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V. EFFETS DES REGIMES DE REPRODUCTION La moyenne et la variance des caractères quantitatifs peuvent dépendre de la manière dont les géniteurs sont utilisés, au sein d’une population donnée ou entre populations. Avant de décrire les phénomènes observables, il est nécessaire de préciser certaines définitions. L’usage a d’ailleurs entraîné des différences de vocabulaire entre les secteurs de l’amélioration des plantes et de l’amélioration des animaux, différences qu’il est utile d’expliciter. A. Définitions 1. Populations et autres divisions au sein de l’espèce a. La population En génétique, la notion de population a une définition qui se rapporte à la possibilité de reproduction, non pas au sens biologique, mais au sens de la possibilité de rencontre entre des individus ou des gamètes des deux sexes (voir GP) : Une population est un ensemble d’individus de la même espèce se reproduisant effectivement entre eux. La notion de population peut recouvrir des ensembles plus ou moins flous, des courants de migration pouvant exister entre populations (voir GP). b. Variétés et races En agriculture, les termes de « variété » et de « race » ont été définis de façon empirique, avant même l’apparition de la génétique. Leur définition actuelle découle essentiellement de l’usage commercial : « variété » est plus volontiers employé pour les plantes, alors que « race » est généralement employé pour les animaux. Institut National Agronomique Paris-Grignon. E. Verrier, Ph. Brabant, A. Gallais. Juillet 2001 - 101 -

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V. EFFETS DES REGIMES DE REPRODUCTION

La moyenne et la variance des caractères quantitatifs peuvent dépendre de la manière dont les

géniteurs sont utilisés, au sein d’une population donnée ou entre populations. Avant de décrire

les phénomènes observables, il est nécessaire de préciser certaines définitions. L’usage a

d’ailleurs entraîné des différences de vocabulaire entre les secteurs de l’amélioration des

plantes et de l’amélioration des animaux, différences qu’il est utile d’expliciter.

A. Définitions

1. Populations et autres divisions au sein de l’espèce

a. La population

En génétique, la notion de population a une définition qui se rapporte à la possibilité de

reproduction, non pas au sens biologique, mais au sens de la possibilité de rencontre entre des

individus ou des gamètes des deux sexes (voir GP) :

Une population est un ensemble d’individus de la même espèce se reproduisant

effectivement entre eux.

La notion de population peut recouvrir des ensembles plus ou moins flous, des

courants de migration pouvant exister entre populations (voir GP).

b. Variétés et races

En agriculture, les termes de « variété » et de « race » ont été définis de façon empirique,

avant même l’apparition de la génétique. Leur définition actuelle découle essentiellement de

l’usage commercial : « variété » est plus volontiers employé pour les plantes, alors que

« race » est généralement employé pour les animaux.

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Une variété, ou une race, est un ensemble d’individus de la même espèce présentant

entre eux plusieurs caractères héréditaires communs

Les variétés de plantes cultivées peuvent être de différents types selon leur mode d’obtention

et leur uniformité génétique (voir amélioration des plantes). En général, les variétés sont à

base génétique étroite ; elles sont parfois réduites à un seul génotype. Ainsi, elles présentent

une grande homogénéité et ont des caractéristiques agronomiques bien définies. Dans les pays

industrialisés, les variétés doivent être inscrites (procédure de droit publique obligatoire), la

plupart du temps elles sont protégées, leur commerce est contrôlé et des normes de qualité

sont imposées aux semences proposées. Sous un nom de variété, un agriculteur trouvera un

produit constant au cours des années. Toute amélioration génétique nécessitera le dépôt et

l’inscription d’une nouvelle variété avec un nouveau nom. Chaque année, plusieurs dizaines

de nouvelles variétés de plantes (toutes espèces confondues) sont inscrites et les meilleures

d’entre elles viennent remplacer de plus anciennes devenues obsolètes.

Les caractères qui ont servi à définir et à décrire les races animales domestiques, à partir des

XVIIIème-XIXème siècles, sont essentiellement des caractères facilement observables et/ou qui

ont un déterminisme génétique simple (voir amélioration des animaux). Généralement, et en

tout cas dans tous les pays industrialisés, la notion de race recouvre également une réalité

sociologique dans la mesure où les éleveurs d’animaux d’une même race se rassemblent pour

coordonner leurs efforts de sélection. Les races d’animaux domestiques ne présentent pas

l’homogénéité des variétés de plantes. La sélection modifie de façon progressive les

caractéristiques de ces races, sans qu’il soit nécessaire d’en changer le nom. Toutefois, à

l’initiative des éleveurs responsables d’une race donnée, un nouvelle dénomination peut être

adoptée pour marquer l’accumulation dans le temps de modifications génétiques, traduisant

un changement radical des objectifs de sélection par rapport à une situation antérieure. De

nouvelles races peuvent également être crées par croisement de races existantes (voir plus

loin), nécessitant alors le choix d’un nom pour désigner cette nouveauté.

Ne pas confondre les notions d’espèce, d’une part, et de variété ou de race, d’autre

part : races et variétés sont des divisions de l’espèce et non l’inverse.

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c. Notions de souche pure, lignée pure et race pure

En génétique, la notion de « pureté » est largement employée, non en tant qu’échelle de

valeur, mais pour désigner la plus ou moins grande homogénéité génétique. En génétique

formelle, on appelle souche pure un ensemble d’individus ayant une origine commune et

ayant le même génotype (nécessairement homozygote) pour des locus bien spécifiés.

