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UNIVERSITE PARIS OUEST NANTERRE LA DEFENSE
U.F.R. de Droit et Science politique
2012 N
THESE
Pour lobtention du diplme de Docteur en droit priv et science criminelle de lUniversit Paris Ouest
Nanterre La dfense
prsente et soutenue publiquement par
Jusung YOO
le 20 Dcembre 2012
La formation historique des organes denqute criminelle
en Core du sud - Linfluence du droit franais -
sous la direction de Madame Elisabeth FORTIS JURY - Monsieur Pascal BEAUVAIS, Professeur luniversit Paris Ouest Nanterre La dfense - Madame Elisabeth FORTIS, Professeure luniversit Paris Ouest Nanterre La dfense, Directrice de la recherche - Monsieur KIM Taek Su, Professeur la facult de Droit et Police de luniversit Keimyung, Rapporteur - Monsieur Eric SEIZELET, Professeur luniversit Paris Diderot, Rapporteur
The historical formation of the criminal investigative agencies in South Korea The influence of French law
Each Country has its own system of criminal investigation, with its own historical and cultural evolution. Despite major changes in Korean society during the twentieth century such as Japanese colonization (1910-1945), division between the north and south of the country (1945), Korean War (1950-1953), the establishment of a military dictatorship by coup dtat(1961), and so on. Korea became a democratic country, continuing even today to democratize its society to remove remnants of past systems that are always present. One of the important points of this democratization is the reform of the judicial system to make the country more just and restore the confidence of the Korean people in it. To understand the current situation, it is necessary to present the evolution of criminal investigation system in Korea throughout its history, particularly the historical formation of the public prosecutors service and the national police as the criminal investigative agencies. Also we have to note the importance, for this subject, of Japanese law and French law, because the Korean criminal investigative system is a system strongly influenced by the judicial system of the both foreign countries. However, it is not possible to find a direct influence of French law in the legal history of Korea because Korean law has just borrowed the institutional concepts from French law under the influence of Japanese law (who had adopted the French law to modernize its judicial system during the Meiji period) during the Japanese colonization. Thus, there are some traditional conceptions of French institution in the current Korean system, centralization and hierarchy. The Korean police and the public prosecutors service, which are the two main organizations are responsible for dealing with criminal cases, are centralized and they also have hierarchical relationships between them.
Droit priv et science criminelle
Mots cls : police, parquet centralisation, hirarchisation, enqute criminelle, Core du sud,
Key words : police, parquet, centralization, hierarchy, criminal investigation, South Korea
Chaque pays a son propre systme denqute criminelle, ayant ses propres volutions historiques et culturelles. Malgr les grands bouleversements de la socit corenne durant le XXe sicle : colonisation japonaise (1910-1945), division entre le nord et le sud du pays (1945), Guerre de Core (1950-1953), mise en place dune dictature militaire par un coup dtat(1961-1987), la Core est devenu un pays dmocratique, continuant encore de nos jours dmocratiser sa socit afin de supprimer les reliquats des systmes passs qui sont toujours prsents. Lun des points importants de cette dmocratisation est la rforme du systme judiciaire, afin de rendre la justice du pays plus juste et redonner confiance au peuple coren en celle-ci. Pour comprendre la situation actuelle, il est donc ncessaire de prsenter l'volution du systme denqute criminelleen Core au cours de son histoire, en particulier la formation historique du parquet et de la police en tant quorganes denqute. Il faut galement noter limportance, pour ce sujet, du droit japonais et du droit franais. Ce systme coren denqute nest pas dorigine corenne, mais il sagit dun systme fortement influenc par les droits de ces deux pays trangers dans lhistoire juridique. Cependant, il nest pas possible de trouver une influence directe du droit franais dans lhistoire juridique corenne, car le droit coren na emprunt au droit franais que sous linfluence du droit japonais(qui adopta le droit franais pour la modernisation du systme judiciaire lpoque Meiji) pendant la colonisation japonaise. Ainsi, on trouve la conception traditionnelle franaise des institutions dans le systme coren actuel, la centralisation et la hirarchisation. Si la police et le parquet corens qui sont les deux organes principaux chargs de soccuper des affaires criminelle, sont ainsi centraliss, ils ont galement des rapports hirarchiss lune par rapport lautre.
REMERCIEMENT
Je tiens tout dabord remercier Madame Elisabeth FORTIS, Professeure
luniversit de Paris Ouest Nanterre La Dfense, de mavoir donn lopportunit de faire ce
travail de recherche, ainsi que pour son aide et ses prcieux conseils.
Je remercie galement Monsieur KIM Taek Su, Professeur la facult de Droit et
Police de luniversit Keimyung pour ses ides et conseils dans ce travail de thse, ainsi que
de mavoir accept dtre le rapporteur de ce travail, et que dtre venu de lautre ct du
monde pour participer ce jury.
Je tiens remercier Monsieur Eric SEIZELET, Professeur luniversit Paris
Diderot, davoir accept dtre le rapporteur. Et je remercie Monsieur Pascal BEAUVAIS,
Professeur luniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense, davoir accept de participer ce
jury.
Jenvoie un remerciement particulier Madame Sara LIWERANT, lancien Matre de
Confrences de luniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense, pour son aide et sa gentillesse
au dbut de ces annes.
Ce travail naurait pu aboutir sans laide de nombreuses personnes. Que me
pardonnent celles que joublie ici, mais jadresse un remerciement particulier aux gens qui
travaillent dans les bibliothques franaises, japonaises, corennes qui mont aid trouver
les sources pour cette thse.
Ces remerciements ne seraient pas complets sans une pense pour mes amis corens et
franais qui mont aid et encourag dans les priodes de doute. Un immense merci Gengis
MEY, un ami trs spcial, pour son aide et son soutien.
Mes dernires penses iront vers ma famille, et surtout ma mre et ma sur qui mont
soutenu, sans doute, passant ensemble quelques annes en France.
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE.
LA CENTRALISATION DES ORGANES DENQUETE
Titre I. La centralisation de la police
Chapitre I. Une police centralise mais multiple en France
Chapitre II. Une police uniforme en Core
Titre II. La centralisation du parquet
Chapitre I. Le parquet dans une institution judiciaire en France
Chapitre II. Un parquet spar de la justice en Core
DEUXIEME PARTIE.
LA HIERACHISATION DES ORGANES DENQUETE
Titre I. La construction de la hirarchisation franaise
Chapitre I. Lorigine de la police judiciaire
Chapitre II. Dans le Code dinstruction criminelle de 1808
Titre II. Lvolution de la hirarchisation corenne
Chapitre I. Les influences de la colonisation japonaise et de loccupation amricaine
Chapitre II. La naissance du systme coren denqute criminelle : Un retour au modle colonial japonais, teint de linfluence du droit amricain
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
ANNEXE
2
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
AJ pnal. Actualit juridique - droit pnal
al. Alina
Arch. Nat Archives nationales.
Art. Article
Bull. crim. Bulletin criminel des arrts de la Cour de cassation
Cass. crim. Arrt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
CEDH. Cour europenne des droits de lhomme
chr. Chronique (du Recueil Dalloz)
Coll. collection
CIC Code dinstruction criminelle
CP. Code pnal
CPP. Code de procdure pnale
Dir. Direction
d. dition
GA. Grands Arrts de la Jurisprudence Pnale
GP. Gazette du Palais
Ibid. : Ibidem, mme rfrence
In dans
In fine la fin
JO. ou JORF. Journal Officiel de la Rpublique franaise
JCP. Juris-Classeur priodique (Semaine juridique), dition gnrale
KNPU Korean national police university
LGDJ. Librairie gnrale de droit et de jurisprudence
3
n Numro
obs. Observations
op. cit. opus citatum, ouvrage prcit
Prc. Prcit.
Pub. Publication
PUF Presses universitaires de France
PUG Presses universitaires de Grenoble
Rec. Recueil
Rev. Adm. Revue administrative
Rev.Int.dr.comp. Revue internationale du droit compar
R.S.C. Revue de sciences criminelles et de droit pnal compar
Suiv. Suivant.
t. Tome
Univ- Universit
v. Volume
4
INTRODUCTION GENERALE
1. Chaque pays a son propre systme denqute criminelle, ayant ses propres volutions historiques et culturelles. Comme le souligne Ren GARRAUD, dans lvolution de la
procdure pnale, il faut tenir compte de lorganisation du pouvoir politique et des croyances
du groupe social. Si le droit pnal reflte les ides qui donnent un tat social sa
physionomie et son caractre, sil volue daprs une courbe parallle cet tat social, dune
part, lorganisation des juridictions se constitue et se modle sur lorganisation du pouvoir
politique. Et dautre part, les procds qui ont pour objet de rechercher lauteur dun crime et
de dmontrer sa culpabilit, empruntent leur caractre aux croyances de chaque groupe
social et la foi fondamentale qui lanime. Les murs et la culture dun peuple se lisent dans
sa procdure.1 Malgr les grands bouleversements de la socit corenne durant le XXe
sicle, colonisation japonaise (1910-1945), division entre le nord et le sud du pays (1945),
Guerre de Core (1950-1953), mise en place dune dictature militaire par un coup
dtat(1961-1987), la Core est devenu un pays dmocratique et une puissance
conomique mondiale, continuant encore de nos jours dmocratiser sa socit afin de
supprimer les reliquats des systmes passs qui sont toujours prsents. Lun des points
importants de cette dmocratisation est la rforme du systme judiciaire, afin de rendre la
justice du pays plus juste et redonner confiance au peuple coren en celle-ci. De plus, le
suicide de lancien prsident Roh Mu-Hyeon en 2009, suite une enqute du parquet
qui lhumilia publiquement2, engendra une vive motion et une violente colre contre le
parquet et le systme coren denqute criminelle, obligeant le gouvernement entamer une
rforme complte et urgente du systme judiciaire.
