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90 Courrier de l'environnement de l'INRA n°42, février 2001 Valeur écologique d'un verger de l'Atlas (Maroc) selon l'évaluation de son indice lépidopterologique par Michel R. Tarrier Apartado 15553, 29080 Mâlaga, Espagne [email protected] Depuis 1992, nous avons parcouru le Maroc avec l'œil et la motivation de l'entomologiste 1 . Mais il nous a toujours semblé indispensable de porter aussi sur le monde autour de nous le regard du naturaliste. Et, au fil des années, ceci est devenu de plus en plus essentiel. Car la faune et la flore, le sol et le climat témoignent pour l'insecte comme celui-ci témoigne si souvent pour eux. Il eut été dommage que dans les mailles fines d'un filet tenu depuis quinze ans entre Pyrénées et Sahara, ne soient retenus simplement que des insectes, des inventaires, des localités, des préoccupations de nomenclature, ou de morphologie, sans qu'une ou des leçons plus générales en soient tirées. Montrer l'entomologie comme une clé pour l'histoire naturelle dans un pays comme le Maroc, dont la richesse géographique, climatique, est doublée d'une richesse humaine et culturelle toute aussi grande, c'est forcément évoquer également une histoire humaine qui ici est encore souvent partie intégrante de cette histoire naturelle. Entre une exclusion réciproque des activités humaines contemporaines et de la nature (ou ce qu'il en reste), l'alternative semble trop souvent, dans nos pays, ne résider désormais que dans des décisions politiques. Politique écologique certes, mais qui repose plus sur des directives et des mesures de protection, interdictions contre un impact jugé négatif de ces activités humaines que sur des exemples et gestions de ces mêmes activités pour un impact qui serait cette fois jugé positif. Il nous a donc semblé, pour ces raisons, important de faire connaître un cas de coexistence harmonieuse entre l'homme et quelques espèces de Lépidoptères sensibles, dans le cadre d'une exploitation agricole marocaine dont les objectifs sont ceux de la rentabilité et qui ne s'annonce pas comme foncièrement « biologique » ou « alternative ». On pourra objecter qu'une telle association se teinte d'une sorte de commensalisme. Mais les capacités de l'espèce humaine à modeler son environnement sont désormais telles que, de plus en plus, n'est laissée à la faune - dont l'entomofaune - et à la flore qu'une position de 1 La science des Insectes, l'entomologie, use d'un vocabulaire particulier pour décrire un monde et des relations très complexes. La classification est très ardue mais sa précision est nécessaire... Il est question ici d'Insectes de l'ordr des Lépidoptères (larve = chenille, nymphe = chrysalide, imago = papillon) Hétéroneures Monotysiens Rhopaloceres (antennes en massue, meurs diurnes), de la super-famille des Papilonoidea, qui regroupe les familles des Papilionidés, des Piérides, des Lycénidés et des Nymphalidés. Ce sont généralement de très beaux « papillons de jour ». commensal ou, pire, de parasite. On pourra objecter encore qu'une telle exploitation, parce qu'agricole et parce que située au Maroc, n'a qu'une valeur d'exemple limitée. Il faudra alors remarquer que, du point de vue de l'entomofaune, donc des papillons concernés, la valeur est grande. Et que, globalement, l'entomofaune marocaine est une des plus riches de la Méditerranée. Qu'au Maroc encore, de tels exemples de Lépidoptères sténoèces 2 dont l'essor est lié à des habitats anthropisés sont connus, le cas le plus emblématique étant sans doute celui de Zerynthia rumina tarrieri des oasis du Sud- Ouest marocain (Binagot et Lartigue, 1998). Et qu'enfin, dans nos pays du Nord de la Méditerranée, l'agriculture, si elle ne représente plus qu'une faible part de la richesse et de l'emploi, pourrait bien être « sous diverses formes » une solution réaliste à la gestion de nos paysages, face à la déprise actuelle, aux jachères et à la fermeture de tant d'espaces ouverts par l'envahissement d'une végétation que rien ne vient plus maîtriser. « Sous quelles formes », là est finalement le sujet de ce travail, dans lequel nous ne voulons pas céder à la tentation d'un jugement (et pourtant !), mais seulement présenter des faits. Notre cartographie des Rhopaloceres Papilionoidea du Maroc (Tarrier, 2000a), fruit de plus de 1 000 jours de terrain, nous permet de constater dans ce pays une remarquable diversité. La richesse aujourd'hui de cette biodiversité, de ce patrimoine naturel nous surprend, mais c'est qu'il nous manque une comparaison avec des recherches et travaux biogéographiques antérieurs. En effet, il faut déplorer l'absence de toutes recherches et publications depuis la fin du protectorat, à la notable exception de celles de J. Tennent, (mais son travail est contemporain du nôtre, qu'il recoupe). De plus, les recherches pionnières d'avant et de pendant le protectorat étaient limitées par les possibilités de déplacement, les routes ou chemins, mais aussi les risques de pénétrer dans certaines régions plus ou moins « pacifiées ». La lecture des premiers travaux de L. Emberger, et des études botaniques faites « dans la foulée » des troupes est édifiante. Si la diversité constatée aujourd'hui est encore si grande, c'est qu'elle l'était sans doute bien plus autrefois et ceci sur des territoires biens plus étendus. Car la densité humaine et, par voie de conséquence, animale est partout une menace (4 millions d'habitants au début du siècle, une trentaine aujourd'hui - dont la moitié de moins de 21 ans - et plus de 2 Qui ont des exigences écologiques assez strictes.