En génétique végétale, la lignée pure représente une population homozygote à tous ou

quasiment tous les locus. Une lignée pure peut être obtenue après plusieurs générations

d’autofécondation, ce qui est facilement réalisable avec des plantes autogames, comme le blé

ou l’orge. Les techniques d’haplo-diploïdisation, qui consistent à former des individus

diploïdes en « doublant » le stock chromosomique haploïde des gamètes d’un seul sexe,

permet d’obtenir des lignées pures en une seule génération.

En génétique animale, l’élevage en race pure consiste à faire se reproduire entre eux des

individus de la même race. Le terme de « pureté » s’applique ici à un matériel beaucoup

moins homogène que dans le cas des lignées pures végétales.

2. Consanguinité, hybridation et croisement

a. Régimes de reproduction en consanguinité

Nous avons vu qu’un individu est consanguin si ses parents sont apparentés entre eux.

Certains régimes de reproduction induisent l’apparition systématique de consanguinité.

Certaines plantes, dites autogames, se reproduisent naturellement par autofécondation, ce qui

conduit rapidement à une consanguinité proche de 100% (voir GP). Plus généralement, la

structuration d’une grande population en petites sous-populations qui se reproduisent sur

elles-mêmes induit une élévation régulière de la consanguinité au sein de l’ensemble de la

population et une différenciation des sous-populations les unes par rapport aux autres due à la

dérive génétique. Ce phénomène s’accompagne d’un déficit en hétérozygotes par rapport à ce

qui serait attendu, sous l’hypothèse d’un équilibre de Hardy-Weinberg, au vu des fréquences

alléliques moyennes dans la grande population (voir GP).

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b. Hybridation et croisement

Les notions d’hybridation et de croisement désignent l’union d’individus provenant de

groupes génétiquement différents. A l’usage, cependant, ces deux termes ont acquis des sens

différents selon que l’on s’intéresse aux plantes ou aux animaux. La situation est résumée au

tableau 13.

Au sens de la systématique, l’hybridation s’applique à l’union d’individus provenant de deux

espèces différentes, le produit de cette union étant appelé un hybride. Le mulet, issu de

l’union d’un baudet et d’une jument, est un exemple classique d’hybride.

En génétique végétale, le terme "hybride" désigne toujours le résultat du croisement entre

deux populations parentales différentes appartenant à la même espèce. Par exemple, dans

les pays industrialisés, les variétés commerciales de maïs sont des variétés hybrides. Lorsque

l’union entre géniteurs appartenant à deux espèces différentes est pratiquée, on le précise en

employant le terme d’hybridation inter-spécifique.

En génétique animale, historiquement, "hybride" était utilisé au sens de la systématique

(union entre espèces). L’union de deux individus de races différentes était désignée par le

terme de croisement, le produit résultant étant un produit croisé. Avec le développement des

lignées commerciales et des programmes de croisement en aviculture, à partir des années

1950, le vocabulaire a évolué. Ainsi, chez les herbivores, la nomenclature traditionnelle a été

conservée alors qu’en production avicole, le terme « hybride »" a la même signification qu’en

production végétale. En production porcine, les deux vocabulaires cohabitent actuellement.

Tableau 13. Termes employés pour désigner certains régimes de reproduction.

Désignation du régime de reproduction

Union d’individus appartenant à Production végétale,

volailles Production animale, sauf volailles

Présent document

des espèces différentes Hybridation inter-spécifique Hybridation Hybridation inter-spécifique

des populations différentes (même espèce)

Hybridation

Croisement

Hybridation intra-spécifique

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B. Effets de la consanguinité

Au travers de la modification de la structure génétique des populations, les régimes induisant

de la consanguinité ont des répercussions sur les caractères quantitatifs. Nous allons mettre en

évidence, à partir d’observations expérimentales, l’effet de la consanguinité sur la moyenne

d’un caractère quantitatif, effet désigné sous le terme de dépression de consanguinité. Ensuite,

nous verrons comment le modèle développé au chapitre III permet d’en rendre compte. Nous

évoquerons enfin l’effet de la consanguinité sur la variabilité génétique d’un caractère.

1. La dépression de consanguinité : approche expérimentale

La figure 20 présente le résultat de deux expériences, l’une conduite sur une espèce de plante

allogame, la luzerne, l’autre sur une espèce animale, la souris. Dans chaque cas, on calcule

dans des conditions de milieu comparables la moyenne de sous-populations issues de la même

population d’origine et différant par leur coefficient de consanguinité moyen (F). Le résultat

le plus frappant est la baisse de la moyenne du caractère mesuré lorsque le coefficient de

consanguinité moyen augmente. Cette évolution de la moyenne est presque rigoureusement

linéaire en fonction de F, au moins sur l’essentiel de la gamme de variation (F compris entre 0

et 0,4 ou 0,5). De nombreuses autres expérimentations ont permis de mettre en évidence

l’effet de l’élévation de la consanguinité sur la moyenne de différents caractères quantitatifs.

En général, l’évolution de la moyenne est défavorable pour les caractéristiques agronomiques

ou zootechniques, d’où l’expression de « dépression » de consanguinité. L’évolution est

parfois moins linéaire que dans les deux exemples de la figure 20, mais la linéarité est souvent

rencontrée, au moins sur certaines plages de variation du coefficient de consanguinité moyen.

Chez les plantes, du fait des régimes de reproduction rencontrés et de la possibilité de

pratiquer des auto-fécondations forcées, on est souvent amené à comparer des situations très

contrastées : F = 0, d’une part, F = 1/2 ou 1, d’autre part. Les effets de la consanguinité sont

moindres chez les espèces se reproduisant naturellement par autofécondation. A l’opposé, la

dépression de consanguinité est très forte chez les plantes allogames car l’augmentation

brutale de la consanguinité entraîne une forte incidence des gènes délétères récessifs (voir

GP). Pour une espèce donnée, les caractères les plus sensibles à la consanguinité sont des

caractères complexes et/ou liés à la valeur sélective (au sens de la sélection naturelle).

