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Jusqu’à très récemment, le suivi de détails dans les atmosphères planétaires des géantes gazeuses se limitait à Jupiter et Saturne. Une nouvelle frontière est franchie, avec la détection de tempêtes très brillantes sur Uranus et Neptune. Détection de tempête sur Uranus Marc Delcroix – www.astrosurf.com / delcroix Premières observations du Keck Les 5 et 6 août 2014, Imke de Pater observe Uranus à l’observatoire Keck avec un des télescopes de 10 mètres de diamètre, dans l’infrarouge moyen (cf. figure 1). Elle détecte alors des tempêtes massives dans l’atmosphère de la planète, comme cela était déjà arrivé en 2007 à l’équinoxe. Figure 1: Images du Keck des 5 et 6 août 2014 dans l’infrarouge à 1,6µm avec la caméra NIRC2 et de l’optique adaptative. La tempête « K0 » est la plus brillante sur l’image de droite, la « K1 » la plus brillante sur l’image de gauche, en haut. © Imke de Pater (UC Berkeley)/Larry Sromovosky et Pat Fry (U. Wisconsin) / Heidi Hammel (AURA)/Keck observatory Premier réflexe des professionnels de l’équipe après avoir publié leurs premiers résultats, s’adresser à Anthony Wesley et à moi pour faire appel aux observations amateurs de manière à suivre les tempêtes, pouvoir prévoir leur position de manière à demander du temps d’observation sur le télescope spatial et obtenir des observations bien plus détaillées. Grâce à certaines informations que j’obtiens d’eux et au profil des vents uraniens, je peux calculer un éphéméride pour la tempête la plus brillante dite « K0 », que je partage avec la communauté amateur internationale … las, plusieurs observations suspectes sont réalisées, mais pas cohérentes avec ces éphémérides... Premières observations amateurs Enfin le 11 septembre 2014, Régis De-Bénedictis publie des images d’un spot brillant, qui après analyse de ma part confirment bien sa réalité : sur plusieurs images, le spot brillant tourne bien avec la planète et reste sur la même latitude. J’alerte alors les professionnels, et Larry Sromovosky peut retrouver la source de cette tempête « K1 », qui est une tempête différente que « K0 ». C’est désormais suffisamment d’éléments en notre possession pour demander du temps d’observation sur le télescope spatial (programmé pour le 14 octobre 2014). Le 27 septembre, nouvelle observation avec une excellente résolution cette fois-ci de la part de Yann Le Gall, observateur des Yvelines (cf. figure 2). Mon analyse montre que l’on retrouve la tempête sur 4 images, à une position cohérente avec la dérive calculée à partir des images du Keck et celle de Régis De-Bénedictis, et confirmée par les observations de Pascal Bayle. Ces résultats enchantent les professionnels, étonnés par la qualité possible atteignable par les amateurs ... Ces trois premières observations de cette tempête sont toutes réalisées par des amateurs français, au nez et à la barbe de la communauté internationale ! Ce sont aussi les observations les plus convaincantes d’un spot brillant sur Uranus réalisées par des amateurs avec du matériel amateur, d’un diamètre entre 280 et 356mm, avec un filtre infra-rouge passe-haut à 685nm.

Uranus et Neptune. Détection de tempête sur Uranus20M... · Uranus et Neptune. Détection de tempête sur Uranus Marc Delcroix – / delcroix Premières observations du Keck Les

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Page 1: Uranus et Neptune. Détection de tempête sur Uranus20M... · Uranus et Neptune. Détection de tempête sur Uranus Marc Delcroix – / delcroix Premières observations du Keck Les

Jusqu’à très récemment, le suivi de détails dans les atmosphères planétaires des géantes gazeuses se limitaità Jupiter et Saturne. Une nouvelle frontière est franchie, avec la détection de tempêtes très brillantes surUranus et Neptune.

Détection de tempête sur UranusMarc Delcroix – www.astrosurf.com / delcroix

Premières observations du Keck

Les 5 et 6 août 2014, Imke de Pater observe Uranus àl’observatoire Keck avec un des télescopes de 10mètres de diamètre, dans l’infrarouge moyen (cf. figure1). Elle détecte alors des tempêtes massives dansl’atmosphère de la planète, comme cela était déjà arrivéen 2007 à l’équinoxe.

Figure 1: Images du Keck des 5 et 6 août 2014 dans l’infrarouge à 1,6µm avec la caméra NIRC2 et de l’optique adaptative. La tempête « K0 » est la plus brillante sur l’image de droite, la « K1 » la plus brillante sur l’image de gauche, en haut.© Imke de Pater (UC Berkeley)/Larry Sromovosky et PatFry (U. Wisconsin) / Heidi Hammel (AURA)/Keck observatory

Premier réflexe des professionnels de l’équipe aprèsavoir publié leurs premiers résultats, s’adresser àAnthony Wesley et à moi pour faire appel auxobservations amateurs de manière à suivre lestempêtes, pouvoir prévoir leur position de manière àdemander du temps d’observation sur le télescopespatial et obtenir des observations bien plus détaillées.Grâce à certaines informations que j’obtiens d’eux et auprofil des vents uraniens, je peux calculer unéphéméride pour la tempête la plus brillante dite « K0 »,que je partage avec la communauté amateurinternationale … las, plusieurs observations suspectessont réalisées, mais pas cohérentes avec ceséphémérides...

