
les honneurs des Grands arrêts de la jurisprudence
administrative, le droit positif a connu différentes
évolutions qui ne sont pas négligeables, et qui
pourraient même s’avérer importantes. On constate,
en effet, que l’intérêt pour agir a non seulement
connu différents approfondissements mais fait
également désormais l’objet, au moins dans
certains chapitres du droit administratif, d’une
remise en cause.
A. Approfondissements
Il est tout d’abord indéniable, comme n’avait
d’ailleurs pas manqué de le relever le président
Odent, que la jurisprudence n’est pas allée au bout
de la logique objective : « Les citoyens, les
administrés ne sont pas, en ces seules qualités,
recevables à se pourvoir contre toute décision de
l’administration » (idem). Cette solution,
notamment illustrée par le fameux arrêt Gicquel à
propos duquel le président Chenot raillait dans ses
conclusions l’embarras des faiseurs de système, ne
repose pas sur un fondement conceptuel ou
théorique comme l’affirmait d’ailleurs le
commissaire du gouvernement. Celui-ci soulignait
qu’« il n’y a pas [...] d’objection théorique valable
contre l’“action populaire”, sinon la considération
du trouble qu’engendrerait dans le fonctionnement
des juridictions, comme dans la marche des
administrations, une jurisprudence qui autoriserait
n’importe qui à se pourvoir contre n’importe quoi.
Et, en droit public au moins, le trouble social prend
la valeur d’un argument de droit » (concl. sur CE
10 févr. 1950, Gicquel, Lebon 100).
24
Il en résulte une jurisprudence présentant deux
caractéristiques : un « libéralisme indéniable » (R.
Chapus, préc.), d’une part, et un caractère
malaisément synthétisable, d’autre part. Il suffit
pour se convaincre de ce libéralisme, étant relevé
que l’intérêt pour agir est en principe apprécié par
le juge à la date d’exercice du recours (CE 6 oct.
1965, n° 61217, Marcy, Lebon 493) et que le juge
s’en tient à l’intérêt invoqué par le requérant (celui-
ci pouvant toutefois en cours d’instance, et même
en appel, se réclamer d’un intérêt différent de celui
initialement invoqué : CE 3 mai 1993, n° 124888,
Société industrielle de construction, Lebon T. 941),
de songer au sieur Abisset invoquant avec succès sa
qualité de campeur pour contester un arrêté du
maire de Nesles-la-Vallée prévoyant notamment
que « l’exercice « d’un camping honnête et
correct » serait subordonné à des autorisations
spéciales et temporaires » (CE, sect., 14 févr. 1958,
Sieur Abisset, Lebon 98, concl. M. Long). Comme
le relevait le président Long dans ses conclusions,
ce « membre actif du Groupe des randonneurs
pédestres du Touring Club de France » n’avait
jamais cherché à planter sa toile de tente sur le
territoire de cette commune. Il n’en est pas moins
recevable à contester cet arrêté dès lors que
« l’éventualité de son passage, au cours d’une
randonnée, sur le territoire de la commune ne peut
être regardée ni comme improbable ni comme
imprécise. Nous sommes même convaincus que
cette probabilité est devenue certitude depuis que
la sévérité du maire de Nesles-la-Vallée a attiré
l’attention de notre campeur sur sa commune qui
doit tourmenter le sieur Abisset comme les délices
du paradis perdu. Le requérant éprouve donc
d’ores et déjà une gêne, qui est constitutive d’une
lésion, et génératrice d’un intérêt de nature à
ouvrir à l’intéressé le recours pour excès de
pouvoir ». De même, le sieur Da Silva, travailleur
portugais disposant à la date de sa requête d’une
carte de travail et d’une carte de séjour valables
plusieurs années, n’en justifiait pas moins d’un
intérêt pour agir contre des circulaires concernant la
situation en France des salariés étrangers,
circulaires « susceptibles de lui être opposées » lors
du renouvellement de ses titres (CE 13 janv. 1975,
n° 90193, Da Silva, Confédération française
démocratique du travail, Lebon 16).
Le caractère malaisément synthétisable de la
jurisprudence n’est pas plus contestable que son
libéralisme : « L’idée générale qui sous-tend la
jurisprudence est qu’il faut qu’il y ait un lien
suffisamment étroit entre la situation du requérant
et la mesure attaquée. Mais il faut bien avoir
conscience que, quand on dit cela, on n’a pas dit
grand-chose » (M. Rougevin-Baville, R. Denoix de
Saint Marc et D. Labetoulle, Leçons de droit
administratif, Hachette, 1989, p. 443). On ne
s’étonnera donc pas que les auteurs ayant consacré
des développements nourris à cette question en
soient réduits, pour offrir la vue la plus fidèle
possible du droit positif, à proposer des formes de
catalogues précédés de considérations générales
plus ou moins détaillées. La continuité de la
méthode est à cet égard frappante, à plusieurs
décennies d’intervalle, entre Raphaël Alibert (Le
contrôle juridictionnel de l’administration au
moyen du recours pour excès de pouvoir, Payot,
1926, p. 96 et s.), Raymond Odent (Contentieux
administratif, t. II, préc., p. 265 et s.), Jean- Marie
Auby et Roland Drago (Traité de contentieux
administratif, LGDJ, t. 2, 3e éd., 1984, nos 1113 et
s.) et René Chapus (Droit du contentieux
administratif, préc., nos 566 et s.), même si les
modalités de présentation ordonnée de la matière ne
sont pas les mêmes.
