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UNIVERSITE STRASBOURG III
ROBERT SCHUMAN
FACULTE DE DROIT, DE SCIENCES POLITIQUES ET
DE GESTION
LA THEORIE DE L’ABUS DE DROIT COMME INSTRUMENT
DE LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX
Mémoire en vue de l’obtention du D.E.A. de droit des affaires
Soutenu par Mlle Catherine REY
Sous la direction de M. le Professeur Philippe MARCHESSOU
Année Universitaire 1999/2000.
2
PRINCIPALES ABREVIATIONS BDCF Bulletin des conclusions fiscales Bull.Fisc. Lefebvre Bulletin fiscal Francis Lefebre CAA Cour administrative d’appel Cass.civ arrêt de la Chambre civile de la Cour de cassation Cass.com arrêt de la Chambre commerciale et financière de
la Cour de cassation CE Conseil d’Etat Cf. Confer (se reporter à) CGI Code général des impôts Chron. chronique Comm. Commentaire CRDS Contribution au remboursement de la dette
sociale CSG Contribution sociale généralisée D. Dalloz-Sirey ( Recueil ) DGI Direction général des impôts Dr. et patrimoine Droit et patrimoine Dr. Fisc. Droit fiscal IGF Impôts sur les grandes fortunes IS Impôts sur les sociétés ISF Impôts de solidarité sur la fortune JCP. éd. G Juris -Classeur périodique, édition générale JCP. éd. Ets Juris -Classeur périodique, édition entreprise. L.G.D.J. Librairie de générale de droit et de jurisprudence LPF Livre des procédures fiscales n° numéro OCDE Organisation pour la coopération et le
développement Préc. Précité P.U.F Presse Universitaire de France RF., compt. Revue française de comptabilité Rev. Revue Rev. adm. Revue administrative Rev. sociétés Revue des sociétés RF fin. pub. Revue française des finances publiques RFD adm Revue française de droit administratif RJF Revue de jurisprudence fiscale RTD. com. Revue trimestrielle de droit commercial RTD eur. Revue de droit européen SLF Service de la législation fiscale TVA Taxe sur la valeur ajoutée
3
Sommaire Introduction Première partie L'abus de droit, un instrument à disposition de l' Administration fiscale dans la lutte contre les paradis fiscaux. Titre I L'existence d'une évasion fiscale internationale constitutive d'un abus de droit.
Chapitre 1 Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal: des comportements couverts par l'abus de droit.
Chapitre 2 Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal dans le recours aux paradis fiscaux.
Titre II La répression de l'évasion fiscale internationale par la théorie de l'abus de
droit. Chapitre 1 Des prérogatives spécifiques en faveur de l'administration fiscale dans la mise
en œuvre de la procédure de répression des abus de droit Chapitre 2 Des garanties spécifiques en faveur du contribuable entourant la procédure de
répression de l'abus de droit Seconde partie L'abus de droit, un instrument désuet dans la lutte contre les paradis fiscaux. Titre 1. l'abus de droit, un instrument en rupture avec sa fonction de lutte contre les
paradis fiscaux. Chapitre 1. Un instrument dont le recours reste limité à la matière interne: un constat bien
réel. Chapitre 2. A la recherche d’une justification…
Titre 2. L'abus de droit, un instrument en quête de réconciliation avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux.
Chapitre 1. Une réconciliation possible de l'abus de droit avec sa fonction de lutte contre
les paradis fiscaux. Chapitre 2. Une impossible réconciliation de l'abus de droit avec sa fonction de lutte contre
les paradis fiscaux ou la recherche d'un palliatif.
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« Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une
contribution commune est indispensable… », tels sont les termes employés par l’article 13 de
la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, pour définir l’obligation
qui incombe à tout contribuable de payer ses impôts. Mais si payer ses impôts est un devoir,
en payer plus qu’il n’en est nécessaire, révèle, pour reprendre les termes du professeur
COZIAN, « un certain dérangement de l’esprit »1. Toutefois, un tel « dérangement de
l’esprit » reste très exceptionnel et c’est en vérité une « affection » tout autre qui atteint
l’immense majorité des contribuables; et qui n’est autre que celle de vouloir acquitter le
moins d’impôt possible.
En effet, pour échapper à une fiscalité jugée parfois trop lourde ou trop contraignante,
les personnes physiques comme les personnes morales ont le souci de rechercher les
conditions fiscales qui leur sont les plus avantageuses.
Pour ce faire, certains font preuve « d’habileté fiscale », c’est à dire choisissent la voie
la moins onéreuse fiscalement2 et cela en toute légalité, d’autres au contraire recourent
purement et simplement à la fraude, violant ainsi délibérément une obligation fiscale. Enfin,
les derniers, pour certains des « surdoués de la fiscalité », sans être virtuose, ni même
fraudeur, vont faire preuve, selon les termes du professeur COZIAN, d’un « excès d’habileté
fiscale ». Ces termes désignent en vérité le concept fiscal d’abus de droit, lequel se situant à
« mi-chemin entre l’habileté fiscale et la fraude à la loi »3, est consacré par l’article L64 du
Livre des Procédures Fiscales.
Le concept d’abus de droit, n'est ni une invention des fiscalistes, ni une spécificité de
la matière fiscale, bien au contraire. Pouvant être défini comme une création jurisprudentielle,
permettant de remédier au dommage causé par l'exercice abusif d'un droit par son titulaire
« sans intérêt pour lui-même et dans le seul dessein de nuire à autrui »4, il a « conquis ses
lettres de noblesse en matière civile »5. Les exemples sont particulièrement convaincants dans
le domaine de la propriété immobilière. On se souviendra de la fameuse affaire Clément-
1 COZIAN. M. Abus de droit, simulation et planning fiscal, Bull. Fisc. Lefebvre, décembre 1984, n°12, p.623. 2 Communément appelé l’ « évasion fiscale » ou l’ « optimisation fiscale ». 3 GROSCLAUDE.J., MARCHESSOU.P. Droit fiscal général, 2ème éd, Dalloz, 1999, n°169. 4 CORNU. G. Vocabulaire juridique, association Henri Capitant, PUF. 1998. 5 MESTRE. J. L'abus de droit dans la vie des affaires: propos introductifs, Droit et patrimoine, juin 2000, n°83, p. 39.
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Bayard6, donnant l'occasion à la Cour de Cassation de sanctionner sur le fondement de l’abus
de droit un propriétaire particulièrement irritable qui avait planté sur son terrain des tiges de
fer destinées à crever les montgolfières de son voisin. Puis, ce fut au tour de plaideurs
acharnés de réparer le dommage résultant de l'exercice abusif de leur droit d'agir en justice7.
Si la matière civile est le domaine de prédilection de l’abus de droit, celui-ci n'est pas
absent des autres disciplines du droit des affaires, au contraire, il intervient de manière
générale dans la vie des affaires et comme en matière civile, il permet de réguler et corriger
des "excès manifestes". Ceux-ci, comme en témoigne la jurisprudence, peuvent revêtir des
formes très diverses; rupture abusive des pourparlers8, abus dans la résiliation d’une
convention9, rupture brutale d'une période d'essai, abus dans la fixation du prix dans un
contrat cadre10, abus dans la révocation des dirigeants, abus de majorité, abus de minorité11 …
Si en droit privé, l’abus de droit traduit pour ainsi dire, une « méchanceté gratuite » ;
en matière fiscale, il traduit une volonté d'échapper à l'impôt, voir de le diminuer en recourant
à des montages et des manipulations. Et, si en droit privé, l’abus de droit n'a fait l'objet
d'aucune reconnaissance législative, (tout au plus quelques textes épars y font référence12,
laissant à la jurisprudence le soin de sa mise en œuvre), en droit fiscal, curieusement, il a fait
l’objet d’une consécration solennelle par une loi du 13 janvier 194113, manifestant, par là
même, une certaine autonomie du droit fiscal.
Si les termes « d’abus de droit » restent un mystère pour l’ensemble des profanes,
entendus évidemment comme ceux n’ayant jamais fréquenté les bancs des Facultés de droit,
en revanche, il n’en est pas de même des termes de « paradis fiscaux », ceux-ci ayant le
privilège de susciter l’intérêt de tous, y compris celui du plus profane d’entre eux.
6 Cass. req, 3 août 1915, D. 1917, I, 79." L'arrêt (attaqué) a pu apprécier qu'il y avait eu par Coquerel abus de son droit, et, d'une part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d'autre part, ordonner l'enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois" 7 Cass. 2e Civ., 26 novembre 1953, D. 1956. 154, note G. FRIEDEL ; Civ, 28 octobre 1992, JCP, 1993, IV, 36. 8 Cass. com, 20 mars 1972, JCP, 1973.II. 17543, note J. SCHMIDT, RTD civ, 1972, p.779, obs. G. DURRY. 9 STOFFEL-MUNCK, L’abus dans le contrat, thèse Aix Marseille, III, 1999. 10 Cass. Ass. Plén., 1er décembre 1995, « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation », JCP éd. G. 1996. II. n°22563, concl. M. JEOL, note J. GHESTIN. 11 Cass. Com, 18 avril 1961, Schuman-Piquard, D. 1961, p 661 ; Cass.com. 09 mars 1993, Bull. Joly. 1993, p.547. 12 Art. 348-6 du Code Civil et 30-1 du Nouveau Code de procédure civile. 13 FOUQUET. O. La notion d’abus de droit pour le juge de l’impôt, in Optimisation fiscale et abus de droit, Litec, 1990.
7
Il n’y a là rien de surprenant, les termes « paradis fiscaux » sont omniprésents : dans
nos quotidiens, qui se font l’écho des derniers propos de notre ancien ministre de l’économie
et des finances, Dominique STRAUSS-KAHN14, dans nos revues qui nous informent
régulièrement des paradis fiscaux les plus « en vogue »15, ou encore dans les ouvrages qui se
veulent, pour certains de véritables guides pour investisseurs16, pour d’autres, de véritables
guides pour « inspecteur du Fisc », brassant l’ensemble du dispositif répressif existant en la
matière, en France et à l’étranger17. Enfin, ils apparaissent dans des chroniques, opposant
leurs auteurs, les uns plaidant pour « l’harmonisation fiscale »18, les autres pour la diversité19.
Mais, si les termes « paradis fiscaux» sont omniprésents, dans la presse, les ouvrages,
et les chroniques, il y a néanmoins un ouvrage, qui chez certains remplace le livre de chevet,
et dans lequel, ils n’y apparaissent pas : c’est le Code Général des impôts. L’expression
« paradis fiscal » ne figure dans aucun article du Code, y compris ceux traitant à titre principal
de la fraude et de l’évasion fiscales internationales.
La situation est quelque peu surprenante, car si les paradis fiscaux font partie de ces
sujets qui soulèvent des interrogations dans nombre de domaines juridiques; du droit des
sociétés au droit pénal, en passant par le droit communautaire, ils intéressent en premier plan
le droit fiscal. Pourquoi cette absence des termes dans la législation fiscale? Serait ce la
conséquence d’un oubli, d’une négligence de la part du législateur ? Ou au contraire, serait ce
le résultat d’une volonté bien affirmée de celui-ci de ne pas employer ces termes ?
Si tant il est vrai que le Code général des impôts n’emploie pas l’expression de
« paradis fiscal », il fait usage néanmoins de celle d’« Etats ou territoire à régime fiscal
privilégié »20. Quelle en est la raison ?
14Celui-ci avant sa démission en novembre 1999, déplorait que « la fraude fiscale soit un sport national, et que nous sommes un des seuls pays au monde à la pratiquer à ce niveau » , pour s’en excuser, il proposait un « code de bonne conduite », comportant cinq règles, la première ordonnant l’établissement d’une liste de paradis fiscaux. Cf. DUHAMEL. G. Les paradis fiscaux, éd. Jacques Grancher, 1999, p.15 ; De TUGNY. D. Lutte contre la délinquance financière, Dr. et Patrimoine, novembre 1999, n° 77, p.22. 15 Le guide des paradis fiscaux, Argent et Patrimoine, septembre 2000. 16 : DUHAMEL. G. Les paradis fiscaux, op.cit, p.15. 17 Paradis fiscaux et opérations internationales, ouvrage collectif, Francis Lefebvre, 2ème éd., 1999. 18 DIBOUT.P.L’Europe et la fiscalité directe, P.A. 23 décembre 1998, n° 153, p.8. 19 SALIN. P. L’harmonisation fiscale : une fausse bonne idée ?, propos recueillis par Frédéric FORTIN, Dr.et Patrimoine, novembre 1997, n°54, p.20. 20 Art.238 A du CGI « Pour l’application de l’alinéa qui précède, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement élevés qu’en France. »
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L’expression « paradis fiscal» a acquis une connotation négative, en raison d’une part
de l’assimilation aux opérations de « blanchiment » et « recyclage » d’argent qui en est faite
par la grande presse et certains rapports21, mais surtout en raison d’une suspicion presque
automatique des agents du fisc en présence d’opérations impliquant un paradis fiscal. De ce
fait, et pour ne pas brusquer la susceptibilité de certains Etats, qui ne seraient pas disposés à
accepter l’étiquette de paradis fiscal, bien que présentant un régime fiscal avantageux et
pouvant à ce titre être considérés comme tel, il semblerait que l’expression « d’Etats à
fiscalité privilégiée » ait été préférée à celle de « paradis fiscal ».
Quoiqu’il en soit, si l’expression est connue du grand public et sans cesse usitée par
celui-ci, elle ne connaît à ce jour aucune définition précise.
Certes, la doctrine22 a tenté de cerner la notion en dégageant quelques traits
caractéristiques d’un « paradis fiscal »: une imposition faible ou inexistante, un secret
bancaire absolu, une absence de contrôle des changes, l’existence d’une organisation
financière et bancaire parfaitement structurée, une grande stabilité politique, des moyens de
communication sophistiquées…
Quant à l’administration fiscale, si une instruction du Ministère des Finances du 18
mai 1973 a pu définir les « paradis fiscaux », comme « des pays qui appliquent un régime
fiscal dérogatoire tel qu’il conduit à un niveau d’imposition anormalement bas »23, on sait,
lorsqu’elle aborde la question, qu’elle préfère parler de « pays à régime fiscal privilégié »24.
Dans une instruction du 26 juin 197525, complétée par une note du 9 octobre de la même
année, elle s’est efforcée de préciser cette notion de « régime fiscal privilégié », consacrée par
21 La mission parlementaire sur le blanchiment des capitaux en Europe a établi plusieurs rapports, l’un sur le Liechtenstein, intitulé : « La principauté du Liechtenstein : paradis des affaires et de la délinquance financière », l’autre sur Monaco, intitulé : « Principauté de Monaco et blanchiment : un territoire complaisant sous protection française ». Très, prochainement, c’est un troisième rapport qui devrait voir le jour, et cette fois consacré aux pratiques du Grand Duché en matière de lutte contre le crime financier. 22 Cf. LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992 ; GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n° 2400 et s. ; PLAGNET.B.Paiements à des résidents étrangers soumis à un régime fiscal privilégié, Bull. Fisc. Lefebvre, novembre 1988, p. 543. RASSAT. P. Le paradis fiscal d’antan détrôné par « l’Etat à fiscalité privilégiée », in Les paradis fiscaux, 46e congrès de l'Ordre, R.F.compt, janvier 1992, n° 230, p.18. 23 Cf. LAVIGNE. P. Les paradis fiscaux au sein de la communauté européenne, Rev. française de finances publiques. 1993, n°4, p.193. 24 LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. op. cit., p. 7. 25 BODGI. 4 C-8-75, Dr. Fisc. 1975, n°28, 4860.
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le deuxième alinéa de l’article 238 A du CGI26. Aux termes de cette instruction, il apparaît
que l’existence d’un régime fiscal privilégié est établie par l’administration fiscale dans les
cas suivants :
• « lorsqu’il n’existe pas d’impôt sur les bénéfices ou les profits provenant d’activités
professionnelles ou d’impôt sur les revenus ;
• lorsque les revenus ou les profits qui ont leur source à l’extérieur de cet Etat ou de ce
territoire ne sont pas soumis à l’impôt sur les bénéfices ou les revenus ;
• lorsque les impôts sur les bénéfices ou les profits sont notablement moins élevés qu’en
France. ».
Dans ce dernier cas, s’agissant de savoir à partir de quand il est possible d’affirmer que la
charge fiscale est « notablement moins élevée qu’en France », l’administration considère que
les impôts sont « notablement moins élevés qu’en France», lorsque « dans l’Etat ou le
territoire considéré, le niveau du prélèvement fiscal est inférieur d’au moins un tiers à celui
qui serait supporté en France ». Enfin, cette instruction et la note qui s’en est suivie a, en
outre, donné l’occasion à l’administration d’établir officieusement une liste d’Etats et de
territoires étrangers concernés par ces dispositions. Cela étant, cette liste conserve un
caractère indicatif.
Enfin, la jurisprudence27, pour sa part, s’est montrée protectrice des intérêts du
contribuable28, en exigeant de l’administration fiscale, qu’elle démontre le caractère privilégié
du régime fiscal en cause29. Et sur ce point, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à lui préciser les
règles de comparaison, qu’elle se devait d’utiliser pour établir le caractère privilégié ou non
d’une fiscalité30.
26 Art. 238 A al. 2 du CGI : « les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu’en France. », 27 FONTANEAU. P.M. L’ interprétation jurisprudentielle de l’article 238. A du CGI et ses conséquences. Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1988, p. 3 ; TIXIER.G. L’évolution de la jurisprudence au regard de l'article 238 A du CGI, Dr. Fisc.1994, n°12, p.529. 28 PLAGNET. B. Paiements à des résidents étrangers soumis à un régime fiscal privilégié, Bull. Fisc. Lefebvre, novembre 1988, p. 543. 29 CE, 21mars 1986 , req.53 002, RJF, mai 1986, p. 267, concl. FOUQUET. M. ; CE, 16 décembre 1987, req.55 790, RJF, février 1988, p. 87, concl. MARTIN. Ph, Dr. Fisc. 1988, n° 24, comm.1142, note TIXIER. G et LAMULLE. T.; CE, 25 janvier 1989, , req.49 847, Dr. Fisc, 1989, n°20, comm.1000, concl. MARTIN.Ph. 30 CE, 21mars 1986 , req.53 002, RJF, mai 1986, p. 267, concl. FOUQUET. M. : « Il faut déterminer la charge fiscale effectivement supportée par la société RYB ou par une société établie à Genève et présentant les mêmes caractéristiques en ce qui concerne l’importance du capital et des réserves et le niveau des bénéfices. Il convient ensuite d’évaluer la charge fiscale que supporterait la même société si elle était établie en France, et de comparer les résultats obtenus. »
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Du coté des organisations internationales, l’OCDE a tenté de formuler une définition
des « paradis fiscaux ». Ainsi, à l’issue d’une réunion informelle du Comité des affaires
fiscales et du Comité d’aide au développement de l’OCDE, les pays membres de l’OCDE ont
convenu qu’un paradis fiscal est « un territoire qui applique une fiscalité inexistante ou
insignifiante aux revenus financiers ou aux autres revenus de services et qui offre aux non
résidents la possibilité d’échapper à l’impôt »31. Hélas, cette définition ne brille pas par sa
précision.
Enfin, si l’on se tourne vers les auteurs, rares sont ceux qui ont donné une définition
des « paradis fiscaux », et quant à ceux qui s’y sont risqués, leurs définitions manquent très
nettement de précision. Pour s’en convaincre, il suffit de reprendre celle des auteurs du
Rapport Gordon, pour lesquels est paradis fiscal « tout pays considéré comme tel et qui se
veulent tels »32.
Ainsi, ni la doctrine, ni l’administration, ni la jurisprudence, ni même les organisations
internationales, et encore moins les auteurs n’ont pu définir avec précision les « paradis
fiscaux ». A la vérité, il semble, qu’il soit vain de définir précisément les paradis fiscaux, sans
encourir le risque d’être restrictif. Or, comme l’a souligné très justement Laurent
LESERVOISIER, « il y a autant de définitions des paradis fiscaux qu’il existe de paradis
fiscaux »33.
Antigua, Bermudes, Bahamas, Panama, les îles Cayman, pour les plus connus mais
aussi Labuan, Aruba Nauru ou Campione … sont autant de pays exotiques réputés pour être
des paradis fiscaux34. Mais, si les termes « paradis fiscaux » riment généralement avec « mer
et sable fin »35, en vérité, il n’est nul besoin d’aller sous les cocotiers pour bénéficier d’une
fiscalité avantageuse, et d’un secret fiscal bien gardé. En effet, certains pays européens ont
bonne presse auprès d’un grand nombre d’investisseurs, désireux de soustraire des sommes à
l’impôt. Le rapport Primarolo36, dont la publication a eu lieu le 28 février 2000, ne nous
31 L’OCDE définit les paradis fiscaux, La Tribune du 9 mars 2000. 32 LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. op. cit., p.12. 33 LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. op. cit., p.7. 34 Seule la fiscalité est paradisiaque, La Tribune, du 24 mars 2000. 35 Les paradis fiscaux, 46e congrès de l'Ordre, R.F, compt, janvier 1992, n° 230, p.17. 36 Cf. Le rapport du groupe de travail pour l’application du code de conduite en matière de fiscalité des entreprises, Dr. Fisc. 2000, n° 16, p.657 et s. ; LARONCHE .M. "les paradis fiscaux révèlent en fait l'hypocrisie de nos Etats européens", Le Monde, 23.05.2000. – Quarante pratiques fiscales déloyales répertoriées au sein de
11
démentira pas sur ce point, celui-ci ayant répertorié pour les seuls Etats de l’Union, soixante
six pratiques fiscales dommageables37, (quarante pratiques au sein des Etats membres et vingt
six pour leurs territoires dépendants et associés), au titre desquelles, figurent notamment, le
Centre international des services financiers installé sur les Docks de Dublin en Irlande, les
entreprises d’assurances offshore de Guernesey, la Holding 1929 luxembourgeoise, les
holdings néerlandaises, autrichiennes, les quartiers généraux français…
Si, tout a été dit et écrit sur le concept fiscal d’abus de droit, et sur le thème des
paradis fiscaux, il reste que lorsqu’on confronte les deux notions, très vite, certaines zones
d’ombre apparaissent.
D’abord, il peut paraître surprenant d’évoquer la théorie de l’abus de droit au titre des
instruments de lutte contre les paradis fiscaux, compte tenu de l’importance du dispositif
répressif existant en la matière. D’autant que, celui-ci ne cesse de se renforcer et ce à tout les
échelons : à l’échelon national, tout d’abord, avec une loi de finances pour 1999 qui a
consacré plusieurs mesures « choc»38. Ensuite, à l’échelon communautaire, avec un « code de
conduite » en matière de fiscalité des entreprises, adopté à l’occasion du Conseil Ecofin du 1er
décembre 1997. Enfin, dans le cadre de l’OCDE, avec « le rapport et les recommandations sur
les pratiques fiscales dommageables » adopté par le Conseil le 9 avril 1998.
D’autre part, si la plupart des manuels de droit fiscal font figurer la théorie de l’abus
de droit, au rang des instruments de lutte contre les paradis fiscaux, par contre, dans la
pratique, rares sont les exemples qui mettent en avant cette fonction. En vérité, la théorie de
l’abus de droit s’avère un instrument de lutte contre les paradis fiscaux, singulièrement
désuet.
Ces constatations dictent le plan de notre étude. Nous consacrerons la première partie
à la théorie de l’abus de droit comme instrument à disposition de l’administration fiscale dans
sa lutte contre les paradis fiscaux (Partie I), après quoi, nous envisagerons la désuétude de
cet instrument de lutte contre les paradis fiscaux (Partie II).
la seule Union, Le Monde, 23.05.2000; LAVIGNE. P. Les paradis fiscaux au sein de la communauté européenne, Rev. française de finances publiques. 1993, n°4, p.193. 37 Cette liste est consultable sur le site du conseil européen (http://ue.eu.int). 38 Art. 123 bis du CGI institué par la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998, art. 167 CGI.Cf. Les paradis fiscaux au bans d’essai. Les Echos, 21 et 22 avril 2000, p. 57.
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La théorie de l'abus de droit, un instrument à disposition de l’Administration fiscale dans la lutte contre les paradis fiscaux. Titre 1. L'existence d'une évasion fiscale internationale constitutive
d'un abus de droit.
Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal, tels sont les comportements
couverts par l’abus de droit. Il nous faut préalablement apporter des précisions sur ces
comportements (chapitre 1), après quoi, nous les envisagerons dans un contexte international,
précisément en présence de paradis fiscaux (chapitre 2).
Chapitre 1. Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal: des
comportements couverts par l'abus de droit.
De l’avis des fiscalistes les plus « émérites », le concept fiscal d'abus de droit
connaîtrait deux variantes: l'abus de droit par simulation et l'abus de droit par fraude à la loi,
l'une résultant d'une construction législative « tourmentée »39 (Section1), l'autre née d'une
interprétation extensive du Conseil d'Etat, certes audacieuse, mais critiquable au regard d'une
nécessaire sécurité juridique (Section 2).
Section 1. La consécration législative de l'abus de droit par simulation: l'article L64 B
du livre des procédures fiscales.
Longtemps la répression de l'abus de droit en matière fiscale était dépourvue de tout
fondement législatif et malgré tout, l'administration n’en était pas moins démunie face aux
abus de droit. Dès le XIXème, suivie plus tard par le Conseil d'Etat, la Cour de Cassation, se
39 DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, Thèse, préface de M.COZIAN, LGDJ, 1997.
14
fondant sur les principes généraux du droit40, consacrait une procédure de répression des abus
de droit, n'hésitant pas à reconnaître à l’administration un droit de requalification41. "L’administration a la droit et le devoir de rechercher et de constater le véritable caractère des
stipulations contenues dans les contrats pour arriver à asseoir, d'une manière conforme à la loi les droits dus par
les parties contractantes à raison des contrats."
Mais considérant sans doute qu' "une condamnation solennelle" dissuaderait des
contribuables trop habiles42, le législateur a pris soin en 1941 de prendre un texte43 réprimant
de façon expresse l'abus de droit en matière fiscal.
Inséré auparavant à l'article 1649 quinquiès B du CGI, il figure depuis 1981 à l'article L.64
du Livre des procédures fiscales, dont les termes sont les suivants :
" Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la
portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses:
a) qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière
moins élevés;
b) ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus;
c) ou qui permettent d'éviter en totalité ou en partie le paiement des taxes sur le chiffre
d'affaires correspondant aux opérations en exécution d'un contrat ou d'une convention.
L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas
de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est
soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif des abus de droit.
L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis feront
l'objet d'un rapport annuel."
Cette procédure est également applicable en matière d'impôt de solidarité sur la fortune.
40 KORNPROBST.E. Abus de droit. J-Cl. procédures fiscales. Fasc. 375, "surtout le principe selon lequel l'administration est en droit de percevoir l'impôt d'après la nature réelle des actes". 41 Cass.Civ.20 août 1867, DP 1867, I, p.337. « L’administration a la droit et le devoir de rechercher et de constater le véritable caractère des stipulations contenues dans les contrats pour arriver à asseoir, d'une manière conforme à la loi les droits dus par les parties contractantes à raison des contrats ». 42 COZIAN.M. La notion d’abus de droit en matière fiscale, Gaz.Pal, 17 et 19 janvier 1993, p.2. 43 L’article 156 quinquiès devenu en 1948 l'article 244 du Code général des impôts. Puis une loi du 27 décembre 1963, créant l'article 1649 quinquiès B, est venue généraliser la procédure de répression de l'abus de droit applicable désormais à tous les impôts. Enfin par la loi du 8 juillet 1984 reprenant les propositions de la commission Aicardi, la procédure a été réformée réalisant "une sorte de compromis entre l'article 244 du CGI de 1941 et l'article 1649 quinquiès B de 1963". Pour une présentation de l'évolution historique de la procédure de répression de l'abus de droit en matière fiscale; KORNPROBST.E. Abus de droit. J-Cl. procédures fiscales. Fasc.375, ROBEZ-MASSON. La notion d’évasion fiscale en droit interne français, Thèse, préface M.COZIAN, LGDJ, 1990.
15
A la lecture même du texte44, on peut constater que l'abus de droit est une
dissimulation juridique. Elle consiste, pour reprendre la définition du commissaire au
gouvernement Lobry, en « la création d'une situation juridique purement artificielle qui
camoufle une situation au titre de laquelle des impositions sont légalement dues et qui
continue d'exister en réalité derrière les apparences juridiques créées »45.
A partir de là, la grande majorité des fiscalistes, se plaçant d’un point de vue civiliste, a
constaté que cette dissimulation juridique, telle que définie n’était autre que la transposition
en droit fiscal de la théorie civiliste de la simulation. En effet, les civilistes définissent la
simulation comme « la création d’une situation juridique apparente destinée à dissimuler la
situation juridique véritable »46. Or transposée à la matière fiscale, elle consiste à présenter à
l'administration un acte, une situation juridique qui ne sont qu'apparence et ne correspondent
pas à la réalité demeurée secrète, permettant ainsi de réduire le montant de l'imposition due,
voir de l'effacer entièrement. On retrouve là la définition de la dissimulation juridique. Ainsi,
pour reprendre les termes du professeur Cozian : « si l’on veut bien lire sans à priori l’article
L64 du Livre des Procédures Fiscales, on ne peut manquer d’en déduire qu’il sanctionne des
comportements qui relèvent en droit civil de la simulation »47
Puis, poursuivant leurs efforts, les auteurs48, et plus particulièrement le professeur
Cozian, se sont attachés à démontrer que sous le couvert de l'abus de droit, ce sont en vérité
les trois manifestations classiques de la simulation, soit la fictivité, le déguisement et
l'interposition de personne qui sont réprimées par l'administration fiscale.