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Figure 20. Exemples d’évolution de la moyenne d’un caractère quantitatif en fonction du

coefficient de consanguinité moyen (F).

a : Hauteur et rendement chez la luzerne, en pourcentage de la moyenne observée en absence de

consanguinité. Source : Gallais, 1984.

b : Taille de portée chez la souris. F désigne le coefficient de consanguinité de la portée. Source : Bowman et Falconer, 1960.

0

20

40

60

80

100

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 F

%a

Hauteur

Rendement

4

5

6

7

8

0 0,2 0,4 0,6 F

Taill

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por

tée

b

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Chez les animaux domestiques, l’évolution de la consanguinité est généralement progressive

et le niveau moyen atteint est plus faible que chez les plantes. Parmi les caractères présentant

une forte dépression de consanguinité, on trouve principalement des aptitudes de reproduction

et de viabilité : fertilité, taille de portée, taux de survie. A l’opposé, il existe des caractères

très peu affectés par la consanguinité, voire pas du tout : c’est le cas, notamment, de

caractères très héritables comme les caractéristiques de composition d’un produit. Par ailleurs,

les caractères soumis à des effets maternels, comme le poids à la naissance ou au sevrage chez

les mammifères, sont affectés à la fois par la consanguinité des jeunes sur lesquels s’effectue

la mesure et par la consanguinité de leur mère (voir exercice n° 1).

2. La dépression de consanguinité : prédiction du modèle

Considérons, pour raison de simplicité, un locus à 2 allèles, A1 et A2, de fréquences p et q dans

une grande population. Soit µ11, µ12 et µ22 les moyennes phénotypiques correspondant aux

trois génotypes possibles. Sous un régime de reproduction induisant de la consanguinité, les

fréquences alléliques dans l’ensemble de la population ne sont pas modifiées mais les

fréquences des génotypes le sont (tableau 14 ; voir GP). Pour prédire, sur ce modèle, l’effet de

l’élévation de la consanguinité, on va comparer la valeur moyenne d’une population à

l’équilibre de Hardy-Weinberg (F = 0) avec celle d’une population consanguine (F ≠ 0) de

mêmes fréquences alléliques.

Tableau 14. Description d’une population en régime de consanguinité en comparaison à la

situation caractéristique de l’équilibre de Hardy-Weinberg.

Fréquence des génotypes

Génotype

Moyenne

phénotypique Sous équilibre de Hardy-Weinberg

Avec un coefficient de consanguinité moyen (F)

A1 A 1 µ11 p2 p Fp2 + q

A1 A2 µ12 2 pq 2 1pq F( )−

A2 A2 µ22 q2 p Fp2 + q

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Soit µ la moyenne de la population en équilibre et µF celle de la population dont le coefficient

de consanguinité moyen est égal à F, nous avons :

µ µ µ µ= + +p pq q2

11 122

222 µ µ µF p pq pq F q pq= + + − + +2

11 122

222 2 1 2e j b g e jµ

Soit d l’écart entre la moyenne des hétérozygotes, au locus considéré, et la moyennes des

deux homozygotes correspondants (cf. Ch.III) :

d = −+

µµ µ

1211 22

2

Après quelques réarrangements, la moyenne de la population consanguine s’exprime comme :

µ µF Fpqd= − 2

Sous réserve que l’on puisse négliger les effets d’épistasie, cette expression se généralise au

cas de plusieurs locus ; soit en donnant un indice (l) à chaque locus :

µ µF l

lF pqd= − ∑2 b g

Ainsi, un locus contribue au changement de moyenne sous l’effet de la consanguinité

seulement si le degré de dominance relatif à ce locus est non nul. Plus généralement, il n’y a

dépression de consanguinité que si la dominance est orientée, c’est-à-dire si les degrés de

dominance (d) relatifs aux différents locus sont majoritairement positifs. Toutes choses étant

égales par ailleurs, les locus contribuant le plus à l’évolution de la moyenne sont ceux où les

fréquences alléliques sont intermédiaires.

La dépression de consanguinité affecte les caractères qui présentent une dominance

orientée.

Si les effets des gènes sont strictement additifs (d = 0 à tous les locus), la moyenne du

caractère n’est pas affectée par la consanguinité. On voit que les prédictions de ce modèle

simple sont en accord avec le fait que, chez les animaux, des caractères très héritables

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présentent très peu de dépression de consanguinité (cf. § B.1). Les choses ne sont pas si

simples chez les plantes, où l’augmentation de la consanguinité en une seule génération peut

être très brutale, ce qui ne permet pas une élimination progressive des gènes délétères (voir

GP). Par ailleurs, selon ce modèle, le changement de moyenne est proportionnel à F, ce qui

est cohérent avec un certain nombre d’observations expérimentales (cf. figure 20).