1 Ren GARRAUD, Trait thorique et pratique dinstruction criminelle et de procdure pnale, Recueil Sirey, 3e
d, 1907-1929, v.1, pp.3-6 2 Le 23 mai 2009, lancien prsident de la Rpublique, Roh Moo-Hyun meurt, en se jetant d'une falaise de 45
mtres dans son village natal de Bongha. La police dclarera quil sagit dun suicide. La mort de M. Roh suit le
suicide d'un certain nombre de personnalits politiques, toutes souponnes de corruption par le parquet (dont
l'ancien secrtaire du Premier ministre Kim Young-chul, ancienne Busan maire Ahn Sang-Young, Park Tae-
young, ancien gouverneur de la province de Jeolla, et Chung Mong-hun, un ancien dirigeant de Hyundai). Le
parti dopposition (lancien parti de ROH Moo-Hyun), soulignant les irrgularits dans cette enqute et les
pressions exerces sur les accuss, oblige le prsident Lee Myeong-Bak sexcuser en public pour cette enqute
motifs politiques, cause, sans doute, du suicide de Roh Moo-Hyun. Le procureur en chef, responsable de cette
enqute, ft galement dmissionn.
5
2. En Core du sud, lenqute criminelle est accomplie par le parquet Geomchal et
la police nationale Gyeongchal appels les organes denqute Susagigwan .
Ces deux organes tant chargs daccomplir lenqute criminelle, il existe deux sortes
denqute : lenqute accomplie par la police Gyeonchalsusa et lenqute
accomplie par le parquet Geomchalsusa . Lenqute accomplie par la police
(lensemble des investigations relatives la commission dune infraction) est effectue par les
officiers de police judiciaire appartenant la police nationale : contrleurs gnraux
Gyeongmugwan , commissaires gnraux Chonggyeong , commissaires
Gyeongjeong , commandant Gyeonggam , lieutenant de police Gyeongwui 3 ;
il existe galement les agents de police judiciaire : les brigadiers Gyeongsa , sous-
brigadiers de police GyeongJang et gardiens de paix Sunkyeong 4. La police
nationale soccupe de la plupart des enqutes criminelles, mais lorsquune affaire est
juge plus sensible , cest le parquet qui est en charge de soccuper de celle-ci. Le parquet
se compose des procureurs et des enquteurs Susagwan (officiers et agents de police
judiciaire au sein du parquet), et soccupe principalement, dans le cadre denqutes
accomplies par le parquet, des infractions politico-conomiques.
3. Le Code de procdure pnale sud-coren, instaur depuis novembre 1954, dfinit soigneusement le rle du parquet et de la police, ainsi que les pouvoirs denqute de chacun
dans ses articles 195-254 dans le chapitre consacr lenqute criminelle Susa .
Larticle 195 dfinit le pouvoir denqute des procureurs dans les termes suivants : Dans la
mesure o le procureur apprcie le fait quil y a une infraction commise, il doit mener
lenqute criminelle sur linfraction, son auteur et les preuves de linfraction. . Ainsi, c'est
au procureur qu'incombe la charge de s'occuper des affaires les plus sensibles et pouvant
engendrer des polmiques. Et larticle 196 dfinit le pouvoir denqute des officiers et agents
3 Art.196 alina 1 du Code de procdure pnale du 23 septembre 1954 4 Art.196 alina 2 du Code prc.
6
de police judiciaire, ainsi que leur rapports avec les procureurs : 1 En tant quofficier de
police judiciaire, le contrleur gnral de police, le commissaire gnral de police, le
commissaire de police, le commandant de police ou le lieutenant de police doivent, aprs
avoir reu la directive du procureur, mener lenqute criminelle ; 2 En tant quagent de
police judiciaire, le brigadier de police et le gardien de paix doivent seconder lenqute
criminelle sous la direction de lofficier de police judiciaire ou de celle du procureur. Cet
article permet aux procureurs de diriger les activits des officiers et agents de la police
judiciaire 5 , qui sont considrs comme nayant aucun pouvoir autonome denqute : le
procureur dlgue ses pouvoirs denqute un officier de police judiciaire, qui selon ses
directives, mne lenqute criminelle. Ainsi, les officiers de la police judiciaire ne peuvent
mener lenqute sur les infractions ordinaires que sous la direction du procureur.
4. De plus, le Code de procdure pnale permet aux procureurs, mais galement aux officiers de police judiciaire, de prendre toutes les mesures coercitives ncessaires pour le bon
accomplissement dune enqute, sous la condition d'avoir obtenu une autorisation dun juge.
De plus, selon le Code, les procureurs et officiers de police judiciaire ne peuvent arrter une
personne quaprs avoir reu un mandat dlivr par un juge, lorsqu il y a des raisons
plausibles que le prvenu a commis une infraction . Mais ils peuvent procder une
arrestation urgente kingeuhchepo , sans la ncessit de recevoir un mandat
pralable du juge, ds qu il y a des raisons plausibles que le prvenu a commis
linfraction punissable de plus de 3 ans demprisonnement , lorsque le prvenu na pas de
rsidence fixe ; que le prvenu risque de faire disparatre les preuves existantes sa
charge ou que le prvenu risque de prendre la fuite. ou s'il s'agit de l'auteur dune infraction
flagrante. Il faut galement noter quen Core, entre autres, les procureurs et officiers de
police judiciaire peuvent mettre un prvenu en dtention provisoire Koosok (pour une
dure de 10 jours au cours de lenqute de police et 20 jours au maximum au cours de
lenqute du parquet), aprs avoir reu un mandat dlivr par un juge, mais ils ne peuvent
procder aucune perquisition, saisie ou vrification sans avoir reu, l galement, un mandat
d'un juge.
5 Outre le Code de procdure pnale, larticle 4, n2 de la loi sur le parquet et larticle 2, al.1 du rglement sur la
fonction de lofficier de la police judiciaire et de lagent de la police judiciaire, indiquent que la direction
denqute est une fonction du parquet.
7
5. Malgr la trs grande efficacit du systme denqute coren (plus de 99% des personnes juges sont dclares coupables), que ce soit au niveau du maintien de lordre
public ou du jugement de criminels, la population est trs mfiante vis vis des deux organes
d'enqute, qui durant les nombreuses dictatures (colonisation japonaise, la dictature militaire,
etc) qui se succdrent en Core, furent utiliss pour rprimer les liberts individuelles6.
Mais mme si un gouvernement dmocratique est prsent en place en Core, la mfiance
est toujours prsente7, et ces deux organes peuvent tout moment tre utiliss par les pouvoirs
politiques afin de servir leur objectif. Cest pour cette raison que lorganisation du parquet et
de la police, ainsi que le systme denqute coren font lobjet d'une rforme.
6. Pour comprendre la situation actuelle, il est donc ncessaire de prsenter l'volution du systme denqute en Core au cours de son histoire, en particulier la formation historique du
parquet et de la police en tant quorganes denqute. Il faut galement noter limportance,
pour ce sujet, du droit japonais et du droit franais. Ce systme coren denqute nest pas
proprement parler dorigine corenne, mais il sagit dun systme fortement influenc par les
droits de ces deux pays trangers : la premire modernisation de la procdure pnale en Core
marqua une rupture violente avec lancien systme pnal, le dbut de la colonisation du pays
par les japonais la fin de XIXme sicle et linstauration du droit japonais colonial (1).
Puis, avec la fin de la deuxime guerre mondiale et la libration du pays, cest le droit
amricain qui servit de modle au droit coren loccasion de la tutelle militaire amricaine
du pays durant trois ans (2). La libration entraina une rforme profonde de la procdure
pnale autoritaire coloniale japonaise : juristes amricains et corens sefforcrent
dlaborer un Code juste afin de dmocratiser la procdure pnale sud-corenne. Aprs la
mise en place du gouvernement sud-coren en 1948, la premire codification de la procdure
pnale napparut quen 1954, avec la fin de la Guerre de Core. Mais les juristes et
lgislateurs sud-corens ntablirent pas un nouveau Code : ils ne firent que reprendre ,voire
mixer, les anciens textes de lois amricain et japonais ; la plupart des textes proviennent du
droit colonial japonais (3).
6 KIM Hi-Su, SEO Bo-Hak, Ha Te-Hun, La rpublique du Parquet : la Core, Samin, 2011, p.14 7Afin de regagner la confiance des corens, le parquet et la police annoncent, en concurrence, publiquement
presque tous les jours les droulements ou les rsultats des enqutes criminelles, que ce soit pour les cas les plus
simples ou pour les plus graves qui font la une des journaux.
8
1. Lorigine moderne de la procdure pnale sud-corenne
En Core, les anciens systmes juridiques et judiciaires fortement influencs par les
droits chinois 8 disparurent avec la modernisation du pays la fin de XIXe sicle, et les
prmices de la colonisation japonaise de Core (C). Lempire japonais de lempereur Meiji,
entama la modernisation du Japon ds le milieu du XIXe sicle, adoptant le droit franais pour
son systme judiciaire (B). Ainsi, lorsque lempire japonais tablit son systme pnal
modernis dans ses colonies, il ne fit que transmettre le Code franais de procdure pnale
la Core (A).
A. La codification franaise de la procdure pnale moderne
7. En France, avant la Rvolution Franaise, il n'y avait pas de Code de procdure
pnale, et la justice sexerait souvent selon les coutumes et les usages9. On entama une relle
codification de la procdure pnale la veille de la Rvolution, avec ladoption dun dit le
1er mai 1788 qui visait supprimer plusieurs moyens arbitraires de procdure, mais il ne fut
jamais appliqu10. Aprs la Rvolution, lAssemble nationale constituante uvra dans le
mme sens et rforma le droit criminel par le biais de quatre lois importantes : la loi des 8 et 9
octobre 1789 pour rformer les abus les plus graves ; la loi des 16-29 septembre 1791 pour
adapter la procdure linstitution nouvelle du jury ; la loi des 25 septembre-6 octobre 1791
8 Les anciennes dynasties royales sappuyaient dj sur un systme judiciaire complet de Codes qui comprenait
toutes les lois et ordonnances promulgues depuis la priode de la fin de la dynastie Goryeo (918-1392). Le
Code le plus important tait le Gyeongguk Deajeon, promulgu lan XVI du Roi Seongjong (en 1485) sur la base
complte des premiers six codes de gouvernance Gyeongje yukjeon et ldition des codes Sokyukjeon qui avaient
t mis sous le rgne du Roi Taejo. Le Code de Gyeongguk tait la fois le code pnal, administratif et
commercial du royaume, teint des principes du confucianisme, et le texte juridique principal. Il faut dailleurs
remarquer que ce Code tait bien influenc par le droit chinois de lpoque. Voir., OH Yeongkyo, La mise en
place de la dynastie Choseon et du Code de Gyongguk, Seoul, Hyean, 2004 9 Carine LEXTRAIT, Les pouvoirs judiciaires du prfet de 1808 1939, thse Perpignan, 2004, p.66 10 Adrien LABORDE, Cours lmentaire de droit criminel conforme au programme des facults de droit, Paris,
Arthur Rousseau, 2e d, 1898, p.424 : lEdit du 1er mai 1788 prvoyait labolition de la question pralable et de
lusage de la sellette et ordonnait que les sentences seraient motives, quune majorit de trois voix serait
ncessaire pour la condamnation mort, et quil serait sursis pendant un mois lexcution, afin de donner au roi
le temps dexaminer sil devait gracier le condamn.