En ce qui concerne la fictivité, le terme sous-tend un ensemble de montages juridiques
associant un ou plusieurs éléments fictifs destinés à obtenir telle déduction ou à éviter telle
imposition, laquelle serait normalement exigible sans le recours à ce stratagème.
Les actes fictifs sont loin d’être exceptionnels. Les exemples jurisprudentiels peuvent en
témoigner. Il s'agira par exemple : de la constitution d'un bail fictif destiné à permettre la
44 "les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention… ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus." 45 Concl.Lobry sous CE, 10 juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc. 1981, n° 48-49, com.2187, p. 1435. 46CADIET. L.Remarques sur la notion fiscale d'abus de droit: Regards sur la fraude fiscale, Economica, 1986, p. 33. 47 47 COZIAN. M. La notion d’abus de droit en matière fiscale, préc. 48 COZIAN. M. La notion d’abus de droit en matière fiscale, préc.; DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, op.cit.
16
déduction du coût des travaux de réparation d'un château49 ; de la création de sociétés civiles
ou commerciales purement fictives50 destinées à soumettre à l'impôt dans la catégorie des
traitements et salaires, des bénéfices relevant d'une autre catégorie51, ou encore de permettre
au contribuable d'éluder une partie de l'impôt normalement du à raison des bénéfices
réalisés52 ; enfin, dans le même ordre d’idée, il s’agira encore de la constitution d'associations
fictives53 .
De même, les actes déguisés constituent une part importante des abus de droit en
matière fiscale, qu’il s’agisse de donations déguisées en vente ou encore de cession
d’entreprise déguisée en cession de droits sociaux.
La donation déguisée sous la forme d'une vente est l'exemple classique ; d’usage
fréquent dans les ouvrages54, elle l’est aussi dans la pratique. Soucieux d’éluder une partie de
la charge fiscale, dont ils devraient en principe être redevables au titre d’une mutation à titre
49 CE, 11 octobre 1978, req. 6744, Dr. Fisc. 1979, n° 20, com. 1023, concl. M. Laprade, RJF 1978, n° 11, p. 328; CE, 23 février 1979, req. 6688, sieur Gamon, Dr.Fisc. 1979, n° 48, com. 2367 ( M. Gamon avait donné en location des locaux lui appartenant à une Sarl constituée entre sa femme et lui-même, et cette société avait donné en location les mêmes locaux cette fois meublés à des tiers. Mr Gamon réclamait le remboursement de la TVA ayant grevé le prix d’acquisition de ces locaux, le Conseil d’Etat considérant que "le contrat de location conclu entre la société et Mr Gamon ne pouvait être regardé comme irrégulier ou fictif " rejeta la thèse de l’abus de droit, sur laquelle s’était fondée l’administration pour refuser le remboursement de l’intégralité de la taxe.) ; CE, 8 juillet 1988, req. 76910, Dr. Fisc. 1989, n° 9, com. 413, concl. M. Laprade; RJF 1988, n°10, p.630 (un bail verbal fictif peut être remis en cause sur le terrain de l'abus de droit.) 50 En ce qui concerne plus précisément ces sociétés fictives, celles-ci, généralement des SCI, connaissent un grand succès entre époux, leur permettant d'accéder à la propriété à moindres frais. Le montage consiste à créer une SCI, dont les époux sont les seuls associés, sauf à y adjoindre un autre membre de la famille. Cette SCI achète un immeuble nécessitant d'importants travaux de rénovation et d'amélioration. Parallèlement, un contrat de bail tout aussi fictif est consenti à l'un des époux et cela pour un loyer souvent modique, permettant aux époux de dégager un important déficit foncier, lequel pourra être déduit par ces derniers de leur revenu global imposable50, voir CE, 25 février 1981, req. 19170, RJF 1981, n°5, p.266, CE, 6 juin 1984, req 38037, Dr.Fisc. 1985, n°8, com.407, concl. Bissara, RJF 1984, n°8-9, p.485. FERNOUX. V.P. SCI, les risques d'abus de droit, Droit et Patrimoine, juin 1995, p. 20. 51 CE, 27 février 1980, req. 13239, Dr. Fisc 1980, n° 22-23, com 1267; RJF 1980, n° 4, p.185, (création d'une SA à laquelle était confié l'ensemble de la production littéraire de son directeur général contre le versement d'un salaire à ce dernier, lui permettant ainsi de faire échapper le montant de ses droits d'auteurs à leur imposition "normale" dans la catégorie des bénéfices non commerciaux); CE, 23 mars 1984, req 27225, RJF 1984, p.323; CE, 21 décembre 1983, req 31934, RJF 1984, p.104, (la création d'un pseudo cabinet pour un expert comptable), CE 22 juin 1983, req. 25170, RJF 1983, n°8-9, p.472 (pour un cabinet d'architectes, décision contraire). 52 CE, 7 octobre 1988, req. 42924 et 42925, Dr. Fisc 1989, n° 8, com 325; RJF, 1988, n°12, p. 768, (création par un expert comptable de deux sociétés civiles professionnelles dans le but de lui permettre de bénéficier du régime de l'évaluation administrative en disséminant ses recettes entre son cabinet et ces deux sociétés purement fictives), CE, 25 février 1981, req. 19170, RJF 1981, n°5 p.266. (création de deux sociétés civiles immobilières destinées à permettre l'imposition des bénéfices réalisés dans la catégorie des "revenus de capitaux mobiliers", ainsi que de bénéficier du prélèvement libératoire de 15% sur les profits de construction. 53 CE, 23 octobre 1989, req. 87266, Dr.Fisc. 1990, n°43, com.1982; RJF 1989, n° 12, p. 709 (constitution d'une association destinée à camoufler l'exercice de l'activité d'un guérisseur.) 54 CHAPPERT.A. L’abus de droit en matière fiscale. Defrénois, 1994, p.1201, COZIAN. M. La notion d’abus de droit en matière fiscale, op. cit., GROSCLAUDE.J. et MARCHESSOU.P. Droit fiscal général, op. cit.
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gratuit55, certains contribuables n’hésitent pas à y recourir. Pour s’en convaincre, il suffira de
lire les avis récemment rendus par le Comité Consultatif pour la répression des abus de droit,
dans lesquels les donations déguisées en vente se partagent avec les crédits d’impôts fictifs la
part du lion56.
Enfin, il nous faut évoquer une autre situation ou l’abus de droit est patent, ou du
moins considéré comme tel par la jurisprudence, c’est le cas de la cession massive de droits
sociaux masquant une cession d’actif. Si le risque de requalification pesant sur une telle
opération et les conséquences fiscales pouvant en découdre ont fait couler beaucoup d’encre,
ils ont provoqué des « sueurs froides » chez certains dirigeants de sociétés. Ces « sueurs
froides » se sont cependant évaporées avec un célèbre arrêt Beauvallet-Narurana du 07 mars
198457, lequel a donné l’occasion à la Cour de Cassation de rompre avec sa jurisprudence
antérieure58 et de s’aligner sur celle du Conseil d’Etat59, en considérant que la personnalité
morale de la société ne peut être altérée par une cession massive de droits sociaux. Cette
position de la Cour, conforme aux préceptes de droit privé (article 5 loi 24 juillet 1966), a
depuis été entérinée par l’administration fiscale, qui est même allée plus loin que la
jurisprudence Beauvallet en appliquant cette solution nouvelle dans le cas ou la cession est
suivie de la disparition de la société. Ce changement de position de la Cour Suprême suivie de
55 La donation déguisée sous la forme d’une vente permet de bénéficier d'un taux de 7% applicable aux mutations à titre onéreux au lieu du taux de 60% normalement applicable aux mutations à titre gratuit s'agissant des donations portant sur des immeubles d'habitation à une personne étrangère à sa famille ou à un parent éloigné. 56Par exemple, le rapport de 1995 révélait, que sur l’ensemble des dossiers examinés, 35% représentaient des donations déguisés. Rapport 1995 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1996, n° 113, p.441. – En 1996, sur l’ensemble des dossiers examinés, 47% représentaient des donations déguisés. Rapport 1996 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1997, n°10. 57 Cass.com.07 mars 1984, Dr.Fisc.1984, n°26, com 1293, RJF 1984, n°6, p.397 ; JCP 1984, éd.E, II, 14354, note C. DAVID ; Defrénois 1984, p.1246, note B.JADAUD ; RTD com, 1984, n°685, obs. M. JEANTIN. Se fondant sur l’article 5 de la loi du 24 juillet 1966, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a cassé le jugement rendu par le tribunal de Melun, considérant que « la société Beauvallet n’avait jamais cessé d’exister en tant que personne morale ». Par conséquent, dans le cadre d’une simple cession d’actions, c’est à dire sans « modifications substantielles »s affectant le fonctionnement de l’entreprise, et à la condition que l’entreprise originaire ne devienne pas fictive, il ne peut y avoir création d’un être moral nouveau et donc requalification en cession d’actif social. Voir. KORNPROBST. E. Une jurisprudence fiscale réaliste : le desserrement du carcan juridique entravant l’adaptation des entreprises à leur environnement économique (Cass. com. 7 mars 1984), Dr. Fisc. 1984, n° 30, p. 989. 58 Cass. Com. 21 décembre 1981, Dr.Fisc. 1982, n°50, comm.7526, la Chambre commerciale a estimé que des cessions de parts sociales dissimulaient une mutation de l’entreprise « sans avoir à rechercher si la société avait survécu en tant que personne morale » 59 Le Conseil d’Etat considère pour sa part q’une cession d’actions y compris de la quasi-totalité des actions à de nouveaux actionnaires ne peut être assimilée à une cession d’entreprise, dès lors que cette cession ne s’accompagne d’aucune altération substantielle de l’entreprise : CE 24 juin 1981, req. 18430, Dr. Fisc. 1981, n° 41, comm. 1781, concl. RIVIERE.
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l’administration fiscale a conduit certains auteurs, parmi lesquels M.SERLOOTEN, à y voir
une évolution plus générale, celle de la fiscalité des affaires60.
Lorsque la simulation porte sur une partie à l’acte, on parle en ce cas d’interposition de
personne. C’est spécialement, ce dernier aspect de la simulation qui nous intéressera dans le
cadre de cette étude.
Dissimulation, trucage, mensonge, fiction, tricherie, tromperie … si la liste est longue
pour qualifier l'abus de droit, la définition en est particulièrement restrictive. Celui ci n'est
caractérisé que dans des situations, où l'administration se trouve en présence « d'un contrat ou
d'une convention improprement qualifiée et dissimulant une réalité différente »61. Si l'on s'en
tient à « une interprétation littérale » de l'article L64 LPF, il ne permet d'appréhender que les
seules opérations déguisées, dissimulées par des manœuvres, des montages apparents.
En réalité, ce texte a une portée beaucoup plus large qu'il n'y paraît. Par la voie d'une
interprétation extensive du Conseil d'Etat des dispositions de l'article L64 B du LPF, il permet
également d'atteindre des actes, qui certes sont bel et bien réels, mais n'ont pour seul motif
que celui « d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales normalement dues »62, et qu'il convient
de qualifier de fraude à la loi fiscale.
Section 2. La consécration jurisprudentielle de l'abus de droit par fraude à la loi.
C'est ici que réside, pour une grande partie, la spécificité du concept fiscal d'abus de
droit, manifestant une nouvelle fois une certaine autonomie du droit fiscal par rapport aux
autres disciplines du droit des affaires.
Spécifique quant à sa source, puisqu’on l’a vu, le concept fiscal d’abus de droit fait l'objet
d'une consécration législative, il l'est également dans son contenu. Interprété de manière
extensive par le Conseil d’Etat, puis par la Cour de Cassation, le concept fiscal d’abus de droit
sanctionne deux types de comportements : le mensonge (la simulation) et le but
exclusivement fiscal (la fraude à la loi). (§1). Or, en droit privé, de tels comportements ne
60 SERLOOTEN.P. La modernisation progressive du droit fiscal des affaires, le desserrement des entraves aux restructurations d’entreprises, Dr.Fisc. 1998, n°14, p.454. 61 CHAPPERT.A. L’abus de droit en matière fiscale. Defrénois, 1994, p.1201. 62 CE, Plénière, 10.juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc 1981, com. 2187, concl Lobry; RJF 1981, n° 9, p. 429.
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sont pas rattachés à la théorie de l'abus de droit63, ce qui fait dire à Loic Cadiet : « le
civiliste…ne manque pas d'être étonné lorsqu'il aborde ingénument les rivages fiscaux de
l'abus de droit, … dans son esprit la fraude à la loi et l'abus de droit sont deux techniques
concurrentes »64. Mais, si d’un point de vue civiliste, cette « conception dualiste » de l’abus
de droit est discutable, elle l’est aussi d’un point de vue fiscal, eu égard à la sécurité juridique
du contribuable (§2).
§1. L'extension de la notion d'abus de droit par le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation.
Alors que le pays avait les yeux rivés sur la nouvelle présidence qui allait gouverner la
France pendant 14 ans, les magistrats du Palais Royal rendaient une décision qui allait
bouleverser les donnes en matière fiscale. Par un arrêt de Plénière du 10 juin 198165, pour la
première fois 66 , le Conseil d’Etat a jugé que la procédure de répression des abus de droit
devrait permettre de réprimer non seulement les simulations mais également les fraudes à la
loi fiscale réalisées au moyen d’actes non fictifs. « Considérant que lorsque l’administration use des pouvoirs qu’elle tient de ce texte dans des conditions
telles que la charge de preuve lui incombe, elle doit, pour pouvoir écarter comme ne lui étant pas opposables
certains actes passés par le contribuable, établir que ces actes ont un caractère fictif ou, à défaut qu'ils n'ont pas
pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il
n'avait pas passé ces actes aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités
réelles. »
Autrement dit, si un acte, sans être fictif, ne répond qu’à « des préoccupations
exclusivement fiscales », il pourra être attaqué sur le terrain de l’abus de droit. C’est là une
nouvelle définition de l’abus de droit qui nous est donnée par le Conseil d’Etat: « l’acte qui
n’a pu être inspiré par aucun autre motif que d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que
l’intéressé aurait normalement supportées s’il n’avait pas passé cet acte », et qui désigne en
vérité l’abus de droit par fraude à la loi..
63 DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, op.cit. 64 CADIET. L.Remarques sur la notion fiscale d'abus de droit: Regards sur la fraude fiscale, Economica, 1986, p. 33. 65 CE, Plénière, 10.juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc 1981, com. 2187, concl Lobry; RJF 1981, n° 787. 66 Certains considèrent d’ailleurs à juste titre que cet élargissement du concept d’abus de droit aux cas de fraudes à la loi était perceptible dans certaines décisions du Conseil d’Etat rendues bien avant 1981. voir par exemple : CE. 3 février 1971, req. 74352, Dr.Fisc. 1971, n° 23, com. 933, concl. DUFOUR, CE. 16 avril 1969, req. 68662, Dr. Fisc. 1970, n°51, com. 1474, concl. MEHL.
20
La notion de fraude à la loi, comme celle d’abus de droit, n’est ni une invention des
fiscalistes, ni une spécificité de la matière fiscale. Le droit international privé nous en fournit
d’ailleurs la preuve avec la célèbre affaire de la princesse de Beauffremont67.
Mais, si en droit international privé, la fraude à la loi peut être définie comme la modification
frauduleuse d’un élément de rattachement (nationalité, domicile…) dans le seul but d’éviter
l’application de la loi68, en droit fiscal, elle consiste pour un contribuable à passer des actes
qui certes sont bel et bien réels, (il n’y a en effet aucune dissimulation, aucun trucage, aucun
mensonge), mais ils ne sont inspirés que par des considérations fiscales et ils n’ont d’autre but
que d’échapper à l’impôt normalement exigible. Autrement dit, et selon la formule du
professeur COZIAN, la fraude à la loi « c’est du vent, c’est du pipeau, de la
prestidigitation »69.
Il résulte de cette décision du Conseil d’Etat, appelé par certains l’arrêt de « la société
civile du vignoble bordelais »70, un élargissement considérable de la notion fiscale d’abus de
droit, puisque ne sont plus seulement couverts les seules dissimulations juridiques, mais sont
également visés les cas de fraude à la loi. C’est donc « une conception dualiste »71 ou si l’on
préfère « alternative » de l’abus de droit qui va dominer désormais en matière fiscale et qui se
retrouvera dans une série d’arrêts postérieurs, et que les auteurs (M.COZIAN72 ou
B.PLAGNET73 ou encore M. ROBBEZ-MASSON74) n’ont pas manqué de commenter.
67 Cass.civ. 18 mars 1878. Mariée à une époque, où le droit français ignorait tout du divorce et encore moins du PACS, et éprise du prince Bibesco, elle décida de changer de nationalité et d’opter pour celle d’un Etat, favorable au divorce. Par ce stratagème, la princesse de Beauffremont pouvait divorcer et épouser librement son bien aimé. L’histoire aurait pu se terminer avec la formule « tout est bien qui finit bien ». Toutefois, en France, la Cour de Cassation ne l’entendit pas de cette oreille, considérant que le changement de nationalité, dont avait fait l’objet la princesse de Beauffremont n’avait été motivé par aucune autre considération que celle de contourner la loi française et d’échapper à l’interdiction de divorcer, elle avait jugé son divorce ainsi que son remariage avec le prince Bibesco inopposables au regard du droit français, car obtenus en fraude de la loi française et dès lors la princesse devenue allemande n’en était pas moins toujours Mme de Beauffremont. 68 GUTMAN. D. Droit international privé, Dalloz, 1999, n° 123 et s. 69 COZIAN. M. Une frontière floue entre l’habileté fiscale et l’abus de droit in La gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt, décembre 1991, n° 229, p.18. 70 COZIAN. M. La notion d’abus de droit en matière fiscale, op.cit. 71 CADIET. L. Remarques sur la notion fiscale d'abus de droit: Regards sur la fraude fiscale, préc. 72 COZIAN. M. Abus de droit, simulation et planning fiscal, Bull. Fisc. Lefebvre, décembre 1984, n°12, p.623. 73 PLAGNET. B. Evolution récente de la jurisprudence en matière d'abus de droit, Bull. Fisc. Lefebvre, avril 1991,, n°4, p. 239. 74 ROBEZ-MASSON. La notion d’évasion fiscale en droit interne français, Thèse, préface M.COZIAN, LGDJ, 1990, p.246.
21
Quant à la Cour de Cassation, par un arrêt du 19 avril 198875, elle va rompre avec sa
jurisprudence traditionnelle, qui n'admettait l'abus de droit que sous deux conditions
cumulatives: la fictivité des opérations et le but exclusivement fiscal76, pour se rallier à cette
« conception dualiste » de l’abus de droit.
Au lendemain de ces décisions, les auteurs se sont interrogés sur les raisons qui ont
conduit le Conseil d’Etat à interpréter de la sorte l’ancien article 1649 quinquiès du CGI, et
sur le bien fondé d’une telle interprétation. A la première interrogation, certains ont en guise
de réponse fait l’exégèse de la volonté du Conseil d’Etat. Ainsi, M. VIGNAUD a traduit
« cette extension notionnelle » comme la volonté du Conseil d’étendre aux fraudeurs le
bénéfice des garanties procédurales, dont jouissent les contribuables coupables d’abus77.
D’autres, au contraire, ont perçu dans cette extension une volonté du Conseil de permettre à
l’administration « d’atteindre l’ensemble des formes de fuites devant l’impôt » 78. Enfin, les
plus pragmatiques y ont vu « un désir de plus en plus grand de rendement, ou de rentabilité
fiscale »79
Quant à la seconde interrogation, en guise de réponse, ce sont de vives critiques qui ont été
émises par certains, au nombre desquelles figure au premier rang celle selon laquelle cette
interprétation extensive de la notion d’abus de droit serait source d’insécurité juridique.
§2. Une extension critiquable de la notion d'abus de droit au regard de la sécurité
juridique des contribuables.
Si la doctrine s ‘est ralliée à l’interprétation extensive de l’article L64 du Livre des
Procédures Fiscales, telle qu’elle en a été donnée par les magistrats du Palais Royal, c’est
selon F. PIERRUGUES plutôt pour la critiquer que pour l’approuver80.
75 Cass.com, 19.04.1988. RJF, 2/89 n° 250, Dr.fisc. 1988, n° 32-38, comm. 1733, « …Attendu lorsqu'elle use des pouvoirs qu'elle tient de l'article L.64 LPF dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, l'Administration des impôts doit, pour pouvoir écarter comme lui étant inopposables certains actes passés par le contribuable, établir que ces actes avaient un caractère fictif ou pouvaient être regardés comme ayant eu pour seul but d'éluder les impositions dont était passible l'opération réelle… ». 76 Cass.com, 16 octobre 1984, RJF. février 1985, n° 734. 77 VIGNAUD. G. L'abus de droit en matière fiscale, Thèse, Bordeaux I, 1980. 78 ROBEZ-MASSON. La notion d’évasion fiscale en droit interne français, op.cit. 79 CADIET. L.Remarques sur la notion fiscale d'abus de droit: Regards sur la fraude fiscale, op.cit. 80 PIERRUGUES. J. Le principe de la liberté des choix fiscaux in La gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt, décembre 1991, n° 229, p.18.
22
Parmi les critiques formulées, on peut citer celles de J. TUROT qui juge cette nouvelle
définition « préoccupante », allant bien au-delà de la lettre de l’article L64 B du LPF qui,
selon lui, ne vise que des cas de simulation, et qui en aucun cas n’envisage « la simple
utilisation de la disposition fiscale la plus favorable ». En outre, il la considère contradictoire
avec « la notion de politique fiscale dont se servent les pouvoirs publics en tant qu’instrument
d’incitation ou de dissuasion à l’égard des comportements économiques » 81. Par cette
dernière observation, c’est surtout une inévitable insécurité fiscale que Jérôme TUROT
dénonce, considérant en ces termes que : « … si la notion de dissimulation juridique est une
notion juridique, par contre la notion de fraude d’intention ne peut mener ailleurs qu’à
l’insécurité juridique »82.
Bien qu’il n’y paraisse pas d’emblée, la fiscalité française offre néanmoins aux
contribuables un nombre considérable de choix fiscaux83. Prenons par exemple, le cas d’un
déficit constaté par une société à la clôture de son exercice, la loi offre deux possibilités
d’imputation de ce déficit, la société peut en toute liberté le reporter en avant (le report en
avant), ou le reporter en arrière, (report en arrière directement inspiré du système américain
du carry back)84. De même, en matière d’amortissement, elle peut librement opter pour le
linéaire ou le dégressif avec des conséquences fiscales propres à chacune de ces techniques.
En vérité, et comme l’a remarquablement démontré Frédéric DOUET85, ces « choix fiscaux »
répondent à une volonté des pouvoirs publics d’influer sur l’activité économique. Par
exemple, la liberté de choix, dont bénéficie le contribuable en matière d’amortissements,
répond plus généralement à un souci du législateur d’inciter les agents économiques à investir
dans les immobilisations86. De même, on peut citer l’article 29 de la loi du 12 avril 1996,
encore appelé disposition Périssol (supprimé par la loi de finance de 1999 et remplacé par la
disposition Besson). Cette disposition remplacée aujourd’hui par la disposition Besson
s’inscrivait dans la perspective de favoriser l’investissement locatif87 . Enfin, pour reprendre
les exemples particulièrement éloquents qui nous sont donnés par Frédéric DOUET, on peut
81 TUROT. J. Une définition peut être trop extensive et génératrice d’insécurité juridique in la gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt, décembre 1991, n° 229, p.18. 82 TUROT.J. Réalisme fiscal, abus de droit et opposabilité à l'administration des actes juridiques ou l'abus de droit rampant, RJF. août/septembre 1989, p.458 83 SCHMIDT. J. Les choix fiscaux des contribuables, D. 1974. chron. p.23 ; COZIAN.M. La gestion fiscale de l’entreprise, RJF 1980, p.202. 84 GROSCLAUDE.J., MARCHESSOU.P. Droit fiscal général, préc., n° 341 et s. 85 DOUET. F. Contribution à l’étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, Thèse, LGDJ.1997, n° 48. 86 GROSCLAUDE.J., MARCHESSOU.P. Droit fiscal général, préc., n° 150. 87 Idem., n° 224.
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citer la loi du 4 février 1995 relative à l’aménagement et au développement du territoire qui
prévoit un certain nombre d’avantages fiscaux en faveur d’entreprises qui s’installeraient dans
« des zones caractérisées par des handicaps géographiques, économiques, ou sociaux ». Il
s’agit d’un texte qui répond à une volonté évidente des pouvoirs publics de « redynamiser »
et « revitaliser » certaines zones tant urbaines que rurales.
En conséquence, il est évident que les choix des contribuables dans l’accomplissement
de leurs actes diffèrent selon que les mesures fiscales prises par les pouvoirs publics sont
avantageuses ou à l’inverse, qu’elles soumettent les opérations visées à une imposition plus
lourde. Ces choix sont donc dictés par des considérations fiscales. Dès lors, comment définir
avec précision ce qui relève de l’abus de droit par fraude à la loi et qui est répréhensible et ce
qui relève de « l’incitation fiscale » et qui rend compte d’une certaine « habileté fiscale »88 ?
La frontière entre ce qui relève de l’abus de droit par fraude à la loi qui implique
qu’un contribuable accomplisse des actes « qui n'ont pu être inspiré par aucun motif autre que
celui d'éluder ou atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes
aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles »89 et ce qui
relève d’une « incitation fiscale »90 est incertaine, créant par la même un inévitable sentiment
d’insécurité juridique chez l’ensemble des contribuables. L’abus de droit par fraude à la loi est
incontestablement source d’insécurité juridique.
Toutefois un examen concret de la jurisprudence des juges administratif et judiciaire
permet de relativiser la portée d’une telle affirmation.
Lorsqu’on examine la jurisprudence du Conseil d’Etat, on s’aperçoit qu’il applique
avec prudence le concept fiscal d’abus de droit par fraude à la loi. En effet depuis 1981, il est
difficile de trouver un arrêt sanctionnant l’abus de droit exclusivement sur le terrain de la
fraude à la loi. On peut en vérité constater que le Conseil reste flou, voir confus et très
souvent c’est sur les deux terrains (la simulation et la fraude à la loi) qu’il se place pour
88 M. COZIAN se prononce également en ce sens, considérant que « si la notion d’abus de droit s’élargit ainsi,, les frontières actuelles entre habileté fiscale et optimisation fiscale seraient dangereusement remises en cause au grand dam de la sécurité juridique. » COZIAN. M. Fraude fiscale, évasion fiscale, optimisation fiscale, Droit et patrimoine février 1995, p.3. 89 CE, Plénière, 10.juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc 1981, com. 2187, concl Lobry; RJF 1981, n° 787. 90 DOUET. F. Contribution à l’étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, Thèse, LGDJ.1997, n° 468 et s.
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retenir un éventuel abus de droit91. Un arrêt récent92 rend particulièrement compte de cette
prudence voir même de cette confusion. Ainsi pour juger du bien fondé de l’application des
dispositions de l’article L64 du LPF, une Cour administrative d’appel a considéré que
certes « la société en participation avait une existence régulière et l’opération litigieuse
n’était pas étrangère à son objet social », cependant elle s’était « interposée dans une
transaction dont les parties avaient négocié l’objet et le montant au cours des années
précédentes ; que le recours à cette structure juridique n’était justifié par aucun autre motif
que l’exonération d’impôt dont elle bénéficiait». A la lecture de ces quelques lignes, il
apparaît nettement que la Cour administrative d’appel nourrit une confusion entre l’abus de
droit par fraude à la loi et l’abus de droit par simulation et plus précisément la simulation par
interposition de personne. En effet, l’emploi du terme « interposée » renvoie nettement à la
simulation par interposition de personne. Quant aux termes « justifié par aucun autre motif
que l’exonération d’impôt », ceux-ci renvoient simplement à la fraude à la loi. Il apparaît donc
manifestement que c’est sur les deux terrains, que la cour se place pour justifier l’application
des dispositions de l’article L64 du LPF.