Il convient enfin de relever que la jurisprudence a
eu l’occasion, à compter des années 1950 et très
essentiellement à propos du recours pour excès de
pouvoir, d’affirmer de manière expresse que
l’invocation d’un moyen n’est pas conditionnée à la
justification d’un intérêt en lien avec celui-ci. Bien
au contraire, dès lors qu’il justifie d’un intérêt pour
agir déterminé au regard de ses seules conclusions,
le requérant peut invoquer tout moyen. C’est ainsi
que le sieur Israël a pu invoquer, avec succès
d’ailleurs, comme moyen unique celui tiré de la
composition irrégulière d’un organisme collégial
qui avait proposé en première ligne sa nomination
aux fonctions de directeur général du service
d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes,
le gouvernement ayant finalement retenu le
candidat inscrit en seconde ligne par cet organisme
(CE 15 mars 1957, Israël, Lebon 174). De même
l’assemblée du contentieux a-t-elle annulé un
jugement par lequel le tribunal administratif de
Versailles avait déclaré un propriétaire concerné
par une déclaration d’utilité publique (et ayant donc
intérêt à la contester) irrecevable à se prévaloir de
l’existence dans le périmètre de celle-ci d’un terrain
militaire au motif qu’il n’établissait pas avoir
obtenu un droit d’occupation dudit terrain (CE,
ass., 6 juill. 1973, n° 79752, Michelin et Veyret,
Lebon 481 ; AJDA 1973. 587, chron. M. Franc et
M. Boyon). Un avis contentieux plus récent, pour
se limiter ici à un troisième exemple, s’inscrit
également dans cette perspective, affirmant qu’un
syndicat « qui a intérêt à demander l’annulation de
25
la décision [...], est, dès lors, recevable à se
prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de
tout moyen de légalité à l’appui de sa demande. En
conséquence, il est recevable à invoquer un moyen
tiré de ce que les dispositions [...] [d’une loi]
devraient être écartées comme portant atteinte au
principe du droit à un procès équitable énoncé par
les stipulations de l’article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, nonobstant la
circonstance que ses propres droits patrimoniaux
ne seraient pas directement affectés par la mesure
litigieuse » (CE 16 févr. 2001, n° 226155, Syndicat
des compagnies aériennes autonomes, Lebon 69 ;
AJDA 2002. 341, note D. Sabourault). Cette
solution s’inscrit clairement dans une logique
objective, comme l’a récemment noté Bertrand
Dacosta, soulignant toutefois à propos de cette
« idée selon laquelle l’intérêt pour agir s’apprécie
au regard des conclusions de la demande, et non
des moyens » que « sa portée [...] paraît
surestimée. Elle trouve sa pleine justification dans
le contentieux de l’excès de pouvoir, contentieux
objectif de la légalité » (concl. sur CE, ass., 4 avr.
2014, Département de Tarn-et-Garonne, BJCP
2014. 204).
On mesure ici la différence existant entre le droit
français et le droit allemand, sous-tendu par une
logique subjective où l’administré ne peut
valablement invoquer que les normes créant à son
bénéfice des droits subjectifs, et ce même dans le
contentieux de l’annulation. Ainsi, et pour prendre
un exemple concret, l’action en annulation formée
par un voisin contre une autorisation de construire
n’est recevable outre-Rhin que si le requérant « fait
valoir que l’autorisation de construire viole une
règle de droit qui le protège en sa qualité de
voisin » (H. Maurer, Droit administratif allemand,
trad. M. Fromont, LGDJ, 1995, p. 160). Une telle
solution, si elle devait se développer en droit
français, remettrait en cause la logique du
« moment 1900 ».
B. Remise en cause ?
Nul n’ignore que l’heure est aujourd’hui davantage
à la valorisation de la stabilité des situations
juridiques (volet essentiel de la sécurité juridique)
qu’à une application mécanique du principe de
légalité, qu’on songe, pour ne citer que deux
exemples emblématiques, aux jurisprudences
Association AC ! (CE, ass., 11 mai 2004, n°
255886, Lebon 197 avec les concl. Ch. Devys;
AJDA 2004. 1183, chron. C. Landais et F. Lenica ;
GAJA, préc., n° 110) et Danthony (CE, ass., 23
déc. 2011, n° 335033, Lebon 649 ; AJDA 2012.
195, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; GAJA,
préc., n° 118).
De même, tout observateur attentif mesure
désormais parfaitement comment l’exercice du
droit d’agir en justice peut s’avérer dans certaines
hypothèses un moyen commode de freiner, voire
d’empêcher la réalisation de projets privés ou
publics ou encore d’en tirer profit. Le contentieux
de l’annulation est alors une arme au service
d’intérêts n’ayant qu’un lointain rapport avec la
défense de la légalité, qu’il s’agisse d’attaquer un
permis de construire pour ensuite monnayer un
désistement ou de contester la procédure de
passation d’un marché public pour en renchérir le
coût, en retarder l’exécution ou pour contrarier un
concurrent. Il n’est donc pas étonnant que la
logique issue du « moment 1900 » ait été amendée
en matière d’installations classées pour la
protection de l’environnement, d’urbanisme ou
encore de contrats. Le droit des installations
classées pour la protection de l’environnement fait
ici figure de pionnier, avec les dispositions de
l’article L. 514-6 III du code de l’environnement,
article qui dispose que « les tiers qui n’ont acquis
ou pris à bail des immeubles ou n’ont élevé des
constructions dans le voisinage d’une installation
classée que postérieurement à l’affichage ou à la
publication de l’acte portant autorisation ou
enregistrement de cette installation ou atténuant les
prescriptions primitives ne sont pas recevables à
déférer ledit arrêté à la juridiction administrative
», et celles désormais codifiées à l’article R. 514-3-
1 du même code suivant lequel les tiers ne justifient
d’un intérêt pour agir leur permettant de former un
recours de pleine juridiction contre les décisions
prises en matière d’installations classées pour la
protection de l’environnement qu’« en raison des
inconvénients ou des dangers que le
fonctionnement de l’installation présente pour les
intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-
1 » dudit code. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que «
les tiers personnes physiques qui contestent une
décision prise au titre de la police des installations
classées justifient d’un intérêt suffisamment direct
leur donnant qualité pour en demander
l’annulation, compte tenu des inconvénients et
dangers que présente pour eux l’installation en
cause, appréciés notamment en fonction de la
situation des intéressés et de la configuration des
lieux » (CE 13 juill. 2012, n° 339592, Société
Moulins Soufflet c/ Ministre d’Etat, ministre de
l’écologie, de l’énergie, du développement durable
26
et de la mer, en charge des technologies vertes et
des négociations sur le climat, Lebon T. 868 ;
AJDA 2012. 1432) et qu’un établissement
commercial n’a intérêt pour agir « que dans les cas
où les inconvénients ou les dangers que le
fonctionnement de l’installation classée présente
pour les intérêts visés à l’article L. 511-1 sont de
nature à affecter par eux-mêmes les conditions
d’exploitation de cet établissement commercial ;
qu’il appartient à ce titre au juge administratif de
vérifier si l’établissement justifie d’un intérêt
suffisamment direct lui donnant qualité pour
demander l’annulation de l’autorisation en cause,
compte tenu des inconvénients et dangers que
présente pour lui l’installation classée, appréciés
notamment en fonction de ses conditions de
fonctionnement, de la situation des personnes qui le
fréquentent ainsi que de la configuration des lieux
» (CE 30 janv. 2013, n° 347347, Société Nord
Broyage, Lebon T. ; AJDA 2013. 262).
Le droit de l’urbanisme, dont le contentieux se
singularise depuis une vingtaine d’années
maintenant par L’heure est aujourd’hui davantage à
la valorisation de la stabilité des situations
juridiques qu’à une application mécanique du
principe rapport aux règles « ordinaires » du
contentieux administratif, n’est pas en reste. Alors
que l’intérêt s’apprécie en principe à la date de la
requête, l’article L. 600-1-1 du code de
l’urbanisme, issu de la loi du 13 juillet 2006,
prévoit qu’« une association n’est recevable à agir
contre une décision relative à l’occupation ou à
l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de
l’association en préfecture est intervenu
antérieurement à l’affichage en mairie de la
demande du pétitionnaire », ce évidemment pour
éviter la constitution d’associations de
circonstances créées suite à la délivrance d’un titre.
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question
prioritaire de constitutionnalité, a donné un brevet
de constitutionnalité à cette disposition législative
(qui ne viole pas l’art. 6 § 1er de la Conv. EDH
selon CAA Bordeaux, 3 févr. 2009, n° 08BX00890,
Association défense environnement Vent de la
Gartempe, RDI 2009. 559, obs. P. Soler-Couteaux ;
JCP Adm. 2009, n° 2155, chron. B. Pacteau). Le
Conseil a considéré en particulier que « le
législateur a souhaité empêcher les associations,
qui se créent aux seules fins de s’opposer aux
décisions individuelles relatives à l’occupation ou
à l’utilisation des sols, de contester celles-ci ;
qu’ainsi, il a entendu limiter le risque d’insécurité
juridique » et que cette « restriction ainsi apportée
au droit au recours [...] ne porte pas d’atteinte
substantielle au droit des associations d’exercer
des recours » (Cons. const. 17 juin 2011, n° 2011-
138 QPC, Association Vivraviry, AJDA 2011.
1228; D. 2011. 1942, note O. Le Bot, et 2694, obs.