Valeur écologique d'un verger de l'Atlas (Maroc)sont généralement de très beaux « papillons de jour ». commensal ou, pire, de parasite. On pourra objecter encore qu'une telle

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90 Courrier de l'environnement de l'INRA n°42, février 2001

Valeur écologique d'un verger de l'Atlas (Maroc)selon l'évaluation de son indice lépidopterologiquepar Michel R. TarrierApartado 15553, 29080 Mâlaga, [email protected]

Depuis 1992, nous avons parcouru le Marocavec l'œil et la motivation de l'entomologiste1. Mais ilnous a toujours semblé indispensable de porter aussi surle monde autour de nous le regard du naturaliste. Et, aufil des années, ceci est devenu de plus en plus essentiel.Car la faune et la flore, le sol et le climat témoignentpour l'insecte comme celui-ci témoigne si souvent poureux. Il eut été dommage que dans les mailles fines d'unfilet tenu depuis quinze ans entre Pyrénées et Sahara, nesoient retenus simplement que des insectes, desinventaires, des localités, des préoccupations denomenclature, ou de morphologie, sans qu'une ou desleçons plus générales en soient tirées. Montrerl'entomologie comme une clé pour l'histoire naturelledans un pays comme le Maroc, dont la richessegéographique, climatique, est doublée d'une richessehumaine et culturelle toute aussi grande, c'est forcémentévoquer également une histoire humaine qui ici estencore souvent partie intégrante de cette histoirenaturelle. Entre une exclusion réciproque des activitéshumaines contemporaines et de la nature (ou ce qu'il enreste), l'alternative semble trop souvent, dans nos pays,ne résider désormais que dans des décisions politiques.Politique écologique certes, mais qui repose plus sur desdirectives et des mesures de protection, interdictionscontre un impact jugé négatif de ces activités humainesque sur des exemples et gestions de ces mêmes activitéspour un impact qui serait cette fois jugé positif.

Il nous a donc semblé, pour ces raisons,important de faire connaître un cas de coexistenceharmonieuse entre l'homme et quelques espèces deLépidoptères sensibles, dans le cadre d'une exploitationagricole marocaine dont les objectifs sont ceux de larentabilité et qui ne s'annonce pas comme foncièrement« biologique » ou « alternative ». On pourra objecterqu'une telle association se teinte d'une sorte decommensalisme. Mais les capacités de l'espèce humaineà modeler son environnement sont désormais telles que,de plus en plus, n'est laissée à la faune - dontl'entomofaune - et à la flore qu'une position de

1 La science des Insectes, l'entomologie, use d'un vocabulaireparticulier pour décrire un monde et des relations très complexes.La classification est très ardue mais sa précision est nécessaire... Ilest question ici d'Insectes de l'ordr des Lépidoptères (larve =chenille, nymphe = chrysalide, imago = papillon) HétéroneuresMonotysiens Rhopaloceres (antennes en massue, meurs diurnes), dela super-famille des Papilonoidea, qui regroupe les familles desPapilionidés, des Piérides, des Lycénidés et des Nymphalidés. Cesont généralement de très beaux « papillons de jour ».

commensal ou, pire, de parasite. On pourra objecterencore qu'une telle exploitation, parce qu'agricole etparce que située au Maroc, n'a qu'une valeur d'exemplelimitée. Il faudra alors remarquer que, du point de vue del'entomofaune, donc des papillons concernés, la valeurest grande. Et que, globalement, l'entomofaunemarocaine est une des plus riches de la Méditerranée.Qu'au Maroc encore, de tels exemples de Lépidoptèressténoèces2 dont l'essor est lié à des habitats anthropiséssont connus, le cas le plus emblématique étant sans doutecelui de Zerynthia rumina tarrieri des oasis du Sud-Ouest marocain (Binagot et Lartigue, 1998). Et qu'enfin,dans nos pays du Nord de la Méditerranée, l'agriculture,si elle ne représente plus qu'une faible part de la richesseet de l'emploi, pourrait bien être « sous diverses formes »une solution réaliste à la gestion de nos paysages, face àla déprise actuelle, aux jachères et à la fermeture de tantd'espaces ouverts par l'envahissement d'une végétationque rien ne vient plus maîtriser. « Sous quelles formes »,là est finalement le sujet de ce travail, dans lequel nousne voulons pas céder à la tentation d'un jugement (etpourtant !), mais seulement présenter des faits.