Quant à la Cour de Cassation, sa jurisprudence nous révèle qu’elle a tendance à écarter
radicalement l’abus de droit par fraude à la loi en retenant l’existence de motivations autres
que fiscales93. Par exemple, des considérations financières, économiques…
Une illustration, récente là encore, de cette attitude nous est donnée par l’arrêt RMC France
du 10 décembre 199694 , qui constitue non seulement une véritable décision de principe mais
qui marque un triomphe du droit des sociétés sur le droit fiscal.95
91 En ce sens : TUROT. J. L’application nuancée du Conseil d’Etat in La gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt, décembre 1991, n° 229, p.18. 92 CAA. Marseille, 3ème ch. 14 juin 1999, M. Bancarel, Dr Fisc. 2000, n°18.19, p.753, Concl. DUCHON-DORIS. 93 Le Conseil d’Etat se prononce également en ce sens, puisque pour reconnaître le caractère abusif d’une opération, il exige que celle ci ait été dictée par une motivation exclusivement fiscale. Cf. CE 17 janvier 1994, req. 120157, Dr. Fisc. 1994, n°15, comm.746. « L’abus de droit n’est établi que si l’acte a eu pour motif exclusif le souci d’éluder ou de réduire l’impôt. En relevant que ce motif n’était que principal, ce qui suppose qu’il y avait des motifs secondaires et donc qu’ils n’étaient pas exclusifs, la CAA a commis une erreur de droit puisqu’elle avait fait application d’une définition erronée de la notion d’abus de droit ». 94 Cass. Com. 10 décembre 1996, RMC France, RJF 1997, n°2, Dr. Fisc. 1997, p.582, n°17, comm.471, obs. DIBOUT, RD bancaire et bourse, 1997, p.28, n°59, obs. M. GERMAIN et M-A. FRISON-ROCHE, JCP éd. N 1997, II, p. 913, note H. HOVASSE, D. 1997, p 169, note G.TIXIER et I. ANSELIN, Rev. sociétés. 1997, n°3, p.589, note E.KORNPROBST. En cas de cession de droits sociaux, il faut rappeler que le cessionnaire est tenu de payer un droit de 4,80 % s’il s’agit d’une SARL, de 1% s’il s’agit d’une SA. Aussi, pour échapper aux droits de 4,80 %, la solution consistait à transformer la SARL en SA préalablement à la cession. Devant un tel scénario, la suite pouvait s’imaginer sans grande difficulté: l’administration brandissait son arme fétiche : l’abus de droit et tout le montage s’effondrait avec les pénalités qui y étaient attachées. Dans cette décision RMC-France, la Cour de cassation a toutefois modifié les règles du jeu, considérant en l’espèce que la transformation d’une SARL en SA n’était pas abusive et cela en dépit de l’économie fiscale qu’elle a procuré. Désormais un tel
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Ainsi au regard de cette application nuancée et timide qui en est faite tant par le
Conseil d’Etat que la Cour de Cassation, l’affirmation selon laquelle l’extension de la notion
d’abus de droit crée une insécurité juridique doit être relativisée.
Cela étant, le contribuable, s’il use du mensonge juridique ou s’il poursuit
artificiellement un but exclusivement fiscal, c’est avant tout dans le but de soustraire des
sommes à l’impôt. Pour parvenir à cette fin, les faits dévoilent qu’il n’hésitera pas à exploiter
les multiples avantages fiscaux que renferme la législation de certains territoires,
communément appelés les « paradis fiscaux ». En terme de chiffre, on peut citer celui de la
valeur des investissements réalisés dans les « juridictions à faible fiscalité » particulièrement
révélateur de la situation, puisque entre 1985 et 1994, il a quintuplé pour dépasser les 200
milliards de dollars96.
scénario est l’œuvre d’une « saine habileté fiscale » et non de l’exercice abusif d’un droit94, (dès lors que la société ne revient pas à sa forme antérieure). 95 pour d’autres illustrations : Cass. Com. 16 juin 1992, Tiberghien, RJF. 1992, n° 1277 ; Cass. Com. 21 juin 1994, Cts. Constans, Dr.Fisc. 1994, comm. 1646. 96 Voir. DIBOUT. P. la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales in Regards sur la fraude fiscale, Economica, 1986 ; La lutte contre la concurrence fiscale dommageable au niveau de l’OCDE, Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1999, p.17
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Chapitre 2. Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal dans le
recours aux paradis fiscaux.
Si l’on s’attache à définition de l’abus de droit, telle qu’elle vient d’être exposé, tout
« montage » effectué via des paradis fiscaux dans le but principal d’éluder l’impôt
présenterait un caractère abusif. En vérité, les litiges soumis au juge de l’impôt, nous
permettent de distinguer deux catégories d’application de la théorie de l’abus de droit en
présence de paradis fiscaux. La première catégorie concerne des opérations réalisées par des
personnes physiques, certaines plus connues sous l’appellation de « rent-a-star-companies »,
par allusion à un slogan publicitaire («rent a car») (Section 1). La seconde vise des
« montages » mis en œuvre cette fois par des personnes morales (Section 2). Toutefois, que
ces « montages » soient l’œuvre d’une personne physique ou d’une personne morale, ils
requièrent l’utilisation d’une « société relais » ou « société écran »97, située dans un « Etat à
fiscalité privilégiée ».
Section 1. L'utilisation de « sociétés écrans » 98 ou « sociétés relais » par des personnes
physiques : la technique de la « rent-a-star Companies ».
On sait, à la lecture de l’article 4B du CGI, que la conception du domicile fiscal des
personnes physiques adoptée par le droit interne français est très large, de sorte qu’il sera
difficile pour un contribuable entretenant des liens avec la France d’échapper à une éventuelle
imposition dans le pays99. Bruno GOUTHIERE l’a constaté, lorsqu’il écrit que l’unique façon
d’échapper à la domiciliation en France pour un contribuable requiert de ce dernier qu’il cesse
d’avoir un quelconque lien avec notre pays100. Aussi, des contribuables, quelque peu
97 CUTAJAR.-RIVIERE. C. La société écran, essai sur sa notion et son régime juridique, Thèse, préface de P.DIENER, LGDJ, p.78 ; PENNERA. C. Les sociétés relais et l'évasion fiscale internationale, JCP éd CI, 1974, 11315. 98 CUTAJAR.-RIVIERE. C. La société écran, essai sur sa notion et son régime juridique, Thèse, préface de P.DIENER, LGDJ. 99 Les règles de territorialité et les conditions d’impositions des personnes physiques sont particulièrement strictes. Celles-ci résultent pour l’essentiel des articles 4A et 4B du CGI, aux termes desquels, le champ d’application de l’impôt sur le revenu diffère selon que la personne physique a ou non son domicile en France. Lorsque la personne physique est domiciliée en France, elle est passible de l’impôt, sur l’ensemble de ses revenus, de source française et étrangère, peu importe le lieu de leur perception. Quant aux personnes domiciliées hors de France, elles sont imposables à raison de leurs seuls revenus de source française. Autrement dit, pour déterminer l’étendue des obligations fiscales d’un contribuable en France, il faut rechercher s’il est domicilié ou non en France. Pour ce faire, il faut se référer à la notion de domicile fiscal, telle qu’elle est définie par l’article 4 B du CGI. 100 GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 1998, n° 2413.
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indélicats ont imaginé des stratagèmes leur permettant, tout en conservant des liens avec le
pays, de ne pas être imposé en France ou du moins de n’être imposé que sur une faible partie
de leurs revenus. Au titre de ces stratagèmes, figure le recours à une « société écran » ou
« société relais » située dans un paradis fiscal.
L’utilisation des « sociétés écran » peut revêtir des aspects extrêmement divers, de la
« société de facturation », à la sociétés dites « holdings »101, implantées sur des territoires tels
la Suisse, les Pas-Bas, et le Luxembourg, loin de l’exotisme et du sable fin auxquels nous
avaient habitués les « vieux paradis fiscaux »102. Chantal CUTAJAR, dans sa thèse sur « la
société écran » a remarquablement mis en lumière les exemples les plus significatifs
d’utilisation d’une « société écran » comme « moyen d’échapper à l’obligation de payer
l’impôt » ou du moins en réduire le montant.
Parmi ces différentes illustrations, il y a en a une au titre de laquelle la « société
écran » ou « société relais » peut s’avérer une technique particulièrement efficace de transfert
de revenus. Plus connue sous le nom de « rent a star system», elle consiste pour un
contribuable réalisant certaines prestations de services (spectacle, sport…) à ne pas percevoir
directement les rémunérations y afférentes, mais à les faire transiter par une société dont le
siège est situé dans un Etat à faible pression fiscale. Il s’agira par exemple d’une anstalt
implantée au Lichtenstein103, à laquelle, il aura préalablement réservé l’exclusivité de ses
services moyennant une rémunération généralement modeste. Il s’ensuit que notre artiste ou
sportif ne sera imposé en France que sur la faible rémunération qui lui est versée par la
101 DOLLFUS.C. La fiscalité des sociétés holdings en Europe, D. 1991. chronique p.191. 102 LAMORLETTE.T et RASSAT.P. Stratégie fiscale internationale, Maxima, 1993, p. 41. 103 Les « anstalts » sont des personnes morales de droit liechtensteinois, il s'agit d'une structure intermédiaire entre la société par actions et la fondation. Fiscalement, si « l'anstalt » n'exerce pas d'activité au Lichtenstein, elle joue le rôle d'une société de domiciliation, exonérée d'impôt et redevable exclusivement de l'impôt de 0.1% sur le capital, avec un minimum de 1000 FS. CE 16 décembre 1987, n° 55 790, RJF 02/88, p. 94 ; une « anstalt » du Liechtenstein doit être regardée comme soumise à un régime fiscal privilégié dès lors "qu'eu égard à sa forme juridique … elle exonérée au Liechtenstein de tout impôt sur les bénéfices et seulement redevable d'un impôt annuel sur le montant de son capital et de ses réserves au taux de 0.1% et assorti d'un minimum d'imposition de 1000 francs suisse". Voir. Gouthière. B. Les impôts dans les affaires internationales, F.Lefebvre,1999, n° 2410, 2512. Pour des illustrations : CE 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA concernant une convention conclue entre un acteur de cinéma et une société dont le siège se situait au Lichtenstein, aux termes de laquelle il était prévu que l'acteur accordait l'exclusivité de ses services à cette société moyennant une rémunération, quant à la société, elle percevait l'intégralité des sommes dues au titre de la participation de l'acteur dans les films. CE 6 mai 1985, req. 35572, RJF, 1985, n°1096, p.567 ; Dr. Fisc. 1986, n°11, comm.528, concernant la conclusion d’un contrat entre un écrivain et un établissement dont le siège se situait au Liechtenstein, plus précisément « une Anstalt », aux termes duquel, celle-ci s'engageait à promouvoir l'écrivain en tant qu'auteur et à lui fournir des conseils et des idées littéraires et en contrepartie desquels, elle percevait 75% des droits d'auteurs sur une série d'ouvrages.
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société, et quant aux cachets, ils subissent une imposition quasi nulle, puisque versés à une
société située dans un paradis fiscal. Il en résulte pour le fisc un transfert de revenus hors de
France104.
Ce montage, quelque peu sophistiqué a été hérité des Etats Unis, où certaines « stars »
du « show business hollywoodien » et quelques sportifs de haut niveau n’ont pas hésité à y
recourir105. En France, il a permis à certains acteurs, imprésarios, ou encore écrivains, des
années 1970, de localiser l’essentiel de leurs revenus dans des paradis fiscaux et de les
soustraire ainsi à l’impôt français.
A plusieurs reprises, le Conseil d’Etat confronté à de tels montages n’a pas hésité à
approuver l’administration fiscale, invoquant l’abus de droit, au motif que : « la société
implantée à l’étranger n’avait joué aucun rôle effectif et qu’elle ne disposait d'aucun moyen
lui permettant l'exercice effectif de la profession d'imprésario ou d'intermédiaire pour
l'engagement des artistes »106, ou encore qu’elle n’avait aucune activité réelle, et qu’en
conséquence, il en résultait des versements effectués à l’étranger sans réelles contreparties107.
104 PENNERA. C. Les sociétés relais et l'évasion fiscale internationale, JCP éd CI, 1974, 11315. 105 Cf. affaire Johansson : un boxeur professionnel, d’ailleurs champion du monde de boxe, et de nationalité suédoise avait crée une société en Suisse destinées essentiellement à recevoir les gains des combats qu’il avait livré aux Etats Unis, lui permettant ainsi de les soustraire à l’impôt aux Etats Unis. Cf. affaire Nat « king » cole, « le roi du jazz des années 1960 » qui avait crée une société à Panama percevant l’intégralité de ses cachets lors de ses tournées à l’étranger. 106CE 19 janvier 1983, req. 33 831, RJF, 1983, n°432, p. 190 ; Dr.Fisc. 1983, n°31, comm. 1621, concl. SCHRICKE. En l'espèce, un producteur anglais avait conclu un contrat avec une société dont le siège social était en Suisse, ce contrat prévoyait l'engagement d'une artiste française au titre des représentations d'une pièce à Londres moyennant rémunération. Puis, quelques jours plus tard, l'artiste française avait passé un contrat avec la société suisse, au terme duquel, cette société rémunérait les services que l'artiste accomplirait pour son compte dans tous les pays du monde à l'exception de la France moyennant un salaire fixe garanti très nettement inférieur aux cachets prévus dans le contrat entre le producteur anglais et la société suisse. Considérant que la société suisse n’avait joué aucun rôle effectif et que domiciliée en Suisse « elle ne disposait d'aucun moyen lui permettant l'exercice effectif de la profession d'impresario ou d'intermédiaire pour l'engagement des artistes », le Conseil d’Etat a jugé que l'Administration apportait la preuve que « le contrat passé avait bien pour objet et pour effet de permettre à l'artiste de dissimuler une partie des sommes effectivement payées par le producteur anglais et d'éluder ainsi une partie de l'imposition due à raison de ces revenus » et dès lors elle était fondée à invoquer les dispositions de l'article 1649 quinquiès B du CGI relatif à l'abus de droit. 107 CE 6 mai 1985, req. 35572, RJF, 1985, n°1096, p.567 ; Dr. Fisc. 1986, n°11, comm.528. Un écrivain connu avait constitué au Lichtenstein « une Anstalt » et aux termes d’un contrat passé entre eux, « l'Anstalt » s'engageait à promouvoir l'écrivain en tant qu'auteur et à lui fournir des conseils et des idées littéraires. En contrepartie, elle percevait 75% des droits d'auteurs sur une série d'ouvrages. L'Administration , se fondant sur l’abus de droit, a estimé que ce contrat avait en réalité pour objet de permettre à l’intéressé de transférer à l'étranger une part importante de ses recettes et ainsi faire échapper à l’impôt sur le revenu en France 75% de ses droits d’auteurs Le CE a confirmé la position de l'Administration, considérant qu'en faisant état de ces circonstances et constatations, elle devait être regardée comme ayant apporté la preuve que le contrat passé « … dissimulait un transfert de revenus à l'étranger dans des conditions permettant à l'intéressé d'éluder une partie des impositions auxquelles ces revenus auraient du être soumis ». Le CE a par ailleurs ajouté qu'en
29
En revanche, dans des espèces toutefois similaires, le Conseil d’Etat s’est montré plus
nuancé. Il a refusé de retenir l’abus de droit, au motif notamment, que « le contrat n'avait pas
eu pour seul objet de dissimuler, en vue d’éluder l'impôt, une partie des ressources» de
l’artiste, ici, la célèbre Romy Schneider108. Il s’y est encore refusé dans un arrêt du 21 mars
1983, considérant non seulement que la convention conclue n’avait pas eu pour unique objet
la dissimulation des revenus, mais également que la société en question avait bien eu une
activité réelle109.
Mais, comme nous le développerons par la suite, face à de tels transfert de revenus, le
législateur français a néanmoins réagi, puisqu’en guise de riposte, il a inséré dans la loi de
finances pour 1973 un article 18, aujourd’hui codifié sous l’article 155A du CGI. Celui-ci
organise en quelque sorte le « rapatriement » en France des sommes versées à la société relais,
et leur imposition au nom de l’artiste. De leur coté, les Etats ont également réagi, en insérant
dans les conventions fiscales internationales des clauses ayant pour objet de prévenir de tels
abus.
Si, l’on revient sur la définition de l’abus de droit, exposée précédemment, on sait
qu’elle recouvre deux comportements bien distincts, le mensonge juridique et le but
exclusivement fiscal. Toutefois, lorsqu'on analyse ces arrêts, en particulier, celui en date du
21 mars 1983110, on ne peut manquer d’observer que le Conseil d’Etat est des plus confus. En
effet, les avis, qui nous sont rendus ici par le Conseil d’Etat, se révèlent confus retiennent les
l'absence de Convention fiscale conclue entre la France et le Lichtenstein, « la circonstance que des droits d'auteurs aient déjà été imposés au Lichtenstein ne fait pas obstacle à leur imposition en France ». 108 CE 21 avril 1989, req. 88 983, Cinécustodia, RJF,1989, n° 724, p.369 ; Dr.Fisc. 1989, n°40, p. 1772, note TIXIER. L'administration n'ayant pas établi que ce cette société qui gérait la carrière d'autres acteurs de renommée internationale n'avait pas d'activité réelle et ne contribuait pas à la promotion de l'artiste, le CE a jugé que ce contrat n'avait pas pour seul objet de dissimuler en vue d'éluder une partie des revenus de l'actrice, en vérité "ce contrat comportait des dispositions sécurisantes pour l'artiste lui permettant de bénéficier d'une garantie de rémunération et de maintien de son train de vie au cas où, comme cela se produisit effectivement, elle ne tournerait pas ou peu de films pendant une année". Ce contrat n'avait donc pas pour seul objet d'éluder l'impôt et ne pouvait donc être regardé comme constitutif d'un abus de droit. 109 CE 4 décembre 1981 et 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA. S’agissant d’une convention conclue entre un acteur de cinéma et une société dont le siège se situait au Lichtenstein, aux termes de laquelle il était prévu que l'acteur accordait l'exclusivité de ses services à cette société moyennant une rémunération, quant à la société, elle percevait l'intégralité des sommes dues au titre de la participation de l'acteur dans les films. De plus les sommes perçues par cette société étaient virées sur un compte dans une banque suisse dont le titulaire était le principal actionnaire de la société. Moins de deux ans après avoir été conclue cette convention avait été résiliée. Le Conseil d’Etat, malgré un avis favorable rendu par le comité consultatif des abus de droit a refusé de retenir l’abus de droit dans cette espèce, considérant que la convention conclue n’avait pas eu pour unique objet la dissimulation des revenus, et que la société en question avait bien eu une activité réelle. 110 CE 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA.
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deux comportements pour justifier la qualification d’abus de droit. Cette confusion n’est ni
plus ni moins la manifestation d’une volonté du Conseil d’Etat de se montrer prudent dans
l’application de la théorie de l’abus de droit aux cas de fraude à la loi.
Enfin, parmi les montages échafaudés par des personnes physiques, usant d’un
mensonge juridique ou poursuivant un but exclusivement fiscal, il nous faut mentionner un
autre procédé, quelque peu similaire et mis en œuvre par certains contribuables. Celui-ci
consistait à faire acquérir, sous le couvert d’une société fictive immatriculée dans un pays
faiblement imposé, par exemple la Suisse111, des immeubles situés en France, lesquels étaient
alors donnés en bail à l’intéressé, qui en versant les loyers à la société transférait en réalité
une partie de ses revenus dans un paradis fiscal112.
Là aussi, pour lutter contre la tentation de certains de recourir à cette forme d’évasion,
les pouvoirs publics ont réagi en faisant adopter les dispositions de l’article 990D et suivants
du CGI. Ces articles frappent d’une taxe annuelle de 3% les personnes morales, quelle que
soit leur nationalité, dont le siège de direction effective est situé hors de France et qui
directement ou par personnes interposées, possèdent des immeubles en France113.
Dans d’autres cas, ce sont des montages mis au point par des personnes morales qui
peuvent être constitutifs d’un abus de droit.
Section 2. L'utilisation de sociétés écrans ou sociétés relais par des personnes morales.
Ici, s’il s’agit toujours de minimiser l’impôt, voir de l’éluder par l’intermédiaire d’une
société relais, l’objectif sera atteint par une utilisation détournée de conventions fiscales
internationales ayant pour objet d’éviter les doubles impositions. En d’autres termes, il s’agit
pour une société de recourir à une « société relais » établie dans un Etat ayant conclu une
convention fiscale, avantageuse à certains égards, avec l’un ou l’autre des Etats ou siègent les
autres sociétés, parties au montage. Cette pratique est plus connue sous le nom de « treaty
shopping », dont la traduction française est « l’utilisation abusive des traités » ou « l’abus des
111 DIBOUT.P. De quelques arrêts récents concernant l’imposition de personnes morales suisses du fait de leurs activités en France. Dr. Fisc. 1984, n° 42, p.1229. 112 SERLOOTEN. P. Droit fiscal des affaires, Dalloz, 1999, n°560 ; FERNOUX. P. Fraude fiscale et contrôle fiscal, J-Cl. Procédures Fiscales, Fasc.320, n°66. 113 GOUTHIERE. B. La taxe patrimoniale de 3% sur les immeubles des sociétés étrangères, Bull. Fisc, Lefebvre, février 1990, p.79.
31
traités »114. Elle consiste précisément, pour reprendre la définition de Bernard PLAGNET, en
un montage échafaudé « en vue de permettre à des personnes qui n’entreraient pas dans le
champ d’application de la convention de bénéficier tout de même des dispositions favorables
prévues par le traité ». En définitive, la convention est détournée de son but, puisque d’une
convention destinée à éliminer les doubles impositions, on parvient à une convention qui
élimine toute imposition115.
Là encore, certains de ces montages ont d’abord été expérimentés aux Etats Unis,
avant de traverser l’Atlantique pour être mis en œuvre en France. Messieurs GEST et TIXIER
nous en fournissent une illustration avec l’affaire « Aiken Industries »116.
En France, un exemple d’utilisation d’une « société relais » par une personne morale
peut être recherché dans un arrêt d’une Cour Administrative d’appel. En l’espèce, une société
française avait contracté un emprunt auprès de sa sœur allemande, laquelle avait elle-même
emprunté les sommes à une société située aux Antilles néerlandaises. Les intérêts versés par
la société française à sa sœur bénéficiaient d’une exonération de retenue à la source, prévue
par la Convention fiscale franco-allemande. L’administration avait considéré que ces
opérations étaient constitutives d’un abus de droit, en ce sens que « l’interposition » de la
société allemande n’avait été organisée qu ‘en vue de bénéficier de l’exonération
conventionnelle.(Celle-ci n’aurait pu être obtenue en présence d’intérêts payés directement
aux Antilles néerlandaises)117.
De manière générale, en présence de structures juridiques, telles des sociétés de
façade, ou des sociétés relais, situées dans un paradis fiscal et utilisées par des personnes
morales, on verra que l’administration fiscale peut lutter contre ceux-ci dans de meilleures
114 PLAGNET.B. L’abus des traités : pratique française. Dr. Fisc. 1986, n° 52, p.1258. 115 Idem. 116 En l’espèce, une société holding qui avait son siège aux îles Bahamas, possédait une filiale aux Etats Unis, laquelle contrôlait à 100% une autre société américaine, Aiken Industries Inc. Celle-ci emprunta une somme importante à la société holding de Panama en échange de billets à ordre. Pour éluder la retenue à la source à laquelle étaient soumis les intérêts dus au titre de ces billets, une société fut crée au Honduras, à laquelle les billets furent transférés , dans la mesure ou la convention fiscale conclue entre les Etats Unis et le Honduras prévoyait une exemption de cette retenue à la source. Ce montage révèle donc la création d’une société relais, dans le but uniquement de bénéficier d’une disposition conventionnelle favorable. Voir. GEST. G et TIXIER. G. Droit fiscal international, 2ème éd, PUF. Coll. droit fondamental, 1990, n°476, LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992, p. 107. 117 CAA. Nancy, 14 mars 1996, SARL Inter Selection, RJF novembre 1996, n°1329. Le juge a toutefois confirmé l’exonération conventionnelle de retenue à la source considérant que l’administration n’avait pas démontré l’abus de droit.
32
conditions en recourant aux instruments spécifiques mis à sa disposition par le CGI, et plus
spécialement, les articles 57, 209B ET 238-A du CGI.
Les « sociétés relais » et « sociétés écran » existent donc, et se révèlent un instrument
particulièrement attrayant dans le cas de transferts de revenus et de bénéfices à l’étranger.
Les études s’y rapportant l’ont d’ailleurs brillamment démontré118 et les quelques montages ,
que nous venons d’envisager ici ne devraient plus permettre d’en douter.
Cela étant et conformément à ces différentes illustrations jurisprudentielles, nous
pouvons affirmer sans crainte d’être contredit, que le recours aux paradis fiscaux, qu’il soit le
fait d’une personne physique ou d’une personne morale, peut très souvent être constitutif d’un
abus de droit. Dans cette hypothèse, nous savons que le législateur a mis à disposition de
l’administration fiscale une arme lui permettant de réprimer de tels abus , à savoir la théorie
de l’abus de droit.
118 CUTAJAR.-RIVIERE. C. La société écran, essai sur sa notion et son régime juridique, Thèse, préface de P.DIENER, LGDJ, 1998, n° 252 ; PENNERA. C. Les sociétés relais et l'évasion fiscale internationale, JCP éd CI, 1974.
33
Titre 2. la répression de l'évasion fiscale internationale par la théorie
de l'abus de droit.
Pour combattre l’attrait qu’exercent les paradis fiscaux sur certains contribuables,
l’administration fiscale peut envisager de déployer la théorie de l’abus de droit. Cette arme
nécessite néanmoins dans son déclenchement la mise en oeuvre d’une procédure spécifique.
Cette procédure spécifique est celle visée à l’article L64 B du Livre des Procédures Fiscales et
n’est autre que la procédure de répression des abus de droit.
Paradoxale, tel est, semble t-il, le maître mot qui caractérise la procédure de répression
des abus de droit. Car, si l’on se place sur le terrain des grands principes, c’est une procédure
exorbitante de droit commun qui se présente à nous. Le législateur, en reconnaissant
solennellement à l'administration le droit de "restituer à l'opération litigieuse" son véritable
caractère, méconnaît un principe général, celui « du respect des situations privées », dont on
sait, que l’administration fiscale est normalement tenue au respect 119. Par ailleurs, elle est
aussi une procédure assortie de garanties spéciales en faveur des contribuables. Si de telles
prérogatives sont reconnues à l’administration fiscale, les conséquences qui en découlent
n’en sont pas des moindres. Celles-ci peuvent en effet être assimilées, pour reprendre la
formule imagée de Maurice COZIAN, à une véritable « épée de Damoclès… suspendue au-
dessus de la tête des contribuables », qui lorsqu’elle se détache provoque « un cataclysme
fiscal »120. Cela dit, n’est ce pas là le propre d’une arme efficace, que de produire un effet
dissuasif ?
S’il résulte de la mise en œuvre d’une telle procédure des prérogatives certes
exorbitantes, mais encadrées, en faveur de l’administration fiscale (chapitre 1), en
contrepartie de ces dernières, des garanties particulières sont attribuées au contribuable
(chapitre 2).
119 « L’administration fiscale est, normalement tenue au principe au principe général du respect des situations privées, ce qui emporte une double conséquence : d’une part les conventions sont réputées sincères, et d’autre part, lorsqu’elles prévoient des obligations réciproques, ces obligations sont présumées être équilibrées. », DIBOUT. P. La procédure de répression des abus de droit. Pratique et critique. Dr. Fisc.1992, n° 45, p.1734. Voir en ce sens : CHAHID-NOURAÏ. N. L’abus de droit et les garanties du contribuable in Optimisation fiscale et abus de droit, ouvrage collectif, préface N. CHAHID-NOURAÏ et O.FOUQUET, Litec, 1990. 120 COZIAN. M. L’aménagement de la procédure de l’abus de droit in L’amélioration des rapports entre l’Administration fiscale et les contribuables, actes du colloque de la société française de droit fiscal, PUF, 1989, p.157.
34
Chapitre 1. Des prérogatives spécifiques en faveur de l'administration
fiscale dans la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de
droit.
Si l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales confère à l’administration fiscale des
prérogatives considérables, c’est dans des conditions strictes que leur exercice est enfermé.
Aussi, nous aborderons dans un premier temps les conditions encadrant l’exercice de telles
prérogatives (Section1), pour en examiner dans un deuxième temps les conséquences
(Section2).
Section 1. Des prérogatives encadrées par des conditions strictes.
Il nous faut envisager en priorité des conditions liées au domaine de l’abus de droit
(§1), pour poursuivre par l’étude des conditions attachées au régime de la preuve de l’abus de
droit (§2).
§1. Des conditions liées au domaine de l'abus de droit.
Le domaine de l’abus de droit est précisé par le texte lui-même, lequel est limité à
certains actes (A) et à certains impôts (B).
A. Le domaine de l'abus de droit quant aux actes et opérations visés.
Cette délimitation du domaine de l’abus de droit résulte de la lettre même du texte de
l’article L64 du LPF, lequel dispose « ne peuvent être opposés à l’administration des impôts
les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention ». Il apparaît
donc à la lecture de ce texte, que seuls les contrats et conventions entrent dans le champ
d’application de la théorie de l’abus de droit.
35
A partir de là, les auteurs121 ont pu dresser un premier constat : les faits juridiques
sont exclus du domaine de l’abus de droit, et seuls sont visés les actes juridiques. Un tel
constat mérite toutefois, selon Florence DEBOISSY, d’être relativisé eu égard à l’application
qui en ait faite par la jurisprudence du Conseil d’Etat. Ce dernier n’hésite pas en effet, pour
reprendre les termes de Florence DEBOISSY « à faire violence à la lettre du texte en passant
outre à l’exigence d’un acte juridique »122.
Un deuxième constat peut être déduit en revanche de la lettre de l’article 1101 du
Code Civil, lequel définit le contrat comme « une convention par laquelle une ou plusieurs
personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire, ou à ne pas faire quelque
chose ». Il résulte de cette définition, empruntée à Pothier, que certes le contrat n’est qu’une
variété de convention, mais s’agissant d’une convention, il implique un accord de volonté
entre deux personnes au moins.123. Dès lors, il semble établi que la mention des termes
« contrat » et « convention », traduit la volonté du législateur de viser les seuls actes
conventionnels, et d’en exclure ainsi les actes unilatéraux ou collectifs. Mais, là encore, la
pratique nous révèle que sans scrupules le Conseil d’Etat dépasse le cadre des contrats et
conventions et condamne pour abus de droit des actes juridiques ne présentant pas un
caractère conventionnel, tel par exemple des décisions collectives prises entre associés124.