3. Redistribution de la variance génétique additive sous l’effet de la consanguinité

Un régime de consanguinité appliqué dans une grande population revient à isoler plusieurs

lignées d’effectif limité. Pour les plantes autogames, la lignée est représentée par un individu,

plusieurs générations d’autofécondation conduisant à des lignées pures. Sous l’effet de la

dérive génétique, le polymorphisme de chaque lignée tend à s’amenuiser du fait de la perte

aléatoire d’allèles et donc la variabilité génétique interne à chaque lignée diminue au cours

des générations (voir GP). La variabilité entre lignées, elle, s’accroît. Moyennant certaines

hypothèses simplificatrices, en supposant notamment que les effets des gènes sont

strictement additifs, on montre (Wright, 1931) que les variances génétiques additives

s’expriment simplement en fonction du coefficient de consanguinité moyen (F) et de la

variance génétique additive (V ) qui existait au sein de la grande population initiale en

équilibre de Hardy-Weinberg :

A0

Variance intra lignée :

intra− = −V VA A0

1b gFV

Variance entre lignées :

interV FA A= 2

0

Au fur et à mesure que la consanguinité s’accroît, la variabilité génétique est redistribuée aux

dépends de la variabilité interne et au profit de la variabilité entre les lignées. Si l’on peut

atteindre un coefficient de consanguinité de 1 (lignées pures), chacune des lignées a perdu

tout son polymorphisme (variance intra-lignée nulle), la variance génétique additive étant

entièrement redistribuée entre les lignées et valant le double de la variance génétique additive

initiale. Au premier abord, cette augmentation de la variance génétique totale peut surprendre.

Elle traduit le fait que des individus hétérozygotes recèlent une variabilité génétique

potentielle qui ne se dévoile que lorsque les lignées tendent vers l’homozygotie. En génétique

mendélienne, le passage de la F1 à la F2 en est une remarquable illustration.

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Sur le plan pratique, ce phénomène peut être favorable si l’on souhaite exploiter la variabilité

entre lignées : c’est le cas chez les plantes. A l’opposé, si des aptitudes importantes de

l’espèce sont fortement affectées par l’élévation de la consanguinité et que l’on souhaite

maintenir des populations productives, on cherche à éviter les régimes de consanguinité : c’est

le cas chez les animaux d’élevage. Cela ne signifie pas cependant que l’on puisse toujours

éviter la consanguinité au sein des populations animales : par exemple, les souches

entretenues par les sélectionneurs avicoles ont, du fait d’effectifs de reproducteurs limités et

d’un fonctionnement en populations fermées, des niveaux moyens de consanguinité

relativement élevées.

C. L’hétérosis

1. Définition et modes d’expression

L’hétérosis est un phénomène qui se manifeste en cas d’hybridations intra-spécifique ou inter-

spécifique. Il s’observe en comparant la valeur phénotypique moyenne des descendants, issus

de l’hybridation, aux valeurs des populations parentales. Historiquement, c’est le biologiste

allemand Koelreuter (1733-1806) qui le premier mit expérimentalement en évidence le

phénomène de « vigueur hybride » : avec différentes espèces du genre Nicotiana (tabac),

Koelreuter a remarqué que pour certains caractères, la moyenne phénotypique des hybrides

était supérieure à chacune des deux moyennes parentales. Le terme d’hétérosis a été introduit

par les sélectionneurs de maïs (Shull, 1908) pour désigner la supériorité des hybrides par

rapport à la meilleure des deux populations parentales. Ainsi, l’hétérosis est souvent mesuré

comme la différence entre la moyenne des hybrides et la moyenne de la meilleure population

parentale : on parle d’hétérosis « utile » ou d’hétérosis « du point de vue du sélectionneur ».

Toutefois, l’hétérosis est également souvent mesuré comme la différence entre la valeur

moyenne des hybrides et la moyenne des deux populations parentales : on parle alors

d’hétérosis « du point de vue du généticien ». Les praticiens de l’amélioration des animaux

emploient aujourd’hui le terme hétérosis pour désigner la supériorité, pour un caractère

donné, de la moyenne des hybrides par rapport à la moyenne des deux populations parentales.

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A toutes fins utiles, on retiendra les définitions suivantes :

Au sens strict, l’hétérosis désigne la supériorité de la valeur moyenne des hybrides

par rapport à celle de la meilleure population parentale.

La mesure de l’hétérosis peut s’exprimer (1) au sens strict, par rapport à la

meilleure population parentale ou (2) dans un sens élargi, par rapport à la moyenne

des deux populations parentales. Il est donc indispensable de préciser la référence

par rapport à laquelle l’hétérosis est exprimé.

Quelle que soit la valeur de référence, l’hétérosis est calculé sur la base de résultats

moyens : moyenne des hybrides, moyenne de la première population parentale,

moyenne de la seconde population parentale.

Sur le plan pratique, il est entendu que la production d’hybrides, intra-spécifiques ou inter-

spécifiques, n’est justifiée que si les individus hybrides présentent, pour un caractère

synthétique d’utilité économique, un avantage moyen par rapport aux individus de chacune

des lignées parentales (d’où l’expression « hétérosis utile », signalée plus haut).

2. Mise en évidence expérimentale de l’hétérosis

La figure 21 présente des résultats où des hybrides intra-spécifiques F1 (hybrides simples)

sont comparés aux deux populations parentales qui ont été utilisées pour les produire. Dans

l’expérience sur le maïs (figure 21.a-b), les populations parentales sont des lignées pures

(totalement consanguines). Pour les deux caractères mesurés, hauteur de plante et rendement

en grain, il y a hétérosis au sens strict. On remarque cependant qu’en valeur relative, la

supériorité moyenne des hybrides F1 varie selon le caractère auquel on s’intéresse :

l’hétérosis au sens strict (exprimé en pourcentage du meilleur parent) est de + 27 % pour la

hauteur et de + 179 % pour le rendement. Notons que des expériences similaires réalisées en

croisant des populations différenciées mais conduites chacune en panmixie, aboutissent à un

hétérosis nettement moins élevé.