9
pour tablir un systme dincriminations et de pnalits pour les dlits les plus graves ; les lois
des 19 et 22 juillet 1791 pour fixer la pnalit et organiser lordre juridique selon un
dcoupage tripartite (les tribunaux de police municipale, les tribunaux de police
correctionnelle, les tribunaux criminels). Ce systme fonctionna peu de temps, car il fut
remplac par le Code des dlits et des peines du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) qui
conserva dans ses grandes lignes les principes labors dans ces diffrentes lois. L'un des
atouts du Code du 3 brumaire an IV est sa clart et son organisation, comme le note Ren
GARRAUD : le code est plutt luvre dun homme que dune assemble 11, le rendant
donc trs clair. Mais ce Code qui regroupait les deux domaines du droit pnal (le droit pnal,
proprement dit, et la procdure pnale) ninnovait gure par rapport au droit rvolutionnaire.
8. A peine devenu Premier Consul de la Rpublique, Napolon BONAPARTE modifia la lgislation pnale et rforma le Code du 3 brumaire an IV, considr par beaucoup comme
trop doux. Lorsque Napolon prit le pouvoir, il dcida dentreprendre un important chantier
lgislatif : la codification de la procdure pnale, afin de garantir la srnit et la scurit des
citoyens de l'ensemble de la France. Le code dinstruction criminelle, aprs un trs long
dbat, fut vot en 1808 et deux ans aprs, le Code pnal fut lui aussi vot. Un dcret du 17
dcembre 1809 fixa lentre en vigueur des deux Codes au 1er juillet 1811, car formant un
tout. Le Code dinstruction criminelle qui est le fruit de longs travaux prparatoires et dune
vaste consultation des tribunaux, fit lobjet de rformes ponctuelles mais resta en vigueur
jusqu la mise en place du Code de procdure pnale en 1958. Le Code dinstruction
criminelle tait tellement novateur pour son poque qu'il fut export dans de nombreux pays,
y compris jusqu'au Japon qui l'adopta lors de sa modernisation l'poque de Meiji .
B. La modernisation de la procdure pnale japonaise, sous linfluence du droit
franais
9. Rien ne permettait d'envisager que le droit franais occupt une place majeure au Japon. En effet, la France n'entra en contact avec le Japon qu'aprs les tats-Unis, la Grande-
Bretagne et la Russie qui avaient dj impos des traits ingalitaires au pays 12 . Cette
11 Ren GARRAUD, op.cit., p.82 12 La Convention de Kanagawa , Nichibei washin Jyaku fut signe le 31 mars 1854, entre les
10
premire soumission du pouvoir shogunal aux occidentaux entraina lavnement de
lempereur Munsuhito en 1867 qui marqua le dbut de l're Meiji (lre du gouvernement
clair) et la restauration dun pouvoir imprial ds 1868. Lobjectif des dirigeants japonais
tait dobtenir la rvision de ces traits ingalitaires et dviter une colonisation par les pays
occidentaux, comme ces derniers l'avaient fait en Chine. Et comme le note ETO Shimpei, le
ministre de la justice de lpoque : si lon veut parvenir lobjectif final de la rvision des
traits, il nest rien de plus urgent que de procder, mme de faon imparfaite, la confection
des Codes, installer des tribunaux, respecter les droits de lhomme, afin que les diffrentes
nations en viennent nous respecter en tant quEtat indpendant 13. Cette modernisation
urgente du systme juridique et judiciaire se fit sous linfluence franaise lors de la
priode du gouvernement de Dajokan (1868-1885). Lempereur lgifra seul en tant que
dtenteur de la souverainet et de lordre juridique, tablissant plusieurs centaines
dordonnances et rglements chaque anne. Pour ce faire, le gouvernement japonais dcida
rapidement d'envoyer ses fonctionnaires en France pour tudier le modle franais, adoptant
le systme franais dans de nombreux domaines : lorganisation gouvernementale, les
institutions judiciaire et policire, les sources juridiques, ...14 De plus, des juristes franais
furent invits au Japon afin de traduire en japonais les Codes franais : le principal artisan de
cette uvre fut le professeur de droit Gustave BOISSONADE, qui travailla principalement
dans la rdaction des textes de lois, dont notamment le Code de procdure pnale qui entra en
vigueur en 1882 par le dcret n37 de lempereur sous le nom de Code japonais dinstruction
criminelle Chizaiph .
10. Mais lengouement pour le droit franais s'estompa trs vite, et le Japon se tourna alors vers un autre modle plus proche de l'idologie impriale : celui du droit allemand. ITO
Hirobumi, un des hauts dignitaires du rgime imprial, aprs un voyage en Europe, proposa
reprsentants du shogunat de Tokugawa et le Commodore Matthew Perry reprsentant le prsident amricain
Millard Fillmore. Cette Convention, obtenue dans la crainte de reprsailles amricaines, via la menace constitue
par la flotte de Navires noirs, a ouvert la voie la signature du trait du 29 juillet 1858, qui a dfini les termes de
louverture du Japon au commerce. De plus, elle a permis aux Britanniques, aux Nerlandais, aux Franais
(Trait de Yedo) et aux Russes dobtenir peu aprs des conventions similaires. Voir, George SAMSON, Histoire
du Japon, Fayard, 1988 13 ric SEIZELET, Les implications politiques de lintroduction du droit franais au Japon, Rev.Int.Dr.Comp.,
1991, v.43, n2, p.377 14 Dominique T. C. WANG, Les sources du droit japonais, Droz, Genve, 1978, pp.11-12
11
d'tablir une Constitution japonaise en se basant sur le Constitution prussienne qui offrait un
possible compromis entre droit divin de lempereur et constitutionnalisme15. La Constitution
japonaise fut solennellement accorde par lempereur en 1882, faisant du Japon un Etat
constitutionnel moderne16, mais galement de lempereur le chef de lEtat, le possesseur de
tous les droits de la souverainet et le dtenteur du pouvoir lgislatif avec lassentiment de
lAssemble impriale , pouvant librement prendre des actes drogeant la Constitution17.
Huit ans aprs la promulgation du premier Code de procdure pnale occidentalis, les
dirigeants japonais qui voulaient construire un tat monarchique et militaire imprial,
dcidrent de mettre en place la loi relative lorganisation de la justice inspire du modle
allemand en 1889. Ce choix engendra plusieurs conflits techniques avec le Code dinstruction
criminelle qui obligrent entamer la rdaction d'un nouveau Code techniquement plus
adquat au rgime imprial : le Code de procdure pnale Meiji de 1890.
11. Mais mme si le Code de procdure pnale Meiji avait pour but d'oprer une rvision du Code d'instruction criminelle, il ne rompit pas avec ses principes, permettant une
rminiscence de linfluence du droit franais nettement visible dans le nouveau Code de
procdure pnale de 1927, qui reprenait en trs grande partie le Code dinstruction criminelle
napolonien. Et, daprs ric SEIZELET, la rception du droit et des institutions franaises,
occupe une place dterminante, mais profondment ambigu dans la modernisation du Japon.
Loligarchie de Meiji a t indiscutablement sduite par la logique et la cohsion dun
systme de droit qui avait trs largement essaim en Europe, mais demeura rticente
sinspirer de ses principes philosophiques et rsolument hostile la pratique institutionnelle
franaise quand bien mme celle-ci pouvait aider ltablissement dun pouvoir
monarchique fort. Linfluence de la France fut bnfique lorsquelle favorisa la centralisation
administrative, mais suspecte lorsquil sest agi de dfinir les formulations constitutionnelles
dterminant les enjeux de pouvoir 18. La monte du militarisme et lexpansionnisme colonial
15 Jean-Louis HALPERIN et NAOKI Kanayama, Droit japonais et droit franais au miroir de la modernit,
Dalloz, 2008, p.2 16 Art.41 de la Constitution Meiji de 1889 ,Site de la Bibliothque de lAssemble nationale japonaise,
http://kindai.ndl.go.jp/BIBilList.php ; Voir. Jean-Huvert MOITRY, Le droit japonais, Que sais-je , PUF, 1988,
p.24 17 Art.5, 8 et 9 de la Constitution Meiji de 1889, Site de la Bibliothque de lAssemble nationale japonaise,
http://kindai.ndl.go.jp/BIBilList.php. 18 ric SEIZELET, op.cit., p.377
12
nippon en Asie partir des annes 1930 stopprent net toute modification des Codes, jusqu'
la dfaite du Japon lors de la deuxime guerre mondiale en 1945, qui permit que le droit
amricain s'impost.
C. La modernisation corenne via le colonialisme japonais
12. Lorsque le Japon se vit imposer diffrents traits ingaux par les pays occidentaux, et comprenant pertinemment la perspective d'une perte totale de son indpendance et de
l'intgrit son pays, le gouvernement imprial dcida de transformer sa socit quasi
mdivale en un tat moderne et industrialis. A l'inverse, la Core tait engage dans une
politique de fermeture de ses frontires aux puissances occidentales, repoussant les offres
d'ouverture commerciale de la France et des tats-Unis avec la dynastie de Choseon.
Toutefois, le Japon mit en place un plan afin d'exercer une influence sur le royaume de Core
partir de 1875. Le gouvernement japonais russit conclure un premier trait ingal avec la
Core, comme les tats-Unis avaient fait avec lui en 185319. Cela mit fin au statut d'tat
tributaire de la Chine de Qing du royaume de Core et fit du pays une proie facile pour
l'empire japonais. Mme si loccupation de la Core par le Japon dura officiellement 40 ans
(de 1905 1945), il faut tenir compte du fait qu'un systme colonial avait t mis en place
bien avant la colonisation officielle du pays.
