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La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue Vol. XV - n ° 1 - janvier-février 2012 | 39 EVIDENCE-BASED MEDICINE Nutrition Utilisation des orexigènes pour le traitement de l’anorexie au cours du cancer P. Crenn (Garches) L a réduction des ingesta en cancérologie est l’un des mécanismes majeurs à l’origine de la dénutrition et de la perte de poids. La préva- lence de l’anorexie du patient atteint d’un cancer varie selon les tumeurs. Elle est quasi constante en situation palliative avancée. Un médicament est considéré comme ayant un effet orexigène quand il permet d’augmenter l’appétit. Aucun produit n’a une action sur l’ensemble des causes et des voies impliquées. Certains produits ont également une action anabolisante et/ou anti- cachectisante. Corticoïdes Ils agissent par stimulation centrale de l’appétit et par diminution de production de cytokines péri- phériques. La dexaméthasone, la prednisolone et la méthylprednisolone ont été testées pour leurs effets orexigènes, toujours en situation avancée ou palliative. Les études randomisées comparant corticoïdes et placebo sont anciennes. Deux autres études ont comparé les corticoïdes à l’acétate de mégestrol. L’effet orexigène a été demontré (1). Un gain variable de poids par rétention hydro- sodée et une augmentation de tissu graisseux ainsi qu’une augmentation de la sensation de bien-être ont été observés. Les modalités de prescription (dose, durée) restent cependant imprécises et la surveillance des effets indésirables, qui réduisent le bénéfice espéré, est indispensable. Progestatifs de synthèse De nombreuses études randomisées en double aveugle et méta-analyses ont montré que ces produits stimulent l’appétit et entraînent une prise de poids prédominant sur le tissu graisseux (2, 3) . Les résultats relatifs aux corticoïdes ont retrouvé un effet semblable sur l’augmentation de la prise alimentaire, mais les progestatifs de synthèse occasionnent moins d’effets indésirables, en dehors des thromboses veineuses. Les posolo- gies d’acétate de mégestrol sont variables (160 à 1 600 mg/j) sans détermination d’une dose opti- male. Les effets indésirables les plus fréquents sont les œdèmes et les thromboses veineuses (5 %). L’acétate de médroxyprogestérone (200 à 1 500 mg/j) a été moins étudié. Produits inefficaces Le sulfate d’hydralazine, la pentoxyfilline, la nandrolone et le dronabinol, ainsi que plus récem- ment les anticorps monoclonaux anti-TNFα injec- tables, sont des médicaments qui ont été évalués négativement. Produits nécessitant des études prospectives randomisées Mirtazapine ; métoclopramide et neuroleptiques. Thalidomide. Agoniste de la ghréline. Cyproheptadine. Antagoniste des récepteurs de la mélanocortine. Au cours des cancers digestifs, les orexigènes peuvent être proposés dans le but d’améliorer une anorexie quand elle est une plainte caractérisée, après échec des mesures diététiques et des compléments nutritionnels oraux. L’acétate de mégestrol ou de médroxyprogestérone et les corti- coïdes ont prouvé leur efficacité sur l’appétit et le poids en cures “courtes” (< 1 mois pour les corticoïdes, 2 à 3 mois pour les progestatifs). Les critères d’arrêt, en dehors de la mauvaise tolérance (risque thrombogène des progestatifs), ne sont pas définis. Ce qu’il faut retenir niveau de preuve 1

Utilisation des orexigènes pour le traitement de l

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La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012 | 39

EVIDENCE-BASED MEDICINENutrition

Utilisation des orexigènes pour le traitement de l’anorexie au cours du cancerP. Crenn (Garches)

L a réduction des ingesta en cancérologie est l’un des mécanismes majeurs à l’origine de la dénutrition et de la perte de poids. La préva-

lence de l’anorexie du patient atteint d’un cancer varie selon les tumeurs. Elle est quasi constante en situation palliative avancée. Un médicament est considéré comme ayant un effet orexigène quand il permet d’augmenter l’appétit. Aucun produit n’a une action sur l’ensemble des causes et des voies impliquées. Certains produits ont également une action anabolisante et/ou anti-cachectisante.

Corticoïdes

Ils agissent par stimulation centrale de l’appétit et par diminution de production de cytokines péri-phériques. La dexaméthasone, la prednisolone et la méthylprednisolone ont été testées pour leurs effets orexigènes, toujours en situation avancée ou palliative. Les études randomisées comparant corticoïdes et placebo sont anciennes. Deux autres études ont comparé les corticoïdes à l’acétate de mégestrol. L’effet orexigène a été demontré (1). Un gain variable de poids par rétention hydro-sodée et une augmentation de tissu graisseux ainsi qu’une augmentation de la sensation de bien-être ont été observés. Les modalités de prescription (dose, durée) restent cependant imprécises et la surveillance des effets indésirables, qui réduisent le bénéfice espéré, est indispensable.

Progestatifs de synthèse

De nombreuses études randomisées en double aveugle et méta-analyses ont montré que ces produits stimulent l’appétit et entraînent une prise de poids prédominant sur le tissu graisseux (2, 3). Les résultats relatifs aux corticoïdes ont retrouvé un effet semblable sur l’augmentation

de la prise alimentaire, mais les progestatifs de synthèse occasionnent moins d’effets indésirables, en dehors des thromboses veineuses. Les posolo-gies d’acétate de mégestrol sont variables (160 à 1 600 mg/j) sans détermination d’une dose opti-male. Les effets indésirables les plus fréquents sont les œdèmes et les thromboses veineuses (5 %). L’acétate de médroxyprogestérone (200 à 1 500 mg/j) a été moins étudié.