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Figure 21. Exemples d’effet d’hétérosis dans le cadre d’hybridations intra-spécifiques.

a : Hauteur de la plante entière chez le maïs (inches). P1 et P2 = lignées parentales (lignées pures). F1 =

P1 x P2. Source : Jones, 1918. b : Rendement en grain chez le maïs [nous sommes aux USA et le rendement est mesuré en

boisseaux/acre (≈ 0,7 qtx / ha)]. Même légende qu’en a. Source : Jones, 1918. c : Taille de portée à la naissance chez le porc (nés totaux). Le type génétique indiqué est celui de la

mère : LW = race Large-White, LRF = race Landrace-Français, F1 = LW x LRF (moyenne des croisements dans les deux sens). Source : INRA-ITP, 1988.

d : Taille de portée à la naissance chez le porc (nés totaux). Le type génétique indiqué est celui de la

mère : LW = race Large-White, MS = race Meishan, F1 = LW x MS (moyenne des croisements dans les deux sens). Source : Bidanel et al., 1989.

a

0

50

100

P1 F1 P2

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es

b

0

40

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Taill

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LW F1 MS

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e de

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Les résultats relatifs au porc concernent tous deux la taille de portée. La figure 21.c

correspond à des données collectées en ferme et ajustées pour les effets de milieu contrôlés.

Les races parentales utilisées, Large-White et Landrace-Français, sont toutes deux d’origine

européenne ; les truies de ces deux races ont en moyenne des tailles de portée du même ordre

de grandeur. On observe un hétérosis d’ampleur modérée : + 4,5 % par rapport à la meilleure

race parentale, + 6 % par rapport à la moyenne des deux races parentales. La figure 21.d

représente des résultats expérimentaux. La première race parentale est toujours la Large-

White mais la seconde est une race d’origine chinoise, la Meishan, caractérisée par un haut

niveau de prolificité. Là, on constate un hétérosis dont l’ampleur est plus grande que dans le

cas précédent : + 8 % par rapport à la meilleure race parentale, + 20 % par rapport à la

moyenne des deux races parentales.

Ces deux séries de résultats, confirmés par de très nombreux résultats expérimentaux obtenus

sur d’autres espèces, permettent de dégager deux conclusions essentielles quant à

l’importance de l’hétérosis :

L’hétérosis dépend du caractère observé.

L’hétérosis dépend des populations parentales utilisées : en général, il est d’autant

plus fort que ces dernières sont distantes sur le plan génétique et particulièrement élevé si elles sont consanguines.

D’autres résultats expérimentaux montrent que l’hétérosis peut également dépendre du milieu

dans lequel on se trouve. En effet, l’hétérosis est assez généralement plus fort lorsque les

conditions de milieu deviennent plus rigoureuses. Il s’agit d’une interaction génotype x milieu

(cf. Ch.II), que l’on interprète comme résultant d’une meilleure stabilité (homéostasie) des

hybrides vis-à-vis des aléas du milieu. Cette meilleure stabilité constitue l’un des avantages

des variétés hybrides par rapport aux lignées pures chez certaines espèces de plantes cultivées

naturellement autogames, comme la tomate. C’est parfois le cas également des hybrides inter-

spécifiques chez les animaux d’élevage.

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Tableau 15. Ordre de grandeur de l’hétérosis pour certains caractères mesurés chez le blé et

le maïs. L’hétérosis est calculé (a) par rapport à la meilleure population parentale et (b) par

rapport à la moyenne des populations parentales ; dans chaque cas, il est exprimé en

pourcentage de la valeur de référence. Sources : blé : Oury et al., 1993 ; maïs : INRA-Station de génétique végétale du Moulon

______________________________________________________________________ Hétérosis Espèce et caractère ___________________________ a b ______________________________________________________________________

Blé Hauteur de la plante + 0 % + 6 % Rendement en grain + 4 % + 9 % Nombre de grains par épi - 6 % + 4 % Poids de 1000 grains 0 % + 6 % Durée de remplissage du grain - 2 % + 1 % Vitesse de remplissage du grain 0 % + 7 %

Maïs Rendement en grain + 250 à + 350 % Rendement en biomasse (maïs fourrage) + 250 à + 400 % ______________________________________________________________________

Tableau 16. Ordre de grandeur de l’hétérosis pour certains caractères mesurés chez des

animaux domestiques (hybridations intra-spécifiques impliquant des races européennes).

L’hétérosis est calculé par rapport à la moyenne des races parentales et exprimé en

pourcentage de cette moyenne. Sources : Pirchner, 1985 ; Sellier, 1988

______________________________________________________________________ Hétérosis Espèce et caractère ___________________________ quand l’animal quand sa mère est hybride est hybride ______________________________________________________________________

Bovins Fertilité 90 jours après mise-bas + 12 % Production laitière (traite) + 4 % Teneur en matière grasse du lait + 0 %

Ovins Taille de la portée à la naissance + 3 % + 3 % Poids à la naissance + 3 % + 5 % Vitesse de croissance après sevrage + 7 % + 0 %

Porc Taille de portée à la naissance + 2 % + 6 % Taille de portée au sevrage + 6 % + 9 % Taux de survie naissance-sevrage + 4 % + 2 % Vitesse de croissance après sevrage + 6 % 0 % Taux de muscle dans la carcasse 0 % 0 %

Poule Production d’œufs + 15 % Poids corporel + 12 % ______________________________________________________________________

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Le tableau 15 donne des ordres de grandeur de l’effet d’hétérosis chez le blé et le maïs. On

constate que l’hétérosis est beaucoup plus marqué chez une plante allogame, le maïs, que chez

une plante autogame, le blé. On observe en effet des effets d’hétérosis supérieurs à + 100 %

par rapport à la moyenne des populations parentales chez le maïs, alors que chez le blé les

valeurs d’hétérosis ne dépassent pas + 10% et peuvent même être négatives quand la

référence choisie est la meilleure population parentale.

