Utopie Dans Le Marxisme

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    Y . A - T - I L D E L 'U T O P I E D A N S L E M A R X I S ~ I E ?

    II y a quelques annees une pareille question aurait paru ridiculeit presque tous les sociallstes ; irs etaient persuades que les doctrinesde Ia social-democratie avaient un caractere scientiflque incontes-table; on aceusait melle souvent les disciples de Marx et d'Engelsd'avoir exagere le role de 10. scieuce, pour rnieux se dlstinguer desutopistes. Lorsque M. Merlino publia sa brochure {utopia collet-ticista I j) beaucoup de personnes crurent que le hrillant ecrivains'amusait a lancer un paradoxa,

    Un petit ecrit d'Engels a pcpularise l'idee qu'il existe une opposi-tion fondamentale entre le soeialisme ecientiflque et le socialismeutopique });dans presque tous les ouvrages des sooial-democrates on

    , retrouve cette meme opposition exposee et developpee a propos dechacune des questions soeiales. 11 n'est pas inutile d'observer qu'aI'epoque de In jeunesse d'Engels, le root tVissenschaft ne eorrespon-dait qu'assez m~l a la signification du mot science, tel que nous Iecomprenons aujourd'hui. - Engels avait tres pen lu les philosopheseonteniporains ; il n'avait que des idees generales et assez vaguesSUI' les travaux de-Ia science moderne j aussi ne faut-Il pas attachernne grande importance nux for-mules qu'il emploie, L'expressionsoeialismescicntifiquc flatt.ait les idees courantes sur la touts-puis-sance de la science et e lle a fait fortune.

    M. Somburt, professeur a l'Universite de Breslau, a montre qu'ilfaut distlnguer, aver: soin, deux parties contradictoires dans l'teuvre

    I. M. Merlino Ii fondu ensuite cette brochure et le livre qui l'avait pl'ec.!dee(P~'o e centro it soda1ismo), dans un ou vrage public en fl'anr_:ais.: Formes eiessenet] du sociaiisme, Giard et Briere, editeurs, Paris, 1898.2. II ne semble pas avoir etudie M, Spencer ; il croyait que l'Allernagnen'avait produit aucun penseur notable depuls Feucrbach! ill. Tche rkesoff It elltort de soutenir qu'Engels a scie rnment deflgure Ie. science dans ses ecnts ,

    SOil pamphlet (P(l{)es d'histoire socialistei, puhlie par Ies Temps nouveau: deParis, merite eependant d'elre consulte,

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    G. SOREL. - Y A-T-IL DE r/UTOPlE DANS LE ~ARXIS31E '! HiSde Marx I:sa doctrine historico-sociale est evolutionniste, alors quiln'a pas cesse de.precher l'agitation revolulionuaire et d'annoncerI'imminence de revolutions sanglantes . .M . Merlino a dirige de vivesattaques contre la t{teol'ie Cf; l_as l l '01.Jk iq_ue. M. E. Bernstein a provoqueun grand scandala parmi ses cam:arades d'AlIemagne en les enga-geant a renoncer a des illusions aujourd'hui surannees et Ies invitanta profiter de I'experience acquise en Angleterre pour travailler al'amelioration du sort des ouvriers,

    Dans ce qui suit, je considererai surtout co qu'onappelle leraarxisme orthodoxe, c'est-a-dire les doctrines de la social ..demo-cratie ; je critiquerai doncla partie de l'heritage de Marx queM. Sombart considere comme caduque.

    IItconvient de dire d'abord quelques mots de la litterature utopique

    et des diverses especeadont elle se compose. Les utopies anciennesont lite, presque toujours, des exercioes Iittcrairos, des eontesmeraux, des satires de la societe mises sous une forme-douce et insi-nuante, Ce genre ehoque toutes nos habitudes scientifiques; maisautrefois on croyait tres utile d'opposer a la vie reelle une vieideale,irrealisahle pour la masse, destince a provoquer des reflexions sur la "relativite des droits.et des usages, Ce precede d'enseignement morala tite fort developpe par l'Eglise : a lire certaines ceuvresdes thcolo-giens at des Peres, on pourrait croireque Ie christianisme est incon-eiliable .avec les 'societes civilisees ; ' cependant ila su s'accommodertres bien de toutes Ies situations sociales creees par I'histoire. Si les,orateurs chretiens exaltent la pauvrete et maltraitent les riches,c'est qu'ils veulent montrer quelle est l'infinie misericorde de Dieu,qui per-met aux riches .d'allier la jouissance d'une vie terrestre facile.avec' I'esperance d'une vie future bienheureuse, - misericordeinflnie puisq ue Ia vie des riches estcontraire aux principes.

    Aujourd'hui nous n'avcns pas besoin de paradoxes de ce genrepour comprendre que le droit et la morale sent choses relativesdans le moude reel et qu'elles evoluent 2. Les docteurs catholiquestrouvent que des predications du genre ancien sont dangereuses ;

    'LLe socinlisme etIe monrement sociat au. XIXo'siecZe; t rad , rran~., pp. 108110..2. C'est pou r critiquer la theorie absolue des physiocrates que Necker &autres auteurs du XVIII' siecle out dectame contre Ia proprlete,

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    1ti4 HE\'UE DE lU1TAPHY5lQUE ET DE MORALE.elles ne I'etaient point quand Ia propriete u'etait pas encore menaces.II ne semble pas que les contemporains de Morus alent estime queson Utopie fill revolutionnaire. Beaueoup de ces oeuvres avaient pourobjet d'opposer it Ill. cornplexite de la civilisation et it l'avidite desspeculateurs I'existence simple et Ill. moderation de peuples vivantBOUS Ies regimes agricolc et pastoral: ce n'est pas sans raison que1'0n a rapproche I'ceuvre de Morus des romans it hergeries ideales,L8 Play est, je crois bien, le dernier auteur qui ait eu l'idee singu-liere de trouver Ill. pratique de In vraie vertu chez les nomades de la oGrande Steppe d'Asie ! Les utopies de cette premiere elasse sont ,generalement, rlfaclionnail'es, au sens marxiste du mot, puisqu'ellessemblent vouluir inciter l'homme it remonter le courant de I'histoireeconomique '.

    La deuxieme classe des utopias poursnit la transformation de111societe POUl' la mener en avant d'une maniere brusque et accelererun mouvement trap paresseux. Celles-ci donnent naissance a despartis ou it des eccles, que l'on peut diviser en deux genres. Lessystemes dont I'influence est la plus durable, qui exercent uue actioneducative. puissante sur Ie grand public, sont cell x qui ne font pasgrand bruit, qui ne laissent pas une trace brillan te dans In politique :ils operent surtout dans leur periode de decomposition, quand lesdogmes de In premiere heure sont uses, quand les epigoncs se melenta La 'vie commune. Le saint-sirnonisme a ainsi propage heaucoupd'idees qui out servi de centre de eristallisation pour des projets deJ'iiforme 2. En Angleterre les owenistes ont occupe une grande placedans t'histoire de la cooperation et du trade-unionisme. - D'autresutopias donnent naissance a des mouvements politiques, font beau-coup de bruit et disparaissent sans laisser de traces 'bien serieuses ;le babouvisme appartient a ce genre.

    Enfin il existe des utopies qui s'incorporant aux programmes degrands partis, La democratie a un credo aussi abstrait of aussi peuintelligible que celui d'aucune religion; sa trlnite, Liherte, Egalite,Praternite , offre autant de mysteres que les enigmas de l'Apocalypse ;elle pro~melle gouveruemeut a bon marche, I'elevation des capacites1. La Cite platonlclenne C8t arlstocratique pour d'autres raisons: l'auteur a

    pris pour base Ie s mceurs, leo aspirations et les idees qui avaicnt cours dansdes societes de nobles.2. Corhon, Le secret clu peuple de Paris, p, J06. Get auteur, qui avail e te m e leau mouvement ouvrler anterieur it 1848, dit que 10 rounerisme n'eut aueuneaction sur l'esprit du peuple .