13. En 1894, la premire guerre sino-japonaise clata entre le Japon et la Chine suite la rvolte paysanne de Donghak. Ce mouvement antigouvernemental clata dans la ville de
Gobu en fvrier 1894, protestant contre la corruption politique des fonctionnaires locaux. Les
forces de l'empereur Gojong ne purent rprimer la rvolte, ce qui engendra un conflit encore
plus grand qui embrasa toute la rgion. Pour rprimer les troubles intrieurs, le roi Gojong
demanda l'aide de l'arme militaire chinoise. Mais lorsque le gouvernement japonais apprit
que prs de trois mille soldats chinois avaient dbarqu prs de Soul au mois de juin 1894,
sans son accord de principe, le Japon dcida de condamner cette violation de la Convention de
Tianjin en envoyant 18 000 soldats, prtextant vouloir empcher une possible invasion de la
Core par l'arme chinoise. Les deux armes s'affrontrent, dclenchant une guerre entre les
deux pays qui dbuta officiellement le 1er aot 1894 et dura deux ans. Le retard militaire de la
Chine permit l'arme japonaise moderne de prendre rapidement le dessus, obligeant la Chine
19 KIM Heong-Sik, Lhistoire moderne de la Core (De 1884 1945), Seohemunjib, 2009, pp.5-6
13
signer le trait de Shimonoseki, le 17 avril 1895, selon lequel elle abandonna sa suzerainet
sur la Core, et offrit l'le du Liadong (qui comprenait Port-Arthur) ainsi que la Mandchourie
(territoire au sud de la Chine) au Japon. Grce cette victoire, le parti pro-japonais coren
gagna en puissance et le gouverneur KIM Hong-Gib modernisa la Core avec la rforme
Gab-O, qui toucha diffrentes institutions dont le systme de police et de justice. Mais cette
rforme ne faisait que prparer la Core la future colonisation du Japon.
14. Voyant l'influence japonaise stendre en Asie, la Russie tenta de faire pression sur le Japon, augmentant peu peu le nombre de ses troupes en Core et en Mandchourie.
L'empereur japonais, considrant ces actes comme une dangereuse menace, dclara la guerre
la Russie le 10 fvrier 1904. La guerre prit fin le 17 Novembre 1905, avec la dfaite de la
Russie et la signature du trait Eulsa qui permettait au Japon davoir l'entire
responsabilit des affaires trangres en Core, faisant de la Core un protectorat japonais
avec sa tte ITO Hirobumi . Le 18 Juillet 1907, le Japon fit abdiquer lEmpereur
Gojong et obligea son fils signer le trait Jeongmi le 24 Juillet 1907 : ce trait autorisait les
japonais nommer et rvoquer les fonctionnaires de haut rang, que ce soit dans
l'administration ou dans la police ou la justice, fonctionnaires qui devaient tre de nationalit
japonaise pour pouvoir tre ligibles. Et plus tard, le 29 aot 1910, fut conclu le trait
dannexion de la Core par le Japon qui pouvait ds lors librement instaurer ses lois dans la
colonie. Il fallut attendre le 18 mars 1912 pour que le Code Meiji de procdure pnale soit
appliqu, selon une ordonnance du gouverneur gnral japonais stipulant que le Code japonais
de procdure pnale devait tre appliqu dans la colonie 20 . Lorsque le Code Meiji fut
remplac par le Code Daich au Japon en 1922, le gouverneur gnral renouvela
lordonnance relative la procdure pnale coloniale (en 1924) afin d'tre en adquation avec
le nouveau Code. Ainsi les deux Codes japonais et les deux ordonnances du gouverneur
gnral de Choseon furent les normes juridiques principales pour rglementer la procdure
pnale en Core de 1910 194521.
20 Art.1 de lordonnance relative la procdure pnale en Choseon du 18 mars 1912 ; Art.1 de lordonnance
relative la procdure pnale en Choseon du 7 dcembre 1924. 21 Sur lhistoire moderne de la Core de la fin de 19e sicle au milieu du 20e sicle, KIM Heong-Sik, Lhistoire
moderne de Core (De 1884 1945), Seoul, Seohemunjib, 2009 ; GANG Jun-Man, Le promenade dans lhistoire
moderne de Core, Seoul, Inmulgwasasang, 2008.
14
15. Ainsi lorigine de la procdure pnale moderne en Core se trouve dans le droit japonais qui lui fut impos lors de la colonisation du pays par le Japon, et comme le souligne
HAN In-Seop, la modernisation du systme judiciaire coren a commenc par une
altration et une imposition coloniale du Japon 22. Mais de par le fondement mme du droit
japonais, il n'est pas exagr de dire que la procdure pnale corenne se base sur le Code
napolonien dinstruction criminelle. La libration du pays en 1945 et la tutelle militaire
amricaine marqurent la rencontre avec le droit amricain.
2. Linfluence du droit amricain
16. Avec la libration du pays en 1945, la Core du Sud fut mise sous tutelle militaire amricaine jusqu la fondation de la Rpublique de Core le 15 aot 1948. La coopration
avec le gouvernement militaire amricain permit la Core du Sud desquisser un systme
administratif et judiciaire afin de reconstruire un tat indpendant, permettant au pays
dexprimenter le droit anglo-saxon. Mais les dirigeants amricains ne tenaient pas codifier
une nouvelle procdure pnale en vertu de Common law. En effet, les amricains laissrent le
Code Daich et lordonnance du gouverneur gnral relative la procdure pnale de
Chosoen en vigueur, ne faisant que remplir les carences juridiques des anciens textes
coloniaux : Toutes les lois, tous les rglements, ordonnances, notices ou autres documents
mis par l'ancien gouvernement gnral de Core resteront en vigueur de plein effet jusqu'
leur abrogation par ordonnance expresse du gouvernement militaire de la Core 23. Le
gouverneur militaire amricain supprima progressivement les lois discriminatoires et
contraignantes afin de rtablir l'tat de la justice et celui de lgalit devant la loi 24 ,
promulguant une ordonnance portant sur la dmocratisation de la procdure pnale le 20 mars
1948 ; mais il ne supprima pas leffectivit du Code Daich tout au long de sa tutelle.
L'ordonnance n176 du gouverneur militaire amricain prvoyait plusieurs changements de
la procdure pnale, de sorte que les droits des peuples la libert d'arrestation et de
22 HAN In-Seop, La structure du systme pnal colonial, son hritage et son puration en Core, Revue de
lhistoire du droit, n16, 2005, p.6. 23 Art.1 de lordonnance n21 du gouverneur militaire du 2 novembre 1945, La direction de la scurit publique,
Recueil des textes juridiques de la tutelle milliaire amricaine 1945-1948, 1956, p. 23 24 Alina 1 Art.1 de lordonnance n11 du gouverneur militaire du 9 octobre 1945, La direction de la scurit
publique, op.cit., p. 13
15
dtention illgales [pourraient] tre plus suffisamment scuriss. 25 Mais il sagissait surtout
de ladoption dun principe du droit anglo-saxon, celui de l Habeas Corpus .
Et le 15 aot 1948, la premire Rpublique de Core fut officiellement proclame, avec
comme premier prsident LEE Seong-Man. Cette novelle tape transfra la souverainet et la
responsabilit de construire un nouveau systme de procdure pnale au gouvernement sud-
coren.
3. La codification de la procdure pnale et lvolution du Code de procdure pnale en
Core
17. Le 15 septembre 1948, le gouvernement sud-coren mit en place la Commission de la rdaction des Codes juridiques, sous lautorit directe du prsident de la Rpublique, afin de
rdiger un projet gouvernemental concernant la codification des lois civiles, pnales et
commerciales, avec sa tte lancien ministre de la justice, KIM Byeong-Ro. En prenant en
considration la situation chaotique de la socit sud-corenne et labsence de thoriciens du
droit, la commission ne pouvait pas crer un nouveau Code de procdure pnale, se contentant
de rcrire le Code japonais de procdure pnale Daich, y ajoutant quelques principes du
droit amricain. Comme le note KIM Byeong-Ro, ce Code fut rdig sur la base de lancien
droit japonais qui restait en vigueur jusqu ce jour-l, en y intgrant des lois renouveles
sous le gouvernement militaire amricain. 26 Le prsident du Conseil de la lgislation
judiciaire, KIM Jeong-Sil, estima que le projet du Code de la procdure pnale tait une
adoption partielle des avantages du droit amricain sur la base du droit du continent
europen 27. Le projet de Code de procdure pnale fut vot le 13 janvier 1953 et accept,
avec quelques modifications marginales, par lAssemble nationale. Il fut promulgu le 9
janvier 1954. Ctait la premire vritable codification de la procdure pnale dans lhistoire
juridique de la Core.
25 Art.1 de lordonnance n176 du gouverneur militaire du 20 mars 1948, La direction de la scurit publique,
op.cit., p. 340 26 SHIN Dong-Un, KIM Byeong-Ro et les Codifications juridiques, Revue de la recherche du droit
Beobhakyeongu, n25, 2007, p. 2 27SHIN Yang-Gyun, Le recueil des documents relatifs la codification de la procdure pnale, Laboratoire de la
politique pnale de la Core, 2009, p.122
16
18. Durant les diffrents rgimes autoritaires postrieurs la mise en place du gouvernement coren28, le systme de procdure pnale, hritage du droit japonais colonial,
fut trs largement utilis au service de ces rgimes autoritaires pour liminer les oppositions
politiques ou mouvements contestataires. Les diffrents rgimes autoritaires, loin de
rechercher prioritairement la scurit et la libert de lensemble des citoyens, prservrent le
droit japonais en Core. Comme le souligne HAN In-Seop, les pouvoirs autoritaires ont
profit des hritages coloniaux japonais, crant de nouveau la structure de domination et le
systme juridique ressemblant ceux du colonisateur japonais. A cet gard, les rgimes
autoritaires peuvent tre mis en parallle avec le rgime colonial japonais, car ils ont
manipul les normes juridiques et les systmes judiciaires pour que ces derniers servent
maintenir le rgime politique peu lgitime 29.
