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Utilisation et détournement des valeurs, des attributs et de la pratique
des sports de combat et arts martiaux dans la publicité
Ugo ROUX, Jacques CRÉMIEUX, Éric BOUTIN
Thème(s) : média, publicité
Mots-clés : publicité, valeurs, attributs, détournements
Introduction
La publicité est principalement une communication commerciale (Dayan, 2005) –
mais pas que – de masse et donc impersonnelle. Son but est de promouvoir un produit,
une entreprise, une marque, une cause, ou autre, qui est identifié dans le message. Elle
est diffusée de façon unilatérale (de l’annonceur/émetteur vers le récepteur) par
l’intermédiaire de médias et autres supports. Étant une communication persuasive, elle
s’appuie sur un sens commun, variant selon les cultures et les groupes sociaux (Rouvrais -
Charron, 2005). Elle fait également appel à l’émotion, le symbolique et l’imaginaire, et
cela est particulièrement vrai avec le sport (Dupont, 1999) puisque de manière générale,
« on l’a dit bien souvent, le langage sportif, tant écrit qu’audiovisuel, vise à faire
partager la tension, l’enthousiasme, l’émotion et se construit sur une succession de
signes qui frappent l’imaginaire de plein fouet » (Bouillin-Dartevelle, 1993, p. 75). En
effet, le sport véhicule des valeurs de dépassement de soi, d’effort, de courage, d’esprit
d’équipe, d’accomplissement, pour ne citer que celles-ci, que la publicité se réapproprie
pour les associer à la marque et au produit qu’elle présente. On peut ainsi dire que « […]
la publicité popularise le sport en tant qu’idéologie du bien-être et de la réussite : « Aller
plus loin, plus haut, jusqu’au bout, s’accomplir » » (Dupont, 1999, p. 89). Dans le
domaine du sport il faut distinguer deux types de publicités : celles qui font la promotion
du sport et des produits complémentaires (e.g. équipements sportifs), et celles qui
utilisent le sport, tel un faire-valoir, pour la promotion d’une marque et/ou d’un produit
sans rapport.
Les arts martiaux dans la publicité
Comme le souligne Doganis, « les « arts martiaux » asiatiques connaissent ces
dernières années un impressionnant phénomène de mode, parallèle à une vogue plus
générale de tout ce qui touche de près ou de loin à la culture asiatique, de la « médecine
orientale » aux « sagesses d’orient », en passant par les idéogrammes chinois, sous
forme de logos vestimentaires ou de tatouages » (Doganis, 2003, 2009). Effectivement,
parmi les sports, les sports de combat et arts martiaux en particulier exercent une
fascination et une influence telle que la culture populaire reprend et parfois détourne
leurs codes et leur pratique pour en véhiculer les valeurs, les mythes, les clichés, ou les
performances de leurs pratiquants, même les plus illustres (Kato, 2007). Cette influence
est d’autant plus remarquable qu’elle ne reflète pas leur pratique en termes de licenciés
dans les diverses fédérations de sports. En France, la pratique licenciée sportive ayant le
plus de licenciés parmi les fédérations unisport olympiques est le football (1 988 505
licenciés), alors que le judo – premier art martial en termes de licenciés – n’arrive qu’à
la quatrième place (561 163 licenciés) (le karaté – deuxième art martial le plus pratiqué
– n’arrivant qu’à la deuxième des pratiques licenciées sportives parmi les fédérations
unisport non-olympiques avec 223 344 licenciés)1. Cependant, ce sont les sports de
combat et les arts martiaux qui sont les plus représentés dans la culture populaire.
L’exemple le plus frappant de ce contraste entre nombre de pratiquants et représentation
est l’utilisation de l’image du sumo ; combien existe-t-il de pratiquants de cette discipline
par rapport au nombre de fois où l’on voit un rikishi (lutteur de sumo) dans une publicité ?