Notre cartographie des RhopaloceresPapilionoidea du Maroc (Tarrier, 2000a), fruit de plus de1 000 jours de terrain, nous permet de constater dans cepays une remarquable diversité. La richesse aujourd'huide cette biodiversité, de ce patrimoine naturel noussurprend, mais c'est qu'il nous manque une comparaisonavec des recherches et travaux biogéographiquesantérieurs. En effet, il faut déplorer l'absence de toutesrecherches et publications depuis la fin du protectorat, àla notable exception de celles de J. Tennent, (mais sontravail est contemporain du nôtre, qu'il recoupe). Deplus, les recherches pionnières d'avant et de pendant leprotectorat étaient limitées par les possibilités dedéplacement, les routes ou chemins, mais aussi lesrisques de pénétrer dans certaines régions plus ou moins« pacifiées ». La lecture des premiers travaux deL. Emberger, et des études botaniques faites « dans lafoulée » des troupes est édifiante. Si la diversité constatéeaujourd'hui est encore si grande, c'est qu'elle l'était sansdoute bien plus autrefois et ceci sur des territoires biensplus étendus. Car la densité humaine et, par voie deconséquence, animale est partout une menace (4 millionsd'habitants au début du siècle, une trentaine aujourd'hui -dont la moitié de moins de 21 ans - et plus de

2 Qui ont des exigences écologiques assez strictes.

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20 millions d'ovins et de caprins, 800 000 ânes, 80 000dromadaires, etc.) (Tarder, 1995c).

Aussi, en septembre 1997, dans un verger situéen piémont nord du Djebel Ayachi (Haut Atlas oriental,région de Midelt), fûmes-nous étonnés de constater laforte fréquence de Lépidoptères sensibles, tels Berberiaabdelkader à l'orée, ou Gegenes nostrodamus dans lesallées sèches, éléments devenus incompatibles dans leszones cultivées perturbées par l'agro-chimie, comme çaaurait dû être le cas de cet espace. Voir évoluer dans uneunité d'arboriculture, ou même en sa lisière immédiate, laplupart des espèces propres aux « nobles » niches duproche Djebel Ayachi (Tarder, 1997a) est une situationqui nous est apparue comme intéressante à souligner et àanalyser. D'autres témoignages similaires ont déjà étérapportés pour le Maghreb occidental (Tarder, 1995b, p.104 ; Tarder, 1995c, p. 154 ; Tarder, 1998a, p. 212),alors que des constatations inverses ont été clairementformulées pour le Sud-Ouest européen par nous-mêmes(Tarder, 1992a, 1992b, 1993, 1995a) et, pour biend'autres régions, par tant d'autres auteurs.

Le verger : situation, historiqueet caractéristiques

Ce verger représente l'essentiel d'une propriétéagricole située dans le finage de la commune d'Aït-Oumghar (ou Aït-Orrhar sur la carte Michelin), villageberbère sur les rives de l'Oued Ansegmir, localité qui setrouve un peu au nord-ouest de la ville de Midelt. D'unesuperficie de 100 ha, cette surface est essentiellementvouée au pommier (25 000 pieds), avec, en complément,la plupart des autres arbres fruitiers tolérés par le sol et leclimat (poirier, prunier, abricotier, pécher, cerisier,cognassier, noyer), ces derniers seulement à usage vivrieret familial. La production optimale annuelle est del'ordre de 1 000 tonnes de pommes. Elle est menacée oucondamnée quand surviennent ravageurs, maladies, maissurtout intempéries (gelées tardives, vent violent quasiquotidien faisant choir les jeunes fruits, orages de grêle,

et notamment sécheresse, etc.), car les éventuels moyenspréventifs sont ici très précaires et, d'ailleurs, d'uneutilité contestée. La production fruitière est complétéepar quelques parcelles céréalières variées, un potager etune unité de ruches. Un modeste troupeau d'ovinsparcourt le site et les alentours, quelques bovins restenten pacage sur place.

Cette région, dont l'altitude moyenne est de1 5 00 m, se situe dans l'écotone3 entre le Moyen Atlascentral (2 150 m au col du Zad) qui retient la quasitotalité des pluies apportées par les vents d'ouest, et leHaut Atlas nord-oriental, que dominent localement lessommets de l'Ayachi (3 750 m) et du Masker (3 277 m).Elle constitue le bassin de la Haute-Moulouya, ouvert aunord-est. Cette orientation et la situation entre deux arcsmontagneux distants de 50 km font qu'il s'agit d'unbioclimat sévère de l'étage semi-aride continental,caractérisé par les steppes d'alfa (Stipa tenacissima). Lesétés sont secs et très chauds, (35 °C et plus), et les hiversfrais ou froids, avec de rares précipitations surtouthivernales, sauf orages orographiques d'été. Il y a moinsde 40 jours annuels de pluie, pour une hauteur inférieureà 350 mm (exactement 226 mm à Midelt, où le quotientd'Emberger4 est de 22,6). Le franchissement de l'arêtemontagneuse proche de l'Ayachi, permet aussitôt lecontact avec les éléments d'une faune afro-érémienne ettrace la limite d'exclusion de bien des élémentspaléarctiques aux portes d'un climat déjà saharien

3 Ecotone : ici, milieu de transition soumis à deux influences.4 Quotient d'Emberger : quotient pluviothermique servant à définirles 5 différents types de climats méditerranéens, depuis le plusaride, jusqu'à celui de haute montagne, climats que seul le Marocdans la région méditerranéenne, possède en totalité.Sa formule est : Q = 1000 P / (M-m)(M+m)/2 = 2000 P / M2 - m2

où P est la moyenne des précipitations annuelle en mm ; M est lamoyenne des températures maximales du mois le plus chaud en °K ;m est la moyenne des minima du mois le plus froid en °K (T en °C+ 273).Le quotient croît évidemment avec les hauteurs desprécipitations, mais décroît avec les écarts thermiques (ouamplitudes annuelles).