Premières observations amateurs

Enfin le 11 septembre 2014, Régis De-Bénedictis publiedes images d’un spot brillant, qui après analyse de mapart confirment bien sa réalité : sur plusieurs images, lespot brillant tourne bien avec la planète et reste sur lamême latitude. J’alerte alors les professionnels, et LarrySromovosky peut retrouver la source de cette tempête« K1 », qui est une tempête différente que « K0 ». C’est

désormais suffisamment d’éléments en notrepossession pour demander du temps d’observation surle télescope spatial (programmé pour le 14 octobre2014). Le 27 septembre, nouvelle observation avec uneexcellente résolution cette fois-ci de la part de Yann LeGall, observateur des Yvelines (cf. figure 2). Monanalyse montre que l’on retrouve la tempête sur 4images, à une position cohérente avec la dérivecalculée à partir des images du Keck et celle de RégisDe-Bénedictis, et confirmée par les observations dePascal Bayle. Ces résultats enchantent lesprofessionnels, étonnés par la qualité possibleatteignable par les amateurs ...Ces trois premières observations de cette tempête sonttoutes réalisées par des amateurs français, au nez et àla barbe de la communauté internationale ! Ce sontaussi les observations les plus convaincantes d’un spotbrillant sur Uranus réalisées par des amateurs avec dumatériel amateur, d’un diamètre entre 280 et 356mm,avec un filtre infra-rouge passe-haut à 685nm.

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Figure 2: Tempête « K1 » imagée par Yann Le Gall le 27septembre 2014 analysée par Marc Delcroix

Suite de l’histoire …

Les observations des amateurs confirmant parfaitementles éphémérides de « K1 » calculées à partir desimages du Keck, je publie à nouveau ces éphéméridesà la communauté internationale, et les imagess’enchaînent le premier et le deux octobre. Jeprogramme alors une mission au télescope de un mètredu Pic du Midi pour observer le transit du 4 octobre autélescope de un mètre, avec succès : la tempête estvisible sur deux heures d’acquisition, présentant unenette surbrillance lors de son transit.

Fin de l’histoire ?

La fin de l’histoire de cette tempête qui marqueraréellement la contribution des télescopes amateurs àl’étude de l’atmosphère d’Uranus n’est pas encoreconnue à l’heure où j’écris ces lignes, début octobre,trois mois après la découverte du Keck. Le télescopespatial, peut-être d’autres télescopes professionnels, etsûrement beaucoup de télescopes amateurs setourneront vers la première des géantes de glace, poursuivre son évolution. Une chose est sûre, nous avonsprouvé aux professionnels l’apport que nous pouvonsavoir au suivi de cette planète, après Jupiter et Saturne…

P.S. : Comment contribuer ?

Uranus est une planète difficile, nécessitant un très bonseeing et du matériel parfaitement réglé (mise entempérature, collimation) pour révéler des détails,généralement dans l’infrarouge, voire avec un filtre pluslumineux mais moins contrasté laissant passer un peuplus de lumière rouge comme un filtre passe-haut à610nm. Pour que tout détail soit confirmé et mesuréutilement, il faut impérativement :- donner les informations pour orienter l’image (nousn’avons pas ici les détails connus de Jupiter ou l’anneaude Saturne pour s’orienter). Filmer la planète dérivantsans suivi pourra donner la direction de l’ascensiondroite. Surtout avoir un satellite au moins dans l’imagepermettra de parfaitement caler l’orientation et lecontour de la planète - Ariel, Umbriel, et les pluséloignés Titania et Obéron sont souvent noyés dans lefond de l’image, mais distinguables : il ne faut doncjamais lever le niveau noir de l’image ce qui les feraitdisparaître, et présenter des images suffisamment largepour les laisser apparaître.- faire plusieurs films pour confirmer le détail. Si le détailapparaît à nouveau à la bonne position en tournant lacaméra de 90° entre deux films, le détail n’est pas unartefact. Dans tous les cas, plusieurs films montrant ledétail tournant avec la planète le confirmera.- donner les informations pour dater l’image (heure TUdu milieu de l’acquisition, avec un PC à l’heure)permettra de mesurer correctement la longitude dudétail.