Le tableau 16 donne des ordres de grandeur de l’effet d’hétérosis chez diverses espèces

d’animaux domestiques. Pour des caractères sujets à des effets maternels, on peut observer un

hétérosis, d’une part, quand les animaux faisant l’objet de la mesure sont eux-mêmes hybrides

intra-spécifiques et, d’autre part, quand leur mère est elle même hybride (voir encadré 7) ; ces

deux possibilités sont distinguées dans le tableau. Par ailleurs, on constate que, pour des

caractères similaires, il y a peu de différence entre les valeurs d’hétérosis observées d’une

espèce animale à l’autre.

Au sein d’une espèce donnée, qu’il s’agisse de plantes ou d’animaux, on constate que les

caractères manifestent d’autant plus d’hétérosis qu’ils sont sensibles à la dépression de

consanguinité. Par exemple, chez les animaux domestiques, les aptitudes de reproduction et

de viabilité, qui sont très sensibles à la consanguinité (cf. § B.1), sont les caractères qui

manifestent aussi le plus d’hétérosis. Hétérosis et dépression de consanguinité peuvent ainsi

apparaître comme avoir des causes génétiques communes. Nous allons voir que les

prédictions du modèle étayent cette conclusion.

3. L’hétérosis : prédiction du modèle

a. Hétérosis en F1

Pour simplifier les écritures, dans cette partie, nous appellerons F1 la population hybride de

première génération issue de populations parentales quelconques9. La population issue de

l’union panmictique entre des individus de la F1 est désignée par F2.

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9 En génétique végétale, le terme F1 est habituellement réservé à l’hybride de première génération issu de deux lignées pures.

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Encadré 7

Hétérosis direct et hétérosis maternel chez les animaux Chez les mammifères, des caractères comme la taille de portée, le poids à la naissance, le taux de survie, la vitesse de croissance avant sevrage, sont influencés à la fois par le génotype des jeunes et par le génotype de leur mère. Considérons, par convention, que les caractères de ce type représentent les performances des jeunes ; ceci est assez naturel pour le taux de survie, ça l’est moins pour la taille de portée. On désigne alors par effet direct et par effet maternel les effets sur le caractère étudié du génotype du jeune et du génotype de sa mère respectivement. Dans ce cas, l’hétérosis peut avoir deux origines. Premièrement, les jeunes sont issus d’une hybridation intra-spécifique : on parle alors d’hétérosis direct. Deuxièmement, les mères sont elles-mêmes issues d’une hybridation intra-spécifique : on parle alors d’hétérosis maternel. Le calcul de l’hétérosis direct et de l’hétérosis maternel s’effectue à partir de protocoles d’hybridation intra-spécifiques du type de ceux schématisés ci-dessous.

Hétérosis direct : H YY Y

dir F1P1 P2

2= −

+

Races parentales P1 P1 P2 P2

Moyennes mesurées Y P1 Y F1 YP2

Hétérosis maternel : H YY Y

mat Q F1Q P1 Q P2

2= −

× ×

Type génétique paternel Types génétiques maternels Q P1 F1 P2

Moyennes mesurées Y Q P1× YQ F1× YQ P2×

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Soit un locus avec deux allèles, A1 et A2, dont les fréquences peuvent différer d’une

population parentale à l’autre : soit les fréquences respectives p et q dans P1, p+y et q-y dans

P2 [avec p+q = (p+y) + (q-y) = 1]. Appelons µ11, µ12 et µ22 les moyennes phénotypiques

correspondant aux trois génotypes possibles. Le tableau 17 présente la structure génétique à

l’intérieur de chacune des deux populations parentales, supposées panmictiques, et dans une

population (F1) issue du croisement entre des mâles d’une des deux populations parentales et

des femelles de l’autre.

Les moyennes des deux populations parentales (µP1 et µP2) et de la F1 (µF1) s’écrivent :

µ µ µP1 = + +p pq q2

11 122

222 µ

µ

µ µ µP2 = + + + − + −( ) ( )( ) ( )p y p y q y q y2

11 122

222

µ µ µ µF1 = + + − + + + −p p y p q y q p y q q y( ) ( ) ( ) ( )11 12 22

Nous pouvons comparer la moyenne de la F1, soit à la meilleure des deux populations

parentales, soit à la moyenne des deux populations parentales. Dans le premier cas, le résultat

dépend des valeurs de p et q, alors que dans le second il en est indépendant. Il est ainsi plus

facile de tirer des conclusions de portée générale en se ramenant à la moyenne des deux

populations parentales.

Tableau 17. Structure génétique de deux populations parentales panmictiques (P1 et P2) et de

la F1 qui en est issue.

Fréquence des génotypes

Génotype

Moyenne P1 P2 F1

A1 A1 µ11 p2 ( )p y+ 2 p p y( )+

A1 A2 µ12 2 pq 2( )( )p y q y+ − p q y q p y( ) (− + + )

A2 A2 µ22 q2 ( )q y− 2 q q y( )−

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Soit µ la moyenne des deux populations parentales : P

µµ µ

PP1 P2=+2

On montre que l’hétérosis en F1 (HF1), défini par rapport à cette moyenne parentale, s’écrit :

H yF F1 P11 22

1 122

2= − = −

+LNM

OQPµ µ µ

µ µ

Rappelons le terme entre crochets est désigné par d (cf. section précédente), nous avons :

H dyF1

2=

Si l’on admet que les effets d’épistasie sont négligeables, cette expression se généralise très

simplement au cas de plusieurs locus ; soit, en employant l’indice l pour désigner les locus :

H dl l

F12= ∑ e jy

On remarque que l’hétérosis en F1 dépend de l’existence d’une dominance orientée. On

comprend alors que l’importance de l’hétérosis dépende du caractère mesuré et que les

caractères les plus sensibles à la dépression de consanguinité soient ceux qui présentent le

plus d’hétérosis : ces deux effets sont manifestement les deux facettes du même phénomène.