19. Paralllement la dmocratisation du rgime politique 30 , le dispositif judiciaire consolid par les rgimes autoritaires resta un obstacle pour la dmocratisation du pays aux 28 Le prsident de la Rpublique, LEE Seung-Man devint de plus en plus autoritaire pour maintenir son pouvoir,
et aprs la guerre de Core, des manifestations antigouvernementales clatrent partout dans le pays. Finalement,
le 19 avril 1960 eut lieu la Rvolution du 19 avril qui entrana la destitution du prsident et la mise en place du
gouvernement rvolutionnaire . Cependant, un coup dtat conduit par les militaires le 16 mais 1961 amena
le gnral Park Jung-Hee la tte de la dictature militaire jusqu ce quil soit assassin par son bras droit, Kim
Jea-gyu, le 26 dcembre 1979. La mort du prsident Park Jung-Hee entrana le chaos dans la socit sud-
corenne, et une faction dominante dans l'arme, dirige par Chun Doo-Hwan, ralisa un nouveau coup dtat
militaire le 12 dcembre 1979. Il instaura un gouvernement qui continua d'exister jusqu' la rvision de la
Constitution (mais surtout l'lection au suffrage universel direct du chef de ltat) le 22 octobre 1987 aprs la
victoire obtenue contre le gouvernement militaire par le mouvement dmocratique de la population sud-corenne.
Cependant, l'lection naboutit pas une alternance politique cause de la scission de lopposition. Lancien
gnral militaire, Rho Tea-Woo fut lu comme prsident et ainsi, le gouvernement militaire se prolongea encore
5 ans. V. Sur lhistoire de la politique contemporaine de la Core du Sud, SON Ho-Cheol, La politique
contemporaine de la Core 1945-2011, Seoul, Imazine, 2011 29 HAN In-Seop, op.cit., p.9 30 La dmocratisation de la Core est rellement effective avec les lections prsidentielles de 1991 et l'lection
d'un prsident civil : Kim Young-Sam. La consolidation de la dmocratie en Core du Sud fut particulirement
rapide et profonde sous la prsidence de Kim Young-Sam. En assumant la fonction de prsident, il a lanc
plusieurs politiques de rforme. En effet, les lections municipales et provinciales ont t rintroduites en 1993
aprs environ trente dannes de dictature militaire. Les lois sur les fonds politiques et l'thique publique ont t
modifies pour radiquer la corruption politique chronique et amliorer la comptitivit internationale de la
Core du Sud. Les liberts civiques ont t aussi significativement largies et approfondies. V. Sur lhistoire de
la politique contemporaine de la Core du Sud, SON Ho-Cheol, op.cit., 2011
17
yeux des mouvements dmocratiques de la Core du Sud. Et la rforme de la procdure
pnale devint un enjeu important. Surtout, les deux derniers prsidents de la Rpublique
appartenant la gauche , Kim Dea-Jung et ROH Mu-Hyeon31, tentrent de rformer le
systme pnal en profondeur, mettant en place des commissions pour la rforme judiciaire
sous leur autorit directe, afin de renforcer le contrle et la participation des citoyens lors de
la procdure pnale et de concilier lefficacit procdurale et la protection de la libert
individuelle. Malgr la forte volont du gouvernement en faveur du changement, on s'aperoit
que les changements ne sont pas profonds, et quil n'y a toujours pas l'heure d'aujourd'hui
une rupture avec lancien systme, hritage direct du systme colonial japonais.
20. Avec le gouvernement de droite de LEE Myeong-Bak depuis 200832, il ny a plus de discussion sur ce sujet au sein du gouvernement, mais celle-ci continue lAssemble
nationale. Ainsi, 15 dputs du Parti dmocratique ( de gauche ) prsentrent lavant-
projet de rforme dune partie du Code de Procdure pnale , qui fut transmis la
commission spciale sur la rforme de la justice le 2 dcembre 2010. Cette commission
tomba daccord sur le fait que lon doit changer le systme actuel denqute et rformer en
grande partie le parquet. Le projet vot le 11 juillet 2011, modifia larticle 196 du Code de
procdure pnale afin de modifier le systme denqute criminelle33. Si la rforme du systme
31 La crise nationale financire et conomique entraina une alternance politique historique lors de llection prsidentielle de 1997 en Core. Le prsident KIM Dae-Jung a baptis son gouvernement celui du peuple en
tant que troisime gouvernement de la sixime Rpublique de la Core du Sud. Le nouveau gouvernement du
Prsident Kim Dae-Jung, install en fvrier 1998, essaya de rformer le pays, tant lintrieur qu lextrieur.
Les politiques de rforme de Kim Dae-Jung taient divises en trois volets : structure conomique, institutions
politiques et judiciaires, et relations avec la Core du Nord. Kim Dae-Jung fit par ailleurs, pendant son mandat,
beaucoup defforts pour imposer la dmocratie et les droits de lhomme dans le pays. La passation de pouvoir au
prsident Roh Moo-Hyun en fvrier 2003 marque son administration dite de gouvernement participatif . Le
gouvernement de Roh Moo-Hyun montre, tout au long de son mandat, sa forte volont et sa passion pour
continuer la rforme de ltat, en hritant gnralement des politiques de lancien prsident Kim Dea-Jung. V.
SON Ho-Cheol, op.cit. 32 LEE Myeong-Bak est le dixime et actuel prsident de la Rpublique de Core (actuellement dtenteur du 17e
mandat prsidentiel depuis la cration de la fonction). Il a servi en tant que 31e maire de Soul et est actuellement
membre du parti droit qui sappelle Grand parti national. Ainsi, LEE Myeong-Bak tient renforcer les
relations corano-amricaines, en insistant tout particulirement sur les solutions du libre march, et galement
mettre en uvre une politique plus rigoureuse en ce qui concerne la Core du Nord, ides organises sous le nom
de Doctrine MB ; V. SON Ho-Cheol, op.cit. 33 1 En tant quofficier de police judiciaire, le contrleur gnral de police, le commissaire gnral de police,
18
denqute criminelle fait lobjet dun dbat depuis la mise en place du Code de procdure
pnale en 1954, cest la premire fois quun projet a abouti et est vot. Malgr cet effort, ces
modifications sont trs limites, car elles ne rforment pas totalement le systme actuel, mais
suppriment les vides juridiques entre les textes de lois et la pratique. Ainsi, le systme coren
denqute criminelle garde encore en grande partie son systme hrit du systme colonial
japonais dont la premire base est le systme franais.
Cependant, il nest pas possible de trouver une influence directe du droit franais dans
lhistoire juridique corenne, car le droit coren na emprunt au droit franais que sous
linfluence du droit japonais. Ainsi, on trouve la conception traditionnelle franaise des
institutions dans le systme coren actuel, la centralisation et la hirarchisation. Si la police et
le parquet corens qui sont les deux organes principaux chargs de soccuper des affaires
criminelle, sont ainsi centraliss (PARTIE I), ils ont galement des rapports hirarchiss lun
par rapport lautre (PARTIE II).
le commissaire de police, le commandant de police ou le lieutenant de police doivent suivre la directive du
procureur pour toute enqute criminelle ; 2 Dans la mesure o lofficier de police judiciaire prend la
connaissance dune infraction commise, il doit dclencher et mener lenqute criminelle sur linfraction, son
auteur et les preuves de linfraction :3 Lofficier et lagent de police judiciaire doivent respecter la directive du
procureur. Les dispositions relatives au droit de direction du procureur seront rgles par un dcret prsidentiel ;
4 En tant quagent de police judiciaire, le brigadier de police et le gardien de paix doivent seconder lenqute
criminelle () .
19
PARTIE I : LA CENTRALISATION DES ORGANES DENQUTE
21. La centralisation est un systme organique dadministration reposant sur lattribution du pouvoir de dcision des autorits soumises directement au pouvoir central. Cette
centralisation se traduit par une volont unique : celle de diriger le pays par le gouvernement
central. Cette volont a pour origine le sommet de l'tat et est transmise jusqu'au la plus petite
administration du pays, imposant un systme administratif fortement unifi et hirarchis34.
Emprunts au modle franais, la police et le paquet corens sont centraliss et eux aussi
soumis au pouvoir central. Alors que la police est une organisation centralise sous lautorit
du ministre des affaires intrieures (Titre I), le parquet est, quant lui, une organisation
centralise sous lautorit du ministre des affaires juridiques (Titre II).
Titre I : La centralisation de la police
22. Dans le langage courant le mot police dsigne le corps de fonctionnaires dont le rle consiste assurer lexcution des prescriptions gnrales ou individuelles et des mesures
dcides par les autorits de police35. Si la police a ainsi pour rle dassurer la tranquillit, la
scurit et la salubrit publiques, chaque pays a sa propre organisation policire. En Core la
police est une organisation centralise qui sest tablie en se basant sur le modle policier
napolonien. Mais, la diffrence principale entre les polices franaise et corenne est que la
police franaise possde une multiplicit de polices (Chapitre 1), alors que la police corenne
ne possde quune seule et unique force qui a suivi sa propre volution historique (Chapitre
2).
Chapitre 1 : Une police centralise mais multiple en France
Il est difficile de dcrire les premires tapes de la mise en place des institutions
policires sur le territoire franais car elle fut, ds son origine, confondue avec la justice
(Section 1). Cest seulement aprs la Rvolution franaise de 1789 que la police est devenue
34 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2005, p.98 35 Bernard BOULOC, Procdure pnale, Dalloz, 22e d., 2010, p.349
20
une autorit avec une organisation indpendante de la justice (Section 2).
Section 1 : La confusion entre la police et la justice
23. A lpoque romaine, des magistrats cumulaient le pouvoir de la justice et celui de la police entre leurs mains 36 . A lpoque mrovingienne et carolingienne, de hauts
personnages choisis dans lentourage du roi, les ducs et les comtes, gouvernaient les provinces
au nom du roi, succdant ainsi aux magistrats romains dans lexercice des fonctions de la
police et de la justice 37. A lpoque fodale, le pouvoir fut miett entre les nombreux
seigneurs fodaux, qui ainsi exeraient tous les pouvoirs, y compris ceux de la justice et de la
police dans leur fief. Durant le haut Moyen-ge, le pouvoir de la police tait toujours
confondu avec celui de la justice, car un mme seigneur maintenait lordre, lucidait
l'infraction et chtiait son auteur. Le travail de reconqute du pouvoir par les rois de France
consista retirer progressivement ces prrogatives aux seigneurs fodaux. Les rois franais
commencrent nommer leurs propres dlgations magistrales remplaant ainsi ces seigneurs
fodaux et mettant fin leur domination territoriale 38 . Les diverses organisations
policires seigneuriales taient marques par une diversit des polices comptentes (1),
engendrant lpoque une incapacit endiguer le dveloppement de linscurit dans
lensemble du territoire franais. Cest prcisment pour cette raison que les rois dcidrent
de mettre en place un systme central de police, au bnfice du renforcement de la royaut
(2).