Enfin, en dernier lieu, il importe peu que l’acte soit écrit, telle est la conclusion à
laquelle aboutissent Maurice COZIAN et Florence DEBOISSY au regard de la jurisprudence
du Conseil d’Etat, lequel a jugé dans un arrêt de 1988125 qu’un bail verbal pouvait être remis
en cause sur le terrain de l’abus de droit.
En définitive, s’il ressort de la lettre de l’article L64 du LPF un tracé particulièrement
précis du domaine de l’abus de droit quant aux actes et opérations, c’est en vérité un domaine
aux délimitations particulièrement malléables qui nous est dévoilé à l’examen de certains
121 COZIAN.M et DEBOISSY. F. Garantie et domaine de la procédure de répression de l’abus de droit, RJF, 1993, n° 2, p.99 ; DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, Thèse, préface de M.COZIAN, LGDJ, 1997, n°768 et s. 122 DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, Thèse, préface de M.COZIAN, LGDJ, 1997, n° 770. 123 TERRE. F. SIMLER. P. et LEQUETTE. Y. Droit civil ; Les obligations, 7ème éd., Précis Dalloz, 1999, n°45. 124 CE 3 novembre 1986, req. 49462, Dr.Fisc. 1987, n°8, comm.344,, concl. RACINE. Voir aussi : COZIAN.M et DEBOISSY. F. Garantie et domaine de la procédure de répression de l’abus de droit, RJF, 1993, n° 2, p.99. 125 CE 8 juillet 1988, req. 76910, RJF 1988, n°10, p.630, Dr.Fisc. 1989, n°9, comm.413, concl. M.LAPRADE. Voir aussi : CAA. Nancy, 18 février 1993, Dr.Fisc.1993, n°49, comm2377, concl. J. FELMY, JCP. 1994, éd. E, II, 536; RJF. 1993, n°6, p.552.
36
arrêts du Conseil d’Etat. Reste à savoir, s’il en est de même en ce qui concerne la seconde
délimitation du domaine de l’abus de droit, celle des impôts visés ?
B. Le domaine de l'abus de droit quant aux impôts visés.
Le domaine de l’abus de droit quant aux impôts est délimité là encore avec précision
par les textes. Seuls certains impôts sont énumérés par l’article L.64 du Livre des Procédures
Fiscales : droits d’enregistrement, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TVA et en
dernier lieu l’impôt sur la fortune.
D’emblée, se pose la question de savoir si à l’instar de la première délimitation, la
seconde est entendue de manière souple par le Conseil d’Etat ou bien, au contraire, de
manière restrictive. Autrement dit, le domaine de l’abus de droit peut-il inclure d’autres
impôts que ceux visés par le texte, par exemple la taxe professionnelle ?
La réponse nous est fournie par un arrêt126, déjà ancien, du Conseil d’Etat, lequel avait
jugé que la procédure ne pouvait s’appliquer en matière de patente. Cette solution nous est
aussi confirmée par la Cour administrative d’appel de Nancy, qui suivant les conclusions de
son commissaire du gouvernement, a jugé que la procédure de répression des abus de droit
n’était pas applicable aux taxes assises sur les salaires127. Enfin, la solution est encore
approuvée par l’ensemble des auteurs, en commençant par le professeur COZIAN128 qui
considère que « c’est une certitude, l’article L. 64, en tant qu’il fixe le champ d’application de
la notion d’abus de droit, est d’interprétation stricte. Dès lors la liste des impôts visés est
limitative et aucune extension analogique n’est concevable ». Quant à Florence
DEBOISSY129, elle considère pour sa part qu’une telle « rigueur doit être saluée ».
Aux termes de ces développements, s’il apparaît que les pouvoirs de l’administration
peuvent éventuellement s’étendre à des actes non visés par la loi, en revanche, ils ne peuvent
en aucun cas s’appliquer aux impôts autres que ceux visés par le texte. Autrement dit, si à
certains égards les conditions liées au domaine de l’abus de droit sont seulement d’apparence
126 CE 25 février 1966, req.64228, Bourgeon . 127 CAA Nancy, 20 mai 1998, req. 94 1609, SA Desoss, BDCF 1998, n°50 à 52, concl. B. COMMENVILLE. De NAVAILLES.F. Le champ d’application de l’abus de droit de plus en plus limité, Option finance 19 juillet 1999, n° 557, p.25. 128 COZIAN. M. Les grands principes de la fiscalité des entreprises, 4ème éd, Litec, 1999, n°71 ; 129 DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, Thèse, préface de M.COZIAN, LGDJ, 1997, n° 778.
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stricte, à d’autres, ce sont en réalité des conditions particulièrement rigoureuses qui encadrent
les pouvoirs de l’administration.
Mais, si les pouvoirs de l’administration ne peuvent s’étendre aux impôts non visés par
le texte, cela ne signifie pas qu’un contribuable puisse en toute impunité éluder les impôts dus
en recourant abusivement aux paradis fiscaux. Car, nous le verrons, l’administration a
« plusieurs cordes à son arc »…
§2. Des conditions liées au régime de la preuve de l'abus de droit.
Nous verrons qu’au nombre des garanties attribuées au contribuable, l’une consiste, en
cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement de l’article L.64 du LPF, à
soumettre le litige à l’avis du Comité consultatif pour la répression des abus de droit.
Si dans la procédure de redressement de droit commun, l’avis des commissions
départementales laisse en principe la charge de la preuve à l’administration fiscale130 ; en
matière d’abus de droit, les choses sont bien différentes. Il résulte, en effet, des dispositions
spécifiques fixées par l’article L.64 du LPF, un partage du « fardeau »131 de la preuve entre
l’administration et le contribuable, selon que le comité consultatif pour la répression des abus
de droit a été ou non saisi ou lorsqu’il a été saisi selon le sens de son avis.
Très schématiquement, en l’absence de saisine du comité consultatif, ou lorsque celui-
ci a été saisi et a rendu un avis défavorable à l’administration, la charge de la preuve incombe
dans tous les cas à cette dernière. Autrement dit, il revient à l’administration de démontrer le
caractère fictif de l’acte ou à défaut, d’établir que l’acte litigieux n’a pu être inspiré par aucun
autre « motif que celui d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale que l’intéressé, s’il n’avait pas
passé ces actes aurait normalement supportée eu égard à sa situation et à ses activités
réelles.132 »
En revanche, lorsqu’un avis favorable à l’administration est rendu, c’est au
contribuable qu’il appartient de prouver l’absence d’abus de droit. Autrement dit, il lui
130 CIAUDO. P.J. Les déficits des droits de la défense dans les procédures fiscales, Droit et Patrimoine, février 2000, p.31. 131 BERGERES. M.C. Quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal, Gaz.Pal. 1983, I, doct , p.149. 132 CE, Plénière, 10 juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc 1981, com. 2187, concl Lobry; RJF 1981, n° 787.
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incombe de démontrer devant le juge de l’impôt que l’opération ne présente pas le caractère
que lui prête l’administration133.
L’expérience dévoile toutefois que l’administration supporte presque toujours la
preuve de l’abus de droit, non que les avis rendus par le comité soient tous en sa défaveur,
mais simplement, parce que l’administration le saisit très peu. Pour s’en convaincre, il suffit
de revenir sur les arrêts rendus par le Conseil d’Etat, à propos des « sociétés d’artistes » dont
certains ont été précédemment exposés, et parmi lesquels un seul134, semble-t-il, a donné lieu
à une saisine du comité consultatif.
Dans notre espèce, le comité consultatif saisi d’une convention conclue entre un
acteur de cinéma et une société dont le siège se situait au Lichtenstein avait eu égard le
caractère particulièrement suspect de la convention, rendu un avis favorable à l’abus de droit.
Il avait considéré cette société (dont la fonction était d’encaisser directement les cachets de
l’artiste et de verser à ce dernier une rémunération sous forme de salaire) comme n’ayant été
créée que pour permettre la localisation dans un pays à faible pression fiscale d’une partie des
revenus de l’artiste, et ainsi les faire échapper à l’impôt français. Cette position du comité
était d’autant plus justifiée que les sommes perçues par cette société étaient virées sur un
compte dans une banque suisse, dont le titulaire était le principal actionnaire de la société.
Toutefois le Conseil d’Etat ne s’est pas rangé du coté du comité consultatif. Il donna
satisfaction à l’acteur, considérant qu’il avait apporté la preuve, que la convention en question
n’avait pas eu pour unique objet de faire échapper à l’impôt français une partie des sommes
versées par les producteurs de films.
On sait, en application des dispositions de l’article L64 du LPF, qu’en présence d’une
consultation favorable du comité, la charge de la preuve se trouve renverser et qu’il appartient
dès lors au contribuable de démontrer l’absence d’abus de droit. Or, à cet égard, il nous faut
revenir sur les conclusions du commissaire du gouvernement BISSARA. Elles se révèlent
intéressantes à plusieurs titres, précisément lorsque M. BISSARA declare, «On ne saurait
exiger du contribuable la preuve contraire impossible que la convention n’a pu avoir cette
dissimulation. Sa charge se limite à établir que la convention n’a pas eu pour unique objet une
dissimulation fiscale… »
133 RICHER. D. Les droits du contribuable dans le contentieux fiscal, LGDJ, 1997, p.308. 134 CE, 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA.
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Les commentateurs ont interprété ces quelques lignes comme « une répugnance de la
part du Conseil d’Etat à nier le droit pour approuver l’impôt, même lorsque le Comité
Consultatif a donné un avis favorable à la solution d’inopposabilité »135.
Que ces commentateurs aient vu juste ou non, pour notre part, il semble que cet arrêt
témoigne de la prudence dont fait preuve le Conseil d’Etat dans la mise en œuvre de la
procédure de répression des abus de droit. Admettre trop facilement l’abus de droit compte
tenu des prérogatives qui en découlent en faveur de l’administration fiscale, risquerait
d’ouvrir une brèche considérable dans le principe de la force obligatoire des contrats,
principe exprimé par l’article 1134 du Code Civil, dans une formule empruntée à
DOMAT 136 : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites ».
Section 2. Des prérogatives aux lourdes conséquences.
Si l’administration est en principe soumise au principe général « du respect des
situations privées », ce principe s’incline toutefois en cas de simulation ou de fraude à la loi.
Aux termes de l’article L.64 du LPF « l'administration est en droit de restituer son véritable
caractère à l'opération litigieuse » (§1). Mais là ne s’arrêtent pas les prérogatives de
l’administration fiscale, puisqu’en application de l’article 1729 du CGI, elle est en droit de
prononcer une amende fiscale doublée d’un intérêt de retard (§2).
§1. La requalification de l’opération.
« L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération
litigieuse. ».
Il résulte de ces termes, et pour reprendre la formule de Maurice COZIAN, une
opération de « déqualification » suivie d’une « requalification »137.
135 Dr. Fisc.1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA. 136 TERRE. F. SIMLER. P. et LEQUETTE. Y. Droit civil ; Les obligations, 7ème éd., Précis Dalloz, 1999, n°413. 137 COZIAN.M. L’aménagement de la procédure de l’abus de droit in L’amélioration des rapports entre l’Administration fiscale et les contribuables, actes du colloque de la société française de droit fiscal, PUF, 1989, p.157
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Concrètement , cela signifie que l’administration est en droit d’écarter l’apparence
trompeuse créée par le contribuable, et d’obliger ce dernier à acquitter l’impôt sur la réalité
« mise à nue ». Par exemple, en présence d’une donation déguisée en vente, l’administration
taxera non comme une vente, mais comme une donation, ce qui implique pour le
contribuable, des droits de mutation 60% et non plus à 7%. En présence de paradis fiscaux,
les conséquences fiscales ne vont pas en s’amenuisant. L’illustration nous en est donnée avec
une affaire de type « rent a star company » , réunissant un producteur anglais, une artiste
française et une société de droit suisse. L’administration, suivie au contentieux par le Conseil
d’Etat, avait, pour ainsi dire, « rapatrié » l’intégralité des sommes versées à la société suisse
pour les imposer au nom de l’artiste française138.
Mais le prix à payer en cas de mensonge juridique ou de but exclusivement fiscal ne
s’arrête pas là ; il convient d’y ajouter une amende fiscale.
§2. Le prononcé de l’amende fiscale139.
L’amende fiscale140 (instituée par l’article 1729 du CGI) pouvant être prononcée par
l’administration en cas d’abus de droit se révèle particulièrement sévère, non seulement par
son taux qui est l’un des plus élevé à ce jour ( initialement égale à 200% du supplément
d’impôt, elle a vu son taux réduit à 80% avec la loi AICARDI du 8 juillet 1987141). mais
surtout par son caractère automatique et solidaire142 (non seulement elle s’applique à tout
redressement opéré sur le fondement d’un abus de droit, mais surtout, elle est la charge de
toute les parties à l’acte ou à la convention143).
138 CE 19 janvier 1983, req. 33 831, RJF, 1983, n°432, p. 190 ; Dr.Fisc. 1983, n°31, comm. 1621, concl. SCHRICKE. « …l’administration a estimé que ce contrat avait pour objet et pour effet de dissimuler une partie des cachets versés par un producteur de spectacle anglais pour des représentations données par Mme X en Grande Bretagne et d’éluder ainsi une partie de l’imposition due à raison de ces revenus ; qu’elle a par application de l’article 1649 quinquiès B du CGI …réintégré la totalité de la rémunération versée par le producteur anglais dans le revenu imposable de Mme X … » 139 RACINE. P.F. Les pénalités pour l’abus de droit, in Optimisation fiscale et abus de droit, ouvrage collectif, préface N. CHAHID-NOURAÏ et O.FOUQUET, Litec, 1990. 140 Art.1729 du CGI : «… le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l’intérêt de retard visé à l’article 1727 et d’une majoration…de 80% s’il s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses ou d’abus de droit au sens de l’article L64 du Livre des procédures fiscales. ». 141 COZIAN.M. L’aménagement de la procédure de l’abus de droit in L’amélioration des rapports entre l’Administration fiscale et les contribuables, actes du colloque de la société française de droit fiscal, PUF, 1989, p.157. 142 Idem. 143 Cf. CE, 9 novembre 1990, req 35.185, Sté Gauthier, RJF, janvier 1991, n°83, p.54.
41
De plus, à cette amende fiscale, il convient d’ajouter un intérêt de retard de 0,75%, par
mois de retard.
Le prix à payer en cas de mensonge juridique ou de but exclusivement fiscal, est donc
extrêmement onéreux pour le contribuable. Mais, il peut s’avérer plus onéreux encore,
lorsqu’à ces sanctions fiscales s’adjoignent des sanctions pénales infligées par les juridictions
répressives sur le fondement de l’article 1741 du CGI144.
Certains acteurs, imprésarios et écrivains français en ont d’ailleurs « fait les frais ». A
ce titre, on peut citer le cas de l’écrivain , Gérard de VILLIERS, qui avait constitué au
Lichtenstein « une anstalt ». Aux termes du contrat passé, « l'anstalt » s'engageait à
promouvoir l'écrivain en tant qu'auteur et à lui fournir des conseils et des idées littéraires. En
contrepartie, elle percevait 75% des droits d'auteurs sur une série d'ouvrages.
L'Administration , se fondant sur l’abus de droit, avait estimé que ce contrat avait en réalité
pour objet de permettre à l’intéressé de transférer à l'étranger une part importante de ses
recettes et faire ainsi échapper à l’impôt sur le revenu en France 75% de ses droits d’auteurs.
Mais, si par un arrêt du Conseil d’Etat, en date du 6 mai 1985145, cet écrivain s’est vu
confirmé son redressement sur le fondement de l’abus de droit, parallèlement, il fit également
l’objet de poursuites pénales146.
De même, dans une affaire similaire, l’imprésario d’une chanteuse bien connue qui
avait constitué une société de services en Suisse fit l’objet, indépendamment d’un
redressement sur le plan fiscal sur le fondement de l’article 1649 quinquiès B du CGI147,
d’une procédure pénale pour fraude fiscale. Le juge pénal avait considéré le « montage »
144 Article 1741 du CGI : « quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au payement total ou partiel des impôts visés…, est passible indépendamment des sanctions fiscales applicables, d’une amende de 250 000 F et d’un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d’achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu’ils ont eu pour objet d’obtenir de l’Etat des remboursements injustifiés, leur auteur est passible d’une amende de 500 000 F et d’un emprisonnement de cinq ans… En cas de récidive dans le délai de cinq ans, le contribuable est puni d’une amende de 700 000 F et d’un emprisonnement de dix ans. » 145 CE 6 mai 1985, req. 35572, RJF, 1985, n°1096, p.567 ; Dr. Fisc. 1986, n°11, comm.528. Le Conseil d’Etat s’il a retenu l’abus de droit, il a également jugé que l’administration « était fondée à appliquer aux droits correspondants à la réintégration dans les recettes imposables du requérant de la partie des droits d’auteur versés aux « anstalten » la majoration de 100% prévue par l’article 1729 du code en cas de manœuvres frauduleuses ». 146 Cass.Crim. 22 juin 1981, req. 80 92512. 147 CE 22 décembre1982, req. 22846, RJF 1983, n°278,p.130.
42
juridique en question « artificiellement axé et développé pour des motivations…de fraude
fiscale »148.
Si de telles prérogatives sont reconnues à l’administration fiscale, il n’en demeure
pas moins, qu’elles emportent de lourdes conséquences pour le contribuable (celui-ci peut
voir sa situation remise en cause sur le fondement d’un « excès d’habileté fiscale »). Aussi, il
apparaît primordial de donner à celui-ci les moyens de se prémunir contre un tel risque. Le
législateur de 1987 en a pris conscience, en instituant certaines garanties spécifiques en faveur
du contribuable.
148 CA Paris 4 avril 1979, confirmé par un arrêt de la Cour de Cassation du 28 mai 1980, Bull.Crim, n°160, p.383. Voir : GEST. G et TIXIER. G. Droit fiscal international, 2ème éd, PUF. Coll. droit fondamental, 1990, n°475 et s.
43
Chapitre 2. Des garanties spécifiques en faveur du contribuable entourant
la procédure de répression de l'abus de droit.
Si la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit ouvre à
l’administration des possibilités tout à fait « hors norme », elle tend en contrepartie à sécuriser
le contribuable de bonne foi en lui fournissant différentes garanties. L’une d’elles, très
singulière, véritable « assurance anti-abus de droit »149 est offerte au contribuable avant le
déclenchement de la procédure, plus connue d’ailleurs sous le nom de rescrit fiscal
(section1); d’autres, moins insolites, mais certainement plus sécurisantes, se manifestent en
revanche en cours de procédure (section 2).
Section 1. L'existence d'une garantie préventive: le rescrit fiscal150
Du latin rescriptum, signifiant littéralement « réponse par écrit du prince », le rescrit
n’est, là encore, ni une invention des fiscalistes151 , ni une spécificité de la matière fiscale152.
Institué en droit fiscal par la loi du 8 juillet 1987153, dite loi AICARDI et codifié à l’article
L.64B du Livre des Procédures Fiscales, le rescrit, se présente à première vue comme un
mécanisme particulièrement protecteur du contribuable (§1). Hélas, c’est toutefois un constat
tout autre qui nous est dévoilé par la pratique (§2).
§1. Un mécanisme protecteur du contribuable.
La procédure de rescrit est un mécanisme protecteur du contribuable. En tant qu’elle
permet au contribuable de consulter au préalable l’administration fiscale à propos d’un 149 COZIAN.M et DEBOISSY. F. Garantie et domaine de la procédure de répression de l’abus de droit, RJF, 1993, n° 2, p.99. 150 BENOIT.B. Le rescrit fiscal, R.F compt, 1989, p.39. 151 Ayant pris naissance à Rome et correspondant aussi à une tradition fort ancienne du droit canonique, le rescrit est également une institution pratiquée par certaines législations étrangères. L’Allemagne, la Suède, les Pays Bas font parti des quelques pays qui connaissent le système du rescrit, mais c’est surtout dans le modèle américain connu sous l’appellation « ruling », qu’il est possible de constater certaines analogies avec le rescrit français. Voir. DOUET. F. Contribution à l’étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, Thèse, LGDJ.1997, n°476. 152 D’autres branches du droit connaissent le rescrit, à titre d’illustration, on peut citer le rescrit boursier institué par le Règlement 90-07, relatif à la procédure de rescrit de la Commission des opérations de bourse, conférant par la même à la COB un pouvoir d’interprétation de ses propres règlements. Voir. 153 Art 18 loi, n°87-502 du 8 juillet 1987 : « la procédure définie à l’article L64 n’est pas applicable lorsqu’un contribuable préalablement à la conclusion d’un contrat ou d’une convention a consulté par écrit l’administration centrale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de cette opération et que l’administration n’a pas répondu dans un délai de six mois à compter de la demande ».
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montage qu’il entend échafauder, elle le protège contre le risque de voir ce montage
ultérieurement remis en cause sur le fondement de la théorie de l’abus de droit.
Toutefois, pour que ce mécanisme de protection joue pleinement, encore faut-il, que
certaines conditions, de fond comme de forme, soient respectées, mais surtout que
l’administration fiscale ait pris position en faveur du contribuable.
En ce qui concerne les conditions de forme, celles-ci sont de plusieurs ordres ; la nécessité
d’une consultation préalable de l’administration à la conclusion de l’acte, l’exigence d’un
écrit, celui-ci devant être signé par au moins une des partie à la convention ou par un
représentant habilité, et impérativement, adressé à l’administration centrale.
Quant aux conditions de fond, elles sont là aussi de plusieurs ordres. Tout d’abord, il faut
se situer dans le cadre de l’article L.64 du Livre des Procédures Fiscales, tel qu’on l’a défini
précédemment, portant sur les seuls impôts visés par le texte, ainsi que sur les seuls projets de
contrats et conventions, étend entendu que cette dernière exigence est interprétée de façon très
souple par le Conseil d’Etat. Ensuite, et c’est là sans doute que naîtront des controverses entre
les contribuables et l’administration154, la demande de rescrit doit comporter tous les éléments
utiles pour apprécier la portée véritable de l’opération envisagée. La doctrine administrative
interprète une telle exigence comme impliquant de la part du contribuable « un exposé clair,
complet et sincère de l’opération envisagée, la désignation exacte de toutes les parties au
projet de contrat ou de convention, la description des liens existants déjà ente ces parties,
enfin les productions d’une copie de tous les projets de documents (actes, contrats,
conventions, protocoles d’accord, statuts), utiles pour apprécier la portée véritable de
l’opération »155.
154 Il y a là une source possible de contentieux en ce sens, que l’administration, alors même qu’elle ait émis un avis favorable ou se soit abstenu d’en émettre un dans le délai de six mois, pourra éventuellement opérer un redressement sur le fondement des dispositions de l’article L64 B du Livre des Procédures Fiscales en se prévalant du caractère incomplet ou inexact de la demande de rescrit du contribuable. N. CHAHID-NOURAÏ se prononçant d’ailleurs en ce sens, lorsqu’il énonce : « Enfin et c’est là l’élément qui déclenchera sans doute le contentieux le plus important, le demandeur doit fournir à l’administration tous éléments utiles pour lui permettre de porter son appréciation », CHAHID-NOURAÏ . N. L’abus de droit et les garanties du contribuable in Optimisation fiscale et abus de droit, ouvrage collectif, préface N. CHAHID-NOURAÏ et O.FOUQUET, Litec, 1990. Voir aussi : DOUET. F. Contribution à l’étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, Thèse, LGDJ.1997, n°503. 155 Instruction du 16 décembre 1988 de la DGI et du SLF., B.O.I. 13 L-1-89, §15 et 16, Dr.Fisc. 1989, n°6, 9630.
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Lorsque ces conditions sont remplies, il incombe alors à l’administration de prendre
position.
Elle peut répondre favorablement, en ce sens qu’elle n’émet aucune objection à la
réalisation du montage tel qu’il a été envisagé par le contribuable. Dans ces circonstances et
selon une doctrine administrative bien établie, « l’administration se trouve engagée par sa
position dans les conditions prévues aux articles L.80-A et L.80-B du Livre des Procédures
Fiscales156 »157.
A l’inverse, l’administration peut répondre défavorablement, auquel cas le
contribuable, s’il conserve toute liberté pour réaliser l’opération, devra en revanche en
assumer toutes les conséquences. Autant dire, eu égard aux sanctions qu’il encourt, qu’il
s’agit d’une liberté très relative.
Enfin, la dernière hypothèse, qui doit être envisagée est celle du silence gardé par
l’administration dans un délai de six mois. Si l’administration n’a pas répondu dans un délai
de six mois, ou si elle répond, mais dans un délai supérieur à six mois, elle ne sera plus en
droit d’appliquer par la suite la théorie de l’abus de droit à l’opération qui lui a été soumise
par le contribuable.
Dans de telles conditions, la procédure de rescrit apparaît très protectrice des intérêts
du contribuable, celui-ci étant d’une certaine façon « immunisé » contre l’abus de droit en cas
de réponse favorable de l’administration et en cas de silence gardé par elle dans un délai
supérieur à six mois. En réalité, c’est une protection de portée limitée qu’apporte le rescrit et
que nous dévoile la pratique.
156 L’article L.80-A alinéa 1 dispose que « l’administration ne peut procéder à des rehaussements d’impositions, lorsqu’il est établi que le contribuable s’est fondé pour le calcul de son impôt sur une interprétation du texte légal formellement admise par l’administration. L’article L.80-B, issu de la loi du 8 juillet 1987, quant à lui a étendu l’application de la garantie instituée par le premier alinéa de l’article L.80-A aux prises de position de l’administration sur une situation de fait, et non plus aux seules interprétations en droit. A ce titre, on peut énoncer la célèbre affaire des « fonds Turbo », marquée par un avis du Conseil d’Etat, lequel à la question de savoir si « l’administration était en droit de faire usage de la procédure de répression des abus de droit à l’encontre d’un contribuable qui avait appliqué à la lettre une doctrine contenue dans une instruction » avait répondu par la négative, estimant que cette doctrine était opposable à l’administration sur le fondement de l’article L80-A du Livre des Procédures Fiscales. Cf. DEBOISSY. F. « Fonds-Turbo », abus de droit et opposabilité de la doctrine administrative, RTD com. 1998, p.969. 157 Instruction du 16 décembre 1988 de la DGI et du SLF., B.O.I. 13 L-1-89, §23, Dr.Fisc. 1989, n°6, 9630.
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§2. Une protection de portée limitée en pratique.
Si, en 1989, un auteur158 promouvait la procédure de rescrit en ces termes « le rescrit
est très certainement promis à un bel avenir et nul doute que les contribuables, spécialement
les entreprises, en feront un très large usage », c’était en vérité faire preuve d’un très grand
optimisme de sa part. Et c’était peut être faire preuve d’une plus grande clairvoyance de la
part de Frédéric DOUET, lorsque ce dernier constatait, qu’en définitive c’est « une procédure
qui suscite très peu d’intérêt de la part des contribuables ». Déjà dans les années 1990, les
chiffres pouvaient en témoigner, puisqu’au cours de l’année 1991, la Direction générale des
impôts et le service de la législation fiscale n’avaient reçu que 49 demandes de rescrit159,
chiffre qui est passé à 3 en 1992160.
De tels chiffres révèlent purement et simplement un échec du système du rescrit en
France et ce contrairement à certains droits étrangers. Pour s’en convaincre, il suffit de se
pencher sur le nombre de « rulings » non publiés aux Etats Unis, qui par exemple pour
l’année 1991 atteignait les 75000161.
Certains auteurs ont tenté d’expliquer cet échec, par exemple, Noël CHAHID-
NOURAÏ voit dans cette quasi-absence de demandes de rescrit une crainte du contribuable
d’attirer sur lui l’attention de l’administration fiscale. Maurice COZIAN se prononce
également en ce sens, considérant que « l’explication réside sans doute dans la crainte
révérencielle envers l’administration fiscale et dans le souci de ne pas attirer son attention ».
Enfin, selon Frédéric DOUET, les contribuables sont suspicieux à l’égard de l’administration
fiscale, et cette suspicion serait « probablement en grande partie à l’origine du manque de
succès de la procédure de rescrit »162.
Quoiqu’il en soit, si l’institution présente de réelles faiblesses, elle peut néanmoins se
révéler une « assurance anti-abus de droit » particulièrement précieuse pour un contribuable
158 BENOIT.B. Le rescrit fiscal, R.F compt, 1989, p.39. 159 Source : Conseil des impôts, Fiscalité et vie des entreprises, Tome 1, treizième rapport au président de la République, direction des journaux officiels, 1994, tome 1, p.374. 160 Source : Idem. 161 Source : Idem. 162 DOUET. F. Contribution à l’étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, Thèse, LGDJ.1997, n° 506.
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moins suspicieux que les autres, et spécialement en présence de montages complexes revêtant
un caractère international163.
Section 2. L'existence de garanties en cours de procédure: " l'abus de droit, une arme
contentieuse entre les mains du contribuable".
Les garanties offertes au contribuable en cours de procédure et qu’il nous convient à
présent d’étudier sont selon le cas d’origine légale (§1), ou d’origine jurisprudentielle (§2).
§ 1. Des garanties d’origine légale.
Ces garanties d’origine légale sont de divers ordres, du visa de l’inspecteur principal, à
l’intervention du Comité consultatif des abus de droit, en passant par l’obligation de motiver
la notification du redressement. Pour la plupart, elles trouvent leurs origines dans la loi
AICARDI du 8 juillet 1987 et son décret d’application du 17 juillet 1987, ceux-ci tendant à
améliorer les rapports entre l’administration fiscale et les contribuables164.