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    G. SORE.L. - Y A-T-IL DE L'UTOI'iE DANS LE~IARXISME? Hit>aux dignites civiques, I'integrite des administrateurs; ce sont Jaautant de reveries, qui conservent toujoucs uneaction puissantesur les esprits, encore que I'experience detoutes les dernocraties aitmontre que les faits sont en contradiction .avec Ies principes.

    Trois caracteres irnportants se trouventdans toutes ces utopies :le monde present est considers d'un point de vue profondement pes-simiste ; ilest mauvais; ilne peut etre que rnauvais ; aucune correc-tion ne pent y etre apportee sans engendrer denouveaux maux ; ~l'emancipation se produira pal' un renouvellement soudain (ou apen pres soudain), par une catastrophe faisant disparaitre les causesdu mal, par l'emancipation des opprimes debarrasses enfin de leursmaitres; - alors un monde excellent commencera et toutes les ins-titutions les plus parfaites se realiseron t avec une aisance qui tientdu miracle; Ie bien sera aussi naturel qu'etait Ie mal autrefois I.Lesdernocrates n'ont pas d'expressione assez fortespour depeindre leshorreurs du regime monarchique ; iIs- sont persuades que tout iraitit la perfection Ie jour O U une revolution meltrait lepouvoir auxmains de leurs amis, Dans Ies pays qui jouissent d'institutionsrepubl icaines, l'utopie est encore plus naive; car le bouleversernentdo it resulter d'un simple de placement d'une major ite dans un Par-lernent ; et ce deplacement lient aux votes chaotiques d'une massed'electeurs attires par des programmes fanLaisistes. Les h abiletesde tactique ne sont pas inutiles pour produire ce miracle, cettealchimie politique : en France heaucoup de socialistes avouent qu'ilstrompent les paysans en leur tendant un proqramme-hameeon ';I'important n'est pas d'en faire des socialistes, mais de leur Iairenom mer des deputes se rangeant sous la banniere socialiste!

    Le socialisme a pris ses utopies du renouoellement et de Ia catas-trophe politique dans la tradition dernocratique, dont il ne s'esl.jamaisserieusement emancipe ..Une lutte terrible s'est engagee , . a ce sujet,entre les socialistes et les anarchistes ; ceux-ci denoncant la corrup-tion et l'ignorance de tous les gouvernements, montrant l'invraisern-hlance d'une renovation sociale obtenue par un Parlement et preco-nisant l'organisation des classes ouvrieres en societes capablesd'arneliorer le SOIt des travailleurs.

    La' science sociale ne peut, evidemment, discuter la these meta-physique du pessimisme, nonplus que la description poetique du1. cr . Chiappelli, Il socialismo e it pensiero moderno; p.213.2. !I . Lagardelle, La question agmire et ie socialisme, p, 3.

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    nEVUE DE ~IETAI 't lYSJQUE 1 ' : ' 1 ' DE M1JR,UR.monde .futur; mais elle peut diseuter Ia question de sacoir si Ia con-dition des proletaires pent etre amelicree et s'ameliore effectivementdans la societe actuelle; elle peut examine!' la probahilite d'unecatastrophe emancipatrice. Les etudes faites sur ces deux points onte t e peu favorables aux theses de la social-democratie. D e j a Marxavait abandonne les idees des anciens socialistes, reprises parLassalle, sur la loi d'airain ;ses disciples utilisent encore souventcette loi dans leur propagande-; mais au point de vue scientifique iln'y a plus de do ute pour personne. Les hornmesIes plus marquantsde la social-democratic se sont prononoes pour le developpernent descooperatives et des syndicats. Plus on marche, plus aussi la concep-tion d'une catastrophe socials parait inconcevable : c'est une vuepurernent utopique, a laquelle tiennent heaucoup cependant lessocialistes allemands.

    HOn salt avec quelle violence Fourier attaquait les idees d'Owen ; n

    traitait celui-ci de charlatan, de mediocre sophiste, de faux phi-Ianthrophe, de casse-cou ; il denoncait Ies hillevesees, Ies jongleries,les ascobarderies, les utopies des sycophantes owenistes ; il s'etou-nait que pas un de ces reformateurs u'eut songe a meltre au COI1COltrSIa solution du 'problerne social; it s'indignait centre les prejuges dupublic qui meprisait ses decouoertce scientifiques. Fourier croyaitvraimant avail' fait de la science et avoir complete Newton; beau-coup de ses cont~mporains crurent en eifel qu'iI avail decouvert leslois fondamentales des' societes. Les social-democrates, eux aussi,prctendent faire de la science et mepriser I'utop ie : peut-etre leurpretention ri'est-elle pas mieux fondee que celle des phalansteriens I

    Fourier disait qu'Owen abandonnait la societe au hasard avec sesreformes faites sans precaution i. "Avant d'admettre seulement unederni-Iiberte en amour, il faut introduire des contre-poids, que IesHarrnoniens meme ne pourront Creel' qu'nu bout de quinze OLl ving tans d'exercice '). II croyait avoir trouve une dynamique sociale, qu'ilcompare souvent a la mecanique celeste : les mernbres d'une pha-lange forment un systems fort analogue au systerne planetaire ; parIe libre jeu de leurs attractions, ils forment un groupe stable, animede mouvements rbguliers, n'ayan t que des variations seculaires ; les

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    G. SOREL. - Y A-T-IL DE' L'UTOPIE nANS LE MAllxIsmE?l 5'7attractions sont reglees par Iespassions, c'est-a-dir'c pal' desforcesa peu pres independantes de la raison individuelle; on peut "doneconcevoirIa phalange comme un appareil automatique, L \ 1 1 orga-nisme ou un systeme planetaire. Chaque individu est entratne d'uriemaniere rrecessaire.

    Toutes cesbeIIes inventions, qui font sonrire aujourd'hui, parais-saient autrefois admirables . c'est que les utopistes ri'avaient jamaisimagine de systems ayant une allure aussi SOre et ressemblantautant aune combinaison de forces naturelles : iIs faisaieritappel ala bonne volonte,aux merveilles produites par l'education, auxvertus primordiales de Ia' nature humaine; taus avaient recours ades' moyens d'une valeur purement morale; Fourier seul s'appuyaitsur une s ci en ce d es f or ce s. Il pouvait soutenir que rien ri'etait par luiabandonne it !'imagination icar il ne preteudait realiser que Ie pre"rnier stade de l'Harmonie et, pour y parvenir, it n'avait besoin quedes forces des passions observabJes : il voulait utiliser toutes lespassions humaines et tenir compte des proportions dans lesquellesse presentent les diveiscaracteres d'apres I'observation. La papil-lonne, la cabaliste, la composite, existent aujourd'hui, comme ellesexisteraient dans la societe ph alansterienne ; mais aujourd'hui ellessont eontrariees et ne produisent pas leurs effets cornplets : iIIesnomme les passions meconisantes ou distributioes, parce que ce sontelles quietahlissent la stahllite naturelle du systerne.Tonte cette psychologie ne renferme aueun element, scientifique;nous le savons aujourd'hui.; Ie pr-incipe d(i la stahilite du systemsetait Ie point fuible du fourier-isme, On sait it quelles discussions adonne lieu Ie prohleme de la stabllitedu systems planetaire. Il eatete vraiment extraordinaire qu'une reunion d'homrnes, exercantdiversss professions et possedant lea.passlons ordinaires suivant lesproportions normales, put constituer un ensemble it pen pres stable.Si onabandonne ce postulat, tout Ie fourlerisme disparait : Ies expe-riences malheureuses que l'on a faites du phalanstere ont montre queles forces divergentes etaient assez fortes pour dissoudre Ia societe;les phalansteriens ressemblaient beaucoup moins aux planetesqu'auxcometes de I'astronomie.,

    Marx nous conduit it des considerations entierernent differentes : ilne coneoit pas la societe comme une reunion d'atornes soumis ades attractions, mais cornme une chaine cinematique formes d'ele- i'ments solides agissant pal' pression les une S.UI' les autres. Pour I

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    HIS REVUE DE METAPRYSIQUE ET DE MORALE.employer Ie langage du professeur Reuleaux, on passe de 18. con-ception cosmique it la conception mecaniste. On u'etudie plus deshommes, mais des groupes dont les sentiments, lesdesirs, les con- 'captions juridiques se sont constitues historiquement et se sonteoncretesd'uue maniere assez ferme pour que l'observation scienti-fique en soit possible. La psychologic individuelle ne forme doneplus Ia base de Ia sociologie : celle-ei etudie des etres complexes,sans ehereher it . remouter it des causes premieres, de meme que lechlmiste preud Ies corps simples que lui fournit la nature, sans avoirbesoin de faire des hypotheses sur leur constitut ion.