F. G. Trébulle ; RDI 2011. 465, obs. P. Soler-
Couteaux ; Constitutions 2011. 577, chron. A.
Faro).
Ensuite, et surtout, la récente ordonnance n° 2013-
638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de
l’urbanisme (La réforme du contentieux de
l’urbanisme, dossier, AJDA 2013. 1896) apporte un
double amendement aux règles générales. L’un vise
à inciter le juge administratif à entendre de manière
plus restrictive l’intérêt pour agir des personnes
privées hormis les associations (art. L. 600-1-2 C.
urb. : « Une personne autre que l’Etat, les
collectivités territoriales ou leurs groupements ou
une association n’est recevable à former un
recours pour excès de pouvoir contre un permis de
construire, de démolir ou d’aménager que si la
construction, l’aménagement ou les travaux sont de
nature à affecter directement les conditions
d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien
qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour
lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de
bail ou d’un contrat préliminaire mentionné à
l’article L. 261-15 du code de la construction et de
l’habitation »). L’avenir dira si cette rédaction
constituera un « point d’appui pour donner plus de
hardiesse aux juridictions dans le sens d’une
restriction de l’intérêt à agir » (J. Tremeau, La
régulation de l’accès au prétoire : la redéfinition de
l’intérêt à agir, AJDA 2013. 1901). Tel était, en
tout cas, le vœu du groupe de travail présidé par
Daniel Labetoulle (dont l’ordonnance s’inspire très
largement) qui estimait que l’équilibre envisagé par
cette disposition « ne se démarque pas franchement
de la jurisprudence qui s’est développée en
l’absence de texte, et ne le pourrait d’ailleurs pas
sans toucher à des principes supérieurs [...] mais
sa consécration législative serait sans doute reçue
par les juridictions comme un signal les invitant à
retenir une approche un peu plus restrictive de
l’intérêt pour agir » (Construction et droit au
recours: pour un meilleur équilibre, avr. 2013,
dactyl., p. 8). L’autre amendement concerne la date
à laquelle s’apprécie l’intérêt pour agir contre un
permis de construire, de démolir ou d’aménager,
qui sera désormais non plus celle du dépôt de la
requête mais, sauf à ce que le requérant justifie de
circonstances particulières, celle de la date
d’affichage en mairie de la demande du
pétitionnaire (art. L. 600-1-3), cette mesure
s’inscrivant dans la même logique que celle initiée
27
pour les associations par la loi du 13 juillet 2006.
Le Conseil d’Etat a récemment considéré que les
dispositions des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 «
affectent la substance du droit de former un
recours pour excès de pouvoir contre une décision
administrative », ce qui justifie qu’elles soient « en
l’absence de dispositions contraires expresses,
applicables aux recours formés contre les décisions
intervenues après leur entrée en vigueur » (CE 18
juin 2014, n° 376113, SCI Mounou, AJDA 2014.
1292 ; D. 2014. 1378).
Le contentieux de la légalité des contrats
administratifs s’inscrit désormais plus nettement
encore dans une perspective de rupture par rapport
à la logique du « moment 1900 ». On se souvient
que l’arrêt SMIRGEOMES avait ouvert la voie en
2008 en procédant à une lecture littérale de l’article
L. 551-1 du code de justice administrative et en
considérant – en matière de référé précontractuel –
que « les personnes habilitées à agir pour mettre
fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses
obligations de publicité et de mise en concurrence
sont celles susceptibles d’être lésées par de tels
manquements ; qu’il appartient dès lors au juge
des référés précontractuels de rechercher si
l’entreprise qui le saisit se prévaut de
manquements qui, eu égard à leur portée et au
stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont
susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser,
fût-ce de façon indirecte en avantageant une
entreprise concurrente » (CE, sect., 3 oct. 2008, n°
305420, Syndicat mixte intercommunal de
réalisation et de gestion pour l’élimination des
ordures ménagères du secteur est de la Sarthe
[SMIRGEOMES], Lebon 324 avec les concl. B.
Dacosta ; AJDA 2008. 2161, chron. E. Geffray et
S.-J. Lieber, et 2374, étude P. Cassia ; RDI 2008.
499, obs. S. Braconnier ; RFDA 2008. 1128, concl.