Produits inefficaces

Le sulfate d’hydralazine, la pentoxyfilline, la nandrolone et le dronabinol, ainsi que plus récem-ment les anticorps monoclonaux anti-TNFα injec-tables, sont des médicaments qui ont été évalués négativement.

Produits nécessitant des études prospectives randomisées

➤ Mirtazapine ; métoclopramide et neuroleptiques. ➤ Thalidomide. ➤ Agoniste de la ghréline. ➤ Cyproheptadine. ➤ Antagoniste des récepteurs de la mélanocortine.

Au cours des cancers digestifs, les orexigènes peuvent être proposés dans le but d’améliorer une anorexie quand elle est une plainte caractérisée, après échec des mesures diététiques et des compléments nutritionnels oraux. L’acétate de mégestrol ou de médroxyprogestérone et les corti-coïdes ont prouvé leur efficacité sur l’appétit et le poids en cures “courtes” (< 1 mois pour les corticoïdes, 2 à 3 mois pour les progestatifs). Les critères d’arrêt, en dehors de la mauvaise tolérance (risque thrombogène des progestatifs), ne sont pas définis.

Ce qu’il faut retenir

niveau de preuve 1

Objectif oncologie digestive

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Avec le soutien institutionnel deDirecteur de la publication : Claudie Damour-Terrasson

Rédacteur en chef : Pr Jean-François Morère

Sous l’égide de

Dr Denis Smith Dr Jean-Marc Phelip

Pr Thomas Aparicio

Émissions présentéespar le Dr Alain Ducardonnet

Pr Michel Ducreux

par le Dr Alain Ducardonnet

Pr Marc Ychou

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40 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012

EVIDENCE-BASED MEDICINENutrition

Les acides gras n-3 sont-ils efficaces pour traiter la cachexie induite par le cancer ?X. Hébuterne (Nice)

La perte de poids et la cachexie sont souvent observées au cours de l’évolution des patho-logies cancéreuses. Les cytokines et/ou autres

substances produites par la tumeur (PIF, facteur induction de protéolyse [Proteolysis-inducing factor] ; LMF, facteur de mobilisation lipidique) ou par la relation hôte-tumeur ont été retrouvées comme médiateurs de cette dénutrition. La modification de l’appétit est également un des effets de ces média-teurs et des cytokines ou des troubles de la sécrétion de certaines hormones. Les acides gras n-3 changent la composition lipidique des membranes cellulaires, ce qui entraîne une modification de la fluidité de la membrane et des produits de l’hydrolyse lipidique

Chez les malades cachectiques porteurs d’un cancer, une complémen-tation en acides gras polyinsaturés (AGPI) n-3 d’au moins 2 g/j ralentit la perte pondérale (grade 2).À cette posologie, la tolérance est bonne et les effets indésirables sont mineurs (grade 1).L’utilisation de compléments nutritionnels oraux enrichis en AGPI n-3 semble plus efficace qu’une complémentation seule sous la forme de gélules (grade 3). Pour être efficace, la durée de la complémentation doit être d’au moins 8 semaines (grade 3).

Ce qu’il faut retenir

Questions non résolues

» “La dose optimale, la durée et le moment pour commencer un traitement par orexi-gènes chez les patients cancéreux hypophagiques restent très mal connus. Une recherche spéci-fique avec des moyens de mesure reconnus est nécessaire” (4).

» D’autres molécules, telles que les agonistes de la ghréline, régulant le centre de l’appétit, seraient à étudier de manière plus approfondie pour leur action orexigène (tableau).

Tableau. Orexigènes en cancérologie : niveau de preuve scientifique.

Produits Niveau de preuve sur l’anorexie

Efficaces sur l’anorexieCorticoïdes (prednisolone, méthylprednisolone)Acétate de mégestrolAcétate de médroxyprogestérone

111

Non efficacesCannabinoïdesSulfate d’hydralazinePentoxifyllineNandroloneAnticorps anti-TNFα (étanercept, infliximab)

22242

À évaluer dans des études complémentairesThalidomide*CyproheptadineMirtazapineMétoclopramideMélatonineAgoniste de la ghréline

244444

*Non orexigène, mais anticatabolisant.

Références bibliographiques1. Desport JC, Gory-Delabaere G, Blanc-Vincent MP et al. Stan-dards, Options and Recommendations for the use of appetite stimulants in oncology (2000). Br J Cancer 2003;89(Suppl.1):S98-S100.2. Pascual Lopez A, Roque i Figuls M, Urrutia Cuchi G et al. Syste-matic review of megestrol acetate in the treatment of anorexia-cachexia syndrome. J Pain Symptom Manage 2004;27:360-9.

3. Berenstein EG, Ortiz Z. Megestrol acetate for the treatment of anorexia-cachexia syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2005:CD004310.4. Yavuzsen T, Davis MP, Walsh D, LeGrand S, Lagman R. Systematic review of the treatment of cancer-associated anorexia and weight loss. J Clin Oncol 2005;23:8500-11.