    Les marxistes u'ont pas. generale-ment, bien compris I'enormedifference qui separe les points de vue de Marx et de Fourier;comme les anciens phalaneteriens, beaucoup d'entre eux sont dupesde In mecanique fantastique de Fourler ; ils trouvent que Icsystemephalansterien a une allure physique et par suite mater ialiste ; lastabilite automatique, malgre l'invraisemblance de I'hypothese, leu!'plait, parce qu'elle ne reqniert aucune notion morale; et pour untres grand nombre de social-democrates In morale est un monstreabominable. Aussi Fourier est-il tl'aite par ces ecrivains avec beau-coup plus d'egard queIes autres sociallstes anciens; quelques-unsmeme ont pour lui une admiration singuliere.

    Nous devons ccnsiderer comrne utopistes tous les reforrnateursqui ne peuvent pas expl iquer leurs projets en partant de I'ohserva-lion du mecanisme social. l\Iarx pensuit que la revolution resulteraltd'uu developpement du mecanisme par Ie double mouvement de

    , prcletarisation des travailleurs et de concentration des richesses,par l'uniflcation cFpissante des forces i-evnlutionnairea, par I'anar-chic incorrTglbiej!~ilforc~1? eapitallstes.T'e tableau correspond assezbien a ce que Marx observait en Angleterre ; on reconnait genera1e-ment que ce schema a e l e exact autrefois. Comme ilcroyait la revo-lution irnminente, iln'a pas mis ses disciples en garde centre 10con tingence des bases historiques du mecanisme eludie par lui. Larevolution n'a pas eu lieu, ce qui montre qu'il s'etait trompe surl'appreciation des forces; mais cetteerreur du fait De snurait sufflrepour Ie Iaira ranger parmi Ies utoplstes.

    Mais s'Il s'est trompe seulement sur le fait, ses disciples ont cornmisuno grosse erreur de principeet ont E M utopistes : ils n'ont pasobserve que le mecanisme social est oariable, surtout a notre epoque,.'en raison des rapides transformations qui se produisent dans

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    G. SOREL.'-YA-T-IL DE L'UrOPIE 'DANS'LEMARX[S~IE? 1.Ii9lindustrie 1, - et qu'on ne possede aueun moyen de ccnstruire lesmecanismes sociaux de l'avenir, qu'on ne peut raisonner que surceuxqueidonne l'observation.Sans s'arreter it ces considerations,les marxistesorthodoxes ont decide queIe mecanisme contiuueraitaexister qualitativement.tel que Marx I'avait Merit et que ses ele-merits se modifieraient quantitativernent d'une maniere.uniforme ensuivant la loi empirique constatee (d'une maniere ' partielle) auxdebuts de la grande iridustrie, Ces deux propositions sont indemon-trables scientifiquement ; elles rappellent Ie raisonnementdes anciensphilosophes sur I'inertie; le mouvement d'un corps,abandonne a .Iui-meme, continue, disaient-ils, en ligne droite, avec une vitesseconstante, parce qu'il n'y a aucune raison POUI' qu'il modifie sadirection ou sa vitcsse : L'experience no us montre que Ie .regimecapitaliste se modifie assez rapidement sous nos yeux ; les social-demoerates orthodoxes font des efforts inouis d'imagination pour nepas voir ce qui est visible pour-tout Ie monde : ils ont abandoune Ieterrain de la science socials pour passer it l'utopie.

    Quand ils'agit de se representer Ia revolutioriet ce qui suivra,c'est bien autre chose: on se.trouve en presence desymboles et dereverles Ie plus souvent rpeu intelligibles; on parle de .la societecomme d'un eire actif, capable de penser et de se conduira !onnousdit que Ie proletariat exercera une dictature, fera des lois et abdi-

    . queraensuite! Tout cela est purement utopique, non seulement parIe fond, mais encore par la forme :' pOUI' r ester sur Ie terrain realistedu marxisme ilfaudrait parler, non pas de la societe etdu prole-tariat, maisdes organisations economiques et politiques dont lefonctIonnement estconnh et sur lesquelles on, pent discuter. Lasociete et Ie proletariat sont des ensembles passifs , l'Etat, legou-vernement local, les cooperatives, les syndicats, les mutualites,sont des corps aetifs, qui suivent des plans d'execution raisonnes.

    Ne sontpas moins utopistes et, par suite, infldeles a la methodede Marx, .leS'socialistesqui nousdonnent des formules abstraites,qui nous parlent de la socialisation des moyensde productionou del'administration des choses. 11 faudrait expliquer comment .on serepresente.Ies meeanismes qui realisent des notions aussi vaguespar oeIles-memes;On pout appliquer ces formules aux regimes les plus divers: s'agit-il de nous ramener aux anciennes missions duI, Oubli singul ier chez des marxistes, 'alors que Ie maitre a donne tantd'im-portance am: quest ions technologlques,

    RET. META. T, VII. - 189~. 11

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    160 REVUE DE ~lIh'APIIYSIQUE ET DE MORALE.Paraguay? Les social-democrates se sont beaucoup moques du sym-bollsme democratique : ils ont montre que derriere les grands prin-cipes de Llherte, d'Egalite, de Fraternite, pouvaient cxister desetats reels fort eloignes de ce qu'avaient cru realiser les promoteursde Ill. Declaration des Droits de l'homme, La meme critique peuts'appliquer a toute dogmatique snciale abstraite, et notamrnent acelle de Ill .social-demacratie orthodoxe.

    D'ailleurs, it semble que l'insufflsance de Ill. doctrine ait .H e re-connue par les social-democrates. Il y a deja longternps, M. P. Brousseaccusait Marx d'etre utopisl.e parcequ'il n'avait pas explique com-ment pourrait se realiser' le comrnunisme ; il disait qu'on passerait"raiment de l'utopie it la science en adoptant son systeme de s S e 1' I) ic es "publics. On lui a d'abord repondu avec violence; mais, pen a pen,les marxistes francais se sont rallies a ses idees I; leur eommunismes'est transforrne en une exploitation des industries par l'Etat ou pal'In Commune. Ce mecanisme est tres facile it concevoir; c'est merne ,je crois, cette facilite de representation qui a fait Ie succes de cettedoctrine : - mais le plus simple, dans l'ordre intellectual, n'est pastoujours le plus pratique; et les questions sociales ne corn portentjamais de solutions simples. Je ne diseute pas Ie systems deM. Brousse, je me bornea mentionner son succes.

    IIIUn des ecrivains Ies plus connus de la social-democr-atle ,

    . M.G. Plekhanoff, dit: Est utopiste quieonque recherche une orga-nisation parfaite, en partant d'un principe abstrait * ; et il ajoulequ'au XYlIle siecle (c Ie prlneipe abstrait, ayaut servi de base auxrecherches des utopistes, Hail celui .d e 10. nature Iiumaine n, Ceciu'est pas tres clair; il complete so. pensee Ull peu plus loin: C( Cen'est pas 10.nature huma'ine qui explique le mouvernent historique ;c'est le mouvement historique qui fat;onne diversement la naturehumaine 3 ,

    La societe socialiste, telle qu'elle etait coneue par Engels, auraitele Russi parfaite que les societes revees par les utopistes, Depuisquelques annees, les social-democrates sont devenus plus prudentsf. Observatlon tres importaute faite par M. Merlino.2. Anal'ohisme et sacialisme, trad, franc., p, 3.3. Op. eit., p, 9, ,

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    G. SOREL. - Y A-T-ILDE, L'UTOPIEDANS LE MARX1SlllE? 46iet ont em is des doutes sUI'Ia possibilite de realiser cette Jerusalemnouvelle. Un des ecrivains en renom du parti, le depute hollandaisVan KoI, s'exprime ainsi I : C( 11 est probable que la vietoire mettrafin it toute lutte de classe, que les-biens seront commune et que laliberte sera Ie lot de taus ;, ; ailleurs ilregarde cornme ires vraisem-blable 2 que dans Ia societe socialiste il se formera un cinquiemeElat, qui pourrail etre opprime par [e quatrieme, Cette prudence estfort louable; maiselle reduit a neant toutes Ies idees que Marx etEngels avaient emises sur leprocessus de tr-ansformation ; ils adrnet-taient, en elfet, que Ie proletariat forme une classe indivisible et quela revolution suppr-imera toute division de classes.