B. Dacosta, et 1139, note P. Delvolvé). Cette
solution, que l’on y voie une nouvelle forme
d’irrecevabilité ou une inopérance (v. sur ce débat,
L. Richer, Droit des contrats administratif, LGDJ,
8e éd., 2012, n° 295), s’inscrit en tout état de cause
dans une logique indéniablement subjective. Les
conclusions de Bertrand Dacosta n’en font au
demeurant pas mystère : il ne s’agit pas de
considérer que « le référé précontractuel aurait
pour fonction d’assurer le respect objectif de la
légalité, du moins de l’ensemble des règles
relatives à la concurrence et à la publicité » mais
bien au contraire de restituer à cette voie de droit
son caractère de « recours de plein contentieux
destiné à protéger les intérêts de celui qui le forme
». La voie initiée en 2008 a été, comme chacun sait,
prolongée – sans base textuelle cette fois-ci – par le
récent arrêt Département de Tarn-et-Garonne (CE,
ass., 4 avr. 2014, n° 358994, Lebon; AJDA 2014.
1035, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, et 945,
tribune S. Braconnier ; D. 2014. 1179, note M.
Gaudemet et A. Dizier ; RDI 2014. 344, obs. S.
Braconnier ; RFDA 2014. 425, concl. B. Dacosta,
et 438, note P. Delvolvé; BJCP 2014. 204, concl. B.
Dacosta, et 219, note Ph. Terneyre) qui est
doublement intéressant du point de vue de la
théorie de l’intérêt pour agir. Cet arrêt d’assemblée
prévoit en effet, pour l’avenir, un unique recours
direct des tiers contre le contrat administratif
(réserve probablement faite des contrats de
recrutement d’agents publics où le recours pour
excès de pouvoir est ouvert depuis un arrêt ayant
pris soin de souligner qu’il convenait en la matière
de justifier d’un « intérêt suffisant », CE, sect., 30
oct. 1998, n° 149662, Ville de Lisieux, Lebon 375
avec les concl. J.-H. Stahl ; AJDA 1998. 1041, et
969, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; D. 1998.
258; AJFP 1999. 4, note P. Boutelet, et 5 ; RFDA
1999. 128, concl. J.-H. Stahl, et 139, note D.
Pouyaud) en lieu et place des recours auparavant
ouverts contre les actes détachables préalables à la
conclusion du contrat et contre le contrat lui-même
(pour les seuls concurrents évincés depuis 2007 et
pour le préfet depuis 1982).
Cette apparente avancée du droit au recours
(puisqu’un recours direct contre le contrat est offert
à de nouveaux tiers) s’accompagne en réalité d’une
double restriction. La première tient au fait qu’alors
que la jurisprudence Martin, relative à la
contestation des actes détachables, était en principe
très largement accessible, la nouvelle voie de droit
ne vaudra (réserve faite des cas du préfet et des élus
locaux) que pour tout tiers « susceptible d’être lésé
dans ses intérêts de façon suffisamment directe et
certaine » par la passation ou les clauses du contrat.
Et ce alors même que la jurisprudence Martin sera
désormais fermée à tous (sauf au préfet et aux élus
locaux). Il en résulte donc que si l’on ouvre une
nouvelle voie de droit à certains, on ferme toute
voie de droit à d’autres qui ne pourront à l’avenir ni
contester le contrat directement ni tenter de
l’atteindre indirectement au moyen de l’annulation
de l’acte détachable. Bertrand Dacosta affirme, en
ce sens, que si « la renonciation à la jurisprudence
Martin » ne suppose pas « que soient laissées au
bord de la route des catégories entières de
requérants qui pouvaient l’invoquer [...] devront
être écartées certaines solutions excessivement
libérales qui ne se justifiaient, à l’origine, que par
l’absence de toute conséquence des annulations
28
prononcées ». Il s’agit donc de resserrer « le degré
d’exigence pesant, notamment, sur les associations
et les contribuables, afin d’éviter les contestations
trop systématiques » (A. Bretonneau et J. Lessi,
préc., p. 1038). Ce qui démontre, sans qu’il faille y
voir un quelconque paradoxe et comme l’avait mis
en évidence Didier Casas dans ses conclusions sur
l’arrêt Tropic, que l’ouverture d’un recours direct
contre le contrat est, dès lors que la palette des
pouvoirs du juge est adaptée, un excellent moyen
d’assurer la sécurité des relations contractuelles.
La seconde restriction, qui est tout à fait essentielle
d’un point de vue conceptuel et qui le sera
également très probablement dans une perspective
pratique, tient au fait qu’alors que les concurrents
évincés pouvaient invoquer tout moyen dans le
cadre de la jurisprudence Tropic (CE 11 avr. 2012,
n° 355446, Société Gouelle, Lebon 148; AJDA
2012. 1109, note P. Cassia, et 2013. 1268, étude O.
Agnus; RDI 2012. 398, obs. S. Braconnier; AJCT
2012. 435, obs. S. Hul ; BJCP 2012. 387, concl. N.