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Abondance de coprophages« au travail » sur des crottins de mulet

(Tarrier, 1995b et 1996)5. Du fait des possibilitésd'irrigation permanente liées au « château d'eau » del'Atlas mitoyen, ces conditions climatiques, pourtantinhospitalières en apparence, ont été jugées favorables àcette arboriculture du pommier durant les années duprotectorat français.

Le sol, ici argilo-calcaire, repose sur une nappesituée à une profondeur de 50-70 m. Une irrigationautonome se fait par des puits, et le risque d'unabaissement ou assèchement de la nappe phréatique enété est pallié par l'apport du réseau des séguias6

communales ceinturant le domaine. En période critique,un plan d'utilisation de cette irrigation collective estordonné. Ce type de verger est, en été, très remarquablecar il représente une forte tache de verdure dans le morne

univers d'un paysage dénudé, au solassez squelettique de type brun lessivé.Non présente ici, l'irrigation au goutte àgoutte est conseillée et très utilisée auMaroc. Mais on doit se demander si untel procédé d'arrosage, qui permet uneéconomie très sensible de l'eau, n'auraitpas aussi pour conséquence, ici, une« économie » pareillement très sensiblede la biodiversité, qui dépendabsolument d'un environnementartificiellement humide du fait justementde cette abondance de l'eau...

Façon culturale et traitementsphytosanitaires des arbresfruitiers

La gestion est iciparticulièrement non agressive, tant pourdes motifs financiers liés au coût des

produits que pour les tendances (mais non desconvictions avouées !) du responsable. Son attituded'autosuffisance minimum, proche de l'autarcie, sonrecours au recyclage et son choix radical de l'énergiesolaire (toute la propriété est alimentée par une centralephotovoltaïque) sont d'autres témoignages de cetteoption. Si aucune lutte biologique (apport d'auxiliairesparasites ou agents pathogènes) n'est de toute façondisponible localement, les structures de cetteexploitation, notamment ses diverses nichesd'hibernation possibles, se prêteraient parfaitement àplusieurs types d'introductions, notamment celle decolonies de Coccinelles, prédateurs des Pucerons.

5 à Er-Rachidia, un peu plus au sud, la pluviométrie tombe à 140mm et le quotient d'Emberger à 12,2 ; plus à l'est du Plateauoriental, à Missour, cette pluviométrie est de 150 mm, le quotient de13,2, etc.6 Canaux d'irrigation à l'air libre.

Sorties de galeries de Lombriciensagents essentiels de l'humification

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Un labour a lieu chaque année en décembre,suivi d'un émottage. L'unique engin mécaniquedérangeant pour la faune est en fait sous-utilisé.L'émondage et le binage occupent la majeure partie del'hiver. L'unique fauche est très grossière et tardive(juin-juillet), laissant ainsi à la majorité des espècesd'insectes présentes la possibilité d'accomplir leur cyclecomplet, stades larvaire et imaginai, reproduction etponte. Le regain de la strate herbacée de fin d'été seraenterré lors du labour hivernal. Aucun herbicide n'estutilisé. Aucun écobuage n'aurait été pratiqué. Labour etfauche ne sont pas systématiques ; d'importantesparcelles sont laissées en herbe au pied des arbres, surtoute la périphérie du pré-verger, en bermes des allées, enrives des seguias. Les débordements récurrents descanaux d'irrigation, lors des fortes précipitationsorageuses, procurent un apport d'épandage à base delitière organique très appréciable. Le produit des tailles,les arbres morts, sont entreposés à long terme àl'extérieur, dans des surfaces inexploitées. Des centaines

de kilogrammes de fruits tombés pourrissent sur place,abandonnés au sol. Le terrain reste très irrégulier, peuépierré, ne recevant qu'un émottage superficiel, unminimum d'essartage et sans râtelage. Le sol n'apparaîtdonc pas comme aplani et « scalpé » sans discernement,au détriment de ses valeurs physique, chimique etbiologique. Quelle aubaine pour le naturaliste ! La terren'est amendée que tous les deux ans et trèsparcimonieusement, avec un apport de potasse, d'acidephosphorique et d'azote (les engrais azotés sont fortnéfastes aux papillons), ainsi que de chélate de fer et demagnésium en compensation de la nature trop calcaire dusol. La chlorose ferrique (carence en fer) est un risquelocal potentiel et la photosynthèse des arbres atteints s'entrouve alors perturbée jusqu'au dépérissement. Il n'y apas d'épandage de lisier, ce qui se ferait au détriment dela mésofaune . Est seulement employé le peu de fumierd'étable disponible. Quant aux traitements des arbres ci-après énumérés, ils ne sont qu'exceptionnellementpréventifs et plus généralement pratiqués en cas d'alerte,

Tableau I. Évolution de la situation phytosanitaire du verger

7 Animaux de taille moyenne peuplant ie sol . Hexapodes (Insecteset Entognathes), Acariens. Annélides. Mollusques. ••

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toujours à des doses inférieures à celles prescrites par lefournisseur. Nous les décrivons selon les principauxstades phénologiques et tels qu'ils nous ont été livrés, endonnant de façon très synthétique les maladies ouravageurs concernés, et les produits utilisés (tab. I, ci-dessous).