    M. Van Ko l oppose aux vues ab~traites de Marx et d'Engels, surce qui devr ait etre, une constatation de fait capitale : ilobserve queles social-democratesmanifestent, aujourd'hui, leur antipathie pourles malheureux qui vivent dans les has-fonds de la societe; la divi-sion du proletariat est deja faite, selon lui; et on ne peut plus dire,avec Marx, que Ie prolatariatrevolutiounalre, n'ayant rien en dessousde lui, ne peut s'affranchir qu'en supprimant totalement la divisionen classes, En fait, Ie proletariat des social-democraces est un qua-trieme Etat, qui, a des inferieurs. qui ne . semble pas dispose aaflranchir ceux-ci, et qui pourruit bien (d'apras M. Van Kol) s'octroyerdes privileges. Notre auteur va rnerne jusqu'a dire que les classesmiserables ne trouvent de defenseurs que parmi les anarchisles 3!On sait de quelle haine feroce les social-democrates poursuivent les ,an arcliistes ; on peut en conclure que Ie ciuquieme Etat ne doit pass'attendre it etre traite avec trop de douceur par le proletariat supe-rieur, si celui-ci arrive jamais it dominer. Ainsi le mecanisme socialest lout autre que celui que Marx et Engels avaient decrit : leursociete parfaile sans classes deviant une utopie tout comme l'unitedu proletariat est une illusion de theoriciens, qui, a force d'ahstrae-tion, simplifiaient trop le prohleme social: - s'ils ne sont point partisduprincipe abstrait de la nature humaine, iIs sont partis du principeabsirait a u proletariat unique, et ant raisonne sans tenir compte desfaits, d'une maniere purement logique; c'est bien de l'utopie.1. Socialisme ei liberie, p, 103.2. Op. cit., p. :[9.3. l ' r I . Van Kol, malgre cette constatatlon, montre, lui aussi, une veritahlefureur contre les anarchistes et iI parle de les detruire comme d'un penibledevoir, au. cas ou ils g8neraient In tactique de la social-democratte, op. eit.,p. 192.

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    1{)2 R EV UE D E ~ [ TA PH Y SIQ UE nr D E M OR AL E.Est-it vrai que les sbcial-democrates aient vraiment ahandonne

    les idees des utopistes sur . Ie principe de la nature humaine? })Dans Tille conference sur Ie materialisme historique, M. P. Lafarguedisait t,il y a quelques annees, que I'homme a toujours cherche arealiser un ideal de paix et de bonheur, qui est dans la tetehumaine depuis des millions d'annees, [qui] est la reminiscence deeet age d'or, de ce paradis terrestrs dont parlent les religions, unsouvenir lointain de cette epoque communiste que l'homrne a dutraverser pour at-river it la propriete privee. En diverses circons-tances, des revolutionuaires ont essays de realiser cet ideal et ont,H e vaincus : mais, aujourdhui, les progres economiques perrnetteutde sorlir des tentatives instinctlves pour creer ce monde cornmu-niste, - Toute cette these doit etre considerae comme utopique,d'apres la definition de M. Plekhanoff'; ear elle suppose dans lastructure psy{}hologique de l'homme la preexistence d'une idee de1 ' 1 . societe future; elle est fondee sur la theorie la rnoins scientifiquepossible de la nature humaine : rlen n'est plus contraire aux con-ceptionsde la psychologic moderne que cette reminiscence atavique,qui se trouve finalement COIncide!' avecIes resultats de I'evolutionde Itt civilisation la plus avanceet

    II De faudrait pas croire que M. Lafargue ait soutenu un paradoxcqui lui soil personnel; presque tous las social-democrates croientque lapropriete privee a amene Ia decheance de I'humanite., espe-rent que la revolution ramenera In noblesse de sentiments propl'caux sausages 2; et M. Sombart dit 3 que" les vieilles reveries duparadis perdu et reeonquis, de l'age d'or de I'humanite primitive,troublent I'harmonie du systems nouveau ,

    Nous retrouvons Ia notion des puissances primitives de la naturehumaine sous une autre forme, dans ce que dit M. Ch. Bonnier allsujet de Fourier < : L'utopie n'est que le magasin oil puise, et doittouiow's puiser, Ie socialisme; car les hommes de S'enie ont construitdes magasins qui sont loin d'etre epuises , Un peu plus loin il-ajoute s.: Les utopistes sont de veritahles presbytes et l'Interrne-L Jeunesse sociatiste, fevrier lS95, p. ~8.2. M. Van Kol espero qu'on rctrouvera la fierte des Germains de Tacite(II].cit., p, 154). 11 est possible que l'idee oel?ljU/l;'111e ait. ell line certaineinfluence sur les theses de Ia social-democratie,3. Op. cit., p. 109.4,. Deuenir social; mai 1807, p. 3SS.5. Art icle cite, p. 394.

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    G. SOREL. -. Y A-T-IL DE L\JTOPIE DANS I.E MAIlX[SlIE? 163rliaire leur echappe ; ils I'ont YU demesurement agrandl dans lesdetails du present m erne ; mais Us ont neglige l'introduction deforces qui devaient amener, non exaetement comme ils l'avaientprevu, mais dans .la merne direction.la marche du phenorneue. DeI'etude d'un etat present l'utopiste peus calculer l'avenir; mais ilne

    , peut prevoir l'accident qui amenera la chute ,Ce passage, ecrit par un orthodoxe de la social-democratie fran-

    o;uise, nons transporte loin des regions de la science; cette sympa-thie pour Fourier etpour les utopistcs en general ne se comprendraitpoint chez un homme desireux d'aborder les questions sociales avecdes preoccupations scientiflques , nous voyons ici tres bien que laWissenschaf! des disciples d'Engels n'a rien de comrnun avec lascience des savants. Aucun physicien n'a jamais eu I'idee rl'etudler-les poetes ou les alchimistes pour trou vel' les theories ou les solutionsque ses recherches doivent ensuite preciser , Les utopistes ont puiseleurs conceptions reformatrices dans les idees qu'ils se faisaient, etqu'on se faisait auteur deuxvsur la nature humaine ; si les social-democrates sont souvent d'accord avec eux et trouvent dans leurslines des _previsions Honnantes, c'est qu'ils precedent de In mememaniere ; la nature humaine a un fond eommun, qui n'a pas beau-coup varie depuis un siecle 1; et les utopies successives se ressemblentbien plus qu'on ne pourrait croire au premier abord. La differencequi existe entre les nouveaux et les anciens socialistes consistesurtout en ce que les premiers ajoutent it leurs poemes sociallx desconsiderations empruntees aux sciences; rnais ce n'esl Ia qu'undec~r destine it plaire a un public ayant dans Ia science nne con-fiance illimitee,

    II ne faut pas se laisser duper par les mots souores ; iln'existeaueun precede pour voir, merne avec des yeux de presbyte, l 'aueni7'dans le present, aucun precede pour calculer l'avenir. Tout ce qu'ontpu Caire les utopistcs a ele d'exprimer des vceux et des regrets,vceux et regrets que I'on peut retrouver encore dans Ies oeuvres desociallates contemporains; ceux-cl ont beau accurnuler les termesbarbares et abstraits, Us ne font pas de Ia science tant qu'ils nebornent pas leur ambition a aborder des problernes bien poses, aumoyen de methodes scientifiques et en deflnissent clairement dessolutions materiellement executables,

    1. D'aprss les admirateurs des sam-ages, elle n'aurait meme pas varic sub-stantiel lernent depuis les temps prehis toriques,

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    REVUE DE NBTA.PHYSIQUE ET DE MORALE.M. Plekbanoff condamne tous ees precedes qui rameuent le

    mar-xisme vers l 'utopie; ilcroit que le c on te nu d e la p sy ch olo gie semodifle coutiuue llemeut ; eette these a hesoin d'etre examinee depres; Cat' IlOUS allons vail' qu'elle donne naissance it de nouvellesvues tout aussi utopiques que celles d'autrefois, lorsqu'elle n'est pasbien comprise.