Boulouis : « A l’appui de son recours en
contestation de la validité du contrat, mais aussi de
ses conclusions indemnitaires présentées à titre
accessoire ou complémentaire, le concurrent
évincé peut invoquer tout moyen. Il ne résulte par
ailleurs d’aucun texte ni principe que le caractère
opérant des moyens ainsi soulevés soit subordonné
à la circonstance que les vices auxquels ces moyens
se rapportent aient été susceptibles de léser le
requérant »), les tiers susceptibles d’être lésés de
façon suffisamment directe et certaine par la
passation du contrat (dont font partie les
concurrents évincés) ne pourront plus invoquer, à
l’inverse du préfet ou des élus locaux, que « des
vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se
prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge
devrait les relever d’office ».
On constate ainsi aisément que l’objectif de l’arrêt
Département de Tarn-et-Garonne n’est pas tant,
comme au début des années 1900, de garantir le
respect de la légalité, fût-ce de manière
« platonique » comme l’affirmait Romieu dans un
extrait souvent cité de manière tronquée de ses
conclusions sur l’arrêt Martin (car ce caractère
« platonique » était affirmé non seulement à propos
des conséquences de l’annulation de l’acte
détachable sur le contrat mais aussi – point
généralement négligé – de manière générale : « Les
annulations pour excès de pouvoir n’ont, dans bien
des cas, qu’un caractère purement platonique ; le
juge de l’excès de pouvoir n’a qu’à examiner si
l’acte administratif attaqué doit ou non être annulé,
en raison du vice qui lui est reproché ; il n’a pas à
se préoccuper des conséquences, positives ou
négatives, de son jugement »). Il s’agit bien au
contraire de privilégier la rapidité du règlement des
litiges (afin d’éviter des retards et autres
incertitudes aux lourdes conséquences pécuniaires),
d’une part, et la stabilité des relations
contractuelles, d’autre part, sans pour autant
remettre trop fortement en cause le droit à un
recours effectif garanti au sommet de la hiérarchie
des normes.
On est, autrement dit, bien loin de la logique du «
moment 1900 », toute la question étant cependant
de savoir si ces évolutions demeureront limitées à
des matières où les enjeux financiers sont élevés ou
toucheront également, qu’on y voie un effet
d’entraînement ou de contagion (suivant qu’on les
approuve ou qu’on les critique), d’autres chapitres
du droit administratif. L’avenir n’est bien sûr pas,
sur cette question comme sur tant d’autres, écrit.
Mais l’heure est plutôt, au nom de la sécurité
juridique, au développement d’une logique dite «
subjective » au détriment d’une application
extensive du principe de légalité, le droit comparé
comme le droit de l’Union européenne illustrant
d’ailleurs que cette conception est dominante en
Europe. Peut-être finira-t-on même dans un futur
lointain par réécrire en partie le considérant de
principe de l’arrêt Dame Lamotte (CE, ass., 17
févr. 1950, n° 86949, Ministre de l’agriculture c/
Dame Lamotte, Lebon 110 ; GAJA, préc., n° 60) et
à affirmer alors non pas que le recours pour excès
de pouvoir « est ouvert même sans texte contre tout
acte administratif, et [...] a pour effet d’assurer,
conformément aux principes généraux du droit, le
respect de la légalité » mais qu’il a pour objet
d’assurer la défense des intérêts des requérants.
Vaste programme sans doute… ».
*
Document 16
CE, 30 déc. 2014, Association des familles victimes de saturnisme, n° 367523 (aux Tables) (extraits)
« (…) 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 441-1 du code de la construction et de l’habitation :
« Les organismes d’habitations à loyer modéré attribuent les logements visés à l’article L. 441-1 aux
29
bénéficiaires suivants : / 1° Les personnes physiques séjournant régulièrement sur le territoire français
dans des conditions de permanence définies par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’immigration, du
ministre chargé des affaires sociales et du ministre chargé du logement (…) » ; que l’Association des
familles victimes du saturnisme demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 1er
février 2013 pris pour l’application de ces dispositions, en tant qu’il ne fait pas figurer dans la liste des
titres de séjour permettant de prétendre à l’attribution d’un logement par un organisme d’habitations à loyer
modéré les autorisations provisoires de séjour prévues à l’article L. 311-12 du code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile, qui peuvent être accordées à l’un des parents d’un étranger mineur
disposant d’une carte de séjour « vie privée et familiale » en raison d’un état de santé nécessitant une prise
en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle
gravité ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’article 2 de ses statuts, en date du 8
mai 2011, que l’Association des familles victimes du saturnisme « soutient les personnes atteintes de
saturnisme ou exposées au plomb ainsi que leur entourage ; informe tous les publics sur le saturnisme ;
agit pour la mise en œuvre d’une politique de prévention, de santé publique et de réparation des risques
liés au saturnisme » ; qu’eu égard à cet objet social, l’association requérante ne justifie pas d’un intérêt lui
donnant qualité pour déférer au juge de l’excès de pouvoir l’arrêté qu’elle attaque ; que, par suite, sa
requête ne peut qu’être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative (…) ».