Ces produits phytosanitaires à faibles doses, etpeut-être ici en-deçà de leurs seuils de dangerosité (?),sont censémentdécomposableschimiquement oulessivés avec les eauxd'infiltration(irrigation,précipitations).Comme chaquepesticide possède soncomportement, desrecherches orientéespourraient seulesdéfinir la quantitérésiduelle tant dansles cultures que dansles espècesbotaniquesadventives, les effetsobjectifs sur le mondevivant du sol, ainsique sur sa fertilité, laquantité infiltrée dansla nappe ensuiteexploitée pour l'arrosage autonome, etc., et tout ce queles tests en laboratoires des fabricants (certes partiaux,mais seuls interlocuteurs des agriculteurs...) ne disentpas. En fait, l'abondance et la variété des Rhopalocèresprésents, témoigne qu'à tous les stades concernés, de lalarve à l'imago, il n'y a actuellement pas contradictionentre les moyens mis en œuvre et la biodiversité.

Végétation adventice, sites mitoyens, biocénose

Les principales allées d'accès, tout commel'intégralité du périmètre de cette propriété, sont plantésde vieux arbres en rideau : Pinacées, Cupressacées,Salicacées (dont de beaux sujets de peupliers) et Tamarixafricana. C'est une frondaison efficace contre les ventstrès fréquents et un écran contre l'insolation estivale.Ainsi se crée, au fil de la seguia ceignant le domaine,l'équivalent d'une ripisilve. Une haie vive permanentefait office de clôture de dissuasion. À ces halliers,s'associent aux places les plus humides, des peuplementsde roseaux, de joncs, et les osiers. Certains espaces,notamment en angles, sont délaissés et reçoivent alorsune erme8 assez stratifiée, ponctuée tant par le genêt àbalai que la ronce, l'ajonc (parcelles siliceuses) et autre

ligneux. L'essentiel de la friche est recouvert demultiples espèces de Graminées formant dès l'été ungénéreux brométum , de Crucifères, de Légumineusesmultiples, de Composées (plusieurs Carduacées,Scabieuse, etc.). La luzerne, qui est très utilisée danscette région pour l'assolement, s'est répandue çà et là etreprésente un excellent support pour tout un « planctonaérien » et un attrait trophique pour bien des insectes

butineurs.L'ensemble, trèsflorifère, est ainsi trèsriche enpollinisateurs,notamment la plupartdes imagos deLépidoptères.Quelques jachèresd'anciennes culturescéréalières oupotagères sontinvesties en find'hiver par unevégétation à base dethérophytes10

pionnières.Cette

manifestationbotanique spontanéecôtoie ainsi unecommunauté cultivée,dans un paysage

steppique, sans mitoyenneté immédiate avec d'autresespaces anthropisés ou culturaux. L'ensemble apparaîtdonc comme un îlot végétal privilégié et attractif pour laflore et la faune environnante, un espace électif tant pourl'hibernation que pour l'estivation, un refuge sciaphilelors des plus fortes périodes d'insolation. Les alentours,collines discrètes au sol lapilleux12 , sont structurés par lesparte (Alfa tenacissima) qui est la plante prééminented'un paysage monotone. L'armoise blanche (Artemisiaherba-alba) s'y manifeste en alternance, ainsiqu'Erinacea anthyllis au port en coussin. L'alfa qui s'estintroduit fortuitement dans le pré-verger s'est développéeen hautes et puissantes touffes luxuriantes. En orée,quelques pans très exposés et de modestes surfaces sontinvestis par des planches d'Astagalus armatus, mêlé deliseron du désert (Convolvulus trabutianus). Après unepluie d'orage ou par forte nébulosité, l'air ambiant quirègne dans cette petite «jungle » irriguée est lourd et trèshumide, les lisières chaudes sont le cadre d'une dense

8 Erme : formation herbacée basse, plus ou moins discontinue, àrythme saisonnier très marqué.

9 Brométum : Prairie sèche constituée de Graminées du genreBromus (bromes).10 Thérophyte : type biologique de plantes annuelles qui complètentleur cycle, de la germination jusqu'à leur mort, durant une seulesaison favorable, par exemple ici, des pluies d'automne jusqu'avantl'été.11 Sciaphile : à l'ombre (du grec skia = ombre, et philos = ami).12 Lapilleux : caillouteux (du latin lapis, lapidis = pierre).

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activité, car l'effet d'appel est grand au milieu d'unpaysage environnant où l'action d'une intenseévaporation peut faire descendre le taux hygrométriqueau-dessous de 15%.