    IVLa psychologic du xvrn- siecle Hail, fort pen avancee ; on croyait,

    asses generalement, que In science de l'homme est une sorte dephysique, qui peut etre deterrninee une fois pour toutes par l'obser-vation ; c'est contra cette conception que s'eleve 1 \ 1 . Plekhanoff : Janature humaine n'etant pas immuable it travers les siecles, on ncsaurait deduire d'une etude psychologique I'ordre naturel ou la loiIondamentale des societes. Nous savons, aujourd'hui, que le contenupsychologique vade beaucoup suivant les circonstances exterieures ;des marxistes se sont empares de ce lieu commun et l'ont trans-forme en UD grand principe; ils out affirrne que Ies conditions de lavie /al}orment , determinent nos peusees, Qn'nne pareil le these ne soitsusceptible d'aucune demonstration, c'est ce qui est tres evident; onne peut merna l'exprimer que SOllS une forme liiierair sans aucu neprecision; OD ne saurait dire par quelle regle on pourrait passer dela counaissance du moule hletorique a celle de nos actes intellec-tuels. Affirmer que la nature humaine change historiquement, voilaee que fait la science experimentale ; afflrrner qu'elle est fagonne8,determinee, sans pouvoir donner Ia regie de ce fat,;onnement, decette determination, voila ce qui n'est plus du tout scientiflque.

    Marx a, bien des fois, insiste sur l'interdependance des pheno-menes SOCiRUXj mals ils'est garde d'aller plus loin et de remplacercette ide!] rationnelle sur l'ensemble des choses par une definitionpartlculiere d'une relation deterrninee entre les parties. It eherchsit etabllr un certain ordre entre Ies diverses regions de Ia sciencesociale ; et naturellernent it concoit eet ordre suivant des modeleshegeliens. Mals queUe est la valeur de ces procedes ? c'est unequestion qui ne me parait pas avoir eta encore cornpletementreSOl1l6j M. B. Croce ne se proncnce pas 1, mais semble adrnettre,

    L Pel' la interpreiazione e la critica di alcuni conceal del marxismo, p. 24(volume XXVII des actes de..1'.4ccadem'a pnnlall,iana). Ce rnemolre trs importanta ete traduit dans le Deneni social; revrier et mars 1S93j.

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    G. SOREL. - Y A-T"'JI. DE'L'UTOPlE DANS LE mARXlSME? !65

    avec Lange, que le principe des divisions' tripartites de Hegel estpsychologique. .

    Ce qui parait etre, aujourd'hui; Ie plus certaiu dans la psycho-logie, c'est que les conditions exterieures n'agissent sur l'esprithumain que d'une maniere subordonnee aux lois formelles de notreevolution mentale : les formes psychologiques se suivent d'unemaniere reguliere en passant de l'instinctif a l'intellectueJ, du sen-timent it Ia raison, de l'action empirique a la science I; d'autre partIII logique de l'imagination, aussi bien que celle de Ia pensee refle -chie,se reproduit dans tous les temps, dans tous les pays. Ce sontlit deux principes fondamentauxvdeja bien reconnus pal' Vico, quela science moderne travaille a perfectionner. Comme on le voit,ils ne fouruissent aucune indication sur le contenu de l'esprit; lapsychologie nous permet. de classer, grouper, enchainer 1 mais nenons donne pas de faits. .

    Marx traite la sociologie d'une maniere analogue: il classe Ieselements sociologiques, mais il ne les determine point et nepretendpas les deduir e les uns des autres, 11 insiste , notamment, sur lepassage de I'econornie au droit et 1 1 . la polilique, qui jette de vivesIumieres Sill' J'histoire ; dans ceprocessus (ideal) I'esprit sort deplus en plus de la necessite pour s'elever il la liberte, va de I'indi-viduel il l'universel; l'origine hegelienne de cette conception estindeniable : itn'est pas difflcile de voir qu'elle a sa base dans les loisdes suites de la psychologie.

    Intldeles ,a la pensee du maitre, presque tous les marxistes ontpretendu demonirer comment les institutions sortentde l'economie.Ils ont precede de deux manieres differentes, Souvent ilsont consi-dere le droit commeun appareil imagine par des gens retors pourcacher la realite des choses ; ils ont suppose chez tous les person-nages importants de l'histoire des mobiles Interesses (pour ne pasdire honteux), et its ont appele cette maniere de blaque l'histoireIe materialisme historique de Marx lAujourd'hui ces plaisanteriesnc se discutent meme plus. Le second precede nous ramene auxabstractions des utopistes.

    On a soutenu que tout predicament applicable aux systemes d'or-ganisation du travail doit, a la longue, devenir applicable a touteautre partie du systeme social. Voici comment M. Lafargue applique

    L C'est ee que j'ai appele les lois des suites, dans une etude' sur Vico, Deoenirsocial, novembre 1896, p. 911.

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    f O G REVUE DE METAPIIYSIQUE ET DE MOIlALE .ce principe (sans l'enoncer) dans une brochure sur le communismeet l'evolution economique, Aujourd'hui, la production se fail eneommun ; la division du travail exige la reunion de grandes collec-tivites.d'ouvrierajdans Ies magasins les specialites les plus diffe-rentes sont mises en comnmn dans un meme local; la societe ano-nyme ,( met en commUll Ies petits capitaux possedes individuelle-ment . .Dans ces divers examples, l'expression mise en cornmuh cor-respond i l . ' des reaiites fort differentes les unes des autres ; mais Iepredicament commun se trouve partout ; nons devons done Ieretrouver encore dans les autres considerations relatives ii. l'eco-nomic et au droit. La mise en commmun des moyens de pro-duction, dit M. Lafargue, doit fatalement amener Ia mise en cornmuudes moyens de jouissance )); et plus Ioin : Le developpernent fatalQesphimomEmes economiques sngendre les moyens de resoudrel'antagonisme entre le mode communiste de, production et le modeindioidualiste d'apprepriation ; c'est-a-dire qu'en meme temps qu'eller.ommunisait les moyens de production et d'echange, revolutioneconomique preparait la communuation des moyens de jouis-sance .

    Nous voila bien sur Ie terrain des abstractions Ies plus artificiellea,de celles qui valent surtout par les analogies verhales. Ce sont lesmols qui reglent les choses, las signes qui font mouvoir I'hlstoire.L'experience semble bien avoir montre que le travail des colleoti-vites assemhlees sous une meme discipline peut s'allier aux regimesjuridiques les plus divers; que, pal' suite, la repartition peut etrequaliflee par des predicaments fort dilTerenis de ceux qui qualifientla production.

    A la fin de sa brochure, M. Lafargue passe sur le terrain desfaits et dit que Ie proletariat s'organise pour resoudre la questionsociale dans Ie sens communiste ; it pretend que cette solution estfatale et qu'elle est eommaudee pal' I'evolutiou economique, c'est-a-dire par Ia theorie abstraite de I'lnterdependance des phenomenes,conduisant a I'identite des predicaments. Sa pensee est exprimee,peut-etre, avec plus de clarte encore dans Ie passage suivant I." L'arret de mort [du salariat] est sigue. Les prole talres ont lamission d'executer l 'w>}'el economique. Non seulernent la production.capitaliste 'a decrete l'abolition du salariat ; mais el le fournit au pro-i.Socialiste, :! G octobre 1898.