L’hétérosis se manifeste pour les caractères qui présentent une dominance orientée.

L’expression ci-dessus indique par ailleurs que l’hétérosis en F1 est d’autant plus important

que les différences de fréquences alléliques (y) entre les deux populations parentales sont

élevées. Cette prédiction du modèle est en bon accord avec les faits observés (voir § C.2)

révélant, pour un même caractère, un hétérosis d’autant plus fort que les populations sont

génétiquement éloignées. Lorsque les populations parentales sont totalement consanguines

(lignées pures), y vaut 1 pour les locus sur lesquels les deux lignées diffèrent : l’hétérosis est

alors maximal.

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Nous avons noté que la dépression de consanguinité est en liaison avec l’augmentation de la

fréquence des homozygotes (cf. § B.2). De façon comparable, on peut montrer que la

fréquence des hétérozygotes en F1 (πF1) est supérieure à la moyenne des fréquences des

hétérozygotes dans les deux populations parentales ( πP1 et πP2 ; cf. tableau 17) :

ππ π

FP P2

11 2

2−

+= y

L’hétérosis est lié au fait que les hétérozygotes sont en plus grande proportion en F1

qu’ils ne le sont en moyenne dans les deux lignées parentales.

Les choses ne sont en fait pas si simples que ça. D’autres sources que la dominance

orientée peuvent engendrer de l’hétérosis en F1. C’est le cas des effets d’interaction

entre gènes à différents locus (effets d’épistasie) qui ont été négligés ici.

b. Hétérosis en F2

Le modèle que nous venons de développer, en faisant l’hypothèse d’absence d’épistasie,

permet de prédire l’hétérosis qui peut se manifester au sein d’une F2 obtenue par union

panmictique d’individus de la F1. Toujours en se référant à la moyenne des populations

parentales, on montre que l’hétérosis en F2 s’écrit :

H dyl l

F F2 P F22

112

12

= − = =∑µ µ e j H

Ainsi, l’hétérosis en F2, exprimé en écart à la moyenne des populations parentales, est

diminué de moitié par rapport à l’hétérosis en F1. Ce phénomène de "perte de vigueur" entre

la F1 et la F2 est assez fréquemment observé ; c’est la principale raison qui explique qu’un

producteur de maïs qui utilise des variétés hybrides F1 n’a pas intérêt à utiliser les graines

récoltées une année donnée comme semence pour l’année suivante.

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De la même manière que pour l’analyse en F1, on peut faire un parallèle entre l’effet

d’hétérosis et l’écart de fréquence des hétérozygotes entre populations. Soit, pour un locus

donné, cette fréquence en F2 : πF2

ππ π

FP P2

21 2

212

−+

= y

Alors que les fréquences alléliques n’ont pas évolué entre la F1 et la F2, le surcroît

d’hétérozygotes par rapport à la moyenne des deux parentales a été divisé par deux,

exactement comme pour l’hétérosis. Ceci est dû à la panmixie qui a ramené les fréquences des

génotypes à une situation d’équilibre à chaque locus.

Selon le caractère étudié, le passage de la F1 à la F2 se traduit par des évolutions

diverses de la moyenne. La perte de la moitié de l’effet d’hétérosis est assez

fréquemment observée, mais ce n’est pas la règle absolue : on observe également

assez fréquemment que l’écart entre la F2 et la moyenne des populations parentales

est supérieur à la moitié de l’écart constaté en F1. Là encore, inclure des effets

d’épistasie dans le modèle permet de rendre compte de ce meilleur maintien de

l’hétérosis par rapport à ce que prévoit le modèle où l’on considère que les effets des

différents locus s’ajoutent strictement.

c. Réflexion sur la notion de dominance orientée

Tant en ce qui concerne la dépression de consanguinité que l’hétérosis, une condition

suffisante à l’apparition de ces phénomènes est l’existence d’une dominance orientée. Les

résultats observés sur des caractères d’intérêt agronomique ou zootechnique montrent que,

sauf quand l’un et l’autre sont nuls, l’effet de la consanguinité est négatif alors que celui de

l’hétérosis est positif. Ceci tendrait à montrer que la dominance serait orientée toujours dans

le même sens : les hétérozygotes seraient de façon majoritaire plus proches des homozygotes

« favorables » que des homozygotes « défavorables ».

Afin d’éclairer ce phénomène, il convient de constater que les caractères qui nous intéressent

sont souvent des caractères complexes, qui mettent en jeu de nombreux mécanismes

physiologiques. Dans tous les cas, l’obtention de valeurs phénotypiques élevées suppose un

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bon fonctionnement de l’organisme entier. On sait que la sélection naturelle élimine très

rapidement les allèles dominants défavorables à l’adaptation au milieu extérieur et à la

fécondité (voir GP) ; le cas des gènes létaux est particulièrement illustratif à cet égard. Ainsi,

la sélection naturelle, en éliminant les allèles dominants ou subdominants défavorables au bon

fonctionnement de l’organisme, a contribué à ce que les allèles qui manifestent de la

dominance soient majoritairement favorables aux caractères qui nous intéressent aujourd’hui.