Lieu privilégié encore pour les Lombriciensdont l'abondance est trahie par d'innombrables sorties degaleries. Les vers de terre sont les aérateurs responsablesde la structure grumeleuse par la « construction vivante »du sol, et agents essentiels d'humification (l'humus est àla base de l'alimentation de Pédaphon13). De même, lesGastéropodes (surtout Hélix sp.), autres consommateursprimaires, se développent en très grand nombre. LesReptiles ne sont pas en reste et nous avons pu recenser :Testudo graeca, Mauremys leprosa, Tarentolamauritanica, Chamaeleo chamaeleon, Agama bibronii,plusieurs lézards et Acanthodactyles ; nous n'avons pasnoté de Seps, ni Eumeces algeriensis, mais leTrogonophis jaune est présent ; au moins quatre espècesde couleuvres fréquentent le site ou l'approchentépisodiquement : Coronella girondica, Macroprotodoncucullatus, Natrix maura et Malpolon monspessulanus(Psammophis schokari est observable non loin), ainsi quela Vipère de Mauritanie (plusieurs exemplaires).Quelques Batraciens comme Bufo mauritanicus, B.viridis, Hyla meridionalis, Rana saharica ont étéreconnus. L'avifaune est essentiellement illustrée auxproches alentours par les oiseaux de la Steppe (dont laPerdrix gambra, des Gangas, le Courvite Isabelle, desTraquets, le Sirli, l'Alouette bilophe, le Cochevis huppé,etc.). Dans le verger, outre de très nombreux passereaux(Moineaux, Pinsons, Bruants, Rubiettes, Fauvettes,Rossignols, Serins, Chardonnerets, Gobe-mouche gris,Mésanges, Bergeronnette des ruisseaux, etc.), onrencontre le Rollier d'Europe, la Huppe, le Pic-épeiche,le Guêpier, la Tourterelle des bois, le Merle noir, etparfois le passage d'une bande de Pigeons bizet. LaCigogne blanche, très répandue dans toute cette région,ne niche pas sur la ferme, censément pour des raisonsstratégiques (manque de hauteur de l'édifice). LaChouette effraie fréquente les granges et le Petit Ducscops est résident des grands arbres. Les Buses sont desvisiteuses quotidiennes et le survol de bien d'autresrapaces diurnes nichant dans les proches reliefs estrégulièrement aperçu. Gerbille, Gerboise, Mérion etPsammomys sont les rongeurs spécialisés de la steppeenvironnante et du pré-verger. Les Chéiroptères sontlégion. Le Hérisson du désert {Aethechinus algirus) estde rencontre facile dans ce véritable « bocage du sud ».Araignées, Solifuge (la si spectaculaire Galéode),Scorpions (deux espèces) et Myriapodes foisonnent.Honnis les Rhopalocères objets de notre étude,l'entomofaune est illustrée par une grande diversitéd'arthropodes épigéniques14 . Les Coléoptères semblentles plus dynamiques, notamment les coprophages

(parcours d'ovins et pacage de bovins), quelquessaproxyliques (occurrence du bois mort) et lesdétriphages (surtout Ténébrionidés), une densité fourniede floricoles pnntaniers, ainsi que quelques Carabiques(Graphopterus serraîor abonde) dont le maintien estfavorisé par les nombreuses pierres et souches éparsesdélaissées. Plusieurs espèces d'Odonates (développementdans les puits et les seguias), une diversitéd'Hyménoptères, ainsi que d'Hémiptères etd'Orthoptères spécialisés (y compris l'inévitableEugaster guyoni). certains probablement endémiques auplateau de l'Arid ou à l'Atlas méridional, peuplent aussice havre d'abondance.

Évaluation des Rhopalocères (bio-indication)

Les Rhopalocères inventoriés dans le vergersont présentés dans le tableau IL ci-dessous, où sontindiqués, en face du nom d'espèce, un indice desensibilité et un indicateur de fréquence en regardd'indications sur les ressources qu'ils exploitent dans cebiotope (voir explications en fin de tableau). Lesobservations et prélèvements proviennent des moisd'août et septembre 1997, puis de mars à août 1998.

Pour ce qui est du premier critère, un astérisquesignale les espèces sensibles et incompatibles avec lesméthodes agricoles agressives (traitements intensifs,perturbations diverses) et deux astérisques marquent lesespèces sténoèces, très fragiles, disparaissant des milieuxsubissant la moindre pression ou nuisance ; ces dernièressont des bio-indicatrices emblématiques de la valeur d'unmilieu. La plupart des autres espèces sont des ubiquistesou migrateurs cosmopolites à large valence, éclectiqueset capables de reconquêtes, parfois même marqueursd'une tendance inverse vers des états de dégradation. Lafréquence est notée 1 (exemplaire isolé), 10 (au moinsdix spécimens vus au fil de quelques heuresd'observation en conditions favorables) ou 100(populations denses).

13 Édaphon . ensemble de la flore microbienne et de la faune vivantdans l'eau interstitielle des sols,14 Vivant à la surface du sol.

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Cet inventaire compte 39 espèces, dont 21sensibles à très sensibles, sur les 67 répertoriées dans leshabitats plus préservés et reculés du tout proche DjebelAyachi (Tarrier, 1997a et 1998b). Les Hesperiidés, avecplusieurs espèces dont certaines en effectif fourni,évoluant dans les grandes allées favorables auxhéliophiles, n'ont pas été pris en compte. Les Hétérocèresdérangés s'envolent nombreux, parfois en nuées, surtouten fin d'été.