1 Une diversit de la police
Confondue avec la justice, la police fut marque par son empirisme organisateur 39 ,
lequel a conduit une multiplication de la police et un enchevtrement des comptences
aussi bien dans la capitale (A) quen province (B).
36 Jean MONTREUIL, La Police judiciaire, procdure pnale, dition juris-Classeur, 1999, n26 37 Arlette LEBIGRE, La police : une histoire sous influence, Gallimard, 1993, pp.14-15 38 http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_l_interieur/la_police_nationale/histoire (dernire consultation le
22/03/2011 ) 39 Georges CARROT, Histoire de la Police franaise, Tallandier, 1992, p.71
21
A. La police Paris
24. Conformment aux coutumes fodales, les rois de France qui taient comtes de Paris, dlgurent leurs pouvoirs un magistrat : le vicomte de Paris. Pour viter des dangers
dinfodation et de mainmise hrditaire sur cette charge, Henri I abolit cette dernire pour lui
substituer une magistrature nouvelle, celle du prvt40. Aprs la cration de cette charge de
prvt Paris, lexercice de la fonction de police dans la Capitale fut de plus en plus une
comptence partage par la multiplicit des autorits de police (1) et des forces de police41
(2).
1 La multiplicit des autorits de police.
25. Le prvt de Paris, reprsentant direct du pouvoir royal, tait indiscutablement lautorit principale de la police dans la vicomt de Paris. Nomm par le roi et rvocable par
ce dernier, le prvt tait charg de rglementer et de prendre les dcisions concernant
lhygine et la sret de la ville, et de rgler les conflits survenant entre les habitants, rendant
une bonne et prompte justice. 42 La prsence sur le sol parisien dun certain nombre de
seigneurs, lacs ou ecclsiastiques, qui conservaient sur leur terrain des droits de justice, de
police et de voirie, tait une source de nombreux conflits de comptences. Comme le note
Marcel LE CLERE, Paris mme, le mtier de prvt en effet ntait pas de tout repos ; son
pouvoir fut battu en brche par les puissants monastres, par lofficialit de lvque et
surtout par lUniversit 43. Dans la cit, ville forte et march la fois, la royaut a dailleurs
reconnu un certain nombre de privilges commerciaux au prvt des marchands qui tait le
reprsentant de la bourgeoise parisienne. Ainsi celui-ci tait aussi comptent pour exercer le
40 Marcel LE CLERE, Histoire de la police , Que sais-je ?, PUF, 1973, p.18 41 Le droit administratif distingue les autorits et les forces de police. Alors que les premires ont le pouvoir de
prendre des mesures juridiques en matire de police, les secondes ont pour fonction la ralisation matrielle de
lordre public Voir., Jean-Jacques GLEIZAL, La police nationale, in Droit et pratique policire en France,
PUG, Grenoble, 1974, p.28 42 Georges CARROT, op.cit., p.34 43 Marcel LE CLERE, op.cit., p.18
22
droit de police et de justice de la Seine, la police des prix et les litiges commerciaux44.
26. Plus la capitale se dveloppa et plus la police, sous lautorit royale, se diversifia. En effet, en 1302 le poste de lieutenant fut cr dans le but d'assister le prvt de Paris dans sa
tche. Mais devant lampleur de ce travail, on dt effectuer une spcialisation des tches qui
entrana le ddoublement de ce poste de lieutenant. Ainsi, en 1493 par ordonnance royale on
spara clairement les tches effectues par les deux lieutenants du prvt de Paris : naquirent
ainsi les postes de lieutenant civil et de lieutenant criminel. Tous deux devaient dsormais
porter une robe longue . Le lieutenant criminel tait charg de se prononcer sur tous les
crimes commis Paris, alors que le lieutenant civil sigeait la chambre civile du Chtelet en
premier instance45. Ceux-ci ne cessrent de se disputer les attributions relatives la police.
Alors que le lieutenant civil faisait valoir quil tait le plus ancien des lieutenants et quil
avait, ds lors, hrit de lensemble des comptences du prvt, le lieutenant criminel
prtendait que les fonctions de police, lies la tranquillit publique, ne pouvaient tre
spares de ses fonctions criminelles de juge . Comme le souligne Olivier RENAUDIE,
ces querelles taient dautant plus prjudiciables lexercice de la police que dautres
autorits avaient des comptences en la matire dans la capitale 46. En 1577, Henri III
confia donc au lieutenant civil (qui portait la robe longue ) la comptence, thorique et
exclusive, de police47. Mais parmi les autorits de police attaches au prvt de Paris, il
convient aussi dvoquer le lieutenant criminel (qui portait prsent une robe courte ). En
1526, Franois Ier, soucieux de la multiplicit des tches policires, mit en place un poste de
lieutenant criminel robe courte charg de suppler un lieutenant criminel la robe
longue 48. Ce magistrat oprait des arrestations, effectuait des tches d'information judiciaire
et instruisait les procs devant le lieutenant criminel robe longue. Il tait galement charg
deffectuer des chevauches dans les rues et de visiter les tavernes, les carrefours, les cabarets,
les maisons dissolues o se retiraient les vagabonds, les oisifs, les malveillants et les gens sans
44 Olivier RENAUDIE, La prfecture de police, Thse, Paris II, 2007, p.24 45 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, Histoire et dictionnaire de la police, Robert
Laffont, 2005, p.743 46 Olivier RENAUDIE, op.cit., p.26 47 Marcel LE CLERE, op.cit., p.18 48 Ldit du 24 fvrier 1523 (Cit par Faustin HELIE, De la police judiciaire in Trait de linstruction
criminelle et thorie du Code dinstruction criminelle, Hingray, t.3, 1851)
23
aveux et de mauvaise foi49.
27. En tant quautorit de police parisienne, il faut galement mentionner le Parlement de Paris, qui tait la fois une autorit juridictionnelle et une autorit rglementaire. En tant
quautorit juridictionnelle, le Parlement de Paris tait comptent pour juger en appel les
dcisions rendues par les autorits de police de son ressort ; de plus, en tant quautorit
rglementaire, il pouvait, sil estimait que les circonstances locales lexigeaient, complter les
mesures gnrales prises par le roi par des arrts dits de rglement50. En dehors de ces deux
fonctions, le parlement possdait galement un pouvoir gnral dinspection des autorits
ordinaires de police, dont il usait rgulirement51.
Les diffrentes forces de police parisienne se sont, sous lancien rgime, multiplies.
2 La multiplicit des forces de police
28. La premire vritable force de police organise de la capitale fut celle des troupes du prvt de Paris. Cette troupe se composait dune premire troupe de 35 hommes cheval,
charge de garder les dehors dans toute ltendue de la prvt 52, donc de la surveillance
des environs de la capitale ; dune seconde troupe, se composant de 70 hommes pied, qui
avait pour mission la garde de la Ville et des Faubourgs de Paris et lexcution des
rglements de police 53. A leur tte, le chef de police de la vicomt qui tait entour de douze
hommes darmes nomms sergent la douzaine , qui assuraient surtout un service
dapparat 54 . Par la suite, linitiative prive aida cette force policire, qui bientt fut
impuissante devant le peuplement massif de la rive droite de Paris. Ds le XIe sicle, un
service de guet fut organis par les bourgeois issus des corporations de marchands et
dartisans, qui fournissaient un contingent dhommes pour maintenir lordre public chaque
nuit dans Paris, patrouillant en armes pied ou cheval dans les rues55. En parallle ce 49 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit., p.743 50 Franois OLIVIER-MARTIN, La police conomique de lAncien Rgime, Loysel, 1988, p.55-60 51 Georges CARROT, op.cit., p.73 52 Nicolas DELAMARE, Trait de la police, Brunet, 1705-1738, t.1, p.249 53 Ibid., p.249. 54 Marcel LE CLERE, op.cit., pp. 14-15 55 Ibid.
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service de guet municipal, il fut mis en place galement un service de guet royal, mais
celui-ci tait mobile, charg de faire des rondes en ville (moins semble-t-il, pour surveiller la
ville que pour vrifier que les bourgeois du guet taient bien leur poste)56. En 1254, le roi
Louis VIII runit ces deux forces en une seule, sous lordre dun nouveau magistrat, le
chevalier du guet sous cette prestigieuse devise : vigilat ut quiescant : Il veille afin que les
habitants se reposent 57.
29. Pour assister le prvt, en plus des lieutenants robe longue ou robe courte, une force magistrale de police fut tablie dans le palais de la justice, les commissaires du
Chtelet , qui furent mis en place partir de 1254 en tant quenquteurs dlgus du
prvt58. En supprimant les preuves irrationnelles devant la juridiction royale, le roi Louis
VIII substitua lenqute au duel judiciaire. Cela obligea, vu la multiplicit des affaires, les
prvts crer des postes de dlgus, les enquteurs au Chtelet qui avaient pour fonction
judiciaire de participer aux audiences et de recueillir les preuves59. En 1306, Philippe IV
dcida que les enquteurs du Chtelet, outre leur service d'enquteurs, seraient commis la
police des quartiers de Paris 60 . Ils taient magistrats devant la justice et mais aussi
propritaires de leur office policier de quartier, dirigeant des sergents en tant que
commissaire-enquteur de quartier61. En 1337, leur nombre, initialement fix douze (comme
le nombre de quartiers de Paris) fut port seize par un dit de Philippe VI de Valois, les
quatre nouveaux commissaires assistant plus spcialement le roi et son prvt dans leurs
tches. Etant court dargent, Franois I rigea en systme la vnalit des offices de
commissaire au Chtelet de la prvt et vicomt de Paris 62. A partir de ce moment, leur
nombre ne cessa de crotre. On dnombra au milieu du 17e sicle, 48 commissaires rpartis
dans les 16 quartiers de la capitale.