Si les reprises répétées par le cinéma et l’industrie vidéoludique sont évidentes et
font partie, en quelques sortes, de l’inconscient collectif, celles réalisées par la publicité
le sont moins. Ces dernières multiplient les clins d’œil aux sports en général, et plus
particulièrement aux sports de combat et arts martiaux afin de se réapproprier leurs
valeurs et attributs supposés pour les appliquer aux produits et marques dont elles vantent
les mérites. Les messages publicitaires mettent donc en scène « des sports
d’affrontement, durs et violents, pleins d’agressivité et où l’exercice physique brut
domine » (Dupont, 1999, p. 90). Ces pratiques peuvent être également tournées à la
dérision et l’on peut ainsi observer dans certains spots publicitaires un sumo éprouver la
résistance de baies vitrées, un karatéka chasser une mouche, des mamans commenter le
1 Chiffres gouvernement (voir webographie).
randori de leurs enfants judokas, entre autres. Ce ne sont pas les exemples qui manquent.
D’un autre côté « le discours sportif de la publicité est d’abord entretenu par le jeu des
personnages, notamment par les athlètes amateurs et professionnels » (Dupont, 1999, p.
88). On peut alors remarquer que des champions sportifs célèbres prêtent leur image aux
publicités. Ces derniers mettent à la disposition de la marque – au-delà de leurs
performances – leur capital sympathie, leur notoriété, leur personnalité, entre autres. Bien
sûr, ce procédé utilise les athlètes afin de créer un lien produit/star et de la visibilité
auprès du public (Dupont, 1999). On peut notamment citer Renault, Pitch ou encore
Powerade qui exploitent l’image de Teddy Rinner, Pink Watch qui met en scène Jérôme
Le Banner, et Coca-Cola et Brossard qui ont fait appel à David Douillet, pour ne se
limiter qu’au domaine des pratiquants français célèbres d’arts martiaux et sports de
combat. Bien sûr, « le succès de visibilité des athlètes amateurs et professionnels
n’explique toutefois pas à lui seul les attraits du sport pour le publicitaire. La perception
que le public se fait de l’identité de l’entreprise est également en jeu et c’est
probablement à ce niveau que le sport, en tant que parole commerciale, se fait le plus
efficace » (Dupont, 1999, p. 89). Cette méthode permet également de présenter des
produits comme s’ils étaient à l’origine des performances des athlètes ou bien de mettre
en situation des athlètes qui prêtent leur force à une marque pour démontrer comment
celle-ci est aussi performante qu’eux.
« […] il nous est apparu que la réception des messages médiatiques se greffe le
plus souvent sur des représentations éparses, sur des isolats d’opinion sécrétés par
l’environnement proche du sujet mais plus souvent liés entre eux par un substrat
affectif que par des connexions logiques. En ce sens, un même message peut avoir
des incidences fort diversifiées non seulement en fonction des groupes sociaux, des
groupes d’âge, mais aussi de l’évolution personnelle de l’individu dans le temps et
de la définition de son territoire socio-affectif. » (Bouillin-Dartevelle, 1993, pp. 67-
68).
Les résultats de ces diverses utilisations peuvent donc être variés. Si certaines
publicités font sourire, d’autres en revanche obtiennent le résultat inverse, des fois au
point de choquer l’audience. Certains auteurs ont ainsi pu constater à quel point « les
messages médiatiques de tous types pouvaient être déviés, freinés, voire rejetés lorsqu ’ils
heurtaient ou simplement n’adhéraient pas au système de conduite habituellement
privilégié (Bouillin-Dartevelle, 1987, 1992) » (Bouillin-Dartevelle, 1993, p. 67). Nous
proposons une réflexion autour de quelques publicités et sur les éléments utilisés pour
véhiculer leur message et/ou vendre leur(s) produit(s).
Exemple d’un détournement raté : cas de la publicité pour l’Union Européenne
censurée pour accusations de racisme
La publicité dont il est question est un spot commandé et payé par la Direction
générale de l’administration de la Commission européenne pour la promotion de
l’élargissement de l’Union Européenne auprès des jeunes. Elle a été diffusée le 6 mars
2012 mais, suite au tollé qu’elle a provoqué, cette dernière a été retirée rapidement après
sa diffusion. Pour retrouver cette vidéo sur le Net, il suffit de taper les mots-clés suivants
sur Google : « publicité Europe raciste ». Cette publicité a, pour ainsi dire, fait l’objet
d’un « bad buzz » ; il faut entendre par là qu’elle a effectivement connu une forte
notoriété mais pour de mauvaises raisons. En effet, le message que véhiculait ce spot
publicitaire a été qualifié de raciste par une partie du public qui a été choqué en le
découvrant. La création du « bad buzz » a été d’autant plus facilitée que les contenus
socialement inappropriés et contraires à l’éthique (e.g. racisme, violence) génèrent une
importante intention de partage desdits contenus, entre autres, via les réseaux sociaux
(Huang et al., 2013).