*
E. Les conclusions tendant à l’annulation partielle d’un acte indivisible
Document 17
CE, 24 mai 2006, Association pour la promotion des Soyfoods, n° 275363 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES SOYFOODS demande
l’annulation des articles 2 et 5 de l’arrêté interministériel du 8 octobre 2004 relatif à l’emploi de calcium
dans des produits alimentaires à base de soja ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 2 de l’arrêté :
Considérant que l’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES SOYFOODS demande l’annulation de
l’article 2 de l’arrêté du 8 octobre 2004 en tant qu’il fixe à 100mg/100 ml la teneur maximale en calcium
des desserts à base de soja ;
Considérant que ces dispositions sont indivisibles de celles de l’article 1er de ce même arrêté qui autorisent
l’adjonction de calcium dans les desserts obtenus à partir de jus de soja, par exception à l’interdiction de
l’adjonction de produits chimiques dans les denrées alimentaires énoncée à l’article 1er du décret du 15
avril 1912 ; qu’elles ne peuvent donc être déférées seules au juge de l’excès de pouvoir ; que, dès lors, les
conclusions de l’association, expressément limitées à l’annulation des dispositions de l’article 2, sont
irrecevables (…) ».
*
30
II. Les irrecevabilités pouvant faire l’objet d’une régularisation
Document 18
Code de justice administrative, article R. 612-1
« Lorsque des conclusions sont entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration
du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir
invité leur auteur à les régulariser (…).
La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être
rejetées comme irrecevables dès l’expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à
quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l’information prévue à l’article R. 611-7. »
*
Document 19
CE Sect., 18 oct. 2000, Société Max-Planck-Gesellschaft, n° 206341 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que l'irrecevabilité tirée de leur présentation en langue étrangère ne peut être opposée à
des conclusions que si le requérant, d'abord invité à régulariser sa requête par la production d'une traduction
par une personne assermentée, s'est abstenu de donner suite à cette invitation ; que, par suite, en jugeant
que la demande de la SOCIETE MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT devant le tribunal administratif de
Paris, qui n'était pas rédigée en langue française, était entachée d'une irrecevabilité manifeste non
susceptible d'être couverte en cours d'instance et par suite pouvait être rejetée par ordonnance du président
du tribunal sur le fondement de l'article 9 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, dès lors, la SOCIETE
MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT laquelle, contrairement à ce que soutient le ministre, est recevable à
soulever ce moyen pour la première fois en cassation, est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué
(…) ».
*
Document 20
CE, 21 déc. 2001, M. et Mme Hofmann, n° 222862 (au Recueil) (extraits)
« (…) Considérant que si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer « les règles
concernant ... la procédure pénale ... la création de nouveaux ordres de juridiction ... les modalités de
recouvrement des impositions de toutes natures », les dispositions de la procédure à suivre devant les
juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause
aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 ou d'autres dispositions constitutionnelles ;
Considérant qu'il suit de là que le Premier ministre a compétence pour décider s'il y a lieu de rendre
obligatoire le ministère d'un avocat dans les instances portées devant les juridictions administratives ou, le
cas échéant, de les en dispenser en certaines matières ou selon la nature du recours introduit ; qu'ainsi M. et
Mme HOFMANN ne sont pas fondés à soutenir que ceux des articles de la partie réglementaire du code de
justice administrative annexé au décret du 4 mai 2000 qui prévoient le recours au ministère, soit d'un
avocat, soit d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, seraient entachés d'incompétence ;
Considérant que dans l'exercice de sa compétence le pouvoir réglementaire doit se conformer tout à la fois
aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux principes généraux du droit ainsi qu'aux
engagements internationaux introduits dans l'ordre juridique interne ;
Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à laquelle
renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est
pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution » ; que la garantie ainsi
31
proclamée implique le droit pour les personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une
juridiction ; que la définition par le pouvoir réglementaire des modalités de mise en œuvre de ce droit
devant la juridiction administrative ne saurait conduire à porter atteinte à sa substance même ;
Considérant que les dispositions contestées, qui sous réserve des exceptions qu'elles prévoient rendent
obligatoires le ministère d'avocat, ont pour objet tant d'assurer aux justiciables la qualité de leur défense
que de concourir à une bonne administration de la justice en imposant le recours à des mandataires
professionnels offrant des garanties de compétence ; qu'eu égard à l'institution par le législateur d'un
dispositif d'aide juridictionnelle, l'obligation du ministère d'avocat ne saurait être regardée comme portant
atteinte au droit constitutionnel des justiciables d'exercer un recours effectif devant une juridiction (…) ».
*
Document 21
CE, 24 avril 2013, M. M’Bodji, n° 349109 (aux Tables) (extraits)
« (…) 1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par
un jugement du 19 septembre 2007, le tribunal départemental des pensions de Paris a, à la demande de M.