30. Au bas de la hirarchie des magistrats auxiliaires du prvt de Paris, il y avait les
56 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit, p.707 57 Antoine LEFER, Histoire de la police, Jacques Grancher, 1982, p.10 58 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit, p.619 59 Marcel LE CLERE, op.cit., p.21 60 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit, p.620 61 Jean MONTREUIL, op.cit., n28 62 Marcel LE CLERE, op.cit., p.21
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sergents royaux, policiers subalternes63. Ils avaient trois rles majeurs : - premirement, en
tant quauxiliaires de justice, ils devaient dlivrer les exploits, signifier les mandats et assurer
la tranquillit des audiences (toutes ces tches sont aujourdhui assignes aux huissiers) ; -
deuximement, soumis aux divers lieutenants criminels, ils procdaient lexcution des
arrestations commandes par leurs chefs ; - et troisimement, galement subordonns des
commissaires-enquteurs, ils taient chargs deffectuer des patrouilles, remplissant ainsi le
rle actuel des gardiens de la paix64.
Si les forces de police parisienne taient la fois nombreuses, disparates, peu
professionnelles et relevant dautorits diverses, la police en province ne ltait pas moins.
B. La police en province
Lorganisation de la police parisienne modela celle de la police des autres villes de
France. Ainsi, le systme de prvts royaux, assists par des sergents pour assurer lexcution
de leurs ordres, se rpandit dans les autres villes de France au profit de lexpansion de la
domination royale 65 . Cependant, l'ampleur des tches policires des prvts royaux en
province diminua avec la diversification de la police civile dans les villes (1) et avec la
multiplication des marchausses provinciales dans les campagnes (2).
1 La diversification des polices civiles
31. A partir du XIe sicle, les municipalits acquirent le droit de sadministrer elles-mmes grce au dveloppement des franchises communales et commerciales. Comme le
souligne Philippe Sueur, ladministration locale des intrts collectifs sest organise en
saffranchissant du rgime fodal partir du XI e sicle, crant autant de situations
diffrentes et de rgimes de droit public qui ne furent jamais unifis () 66. Pour lutter
63 Ibid., p.75 64 Faustin HELIE, Histoire de la procdure criminelle in Trait de linstruction criminelle et thorie du Code
dinstruction criminelle, 1851, Hingray, t.1, p.391 65 Georges CARROT, op.cit., p.65 66 Philippe SUEUR, Histoire du droit public franais, XVe-XVIIIe sicle : la gense de lEtat contemporain,
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contre le pouvoir arbitraire de lordre fodal, les villes, petites ou grandes, accdaient une
indpendance plus ou moins large, mme au niveau de la police. Si la police tait
gnralement confie aux justices royales prvtales, aux justices seigneuriales laques ou
ecclsiastiques selon les villes, le mouvement communal entraina souvent les dlgations
royales ou seigneuriales n'avoir qu'un rle secondaire face aux magistrats communaux67. La
police tait partage entre ces diffrentes autorits, ce qui eut pour effet de multiplier les
conflits de comptences68.
32. Avec lextension du domaine royal qui engendra une multiplication du nombre des prvts en province, le contrle direct de ceux-ci fut de plus en plus difficile. Pour encadrer
les abus invitables des prvts de province, le roi les mit sous la surveillance dun corps des
officiers royaux, les baillis, appels snchaux dans lOuest et le Midi, qui furent institus
partir de 119069. De plus, ils avaient leurs propres comptences au niveau de la justice et de la
police. En prenant leur charge, par serment devant le roi, les baillis sengageaient de faire
justice aux grands comme aux petits, aux trangers comme aux citoyens sans aucune
acceptation de personne ou de nation, de garder et de conserver les droits du roi, sans
nanmoins aucun prjudice des droits dautrui, de faire observer les usages et coutumes des
lieux et de ne point souffrir dans leur juridiction de gens sans religion, de perturbateurs du
repos public, dusuriers et de gens scandaleux de mauvaise vie, mais de les punir sans
dissimulation 70 . Au niveau de la justice, ils constituaient une juridiction dappel pour
contrler le jugement rendu par la juridiction royale prvtale. Recevant des gages fixes afin
dviter quils ne simpliquent pas totalement dans leurs fonctions, ils reprsentaient
galement lautorit royale au niveau de la police, supervisant les fonctions de la police
exerces localement par les prvts71. Les baillis dtenaient de nombreux pouvoirs afin de
maintenir lordre du roi et excuter les arrestations les plus importantes72. Avec le succs des
baillis, le bailliage devint la circonscription administrative fondamentale du Royaume au
PUF coll. Thmis, 2001, t.1, p. 112 67 Georges CARROT, op.cit., pp.36-37 68 Marcel LE CLERE, op.cit., p.18 69 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit., p.560 70 Nicolas DELAMARE, op.cit., t.1, p.4 71 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit., p.560 72Ibid.
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dessus de la prvt en province73.
33. Malgr tout, les autorits royales de police de province se trouvaient plus ou moins dsarmes pour maintenir lordre public, excuter lordre du roi, poursuivre les auteurs
dinfractions, ou bien encore, faire appliquer les dcisions de justice alors que linscurit
rgnait dans le pays. Comme le note Pascal BROUILLET, les quelques sergents attachs
aux bailliages et snchausses, ou aux justices seigneuriales, ne pouvaient suffire la tche,
quand bien mme ils en auraient eu la volont, ce qui nest pas toujours le cas 74. Cette
faiblesse de la force de police provinciale entraina une multiplication des juridictions
prvtales de marchausses qui taient dotes de leur propre force arme, dune grande
efficacit dans les campagnes qui taient hantes par les brigands de grands chemins et les
soldats dserteurs.
2 La multiplication des marchausses
34. La gendarmerie Nationale tire son origine de la Marchausse, troupe spcialise, cre au XIIe sicle, pour assurer la police aux armes75. Malgr cette affirmation claire,
lorigine des marchausses est difficile tablir. Dans la tradition, la gendarmerie naquit
avec le poste de sergent darme cr par Philippe-Auguste en 1191, mais cela ne repose sur
aucun fondement srieux76. La cration des marchausses comme police militaire remonte
avec certitude la guerre de Cent ans (1338-1453). En priode de guerre, le pays tait soumis
au pillage des campagnes et la population vivait dans une inscurit permanente devant
laquelle la justice ordinaire se rvlait impuissance. Les capitaines nayant plus aucune
emprise sur les arrires de leurs troupes, le seul remde efficace contre les pillards tait la
prsence de la juridiction prvtale, assiste des sergents qui intervenaient en fonction des
besoins77. En 1339, le roi Philippe IV rattacha les marchausses aux troupes militaires pour
73 Gaston STEFANI, Georges LEVASSEUR et Bernard BOULOC, op.cit., pp.50-51 74 Pascal BROUILLET (Sous Dir.), De la Marchausse la Gendarmerie, histoire et patrimoine, Service
historique de la Gendarmerie nationale, Maison-Alfort, 2004, p.15 75 Jacques LORGNIER, Marchausse, histoire dune volution judiciaire et administrative, LHarmattan, 1995,
t.1, p.1 ; Pierre GARRIGUE, Gendarmerie franaise, histoire de la Gendarmerie, miroir de lhistoire de France,
Hologramme, 1990, p.271 76 Pascal BROUILLET (Sous Dir.), op.cit., p.14 77 Michel AUBOUDIN, Arnaud TEYSSIER et Jean TULARD, op.cit., p.759
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contrler les soldats et sanctionner les infractions quils commettaient. Les Marchaux,
chargs de mener les troupes royales aux combats, avaient le droit de juger les actes des
gens de guerre auprs de leurs prvts, assists par leurs sergents. Ainsi, les marchausses
taient la fois une unit mobile qui tait en soi une juridiction prvtale, mais galement une
troupe militaire compose de sergents des marchausses, rattache et commande par les
prvts des marchaux78. En 1356, une ordonnance de Jean le Bon dfinit les comptences
propres de la justice prvtale pour les dlits des gens de guerre et les actions civiles
rsultant des faits de guerre79. Ainsi, les marchausses parcouraient villages et chemins,
arrtant les soldats malfaiteurs et les livraient aux tribunaux des marchaux80.
35. Pour rsoudre les problmes de police dans les villes et bourgs de province, Franois Ier tendit le systme des marchausses aux bailliages et snchausses royaux. Les
juridictions prvtales des marchausses furent implantes de manire permanente sur
lensemble du territoire, sans souci de prsence de troupes81. Toutes ces juridictions furent
mises en place sur le modle des marchausses dj existantes, se rattachant aux tribunaux
prvtaux. On leur confia ainsi la mission de rprimer les crimes qui taient considrs
comme troublant le plus gravement l'ordre social : les crimes et vols de grand chemin,
l'assassinat prmdit, les vols avec effraction, le port d'armes avec les violences publiques,
les vols dans les glises, les sditions, les motions populaires et les assembles illicites avec
port d'armes82. Comme le souligne Jean-Franois PENIGUEL, cette mesure, capitale pour
lavenir de la gendarmerie, confrait un corps essentiellement militaire des attributions
mixtes, civiles et militaires, lui attribuant un domaine daction essentiellement rural 83.
36. Si les units multiples des marchausses se rpandirent comme police rurale, concurrenant les officiers et juges des juridictions ordinaires, laction peu efficace et la
mauvaise rputation des marchausses firent rapidement lobjet de critiques, surtout en ce
qui concernait le mode de recrutement de leur personnel subalterne. Car les prvts ne
78 Jacques LORGNIER, op.cit., p.421 79 Jean-Franois PENIGUEL, De la marchausse la gendarmerie l'volution des missions de police judiciaire,
Revue de la Gendarmerie nationale, 1er et 2e trimestres 1999, p.171 80 Marcel LE CLERE, op.cit., p.15 81 Pascal BROUILLET (Sous Dir.), op.cit., pp.15-16 82 http://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr (dernire consultation le 22/07/2011 ) 83 Jean-Franois PENIGUEL, op.cit., p.171
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[recrutaient] comme archers que des paysans, qui achtent les charges pour jouir des
privilges, et qui habitent trop loin pour pouvoir se rassembler 84. De plus, les problmes de
multiplicit des units, de chevauchements des comptences et de diffrences des
comportements firent natre des conflits entre eux, au sujet de lindpendance des uns envers
les autres, rendant les services rendus de trs mauvaise qualit. Accuss dtre ignares et
dagir en tyrans, ils avaient une si pitre rputation qu ils taient plus craindre que les
voleurs mmes 85. Ils firent lobjet d'une rforme, ainsi que les polices civiles, qui taient
nombreuses, disparates, peu professionnelles et relevant dautorits diverses, que ce soit
Paris ou en province. Toutes ces tares eurent pour consquence de rendre inefficaces les
polices civiles, entranant ainsi le dveloppement de linscurit et de linsalubrit qui
pesaient sur les habitants, et notamment sur lautorit royale. Le roi Louis XIV tenait
instituer un systme policier plus centralis, cens tre plus efficace tant Paris quen
province, au fur et mesure que sa royaut se dveloppait.