Figure 1. Photogramme publicité Europe
Afin de se faire une idée de ce spot publicitaire2, nous en livrons une description
succincte (voir également la figure 1). Une jeune femme blanche, vêtue de la même
combinaison jaune et noire que celle que portait Bruce Lee dans le Jeu de la mort (puis
reprise par Uma Thurman dans Kill Bill de Quentin Tarantino), marche seule dans ce qui
semble être une gare désaffectée. Elle se retourne et voit un homme a priori chinois qui
pratique une forme de wushu et qui porte une tenue en adéquation ; celui-ci saute d’une
2 Le spot publicitaire en question est disponible aux adresses suivantes :
https://www.youtube.com/watch?v=AyZghwIxTpM
http://www.dailymotion.com/video/xpb8ug_un-clip-raciste-edite-par-l-union-europeenne_news
haute fenêtre pour atterrir devant elle. L’homme fait une démonstration de son art martial
à la jeune femme dans le but de certainement l’intimider. La jeune femme se retourne
une nouvelle fois et voit un homme s’approcher en lévitant. Cet homme est semble-t-il
d’origine indienne. Il est même plus correct de préciser qu’il est sikh à en juger par son
habit traditionnel. Il pratique le Gatka et est armé d’un sabre qu’il brandit en direction
de la femme. Cette dernière regarde une dernière fois dans une autre direction et voit un
dernier homme entrer avec fracas dans le hangar en défonçant une porte. Celui -ci est de
toute évidence brésilien si l’on se fie à sa démonstration de capoeira. Ces trois hommes
qui font face à la jeune femme font preuve d’un comportement belliqueux alors que la
protagoniste n’a jamais perdu son sang-froid malgré le fait qu’elle soit à une contre trois.
Alors qu’elle ferme les yeux et respire profondément, la femme adopte une position
particulière et se démultiplie jusqu’à encercler les trois individus agressifs. Ces derniers,
en infériorité numérique, se résolvent à se rendre. Tous s’assoient en tailleur. On observe
alors en plongée la scène et l’on voit les trois agresseurs disparaître. La protagoniste et
ses doubles se transforment en étoiles composant le drapeau de l’Union Européenne. Un
slogan apparaît : « plus nous sommes nombreux, plus nous sommes forts »3, puis une
infographie stylisée de l’Europe.
Le message est clair pour certains détracteurs ; le commentaire qui suit est un
condensé de leur interprétation de la publicité4. La femme incarne une Europe forte, sage
et unie. Elle fait face en toute sérénité aux agressions des pays étrangers – ou puissances
émergentes – qui sont personnifiés par les trois pratiquants d’arts martiaux. Ces derniers
sont moins civilisés et n’ont que la violence pour obtenir ce qu’ils désirent alors que
l’Europe résout les tensions efficacement et instantanément par la non-violence. Elle
impose le respect et la crainte. Elle instaure le dialogue face à des peuples qu ’elle éduque.
Cette mise en scène trahirait un complexe de supériorité de l’Union Européenne vis-à-
vis de pays qui lui sont extérieurs. Certains vont jusqu’à dire qu’il s’agit d’une
réminiscence de l’époque coloniale. D’autres précisent que ce complexe de supériorité
n’a pas lieu d’être quand on observe la croissance économique des pays visés qui est plus
élevée que celle des pays de l’Union Européenne. Il leur semble également injustifié de
3 « The more we are, the stronger we are. » 4 Ce condensé est permis par la lecture de commentaires présents sur les différents sites hébergeant la
vidéo et proposant un article sur elle.
se positionner comme un regroupement de nations solidaires alors qu ’il existe des
dissensions au sein même de l’Union Européenne.