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    G. SOREl-;, - YA'T-IL DE L'UTDPIE'DANS ,LE Ill"ARX1SME? i67Ietariet les 1noyens materiels de remplir sa m'ission . Ainsi I'histoireest 'd'abordcomuu\ndeepar' la logique immauente .des concepts(cornme ondit quelquefois); et les arrets deta logique s'executentparce qu'il se trouve en merne teqlps une force capable de trans-former la societe et des gens ayant interet it le faire dans Ie sensvouIu par la logique.

    Je crois que ce sont lit des conceptions qui ne sont pas du toutmarxistes : mais it faut recohnaltre qu'elles sont fond~es sur lesprincipes poses par Engels, 'principes qui ont ete acceptos par toutelaeocial-dernocratie allemande. It n' avait aucun doule sur I'impor-tance de la Iogique dans I'evolution sociale .. dans les dernierespages de sa brochure Socialisme utopique et socialisme scientifique it nons decrit Ia marche de I'histoirecomme rtf. Lafargue. L'antago-nisme est poussa jusqu'a I 'abeurdite. Le mode de production se rebellecontre la [orme de l'echange. La bourgeoisie est demontree incapablede diriger dorenavant les forces productives sociales. .. La bour-geoisie reconnue classe inutile ... Revolution proletarienne, solutiondesantoqonismes,

    11 e st bien vrai que Murx a parfois decrit Ies Iuttes sociales sousune forme syrnbolique, sans nommer expressernent Ies acteurs dudrame; ila dit, par exemple, q~le les forces productives entrent enconflit avec lesrapports de propriete lorsque les institutions juridi-ques traditionnelles genent le developpernent de ces forces produc-tives, Mais Ie sens de ce passage de la preface de Ia Critique del'economie politique ne saurait etre douteux quand on le r approchedes passages correspondants qui se trouvent. dans le illanifeste duparti cormnuniste 1 et surtout d~ns la Misere de la philosophic 2 : "ils'agit de eonflits entre des classes, entre celie qui produit et quiveut acquerir les profits des forces produetives et celle qui possedeen vertu d'un titre ancien, '

    Quand on raisonne comme Engels et M. Lafargue on admet quel'histoire se fait pour satisfaire les exigences de notre logique; onest Idealiste, au sens hegelien. Marx avait ecrit, contre la philoso-phie de I'histoire.. en 1859; que ce n 'est pas, notre maniere de com-prendre qui determine la qualite de notre maniere d'etre, mais aueontrairenotre vie sociale qui se traduit en concepts. Les rapproche-ments' les plus iugenieux, les' antagonlsmes les plus irreductibles

    1, Trtuluction italienne, p, , 1 . 9 ,2. Iteediiion r1'an~aise, p; 168.

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    f68 REVUE DE MJ::TAPlIYSIQUE '1' DE MGRALE,entre les predicaments, les convenunces logiques Ies plus impe-rieuses, ne sont d'aucun secours pour celui qui veut appliquee lesvraies conceptions de Marx.

    y

    La logique joue un role considerable dans l'oeuvre des utopisteset leurs precedes meritent d'etre examines de pres.

    Les utopistes fonl toujours nne critique longue et -acerbe dumond e actuel ; Us mettent a nu les travers, Ies vices, les contradic-tions dont fourrnille la societe; ils precedent ensuite a des correc-tions. En general, on devrait beaucoup se mefler d'un ecrivain qu idonne une large place a la critique des mceurs et des institutions ;cette cr-itique est, d'ordinaire, tres developpee pour mieux dissi-muler la fuiblesse des projets; presque toujours ce precede indiquede l'utcpisme.

    Fourier, auquel il[aut toujours revenir quand on traite ces ques-tions, doit une grande partie de sa popularite ala maniere vraimentamusante qu'il avait adoptee pOUI' decrire les ridicules de ses con-temporains. 11n'entendait point, d'ailleurs, faire tine science sociale,en sens actuel du mot science. Les questions de politique eociale,disait-il I,seront to utes insolubles tant qu'on voudra specular sur leregime civiliee, qui est un labyrinthe intellectuel, un cercle vicieuxen tous sens ; mais que ne s'exercait-on 1 1 . inventcl' une nouoelle socieuJ?C'titail lit une belle carriere pour t.ant d'ecrivains qui se bat tent lesflancs a cherchcr un sujet neuf, II me semble qu'on a trop abusede ce eonseil et qu'il n'a pas manque d'inventeurs de nouvellessocletes de puis 1829.

    1 \ 1 . Merlino a bien mis ell evidence le precede qu'emploient beau-coup de soclalistes dans leurs utcpies 2 : lis raisonnent par anti-theses. Ayant demontre que d'une institution actuelle derivent desmaux et des injustices, ils sautent ala consequence qu'il faut l'abolirat mettre 1 1 . sa place nne institution Iondee sur Ie principe diarne-tralemcnt oppose s , Fourier, qui avait des pretentious 1 1 . etre unsavant, reprochait a Owen d'avoir precede de cette maniere en niantla religion, la propriete et la famille. II trouvait absurde de vouloir1. Le nouveau monde industriel et societaire, p. 46,2. Op. cii., p. 212.

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    G. SOREL. - Y A-T-IL DE 'J:CTOf>JE D;l.NS LE nIARxISME? 169tant reduire la societe 1 et de pretendre imiter les mraurs des .peu-pIes primitifs,

    Les utopistes precedent, generalernent, ,comme Owen, pal' voie desimplification: its font une nomenclature complete des defauts quepresente Ia societe et qui provoquent des plaintes justiflees (a leursyeux); ils suppriment tout ce qui leur paralt etreIa cause de cesmaux, tout ce qui produit des contradictions. La propriete engendredes relations trop complexes pour pouvoir jamais etre reduite aun systerne logique salisfaisant, n'entrainant aucun inconvenient;on est done amene a la supprimer et it imiter (dans une certainsmesure) les peuples sauvages. Chez Ies sauvages l'esprit n'a pasencore acquis assez de develnppement pour parvenir a des notionsjuridiques claires sur la propriete : c'est cette insufflsance du droitque I'on a transformee et interpretee '. commeun droit de proprietecommune.

    Presque tous les social-dernocrates estiment qu'un jour viendraou la societe pourra se passer de systems juridique, ou regnera Iecornmuuismc anarchique , OU la liLerLe la plus complete setnhlirasur la terre. On trouve cette idee plusieurs fois exprimee dans l'ou-vrage deja cite de M. Van KoI, comme une idee" parfaiternent n~tu-reUe, qui n'a pas besoin d'etre justiflee. M. Vandervelde dit qu'ilaspire 3 ( it la cornmunaute anarchiste, dehor-dante de fratemite etde richesse, oil chacun, faisant cequ'il voudrait, comme dans l'abbayede Theleme, donnerait selon ses forces et prcndrait selon ses,besoins ;et ilajoute ; ( Il n'est ideal si pur que I'avenir ne puisse realiser .11faudrait savoir si eet -ideal (? ) est vraiment digne de I'homme ; s'ilest si pw' que l'estime Ie grand orateur beIge et enfin d'ou ilvient.Ce sont des questions que je n'examinerai pas ici; je me borne aobserver que jamais utopie plus caracterisee que eelle-cl n'a eteproposee.

    Revenons au monde socialiste, qui dolt succcder au monde capita-tiste : les difflcultes.ne sont pas petites quand on veut essayer d'en-

    ,; comprendre Ie Ionctionnement. M. Van Ko! nous dit que l'adminis-tration sera confiee aux meilleurs entre les bons, que les chefs repre-

    1. Fourier a beaucoup profi te de Ia lecture de la fable" des abeilles et deses annexes; ila ernprunte it Mandeville son idee Iondamentale de l'utilite despratlques condnmnees par les moralistes etide I'Interdependance sociale quirend des vices-de quelques-uris solidaircs de la prosperite d'un grand pays.2. CI' .Anneesocioloqique, 1896-91, p. 301 (d'apres M. R. Hildebrand).3. Le sacialisme en Belgique, p. 283.