La première de ces garanties, instituée par l’article 2 du décret du 17 juillet 1987, et
codifiée à l’article R.64-1 du L.P.F.165, aux termes desquels la procédure de répression des
abus de droit ne peut être mise en œuvre que sur décision d’un agent ayant au moins le grade
d’inspecteur principal. L’intervention de ce dernier se matérialise alors par l’apposition d’un
visa sur la notification de redressement. Cette garantie pourvoit la mise en œuvre de la
procédure de répression des abus de droit d’une certaine « solennité »166, celle-ci étant au
surplus accentuée par la gravité de la sanction du défaut de visa, à savoir la nullité de la
notification du redressement167.
163 En ce sens : GROSCLAUDE.J., MARCHESSOU.P. droit fiscal général, 2ème éd, Dalloz, 1999. 164 COZIAN. M. L’aménagement de la procédure de l’abus de droit in L’amélioration des rapports entre l’Administration fiscale et les contribuables, actes du colloque de la société française de droit fiscal, PUF, 1989, p.157. 165 Art. R 64-1 du LPF : « la décision de mette en œuvre les dispositions prévues à l’article L.64 est prise par un agent ayant au moins le grade d’inspecteur principale et qui vise à cet effet la notification de la proposition de redressement » 166 COZIAN.M et DEBOISSY. F. Garantie et domaine de la procédure de répression de l’abus de droit, RJF, 1993, n° 2, p.99 ; CHAHID-NOURAÏ . N. L’abus de droit et les garanties du contribuable in Optimisation fiscale et abus de droit, ouvrage collectif, préface N. CHAHID-NOURAÏ et O.FOUQUET, Litec, 1990. 167 CE 24 juillet 1987, req. 48669, Dr.Fisc. 1988, n° 8, comm.406 ; RJF octobre 1989, n°715.
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La seconde consiste en une obligation de motiver la notification du redressement. Si la
procédure de répression des abus de droit, comme le souligne Florence DEBOISSY, « accuse
une singularité certaine »168, elle n’en demeure par moins « une procédure de redressement
contradictoire » soumise au droit commun169. Aussi, en application des dispositions de
l’article L.57 et R-57 du LPF170, la notification de redressement doit être motivée de manière
à permettre au contribuable de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation
dans un délai de trente jours171.
Enfin, pour terminer, c’est une garantie qui réside dans l’intervention du comité
consultatif des abus de droit, qui, à l’instar de la commission départementale des impôts en
matière d’acte anormal de gestion, est offerte au contribuable poursuivi pour abus de droit.
Depuis, la loi AICARDI, ce comité peut être saisi pour avis tant par le contribuable que par
l’administration 172, avec les conséquences que cette saisine emporte sur le régime de la
preuve de l’abus de droit, et que l’on a du reste précédemment exposé.
Cette dernière garantie est loin d’être négligeable, d’une part, au lieu de n’être qu’un,
ils sont deux « sages » 173 (en premier lieu le comité, puis en second lieu le juge) à étudier
l’affaire et rendre un avis. D’autre part, si l’avis du comité ne lie aucunement ni le juge, ni
l’administration, l’expérience démontre que cette dernière s’inclinera néanmoins devant un
avis défavorable du comité. Or chaque année des avis en défaveur à l’abus de droit sont
rendus par celui-ci. La preuve en est que sur l’ensemble des avis rendus par le comité en
1999, quatre ont été défavorables à l’administration, en 1998, trois, et en 1997 cinq 174.
168 DEBOISSY. F. La simulation en droit fiscal, Thèse, préface de M.COZIAN, LGDJ, 1997,n° 752. 169 En ce sens : DIBOUT. P. La procédure de répression des abus de droit. Pratique et critique. Dr. Fisc.1992, n° 45, p.1734 : « Le caractère contradictoire de la procédure de redressement est directement impliqué par la rédaction de l’article L.64 du LPF, en ce qu’elle prévoit en cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement de cet article, le litige peut être soumis à l’avis du comité consultatif …Bien que ni l’article L.64 ni l’article L.55 du LPF ne le prévoient expressément, il faut donc considérer que l’administration doit suivre les règles applicables à la procédure de redressement contradictoire. » 170 Art. L57 du CGI : « l’administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. ». 171 COZIAN.M et DEBOISSY. F. Garantie et domaine de la procédure de répression de l’abus de droit, RJF, 1993, n° 2, p.99. 172 La notification du redressement doit à peine de nullité de la procédure mentionner que le contribuable a la possibilité de saisir le Comité consultatif des abus de droit ( art. R.64 –1 du LPF), le contribuable dispose d’un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l’administration à ses observations pour demander que le litige soit soumis à l’avis du comité consultatif (art. R. 64-2 du LPF). 173 HUBLOT. G. Abus de droit, les grandes tendances de l’année 1999, Les nouvelles fiscales, 15 mai 2000, n° 826. 174 HUBLOT. G. Abus de droit, les grandes tendances de l’année 1999, Les nouvelles fiscales, 15 mai 2000, n° 826 ; Rapport 1997 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1998, n°14, p. 462, Rapport 1998 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1999, n°12, p. 498, Rapport
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Cela étant, tous ne partagent pas cet avis et plus d’un se considère trompé par le
législateur, notamment Jérôme TUROT lorsqu’il soutient que « le Comité consultatif pour la
répression des abus de droit n’est qu’une caricature de protection des droits du contribuable.
Ce comité ne comporte de garantie que pour l’administration de ne pas être contredite ». Et
pour conforter ces dires, il relève qu entre 1993 et 1995, en matière d’IS, le comité a rendu
100% d’avis favorables à l’administration175. Patrick DIBOUT, se veut, quant à lui, plus
nuancé dans sa critique, car s’il dénonce un déséquilibre dans la composition du comité176 et
un manque d’indépendance et de transparence dans son fonctionnement, il conclut en ces
termes : «l’utilité du comité paraît difficilement contestable dans le principe ».
§2. Des garanties d’origine jurisprudentielle.
Si pour Mme Liébert-Champagne, le législateur, en donnant un fondement législatif à
l’abus de droit a conféré à l’administration le pouvoir de « piéger » le contribuable177, pour
notre part, en revanche, il semble que le Conseil d’Etat, par l’intermédiaire de sa
jurisprudence, a doté le contribuable de moyens lui permettant de « piéger » cette dernière.
Entre les mains du contribuable, l’abus de droit peut en certaines circonstances se révéler une
« arme contentieuse » particulièrement efficace.
Cette affirmation découle des arrêts Bendjador et Lalande178, rendus en assemblée
plénière le 21 juillet 1989. Ils ont donné l’occasion au Conseil d’Etat d’entériner certaines
solutions jurisprudentielles déjà bien affirmées, en répondant à la question de savoir, si
« premièrement, l’administration peut écarter un acte juridique invoqué par le contribuable
sans se placer sur le terrain de l’abus de droit …et secondairement quelle conséquence le juge
doit-il tirer du fait que l’administration, précisément n’invoque pas l’abus de droit »179.
1999 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 2000, n°14, p. 585 ; FAUCHER. D. Les affaires d’abus de droit fiscal en 1997, droit et patrimoine 1998, n°60, p.34. 175 TUROT. J. L’abus d’abus de droit est-il un vice ? RJF. Juillet 1996, p. 486. 176 Si l’administration fiscale est représentée dans le comité par la présence du directeur général des impôts, en revanche les contribuables ne sont pas représentés, et c’est en ce sens que Patrick DIBOUT évoque un déséquilibre au sein du comité. DIBOUT.P. La procédure de répression des abus de droit. Pratique et critique. Dr. Fisc.1992, n° 45, p.1734. 177 Optimisation fiscale et abus de droit, ouvrage collectif, préface N. CHAHID-NOURAÏ et O.FOUQUET, Litec, 1990. 178 CE 21 juillet 1989, req. 59 970, Bendjador et CE 21 juillet 1989, req. 58871, Lalande, Dr. Fisc. janvier 1990, comm.28, concl Mme Liébert-Champagne; RJF août/septembre 1989, n° 998 et 999, chronique J.Turot p. 458. 179 Concl. Mme Liébert-Champagne, Dr.Fisc. janvier 1990, comm.28.
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Autrement dit, et pour reprendre la formule de Jérôme TUROT, « l’administration peut-elle
faire de l’abus de droit rampant » ? 180 .
La réponse doit être recherché dans l’arrêt Bendjador. En l’espèce l’administration
soutenait que des contrats de vente d’herbe dissimulaient en réalité des baux à ferme et que le
contribuable avait ainsi déguisé des revenus fonciers en bénéfices agricoles. Le Conseil
d’Etat, de son côté, replaçait le débat sur le terrain de l’abus de droit, estimant que,
« l’administration invoquait nécessairement mais implicitement les dispositions de l’article
1649 quinquiès B relatives à l’abus de droit ». Les conséquences n’en étaient pas des
moindres, puisqu’il en résultait pour l’administration fiscale n’ayant pas saisi le comité
consultatif, la charge de la preuve de l’abus de droit.181
Cet arrêt sanctionne pour ainsi dire, et selon les termes de N. CHAHID-NOURAÏ, « la
répression masquée de l’abus de droit »182, car en en se plaçant implicitement sur le terrain de
l’abus de droit, l’administration prive le contribuable des garanties, auxquelles il a droit.
Pour engager une procédure de répression des abus de droit, il faut que les choses
soient claires et dès le départ, l’administration doit préciser qu’elle se place dans le champ de
l’article L.64 du LPF. Dans le cas contraire, et si le juge estime que l’administration s’est
placée « implicitement mais nécessairement sur le terrain de l’abus de droit », non seulement,
il incombe à l’administration d’apporter la preuve de l’existence de l’abus de droit, puisque
n’ayant pas saisi le comité consultatif, mais surtout, il s’en suit le risque de voir l’ensemble
de la procédure annulée, dès lors que le contribuable invoque le vice de procédure183. La
sanction est donc radicale. Dans ces conditions, il nous semble que les auteurs184 ont eu raison
180 TUROT.J. Réalisme fiscal, abus de droit et opposabilité à l'administration des actes juridiques ou l'abus de droit rampant, RJF. août/septembre 1989, p.458. 181 « l’administration supporte la charge de la preuve du caractère réel des contrats litigieux lorsqu’elle n’a pas saisi le comité consultatif prévu par l’article. 1649 quinquiès B » ; CE Plén, 21 juillet 1989, req. 59970, Dr. Fisc 1990, comm. 28, concl. Mme Liébert-Champagne. 182 CHAHID-NOURAÏ . N. L’abus de droit et les garanties du contribuable in Optimisation fiscale et abus de droit, ouvrage collectif, préface N. CHAHID-NOURAÏ et O.FOUQUET, Litec, 1990. 183 Le juge administratif ne peut soulever d ‘office le vice de procédure, que constitue le fait que le contribuable n’ait pas été informé par l’administration de la possibilité de demander la saisine du Comité. Voir : concl. Mme Liébert-Champagne, sur CE Plén, 21 juillet 1989, req. 59970, Dr. Fisc 1990, comm. 28. 184 TUROT.J. Réalisme fiscal, abus de droit et opposabilité à l'administration des actes juridiques ou l'abus de droit rampant, RJF. août/septembre 1989, p.458, « La théorie de l’abus de droit apparaît ici non plus comme une arme redoutable aux mains de l’administration fiscale…Et comme une arme contentieuse, dont le contribuable peut, en cas d’abus de droit « rampant » se saisir pour faire tomber les redressements, soit en reportant la charge de la preuve sur le service, soit ce qui est beaucoup plus efficace, en invoquant le vice de
51
d’y voir une « arme contentieuse » particulièrement efficace entre les mains du contribuable.
La preuve en est que le nombre de décisions censurant l’abus de droit « rampant » ne cesse de
se multiplier185.
Qui plus est, l’abus de droit pourrait devenir une « arme contentieuse » entre les mains
d’un contribuable, sur le fondement des dispositions de la Convention européenne des droits
de l’homme. Celles-ci pourraient en effet être d’un recours intéressant pour qui veut contester
les pénalités fiscales prononcées contre lui et ce, depuis l’affaire Bendenoun contre France186,
(qui a donné l’occasion à la Cour de se prononcer en faveur de l’applicabilité de l’article 6-1
de la Convention européenne des droits de l’homme187 à la majoration pour absence de bonne
foi prévue par l’article 1729-1 du CGI.) ou encore, pour qui veut critiquer la présence de
l’administration fiscale lors des délibérations188.
procédure commis par l’administration qui n’a pas respecté la procédure particulière de répression de l’abus de droit » . 185 CE 8 janvier 1997, req. 128 595, RJF mars 1997, n°243, Dr.Fisc 1997, comm.280, concl. GOULARD ; CAA Nancy, 17 décembre 1998, req. 95259, option finance 02 novembre 1999, n°569, p.26, note COLONNA D’ISTRIA. A. Dans cette affaire récemment jugée par la Cour administrative d’appel de Nancy, l’administration soutenait qu’une convention créant une société en participation entre une société et sa filiale ne lui était pas opposable en raison de son but exclusivement fiscal. Selon le Cour administrative d’appel, elle se plaçait implicitement mais nécessairement sur le terrain de l’abus de droit, or n’ayant pas offert au contribuable la possibilité de saisir le comité consultatif pour la répression des abus de droit, le Cour a conclu à la décharge des redressements, sans avoir même examiné le bien-fondé de la position de l’administration fiscale. 186 Cour E.D.H. 24 février 1994, Bendenoun, série A n°284, RJF avril 1994, n°503. 187 Art. 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des constatations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. ». 188 En ce sens : Quand le Fisc vous contrôle ! ouvrage collectif, Les Editions d’organisation, TRANTHIET. J.P, GUENOT. J, MORIN. P, CELIMENE .G, LEVET.S., OUAKSEL. J.P, 1995, p. 241.
53
La théorie de l'abus de droit, un instrument désuet dans la lutte
contre les paradis fiscaux.
A ce stade de l’étude, l’on peut, sans contestes, affirmer qu’avec la théorie de l’abus
de droit, l’administration a à sa disposition un instrument de lutte contre les paradis fiscaux,
celui-ci étant sous certaines conditions d’un recours intéressant. Mais, l’on peut s’attendre à
ce que dans la pratique, les choses soient quelque peu différentes. Certes, la théorie de l’abus
de droit reste un instrument à disposition de l’administration fiscale, mais c’est là son unique
intérêt en présence de paradis fiscaux. En vérité, c’est un instrument en rupture avec sa
fonction de lutte contre les paradis fiscaux qui nous est dénoncé par la pratique (Titre.1).
Mais qui dit rupture dit toutefois réconciliation, ou du moins tentative de réconciliation, c’est
ce à quoi nous nous risquerons après avoir exposé les circonstances entourant la rupture
(Titre.2).
Titre 1. l'abus de droit, un instrument en rupture avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux. Chapitre 1. Un instrument limité à la matière interne: un constat bien réel.
La théorie de l’abus de droit demeure un instrument limité à la matière interne, tel est
le constat auquel nous parvenons après examen des avis du Comité consultatif des abus de
droit (Section.1) et des arrêts du juge de l’impôt (Section.2).
Section 1. Un constat résultant des avis du comité consultatif des abus de droit.
Nous savons, que le désaccord sur les redressements notifiés ouvre tant à
l’administration fiscale qu’au contribuable la faculté de saisir pour avis le comité consultatif
pour la répression des abus de droit. Soit dit en passant, celui-ci est tenu de mentionner ses
54
avis dans un rapport annuel189. En outre, nous savons que dans l’esprit du législateur de 1987,
cette intervention du comité était destinée à exercer un « filtre » et limiter l’application de la
procédure de répression des abus de droit et les pénalités qui en résultent aux affaires les plus
caractéristiques190. Il nous paraît, de ce fait, intéressant et instructif d’analyser les avis émis
par le comité, en ce qu’ils nous éclairent sur les cas d’abus de droit les plus significatifs et les
plus usités qu’a eu à connaître l’administration fiscale.
Dans leur ensemble, les avis du Comité consultatif font la part belle aux donations
déguisées, et crédits d’impôts fictifs qui tour à tour se disputent le haut du podium. A titre
d’illustration, le dernier rapport en date nous révèle que sur la totalité des dossiers examinés
par le Comité, 38% concernaient des ventes d’immeubles dissimulant des donations191. Pour
le reste, ce sont des affaires plus exceptionnelles qui sont soumises pour avis au comité
consultatif. On peut entre autres citer le cas de plusieurs marchands de biens qui avaient cédé,
dans la limite du délai de cinq ans, des immeubles à des structures sociales « qui ne
correspondaient pas à un réel changement de propriétaire »192, ou encore le cas d’un
démembrement du droit de propriété d’un bien immobilier par son propriétaire, dans le seul
but de contourner la règle d’imputation des déficits fonciers sur les seuls revenus locatifs193.
Aux termes de ces observations, on peut dresser un premier constat : dans leur
majorité, les affaires soumises au comité concernent la matière interne et rares sont celles qui
s’étendent à la matière internationale. Toutefois, aussi rares soient elles, certaines gagnent
néanmoins à être évoquées. Ainsi dans le rapport de 1995, le comité consultatif a rendu un
avis favorable à l’administration au sujet d’un contrat de licence de savoir-faire. Celui-ci était
purement fictif, et destiné en vérité à transférer des capitaux sous la forme de redevances à
une société américaine, laquelle intervenait comme une société-écran194. En revanche, c’est
189 Art. 14 de la loi n. 87-502 du 8 juillet 1987. 190 Rapport 1990 du Comité Consultatif pour la répression des abus de droit, Dr. Fisc. 1991, n° 23-24, p.918. 191 Rapport 1999 du Comité Consultatif pour la répression des abus de droit, Dr. Fisc. 2000, n° 14, p.585 . 192 Rapport 1991 du Comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1992, n° 26, p.1061, dossier n° 90-22 et 90-24 ; Rapport 1994 du Comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr. Fisc. 1995, n° 15, p.677, dossier n° 94-4. 193 Rapport 1995 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1996, n° 113, p.441, dossier n° 95-17, ERRARD. J.D. Les affaires d’abus de droit fiscal en 1995. Droit et patrimoine, juillet et août 1996, p.26. 194 Rapport 1995 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1996, n° 113, p.441, dossier n° 95-7, « au vu des éléments fournis…le paiement des redevances à la société G…L…s’inscrit dans un montage destiné à la fois à diminuer la base imposable de M…P…et à permettre une évasion de capitaux grâce à une société écran ». ERRARD. J.D. Les affaires d’abus de droit fiscal en 1995. Droit et patrimoine, juillet et août, p.26.
55
un avis défavorable qu’a émis le comité consultatif, dans une affaire relative à la création
d’une E.U.R.L aux fins de bénéficier de la déduction fiscale pour investissement Outre-
mer195.
Au regard de ces quelques illustrations, le constat s’impose de lui même. Les affaires
intéressant la matière internationale et soumises au Comité consultatif pour la répression des
abus de droit sont quasi-absentes, quant à celles qui dénoncent des montages impliquant des
paradis fiscaux, elles sont inexistantes. Reste à savoir si l’examen de la jurisprudence vient
confirmer ce constat.
Section 2. Un constat résultant de la jurisprudence.
En matière internationale, précisément en présence de paradis fiscaux, l’abus de droit a
été rarement invoqué196. Certes, on le retrouve à propos de montages impliquant « des
sociétés d’artistes » 197. Mais là s’arrête pour l’essentiel les applications de la théorie de l’abus
de droit en présence de paradis fiscaux. Et quand bien même, l’administration fiscale
brandirait l’abus de droit, celui-ci ne serait pas nécessairement retenu par le Conseil d’Etat.
Certains arrêts illustrent particulièrement cette situation et méritent d’être évoqués198.
Il s’agit spécialement de l’affaire Cinécustodia, qui n’était autre que le nom donné à une
société anonyme de droit suisse dont l’objet était d’offrir à des acteurs de cinéma de
renommée internationale, tel Lili Palmer, Curd Jurgens, Peter Van Eyck,…Romy Schneider
des contrats dits de « sécurité ». Romy Schneider, pour sa part, avait conclu avec la société
Cinecustodia un contrat. La société se chargeait de percevoir directement les cachets de
l'actrice pendant une période de 5 ans, en contrepartie, elle s'engageait à lui verser une
rémunération annuelle, à prendre en charge tous ses frais engagés dans l'exercice de sa
195 Rapport 1996 du comité consultatif pour la répression des abus de droit, Dr.fisc. 1997, n°10, p. 364 ; F.D. Les affaires d’abus de droit fiscal en 1996, droit et patrimoine avril 1997, p.24. 196 En ce sens : GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n°2505 197 Par exemple : CE 19 janvier 1983, req. 33 831, RJF, 1983, n°432, p. 190 ; Dr.Fisc. 1983, n°31, comm. 1621, concl. SCHRICKE; constitue un abus de droit, le contrat passé entre un comédien et une société suisse de façade qui s’engage à lui verser une rémunération fixe,; caractérise un abus de droit le transfert de droits d’auteur à l’étranger sous le couvert de conseils et d’idées littéraires qu’une agence installée au Lichtenstein s’engage à fournir à l’auteur. 198 CE 21 avril 1989, req. 88 983, Cinécustodia, RJF,1989, n° 724, p.369 ; Dr.Fisc. 1989, n°40, p. 1772, note TIXIER ; CE 4 décembre 1981 et 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA.
56
profession et enfin à lui verser une pension retraite. Ce contrat fut toutefois regardé d’un
mauvais œil par l’administration fiscale, celle-ci considérant qu’il avait en réalité pour objet
de permettre à l'actrice de transférer à l'étranger une part importante de ses revenus. Aussi, sur
le fondement de l'article 1649 quinquies B du CGI, d’importants rappels d’impôts sur le
revenu furent infligés à l’actrice, lesquels furent mis en recouvrement peu de temps avant son
décès. Ces impositions étaient par ailleurs assorties de l’amende de 200%199 prévue à l’article
1732 du CGI en cas d’abus de droit. L'administration, se fondant sur les dispositions de
l’article 1732 al. 2 du CGI qui fondent le caractère solidaire de l’amende, avait poursuivi la
société Cinécustodia en paiement de cette somme. Mais le Conseil d’Etat, suivant les
conclusions du commissaire du Gouvernement Martin LAPRADE et considérant la preuve de
l’existence de l’abus de droit comme n’ayant pas été apportée, décida de rejeter la demande
de pénalité de 200% infligée par l’administration à la société Cinécustodia .
L’intérêt de l’arrêt réside non dans les faits, mais dans la solution du cas d’espèce, qui
nous en est donnée par le conseil d’Etat suivant les conclusions de son commissaire du
gouvernement.
Celles-ci sont intéressantes en ce qu’elles éclairent sur le rôle joué par la société
Cinécustodia et son caractère singulièrement ambigu. Cette société ne remplissait aucune
fonction d’imprésario, (puisqu’elles étaient dévolues à une autre société), et contribuait encore
moins à la renommée de l’actrice, (puisque celle-ci était déjà très largement assurée). Mais
ayant conclu une convention de gestion financière et une convention de garantie financière
avec l’actrice, cette société exerçait une réelle activité principalement de soutien moral et
matériel apporté à l’actrice. De ce fait et suivant les conclusions de Martin LAPRADE, elle ne
pouvait pas non plus être assimilée à une société écran à l’encontre de laquelle pouvait être
invoqué l’abus de droit.
En ce qui concerne la solution retenue, en l’espèce, par le Conseil d’Etat, son caractère
paradoxal nous déconcerte quelque peu. Si selon Gilbert TIXIER c’est une « voie
médiane » 200 qu’adopta le Conseil d’Etat, il nous semble que c’est avant tout une voie très
largement contradictoire, à laquelle il souscrivit et qu’il formula d’ailleurs en ces termes : « si
199 Le taux de 200% a été ramené à 80% par la loi du 8 juillet 1987. Voir. COZIAN.M. L’aménagement de la procédure de l’abus de droit in L’amélioration des rapports entre l’Administration fiscale et les contribuables, actes du colloque de la société française de droit fiscal, PUF, 1989, p.157. 200 CE 21 avril 1989, req. 88 983, Cinécustodia, Dr.Fisc. 1989, n°40, p. 1772, note TIXIER. G.
57
ce contrat ne pouvait être opposé à l’administration pour la détermination de l’assiette de
l’impôt sur le revenu, il n’avait toutefois pas pour seul objet…de dissimuler en vue d’éluder
l’impôt une partie des revenus » de l’actrice. La société Cinécustodia avait certainement eu
pour finalité de faire échapper des sommes importantes à l’impôt sur le revenu. Or tout en
l’admettant, le Conseil d’Etat se refuse à y voir un abus de droit. Ce refus traduit
probablement une volonté du Conseil d’Etat de se montrer prudent dans l’application de la
théorie de l’abus de droit, eu égard notamment aux conséquences fiscales qu’elle emporte201,
il accuse une réticence de celui-ci à recourir à l’abus de droit pour lutter contre des montages
impliquant des paradis fiscaux.
Deux arrêts du Conseil d’Etat202, l’un avant dire droit et l’autre définitif, rendus à
propos d’une affaire similaire, et que nous avons d’ailleurs précédemment exposé, méritent
également d’être rappelés, dans la mesure où ils permettent de nous conforter dans cette
interprétation. Dans cette espèce, le Conseil d’Etat a rendu une décision en faveur de l’artiste,
et ce en dépit des circonstances (l’importance des sommes soustraites à l’impôt français, un
avis favorable du Comité consultatif des abus de droit, le caractère particulièrement suspect
de la convention aux termes de laquelle l’artiste renonçait à 2/3 de ses cachets au profit d’une
société située au Liechtenstein…). Il nous semble, là encore, que la convention avait pour
objet de faire échapper des sommes à l’impôt français. Toutefois, le Conseil d’Etat ne
l’entendit pas de cette oreille, considérant que l’artiste avait démontré que la convention
n’avait pas eu que cet objectif de « soustraction » fiscale, il décida que l’administration n’était
pas fondée à appliquer la théorie de l’abus de droit.
S’il résulte de cette jurisprudence une très nette réticence de la part du Conseil d’Etat
à appliquer la théorie de l’abus de droit en présence de « montages » impliquant des pays à
basse pression fiscale, c’est surtout un instrument de lutte contre les paradis fiscaux qui est
très sérieusement remis en cause. Car, dans un tel contexte jurisprudentiel, il y a fort à penser
que pour lutter contre une évasion fiscale internationale, alors même manifestement abusive,
l’administration fiscale réfléchira à deux fois avant de recourir à la théorie de l’abus de droit.
201 Comme le souligne Gilbert TIXIER, la pénalité de 200% était très lourde en l’espèce, puisqu’on aboutissait à un montant de 4 828 436 francs. Cf. Dr.Fisc. 1989, n°40, p. 1772, note TIXIER. G. 202 CE 4 décembre 1981 et 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA.
58
Chapitre 2. A la recherche d’une justification…
La théorie de l’abus de droit reste un instrument limité à la matière interne, tel est le
constat bien réel, auquel nous parvenons à l’examen des avis du comité consultatif et de
certaines décisions jurisprudentielles. Dans la perspective de remédier à cette situation, il
apparaît essentiel d’identifier les causes qui mènent à un tel constat. Celles-ci doivent être
recherchées, là encore, dans certaines décisions rendues par le juge de l’impôt. A l’examen de
celles-ci, nous pouvons envisager deux explications. La théorie de l’abus de droit serait
cantonnée à la matière interne, du fait de difficultés inhérentes à la preuve de l’abus de droit
en présence de paradis fiscaux (Section.1), mais qui plus est, en raison de l’existence d’armes
nettement plus appropriées venant concurrencer la théorie de l’abus de droit dans la lutte
contre les paradis fiscaux (Section.2).
Section 1. Les difficultés inhérentes à la preuve de l'abus de droit en présence de paradis
fiscaux.
Nous savons que la procédure de répression des abus de droit obéit à un régime
spécifique, quant à la preuve de l’abus de droit, et nous savons aussi que l’administration
fiscale n’aspirant pas à saisir régulièrement le comité consultatif, en supporte très souvent la
charge. Or, s’agissant de démontrer le caractère fictif d’un acte ou, à défaut, d’établir que
l’acte n’a pu être inspiré par aucun autre « motif que celui d’éluder ou d’atténuer la charge
fiscale »203, il semble, à l’évidence, que la tâche incombant à l’administration fiscale n’est pas
des plus aisées. Celle-ci devrait l’être encore moins en présence de paradis fiscaux. Certes, le
régime de la preuve de l’abus de droit est identique que l’on soit en présence ou non d’un
montage impliquant des paradis fiscaux. Mais dans ce dernier cas, l’administration fiscale
française se heurtera à une difficulté supplémentaire, celle d’accéder aux informations
bancaires et financières.
S’il y a « autant de définitions de paradis fiscaux qu’il existe de paradis fiscaux »204,
nous savons aussi qu’ils présentent tous des caractéristiques communes205, parmi lesquelles
203 CE, Plénière, 10 juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc 1981, com. 2187, concl Lobry; RJF 1981, n° 787. 204 LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992, p.7. 205 GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n°2403 et s.; LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992, p12 et s. ; RASSAT.P. Le paradis fiscal
59
figure en premier rang l’absence ou le faible niveau d’imposition. Mais ensuite, la stabilité
politique, la détention de moyens de communication modernes, la grande confidentialité des
informations financières et commerciales sont autant de facteurs qui fondent l’attrait d’un
paradis fiscal.
Cette dernière caractéristique, qu’est la confidentialité des informations financières et
commerciales, désigne en vérité et sous une expression plus usitée, le « secret bancaire ».