Face aux vives réactions du public, le directeur du département concerné, Stefano
Sannino, s’est justifié dans un communiqué : « Le clip n’était évidemment pas destiné à
être raciste et nous regrettons qu’il ait été perçu comme tel. Nous présentons nos excuses
à tous ceux qui ont pu se sentir offensés. (...) Ce clip visait les jeunes habitués des jeux
vidéos et amateurs d’arts martiaux ». Suite à la controverse, le spot a été retiré quelques
heures après sa diffusion (L’OBS, Libération et l’Express).
Raciste ou pas, cela ne nous appartient pas d’en juger et nous n’apporterons aucun
élément dans le but d’alimenter la polémique. Toujours est-il que nous pouvons apporter
certaines critiques quant à la réappropriation des valeurs, des attributs et de la pratique
des sports de combat et arts martiaux présentés. Premier détail, la combinaison de la
jeune femme. Celle-ci tire son origine dans un film américain (Le jeu de la mort) avec
un acteur sino-américain (Bruce Lee). La position particulière qu’adopte la jeune femme
(debout, pieds joints, bras écartés sur les côtés, paumes relevées) est une position présente
dans des katas de karaté (notamment dans Unsu où l’on débute le kata dans cette
position). Enfin, sa démultiplication est peut-être un clin d’œil au manga Naruto. En
effet, dans cette œuvre de fiction, il existe une technique ninja qui s ’appelle le Kage
Bunshin No Jutsu et qui permet à son utilisateur de créer de nombreux clones de lui -
même. Enfin, le Sikh arrive en lévitant. Cette publicité emprunte donc aux arts martiaux
et sports de combats orientaux, à la fois leur pratique, leurs techniques et leurs attributs ,
mais aussi les mythes qu’ils véhiculent et qui sont entretenus par la culture populaire
(e.g. films, mangas, animes). Il est effectivement étonnant de voir une publicité qui vante
les mérites de l’Europe mais qui ne mette pas en avant, par le biais de la protagoniste qui
personnifie l’Union Européenne, les Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE). Pour
ce qui est des valeurs et de l’éthique, cette publicité semble aller à l’encontre des codes
moraux et d’honneur que les fédérations actuelles d’arts martiaux et sports de combat
mettent en avant. Effectivement, pour accentuer le côté agressif des assaillants, la
publicité fait l’impasse sur ces codes. Seule l’Europe semble appliquer ces codes.
Exemple d’un détournement réussi : cas de la publicité Pepsi « way of the kung fu »
La publicité ici traitée est un spot publicitaire de la marque Pepsi dont le titre est
« way of the kung fu ». Elle a été réalisée par Tarsem et produite par @radical.media
pour l’agence de publicité CLM & BBDO. Il s’agit d’une vidéo humoristique qui met en
scène un personnage évoluant dans un cadre proche de celui de Shaolin. Cette publicité
repose sur l’humour et certaines références à la culture populaire. Il est à noter que Pepsi
est un habitué du détournement des arts martiaux et sports de combat dans ses spots
publicitaires. En effet, nous pouvons citer les publicités « Can Fu » et « Fire and Ice »
qui mettaient en scène des pratiquants d’arts martiaux chinois, les publicités « The
Sumos », « Rematch » et « Sumo Rev » qui exploitaient l’image du sumo, ou encore les
publicités « Samuraï » et « Teaching Lesson » où des kendokas s’affrontaient, la
publicité « Gladiator » avec ses gladiateurs, et enfin les publicités « Footbattle » et
« Braveheart » qui détournaient des éléments des arts martiaux historiques européens
(AMHE). Accessoirement, ces publicités mettent également en scène des célébrités
issues du monde sportif (en particulier du football).