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L’auteur des images ______________________________

Yann Le Gall pratique l'astronomie depuis 2002essentiellement en Ile de France.« A mes début en astrophotographie en 2004, j’utilise unSchmidt-Cassegrain C11 sur une monture équatorialeEQ6, mais l'envie d'augmenter le diamètre m'a poussé àfaire le choix d'un Dobson SkyVision de 381mm montésur une table équatoriale.La plateforme a la particularité d’être motorisée sur lesdeux axes ce qui facilite grandement l'imagerie. Sonprincipal avantage est de réduire les coûts par rapportau prix d'une monture allemande qui serait capable degérer un télescope de gros diamètre. Le suivi d'un astrea fort grossissement ne pose aucun problème grâce à laraquette de commande. Le seul véritable inconvénientde cette formule est que l'on doit remonter lemécanisme de suivi toutes les 1h30 et donc nécessitede repointer l’objet observé.

Figure 3: Matériel qui a permis de réaliser les images d'Uranus du 27 septembre 2014: Dobson "Skyvision" de15" à F/D 22, miroir "Astrotelescope", table équatoriale "Equatorial Platform", Porte-Oculaire "Starlight", barlow "televue x3", roue à filtre, correcteur de dispersion atmosphérique "Pierro Astro" et caméra CCD Manta 283

Observant la plupart du temps en région parisienne, j’aiquelques difficultés pour pratiquer correctement le cielprofond pour cause de pollution lumineuse. Par contrele seing des Yvelines est parfois très bon, je m’investisdonc davantage dans l’observation planétaire, unediscipline passionnante. Car l’aspect des planèteschange régulièrement et des événements inhabituelspeuvent s’y produire (tempêtes, impact de météorite…) .Des observations rendues d’autant plus intéressantesgrâce à des passionnés comme Marc Delcroix etChristophe Pellier de la commission des observationsplanétaires de la SAF : ils nous expliquent et analysentles phénomènes que l’on observe sur nos images, deplus ils partagent nos travaux avec les professionnelsqui peuvent en avoir besoin, pour par exemple mieuxsurveiller et donc mieux comprendre certainsphénomènes météorologiques. »

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L’auteur ______________________________Marc Delcroix est passionné par l’astronomie depuis saplus tendre enfance : les images planétaires des sondesPioneer et Voyager déjà le faisait rêver.

« C’est en 2006 que je me suis mis très sérieusement àl’observation planétaire, avec un Schmidt-Cassegrain de254mm de diamètre et une webcam en banlieuetoulousaine (j’ai depuis changé pour un DobsonSkyvision de 320mm de diamètre sur plateformeéquatoriale, convaincu par les résultats obtenus parYann Le Gall). Je garde un souvenir inoubliable de mapremière vision de Saturne à l’oculaire de cetinstrument, une émotion profonde et indicible. J’ai purapidement progresser dans mes observations grâce àinternet et la communauté des amateurs et j’airapidement voulu faire plus que de la belle image etcomprendre ce que j’imageais.

En contact avec Christophe Pellier, je suis entré à lacommission des observations planétaires de la SociétéAstronomique de France (dont je suis actuellementresponsable). J’ai pris comme sujet d’étude Saturne(Mars et Jupiter étaient alors abondamment étudiés) quime paraissait plus simple vu le peu de détails que l’on yvoyait. Pourtant dès 2007 j’ai commencé à échangeravec des professionnels, identifier les sources desorages observés par l’instrumentation radio de la sondeCassini, non seulement sur mes images mais sur cellesde toute la communauté des amateurs planétairesmondiale. J’ai pu également être au cœur del’événement de la grande tempête de 2010 en lasuivant sur nos images depuis sa naissance et encollaborant avec les grands noms de l’astronomieplanétaire professionnelle mondiale, reconnue par laparticipation à l’écriture de plusieurs articles dans lesrevues références. La nouvelle frontière m’intéressantest désormais la détection de zones brillantes surNeptune (sur des images amateurs en 2013) et destempêtes sur Uranus. Ce que peuvent faire désormaisles amateurs ! Je mène aussi le projet d’estimation de lafréquence d’impacts sur Jupiter grâce à un logiciel dedétection d’impacts sur nos vidéos amateurs. J’ai lachance de pouvoir également imager les planètes auPic du Midi, sur le télescope mythique d’un mètre qui afait beaucoup pour la science planétaire, et dans lequelj’ai pu revivre l’émotion de la vision de la beauté deSaturne et de ses magnifiques anneaux.

Je cherche à promouvoir notre travail d’amateursauprès des professionnels, et susciter les collaborationsentre nous. Notamment au travers de l’animation desessions sur les collaboration pro-am au congrèsprofessionnel annuel européen de la science planétaire(European Planetary Science Congress) organisé parEuroplanet. Toutes ces études et ces collaborationsavec les pros sur ces magnifiques planètes géantessont pour moi comme un rêve d’enfant que je n’auraijamais cru possible de réaliser ...»