2 Linstitution dun systme ddi police
37. Les grandes villes, notamment Paris, semblaient tre des lieux propices aux dlits durant lancien rgime. Comme le dcrit Guy PATIN, on tue, on vole et massacre, ici,
partout, jour et nuit, si impunment que cest piti Nous sommes la lie des sicles 86. Les
campagnes, parcourues par de nombreux bandits et voleurs de grand chemin, taient elles
aussi peu sres. La police y tait dborde, trop faible et trop craintive 87. Afin de juguler
l'augmentation constante des infractions dans la capitale et en province, la monarchie
seffora de construire un systme policier centralis autour de l'tat, mettant en place la
fonction de lieutenant de la police (A) et le systme de la marchausse royale (B).
A. Le lieutenant gnral de la police
84 Pascal BROUILLET (Sous Dir.), op.cit., p.22 85 Ibid., p.24. 86 Georges-Andr EULOGE, Histoire de la police et de la gendarmerie, des origines 1940, Plon, 1985, p.29 87 Julien VERGNE, Gabriel Nicolas de La Reynie, premier lieutenant de police, Thse, Paris, 1953, p.28.
30
38. Au milieu du XVIIe sicle, Paris tait en proie au dveloppement de l'inscurit politique et urbaine. La capitale tait le foyer de troubles politiques entre les diffrents
pouvoirs en place, s'ajoutant cela, des rvoltes clatrent entre 1648 et 1652. Ctait Paris
que l'on complotait et quon se rebellait contre le renforcement du pouvoir royal.
Laugmentation des dlits cette poque sexpliquait principalement par le dveloppement de
la misre, lexpansion de la ville, et le relchement des liens sociaux88. Comme le note Arlette
LEBIGRE, toujours plus peuple, plus tendue, la ville a perdu le caractre rural, propice
lesprit communautaire, quelle avait lorigine 89. Le 24 aot 1665, lun des deux plus
hauts magistrats du Chtelet, le lieutenant criminel Tardieu et sa femme furent tus en plein
jour dans leur htel du quai des Orfvres, au cur de lle de Cit, par deux jeunes venus leur
extorquer de largent. Daprs Arlette LEBIGRE, ce crime a t la goutte deau qui a fait
dborder le vase 90 . En constatant que la police parisienne tait, selon la formule de
DELAMARE, dans un dsordre presque universel 91, Louis XIV runit une commission de
travail pour le rtablissement du bon ordre et de la discipline publics. Avec l'instauration d'un
conseil de rvision de la police de la ville de Paris, en mars 1667, le roi Louis XIV signa un
dit pour mettre en place un lieutenant de police, en tant quautorit principale de la police
parisienne (1). La lieutenance de police eut, trs rapidement, des effets positifs Paris, et prit
valeur dexemple au point que le pouvoir royal en souhaita la gnralisation aux diffrentes
villes du royaume (2).
1 La lieutenance de police parisienne
39. Colbert, dans un rapport adress au roi, attira lattention de ce dernier sur la ncessit d'une rforme de la police, en particulier sur celle de la capitale : () lgard de la police
comme cest assurment la plus importante partie de la vie civile et qui produit plus de biens
et davantages aux sujets, il faut aussi prendre garde que tous ceux qui seront nomms pour
cette matire aient plus de force et de probit quaucuns, et de leur ordonner de commencer
par Paris qui, estant la capitale du Royaume, donne facilement le mouvement tous les
88 Olivier RENAUDIE, op.cit., pp.29-30 89 Arlette LEBIGRE, Les dangers de Paris au XIIe sicle. Lassassinat de Jacques Tardieu, lieutenant criminel au
Chtelet et sa femme, Albin Michel, 1991, p.101 90 Arlette LEBIGRE, La police une histoire sous influence, op.cit., p.42 91 Nicolas DELAMARE, op.cit., t.1. p.12
31
autres 92. A cet effet, le roi tablit une commission charge de rformer la police de Paris.
Runie pour la premire fois le 26 octobre 1666, la commission de rvision de la police
parisienne aboutit la rdaction dun dit. Cet dit du 15 mars 1667 mit en place la fonction
de lieutenant de police, lui confiant la direction de la police dans la capitale, ayant pour rle
dassurer le repos du public et des particuliers, de purger la ville de tout ce qui peut y causer
du dsordre, de procurer labondance et de faire vivre chacun selon sa condition et son
devoir 93. En tenant compte que ces fonctions de police taient traditionnellement lies
lexercice de la justice, ldit stipulait quelles devraient tre souvent incompatibles avec
celles de la justice et trop tendues pour tre exerces par un seul officier 94.
40. Daprs le rapport de Colbert, les qualits attendues du premier titulaire de ce poste taient les suivantes : Il faut que notre lieutenant de police soit un homme de simarre et
dpe et si savant hermine du docteur doit flotter sur ses paules. Il faut aussi qu son pied
rsonn le fort peron du chevalier, quil soit impassible comme magistrat et comme soldat,
intrpide, quil ne plisse pas devant les inondations du fleuve et la peste des hpitaux, non
plus que devant les rumeurs populaires et les menaces de vils courtisans. 95 Ds son
installation, le lieutenant de police stait vu attribuer par ldit de 1667 des comptences
considrables afin de remdier au mauvais fonctionnement de la police royale et de crer un
pouvoir autonome, veillant la bonne marche de la cit : [Le lieutenant de police] connatra
de la sret de la Ville, Prvt et Vicomt de Paris, du port des armes prohibes par les
ordonnances, du nettoiement des rues et places publiques, circonstances et dpendances ;
donnera les ordres ncessaires en cas dincendie, dinondation, connatra pareillement de
toutes les provisions ncessaires pour la subsistance de la ville, amas et magasins qui
pourront en tre faits, du taux et prix dicelles ; de lenvoi de commissaires et autres
personnes ncessaires sur les rivires pour le fait des amas de foin, bottelages, conduite et
arrive dicelles Paris, comme faisait ci-devant le lieutenant civile exerant la police,
rglera les taux des boucheries et adjudications diceux ; aura la visite des bals, foires et
marchs, des hostelleries, auberges, maisons garnies brelans, tabacs et lieux mal fams ; aura
la connaissance des assembles illicites, tumultes, sditions et dsordres, qui suivront 92 Julien VERGNE, op.cit., p.38-39 93 Ldit du 15 mars 1667, Franois Andr ISAMBERT, Recueil gnral des anciennes lois franaises, Berlin-
Leprieur, 1821-1833 94 Ibid. 95 Ibid.
32
loccasion dicelles ; des manufactures et dpendances dicelles ; des lections des matre et
gardes des six corps des marchands, des brevets dapprentissage et rception des matres, de
la rception des rapports des visites desdits gardes et de lexcution de leurs statuts et
rglements et des renvois des jugements de notre procureur sur le fait des arts et mtiers et ce
en la mme forme et manire que les lieutenants civils exerant la police, en ont ci-devant
bien dment us. Pourra talonner les poids et balances de toutes les communauts de la ville
et faubourgs dicelle, lexclusion de tous les autres juges, connatre des contraventions qui
seront commises lexcution des ordonnances, statuts et rglements faits pour le fait de
limprimerie par les imprimeurs, en limpression des libres et libells dfendus, et par les
colporteurs en la vente et distribution diceux. Les chirurgiens seront tenus de leur donner les
dclarations de leurs blesss et qualit diceux. Pourra connatre de tous les dlinquants et
trouvs en flagrant dlit en fait de police, leur faire et parfaire leur procs sommairement et
les juger seul, sinon s cas en fera son rapport au prsidial en la matire accoutums. Et
gnralement appartiendra au lieutenant de police, lexcution de toutes les ordonnances,
arrts et rglements concernant le fait dicelles, circonstances et dpendances, pour en faire
les fonctions en la mme forme et manire quen fait ou en droit le ci-devant pourvu de la
charge de lieutenant civile exerant la police 96. Ainsi le lieutenant gnral de police tait
responsable de lexcution des lois, des arrts et des rglements relatifs la police, dtenant
un pouvoir rglementaire gnral, dinspection et de contrle. Il faut dailleurs souligner quil
navait pas seulement des comptences administratives, mais galement des comptences
judiciaires en tant que magistrat. Selon les termes de ldit de 1667, il possdait son sige
ordinaire et particulier dans le Chtelet, en la chambre prsentement appele la chambre
civile au sein de laquelle il (jugeait) sommairement toutes les matires de police () 97.
Le roi nomma ce poste Nicolas de la REYNIE, un juriste de talent, qui occupera la charge
de police de mars 1667 jusqu' janvier 1697. Si la mise en place du lieutenant gnral de
police ne constituait, lorigine, quun ramnagement de haut niveau, une transformation
radicale au niveau de lorganisation de la force de police napparut que bien plus tard, grce
aux efforts de Nicolas de la REYNIE.
41. Dans les faits, la lieutenance policire avait de forte chances de devenir un systme ne produisant aucun effet, car ldit de 1677 ne prcisait rien des conditions dapplication, ne
96 Ibid. 97 Ibid.
33
mettant aucune structure nouvelle la disposition du lieutenant gnral de police.
Linefficacit de la nouvelle police tait vidente. Le lieutenant gnral de police devait
prendre toutes les initiatives ncessaires lui-mme, ou bien les faire excuter par les gens du
Chtelet. 98 Il fallait quil sorganise lui-mme, avec sa propre administration, tout en
rassemblant sous son autorit les forces disperses et disparates de police. Les 48
commissaires de police, rpartis dans les diffrents quartiers de la ville, furent placs sous son
autorit, et devaient rendre compte quotidiennement de leurs activits celui-ci. De plus, les
commissaires-enquteurs disposaient dinspecteurs et d exem