Figure 2. Photogramme « Way of the kung fu » - © Pepsi
Nous réitérons l’exercice de livrer une description de la scène présentée dans la
publicité (voir également la figure 2)5. Un enfant vient taper à la porte d’un temple à
l’image des temples bouddhistes. La porte est décorée d’un symbole mystérieux. Un
vieux moine avec le même symbole sur le front ouvre à l’enfant et l’accompagne au sein
du temple où il voit, tout le long du chemin, d’autres moines avec le même symbole sur
le front. L’enfant, désormais vêtu d’habits semblables à ceux des moines Shaolin, se fait
5 Le spot publicitaire en question est disponible à l’adresse suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=DFkPZ8GRImo
raser le crâne. Il entame alors un long entraînement dans les arts martiaux sous la
supervision du vieux moine qui l’avait accueilli à son entrée. Ses débuts sont éprouvants
et frustrants. Le vieux moine semble exaspéré devant le manque de progrès ; le jeune
garçon le semble d’ailleurs lui aussi. Une ellipse révèle le protagoniste, devenu adulte,
qui dévoile, lors d’une démonstration et devant les autres moines, les progrès
spectaculaires réalisés durant toutes ces années d’entraînement. En effet, ce dernier fait
montre d’une grande technicité dans son art martial. Une fois la démonstration terminée,
tous saisissent une canette de Pepsi et la boivent. Lorsque les canettes sont bues, tous les
moines observent le protagoniste et semblent attendre quelque chose de lui. Le jeune
moine réalise alors que le symbole mystérieux qui orne le front des autres moines et dont
il est dépourvu n’est autre que la représentation graphique du sommet des canettes. Il
écrase alors la canette devant lui d’un coup de tête et obtient finalement sur son front le
symbole qui l’unit au reste de la communauté ; il est félicité par tous. La publicité
s’achève sur la signature « Ask for more ».
Il est de notoriété publique que les sodas tels que le Pepsi ne sont pas spécialement
bons pour la santé et qu’ils ne correspondent pas à l’idée que l’on pourrait se faire d’un
régime sportif. Or, Pepsi emploie tout de même l’image sportive et ce qui s’y rattache
pour promouvoir son produit comme si ce dernier favorisait une bonne santé, le
développement physique et la performance. En conséquence de quoi il est conseillé d’en
boire. Pour ce faire, dans la publicité concernée, on peut y voir des individus en pleine
santé et athlétiques. Il s’agit de moines de Shaolin qui ont une hygiène de vie
irréprochable. Ils sont notamment connus pour être de grands pratiquants d’arts martiaux.
Ces derniers ont un régime végétarien. Pourtant, la publicité les met en scène buvant du
Pepsi. Que devons-nous comprendre ? Et bien que si des gens aussi sains, vertueux, sages
et athlétiques que des moines Shaolin boivent du Pepsi, c’est que cela doit être bon pour
la santé et que nous pouvons leur faire confiance pour suivre leur exemple. La méthode
marketing ne s’arrête pas là. En effet, dans la publicité traitée, la marque joue également
sur un certain nombre de valeurs propres à la culture chinoise et à ses arts martiaux
qu’elle se réapproprie. Nous proposons d’en étudier quelques-unes. Premièrement, les
moines de Shaolin sont connus et respectés mondialement pour leur rigueur et leur
discipline dans leurs pratiques martiales et spirituelles. Des sources font référence à la
participation des moines du monastère Shaolin à des combats vers l ’an 610, sans qu’il
n’existe pour autant un style propre au monastère (Shahar, 2008). L’utilisation de l’image
du vieux « sifu » n’est pas innocente non plus. Les personnes âgées sont très respectées
et estimées dans de nombreuses cultures d’Asie pour leur sagesse et leur expérience.
Ainsi, Pepsi se sert à la fois de l’image d’une institution millénaire et d’un vieux et sage
maître d’arts martiaux pour démontrer ses forces et sa volonté pérenne. D’autre part, la
démonstration d’arts martiaux se révèle être une initiation. En effet, le jeune moine, qui
a pourtant atteint le sommet de son art au fil des années, n’a pas réalisé la dernière
épreuve qui lui permettra de s’accomplir en tant que moine et être humain. Pour le
moment il est incomplet. Cette épreuve ne lui est pas révélée, il devra la comprendre et
la franchir par lui-même. Tous attendent le dénouement. Et soudain c’est la révélation !
Le jeune moine comprend comment obtenir ce symbole sur son front qui l ’unira à la
communauté. On peut interpréter le message comme suit : peu importe nos réalisations,
nous ne pourrons pas nous accomplir et être totalement acceptés ou reconnus tant que
nous ne comprendrons pas que nous avons besoin de Pepsi. De plus, tout notre
environnement social est déjà composé d’adeptes de la marque qui n’attendent que nous.