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    110 REVUE DE MB'I 'APRYSIQUE 1' DE MORALE.senteront la voloute collective, que tous les citoyens auront In fermevolonte de n'avoir d'autre but que le bien. Comment peut-on savoirque toutes ces merveilles se produiront : on est tres bref sur les ins-titutions qui permettrnient de realiser le programme socialiste ; onignore si le mecanisme social sera. capable de faire vivre Ie mondefutur; on revient a l'utopie.

    Toute cette utopie est fondee sur la presupposition qu'il existeraentre Ies hornmes une harmonie parfuite, si bien que toutes lesvolontes s'unissent spontanement pour realiser un plan raisonnablede vie commune, tout comme si In Cite ,Hait un etre vivant et inte lli-gont.Aristote objectait dejiJ.1 a Platen, que sa republique c(H atteintso, perfection an cas Oil elle eut a le reduite it un individu et que lesvraies societes sont tres complexes.

    Cette unite pourrait etre atteinte de deux. manieres : 011 bien parIII transformation des hommes en atomes mus par des forces dontles luis sont reglees de maniers a atteindre le but qu'on se propose;- ou bien par une reduction des hommes it de pures intelligences.Le premier systeme a ete eelui de Fourier ; it a paru scientifique anos ,pf3res; it ne supporte plus la discussion; le second est celui desanarchistes et des social-damoerates.

    Dans les dernieres pages de son opuscule deja cite sur l'utopie etla science, Engels dit que l'humanite sortira vraimsnt du regne ani-mal: alors les lois sociologiques ne seront plus des conditions exte-rieures, imperieuses comme les lois naturelles ; l'hornme emploierases forces en toute eonnaissauce de cause'; la libre initiat ive s'exerceracompletement; les homrnes feront leur hjstoire en etres pleinernentconscients; le regne de la Iiberte commencera. U faut entendre Ieroot iibert dans le seus d'action purement intellectuelle; la natureGtunt pleinement suhordonuee au x hommes, ceux-ci possedant a IaIois Ill.p leine science des rapports at Is. pleine puissance d'execution,l'es}Jl'it aura vaincu la nature. II n'est done pas etonnant que des'auteurs, enthousiasmes d'un parei l avenir, alent dit que I'hommefutur sera comme un Dieu 2.

    Dans Ie Capital, Marx parle aussi d'une epoque O U l'inteHigencesera souveraine ", Le reflet religieux du mande reel ne pourra dispa-

    I, Poiltique, Livre II, chap. I, 4.2. M. J. Guesde Ii In. Chambre franeaise, ie 24 juin 1896; i\I. Anseele, 11 In.Chamhre beige, Je30.avril iSOS. .3. Capital, trad, fmnc., r- 31, col. 2.

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    G. SOREL, - Y A-T-IL DEL'UTOPIE DANS LE MAnX[S~IE ? 171raitre que Iorsque Ies conditions du travail et de Ia vie pratique pre-senteront i' L l'homme des rapports transparents et raiionnels avec sessemblables et avec la nature. La viesociale. .. ne sera degagee dunuage mystique qui en voile l'aspect que Ie jour a u s'y manifesteral'amvre d'hommes librement associes, agissant consciemrnent etmaitres de leur propre mouvement social nt.

    Marx est ici d'accord avec Engels: iladmet, comme lui, que leshomrnes possederont plus tard la claire connaissance de tous Iesrapports sociaux; qu'ils devieudront de pures intelligences capablesde com prendre les mouvements par leurs causes. La religion n'estpour lui qu'une expression poetique et provisoire des rapports phy-siques et sociaux; elle forme un systeme prescientillque n'ayant plusde raison d'etre Ie jour ou la science est pleinemsnt constituee ; l 'ele-ment affectif qu'elle renferme disparait lorsque l'intelligence aconquis la personne humaine '.

    Les utopistes sent tous, plus ou moins, intellectuallstes ; t aus sup-priment, d'une maniere plus ou mains apparente, les sentimentsdans lei vie sociale. Fourier croyait mettre enjeu tous les ressorts del'activite humaine; mais Ies passions qu'il decrivait n'avaient aucune,:ealite psychologique; c'etaient des forces fictives obeissant a des loisqu'i'l avait inventees en vue de realiser un plan determine et parsuile des produits de I'intelligence.

    II y a dans l'utopie des soclal-demoerates une confusion quin'existe pas dans les autres ; on ne sait jarnais bien exacternent dequell e periode iIs parlent; s'agit-il de la societe qui suivra imrnedia-tement Ie monde eapitaliste ? ou bien s'agit-il de I'avenir communistsqu'on nons montredans le lointain? Marx semble faire allusion it eelavenir dans Ie passage du Capital sur la religion. Ell 1847 iI avaitconeu le mouvement social sous une forme ires simple: u ne periodede troubles et de dictature populaire, puis la periode communiste,Engels raisonnait, en'1878, dans sa brochure souvent cites, de Ia1. Le lecteur voudra bien se reporter aux S S 436-440 deIa Philosophic de

    l'esprii de Hegel pour cornprendre l'origine de cette theorte, de mem e qu'i!faul sereporter aux S S 431-435 pour bien comprendre la theorie du proletariat.Je me reserve de revenir amplement plus tard surces bases hegeliennes dillmarxisme. ' \2. L'erraur de Marx semble etre d'autant plus excusable que, de son temps,Max Muller' avait r eduit l'etude des religions a une etude de formes Htterairesderivees des figures de rhetorique et engeridrant des contresens. On 'pouvaitdone les oonsiderer comrne des voiles enchant des rapports de I'homme avec [anature.

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    172 REVUE DE M E'rAPH YSIQUE ET DE nIORALE,meme maniere ; eependant Marx , dans sa lettre de 1875 sur Ie pro-gramme de Gotha, avait admis ulle plus grande complication i. ilavait distingue les deux epoques (collectiviste et communiste)reconnues aujourd'hui pal' presque tous les social-democrates.'Les etats psychclogiques de ces deux regimes sont-ils substantial-lement different.? Les auteurs n'ont guere travaille a etudier cettequestion.

    L'hypothese in tellectualiste est aussi necessaire pour Ie collecti-visme que pour le eommuulsme ; noua Ia trouvons des I'origine, aumoment ou la structure sociale va changer; ce changeme nt s'opereloqiquemen], La classe bourgeoise est deveuue inutile, elle disparalt;- la distinction des classes est un anachronisme , on la supprime, -I'autorite pollti que de l'Etal n'a plus de raison d'etre , elle s'evanouit;~ l'organisation socials de la production suivant un plan generalpredetermine devient possible et desirable, on la realise, etc, Ainsiparlent les disciples d'Engels. Le plus grand miracle que l'histoireaura jamais a mentiouner sera I'ahdicatinn volontaire des pouvoirsdietatorlaux : on ne .peut comprendre un phenomene si efonnantsans I'hypothese intellectualiste : cette dictature cesse quand ellen'est plus necessaire pour le bonheur des hommes !

    Quelques auteurs, cornme M. Van Kol,adrnettent que les chasesne se passeront pas aussi simplement. - Comment Ia dernocratiepourr-a-t-elle fournir des resultats si differents de ceux qu'elle a tou-jours fournis, lorsque son pouvnir ri'est pas limite? Comment I'admi-nistration aura-t-elle tnutes les vertus qu'il lui attribue ? 11dit quel'Etat ne disparaltra que tres tard '. Mais puisque I'ttat a toujoursCt.e un agent d'oppression, pourquoi cessera-t-il de I'etre? Tout celaest impossible a comprendre sans I'hypothese intelleetualiste.