Dans des populations panmictiques, l’élimination des allèles défavorables récessifs est

cependant très lente (voir GP). Ainsi, dans les populations d’animaux et de plantes allogames,

des allèles récessifs défavorables, notamment des allèles létaux ou sublétaux, sont maintenus

à l’état hétérozygote : ce « fardeau génétique » peut expliquer une partie de la sensibilité des

populations à la consanguinité.

Deux hypothèses, dont les implications pratiques sont nettement différentes, sont

généralement avancées pour rendre compte de la dominance orientée, et donc de l’hétérosis :

la dominance et la surdominance (ou superdominance).

Dans l’hypothèse de la dominance, l’avantage lié à l’hybridation est dû au regroupement dans

un même génotype de gènes dominants favorables. Considérons par exemple deux locus à

deux allèles, A et a, d’une part, B et b, d’autre part, la lettre majuscule désignant l’allèle

dominant favorable. Soit des populations parentales doublement homozygotes :

P1 : A A b b P2 : a a B B

La F1 issue du croisement entre des individus de P1 et de P2 est composée d’individus tous

doublement hétérozygotes, réunissant les deux allèles dominants favorables :

F1 : A a B b

Il est théoriquement possible d’obtenir par sélection un génotype aussi bon que l’hybride et

stable au cours des générations : AA BB ; sous l’hypothèse de la dominance, l’hétérosis est

dit fixable. Si le nombre de locus impliqués est élevé, la fixation peut toutefois se révéler

ardue. Avec 20 locus indépendants, la probabilité de trouver dans une F2 un individu

homozygote pour les allèles favorables aux 20 locus est (¼)20 = 10-13. L’hybride F1 est donc

un moyen rapide d’exploiter la complémentarité de deux lignées.

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Dans l’hypothèse de la surdominance, la supériorité de l’hybride est liée à la supériorité de

l’état hétérozygote en lui-même à un certain nombre de locus : Aa > AA > aa. Pour un locus

donné, dans un milieu donné, des exemples d’une telle situation sont rares. Toutefois, il n’est

pas nécessaire que l’hétérozygote présente à un moment donné une supériorité par rapport à

l’état homozygote : il suffit qu’il soit plus stable en milieu variable. L’équipement

enzymatique plus riche des hétérozygotes peut les rendre plus aptes à exploiter un milieu

variable dans le temps et/ou l’espace. L’hétérozygote peut être avantagé sur l’ensemble des

milieux sans l’avoir jamais été dans des conditions précises (tableau 18) : c’est la

surdominance marginale, due à l’homéostasie. D’autres modèles plus complexes de

surdominance peuvent également être conçus avec des locus à effets pléiotropiques ou à effets

multiplicatifs. La différence avec l’hypothèse de la dominance est qu’en cas de

surdominance, l’hétérosis n’est pas fixable : les hybrides seront toujours supérieurs aux

populations parentales10.

Tableau 18. Schématisation de la surdominance marginale. Les deux milieux sont les milieux

successifs que connaît l’organisme au cours de son développement. L’allèle A n’est efficace

que dans le premier milieu, l’allèle a n’est efficace que dans le second. Des valeurs arbitraires

sont données aux trois génotypes dans les deux milieux, la valeur phénotypique finale étant

représentée par la somme des deux valeurs partielles.

Génotype Milieu 1 Milieu 2 Bilan AA 4 0 4 Aa 4 4 8 aa 0 4 4

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10 D’un point de vue évolutif, quand il y a un avantage sélectif à posséder l’information apportée par deux allèles différents, cela signifie a contrario que posséder un seul allèle (être homozygote) présente des désavantages. Pour un locus biallélique, il est impossible que la fréquence des hétérozygotes dans une population panmictique soit supérieure à 0,5 : à chaque génération, il y a une majorité d’homozygotes qui ne sont pas au mieux du point de leur valeur sélective. Ceci laisse penser qu’il est difficile de maintenir dans les populations naturelles un grand nombre de locus polymorphes manifestant de la surdominance et que la duplication de gènes (phénomène courant à l’échelle de l’évolution) a pu représenter un moyen de fixer deux formes différentes du même gène.

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EXERCICES

Exercice n°1 Le tableau ci-dessous, établi pour des lignées expérimentales de souris, donne les moyennes observées de taille de portée selon le coefficient de consanguinité moyen (F) des mères d’une part et des jeunes d’autre part. _______________________________________________

F _____________________ Taille de portée

Mères Jeunes _______________________________________________

0 0 8,3 0,375 0,5 5,7 0.5 0 6,2 _______________________________________________

1) Sur le plan biologique, comment expliquez-vous que l’on puisse distinguer pour le caractère "taille de portée" une composante maternelle et une composante liée aux jeunes eux-mêmes ?

2) En supposant que la moyenne phénotypique pour ce caractère évolue de façon linéaire en fonction des

coefficients de consanguinité moyens, calculer à partir de ces données l’effet dépressif lié à la consanguinité des mères ainsi que celui lié à la consanguinité des jeunes.

3) Quelle valeur moyenne de la taille de portée peut on prédire pour une lignée de souris totalement

consanguine (F = 1 pour tout individu) ? D’après Roberts, 1960. Exercice n°2 Des hybridations intra-spécifiques ont été effectuées entre deux lignées consanguines de maïs. Le tableau ci-dessous donne les moyennes de rendement en grain (qx/ha) pour les deux lignées parentales, P1 et P2, et pour la F1. Calculez l’hétérosis en F1 par rapport à la moyenne des valeurs parentales. Donnez, en spécifiant vos hypothèses, une prédiction de la valeur moyenne de la F2 obtenue par union panmictique d’individus de la F1.

______________________ P1 P2 F1

40 48 84 ______________________

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