En faisant de la sorte Pepsi se substitue, pour les besoins de la publicité et par le biais du
pastiche, aux philosophies spirituelles chinoises (e.g. taoïsme, bouddhisme) en tant que
but spirituel d’accomplissement. Enfin, l’exploitation d’une culture étrangère peut servir
à conquérir les marchés étrangers auxquels appartient cette culture.
Cette publicité fait semble-t-il référence à la série Kung Fu et à David Carradine
qui y incarne son protagoniste, le personnage de Kwai Chang Caine. Cette référence est
certainement l’une des raisons qui ont fait que cette publicité a reçu un meilleur accueil
que la publicité pour l’Europe. En effet, la série en question met en avant des valeurs
nobles par le biais de son personnage principale – celui de Kwai Chang Caine – dont
l’enseignement reçu pour devenir prêtre shaolin lui dicte une conduite pacifique à contre-
courant des héros habituels. Le « petit scarabée » se refuse d’employer la violence malgré
son entraînement pour renforcer son corps. Les occidentaux ont ainsi pu découvrir une
culture différente de la leur à travers ce concept de héros bouddhiste non-violent. D’autre
part, cette série à permit de démocratiser la pratique des arts martiaux en France. En fait,
Bruce Lee, qui était à l’origine du concept de la série Kung Fu et qui devait y incarner le
personnage de Kwai Chang Caine, souhaitait diffuser l’esprit des arts martiaux aux États-
Unis et casser l’image de violence qui y était associée (Wikipédia).
Une autre raison, plus évidente, qui explique le succès de cette publicité est son
côté humoristique et décalé entre deux cultures différentes. En effet, il est démontré que
l’humour est une des raisons majeures qui font apprécier un contenu et il s ’agit d’un des
facteurs les plus importants, si ce n’est le plus important, qui pousse au partage du
contenu vers son entourage social (Huang et al., 2013).
Conclusion
Dans quelle mesure peut-on exploiter les sports de combats et arts martiaux puisque
le détournement et l’usage de leurs valeurs, attributs et pratique dans la publicité est
délicate ? En effet, pour peu que l’emphase soit trop mise sur l’aspect martial, comme ce
fut le cas pour la publicité sur l’Europe que nous avons analysée, et le message se révèle
aussitôt mal interprété par une portion de l’audience en raison du caractère violent
originel de ces pratiques. Il semblerait alors que l’un des seuls moyens de remédier à cela
soit le recours à l’humour. Cette méthode humoristique permet de gommer la violence
qui dérange, quitte à tourner parfois en ridicule les sports de combat et arts martiaux,
pour n’en faire ressortir que le côté spectaculaire ou mystique.
La question que l’on pourrait se poser plus généralement est : existe-t-il une limite
à l’exploitation de l’image sportive, de son discours, de son message, de ses valeurs ou
encore de ses attributs dans un cadre médiatique non-sportif et plus particulièrement dans
un cadre publicitaire ? Un certain nombre d’indicateurs semblent y répondre par
l’affirmative. Tout d’abord, il s’avérerait que le sport soit son propre ennemi. En effet,
« la recherche indique que les salaires faramineux, les scandales de dopage, les grèves
et le prix effarant des billets entraînent une diminution de l’intérêt du public. » (Dupont,
1999, p. 90). De plus, « un certain nombre d’études centrées sur les goûts du public à
l’égard de l’offre médiatisée convergent sur le désintérêt ou du moins le faible intérêt
d’une bonne partie des usagers pour la narration sportive. » (Bouillin-Dartevelle, 1993,
p. 70). Par conséquent, « tout laisse croire que l’efficacité de l’association
sport/publicité atteindra un jour son point de rupture. Plus grave encore, à moyen et
long terme, cette commercialisation du sport aura peut-être pour effet d’influencer
l’esprit même de cette relation. Ce jour là, c’est tout l’imaginaire symbolique du sport
qui en sera ébranlé. » (Dupont, 1999, p. 90).
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