M’Bodji, annulé le refus du ministre de la défense d’octroyer à l’intéressé une pension militaire d’invalidité
à taux plein et lui a accordé cette pension à compter du 6 novembre 1993 avec intérêts et capitalisation des
intérêts ; que, saisie en appel par le ministre de la défense, la cour régionale des pensions de Paris a opposé
d’office l’irrecevabilité, fondée sur un défaut d’intérêt pour agir, de la demande de M. M’Bodji ; que la
cour a déduit ce défaut d’intérêt de ce qu’elle n’était pas en mesure, compte tenu du caractère
insuffisamment précis de la demande initiale, formée par un avocat agissant au nom de plusieurs dizaines
de requérants, dont l’intéressé, de vérifier la qualité des personnes au nom desquelles cette demande
collective était présentée ; que, par un arrêt du 7 mai 2010, contre lequel M. M’Bodji se pourvoit en
cassation, la cour a, en conséquence, annulé le jugement du tribunal et rejeté la demande de M. M’Bodji ;
2. Considérant que la procédure suivie devant les juridictions des pensions est régie, dans le respect des
exigences de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, par les dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la
guerre, celles du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions et celles du code de
procédure civile auxquelles les dispositions de ce décret renvoient expressément ; que, dans le silence de
ces textes, il appartient aux tribunaux et cours des pensions, en raison de leur caractère de juridictions
administratives, de faire application des règles générales de procédure applicables à ces dernières ; que le
fait pour ces juridictions de se fonder sur des dispositions du code de procédure civile autres que celles
mentionnées ci-dessus n’entache pas d’irrégularité leurs décisions, dès lors que ces dispositions peuvent
être regardées comme traduisant ces règles ;
3. Considérant qu’aucune des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la
guerre, du décret du 20 février 1959 ou de celles du code de procédure civile auxquelles renvoie ce décret
ne précise les conditions dans lesquelles le juge des pensions peut opposer d’office le défaut de qualité pour
agir d’un requérant ; qu’il y a lieu, en pareil cas, de faire application de la règle générale de procédure
applicable aux juridictions administratives selon laquelle le juge ne peut rejeter une demande pour ce motif,
dès lors que cette irrecevabilité est régularisable, sans avoir invité son auteur à procéder à cette
régularisation ; qu’il en va de même lorsque le juge d'appel entend opposer au requérant l'irrecevabilité de
sa demande de première instance (…) ».
*
Document 22
CE, 30 déc. 2009, MM. Mizael, n° 311599 (aux Tables) (extraits)
« (…) 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 612-1 du code de justice administrative : « Lorsque des
conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de
32
recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur
auteur à les régulariser. / (…) / La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation,
les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf
urgence, ne peut être inférieur à quinze jours (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 222-1 du même code,
dans sa rédaction issue du décret n° 2006-1708 du 23 décembre 2006 : « Les présidents de tribunal
administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les
présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : / (…) 4° Rejeter
les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les
régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce
sens (…) » ;
2. Considérant que les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en
application de ces dernières dispositions sont, d’une part, celles dont l’irrecevabilité ne peut en aucun cas
être couverte, d’autre part, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu’à l’expiration du délai de
recours, si ce délai est expiré et, enfin, celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que
la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l’informant des conséquences qu’emporte un défaut
de régularisation comme l’exige l’article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré ; qu’en
revanche, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la
juridiction s’est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait
loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non recevoir ; qu’en
pareil cas, à moins que son auteur n’ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l’article R.
612-1 du code de justice administrative, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une
décision prise après audience publique ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme Godrant ont fait
appel du jugement du 7 mars 2013 par lequel le tribunal administratif de Marseille a refusé d’annuler le
permis de construire délivré le 15 mars 2011 à Mme Bergoin ; que Mme Bergoin a soulevé devant la cour
administrative d’appel une fin de non recevoir tirée de ce qu’ils n’avaient pas justifié de l’accomplissement
de la formalité prévue par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ; que le président de la 1ère chambre
de la cour administrative d’appel de Marseille a communiqué le mémoire en défense de Mme Bergoin à
M.et Mme Godrant le 31 octobre 2013, en les invitant à produire leurs observations dans un délai de quinze
jours ; que cette communication ne comportait aucune invitation faite aux requérants de régulariser leur
requête d’appel par la production des pièces justifiant qu’ils avaient accompli, dans les délais imposés par
l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, la formalité prévue à cet article ni aucune indication sur les
conséquences susceptibles de s’attacher à l’absence de régularisation de leur requête dans le délai imparti ;
qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en se fondant sur le 4° de l’article R. 222-1 du code de justice
administrative pour rejeter leur requête comme manifestement irrecevable, le président de la 1ère chambre
de la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit qui justifie l’annulation de son ordonnance
(…) ».