Dans des vergers à base d'abricotiers, defiguiers, d'amandiers et d'oliviers, de similairesrespectueuse gestion et conservation, du village prochede Ksabi mais d'un tout autre microclimat encore plussteppique (à l'est de Midelt), à ce type de cortèges'ajoutent, dans un concept alors nettement oasien, laPiéride érémicole Euchloe falloui Allard, 1867 (**) (enprésence de sa crucifère-hôte Moricandia arvensis), ainsique les Tarucus (*) (sur Jujubiers). Un autre site agricoletrès proche (pommiers, céréales), comme celui d'Aït-Oufella, en ressaut du versant sud du Moyen Atlas(Tarrier, 1997b, p. 94), qui bénéficie de l'influencesylvatique de la cédraie mixte, contient aussi Aporiacrataegi mauretanica Oberthiir, 1909, Zegris euphememaroccana Bernardi, 1950 (**), Gonepteryx rhamnimeridionalis Rôber, 1907 (*), G. cleopatra cleopatraLinné, 1767 (*), Satyrium esculi mauretanica Staudinger,1892, Aricia artaxerxes montensis Verity, 1928 (**),Polyommatus atlanticus weissi Dujardin, 1977 (**),Pandoriana pandora seitzi Fruhstorfer, 1908 (**),Mesoacidalia aglaja lyauteyi Oberthiir, 1920 (**) etMelitaea cinxia eupompe Hemming, 1933 (**) (ces troisderniers pratinicoles en bordure de champs extensifs decéréales !), Hyponephele maroccana nivellei Oberthur,1920 (*), Hipparchia alcyone caroli Rothschild, 1933(**), Chazara briseis major Oberthur, 1876 (*) etPseudochazara atlantis colini Wyatt, 1952 (**), dont lafemelle est très commune sur les inflorescences desCarduacées ségétales. Dans les Atlas marocains, il estbien d'autres exemples d'agriculture extensive avecd'autres cortèges incluant des papillons sténoèces. Onpeut aussi noter que la Zygène Z. trifolii mideltica Reiss,1970, fréquente, dans la région proche de Midelt, desmouillères d'immédiate proximité agricole.

Sur ce plateau intra-atlasique, la multiplicationde ce type d'espaces évoque la configuration d'unarchipel, et semble pouvoir autoriser, de proche enproche, les échanges et les renouvellements souhaitablescontre les risques d'effondrement dus à une trop stricteinsularité

EnseignementBien des Rhopalocères recensés dans cet habitat

sont considérés comme sensibles et la comparaison avecles inventaires très récents du cortège originel d'autreshabitats proches et non exploités en montre bien la valeurd'indicateurs écologiques.

En se maintenant dans ces lieux, de pair avecles plantes-hôtes dont ils sont tributaires et qui sont pourla plupart tout aussi sensibles, ils montrent qu'un telverger présente les qualités indispensables à leur survie,dans des conditions suffisamment stables pour que cetéquilibre, qui a perduré depuis de nombreuses années,semble être à même de durer encore. En ce sens, il y a làun enseignement précieux. Dans des vergers voisins dontla gestion est plus « rationnelle et rigoureuse », on fait leconstat du manque des mêmes espèces indicatrices parceque très vulnérables, et ce, selon deux cas de figure :

1- Une perte partielle (non encore consommée)avec des exploitations à gestion « intérieure » plusradicale, notamment pour ce qui concerne la « propreté »du sol, si ce n'est un recours plus systématique auphytosanitaire. Ces espaces sont alors vidés de leurscomposantes faunule et flore adventice, sauf en orée oùelle n'est que banalisée : marges des cultures, bermes deschemins, fossés et rives des seguias, voire quelquesjachères ou autres espaces « oubliés ». Les espèces depapillons qui se maintiennent ainsi en marge sontévidemment biffées des meilleurs bio-indicateurs, dessténoèces et de leurs plantes-hôtes. Iphiclidesfeisthamelii, directement lié à certains des arbresfruitiers, en est l'absent emblématique, mais Papiliomachaon, ubiquiste d'Ombellifères de fourvoiement peuts'y maintenir si le seuil de pollution n'est pas tropaccentué. Même exemple et son contraire avec Plebejusmartini (tributaire de fragiles Astragales) et Zizeeriaknysna susceptible de se replier sur la végétationrésiduelle des bords des canaux d'irrigation. Etc. La listede ce type de vergers ne tolérant plus que des vétilles surleur périmètre est hélas déjà trop longue.

2- Une totale vacuité quand surgit unearboriculture intensive sur un espace « très bienentretenu », pratiquant une « hygiène » pointilleuse parun recours, « à l'Occidental », tant à l'agrochimie qu'à lalutte radicale contre les « mauvaises herbes ». Cesterrains sont rendus abiotiques et représentent de fortdangereux « voisins » à haut risque de contaminationpour des exploitations mitoyennes plus respectueuses. Etici réside un réel problème qui pourrait faire l'objet d'uneétude et d'une réglementation, car il n'existe pas de« frontière » entre les deux types de producteurs (agressif/ non agressif). Tout protocole d'observation de cesvergers « qui ne chantent plus » est ici rendu inutile parl'existence d'un « désert biologique » si documenté sousnos latitudes. Dans la région intra-atlasique concernée,ce n'est (encore) que l'exception et ce modèle derendement à tout prix et à court terme est trèsgénéralement le fait de «gros » propriétaires citadins necultivant pas eux-mêmes. Les malheureuses expériencespionnières vécues par le Nord ne servent hélas pasd'exemples pour le Sud, lequel, bien au contraire, doitreconstituer à l'heure de son développement et à sesdépens un identique parcours erroné. Le développementdurable serait ainsi une suite à une première phase

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d'inévitables destructions, suite quasi « cosmétique » ouvœux pieux quand une gestion aux effets irréversibles l'aprécédé.