Celui-ci peut être défini comme « le droit et/ou l’obligation pour le banquier de garder
secrètes les informations qu’il a obtenues dans le cadre de ses activités »206. Détenteur de
renseignements très détaillés et confidentiels sur ses clients, leurs fortunes, leurs activités
professionnelles et leurs vies privées, il est aisé de comprendre qu’un « devoir de se taire
général et strict » pèse sur le banquier207, au même titre qu’il pèse sur un médecin, un
pharmacien ou un avocat. Dans ces conditions il est tout aussi aisé de comprendre que
nombreuses sont les législations qui ont mis à charge du banquier un secret professionnel. A
cet égard , la législation française ne fait pas exception, puisque la loi n° 84-46 du 24 janvier
1984, dite loi bancaire208 a consacré expressément et ce pour tous les établissements de
crédit, un secret bancaire, dont la violation est pénalement sanctionnée209.
Mais, si l’obligation au secret bancaire demeure le principe dans nombre de
législations, c’est avec toutefois d’importantes nuances, car les atténuations apportées au
secret bancaire varient considérablement d’un Etat à un autre. En France, le secret bancaire
peut être écarté au profit de certaines autorités210, parmi lesquelles figurent en outre
l’administration Fiscale. Mais si en France, il peut être levé sans grande difficulté, la règle ne
vaut pas pour toutes les législations. Cette affirmation trouve confirmation dans un rapport sur
d’antan détrôné par l’Etat à fiscalité privilégiée in les paradis fiscaux, 46e congrès de l'Ordre, R.F, compt, janvier 1992, n° 230, p.17. 206 LUDOVISSY.G. Etude comparative du secret bancaire au Luxembourg, à Monaco et en Suisse. Droit et patrimoine, Octobre 1999, n° 75, p.26. 207 KATZ. E. La réglementation sur le secret bancaire en droit fiscal français, Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1998, p. 35. 208 Art.57 loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 : « tout membre d’un conseil d’Administration et selon le cas d’un conseil de surveillance et toute personne qui, a un titre quelconque, participe à la direction ou à la gestion d’un établissement de crédit ou qui est employé par celui-ci est tenu au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du Code pénal …» 209 Art. 226-13 du Code pénal : « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende ». Art. 226-14 al.1 : « l’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas ou la loi impose ou autorise la révélation du secret ». 210 Art. 57 loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 : « …Outre les cas ou la loi le prévoit, le secret professionnel ne peut être opposé ni à la Commission bancaire, ni à la Banque de France, ni à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale ».
60
la « fiscalité des revenus de l’épargne », lequel nous enseigne que sur les quinze Etats de
l’Union, neuf disposent d’un secret bancaire opposable à l’administration fiscale211. Mais qui
mieux est, ce sont les faits qui viennent attester nos dires. Certaines législations, non loin de
chez nous, sont devenues par leur secret bancaire « impénétrable », singulièrement
attrayantes. Parmi les pays européens, il semblerait que la Suisse le Luxembourg et la
principauté de Monaco se disputent le haut du podium. A la question de savoir qui détient à ce
jour l’avantage, pour Guy LUDOVISSY, c’est sans conteste le Grand-Duché de Luxembourg
qui offre la garantie la plus fiable, sous réserve des infractions pénales prévues par la loi212.
Le succès du Luxembourg reposerait sur trois piliers213 : des régimes fiscaux favorables aux
établissements financiers, tels les sociétés d’assurance et les holdings, des produits financiers
hautement compétitifs et recherchés par les épargnants, mais avant tout un secret bancaire
irréprochable puisque « seul un délit fiscal grave peut donner lieu à l’entraide judiciaire et
donc à un échange d’informations sur les avoirs déposés par un non résident auprès d’une
banque de la Place »214.
Après le Luxembourg, c’est à la Suisse que revient le palmarès. Ce pays, par la
réputation de son secret bancaire irréprochable, inspiré d’ailleurs de l’adage suisse, « la vie
privée doit être murée », a attiré grand nombre d’investisseurs désireux de protéger la
confidentialité de leur fortune et leurs affaires215. Ce secret bancaire, allié à une grande
stabilité politique, à une monnaie stable et forte, à des moyens de communication
modernes…a permis aux banques suisses de conquérir le « cœur » d’un grand nombre de
personnes, hommes d’affaires et multinationales, à la recherche du paradis fiscal le plus sûr
pour y placer leurs fonds. Selon certains, c’est « un tiers de la richesse privée mondiale » qui
serait gérée par nos voisins helvétiques216.
Si le secret bancaire est au nombre des facteurs attractifs de la Suisse, pour certains
investisseurs soucieux de soustraire des sommes à l’impôt, il l’est aussi pour des organisations
criminelles désireuses de « recycler » et « blanchir » les fonds provenant de leurs activités
211 G.D. Le secret bancaire en vigueur dans neuf Etats de l’Union, La Tribune, 9 novembre 1999. 212 LUDOVISSY.G. Etude comparative du secret bancaire au Luxembourg, à Monaco et en Suisse. Droit et patrimoine, Octobre 1999, n° 75, p.26. 213 LEMAITRE.P. Le Luxembourg s'accroche à son secret bancaire, Le Monde, 23.05.2000. 214 LUDOVISSY.G. Etude comparative du secret bancaire au Luxembourg, à Monaco et en Suisse. Droit et patrimoine, Octobre 1999, n° 75, p.26. 215 LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992, p.18. 216 X. Paradis fiscaux et sanctuaires judiciaires au cœur de l’Europe, La Tribune, du 3 février 2000.
61
illicites217. Afin d’empêcher ces organisations d’utiliser les attraits de la législation suisse
pour « recycler » les produits de leur crime, le secret bancaire suisse a fait l’objet de
remaniements législatifs dont un particulièrement récent218. Il soumet les intermédiaires
financiers à un devoir de diligence, similaire à celui que connaissent les banques. Plus
précisément, c’est une obligation d’informer les autorités suisses, qui pèse désormais sur les
intermédiaires financiers suspectant une opération de blanchiment.
Cela étant, un secret bancaire parfaitement protégé a naturellement pour conséquence
de rendre extrêmement difficile l’obtention par l’administration fiscale française des
renseignements, qui lui sont nécessaires pour faire la preuve de l’abus de droit. Dans ce
contexte, il est naturel que l’administration fiscale répugne à utiliser la théorie de l’abus de
droit en présence de paradis fiscaux, et à plus forte raison, lorsqu’on examine certains arrêts
rendus par le Conseil d’Etat219 et plus récemment un arrêt rendu par la Cour administrative
d’appel de Nancy. Le risque, on le sait, c’est qu’elle soit déboutée par le juge fiscal pour n’en
avoir pas rapporté la preuve,220. Or, le juge fiscal fait preuve à son égard d’une très grande
sévérité, quant à la démonstration de l’abus de droit. Il n’hésite pas en effet à débouter cette
dernière, au motif qu’elle n’a pas rapporter la preuve de l’abus de droit, et ce, bien que le
montage en cause soit manifestement abusif. Pour certains, cette sévérité du juge fiscal est
entièrement justifiée, notamment pour Daniel RICHER, lorsqu’il écrit : « le juge se montre
sévère à l’égard de la partie négligente qui n’apporte pas des justificatifs qu’on peut
raisonnablement attendre d’elle,…Cette rigueur joue souvent à l’encontre de l’administration,
et cette situation n’est pas anormale dans la mesure ou c’est précisément l’administration qui
est souvent détentrice des preuves nécessaires à la solution du litige.»221.
217 CUTAJAR.-RIVIERE. C. La société écran, essai sur sa notion et son régime juridique, Thèse, préface de P.DIENER, LGDJ, 1998, n°116 et s, LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992, p.56. 218 C’est une loi qui est entrée en vigueur le 1er avril 1998. Voir. LUDOVISSY.G. Etude comparative du secret bancaire au Luxembourg, à Monaco et en Suisse. Dt. et Patrimoine, Octobre 1999, n° 75, p.26. 219 CE 4 décembre 1981 et 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA ; CE 21 avril 1989, req. 88 983, Cinécustodia, RJF,1989, n° 724, p.369 ; Dr.Fisc. 1989, n°40, p. 1772, note TIXIER. 220 CAA. Nancy, 14 mars 1996, SARL Inter Selection, RJF novembre 1996, n°1329. 221 RICHER. D. Les droits du contribuable dans le contentieux fiscal, LGDJ, 1997, p.291
62
Section 2. L'existence d'une panoplie d'armes permettant de traquer l'abus de droit en
présence de paradis fiscaux.
Afin de renforcer l’action de l’administration fiscale dans la lutte contre l’usage abusif
des paradis fiscaux, et combattre ainsi l’attrait que peuvent exercer les paradis fiscaux sur
certains contribuables, le législateur, s’inspirant de l’ingéniosité de certains d’entre eux, a
doté l’administration fiscale d’un véritable arsenal juridique (§1), complété par des clauses
dites « anti-abus », insérées par les Etats dans les Conventions fiscales internationales (§2).
§1. Les dispositions spécifiques du CGI. (209B, 155A, 238A, 57…)
Afin de lutter contre des risques d’évasion fiscale internationale, le législateur,
dérogeant impunément au principe de territorialité strict posé par l’article 209I du CGI222, a
inséré plusieurs dispositions dans le CGI. Précisément, celles-ci s’efforcent de sanctionner les
auteurs de pratiques abusives impliquant des paradis fiscaux, et corrélativement d’en
dissuader d’éventuels candidats. Pour atteindre cet objectif, celles-ci instaurent un système de
présomption permettant à l’administration fiscale d’imposer les sommes litigieuses, sans avoir
à démontrer autre chose, que le fait que ces dites sommes entrent bien dans le cadre de l’une
d’entre elles,
Sans prétendre être exhaustif, l’on peut néanmoins s’attacher à présenter quelques-
unes de ces armes. Au nombre de celles-ci, figure d’abord l’article 57 du CGI223, introduit
dans notre droit positif par la loi du 31 mai 1933. Celui-ci sans être une « arme anti-
groupe »224, est l’arme qui à l’instar de l’acte anormal de gestion en droit interne, permet à
l’administration fiscale de lutter efficacement contre des transferts indirects de bénéfices via
222 Art. 209-I du CGI : « Les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés…en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. » 223 Art. 57 du CGI : « Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières par voie de majoration ou de diminution de prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l’égard des entreprises qui sont sous la dépendance d’une entreprise ou d’un groupe possédant également le contrôle d’entreprises situées hors de France ». 224 LAMORLETTE.T et RASSAT.P. Stratégie fiscale internationale, Maxima, Laurent du Mesnil, 1993, p.52.
63
des paradis fiscaux225. En effet, en présence d’un pays à fiscalité normale, l’administration
fiscale ne peut effectuer un redressement sur le fondement de cet article, et réintégrer les
bénéfices indûment transférés, qu’à la condition d’établir l’existence d’un lien de dépendance
entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère. Elle en est dispensée, lorsque le transfert
s’effectue au profit d’entreprises situées dans « un Etat à fiscalité privilégiée au sens de
l’article 238A »226.
C’est ensuite, l’article 238-A du CGI227. Celui-ci issu de l’article 14 de la loi de
Finance pour 1974228 et qualifié par certains, d’arme « anti-évasion »229, autorise
l’administration fiscale à réintégrer les sommes (en particulier des intérêts, des arrérages, mais
aussi des redevances…) versées par des contribuables établis en France au profit de personnes
domiciliées ou établies hors de France et bénéficiant d’un régime fiscal privilégié, (y compris,
celles versées sur un compte tenu par un organisme financier situé dans un Etat ou territoire à
fiscalité privilégiée). Concrètement, en présence de versements effectués à destination d’un
paradis fiscal, une présomption de transfert indirect de bénéfices est posée par l’article 238-A
du CGI, emportant un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable.
Les sommes litigieuses ne seront admises en charges déductibles que si « le débiteur apporte
la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas
un caractère anormal ou exagéré». C’est en vérité une double preuve que se doit de rapporter
le contribuable, autant dire que la présomption est des plus sévères !
225 GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n°2600 et s ; Paradis fiscaux et opérations internationales, ouvrage collectif, Francis Lefebvre, 2ème éd., 1999, p 18 et s ; GROSCLAUDE.J., MARCHESSOU.P. droit fiscal général, 2ème éd, Dalloz, 1999, n°309 et s. 226 L’article 90-II de la loi de finance pour 1982 a complété l’article 57 du CGI par un second alinéa qui dispose : « La condition de dépendance ou de contrôle n’est pas exigée lorsque le transfert s’effectue avec des entreprises établies dans un Etat étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié ». 227 Art. 238-A du CGI : « Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cessions ou concessions de licences d’exploitation, de brevet d’invention, de marques de fabrique, procédé ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale qui sont domiciliés ou établis dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charge déductibles pour l’établissement de l’impôt, que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ». PLAGNET. B. Paiements à des résidents étrangers soumis à un régime fiscal privilégié, Bull. Fisc. Lefebvre, novembre 1988, p. 543. 228 Loi n°73-1150 du 27 décembre 1973, art. 14, complété par la loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981, art. 90-I. 229 LAMORLETTE.T et RASSAT.P. Stratégie fiscale internationale, Maxima, Laurent du Mesnil, 1993, p.67.
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C’est aussi, l’article 155A du CGI230 , baptisé « amendement Aznavour » et introduit
en droit français par la loi de finances pour 1973, en guise de riposte contre une forme
d’évasion fiscale internationale bien connue pour avoir été pratiquée par certaines stars du
« show business». Il permet d’imposer de plein droit l’artiste sur les sommes qui ont été
perçues directement par la société, lorsque cette dernière est soumise à un régime fiscal
privilégié au sens de l’article 238-A du CGI, niant ainsi, purement et simplement l’existence
de la personne morale interposée.
On saisit là, immédiatement, l’affirmation selon laquelle la théorie de l’abus de droit
se voit concurrencer dans la lutte contre les paradis fiscaux par des armes plus appropriées. Et
ce à plus forte raison lorsqu’on examine un arrêt du Conseil d’Etat en date du 25 janvier 1989,
concernant la célèbre artiste de variété française, Mireille Mathieu. Dans la mesure où, il est
le premier à avoir donner lieu à une application de l’article 155 A du CGI, (alors
qu’auparavant et dans des cas semblables, l’administration fiscale recourait à la théorie de
l’abus de droit), les auteurs y ont vu l’expression d’une volonté de l’administration fiscale de
donner la préférence à l’article155 A du CGI, plutôt qu’à l’article L64 du LPF, pour lutter
contre la pratique des « rent a star companies »231,. Messieurs GEST et TIXIER ont avancé
diverses raisons, pour légitimer cette préférence de l’administration fiscale : « l’article 155A a
été spécialement édicté à cette fin. Ensuite l’administration n’était pas sûre d’obtenir un avis
favorable du comité consultatif des abus de droit. Enfin, le service des impôts invoquait de
préférence, l’abus de droit pour une autre raison :lorsqu’un abus de droit était établi, une
pénalité de 200% était infligée au contribuable. A la suite du rapport Aicardi, la loi du 7 juillet
1987 a limité les pénalités à 80% du montant des droits éludés dans le cas de manœuvres
frauduleuses. Le recours a l’article L 64 du LPF présente désormais un intérêt réduit. »232.
230 Article 155A du CGI : « les sommes perçues par une société ou une autre personne morale ayant son siège hors de France, en rémunération des services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées en France sont imposables au nom de ces dernières : -soit lorsque celles-ci détiennent le contrôle direct ou indirect de ces sociétés ou personnes morales ; -soit lorsqu’elles n’établissent pas que ces sociétés ont une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services ; -soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services es domiciliée ou établie ans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238-A du CGI. ». Cf. LE GALL. J.P. Le traitement de l’interposition de personnes en fiscalité internationale : les articles 155 A et 990 D du Code général des impôt, JCP. éd. Ets, 1987, I, 14.922. 231 Cons. d’Etat 25 janvier 1989, req. 44.787, Mathieu, RJF, mars 1989, n°253, p.143. En l’espèce, aux termes d’un contrat conclu entre l’artiste résidente en France et une société suisse, cette dernière encaissait toutes les sommes correspondant aux rémunérations perçues par l’artiste au titre de ses représentations et lui rétrocédait un cachet minimum annuel. Sur le fondement de l’article 155A du CGI, l’administration fiscale avait réintégré les sommes perçues par la société dans la base d’imposition de l’artiste, afin qu’elles soient imposées à son nom. 232 GEST. G et TIXIER. G. Droit fiscal international, 2ème éd, PUF. Coll. droit fondamental, 1990, n°450.
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C’est enfin, par l’article 209B du CGI233, qui se voudrait, au dire de certains, l’arme
« absolue »234, que s’achève l’énumération de ce dispositif législatif « anti-abus ». L’article
209B du CGI tend à dissuader les entreprises françaises d’acquérir des filiales dans des
paradis fiscaux. Précisément, si une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés en
France, exploite une entreprise hors de France ou en est propriétaire directement ou
indirectement à hauteur de 10% (contre 25% avant la loi de Finances pour 1993) des parts,
actions, droits de vote, ou droits financiers, et si cette dernière est soumise à un régime fiscal
privilégié, il résulte de l’article 209B du CGI, que le résultat bénéficiaire de l’entité étrangère
est passible de l’impôt sur les sociétés en France.
Là encore, le texte pose une présomption aboutissant à renverser la charge de la
preuve au dépens de la personne morale concernée. Les opérations de la société étrangère sont
présumées n’avoir pour seul effet que de permettre la localisation des bénéfices dans un Etat à
régime fiscal privilégié. En conséquence, et pour échapper à l’imposition, la seule issue pour
l’entreprise française consiste à démontrer que les opérations de l’entité étrangère n’ont pas
pour effet de permettre la localisation de bénéfices à l’étranger.
Lorsqu’on envisage ces quelques dispositions « anti-évasion », le droit fiscal s’avère
un véritable domaine de prédilection des présomptions légales. Bien que ces dispositions
visent des schémas de « fraude et d’évasion fiscales internationales » très divers, elles
reposent sur un même mécanisme, celui-ci consistant à renverser la charge de la preuve au
détriment du contribuable. Ce dernier pourra certes apporter la preuve contraire, mais au prix
de quelles difficultés !
Si ces mesures peuvent paraître faire double emploi, entre elles, mais surtout avec la
théorie de l’abus de droit235, (l'exemple nous est donné par l’article 155A du CGI), l’on
comprendra toutefois que l’administration fiscale répugne à utiliser cette dernière pour lutter
contre les paradis fiscaux et recourt plus volontiers aux dispositions spécifiques du CGI,
celles-ci présentant incontestablement l’avantage de s’appliquer automatiquement lorsque les
233 Article 209 B du CGI : « Lorsqu’une entreprise passible de l’impôt sur les sociétés détient directement ou indirectement 25% au moins des actions ou parts d’une société établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens mentionné à l’article 238A, cette entreprise est soumise à l’impôt sur les sociétés sur les résultats bénéficiaires de la société étrangère dans la proportion des droits sociaux qu’elle y détient. » 234 LAMORLETTE.T et RASSAT.P. Stratégie fiscale internationale, Maxima, Laurent du Mesnil, 1993, p.75. 235 En ce sens : RUELLAN. A. Les ripostes de l’administration in Les paradis fiscaux, 46e congrès de l'Ordre, R.F, compt, janvier 1992, n° 230, p.24.
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conditions, qu’elles posent, sont remplies et sans que l’administration fiscale n’ait à apporter
la preuve d’un quelconque abus de droit.
Mais là ne s’arrête pas le dispositif anti-évasion. Celui-ci comporte un autre volet,
constitué cette fois par des clauses dites « anti-abus » insérées dans les conventions fiscales
internationales.
§2. Les dispositions figurant dans les conventions internationales:
Nous n’ignorons pas que la France a conclu un grand nombre de conventions fiscales
internationales236. Et nous n’ignorons pas non plus que celles-ci présentent un caractère, on ne
peut plus, ambivalent. Ayant pour objet de prévenir les risques de doubles impositions, elles
visent, en même temps, à lutter contre toutes tentatives de disparition d’imposition par le biais
des paradis fiscaux. C’est pour atteindre ce dernier objectif, que des clauses d’exclusion,
d’échange de renseignements, d’assistance au recouvrement, et enfin des clauses dite « anti-
abus » ont été insérées par les Etats dans les conventions fiscales internationales237.
En ce qui concerne précisément les clauses dites « anti-abus », celles-ci sont plus
connues sous l’appellation de clauses « anti-treaty shopping ». Elles sont, comme leur nom
l’indique, destinées à combattre la pratique du « treaty shopping », laquelle consiste à utiliser
de manière détournée des conventions fiscales internationales.
Dans ce combat dit « anti-treaty shopping », les Etats Unis font figure de « bon élève »
non seulement pour en avoir été les précurseurs, mais surtout par leur combativité.
L’illustration nous est donnée par la convention fiscale du 31 août 1994, conclue avec la
France, en ce qu’elle contient une clause anti-abus des plus complètes. Celle-ci, afin de
prévenir d’éventuelles utilisations abusives, a exclu du bénéfice de la convention un certain
nombre de personnes morales, puisqu’elle prévoit que seules pourront bénéficier de ladite
convention : les personnes morales détenues au moins à 50% par des résidents d’un des Etats
contractants, celles dont l’essentiel du capital est négocié « sur une bourse de valeur reconnue
de l’un des Etats contractants », enfin, celles qui n’ont pas pour principal objectif « de profiter
des avantages prévus par la présente convention ». Par ces exclusions, il s’agit en vérité, et
236 97 conventions conclues au 1er janvier 1999. 237 Paradis fiscaux et opérations internationales, ouvrage collectif, Francis Lefebvre, 2ème éd., 1999, n°1000 et s.
67
comme le souligne Bernard PLAGNET, de prévenir des créations de sociétés
« intermédiaires » qui n’ont pour seul objet que de bénéficier des dispositions fiscales
favorables prévues par la convention238. Du reste, certaines conventions conclues par la
France l’ont formulées avec moins de ménagement. Ainsi, dans le cadre de la convention
conclue avec le Luxembourg, un échange de lettre du 8 septembre 1970 a exclu expressément
du bénéfice de la convention les sociétés dites holdings239, de même, l’article 14 de la
convention franco-suisse exclut partiellement du bénéfice de la convention certaines
personnes morales ayant des fonctions de sociétés relais240.
En outre, les conventions tendant à éviter la double imposition peuvent également
renfermer des clauses destinées à prévenir des abus plus spécifiques. Parmi ces dernières, on
peut évoquer : celles qui visent à éviter les abus liés aux recours à des « sociétés d’artistes » et
qui s’inspirent de l’article 17 de la Convention modèle OCDE241, celles qui luttent contre les
abus liés aux prix de transfert entre entreprises dépendantes, enfin plus radicales, sont celles
qui, insérées dans certaines conventions conclues avec les Emirats, soumettent à l’impôt en
France des filiales situées dans des Etats contractants et détenues à 50% par des sociétés
françaises242.
238 PLAGNET.B. L’abus des traités : pratique française. Dr. Fisc. 1986, n° 52, p.1258. 239 « …le Gouvernement français a considéré que, depuis l’entrée en vigueur de cette convention, elle ne devait pas s’appliquer aux sociétés holdings au sens de la législation particulière luxembourgeoise… »Echange de lettres du 8 septembre 1970. Conventions fiscales internationales, ouvrage collectif, Francis Lefebvre, 1997. 240 Art. 14 : « Une personne morale qui est un résident d’un Etat contractant, et dans laquelle des personnes qui ne sont pas des résidents de cet Etat ont un intérêt prépondérant direct ou indirect sous forme d’une participation ou d’une autre manière, ne peut bénéficier d’un dégrèvement de impôts de l’autre Etat contractant perçus sur les dividendes, intérêts et redevances provenant de cet autre Etat conformément aux dispositions des articles 11,12,13… ». Conventions fiscales internationales, ouvrage collectif, Francis Lefebvre, 1997. 241 Article 17 : « 1. Nonobstant les dispositions des articles 14 et 15, les revenus qu’un résident d’un Etat contractant tire de ses activités personnelles exercées dans l’autre Etat contractant en tant qu’artiste de spectacle, tel qu’un artiste de théâtre, de cinéma, de la radio ou de la télévision ou qu’un musicien, ou en tant que sportif, sont imposables dans cet autre Etat. » « 2. Lorsque les revenus d’activités qu’un artiste du spectacle ou un sportif exerce personnellement et en cette qualité sont attribués non pas à l’artiste ou au sportif lui-même mais à cette autre personne, ces revenus sont imposables nonobstant les dispositions de l’article 7, 14 et 15, dans l’Etat contractant où les activités de l’artiste ou du sportif sont exercées. 242 Article 19 de la Convention du 19 juillet 1989 conclue entre la France et les Emirats Arabes Unis : « 2. Lorsqu’une personne qui est un résident des Emirats Arabes Unis ou qui y est établie est fiscalement domiciliée en France au sens du droit interne français ou est une filiale contrôlée directement ou indirectement à plus de 50% par une société dont le siège de direction est en France, les revenus de cette personne sont imposables en France nonobstant toute autre disposition de la présente convention. ». Conventions fiscales internationales, ouvrage collectif, Francis Lefebvre, 1997. Cf. GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n° 2553-8.
68
Aux termes de ces développements, on peut sans conteste affirmer que l’arsenal
juridique, dont dispose l’administration fiscale pour lutter contre les paradis fiscaux, est
assurément des plus complets. A ce titre, le cas des artistes et sportifs est significatif, puisque
pour mettre en échec le système, dit du « rent a star», l’administration a à sa disposition la
théorie de l’abus de droit, l’article 155A du CGI, et enfin, à supposer que la société soit située
dans un Etat ayant conclue avec la France une convention fiscale, le dispositif anti-
abus,(inspiré de l’article 17 du modèle OCDE), éventuellement inclus dans la convention
fiscale trouvera à s’appliquer. Dans ce contexte, l’administration fiscale n’a que l’embarras du
choix. Il est donc naturel qu’elle recourt aux instruments les plus aisés à mettre en œuvre. Or
à cet égard, nous n’ignorons pas que la théorie de l’abus de droit n’est pas avantagée, elle
présente de réels handicaps par rapports à ses concurrents.
A ce stade de l’étude, le constat s’impose de lui-même. Le renforcement généralisé ces
dernières années des dispositions spécifiques du CGI243, et l’extension continue du réseau de
conventions fiscales internationales conclues par la France, (soit 97 conventions conclues au
1er janvier 1999), tendent à priver la théorie de l’abus de droit de son utilité en matière de lutte
contre les paradis fiscaux.
243 Art. 90-II de la loi de Finances pour 1982 a abrogé la condition de dépendance, exigée par l’article 57 du CGI, en cas de transfert vers un pays à fiscalité privilégiée. Art. 90-I de la loi de finance pour 1982 a étendu les dispositions de l’article 238-A du CGI « à tout versement effectué sur un compte tenu dans un organisme financier établi dans un Etats ou territoires visés au même alinéa. ». Art. 71 de la loi de Finances pour 1980 a étendu la portée de l’article 155A du CGI « aux personne domiciliées hors de France pour les services rendus en France. ».
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Titre 2. L'abus de droit, un instrument en quête de réconciliation avec
sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux.
Au regard des développements qui précèdent, la théorie de l’abus de droit paraît
incontestablement en rupture avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux. Dès lors, il
nous appartient de tracer la voie à une éventuelle réconciliation. Plus précisément, il nous faut
rechercher les procédés qui permettront de réconcilier la théorie de l’abus de droit avec l’une
de ses raisons d’être, et qui n’est autre que celle de lutter contre tous les abus, y compris ceux
impliquant des paradis fiscaux ( Chapitre 1). Mais comme toute tentative de réconciliation,
celle-ci peut échouer (Chapitre2). Chapitre 1. Une réconciliation possible de l'abus de droit avec sa fonction
de lutte contre les paradis fiscaux.
En ce qui nous concerne, il semble que la voie vers une éventuelle réconciliation passe
nécessairement par une adaptation du concept d’abus de droit aux exigences de la matière
internationale, spécialement à celles que requiert la lutte contre les paradis fiscaux (section 1),
Cette adaptation n’est toutefois pas sans soulevée certaines critiques (section 2).
Section 1. L'adaptation de la notion d'abus de droit à l'évasion fiscale internationale.
Comme nous l’avons exposé précédemment, la théorie de l’abus de droit présente des
handicaps au niveau de la preuve, à quoi s’ajoutent certains obstacles liés au secret bancaire.
Ceci explique que l’administration fiscale répugne à utiliser l’article L64 du LPF, en présence
de paradis fiscaux. Nous savons aussi que l’efficacité du dispositif répressif, qui existe en la
matière, réside dans un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable.
Dans ces conditions, il nous semble, que pour rendre possible la lutte contre les paradis
fiscaux par le biais de la théorie de l’abus de droit, une véritable adaptation nécessiterait une
modification du régime de la preuve, plus précisément, la création d’une présomption d’abus
de droit en présence de montages impliquant des paradis fiscaux (§2). Mais, avant cela et sans
tomber dans l’excès que génère ce procédé, il nous faut envisager une autre formule, qui
semble-t-il devrait permettre une adaptation. Celle-ci consiste à rompre le secret bancaire et
70
principalement, la protection qui lui est attribuée par certaines législations « paradisiaques »,
de manière à rendre plus transparentes les relations entre administrations fiscales (§1).
§1. Un secret bancaire rompu dans les rapports entre autorités fiscales.