    La meme ,auteur liOUS apprend que la so ciete do it pro qreeser "necessalrement dans Ie monde futur : voila une these bien etrange,qu'on arrive il. bien comprendre quand on se reporte 1 l la conceptionintellectualiste. C'est pour l'Intelligence qu'on peut dire, avec cer-titude, qu'il y It eu progi-es, parce que les connaissances n'ontpas cesse de s'ajouter aux connaissances, - au moins depuisl'origine de rare capltaliste. ,La question de savoir si le pro-gres (meme reduit au progres des connuissances) continuerait as'operer sous un regime depourvu de la concurrence capitalists

    1. Op. cit., p. 236.2. Op. cit., p, 254.

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    G. SOREL. - Y A-TIL DE L'UTOPIE DAN~ I.E ~iAHXISl\IE? 173n'offre pas dediffieulte pour qui admet l'hypotheso intellectualiste I: Les besoins scientifiques, artistiques , esthetiques, seront stimuleset satisfaits dans une mesure dont nous n'avons pas d"idee , Jusqu'iciles savants ont beaucoup mains 'fait pour le progres que Ies inven-teurs stimules par les eapitalistes ; mais Ie contraire aura lieu, toutnaturellement, dans une societe ou l'intelligence sera souveraine,

    VII'L Merlino a apporte une contribution tres importante a l'etude deces problernes en montrant qu'on devait Ies poser 'autrement qu'on

    neIaisaitjusqu'ici. Aucune don nee scientiflque ne permet de prouver ~que Ie,collectivis,me doit venir apres I,eca~ilalism,e e~ etre supplante I I ,par Ie commumsme. Pour M. Merlmo II ne s agtt pas de deux" 'regimes economiques successifs, mais de deux principes [uridiquesqui ont besoin de coexister pour assurer la veritable justice dans lasociete. "A .chacun selon ses ceuvres et , il chaeun selon sesbesoins, sout deux regIes qui ant ch acune leur raison d'etre.

    Marx a ete eutraine a presenter des solutions etrangeres a Iascience parce qu'il a obeia deux: preoccupations capitales : iI a eruque les systernes. de production se: succedent en faisant disparaitre,a peu pres completement, Ies systernes anterieurs: il a eru, avecHegel, que I e developpement de l'Esprit domine l'histoire.Dan~ lepassage de la production iudividuelle au capitalisme, puis au socia-lisme, ilvoyait un processus de I'individuel a I'universel, - linetransformation de l'iutelligeuce des travailleurs arrivau t a com-prendre des relations de plus en plus generales, - nne combi-naison plus perfectiormee des interets, des forces et despeneees,passant du hasard anarchique a I'organisation intelligente.

    Demontrer que de pareiIs arrangements logiquespuissent gou-verner I'histoire, voila ce qui estImpossihle. Vico avait commis uneerrcur analogue en admetlant que des processus psychoIogiques peu-vent la gouverner. Dans nos societes trescomplexes toutes les pro-ductions de Ia nature humaine existent a I'etat de melange, Nousavons vu que Marx pensait que la religion doi't disparaitre devant lascience : l'experience ne confirme guere cette vue; les religionstrouvent toujours des e~ements de rajeun issementrlans la mystique,S'il est vrai que' d'une part elles evolueut du sentiment a l'intellec-

    L Op.Clt., p. 245.

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    I1EVUE DE M ETAPIIYSIQUE sr DE1IOHALE.tualisme, elles se reproduisent aussi continuellement, si bien qu'atoute epoque Ies divers stades soot melanges. Ce qu i est si apparentPOIU' la religion, est vrai Russi pour tou te a utre manifestation del'activite psychologique.

    Marx pensait, comme presque tous ses eontemporaine, que Jesformes deja grandeindustrie mecanique devaient s'Imposer it la pro-duction en faisant disparaltre la petite fabrication. On ne voit pasque les .articles d'habillement 1 scient, nulle part, executes, d'unemanierc gencrale, d'apres des principes analogues it ce que I'onobserve pour la filature et le lissage des etofles de coton. L'agricul-ture resiete aux experiences d'exploitation en grand, partoutou lanature du sol permet uue culture tres intensive et exige une grandeeconomie de matieres : apres avoir proclame les bienfaits de la pro-priete tres ctendne, presque tous les 'economistes reconnaissent qu ec'est Ia petite propriete qui repond le mieux aux necess'ites d;une .'agronomic exigeante, En' Belgique, M. Yandervelde S constatequeIn petite culture tend a devenir de plus en plus preponderante,Dans Ie Piernont, M. Einaudi ne h'ouve pas que Ia repartition du solse soit modiflse ; cette repartition tient a des causes qui sernblent peususceptibles de ehangement ~. La condition physique du sol et Ill.diversite des cultures axpliquent tout le vaste organisme de l'eco-nomie agraire piemontaise. C'est une tentative vaine que d'essayerde coordonner toutes Ies sections epllrses des zones agricoles et deles ramener it UDe lei unique )J.

    On ne semble pas avoir remarque un caraetere tres special ducommunisme de Marx: il n'estpas cornplet ; il laisse debout Iaplus primitive des formes de production des moyens d'existence,celle qui representait aux yeux des anciens utopistes Ie plus com-plet gaspillage anarchique; iI conserve le menage, Ill. creation desproduits e n nature ponr l'usage domestique. M. \'an Kol pense que,~ Ies maisons communes, genre de casernes, les tables ouvertes desrepns communs, Ie vetement egalitaire nous, dcplairaicnt , aumoins jusqu'au moment oil rcgner-a " une conception plus elevee dueornmunisme et de la fratemite ,1. cr . Capital, -p, 205, col. L2. Le soeialisme en Belgique, p. 417.3. Derenir social, a.vril '1891, p. 344. Cite par ~I. Vandervelde, Ramie socialisle,mars 1898, p, 329.,i, Op. cit., p. 2,~7.Cependant 1I. Guesde est un partisan enthousiastc de lacuisine sooiate (Le soeialisme au.four le [our; p. 318).

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    G. SOREL. - Y A-T-IL DE L'UTOPI8 DANS LE NARXISME? 1'75Les social-democrates ant ete arnenes it admettreque Ie plan

    general de production, reve par .Marx et Engels, ne serait pas desitot realisable; ils ant propose de considerer un echelon interrne-diaire dans Ie developpemeut socialiste ; ils parlerrt assez cournm-ment d'un collectioisme pariiel, dans lequel toutes les petites etmoyennes industries seraient conservees sous la forme particula-riste. lIs ajoutentbien que ce sera proviso ire 1; mais de I'avenir- ilsnesont pas plus maitres que n'importe qui: its reconnaisserit Ie principede la coexistence des formes infer-ieureset superieures de production. '

    Enfin, presque taus les social-democrates ont reconnu que lescitoyens ne devraientpas etre completement absorbes par les atelierscollectifs et qu'i1s jouiraient de loisirs assez etendus pour pouvoirse livrer it des occupations choisies libremsnt : sans co reste d'lndi-vidualisme Ie progres resterait bien douleux.

    La simplicite apparente de la solution marxiste disparait au fur eta mesure que l'on approfondit Ie probleme pose; iI devieut evident,pour tout Ie monde, que I'economie ne se presente point il chaqucepoque avec unc forme unique, mais qu'il iy 11des coextstencesdesystemes divers; il'est encore plus certainque le droirne saurait[amais. se limiter 1 1 un principe unique correspondant a un modeunique.de production. Lcparticularisme, Ie collectivisme et Ie como,munisrne, au lieu de oaracteriser trois epoques successives, peuventj. ,tres bien 'etre des notions que In science sociale constate sirnultanev]ment dans les societe" develop pees. r

    Si l'on admet ce point de vue, tout ce qu'il y avail d'utopique dansles theses marxistes .disparait; on u'a plus besoin de sot-fir de lascience pour se lancer dans de~ reves sur l'avenir ; it devient inutilede chercher des lois problematiques pour 'regler I'histoire : -r-r- onreste sur Ie terrain solide des faits et on utilise Ia masse des mate-rlaux observes, classes et interpretes par Marx. Mais alors, dernande-t-on : qu'est done Ie socialisme , si ce n'est la recherche de In societedecrlte, en termes sybiIlins par Engels? La reponse mesemble simple:Ie socialisme e'est Ie mouvcment ouvrier, c'est la revolts dnproleta-.riat centre Ies, institutions patronales, c'est I'organisation, it Ia foiseconomique et ethique, que nousvoyons so produire sous nos yeuxpour lutter C?ntl'e les traditions bourgeoises, , " G, SOREL.1. C'est ainsi qu'ils s'eftorcent de resoud re leproblernaagrnfre et promettent

    ':lUX paysans de leur laisser _leur terre.REV. 1\1",r". T. Vll. - 1800. 12