Notre longue expérience du terrain nous aprocuré une connaissance « intime » des Rhopalocèressensibles à la pollution (et de toute faune et flored'intérêt) et de leur absence des différents typesd'exploitations agricoles, dont celles d'arbres fruitiers,soumises aux méthodes intensives en vigueur, tant auMaroc qu'en France, en Espagne ou ailleurs. C'estpourquoi un autre enseignement tout aussi précieux, maisplus paradoxal, vient de ce que les conditions, qualités etéquilibre évoqués, sont aussi et d'abord ceux d'uneexploitation agricole dont la rentabilité doit être assurée,et l'est effectivement. Nous parlerions sinon de« réserve » de « parc » ou même de « ferme auxpapillons », qui ne sont souvent que les alibis ou lesgratifications que nous nous donnons. Ici, et depuislongtemps, ce qui est en question est d'abord la survied'une population humaine. La manière douce etrespectueuse dont celle-ci est assurée, s'ajoute à lasituation du verger au sein d'une vaste zone aride pourconstituer un îlot d'hospitalité.

La superficie, 100 ha, est un premier élémentfavorable, car déjà suffisante pour offrir une gamme trèscomplète de tous les refuges les plus précieux à la fauneet à la flore. Nous les avons énumérés aux précédentschapitres. Le souci de préserver un sol si fragile dans cesrégions amène à éviter un défrichage systématique, ce

qui du point de vue de la faune et flore et dusol lui-même, épargne un considérable gâchisdes matières nutritives. C'est ici un deuxièmeélément très favorable, alors que l'activitépastorale, en de nombreux paysméditerranéens, dans sa phase actuelle desurpâturage, a si souvent l'érosion pourcorollaire. Un troisième aspect positif est lerecours mesuré aux engrais minéraux,fertilisants, fongicides, acaricides, insecticides.Leur refus serait illusoire, car faute de cerecours, il n'est pas évident que l'habitatprincipal, support de l'ensemble biologiqueévoqué, puisse se maintenir avec tant devigueur. Quatrième point précieux, l'utilisation« généreuse » de l'eau, en l'absenced'irrigation par goutte à goutte. Ce pourraitêtre ici le maillon faible de cette chaîne

écologique, tant l'eau est elle-même une ressource àpréserver et le passage à une irrigation moins coûteuseest souvent une priorité écologique, elle aussi. Si danscette région, il semble que cette « générosité » soit le prixà payer pour une « générosité » de la biodiversité, laproximité du « château d'eau » de l'Atlas permetheureusement d'y faire face à moindre coût.

Au Maroc, pays de traditions, mais de traditionsvivantes et en évolution, de tels modèles sont fréquentsoù agriculture et milieux naturels sont étroitement liés.Ils démontrent concrètement et sur des surfaces encoreconsidérables que peuvent se manifester des associationsviables entre les activités humaines et des espècesprécieuses, et non pas seulement les espèces rudéralesubiquistes ou cosmopolites, habituellement notées. Et ilsnous démontrent aussi qu'à la question posée d'uneprotection efficace, ici, plus que scientifique, ouécologique, la réponse est culturelle •

RemerciementsNous savons gré à notre ami Jilali - Abdeljalil Abdellah -,propriétaire du verger étudié, de nous avoir si souvent reçuavec tant de complaisance dans sa propriété ; à Jean-FrançoisBinagot (F - Le Lavandou) pour les points de vue échangés ; àla Direction de l'Institut scientifique (université Mohammed-V,Rabat) pour son infaillible appui à nos recherches au Maroc.

Dessins de Claire Brenot,d'après des photographies de l'auteur.

Références bibliographiques

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La Tisza, fleuve mortPar Ivan BocsaInstitut de recherches agronomiques, 3356 Kompolt (Hongrie)gatefrki @ gateki. ektf. hu

Les Européens de l'Ouest connaissent peu laTisza (prononcer Tiza) bien qu'elle soit le principalaffluent du Danube. La Tisza prend sa source enUkraine. Ensuite, elle est fleuve frontière entre laRoumanie et l'Ukraine pendant 62 km. Encore un pas etelle arrive en Hongrie où la longueur de son trajetatteint presque 600 km. Elle poursuit son cours en« Yougoslavie » pendant 100 km. Le confluentavec le Danube se trouve à Titel (près deBelgrade). La longueur totale de laTisza est de 977 km (parcomparaison la longueur du Pô estde 652 km, celle de la Loire 1 020km, et celle de la Vistule 1 090km).

Elle possède de trèsnombreux affluents rivedroite et rive gauche.