Nous savons qu’au nombre des avantages qui caractérisent un paradis fiscal, figure en
bonne place le secret bancaire. S’il est légitime que « l’éthique bancaire » exige, que ne soient
pas divulguées à des tiers les informations qu’un client a pu délivrer à son banquier et que soit
respecté le caractère confidentiel de celles-ci, il n’en est pas moins légitime, pour une autorité
fiscale d’obtenir des renseignements nécessaires à la constatation d’une éventuelle
dissimulation de revenus imposables. Or toutes les législations ne partagent pas cette
conception. Certaines protègent, si vigoureusement, leur secret bancaire, que tout échange de
renseignements entre autorités fiscales s’en trouve entravé. C’est alors qu’en toute impunité,
non seulement certains soustraient des revenus à l’impôt, mais surtout et bien plus grave,
d’autres procèdent au « blanchiment » et au « recyclage »244 de l’argent issu d’activités
illicites.
Néanmoins, les Etats ont réagi, et en guise de riposte, ils ont inséré dans les
Conventions fiscales internationales des clauses relatives à l’échange de renseignements.
Celles-ci, inspirées de l’article 26 de la Convention modèle OCDE245, permettent aux
administrations fiscales des pays contractants d’échanger un certain nombre de
renseignements, soit d’office, soit à la demande de l’un d’eux, soit spontanément246. Parmi les
conventions conclues avec la France247, l’on peut mentionner la Convention franco-maltaise
du 25 juillet 1977 et la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966. Toutes deux
renferment une clause relative à l’échange de renseignements, avec toutefois une particularité
244 LESERVOISIER.L. Les paradis fiscaux. PUF, que sais-je, 1992, p.56. 245 Article 26 de la Convention modèle OCDE en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune : « 1. Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente convention ou celles de la législation interne des Etats contractants relative aux impôts visés par la Convention dans la mesure ou l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. L’échange de renseignements n’est pas restreint par l’article 1. Les renseignements reçus par un Etat contractant sont tenus secret de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet Etat et ne sont communiqués qu’aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l’établissement ou le recouvrement des impôts visés par la convention, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, ou par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts. Ces personnes ou autorités n’utilisent ces renseignements qu’à ces fins. Elles peuvent révéler ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements. ». 246 GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n° 2540. 247 Selon Cyrille DAVID, « la France dispose sans doute de l’un des meilleurs réseaux de conventions, soit 97 conventions conclues au 1/01/1999 », DAVID. C. Comparaison entre le code de conduite communautaire et la recommandation de l'OCDE sur la concurrence fiscale déloyale, Revue internationale de droit économique, octobre 1999, p 309.
71
pour celle que recèle la convention franco-suisse, puisqu’elle vise uniquement l’échange de
renseignements sur demande.
A ces clauses d’échange de renseignements incluses dans les conventions fiscales
internationales, s’adjoignent des directives européennes, celles-ci concourrant à favoriser les
échanges de renseignements entre Etats membres248.
Plus récent, le rapport adopté par le Conseil de l’OCDE, tendant au renforcement de la
lutte contre la « concurrence fiscale déloyale », énonce une série de recommandations à
destination des pays de l’OCDE. L’une d’entre elles encourage les pays de l’OCDE à
examiner leurs lois et pratiques en matière de renseignements bancaires, afin de lever
d’éventuels obstacles, auxquels pourraient se heurter les administrations fiscales dans l’accès
à ces informations249.
Enfin, dernièrement, le projet de loi sur les « nouvelles régulations économiques »250,
que d’aucuns qualifient le projet de loi « fourre-tout », dans un volet consacré au blanchiment
d’argent, tente par différents moyens, de lever les obstacles qui entravent l’accès aux
informations bancaires et financières.
Si, ces différents textes et les clauses qu’ils contiennent permettent à l’administration
fiscale d’obtenir plus aisément des renseignements sur la situation financière et bancaire d’un
contribuable dans un Etat étranger, c’est aussi la preuve de l’abus de droit qui est par-là
même facilitée. Enfin, corrélativement, c’est une administration fiscale qui se voit inciter à
recourir à la théorie de l’abus de droit pour lutter contre les paradis fiscaux.
D’emblée, il nous faut relativiser ce constat, compte tenu des limites251 qui sont
apportées par ces mêmes textes à la fourniture des renseignements. Si celui-ci reste vrai pour
248 Directive du 19 décembre 1977 n°77/799, JOCE 1977 L 336 p.15, complétée par les directives 79//1070 du 6 décembre 1979 ( JOCE1979 L 331), et 92/108 du 14 décembre 1992 ( JOCE 1992 L 390 ). 249 X.. La lutte contre la concurrence fiscale dommageable au niveau de l’OCDE , Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1999, p.17 ; DAVID. C. Comparaison entre le code de conduite communautaire et la recommandation de l'OCDE sur la concurrence fiscale déloyale, Revue internationale de droit économique, octobre 1999, p 309. 250 Présenté en conseil des ministres le 15 mars 1999. 251 Ces limites sont précisées par le paragraphe 2 de l’article 26 de la Convention Modèle OCDE, celui-ci figurant dans la majorité des conventions conclues par la France dispose : « 2. Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation ;
72
les Etats, dont la législation ne s’oppose pas à la levée du secret bancaire au profit des
autorités fiscales, en revanche, il ne l’est plus, lorsque la législation d’un Etat interdit la
fourniture d’informations à une administration fiscale. Concrètement, cela signifie que,
l’efficacité du dispositif conventionnel portant sur l’échange de renseignements sera fonction
du degré d’opposabilité du secret bancaire à l’administration fiscale prévu dans la
réglementation de l’Etat en question252.
Autant dire que, dans des Etats qui disposent d’une réglementation particulièrement
stricte quant à la levée du secret bancaire, tels la Suisse, le Luxembourg, ou encore la
principauté de Monaco, le dispositif reste particulièrement fragile. En conséquence, dans ces
paradis fiscaux, il sera toujours difficile pour l’administration fiscale de prouver que l’acte
relève d’un mensonge juridique, ou qu’il poursuive un but exclusivement fiscal.
En définitive, (et si du moins, l’on peut parler d’adaptation), c’est une adaptation très
précaire que permet le développement des textes et conventions tendant à rompre le secret
bancaire. Il nous faut néanmoins faire face à cet échec. A cette fin, il nous faut envisager un
procédé plus radical, celui-ci appelant une redéfinition des contours du régime de la preuve de
l’abus de droit.
§2. Un régime de la preuve de l’abus de droit redéfini.
Permettre à la théorie de l’abus de droit de lutter efficacement contre les paradis
fiscaux, c’est nous semble-t-il redéfinir les contours du régime de la preuve de l’abus de droit.
Plus précisément, c’est créer une présomption d’abus de droit en cas d’utilisation, par une
personne physique ou morale résidente en France, d’une société soumise à un régime fiscal
privilégié au sens de l’article 238A du CGI.
Du fait de la création de cette présomption, l’administration fiscale verrait sa tâche
facilitée. En présence d’un montage impliquant un paradis fiscal, cette présomption conduirait
a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à
celles de l’autre Etat contractant ; b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le
cadre de sa pratique administrative normale ou de celle de l’autre Etat contractant ; c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un
procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public ». 252 En ce sens : Cf. KATZ. E. La réglementation sur le secret bancaire en droit fiscal français, Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1998, p. 35.
73
en effet à regarder la preuve du caractère fictif de l’acte, ou à défaut, du « but exclusivement
fiscal », comme étant rapportée. Il lui appartiendrait uniquement, pour justifier l’application
de ce texte d’exception, que constituerait dès lors l’article L64 du LPF, d'invoquer l’existence
d’un régime fiscal privilégié, par référence aux règles qui dominent en la matière et qui sont
celles issues de l’article 238 A du CGI253.
Quant au contribuable, la seule issue qui s’ouvrirait à lui pour échapper au
redressement fondé sur la théorie de l’abus de doit, serait de rapporter la preuve contraire,
précisément, de démontrer que l’opération ne présente pas le caractère que lui attribue la
présomption ainsi définie.
On se trouve, en vérité, dans une situation analogue à celle que l’on rencontre en cas
de saisine du comité consultatif, si tant qu’il rende un avis favorable à l’administration. Dans
cette hypothèse, nous n’ignorons pas, qu’il revient au contribuable de démontrer, que
l’opération ne présente pas le caractère que lui prête l’administration fiscale, autrement dit,
qu’elle ne présente pas un caractère fictif ou à défaut qu’elle n’a pas été inspirée par un motif
exclusivement fiscal.
Si tant il est vrai que, la preuve puisse être dans certains cas présumée, le droit fiscal
ne nous démentira pas sur ce point, cette démarche relève de la compétence du législateur254,
quelquefois du juge fiscal255. Dans notre contexte, devons nous considérer qu’une telle
démarche ressort de la fiction, où à l’inverse, sommes nous en mesure de la tenir pour
vraisemblable ? Il semble, pour notre part, que le législateur comme le juge est à même de
253 Article 238-A : « Pour l’application de l’alinéa qui précède, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu’en France. ». Aux termes de cet article, il appartient à l’administration fiscale d’établir que les sommes litigieuses sont soumises dans l’Etat étranger à un régime fiscal privilégiée. Dans une instruction du 26 juin 1975, l’administration fiscale a précisé les termes et critères de comparaison, en indiquant notamment un critère général d’appréciation, elle considère que l’existence d’un régime fiscal privilégié est avérée, lorsque l’imposition est inférieure d’au moins un tiers à celle applicable en France. Cf. FONTANEAU. P.M. L’ interprétation jurisprudentielle de l’article 238. A du CGI et ses conséquences. Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1988, p. 3 ; TIXIER.G. l'évolution de la jurisprudence au regard de l'article 238A du CGI, Dr. Fisc.1994, n°12, p.529 ; 254 Le CGI est parsemé de présomptions, abstraction faites de celles concernant les transferts avec l’étranger (article 57, 238-A, 155-A, 209 B du CGI), on peut citer , par exemple, les articles 111a du CGI et 115 quinquiès du CGI qui consacrent des présomptions de distribution de bénéfices. 255 La juge fiscal peut être à même de dégager certaines présomptions, l’exemple nous est fourni par un arrêt du Conseil d’Etat en date du 17 octobre 1990 qui pose une présomption d’existence de prêts ou de dons allégués. CE,17 octobre 1990, req.97253, Jeneste, RJF, décembre 1990, n°1430, concl. FOUQUET. O., Dr. Fisc. août 1992, comm.37.
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poser une telle présomption. Cette démarche pourrait être, en effet, celle du législateur. Au
regard de l’extension, ces dernières années, du champ d’application du dispositif répressif
existant en matière de lutte contre les paradis fiscaux, ce ne serait pas la première fois qu’il
poserait une présomption si excessive en cette matière. Cette démarche pourrait aussi être
celle du juge fiscal, et là encore ce ne serait pas la première fois, que celui-ci étende, si
largement, le champ d’application de l’article L64 du LPF, puisque c’est à lui, souvenons-
nous, que nous devons le concept d’abus de droit par fraude à la loi.
Si, une redéfinition des contours du régime de la preuve de l’abus de droit permettrait
très certainement, d’adapter la théorie à la matière internationale, (permettant de la sorte de
lutter efficacement contre les paradis fiscaux), ce procédé ne serait pas à l’abri de certaines
critiques. Mais au demeurant, il semblerait conforme à la volonté affichée des pouvoirs
publics de renforcer les armes contre l’évasion fiscale internationale256.
Section 2. Une adaptation qui n'est pas sans soulevée certaines critiques.
Si l’on conçoit une telle extension du champ d’application de l’article L64 du LPF,
d’emblée deux menaces apparaissent. L’une intéresse plus spécialement le droit interne,
puisqu’elle réside dans l’atteinte, qu’une telle présomption pourrait porter à la liberté des
choix fiscaux (§1). La seconde intéresse plus spécialement le droit international, puisqu’elle
soulève le problème de la compatibilité de l’article L64 du LPF avec les conventions
internationales et le droit communautaire ( §2).
§ 1. En droit interne : une atteinte au principe de la liberté des choix fiscaux.
Le signe d’une « habileté fiscale » pour certains, d’une « stratégie » ou d’une
« optimisation » fiscale pour d’autres…, le principe du libre choix de la voie la moins
imposée est un principe essentiel qui domine le droit fiscal français. Dégagé très tôt par la 256 L’arsenal de lutte contre l’évasion fiscale s’est encore endurci depuis le 1er janvier 1999 avec plusieurs mesures « choc », la première est celle visée par l’article 123 bis du CGI qui permet à l’administration fiscale de taxer au titre des revenus de capitaux mobiliers des profits générés par des filiales étrangères bénéficiant d’un régime fiscal privilégiée et dès lors qu’un résident français y détient une participation d’au moins 10%, la seconde est consacrée par l’article 167 du CGI, en vertu duquel toute personne qui transfert son domicile fiscal hors de France devient immédiatement imposable pour les plus values réalisées sur des titres représentant une participation d’au moins 25%. Cf. LUCY. C-E. La corruption et la délinquance économique mobilisent les efforts de la Chancellerie et de Bercy, Dr. et Patrimoine, mars 1999, n°69, p.18; De TUGNY. D. Lutte contre la délinquance financière, Dr. et Patrimoine, novembre 1999, n°77, p.22.
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Cour de Cassation257, consacré à plusieurs reprises par le Conseil d’Etat258, et enfin
parfaitement établi en doctrine259, ce principe signifie que tout contribuable est libre de choisir
la voie qui lui paraît la plus adaptée, en particulier d’opter pour la voie la moins imposée.
C’est en ce sens, selon Jean SCHMIDT, que l’on peut parler de « choix fiscaux », sans pour
autant provoquer l’irritation du contribuable260.
Certains ont toutefois relevé que cette « habileté fiscale », si elle se situait dans les
limites de la loi, dépassait en revanche celles « de la morale ou du civisme »; à ce titre, ils
l’ont classée au rang des « succédanés de la fraude fiscale »261. Une telle conception est
excessive. Au nom de quel principe une soustraction « habile » de sommes à l’impôt serait
immorale, et révèlerait un manque, voir une absence de « civisme »? Ne serait ce pas au
contraire l’œuvre d’un contribuable diligent et prévoyant ; tel un bon père de famille au sens
du Code civil ?
A la vérité, ce n’est pas la soustraction « habile » de sommes à l’impôt qui doit être classée au
titre des « succédanés de la fraude fiscale »262, mais à notre sens, celle qui révèle un « excès
d’habileté fiscale ».
Enfin, cela étant, toute liberté a ses limites. Si, le contribuable est libre de choisir la voie la
moins imposée, encore faut-il qu’il exerce cette liberté dans le respect des limites posées par
la loi fiscale, et qui ne sont autres que celles de « l’abus de droit ». Or, comme le souligne très
justement, Chantal CUTAJAR263, « ce n’est pas de la morale dont il s’agit ici, mais bien de
droit », car autoriser le contribuable à ne pas payer l’impôt dû, grâce au mensonge ou à
d’autres artifices, revient à « bafouer » non seulement le principe « d’égalité fiscale »264
consacré par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais surtout le
257 Cass.Civ. 24 avril 1854, D. 1854, I, 157. 258CE 16 avril 1969, req. 68662, Dr.Fisc. 1970, n° 51, comm. 1474, concl. MEHL, JCP. 1970, 89512, « Rien ne s’oppose à ce que les contribuables choisissent, pour réaliser une opération, les voies les moins onéreuses sur le plan fiscal » ; CE 16 juin 1976, req. 95513, RJF septembre 1976, n° 399 : une société peut préférer un financement par émission d’obligations, dont les intérêts sont déductibles, à un financement par le biais d’une augmentation de capital. 259 PIERRUGUES. J. Le principe de la liberté des choix fiscaux in La gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F. compt, décembre 1991, n° 229, p.18 ; NAVATTE. B. La fraude et l'habileté en droit fiscal, D.1951, chron., p.87. COZIAN. M. La notion d’abus de droit en matière fiscale, Gaz.Pal, 17 et 19 janvier 1993, p.2 ; Fraude fiscale, évasion fiscale, optimisation fiscale, Droit et patrimoine février 1995, p.3. 260 SCHMIDT. J. Les choix fiscaux des contribuables, D. 1974. chron. p.23. 261 MARGAIRAZ. A. La fraude fiscale et ses succédanés, Imprimerie Vaudoise Lausanne, 1970. 262 En ce sens, cf. COZIAN. M. Qu'est ce que l'abus de droit? P.A. 14 janvier 1991, n° 6, p. 5. 263 CUTAJAR.-RIVIERE. C. La société écran, essai sur sa notion et son régime juridique, Thèse, préface de P.DIENER, LGDJ, 1998, n° 448. 264 Cf. SCHMIDT. J. Les principes fondamentaux du droit fiscal, Dalloz, 1992, p.69.
76
principe d’égalité contenu dans l’article 1 de la Déclaration, en vertu duquel « les hommes
naissent libres et égaux en droits ».
Si, cette liberté doit être exercée dans les limites de la loi, le droit fiscal ne saurait la
restreindre. Or, si l’on revient à la solution, telle qu’on l’a préconisée et qui permettrait
d’adapter la théorie de l’abus de droit à la lutte contre les paradis fiscaux, on peut d’emblée
remarquer, que le principe de la liberté des choix fiscaux verrait son champ d’application
restreint. Car, de la même manière, qu’elle s’était posée lorsque le Conseil d’Etat a étendu le
champ de l’article L64 du LPF aux cas d’abus de droit par fraude à la loi265, l’atteinte au
principe de la liberté des choix fiscaux se poserait en cas de consécration d’une présomption
d’abus de droit en présence de paradis fiscaux. Celle-ci serait alors entièrement légitime. A
supposé que le contribuable, (conformément au principe de la liberté des choix fiscaux), soit
en droit de choisir parmi les procédés juridiques, celui qui est le moins imposé, il ne saurait
exercer de choix, si au nombre des procédés, l’un consiste à implanter une société dans un
paradis fiscal, du fait de la présomption instituée par l’article L64 du LPF.
§ 2. En droit international : la compatibilité de l'art L64. B du LPF. avec les conventions internationales et le droit communautaire.
Le très célèbre arrêt Nicolo266, qui, on le sait, a eu pour incidence de consacrer la
prééminence du droit international et du droit communautaire sur le droit interne, emporte,
encore aujourd’hui, des conséquences considérables, et ce, dans nombre de secteurs, parmi
lesquels, la fiscalité internationale. En guise d’illustration, l’on peut citer l’article 123 bis du
CGI267, (celui-ci aspirant en outre à devenir « le 209 B des particuliers »268), qui a dès son
265 Cf. TUROT. J. Une définition peut être trop extensive et génératrice d’insécurité juridique in la gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt, décembre 1991, n° 229, p.18 ; PIERRUGUES. J. Le principe de la liberté des choix fiscaux in La gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt, décembre 1991, n° 229, p.18 266 CE. Ass, 20 octobre 1989, Nicolo, Lebon, p.190, concl. FRYDMAN. 267 Article 123 bis du CGI : « Lorsqu’une personne physique est domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers, ou droits de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie, ou une institution comparable établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale…sont réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient directement ou indirectement lorsque l’actif ou les biens de la personne morale…sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. » 268 JAZANI. M. Lutte contre l’évasion fiscale internationale, le nouvel article 123 bis du CGI est–il compatible avec le droit communautaire ?, Bull. fisc. Lefebvre. août/septembre 1999, p.511.
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insertion en droit français par la loi de finances pour 1999, posé le problème de sa
compatibilité avec les conventions internationales et le droit communautaire.
Il nous semble, de la même manière, qu’elle s’est posée à propos de certaines
dispositions « anti-évasion » contenues dans le CGI, ( telles les articles 209B du CGI269 et 123
bis du CGI270…), que la question de la compatibilité de l’article L64 du LPF avec les règles
internationales se poserait. Elle se poserait, non seulement avec les conventions fiscales
internationales tendant à éviter les doubles impositions (A), mais également avec le droit
communautaire (B).
A. La question de la compatibilité avec les conventions fiscales internationales.
La question de la compatibilité de l’article L64 du LPFavec les conventions fiscales
internationales ne devrait pas à priori se poser, celui-ci étant en harmonie avec l’objectif de
lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales visé par nombre de conventions
fiscales internationales. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue qu’une convention fiscale
bilatérale cherche avant tout à lutter contre la double imposition. Or , en tant qu’il présumerait
un abus de droit en cas d’utilisation, par une personne physique ou morale, d’une société
située dans un paradis fiscal, l’article L64 du LPF soulèverait très certainement un problème
de compatibilité avec les dispositions conventionnelles.
Pour lutter contre la double imposition271, ces conventions, qui pour la plupart s’inspirent du
modèle OCDE, attribuent à l’un des deux signataires, l’imposition des revenus réalisés dans
un Etat donné. Précisément, selon l’article 7 du modèle OCDE : « les bénéfices d’une
entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise
n’exerce son activité dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un Etablissement
stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce son activité d’une telle façon, les bénéfices de
269 DIBOUT. P. L’article 209B du CGI est-il compatible avec les conventions fiscales internationales et le droit communautaire ?, Dr. Fisc. 1990, n° 44, p.1485. CHEYLAN. F. De la préservation de son pouvoir unilatéral d’imposition article 209. B du CGI., Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, février 1994, p. 23. 270 JAZANI. M. Lutte contre l’évasion fiscale internationale, le nouvel article 123 bis du CGI est–il compatible avec le droit communautaire ?, Bull. fisc. Lefebvre. août/septembre 1999, p.511. 271 Cf. Commentaires sous l’article 1 du modèle OCDE : « le but des conventions de double imposition est de promouvoir les échanges de biens, de services, de capitaux et de personnes en éliminant la double imposition internationale. »
78
l’entreprise sont imposables dans l’autre Etat mais uniquement dans le mesure où ils sont
imputables à cet établissement. ».
La notion d’établissement stable, quant à elle, est définie par la convention modèle
OCDE, comme étant « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une
entreprise exerce tout ou parie de son activité. ».
Enfin, il résulte des commentaires OCDE sous l’article 7§1, que l’entreprise d’un Etat
n’est imposable dans l’autre Etat que si elle possède dans celui-ci un établissement stable, en
outre, l’Etat de situation de l’établissement stable ne peut taxer que les bénéfices imputables à
cet établissement.
Au regard de ces dispositions et par analogie aux articles 123 bis et 209 B du CGI272,
l’article L64 du LPF irait indubitablement à l’encontre des dispositions conventionnelles. Il
violerait la règle de rattachement de la matière imposable, puisqu’il aboutirait, en cas
d’utilisation par une personne morale résidente en France, d’une société située dans l’Etat
contractant, où elle y serait soumise à un régime fiscal privilégié, à taxer en France des
bénéfices pourtant réalisés dans l’autre Etat contractant et ce en l’absence d’établissement
stable en France.
B. La question de la compatibilité avec le droit communautaire.
Nous n’ignorons pas que certains Etats membres de l’Union ont mis en place, dans le
but d'attirer des investisseurs non résidents et avec l’aval de la commission des Communautés
européennes, des systèmes fiscaux très attractifs, l’exemple fréquemment cité étant celui de
l'Irlande avec son Centre international des services financiers installé sur les Docks de
Dublin273. Récemment encore, des rapports (de la mission parlementaire de « blanchiment »)
soulevaient une vive polémique, en faisant état de certains régimes fiscaux en Europe274. Or,
il nous semble que ceux-ci peuvent être regardés comme de véritables paradis fiscaux. Nous
n’ignorons pas non plus, qu’un contribuable français désireux de créer une société dans un
272 Cf. DIBOUT. P. L’article 209B du CGI est-il compatible avec les conventions fiscales internationales et le droit communautaire ?, Dr. Fisc. 1990, n° 44, p.1485. CHEYLAN. F. De la préservation de son pouvoir unilatéral d’imposition article 209. B du CGI., Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, février 1994, p. 23, LAMORLETTE.T et RASSAT.P. Stratégie fiscale internationale, Maxima, Laurent du Mesnil, 1993, p. 82. 273 Cf. GOUTHIERE. B. Les impôts dans les affaires internationales, Francis Lefebvre, 4ème éd.,1998, n° 2412-3. 274 L . J-Ph. Une mission menée au pas de charge, La Tribune, 22 juin 2000 ; Flagrant délit à Monaco, La Tribune, 22 juin 2000.
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autre Etat membre, dans lequel elle y serait soumise à un régime fiscal privilégié au sens de la
législation française, risquerait aussitôt de se voir redresser sur le fondement de l’article L64
du LPF, du fait de la présomption d’abus de droit en cas d’utilisation d’une société relais
située dans un paradis fiscal.
Si, l’on se réfère au principe de la liberté d’établissement, tel qu’il est défini par les
articles 43 à 48 du Traité CE275 (ancien articles 52 à 58), et à l’instar de l’article 209B du
CGI, il semblerait, à première vue, que l’article L64 du LPF restreigne le principe de la liberté
d’établissement, en ce qu’il pose, dans une telle situation, une présomption générale de fraude
et d’évasion fiscales.
Le principe de liberté d’établissement signifie littéralement pour un ressortissant d’un
Etat membre, qu’il est en droit de s’établir dans un autre Etat membre de son choix et de
bénéficier d’une égalité de traitement avec les ressortissants de l’Etat d’accueil. En aucun cas,
la législation d’un Etat membre ne saurait restreindre ce droit. L’article 48 du Traité CE
(ancien article 58), consacrant l’assimilation des personnes morales aux personnes physiques,
étend la liberté d’établissement aux personnes morales. La CJCE veille scrupuleusement au
respect de cette liberté d’établissement, n’hésitant pas à condamner les dispositions
susceptibles de la restreindre276. A plusieurs reprises, elle a eu à connaître d’entraves résultant
des législations fiscales d’un Etat membre277, et qui plus est, dans un arrêt récent278, lui
donnant l’occasion de rappeler sa jurisprudence, aux termes de laquelle, « les Etats membres
doivent exercer leurs attributions en matière de fiscalité directe dans le respect du droit
communautaire »279.
Il résulte de ces développements, que sanctionner un contribuable, parce que celui-ci a
crée une société dans un Etat membre plutôt que dans un autre, porte inévitablement atteinte
à la liberté d’établissement. En conséquence, il nous semble que l’application de l’article L64
du LPF serait manifestement contraire au droit communautaire et devrait être écarter. M.
275 Version consolidée du Traité instituant la Communauté européenne issue du Traité sur l’Union européenne signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 1999. 276 CJCE, aff.270/83, 28 janvier 1986, Commission c/ France, RJF, novembre 1986, n° 1020. 277 CJCE, aff.270/83, 28 janvier 1986, Commission c/ France, RJF, novembre 1986, n° 1020 ; CJCE, aff.311/97, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland plc, RJF, juillet 1999, n° 948. 278 CJCE, aff 264/96, 16 juillet 1998, Plén., Imperial Chemical Industries (ICI), RJF, novembre 1998, n°1377 et 1382, Dr.Fisc. 1998, n°48, p.1481, comm. DIBOUT. P, Etude et chroniques, p.1475. 279 CJCE , aff.246/89, 4 octobre 1991, Commission c/ Royaume Uni ; CJCE, aff.279/93, 14 février 1995, Schumaker.
80
JAZANI s’est prononcé en ce sens, à propos de l’article 123bis du CGI. Se fondant sur la
jurisprudence de la CJCE, et spécialement sur celle résultant de l’arrêt ICI précité280, qui avait
condamné des dispositions fiscales britanniques opérant une différenciation fiscale selon le
lieu du siège de l’entreprise, cet auteur a considéré l’article 123 bis du CGI, comme
susceptible d’entraver le principe de la liberté d’établissement. Mais, pour Patrick DIBOUT,
au sujet de l’article 209 B du CGI, l’exercice de la liberté d’établissement s’apprécie par
rapport à la législation du pays d’accueil, et non celle du pays d’origine. De ce fait, il en
déduit que le moyen tiré de la liberté d’établissement devrait être inopérant devant le juge de
l’impôt pour contester l’application de l’article 209B du CGI. Si l’on procède par analogie, il
devrait en être de même pour l’article L64 du LPF.
Mais, il n’en demeure pas moins, si l’on suit l’analyse de Patrick DIBOUT, que la
question de la compatibilité du texte français avec les normes communautaires resterait
entière. Elle continuerait de se poser, non sur le fondement du principe de la liberté
d’établissement, mais sur celui « de l’effet utile du droit communautaire »281, en ce qu’il
empêcherait l’entreprise française de tirer profit de mesures fiscales incitatives consenties par
la Commission européenne. Précisément, l’article L64 du LPF, en tant qu’il imposerait une
entreprise française (ou le contribuable français) sur des bénéfices réalisés par une société
située dans un autre Etat membre, où le régime fiscal s’avère privilégié au regard du droit
français, constituerait un obstacle à une mesure d’aide consentie par la Commission
européenne. Ce qui va naturellement à l’encontre du Traité instituant la Communauté
européenne, qui pose l’obligation pour les Etats membres de s’abstenir de prendre des
« mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du Traité ».
En tout état de cause, il nous semble que la France ne serait pas à l’abri de sanctions,
susceptibles d’être prononcées par la CJCE.
280 CJCE, aff 264/96, 16 juillet 1998, Plén., Imperial Chemical Industries (ICI), RJF, novembre 1998, n°1377 et 1382, Dr.Fisc. 1998, n°48, p.1481, comm. DIBOUT. P, Etude et chroniques, p.1475. 281 DIBOUT. P. L’article 209B du CGI est-il compatible avec les conventions fiscales internationales et le droit communautaire ?, Dr. Fisc. 1990, n° 44, p.1485.
81
Chapitre 2. Une impossible réconciliation de l'abus de droit avec sa fonction
de lutte contre les paradis fiscaux ou la recherche d'un palliatif.
Il résulte des développements précédents, qu’une réconciliation de la théorie de l’abus
de droit avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux demeure des plus incertaines,
puisque, pour y parvenir, non seulement les moyens employés requièrent l’intervention du
juge ou du législateur, mais surtout, ceux-ci ne sont pas l’abri de critiques. Or, dans ce
contexte très incertain, ce serait manqué de discernement, que de ne pas envisager l’hypothèse
d’une rupture définitive entre la théorie de l’abus de droit et sa fonction de lutte contre les
paradis fiscaux. Mais, en ce cas, s’il faut laisser place à la séparation, et envisager une
éventuelle éviction de l’abus de droit à la matière internationale (Section 1), un certain
optimisme nous oblige à ne pas perdre de vue le combat mené contre les paradis fiscaux, et à
y apporter éventuellement une nouvelle issue (Section 2). Section 1. L'éviction de l'abus de droit à la matière internationale.
En l’absence de réconciliation entre la théorie de l’abus de droit et sa fonction de lutte
contre les paradis fiscaux, une première solution consisterait à évincer purement et
simplement la théorie de l’abus de droit à la matière internationale. Mais, d’emblée, cette
solution nous semble incertaine et critiquable.
Elle nous paraît critiquable d’une part, en ce qu’elle prive l’administration fiscale d’un
instrument de lutte contre les paradis fiscaux. Car, s’il est vrai que la théorie de l’abus de droit
est un instrument désuet, elle n’en est pas pour autant un instrument inefficace. Au contraire,
elle nous a démontré par le passé qu’elle pouvait être un instrument plutôt dissuasif dans la
lutte contre les paradis fiscaux. Or dans ce contexte, il serait, à notre sens, arbitraire d’évincer
la théorie de l’abus à la matière internationale, au seul motif qu’elle soit désuète.
Cette solution nous semble, d’autre part, incertaine au regard des situations à venir.
Car, si déjà en 1951, B. NAVATTE pouvait écrire : « l’une des préoccupations dominantes
des contribuables est à l’heure actuelle de s’évader de l’impôt au maximum. Ils cherchent par
82
tous les moyens possibles à réduire leur surface imposable.»282, la situation, n’a depuis, guère
changé. Au contraire, elle se serait même aggravée, sous l’effet d’une pression fiscale
toujours plus lourde et d’une conjoncture économique défavorable. En effet, ces dernières
années ont été celles d’une « prolifération » de nouveaux impôts: l’ISF crée par la loi de
finance pour 1982 sous l’appellation d’impôt sur les grandes fortunes (IGF), supprimé en
1986 par J.Chirac sous la première cohabitation, puis rétabli en 1989 avec pour finalité de
financer le RMI ( revenu minimum d’insertion)283, plus récemment la CSG créée en 1991, la
CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) créée en 1996 et enfin c’est une
taxe sur des flux financiers à court termes, plus connue sous le nom de taxe Tobin qui devrait
éventuellement voir le jour284. Quant aux impôts existants, ceux-ci ont généralement vu leurs
taux fortement augmentés, comme nous le montre, par exemple, la TVA, qui avec un taux de
18,6%, est passée en août 1995 à un taux de 20, 6%.
La multiplication de ces impôts exceptionnels, accompagnée d’une augmentation des
taux, a de la sorte abouti à prélever sur les revenus des contribuables une part importante voir
excessive. Soit dit en passant, certains ont dénoncé cet état de choses, notamment M.
DUHAMEL, lorsqu’il soutient que l’imposition sur le patrimoine est dix fois supérieure – par
rapport au volume du PIB – en France qu’aux Etats Unis ; deux fois et demie supérieure en
France qu’en Allemagne285. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que certains
contribuables « lasses de payer à l’aveuglette un Etat qui se complaît dans le gaspillage »286
recherchent par tous les moyens à soustraire une partie de leur patrimoine à la « hargne » du
Fisc et ainsi d’échapper à une fiscalité jugée à certains égards trop lourde et trop
contraignante. Pour y parvenir, ces derniers, dans leur quête de techniques nouvelles de fraude
et d’évasion fiscales toujours plus ingénieuses et sophistiquées, font preuve d’une imagination
débordante. En outre, c’est notamment par la voie des pays dits à « faible pression fiscale »,
que ces techniques voient le jour et prospèrent287. En conséquence, ce serait faire preuve
282 NAVATTE. B. La fraude et l'habileté en droit fiscal, D.1951, chron., p.87. 283 Aux termes de l’article 885A du CGI, sont soumises à l’impôt de solidarité sur la fortune, lorsque la valeur de leurs biens est supérieure à 4 000 000 Francs, les personnes physiques ayant leur domicile en France ou à l’étranger et celles n’ayant pas leur domicile fiscal en France mais à raison de leurs biens situés en France. 284 Engouement pour la taxe Tobin, La Tribune, 4 juillet 2000. 285 DUHAMEL. G. Les paradis fiscaux, éd. Jacques Grancher, 1999, p.31. 286 Idem. 287 Le développement des relations commerciales internationales, le déploiement de sociétés multinationales, les progrès spectaculaires réalisés en matière de communications internationales et de transport, enfin et surtout, les différences considérables de pression fiscale d’un Etat à un autre constituent autant de facteurs qui ont contribué à l’essor considérable qu’ont connu et connaissent toujours ces pays dénommés « paradis fiscaux ». En terme de chiffre, on peut d’ailleurs citer celui de la valeur des investissements réalisés dans les « juridictions à faible fiscalité » particulièrement révélateur de la situation, puisque entre 1985 et 1994, il a quintuplé pour dépasser les
83
d’imprudence que d’évincer la théorie de l’abus de droit à la matière internationale, car, si
celle-ci reste un instrument désuet en présence de paradis fiscaux, elle n’en demeure pas
moins, en raison du caractère exorbitant des pénalités qui lui sont attachées, un excellent
moyen de pression à disposition de l’administration fiscale pour obtenir la coopération ou
l’acquiescement du contribuable.
Section 2. Une autre solution envisageable:
Récemment, on a vu les instances internationales (OCDE, Union Européenne)
prendre des mesures afin de renforcer la lutte contre les paradis fiscaux. A l’échelon
communautaire, tout d’abord, avec un « code de conduite » en matière de fiscalité des
entreprises adopté à l’occasion du conseil Ecofin du 1er décembre 1997288. Celui-ci prévoit
outre un engagement des Etats membres de ne plus adopter à l’avenir de mesures fiscales
dommageables, un engagement de ces derniers de « démanteler » celles que renferment leur
législation et qui conduisent à mettre en place « une concurrence fiscale dommageable ». Si
ce « code de conduite » se veut un instrument de lutte contre la « concurrence fiscale
dommageable », il répond plus largement à une volonté des Etats « d’harmoniser », ou du
moins, de « rapprocher » les législations fiscales européennes289.
Dans le cadre de l’OCDE, ensuite, avec un rapport et des recommandations sur la
« concurrence fiscale dommageable » adoptés le 9 avril 1998. Ce rapport contient outre des
recommandations, certains principes directeurs, lesquels prévoient « un engagement des Etats
membres d’éliminer dans un délai de cinq ans à compter de l’adoption dudit rapport, les
régimes fiscaux préférentiels considérés comme dommageables », ainsi qu’ un engagement de
s’abstenir : « d’adopter de nouvelles mesures et d’étendre la portée ou de renforcer les
mesures existantes qui constituent des « pratiques fiscale dommageables »290.
200 milliards de dollars. Cf. DIBOUT. P. la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales in Regards sur la fraude fiscale, Economica, 1986 ; La lutte contre la concurrence fiscale dommageable au niveau de l’OCDE, Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1999, p.17 288 Le rapport du groupe de travail pour l ‘application du code conduite en matière de fiscalité des entreprises, Dr.Fisc. 2000, n°16, p.657 et s ; DIBOUT. P. L’Europe et la fiscalité directe, P.A. 23 décembre 1998, n° 153, p.8. 289 Cf. AUJEAN. M. Où en est-on des politiques d’harmonisation des législations fiscales en Europe ?, Droit et Patrimoine, juillet et août 1999, n°73, p.6. 290 La lutte contre la concurrence fiscale dommageable au niveau de l’OCDE, Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1999, p. 17.
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Au vue de cette série de mesures, il nous faut faire un premier constat. En effet,
lorsqu’on se penche sur ces textes, on ne peut manquer d’être quelque peu désorienté, quant
aux termes usités.
Si, l’expression « paradis fiscal » s’était vue par le passé « détrônée » par celle
« d’Etats à fiscalité privilégiée »291, afin de ne pas « froisser » les susceptibilités de
certains292, aujourd’hui, c’est au tour, semble-t-il, de celle « d’Etats à fiscalité privilégiée ». A
la lecture de ces rapports, recommandations et « code de conduite », élaborés au niveau
communautaire et dans le cadre de l’OCDE, on ne peut manquer d’observer que les termes
« d’Etat à fiscalité privilégiée » n’y apparaissent pas, ceux-ci étant remplacés par les
expressions :« régimes fiscaux préférentiels », « pratiques fiscales dommageables »,
« concurrence fiscale déloyale ».
Ce renforcement de mesures à l’échelon communautaire et international, et la
nouveauté des termes qui y sont employés, ne reflèteraient-t-ils pas un changement
d’orientation dans le combat mené contre les paradis fiscaux ?
Ces mesures, en tant qu’elles préconisent la suppression de dispositions fiscales
avantageuses, et d’une certaine manière, attaquent « le mal à la racine », n’incarneraient-elles
pas l’arme absolue contre les paradis fiscaux ?
Si l'on se tourne vers les auteurs, ceux-ci restent prudents lorsqu’il leur faut se
prononcer sur les implications réelles de ces textes dans la lutte contre les paradis fiscaux.
Ainsi, Bruno GOUTHIERE, estime au sujet du code de conduite, qu’ « il est probable,
compte tenu du caractère solennel de cet engagement, qu’il sera suivi d’effet. », Cyrille
DAVID, pour sa part, fait preuve d’un plus grand pragmatisme, lorsqu’il déclare : « Ni le
code de conduite européen de 1997, ni les recommandations OCDE de 1998 ne paraissent
avoir pour le moment de force juridique à l’égard des Etats membres ou des contribuables qui
ne peuvent donc se les voir opposer,… ».
En vérité, ces textes sont dépourvus de force juridique. Le code de conduite de 1997
est un engagement politique qui prend la forme d’une « résolution » du Conseil , précisément,
291 Cf. RASSAT. P. Le paradis fiscal d’antan détrôné par « l’Etat à fiscalité privilégiée », in Les paradis fiscaux, 46e congrès de l'Ordre, R.F. compt, janvier 1992, n° 230, p.18. 292 Cf. GROSCLAUDE.J., MARCHESSOU.P. Droit fiscal général, 2ème éd, Dalloz, 1999, n° 307.
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«un acte innommé, aucunement prévu par le Traité et qui n’y trouve aucune base légale. »293.
Autrement dit, il ne relève d’aucune qualification juridique prévue par le Traité. Dans ce
silence des textes, les auteurs ont naturellement recherché des éléments de réponse dans la
jurisprudence de la CJCE. Or, si de la même façon que Cyrille DAVID294, l’on se fonde sur
l’arrêt du 30 avril 1996295, (celui-ci ayant donné lieu à un refus catégorique de la Cour de
justice de reconnaître à un autre code de conduite une quelconque valeur juridique), il
semblerait que le code de conduite de 1997 ne puisse prétendre détenir une quelconque valeur
juridique. Cet acte, qui se veut lutter contre la « concurrence fiscale dommageable , n’est en
définitive doté d’aucune force juridique.
Quant au rapport et recommandations de l’OCDE de 1998, il semblerait, là encore que
l’on ne puisse reconnaître à ces textes une quelconque force juridique, du moins, tant que des
textes d’application n’ont pas été pris à la fois par le Comité des affaires fiscales et par les
Etats membres296.
Cela étant, il semble, à notre sens, qu’il y a là une voie possible vers la victoire, c’est à
dire, vers une suppression des régimes fiscaux préférentiels au sein de l’Union et à terme au
sein de l’espace international. Etant entendu, toutefois, que cette victoire ne pourra voir le
jour, qu’à certaines conditions : soit que la CJCE opère un revirement jurisprudentiel, soit que
des textes d’application soient pris à la fois par le Comité des affaires fiscales et par les Etats
membres, soit enfin que les Etats respectent leur parole, c’est à dire qu’ils remplissent leurs
engagements.
Mais dans ce contexte, ne risque-t-on pas de voir l’ensemble du dispositif répressif de
droit interne tomber en désuétude pour finalement laisser place à un dispositif à l’échelon
communautaire, voir international ?
293 « Comme l’expriment ses motifs, le code de conduite est un engagement simplement politique des Etats membres qui n’affecte pas les droits et obligations des Etats membres ni les compétences respectives des Etats membres et de la Communauté telles qu’elles découlent du Traité. ». Cf. Le rapport du groupe de travail pour l ‘application du code conduite en matière de fiscalité des entreprises, Dr.Fisc. 2000, n°16, p.657 et s ; DIBOUT. P. L’Europe et la fiscalité directe, P.A. 23 décembre 1998, n° 153, p.8. 294 DAVID. C. Comparaison entre le code de conduite communautaire et la recommandation de l'OCDE sur la concurrence fiscale déloyale, Revue internationale de droit économique, octobre 1999, p 309. 295 CJCE, 30 avril 1996, Pays Bas c/ Conseil, D. 1997, 17, note BERGERES. 296 DAVID. C. Comparaison entre le code de conduite communautaire et la recommandation de l'OCDE sur la concurrence fiscale déloyale, Revue internationale de droit économique, octobre 1999, p 309.
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L’analyse est sans doute excessive, mais cette fois, c’est à l’avenir qu’il incombe d’y
répondre.
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Au seuil de la recherche, la question principale était de savoir si la théorie de l’abus de
droit permettait, en l’état, de lutter contre les paradis fiscaux, et dans la négative, comment y
remédier.
Au terme de la recherche, et en l’état actuel du droit et de la jurisprudence, il nous faut
faire preuve d’un certain scepticisme et admettre que le temps de la théorie de l’abus de droit,
instrument de lutte contre les paradis fiscaux est bel et bien révolu. Toutefois, pour ne pas
clore l’étude sur une note si pessimiste, rallions nous aux avis de Messieurs COURT et
ENTRAYGUES297, pour lesquels la théorie de l’abus de droit a encore sa place dans le
contexte international. Pour leur part, il semblerait que le théorie de l’abus de droit puisse être
appliquée, soit pleinement lorsque les transactions ne concernent pas une entreprise située
dans un paradis fiscal, soit partiellement comme moyen de pression, lorsqu’à l’inverse,
l’entreprise est située dans un pays à basse pression fiscale.
Mais alors, qu’advient il de la lutte contre les paradis fiscaux ? La question se veut
d’actualité, d’autant qu’avec les phénomènes nouveaux, que sont la prolifération d’Internet, et
des moyens de communication similaires, leur utilisation n’ira qu’en s’amplifiant. Certes, les
règles internes, les conventions fiscales bilatérales, les recommandations OCDE et le « code
de conduite » de l’Union Européenne constituent des armes non négligeables entre les mains
de l’administration fiscale nationale, celles-ci n’ayant cessé de se multiplier, et de se
diversifier, permettant au dispositif d’atteindre désormais une dimension communautaire, et
même internationale.
Toutefois, lorsqu’on se réfère à certains chiffres298, cette multiplication et cette
diversification laissent quelque peu perplexe. Ne dissimuleraient-t-elles pas en vérité un échec
des administrations fiscales dans cette lutte contre les paradis fiscaux ? En définitive, ne
seraient elles pas le signe d’une défaite ? Enfin, les pouvoirs publics ne devraient ils pas se
résigner et accepter l’attrait que peuvent exercer les paradis fiscaux sur certains
contribuables ? Un humoriste avait observé que sans « enfers fiscaux », il n’y aurait pas de
297 COURT. J.F et ENTRAYGUES. G. Gestion fiscale internationale des entreprises, 2ème éd, Montchrestien, 1992, p. 438. 298 « Entre 1985 et 1994, la valeur des investissements réalisés dans les juridictions à faible fiscalité comme les Caraïbes et les îles du Pacifique Sud a ainsi quintuplé pour dépasser les 200 milliards de dollars.». Cf. La lutte contre la concurrence fiscale dommageable au niveau de l’OCDE, Rev. Fiscalité européenne et droit international des affaires, avril 1999, p. 17.
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paradis fiscaux299. Au regard de cette formule certes imagée, mais fort réaliste, la lutte contre
les recours aux paradis fiscaux ne devrait-elle pas passer par un allègement de la charge
fiscale des autres Etats?
Souhaitons qu’un jour l’avenir donne raison à ces quelques rêveries, mais pour
l’heure, il semblerait, et ce quoi qu’on en dise, que faire fructifier ses avoirs dans un paradis
fiscal devienne une entreprise de plus en plus périlleuse.
299 Propos recueillis dans l’ouvrage : TIXIER.G. Droit fiscal international. 2ème éd, PUF, que sais-je, 1995, p.14.
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- Cass. 2e Civ., 26 novembre 1953, D. 1956. 154, note G. FRIEDEL ; Civ, 28 octobre 1992, JCP, 1993, IV, 36. - Cass. Com, 18 avril 1961, Schuman-Piquard, D. 1961, p 661 ; Cass.com. 09 mars 1993, Bull. Joly. 1993, p.547. - CE, 16 avril 1969, req. 68662, Dr.Fisc. 1970, n° 51, comm. 1474, concl. MEHL, JCP. 1970, 89512. - CE, 3 février 1971, req. 74352, Dr.Fisc. 1971, n° 23, com. 933, concl. DUFOUR. - Cass. com, 20 mars 1972, JCP, 1973.II. 17543, note J. SCHMIDT, RTD civ, 1972, p.779, obs. G. DURRY. - CE, 16 juin 1976, req. 95513, RJF septembre 1976, n° 399. - CE, 11 octobre 1978, req. 6744, Dr. Fisc. 1979, n° 20, com. 1023, concl. M. Laprade, RJF, 1978, n° 11, p. 328; - CE, 23 février 1979, req. 6688, sieur Gamon, Dr.Fisc. 1979, n° 48, comm. 2367 - CE, 27 février 1980, req. 13239, Dr. Fisc 1980, n° 22-23, comm. 1267; RJF 1980, n° 4, p.185 - CE, 25 février 1981, req. 19170, RJF 1981, n°5, p.266, CE, 6 juin 1984, req 38037, Dr.Fisc. 1985, n°8, comm.407, concl. Bissara, RJF 1984, n°8-9, p.485 - CE, Plén., 10 juin 1981, req. 19079, Dr.Fisc. 1981, n°48-49, comm. 2187, concl. Lobry; RJF. 1981, n° 9, p.429. - CE, 24 juin 1981, req. 18430, Dr. Fisc. 1981, n° 41, comm. 1781, concl. RIVIERE. - CE 4 décembre 1981 et 21mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n° 21, comm.1056, concl. BISSARA. - Cass.com., 21 décembre 1981, Dr. Fisc. 1982, n°50, comm.7526. - CE, 22 décembre1982, req. 22846, RJF 1983, n°278,p.130. - CE, 19 janvier 1983, req. 33 831, RJF, 1983, n°432, p. 190 ; Dr.Fisc. 1983, n°31, comm. 1621, concl. SCHRICKE. - CE, 21 mars 1983, req. 29 742, RJF 1983, n° 700, p. 319, Dr.Fisc. 1984, n°21, comm.1056, concl. BISSARA. - CE, 21 décembre 1983, req 31934, RJF 1984, p.104. - Cass.com.7 mars 1984, Beauvallet-Naturana, Dr.Fisc.1984, n°26, com 1293, RJF 1984, n°6, p.397 ; JCP 1984, éd. E, II, 14354, note C. DAVID ; Defrénois 1984, p.1246, note B.JADAUD ; RTD com, 1984, n°685, obs. M. JEANTIN.
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- CE, 23 mars 1984, req 27225, RJF 1984, p.323. - Cass.com, 16 octobre 1984, RJF 2/85, n° 734. - CE 6 mai 1985, req. 35572, RJF, 1985, n°1096, p.567 ; Dr. Fisc. 1986, n°11, comm.528 - CJCE, aff.270/83, 28 janvier 1986, Commission c/ France, RJF, novembre 1986, n° 1020. - CE, 3 novembre 1986, req. 49462, Dr.Fisc. 1987, n°8, comm.344,, concl. RACINE - CE, 24 juillet 1987, req. 48669, Dr.Fisc. 1988, n° 8, comm.406 ; RJF octobre 1989, n°715. - CE, 16 décembre 1987, n° 55 790, RJF 02/88, p. 94 - Cass.com, 1 avril 1988, RJF, 2/89 n° 250, Dr.fisc. 1988, n° 32-38, comm. 1733. - Cass.com, 19 avril1988. RJF, 2/89 n° 250, Dr.fisc. 1988, n° 32-38, comm. 1733 - CE, 8 juillet 1988, req. 76910, RJF 1988, n°10, p.630, Dr.Fisc. 1989, n°9, comm.413, concl. M.LAPRADE. - CE, 7 octobre 1988, req. 42924 et 42925, Dr. Fisc 1989, n° 8, com 325; RJF, 1988, n°12, p. 768 - CE., 8e et 9e sect., 25 janvier 1989, req. 44.787, Mathieu, Dr. Fisc. 1989, n°11, comm.527, note POUJADE. B. - CE 21 avril 1989, req. 88 983, Cinécustodia, RJF,1989, n° 724, p.369 ; Dr.Fisc. 1989, n°40, p. 1772, note TIXIER - CE Plén., 21 juillet 1989, req.59.970, Ministre c/ Bendjador, Dr. Fisc. janvier 1990, comm. 28, concl. Mme Liébert-Champagne; RJF août/septembre 1989, n° 998 et 999, p. 458, chronique J.Turot. - CE, Plén., 21 juillet 1989, req. 58.871, Lalande, RJF. août/septembre 1989, p. 458 et 517, chronique J.Turot. - CE. Ass, 20 octobre 1989, Nicolo, Lebon, p.190, concl. FRYDMAN. - CE, 23 octobre 1989, req. 87266, Dr.Fisc. 1990, n°43, com.1982; RJF 1989, n° 12, p. 709 - CE,17 octobre 1990, req.97253, Jeneste, RJF, décembre 1990, n°1430, concl. FOUQUET. O., Dr. Fisc.août 1992, comm.37. - CJCE , aff.246/89, 4 octobre 1991, Commission c/ Royaume Uni ; CJCE, aff.279/93, 14 février 1995, Schumaker. - Cass. Com. 16 juin 1992, Tiberghien, RJF. 1992, n° 1277 ; Cass. Com. 21 juin 1994, Cts. Constans, Dr.Fisc. 1994, comm. 1646. - CAA. Nancy, 18 février 1993, Dr.Fisc.1993, n°49, comm2377, concl. J. FELMY, JCP. 1994, éd. E, II, 536; RJF. 1993, n°6, p.552.
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- CE 17 janvier 1994, req. 120157, Dr. Fisc. 1994, n°15, comm.746 - Cour E.D.H. 24 février 1994, Bendenoun, série A n°284, RJF avril 1994, n°503 - Cass. Ass. Plén., 1er décembre 1995, JCP éd. G. 1996. II. n°22563, concl. M. JEOL, note J. GHESTIN. - CAA. Nancy, 14 mars 1996, SARL Inter Selection, RJF novembre 1996, n°1329. - CJCE, 30 avril 1996, Pays Bas c/ Conseil, D. 1997, 17, note BERGERES. - Cass. Com. 10 décembre 1996, RMC France, RJF 1997, n°2, Dr. Fisc. 1997, p.582, n°17, comm.471, obs. DIBOUT, RD bancaire et bourse, 1997, p.28, n°59, obs. M. GERMAIN et M-A. FRISON-ROCHE, JCP éd. N 1997, II, p. 913, note H. HOVASSE, D. 1997, p 169, note G.TIXIER et I. ANSELIN, Rev. sociétés. 1997, n°3, p.589, note E.KORNPROBST. - CJCE, aff 264/96, 16 juillet 1998, Plén., Imperial Chemical Industries (ICI), RJF, novembre 1998, n°1377 et 1382, Dr.Fisc. 1998, n°48, p.1481, comm. DIBOUT. P, Etude et chroniques, p.1475. - CJCE, aff.311/97, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland plc, RJF, juillet 1999, n° 948. - CAA. Marseille, 3ème ch. 14 juin 1999, M. Bancarel, Dr Fisc. 2000, n°18.19, p.753, Concl. DUCHON-DORIS.
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TABLES DES MATIERES Introduction………………………………………………………………………………….10 Première partie : L'abus de droit, un instrument à disposition de l'Administration fiscale dans la lutte contre les paradis fiscaux………………………………………… ….10
Titre 1. L'existence d'une évasion fiscale internationale constitutive d'un abus de droit…………………………………………………………………………………………..10
Chapitre 1. Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal : des comportements couverts par l’abus de droit……………... …………………………………………………10 Section 1. La consécration législative de l'abus de droit par simulation: l'article L64 B du livre des procédures fiscales………………………………………………………………………..10 Section 2. La consécration jurisprudentielle de l'abus de droit par fraude à la loi……………15
§1. L'extension de la notion d'abus de droit par le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation……………………………………………………………………………...16 §2. Une extension critiquable de la notion d'abus de droit au regard de la sécurité juridique des contribuables…………………………………………………………...18
Chapitre 2. Du mensonge juridique au but exclusivement fiscal dans le recours aux paradis fiscaux……………………………………………………………………………….22 Section 1. L'utilisation de sociétés écrans ou société relais par des personnes physiques : la technique de la "rent a star Companies"…………………………………………………...23 Section 2. L'utilisation de sociétés écrans ou sociétés relais par des personnes morales……………………………………………………………………………………….27
Titre 2. la répression de l'évasion fiscale internationale par la théorie de l'abus de droit…………………………………………………………………………………………..30 Chapitre 1. Des prérogatives spécifiques en faveur de l'administration fiscale dans la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit………………………….31
Section 1.Des prérogatives encadrées par des conditions strictes……………………………31
§1. Des conditions liées au domaine de l'abus de droit……………………………...31
A. le domaine de l'abus de droit quant aux actes et opérations visés…………………………………………………………...31
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B. le domaine de l'abus de droit quant aux impôts visés………...33
§2 Des conditions liées au régime de la preuve de l'abus de droit…………………...34
Section 2. Des prérogatives aux lourdes conséquences………………………………………36
§1. La requalification de l'opération………………………………………………….36 §2. Le prononcé de l’amende fiscale………………………………………………….37
Chapitre 2. Des garanties spécifiques en faveur du contribuable entourant la procédure de répression de l'abus de droit. …………………………………………………………...39 Section 1. L'existence d'une garantie préventive: le rescrit fiscal ……………………………39
§1. Un mécanisme protecteur du contribuable……………………………………...40 §2. Une protection de portée limitée en pratique…………………………………….42
Section 2. L'existence de garanties en cours de procédure: " l'abus de droit, une arme contentieuse entre les mains du contribuable"………………………………………………..43
§ 1. Des garanties d’origine légale…………………………………………………...43 §2. Des garanties d’origine jurisprudentielle………………………………………...46
Deuxième partie : L'abus de droit, un instrument désuet dans la lutte contre les paradis fiscaux………………………………………………………………………………………...49 Titre 1. l'abus de droit, un instrument en rupture avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux……………………………………………………………………………….49 Chapitre 1. Un instrument dont le recours reste limité à la matière interne: un constat bien réel………………………………………………………………………………………49
Section 1. Un constat résultant de la jurisprudence………………………………………….49 Section 2. Un constat résultant des avis du comité consultatif des abus de droit……………51
Chapitre 2. A la recherche d’une justification…………………………………………...54
Section 1. Les difficultés inhérentes à la preuve de l'abus de droit en présence de paradis fiscaux.………………………………………………………………………………………..54 Section 2. L'existence d'une panoplie d'armes permettant de traquer l'abus de droit en présence de paradis fiscaux……………………………………………………………………………..58
§ 1. Les dispositions spécifiques du CGI. (209B, 155A, 238A, 57,…)………………..58 §2.Les dispositions figurant dans les conventions internationales…………………...62
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Titre 2. L'abus de droit, un instrument en quête de réconciliation avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux……………………………………………………………...65 Chapitre 1. Une réconciliation possible de l'abus de droit avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux…………………………………………………………………...65 Section 1. L'adaptation de la notion d'abus de droit à l'évasion fiscale internationale……….65
§1. Un secret bancaire rompu dans les rapports entre autorités fiscales……………66 §2. En droit interne : une atteinte au principe de la liberté des choix fiscaux………68
Section 2. Une adaptation qui n'est pas sans engendrée certains risques……………………70
§ 1. En droit interne : une atteinte au principe de la liberté des choix fiscaux……...70 § 2. En droit international : la compatibilité de l'art L64. B du LPF. avec les conventions internationales et le droit communautaire………………………………72
A. La question de la compatibilité avec les conventions fiscales.
internationales……………………………………………………………..73 B. La question de la compatibilité avec le droit communautaire……………..74
Chapitre 2. Une impossible réconciliation de l'abus de droit avec sa fonction de lutte contre les paradis fiscaux ou la recherche d'un palliatif……………………………………………...77 Section 1. L'éviction de l'abus de droit à la matière internationale…………………….……..77 Section 2. Une autre solution envisageable…………………………………………………..79
Conclusion……………………………………………………………………………………83 Bibliographie………………………………………………………………………………...85